Actes de la recherche en

sciences sociales

Entretien avec Erving Goffman

Yves Winkin

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Winkin Yves. Entretien avec Erving Goffman. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 54, septembre 1984. Le
savoir-voir. pp. 85-87;

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1984_num_54_1_2228

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ÉLÉMENTS POUR
UNE HISTOIRE SOCIALE
DES SCIENCES SOCIALES AMÉRICAINES :
UNE CHRONIQUE
ENTRETIEN
AVEC ERVING GOFFMAN
publication
d'une
L'entretien
sans enregistreur
étude asur
mais
étélaréalisé
sociologie
:lale collecte
but
le 23deaméricaine
avril
l'entrevue
d'informations,
1980, àdes
n'était
Philadelphie,
années
enpasvue
50.
la
Erving Goffman a toujours refusé les entretiens
journalistiques et n'avait accepté de discuter de sa
carrière et de son oeuvre avec moi qu'à la condition
qu'aucune citation ne soit extraite de la discussion et
publiée (1). Le texte qu'on va lire est un document
brut, d'abord rédigé en anglais, à partir de notes
prises au vol lors de l'entretien. Pour respecter le voeu
de Goffman, aucune reconstruction stylistique n'a été
opérée en vue de la présente publication, de manière
à limiter la possibilité d'extraits décontextualisés.
L'entretien porte d'abord sur ses années de formation
à Toronto, où un de ses professeurs est
l'anthropologue Ray Birdwhistell, créateur de la «kinésique»,
l'étude de la communication par le corps et le geste.
Goffman démarre tout de suite en disant qu'il est très
difficile 25 ans plus tard de comprendre à quel point
Birdwhistell était novateur à l'époque, à Toronto.
Birdwhistell expliquait et démontrait physiquement
comment quelqu'un tient une cigarette de manière
«populaire» ou «bourgeoise». Pour Goffman, cela a
signifié qu'un ensemble tout à fait nouveau de
comportements pouvait être analysé d'un point de
vue social. Birdwhistell insérait ses données
d'observation dans la tradition dite «culture et personnalité» et
dans les théories de Warner. Mais là n'était pas son
1— Sous la pression de Y American Sociological Association, qui
venait de l'élire président, il a accepté de rencontrer en 1980 le
journaliste anglais Peter David, du Times Higher Education
Supplement ( The Reluctant Self-Presentation of Erving
Goffman , THES, 19.9.1980, p. 7). L'entretien a été rendu
non sous la forme d'un dialogue mais d'un compte rendu, où
n'apparaissent que de très brèves citations verbatim. Peter
David explique très finement l'attitude de Goffman à cet
égard «II serait tentant de minimiser l'aversion de Goffman
pour la publicité en la considérant comme une idiosyncrasie
:
inexplicable, ancrée dans une timidité chronique ou dans une
sorte d'arrogance à l'envers. Cependant, Goffman n'est pas un
homme ostensiblement timide et sa sociologie n'est pas timide
non plus (...) Et il n'est pas non plus un homme arrogant. Dans
la conversation, Goffman apparaît sincèrement réservé, non
sur le plan affectif parce qu'il croirait que la modestie est
particulièrement vertueuse, mais sur le plan intellectuel, parce
qu'il ne se considère pas —lui, avec sa personnalité et ses
émotions de personne privée— comme une explication
applicable à sa sociologie. Il voudrait que ses publications parlent et
soient jugées pour elles-mêmes. Elles contiennent la meilleure
et la plus claire des présentations de ses idées. Si elles n'y
réussissent pas, leur échec ne pourra être atténué par aucune
parole prononcée ultérieurement et conservée sans rigueur
(sous la forme d'un entretien publié)».
Notes et esquisses 85
importance. Ce qui importe, c'est qu'il ait défriché le
terrain. A côté de ses observations, il n'y a rien dans
l'article de Mauss. Et on ne peut pas le critiquer pour
s'être inspiré de Warner ; à l'époque, vers 1945-50,
l'analyse de Warner était très innovatrice. Quand
Birdwhistell a publié ses travaux en 1970, la créativité
était perdue. Mais c'est seulement alors que la socio-
linguistique a commencé à légitimer ses travaux,
réalisés 25 ans avant. «Mon ami (Paul) Ekman le
critique mais il ne le comprend pas. Mon jury de thèse
ne le comprenait pas non plus et j'ai eu un mal fou à
leur expliquer ces histoires (de comportement) qu'ils
ne comprenaient qu'en termes de relations sociales».
