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M.

LE MAIRE
Je donne la parole à Delphine JUSSELME pour vous répondre.

Mme JUSSELME
Merci Monsieur le Maire.

Je vous remercie Monsieur COURBON pour votre question sur ce sujet important qu'est
l'emploi. Pour tout vous dire, nous n’avons pas attendu votre question pour nous intéresser, dès
début 2016, à ce nouveau dispositif qu'est « Territoires zéro chômeur longue durée ».

Cela consiste à créer une entreprise dite entreprise à but d'emploi (EBE) qui embauche des
chômeurs de longue durée dans des domaines non concurrentiel, via des CDI.

Ces EBE ne doivent faire d'ombre ni au secteur privé, ni au secteur public ; et elles sont
financées par une fonds d'expérimentation territoriale exclusivement alimenté par l'Etat et les
collectivités territoriales volontaires adhérentes à l'association dont vous avez parlé.

L'idée première consiste à diminuer le nombre de chômeurs de longue durée pour permettre aux
collectivités -par exemple le Département quand il s'agit du RSA- de réaliser des économiques
qu'elles peuvent réaffecter à ce fonds d'expérimentation. Ainsi, le coût pour ces collectivités
serait nul en théorie. L'idée paraît donc séduisante en théorie.

Cependant, il faut savoir que ce fonds d'expérimentation finance uniquement 70 % des salaires
de ces nouveaux salariés embauchés en CDI et payés au SMIC. Et les 30 % restants doivent
être assurés par la vente de services de l'EBE. Et c'est bien là le premier problème, parce qu'il
est particulièrement difficile de trouver des activités rentables pour apporter ce chiffre d'affaires
de 30 % et non concurrentielles. Les structures d'insertion par l’activité économique (SIAE), et
notamment les chantiers d'insertion, peuvent en témoigner.

Notre territoire est déjà bien doté de ce type de structures d'insertion par l'activité économique,
qui ont développé des marchés de niches d'emploi non concurrentiels et pouvant
potentiellement être un minimum rentables.

Je pense à Chrysalide pour la recyclerie, Envie pour l'électroménager et l’informatique,


Ondaine Agro pour le recyclage du pain, ou des structures de quartiers qui font du nettoyage de
l'espace public en cas d’espaces verts à entretenir, les Jardins de Valériane et d’Oasis pour le
maraîchage.

C'est exactement le cœur de métier de ces structures, et pourtant elles sont fragiles
économiquement et rencontrent des difficultés à atteindre un équilibre financier et à trouver de
nouveaux marchés.

Donc, créer sur notre territoire une EBE reviendrait à leur faire une concurrence directe et
n'apporterait aucune plus-value par rapport à ce qui existe déjà.
A cela s’ajoutent d’autres difficultés économiques, car j’évoquais uniquement le
fonctionnement qui consiste à trouver comment payer les salaires de ces anciens chômeurs.

Il est très peu dit que ce fonds territorial ne finance aucunement l'investissement. Or, la création
d’une entreprise demande un minimum de moyens d'investissement. Comme ce fonds
d’expérimentation ne couvre pas le financement de cet investissement mais uniquement les
salaires, cela va poser une réelle difficulté d'ordre économique.

Et il ne faut pas oublier d'autres coûts, notamment ceux relatifs à la mise en place de ce dispositif
qui génère d'énormes coûts de fonctionnement supplémentaires à la charge de la collectivité.
En effet, il faut désigner une équipe dédiée au montage de projets et au suivi du dispositif, ce
qu’on appel un comité local spécifique. Et ces coûts supplémentaires sont intégralement à la
charge de la collectivité adhérente.

D’autres incertitudes planent : en cas de déficit ou si le modèle économique ne fonctionne pas,


qui supportera financièrement l’échec ? Qui comblera les pertes si l’entreprise en fait chaque
année ? De même, nous n’avons aucune garantie sur l'engagement de l'Etat dans ce dispositif.
S’il diminue demain sa participation, ce sont bien les autres financeurs qui seront contraints de
compenser.

