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Comment je vois le monde

A la recherche des planètes


extrasolaires
Plus de 2 millénaires après les premiers écrits sur la possibilité de l’existence d’autres mondes, habités ou pas, une
nouvelle approche de la question est possible, non plus dogmatique, théologique ou philosophique, mais obser-
vationnelle et scientifique. Elle se fonde sur la recherche pas à pas de planètes toujours moins massives jusqu’à
atteindre la masse de la Terre. Nous présentons cette approche, ses premiers résultats impressionnants, ainsi que
les différentes étapes qui devraient mener à la découverte des premières planètes comparables à la Terre et,
peut-être, à la mise en évidence à distance des signatures de vie. Nous présentons différents concepts instrumen-
taux qui d’ici une dizaine d’années devraient nous apporter une nouvelle vision de notre situation dans l’univers.

Un peu d’histoire des techniques semblables à celles qui sont utilisées actuel-
lement pour la recherche de planètes, qui ont apporté les

L
a question de l’existence d’autres planètes, habitées premiers éléments observationnels de la discussion dès les
ou non, dans l’univers, est certainement l’une des années 1930 : la vélocimétrie radiale par effet Doppler, et
plus anciennes questions posées aux astronomes, l’astrométrie (cf. encadré 1). Toutefois, la jeunesse de ces
sitôt l’analogie faite entre notre Soleil, et toutes les étoiles méthodes pointues et le mauvais contrôle des biais expéri-
du ciel. La question dépasse en effet le simple cadre scien- mentaux n’a pas permis à cette époque d’arriver à des
tifique et touche celui de la métaphysique. On trouve des conclusions précises et indubitables.
traces de ce débat dès l’Antiquité, chez Métrodore de Chios,
L’avènement des techniques de haute résolution angu-
ou Epicure par exemple.
laire couplées à une grande dynamique, speckle interféro-
Pendant plusieurs millénaires, ce débat restera du métrie, optique adaptative et coronographie, (cf. encadré 2)
domaine de la conviction personnelle et en conséquence, de au début des années 80 apporte également son lot d’obser-
l’affrontement dogmatique quand cette conviction person- vations, d’annonces fracassantes… et de démentis, mais pas
nelle s’en viendra à heurter le dogme officiel, et en particu- encore de découvertes avérées… En 1992, Wolszczan et
lier, celui de l’Eglise toute-puissante au Moyen-Age. En Frail annoncent la découverte de 3 planètes dont l’une com-
publiant en 1585 « L’infini, l’Univers et les mondes », Gior- parable en taille à la Lune autour du pulsar PSR 1257 + 12.
dano Bruno, « l’agitateur », exprime publiquement des La découverte ne déchaîne pas les passions car la première
idées qui commencent à émerger. Il en payera le prix fort, annonce intervient, ironie du sort, le jour même où une
en 1600 en étant condamné au bûcher par le tribunal de l’In- équipe concurrente menée par Andrew Lyne publie un
quisition. Huygens (1629-1695) reformulera, clairement démenti pour une découverte similaire autour du pulsar PSR
mais un peu tard, ces idées maintenant bien répandues chez 1829 − 10. De plus, ces planètes autour d’un pulsar intéres-
les penseurs. sent peu, car l’environnement électro-magnétique du pulsar
Il faut attendre le début du XXe siècle pour que les progrès laisse peu de chance au développement éventuel de toute
réalisés dans le domaine de l’instrumentation astronomique forme de vie sur ces planètes.
puissent permettre une nouvelle approche observationnelle Les efforts en matière de développements instrumentaux,
et scientifique de la question, et lancer la course vers la et en particulier concernant la technique de vélocimétrie
découverte d’objets de masse sans cesse plus faible. Ce sont
radiale, aboutissent en 1995 à l’annonce de la découverte

Article proposé par :


Alain Léger, alain.leger@ias.u-psud.fr
Marc Ollivier, marc.ollivier@ias.u-psud.fr
Institut d’astrophysique spatiale, CNRS/Université de Paris-Sud.

