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Une période stoicienne dans l’évolution de la pensée de saint Augustin Dire que dans l'information de saint Augustin le stoicisme occupe une place importante, c’est quasi énoncer un truisme : dans la Kown philo- sophique de l’ére classique les principes du Portique avaient obtenu une large diffusion et l’on sait que la culture d’Augustin a trouvé sa premiére assise auprés des auteurs de cette époque. Mais Uhypothase d’une telle information se révélant comme agissante peut étre envisagée. Il s’agi- rait alors d'une connaissance du stoicisme dépassant la simple érudition et jouant un réle - relatif mais réel - dans la formation elle-méme de 1a pensée de notre auteur. Nous voudrions tenter ici de montrer l’existence d'une telle influence ; elle suscita, selon nous, une époque stoicienne dans Lévolution de saint Augustin, époque d’autant plus intéressante qu’elle précéde de peu I’étape décisive de la conversion. Le témoignage privilégié, mais non unique, de l'influence stoicienne se trouve au début du livre VII des Confessions, 18 ott Vauteur décrit la vision de Dieu et du monde qui était la sienne au sortir du manichéisme, quelque temps avant la rencontre des libri platonicorum. Nous allons analyser ces pages en détail ; mais, parce que cette vision met en ceuvre une série d’éléments philosophiques, nous nous arréterons quelque peu au préalable 4 des déclarations antérieures d’Augustin dans les Con/es- sions, oii il traite brigvement de sa formation philosophique. Elles nous fournissent en effet un éclairage essentiel sur 1a nature et l’étendue de cette formation, sur les sources du premier bagage philosophique d’ Augustin. Faire remarquer que parmi les nombreux écrits de philosophes qu’Augustin rencontra durant sa jeunesse, une place peut ou doit étre faite A des traités comme le deuxidme livre du De natura deorum et méme x, On pourrait montrer une influence des doctrines stoiciennes sur Augustin dés la rédaction du De pulchro et apto (Conjessions, IV, xv, 24) Cf. & ce sujet J. O"MRARa, La jeunesse de saint Augustin, Paris 1958, p. 125 ; M. TRSTARD, Sain? Augustin ef Cicéron, Paris 1958, t. T, p. 53 48 CH. BAGUETTE a des ceuvres plus techniques comme le second livre de I’Histoive Natu- yelle de Pline, ce seta justifier plus aisément 1a teneur a la fois technique et stoicienne des résumés cosmologiques du livre VII. I, MUL?A PHILOSOPHORUM. Il importe de considérer avec soin le passage suivant du livre V des Confessions ; il se rattache la période de la vie d’Augustin qui suit la visite de Faustus 4 Carthage : « Bt puisque j/avais lu de nombreux éctits des philosophes, et que je les avais confiés & ma mémoire, ott je les gardais, je comparais certaines de ces idées avec les longues fables des manichéens. Et je trouvais plus de probabilité aux dires de ceux-ld, qui ont eu assez de force pour pouvoir seruter l'univers, quoiqu’ils n’en aient pas du tout découvert le maitre ; car tu es grand, Seigneur,.., et tu ne t'approches que des cours contrits, et tu n’es pas trouvé par les superbes, non, méme si eux, dans leur habile curiosité, peuvent dénombrer les étoiles et le sable, mesurer les espaces stellaires et dépister les routes des astres, C'est en effet par leur intelligence propre qu’ils font-ces recherches, et par le génie que tu leur as douné. Ils ont réalisé beaucoup de découvertes, et annoncé bien des années 2 Vavance les éclipses des luminaires que sont le soleil et la Inne, le jour, Viieure, le degré de ces éclipses futures ; et le nombre ne les a pas trompés: cela s'est passé comme ils I’avaient annoneé. IIs ont transcrit des lois quills avaient découvertes, et on les lit aujourd'hui, et d’aprés elles on atinonce A l'avance en quelle année et en quel mois de l'année, & quel jour du mois et 4 quelle heure du jour aura lieu l’éclipse, et quelle part de sa Inmiére manqueta a la lune ou au soleil. Et cela se passera comme il est annoncé 3%. La suite du passage continue la description de ces philosophi : il y est dit substantiellement que leurs découvertes sur la création ont beau @tre justes, parce qu’ils ne cherchent pas la vérité avec piété, ils ne la trouvent pas, ou, s’ils la trouvent, tout en connaissant Dieu, ils n’hono- rent pas celui-ci en tant que tel. 2, Comfessions, V, U1, 3 et 4 (traduction de F, ‘Tréhorel, B.A, 13, p. 467 sv.) : Et quo- niam multa philosophorum legeram memoriaeque mandata retinebam, ex eis quae- dam comparabam illis manichaeorum longis fabulis, et mihi probabiliora ista uidebantur, quae dixerunt illi, qui tentum potuerunt ualere, ut possent aestimare saeculum, quamquam eius dominum minime inuenerint. Quomiam magnus ¢s, domine,,.. nec propinquas nisi obtritis corde nec inueniris a superbis, nec si illi curiosa peritia numerent stellas et harenam et dimetiantur sidereas plagas et westi- gent wias astrorum, Mente sua enim quaerunt ista et ingenio, quod tu dedisti eis, et multa innenerunt et praenuntiauerunt ante multos annos, defectus luminatium solis et Iunae, quo die, qua hora, quanta ex parte futuri essent, et non cos fefellit numerus ; et ita factum est, ut praenuntiauerunt, et scripserunt regulas indagatas, et leguntur hodie atque ex eis praenuntiatur, quo anno et quo mense anni et quo die mensis et qua hora diei et quota parte luminis sui defectura sit luna uel sol: et ita fiet, ut praenuntiatur. STOICISME DANS LA FORMATION D'AUGUSTIN 49 Deux brefs extraits, qui se situent plus loin dans les Confessions, sont A rattacher a celui-ci et doivent permettre d’identifier plus aisément les philosophes dont it est question. A la fin du livre V, l’auteur cite A nouveau les philosophes en décrivant son état d’esprit au moment oi, aprés avoir entendu Jes premiers sermons de saint Ambroise 4 Milan, il voit se briser ses dernitres attaches avec Je manichéisme et sombre dans une crise passagére de scepticisme : «Mais 4 ce moment, je tendis toute l’énergie de mon esprit, pour voir si je pouvais de quelque’ maniare, par des arguments décisifs, convaincre les Manichéens d’erreur. Or, si j'avais pu concevoir une substance spirituelle, aussitdt toute leur construction efit été disloqnée et balayée de mon esprit ; mais je ne pouvais pas. Néanmoins, sur la matiére de ce monde et’ sur tout le domaine de Ia nature accessible aux sens chamels, les opinions d’un grand nombre de philosophes paraissaient & mon jugement beaucoup plus probables, aprés maintes et maintes réflexions et comparaisons. Aussi, 4 ’exemple des Acadéuiciens, tel qu’on les interpréte, je doutais, de tout, et je Hottais entre toutes les doctrines ; alors je décidai qu'il fallait abandonner du moins les Manichéens, ne croyant pas devoiz, en pleine crise de doute, me maintenir dans une secte ai-dessus de laquelle je plagais déja un certain nombre de philosophes »*, Dans le livre VI, lorsque s’amorce la fin de la crise sceptique par la décou- verte du prestige des Ficritures répandues dans le monde entier, nous trotivons une nouvelle allusion aux philosophes : «.,auul Apre conflit d’objections calommieuses, a travers les opinions si nombreuses que j’avais Iues de philosophes opposés entre eux, n’a jamais pu m’arracher le tefus de croire que tu « es » — quoi que tu fusses, car je ne le savais pas — ou que le gouvernement des choses humaines réléve de toi», multa philosophorum legeram (V, ut, 3) — plerosque philosophos (V, xiv, 25) — nonnullos philosophos (V, x1v, 25)— tam multa inter se confligentium philosophorum (VI, v, 7).: une premiére constatation s’impose ici, celle du nombre et de la variété des auteurs rencontrés. Il semble dés l’abord 3. Conf, V, xtv, 25 (trad. id. B.A. 13, p. srr av.) : Tum uero fortiter intendi animum, si quo modo possem certis aliquibus documentis manichacos connincere falsitatis, Quod si possem spiritalem substantiam cogitare, statim machinamenta illa omnia solue- rentur et abicerentur ex animo meo : sed non poteram, Verum tamen de ipso mundi hnius corpore omnique natura, quam sensus carnis attingeret, multo probabiliora plerosque sensisse philosophos magis magisque considerans atque comparans indi- cabam, Itaque Academicorum more, sicut existimantur, dubitans de omnibus atque inter omnia fluctuans manichaeos quidem relinquendos esse decreui, non arbittans eo ipso tempore dubitationis meae in ille secta mihi permanendum esse, cui iam nonnullos philosophos praeponebam. 4. Conf. VI, v, 7 (trad. id. p. 531 sv.) :...quoniam nulla pugnacitas calumaiosarum quaestionum per tam multa quae legeram inter se coniligentium philosophorum extorquere mihi potuit, ut aliquando non crederem te esse quidquid esses, quod ego nescirem, aut administrationem rerum humanarum ad te pertinere. 50 CH, BAGUETTE quiil serait vain de vouloir établir une liste de ceux-ci qui se prétendrait compléte ou limitative ; mais l'entreprise est tentante d’essayer de retrou- ver quelques noms de philosophes qui ont pu marquer la pensée d’Augus- tin a l'un de ses tournants importants ; surtout elle pourrait nous permet- tre de préciser dans quelle mesure le stoicisme était représenté parmi ces auteurs. Mais la chose est-elle possible ? H.I. Marrou semblait n’y croire guére en écrivant 4 propos de V, m1, 3 « tne fois de plus on éprouve de la peine A transformer une allusion aussi vague en bibliographie précise »5, Mais heureusement, nous ne possédons pas que les seuls mots multa philoso- phorum legeram pour nous guider ; plusieurs reconstitutions existent ailleurs, telle celle de P. Alfaric qui propose de voir désignés ici le De asivonomia de Varton et celui d’Apulée, le Songe de Scipion et la traduc- tion de Cicéron des Phénoménes d’Aratos® ; si nous comprenons bien G. Combes, il faudrait placer ici, outre Aristote (le Peri Evmeneias et les Topiques traduits par Victorinus), le De philosophia de Vatron, le De deo Sooratis d’ Apulée et surtout, & travers Cicéron, les ouvrages de la Moyenne et de la Nouvelle Académie’ ; M. Testard estime que nous nous trouvons surtout devant une référence 4 une grande partie de l’ceuvre cicéronienne et notamment au livre II de De natura deorum’, Nous voudrions encore citer les remarques suivantes de A. Solignac qui sont riches d’informations sur la méthode 4 suivre dans la tentative identification : « Multa philosophorum legeram... : de quels philosophes s’agit-il et quel était objet de ces lectures soigneusement retenues ? A cette question une premiére réponse est fournie par le contexte ; Augustin s'est particuliérement intéressé aux recherches sur le cours des astres, leurs éclipses et la prévision de ces éclipses. L’exactitude de ces calculs, bien antérieurs a 1’événement, atteste que leurs auteurs ont réellement atteint le nombre qui mesure !’univers, bien qu’ils soient restés dans Vignorance du Verbe par lequel le Pére a créé toutes choses qu’ils nombrent et eux-mémes qui nombrent (V, 1, 4-3). « Philosophes » est donc l’équi- valent de savants ; ailleurs Augustin parlera des mathematici (De diversis quaest. LX XXIII). Il convient pourtant de ne pas trop restreindre le sens du mot philosophorwm. Si Augustin pense ici plus spécialement aux astronomes, c’est sans doute que la certitude de leur science accentue le contraste avec les réveries manichéennes. Ii qui posséde un sens si aigu de la précision des mots entend bien celui de philosophe dans sa signifi- cation habituelle. Il importe donc de rechercher dans quelle mesure ces ouvrages, et tout particulitrement ceux de la premiére époque, portent 1a trace des lectures philosophiques antérieures »®. 