Il est paru un très bon article en mai 2018 dans la Lettre du cadre territorial sur le sujet, avec
un bilan à mi-expérimentation du dispositif « Territoires zéro chômeur longue durée » qui
confirme que l'Etat envisage bel et bien de partager l'enveloppe par un transfert vers les
collectivités pour la prochaine expérimentation.

Nous pouvons penser que M. MACRON souhaite développer cette expérimentation puisqu’il
l’a annoncé officiellement le 22 mai lors de la présentation de son plan « politique de la ville ».
Par contre, au-delà de l'effet d'annonce, nous attendons de voir concrètement quels moyens
financiers l'Etat va proposer afin que cela ne coûte effectivement rien pour les collectivités.

Et d'autres questions se posent par rapport à ce dispositif qui peut paraître très séduisant de
prime abord. Nous pouvons nous questionner sur la finalité même de ces entreprises à but
d'emploi, parce que la finalité n’est pas de procurer un emploi à vie à ces personnes embauchées
en CDI, mais que l’entreprise leur serve de tremplin pour trouver un emploi ailleurs afin d’offrir
une nouvelle place à un nouveau chômeur.

Donc, nous pouvons nous interroger sur la façon dont ces personnes vont pouvoir rebondir à
l'issue de ce premier CDI, quelle motivation elles auront à chercher un autre CDI alors qu’elles
sont déjà en CDI. Toutes ces réponses, vous ne les avez pas, moi non plus parce qu’elles
pourront être apportées qu'à l'issue de la fin de la première vague d'expérimentation, c’est-à-
dire à l'horizon 2021.

Et puis il y a également quelque chose qui me gêne un peu, c’est le titre du dispositif : zéro
chômeur longue durée. Cela me paraît trompeur. En effet, les expériences menées sur les dix
territoires concernés montrent que les EBE n'ont pas pu embaucher tous les demandeurs
d'emploi de longue durée qui le souhaitaient, contrairement à ce que vous avez formulé dans
votre question orale.

Il faut savoir qu’une EBE en France embauche en moyenne 40 personnes en CDI. Or, sur le
quartier de Montreynaud, d’après les chiffres de Pôle Emploi, aujourd’hui 470 demandeurs
d'emploi de longue durée sont enregistrés. Si l’EBE embauche 40 personnes en CDI, cela ne
représente même pas 10 % des demandeurs d'emploi de longue durée. Il en resterait toujours
90 %. Nous serions donc loin de la promesse de ce titre qui est zéro chômeur longue durée.

Vous l'aurez compris, au regard de toutes ces incertitudes et en l'état actuel, il ne nous semble
pas souhaitable pour le moment d'engager notre ville dans un tel dispositif. Par contre, il est
important de rester attentif aux propositions concrètes et notamment financières de l’Etat sur ce
sujet.

Je vous remercie.

M. LE MAIRE
La parole est à M. COURBON.

M. COURBON
Merci Madame JUSSELME pour votre réponse concrète. Nous avons bien compris que vous
aviez une réticence liée à un certain nombre d'incertitudes financières par rapport à ce dispositif,
ainsi qu’une forme de réticence philosophique sur le principe même du projet.

Effectivement, les incertitudes sont extrêmement nombreuses, nous sommes d'accord. C'est le
principe d'une expérimentation. On ne sait pas si elle va fonctionner, si le succès sera
nécessairement au rendez-vous, mais on essaie un dispositif qui, sur d'autres territoires, a permis
de créer des emplois.

Il existe d'autres acteurs de l’emploi. Vous avez parlé des nombreuses SIAE sur notre territoire
qui font du bon travail. Vous avez parlé de concurrence, j'aurais plutôt vu une forme de
complémentarité. En effet, sur d'autres territoires, ces mêmes acteurs existent et pour autant le
dispositif arrive à trouver sa place et à créer des emplois.

Qu'en sera-t-il dans 5, 10 ou 20 ans ? Personne ne le sait. Cependant, il est certain qu'à titre
personnel, je préfère avoir une personne en emploi plutôt qu'une personne au chômage de
longue durée.

