La préparation des premières études analysés, resitués dans le fil de l'histoire
Ecoloc en Côte d'Ivoire: locale et consolidés sommairement, en
les esquisses économiques locales termes de chiffres d'affaires, sur la base des Vincent Folléa, consultant données et statistiques disponibles. Les vrais moteurs - parfois inattendus - de Aboisso, 20 000 habitants environ, est située cette économie ainsi identifiés, ainsi que les au sud-est de la Côte d'Ivoire, à quelques freins à son développement, quelques kms de la frontière du Ghana. San Pedro, au orientations pour l'action municipale ont été sud-est, 110 000 habitants environ, est le proposées. second port du pays. Ces informations ont été résumées dans de Ces deux villes ont fait partie du premier courtes notes, indiquant les points groupe des villes retenues en 1998, à particuliers à éclairer par l'étude Ecoloc. l'initiative du Club du Sahel et de l'Union Quelques constats Européenne, pour mettre au point la méthodologie des études "Ecoloc"1. L'"argent d'ailleurs". L'opinion commune Dans le but d'orienter le travail des à tous les interlocuteurs rencontrés dans les consultants chargés de ces études, un deux villes est que "la crise, c'est quand cadrage préalable de l'économie de chaque l'argent ne vient plus chez nous". Et, ville et de son hinterland était demandé. corollairement, que "le développement, c'est Ce type d'investigation, généraliste et quand l'argent vient chez nous". Seules sont essentiellement basée sur la parole des considérées comme moteurs de l'économie acteurs économiques, a permis de mettre en locale les activités apportant un flux d'argent évidence plusieurs constats importants, extérieur - à la région, au pays ou au parfois mal connus des municipalités. continent. A cet égard, il est apparu, dans les deux La méthodologie régions, que les vrais moteurs n'étaient pas Dans chaque ville, une dizaine de nécessairement les exportations les plus "décideurs" dont les activités, modernes ou emblématiques3. Et que d'autres flux informelles, ont un impact important sur la d'origine extérieure, considérés à tort comme vie quotidienne du plus grand nombre2, ont secondaires, pouvaient jouer un rôle majeur, été contactés, généralement par l'entremise notamment: de relations communes. Au cours • les salaires et rémunérations externes d'entretiens très libres, chacun a exprimé de (ceux des équipages "krumen" et résidents manière concrète sa vision du fonctionne- expatriés à San Pedro, des élèves d'origine ment de l'économie de la ville et de la extérieure à Aboisso, des agents de l'Etat région. dans les deux villes), Les préoccupations et les stratégies des • les dépenses de service des commerçants groupes pauvres et intermédiaires ont été frontaliers de passage, ainsi que les abordées, pour partie avec les décideurs, prélèvements locaux sur leurs transactions pour les groupes qui leur étaient proches (légales et illégales: vivriers, fripes, (professionnels, ethniques, nationaux, automobiles, bimbeloterie et drogues à religieux, etc.), et pour partie par sondages Aboisso, drogues, armes et automobiles à ponctuels au sein de communautés. San Pedro), Les différents complexes d'activités • les dépenses des touristes, à San Pedro constituant l'économie locale ont été essentiellement, sans oublier les sommes considérables 1 L'Ecoloc de San Pedro a été réalisée par l'Ecole Nationale de Statistiques injectées dans les deux villes par: sous la direction du bureau ICEF. Celle d'Aboisso n'a pas été réalisée. 2 Maire, commerçants, entrepreneurs, fonctionnaires de l'Etat, planteurs individuels, cadres et fournisseurs de l'agro-industrie locale, représentants de 3 Huile de palme et banane à Aboisso, bois et latex à San Pedro, cafee et communautés étrangères, religieuses, etc..). cacao dans les deux régions • les aides internationales à l'investissement groupage (magasins) et l'évacuation vers public et Abidjan (camions). La présence d'usines de • les transferts des travailleurs émigrés4. transformation (à San Pedro et, autrefois, Aboisso) augmente évidemment la retombée Le "rinçage". Dans le vocabulaire imagé locale, sous forme de salaires pour les des exportateurs locaux, le "rinçage" définit travailleurs et de taxes pour la commune. la retombée locale d'une filière, en indiquant La période de la traite est un temps fort de la à la fois la part du chiffre d'affaires laissée vie locale. A Aboisso, par exemple, la sur place et sa "diffusion" au sein de la rentrée scolaire, qui occasionne des dépenses population. importantes aux ménages, est parfois La filière qui "rince" le plus est celle du bois. retardée pour coïncider avec le démarrage de Plus des 2/3 de sa valeur à l'embarquement la traite. est formée après la coupe, donc par des activités urbaines (transport, manutention, L'école, moteur économique. Près d'un transformation, stockage, auxquels il faut habitant d'Aboisso sur deux est un élève du ajouter la valorisation des déchets). Cette primaire ou du secondaire. Avec Bingerville, caractéristique de la filière bois, joue sans Anyama et Dabou, la ville a longtemps été doute, avec la tenue des cours, un rôle considérée par la bourgeoisie abidjanaise