5. H. I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture classique, 4¢ édit., Paris, 1958, P. 250, 0, 3. 6. P. ALPARIC, L'évolution intellectuelle da saint Augustin, Paris 1918, p. 234. 7. G. Commits, Saint Augustin ct la culture classique, Paris 1927, p. 9. 8, M. TestarD, op. cit., I, p. 45 et 48, 0. 1. 9. A. SoraGNac, Doxographies et Manuels dans la formation philosophique de saint Augustin, dans Recherches augustiniennes I, Paris 1958, p. 13-114 ; pour sa part Soli- STOICISME DANS LA FORMATION D'AUGUSTIN 5r Deux éléments sont bien mis en lumiére ici par Solignac pour éclairer le premier passage que nous avons cité. Tout d’abord, il faut songer a des philosophes qui étaient des savants, a des écrits offrant une desctip- tion précise des astres, tme prévision des éclipses. On peut peut-@tre ajouter encore que les astronomes ici désignés n’ont pas fait qu’apprendre A Augustin la théorie des éclipses, car il est dit d’eux que, dans leur cu- rieuse habileté, ils sont arrivés 4 dresser le compte des ¢toiles et des grains de sable et qu’ils ont mesuré les régions célestes et étudi¢ la route des astres (V, mt, 3) ; une telle phrase qui précéde la mention de la prévision des éclipses (V, ur, 4), avec des termes précis comme numerare, dimetiri, plagae, se réiére manifestement A de véritables astronomes et non a des astrologues, 4 des savants qui ne se sont pas seulement occupés de prévi- sion, mais qui, plus généralement, se sont adonnds a l'étude théorique des réalités du ciel. Il semble bien méme qu'on est en droit de voir en eux, ou parmi eux, non seulement des astronomes, mais, de fagon plus générale, des savants qui ont interrogé les différents domaines de Ja nature ; en effet, Vexpression multa uera de creatura dicunt qui se recontre en V, 11, 5 concernant les philosophes dont il est question, élargit déja le champ de leurs investigations ; et, 4 la fin du livre V of il n’est plus question nomina- lement d’astronomes mais bien encore pourtant de comparaison avec les opinions manichéennes, on voit que 1a science de ces philosophes porte sur l'univers entier et qu’elle a comme objet toute la nature : de ipso mundi huius corpore omnique natura (V, xiv, 25). Solignac précise bien ensuite qu'il s'agit de garder au mot philosophi sa signification habituelle, et ce, malgré le caractére technique, scienti- fique, du compte rendu qu’Augustin nous donne de ses lectures en V, 11, 3. En effet, si Augustin décrit ces auteurs avant tout comme des astronomes, c'est que le cété scientifique de leurs travaux offrait Ja meilleure réfuta- tion des errements des manichéens : c’est le premier aspect qu’a retenu Augustin et qu'il a pu exploiter, mais ce n’était pas 1a tout leur enseigne- ment. Il convient d'autant plus de prendre dans son extension normale dans 1’Antiquité le terme philosophus employé par notre auteur que, nous venons de le dire, ce n’est pas setilement la science des astres qu’Augu- tin a di trouver développée dans ses lectures, mais une étude de la nature qui, si elle est le fruit de travaux de philosophes, doit se confondre néces- sairement avec une doctrine sur l’univers, une théorie cosmologique. Diailleurs, si l'on se rapporte au troisiéme texte ot Augustin fait encore allusion aux philosophes, on voit, pat le contexte, que dans les écrits consultés, il a pu trouver des avis divergents sur le théme de la Provi- dence? gnac voit surtout dans les philosophi des auteurs de doxographies comme Cornelius Celsus, cf. Introduction aux Confessions, Ed. Bibl, august. 13, p. 92-93 et Doxographies at Manusls..., p. 138-148. xo. Sur cet élargissement, cf, aussi A, SoLGNAC, Introduction aux Confessions, . 92, 11. CE Confessions, VI, v, 7. isa CH, BAGUETTE Dans les écrits anciens, on le sait, ces trois domaines, astronomie, cosmologie, providence, sont loin d’étre étrangers I’un a l'autre, l'astro- nomie s’insérant normalement dans des écrits cosmologiques en tant que pattie d’un tout qu’une doctrine sur la réalité ou l’étendue de l’action de la Providence vient couronner ; tn exemple ici s’‘impose, celui du Timée qui a servi d’archétype 4 l’ensemble des écrits de ce genre et qui, Wailleurs, pourrait étre placé parmi les ceuvres dont nous parle Augustin puisqu’il avait été traduit par Cicéron!, L’ensemble de ces données permet de mettre en valeur tne précision importante : si les ceuvres de Cicéron doivent figurer parmi les lectures d@’Augustin étant donné qu’elles contiennent une certaine cosmologie et traitent de la Providence, on peut constater qu’elles ne répondent pas entigrement aux descriptions fournies par le passage V, mr, 3 des Confes- sions ott il est question, on I’a vu, d’éléments techniques précis, dates et mesures! ; il faut laisser, croyons-nous, une place importante a d’autres écrits, Les De astronomia de Varron et d’Apulde ont dti offrir 4 leurs lecteurs des éléments mathématiques" ; mais on peut croire — le texte des Confes- sions lui-méme nous y invite : multa philosophorum, plerosque philosophos — que d'autres traités de ce genre sont venus dans les mains d’Augustin ; Alfaric déja, 4 la liste que nous avons citée, ajoutait la mention d’autres auteurs moins connus!® ; mais tm nom nous semble pouvoir s‘imposer particuliérement ici: Pline, avec le dewxiéme livre de son Histoire Natu- relle, Pourquoi cet auteur ? Pline, comme Varron, est bien le type de savant que nous avons cru reconnaitre dans la description de V, m1, 3-5, c’est-a- dire non pas seulement un astronome, mais un savant ayant étudié les différents domaines de la nature. En outre, Pline a joint une doctrine philosophique particulitre & son enseignement a caractére scientifique!® : en méme temps que d’astronomie, lui aussi a parlé de cosmologie et de providence. Or, si l’on compare, comme nous allons le faire, cette doctrine philosophique avec le texte des Confessions oh Augustin a synthétisé en un résumé cosmologique les données philosophiques de ses lectures, il appa- raft que si cette synthése semble principalement marquée par 1’influence du De natura deorum, elle concorde aussi point par point avec 1a philo- 12, Cf. J. O'MEARA, of, cit., p, t21, 13. Ceci vant également pour fa traduction des Phénomanes a’Aratos qui ne contiennent pas, & proprement parler, des mesures de l'univers ni des études d’éclip- ses. 14. Ces deux traités sont perdus ; on a cru trouver des traces du de Astronomia de Varron dans le huitiéme livre de l'encyclopédie de Martianus Capella, dans le deuxiéme livre de Pline et le po&me de Manilius ; cf. V.O. Grurex, dans Hermes, ‘XI, 1876, p. 235-239, cité par ALPARIC, of. cit. p. 234, n, 15. P. ALFAKIC, op. cil., p. 234; of. aussi O'MRARA, op. cit., p. 127. 26, Dans son deuxiéme livre, Pline traite notamment des éclipses (VI et 9q.), de Vapparition des plandtes (XII), des distances des astres (XIX), de géographie astronomique (UXIX), des mesures de la terre (CXII), STOICISME DANS LA FORMATION D’AUGUSTIN 53 sophie adoptée par Pline dans le second livre de l’Histoire Naturelle. Cest 18, croyons-nous, tme raison valable de placer ce dernier parmi les philosophes qu’Augustin a pu rencontrer et pour conclure a la pluralité des sources susceptibles de rendre compte des connaissances de la cosmo- logie stoicienne manifestée par Augustin. 2. Le Résumi CosMoLocrquy D’ AUGUSTIN I/analyse va suivre un double but :; premigrement, il s’agit de montrer, par une comparaison avec le De natura deorum, que la vision du monde d’Augustin 4 Milan, a 1’€époque of ayant abandonné Mani il n’avait pas encore découvert les Ennéades, reléve bien d’une conception stoicienne ; ensuite et parallélement, que cette vision née sans doute de la fréquenta- tion de Cicéron, peut s’étre nourrie également de la lecture des écrits de savants-philosophes tel que Pline. 1. Les textes. Les chapitres 1 et v du livre VII renferment trois énoncés cosmolo- giques que, pour la commodité, nous désignerons par les lettres A (1, I), B (z, 2), C (v, 7). Nous les citons successivement en soulignant déja deux éléments, le matérialisme et l’idée de providence. Texte A: « Il m était impossible @'imaginer d'autre substance que celle qui se voit avec ces yeux-ci.., J'avais beau écarter I'hypothase d'une forme humaine, jiétais Contraint “cependant de vous concevoit comme quelgue chose de corporel, occupant de l'espace, et soit immanent au monde, soit méme répandu en dehors du monde & travers V'infini ; et, en tant que incorruptible, inviolable, immuable, je préiérais 1’étre ‘ainsi congu & ce gui est comiptible, sujet & souillire et, susceptible de changement, 2 que je ne pouvais me représonter ainsi dans T’espace me paraissail néant, un néant absolu, et non pas seulement un vide comme pat exemple si l'on enlevait un corps d’un lieu et que ce lien subsistat vidé de tout corps, soit terrestre, soit humide, soit aérien, soit céleste ; car, en ce cag, il y aurait un leu vide, tel un néant qui garderait encote la spacio- sité ot, 17, Confessions, VIL, 1, 1 (nous avons préféré ici la treduction de De Labriolle — Collection des Universités de France — moins brillante que celle de Tréhorel, mais plus proche du ton d’Augnstin dans ces passages) : ...qui cogitare aliquid substantiae nisi tale non poteram, quale per hos ocuios uideri solet ...quamuis non forma humani corporis, corporeum tamen aliquid cogitare cogerer per spatia locorum siue infusum mundo sine etiam extra mundum per infinita diffusum, etiam ipsum incorruptibile et inuiolabile et inconmutabile, quod corruptibili et uiolabili et conmu- tabili praeponebam, quoniam quidquid privabem spatiis tallbus, nihil mihi esse 54 CH, BAGUETTE Texte B: « Et vous aussi, 6 Vie de ma vie, je vous concevais comme un étre immense, pénétrant de tous cdtés A’ travers les espaces infinis toute la masse de Yunivers, répandu sans terme dans l'infini, en sorte que la terre vous enfetmait en soi, le ciel de méme, et tout cela trouvait en vous sa limite, tandis que vous ne la trouviez point. Mais de méme que la masse de I'air, de cet air qui est au-dessus de la terre, ne fait as obstacle & la lumiére du soleil, ni ne l'empéche de la pénétrer, de ia traverser sans la rompre ni la déchirer, et en est remplie toute entidre, pareillement je pensais que la masse du ciel, de V’air, de la mer, de la terre elle-ntéine, vous était perméable et se laissait pémétrer par vous dans toutes ses parties grandes ou petites, pour embraséer votre présece ; et qu'ainsi, et du dedans, et du dehors, volve souffle mystévieux dirigeait tout ce que vous aves oréé, Telles étaient mes conjectures, ne pouvant imaginer autre chose : mais j’éais dans Verreur »**, Texte C: « Devant le regard de mon esprit, je placais toute la création, tout ce qui apparait d’elle A nos yeux, la terre, la mer, l’air, les astres, les arbres, les animanx ruortels, et tout ce qui en elle reste pour nous invi- sible, les profondeurs du firmament, tous les anges, tout le monde des csprits, Ht ces substances epirituelles elles-mémes, mon, imagination les distribuait en tel ou tel lieu, comme si elles eussent été corporelles. De votre création, je fis une grande masse unique, dans laquelle se juxta- posaient les corps, qu'ils fussent réellement des corps, ou que, de spirituels quils étaient, ils fussent devenus corps dans mon imagination. Cette masse, je me la représentai immense (non selon son immtensité réelle jue je ne pouvais connaitre, mais selon ma fantaisie), limitée pourtant le tous cdtés, Et