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Abdelwahab MEDDEB
LTiie première version du texte a étf publiée dans la revue I,ztel.signes du printemps 1990.
(11 Beyiu~itl-i,1966. Trad. anglaise par R.A. Nicholson. 1911. Londres. Trad. fi.ançaise partielle
(avec un classemen1 dcs poèmes qui n'est yas ccIui de f'original) par Snmi Ali :Ide clLunt de l'nrderit
désir. Palis, 1989.
SR visite. heui+cuseet souveraiiie, des scènes qu'habitent d'autres croyances. Il
t.rai-isinute ces poèmes de l'imitation yai*une lecture qui leur apporte uiie gloire
spirituelle, par l'intermédiaire d'un commentaire qui ajoute au sens apparent
une interprétation 6sotéiique rigoureuse mettant en e u w e s a théorie de
l'unicité de l'être.
Derrière le texte coiiventionnel, gi.ouillent les lettres qui rév6lciit un
autre texte, d'une neuve port.ée. Le désert se change e n palimpseste où la
rhétorique de la trace peut servir un autre sens. Pour cetLe raison, Ibn 'Arabi ne
collabore pas avec les chantres de la revoliition poétique qui n'ont qiic dédain
pour ce thèine et pour le désert qui lui a donne naissance. Avec le Tarjunlùrz SC
réalise le retour au désert. Ibn 'Arabi n'accorde aucun soutien aiix poètes qui
s'en détournèreni; pour forger le code auiique e t citadin. Il y a loin entre lui et
Abû Nuw5s (ri-iortvers 1815) dcclamant :
Oublie les vestiges des maisons et. les ruines
Désct'te les campements effacés et stériles
As-tujriiliais \ules maisoiiç répondre R qui les inteiroge
Auti.enici-itque par I'Ccho de leur question .-.
Par ce traitenierit. négatif et ces accents poléiniques, Ab6 Niiwâs cherche
à exclure la conveiitioii di1 désert hors Ie champ poétique. 11 assimile cette
coii\v,nt.jon à 1111 archaïsine qui eût pu être en correspondance avec un mode de
vie priii~itif.Il dit :
.-Sènie lcs reiits qui effacent les traces
Et laisse les pluies pleui.civsui*leur soi? ...
il dit encore :
Ami: que faire de ces vestiges dépeuplés? ,)
t.
pareille à un bassin ». Ce sont ces images qui sont déléguées pour évoquer la
,a, -
trace, laquelle n'est pas nommée comme notion.
11 arrive au poète d'affroi~t.erla lisibilit,é de la trace en se référant à des
systèmes de signes, conimc 1c tatouage ou l'écriture. Si Tarafa coiripare les
vestiges B <.un reste de tatouage Zuhnyr ibn Abî Salma les assimile à .<la
bb,
Le même poète file, dans une autre pièce, une m6tapl-iore entre la trace et
Pacte d'écriture qui aura un destin particulier dans notre développement : il dit :
A qui ces marques pareilles à un livre élégamment trace
ce
initoyennes à cet autre art qui, de trace en indice, en signe, déduit par inférence
(en s'appuyant sur le dnlill le cal-actère caché. La qiycîfat ai-clthar consiste à
déchiffrer et à suivre les traces des pieds et des sabots sur les pistes capables de
recevoir l'enipreinte. L'expert, grâce à cet art, peut marcher sur les traces
imprimées jusqu'à atteindre les lieux où se cache l'homme qui s'est enfui ou
l'animal qui s'est égaré. Tel expert rend aux autres un service éminent en les
aidant à récupérer les bêtes perdues. X,a science sur laquelle il s'appuie iiiobilise
la faculté visuelle, l'imaginative et la mémoire. La lecture des traces appartient
a u savoir necessaire à la formation du guide, lequel reconnaît son chemin quand
même il emprunterait les sentiers inconnus ou les directions non balisées de la
terre ou de la mer. Les Arabes disaient des bons guides qu'ils sont capables de
voir à travers le chas de l'aipillc pour repérer la plus infime trace et en extraire
u n signe qui indique la voie à suivre. Sans eux, les caravanes auraient péri et
les armées auraient @tédécimées. Ni le commerce, ni la guerre n'eussent été
possibles. La conquête et Ia fondation de l'Empire auraient été différées.
