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DOSSIER

spécial
Haïti dévastée
Le 12 janvier 2010, 16h53
UN DOSSIER Réalisé par jody amiet (envoyé spécial),
violine thelusma (correspondante à port-au-prince) avec jérôme vallette (à Cayenne)

Le Chaos

©JODY AMIET
LUNDI 18 JANVIER – Dans les rues de Port-au-Prince dévas- Après les «pillages» de la fin de semaine dernière, si l’am-
tée par un séïsme de magnitude 7.0 sur l’échelle de Richter, biance demeure tendue, un certains calme semble s’instal-
l’activité a toutefois repris malgré les secousses. Des mar- ler sur l’île. La présence des 10.000 hommes de l’armée amé-
chandes des rues ont remis en vente leurs produits, mais il n’y ricaine, ainsi que les renforts annoncés de 3.500 hommes
avait pas encore de service de banque ouvert ce lundi pour pour la Mission des Nations unies pour la stabilisation en
ravitailler la population en monnaie. Les prix ont largement Haïti (Minustah) y ont peut-être contribué. Le ravitaillement
augementé depuis le séïsme nous a expliqué notre corres- des populations sinistrées reste toujour délicat. «Les gens ont
pondante sur place Violine Thélusma. Le prix des assiettes faim» explique Violine Thelusma qui, elle aussi, doit ration-
de pâtes vendues dans les rues a été multiplié par 10 parfois. ner ses maiges réserves partagées avec ses voisins (voir par
L’essence se vend un peu au marché noir. Jody Amiet, notre ailleurs). Haïti a déjà enterré 75.000 personnes, compterait
photographe nous a indiqué avoir vu des marchandes propo- 250.000 blessés et près de 2 millions de sans abris selon son
sants des cuisses de poulet à la criée. gouvernement. •J.V.
DOSSIER spécial Haïti dévastée
PORT-AU-PRINCE,
mardi 19 janvier, une
équipe de pompiers
du Service départe-
mental d’incendie et
de secours (Sdis) de la
Guyane et la Sécurité
civile, spécialisées en
recherche et déblaie-
ment, parcourent
encore les quartiers
les plus populaires de
la capitale.
© JODY AMIET

Risques sismiques : les experts


alertaient depuis longtem

L
’environnement : une magnitude ont détruit les villes du les habitats qui tuent et blessent les
priorité pour la survie Cap-Haïtien et de Port-au-Prince », gens ». La même année, dans un tour
de la nation ». Voilà ce rappelait-il, ajoutant que, sur ce point, d’horizon de la bombe écologique
que l’on pouvait lire « la menace est réelle et la question haïtienne, la journaliste exilée ( au
sur une invitation à qu’il faut se poser est : quand elle va Canada ), Nancy Roc, relatait (pour
débattre à Port-au-Prince, le 28 mars se produire ? » le Matin Haïti), elle aussi, les propos
2009, dans un grand hôtel de la place. du géologue. « On doit s’attendre à
Claude Prepety, ingénieur géologue «Ce sont les habitats ce qu’il se reproduise dans le futur et
et consultant au Bureau des mines qui tuent et blessent à n’importe quel moment. De même
et de l’Énergie de Haïti, expliquait les gens» qu’il y avait eu de grands dégâts à
que l’une des catastrophes à laquelle Comment faire ? Mettre en place un l’époque, on doit s’attendre au pire
le pays pourrait faire face dans un plan d’éducation de la population afin aujourd’hui en raison de notre condi-
avenir proche était... un tremblement qu’elle sache comment se protéger tion environnementale alarmante »,
de terre de grande ampleur. « Les gens évoquait l’expert :« Les responsables lui affirmait-t-il en évoquant la pos-
ont tendance à oublier qu’Haïti est doivent prendre des mesures adéqua- sibilité que Port-au-Prince ou le Cap-
placée sur une faille sismique. Par le tes afin de protéger la population et Haïtien, deuxième ville du pays située
passé, des secousses sismiques de forte renforcer les habitations. Car ce sont dans le nord ( d’Haïti ), soient secouées

