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Delation
Delation
Cesoni Maria Luisa, Robert Ch.-N. Du délateur au collaborateur de la justice: un parcours de légitimation ?. In: Déviance et
société. 1998 - Vol. 22 - N°4. pp. 415-419;
doi : https://doi.org/10.3406/ds.1998.1673
https://www.persee.fr/doc/ds_0378-7931_1998_num_22_4_1673
débat:
Avec les limitations aujourd'hui proposées à ces normes. Cf. M. Sbriccoli : Collaboration de justice et mafia :
des réformes pour une urgence incessante (ci-après).
S. D'Amico, // collaboratore délia giustizia, Roma, Robuffo, 1995, p. 86 et tout récemment: J. Ziegler, Les
seigneurs du crime, Paris, Seuil, 1998, 261s.
Cesoni, Robert, Du délateur au collaborateur de la justice 4V7
est évidemment plus aisé de fonder une procédure sur la déclaration d'un repenti que de
mener une enquête approfondie afin d'accumuler des preuves matérielles. Par ailleurs,
dans les procès où les éléments de preuve usuels sont difficiles à rassembler, l'utilisation de
ces déclarations se développe particulièrement et aboutit à ce que ces procès se construisent
sur la base d'informations dont la fiabilité est hautement discutable. Le système qui se met
ainsi en place provoque par conséquent des atteintes graves aux principes fondamentaux du
droit, dont la seule justification consiste dans la conviction que la fin justifie les moyens.
On se limitera à en énumérer quelques-unes, dont les plus essentielles sont sans doute
aucun celles qui heurtent l'égalité de traitement, l'Etat de droit sous l'angle de la
proportionnalité et de la sécurité du droit, la séparation des pouvoirs et la légalité matérielle
(définition problématique du repenti).
Quant au droit de forme, il se trouve atteint par des déviations procédurales6
incontestables qui affectent la légalité formelle, le droit pour l'inculpé de se taire (notamment
lorsque le repenti profère des accusations infondées envers quelqu'un, à qui reviendrait la
charge de la «preuve diabolique» qui, seule, pourrait l'innocenter, l'obligation de la self-
défense se substituant alors au droit d'éviter la self-incrimination), l'administration de la
preuve qui incombe traditionnellement à l'autorité de poursuite, et le procès équitable
(égalité des armes). Il est aussi atteint par une amplification du principe inquisitoire et par 1'
elusion de la répression du faux témoignage.
Enfin, la politique criminelle se débat entre la mise en doute de la crédibilité de telles
délations, confrontée aux affirmations vigoureuses de la nécessité de leur
institutionnalisation, pour motifs d'efficacité (aussi contestée d'ailleurs). Il n'est pas sans intérêt d'évoquer
également le problème posé par la protection personnelle et familiale des repentis, qui
émarge au budget de l'Etat.
Tout cela pour des déclarations bien mal baptisées repentirs, mais qui ne le sont pas
sémantiquement (regrets) et qui sont parfois peu conformes à l'éthique (fidélité à un
événement).
Intégrée de manière structurale aux systèmes de common law, l'utilisation de
déclarations de repentis dans les systèmes de droit romain paraît choquante, tant au niveau des
principes que des pratiques d'enquêtes policières et judiciaires. Cela est évident dans les
systèmes caractérisés par le principe de la légalité des poursuites, telle que l'est la
procédure pénale italienne, où les bénéfices octroyés aux repentis peuvent leur éviter de purger
leur peine et aboutissent ainsi à une introduction de facto du principe d'opportunité.
Même aux Etats-Unis, pays précurseur en la matière, de nombreuses voix se sont élevées
pour critiquer l'utilisation de repentis dans le cadre des procédures pénales et pour critiquer
également l'application des programmes de protection prévus pour de tels «témoins».
Il a été par exemple souligné que la carrière de fonctionnaire et, notamment, la carrière
politique de prosecutor est fortement influencée par l'importance des condamnations que
celui-ci arrive à obtenir. Les plus éclatantes de ces condamnations se fondent souvent sur
les déclarations de témoins protégés, qui ne sont autre chose que des délinquants repentis7.
