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Cette lumière intérieure est avant tout celle de la foi qui nous fait tenir
pour vraie la Révélation transmise par l’intermédiaire des prophètes
et des apôtres et qui constitue le fondement permanent de toute
connaissance surnaturelle de Dieu ici-bas..
La nature même de la foi comme participation à la science
divine fait qu’elle est toute tendue vers la pleine vision de Dieu. Elle
appelle donc, comme une réalisation imparfaite anticipée de cette
vision, les développements de l’intellectus fidei, spécialement sous sa
forme scientifique qu’est la théologie. Celle-ci, œuvre de la raison
humaine éclairée par la foi, vise à « inculturer » et enraciner la Vérité
divine dans l’intelligence humaine en procurant une connaissance
proprement scientifique de cet Objet sur-intelligible qu’est Dieu
tel qu’il se révèle à la foi. Pour cela, elle met en œuvre concepts,
définitions, énoncés, démonstrations, systématisations2. Au terme,
la synthèse théologique apparait comme « une certaine empreinte
de la science divine »3.
Dans ce processus dynamique de l’intellectus fidei, qui prend la
forme d’une montée mystique vers Dieu, la personne du croyant,
sous l’action de la grâce et plus spécialement des dons de l’Esprit,
s’actualise peu à peu comme imago Dei. Les missions invisibles du
Fils et de l’Esprit suscitent en effet en elle des actes de connaissance
aimante de Dieu qui l’assimilent à la Trinité4.
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divine (« SC 191 », p. 414-417) : « S’il arrive que la science humaine soit employée à
l’examen de la Parole sacrée, elle ne doit pas tirer à soi le magistère avec présomp-
tion, mais, comme une servante, seconder sa maîtresse avec la soumission de celle qui
sert, de crainte qu’à ne la devancer, elle ne s’égare, et qu’à suivre les enchaînements
des mots extérieurs, elle ne perde la lumière de la puissance intérieure et le droit
chemin de la vérité (Quae tamen artis humanae peritia, si quando tractandis sacris
eloquiis adhibetur, non debet ius magisterii sibimet arroganter arripere : sed velut
ancilla dominae quodam famulatus obsequio subvenire, ne si praecedit oberret, et
dum exteriorum verborum sequitur consequentias, intimae virtutis lumen et rectum
veritatis tramitem perdat) ».
6. Thomas d’Aquin, In Boet. De Trin., q. 2, a. 3 (p. 97-100). Cf. J.-P. Torrell,
« Philosophie et théologie d’après le Prologue de Thomas d’Aquin au ‘Super Boetium
de Trinitate’, Essai d’une lecture théologique », dans : J.-P. Torrell, Nouvelles recherches
thomasiennes, « Bibliothèque thomiste, 61 », Paris, 2008, p. 11-61.
7. Thomas d’Aquin, In Boet. De Trin., q. 2, a. 3 (p. 99) : « [Le théologien se sert
des arguments philosophiques] troisièmement pour s’opposer à ce qui est dit contre
la foi soit en montrant que c’est faux soit en montrant que ce n’est pas nécessaire
(Tertio ad resistendum his quae contra fidem dicuntur sive ostendendo ea esse falsa
sive ostendendo ea non esse necessaria). » Dans cette ligne, saint Thomas soutient,
par exemple, que les arguments d’Aristote en faveur de l’éternité du monde sont des
arguments seulement relatifs, « probables » et non nécessaires. Cf. Thomas d’Aquin,
Sum. theol., Ia, q. 46, a. 1.
8. Thomas d’Aquin, In Boet. De Trin., q. 2, a. 3 (p. 99) : « [Le théologien se sert
des arguments philosophiques] deuxièmement pour éclairer par certaines comparai-
sons les réalités de foi, comme Augustin dans le livre De la Trinité se sert de nombreuses
comparaisons tirées des doctrines philosophiques pour manifester la Trinité (Secundo
ad notificandum per aliquas similitudines ea quae sunt fidei, sicut Augustinus in
libro de Trinitate utitur multis similitudinibus ex doctrinis philosophicis sumptis ad
manifestandum Trinitatem). »
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12. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. theol., Ia, q. 2, a. 2, ad 1 : « L’existence de Dieu et
les autres choses de ce genre qui peuvent être connues sur Dieu par la raison naturelle,
comme il est dit en Rm 1, ne sont pas des articles de foi mais des préambules aux
articles (Deum esse, et alia huiusmodi quae per rationem naturalem nota possunt
esse de Deo, ut dicitur Rom. I non sunt articuli fidei, sed praeambula ad articulos) » ;
IIa-IIae, q. 2, a. 10, ad 2. Sur la notion de praeambula fidei, cf. G. De Broglie, « La
vraie notion thomiste des ‘praeambula fidei’ », Gregorianum 34 (1953), p. 341-389 ;
M. F. Sparrow, « Natural Knowledge of God and the Principles of ‘Sacra Doctrina’ »,
Angelicum 69 (1992), p. 471-491 ; J. F. Wippel, « Thomas Aquinas on Philosophy and
the Preambles of Faith », dans : The Science of Being…, p. 196-220 ; G.-M. Cottier,
« Le problème culturel de l’accès aux ‘praeambula fidei’ », Doctor communis (2014),
p. 161-169 ; E. Caballero Baza, « El concepto de praeambula fidei en la compren-
siòn del conocimiento natural de Dios », Lumen Veritatis 8 (2015), p. 183-199.
13. R. te Velde (Aquinas on God, The ‘Divine Science’ of the Summa Theologiae,
Aldershot, 2006, p. 28-30) définit le rôle de la philosophie en théologie à travers
le thème de la manuductio (le fait de conduire par la main, d’introduire) que saint
Thomas évoque effectivement en Sum. theol., Ia, q. 1, a. 5, ad 2. Selon te Velde, la
métaphysique donnerait une « détermination intelligible » au sujet de la Révélation,
c’est-à-dire à Dieu, dont traite la théologie. Mais, à mon sens, cette approche du
rôle de la métaphysique en théologie, pour juste qu’elle soit, ne va pas assez loin. La
métaphysique n’est pas un simple préliminaire mais un instrument permanent pour
l’explicitation de l’intelligibilité immanente à la Révélation qui est l’œuvre propre
de la théologie.