P.10 - LSG1354 - 2 Décembre 2009


secousses telluriques frappèrent la haïtienne de 1804.
capitale haïtienne et ses environs. De Et l’ex-ministre d’insister, la semaine
faibles ampleurs, elles avaient conduit dernière dans les colonnes de L’Ex-
aux mêmes constats d’un autre ingé- press : «La faiblesse de l’Etat pré-
nieur haïtien, Dieuseul Anglade, cède ce malheur. Quand un pays est
directeur général du Bureau haïtien quasiment dépourvu d’institutions,
des mines et de l’énergie ( BME ), il éprouve les pires difficultés à faire
confirmant le tremblement de terre face à un désastre de cette ampleur».
de la matinée du 12 septembre 2008 : Et quand les lieux du pouvoir s’écrou-
«Le plus souvent, la multiplicité de lent sous les secousses telluriques,
secousses mineures peut se révéler répétées par dizaines ces 8 derniers
un signe annonciateur de mouve- jours, il ne reste plus rien. Rien que
ments du sol de plus forte intensité», des répliques en cascades et des morts
avertissait-il. En 2005, des secousses sous les décombres. • J.V.
répétées dans la région, et en Haïti,
avaient conduit les experts haïtiens à
s’associer avec une université améri- Une réplique plus violente
caine pour mettre en place des cellu- Mercredi 20 janvier, au matin
les de mesure sur l’île. (6h03), un puissant séisme de
magnitude 6,1 sur l’échelle de

s haïtiens
«La faiblesse de l’Etat Richter a de nouveau secoué
précède ce malheur» Port-au-Prince, selon l’Institut
«On imagine mal le niveau de déla- de géophysique américain. Ce

mps
brement atteint en vingt ans par l’ap- qui a donné lieu à des scènes de
pareil d’Etat. Un vide institutionnel panique dans Port-au-Prince.
que ne masque pas le kit démocrati- Le séisme s’est produit à 60 km
que : assemblées et exécutif. Les pou- à l’ouest de la capitale et a duré
voirs publics sont absents. Ils n’ont quelques secondes. Des gens
par un séisme de 7,7 sur l’échelle de ni politiques publiques ni priorités se sont mis à courir dans la rue
Richter.  « Si nous n’arrêtons pas ces lisibles, pas plus de politique d’inci- (AFP). Aucune victime n’était
constructions, nous risquons de voir tation que de moyens de répression. signalée dans l’immédiat mais
Port-au-Prince se transformer en un Arrêtez un gros dealer  : le lendemain, des journalistes présents sur
vaste cimetière », soulignait-il. « Port- il est dehors ! ».Ex-présidente de la place ont rapporté des bruits
au-Prince peut être frappée à n’im- Fondation Connaissance et liberté d’effondrement. Sur place, notre
porte quel moment par un séisme ou (Fokal), et surtout ex-première minis- reporter photographe a bien res-
un tsunami et, dans l’état actuel de la tre déchouquée par le retors Sénat senti la secousse, sans toutefois
capitale, nous ne pourrons même pas haïtien en octobre dernier, Michèle noter de mouvements de foule
acheminer les secours nécessaires aux Duvivier Pierre-Louis dressait un particulier. A l’heure de notre
milliers de victimes ». Visionnaire  ? constat sévère des institutions de bouclage, nous mettions sous
Pas tant que ça. En septembre 2008, son pays... en août 2008. Un mois presse.Depuis le 12 janvier, c’est
alors que les tempêtes cycloniques avant de prendre le poste de chef du la plus forte réplique ressentie en
dévastaient les Gonaïves, faisant gouvernement. Quelques jours avant Haïti. Selon Violine Thelusma
de milliers de morts ensevelis dans que les ouragans n’emportent, une «les secousses sont quotidiennes
des torrents de boues chariés par la nouvelle fois, la ville historique des depuis le 12». • J.V.
vallée du fleuve Artibonite, plusieurs Gonaïves, bastion de la révolution

LSG1354 - 2 Décembre 2009 - P.11


DOSSIER spécial leHaïti
Malgrévers dévastée
des tests
travail de dépistagelE
de prévention, rapide
nombre de patie