Cette yiyârut al-athar aura produit en langue arabe une expression figée.
En tant que telle, on peut la reconnaître à travers les travestissements des
retouches 1itt.éraires. Quatre exemples en illustrent l'usage. D6jà le Coran
utilise cette expression pour affirmer la cohérence de la concaténation prophéti-
que : Jésus, fils de Marie, est envoyé a sur les traces des prophètes (qaffczyna, ,b
'ala âthârihinz, V, 461, et les confirme. La même expression est remployée pour
évoquer ceux qui ont marché dans la voie de la prophétie, sur les traces de Noé
et d'Abraham (LVII, 27). Ibn Moqaffa' (mort en 757) s'en sert d'après le sens
moral dans ses fameuses fables de Knlila wu Dimnza. où te sage Bidpaï conseille
à son interlocuteur le monarque : «le plus convenable pour toi est que tu
empruntes la voie de tes aïeux, que tu mettes tes pas dans les traces (tnttnbik
âthâr) des rois qui t'ont précédé, que tu suives (taqffiwa)les vertus qu'ils t'ont
lépées,b(6). Ibn Tofayl (XII. siècle) y a recours dans son non moins célèbre
roman philosophique Hayy ibn Ykqdhân.; en fin de récit, Hayy, héros jusque-lh
solitaire, rencontre Asâl, Ie nouveau venu, qui, en crise spirituelle, quitta son
pays et embarqua dans cette île déserte, pour vivre le retrait et se concentrer
sur lui-même ; n'ayant jamais aperçu un être pareil, Hayy va vers Asàl, lequel le
prend pour un anachorète et le fuit à grandes enjambées pour ne pas troubler
sa solitude ; Hayy le rattrape en i c suivant ses traces * (iqtnfiiHayy atharahrr )(?).
Et Ibn 'Arabî, sur qui nous aurons à revenir, utilise cette même expression au
commencement de ses amples Futûhfit : ((Nesais-tu pas que, suivant les traces
de quelqu'un (malt taqfC athai.ahzi), pour en obtenir des nouvel!cs, t u ne vois
pas sur le chemin ce qu'il a lui-même vu?l~(8).Cette remarque épouse une
incidente destinée à confirmer le parcours d'Ibn 'Arabî,lequel tend à démontrer
que le saint héritier du prophhte, ne peut voir ce que celui-ci a vu quand inènie
(61 Ibn MOQAFFA',Kalila rca Dinl~iia,p. 29-30. Beyouth. 1969. R a d . française par André
Miquel. Paris. 1957.
(7) m n TOFAIZ. 1fa.y ibn Yuqdhkrt, p. 91. Beyrouth. 1986. lkad. f~.an~aise
par Léon Gniithiei:
leoucl traduit notre expressioi, figée par l'anodin : w se mit B sa poursuite p. 135..4lgei, sd.
p..
=.. l:lm:.,11'1 I F . l 1 1 :,
il aurait pose son pied où ledit prophète l'a posé, en tel lieu de proximité qui
doniie accès à la vision du Grand Autre.
Mais i.ellenons à la poésie. Lorsque celle-ci devient le moyen privilégié de
I'expressioii spirituelle, elle peut parfois emprunter I'iiiventioi-i de la poésie
antéislainique en la chargeant de la référence coranique e t en déplaçant la
pratique de Ia trace de la topographie à l'étre. Cette surdéterinination réactive
la convei-ition antéislamique et se détourne de la lecon qu'asséna Abû Nuwâs
qui, à travers son décor aulique et citadin, rkpudia Ie désert et le chant
inaugural de Ia trace. emblème de la poésie ancienne raillé dans plusieiirs de
ses poi.mes. Eacuité de l'expérience intérieure de Hallâj (mort en 922! ne
l'ainèrie pas à cingler dans le sillage de ce mepris. Le thème de la trace agit chez
lui sur un modc plus dramatique e t plus urgent. I,e mystique est dans le regret,
à cause de la vision éclipsée. De la présence divine, il ne reste plus rien. Pour
exprimer son désespoir, le poète reprend les accents de ses émules archaïques.