Effectivement, le titre est peut-être un peu trompeur dans la mesure où nous savons très bien
que ce n'est pas la baguette magique qui va faire que, du jour au lendemain, 100 % des chômeurs
de longue durée auront un emploi.
Vous avez cité l'exemple du quartier de Montreynaud où Pôle Emploi recense environ 470
chômeurs de longue. Et vous avez ajouté que sur les territoires qui expérimentent ce dispositif,
la moyenne d'emplois créés en CDI est d'une quarantaine. Nous sommes effectivement dans
cette fourchette puisqu’une dizaine de villes expérimentent ce dispositif pour environ 400
emplois créés au niveau national.

Nous pensons que si nous avions un outil supplémentaire permettant de créer rapidement et
prochainement 40 emplois sur le quartier de Montreynaud, ce serait toujours bon à prendre. Il
en restait 430 autres, mais nous serions pour autant ravis de remettre le pied à l'étrier à 40
chômeurs. A priori, nous ne le ferons pas, c’est bien dommage.

M. LE MAIRE
La parole est à Delphine JUSSELME.

Mme JUSSELME
Le problème de fond de ce dispositif provient du fait que cet outil supplémentaire vient en
doublon avec les SIAE. Les demandeurs d'emploi de longue durée de Montreynaud sont
éligibles aux structures d’insertion par l’activité économique. Donc, les 40 emplois
potentiellement créés sur Montreynaud ne seraient pas 40 nouveaux emplois, mais 40 emplois
créés en moins dans les SIAE.

Or, nous mettons en place une politique municipale visant à tenter d'éviter les doublons, de
simplifier les dispositifs, de ne pas rajouter des couches au millefeuille. Je reçois tous les jours
des demandeurs d’emploi à la ville de Saint-Etienne et je peux vous dire qu’ils ne savent plus
vers qui se tourner tellement il y a d'acteurs. Il existe une pléthore d'associations, et tant mieux,
de structures d'insertion et tant mieux, mais avant d'en créer une supplémentaire, la première
question à se poser est de savoir quelle plus-value elle apporte en termes de besoin pour le
demandeur d'emploi qui n'est pas assouvi sur notre territoire. A partir du moment où le premier
filtre n’est pas passé puisque la réponse à la question est qu’il n'y a pas de plus-value, j’estime
qu’il vaut mieux donner des moyens supplémentaires aux SIAE déjà existantes à Saint-Etienne.

M. LE MAIRE
Je suis d'accord avec Delphine JUSSELME car « chat échaudé craint l’eau froide ! ». Nous
avons payé pour voir à Saint-Etienne !

Souvenez-vous, un ministre a lancé les maisons de l'emploi qui étaient des dispositifs visant à
rassembler tous les acteurs de l'emploi en un même lieu pour accompagner le mieux possible
les demandeurs d'emploi. Les collectivités ont été appelées, elles ont financé. Il y a deux ans,
l'Etat s'est complètement retiré, et aujourd’hui ce sont les Stéphanois qui paient les 300 000 €,
sur une mission qui relève de l'Etat.

Et nous faisons beaucoup pour accompagner les demandeurs d’emploi des quartiers en politique
de la ville, y compris dans le domaine de la création d'entreprise. Je rappelle que la Fabrique à
entreprendre est exemplaire sur le territoire stéphanois, avec beaucoup d'initiatives.
Néanmoins, Delphine JUSSELME a raison, ne fermons pas la porte, d'autant que la
généralisation de « territoires zéro chômeur de longue durée » a été annoncée par le Président
de la République le 22 mai à l'Elysée à l'occasion du Plan politique de la ville, et qu'il a promis
pour septembre des précisions sur la généralisation de ce dispositif. S’il devient un dispositif
d'Etat, cela changera la donne, et nous reparlerons de cette question ensemble.

Vous aviez une autre question diverse à poser concernant le nouveau théâtre de Beaulieu.
Madame ULMER, vous avez la parole.

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