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14. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. theol., Ia, q. 2, pr. : « L’intention principale de la
doctrine sacrée est de transmettre la connaissance de Dieu non seulement selon ce
qu’il est en lui-même mais aussi selon qu’il est principe et fin des choses, spécialement
de la créature rationnelle (Quia igitur principalis intentio huius sacrae doctrinae est
Dei cognitionem tradere, et non solum secundum quod in se est, sed etiam secundum
quod est principium rerum et finis earum, et specialiter rationalis creaturae…). »
15. Cf., parmi bien d’autres références possibles, Grégoire de Nazianze,
Discours 38, 8 (« SC 358 », p. 118-119).
16. Thomas d’Aquin, Sum. theol., Ia, q. 2, prol. : « Consideratio autem de Deo
tripartita erit. Primo namque considerabimus ea quae ad essentiam divinam perti-
nent ; secundo, ea quae pertinent ad distinctionem personarum ; tertio, ea quae perti-
nent ad processum creaturarum ab ipso. » Cf. Thomas d’Aquin, De art. fidei, p. 1
(p. 245) : « Il faut considérer trois choses au sujet de la divinité, l’unité de l’essence
divine, la Trinité des personnes et les effets de la divine puissance (Sunt enim circa
divinitatem tria consideranda, scilicet unitas divinae essentiae, Trinitas personarum,
et effectus divinae virtutis) » ; Comp. theol., I, c. 2 (p. 84).
17. Cf. S.-T. Bonino, Dieu, créateur et providence (à paraître) ; G. Emery, La
théologie trinitaire de saint Thomas d’Aquin, Paris, 2004, p. 54-58.
18. L’utilisation de l’expression De Deo uno pour désigner les q. 2-26 semble
relativement récente. Les Salmanticenses préfèrent encore parler de De Deo ut uno, cf.
Cursus theologicus, Prooemium, § IV, n° 5 (p. 2a) : « Dieu lui-même en soi peut être pris
de deux manières, soit en tant qu’il est un, soit en tant qu’il est trine. Ce qui concerne
Dieu en tant qu’il est un précède ce qui le concerne en tant qu’il est trine. Aussi traite-
t-on de Dieu en tant qu’il est un avant de traiter de Dieu en tant qu’il est trine (Quia
vero ipse [Deus] secundum se potest bifarie sumi, vel ut est Unus, vel ut est Trinus :
et ea quae ad Deum ut Unum spectant, sunt priora iis, quae ad ipsum ut Trinum
pertinent ; idcirco prius de Deo ut Uno, quam de illo ut Trino sermo instituetur). »
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que commune veut que les questions 2-26 de la Prima pars relèvent
purement et simplement de la philosophie, comme si la distinction
entre le De Deo uno et le De Deo trino était d’ordre épistémologique
et correspondait à une distinction entre une approche philosophique
préliminaire de Dieu et une approche proprement théologique19.
Quatre arguments suffisent à réfuter cette interprétation.
Le premier se prend du Sitz im Leben de la Summa theologiae. Non
seulement Thomas d’Aquin est par profession Magister in sacra pagina
(Maître en sainte Écriture), mais, comme il le déclare solennellement
dans le Prologue de la Somme de théologie, il écrit cet ouvrage au titre
de « Docteur de la vérité catholique (Doctor catholicae veritatis) » et
s’adresse à des étudiants en théologie. On voit mal ce que viendrait
faire ce kyste philosophique préliminaire dans une œuvre qui se veut
de bout en bout théologique.
Deuxièmement, dans la structure d’un article de la Summa theo-
logiae, le sed contra n’a rien d’un motif décoratif mais il constitue un
19. Sur l’histoire du traité de Dieu en théologie catholique et les raisons qui ont
pu conduire à ne voir dans le De Deo uno qu’un traité de théologie philosophique,
cf. G. Colombo, « Per una storia del tratatto teologico di Dio », La Scuola cattolica
96 (1968), p. 203-227. Colombo signale avec raison que la distinction du De Deo
uno et du De Deo trino est de plus en plus comprise, à partir de la seconde scolas-
tique, comme une distinction fondée sur le mode de connaître (par la raison ou bien
par la seule foi). Ajoutons que certains thomistes modernes ont malheureusement
favorisé cette tendance. Par exemple, le dominicain Pedro de Godoy (xviie siècle)
explique que saint Thomas a eu raison de commencer par l’étude de Dieu ut unus
plutôt que par celle de Dieu ut trinus parce qu’en bonne logique il fallait aller du plus
connu au moins connu et que Dieu ut unus nous est mieux connu que Dieu ut trinus
du fait qu’il n’excède pas les capacités de la raison naturelle. Cf. Pedro de Godoy,
Disputationes theologicae in primam partem divi Thomae (t. 1, p. 2) : « La raison pour
laquelle on commence en théologie par Dieu en tant qu’un et non en tant que trine
[… est que…] la bonne logique de l’enseignement veut que nous commencions par
ce qui est le plus manifeste parmi les choses contenues dans l’objet premier. […]
Or Dieu en tant qu’un nous est davantage connu que Dieu en tant que trine, car
le premier n’excède pas la raison naturelle mais bien le second (Ratio autem cur a
Deo ut uno, non autem ut trino, exordium in theologia sumatur [… est quod…]
rectus ordo doctrinae postulat quod a manifestioribus nobis exordium sumamus
inter ea quae sub obiecto primario continentur […] ; sed Deus ut unus est nobis
magis notus, quam ut trinus, ; primum namque non excedit naturalem rationem ;
bene tamen secundum). » Pierre de Godoy ne prétend toutefois pas que le De Deo
uno soit une œuvre formellement philosophique. On trouve encore aujourd’hui une
idée similaire chez B. Mondin, Dizionario enciclopedico del pensiero di san Tommaso
d’Aquino, Bologne, 1991, p. 184. Trop souvent, on projette indûment sur le traité de
Dieu dans la Summa theologiae, la division à laquelle recourait saint Thomas dans la
Summa contra gentiles entre ce qui est accessible à la raison et ce qui ne relève que de
la foi. Saint Thomas ne répudie pas la validité de cette division, mais il n’en fait pas
le principe structurant de la Summa theologiae.
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20. Selon A. Patfoort (La Somme de saint Thomas et la logique du dessein de Dieu,
Saint-Maur, 1998, p. 44), 91 des sed contra des 138 articles qui composent les q. 2-26
invoquent une autorité de la tradition chrétienne.