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Comment je vois le monde

par Michel Mayor et Didier Queloz de la première planète Cette distribution bimodale en distance montre que les
extrasolaire (ou exoplanète) dénommée 51 Pégase b autour objets ne sont pas équi-répartis et qu’il y a des orbites stables
d’une étoile analogue à notre soleil. privilégiées, dont certaines sont très proches de leur étoile.
On peut chercher des explications de cette observation dans
le processus de formation des planètes. On peut également
Que nous apprennent les premières
découvertes de planètes ? envisager la possibilité que l’orbite d’une planète varie au
cours du temps. On est alors conduit à émettre l’hypothèse
A la date du 22 octobre 2004, 133 planètes extrasolaires des migrations d’orbites.
géantes (les 3 planètes de Wolszczan étant considérées à
Migrations d’orbites
part), regroupées dans 117 systèmes planétaires dont 13
multiples ont été détectées, principalement par la méthode Invoquer le mécanisme de migrations d’orbites est néces-
des vitesses radiales (méthode indirecte), la même que celle saire pour expliquer la réalité des « jupiters chauds ». En
utilisée pour détecter 51 Peg b. Ces planètes sont pratique- effet, la formation de ces objets si près de leur étoile n’est
ment toutes situées dans notre environnement proche à pas compatible avec les modèles actuels de disques proto-
quelques dizaines d’années-lumière de notre Soleil et donc planétaires (disques de poussière et de gaz dans lequel se
a fortiori, dans notre galaxie. La détection de ces objets forment les planètes) pour lesquels la température et la den-
résulte de l’observation d’environ 4 000 étoiles. Les étoiles sité à cette distance interdit toute formation de ce qui com-
observées sont essentiellement des étoiles comparables à pose le noyau de ces planètes.
notre Soleil. L’échantillonnage temporel et l’historique des
observations est très variable au sein de l’échantillon. Cer- Si les jupiters chauds ne se forment pas à leur position
taines étoiles sont observées depuis le début des pro- actuelle, et qu’ils migrent, il faut trouver un ou plusieurs
grammes de mesure (1994), d’autres ont été ajoutées récem- mécanismes qui puissent permettre d’expliquer ce phéno-
ment, quand l’arrivée de nouveaux instruments à permis mène. Plusieurs hypothèses de mécanismes ont été formu-
d’augmenter le nombre de cibles potentielles. Enfin, on peut lées : de tous ces mécanismes, c’est celui du transfert de
estimer le rythme actuel d’annonces de découvertes de pla- moment angulaire entre une planète et le disque qui est le
nètes géantes à environ une douzaine d’objets par an. plus étudié. Les modèles actuels montrent qu’il est possible
Récemment, 2 découvertes ont eu un retentissement média- de faire migrer des planètes de taille variable en des temps
tique certain : la découverte de 3 planètes « légères » de 15 suffisamment courts pour que le phénomène puisse être
masses terrestres environ, comparables en masse à Uranus et achevé avant la dissipation du disque (quelques centaines de
la première image d’une planète extrasolaire par le VLT. Ce milliers d’années au maximum). Dans le cas des planètes
dernier objet baptisé 2M1207b serait une planète de géantes, la migration doit se traduire par la formation d’un
5 masses de Jupiter en orbite autour d’une naine brune sillon dans le disque protoplanétaire. Ce dernier point peut
(objet dont la faible masse ne permet pas l’amorçage des réac- constituer un bon test observationnel pour infirmer ou
tions de fusion nucléaire comme les étoiles classiques). La confirmer le mécanisme.
brillance de 2M1207b qui a permis son observation directe
s’expliquerait par la jeunesse du système : 8 millions d’années Excentricité des orbites des exoplanètes
seulement.
Deux points observationnels sont particulièrement remar-
Distribution en masse des exoplanètes quables : i) pour des périodes orbitales inférieures à
10 jours, les orbites des exoplanètes sont pratiquement cir-
Cette distribution est très piquée vers les objets de faible culaires, ii) au-delà de 10 jours de période, et contrairement
masse (M < 5 masses de Jupiter). Il ne s’agit pas d’un biais à ce que l’on observe dans le système solaire (les planètes du
observationnel. Cela signifie que le processus de formation système solaire ont une excentricité faible) il ne semble pas
des planètes géantes semble a priori permettre ou tout au y avoir de corrélation entre excentricité et période orbitale.
moins favoriser la formation d’objets de masse relativement C’est également le cas des étoiles évoluant dans des sys-
faible. tèmes stellaires multiples.
On peut expliquer la circularisation des orbites proches
Distribution en distance par des effets de marée. En effet, si la planète est proche de
l’étoile, le gradient du potentiel gravitationnel crée une
Il y a clairement une distribution bimodale de la réparti- attraction différentielle sur la planète entre le bord le plus
tion en distance des exoplanètes avec i) des planètes à très proche de l’étoile et le plus éloigné. Le résultat est la forma-
courte distance de leur étoile centrale, typiquement 0.05 u.a. tion d’un bourrelet au niveau des couches externes de la pla-
(1 u.a. = distance Terre-Soleil ∼ 150 millions de km), les nète. Ce bourrelet est à l’origine d’une dissipation d’énergie
« jupiters chauds » (taille de Jupiter, proximité de l’étoile), par friction avec les couches internes de la planète. Globale-
ii) peu d’objets vers 0.3 u.a. iii) des planètes à distance plus ment, cette friction entraîne une perte d’énergie orbitale, ce
grande que 0.3 u.a. réparties de manière assez uniforme. qui circularise l’orbite. Comme évoqué précédemment, les