vous, Seigneur, vous l'entouriez, vous la pénétries de toutes parts, mais en restant infini dans toutes les directions, C’était comme une mer qui, pattout et de tous cétés, ne formerait qu'une mer unique, s’étendant intinie dans l’immensité, et qui conticndrait une éponge, grande autant qu’on voudra, mais de dimensions finies, et imbibée, en toutes ses parties, de I'immense mer »"*, uidebatur, sed prorsus nihil, ne inane quidem, tamquam sf corpus auferatur loco et maneat locus omni corpore uacuatus et terreno et humido et aerio et caelesti, sed tamen sit locus inanis tamquam spatiosum nihil, 18. Confessions, VIL, 1, 2 (traduction de De Labriolle) : Ita etiam te, uita uitae meae, grandem per infinita spatia undique cogitabam penetrare totam mundi molem et extra eam quaquauersum per inmensa sine termino, ut haberet te terra, haberet caelum, haberent omnia et illa finirentur in te, tu autem nusquam, Sicut autem Inei solis non obsisteret aeris corpus, aeris huius, qui supra terram est, quominus per cum traiceretur penetrans eum non dirrumpendo aut concidendo, sed implendo eum totum, sic tibi putabam non solum caeli et aeris et maris sed etiam terrae corpus peruium et ex omnibus maximis minimisque partibus penetrabile ad capiendam Praesentiam tuam, occulta inspiratione intrinsecus et extrinsecus administrante omnia, quae creasti, Ita suspicabar, quia cogitare aliud non poteram ; nam falsum erat, 19, Confessions, VII, v, 7 (traduction de De Labriolle) : Et constituebam in conspectu spiritus mei uniuersam creaturam, quidquid in ea cernere possumus, sicuti est terra et mare et aer et sidera et arbores et animalia mortalia, et quidquid in ea non widemus, sicut firmamentum caeli insuper et ommes angelos et cuncta spiritalia eius, sed etiam ipsa, quasi corpora essent, locis et locis ordinata, ut imagi- STOICISME DANS LA FORMATION D’AUGUSTIN 55 2, L’interférence des souvenirs. Avant de montrer le caractére stoicien de ces textes, nous devons encore signaler l’existence d’une difficulté préalable provenant de la possibilité d’une interférence, dans les souvenirs d’Augustin, entre les souvenirs de I’époque visée par le début du livre VII des Confessions et ceux qui concernent les mois précédents ou suivants. A cause de cette interférence qui s'explique aisément par le caractére rétrospectif de la rédaction des Confes- sions, on a pu émettre |’hypothése que le début du livre VII que nous disons stoicien, renferme certaines traces d’une influence de Plotin dont pourtant Augustin n’avait pas encore rencontré les écrits (cf. seulement 4 partir de VIL, rx, 13), et qu’il serait possible d’y glaner encore !’un ou l'autre vestige du manichéisme pour l'heure cependant défunt (cf. depuis V, XIV, 25). Ce sont les recherches de R.J. O’Connell qui montrent que, d’une cer- taine facon, Plotin est déja présent ici, Cet auteur a voulu retrouver Vinfluence des traités quatre et cinq de Ennéades VI dans les premiers écrits d’Angustin et, selon lui, A cdté d’autres passages des Confessions, les chapitres un, deux et sept du livre VII sont probants pour sa thése, out en reconnaissant dans l’image de Dieu déctite par ces chapitres une représentation post-manichéenne, probablement stoicienne, de la divinité, il discerne dans nos textes des traces de la lecture de Ennéades VI; Augustin, en effet, se trouve aux prises ici avec ce qui constitue égale- ment le probléme fondamental des deux traités de Plotin intitulés Ce gui est un peut étre partout, A savoir le rapport du fini et de Linfini, ott Ja maniare de se représenter Ia réalité de l’omniprésence divine au monde. Or, une formule telle que per spatia locorum siue infusum mundo siue etiam extra mundum per infinita diffusum (Conf. VII, 1, 1) & propos de Dieu, s’apparente & Ennéades VI, 4, et particulitrement aux deux premiers chapitres de ce traité of Plotin oppose l’omniprésence de l’Ame a l'exten- sion de la masse corporelle et congoit 1’ftre comme contenant toutes les réalités inférieures, sans lui-méme étre contenu ou localisé ; un tel paral- Iélisme se poursuit ; la phrase d’Augustin traitant du vide, du non-spatial (texte A, in fine) rappelle Enndéades, VI, 4, 2, oi Plotin donne la méme définition du vide, dans un contexte identique A celui d’Augustin ; des points de contacts avec Confessions VII, 1, 2 et v, 7 sont discernables également : O'Connell relave les images exprimées par tendere, diffundere, natio mea ; et feci unam massam grandem distinctam generibus corporum creatu- ram tuam, siue re uera quae corpora erant, site quae ipse pro spiritibus finxeram, et eam feci grandem, non quantum erat, quod scire non poteram, sed quantum libuit, undiqueuersum sane finitam, te autem, domine, ex omni parte ambientem et penetrantem eam, sed usquequaque infinitum, tamquam si mare esset ubique et undique per inmensa infinitum solum mare et haberet intra se spongiam quam- libet magnam, sed finitam tamen, plena esset utique spongie illa ex omni sua parte ex inmenso mari. 20. R.J. O'CONNErL, Ennead VI, 4 and 5 in the works of Saint Augustine, dans Revue des dudes augustiniennes, TX, 1963, p. 1-39, 56 CH, BAGUETTE Yargument « part-of-part » contre le caractére spatial de la divinité qui obligerait celle-ci A atre plus ou moins présente dans les étres suivant jeurs dimensions, l’image de 1’éponge*!. Nous n’avons pas Vintention de mettre en doute la possibilité de ces interférences pour la bonne raison qu'il n’est pas concevable qu’un auteur puisse reconstituer un moment de son passé sans le faire avec une mémoire désormais enrichie des expériences postérieures, de l’acquis de !’entre- deux : le temps vécu — et a fortiori le temps reconstitué — implique la durée. Mais l'important est de se demander ici si une telle influence porte vraiment str l'esprit de nos textes, enléve a ceux-ci leur signification et leur portée historiques, ruinant ainsi du méme coup l’interprétation stoicienne que nous voulons leur donner. A cette question, nous répon- drons par la négative, non pas que nous prétendons que la réalité histo- rique des sotvenirs est li¢e 4 notre seule interprétation, mais bien d’abord parce qu'il ne s’agit pas d’admettre on d’imaginer qu’en relatant ses sou- venirs, Augustin soit sorti de la vérité, par une trop grande dépendance 4 l’égard de son information néoplatonicienne. On admettra aisément tout d’abord que la présence de l’argument « part-of-part », emprunté peut-étre & Plotin, parle plutét pour notre point de vue ; si Augustin rédacteur des Confessions (argument au cha- pitre 2 apparait comme une incise dans la relation des souvenits) peut critiquer ses vues directement antérieures 4 la conversion par un raison- nement qui s’attaque 4 une conception spatiale de la divinité, c’est que ses vues d’alors devaient étre bien proches de celles de l’école de Zénon et de son panthéisme. Nous poutrons voir plus loin que l’emprunt possible a Ennéades VI, 4,2, de la définition stoicienne du vide laisse supposer que lors de!’emprunt, c'est-A-dire & l’époque de 1a rédaction des Confessions, Augustin avait pleine conscience du caractére stoicien de cette donnée, en méme temps que de la portée que pouvait revétir son emploi pour caractériser ses souvenirs. Il reste l'analogie que nous avons mentionnée entre les formutles et les images qu’utilise Augustin et celles dont s’était servi Plotin ; ces ressem- blances sont réelles et intéressantes pour qui cherche A déterminer quels sont les traités de Plotin qu’Augustin a pu étudier aprés sa conversion ; mais pour nous elles restent secondaires : elles permettent, certes, de supposer qu’en reconstituant l'itinéraire de sa pensée notre auteur s’est servi de ses lectures récentes pour exposer, et peut-tre méme pour mieux comprendre, ses souvenirs antétieurs, mais elles ne sauraient enlever 4 ceux-ci leur authenticité ni non plus rendre compte de leur véritable origine. Pour nous, la véritable origine réside dans les écrits dont nous avons parlé plus haut oi Augustin a trouvé une doctrine et un vocabu- 21. RJ. O'CONNELL, op. cit., p. 10, 2. 36. STOICISME DANS LA FORMATION D’AUGUSTIN 57 laire bien définis par lesquels il s'est laissé imprégner ; que Plotin se soit servi d'images analogues en traitant de l’omniprésence divine et qu’Augus- tin constatant cette analogie formelle en ait profité pour enrichir ses expressions et structurerses propres souvenirs, voila une rencontre féconde, mais qu’on ne pourrait interpréter trop rapidement en attribuant 4 Plotin ce qui revient en réalité a des sources précédentes. L’analyse des textes nous montrera 4 propos des termes diffundere et infundere et & propos de Yopposition fini-infini que les lectures d’Augustin antérieures A la conversion ont pu l’habituer aux notions que ces termes et images mettent en ceuvre. Comme Monsieur le professeur A. Mandouze a bien voulu nous le faire remarquer™, il y a lieu de se demander si les pages du livre VII que nous considérons ne restent pas encore marquées par des vestiges manichéens ; il serait normal en effet que V'imagination d’Augustin, A !’époque qui précéde la conversion, demeure inflnencée par ses anciennes croyances et on peut considérer que, lorsqu’il s’est mis a réfléchir sur les rapports entre la divinité et la création, ses réflexions d’alors n’étaient pas trés Join de cette théorie manichéenne de l’union de la terre de Ja Iumiére et de la terre des ‘Ténébres qu'il exposera Ini-méme plus tard pour la criti- quer dans le Contra Epistulam Fundamenti® ; suivant cette théorie, ta terre des Ténébres pénétrait comme un coin dans la terre de la Lumiére, c'est-a-dire du Bien, et était entourée par elle sur trois cétés® ; 1a notion de limites, de frontiéres entre les deux substances qui était mise ainsi en avant par les manichéens pourrait faire entendre encore tn écho dans une phrase comme celle-ci du texte B : ... ut haberet te terra, haberet caclum, haberent omnia et illa finiventur in te, tu autem nusquam. Si stoicisme et manichéisme sont proches I’un de l’autre par leur optique A 1a fois maté- tialiste et panthéiste, un texte des Confessions permet de voir cependant que l’étape décrite par le début du livre VII, tout en étant toujours mar- quée peut-étre par des souvenirs manichéens, posséde une individualité propre, qu'elle est bien postmanichéenne. Ce texte se situe assez loin dans le livre VII, mais il est un rappel de 1’évolution antérieure : « Crest de 1a qu’elle (mon me) en était venue A V'opinion des deux substances, mais elle ne trouyait pas de repos, et elle parlait un langage étranger. Hit, revenant de cette etreur, elle s'était faite un dieu répandu A travers les espaces infinis dans tous les lieux (dewm per infinita spatia locorum omnium), et elle avait cru que c’était toi ; elle Vavait installé dans son cceur, et clle était devenue de nouveau le temple de son idole, un temple en abomination pour toi. Mais tu as mis un calmant sur ma téte, 4 mon insu, et clos mes yeux pour les empécher de voir la vanité ;'et alors, j’ai perdu conscience un instant et mon délire s'est 22. Cela, dans un entretien que Monsieur Mawpouzm a bien vonlu m’accorder ; qu’il me soit permis ici de Je remercier encore de son aide et de ses conseils, en des jours difficiles, 23. AUGUSTIN, Contra Epistulam Fundamenti, xx, 22 et sq. 24. AUGUSIIN, ibid., REIL, 24 et XX, 28, 58 CH. BAGUETTE assoupi ; je me suis réveillé en toi, et je tai vu infini d'une autre fagon, et cette Vue ne procédait pas de la chair »*. On voit trés bien qu’Augustin désigne dans ce passage trois moments ; au début, le dualisme manichéen, et, a 1a fin, la conversion accompagnée d’une vision de Dieu qui « ne procéde pas de la chair » parce quelle est éclairée par l’idéalisme néoplatonicien ; mais, entre les deux, il y a cette époque ott, tout en ayant écarté le manichéisme, Augustin continuait a croire 4 un Dieu matériel répandu dans l’espace. Remarquons les mots deum per infinita spatia locorum omnium de ce chapitre 20 : ils sont une reprise d’expressions analogues du début du livre VIL, a savoir : corporeum tamen aliquid cogitare cogerer per spatia locorum (texte A) et te, wita witae meaz, grandem per infinita spatia (texte B). Ceci nous donne de conclure qu'il apparait bien que ce début du livre VII décrit une étape particulire, le moment ot la pensée d’Augustin, libre du manichéisme et non encore libérée du matérialisme par Plotin, n’avait d’autre horizon que les pers- pectives stoiciennes, Alors que les éléments inspirés peut-étre du néopla- tonisme sont 4 considérer comme une projection dans le passé d’un acquis postérieur, les souvenirs manichéens ont une réelle portée historique mais ne témoignent plus que d’une étape désormais dépassée. 