Violine Thelusma  : «  Je n


je voulais voir la m
TéMOIGNAGE
Lorsque la terre a tremblé
le long de la faille dite Enri-
quillo, dans l’Ouest de Haïti,
le mardi 12 janvier 2010 à
16h53,Violine Thelusma,
journaliste haïtienne à la
Radio Minustah (  Mission des
Nations unies pour la stabi-
lisation en Haïti  ), se trouvait
dans le studio d’enregistre-
ment, face à l’hôtel Chris-
topher, siège de l’Onu dans
l’île. Ce bâtiment s’est pres-
que entièrement abattu sur
ses agents et, notamment,
sur Heidi Hanabi, le chef de
la mission, qui en est mort.
Pour La Semaine Guyanaise, > Violine Thelusma, mercredi 13 janvier, au lever du jour, tente de rejoindre à
Violine Thelusma raconte pied avec deux amies le quartier de Turgeau, proche du centre-ville de Port-au-
cet instant où elle a «  cru Prince afin de retrouver sa famille. Le séïsme a eu lieu à peine 12 heures avant,

Mardi
son épaule est démise. Seule vivre, une bouteille d’eau de la Minustah / © D.R.
mourir  ».
Peut-être plus encore qu’en tant spécial du secrétaire géné-
2008, lorsqu’elle fut victime ral des Nations Unies en Haïti,
d’une tentative d’enlève- le tunisien Heidi Anabi (  †  ) –
ment dans le quartier sensi- matin, je suis arrivée au bureau mon regard a croisé celui de
ble de Martissant, à Port-au- vers 8h00. En franchissant la Mamadou Bah (  †  ), le conseiller
Prince, où elle résidait avec réception de l’Hôtel Christo- de M.Dacosta, numéro 2 de la
sa famille. • Jérôme Vallette pher – où siégeait le représen- Minustah. «  Violine on voit que
atients augmentent toujours de façon linéaire

ne pouvais pas dormir,


mort venir en face  »
tu es en pleine forme ce matin, tateur, très costaud, s’est levé à
heureux de te voir  » m’a-t-il dit. « On aurait dit que le sol deux reprises avant de réussir à
Je lui ai renvoyé le compliment. était devenu mou. Il a se tenir debout. On aurait dit que
La journée commençait bien. En voulu sortir, mais il lui le sol était devenu mou. Il a voulu
descendant l’escalier menant au a fallu combattre les sortir, mais il lui a fallu combat-
sous sol du bâtiment, j’ai aperçu secousses pour arriver tre avec véhémence les secousses
Heidi Annabi (  On apprendra son à franchir le seuil de pour arriver à franchir le seuil
décès le lendemain par la voix du la porte. J’ai voulu de la porte. J’ai voulu lui tendre
président haïtien René Préval  ), lui tendre mon bras, mon bras, vainement  : j’étais trop
souriant, qui se dirigeait vers vainement  : j’étais trop faible pour résister à cette force.
son bureau. faible pour résister à Nous étions 5 personnes. Trois
La réunion de rédaction s’est cette force. » d’entre nous réussissent à sortir.
terminée, et j’ai préparé mon Jean Rony et moi restons coin-
sujet sur la réticence de la com- contré une amie, dehors, avec cés pendant plus de 2 minutes
munauté internationale à déblo- laquelle j’ai discuté, levant les à l’intérieur  : en face de nous, les
quer des fonds pour les élec- yeux au ciel vers les 7 étages de 7 étages du bâtiment Christopher
tions (  législatives  ) du 28 février l’hôtel Christopher (  le siège de commençaient à s’effondrer... On
2010  ( ! ). J’ai passé la journée à la Minustah à Port-au-Prince  ). n’a pas voulu sortir rapidement,
savoir quel était le budget du Je suis retournée dans le studio pour ne pas recevoir les masses
Conseil électoral provisoire radio pour assister à la fin de de béton qui tombaient dans un
(  CEP  ). Las, aucun conseiller n’a l’émission. Les horloges indi- bruit sourd, sur nos têtes.
voulu répondre à cette question quaient 16h48. Mais, à l’intérieur du studio,
sensible. Riquet Michel (  †  ), un «  Les masses tout le matériel technique a com-
collègue, a tenté de m’aider avec de bétons tombaient mencé à tomber sur nous. Un
ses contacts. Efforts vains  ! dans un bruit sourd  » tiroir métallique coupe un doigt
L’enregistrement de l’émission Quelques minutes plus tard, je de Jean-Rony Icena  : il saigne for-
Espace public a débuté à 16h10, ne sais plus combien, nous avons tement, l’odeur du sang me donne
animée par Romney Cajuste ressenti des secousses extrême- le vertige, mais pas à Jean-Rony  :
(  vivant  ). A 16h30, après avoir ment violentes. J’étais assise à «  Violine on va s’en sortir, on doit
diffusé mon reportage, j’ai ren- l’intérieur du studio, le présen- choisir le meilleur moment pour
DOSSIER
Haïti dévastée : le témoignag
spécial