La kinésique va trop loin en linguistique.
Birdwhistell s'est intéressé un moment à l'éthologie
(c'aurait peut-être été une meilleure direction de
recherche). Il aurait dû seulement ne prendre que la
méthode linguistique. Mais il voulait réellement créer
une linguistique corporelle. (Or) le corps n'est pas
créatif, génératif comme le langage. On ne peut dire
qu'il est un langage. Aujourd'hui Birdwhistell a fait
marche arrière et s'est replié sur une réflexion
méthodologique.
L'entretien débouche ainsi, par une transition non
conservée dans mes notes, sur la carrière de Birdwhistell,
de Margaret Mead, de Bateson.
La carrière de Birdwhistell doit être comparée à celle
de Bateson. Quand il est arrivé aux Etats-Unis, Bateson
n'a pu trouver de travail. Il était un bon anthropologue
(Naven est vraiment un bon livre) mais il n'a pas été
accepté comme tel. Il a dû aller là où est l'argent,
c'est-à-dire en psychiatrie et ses domaines annexes.
Même chose pour Birdwhistell. Bien qu'il vienne du
lieu le plus pleinement légitimant, l'université de
Chicago, il n'a pas été accepté comme anthropologue
par ses pairs (Sol Tax, John Murray) et il a dû se
tourner vers des audiences de travailleurs sociaux, en
compensant par des analyses très techniques. Il lui a
toujours manqué une audience critique d'étudiants
préparant des doctorats. Il en est venu à devoir plaire
à un public, et non à ses collègues. Et il est resté à la
périphérie. Margaret Mead a eu la même carrière. Entre
le moment de la publication de ses travaux solides et
le moment où elle a été acceptée par l'Université,
deux générations se sont écoulées. Bateson est
maintenant lui aussi reconnu mais, comme Mead, deux
générations après son travail anthropologique. Dans
les trois cas, il s'est constitué une alliance des grands-
parents et des petits-enfants contre les enfants.
Aujourd'hui, la communication non verbale
s'est considérablement étendue mais ce n'est du
travail légitime que pour quelques psychologues
sociaux. Birdwhistell n'est donc pas reconnu comme
le doyen de la discipline. Il n'est reconnu comme tel
que par une poignée de gens. Il a été protégé tout au
long de sa carrière par quelques personnes
publiquement puissantes, qui savaient comment obtenir de
l'argent, comme Margaret Mead, mais qui étaient
elles-mêmes à la périphérie de leur discipline et
devaient se frotter à d'autres champs pour être
écoutées. Aujourd'hui encore, même s'il a pu se
stabiliser en obtenant un poste à (l'université de)
Pennsylvania, Birdwhistell est hors de son champ,
puisqu'il est en communication (à l'école Annenberg).
Le département d'anthropologie ne l'a jamais invité
à devenir professeur associé chez eux ou quoi que ce
soit. Le groupe de référence reste fait de psychiatres
et de travailleurs sociaux.
86 frotes et esquisses
J'objecte que Bird whis tell a fait partie, comme
Goffman, du groupe des participants aux prestigieuses
conférences Macy sur les processus de groupe, qui se
sont tenues à Princeton de 1954 à 1958.
Pour Goffman, faire partie des conférences Macy ne
signifie pas qu'on est dans le système. Les gens qui
vont à des conférences interdisciplinaires comme les
conférences Macy ou à des conférences de sémiotique
comme celle de 1962 (2) sont des chiens errants qui
ont des problèmes de légitimité dans leur propre
discipline. Ce sont des déviants, des cowboys, des
freaks, comme Bateson et Mead, qui doivent parler
à des personnes n'appartenant pas à leur propre
discipline afin d'obtenir un certain respect. Birdwhistell a
toujours été considéré comme un charlatan parce qu'il
ne parlait pas à ses collègues mais à divers publics.
«Essayez de repérer une note sub-paginale sur son
travail dans les revues de linguistique et
d'anthropologie ; (il n'en existe pas). Prenez par comparaison les
articles de Schegloff sur l'analyse conversationnelle.