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Encadré 1

Détection indirecte des exoplanètes

Il n’est pas forcément nécessaire de « voir » une exoplanète (cf. figure 1) et donc de reconstituer le mouvement de l’étoile.
pour mettre en évidence sa présence autour d’une étoile. Toute la difficulté de la méthode, et tout le mérite des équipes
On dit couramment qu’une planète tourne autour de son étoile qui l’ont mise en œuvre, réside dans le contrôle des biais ins-
centrale. Si la planète est peu massive, et située près de son trumentaux et observationnels, dérives thermiques, mouvement
étoile, le centre de masse du système est alors effectivement propre de la Terre dans le système solaire, mouvement global
presque confondu avec le centre de l’étoile, et la planète semble du système solaire lui-même…. La précision des meilleurs ins-
décrire un mouvement autour de l’étoile, fixe. Dans le cas
truments actuels sur la mesure des vitesses radiales est d’envi-
contraire, le centre de masse du système et le centre de l’étoile
ron 1 m.s −1 . Or on estime que la présence de Jupiter induit un
sont différents, de sorte que lorsque la planète effectue une
mouvement sur le Soleil dont la vitesse est d’environ 12 m.s −1 ,
révolution autour du centre de masse du système, l’étoile a un
mouvement analogue. Ce mouvement se fait dans un espace à la présence de la Terre induit un mouvement sur le Soleil d’en-
3 dimensions, dont nous pouvons percevoir les composantes viron 10 cm.s −1 …Cette méthode est donc particulièrement
latérales (déplacement de l’étoile sur le ciel), en mesurant avec
précision la position de l’étoile par rapport à des objets fixes
(c’est le principe de l’astrométrie), ou la composante longitu-
dinale en mesurant la vitesse radiale de l’objet d’éloignement
ou de rapprochement par rapport à l’observateur.
Mesure des vitesses radiales
La mesure de la vitesse longitudinale radiale et donc du dépla-
cement de l’étoile est possible avec une grande précision grâce
à l’effet Doppler. Cet effet traduit le fait qu’un émetteur d’ondes
voit sa fréquence modifiée s’il est en déplacement radial par
rapport à l’observateur. Si l’objet se rapproche de l’observa-
teur, il apparaîtra plus bleu, s’il s’éloigne, au contraire, il
apparaîtra plus rouge qu’il n’est réellement. L’effet est faible, Figure 1 - Courbe de vitesse radiale de l’étoile Upsilon de la constella-
et n’est détectable qu’en ayant recours à des techniques spec- tion d’Andromède (corrigée des mouvements de la Terre). Cette courbe à
troscopiques à haute résolution, et à la comparaison avec des laquelle on a déjà extrait une composante à 4,6 jours fait apparaître éga-
étalons de longueur d’onde. La mesure du « décalage lement 2 composantes, correspondant à 2 autres planètes ayant des
périodes de 241,2 jours et 1 266,6 jours.
Doppler » permet ainsi de mesurer la vitesse radiale de l’objet

