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16/09/2016

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PERSPECTIVESÉTUDE

Une sûreté négative : la renonciation du débiteur cédé à ses exceptions

Auteur : Par François‐Xavier LICARI Docteur en droit (Strasbourg) Doctor iuris (Saarbrücken) Avocat au Barreau de
Strasbourg
(droit français – droit comparé – droit uniforme)
La cession de créance joue un rôle cardinal dans l’économie tant nationale qu’internationale. Elle constitue une
importante source de financement et un mécanisme de garantie (Malaurie Ph., Aynès L. et Stoffel‐Munck Ph., Les
obligations, Defrénois, 2003, no 1309 ; Crocq P., Cession de créance à titre de garantie, Lamy Droit des sûretés, no 262‐
3).
Le contrat de cession tel qu’il est conçu dans le Code civil et dans les droits continentaux laisse le débiteur à l’écart,
mais opère un effet dans son patrimoine, dérogeant ainsi à la règle res inter alios acta aliis neque nocere neque
prodesse potest (Neumayer K.‐H., La transmission des obligations en droit comparé, in La transmission des obligations,
IXes Journées d’études Jean Dabin organisées par le Centre de droit des obligations, Bruylant/LGDJ, 1980, p. 193 ;
Fontaine M., Harmoniser le régime de la transmission des obligations, in Liber amicorum Jacques Herbots, Kluwer, 2002,
p. 131 ; Ranieri F., Europäisches Obligationenrecht, Springer Verlag, 2e éd., 2003, p. 433). Le contrat de cession opère
un transfert de la position de créancier à un tiers, c’est‐à‐dire un changement de la titularité du droit, sans
modification du contenu de la créance. En d’autres termes, la créance est cristallisée par la cession, en ce sens qu’elle
est maintenue dans sa nature comme dans son étendue : celle‐ci conserve ses caractères propres, ses modalités définies
par le contrat de base. Ainsi, les modalités de l’obligation lient le cessionnaire, qu’il s’agisse par exemple du terme,
d’une clause d’arbitrage ou d’une clause de substitution du débiteur. Cette identité d’obligation tient à ce que sans
être partie au contrat de cession, le débiteur cédé n’est pas tiers vis‐à‐vis du cessionnaire ; il devient instantanément
son cocontractant par l’effet de la cession, ce qui a pour conséquence que les rapports entre le cédé et le cessionnaire
sont déterminés par le contenu obligatoire du contrat générateur de la créance cédée (Aynès L., La cession de contrat
et les opérations juridiques à trois personnes, Economica, 1984, nos 19, 20 et 31).
Ces principes d’immutabilité du lien obligatoire et de non‐aggravation de la situation du débiteur ont pour conséquence
la règle de l’opposabilité des exceptions : le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions qui lui
auraient permis de refuser sa prestation au cédant (voir par exemple Terré F., Simler Ph. et Lequette Y., Droit des
obligations, Dalloz, 8e éd., 2002, no 1291). Si cette règle revêt indéniablement une fonction de protection du débiteur
cédé, elle a aussi pour conséquence de mettre en péril l’opération de cession, car le cessionnaire n’est jamais assuré
que la créance qu’il acquiert n’est pas affectée d’un vice qui fera obstacle au transfert convenu. Cette épée de
Damoclès entraîne nécessairement une diminution de la valeur du bien cédé.
C’est pourquoi la pratique des affaires tend à obtenir du débiteur cédé qu’il renonce à ses exceptions (De Ly F., Les
clauses de cession dans les contrats commerciaux internationaux, RDAI/IBLJ 1996, p. 799 et s., spéc. p. 808). Cette
renonciation a pour but de garantir la sécurité de l’opération. Elle bénéficie donc en premier lieu au cessionnaire. En
ce que ce mécanisme réside dans la limitation des droits du débiteur pour garantir ceux d’un tiers, le cessionnaire, on
peut y voir une « sûreté négative » (Meinertzhagen‐Limpens A., Les engagements de ne pas faire, in Les sûretés issues
de la pratique, Travaux ULB‐Colloque FEDUCI, PU Bruxelles, Vol. 3, 1983, p. L/1 et s., nos 1 et s. ; Chaput Y., Les clauses
de garantie (Sûretés négatives), in Les principales clauses des contrats conclus entre professionnels, PUAM, 1990, p. 119
et s., spéc. p. 126). Cette renonciation bénéficie aussi au cédant, qui peut ainsi tirer le meilleur profit de la valeur
économique de la créance cédée. La garantie que représente la renonciation tend ainsi à faciliter la circulation de la
créance (comparer Bazinas S. V., Lowering the cost of credit : the promise in the future UNCITRAL convention of