3. Les éléments. En commengant l’analyse des textes cosmologiques, nous attirerons Vattention sur la mention des quatre éléments, dans chacun des trois passages : texte A ; ommi corpore et terreno et humido et aerio et caelesti texte B : caeli et aeris et maris sed etiam terrae corpus texte C : terra et mare et aer et sidera La mention en soi est banale, mais, du fait qu’elle est chaque fois reprise, elle situe d’emblée ces extraits dans la littérature cosmologique et, par Ja, auteur manifeste qu'il entend bien étre compris ici dans un sens technique. Chaque fois qu’il énumére les éments, Augustin place I’un prés de Vautre l’air et le feu. On peut croire que, sous sa plume, cet ordre constant nest pas le fruit du hasard mais que l’auteur se souvient en cela d’un usage propre a ses sources. La liste des éléments suivant la répartition 25, Confessions, VII, x1v, 20 (trad. Tréhorel, B.A. 13, p. 625) : Et inde ierat in opinionem duarum substantiarum et non requiescebat et aliena loquebatur. Et inde rediens fecerat sibi deum per infinita spatia locoruam omnium et eum putauerat esse te et cum collocauerat in corde suo et facta erat rursus templum idoli sui abomi- nandum tibi, Sed posteaquam fouisti caput nescientis et clausisti oculos meos, ne uiderent uanitatem, cessani de me paululum, et consopita est insania mea ; et euigilaui in te et uidi te infinitum aliter, et uisus iste non a carne trahebatur. STOICISME DANS LA FORMATION D'AUGUSTIN 59 stoicienne que nous rapporte Diog&ne Laérce étage dans l’espace succes- sivement le feu, puis l’air, puis |’eau et enfin Ja terre®®, Cicéron respectait ce rapprochement, et déja, par I’énumération que nous trouvons chez Tui, it est possible d’en percevoir la raison : « de la terre vient l’eau, de Veau nait lair, et de lair l’éther ; ensuite, par retour en sens inverse, de V'éther vient lair, de l’air l’eau, et de l'eau la terre qui est au plus bas »?7. Manilius unit aussi feu et air, qu'il sépare de la terre et de l'eau, Chez Pline V'insistance sur la proximité des deux premiers éléments est mani- feste : ignium summum... proximum spiritus®®. Qu’est-ce qui justifie pareille ordonnance ? Pourquoi peut-elle étre significative ? La théorie des quatre éléments remonte aux premiers temps de la philosophie grecque ; elle est exploitée par Platon dans le Timée qui dispose les essences dans le méme ordre que celui que nous venons de constater®? ; pour Iui, cet ordre se justifie par la nécessité logique de trouver entre les deux premiers éléments corporels, le feu et la terre, deux principes intermédiaires, deux « médiétés » qui assurent 1’équilibre et l’harmonie des rapports entre les deux extrémes. Mais les stoiciens fondent cette succession sur des principes différents, qui se rattachent A une théorie propre Aleur Keole, celle du mélange total ou xpiiatc &V SA@v. En fonction de cette théorie ot les éléments naissent !’un de l'autre, Cicéron nous dit que l’air monte vers le ciel sous I’action de 1a chaleur qui transforme eau en vapeur®, tandis que pour Sénéque, si lair est proche du ciel, c’est qu’il est plus subtil, plus mobile que l’eau et la terre®? ; Pline explique aussi pourquoi il faut concevoir l’air dans le voisinage du ciel, et la raison en est également mécanique : il parle d’un mutuus comple- aus, d'une « mutuelle étreinte », comme traduit J. Beaujeu®’, qui assure Véquilibre des éléments entre etx, la terre servant d’appui aux autres éléments tandis que Jes substances légéres empéchent les substances lourdes de tomber™. Ainsi donc, parce qu'elle est fonction de 1a théorie du mélange total, Vénumération des quatre éléments ne peut se faire suivant l’arbitraire, si l'on a affaire & un exposé technique inspiré du stoicisme®®. Si Augustin se plie A cette régle, c'est que la théorie du mélange total est également 26, Diockns Laiincn, Vies et Opinions des philosophes, VIL, 137. 27. CICKRON, De natura deorum, II, xxx, 84 (traduction de 1. Brébier, dans Les stoiciens, Biblioth, de la Pléiade, Paris 1962) : ex terra aqua ex aqua oritur aer ex aere acther, deinde retrorsum uicissim ex aethere aer-inde aqua ex aqua terra infima, 28. MaNrL1us, Astronomiques, I, 239 : aeris atque ignis, terrae pelagique jacentis. 29, Prawe, IL, rv, 5. 30. Pravon, Timée, 3rb-320. 31, Crcfron, De natura deorum, II, x, 26 et 27. 32. SHNKQUE, Questions naturelles, II, x, 3, 33. J. Buauynu, Ed. Histoire Naturelle, Collect. des Univ. de France, ad loc, 34. Prune, IL, rv, 5. 35. Cf. encore Manmizus, Asironomiques, I, 142-155, qui indique explicitement que la disposition des éléments se fait selon un ordre invariable, 60 CH. BAGUETTE présente, sous une certaine forme que nous allons préciser, dans les passa- ges des Confessions qui nous occupent. La xpticts 81’ Sav est lexpression de l’interpénétration des divers éléments entre eux. C’est la vie du feu initial se modifiant sans fin dans les multiples formes qu’il revét a travers les essences qui se trouve ainsi traduite concrétement ; la théorie du mélange total telle que nous venons de la rencontrer n’est en effet que la représentation mécanique d’un concept plus fondamental du stoicisme, celui de la sympathie universelle qui lie entre eux tous les étants par leur participation 4 l’unique action du logos, le feu initial, qui les pénétre tous : que, sur le plan physique, il y ait cette transmutation des corps entre eux, et c'est le passage du souffle primordial 4 travers eux qui se trouve 14 matérialisé ; « ainsi devient concevable Yaction unifiante du souffle, qui peut traverser tout obstacle »95, La théorie du mélange est donc rendue nécessaire pour faire accepter aux yeux de l’esprit le dogme fondamental de la dispersion et de la fragmen- tation dans tous les étres de 1’élément premier. Chez Posidonius, la pénétration de la divinité a travers tous les étres avait pris la forme de la doctrine du pneumatisme : « (Dien) est un souffle intelligent et igné, il est sans forme, se changeant en ce qu’il veut et se rendant semblable a tout »8?, Cest cette doctrine du pnewma qui devait trouver dans le monde latin une expression littéraire originale dans le deuxiéme livre du De natura deorum ot le feu intérieur est envisagé sous I’aspect d’une wis witalis communiquant & tous les étres une chaleur interne qui est la base de leur existence®®, Revenons aux Confessions ; le texte B montre que dans la vision du monde et de Dieu adoptée a l’époque par Augustin, c’est cette théorie du pneuma qui domine. Augustin se représente alors Dieu comme un souffle capable de pénétrer tous les étres : te... grandem per infinita spatia undique cogitabam penetrare totam mundi molem. Dans la phrase suivante du méme texte, pour exprimer que tout l’uni- vers est rendu perméable 4 une action mystérieuse de la divinité, l’auteur use de la comparaison avec Ja lumiére du soleil qui traverse l’atmosphére sans la briser et la remplit complétement (penelrans eum non dirumpendo aut concidendo, sed implendo). Le texte C des Confessions contient égale- ment une image de ce genre, oii l’action enveloppante et pénétrante de la divinité est comparée 4 une mer immense contenant en son sein une éponge toute imbibée delle : tamquam si mare . 36. P.M, ScHURL, Les Stoiciens, p, XX, 37. Posrpowtus, apud Stonée, Eel. I, 58 (ch. 2, 29) : HoceiShviog nve0Ha vospov xai mupaidec, ok EXOV HEV LoPOAY LETaPAALOV 68 elc 6 BodA|etaL Kal GvVEEOHOLOD- Hevov nicw. 38. Crctron, De natura deorum, UL, 1x & xu. 39. On le voit, il n'est pas nécessaire de recourir & une influence plotinienne pour expliquer une telle image dont Vorigine peut étre la tradition stoicienne, attentive STOICISME DANS LA FORMATION D’AUGUSTIN 6r Le pneumatisme supposant la théorie du mélange total, il est normal qu’en adoptant ce pneumatisme Augustin se conforme aux usages stoi- ciens quant 4 la répartition des éléments au sein de la crdsts. 4. Panthéisme et Providence. Examinons maintenant la formulation du panth¢isme, la représentation de la divinité elle-méme. Dans le texte A, Dieu est un corps mélangé au monde, il se confond avec lui, ou méme, se répand dans l'infini : siue infusum mundo siue etiam extra mundum per infinita diffusum. Les mots essenticls sont ici tnfusum et diffusum. En soi, ils ne s’excluent pas en présentant chacun une conception particulitre, mais signifient que la présence divine, tou- jours pénétrante et li¢e au monde, pouvait étre congue comme se projetant an dela de lui. Le texte C reprendra ces deux modes de présence en les déterminant at moyen des termes ambire — penetrare, Dieu étant compris comme un englobant, comme cette mer dont nous parlions, imbibant entiérement Véponge qu’elle contient en elle, On notera une similitude entre les termes du texte A et le vocabulaire du De natura deorum : pour désigner la uis witalis, 1a chaleur vitale répan- due dans !'univers, Cicéron use de cette expression : callidwm illud aique tgneum ita in omni fusu m esse natura® ; ailleurs, identifiant cette puissance divine 4 un lien et a la nature devenue intelligence et raison, Cicéron explique comme suit la stabilité du monde : quod facit ea natura quae per omnem mundum omnia mente et ratione conficiens funditur et ad medium rapit et conuertit extrema. On retrouve encore le mot infusus, employé dans le méme sens, lorsque Velleius, au livre I, critique opinion de Pythagore : Quo modo porro deus iste, si nihil esset nisi animus, aut infixus aut infusus esset in mundo, En outre, lorsque le méme Velleius passe en revue les conceptions stoiciennes de la divinité, il décrit une opinion de Cléanthe ott l’on retrouve quasi la notion de diffusus du texte A d’Augustin : tum wltimum et altissimum atque undigue circum u- sum et extremum omnia cingentem alque complexum ardorem, qui acther no- minetur, certissimum deum judicat'®. Au chapitre suivant, c’est l’opinion de Chrysippe qui est mentionnée, avec cette fois le substantif fusio : ip- sumque mundum, deum dicit esse et eius animi fusionem universam', 4 concrétiser la panthéisme (cf, l'image du miel A travers les rayons citée par Tertu- Hien, ad. Nat., IT, 4, 8.V.F. I, 155 et l'image de la Iumigre du soleil chez Marc-Anréie, XI, 30). 40. CrctRON, De natura deorum, IL, x, 28, 41, Crosron, éb., I, xiv, 115. 42, Crckeon, ib., I, x, 28, 43. Crctron, ib., I) xtv, 37. 44. Croton, ib, I, xv, 38. 