21. Cf. E. zum Brunn, « La Métaphysique de l’Exode selon Thomas d’Aquin »,
dans : Dieu et l’Etre. Exégèse d’Exode 3, 14 et de Coran 20, 11-24, « Études
Augustiniennes, série Antiquité, 78 », Paris, 1978, p. 245-269 [p. 267]. Selon l’auteur,
saint Thomas évite toute ambiguïté « en mettant en tête de la Somme de théologie
[cf. Ia, q. 2, a. 3, sc] la parole Ego sum qui sum et en insistant sur le fait qu’elle est
révélée ex persona Dei ». Sur la présence de l’Ecriture, en l’occurence de saint Paul,
dans le De Deo uno, cf. M. Levering, Paul in the Summa Theologiae, Washington
D.C., 2014, p. 3-35.
22. On répertorie aussi dans les questions 2-26 six lieux où il est explicitement
question de Jésus-Christ.
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23. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. theol., Ia, q. 12, a. 13 : « Même si par la révéla-
tion de la grâce nous ne connaissons pas dans cette vie à propos de Dieu ce qu’il
est et, par suite, lui sommes unis comme à un inconnu, cependant nous le connais-
sons plus pleinement dans la mesure où nous sont manifestés des effets de Dieu plus
nombreux et plus excellents (Licet per revelationem gratiae in hac vita non cognos-
camus de Deo quid est, et sic ei quasi ignoto coniungamur ; tamen plenius ipsum
cognoscimus, inquantum plures et excellentiores effectus eius nobis demonstrantur) » ;
IIa-IIae, q. 178, a. 1 (à propos des miracles comme effets surnaturels conduisant à
la connaissance surnaturelle de Dieu) : « Il est naturel à l’homme de saisir la vérité
intelligible au moyen des effets sensibles. Aussi, de même que l’homme, conduit par
sa raison naturelle, peut parvenir à une certaine connaissance de Dieu par ses effets
naturels, de même, par certains effets surnaturels qu’on appelle miracles, il est conduit
à quelque connaissance surnaturelle des choses à croire. (Naturale enim est homini
ut veritatem intelligibilem per sensibiles effectus deprehendat. Unde sicut ductu
naturalis rationis homo pervenire potest in aliquam Dei notitiam per effectus naturales,
ita per aliquos supernaturales effectus, qui miracula dicuntur, in aliquam superna-
turalem cognitionem credendorum homo adducitur. Et ideo operatio miraculorum
pertinet ad gratiam gratis datam). » Cf. A.-R. Motte, « Théodicée et théologie chez
saint Thomas d’Aquin », RSPT 26 (1937), p. 5-26 ; E. Durand, « Du concours des
effets de nature et de grâce en sacra doctrina. Une clé pour l’équilibre d’une théologie
d’inspiration thomasienne », Nova et vetera 80 (2 005), p. 7-22.
24. Cf. Thomas d’Aquin, In Matth., c. 5, lect. 2 (n° 435) : « ‘Heureux les cœurs
purs’ peut s’entendre de la vision ici-bas : les saints dont le cœur est rempli de justice
voient en effet de manière plus excellente que les autres qui voient à partir des effets
corporels. En effet, plus les effets sont proches de Dieu, plus Dieu est connu grâce
à eux. Les saints qui possèdent la justice, la charité et les autres effets qui sont très
semblables à Dieu connaissent donc davantage que les autres. ‘Goûtez et voyez comme
est bon le Seigneur (Ps 34 [33], 9) (‘beati mundo corde’, potest intelligi de visione
viae : sancti enim qui habent cor repletum iustitia, vident excellentius quam alii qui
vident per effectus corporales : quanto enim effectus sunt propinquiores, tanto Deus
magis cognoscitur per illos. Unde sancti qui habent iustitiam, caritatem, et huiusmodi
effectus, qui sunt simillimi Deo, cognoscunt magis quam alii ; Ps. 33, 9 : ‘gustate, et
videte quoniam suavis est dominus’). »
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25. M.-R. Hoogland, God, Passion and Power.Thomas Aquinas on Christ Cruci-
fied and the Almightiness of God, « Publications of the Thomas Instituut te Utrecht,
NS 9 », Louvain, 2003, p. 219.
26. L’unicité de Dieu est un article de foi – credo in unum Deum -, non sous
l’aspect où elle est une vérité philosophiquement démontrable, mais en tant qu’elle
l’excède tout en l’incluant. Cf. Thomas d’Aquin, Comp. theol., I, c. 246 (p. 191) :
« Il y a un article qui concerne l’unité de la divinité. En effet, bien que la raison
démontre que Dieu est un, le fait qu’il préside immédiatement à toutes choses, ou
qu’il doive faire l’objet d’un culte exclusif, relève de la foi (Est igitur unus articulus
pertinens ad divinitatis unitatem : quamvis enim Deum esse unum ratione probetur,
tamen eum sic praeesse immediate omnibus, vel singulariter sic colendum, subiacet
fidei) » ; Sum. theol., IIa-IIae, q. 1, a. 8, ad 1 : « Nous tenons par la foi beaucoup de
choses sur Dieu que les philosophes n’ont pu découvrir par la raison naturelle, par
exemple sur sa providence et sa toute-puissance et qu’il doit seul recevoir un culte.
Tout cela est contenu sous l’article de l’unité de Dieu (Multa per fidem tenemus de
Deo quae naturali ratione investigare philosophi non potuerunt, puta circa provi-
dentiam eius et omnipotentiam, et quod ipse solus sit colendus. Quae omnia conti-
nentur sub articulo unitatis Dei). »
27. Cf. l’article équilibré de M. Hauke, « Le proprietà essenzali di Dio come
presupposto della dottrina trinitaria. Osservazioni critiche sulla manualistica
contemporanea », J. Morales et alii (ed.), Cristo y el Dios de los cristianos. Hacia una
comprensión actual de la teología. XVIII Simposio Internacional de Teología de
la Universidad de Navarra, Pampelune, 1998, p. 537-546. Plus problématique est
l’article de J. M. Galvan, « Il problema teologico degli attributi divini : considera-
zioni metodologiche (I) », Annales teologici 8 (1994), p. 285-313. L’auteur propose
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(il conduit selon eux à l’athéisme puisqu’ils confondent souvent le théisme avec le
déisme) mais dans la mise en valeur d’un monothéisme trinitaire, spécifiquement
chrétien. Cf. W. Kasper, Le Dieu des chrétiens…, p. 427 : « Face à l’athéisme, il s’agit
plutôt de remettre en valeur la confession trinitaire comme la forme chrétienne du
monothéisme. [… L’Eglise] considère même la doctrine trinitaire précisément comme la
seule forme possible et conséquente du monothéisme et comme la seule réponse valable à
l’athéisme moderne. »
30. K. Rahner « Dieu Trinité… », p. 29. Pour une approche critique de la
théologie trinitaire de Rahner, cf. E. Durand, « L’identité rahnérienne entre la Trinité
économique et la Trinité immanente à l’épreuve de ses applications », RT 103 (2003),
p. 75-92 ; J.-H. Nicolas, Synthèse dogmatique. De la Trinité à la Trinité, Fribourg –
Paris, 1985, p. 74-78.