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assignment of receivables in international trade, Tulane Journal of international and comparative Law, 2001, p. 295).
L’institution est à peine évoquée par la doctrine française et son régime est laissé dans l’ombre (pour le droit suisse,
voir Tercier P. et Eigenmann A., La renonciation du débiteur à ses exceptions, SZW/RSDA 2003, p. 129).
Ce silence de la doctrine ne nous paraît pas justifié, compte tenu de l’intérêt tant théorique que pratique qui s’attache
à la meilleure connaissance d’une telle sûreté.
Eu égard à la multiplication des contrats internationaux (sur le critère, voir Witz C., L’internationalité et le contrat,
Rev. Lamy dr. aff., suppl. févr. 2002, p. 59), une réflexion sur la cession de créance et ses effets doit être éclairée par la
comparaison des droits et par une connaissance du droit uniforme.
Seront exclusivement étudiés les droits suisse, allemand et belge, car qui trop compare mal étreint.
Quant au droit uniforme, il reste à identifier ses sources.
La Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises doit être d’emblée écartée, car elle
ne donne aucune réponse à ce sujet, la cession de créances étant une matière hors de son champ d’application (Ferrari
F., Contrat de vente internationale – Applicabilité et applications de la Convention de Vienne sur les contrats de vente
internationale de marchandises, Helbing & Lichtenhahn/Bruylant, 1999, p. 158).
Un instrument plus récent est appelé à constituer le siège de la matière, la Convention des Nations unies sur la cession
de créances dans le commerce international (ci‐après : Convention CNUDCI), adoptée par la résolution de l’Assemblée
générale des Nations unies le 12 décembre 2001 (voir le texte sous http ://www.uncitral.org/fr‐index.htm, « textes
adoptés », puis « paiements internationaux » ; à la date du 6 avril 2004, seuls le Luxembourg, les États‐Unis
d’Amérique et Madagascar avaient signé la Convention ; cinq dépôts d’instrument sont requis pour l’entrée en vigueur
de la Convention : voir http ://www.uncitral.org.french/status‐f.htm – CNUDCI : « État des Conventions et des Lois
Types »). S’il est vrai que cette Convention n’a pas encore été ratifiée par la France, elle a déjà trouvé un écho dans le
droit français (l’article 67, 1o, de la loi no 2003‐706 du 1er août 2003 de sécurité financière a modifié les alinéas 1 et 3 de
l’article L. 313‐27 du Code monétaire et financier dans un sens conforme aux articles 1er, § 1‐a, et 10 de la Convention)
et a suscité de nombreux commentaires qui saluent l’effort d’uniformisation entrepris.
Lorsque cette convention entrera en vigueur, les États contractants disposeront alors d’un instrument contenant à la
fois des règles matérielles et des règles de conflit de lois régissant toute opération du commerce international
s’appuyant sur une cession de créances (Stoufflet J., Le financement par cession de créances de la loi Dailly au projet
de convention de la CNUDCI, in Mél. AEDBF‐France, Paris, 1997, p. 285 ; Mattout J.‐P., Cessions internationales de
créances – Projet CNUDCI : État des lieux – Les besoins de la pratique, RD bancaire et bourse 1999, p. 165 ; Stoufflet J.,
précité, Les contraintes actuelles, p. 169 ; Janzen D., Der Uncitral‐Kommissionsentwurf zum Recht der internationalen
Finanzierungsabtretung, RabelsZ 1999, p. 368 ; Bazinas S.‐V., Le projet de convention de la CNUDCI sur la cession de
créances à des fins de financement : ses objectifs et ses effets sur les autres lois, RD bancaire et bourse 1999, p. 171 ;
Kuhn H., Materielle Rechtsvereinheitlichung und IPR – Das internationale Zessionsrecht im UNCITRAL‐Übereinkommen
über die Forderungsabtretung, in Festschrift für Kurt Siehr zum 65. Geburtstag, Zürich, 2001, p. 93 ; id., Zur
Neuordnung der grenzüberschreitenden Forderungsabtretung im einheitlichen UN‐Abtretungsrecht, SZW/RSDA 2002, p.
129 ; Kieninger E.‐M.,Vereinheitlichung des Rechts der Forderungsabtretung – Zur United Nations Convention on the
Assignment in international Trade, in Raum und Recht : Festchrift 600 Jahre Würzburger Fakultät, Berlin, 2002, p. 297 ;
Danielwsky M. et Lehmann A., Die UNCITRAL‐Konvention über internationale Forderungsabtretungen und ihre
Auswirkungen auf Asset‐Backed‐Securities‐Transaktionen, WM 2003, p. 221 ; Bazinas S. V., La contribution de la CNUDCI
à l’unification du droit du financement par cession de créances : la convention sur la cession de créances dans le
commerce international, RD bancaire et fin. 2003, p. 70 ; Affaki G., L’apport de la convention CNUDCI sur la cession de
créances aux opérations de banque, Banque et droit 2003, no 90, p. 3 ; Stoufflet J., L’apport au droit français de la
convention des Nations unies sur la cession de créances dans le commerce international, précité, p. 37 ; Deschamps M.,
La convention des Nations unies sur la cession de créances dans une perspective canadienne, précité, p. 40). À terme,
la Convention CNUDCI devrait se substituer, au moins partiellement, à la Convention Unidroit, faite à Ottawa (ci‐après :
Convention d’Ottawa) le 28 mai 1988, sur l’affacturage international (Béguin J., La convention d’Ottawa du 28 mai 1988
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sur l’affacturage international – Une étape vers l’adoption de règles uniformes sur les cessions de créances dans le
commerce international, in Mél. Guyon Y., Dalloz, 2003, p. 59 et s., spéc. p. 60 et 65).
L’intérêt de la recherche entreprise est confirmé par l’existence d’une disposition spécifique de la Convention CNUDCI
consacrée à l’engagement de ne pas opposer d’exceptions ou de droit à compensation (art. 19 ; plus généralement, sur
la situation du débiteur dans cette convention, voir Meinhard L., Die Stellung des Schuldners in der geplanten
UNCITRAL‐Zessionskonvention, BankArchiv 2001, p. 453).
Les principes du droit européen du contrat (PDEC) préconisés par la Commission Lando forment une source potentielle
d’uniformisation du droit de la cession de créances qui doivent retenir l’attention parce qu’ils aspirent à être la ratio
scripta moderne et devraient contribuer à une rationalisation des droits nationaux et singulièrement du droit français
(Rémy Ph., Ouverture, in Rémy‐Corlay P. et Fenouillet D. (dir.), Les concepts contractuels français à l’heure des
Principes du droit européen des contrats, Dalloz, 2003, p. 4 ; sur les Principes, voir aussi Jamin C. et Mazeaud D. (dir.),
L’harmonisation du droit des contrats en Europe, Economica, 2001, spéc. chapitre IV, Vers un droit commun européen
des contrats, p. 119 et s., avec les contributions de Tallon D., Beale H., Mazeaud D. et le rapport de synthèse de Witz C.
; Prieto C. (dir.), Regards croisés sur les Principes du droit européen du contrat et sur le droit français, PUAM, 2003). Les
dispositions pertinentes se trouvent dans la Troisième Partie, Chapitre 11, articles 11 : 101 et suivants des PDEC
(Commission pour le droit européen du contrat, Principes du droit européen du contrat, version française préparée par
Rouhette G., Tallon D., de Lamberterie I. et Witz C., Société de législation comparée, 2003, p. 449 et s.).
Quant aux travaux de l’Académie des privatistes européens coordonnés par M. Gandolfi (Code européen des contrats :
avant‐projet, Giuffrè A., 2002 ; le texte brut, sans les commentaires des coordinateurs, est paru : Gaz. Pal. 2003,
doctr., p. 240, avec une présentation de Gridel J.‐P.), ils seront aussi évoqués puisque le Livre Premier, Titre IX, section
2, est consacré à la cession de créance (sur ce projet, voir en dernier lieu Patti S., Kritische Anmerkungen zum Entwurf
eines europäischen Vertragsgesetzbuches, ZeuP 2004, p. 118, et les nombreuses références citées).
Avant d’entrer plus avant dans l’étude de la renonciation à ses exceptions par le débiteur cédé, il apparaît nécessaire
de consacrer quelques développements au principe de départ, l’opposabilité des exceptions.
L’opposabilité des exceptions est un principe indiscuté.
En droit français, le principe de l’opposabilité des exceptions ne trouve pas expressément sa source dans le Code civil,
mais pourrait s’inférer de son article 1295, alinéa 1er.
La règle est généralement regardée comme le pendant de l’article 1692 du Code civil, lequel est lui même un des effets
de la cession : le cessionnaire entre dans les droits du créancier originaire sans que la créance soit affectée par ce
transport. Celle‐ci est donc transmise non seulement avec ses accessoires, privilèges et hypothèques, mais aussi avec
ses vices (voir Zachariä von Lingenthal K. S., Handbuch des französischen Civilrechts bearbeitet von Crome C., Band II,
8e éd., E. Mohr’s Verlag 1894, p. 519, et la référence à Pothier ; Crome C., Die Grundlehren des französischen
Obligationenrechts, Verlag F. Bensheimer, 1894, p. 260 ; Carbonnier J., Droit civil, t. IV, Les obligations, PUF, 22e éd.,
2000, no 315, p. 559 ; Flour J., Aubert J.‐L., Flour Y. et Savaux E., Les Obligations, vol. 3, Le rapport d’obligation,
Armand Colin, 2004, no 356). C’est en même temps une application particulière de la maxime nemo plus juris
transferre potest quam ipse habet (Cass. req., 29 juin 1881, S. 1882, 1, p. 125, rapp. Lepelletier ; Huc T., Traité
théorique et pratique de la cession et de la transmission des créances, t. II, 1891, nos 410 et s. ; Rouiller A., La maxime «
nemo plus juris » en Droit civil français, thèse Rennes, 1964, t. II, no 237). Elle s’explique encore par la force
obligatoire du contrat générateur de la créance cédée (Aynès L., La cession de contrat et les opérations juridiques à
trois personnes, Economica, 1984, no 31). Sous l’empire du Code civil, sa formulation prétorienne la plus nette
remonte, à notre connaissance, à un arrêt de la Cour de cassation de 1853 (Cass. civ., 2 mai 1853, D. 1853, 1, p. 144). La
règle vaut non seulement pour la cession de créance civile, mais aussi en matière de cession de créance professionnelle
ou Dailly (C. mon. et fin., art. L. 313‐29, al. 2, a contrario, anc. L. no 81‐1, 2 janv. 1981, art. 6, al. 2 ; Cass. com., 30
juin 1992, no 90‐16.802, Bull. civ. IV, no 252 ; Hocquet de Lajartre A.‐S., La protection des droits du débiteur cédé dans
la cession Dailly, RTD com. 1996, p. 211 et s., spéc. p. 225, nos 17 et s. ; Le Maigat P., La protection du débiteur cédé

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face au caractère occulte de la « cession Dailly », RD bancaire et fin. 2002, p. 92 et s., spéc. p. 94, nos 13 et s.).
Cette règle est exprimée par la plupart des droits nationaux ainsi que par le droit uniforme (pour un panorama des
droits européens, voir Ranieri F., précité, p. 448).
Ainsi, le § 404 BGB dispose que « le débiteur peut opposer au nouveau créancier les exceptions qui étaient fondées
contre l’ancien créancier au moment de la cession » (sur cette disposition, voir Pick E., Einwendungen bei dem
gegenseitigen Vertrag nach Abtretung der Forderung, AcP 172 (1972), p. 39 ; Kornblum U., Schuldnerschutz bei der
Forderungsabtretung, BB 1981, p. 1296 ; Bülow P., Grundprobleme des Schuldnerschutzes bei der Forderungsabtretung,
JA 1983, p. 7 ; Staudinger‐BGB/Busche J., § 404, 1999, nos 1 et s. ; MünchKomm BGB/Roth G. H., Bd. 2a, 2003, § 404, nos
1 et s. ; adde, en langue française, Saleilles R., Essai d’une théorie générale de l’obligation d’après le premier projet
de Code civil pour l’empire allemand, LGDJ, 3e éd., nouveau tirage, 1925, préf. Capitant H., réimprimé par éd. La
mémoire du Droit, 2001, no 94 ; Cashin‐Ritaine E., Les cessions contractuelles de créances de sommes d’argent dans les
relations civiles et commerciales franco‐allemandes, LGDJ, 2001, no 704). Le fondement et le but de cette norme sont
identiques au fondement et au but de la règle française (voir par exemple MünchKommBGB/Roth G. H., précité, no 1).
En droit suisse, le même principe est exprimé par l’article 169, alinéa 1er, CO : « Le débiteur (cédé) peut opposer au
cessionnaire, comme il aurait pu les opposer au cédant, les exceptions qui lui appartenaient au moment où il a eu
connaissance de la cession ». Le second alinéa de la norme étend même la possibilité d’invoquer la compensation : «
s’il possédait contre le cédant une créance non encore exigible à cette époque, il peut invoquer la compensation,
pourvu que sa créance ne soit pas devenue exigible postérieurement à la créance cédée ». La disposition est regardée
comme une application de la maxime nemo plus juris (Guggenheim D., Le droit suisse des contrats II, Les effets des
contrats, Genève, p. 341 ; Tercier P., Le droit des obligations, Zurich, 2e éd., 1999, no 1325).