> Les restes de l’hôtel Christopher, siège de la Mission des Nations unies pour la stabilisation pour Haïti ( Minustah ), Port-au-Prince, le 13 janvier 2
détruits que Violine Thelusma enregistrait son émission de radio Espace Public / © ONU/MINUSTAH/L.A.

franchir la porte  » m’a-t-il dit. Un une poussière importante s’élever quelques heures avant, faisait des
gros classeur métallique et une dans les airs, on comprend les cris pieds et des mains pour m’aider
imprimante me tombent successi- de ceux qui viennent de perdre dans mon travail...
vement sur les épaules. Mais j’étais leurs proches. La nuit du 12 au 13 janvier 2010
comme anesthésiée par le stress, Ce n’est que 5 minutes après que aura été la nuit la plus longue de
je n’ai rien senti, juste vu la chute. j’ai ressenti une douleur à l’épaule. toute ma vie, tous les survivants
Pendant cette attente nous assis- Un médecin militaire brésilien de sont restés là, sur le parking, l’œil
tons à la chute des 7 étages de l’hô-
tel Christopher. Cela a paru inter-
minable mais, rapidement, nous «  Aucun instrument au
avons pris la décision de sortir et
de descendre au plus vite direc- monde ne pouvait
tion le parking des employés, seul
lieux de sécurité. On y retrouve mesurer la température
les collègues de la radio. Soula-
gés de les voir. de notre frayeur. »
«Autour de nous,
c’est le désastre» la Minustha me pose une sorte aux aguets. J’avais sommeil, mais
Autour de nous, les zones de d’attèle pour soutenir mon épaule. je ne pouvais pas dormir  : je voulais
bidonvilles construites sur des Il soigne rapidement d’autres col- voir la mort venir en face et non
ravines sont anéanties. Des mil- lègues. Un responsable enregistre me laisser prendre en plein som-
liers de maisonettes sont effon- immédiatement le nom des sur- meil. Et je pense que c’était le cas
drées. vivants. Beaucoup de noms que pour tous les survivants. Il faisait
On peut entendre les cris de dou- je connais manquent à l’appel, froid, on n’avait pas de couverture,
leur sortir des décombres, on voit comme Riquel Michel, celui qui, pas de nourriture, seulement, de
sur le terrain de la prévention
ge d’une rescapée
« Maintenant, on vit dans la cour »
24 heures après le séïsme, nous avons pu rentrer en contact
avec Violine Thelusma. D’abord via des échanges de messages
sur le réseau social Facebook.com. Puis, au moyen du téléphone
mobile qui, dans certaines zones de Port-au-Prince, et à certai-
nes heures, fonctionnait. Depuis son premier témoignage écrit,
notre consœur haïtienne a rejoint sa maison. Les rues étaient,
dès le 13 janvier, « jonchées de cadavres et dans un chaos indescrip-
tible » nous a-t-elle raconté. « Les gens marchent dans la rue sans
savoir où aller. Pour moi qui ai rejoint mon domicile, partiellement
endommagé, pour ma famille et mes voisins, c’est la solidarité qui