II revivifie leurs notions pour dire la fragilité de l'expérience, où les aspirants,
en leurs mouve~nents,prennent le risque d'être décirilés.
-.Ils sont tous passés, ni puit;s, ni trace
Passée la tribu des 'Ad, perdue la cite d'lram
Laissant deribière eux un peuple divagiiant
Plus kpuisé q u e les bêtes?plus épuisé que les chamelles ,, (9).
En cette dernière citation! la mutation du thème n'est pas intégrale. Elle
le sera en u n autre contexte, où la notion de trace, active entre l'inscription et
l'effacement, rejoindra le lexique -technique rigoureusement établi dans le
soufisme. Hallàj avance sur telle voie, disant :
.-
Dans l'effacement (nzahtu)de mon nom et le vestige ( i a s m )de. mon corps
J'ai d e m a n d é après inoi et c'cet Toi que j'ai trouve-.
Ce dialogue entre soi e t l'Autre qui loge en soi a pour perspective
l'annihilation de son propre moi, poui* que soit abolie la dualité dans la
jouissance de l'unité. Ce procès de l'anntilation de soi dans l'expérience
commence par l'effacement du nom, et du corps, piincipe d'individuation. ne
demeure qu'un vestige incapable de s'interposer coinme voile qui sépare, en
dedans, le inoi et le Grand Autre.
Dès leurs premiers traités, les soufis ont théorisé la notion de trace et
celle d'eficement. Dans le Kif&b al-Lz~7,l.a'de Sarr5j (inort en 9881, vestige
( I * u s ~ trace
~ L ) , (ati-iar),effacement (muizw)sont intégrés au lexique établi pour
décrire avec rigueur e t consensus, l'expérience mystique. L'explicatioil de ces
t,ernies corrobore l'utilisation haliajienne dans le contexte de I'identité abolie au
gré de la naissance à l'altérité. I3e ra.snz, Abîi Nasr Sarrâj dit : cc Le vestige c'est
ce qui fut apparemment inscrit sur le support. de la créature, trace de son savoir.
Celte trace s'efface avec la manifestation du pouvoir. de Dieu sur sa créa-
ture1>!10).Cette définition est illustrée par une anecdote dont le protagoniste
est J u n a y d (mort en 911) ri~aîtt-eà qui disciple demanda avis coilcernanl un
compagnon dorit le noin s'est occulté ., et dont les vestiges se sont effaces .).a u
ai
point qu'il ne dispose plus de savoir pour décrire son identité; de soi à soi
s'instaure l'énigme ; en cette personne, I'eficement est total : elle ne parvient
plus à reconnaître soi1 propre nioi; eIle est aveude à elle-niême, tel le poète
antéislainiyue devant le peu qui reste de la deineure revisitée. La réponse dc
Jiinayd est sans équivoque : le savoir e t les actes de cette personne se sont
effacés, 5 cause du séjour permanent de Dieu en elle. E t le terme athar, dans le
lexique soufi. semble plus cornniun, moins initiateur, soumis qu'il est 5 rcl.s,n,
vestige : c'est, dira Sarrâj, -la n-iaiaque qui subsiste quarid la chose dispa-
raît ~(11). 'Tandis que ,~za.lzu,effacement, n'agit pas, comme nous l'avons vu,
seulement su.r lc vestige tel qiie défini plus haut. Son champ d'action recouvre
aussi la trace, la inarque, quand elle vient, ii son tour. de disparaître.
Vestige, trace, effacement (rusni, utiicrr, r n a h ~ v:) nous avons suivi la
genPsc de ces terines à travers une sensibilité informée par le désert; nous
avons suggéré Icui. devenir conceptuel qui les destine à exprimer certains états
de I'expérience intérieure. Comme le Corail est, en tant qu'écriture, It livre en
lequel s'ensourcc la culture islamique dans la pluralité de ses supports, il ne
serait pas inutile de signaler Ia présence coranique des notions avec lesquelles
nous dérivoris. Curieusement cle rusnzlvestige, le Coran se détourne. Il ne
l'emploie pas. II en est de même pour talfil/ruine. Ce sont les deux termes les
plus utilises dans le paradigme de la trace en poésie antéislamique. Leur
occultation serait une façon de mener à son terme la polémique qu'engage la
parole révélée avec le pouvoir concurrent de la poésie, verbe contre verbe ( 12 i.