Principales abréviations utilisées :


AcP = Archiv für die civilistische Praxis
BB = Der Betriebs‐Berater
BGB = Bürgerliches Gesetzbuch = Code civil (allemand)
CO = Code des obligations (suisse)
JA = Juristische Arbeitsblätter
JuS = Juristische Schulung
MünchKommBGB /auteur = Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch
RabelsZ = Zeitschrift für ausländisches Recht und internationales Privatrecht
SZW/RSDA = Schweizerische Zeitschrift für Wirtschftsrecht / Revue suisse de droit des affaires
Staudinger /auteur = Staudingers Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch
WM = Wertpapiermitteilungen
ZeuP = Zeitschrift für europäisches Privatrecht

L’article 11 :307 des PDEC (moyens de défense et droits de compensation) exprime le principe de la conservation des
droits avec une grande précision : « (1) Le débiteur est en droit d’opposer au cessionnaire toutes défenses au fond et
moyens de procédure relatifs à la créance cédée dont il aurait pu se prévaloir vis‐à‐vis du cédant ». Le régime de la
compensation est aussi réglé avec minutie : « (2) Le débiteur peut également faire valoir à l’encontre du cessionnaire
toute compensation qu’il aurait pu invoquer contre le cédant en vertu du chapitre 13 relativement à des créances
sur ce dernier qui existaient au moment où lui a été notifiée une cession conforme ou non à l’alinéa premier de
l’article 11 : 303, ou qui sont connexes à la créance cédée ».
L’article 124 (droit des parties) de la proposition de Code européen des contrats édicte une règle similaire et détaillée,
dont le cœur recueille la tradition civiliste continentale :
« 1. Le cessionnaire acquiert les mêmes droits qu’avait le cédant.
2. Le cédé peut opposer au cessionnaire toutes exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant jusqu’au moment de la

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cession ; mais s’il a donné sans réserve son adhésion à celle‐ci, il ne peut exciper la compensation. Il peut en outre
invoquer, sauf pour ce que prévoit l’article 122 alinéa 2, les exceptions relatives à l’invalidité de la cession et, s’il
n’a pas donné son consentement à celle‐ci, également les exceptions relatives à son inadmissibilité conventionnelle,
dans les limites prévues par l’article 121, alinéa 4 (...) ».
Ce principe est encore consacré par l’article 18, alinéa 1er, de la Convention CNUDCI : « lorsque le cessionnaire forme
contre le débiteur une demande en paiement de la créance cédée, celui‐ci peut lui opposer toutes les exceptions et
tous les droits à compensation qui découlent du contrat initial ou de tout autre contrat faisant partie de la même
opération et qu’il pourrait invoquer comme si la cession n’avait pas eu lieu et si la demande était formée par le
cédant ». L’alinéa 2 de la norme constitue le pendant de l’article 169, alinéa 2, CO, mais est plus restrictif : « le
débiteur peut opposer au cessionnaire tout autre droit à compensation, à condition qu’il ait pu invoquer ce droit au
moment où il a reçu notification de la cession ». La même règle est déjà présente dans la Convention d’Ottawa (art.
9).
Qu’elle soit écrite ou coutumière, la règle a un but précis : éviter que la situation du débiteur, qui n’a pas été partie à
la cession, soit aggravée par la cession.
La notion d’exception mérite quelques éclaircissements. Le mot exception est souvent utilisé dans la terminologie
juridique française. Il est polysémique lorsqu’il est utilisé en droit civil (Jubault C., Les « exceptions » dans le Code
civil, à la frontière de la procédure et du fond, Petites affiches 2003, nos 11, 12 et 13). Dans le cadre de la règle ici
étudiée, ce terme est employé dans son sens générique de moyen de défense opposé à l’action du demandeur ; il
englobe donc aussi bien l’exception stricto sensu, que la fin de non‐recevoir et la défense au fond (Lachièze C., Le
régime des exceptions dans les opérations juridiques à trois personnes en droit civil, thèse Bordeaux, 1996, no 2).
L’exception opposable au cessionnaire constitue souvent, au regard de la procédure civile, une défense au fond.
Les exceptions opposables s’appuient sur divers fondements et font l’objet de multiples classifications doctrinales (voir
en détail, Rieg A., Rép. civ. Dalloz, Vo Cession de créance, nos 546 et s. ; Lachièze C., précité, nos 490 et s.) ; nous
retiendrons la classification tripartite suivante :
les exceptions inhérentes à la créance, c’est‐à‐dire celles qui se transmettent avec la créance ; ainsi en est‐il des
modalités de paiement ; les exceptions personnelles contre le cédant, c’est‐à‐dire celles qui naissent des rapports
entre le débiteur cédé et le cédant, par exemple l’exception d’inexécution ou de nullité ; les exceptions personnelles
contre le cessionnaire, c’est‐à‐dire celles qui naissent des rapports entre le débiteur cédé et le cessionnaire et que
tout débiteur peut invoquer en principe contre son créancier, par exemple la compensation.
La terminologie des droits allemand et suisse n’est guère plus précise et est encore, tout comme la nôtre, fortement
imprégnée de romanité (Einwendungen, Einreden, exceptions péremptoires et dilatoires, objections, etc.) ; les
Principes évoquent quant à eux « les défenses au fond » et les « moyens de procédure ». L’étude de la casuistique
montre que derrière les mots se trouvent les mêmes moyens de défense (Jahr G., Die Einrede des Bürgerlichen Rechts,
JuS 1964, p. 125 ; Engel P., Traité des obligations en droit suisse, Neuchâtel, 1973, p. 276 ; Busche J., précité, nos 10 et
s. ; MünchKomm BGB/ Roth G. H., précité, nos 5 et s. ; commentaire sous art. 11 :307 PDEC, précité, p. 478).
La faculté qu’a le débiteur cédé de renoncer à ses exceptions n’est pas sans limite (I). Il convient de déterminer les
effets que produit une telle renonciation sur les trois protagonistes de la cession de créance (II).

I ‐ LA RENONCIATION ET SES LIMITES


La renonciation par le débiteur cédé à ses exceptions est admise en principe (A), mais pas de manière absolue (B).

A ‐ La renonciation
Trois questions appellent un examen : celle de la licéité de la renonciation (1), la distinction entre la renonciation et
une notion voisine, l’acceptation de la cession (2), enfin, la nature et la forme de la renonciation (3).

1 ‐ Licéité de la renonciation
Rares sont les auteurs qui se prononcent sur le caractère impératif ou dispositif de la règle de l’opposabilité des

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exceptions en droit français. Cependant, ceux qui abordent la question sont unanimes pour admettre que la règle n’est
pas d’ordre public, si bien que le débiteur peut toujours renoncer à ses exceptions (Huc T., Traité théorique et pratique
de la transmission et de la cession des créances, éd. F. Pichon, Paris, 1891, t. II, no 474 ; Baudry‐Lacantinerie G. et
Saignat L., Traité théorique et pratique de droit civil – De la vente et de l’échange, Sirey, 1900, no 849 ; Gaudemet E.,
Théorie générale des obligations, Sirey, 1937, réimpression 1965, p. 454 ; Planiol M. et Ripert G., Traité pratique de
droit civil français, t. VII, Obligations, LGDJ, 2e éd., 1954, par Esmein P., Radouant J. et Gabolde G., no 1121 ; Billiau
M., La transmission des créances et des dettes, LGDJ, 2002, no 32 ; même solution en droit belge : De Page H., Traité
élémentaire de droit civil belge, Bruylant, 1951, t. IV, no 378 ; Cass. bel., 13 sept. 1973, Pasicrisie belge 1974, I, p. 31).
Cette faculté est fondée sur le principe de la liberté contractuelle.
C’est la même solution qui résulte de l’interprétation des codes européens déjà évoqués, puisqu’ils envisagent tous
l’opposabilité des exceptions comme une simple faculté offerte au débiteur cédé comme l’atteste l’utilisation du verbe
pouvoir (pour le droit suisse, voir Tercier P. et Eigenmann A., La renonciation du débiteur cédé à ses exceptions,
SZW/RSDA 2003, p. 129 et s., spéc. p. 132 et les références citées ; pour le droit allemand, voir Staudinger BGB/ Busche
J., § 404, 1999, nos 35 et s. ; MünchKommBGB/Roth G. H., précité, no 18). Pour le droit allemand, la solution s’infère de
plus du § 496, alinéa 1er, BGB relatif au contrat de prêt à la consommation. Aux termes de cette disposition, est
inefficace la convention par laquelle l’emprunteur renonce au droit que lui confère le § 404 BGB d’opposer au
cessionnaire de la créance du prêteur les exceptions qu’il a contre ce dernier. A contrario, une telle convention est en
principe efficace.
La Convention CNUDCI prévoit quant à elle expressis verbis la licéité de la renonciation (art. 19 : « 1. Le débiteur peut
convenir avec le cédant (...) de ne pas opposer au cessionnaire les exceptions et droits à compensation qu’il
pourrait invoquer en vertu de l’article 18 (...) »).
Les Principes du droit européen du contrat n’indiquant pas expressément que l’article 11 :307 est impératif, il y a lieu
de considérer qu’il est de nature dispositive, conformément à l’article 1 :102 (2) des mêmes principes (art. 1 :102 : «
Liberté contractuelle (1) Les parties sont libres de conclure un contrat et d’en déterminer le contenu, sous réserve
des exigences de la bonne foi et des règles impératives posées par les présents Principes. (2) Les parties peuvent
exclure l’application dquelconque des présents Principes ou y déroger ou en modifier les effets, à moins que les
Principes n’en disposent autrement »).
De la même manière, il y a lieu de considérer que le cédé peut renoncer aux prérogatives de l’article 124.2 de la
proposition de Code européen des contrats, puisqu’il n’est pas expressément dérogé au principe de l’autonomie
contractuelle édicté par son article 2 (art. 2.1 : « Les parties peuvent librement déterminer le contenu du contrat,
dans les limites imposées par les règles impératives, les bonnes mœurs et l’ordre public, comme elles sont fixées
par le présent Code, dans le droit communautaire ou dans les lois nationales des États membres de l’Union
européenne, pourvu que par là même les parties ne poursuivent pas uniquement le but de nuire à autrui »).