prime. Nous partageons repas et médicaments. Par crainte des répli-
ques et de l’effondrement des maisons, nous dormons dans la cour
d’une des maisons qui possèdent une clôture. Les nuits ne sont pas
sûres. A tour de rôle, nous effectuons des quarts de nuit. Mais ce n’est
2010. c’est face à ces bâtiment entièrement
pas facile. » a-t-elle poursuivi. Les jours passants, les constats de
l’horreur dans les rues de Port-au-Prince ont laissé place à ceux
l’eau à notre disposition. Visible- de la peur, et du questionnement. « Nous n’avons pas grand chose
ment tous ont été effrayés, mais à manger, il fait très froid la nuit ( La ville est, pour partie, située en
aucun instrument au monde ne altitude, et au bord de la mer ). Dès jeudi, nous avons entendu des
pouvait mesurer la température de coups de feu en pleine nuit. Peut-être des bandits, peut-être aussi des
notre frayeur, de notre peur. Car, policiers qui tentent de disperser d’éventuels pilleurs. Nous avons peu
tous, nous étions sans nouvelles d’énergie ( courant, NDLR ), car nous n’avons plus de carburant pour
de nos familles, la communication alimenter les génératrices. » Dans ces conditions, difficile de rechar-
ne passait pas. Les compagnies de ger batteries de téléphone ou d’ordinateur. Mais le plus dur, peut-
téléphonie mobiles ont toutes été être, dans cette compétition des besoins élémentaires, c’est la
endommagées. Les secousses se difficulté de l’accès à l’eau potable. Malgré tout, Violine continue
sont multipliées mais à une plus de guider, à pied, notre photographe dans les ruines de Port-au-
basse intensité. A chaque secousse Prince ! • J.V.
on croyait que c’était la fin de tout.
Vers 3h du matin, ce 13 janvier, le
chef de la sécurité de la Minustah Nous sommes allées vers Turgeau, mes frères, mes sœurs, mes voisins,
a pris la décision de nous évacuer. près du centre ville de Port-au- qui croyaient que j’étais morte, se
Mais, avec deux amies, nous avons Prince. C’est là que nous vivons. En sont tous jeter sur moi, en me ser-
choisi de ne pas suivre le groupe chemin, je ne pouvais pas m’em- rant fort. Un soulagement. Mais
de l’Onu qui devait nous conduire pêcher de pleurer (  photo page pré- ce n’est vraiment que vendredi
proche de l’ambassade des Etats- cédente  ). Je pleurais la disparition 15 janvier, que je me rend compte,
Unis, dans une zone plane de Port- de mon collègue Riquer Michel, de en écrivant ce texte, que je ne rêve
au-Prince, à deux pas de l’aéroport. tous ceux qui, sous les décombres, pas. C’est maintenant que je sais
Toutes les trois, nous avons fait le appelaient au secours et que j’étais que je suis bien vivante.  ».
choix de nous rendre auprès de incapable d’aider. • A Port-au-Prince,
nos familles. Il nous fallait savoir. Quand je suis arrivée chez moi, Violine Thelusma
DOSSIER spécial
UN REPORTAGE EXCLUSIF DE JODY AMIET, NOTRE ENVOYé SPéCiAL à port-au-prince