important dans la survie de San Pedro, dont comme un bon endroit pour scolariser ses la moitié des habitants vivent en quartiers enfants. Cette vocation scolaire date de près précaires, dans une économie marginale. La d'un siècle7. Presque tous les élèves du diminution lente mais inéluctable de secondaire, soit la moitié de la population l'exportation de bois fait partie des grands scolaire, et une bonne partie de ceux du défis que devra relever la politique primaire viennent d'autres régions du pays, économique locale. essentiellement d'Abidjan. Les cultures de rente, pour leur part, Le logement (internat, location ou tutorat), la "rincent" d'autant mieux qu'elles sont plus nourriture et le transport de ces jeunes dispersées et artisanales. Dans les deux génèrent des transferts dont le volume global villes, l'impact économique des gigantesques est du même ordre de grandeur de celui des complexes agro-industriels voisins5 est bien retombées locales du café et du cacao. plus faible, par exemple, que celui du café et Cependant, la sur-occupation extrême des du cacao. Les producteurs - ouvriers logés classes secondaires compromet la qualité de sur les plantations ou "planteurs encadrés" - l'enseignement et risque de diminuer sont approvisionnés par les Compagnies, qui l'attractivité d'Aboisso aux yeux des parents. s'arrangent pour couvrir tous leurs besoins6. L'amélioration de la capacité d'accueil des Majoritairement immigrés, peu construisent collèges et du Lycée fait donc partie sur place. Le schéma étant le même pour le intégrante d'une action de développement personnel d'encadrement, la dépense urbaine économique. des complexes est, de fait, très faible. A l'inverse, les plantations de café et de L'enjeu routier. La traversée d'Aboisso par cacao, plus dispersées et moins accessibles la route Abidjan-Accra permet à la ville de que celles d'hévéa, de palmier ou de banane, capter les retombées des différents trafics mobilisent beaucoup les opérateurs locaux, frontaliers. Le contournement, envisagé lors en particulier pour la collecte ("bâchées"), le du bitumage de la route, avait dû être reporté en raison de surcoûts de site. La première 4 Essentiellement par l'entremise de Western Union. action de développement dans le domaine 5 Bereby (hévéa) compte 35 000 employés; Ehania (palmier) est, au monde, des retombées frontalières sera de retarder le la plus grande plantation d'un seul tenant 6 Ecoles, services médicaux, églises, mosquées, logements, et... 7 C'est à Elima, tout près d'Aboisso que la première école de Côte d'Ivoire a alimentation: la SOGB (hévéa) importe 70 T de riz chaque mois. été construite en 1887. plus possible la réalisation de ce Ce cadrage ne saurait évidemment remplacer contournement. les investigations plus approfondies Pour San Pedro, l'ouverture de la route destinées à dimensionner les flux dans les côtière a généré des avantages importants différents secteurs d'activité, à évaluer les mais aussi de graves inconvénients, à travers valeurs ajoutées à chaque étape, et à une plus grande dépendance d'Abidjan. Le identifier le volume et la destination des bilan économique détaillé de cette liaison est retombées. indispensable pour orienter l'action de Toutefois, il montre, à notre avis, qu'une développement local. approche généraliste et attentive, utilisant des grandeurs et des méthodes La politique économique municipale approximatives mais accessibles à tous, Cet exercice de cadrage préalable a mis en permet de reconstituer rapidement les lumière dans les deux villes de nombreux principaux mécanismes économiques à autres faits intéressants8 dont une meilleure l’oeuvre dans les villes petites et moyennes connaissance pourrait aider les municipalités en Afrique de l'Ouest. à rationaliser leur action en matière de développement. Y compris en prenant position, le cas échéant, sur des options 9 100 signes déterminantes pour l'économie locale décidées au niveau central: choix de tracés routiers, contenus de projets de l'aide internationale, dépenses de santé ou d'éducation, etc. Selon le point de vue commun à presque tous les interlocuteurs et en reprenant leur formulation, pour développer durablement l'économie de sa ville, une municipalité a deux options: • "attirer l'argent extérieur", en soutenant l'amélioration ou la création d'une offre locale de produits et services répondant à une demande extérieure, et/ou • "retenir l'argent intérieur", autrement dit, "le faire tourner sur place", en soutenant l'offre de produits et services locaux répondant à la demande intérieure. Les actions relevant de ces deux orientations peuvent concerner, on l'a vu, des domaines très divers, parfois éloignés des champs habituels de l'intervention économique. Le champ d'action des municipalités en matière de développement économique reste donc important, même lorsque le financement ne peut être un levier majeur de leur action.
8 On peut citer, en désordre, le rôle de l'histoire lointaine, les coûts dus au
site, les dégâts de l'aide internationale, le poids étonnamment faible du BTP et des équipements publics dits "marchands" dans l'économie locale, le rôle social de certains grands planteurs, etc.