On considère en effet que les déclarations de repentis conduisent en grande majorité à des
condamnations8, ce qui n'implique pourtant pas que ces condamnations soient fondées sur
des faits réels.
L'expression est de L. E. Pettiti: Le problème des repentis, Revue de Sciences Criminelles, 1986, p. 751.
A. Bernasconi, I sistemi di protezione per i collaboratori délia giustizia nella prospettiva premiale dell'ordi-
namento italiano e neU'esperienza statunitense, in A. Presutti, Ed., Criminalité organizzata e politiche peni-
tenziarie, Milano, Cortina, 1994, 139-256.
G. Neppi Modona, L'esperienza nordamericana, inédit, 1987, cité par A. Bernasconi, op. cit.
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II découle pourtant de cette efficacité, plus formelle que réelle, une tendance à
l'accroissement de l'utilisation des «collaborateurs de justice» dans les enquêtes judiciaires9.
Les tendances qui se sont récemment manifestées en Italie aggravent encore les dangers
liés au recours à ce type de preuves. Dans quelques procès déjà, il a été permis aux
repentis de ne pas apporter personnellement leur «témoignage» en audience (violation du
principe de l'immédiateté dans l'administration des preuves), mais d'y participer au moyen de
téléconférences où l'on ne les voit que de dos. C'est le cas, par exemple, des procès contre
Giulio Andreotti ou contre la mafia de San Giuseppe Jato10.
Comment peut-on vérifier, dans un tel contexte, la spontanéité des déclarations du
repenti ? Comment l'avocat de la défense peut-il effectuer un contre-interrogatoire efficace,
sans avoir le repenti en face de lui, sans même voir l'expression de son visage?
On arrive ainsi à une situation où le repenti, qui est, dès le départ, sous mains des forces
de police et de l'administration, reste, même durant le procès, sous l'influence directe de
ces autorités administratives.
Le problème est donc politique et se fonde sur une certaine lecture de la réalité sociale.
Quand Le Soir, en reproduisant l'attitude des quotidiens italiens, intitule un de ses
articles Un repenti assène le coup de grâce à Cosa nostra11, cela dévoile la conviction
qu'on peut affronter et résoudre les problèmes socio-économiques par voie de justice
pénale; conviction qu'il faut accompagner tout de même de cet aveu révélateur de la
perversité de l'institution et du danger qui lui est indissolublement lié: si tous les chefs de la
mafia se repentaient, nous finirions par nous poser des questions12.
Face à ceux qui soutiennent que ce sont les repentis, engendrés entre autres par la dureté
du système pénitentiaire de haute sécurité, qui ont permis le démantèlement de clans
mafieux, d'autres ont affirmé - à notre avis plus pertinemment - que c'est l'affaiblissement
de la mafia, dû à des modifications du contexte socio-économique et politique, qui a
permis l'arrestation de membres importants de la mafia et la destruction progressive de clans.
Cet affaiblissement a aussi sécrété des repentis, qui se sont souvent, du moins au départ,
confiés à la justice pour se soustraire ou soustraire leurs familles et leurs proches à la
violence de clans adversaires. Les solidarités défaillantes du côté de la mafia sont ainsi
remplacées par des solidarités institutionnelles.
Puisque l'affaiblissement de la mafia trouve son origine ailleurs que dans le phénomène
des repentis, ceux-ci n'ont contribué que partiellement au démantèlement de clans. Avait-
on vraiment besoin, alors, de recourir à ce moyen qui affaiblit les droits de la défense, qui
fait se multiplier les législations d'exception, qui produit des entorses aux principes
fondamentaux du droit, de la procédure pénale et de l'exécution des peines ?