62 CH. BAGUETTE Ces expressions cicéroniennes sont bien, croyons-nous, le premier modéle de la phrase invoquée par O’Connell comme parente de Ennéades VI, 4: per spatia locorum sine infusum mundo siue etiam extra mundum per infi nita diffusum (texte A) Dans le texte B, la présence divine est décrite dans toute une proposi- tion qui fait suite 4 la comparaison avec la lumiére du soleil ; il n’est pas possible d’en isoler les différents termes liés 1’un 4 l'autre ; «sic tibi putabam non solum caclo et aetis et maris sed etiam mini- misque terrae corpus peruivm et ex omnibus maximis minimisqne artibus penelrabile ad capiendam praesentiam tnam, occulta inspiration intrinsecus et extrinsecus administyante omnia, quae creasti ». Cest ici qu’apparaissent le mieux les deux aspects fondamentaux de la divinité : la notion de souffle (inspiratio) et I'activité providentielle dont le souffle est doté (administrare). L’action du souffle est imaginée comme une circulation (perwium) et une pénétration (penctrabile) au sein des éléments. Les termes ex... partibus penetyabile se rattachent manifestement a l’ex- pression infusum mundo du texte A et au verbe penetrave du texte C ; ainsi, l’unité de la vision des trois passages se trouve bien manifestée. Ce pneumatisme est apparenté manifestement A celtti du De natura deorwm, mais il répond aussi, nous allons le voir, au panthéisme du deuxie- me livre de l'Histoire Naturelle, Examinons quelques exemples de la formulation du pneumatisme chez Cicéron. C'est par les mots diwinus et continuatus spiritus qu’est désignée V’ame divine qui se communique a toutes les parties de I’univers et en assure l'unité®, Ailleurs, traitant de lair, Cicdron le dit poussé par la nature vers le ciel ; le contact qui s’établit ainsi avec la chaleur pure fait de lui un uitalis et salutaris spiritus offert aux vivants*®, Mais, dans un sens analogue, l’'auteur emploie le terme adspiratio qui fait songer A inspi- vatio du texte B d’ Augustin ; expression compléte de Cicéron est : animan- tes autem adspivatione aeris sustinentur*”. On ne peut voir ici uniquement une allusion au mécanisme de la respiration humaine ; en effet, le chapitre 33 o& se trouve employé le mot adspivalio développe la théorie de la ordsis rencontrée plus haut : l’auteur veut y montrer la continuité de la nature (continuata natura est), 1a sympathie (coniunctio) de toutes ses parties par l’interférence des dléments entre eux ; et, dans cet échange, Yair remplit un réle particulier : il est le milieu privilégié de par sa position intermédiaire entre ciel et terre, un agent qui communique au ciel sa 45. CICERON, ib., II, vit, 19 : Hace ita fieri omnibus se concinentibus mundi partibus profecto non possent, nisi ea uno diuino et continuato spiritn continerentur. 46, CICHRON, ib,, TL, XLV, 117 : Ttaque ct mari continuatus et iunctus est et natura fertur ad coelum cuits tenuitate et calore temperatus uitalem et salutarent spiritum praebet animantibus, 47. CICERON, ib,, II, XXII, 83, STOICISME DANS LA FORMATION D'AUGUSTIN 63 nourriture, les vapeurs de la terre (eiusdem exspivationibus et aer alitur et acther et omnia supera) et qui offre a la terre un souffle purifié par le feu du ciel (animantes autem adspiratione aeris sustinentur). Lair est done ainsi la respiration de I’univers, et en tant que telle, il est considéré comme source de vie et de sentiments pour les vivants ; dans l’expression de Cicéron, les mots animantes sustinentur veulent étre pris au sens fort. L/air est un spiritus, et, étant donné qu’il n’y a pas de frontiére entre les Aléments‘’, on peut considérer qu'il se confond avec la wis witalis dont Yauteur parle, sous forme de chaleur vitale, ailleurs dans le De natura deorum*, Que le pneumatisme de Cicéron ait pu servir d’exemple a celui du livre VII des Confessions, cela n’empéche pas Augustin d’avoir été impres- sionné par la méme représentation de la divinité rencontrée chez un autre auteur. Or, le livre II de Pline propose 4 plusieurs reprises un pneuma- tisme de méme nature que celui de Cicéron dont voici les témoins essen- tiels : « Proxim spiritus, quem Gracci nostrique eodem uocabulo aera appel int, uitalem hune et per cuncta rerum meabilem totoque consertum » (IL, tv, 5). « inter hanc caelumque eodem spiritu pendent, certis discreta spatiis, septem sidera » (IT, rv, 6). « Tot animalium haustus spititum e sublimi trahit, at ille contra nititur, tellusque ut inani caclo spiritum fundit » (II, xxxrx, 38). « uenti sunt, siue adsiduo mundi incitu et contrario sidermm occursu nascuntur, sine hic est ille generabilis rerum naturae spititus hue illuc tamquam in utero aliquo uagus... » (II, xiv, 45). On notera, comme chez Cicéron, l’équivalence des termes spiritus et aer. Ce spiriius est bien considéré par Pline comme fournissant la vie aux choses : generabilis rerum naturae spiritus (II, 43). Nous insisterons particuligrement sur une donnée du premier de ces quatre extraits, donnée qui doit étre jugée comme significative puisqu’elle se situe dans un passage ot V’auteur établit la définition des éléments ; il s’agit des mots per cuncta rerum meabilem totoque consertwm qui traduisent la pénétration du pneuma dans l’univers. Que Pline considére cette présence de Vaer comme vraiment active au sein de la terre, il nous le montre lorsqu’il rend compte de l’origine des exhalaisons d'un souffle fatal (mortiferwm spiritwm) dans certaines grottes et des émanations prophétiques dans d’autres : « (c’est) le pouvoir 48. Cette remarque est faite par Beaujeu (op. cif. p. 123 n. 3) pour expliquer que Pline, comme nous allons le voir, appelle le pnewsna tantét aay, tantdt spirits, 49. G, Verbeke explique comme suit quie la divinité puisse s'appeleraethey ou aer | « ...puisque l’éme humaine est une parcelle de ce souffle divin, il est tout naturel @appliquer 4 la Divinité les noms qu’on attribue au principe vital de I’homme : acther, aey, ignis » (L'évolution de la doctrine du pneuma du stoicisme & saint Augustin, Paris-Louvain 1945). 64 CH. BAGUETTE divin de la nature (naturae numen) qui partout répandu (diffusae per omne) fait sans cesse éruption sous des formes diverses »*° ; c’est 1’action du méme souffle qui explique l’apparition des sources méme sur les mon- tagnes®! et qui est a l’origine des tremblements de terre®?, Les mots per cuncta rerum meabilem et toto consertum de la définition de Pline appellent certainement le rapprochement avec ex omnibus maxi- mis minimisque partibus penetrabile du texte B d’Augustin ; c’est bien te méme panthéisme qui est exprimé ici et 14. Mais il nous semble que si Augustin se souvient 4 ce moment d’une lecture de Pline, la fagon dont celui-ci rend visible, palpable pourrait-on dire, la démarche du sfiritus au sein de la matiére par les exemples que nous venons de citer est telle- ment frappante, que ce sont ces images qui font saisir sur le vif la portée de meabilem et conserlum, qui auront di surtout l’impressionner. On possé- de peut-étre un signe de la tendance 4 matérialiser comme le fait Pline les diverses progressions du puewma dans la matiére, dans le choix par Augustin du mot peruium qui accompagne et précise, dans le texte B, la seconde qualification, penetrabile. Le texte B dit : non solum caeli et acris et maris sed etiam terrae corpus peruium, Tl y a donc 1a une insistance : ce ne sont pas seulement les trois premiers éléments qui sont parcourus par le souffle divin ; méme la terre, — entendons : malgré ce qu'elle a d’obscur, de lourd et de non-fluidité, — méme la terre lui sert de récep- tacle. C’est comme si Augustin marquait par 14 les efforts de sa pensée, les étapes de son imagination pour concevoir l’omniprésence du pneuma jusqu’au dernier degré de l’univers. En imaginant le souffle comme citcu- lant dans tous les éléments, il se rapproche de la vision concréte du pneuma que Yon rencontre chez Pline. La définition de l’aer-spiritus de Pline (II, 5) devait d’autant plus orienter le lecteur vers le panthéisme que, quelques paragraphes aupara- vant, son deuxiéme livre s’ouvre par une définition stoicienne du monde ott il est dit que celui-ci doit étre considéré comme une divinité éternelle et immense : « le monde est sacré, dit Pline, éternel, immense, tout entier dans le tout, ou plutét il est lui-méme le tout ; infini et paraissant fini, déterminé et paraissant indéterminé ; au-dedans, au-dehors, embrassant tout en lui, il est a Ja fois I’ceuvre de la nature et la nature elle-méme »58, Peu apres la description des éléments, Pline appelle le soleil, ame et esprit de l'univers, «la Régle premitre et la premiére divinité de la nature »54, 50. Pang, I, xcv, 93 (traduction de J. Beaujeu) ; ¢ diffusae per omne naturae subinde aliter atque liter numen erumpens ». 51. Prine, IL, uxvu, 65. 52. PLINE, II, LXxx1, 79 et LXXXvI, 84 ; on peut comparer ici avec le poeme VBina ot c'est un feu divin qui explique les voleaus : v. 553 et 196. 53. Prins, IL, 1, x (traduction id.) : Sacer est (mundus), aeternus, immensus, totus in toto, immo uero ipse totum, infinitus ac finito similis, omnium rerum certus et similis incerto, extra intra complezus in se, idemque rerum naturae opus et rerum ipsa nature. 54, PLANE, II, rv, 6 (traduction id.) : hunc principale naturae regimen ac numen, STOICISME DANS LA FORMATION D'AUGUSTIN 65 ce qui est bien conforme au stoicisme puisque Cléanthe concevait le soleil comme incarnant la divinité5® ; et enfin, tout juste aprés la louange du soleil, il y a cette phrase marquée d’une certaine incertitude, mais condui- sant droit & une vision panthéiste de Dieu : « Quel que soit Dieu, si toute- fois il est distinct du monde, et en quelque région qu’il réside, il est tout sensation, tout vision, tout audition, tout vie, tout Ame, tout Ini-méme »88 ; cette phrase, pour étre bien interprétée, doit étre complétée par les deux données sur lesquelles se termine le chapitre du traité consacré & Dieu : la premiéte ot l'auteur parle, A la fagon du Portique, de notre parenté avec Dieu, societas cwm Deo, et la seconde ot est réaffirmée l’identité de la nature avec Dieu : per quae declaratur haud dubie naturae potentia idque esse quod dewm wocemus®?, Comme nous l’avons dit, ce sont les mots administrante omnia du texte B qui traduisent explicitement la fonction providentielle du pnewma, et ils se rattachent at passage du livre VI des Confessions o& Augustin, en rappelant avoir rencontré des contradictions dans ses lectures au. sujet de la Providence, affirme que cela ne lI’a jamais empéché de croire a Vadministratio rerum humanarum de Ja part de Dieu, Administrare qui semble bien étre un terme spécifiquement stoicien5®, est utilisé trés fréquemment dans un sens analogue pat le De natura deorum, & cOté d'autres verbes comme regere, prowidere ou. moderare®?, De deux facons, il est possible de montrer que l'usage qu’en fait ici Augus. tin provient sans doute de ses souvenirs cicéroniens. D’abord, on consi- dérera que administrare n'est employé de fagon courante pour désigner ja Providence que par Cicéron, parmi les auteurs classiques. Sénéque utilisait des verbes plus généraux; une enquéte portant surles Letives, Helvie, le De providentia, le De clementia, le De constantia sapientis, le De breuitate witae, le De wita beata, te De otio montre qu’il a recours surtout a regere®! et temperare™ & coté de prowidere, consulere, cwrare, ordinave et formare. Le poeéme de Manilius, les Astronomiques, dont on sait inspiration stoi- 55. Cf. Diookwe Later, VIL, 139. 