31. La proposition de Rahner a été reprise et mise en œuvre par exemple par
W. Kasper, Le Dieu des chrétiens…, p. 221-234.
32. Cf. K. Rahner, « Dieu dans le Nouveau Testament. La signification du mot
‘Theos’ », « Ecrits théologiques, 1 », Paris, 1959, p. 11-111. Cf. la recension critique
de M.-V. Leroy dans RT 62 (1962), p. 279-283 ; J.-H. Nicolas, Synthèse dogma-
tique, De la Trinité…, p. 57-59. Dans la même ligne, Rahner pense que le Dieu de
la théologie naturelle est de quelque manière la personne du Père. Cf. K. Rahner,
« Dieu dans le Nouveau Testament… », p. 89-90 : « On peut toutefois dire que celui
qui est connu à partir de la réalité du monde est en fait le Père et non pas simplement
la Trinité prise de manière indistincte et confuse. Par la théologie naturelle, en effet,
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on n’atteint pas seulement une divinité mais un Dieu. On apprend que cette essence
ne peut être que subsistante, ne peut exister que douée d’une spontanéité absolue et
inconditionnée à tous égards. Celui qui est ainsi connu est le Père et exclusivement
le Père ». La tendance à réserver le nom de « Dieu » au seul Père s’est depuis large-
ment répandue dans la théologie. Cf., par exemple, B. Studer, « Credo in unum
Deum Patrem omnipotentem », Connaissance des Pères de l’Eglise 73 (1999), p. 2-17
[13] : « En réservant le nom de Dieu au Père, on parvient à un langage théologique
beaucoup plus simple. On ne risque pas d’admettre une divinité qui passe avant le
Père, le Fils et le Saint-Esprit et qui, au niveau du langage, paraît être comme un
quatrième sujet ». G. Emery ne partage pas cette opinion et montre bien en quoi
« réserver le mot Dieu à la seule personne du Père, dans le langage de la foi, représen-
terait sans doute un recul et un appauvrissement plutôt qu’un progrès » (La théologie
trinitaire…, p. 182-183).
33. Cf. C. Brown, J. Schneider et J. Stafford Wright, « God, Gods,
Emmanuel »…, p. 80-82 : « Christ as God » ; M. J. Harris, Jesus as God. The New
Testament Use of Theos in Reference to Jesus, Grand Rapids, 1992.
34. Cf. C. K. Rowe, « Biblical Pressure and Trinitarian Hermeneutics », Pro
Ecclesia 11 (2 005), p. 295-312 [p. 303] : « Les textes du NT n’identifient jamais le
Père comme Fils ni vice versa, mais ils donnent effectivement le nom divin kyrios
(=yahw) à la fois au Père et au Fils. Le terme kyrios (et moins fréquemment theos)
et la manière dont le NT l’utilise dans les citations de l’AT, les hymnes liturgiques,
les prières, les énoncés sotériologiques etc., exercent une pression unitive en deux
directions relativement à son référent, vers le Père et vers Jésus. Cette pression nous
pousse à conclure que yahw n’est pas le Père seul. Il y a une différenciation entre le
Père et le Fils à l’intérieur de l’unité d’un unique Seigneur (kyrios heis) en Dt 6, 4 ».
35. L’appropriation est une opération par laquelle on utilise un nom commun
pour lui faire signifier une réalité propre et particulière. Par exemple, quand je dis :
le Général, j’utilise un nom commun (et qui le reste) pour désigner une personne
bien déterminée. En théologie trinitaire, l’appropriation est l’opération par laquelle
on attribue plus spécialement à l’une des trois personnes divines – sans le nier des
deux autres – un attribut essentiel en raison du lien que cet attribut entretient avec
ce qui définit en propre cette personne. On approprie la Sagesse au Fils parce que
la procession du Fils dans la Trinité présente quelque affinité objective avec la vie
de l’intelligence. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. theol., Ia, q. 39, a. 7. K. Rahner semble
négliger cette doctrine classique des appropriations.
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36. Cf. Thomas d’Aquin, Contra errores Graecorum, pars 1, c. 2 (p. a 73) : « Il
n’existe aucune forme d’antériorité selon laquelle le Père pourrait être dit antérieur
au Fils. Il ne lui est pas antérieur quant au temps puisque le Fils est éternel. Ni quant
à la nature puisque le Père et le Fils ont même nature. Ni quant à la dignité puisque
le Père et le Fils sont égaux. Ni même quant à la pensée puisqu’ils ne se distinguent
que par les relations et que les relatifs existent en même temps selon la pensée du
fait que l’un entre dans la définition de l’autre (Nullus enim modus prioritatis est,
secundum quem pater prior filio dici possit. Neque enim prior tempore, cum filius
sit aeternus ; neque prior natura, cum patris et filii sit una natura ; neque dignitate,
cum pater et filius sint aequales ; neque etiam intellectu, cum non distinguantur
nisi relationibus, relativa autem sunt simul secundum intellectum, cum unum sit de
intellectu alterius) » ; Q. de ver., q. 29, a. 8, s.c. 5 : « Quiconque pense quelque chose
pense en même temps ce qui appartient à sa définition. Par exemple, celui qui pense
l’homme pense en même temps l’animal. Or l’un des relatifs entre dans la définition
de l’autre. Par conséquent, quiconque pense l’un des relatifs pense en même temps
l’autre (Quicumque intelligit aliquid, simul intelligit quod est de intellectu eius ; sicut
qui intelligit hominem, simul intelligit animal. Sed unum relativorum est de intel-
lectu alterius. Ergo quicumque intelligit unum relativorum, simul intelligit alterum) ».
