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Résumé
Παράδεισος τς τρυφς, «le paradis de délices» de la Septante n'est pas, semble-t-il, un décalque littéral de l'hébreu : le choix du
traducteur peut trouver une explication dans les réalités de l'Alexandrie lagide et dans l'idéologie royale. Il avait sous les yeux les
«paradis» royaux de la capitale, parcs zoologique et botanique, et l'idéal de la tryphè, terme pris dans une acception favorable
qui n'est pas celle du grec classique, a caractérisé la manière de vivre des Ptolémées. Ptolémée II en particulier, sous le règne
duquel fut entreprise la Septante, a incarné cette tryphè dionysiaque et royale qui unissait abondance, prospérité et douceur de
vivre.
Husson Geneviève. Le paradis de délices (Genèse, 3, 23-24). In: Revue des Études Grecques, tome 101, fascicule 480-481,
Janvier-juin 1988. pp. 64-73.
doi : 10.3406/reg.1988.1527
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1988_num_101_480_1527
LE PARADIS DE DÉLICES
(GENÈSE 3, 23-24) *
Paris,
(traduction
Le texte
1986) de
: la Septante
M. Harl, La deBible
Genèse
d'Alexandrie
3, 23-24 est
— Lale suivant
Genèse,
(1) Cet article reprend une partie d'un exposé présenté à l'École Normale
Supérieure, 45 rue d'Ulm, le 13 février 1987, dans le cadre d'une série de
conférences sur la Septante organisée par G. Dorival et Ph. Hoffmann.
voir P. Goukowsky, Essai sur les origines du mythe d'Alexandre (336-270 av.
J.-C). I Les origines politiques, Nancy, 1978, p. 191-2.
(27) Fragment conservé par Athénée 12.512 b.
(28) V. F. Vanderlip, The Four Greek Hymns of Isidorus and the cult of Isis,
American Studies in Papyrology XII, Toronto, 1972, Hymne II, v. 27-28 et
commentaire p. 45, 48.
(29) L. Jalabert et R. Mouterde, S. J., Inscriptions Grecques et Latines de la
Syrie, t. 3, lr(" partie, Paris, 1950, 809. — Sur Votium, voir J. M. André, L'Olium
dans la vie morale et intellectuelle romaine des origines à l'époque augustéenne,
Paris, 1966 : les références à τρυφή dénoncent surtout les aspects négatifs de la
notion {e.g. p. 55, 60, 201 n. 12, 214).
(30) Vocabulaire de Théologie Biblique, col. 744.
72 GENEVIÈVE HUSSON
arbres merveilleux, 'l'arbre de vie', dont le fruit nourrit les
immortels. Ici-bas leurs temples entourés de jardins sacrés
imitent ce prototype. Ces images, purifiées de leur polythéisme,
se sont acclimatées dans la Bible : selon les conventions de
l'anthropomorphisme, on ne craint pas d'évoquer Dieu ' se
promenant à la brise du jour' dans son jardin (Gen. 3,5)».
Dans la Lettre d'Aristée à Philocrate, œuvre d'un juif
alexandrin, qui date sans doute du début du ne s. av. n.-è.31 et
dont une partie est une sorte de traité de la royauté, reviennent
comme des leitmotiv les thèmes de Dieu-modèle du roi et du roi-
imitateur de Dieu. Une remarque du § 218 suggère que le
traducteur pouvait avoir présente à l'esprit la personne royale
de Ptolémée II : l'un des sages juifs conseille au roi de
«conformer (ses) paroles et (ses) pensées à la gloire et à la
supériorité de (son) rang», «sachant que tous tes sujets ont les
yeux fixés sur toi et parlent de toi » (γινώσκων ότι πάντες ων άρχεις
περί σου και διανοούνται και λαλοΰσιν).
Sans doute la notion de τρυφή est-elle ambivalente.
C. Préaux32 résume ainsi les différentes valeurs de la tryphè
«tantôt condamnée comme une mollesse avilissante..., tantôt
confinant à quelque enivrement mystique, tantôt simple dé
ploiement de toutes les formes de luxe». Il a pu y avoir une
évolution du début à la fin de la période hellénistique, depuis les
valeurs plus positives de la tryphè jusqu'à la notion de luxe
décadent. Cette évolution sémantique s'inscrivait assez bien
dans les changements historiques qui ont marqué la dynastie
lagide. La période où l'éclat et la puissance ont été les plus
grands est celle du me s. av. n.-è. et peu à peu la situation
économique, politique, militaire s'est dégradée. Rien d'étonnant
alors à ce que le traducteur de la Genèse ait choisi τρυφή pour
caractériser la vie heureuse du paradis terrestre à un moment où
la dynastie lagide, avec son idéal de la tryphè, était à son apogée.
On pourrait aussi renvoyer à la τρυφή dionysiaque, qui a joué
un rôle important dans l'idéologie royale : les Ptolémées ont
voulu rattacher leur dynastie à Dionysos et se sont volontiers
identifiés à ce dieu, devenu ainsi le symbole du pouvoir et de
l'ordre. Les aspects du dionysisme royal ont été présentés avec
clarté dans un article de F. Dunand33 qui souligne la «dimension
(34) «Le nom de 1" arche' de Noé dans la Septante. Les choix lexicaux des
traducteurs alexandrins, indices d'interprétations théologiques», ΑΛΕΞΑΝΔΡΙ
ΝΑ — Hellénisme, judaïsme et christianisme à Alexandrie. Mélanges offerts à
Claude Mondéserl. S. J., Paris, 1987, p. 15-43, spécialement p. 15.