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j Au plus fort du
conflit, l'armée
française. contingent
compris, comptera près
de 400 000 hommes
sur le théâtre
d'opérations algérien.
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L'Algérie, une
juxtaposition de territoires peuplés de tribus hétérogè-
nes (Arabes, Kabyles, Chaoi lias, Touareg...) et de con-
trées inhabitées. Ce sont les colonisateurs qui, après les
dures guerres de conquête menées jusqu'en 1870, des-
création française sinent des frontières, tracent des routes, bâtissent des
villes et créent des institutions, conférant une unité à
ir 4 Algérie heureuse» : dans la mémoire des Français un espace organisé en trois départements français.
nés « /à-bas», l'expression évoque un art de vivre, A côté des « indigènes » (mot d'époque), l'Algérie de-
des couleurs, des odeurs et des saveurs dont le vient une colonie de peuplement. Aux habitants venus
souvenir, un demi-siècle après, les hante encore. de métropole s'ajoutent des Espagnols, des Italiens ou
Mais de quand dater cette Algérie heureuse ? D'avant des Maltais qui, au fil du temps, acquièrent la nationa-
1954, année de l'insurrection déclenchée par le FLN ? lité française. Français, les Juifs d'Algérie, eux, le sont
D'avant la Seconde Guerre mondiale quand, dans la fou- depuis 1870. Tous ceux-là, qu'on appelle les Euro-
lée du centenaire du débarquement français en Algérie péens, constituent une communauté originale, nourrie
(1930) et de l'Exposition coloniale (1931), l'idée d'« Em- par les idéaux de la République : patriotisme, ins-
pire » faisait rêver les Français ? truction publique, morale civique, promotion sociale.
Historiquement, l'Algérie est une création de la Les colons proprement dits, parmi eux, ne sont qu'une
France. Au début du XIXe siècle, le pays n'est qu'une poignée : moins de 20 000 vers 1950. La plupart ...
54 • LE FIGARO MAGAZINE - 10 MARS 2012
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politique. Aussi apparaît-il, à côté d'un authentique guerre pour qu'un immense 31 octobre, le FLN a annoncé son intention de
loyalisme indigène nourri par la fraternité des batailles effort soit accompli pour parvenir à l'indépendance «par tous les muons».
de 1914-1918 et de 1943-1945, un courant autonomiste ..,,,tendre à l'égalité des droits Les attentats s'enchaînent alors. Le 20 août
qui se transforme bientôt en courant indépendantiste. g entre tous les habitants du 1955, à El-Halia, dans le Constantinois, 71 civils euro-
Le 8 mai 1945, à Sétif, une émeute aboutit à l'assassinat Êterritoire. Des réformes qui
péens sont massacrés. De 1955 à 1957, on passe de
g interviendront trop tard.
d'une vingtaine d'Européens, drame qui provoque 5 Européens tués à50 par mois. De la part des indépen-
une impitoyable répression. dantistes, cette stratégie vise à creuser le fossé entre les
Vers 1950, deux populations coexistent en Algérie. communautés. Mais les rebelles exercent également la
D'un côté 900 000 Européens, citadins en majorité, terreur sur leurs frères musulmans : notables, caïds,
jouissant de tous les droits de la nationalité et de la ci- anciens combattants ou gardes champêtres sont les
toyenneté. De l'autre 8 millions de musulmans, majo- premières cibles, victimes d'abominables sévices (mu-
ritairement ruraux, et souffrant du sous-équipement tilations faciales, émasculations, égorgements, éviscé-
hors des trois grandes villes, Alger, Oran et Constan- rations). En 1956, une moyenne de 16 musulmans pro-
tine. français sont assassinés chaque jour. En ville, le FLN
« L'assimilation de l'Algérie à la France avait déjà échoué en pratique le terrorisme aveugle, posant des bombes
1954, avant même le déclenchement de l'insutrection », estime dans les cafés, les stades, les autobus ou les cinémas. Le
Guy Pervillé, un spécialiste de l'Algérie coloniale (1). 30 septembre 1956, à Alger, on relève 60 blessés ; le
L'Algérie heureuse ? La formule est donc vraie, mais 10 février 1957, 9 morts et 45 blessés ; le 3 juin 1957,
ne traduit pas la fragilité de la situation. 8 morts et 90 blessés...