56. Prawn, IT, v, 7, 14 (traduction id,) : Quisquis est deus, si modo est alins, et quacumque in parte, totus est sensus, totus uisus, totus auditus, totus animae, totus animi, totus sui, 57. PLANE, II, v, 7, 27. 58. Confessions, VI, v, 7. 59.,U est la traduction de 81oxéw employé de fagon coustante par les auteurs de V'Keole pour désigner le destin conduisant le monde (cf, Eererbrn, Manuel, 31 ; Manc-Aurkrx, I, 3; VIL, 25 ; Cunvsrrps dans §.V.F. II, 013). 60. Pour exprimer l'idée du gouvernement de Ia providence, le livre IT du De natura deorum utilise administrare dix-sept fois (IL, 1, 3, IL, xxx, 73 ; IE, XXIX, 74 (deux fois) ; II, xxx, 75 (deux fois) ; I, xxx, 76 (deux fois) ; If, xxx1, 80 ; LI, XAXU, 82 ; II, Xxxu, 85 ; II, xxxm, 86 ; II, xxxzv, 86 (quatre fois) ; II, 1am, 132) alors que regere est utilisé treize fois, consulere, huit fois, prowidere, six fois, moderave deux fois, 61. regere : cf. De prouidentia, V, 8 ; De clementia, I, 3; Ep. 16, 4 ; 58, 28; 65, 23. 62. temperare : cf. Ep. 65, 23 ; 71, 14 3 73, 6 3 95, $0 5 107,8, 66 CH. BAGUETTE cienne, contient quatre fois regere™ et trois fois gubernare® mais il n’utilise pas administrare. Lorsque, au livre II de l'Histoire Naturelle, Pline envisa- ge 1a question de la Providence, il se sert seulement de agere curam rerum jumanarum®, Par contre, il est frappant de constater qu’adminisirare revient sous la plume d’Augustin non seulement dans les Confessions mais aussi dans des premiers écrits : dans le De ordine®® et le De uera religione®?. On peut désigner encore le De natura deorum comme source de cette appellation chez Augustin 4 partir des constatations suivantes : il faut se replacer sous les yeux les différents textes des Confessions od Yauteur affirme que, malgré ses problémes religieux, il a toujours cru en la Providence : « nulla pugnacitas calumniosarum quaestionum... philosophorum extorquere mihi potuit, ut aliquando non crederem te esse quidquid esses, quod ego iescirem, aut administrationem rerum humanarum ad te pertinere » (VI, v, 7). « semper tamen credidi et esse te et curam nostri gerere, etiam si ignorabam uel quid sentiendum esset de substantia tua uel quae wia duceret aut reduceret ad te » (VI, v, 8). « sed me non sinebas ullis fluctibus cogitationis auferri ab ea fide, qua credebam et esse te et esse inconmutabilem substantiam tuam et esse de hominibus curam et indicium tuum et in Christo, filio tuo,... uiam te posuisse salutis humanae ad eam uitamt... » (VII, vir, 11). Dans ces trois passages, on peut aisément percevoir une constante : la croyance envisagée par Augustin se décompose en une série triple d’arti- cles : ’existence de Dieu, sa nature, son action sur ’humanité ; Augustin affirme que Dieu existe, il croit en sa providence, il ne parvient pas a se faire une idée exacte de sa nature, sinon qu’elle est une substance immua- ble. A cette ignorance vient s’ajouter, dans le deuxiéme extrait, l’ignorance du moyen pour aller 4 Dieu, mais la fin du troisitme passage vient apporter la réponse : le Christ y est désigné comme la voie du salut : il s’agit 1a d’une question proprement religieuse qui ne reléve pas, comme les précé- dentes, d’une problématique philosophique. La répétition sous forme stéréotypée des trois articles philosophiques doit retenir I’attention. En effet, E. Bréhier nous apprend que depuis le traité de Chrysippe sur 1a Providence il existait, dans l’antiquité, un cadre classique d’exposition de ce probléme®’, On montrait d’abord l’existence de la Providence, ensuite la fagon dont elle s’exercait, et enfin on réfutait les critiques contre elle. Bréhier note que le premier point est amplement développé par Cicéron a partir du chapitre 19 du livre II du De natura 63. Mawraus, regere : I, 27 ; I, 24x ; IV, 14 j LV, 98. 64. Mantrxus, gubernare : I, 242; IL, 8x ; IV, 882. 65. PxINx, I, v, 7, 20 et 26. 66, AuGuStIN, De ordine, I, 1, 1; 1, v, 14; IL, 1 2 (quatre fois) ; If, 1, 3; IL, u, 4. 67, AUCUSTIN, De wera veligione, 1, 2 ; VII, 13 | XX, 43 ; XXVU, 50 ; XXVIM, 51; XXXIV, 63 ; EI, r00. 68. &. Bréurer, Bd. des Enndades, WI, p. 17 et 2. 1. STOICISME DANS LA FORMATION D'AUGUSTIN 67 deorum, tandis que dans l’introduction 4 son traité sur la Providence, Sénéque spécifie qu'il ne traitera que le troisiéme article de ce schéma traditionnel. C’est fort probablement & cet usage que se rattachent quelques lignes du premier chapitre du deuxitme livre du De natura deorum : on y voit Balbus exposer le plan qu'il va suivre pour développer son argumentation, et aprés avoir annoncé que le division adoptée se rattache a une habitude stoicienne lorsque les auteurs de cette école traitent pareille question, celui-ci déclare : « ils (les stoiciens) enseignent d’abord que les dieux existent, puis disent quels ils sont, ensuite que le monde est gouverné par eux, enfin qu'ils veillent aux affaires humaines »", Au cours de son discours, Balbus exprimera, A chaque articulation, son passa- ge d’un point a Vautre”, et les quatre éléments du plan repris par Cotta au début du livre III (71) et suivi par lui dans sa réfutation. Comparons sous forme de schéma le plan de Balbus et les articles de foi posés par Augustin : De natuy. deor. II, 1, 3 Confessions — esse deos existence: te egse — quales sint nature: quidquid esses — mundum administrari providence : administratio rerum Iu- — eos consulere humanis manarum (VI, v, 7) existence: te esse providence : curam nostri nature —: quid sentiendum__ de gubotentia tua (VI, v, existence : te esse nature 2 esse inconmutabilem substantiam tuam providence : curam et iudicium (VII, ‘var, 11) tant donné que les deux derniers points de Balbus pourraient se ré- duire 4 un seul article : la Providence a) sur le monde, b) sur l"humanité, il est permis de se demander, en constatant les analogies de ce schéma, si les formules toujours identiques utilisées par l’auteur des Confessions pour résumer ses difficultés de foi ne sont pas, et pour la forme, et, par- 69. Crc#Ron, De natura deorum, II, 1, 3 (traduction de B. Bréhier) ; Primum docent esse deos, deinde quales sint, {um mundum ab his administrari, postremo consulere eos rebus humanis, — Il existe un désaccord sur lorigine stoicienne de cette division, cf. Ed. De natur. deor, de A.S, Puase, note ad locum, p. $43 ; on pour- rait cependant encore compater De natur. deor. II,1, 3, avee Sénaque, Ep. 95, 50, ob se retrouve la méme division 70. CE, De natura deorum, IL, t, 4 ; XVI, 45 ; ERIS, 73 ; UAT, 154, Sur le plan du livre II, on peut voir A.J. Fustucrine, Le Diew cosmique, Paris 1949, p. 384 et n. 1; cet auteur fait remarquer que le passage d'un article & un autre au chapitre 17 et au chapitre 61 est exprimé par tn restat ut et vestat ut doceam, 71. De natura deorwm, IIT, ut, 6. 68 CH. BAGUETTE tiellement, pour le fond, des souvenirs de 1’énoncé du plan du deuxitme livre de Cicéron. Il resterait d’ailleurs 4 considérer un quatriéme passage des Confessions od apparaissent de nouveau groupées les trois questions traditionnelles : il s’agit de la phrase qui fait suite, au livre VIT, a notre texte C: Existence : Ecce deus et ecce quae creauit deus, Nature —: et bonus deus atque his ualidissime longissimeque praestantior ; Providence: sed tamen bonus bona creauit : et ecce quomodo ambit atque implet ea? Voi ergo malum et unde et qua huc inrepsit ? Quae radix eius et quod semen cius 272, Ces dernigres lignes, aprés laffirmation de la Providence, posent le probléme du mal. Le probléme du mal, Balbus s’y était arrété a 1a fin de son exposé’ et c’est lui qui constitue l’argument dont use Cotta au troi- siéme livre du De natura deorum pour ruiner le providentialisme des stoiciens. A l’époque de ses lectures philosophiques et jusqu’A sa conver- sion’4, Augustin, on le sait, n’a cessé d’étre tourmenté par l’existence du mal ; or, nous pouvons constater ici que c’est au niveatt cosmologique que la question est affrontée : bonus bona creawit (providence) — et ecce quomodo ambit alque implet ea (panthéisme) — ubi ergo malum et unde et qua huc inrepsit ? (naissance du mal). La notion de providence et le panthéisme ne laissant pas de place a l’irruption du mal, Augustin s’in- terroge sur l’origine de celui-ci. Mais cette facon d’envisager le mal au niveau cosmologique et le fait de le lier au triple énoncé traditionnel nous semblent 4 nouveau rapprocher les trois questions d’Augustin du plan initial de Balbus. Si c'est bien de ce plan qu’Augustin se souvient pour synthétiser ses pensées d'alors concernant la théodicée, voila clairement désignée l’origine du mot administrare du texte B des Confessions puisque ce mot est le plus fréquent sous 1a plume de Cicéron pour désigner, dans le De natura deorum, Voeuvre de la Providence, et puisqu’il figure dans le plan lui-méme de Balbus. Pline ne parle pas explicitement de la Providence, mais plusieurs passages du livre II s'y référent nécessairement. Son action est supposée dans I’explication des mots cosmos-mundus et caelatum ow sont mises en avant la beauté du monde et 1a régularité du ciel?®, Pline la désigne dans la loi de la nature qui dirige les phénomanes du monde, qui supprime les imprévisibles et fait que tout, dans l’univers, 72. Confessions, VIL, v, 7. 73. C1chRON, De natura deorum, II, Lxvi, 167. 74. Déj& das l'époque du De pulchyo et apto (Conf. IV, xv, 24) et jusqu’a la lecture de Flotin (Conf. VII, ur, 4 et q.). 75. Prane, IL, m1, 4. STOICISME DANS LA FORMATION D’AUGUSTIN 69 est déterminé’*, Nous l’avons vu, aux yeux de l’auteur, Dieu et nature s‘identifient ; or, cette nature qui a créé le monde (rerum naturae opus, II, x), Pline Vappelle artifex natura’, appellation qui fait songer au De natura deorum et 1a doctrine de Zénon (natura non artificiosa solum, sed plane artifex)", Dans un passage, Pline se montre pourtant hésitant ; mais son hésitation porte plutét sur l’étendue de l’action de la Providence que sur sa réalité : « Doit-on croire que cet étre supréme, quel qu’il soit, s’intéresse aux choses humaines et ne soit pas souillé par une tache aussi sinistre et multiple ? Ou faut-il en douter ? Nous sommes loin de pouvoir juger laquelle des deux hypothéses vaut le mieux pour le genre hu- main... »79. Cette phrase doit se comprendre en fonction du pessimisme de Pline 4 l’égard de la nature humaine et de Ja société de son temps® ; philo- sophiquement elle se rattache sans doute a la polémique d'origine aris- totélicienne sur l'incompatibilité pour un dieu transcendant de se méler au monde ; peut-étre est-ce & un jugement de ce genre que pensait Augustin en parlant des contradictions sur la Providence rencontrées dans ses lectures. It reste important d’étudier maintenant comment Augustin décrit, dans les textes cosmologiques, les modes d’action de la Providence. Dans le texte B, on peut distinguer deux données a ce sujet : a) ex omnibus maximis minimisque partibus, pour désigner 1a pénétration universelle du souffle. b) intrinsecus et extrinsecus, couple qui précise que I’activité providen- tielle s’exerce du dedans et du dehors des choses ; sur ce point vient se greffer la question délicate du caractére fini ou infini de Dieu et de I’uni- vers 4 laquelle Augustin fait allusion surtout dans les textes A ét C. Cest a la fois un lieu commun et un probléme pour les stoiciens de montrer que les soins de la Raison divine s’étendent du premier jusqu’au dernier des étres. Déja dans son Hymne a Zeus, Cléanthe chante la puissance divine s’exer- gant sur toutes choses et ramenant a l’ordre ce qui est sans mesure, Chrysippe affirmait qu'il n’y a pas de partie du monde qui ne soit pas conforme a la volonté de Dieu® et Kpictéte voyait partout un trait de Ja bienveillance de Dieu, surtout dans 1a raison humaine, mais méme dans la barbe au menton®’, 76. Prane, IT, 1, 1: mundus... omnium rerum certus ; XLV, 45: legem habere naturae ; également xxvur, 27 et XxXxIx, 39. 