37. La paternité ad extra peut être attribuée à la Trinité toute entière. A propos
de la salutation de Paul en 1 Co 1, 3 : « A vous grâce et paix de par Dieu notre Père,
et le Seigneur Jésus-Christ », saint Thomas (In 1 Co, c. 1, lect. 1 [n° 10]) soutient,
comme une des interprétations possibles, que « ‘Dieu notre Père’ peut s’entendre
de la Trinité toute entière, par laquelle nous avons été créés et adoptés comme fils.
Il ajoute ‘et le Seigneur Jésus-Christ’, non qu’il soit une autre personne ou hypos-
tase en plus des trois personnes, mais à cause de son autre nature (Quod autem dicit
‘a Deo patre nostro’. Potest intelligi de tota Trinitate, a qua creati sumus et in filios
adoptati. Additur autem ‘et domino Iesu Christo’, non quia sit persona alia vel hypos-
tasis praeter tres personas, sed propter aliam naturam) ». Cf. les explications de G.
Emery, La théologie trinitaire…, p. 199-205.
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38. T. de Régnon, Études de théologie positive sur la sainte Trinité, Première série :
Exposé du dogme, Paris, 1892, p. 434 : « Chaque personne est Dieu : voilà pour le
Grec ce qui ressort clairement de la révélation ; mais comment la même substance
est-elle contenue dans les trois réalités subsistantes ? voilà l’obscurité ».
39. Ibid. : « L’unité de substance divine : voilà qui est clair pour le Latin ; mais
comment dans un seul Dieu peut-il y avoir trois subsistences (sujets) différentes ? voilà
l’obscurité. » Pour T. de Régnon, les deux approches, grecque et latine, sont complé-
mentaires, encore qu’il ne cache pas sa préférence pour le personnalisme grec : « De
part et d’autre, ces conceptions sont légitimes et vraies, mais de part et d’autre, elles
sont incomplètes […]. Chaque théorie corrige l’autre. Chacune notifie à l’autre qu’elle
est incomplète, qu’elle est hors du mystère » (p. 430). La position du jésuite n’est pas,
théologiquement, exempte d’un certain relativisme. Certes, aucune théologie n’est
adéquate au mystère, mais la théologie comme science ne peut se satisfaire d’un pur
dualisme dialectique qui voit dans la « tension » le dernier mot de la théologie : il y a
un dynamisme propre à la recherche théologique qui vise l’unification systématique
de toutes les données « complémentaires » autour d’un principe plus fondamental.
40. Certains auteurs orthodoxes se sont emparés de la reconstruction de T. de
Régnon dans une perspective polémique. Cf. S. Boulgakov, Le Paraclet, Paris, 1996,
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45. A. Malet, Personne et amour dans la théologie trinitaire de saint Thomas, Paris,
1956, p. 21.
46. Sur la préhistoire scolastique de la distinction entre un De Deo ut uno et un De
Deo ut trino, cf. U. Horst, Die Trinitäts- und Gotteslehre des Robert von Melun, « Walber-
berger Studien, theologische Reihe, 1 », Mayence, 1964 [spécialement, p. 199-203 :
« Das Verhältnis von Gottes- und Trinitätslehre »] ; G. Colombo, « Per una storia del
tratatto teologico di Dio »…, p. 205-217.
47. La distinction entre le commun et le propre dans la considération du
mystère de Dieu apparaît déjà chez les Cappadociens, cf. G. Emery, « Essentia-
lisme ou personnalisme dans le traité de Dieu chez saint Thomas d’Aquin ? », RT
98 (1998), p. 5-38 [14-15]. Dans La Foi orthodoxe, I, ch. 8 (« SC 535 », p. 162-189),
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Jean de Damas commence par énumérer les perfections de l’unique substance divine
avant de confesser chacune des personnes. La clarification thomasienne peut aussi
se réclamer de Denys. Celui-ci, dans le traité des Noms divins, dont on sait qu’il est
une des sources majeures de la pensée thomasienne, distingue en effet l’étude systé-
matique des noms qui relèvent de l’unité essentielle de la Trinité de celle des noms
propres aux personnes. Cf. Denys, Les Noms divins, c. 2 et Thomas d’Aquin, In De
div. nom., c. 2, lect. 1 (n° 108) : « Dans ce chapitre 2, [Denys] veut montrer que les
noms divins dont traite ce livre sont communs à toute la Trinité et c’est pourquoi ce
chapitre s’intitule ‘De la théologie commune et de la théologie particulière’, parce
que dans ce chapitre il s’agit de ce qui est dit en commun de toute la Trinité et de
ce qui est dit des personnes distinctes (In hoc II cap. intendit ostendere quod divina
nomina, de quibus in hoc libro agitur, communia sunt toti Trinitati ; et ideo capitulum
istud intitulatur ‘de unita et discreta theologia’, quia in hoc capitulo traditur quae
dicantur communiter de tota Trinitate et quae de distinctis personis) ». On trouve une
démarche analogue, dans un contexte théologique différent, dans la Théologie platoni-
cienne de Proclus, où le philosophe néoplatonicien traite des notions générales relatives
aux dieux avant d’envisager les différents dieux. Cf. Proclus, Théologie platonicienne,
I, c. 13 (Texte établi et traduit par H. D. Saffrey et L. G. Westerink, t. 1, Paris, 1968,
p. 59) : « Il nous faut traiter à fond en premier lieu les saintes doctrines de Platon
qui sont communes et qui se retrouvent dans tous les mondes divins […]. En effet,
ce qui est commun (koina), est par nature premier et plus connaissable que ce qui
est propre (idia). » La Théologie platonicienne de Proclus semble bien être le premier
traité systématique des attributs divins. Il exerce son influence sur Denys et, par lui,
sur saint Thomas : « Par lui [=Denys], la théologie proclienne des attributs divins,
nouveauté dans la tradition héllénique, a pénétré dans la théologie chrétienne et la
pensée occidentale. Elle devait parcourir une longue carrière sous les appellations :
De Deo Uno et Théodicée » (H.-D. Saffrey et L. G. Westerink, « Notice du livre I »,
dans : Proclus, Théologie platonicienne…, p. cxcii).
48. K. Rahner, « Quelques remarques sur le traité dogmatique De Trinitate »…,
p. 115.