2 ‐ Renonciation aux exceptions et acceptation de la cession


La renonciation aux exceptions ne doit pas être confondue avec l’acceptation de la cession (Cass. civ., 2 août 1847, DP
1847, 1, p. 315, voir infra), même si ces deux actes juridiques ont pour effet de faire bénéficier le cessionnaire (de
bonne foi) de l’inopposabilité des exceptions dans une mesure très différente, il est vrai, selon que la cession de
créance est civile ou professionnelle.
La renonciation est un acte abdicatif des exceptions, alors que l’acceptation au sens de l’article 1690, alinéa 2, du Code
civil doit s’entendre selon l’opinion dominante comme l’aveu par le débiteur de la connaissance qu’il a du transport et
non comme un engagement personnel du cédé pris sans réserve de payer le cessionnaire. Il n’y a donc pas de novation
(Carbonnier J., précité, no 316 ; Flour J., Aubert J.‐L., Flour Y. et Savaux E., précité, no 343 ; contra Petit B., note
sous Cass. 3e civ., 31 mai 1983, no 81‐13.824, JCP éd. G 1984, II, no 20156). L’acceptation selon l’article L. 321‐29 du
Code monétaire et financier (anc. L. no 81‐1, 2 janv. 1981, art. 6) s’apparente à l’acceptation cambiaire.
La renonciation aux exceptions et l’acceptation se distinguent d’abord du point de vue de leur objet. L’une est un acte
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juridique par lequel il est renoncé aux exceptions nées du contrat créateur de la créance originaire, alors que l’autre
porte sur le transport de la créance. Cette différence d’objet se répercute sur la condition de leur validité. Alors que la
renonciation aux exceptions est possible dès que la créance est née, l’acceptation de la cession par le débiteur cédé ne
peut avoir lieu, selon le type de cession, qu’après la cession ou concomitamment à celle‐ci. La possibilité d’une
acceptation anticipée a été fermement rejetée par la Cour de cassation pour des raisons tenant à la nature des choses :
la cession Dailly ne prenant effet qu’à la date apposée sur le bordereau de cession, le cessionnaire ne peut avant cette
date notifier la cession ou inviter utilement le cédé à accepter celle‐ci (Cass. com., 8 févr. 2000, no 97‐17.627, Bull. civ.
IV, no 27). De la lettre de l’article 1690, alinéa 2, du Code civil, il résulte que la cession civile et l’acceptation sont
concomitantes.
Une différence importante tient aussi à la forme de l’acte : alors que l’acceptation obéit à un formalisme strict, que la
cession soit civile ou professionnelle (C. civ., art. 1690, al. 2 et C. mon et fin., art. L. 321‐29, al. 1er, anc. L. no 81‐1, 2
janv. 1981, art. 6, al. 1er) la renonciation obéit au principe du consensualisme (voir cependant infra, les nuances
apportées). On notera au passage que la Cour de cassation veille strictement au respect du formalisme de l’acte
d’acceptation pour la « cession Dailly » (Cass. com., 29 oct. 2003, no 01‐02.512, Bull. civ. IV, no 157, RD bancaire et fin.
2004, no 6, obs. Crédot F.‐J. et Gérard Y.), mais pas pour la cession civile où elle admet l’acceptation sous signature
privée (Cass. req., 27 déc. 1933, DP 1934, I, p. 13, rapp. Pilon). Cette différence de traitement s’explique certainement
par le caractère plus rigoureux des effets de l’acceptation d’une cession Dailly.

La renonciation aux exceptions ne doit pas être confondue avec l’acceptation de la cession, même si ces deux
actes juridiques ont pour effet de faire bénéficier le cessionnaire de l’inopposabilité des exceptions dans une
mesure très différente, il est vrai, selon que la cession de créance est civile ou professionnelle.

Enfin, les effets de l’acceptation du cédé sont plus larges que la renonciation lorsque la créance est professionnelle
puisque celle‐ci conduit non seulement à l’inopposabilité des exceptions, mais aussi à un renversement de la charge de
la preuve de l’existence de la créance (sur les conséquences de l’acceptation de la cession Dailly, voir Crocq P., Lamy
Droit des sûretés, no 262‐59). Dans le cadre du Code civil, l’acceptation produit un effet plus restreint que la
renonciation puisqu’elle fait seulement perdre au cédé le bénéfice de l’exception de compensation (C. civ., art. 1295,
al. 1er). La doctrine dominante considère à juste raison que cette présomption de renonciation tacite ne doit pas être
étendue par analogie (contra, Sériaux A., Droit des obligations, PUF, 2e éd., 1998, no 169).
L’acceptation a enfin pour importante conséquence d’obliger le cédé à payer directement le cessionnaire ou
bénéficiaire du bordereau, car elle équivaut à une signification. La renonciation n’entraîne pas un tel effet (Planiol M.
et Ripert G., précité ; Baudry‐Lacantinerie G. et Saignat L., précité).

3 ‐ Nature et forme de la renonciation


Il importe de déterminer la nature et plus exactement le type d’acte juridique qui produit l’effet abdicatif (a) ainsi que
la forme de cet acte juridique (b).

a ‐ Convention ou acte juridique unilatéral


Selon la théorie classique, une renonciation ne saurait être qu’un acte juridique unilatéral. À l’inverse de cette
conception restrictive, un auteur a soutenu de manière convaincante l’unité du concept de manifestation de volonté
abdicative fondée sur l’objet de la volonté, qui conduit à admettre la notion de convention abdicative (Dreifuss‐Netter
F., Les manifestations de volonté abdicatives, LGDJ, 1985, nos 12 et s., spéc. nos 35 et s.). Cette démonstration trouve
une nouvelle illustration dans la question ici étudiée : la renonciation du débiteur cédé à ses exceptions peut
emprunter deux voies, celle d’une convention abdicative comme celle d’un acte unilatéral.
Une convention conclue entre le cédant et le cessionnaire ne saurait modifier la situation du cédé (C. civ., art. 1165). Il
en serait autrement si le débiteur cédé venait à autoriser une telle convention ou y coopérait dans le cadre d’une
convention tripartite. En pratique, la dérogation au principe nemo plus juris devrait passer par une convention entre le