Il n'y a pas un papier sur ce sujet qui ne se réfère à ses
travaux. Schegloff est établi dans le champ. A cet égard,
j'ai toujours été très conventionnel. J'ai toujours
occupé des postes situés dans le courant central de la
discipline» .
Après quelques remarques sur l'importance de la
psychanalyse dans les sciences humaines des années 50,
la discussion débouche sur l'attitude de Goffman à
l'égard de la notion de «communication».
Goffman reconnaît avoir fait allusion à Birdwhistell
dans la préface de Strategic Interaction lorsqu'il s'en
prend aux chercheurs qui font une équation entre
«communication» et «comportement social» (3).
Parler du vêtement comme d'un langage ou du
langage vestimentaire relève du discours journalistique :
le vêtement n'est pas génératif (contrairement au
langage) . Goffman estime que «communication» au
sens large embrouille les problèmes et lui préfère
«comportement d'exposition» (display behavior).
Mais même display est embrouillé parce que les
éthologistes semblent parfois l'utiliser comme un
synonyme d'«expression», alors qu'ils devraient le
limiter à un sens technique.
Pour Goffman, le débat sur Pintentionnalité
est du bavardage académique. Même quand nous
parlons, nous ne sommes pas intentionnels, ou du
moins rarement. Quand on montre une intention,
2— Goffman fait allusion au colloque organisé par Thomas
Sebeok en 1962 à Indiana University (cf. Th. Sebeok, A. Hayes
et M.-C Bateson, eds., Approaches to Semiotics, La Haye,
Mouton, 1964).
3— Dans cette préface, Goffman écrit «(...) Ce concept
(communication) a été une des notions les plus prometteuses
:
des sciences sociales. Au cours des quinze dernières années,
chaque génération de chercheurs l'a appliquée à de nouveaux
domaines avec de nouveaux espoirs. Mais si la communication
a souvent été offerte comme une panacée universelle, elle a
rarement présenté de résultats. Ce à quoi le terme s'applique
de manière centrale et évidente —les canaux socialement
organis'és de transmission de l'information— a reçu très peu
d'attention ethnographique systématique. Et la découverte
selon laquelle la communication pourrait être utilisée dans un
sens large pour couvrir le phénomène de l'interaction en face à
face s'est révélée presque désastreuse : la communication entre
deux personnes en présence est effectivement une forme
d'interaction ou de conduite en face à face, mais celle-ci n'est
jamais seulement et pas toujours une forme de communication»
{Strategic Interaction, Philadelphia, University of Pennsylvania
Press, 1969, p. ix).
c'est qu'on veut montrer autre chose : on est alors
mal-intentionné.
L'entretien revient sur des points d'histoire de la
sociologie américaine, particulièrement sur l'origine
de r«interactionnisme symbolique»,
Goffman insiste sur l'idée qu'il n'y a pas d'«interac-
tionnisme symbolique». Les étudiants formés par
Hughes, Warner, Blumer, etc. se considéraient comme
des sociologues des professions ou des relations dans
l'industrie (occupational or industrial sociologists).
Ils ont été appelés «interactionnistes symboliques»
par «des gens comme vous» (Goffman s'adresse à
moi avec un peu d'irritation dans la voix).«L'interac-
tionnisme symbolique» n'a pas de réalité ; c'est
seulement une étiquette (label) qui a réussi à s'imposer.
«Des gens comme vous» créent un mouvement là
où il n'y a que des individus. C'est comme Gouldner
avec son Corning Crisis (4). Il était à mille lieues de la
vérité : aussi longtemps que vous ne vivrez pas
l'histoire de l'intérieur, vous ne pourrez que vous tromper.
Il y aura toujours des gens pour rire de votre travail
parce qu'ils auront connu de l'intérieur comment ça
s'est passé réellement. Et de toute façon, dans dix ans,
tout cela sera oublié. «Ce que vous faites, donc, ce
n'est pas de l'histoire intellectuelle, c'est du tri
intellectuel (intellectual pigeonholing)». (J'essaie
d'expliquer à Goffman que je dois, dans un premier
temps, classer une masse de données très disparates en
utilisant des expressions commodes comme «interac-
tionnisme symbolique»). Il me répond que je ferais
mieux dans ce cas d'écrire un papier sur le phénomène
de l'étiquetage sociologique. Il me donne l'exemple
de la «sociologie de la déviance» : le mot deviant a
remplacé des termes comme drug-addict qui sont
tombés en désuétude. Avec l'ethnométhodologie, c'est
encore une autre histoire, parce que le groupe autour
de Garfinkel (Sacks, Schegloff, Sudnow, etc.) était
décidé à aller de l'avant sans dénomination particulière.