77. PINE, IT, 1xvt, 65, 78. CIckRON, De natura deorum, II, xxut, 58. 79. Prine, IL, v, 7 (traduction id.) : Agere curam rerum humanarum illud, quicquid est, summum ac tam tristi atque multiplici ministerio non pollui credamus dubitemusue ?. Vix propre est indicare, utrum magis conducat gener! humano.. 80, Cf, J. BRAUJEU, op. cit, p. 129. Br. Créanrne, Hymne d Zeus, v. 15 sq. (S.V-F. I, 537). 82. Cf, PLUTARQUE, Des notions communes, XXXIV, 83. Bercrkre, Entretiens, I, Xvi, 10, 70 CH. BAGUETTE Mais une pareille louange de 1’extension de 1’action divine était une arme 4 double tranchant, non seulement parce qu’elle pouvait conduire a un finalisme naif comme celui o& tombait Chrysippe en prétendant que Je paon avait été créé en vue de la beauté de sa queue, et non l’inverse®, mais parce qu’elle suscitait rapidement 1’objection de 1’existence du mal. Parmi les solutions apportées 4 ce probléme par les disciples du Portique figure l/'argument célébre : (Jupiter) singulis non adest : Dieu n'intervient pas dans les détails, mais donne a l'ensemble le signal®5. On sait que ces deux aspects de l’action divine sont abordés par Cicéron dans le De natura deorum : traitant de la finalité, il use dans sa démons- tration d’exemples dont certains sont incongrus®, mais lorsqu’a la fin de l’exposé Balbus s’arréte un instant & 1a question du mal, nous Je voyons déclarer : « Les diewx prennent en considération les grandes choses et négligent les petites »87. L’insistance d’Augustin dans omnibus maximis minimisque partibus se référe A la premidre maniére d’envisager !’action divine, celle de l’optimisme finaliste, mais nous avons vu plus haut (texte C, suite) que parall@lement & la croyance en la Providence, il se posait le probléme du mal. Les termes intrinsecus et extrinsecus sont particuligrement riches de signification. Pour leur élucidation, nous partirons 4 nouveau du De natura deorum ; une des fonctions principales du ‘dieu présent au monde est, pour Cicéron, d’assurer la continuité de celui-ci. Ladmirable liaison de la nature (continuata cognatio) exige que ses parties soient unies par Vaction d’une Ame divine qui se communique a toutes (IT, viz, 19) ; c’est la chaleur vitale qui agit ainsi dans 1a nature, en se répandant partout (IL, rx, 24-25) ; la nature se confondant avec 1a wis witalis, dotée de rai- son, embrasse et fait subsister le tout (II, x1, 30) : « Tout cela est admira- ble, mais ce qui l'est encore plus, c'est que le monde soit si stable et telle- ment bien combiné pour durer qu’on ne peut rien concevoir de mieux arrangé, Ses parties en effet, en se dirigeant de tout cété vers le centre, y tendent toutes également. Et surtout l’union des corps entre eux per- siste, comme s'ils étaient liés par une chaine (winculum) qui les entoure ; c'est I’cetivre de cette nature qui, répandue a travers le monde entier, faisant tout par réflexion et par raison, entraine et dirige les extrémités vers le centre 188, 84. Ck. Prutarguy, Des contradictions des stoiciens, XX. 85. SENLQUE, Questions naturelles, II, XLVI. 86. Par exemple, la trompe de I’éléphant, De natuy. deor, IL, xtvu, 123. 87. CrctRoN, De natura deorum, II, rxvz, 167 (traduction id.) : Magna di curan parua neglegunt, 88. CICKRON, De natura deorum, II, xiv, 115 (traduction id.) : Nec wero haec solum admirabilia, sed nihil mains quam quod ita stabilis est mundus atque ita cohaeret ad permanendum ut nihil ne excogitari quidem possit aptius, Omnes enim Partes eius undique medium locum capessentes nituntur aequaliter. Maxime autem corpora inter se iuncta permanent cum quasi quodam uinculo circumdato colli- Rantur ; quod facit ea natura quae per omnem munduin omnia mente et ratione conficiens funditur et ad medium rapit et conuertit extrema, STOICISME DANS LA FORMATION D'AUGUSTIN qt Cette facon de concevoir la wis witalis ou le spiritus comme un lien qui, de Vintérieur, assure la cohésion du tout, s’inscrit dans la tradition de Ja cosmologie stoicienne ; en effet, Proclus rapporte que si pour Platon Yunité du monde est fondée sur I’unité de son modéle et pour Aristote sur l’unité de la matiére et la détermination des liewx naturels, pour les stoiciens, elle provient d’une force qui unifie la matitre®. Que les stoiciens et Cicéron interprétent ainsi la présence du souffle divin sous la forme d’un lien agissant dans la matiére nous permet de saisir ce que veut dire Augustin par inspiratione intrinsecus... adminis- trante ; et peut-étre le winculum cicéronien servait-il ici de modéle précis. Mais comment comprendre la présence, dans le texte des Confessions, de l’adverbe extrinsecus ? Diverses interprétations sont possibles. Ia premiére serait qu’ Augustin, suivant un usage du Portique rapporté par Diogéne Laérce®, distingue ici dans la pénétration du pnewma deux modes d’actions : l’action de diacosmésis en vertu de laquelle Dieu, agissant sur tous les étres, assure par 1a l’organisation de l’univers (= extrinsecws), et l’action de direction ou d'intellection qui le rend plus intimement présent dans l'intelligence de l'homme et 1’éther du ciel (= inirinsecus). Mais, A vrai dire, nous ne voyons pas quelle serait, pout Augustin, la source de pareille distinction ni le sens particulier qu'elle apporterait & sa vision. On peut estimer plus simplement que les termes extrinsecus /intrinsecus du texte B ne font que reprendre l’opposition déja signalée dans les mots infusus |diffusus du texte A et penetrare/ambive du texte C : tandis qu’intrinsecus traduit I’action du souffle comme celle d'un lien qui unit les choses par la sympathie, extrinsecus la fait ensuite imaginer comme une puissance qti embrasse les étres de l’extérieur et les maintient dans Vordre. On congoit bien qu’Augustin ait pu adopter simultanément ces deux points de vue lorsqt’on remarque qu’a cété du winculum, le De natura deorum offre également !’idée d’une force qui ordonne l’univers du dehors ; c’est ce qui apparait dans le chapitre XXII du libre IT, dans la définition de la nature reprise 4 Zénon : Ipsius uero mundi, qui omnia complexu suo coercet et continet, natura non artificiosa solum...% et c’est également Vimage de Ja divinité lorsqu’elle est représentée sous la forme d’une puis- sance démiurgique fagonnant l'univers™, 89, Procrus, Commentaive du Timée, 138%, S.V.F. I, 533 (6 Tdtav éxépnve) Sn els 6 Kdsp0g dnd tig ToS mapabelynatoc Lovdceag. Kal Ett rods OAuKOdS napytioatolrpdroug tig emuxerphaeac * obte dnd tfc Ans, Stt ula, dg ’Aprocorédns, anébeikev, A dnd tod dpicbar tods Karapbatv téxoVG, Otte dnd tod Hvdodat THY odctay, tovréoti tiv Shnv dja odeav, de of Gnd tig Lrotic. , go, Diocine Later, VIL, 138-239. gr. Crestron, De natura deorum, II, xm, 58. 92. CE, De natura deorum, II, XXx1, 81, le phrase : uim participem rationis atque ordinis tamquam uia progredientem declarantemque quid cuiusque rei causa 72 CH. BAGUETTE 5. Le fini et Vinfini. Mais nous devons remarquer que sur l’opposition extrinsecus /intrin~ secus ou ambire |penetrare, Vauteur des Confessions a greffé une autre antithése, celle que traduisent les mots (in) mundo jextra mundum per infinita du texte A, et penctrantem eam (massam) |sed usquequague infini- tum du texte C. Si l’on tient compte de cette donnée, la définition compléte de 1a maniére d’étre du pneuma, telle que Y’envisageait alors Augustin, se présete comme suit : Dieu pénétre toutes choses (/ufusus, penetrare) et entoure l’univers (ambire, diffusus) — cet univers est limité tandis que Dieu qui l’entoure est infini (per infinita). Le début du texte B synthétise en une seule phrase cette définition exprimée ailleurs en différents mem- bres : Ita etiam te, wita uilae meae, grandem per infinita spatia, undigue cogilabam penetrare totam mundi molem et extra cam quaquauersum per immensa sine termino, ut haberet te terra, haberet caclum, haberent omnia et illa finirentur in te, tu autem nusquam. En rigueur de termes, il n'est donc pas seulement question, dans la vision d’Augustin, de l'action du pnewma ; en méme temps c’est 1a nature de la divinité qui est envisagée telle qu’on peut 1a saisir dans son rapport avec le monde, Dans chacun des trois textes l’infini de Dieu est nettement affirmé comme signe par lequel il se distingue et s’oppose at. monde auquel il reste cependant présent ; 4 l’immanence vient s’ajouter une affirmation claire de la transcendance, mais d’une transcendance 4 peine pressentie et non encore comprise. En constatant ici la présence de l’opposition entre fini et infini, on doit se rappeler que le bagage philosophique de l’auteur avait pu le mettre au courant des débats qui ont régné dans la plupart des écoles de l’Anti- quité sur ce probléme. Dans une doxographie des Académiques, par exem- ple, il a pu trouver l’opinion d’Anaximéne a ce sujet (infinitum aera, sed ea quae ex eo overentuy definita), celle d’Anaxagore et d’autres® ; c’est donc, dans une certaine mesure, en connaissance de cause qu’ Augustin envisageait Iui-méme la question. Il n’est pas difficile de s'apercevoir que, conformément a l’ensemble de ses vues d’alors, la position qu’Augustin adopte dans les antithéses que nous venons de rencontrer, s’apparente 4 la solution stoicienne. En effet, si les stoiciens affirmaient que le monde est unique et limité, ils ajoutaient qu’en dehors du monde s’étend un vide infini qui est incorporel. « Le tout... désigne le monde et, en un autre sens, l’ensemble formé du monde et du vide extérieur at. monde. Le monde est limité, et le vide, sans limites »5, Plutarque nous permet efficiat quid sequatur ; et II, xxxv, go : rectorem et moderatorem, et tamquam architectum tanti operis. 93. CrctRon, Académiques I, IL, xxxvur, 128, 94. Diockne Lares, VIL, 140. 95. Dione Latircr, VII, 143 (traduction I. Bréhier, dans Les Stoiciens) : 70 88 miiv Aéyetar... 8 te KdoHoG Kal KaO’Etepov TPdnOV 78 eK TOD KdcLOD, Kai TOO EEwdev Kevob aatnya. 