49. Sur le problème de l’unité intime des questions 2-43 de la Ia pars, cf.
C. Sträter, « Le point de départ du traité thomiste de la Trinité », Sciences ecclésias-
tiques 14 (1962), p. 71-87 ; H. Jorissen, « Zur Struktur des Traktates ‘De Deo’ in der
Summa theologiae des Thomas von Aquin », dans : In Gespräch mit dem dreieinen Gott,
M. Böhne et H. Heinz (ed.), Düsserdorf, 1985, p. 231-257 ; T. L. Smith, Thomas
Aquinas’ Trinitarian Theology. A Study in theological Method, Washington D.C.,
2003 ; G. Emery, La théologie trinitaire…, p. 58-63. La thèse de Sträter est la suivante.
L’expression essentia divina aurait deux sens. L’essence divine peut indiquer soit « la
perfection absolue commune aux trois personnes et distincte d’elles d’une distinc-
tion de raison » (p. 82), soit l’essence totale, « toute la réalité divine et non point seule-
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ment [l’]élément commun » (p. 78), ce qui inclut implicitement les personnes. Sträter
soutient qu’en passant des questions 2-26 au questions 27-43, on passe d’un sens
à l’autre. Dans les questions 2-26, et encore au début de la question 27 quand il se
demande s’il y a procession in divinis, l’essence divine est l’essence totale, incluant
les personnes, tandis que, dans les questions 27-43, l’essence divine désigne l’élé-
ment commun aux personnes divines, la perfection absolue distincte des relations.
C’est donc bien de la trina Deitas dont parlent déjà les questions 2-26 et non d’un
absolu divin distingué des relations : « Le début du traité thomiste de la Trinité ne
semble donc pas être l’essence commune des trois personnes comme distincte des
notions ou des propriétés personnelles ; c’est l’essence totale, c’est le tout du mystère
trinitaire » (p. 84). Pour H. Jorissen les questions 2-26 traitent de l’essence divine
abstraite distinguée des personnes par une distinction de raison mais, lorsqu’il faut
lui confèrer quelque subsistence, elle serait référée à la personne du Père.
50. Cf. Dz-H., n° 803.
51. Cf. Thomas d’Aquin, In Physic., I, lect.1 (n° 5) (Saint Thomas justifie
l’existence d’un livre de physique ‘générale’ avant les livres portant sur des sujets
physiques particuliers) : « Comme les propriétés de ce qui est commun doivent être
déterminées avant et à part, afin qu’il ne soit pas nécessaire de le répéter chaque fois
en traitant chacun des parties de ce qui est commun, il était nécessaire de placer en
premier un livre sur la science naturelle dans lequel seraient traitées les propriétés de
l’étant mobile en général (Sed quia ea quae consequuntur aliquod commune, prius
et seorsum determinanda sunt, ne oporteat ea multoties pertractando omnes partes
illius communis repetere, necessarium fuit quod praemitteretur unus liber in Scientia
Naturali, in quo tractaretur de iis quae consequuntur ens mobili in communi). »
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« Une fois connue l’existence d’un être (an sit), il reste à recher-
cher comment il est (quomodo sit), afin de savoir ce qu’il est (quid sit).
Or, comme nous ne pouvons savoir de Dieu ce qu’il est, mais ce qu’il
n’est pas, nous ne pouvons étudier à propos de Dieu comment il est,
mais plutôt comment il n’est pas. Il faut donc étudier 1°- comment
Dieu n’est pas, 2°- comment il est connu de nous, 3°- comment il
est nommé.56 »
55. Thomas d’Aquin, Sum. theol., Ia, q. 2, prol. : « Circa essentiam vero divinam,
primo considerandum est an Deus sit ; secundo, quomodo sit, vel potius quomodo
non sit ; tertio considerandum erit de his quae ad operationem ipsius pertinent,
scilicet de scientia et de voluntate et potentia ». Cf. A. Patfoort, La Somme de saint
Thomas…, p. 44-51. Sur le texte même de la Prima pars, en attente d’une édition
vraiment critique, cf. L.-J. Bataillon, « Recherches sur le texte de la Prima pars de
la Summa theologiae de Thomas d’Aquin », dans : Roma, magistra mundi, Itineraria
culturae mediaevalis, Mélanges Boyle, t. 1, Louvain, 1998, p. 11-24.
56. Thomas d’Aquin, Sum. theol., Ia, q. 3, prol. : « Cognito de aliquo an sit,
inquirendum restat quomodo sit, ut sciatur de eo quid sit. Sed quia de Deo scire non
possumus quid sit, sed quid non sit, non possumus considerare de Deo quomodo
sit, sed potius quomodo non sit. Primo ergo considerandum est quomodo non sit ;
secundo, quomodo a nobis cognoscatur ; tertio, quomodo nominetur. »
57. Ibid. : « Potest autem ostendi de Deo quomodo non sit, removendo ab eo ea
quae ei non conveniunt, utpote compositionem, motum, et alia huiusmodi. Primo
ergo inquiratur de simplicitate ipsius, per quam removetur ab eo compositio. Et quia
simplicia in rebus corporalibus sunt imperfecta et partes, secundo inquiretur de perfec-
tione ipsius ; tertio, de infinitate eius ; quarto, de immutabilitate ; quinto, de unitate. »
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« Comme nous avons étudié plus haut de quelle manière Dieu est
en lui-même, il reste à étudier comment il est dans notre connaissance,
c’est-à-dire comment il est connu par les créatures61. »
61. Ibid., q. 12, prol. : « Quia in superioribus consideravimus qualiter Deus sit
secundum seipsum, restat considerandum qualiter sit in cognitione nostra, idest
quomodo cognoscatur a creaturis ».
62. Ibid., q. 13, prol. : « Consideratis his quae ad divinam cognitionem perti-
nent, procedendum est ad considerationem divinorum nominum, unumquodque
enim nominatur a nobis, secundum quod ipsum cognoscimus ».
63. Ibid., q. 14, prol. : « Post considerationem eorum quae ad divinam substan-
tiam pertinent, restat considerandum de his quae pertinent ad operationem ipsius. Et
quia operatio quaedam est quae manet in operante, quaedam vero quae procedit in
exteriorem effectum, primo agemus de scientia et voluntate (nam intelligere in intel-
ligente est, et velle in volente) ; et postmodum de potentia Dei, quae consideratur ut
principium operationis divinae in effectum exteriorem procedentis ».