Tandis que le mot utlzar est maintes fois utilisé, trace s'orientant vers sa riche
polysémie, associéle tantôt aux actes et a m ceuvres des individus et des peuples
(cf. XL, 21, 82, etc.), tantôt au signe distinctif iiiarquant ie front des pieux,
assidus en leurs prières : une marque sur leur. front. trace de leurs prosterna-
qc
tions >. (XLVII, 29), tantôt enfin à une forme d'inscription signalant la fertilité
qui colore les feuillets de la nature : (<Dieuest celui qui déchaîne les vents.
Ceux-ci soule\~entu ~nuage;
i il l'étend ensuite dans le ciel conitne il veut, et il le
met en morceaux : tu vois aIors l'ondée sortir de ses profondeurs...Considère les
traces de la miséricorde de Dieu et comment il fait vivre la terre aprhs sa mort
(XXX, 48-50'1.
L'usage coranique du mot a trace ,, oscille entre l'interprétation sPmiotique
et éthique. Cette ambivalei-ice teinte nombre de vocables coraniques. Les
traducteurs optent souvent pour la charge bthique et négligent le sens qui
tourne autoiir de la plage sémantique dont l'axe est le signe. Al'occasion de cette
reniarque, je me permets d'ouvrir une parenthhse, a propos de ces insuffisances
de traduction repérkes er-i un verset et un terme cardinal, clalîl, indice,
indicateur, relais dans le procès de l'inférence, dont nous avons sigriaIé
l'i~nportanceen citant le fiuite de p/z~~siog~lor~zo~zie de Râzi. et que iious
rcnconti'er.or-is encore lorsque rious reviendrons h Ibn 'Arabi. <<Nevois-tu pas
( I l I Ibicl.. p. 356.
:121 170ii Coi.ai?. XXI. .5: XXXVIT. 36: LII. 30: LYI?;! 41 oii le prophète est assiniil6 par ses
riiiirniis B un poètr fou. inspiré. Voir en oiitw Ç o i n ~ ?XS\'I.
. 224-226 oii les poètes soiit accusés d'èt1.e
d i u n ~ l a i i t ç .ii'arcordant pas I'acte et la parole.
comment Dieu étire i'ombre? S'il l'avait voulu, il l'aurait rendue immobile. Mais
nous avons fait du soleil l'indicateur (dalil)de I'oinbre » (XXXV, 451. La plupart
des traducteurs proposent guiden, teinte éthique, pour dalîl. Cette option
atténiic, nul dout,e,la virtualité sémiotique de l'original.
Pour ce qui concerne muhui, le Coran emploie trois fois le verbe dont tel
substa~itifdérive. Ce terme semble appartenir au pouvoir de Dieu, lequel
authentifie et confirme le message pr6sent par rapport aux ïévéll~t~ions
-
antéirieures : <(Dieuefface (yanzhû:)l'erreur et authentifie la vérité (XI,II, 24);
ce qu'il veut (XIII, 39).Ce verset ultime
Dieu efface lyarnkû ) ou fixe (yr~th.bifu) PP
12). En ce verset fort cité et coniinenté, le signe scintille entre son effacenient
dans la ténèbre iiocturne et sa mise en évidence sous l'éclairage de la franche
lumière diurne. Tel procès passe, on s'en doute, par des gradations; entre
l'effacement et l'éclat du signe, se module, dans l'ét.at intermédiaire, I'appari-
tion du vestige, de la trace.
Afin de coilfirmer cette coIlabol-ation entre le vestige Ira.sna), la ti-nce
(atlzar) et le signe (@a),je finirai cet itinéraire par un détour via la philologie.
Les sens multiples sur lesquels veillent les racines d'où sont forgés vestige,
trace et signe conforteront nos idées. A ce stade nous rencontrerons ce que
Heidegger appelle la langue qui pense, dans la pure résonance de la suggestion
poétique.