6 Hav Ody Kdcpog Nenepuopévos éoti, td BE KevVdy dinetpov. STOICISME DANS LA FORMATION D’AUGUSTIN 73 de préciser que par td név il faut entendre l’infini avec le vide et par td SAov, le tout sans le vide, c’est-d-dire le monde. Le tout (16 SAov), le monde fini, chez Augustin, c’est la terre et le ciel, la créature finie trou- vant en Dieu sa limite, tandis que les espaces infinis (per infinita spatia) sont, sous sa plume, l’équivalent du 1 nav, le tout avec le vide. Pourtant, vu le sens qu’Augustin donne A infinitus, il apparait que Vanalogie avec la doctrine stoicienne n'est pas compléte, que se crée méme une opposition essentielle A partir de ia notion d'infini. En effet, Yauteur des Confessions concevait non seulement que Dieu pénatre le monde et l’entoure, mais encore qu'il se répand dans les espaces infinis : ainsi, les espaces infinis deviennent habités par Dieu tout comme la terre. Or, méme si les stoiciens, malgré le panthéisme de leur doctrine, conce- vaient leur dieu comme relativement indépendant du monde”, il semble bien que ce dieu trouvait dans le monde sa limite ; méme s'il ne s’iden- tifiait pas toujours avec l’organisation de l’univers, avec la diacosmésis soumise au cycle de l’embrasement, ce dieu se confondait avec ta substance initiale du monde. En tout cas, jamais les stoiciens n’auraient pu donner & Dieu L’infini comme demeure ; car, dans leur systéme, l’infini au-dela du monde est un vide et, en tant que tel, il ne posséde pas la valeur et la consistance propres aux corps ; il n’est qu’un incorporel, c’est-A-dire une réalité intermédiaire entre 1’étre et le néant®™, C’est bien pourquoi Dieu est toujours localisé par eux a L’intérieur du monde, soit qu’il en forme la substance méme, soit qu’il séjourne de préférence dans le ciel, ou dans le soleil, ou dans les étoiles fixes ou dans l’air®, Nous pouvons croire qu’Augustin connaissait !’interprétation que les stoiciens donnaient & l’infini ou au vide incorporel ; en effet, a 1a fin du texte A, insistant sur la nécessité ott ses pensées le conduisaient de concevoir Dieu comme un corps placé dans lespace (aliguid corporeum per spatia locorum), il en explique obligation : « ce que je ne pouvais me représenter ainsi dans l'espace ma paraissait néant, un néant absolu, et non pas seulement un vide, comme par exemple si l’on enlevait un corps dun lieu et que ce lieu subsistat vidé de tout corps, soit terrestre, soit humide, soit aérien, soit céleste ; car, en ce cas, il y aurait un lieu vide, tel un néant qui garderait encore la spaciosité », Locus inamis tamquam spatiosum nihil : voila, avec une précision technique qui étoune, ce qui équivaut a la définition du vide en tant qu’incorporel par les stoiciens ; la comparaison avec I’un ow l’autre fragment stoicien ne laisse guére de doute!, 96. PLUTARQUE, Des oppositions des philos., I, 1 (dans Plutarchi scripia mora- lia, vol. TT, Dibner). 97. Crest ce que montre Bréhier dans Histoire de la philos. I, 2, p. 316. 98. Cf. Diocinn Latrcu, VII, r4o ; V, Gonpscummpr, Le systéme stoicien et Vidée de temps, Paris 1953, p. 27. 99. Cf. Diocing Latince, VIL, 139 et 148, roo. Par exemple : « Les stoiciens disent que le vide est ce qui est capable d’étre oceupé par un étre sans, de fait, étre occupé ; ou l’intervalle vide de corps, ou encore 74 CH, BAGUETTE Ainsi que nous l’avons dit en parlant des recherches d’O’Connell, cette définition provient peut-étre du traité Ennéades VI, 4, of elle figure dans une parenthése ; citons le passage de Plotin : « N’allons pas croire qu’elles (les choses visibles) sont en Ini (I’univers véritable) comme en un lieu — le lien étant congu soit comme « la limite du corps enviromant en tant qu’il environne », soit comme um « inter- valle » vide qui existait avant le corps et qui existe encore —, mais qu’elles s'appuient et se reposent sur lui »', On remarquera que la définition stoicienne du vide n'est pas désignée ici nommément comme stoicienne par I’auteur, et qu'elle est présentée en méme temps et aprés la définition aristotélicienne ; on peut dés lors affirmer que s'il a été réellement sous l’influence de ce texte au moment de la rédaction des Confessions, saint Augustin a été capable alors de distinguer la définition stoicienne de 1a conception aristotélicienne ; bien mieux, on peut dire qu’en rédigeant ses souvenirs, l’auteur a reconnu cette définition stoicienne comme conforme a la conception qu’il se fai- sait du vide au lendemain de sa rupture avec Mani. Dés lors, l’emprunt a Plotin, s'il est réel, ne pourrait apparaitre que comme un phénoméne rédactionnel qui ne permet pas de mettre en doute la déclaration d’ Augus- tin suivant laquelle c'est bien a I’époque intermédiaire entre le mani- chéisme et 1a conversion que, pour lui, tout ce qui n’était pas corps était néant, néant absolu, et non spatioswm. La dispersion de Dieu jusque dans Vinfini du monde — et elle est concevable puisque l'infini est un spatioswm — mais d’un Dieu corporel plutét que d'un étre idéal qu'il est impossible de se représenter et qui dés lors se confondrait avec le néant, voila 1a solution qu’adopte finale- ment Augustin. Cette conception qui n'est plus entiarement stoicienne est le fruit de réflexions personnelles et de lectures diverses. On peut penser que saint Augustin restait marqué ici par les manichéens pour qui la terre de la Lumiére est illimitée!°? ; mais l'interprétation d’un texte comme les premiéres lignes de l’introduction de Pline au dewxiéme livre de son traité pourrait aussi avoir inspiré la dérogation au systéme stoicien ; en effet, les notions de fini et d’infini s’y trouvent abordées de fagon particuliére. Reprenons ce texte : ‘intervalle non oceupé par un corps » = SEXrUS, Hypot. IIT, 124 (cité et traduit par Goldschmidt, op. cit,, p. 26) : of Srakol pacr Kevov pév elvat 1d olov te dnd Svtoc Karéyeobar ph Katexduevov 84, 7 Sidatnua Epnpov cdpatos # Sidotnua axabextotpevov bnd chpatos. Cf. encore S.V.F., IZ, 503 ; B Briurer, La théorie des incorporels, Paris, 1928, p. 52. ror, Protin, Enndades VI, 1v, 2 (traduction de B. Bréhier) : Kal yap et ui os av TénQ Tig TOEtTO 79 TO1OBtOV toy Toroy VoSv # nEPAs GdyaTOG TOD mepréyovtoG KAO’ 6 nepiézer th SidotHHG TL, 8 mPOtEpov Ay tic PdaEas TOD Kevod Kal Ex BotiV, GAAATO ‘ye olov épeideoOar én’ adtod Kai dvanasecban... ro2. CE. AuGUSIIN, Contra Epistulam Fundamenti, xxu1, 24. STOICISME DANS LA FORMATION D’ AUGUSTIN 75 « Sacer est (mundus), aeternus, immensus, totus in toto, immo nero ipse totum, infinitus ac finito similis, omuium. rerum certus et similis incerto, extra intra cuncta complesus in se, idemque rerum naturae opus et rerum ipsa natura 91°, Ce qui caractérise cette phrase, outre son ton religieux, c’est 1a longue série des termes antithétiques qui la compose!4 ; ainsi, certus et similis incerto qui opposent probablement les idées de destin et de hasard, infi- nitus ac finito similis ot sont distingués Vinfini réel de l’univers et son apparente limitation, et surtout les mots totus in toto, tmmo uero ipse totum qui doivent étre ume allusion a la distinction stoicienne du 6Aov et du nov. Nous avons remarqué que lorsqu'il veut déterminer les modes de pré- sence du pneuma & univers, c'est & ce méme procédé antinomique qu’Augustin a recours ; non settlement il oppose le fini & l’illimité, mais lui aussi distingue Le tout du monde du tout de l'tnivers (extra mundum per infinita). Est-ce pur hasard si, A Vintérieur de cette similitude de procédé, on retrouve une similitude d’expression, intrinsecus et extrinsecus administrante omnia rappelant singuliarement extra intra cuncta complerus? Le sens de complexus in se peut nous apporter une précision éclairante ; en effet, c’est le monde, selon Pline, qui embrasse tout en lui extva intra ; or, ce monde il est dit a la fois cmmensus, infinitus, sacer : tout en étant infini, pour Pline, il est divin, Rappelons en outre cette phrase qui suit de prés l’introduction et ott Pline envisage la possibilité que Dieu soit distinct du monde : Quisquis est deus, si modo est alius, e€ quacumque in parte,, 208, Cette liberté de Pline avec la théologie traditionnelle des stoiciens, cette tendance a ne pas localiser Dieu 1ui vient peut-atre en partie de son refus de tout anthropomorphisme ; son chapitre sur Dieu contient tout une critique de la mythologie avec laquelle il ne veut pas composer! alors que les stoiciens, tout en rejetant aussi l’anthropomorphisme, s’efforcaient de retrouver dans tous Jes dieux paiens un symbole ou une manifestation de leur dieu unique, grace 4 une exégése allégorique des mythes!”, Nous ferons remarquer que dans sa vision de Dieu et du monde au livre VIL des Confessions, Augustin plagait comme point de départ de ses réflexions le méme a priori qui lui était venu, dit-il, depuis le moment ot il avait commence a écouter Ja sagesse, I’a priori de ne pouvoir consi- dérer Dieu sous I’apparence d’un corps humain!8, 103, Prawn, ID, 1, x, to4. Cf. le commentaire de J, Beaujen (op. cit, p. 119) que nous suiyons ici. 105, Puxwe, IL, v, 7, 14. 106, Prann, IL, v, 7, 14-21. 107. Comme exemple de cette exégése, on peut citer la Thdologie de Cornutus, 108, Confessions, VII, 1, x: Non te cogitabam, Deus, in figura corporis humani, ex quo audire aliquid de sapientia coepi, 76 CH. BAGUETTE Avant de conclure, nous rappellerons que trois motifs justifiaient la prise en considération de Pline A cété de Cicéron dans l’analyse des textes cosmologiques des Confessions : Vaffirmation répétée d’Augustin qu'il avait rencontré un grand nombre de textes philosophiques ; la description des « philosophi » qui oblige & rechercher des écrits techniques ; et enfin, la présence dans 1'Histoire Naturelle d’une doctrine philosophique qui accrédite ainsi Pline doublement : il est a la fois un « mathematicus » et un « Philosophus ». L/accord général que nous venons de coustater de sa philosophie avec le De natura deorum et, conséquemment, avec le début du livre VII des Confessions confirme V'impression de départ : Pline peut avoir été parmi les auteurs désignés au livre V et parmi ceux qui ont influencé la synthése cosmologique du livre VIL. Il nous manque, ce qui serait une preuve décisi- ve, la présence dans cette synthése cosmologique d’Augustin d’un élément doctrinal absent dans le De natura deorum et qui aurait été l'apport propre A Pline ; ce n’est pas le cas, tous les éléments de la vision d’Augustin se retrouvent chez Cicéron. Nous avons noté pourtant, en cours d’analyse, certains détails de la vision d’Augustin qui s’accordaient mieux avec Vune ou l'autre dominante du panth¢isme de Pline ; nous pensons surtout au perwium du texte B conforme a la tendance rencontrée chez Pline de matérialiser le spiritus dans toutes ses apparitions. La prise en considération des éléments philosophiques et techniques des résumés cosmologiques du livre VII qui, selon Augustin {ui-méme, constituaient sa vision du monde quelque temps avant la lecture de Plotin, pose le probléme d’une période stoicienne dans 1’évolution de la pensée de saint Augustin. On doit bien remarquer que ces éléments forment un tout et non un amalgame désordonné ; cette harmonie existante entre les textes A, B et C et entre les diverses données de chacun de cewx-ci force & croire a Vadoption d’une doctrine plutét qu’a l’adhésion vague 4 un ensemble syncrétique de différents acquis de culture. La vision est ordonnée, cohérente malgré 1a tension qui s’y manifeste entre l’immanence et la transcendance divine, et de ce fait laisse supposer un choix éclairé, sui- vant une orientation précise. Test difficile de croire — méme si finalement on se voit amené a recon- naitre que pendant quelques temps Augustin a été stoicien — que matéria- lisme, pnenma, providence ne sont ici que des mots et ne représentent pas les bornes du monde et de la pensée de notre auteur a cette époque. Nous ne pourtions comprendre pourquoi plusieurs années aprés, lors de la rédaction des Confessions, l’auteur aurait voulu reproduire avec tant de soin pareille vision s’il ne s’agissait pas d’un souvenir réel de données auxquelles il avait adhéré. Augustin ne cite pas, dans ces pages, le stoicisme, mais, au livre V (x1v, 23) il signale qu’alors qu’il était en pleine crise de doute il placait STOICISME DANS LA FORMATION D'AUGUSTIN 7 att-dessus des théories manichéennes l’opinion d’un certain nombre de philosophes. Si, comme nous avons cru pouvoir le montrer, les éléments cosmologiques du livre VII ont d& avoir comme premiére source le De natura deorum, il est bien improbable qu’en les utilisant Augustin ne se soit pas rendu compte qu'il empruntait au Portique. Ch. Bacurrre

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