planètes de période supérieure à 10 jours semblent avoir une tive globale est appelée « métallicité ». Pour le Soleil, par
distribution en excentricité comparable aux étoiles dans des exemple, la métallicité vaut 0.02.
systèmes multiples. On peut expliquer ce fait en considérant Il apparaît clairement que le nombre de planètes est plus
qu’à plus longue distance de l’étoile mère, les interactions élevé autour d’étoiles à forte métallicité. Ce résultat a été
avec le disque protoplanétaire ou avec les autres planètes et âprement discuté dans la communauté astronomique. La
étoiles de l’environnement immédiat deviennent prédomi- difficulté de ce genre d’étude est d’essayer de corriger les
nantes par rapport aux forces de marées qui tendent à circu- résultats des biais possibles et en particulier, dès le choix de
lariser les orbites. Ces interactions ont pour résultat une l’échantillon observé. Ce résultat est maintenant bien
augmentation de l’excentricité des systèmes stellaires ou accepté. Il tend à montrer que les planètes géantes se for-
planétaires par rapport à l’excentricité des systèmes ini- ment principalement autour des étoiles riches en éléments
tiaux. En ce qui concerne le système solaire, l’absence d’ob- lourds ce qui est compatible avec le modèle standard de for-
jets massifs dans le proche voisinage solaire peut expliquer mation planétaire. Les observations futures (COROT et
la faible excentricité des orbites des planètes. Kepler) devraient permettre de prolonger ce genre d’études
aux planètes telluriques.

Métallicité des étoiles ayant des exoplanètes


Atmosphères et spectres des exoplanètes géantes
La classification périodique des éléments, pour les astro-
nomes, se résume à trois catégories : i) l’hydrogène, ii) l’hé- A ce jour, il n’existe pas d’observation de spectre complet
lium, iii) tous les atomes plus lourds, dont l’abondance rela- de planète extrasolaire, car ces dernières ont pratiquement

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bien adaptée pour la recherche de planètes géantes. Elle ne


l’est pas pour les planètes telluriques
La méthode des vitesses radiales est une méthode très perfor-
mante puisque 129 des 133 planètes géantes actuellement
détectées l’ont été par cette méthode.
Observation des transits planétaires
L’idée consiste à détecter la présence d’une planète par la
faible baisse de flux qu’elle induit sur son étoile quand elle
passe devant le disque stellaire (figure 2). Cela suppose bien
évidemment que le système planétaire soit vu par la tranche
depuis la Terre. La probabilité d’une telle situation est directe-
ment liée au rapport entre le rayon de l’étoile et le demi grand Figure 2 - Transit de HD 209458b observé depuis l’espace. La profon-
axe de l’orbite de la planète. La méthode des transits sera donc deur du transit (plus de 1.5%) montre clairement que l’objet est une pla-
beaucoup plus efficace pour les objets proches de leur étoile nète géante.
que pour les objets éloignés. Pour espérer détecter une grande
variété d’objets, il est donc nécessaire de surveiller beaucoup
d’étoiles simultanément (typiquement plusieurs dizaines de mil- détecter des planètes géantes depuis le sol (précision de l’ordre
liers). Enfin, pour discerner un transit, répétitif, à la période de de 1%). Pour détecter des planètes plus petites (planètes tellu-
révolution de la planète, d’un phénomène photométrique d’une riques), il faut s’affranchir des effets photométriques de l’at-
autre nature, il est nécessaire d’observer plusieurs transits, mosphère et placer le télescope et le dispositif photométrique
c’est-à-dire d’observer un même objet pendant une durée égale en orbite. La mission COROT du CNES devrait permettre à
à plusieurs fois la période orbitale de la planète. partir de 2006 de surveiller simultanément 12000 étoiles sur
La variation photométrique relative de l’étoile est en première des périodes de 5 mois. Avec une précision photométrique de
approximation directement égale au rapport des surfaces appa- l’ordre de 0.01%, COROT devrait permettre de détecter des
rentes de la planète et de l’étoile. Ainsi une planète comme la objets dont la taille est comparable à celle de la Terre. La durée
Terre, dont le rayon vaut environ 1% du rayon solaire, provo- d’observation de 5 mois de chacun des champs ne permettra
querait une extinction photométrique d’environ 0.01%. cependant de détecter que des objets à courte période,
Pour espérer détecter de tels objets, il faut donc un instrument (quelques jours à 2 mois). Les missions Eddington (ESA) et
avec une précision photométrique meilleure que l’amplitude Kepler (NASA) devraient permettre d’observer vers 2010 des
attendue de la baisse de flux de l’étoile. Ainsi, il est possible de objets à plus longue période