En r.s.m. succède à l'ensemble qui veut dire tracer, faire des marques,
celui qui signifie dessiner et écrire. De trace, marque, vestige, empreinte, trait,
on permute a dessin, plan. On passe ainsi de I'inscription adventice à
l'inscription de propos délibéré. En ce dernier domaine, rasin al-niaçhaf (lit.
fi ,b
des mosquées, est appelé atlzar sli.urif ,, (a noble œuvre,.), suppoi-t où palpite-
6~
rait, en tant que trace, la projection de l'icône inentale qui se présente à l'orant
pendant qu'il prie orienté vers la qibla que rend justement manifeste tel
r,tihrâb, niche qui poiiite son chevet en direction de la Mecque, E t atlzâr., au
pluriel, annonce les monuments des civilisations révolues, d'où, exploits que
consigne la chronique, de là aussi, la somnie des dits et des actes du prophète,
trSansniispar la Tradition, ct qui ont un rôle second à l'ombre du hadîtlz..
Aya est un vocable féminin qui dit le signe : Elle est synonyme de la
'alânla qui fait flotter haut la bannière du sens. Aya est ce qui enseigne ct
indique. Au corur du signe. nous entendons résonner le double registre éthique
ct sémiotique. D'une part âyu désigne ce qui est laissé ou élevé à dessein pour
signaler quelque chose (d'où signaux de route, pierre s6pulcrale) ; par prolonge-
ment, elle est associée au principe d'individuation : elle est ce qui distingue et
singularise. D'autre pal-t. elle veut dire le miracle divin, signe céleste qui
authentifie le message transcendant; elle instruit aussi par I'exemplc, elle
avertit pour le salut Cibrcrl. Ce duuble registre résonne conjointement quand
par ûya, on nomme les versets coraniques. Ceux-ci sont soumis à ce vocable car
ils forment des mots constituant des entités séparées (d'après Abîl Bakr). Ils
sont en outre des signes distinctifs qui orienteiit vers la voie de la droiture, tels
les signaux sur les routes ( 14).
En suivant pas à pas les notions qui nous concernent, nous avons, de halte
en station, visité In poésie des origines ; nous avons jeté regard dans la derr~eure
in y stique ; nous avons encadré quelques tableaux du paysage coranique ; nous
avons contemplé le spectacle du sens à partir des loges du lexique. Nous aurions
pu continuer notre voyage et traquer ces mêmes notions en leur adaptation
formelle à d'autres contrées, telles la grammaire, la logique, la philosophie.
Nous aurions pu chaque fois les suspendre hors des sens multiples qui les
métamorphosent, pour les iminobiliçer dans l'efficacité technique qui les laisse
croître à la faveur- du climat qui enveloppe leur transport. Quand Farabi (mort
en 9501 traduit le syrnbolo~zaristotélicien par athar(l51,quand il transpose la
définition de la chose par le propre et le diffgrent en rasut, cela ne constitue pas
une opération neutre, cela acclimate la logique au désert des origines. Une telle
coloration n'oriente-t-elle pas les formes de la pensée vers une esthétique?
Entre l'inscription et l'effacement, le signe révèle la fragilité du réel. Face
a u sens qui se dérobe, l'homme est confronté au manque. La mélancolie lui
assombrit le cœur. La trace lui permet de se ressaisir. Elle proposerait le moyen
de se réconcilier avec le sens abîmé. A partir de ce vestige, la reconstitution du
signe s'avère plausible malgré le risque de succomber à ses errements. C'est
peut-être en cette jnterrogation, hantée par les spectres de la vanité, que le
désert comme représentation se découvïe en son attrait universel. La tablette
de sable du rarnmâl? devin qui trace des signes, les lit, les efface, pourrait
devenir la représentation de la représentation. Te1 désert second symboliserait,
seil1 l'intégrité de l'être, telle fiction prend sa source dans le 11adîtl-i qui dit :
.<Dieuexista d'abord seul; rien n'était e n dehors de lui; son ti76ne flottait sur
l'eau; ensuite Dicu écrivit sur la Table toute chose; puis il créa les cieux et la
tei-re ... (19).J e cite le liadith, car on verra qu'Ibn 'Arabi, en la circonstance, s'en
1>
inspire. Conirne toujours daiis ses œuvres, cet auteur. put'té par l'élan de son
iniagiiiation, amplifie la mémoire islan~iquecoinme elle est déposée dans le
Coi-arr et le hadith. 11 emporte vers des fictioris achevées les inorceaiLx e t les
fragments, les bribes et les amorces d e récit, les propositions sybillii-ies et les
fori-i~uleslapidaires que rapporterit les sources scripturaires.