La réponse n'est pas simple. Si le phénomène nous paraît regrettable pour toute culture
juridique d'équité, tout comme regrettable nous paraît, en principe, toute formalisation et
légitimation normative des repentis, désormais transformés en collaborateurs de justice, il
est aussi vrai que des repentis ont existé et ont été utilisés de tous temps dans tous les
systèmes politiques13. L'introduction de normes qui soustraient la gestion des repentis aux
A. Bernasconi, op. cit, p. 151. Récemment l'on apprenait que le Procureur du Tribunal pénal international
(ONU) pour le Rwanda tentait de convaincre un accusé de se transformer en repenti (R. Ourdan : Rwanda,
Enquête sur un génocide, le Monde, 4 avril 1998, p. 12).
Cf. La Repubblica, 31 mai 1996, 25 juin 1996, 28 juin 1996.
V. Luksic, Un repenti assène le coup de grâce à Cosa nostra, Le Soir, 22-23 juin 1996.
Déclaration du Procureur de Caltanissetta, Giovanni Tinebra, rapportée par J.-C. Berger: La Mafia se
déglingue, Journal de Genève, A yam 1996.
Cf. La délation, Autrement, 1987, 94, 77-140.
Cesoni, Robert. Du délateur au collaborateur de la justice 419
forces policières pour la soumettre aux contrôles judiciaires et juridictionnels devrait alors
limiter les dérapages qui peuvent se produire en l'absence de toute norme. Mais telle n'est
pas, à notre connaissance, la tendance actuelle dans les pays occidentaux où, en Italie
comme aux Etats-Unis, la gestion administrative des collaborateurs de justice semble
primer sur leur gestion par les autorités judiciaires.
Enfin il est évident que, dans un processus de négociation, les individus les mieux
informés sont ceux qui sont les mieux intégrés dans le système que l'on veut attaquer; pour des
phénomènes tels que la mafia ou le terrorisme, il s'agit donc aussi, et souvent, d'individus
qui ont participé aux crimes les plus graves. En livrant leurs informations, ils accèdent à des
bénéfices parfois substantiels, touchant tant les condamnations que l'exécution des peines,
tandis que ceux qu'ils accusent sont souvent soumis à des peines et des régimes
pénitentiaires particulièrement rigoureux.
Même l'introduction de normes prévenant la violation de droits fondamentaux laisserait
sans réponse le problème éthique de l'acceptation d'une inégalité substantielle de
traitement fondée sur une activité de délation14.
La diversité conceptuelle des réactions à notre texte nous suggère une hypothèse - à
vérifier.
Alors que les articles de M. Sbriccoli (Italie) et de G.-H. Beauthier (Belgique) prennent
position (l'une mitigée et l'autre carrément opposée) sur l'utilisation des inculpés dits
repentis comme témoins privilégiés à charge d'autres prévenus, l'article de P. Marcus
(Etats-Unis) traite de l'utilisation des aveux comme preuve en relation avec le droit au
silence.
Cette différence conceptuelle - qu'est-ce qu'un «repenti»? - nous paraît intimement
liée à la diversité des systèmes juridiques d'appartenance. Dans des systèmes de droit
romain - l'italien notamment, fondé sur le principe de la légalité des poursuites - le débat
est encore ouvert sur cette figure hybride de témoin-partie au procès, d'introduction
relativement récente dans certaines législations. En revanche, dans un système qui
traditionnellement, de par sa structure même, peut transformer formellement les inculpés-repentis en
témoins via la renonciation aux poursuites, le problème éthique posé par le fait qu'il s'agit
d'un « témoin » qui n'est pas substantiellement tiers dès le début de la procédure s'estompe.
La problématique se déplace alors pour se fixer sur une notion plus restreinte de repenti -
celui qui s'accuse lui-même -, et se focalise ainsi sur les problèmes de légalité et de
garanties liés à la production des aveux et à leur utilisation contre la personne même qui les
énonce.
En vue de l'unification des procédures pénales suisses, le rapport intitulé De 29 à l'unité (rapport d'experts,
Département fédéral de justice et police, Berne, décembre 1997, p. 61) évoque précisément en priorité cet
argument pour renoncer au système dit du « témoin de la couronne ».