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créancier et le débiteur (en ce sens pour le droit belge, voir De Page H., précité, no 444) ou plus rarement entre le
débiteur et le cessionnaire.
La pratique allemande vient conforter cette idée (Palandt BGB/ Heinrichs H. 2003, § 404, no 7). L’analyse de la
renonciation en une convention abdicative trouve un solide appui dans la convention CNUDCI. Son article 19, alinéa 1er,
prévoit en effet que « le débiteur peut convenir avec le cédant (...), de ne pas opposer au cessionnaire les
exceptions » et que cette convention « empêche le débiteur d’opposer au cessionnaire ces exceptions et droits à
compensation ». La convention peut être unilatérale ou synallagmatique selon que la renonciation fait l’objet d’une
contrepartie ou non. Il peut s’agir d’une clause du contrat générateur de créance ou d’une convention conclue
postérieurement à celui‐ci.
Le recours à une convention est préférable à la renonciation unilatérale, car chacun des protagonistes devrait y trouver
avantage : en renonçant à ses exceptions sur la base d’une convention, le débiteur cédé est en position d’obtenir une
contrepartie ; la conclusion d’une telle convention permet au créancier de céder son droit à un meilleur prix ; le
cessionnaire, quant à lui, acquiert une créance plus sûre. C’est pourquoi la convention interviendra généralement
avant la cession.
La renonciation peut aussi emprunter la voie d’un acte juridique unilatéral. Le renonçant exerce alors un droit
formateur (ou potestatif). La nature de la renonciation se déduit logiquement de la nature même de l’exception : se
prévaloir d’une exception constitue un acte formateur si bien que le fait de l’abdiquer doit s’analyser de la même
façon (voir en ce sens, pour le droit suisse, Tercier P. et Eigenmann A., précité, p. 135).
Les auteurs allemands admettent aussi que le débiteur cédé puisse renoncer unilatéralement à ses exceptions
(MünchKomm BGB/ Roth G. H., Bd. 2a, 2003, § 404, no 18 ; Staudinger‐BGB/Busche J., § 404, 1999, no 35 ; plus
généralement, le caractère unilatéral ou bilatéral de la renonciation en droit des obligations est sujet à discussion :
Kleinschmidt J., Der Verzicht im Schuldrecht ‐ Vertragsprinzip und einseitiges Rechtsgeschäft im deutschen und US‐
amerikanischen Recht, Mohr Siebeck, 2004, propose une théorie sur la base de la comparaison des droits).
La notion de droit formateur est d’origine essentiellement allemande et italienne (voir les sources dans notre thèse, La
protection du distributeur intégré en droit français et allemand, Litec, 2002, p. 358 et s. et 378 et s. ; adde Ducrocq A.,
Recherches sur la notion de droit potestatif, mémoire DEA Université Lille 2, 1999/2000). Le droit formateur peut être
défini comme un droit subjectif secondaire par lequel son titulaire a le pouvoir de former, de modifier ou d’éteindre
par un acte unilatéral sa propre situation juridique ou celle d’autrui. L’« effet formateur » (Gestaltungswirkung) opère
par la seule réception de la déclaration de volonté émise par le titulaire du droit, la déclaration formatrice
(Gestaltungserklärung). Cette possibilité qu’a le titulaire d’exercer une influence sur la relation juridique, de la
modeler, explique l’expression allemande « droit formateur » (Gestaltungsrecht).
La « déclaration formatrice » étant une déclaration de volonté réceptice (voir Limbach F., Le consentement
contractuel à l’épreuve des conditions générales – De l’utilité du concept de déclaration de volonté, LGDJ, 2004, nos 72
et s. et 98 et s.), il convient de déterminer son destinataire. Cette déclaration de volonté s’adresse en principe au
cédant puisque c’est la relation créancier‐cédant/débiteur cédé qui est en premier lieu affectée. Mais en même temps,
comme c’est le cessionnaire qui retire le bénéfice de cet acte abdicatif, il est possible que la renonciation soit aussi
adressée au cessionnaire ou seulement à celui‐ci. La nature de droit formateur de cette renonciation emporte une
conséquence importante : l’impossibilité pour son auteur de la révoquer. Pour rétracter sa déclaration formatrice, le
déclarant doit en effet en principe recueillir l’accord du destinataire de la déclaration de volonté.
Une question surgit naturellement à propos de la nature stricto sensu de la renonciation à l’opposabilité des exceptions
: y a‐t‐il novation ? La parenté est indéniable, puisque l’obligation est, dans la mesure déterminée par l’acte abdicatif,
purgée des exceptions à l’égard du cessionnaire. Mais pour le reste, l’obligation primitive subsiste telle qu’elle existait.
Ainsi, les sûretés demeurent.

b ‐ Forme de la convention ou de l’acte juridique unilatéral


Un principe de départ : l’absence de formalisme – Du principe de l’autonomie de la volonté et de son corollaire solus

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consensus obligat se déduit la liberté de principe du mode d’expression des manifestations de volonté abdicatives
(Dreifuss‐Netter F., précité, nos 67 et s.). En conséquence, le débiteur cédé peut renoncer à ses exceptions
expressément ou tacitement (Gaudemet E., Théorie générale des obligations, Sirey, 1965, p. 454 ; dans le même sens,
pour le droit belge : De Page H., précité, no 444). Mais encore faut‐il que l’acte ou le comportement du débiteur cédé
ne puisse être interprété autrement qu’en une renonciation (voir Cass. com., 3 déc. 2002, no 00‐14.704). Dans un cas,
le Code civil présume une renonciation tacite : le débiteur cédé est censé renoncer à la compensation qu’il pouvait
opposer au cédant quand il a accepté purement et simplement la cession (C. civ., art. 1295, al. 1er). La renonciation
tacite au droit d’opposer les exceptions ne doit cependant pas être confondue avec la déchéance de ce même droit
(Verwirkung). L’ordre juridique connaît des cas où l’exercice d’un droit est paralysé alors que le droit n’est pas prescrit
et que le titulaire de ce droit ne l’a pas abdiqué. Cette hypothèse est connue sous le nom de déchéance ou de
Verwirkung. La déchéance est une application spéciale du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment
d’autrui de manière dommageable (venire contra factum proprium nulli conceditur). C’est pourquoi la paralysie
exceptionnelle de l’exercice du droit par son titulaire est conditionnée par la croyance légitime de l’autre partie que le
droit ne serait pas exercé du tout, ou pas à ce moment‐là, ou encore pas de cette manière, et que cette dernière,
confiante dans la situation ainsi créée, a agi en fonction d’elle, a pris des dispositions.
Il ne fait pas de doute que cette institution connue depuis longtemps des droits suisse (Dreifuss‐Netter F., précité, nos
263 et s. ; entre‐temps les contours de la notion se dissolvent quelque peu pour semble‐t‐il se fondre dans un principe
protéiforme et contesté de responsabilité pour confiance : Morin A., La responsabilité fondée sur la confiance : étude
critique des fondements d’une innovation controversée, Helbing & Lichtenhahn, 2002) et allemand (voir, parmi une
abondante littérature, Canaris C.‐W., Die Vertrauenshaftung im deutschen Privatrecht, C. H. Beck, 1971, p. 278 ;
Larenz K. et Wolf M., Allgemeiner Teil des Bürgerlichen Rechts, C. H. Beck, 1997, § 16, nos 44 et s. ; Teichmann A.,
Venire contra factum proprium – Ein Teilaspekt rechtsmissbräuchlichen Handelns, JA 1985, p. 498) est, sinon toujours
expressément consacrée par la jurisprudence française, nichée dans la ratio decidendi de nombreuses décisions et
l’objet désormais d’une large reconnaissance doctrinale après une longue éclipse (Célice B., Les réserves et le non‐
vouloir dans les actes juridiques, LGDJ, 1968 ; Muir Watt H., Pour l’accueil de l’estoppel en droit privé français, in Mél.
Loussouarn Y., p. 303 ; Fages B., Le comportement du contractant, PUAM, 1997, nos 630 et s. ; Sériaux A., Droit des
obligations, PUF, 1998, no 55 ; Behar‐Touchais M. (dir.), L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui,
Economica, 2001 ; Gautier P.‐Y., RTD civ. 2001, p. 875 ; Houtcieff D., Le principe de cohérence en matière
contractuelle, PUAM, 2001 ; notre thèse, précitée, p. 513 et s.).
D’un point de vue dogmatique, la distinction entre les mécanismes est claire : la renonciation tacite est le fruit d’une
déclaration de volonté, alors que la Verwirkung ou déchéance est la sanction attachée à la confiance accordée à un
comportement.
La distinction entre renonciation tacite et déchéance peut être illustrée par un important arrêt de la Cour de cassation
(Cass. com., 13 févr. 1996, no 93‐17.962, JCP éd. G 1996, II, no 22725, note Routier R., RTD civ. 1997, p. 130, obs. Mestre
J.). Une société subit un sinistre et reçoit une première avance de son assureur. Ce dernier lui adresse ensuite un
courrier lui exprimant son accord pour le versement d’une nouvelle somme de 1 500 000 francs, en précisant cependant
que cette somme sera payée après l’accomplissement des formalités administratives. L’assureur adresse spontanément
une copie de cette lettre à la banque de son assuré. Au vu de celle‐ci, la banque consent à son client un crédit en
échange de la cession, à son profit, de sa créance sur l’assureur. La cession Dailly est notifiée à l’assureur, qui ne
l’accepte pas. La déclaration de l’assuré se révélant ensuite surévaluée, l’assureur conclut alors avec l’assuré une
transaction limitant l’indemnisation du préjudice au montant de la première avance versée. Lorsque le banquier
cessionnaire vient réclamer à l’assureur‐débiteur cédé le paiement de la créance, ce dernier excipe de l’inexistence de
la créance pour refuser son paiement. La cour de Colmar a jugé que le cédé n’était pas en droit d’opposer l’exception
de l’inexistence de la créance. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que le débiteur cédé avait agi avec
légèreté en se déclarant rapidement et spontanément débiteur d’une somme importante, sans assortir cette