toutes été détectées par des méthodes indirectes en observant tion, adaptation du contenu informationnel vers un système
leur étoile centrale. Cependant on peut trouver plusieurs plus performant.
modèles d’atmosphères dans la littérature. Tout l’enjeu des Partant de ces seuls critères, la recherche de vie dans
futures observations directes est de valider ces modèles. l’univers peut s’identifier à celle du Graal et semble a priori
Quelques bribes d’information ont pu être cependant collec- complètement inaccessible. En particulier, il semble diffi-
tées en observant le spectre d’un objet (HD 209458) qui pos- cile de traduire ces critères en termes d’observables.
sède une planète que l’on peut voir transiter devant l’étoile Compte tenu de la distance qui nous sépare des plus proches
depuis la Terre. Par spectroscopie différentielle avant et pen- systèmes potentiels (quelques années-lumière à quelques
dant le transit, on peut en déduire quelques informations sur dizaines d’années-lumière), il paraît inenvisageable d’espé-
la composition de l’atmosphère du compagnon. rer une recherche in situ d’ici quelques dizaines d’années.
La situation est moins désespérée si on considère que le
A la recherche des planètes habitables et nécessaire support de l’information que contiennent ces
des planètes habitées êtres vivants est constitué de molécules organiques qui
réagissent en milieu aqueux. Nous ne détaillerons pas dans
Il existe actuellement un consensus dans la communauté cet article les raisons qui nous poussent à ce
des biologistes, chimistes, astrophysiciens, exobiolo- « chauvinisme » de la chimie du carbone en solution dans
gistes…. pour définir la vie par 3 caractéristiques. On dit l’eau mais elles sont nombreuses et justifiables. Si l’on sup-
qu’un système est vivant si : i) il est structuré (il contient de pose ainsi que l’on cherche une vie basée sur la chimie du
l’information au sens entropique du terme), ii) il est capable carbone en solution aqueuse, il apparaît immédiatement des
de se reproduire, iii) il est capable d’évoluer par modifica- contraintes fortes sur les caractéristiques de la planète sur

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Encadré 2
Observation directe des exoplanètes
L’observation directe d’une exoplanète est difficile car il s’agit planète des interférences constructives. En résumé, un tel ins-
d’observer un objet dans un système à 2 composantes (étoile + trument permet d’observer un objet faible, situé en dehors de
planète) alors que : l’axe optique où la transmission théorique est nulle.
– le contraste entre une étoile comme le Soleil et une planète L’instrument de Bracewell est à la base du concept de la mis-
comme la Terre est de 5 milliards dans le domaine du visible sion Darwin de l’ESA. Prévue pour 2015, Darwin est un inter-
(7 millions dans le domaine de l’infrarouge thermique) féromètre à plusieurs télescopes (3 à 6 selon les concepts) dont
– la distance angulaire entre les deux objets distants de l’objectif est de détecter directement des planètes extrasolaires
150 millions de km, le tout à 30 années-lumière de nous est de et d’en faire l’analyse spectrale dans la gamme 6-18 microns.
l’ordre de 0.1 seconde d’angle. La figure 4 montre une vue d’artiste de Darwin dans une ver-
Dans le domaine de l’infrarouge thermique (autour de sion à 6 télescopes. La figure 5 est une simulation numérique
10 microns), la résolution angulaire commence à poser une de ce que Darwin verrait s’il observait notre Système Solaire
sérieuse difficulté. En effet, il faudrait un télescope monoli- depuis le pôle Nord du Soleil à une distance de 30 années-
thique de 25 mètres de diamètre. Sachant que l’infrarouge lumière environ.
thermique traverse très mal l’atmosphère terrestre, il faut envi-
sager un instrument spatial si l’on veut observer dans l’en-
semble de la gamme 6-18 microns. Pour pallier cette difficulté,
un concept original à été proposé par Bracewell en 1978. Il
s’agit du coronographe interférométrique représenté sur la
figure 3.