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64. Ibid. : « Quia vero intelligere quoddam vivere est, post considerationem divinae
scientiae, considerandum erit de vita divina. Et quia scientia verorum est, erit etiam
considerandum de veritate et falsitate. Rursum, quia omne cognitum in cognoscente
est, rationes autem rerum secundum quod sunt in Deo cognoscente, ideae vocantur,
cum consideratione scientiae erit etiam adiungenda consideratio de ideis. »
65. Ibid., q. 19, prol. : « Post considerationem eorum quae ad divinam scientiam
pertinent, considerandum est de his quae pertinent ad voluntatem divinam, ut sit
prima consideratio de ipsa Dei voluntate ; secunda, de his quae ad voluntatem absolute
pertinent ; tertia, de his quae ad intellectum in ordine ad voluntatem pertinent. »
66. Ibid., q. 20, prol. : « Deinde considerandum est de his quae absolute ad
voluntatem Dei pertinent. In parte autem appetitiva inveniuntur in nobis et passiones
animae, ut gaudium, amor, et huiusmodi ; et habitus moralium virtutum, ut iustitia,
fortitudo, et huiusmodi. Unde primo considerabimus de amore Dei ; secundo, de
iustitia Dei, et misericordia eius. »
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67. Ibid., q. 22, prol. : « Consideratis autem his quae ad voluntatem absolute
pertinent, procedendum est ad ea quae respiciunt simul intellectum et voluntatem.
Huiusmodi autem est providentia quidem respectu omnium ; praedestinatio vero et
reprobatio, et quae ad haec consequuntur, respectu hominum specialiter, in ordine
ad aeternam salutem. Nam et post morales virtutes, in scientia morali, consideratur
de prudentia, ad quam providentia pertinere videtur. »
68. Ibid., q. 26, prol. : « Ultimo autem, post considerationem eorum quae ad
divinae essentiae unitatem pertinent, considerandum est de divina beatitudine. »
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71. Cf. G. Emery, La Trinité créatrice, Trinité et création dans les commentaires
aux Sentences de Thomas d’Aquin et de ses précurseurs, Albert le Grand et Bonaven-
ture, « Bibliothèque thomiste, 47 », Paris, 1995.
72. Cf. S.-T. Bonino, « Antropologia della tradizione, Prospettive di metodo »,
dans : Persona humana, Imago Dei et Christi in historia, Atti del Congresso Internazio-
nale, Roma 6-8 settembre 2000, vol. I, Sentieri, Studi 1999-2000, a cura di M.M.
Rossi et T. Rossi, Angelicum, Rome, 2002, p. 99-109.
73. Né à Béziers en 1615, mort à Béziers en 1681, Gonet enseigna surtout à
Bordeaux. Cf. B. Peyrous, « Un grand centre de thomisme au xviie siècle. Le couvent
des Frères Prêcheurs de Bordeaux et l’enseignement de J.-B. Gonet », Divus Thomas
(Pl.) 77 (1974), p. 452-473. Son Clypeus (1659-1669), qui doit beaucoup aux Dispu-
tationes theologicae de son confrère dominicain de Salamanque, Pedro de Godoy (†
1677), a connu une importante diffusion, dont témoignent ses nombreuses éditions,
et il a marqué le thomisme dominicain postérieur.
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77. Gonet attaque Duns Scot à propos de sa thèse sur la distinction formelle
ex parte rei des attributs divins, cf. J.-B. Gonet, Clypeus…, tract. I, disp. 3, a. 2
(p. 144-150), où le dominicain présente la « très célèbre dispute entre les disciples
des deux écoles, l’Angélique et la Subtile (celeberrima quaestio, quae inter utriusque
Scholae, Angelicae et Subtilis, discipulos versatur) ».
78. Chez saint Thomas, les articles de la question 12 qui traitent de la vision
béatifique représentent 7, 4 % du texte des questions 2-26. Chez Gonet, le traité
III occupe 11, 7 % du De Deo ut uno. Ce genre de mesures quantitatives ne donne
évidemment qu’un indice matériel de l’importance relative des thématiques. Il faut
le manier avec d’autant plus de prudence qu’il arrive que Gonet traite de certaines
questions en d’autres lieux que ne le fait saint Thomas.
79. Dans sa Préface au traité III (p. 317-318), Gonet souligne avec une certaine
emphase rhétorique l’importance et la difficulté de la question de la science divine,
ainsi que les circonstances historiques qui ont conduit à la placer au centre du débat
théologique.
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80. Il est significatif que Gonet ait inséré entre le développement sur la science
divine et celui sur les idées divines une Apologia thomistarum (p. 537-584) dans laquelle
il s’applique à désolidariser le thomisme du calvinisme et du jansénisme. Cf., sur
le contexte, S. H. De Franceschi, La puissance et la gloire. L’orthodoxie thomiste au
péril du jansénisme (1663-1724) : le zénith français de la querelle de la grâce, Paris, 2011.
81. Le caractère apologétique de la théologie n’est pas une particularité de
Gonet : il est consubstantiel à la théologie « moderne » qui se présente comme une
théologie de controverses soit entre confessions chrétiennes, soit entre écoles théolo-
giques. L’hégémonie des questions relatives à l’accord du libre-arbitre avec les dons
de la grâce, la divine prescience, la providence, la prédestination et la réprobation se
retrouve donc dans tous les commentaires modernes de la Summa theologiae, même
lorsqu’ils ne déclarent pas, comme Gonet, une intention explicitement apologétique.
82. J.-B. Gonet, Clypeus theologiae thomisticae, tract. I, disp. 1, a. 2 (p. 94-99
[p. 95]) : « Les saints Pères et les théologiens ont tiré du grand et du petit monde,
c’est-à-dire de la structure faite avec art du monde et de l’admirable composition
de l’homme plusieurs preuves très certaines de la divinité (SS. Patres et Theologi,
ex magno et parvo mundo, id est ex artificiosa mundi structura, et mirabili hominis
compositione, plurima et certissima desument divinitatis argumenta). » Cette « brève
digression » qui fait suite à l’exposé des traditionelles quinque viae témoigne, d’une
part, de l’intérêt renouvelé pour les Pères dans le thomisme moderne et, d’autre part,
du tropisme exercé par la théologie naturelle moderne sur le traitement scolastique
de la question de Dieu.