48 heures
avec les secours
guyanais
MARDI 19 JANVIER – CANapé vert, sur les
mornes surplombant Port-au-Prince a été
durement touché par le séïsme. Mélange
de maisons de la classe moyenne et d’in-
nombrables cabanes de tôles ou de par-
paings mal scellés, sur des pentes avoisi-
nant parfois les 45°, c’est dans ce contexte
que les équipes médicales des pompiers de
Guyane ont décidé de refaire fonctionner
un petit hôpital partiellement touché par
la catastrophe. «Un défi», selon leur Colonel
Sylvain Montgénie joint à Cayenne. En une
nuit, les Guyanais vont refaire fonctionner
le laboratoire d’analyses, ainsi qu’un petit
bloc opératoire. Ce jour-là, l’hôpital traitera
plus de 100 patients, pratiquant 15 opé-
rations et deux accouchements, dont
une césarienne, avec l’aide d’une associa-
tion de pompiers humanitaires et du seul
médecin haïtien encore sur les lieux.
DOSSIER spécial 48 HEUREs AVEC LES SECOURS

PORT-AU-PRINCE, Lundi 18 et mardi 19 jan- Il peut aussi transmettre des élements d’analyse
vier – Les détachements guyanais en Haïti sont médicale et permet dans un rayon proche aux
composés d’une équipe de 12 spécialistes «sau- équipes de secours de dialoguer entre-elles (Ces
vetage, déblaiement» du service départemen- photos ont été transmises par le biais de ce pro-
tal d’incendie et de secours de la Guyane (SDIS), cédé). Des relèves sont prévues pour les méde-
d’une équipe médicale comprenant 2 médecins cins du Samu et du Sdis. Les chances de trou-
et 2 infirmiers du SAMU et 5 médecins et 4 infir- ver encore des survivants parmi les décombres
miers du SDIS, d’une équipe de soutien techni- devenant quasiment nulles, les équipes de sau-
que pour la mise en œuvre du poste de secours vetage-déblaiement devraient rapidement ren-
médical avancé (PSMA) comprenant un ingé- trer en Guyane. «Depuis 1 semaine les hommes
nieur du CNES et un logisticien de la préfecture. travaillent entourés de cadavre, dans des condi-
Le PSMA (en haut à droite), sert de point de com- tions difficiles et dorment dehors dans la résidence
munication satellite avec la Guyane, mais aussi, française de l’ambassade de France» explique le
le cas échéant, à communiquer avec un réseau Colonel Montgénie. «La fatigue se fait ressentir».
de médecins spécialistes dans tout l’Hexagone.
GUYANAIS
DOSSIER spécial 48 HEUREs AVEC LES SECOURS

PORT-AU-PRINCE, mardi 19 janvier – Dans les sonne encore ne s’était rendu pour tenter de trou-
quartiers populaires, «un peu chauds», selon notre ver des victimes a jouer. Les pompiers ont beaucoup
reporter, de la capitale, les équipes de sauvetage parlé avec la population, on a senti un très bon
déblaiement opèrent généralement sous protec- contact.» Malheureusement, dans cette recher-
tion policière. Une protection que n’ont pas sou- che tardive de rescapés dans ces rues de Port-au-
haité recevoir les pompiers du Sdis, ici accompa- Prince, personne n’a été retrouvé vivant.
gnés de leurs confrères de Martinique. Selon Jody «Nos créoles sont très proches, et mes hommes
Amiet, «le fait que les pompiers soient noirs et par- m’ont rapporté les mêmes informations» nous a
lent créole avec la population de ces zones où per- expliqué le Colonel Montgénie à Cayenne.
GUYANAIS
DOSSIER spécial 48 HEUREs AVEC LES SECOURS

TEMOIGNAGE
Jody Amiet, notre envoyé spécial, est arrivé ce lundi à
Port-au-Prince. Longtemps retardé à l’aéroport, il n’a pu CANAPé VERT, mardi
retouver notre contact dans la capitale haïtienne, Violine 19 janvier – C’est dans cet
Thelusma. Un taxi le conduira toutefois, contre 60 dollars hôpital tenu par les méde-
américains, soit le triple de la course habituelle, dans le cins et infirmiers du Sdis,
centre-ville de la capitale. Arrêté dans la rue par une panne avec les Sapeurs pompiers
du véhicule, il nous a livré ses impressions par téléphone : humanitaires (Association)
«La rue est calme, mais beaucoup de gens marchent dans le que sont nés deux enfants
noir. Il y a une odeur de cadavre qui se dégage encore». Mardi, ce mardi. Ici, les médecins
dans la nuit, nous avons à nouveau réussi à le joindre : «Le présentent à une maman
commerce semble avoir un peu repris. Les gens ont l’air calme. exténuée, sa petite fille
Dans les rues, on ne voit presque plus de cadavres, ils ont qu’elle appellera Christine.
été récupérés par les autorités haïtiennes. J’ai encore vu peu Dans le séïsme, cette jeune
de militaires américains. J’ai croisé des policiers de la Police maman a perdu son mari.
nationale haïtienne (PNH) qui se prelassaient sur leur moto, Lui n’aura jamais connu leur
une bière à la main, faisant vaguement la circulation. Le plus premier enfant.
choquant, c’est qu’on voit aussi beaucoup de petites écoles
privées écroulées. Et, lorsqu’on passe devant ces bâtiments,
l’odeur forte de la mort vous remonte à la figure. Ils n’ont pas
été dégagés. Alors, vivre un accouchement dans ce chaos, ça
soulage. C’était magnifique» • J.V

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