Le terme «ethnométhodologie» a été créé plus tard
(«et ne croyez pas Garfinkel quand il raconte
comment il a créé le mot — c'est de la foutaise !»).
L'expression «interactionnisme symbolique», elle, a
lancé un mouvement, une école, un journal, etc. C'est
juste l'inverse.
On en vient ainsi aux étiquettes sous lesquelles on a
essayé de le situer.
«J'ai été formé par Hughes et Presentation of Self est
réellement de la psychologie sociale structurale à la
Hughes. Mes amis de Chicago et moi, nous avons
formé une sorte de groupe solidaire. J'étais ainsi
très proche de Fred Davis, par exemple. On les a tous
appelés des 'interactionnistes symboliques'. Je
suppose donc que j'appartiens à 1'' interactionnisme
symbolique ' — mais rappelez-vous, ce n'est qu'une
étiquette !».
Je lui dis qu'il a souvent été décrit comme un homme
seul dans le monde universitaire ; or, il a fait allusion
à un groupe d'entraide.
Goffman m'explique qu'au cours des années 50 un
grand combat s'est déroulé entre la sociologie de
terrain (fieldwork sociology) et la sociologie «dure»
(quantitative). Les seuls sociologues qui obtenaient
des postes étaient les «durs» de Harvard, Columbia et
4— Alvin Gouldner, The Corning Crisis of Western Sociology,
New York, Basic Books, 1970.

Chicago, tendance survey. Les sociologues de terrain,
notamment ceux de Chicago regroupés autour de
Hughes, se sont retrouvés exclus du marché du travail.
Hughes n'avait aucun pouvoir ; il est resté professeur-
assistant pendant dix ans. «J'ai obtenu à Berkeley le
seul poste disponible sur le marché de l'époque en
sociologie douce. C'était comme engager un Noir ou
une femme aujourd'hui. J'étais donc central en
sociologie douce et très périphérique vis-à-vis des
forces dominantes de la sociologie. Plus tard, lorsque
le champ s'est adouci, les sociologues doux ont été
acceptésen des positions centrales (Et vous êtes devenu
doublement central ? — «Oui, c'est ça»). Mais pendant
plusieurs années, ce fut très dur pour ces sociologues.
Meltzer, le meilleur des étudiants de Hughes, est
resté plusieurs années répétiteur dans un petit collège ;
il a dû se lancer dans l'édition de manuels (readers),
etc. Goffman n'avait pas d'enfant à l'époque. Son
père l'a aidé financièrement jusqu'à l'âge de trente ans.
Mais ses collègues, qui venaient non d'un milieu
middle class comme lui mais plutôt du groupe upper
lower class, avaient besoin de s'autofinancer, soit
avec une bourse, soit avec un boulot. Ils ont donc
pris n'importe quoi n'importe où. Goffman a pu se
permettre de rester à Chicago comme chercheur
(après son doctorat), puis de partir au National
Institute of Mental Health pour trois ans de recherche
pure. Il a alors obtenu le meilleur poste disponible,
Berkeley. Lui et ses collègues étaient dans la discipline
(au contraire de Birdwhistell qui était hors de la
sienne) mais hors de la base du pouvoir, qui était à
Harvard et à Columbia. Ils étaient acceptés dans les
revues scientifiques, ils pouvaient enseigner (ils
utilisaient des matériaux provenant des recherches
de Hughes sur les professions) mais ils n'avaient pas
d'argent, pas de gros colloques, pas de postes de pointe.
Ce n'est qu'au moment où le système de l'université
de Californie s'est ouvert que tous ses amis ont pu se
ruer sur de bons boulots, en tantqu'«interactionnistes
symboliques». Aujourd'hui, Goffman organise des
colloques avec des subventions de la Fondation
Wenner-Gren (implicitement dit, il est au pouvoir).