Figure 4 - Vue d’artiste de la Mission Darwin, dans une configuration à


6 télescopes sur un cercle. Le satellite central est le laboratoire de recom-
binaison. Un huitième satellite, hors plan, permet la transmission de l’in-
formation vers la Terre et la métrologie de l’ensemble du réseau (d’après
l’étude ESA réalisée en 1998 par Alcatel Space Industries).

Figure 3 - Principe du coronographe interférométrique de Bracewell.

Considérons 2 télescopes T1 et T2, qui, individuellement et du fait


de la diffraction, ne résolvent pas le couple étoile-planète.
Pointons les 2 télescopes dans la direction exacte de l’étoile, et
superposons les faisceaux issus des 2 télescopes. Dans la direction
de l’étoile, le front d’onde arrive simultanément sur T1 et T2. Si on
recombine les 2 faisceaux, ils seront en phase et l’on réalisera des
interférences constructives. Si on rajoute un déphaseur de π
achromatique, dans l’un des bras de l’interféromètre (par exemple
le bras issu de T2), on recombinera les 2 télescopes en opposition Figure 5 - Simulation numérique des produits scientifiques de l’instru-
de phase, autrement dit les interférences seront destructives et l’on ment interférométrique en frange noire de Darwin. A gauche, carte du
éteindra tout ce qui provient de la direction de l’étoile (et en par- système solaire tel qu’il aurait pu être observé par Darwin le 1er janvier
2001 à 30 années-lumière du pôle nord du Soleil (centre de l’image). On
ticulier le flux de l’étoile). Dans la direction de la planète qui fait
distingue 3 objets qui sont Venus, la Terre et Mars. A droite, spectre de la
un angle θ par rapport à celle de l’étoile, on induit un retard de
Terre tel qu’observé par Darwin ; courbe en escalier, le spectre recons-
T1 par rapport à T2 égal à D.sin(θ) où D est la distance entre les truit après simulation de l’observation. En trait plein, le spectre réel de
2 télescopes. Si on adapte D (déplacement des télescopes), on peut la Terre, ramené à la résolution de l’instrument, en trait interrompus, le
s’arranger, pour qu’à une longueur d’onde moyenne, la différence spectre d’un corps noir à 300 K. Cette figure montre clairement que
de marche D.sin(θ) compense le déphasage de π introduit dans Darwin/TPF permettra de mettre en évidence des planètes comparables
le bras qui contient T2. On réalise alors, dans la direction de la à la Terre.