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reconnaissance des réserves adéquates. C’est le fondement de la responsabilité civile qui a été retenu. Il est possible
de voir dans cette exclusion de l’opposabilité des exceptions une véritable réparation en nature du préjudice subi par la
banque.
La décision s’explique fort bien à la lumière du principe venire contra factum proprium nulli conceditur : le courrier
qu’il avait reçu de l’assureur pouvait légitimement faire croire au banquier à l’existence de la créance ; sur le
fondement de cette croyance, le banquier avait pris des dispositions, en l’espèce octroyé un crédit à son client ; le
silence ensuite observé par l’assureur était de nature à maintenir le banquier dans sa croyance, si bien que l’exercice
par l’assureur‐cédé de son droit de soulever une exception apparaît comme une contradiction abusive avec son premier
comportement créateur de l’apparence que le client de la banque était bien créancier d’une importante somme
d’argent. Cette contradiction abusive était de nature à causer un préjudice au banquier confiant.
Il faut cependant admettre que la distinction entre renonciation tacite et déchéance n’est pas aussi tranchée qu’il y
paraît, car il n’est pas toujours aisé de faire le départ entre une déclaration de volonté sujette à interprétation (sur la
structure de la déclaration de volonté, voir les développements éclairants de Limbach F, précité, nos 183 et s.) et un pur
comportement, sans valeur déclarative (Dreifuss‐Netter F., précité, no 264). Il a d’ailleurs été relevé que le droit
français, ainsi que les autres systèmes romanistes, a longtemps préféré recourir, et recourt encore souvent, à la fiction
de la renonciation tacite plutôt que de sanctionner ouvertement l’exercice déloyal ou tardif d’un droit par la
déchéance (Ranieri F., « Verwirkung » et renonciation tacite, quelques remarques de droit comparé, in Mél. Bastian D.,
Litec, 1974, p. 427, et Europäisches Obligationenrecht, précité, p. 689 et s.).
La plupart des droits étrangers connaissent le consensualisme comme principe (voir Fontaine M. (dir.), Le processus de
formation du contrat ‐ Contributions comparatives et interdisciplinaires à l’harmonisation du droit européen,
Bruylant/LGDJ, 2002, p. 616).

La distinction entre renonciation tacite et déchéance n’est pas aussi tranchée qu’il y paraît, car il n’est pas
toujours aisé de faire le départ entre une déclaration de volonté sujette à interprétation et un pur
comportement, sans valeur déclarative.

En droit suisse, où règne la liberté de la forme (CO, art. 11), la renonciation aux exceptions n’est soumise à aucun
formalisme. La pratique enseigne que pour des raisons de preuve évidentes, elle revêt généralement la forme écrite
(Tercier/Eigenmann, précité, p. 136).
Le droit allemand connaît la même solution : la liberté contractuelle et son corollaire la liberté de la forme
(Formfreiheit) sont des principes non écrits de l’ordre juridique allemand (Schlechtriem P., Schuldrecht, Allgemeiner
Teil, JCB Mohr, 5e éd., 2003, nos 34 et s.). Dès lors, la renonciation peut être expresse ou concluante (Staudinger‐BGB/
Busche J., § 404, 1999, no 42).
L’article 2 :101 (2) des PDEC consacre une solution identique (art. 2 :101 : « Conditions pour la conclusion d’un
contrat. (2) Le contrat n’a pas à être conclu ni constaté par écrit et n’est soumis à aucune autre exigence de forme.
Il peut être prouvé par tous moyens, y compris par témoins »).
La même solution s’infère des articles 34 à 38 de la proposition de Code européen des contrats.
L’article 19 de la Convention CNUDCI édicte une règle raisonnable, car elle tient compte des intérêts en présence : « le
débiteur peut convenir avec le cédant, par un écrit qu’il signe, de ne pas opposer au cessionnaire les exceptions (...)
». L’article 5 c) précise que « le terme “écrit” désigne toute forme d’information accessible de manière à être
utilisable pour référence ultérieure ». La CNUDCI voit à juste titre dans cette exigence la garantie que « (...) les deux
parties soient bien informées du fait de la renonciation et de ses conséquences, y compris les avantages offerts en
retour au débiteur » et un moyen de « faciliter la production des preuves » (Commentaire relatif au projet de
convention sur la cession de créances à des fins de financement, 2e partie, A/CN.9/WG.II/WP.106, Vienne 1999, p. 20).
Une exception possible au principe ? – Le Code monétaire et financier connaît, ainsi qu’il a été vu plus haut, un
formalisme ad validitatem pour un mécanisme, l’acceptation, qui a notamment pour conséquence d’interdire au

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débiteur d’opposer à l’établissement de crédit les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du
bordereau de cession de créances professionnelles.
Aux termes de l’article L. 313‐29 du Code monétaire et financier, en effet, l’acceptation doit être constatée dans un
écrit intitulé « Acte d’acceptation de la cession ou du nantissement d’une créance professionnelle ». Ce texte n’est
pas directement applicable à la renonciation faute d’identité de nature entre les deux mécanismes. L’acceptation
emporte en effet une conséquence que la renonciation n’emporte pas : celle d’obliger le débiteur à payer directement
le bénéficiaire du bordereau.
Reste alors la question de l’application par analogie de l’article L. 313‐29 du Code monétaire et financier (anc. L. no
81‐1, 2 janv. 1981, art. 6) à la renonciation aux exceptions. Ce mécanisme de comblement des lacunes intra legem
apparaît ici justifié si l’on s’attache au sens et au but de ce formalisme. Ce dernier vise en effet à la fois la sécurité des
transactions, en conformité avec la ratio de la loi Dailly et, au moins indirectement, la protection du consentement du
débiteur. L’application analogique devrait toutefois se limiter aux cessions de créances professionnelles.

B ‐ Les limites de la validité de la renonciation aux exceptions


Envisageons d’abord les limites de la validité de la renonciation (1), puis les conséquences de cette éventuelle
invalidité (2).

1 ‐ Quelques manifestations de l’ordre public


Il existe en droit français plusieurs bornes légales au principe de la validité de la renonciation par le débiteur à ses
exceptions.
Le débiteur cédé ne peut abdiquer que les droits auxquels il est licite de renoncer. Ainsi, s’il peut renoncer par exemple
à opposer l’exception d’inexécution, il ne peut renoncer à exciper du caractère illicite ou immoral de l’objet ou de la
cause du contrat générateur de créance (C. civ. art. 6). L’ordre public se manifeste aussi dans le droit de la
prescription. L’article 2220 du Code civil dispose en effet qu’« on ne peut, d’avance, renoncer à la prescription : on
peut renoncer à la prescription acquise ». Cette prohibition s’applique non seulement à la prohibition anticipée stricto
sensu, mais aussi à la renonciation en cours de délai (pour un commentaire détaillé de la norme, voir Taisne J.‐J., J.‐Cl.
Civil, art. 2220 à 2225, Fasc. 20, nos 7 et s.). Le créancier peut toutefois réduire les risques inhérents à l’exception de
prescription en abrégeant conventionnellement les délais de prescription favorables au débiteur. De telles clauses sont
en principe licites, mais la jurisprudence contrôle leur contenu à l’aune du raisonnable (voir Taisne J.‐J., précité, nos
16 et s.).
Une autre limite se situe dans le droit de la consommation. Dans un contrat entrant dans le champ d’application des
articles L. 132‐1 et suivants du Code de la consommation, une clause par laquelle le consommateur renoncerait à ses
exceptions pour le cas où il se trouverait dans la position de débiteur cédé pourrait être jugée abusive (comparer
Annexe à l’article L. 132‐1 précité, clauses 1 b) et q)). La nécessaire extension téléologique de l’article L. 313‐13 du
Code de la consommation vient aussi restreindre la validité de la renonciation. Selon cette disposition, les lettres de
change et billets à ordre souscrits par des emprunteurs, même majeurs, à l’occasion des opérations de crédit immobilier
et mobilier sont nuls. L’engagement ainsi contracté par l’emprunteur est assimilé à celui d’un incapable au sens de
l’article L. 511‐5 du Code de commerce. La ratio legis est claire : les règles protectrices édictées par le Code de la
consommation auraient pu être tenues en échec si l’on avait admis que l’emprunteur pût s’engager par le moyen d’un
effet de commerce. Le principe de l’inopposabilité des exceptions (C. com., art. L. 511‐12) aurait obligé l’emprunteur
à payer au tiers porteur le montant de l’effet, sans pouvoir opposer l’exception de non‐livraison, par exemple (Bout R.
et alii, Lamy Droit économique, 2004, no 6022). En cédant sa créance tout en demandant à l’emprunteur de renoncer à
ses exceptions, le prêteur pourrait parvenir au résultat que l’article 313‐13 du Code de la consommation a pour finalité
d’empêcher. C’est pourquoi une extension téléologique de cette norme au cas de la cession de créance couplée à une
renonciation aux exceptions nous semble requise pour éviter que le consommateur ne coure le risque de perdre à
l’égard du cessionnaire les exceptions qu’il avait contre le cédant. L’acte abdicatif sera nul, qu’il soit contemporain ou
non de l’ouverture de crédit ou du prêt consentis (Cass. 1re civ., 30 sept. 1997, no 95‐20.171, Bull. civ. I, no 260,

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Contrats, conc., consom. 1997, comm. 182, obs. Raymond G., RTD com. 1998, p. 181, obs. Cabrillac M.).
Le droit allemand connaît une restriction comparable : aux termes du § 496, alinéa 1er, BGB, est inefficace une
convention par laquelle l’emprunteur à la consommation renonce à opposer au cessionnaire de la créance que le
prêteur détient sur lui les exceptions qu’il a contre ce dernier.