L'entretien se poursuivra sur le rôle de Hughes comme
mentor, sur ses lectures à Chicago, sur son travail au
National Institute of Mental Health. Tandis que nous
parlons, installés dans des fauteuils de jardin sur la
terrasse, le soleil commence à me frapper le visage
chaque fois que je lève les yeux vers lui, entre deux
notes jetées sur le papier. Il me propose de prendre sa
place. Je refuse poliment. Il insiste. Il rentre dans la
maison et revient avec un petit chapeau sans bord,
qu'il se visse sur le crâne. Nous changeons de place.
Le reste de l'entretien consistera alors pour moi à
tenter de réprimer un sourire incoercible devant le
spectacle, attendrissant de gentillesse, que m'offre
Erving Goffman, «Benjamin Franklin professor of
sociology »Jouant à cache-cache avec le soleil d'une
fin d'après-midi de printemps.
Yves Winkin
Notes et esquisses 87
LA FONDATION MACY
ET L'INTERDISCIPLINARITÉ
II faudra un jour écrire l'histoire de l'idée d'«inter-
disciplinarité» et décrire les discours, les lieux, les
institutions qui l'ontportée depuis plus de 30 ans, tant
aux États-Unis qu'en Europe. Il faudra rapporter cette
idée «généreuse» à la hiérarchie des légitimités
scientifiques en vigueur à une époque donnée et s'interroger
sur la pertinence de la remarque d 'Erving Goffman,
selon qui les colloques interdisciplinaires sont remplis
de conférenciers qui doivent s'adresser à des personnes
d'autres disciplines pour recevoir la reconnaissance
qu'ils n'obtiennent pas dans leur champ propre (1).
Cette remarque est une boutade, bien sûr, mais elle
n'en révèle pas moins une des dimensions possibles
de l'interdisciplinarité.
Si l'histoire des grandes fondations américaines
a été écrite (au moins partiellement) (2), il reste encore
à étudier l'impact sur l'évolution des sciences sociales
de fondations particulières comme la «Josiah Macy,
Jr. Foundation» ou la «Wenner-Gren Foundation
for Anthropological Research». Il faudra, entre autres
questions, dégager le rapport entre la politique de
financement de ces fondations et l'idée d'«interdisci-
plinarité». Dans cette perspective, on a choisi d'étudier
une opération explicitement interdisciplinaire de la
Fondation Macy, les conférences sur les «processus de
groupe» organisés à Princeton de 1954 à 1958 (3).
La famille Macy appartient à la grande
bourgeoisie marchande d'origine quaker dont les ancêtres
sont arrivés de Grande-Bretagne aux Etats-Unis au
19e siècle. D'abord armateurs, les Macy établissent
des liens avec la compagnie pétrolière Standard Oil
(New Jersey) à la fin du 19e. En 1930, une héritière
de la famille, Kate Macy Ladd, dote la fondation en
spécifiant que les revenus devront servir
principalement les sciences médicales mais que la biologie et les
sciences sociales pourront être admises en tant que
sciences auxiliaires. Sous la direction scientifique
d'un neurologue-psychiatre, Frank Fremont-Smith,
la Fondation Macy va organiser dans les années 40
et 50 un nombre important de cycles annuels de
conférences résidentielles. Dans leur principe, ces
conférences regroupent des représentants de diverses
disciplines autour d'un même thème, qui est étudié
plusieurs années de suite à travers des exposés et des
discussions entre participants (sans public
observateur) .
«La promotion d'une communication
pertinente entre disciplines scientifiques» est présentée,
au-delà de l'étude du thème particulier de chaque
cycle de conférences, comme le «but fondamental»
de ces réunions. Comme l'explique Frank Fremont-
Smith dans la préface qui ouvre chaque volume
d'actes, «le problème de la communication entre
disciplines, nous le ressentons comme un problème
très réel et très urgent, car l'avancement de la science
1 —Cf. dans ce même numéro, l'Entretien avec Erving Goffman.
2— Cf,, entre autres ouvrages, W, A. Nielsen, The Big
Foundations, New York, Columbia University Press, 1972.
3— Le mot «conférence» rend souvent assez inadéquatement
son homologue anglais conference. Mais dans le cas présent,
puisqu'il ne s'agit ni d'un colloque ni d'un congrès, le mot
«conférence», pris dans une acception proche de son sens
étymologique, rend bien l'idée de «réunion où des personnes
traitent un sujet en commun» (Petit Robert).