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Comment je vois le monde

laquelle une telle vie peut exister : i) la planète doit avoir une L’étude de l’atmosphère des exoplanètes telluriques ne
surface solide (ou liquide), mais ne doit pas être géante peut se faire qu’après détection directe d’un de ces objets.
gazeuse. On a alors affaire à des planètes dont les dimen- Cette détection est doublement difficile car la planète est
sions sont comparables à celles de la Terre, et nous parlerons située à proximité immédiate de son étoile centrale dans le
de planètes telluriques, ii) la planète doit avoir une tempéra- champ de vue de l’instrument, et le contraste de luminosité
ture de surface telle que de l’eau liquide (le solvant de la chi- entre les deux objets est important (typiquement 7.106 à la
mie) puisse exister durant tout ou une partie de son année. longueur d’onde d’observation de 10 microns). A titre de
Cette caractéristique se traduit par une contrainte en distance comparaison, chercher à distinguer une planète comme la
de l’étoile à sa planète centrale, en faisant l’hypothèse clas- Terre autour d’une étoile proche (à environ 30 années-
sique d’un objet en équilibre radiatif avec son environne- lumière) revient à chercher à observer un ver luisant situé à
ment. On dit que la planète doit se situer dans la zone d’ha- 30 cm d’un phare de marine, situé à Marseille, alors que
bitabilité de l’étoile. Pour notre système solaire, la zone l’observateur se trouve à … Paris.
d’habitabilité s’étend entre 95 % et 120 % environ de la dis- De toutes les méthodes d’observation directe, c’est l’in-
tance Terre-Soleil. Cette notion de zone habitable est parti- terférométrie en frange noire (coronographie interféren-
culièrement délicate car la composition chimique même de tielle) depuis l’espace qui semble, (avec dans une moindre
l’atmosphère de la planète peut jouer un rôle. En particulier, mesure la coronographie directe dans le domaine du
une planète dont l’atmosphère est riche en gaz à effet de visible), la technique la mieux adaptée à la détection et
serre pourra être habitable au sens « présence d’eau liquide à l’analyse spectroscopiques des planètes telluriques (cf.
sa surface » mais être située au-delà de la limite classique de encadré 2). En permettant d’obtenir des spectres d’exopla-
la zone habitable. Nous reviendrons sur ce point par la suite. nètes dans le domaine 6-18 microns (domaine des signa-
Il apparaît donc que la première étape de toute recherche tures spectrales de la plupart des gaz atmosphériques), la
commence par l’identification de planètes de petite dimen- mission Darwin de l’ESA devrait permettre dès 2015 d’ob-
sion, des planètes telluriques. De toutes les méthodes server quelques centaines d’étoiles, d’y identifier la pré-
actuellement en développement ou en fonctionnement pour sence des toutes les planètes géantes comme telluriques et
rechercher les planètes extrasolaires, peu ont le potentiel de d’en obtenir le spectre. Il sera ainsi possible de mettre en
détecter des planètes telluriques en grande quantité : i) les évidence la nature des atmosphères, oxydantes ou réduc-
précisions actuelles et ultimes des méthodes de vélocimétrie trices, en cherchant à mettre en évidence, des gaz en grande
radiale limitent la technique à la recherche d’objets d’envi- quantité comme CO2, CH4, H2O, SO2, NO2, NH3… Des
ron une dizaine de masses terrestres (à la distance de la travaux actuellement menés sur la pertinence de différents
Terre), ii) les méthodes astrométriques n’ont pas la préci- bio-marqueurs semblent montrer que la triple détection dans
sion requise dans la zone d’habitabilité, iii) les méthodes par l’atmosphère de la planète de CO2, H2O, et O3, l’ozone (issu
effet de lentille gravitationnelle sont très aléatoires. de la photochimie de l’oxygène dans l’atmosphère) est un
Seules les méthodes de recherche de planètes, par l’ob- critère robuste de présence d’activité biologique à la surface
servation de transits depuis l’espace, ou par détection de la planète. Dans l’état actuel des connaissances, aucun
directe en infrarouge semblent en mesure de détecter des mécanisme physico-chimique ne permet de reproduire cette
planètes telluriques en grande quantité. triple signature dans un certain domaine de conditions de
La méthode de détection par observation des transits température et de pression sans faire intervenir un phéno-
devrait être mise en œuvre dès 2006 dans le cadre de la mis- mène biologique. Quoi qu’il en soit, la détection de cette
sion COROT du CNES, puis vers 2010, avec Eddington de triple signature ne constituera pas immédiatement la preuve
l’ESA et Kepler de la NASA (cf. encadré 1). Ces missions absolue de l’existence de vie à la surface de l’objet. L’his-
permettront de connaître la fréquence des planètes tellu- toire des sciences et en particulier de la toute jeune « exo-
riques, leur distribution en taille, en distance à l’étoile, tout planétologie » nous a montré, il y a peu, avec la découverte
comme les programmes de mesure des vitesses radiales per- des jupiters chauds auxquels pratiquement personne ne s’at-
mettent de le faire pour les planètes géantes. tendait, qu’il faut se préparer à l’inattendu.

Pour en savoir plus


MAYOR (M.), FREI (P.-Y.), « Les nouveaux mondes du cosmos, A la découverte des exoplanètes », Editions du Seuil, Paris,
2001.
SELSIS (F.), LÉGER (A.) et OLLIVIER (M.), dans « les Traces du Vivant », Presses Universitaires de Bordeaux, 2003.

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