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Le Monde 06/08/2019 15*39

En Nouvelle-Zélande, la colère des Maoris

A Ihumatao, terre sacrée des Maoris, les opposants au projet de


développement immobilier, le 26 juillet. PHIL WALTER/GETTY IMAGES

La contestation par les aborigènes d’un projet immobilier sur une


zone sacrée met à mal la popularité de la première ministre, Jacinda
Ardern

SYDNEY - correspondance

I
ls sont plusieurs milliers de militants à se relayer nuit et jour depuis plus d’une
semaine, ravitaillés en nourriture et bois de chauffage pour alimenter les braseros sous
un faible soleil hivernal. Tentes et drapeaux ont été érigés sur les vertes prairies
parsemées de rocailles volcaniques du bord de mer d’Auckland, la ville la plus peuplée
de Nouvelle-Zélande. Face aux policiers, des chants et des danses.

Ces manifestants, qui s’appellent eux-mêmes des « protecteurs », s’opposent à la construction


d’un lotissement de 500 logements, à Ihumatao, sur une zone proche de l’aéroport
d’Auckland considérée comme sacrée par les Maoris, la minorité aborigène des îles, qui
constitue 15 % de la population néo-zélandaise. Le terrain borde d’ailleurs une réserve
historique conservant les traces archéologiques des premiers Maoris cultivateurs de ces terres
fertiles.

La contestation met à l’épreuve la « Jacindamania », la popularité de la première ministre


travailliste Jacinda Ardern, élue en 2017 et célébrée dans son pays et à travers le monde pour la
justesse de sa réaction après les attentats de Christchurch en mars.

Mme Ardern « a le pouvoir de renverser la décision d’allouer cette zone à des logements
spéciaux [à prix modéré] et d’intervenir pour empêcher une confrontation », estime Pania
Newton, cofondatrice du groupe Save Our Unique Landscape (« Sauvez notre paysage
unique », dont l’acronyme SOUL signifie « âme » en anglais). Cette militante maorie, qui
décrit la mobilisation comme « la révolution de notre génération », estime que Mme Ardern
pourrait, au nom du gouvernement, « faire racheter la terre et la retourner aux tribus

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propriétaires traditionnelles à qui elle a été volée » ou « en faire une réserve historique, un
endroit pour tous les Néo-Zélandais ».

Mme Newton avait pointé auparavant le manque de « leadership » de la première ministre, et


déploré son « ignorance » du traité de Waitangi, signé en 1840 entre la couronne britannique
et les chefs maoris, acte fondateur de la nation néo-zélandaise. Samedi 27 juillet, elle a invité
la première ministre, qui se targue de promouvoir les traditions indigènes de sa nation en
portant une toge maorie à Buckingham Palace et use de leur salut, nez contre nez, pour
recevoir des invités de marque, à venir sur place « pour ressentir la signification de ce site et
les qualités spéciales dont cette terre est dotée ».

Devant les Nations unies


Le groupe SOUL dénonce de longue date le destin promis à ce terrain par le promoteur
immobilier Fletcher Building, qui l’a acquis. Les militants assurent que ces terres ont été
accaparées « par proclamation » dès les premières heures de la colonisation néo-zélandaise,
dans les années 1860, avant de passer dans des mains privées durant près d’un siècle.

Les activistes ont commencé à occuper le site en 2015 et ont même porté l’affaire devant les
Nations unies en 2017, espérant une intervention au titre d’entorse aux droits des peuples
autochtones. Les rangs de leurs sympathisants n’ont cessé de gonfler au fil des mois qui ont
suivi. Si bien que, le 23 juillet, la police a délivré un ordre d’évacuation du site. Produisant
l’effet inverse. De plusieurs centaines durant la semaine, les « protecteurs » sont passés à plus
de 5 000 au cours du week-end, en majorité des Maoris, mais aussi des membres du parti
écologiste, des représentants de diverses confessions ou encore des écoliers, donnant à la
plaine des allures de festival.

Trois hommes et quatre femmes dans la vingtaine ont été arrêtés jeudi 25 juillet au soir, après
s’être enchaînés à un van sur un axe routier. La veille, six personnes avaient aussi été
interpellées. La police évoque pourtant un climat pacifique et collaboratif avec les
protestataires. Samedi, un policier a même été filmé en train de jouer de la guitare et de
chanter avec les manifestants au cours de la nuit, une vidéo visionnée plus de 85 000 fois.

Travaux suspendus
Mise sous pression par l’activisme de SOUL, Mme Ardern, réputée progressiste, a pris ses
distances avec la contestation dans un premier temps, affirmant que son gouvernement
n’interviendrait pas dans un contentieux qui devait, selon elle, être résolue entre iwi, soit
clans locaux. Mais la controverse ne se résume pas à une opposition entre Maoris et
développeurs immobiliers : les représentants indigènes, divisés entre clans ou familles
locales, n’ont eux-mêmes pas la même opinion sur la question, certains observateurs citant
une fracture générationnelle.

Au vu de l’ampleur de la mobilisation, la chef de l’Etat est finalement sortie de sa réserve


vendredi soir et a annoncé que les travaux de construction seraient suspendus le temps
qu’une solution soit trouvée. « Cette activité ne peut pas avoir lieu tant qu’il y a de tels
rassemblements sur place, a-t-elle concédé. Nous n’avons pas été directement impliqués dans
la dispute, mais nous pensons que nous pouvons aider. Il y aura des conversations, aussi, avec
ceux occupant le terrain. » Lundi, les manifestants n’avaient toutefois pas répondu à son
appel à la désescalade. Un bon millier restaient mobilisés, exigeant une déclaration signée de
sa part. La première ministre est également critiquée pour ne pas s’être encore déplacée pour
rencontrer les militants, notamment par le chef de l’opposition, Simon Bridges (Parti
national). « Elle s’est mise dans cette situation, et maintenant où est-elle ? », a tancé le
conservateur, mardi.

Première femme à diriger la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern avait fait de la résolution de la


crise du logement en Nouvelle-Zélande, où flambent les prix et où manquent les habitations
face à la pression démographique, un cheval de bataille de son mandat. Sa mesure phare,
« KiwiBuild », prévoyait la construction de 1 000 logements abordables cette année. Or

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700 manquaient toujours à l’appel en juillet.

Mme Ardern a aussi promis au début de son mandat, en 2017, de s’attaquer aux inégalités,
déplorant notamment la surreprésentation de la minorité maorie dans les indicateurs de
pauvreté et de santé, et une sous-représentation dans les statistiques d’accès à la propriété
(seul un Maori sur trois est propriétaire). Lundi, un rapport de la commission sur la santé et la
sécurité a encore pointé un « racisme institutionnel » qui désavantage les Maoris, de la
naissance à leur fin de vie. – (Intérim.)

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