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83. Cf. ibid., disp. 2, a. 1, § 1 (p. 105) : « Les théologiens se demandent ici et,
plus bas, à la q. 14, par quoi la nature divine est constituée comme nature et ce qui
sur un mode éminent est comme la racine et la raison a priori ou cause virtuelle
des attributs divins (Quaeritur a Theologis hic, et infra q. 14 per quid constituatur
divina natura, sub ratione naturae, et ut eminenti quodam modo, est veluti radix, et
ratio a priori, seu causa virtualis divinorum attributorum). » Sur la problématique
scolastique du constitutif formel de la déité, cf. C. Toussaint, « Attributs divins »,
DTC, t. 1/2, Paris, 1931, col. 2223-2235 [col. 2228-2230. « V. Ordre de succession,
attribut primaire »].
84. R. Peddicord, The Sacred Monster of Thomism. An Introduction to the Life
and Legacy of Réginald Garrigou-Lagrange, O.P, South Bend, 2 005.
85. R. Garrigou-Lagrange, De Deo uno, Commentarium in primam partem S.
Thomae, « Bibliothèque de la Revue thomiste », Paris, 1938.
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94. Cf., par exemple, K. Hemmerle, Thèses pour une ontologie trinitaire. Un
manifeste, tr. de l’allemand et présenté par M. Dupuis, Paris, 2014 [éd. allemande en
1976]. Hemmerle défend avec force la nécessité d’une ontologie tant pour la philoso-
phie que pour la théologie, mais il estime que cette ontologie doit partir d’en-haut, du
proprium chrétien qu’est l’évènement trinitaire explicité dans le cadre d’une phéno-
ménologie du don de soi.
95. Cf. W. Kasper, Le Dieu des chrétiens…, p. 221-234.
96. Cf. Commission theologique internationale, La théologie aujourd’hui…,
n° 79 : « L’existence d’une tradition théologique commune dans l’Église (qu’il faut
distinguer de la Tradition elle-même, sans pour autant l’en séparer) est un facteur
important pour l’unité de la théologie. Il existe en théologie une mémoire commune,
en sorte que certaines réalisations historiques (par exemple les œuvres des Pères de
l’Église, d’Orient comme d’Occident, et la synthèse de saint Thomas, Doctor communis)
demeurent des points de référence pour la théologie aujourd’hui. S’il est vrai que
certains aspects de la tradition théologique antérieure peuvent, et parfois doivent,
être abandonnés, le travail du théologien ne peut jamais se dispenser d’une référence
critique à la tradition qui l’a précédée. »
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qui est censée s’en être écartée97. Ainsi le retour aux sources a parfois
été un prétexte pour court-circuiter les développements de la théologie
médiévale. Or, dans une perspective catholique, la finalité du retour
aux sources est de revivifier l’ensemble de la tradition et non d’en
disqualifier des segments essentiels. Le second présupposé est que le
retour aux sources aurait permis de libérer la théologie chrétienne du
joug odieux d’une surdétermination philosophique. Mais, comme le fait
justement observer saint Jean-Paul II dans l’encyclique Fides et ratio, « si
le théologien se refusait à recourir à la philosophie, il risquerait de faire
de la philosophie à son insu et de se cantonner dans des structures de
pensée peu appropriées à l’intelligence de la foi98 ». À la vérité, peu ont
la naïveté d’imaginer une théologie « pure » de toute philosophie : il s’est
plutôt agi, sous couvert de retour aux sources, de substituer une philo-
sophie à une autre. Quoi qu’il en soit, théologie du retour aux sources
et théologie thomiste se sont retrouvées face-à-face, s’observant en
chiens de faïence, comme deux entités antinomiques et irréconciliables.
Pourtant le thomisme a tout à gagner à se laisser purifier et recentrer
sur l’essentiel grâce aux apports du renouveau biblique et patristique,
comme celui-ci à stabiliser ses acquis en les fondant sur la synthèse
théologique de saint Thomas avec sa forte charpente métaphysique99.
97. Cf. G. Cottier, Vous serez comme des dieux…, p. 145-146 : « [La pensée protes-
tante] est sans cesse portée à réinterpréter pour dégager ce qui constitue l’essence du
christianisme […]. Sans cesse, il faut dégager à nouveau le noyau essentiel, continuel-
lement perdu de vue, surchargé par la tradition et saisi d’une manière déformée. »
Dans une perspective analogue, certains théologiens catholiques, impressionnés à
juste titre par l’importance et la profondeur indiscutables des changements cultu-
rels induits par la modernité puis la post-modernité, estiment qu’il est aujourd’hui
nécessaire de « repenser » radicalement le christianisme (et le mystère même de Dieu)
à partir d’une mise en relation féconde entre le « noyau » essentiel de la foi évangé-
lique et les paramètres du contexte historique et culturel présent. Cette opération
présente toutefois des difficultés méthodologiques majeures : comment isoler, sinon
à partir de présupposés extrinsèques à la Tradition elle-même, un noyau essentiel, un
« canon dans le canon », qui serait la clé herméneutique. Elle trahit aussi une forme
d’historicisme dans la mesure où elle sous-estime la continuité que la nature humaine
permet d’assurer à travers les différents états historiques et culturels qui déterminent
l’existence des personnes humaines.
98. Jean-Paul II, Encyclique Fides et ratio, n° 77.
99. Le désir de favoriser une fécondation réciproque entre métaphysique thomiste
(restituée à elle-même par l’étude historico-doctrinale) et lecture des sources (Ecriture
et Pères) est au cœur des études thomistes actuelles. L’ouvrage de M. Levering, Scrip-
ture and Metaphysics…, est symptomatique à cet égard. Il « remet résolument en cause
la prétendue opposition entre l’analyse métaphysique et l’exégèse de l’Ecriture, en
étudiant comment l’usage que saint Thomas fait de la métaphysique éclaire le sens
de la révélation scripturaire » (p. 8).
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100. Dans les parties de notre ouvrage qui prennent la forme d’un commen-
taire, voire d’une paraphrase, des questions 2 à 26 de la Ia pars, il serait bon que le
lecteur ait sous les yeux, en latin ou en français, le texte de la Somme de théologie. De
manière habituelle, nous ne donnons pas le texte latin intégral des articles que nous
commentons, ni leur traduction intégrale. Les textes latins reproduits et traduits en
note (les traductions sont toujours nôtres, sauf mention contraire, même si j’ai tiré
profit des traductions existantes) proviennent d’autre lieux que celui qui fait l’objet
direct du commentaire et visent à éclairer le développement en cours.
101. L. F. Mateo Seco et J. I. Ruiz Aldaz, « Notas… », p. 416.
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