Dans la jonction du Calarne/Iritellect Premier et de ia Tnble/Anie Univer-
selle s e réalise le processus ci-éateur. La Cr6atioii est assimilée B un acte
dléci.iture, nianiant les instruments ménies de !'écriture. Le noni aura étc avant
la chose, la lettre avant l'objet. Ce procks d'écriture, cette séance d'inscription
entraîne une chainc causale, u n système de relation. Il y a, d'une part, celui qui
est a l'origine de la cause, l'agent, cn l'occui-rence le CalaineAntellect ; et il y a ,
d'autre part, celle qui subit l'effet que produil la cause, c'est-à-dire la Table-Arne
Universelle, laquelle doit manifester sa disponibilité à recevoir In trace (qobEi2
cd-aiharl qu'engeildre tel pi-ocès. Sans cette disposition d'accueil, aucune
inscr-iption n'est possible. I:agt.rit, le CalamelIntellecl. ne pourrait imposer son
obligation de transmettre si la Table!.4mc Universelle n'avait confii*mé sa
volonté de recevoiti Lorsque Dieu crEa cet Iiltellect sous la forme d'un calame,
l'intellect a exigé, en s a vérité, un support qui aurait à accueillir les traces qu'il
aui.rrit à transcrire (~nnzodhi'athâ~- Li-kifclbatihi),lui, en tarit que Calame. S ~ u t e
à cette réclamation, f ~ suscitée
~ t la Tabie Conservée qui est l'Arne Universelle et
qui fut le premier être incité à èt.re après la deinande d'un autre ctre. Comnie la
puissance dont disposait le Calame/Intellect n'était pas assez autonoine pour
faire provenir par ses propres moyens la Table, il s'appuya sur le nom a l - B i I f l i
pouin e n assurer l'avènenieilt.
Dès lors, le Calarne/Intellect émit b la Table!Ame tout ce dont il disposait
en une écriture soun-iise aux règles de la composition et de l'harnioriie
in~rrsnl'tc~rc~rz ~ t z a r ~Cinan)
dh et constituant l'ensemble de la Création jusqu'au
Jour du Jugement. Cette écriture, qui rassemble l'intégrité de la Création,
advient en troisième lieu, après l'avènement du Cala~i-ieet de la Table. Dieu fit
du Calanie 1"iristi.umentde l'émission (al-ilqcî'ià cause de tout ce qu'il a créé en
lui. Il fit de la Table le lieu de réception (al-qabii!)capable d'accueillir tout ce qui
lui est. émis. Dans ce cii*cuitparfait de la communicatio~i,divise entre un pôle
émetteur e t u n support récepteur (actif en sa passivité i n h e puisqu'il capte le
message qui lui est transrnisl, la trace une fois ii-isci.ite se pare des attributs du
signe. C'est comme si la trace ne demeurait telle qu'à l'instant où la pointe du
Calanie marqrie de son empreinte la Tablette d'argile fraîche. Par la suite, elle
s'itnpiinie en tant que signe participant à l'élaboration du sens. Ce troisième
dans l'ordre de la proveiiancc glisse imperceptiblement de la notion de trace
iatha1.j à la notion de signe ictya). A croire que nous 1-ecueillons ici la
i 191 Bu.;~,ia.lr.SuIiiIi. ILr. p. 129. Le Caire. 1311 ! I ~ @ I Y . Traductiori fiaiifaise pni. O. Houda-: et
W. M:ii.çnis. II. p. 433. Paris. 1903.
II': ~ I ' ; I I .ra',tt
* I 1:' 1'1.III II:I'I
-.
130) M.+LL;\R~IE. %Quantau livre .-,CEitr:>-esconzpl@tes.p. 378, Paris, 1945.
i 2 1I Voir suprn. note 16.
LA TRACE. 1, E SIGNE 121