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Descendre le fleuve ou remonter à la source

Par Marie-Dominique Philippe, o.p.

Qu'est-ce que le jugement ? C'est l'opération parfaite de l'intelligence (il


s'agit en effet de l'intelligence, et non de la "raison" ou de "l'entendement"), de
l'intelligence qui saisit les principes, c'est-à-dire qui saisit la finalité. Une
intelligence n'est vraiment intelligence, au sens le plus vital, que dans la
mesure où elle remonte à la source. C'est l'intelligence qui découvre la source,
comme l'exprime si bien Péguy quand il fait un discernement entre les hommes
qui descendent le fleuve et ceux qui remontent à la source. La plupart d'entre
eux descendent le fleuve, pour cela il n'est pas nécessaire d'être très intelligent
: il suffit de faire comme tout le monde, de se laisser aller... même les cadavres
descendent le fleuve. Celui qui veut être intelligent remonte le fleuve pour
découvrir la source. Toute fécondité provient en fait, d'un retour à la source,
mais remonter à la source est difficile ; il faut parfois accepter d'être seul.

L'intelligence remonte donc à la source, et par là elle découvre ce qui


donne sa signification profonde à toute notre vie. C'est par le jugement que
nous sommes capables de distinguer l'unique nécessaire de toutes les choses
secondaires. Le jugement est undiscernement qui nous fait saisir ce qui est
premier au sens profond (donc ultime) , ce qui est capable de nous attirer et
d'ordonner toute notre vie. Le jugement, cette capacité de saisir ce qu'il y a
d'ultime et ce qu'il y a de plus fondamental dans notre vie, de découvrir la
source, est ce qui nous donne notre autonomie. Comprenons bien (car c'est
très important) que l'autonomie d'un être vivant provient de son intelligence ;
tant que nous n'avons pas fait nous-mêmes ce discernement, nous dépendons
de l'opinion de ceux qui sont autour de nous. Quand on demande à quelqu'un :
" Pourquoi faites-vous cela ? ", il répond parfois spontanément : " Tout le monde
le fait." On comprend alors qu'il descend le fleuve, qu'il n'a aucune autonomie :
il est complètement dépendant de son milieu. Par contre, si on demande à
quelqu'un : " Pourquoi faites-vous cela ?" et qu'il réponde : "Il me semble que
c'est cela que je dois faire parce que c'est là que je retrouve la source," on est
en face de quelqu'un qui est autonome. C'est cela que nous faisons quand nous
comprenons qu'il faut adorer, découvrir la source. Si nous écoutons la "bonne
presse", elle ne nous dira pas qu'il faut adorer, elle nous dira : "Engagez
vous....", " Faites de la politique", et ainsi de suite, parce que c'est à la mode.
Mais alors nous ne découvrirons pas la source.

(...) Que l'autonomie foncière d'un être provienne de sa capacité de


discernement, cela n'a rien à voir, encore une fois, avec le fait d'être
intellectuel ou pas intellectuel ; c'est une question humaine. Ce n'est pas une
question de culture ni d'information (au contraire, les gens se perdent quelques
fois dans l'information, et alors ils ne savent plus); c'est une question
d'intelligence et, pour le chrétien, une question de foi. La foi nous rend
intelligents pour Dieu et aussi pour le prochain. (...)
Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp. 228-230

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