2 ‐ Les conséquences de l’invalidité de la cession


La nullité de la renonciation aura des répercussions sur la relation entre le cédant et le cessionnaire. Reste à en
déterminer le fondement.
L’article 1693 du Code civil paraît approprié, mais son applicabilité n’est pas certaine. Cette norme prévoit que « celui
qui vend une créance ou un autre droit incorporel, doit en garantir l’existence au temps du transport, quoiqu’il soit
fait sans garantie », et, selon la Cour de cassation, la garantie s’étend à l’existence des sûretés attachées à la créance
(Cass. civ., 10 févr. 1857, DP 1857, 1, p. 87 ; Cass. 1re civ., 31 oct. 1962, D. 1963, p. 363, note Champaud C. ; sur
l’obligation de garantie du cédant, voir Cadiet L., J.‐Cl. Civil, art. 1689 à 1695, Fasc. 30, nos 21 et s.).
Si la sûreté négative étudiée n’était pas considérée comme une authentique sûreté, le cessionnaire devrait invoquer
contre le cédant la responsabilité contractuelle de droit commun des articles 1147 et suivants du Code civil pour obtenir
réparation du préjudice que lui cause la nullité de la renonciation et la possibilité qu’a en conséquence le débiteur
cédé de lui opposer ses exceptions.

II ‐ LES EFFETS DE LA RENONCIATION


Les effets de la renonciation sont dictés en principe par les termes de la convention abdicative ou de la déclaration
formatrice (A). Il convient d’examiner précisément les effets de la renonciation du cédé sur les relations qui se nouent
entre les divers protagonistes (B). Enfin, il faudra observer que l’efficacité de la cession n’est pas sans bornes (C).

A ‐ Le contenu de la manifestation de volonté abdicative


En cas d’obscurité de la convention ou de la déclaration de volonté, il faudra l’interpréter (voir sur cette question
Limbach F., Le consentement contractuel à l’épreuve des conditions générales, précité, nos 75 et s. et 104 et s. ; sur
l’interprétation de la renonciation en général, voir Dreifuss‐Netter F., précité, nos 132 et s. ; Rép. civ. Dalloz, Vo
Renonciation, nos 39 et s.).
À titre d’illustration, la Cour de cassation (Cass. civ., 2 août 1847, DP 1847, 1, p. 315, S. 1847, 1, p. 705) n’a vu aucun
engagement de renonciation du cédé dans la formule spéciale d’acceptation : « Je déclare avoir connaissance d’un
écrit sous signatures privées aux termes duquel D a transporté à G la somme de 54 000 francs que je lui dois. En
conséquence j’accepte ledit transport et je me le tiens pour dûment signifié. Je déclare n’avoir entre les mains
aucune opposition ni empêchement qui puisse en arrêter l’effet et n’avoir aucune compensation à opposer à D. Je
reconnais G pour mon créancier des 54 000 francs cédés et je m’engage à me libérer de cette somme entre ses mains
de la même manière et dans les mêmes termes que j’en étais tenu envers D ». En revanche, un engagement de
renonciation a été retenu dans un cas (Cass. civ., 19 avr. 1854, DP 1854, 1, p. 145) où par son acceptation le cédé
promettait de payer au cessionnaire nonobstant toutes oppositions faites sur le cédant ou autres empêchements qui
pourraient se trouver entre ses mains, à quelque titre et pour quelque cause que ce fût. De plus, il fournissait diverses
sûretés pour assurer l’exécution de son engagement.
Il est intéressant de noter que la doctrine allemande considère qu’il faut interpréter la déclaration de volonté en
fonction de son énoncé et des circonstances, mais que la « reconnaissance » (Anerkennung), la « confirmation »
(Bestätigung) ou « l’acceptation » (Annahme) exprimée par le cédé constituent de manière typique une renonciation
aux exceptions lorsque le cédé connaissait les faits de nature à fonder une exception ou s’attendait à ceux‐ci, ou
encore aurait dû compter sur leur existence (MünchKomm BGB/ Roth G.‐H., précité, no 20).
La renonciation pourra être générale ou restreinte à une ou plusieurs exceptions déterminées (Huc T., précité). Elle
peut ne porter que sur les exceptions connues au moment de la renonciation ou s’étendre aux exceptions encore
inconnues à ce moment (en ce sens, pour le droit belge, De Page H., précité, no 444, spéc. 3).

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Dans le doute, la renonciation devrait toujours s’interpréter strictement, c’est‐à‐dire de la manière la plus favorable au
débiteur cédé, puisque c’est lui qui s’oblige (C. civ., art. 1162 ; Baudry‐Lacantinerie G. et Saignat L., précité ; Planiol
M. et Ripert G., précité ; De Page H., précité ; contra Petit B., note précitée sous Cass. 3e civ., 31 mai 1983, no 81‐
13.824, spéc. no 16), a fortiori lorsque la renonciation est intégrée dans des conditions générales de contrat (en ce
sens, pour le droit allemand, Staudinger‐BGB/ Busche J., § 404, no 38). Du point de vue de la technique contractuelle, il
est préférable de dresser une liste aussi exhaustive que possible des exceptions auxquelles il est renoncé.
Pour mieux cerner les effets de la renonciation, il est nécessaire de s’attacher aux différents rapports qui unissent les
protagonistes de la cession de créance.

B ‐ Les effets de la renonciation sur les diverses relations nouées


Il convient d’examiner les effets de la renonciation du cédé à l’égard du cessionnaire (1), à l’égard du cédant (2), ainsi
que sur la relation entre le cédant et le cessionnaire (3).

1 ‐ Les effets de la renonciation du cédé à l’égard du cessionnaire


Le cédé ne peut opposer au cessionnaire les exceptions personnelles qu’il détient contre le cédant (a). Il ne peut non
plus opposer les exceptions fondées sur le relation entre le cédant et le cessionnaire (b).

a ‐ Les exceptions personnelles du débiteur cédé contre le cédant


Du fait de la renonciation, le débiteur cédé ne peut plus opposer au cessionnaire les exceptions qu’il détient contre le
cédant. Cet effet est le produit immédiat et logique de la sûreté négative mise en place. Il a été dit en introduction que
la maxime nemo plus juris permet au débiteur cédé de se prévaloir des exceptions qu’il pouvait opposer à son
cocontractant et que c’est à ce droit que le débiteur cédé déclare renoncer. Une règle identique se déduit du droit
cambiaire : l’article L. 511‐12 du Code de commerce empêche en effet le débiteur cambiaire de se prévaloir des
exceptions personnelles nées de ses rapports avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs.

b ‐ Les exceptions fondées sur la relation entre le cédant et le cessionnaire


Il est parlé ici de renonciation par commodité. Il serait plus correct de considérer que ces exceptions ne sont pas
opposables par nature. Cette relation est en effet étrangère à la relation qui unit le cédé et le cessionnaire (C. civ., art.
1165). C’est donc fort logiquement que la Cour de cassation a jugé dans le cadre de la cession Dailly que le débiteur
cédé qui a accepté la cession ne peut, pour échapper au paiement de sa dette, se prévaloir du non‐respect par le
cédant ou le cessionnaire des conventions intervenues entre eux (Cass. com., 19 mai 1992, no 90‐16.155, Bull. civ. IV, no
189).

Le débiteur cédé qui a renoncé aux exceptions ne peut être moins bien protégé que celui qui a accepté la cession
ou que le débiteur cambiaire.

2 ‐ Les effets de la renonciation du cédé à l’égard du cédant


Baudry‐Lacantinerie et Saignat (précité, no 850) enseignent que lorsque le cédé renonce conventionnellement à
l’opposabilité des exceptions, il acquiert par là un recours contre le cédant. De la nature de ce recours et de son
fondement juridique, il n’est dit mot. S’agit‐il de l’enrichissement sans cause, le cédé payant une dette nulle dont la
vente a procuré un prix au cédant ? S’agit‐il de la gestion d’affaires, le cédé s’acquittant en quelque sorte de
l’obligation de garantie du cédant ? Il est plus conforme à l’intention des parties de considérer que si le cédé paye alors
qu’il a une exception opposable, il le fait à ses risques et périls (en ce sens, pour le droit belge, De Page H., précité, no
444, note 3).
Comme il a été vu plus haut, il est plus juste de considérer que la renonciation du débiteur cédé n’a en principe d’effet
que dans ses relations avec le cessionnaire. Cette solution est conforme à la logique de l’institution. L’obligation de ne
pas faire stipulée a pour but de faciliter la circulation de la créance et non de modifier les relations entre le débiteur et
le créancier originaire. Ainsi, lorsque le contrat générateur de la créance est un contrat de vente, l’acheteur‐débiteur
cédé conserve par exemple le droit d’exercer l’action estimatoire et les droits qui en découlent. Le droit auquel il
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renonce est celui d’opposer cette créance en réduction de prix en compensation pour le cas où il serait recherché en
paiement du prix cédé à un tiers. Si toutefois, le débiteur venait à renoncer à ses exceptions vis‐à‐vis du cédant, cette
renonciation se transmettrait alors au cessionnaire de la créance. Il convient de relever qu’une telle renonciation
s’analyserait en une clause exclusive de responsabilité. S’appliqueraient alors les limites traditionnelles aux clauses
exonératoires de responsabilité : le dol, la faute lourde et, selon la jurisprudence Chronopost, l’absence de cause (Le
Tourneau Ph., Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 2002/2003, nos 1135 et s. ; Malaurie Ph., Aynès, L. et
Stoffel‐Munck Ph., précité, nos 979 et s. ; Flour J., Aubert J.‐L., Flour Y. et Savaux E., Les Obligations, vol. 3, Le
rapport d’obligation, Armand Colin, 2004, nos 224 et s.).