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Mon pays, la France. a perdu 26 000 tués et 10 000 prisonniers.
Avec 60 000 hommes dans
Cette indéniable réussite est aujourd'hui occultée.
les unités régulières
et 150 000 supplétifs, les
Christophe Dutrône, un historien qui vient de lui
Une guerre gagnée combattants musulmans
consacrer un livre, observe néanmoins que « la vic-
par l'armée française étaient cinq fois plus toire militaire acquise sur le terrain n'aurait pu être pérenni-
C
nombreux dans l'armée sée qu'en allant jusqu'au bout de la logique d'intégration
'est seulement le 5 octobre 1999 que le Par- française que dans les amorcée en 1958 (2) » . Le vrai tournant de la guerre
lement français a rétroactivement re- troupes de l'ALN. d'Algérie sera donc politique.
connu l'existence d'un « état de guerre » en
Algérie de 1954 à 1962. Une mesure qui a
pris en compte la réalité : ce conflit, tous bords con-
fondus, a provoqué environ 300 000 victimes
militaires ou civiles.
A leurs débuts, le FLN et sa branche militaire, l'Ar-
mée de libération nationale (ALN), représentent
quelques centaines d'hommes, sans prise sur la po-
pulation. En 1956, l'extension de la rébellion conduit « Je vous ai compris ».
Guy Mollet à faire appel au contingent. Afin de ré- Le 4 juin 1958, de Gaulle est
pondre à la stratégie indépendantiste visant à sépa- ovationné à Alger. Un
rer les communautés, la doctrine politique et mili- malentendu qui exacerbera la
taire de la IV' République, a contrario, obéit à deux violence finale du drame.
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principes : intégration et pacification. La dimension
civile et la dimension militaire de ces deux objectifs
étant intimement liées, l'armée se trouve chargée par w.
le gouvernement de la République de missions qui,
en métropole, relèvent de l'autorité civile.
L'indépendance : un choix
Pour les militaires, les opérations dans les départe- politique de De Gaulle
ments algériens font suite à la guerre d'Indochine. , eorgette Elgey, auteur d'une Histoire de la
Elément capital. D'une part, parce que les officiers ne IF République, déplore de voir certains jeunes
veulent pas subir une nouvelle défaite. D'autre part, chercheurs se demander pourquoi, après la
parce qu'ils vont appliquer en Afrique du Nord des « Toussaint rouge », Pierre Mendès France,
recettes expérimentées au Tonkin ou en Annam, en le président du Conseil, n'avait pas parlé de « guerre
tentant de mettre les autochtones de leur côté. Dans d'Algérie». L'historienne dénonce cet anachronisme : en
le djebel, pendant que les unités d'élite, légionnaires 1954, personne, en France, n'avait idée qu'une guerre
et parachutistes, traquent les maquisards, la troupe commençait sur le territoire national. Car pour tous, de
quadrille le pays. De leur côté, les Sections adminis- la gauche à la droite, l'appartenance de l'Algérie à la
tratives spéciales (SAS) organisent l'autodéfense des France relevait de l'évidence.
musulmans contre les terroristes, et édifient des éco- Après le déclenchement de l'insurrection, le radical
les et des dispensaires là où l'incurie administrative Pierre Mendès France tient en effet un discours très
avait délaissé la population rurale indigène. ferme : « On ne transige pas lorsqu'il s'agit de défendre la paie
En octobre 1956, un détournement d'avion couvert intérieure de la nation, l'unité, l'intégrité de la République : les
par le gouvernement permet l'arrestation des chefs départements d'Algérie constituent une partie de la République
extérieurs du FLN. L'organisation terroriste urbaine française. » Un point de vue corroboré par le ministre de
des indépendantistes est anéantie, en 1957, lors de la l'Intérieur, un certain François Mitterrand, qui rap-
bataille d'Alger. A partir de 1957, la construction pelle que « l'Algérie, c'est la France ».
d'une ligne fortifiée le long de la frontière entre l'Al- Jusqu'en 1958, même à gauche, ceux qui songent à
gérie et la Tunisie isole de leurs bases les bandes de l'indépendance sont très minoritaires. Comment en
l'ALN. Privées d'armes et de renforts, celles-ci sont serait-il autrement, dès lors que la IV' République ...