3 ‐ Les effets de la renonciation sur la relation entre le cédant et le cessionnaire


La manifestation de volonté abdicative ne produit en principe pas d’effet sur la relation entre le cessionnaire et le
cédant. Cependant, si la renonciation est nulle, cette nullité aura des répercussions dans les relations cédant‐
cessionnaire (voir supra, I, B, 2).

C ‐ Les limites de l’efficacité de la renonciation


Il existe une limite générale de l’efficacité de la renonciation en cas de cession faite sciemment au détriment du
débiteur (1). Il existe des limites spéciales résultant de la ratio de la sûreté négative (2) et du droit commun (3).

1 ‐ L’inefficacité résulte de la mauvaise foi ou de la fraude du cessionnaire


Cette limite résulte de l’application analogique proposée plus haut de l’article L. 313‐29 du Code monétaire et
financier. Celui‐ci dispose en effet que lorsque la cession a été acceptée, « le débiteur ne peut opposer à
l’établissement de crédit les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau, à
moins que l’établissement de crédit en acquérant ou en recevant la créance, n’ait agi sciemment au détriment du
débiteur » (sur la mauvaise foi du cessionnaire, voir Hocquet‐De Lajartre A.‐S., La protection des droits du débiteur
cédé dans la cession Dailly, RTD com. 1996, p. 210 et s., spéc. p. 231, nos 23 et s.). L’analogie est à plus forte raison
justifiée par l’existence de la même restriction posée à l’article L. 511‐12 du Code de commerce : le débiteur cédé qui
a renoncé aux exceptions ne peut être moins bien protégé que celui qui a accepté la cession ou que le débiteur
cambiaire (dans le même sens, pour le droit suisse, Tercier P. et Eigenmann A., précité, p. 136). Cette limite constitue
une application particulière du principe de loyauté qui irrigue le droit des obligations ainsi que de la règle fraus omnia
corrumpit. C’est pourquoi elle est applicable à la cession de droit commun.
Le droit uniforme vient conforter cette solution. La Convention CNUDCI prescrit en effet que la renonciation ne peut
être opposée au débiteur si le cessionnaire de la créance a agi de manière frauduleuse (art. 19, al. 2). De plus, l’article
19 est impératif aux termes de l’article 6.

2 ‐ L’inefficacité résulte de la ratio de la sûreté négative


En principe, la renonciation est sans effet sur les exceptions personnelles du débiteur cédé contre le cessionnaire,
comme par exemple l’exception de compensation. Cette exclusion a été justifiée en droit suisse par l’ignorance dans
laquelle se trouve le débiteur cédé au moment de la renonciation de la personne à laquelle sera cédée la créance
(Tercier P. et Eigenmann A., précité, p. 138). Elle pourrait se justifier sans doute aussi par une analogie avec le droit de
la lettre de change : aux termes de l’article L. 511‐12 du Code de commerce, la purge des exceptions n’interdit pas à
celui qui est actionné en vertu de la lettre de change de se prévaloir des exceptions personnelles qu’il a contre le
porteur. Or, la protection accordée au débiteur cédé ne peut être moins forte que celle dont bénéficie le débiteur
cambiaire.
La Convention CNUDCI va dans le même sens en prévoyant que la renonciations par le débiteur vise les exceptions qu’«
il pourrait invoquer en vertu de l’article 18 ». Or, cette norme n’a pour objet que les exceptions que le débiteur a
contre le cédant. A contrario, aux termes de la Convention CNUDCI, le débiteur cédé a toujours la faculté de soulever
les exceptions personnelles qu’il a contre le cessionnaire.
En réalité, elle se justifie avant tout par la logique de la sûreté négative étudiée : le cessionnaire entend en principe

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être prémuni contre une créance affaiblie par les relations nouées entre le cédant et le cédé. Aucune règle ne fait
cependant obstacle à ce que le débiteur cédé convienne directement avec le cessionnaire de renoncer aux exceptions
personnelles qu’il détient à son encontre.

3 ‐ Les autres exceptions exclues par application du droit commun


La doctrine suisse propose une analogie totale avec le droit cambiaire. La méthode nous paraît justifiée pour les raisons
de cohérence exposées plus haut. Pourraient ainsi être opposées au cessionnaire les vices apparents du titre,
l’incapacité du débiteur, son défaut de pouvoir et son absence de consentement (sur le champ d’application de l’adage
exceptio quae obstat, voir Roland H. et Boyer L., Adages du droit français, Litec, 4e éd., 1999, no 126, p. 232 ; voir
aussi Delebecque Ph., Lettre de change ‐ Endossement, J.‐Cl. Commercial, Fasc. 420, nos 144 et s.). Quoi qu’il en soit,
la renonciation en ces matières n’est pas possible.
Avant de conclure, il est intéressant d’esquisser une comparaison entre la cession de créance et la délégation. Les
différences entre des deux modes de paiement que sont la cession de créance et la délégation sont bien connues ; leurs
conditions ni leurs effets ne sont les mêmes. Pour la cession de créance, le consentement du débiteur n’est pas requis,
alors que la délégation suppose au contraire son engagement personnel envers le délégataire. La cession de créance
transfère au tiers la créance dont le cédant était titulaire, c’est pourquoi le cédé peut opposer au cessionnaire les
exceptions qu’il avait contre le cédant. Le délégué ne le peut, car la délégation crée un rapport d’obligation nouveau.
Mais lorsque la cession de créance est assortie d’une renonciation à ses exceptions par le débiteur cédé, les parties
parviennent à un résultat similaire malgré la différence de nature de ces deux mécanismes.
Cette année est une année de célébration pour les juristes de nombreux pays, le temps d’importantes réflexions sur le
passé, le présent et l’avenir du Code civil. L’avenir de ce Code aujourd’hui « à bout de souffle » (Tallon D., Grandeur et
décadence du Code civil français, in Mél. Fontaine M., Larcier, 2003, p. 279 et s., spéc. p. 288) passe assurément par
une réforme ambitieuse. Seuls le comblement de ses nombreuses lacunes et sa modernisation lui permettront de rester
un des piliers du droit européen (Rémy Ph., Ouverture, in Rémy‐Corlay P. et Fenouillet D. (dir.), Les concepts
contractuels français à l’heure des Principes du droit européen des contrats, Dalloz, 2003, p. 4 ; Leveneur L., 1804‐2004
: le bicentenaire du Code civil, une occasion de rénover le titre « Des contrats ou des obligations conventionnelles en
général », Contrats, conc., consom. 2004, no 1, Repères ; adde les propositions de Dalcq R.‐O., Quelques réflexions sur
la rédaction des articles 1101 à 1167 du Code civil, in Mél. Fontaine M., précité, p. 111). En ce qui concerne la seule
cession de créance, les lacunes sont béantes et l’obsolescence patente : aucune disposition sur l’opposabilité des
exceptions ni sur la renonciation à celle‐ci, aucune disposition sur l’incessibilité conventionnelle (voir notre article,
L’incessibilité conventionnelle de la créance (Le pactum de non cedendo, de l’École des Pandectes à la loi relative aux
nouvelles régulations économiques), RJ com. 2002, p. 66 et s. et 101 et s.) et un article 1690 du Code civil dont on a
souligné à juste titre l’inutilité et proposé l’abrogation pure et simple (Fontaine M., La transmission des obligations de
lege ferenda, in La transmission des obligations, précité, p. 618 ; adde, pour une perspective historico‐comparative et
franco‐allemande : Graner K., Die Forderungsabtretung in der Fortbildung des deutschen und französischen Rechts – Ein
rechtsgeschichtlicher und rechtspolitischer Beitrag unter besonderer Berücksichtigung der Bedeutung der Denuntiation
(signification) im französischen Recht, th., Tübingen, 1967, spéc. p. 78). Une réglementation autonome de la cession de
créances et non dans le cadre de la vente est de plus nécessaire. Carl Crome avait dénoncé cette malfaçon lors du
centenaire du Code civil et le projet de Code des obligations et des contrats franco‐italien de 1927 proposait d’y mettre
fin (Witz C., La longue gestation d’un code européen des contrats – Rappel de quelques initiatives oubliées, RTD civ.
2003, p. 447 et s., spéc. p. 449 et 450). La comparaison des droits, les travaux de la Commission Lando et de l’Académie
des privatistes européens seront des guides indispensables pour les codificateurs de demain.

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