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PERSPECTIVESÉTUDE
Auteur : Par François‐Xavier LICARI Docteur en droit (Strasbourg) Doctor iuris (Saarbrücken) Avocat au Barreau de
Strasbourg
(droit français – droit comparé – droit uniforme)
La cession de créance joue un rôle cardinal dans l’économie tant nationale qu’internationale. Elle constitue une
importante source de financement et un mécanisme de garantie (Malaurie Ph., Aynès L. et Stoffel‐Munck Ph., Les
obligations, Defrénois, 2003, no 1309 ; Crocq P., Cession de créance à titre de garantie, Lamy Droit des sûretés, no 262‐
3).
Le contrat de cession tel qu’il est conçu dans le Code civil et dans les droits continentaux laisse le débiteur à l’écart,
mais opère un effet dans son patrimoine, dérogeant ainsi à la règle res inter alios acta aliis neque nocere neque
prodesse potest (Neumayer K.‐H., La transmission des obligations en droit comparé, in La transmission des obligations,
IXes Journées d’études Jean Dabin organisées par le Centre de droit des obligations, Bruylant/LGDJ, 1980, p. 193 ;
Fontaine M., Harmoniser le régime de la transmission des obligations, in Liber amicorum Jacques Herbots, Kluwer, 2002,
p. 131 ; Ranieri F., Europäisches Obligationenrecht, Springer Verlag, 2e éd., 2003, p. 433). Le contrat de cession opère
un transfert de la position de créancier à un tiers, c’est‐à‐dire un changement de la titularité du droit, sans
modification du contenu de la créance. En d’autres termes, la créance est cristallisée par la cession, en ce sens qu’elle
est maintenue dans sa nature comme dans son étendue : celle‐ci conserve ses caractères propres, ses modalités définies
par le contrat de base. Ainsi, les modalités de l’obligation lient le cessionnaire, qu’il s’agisse par exemple du terme,
d’une clause d’arbitrage ou d’une clause de substitution du débiteur. Cette identité d’obligation tient à ce que sans
être partie au contrat de cession, le débiteur cédé n’est pas tiers vis‐à‐vis du cessionnaire ; il devient instantanément
son cocontractant par l’effet de la cession, ce qui a pour conséquence que les rapports entre le cédé et le cessionnaire
sont déterminés par le contenu obligatoire du contrat générateur de la créance cédée (Aynès L., La cession de contrat
et les opérations juridiques à trois personnes, Economica, 1984, nos 19, 20 et 31).
Ces principes d’immutabilité du lien obligatoire et de non‐aggravation de la situation du débiteur ont pour conséquence
la règle de l’opposabilité des exceptions : le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions qui lui
auraient permis de refuser sa prestation au cédant (voir par exemple Terré F., Simler Ph. et Lequette Y., Droit des
obligations, Dalloz, 8e éd., 2002, no 1291). Si cette règle revêt indéniablement une fonction de protection du débiteur
cédé, elle a aussi pour conséquence de mettre en péril l’opération de cession, car le cessionnaire n’est jamais assuré
que la créance qu’il acquiert n’est pas affectée d’un vice qui fera obstacle au transfert convenu. Cette épée de
Damoclès entraîne nécessairement une diminution de la valeur du bien cédé.
C’est pourquoi la pratique des affaires tend à obtenir du débiteur cédé qu’il renonce à ses exceptions (De Ly F., Les
clauses de cession dans les contrats commerciaux internationaux, RDAI/IBLJ 1996, p. 799 et s., spéc. p. 808). Cette
renonciation a pour but de garantir la sécurité de l’opération. Elle bénéficie donc en premier lieu au cessionnaire. En
ce que ce mécanisme réside dans la limitation des droits du débiteur pour garantir ceux d’un tiers, le cessionnaire, on
peut y voir une « sûreté négative » (Meinertzhagen‐Limpens A., Les engagements de ne pas faire, in Les sûretés issues
de la pratique, Travaux ULB‐Colloque FEDUCI, PU Bruxelles, Vol. 3, 1983, p. L/1 et s., nos 1 et s. ; Chaput Y., Les clauses
de garantie (Sûretés négatives), in Les principales clauses des contrats conclus entre professionnels, PUAM, 1990, p. 119
et s., spéc. p. 126). Cette renonciation bénéficie aussi au cédant, qui peut ainsi tirer le meilleur profit de la valeur
économique de la créance cédée. La garantie que représente la renonciation tend ainsi à faciliter la circulation de la
créance (comparer Bazinas S. V., Lowering the cost of credit : the promise in the future UNCITRAL convention of
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assignment of receivables in international trade, Tulane Journal of international and comparative Law, 2001, p. 295).
L’institution est à peine évoquée par la doctrine française et son régime est laissé dans l’ombre (pour le droit suisse,
voir Tercier P. et Eigenmann A., La renonciation du débiteur à ses exceptions, SZW/RSDA 2003, p. 129).
Ce silence de la doctrine ne nous paraît pas justifié, compte tenu de l’intérêt tant théorique que pratique qui s’attache
à la meilleure connaissance d’une telle sûreté.
Eu égard à la multiplication des contrats internationaux (sur le critère, voir Witz C., L’internationalité et le contrat,
Rev. Lamy dr. aff., suppl. févr. 2002, p. 59), une réflexion sur la cession de créance et ses effets doit être éclairée par la
comparaison des droits et par une connaissance du droit uniforme.
Seront exclusivement étudiés les droits suisse, allemand et belge, car qui trop compare mal étreint.
Quant au droit uniforme, il reste à identifier ses sources.
La Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises doit être d’emblée écartée, car elle
ne donne aucune réponse à ce sujet, la cession de créances étant une matière hors de son champ d’application (Ferrari
F., Contrat de vente internationale – Applicabilité et applications de la Convention de Vienne sur les contrats de vente
internationale de marchandises, Helbing & Lichtenhahn/Bruylant, 1999, p. 158).
Un instrument plus récent est appelé à constituer le siège de la matière, la Convention des Nations unies sur la cession
de créances dans le commerce international (ci‐après : Convention CNUDCI), adoptée par la résolution de l’Assemblée
générale des Nations unies le 12 décembre 2001 (voir le texte sous http ://www.uncitral.org/fr‐index.htm, « textes
adoptés », puis « paiements internationaux » ; à la date du 6 avril 2004, seuls le Luxembourg, les États‐Unis
d’Amérique et Madagascar avaient signé la Convention ; cinq dépôts d’instrument sont requis pour l’entrée en vigueur
de la Convention : voir http ://www.uncitral.org.french/status‐f.htm – CNUDCI : « État des Conventions et des Lois
Types »). S’il est vrai que cette Convention n’a pas encore été ratifiée par la France, elle a déjà trouvé un écho dans le
droit français (l’article 67, 1o, de la loi no 2003‐706 du 1er août 2003 de sécurité financière a modifié les alinéas 1 et 3 de
l’article L. 313‐27 du Code monétaire et financier dans un sens conforme aux articles 1er, § 1‐a, et 10 de la Convention)
et a suscité de nombreux commentaires qui saluent l’effort d’uniformisation entrepris.
Lorsque cette convention entrera en vigueur, les États contractants disposeront alors d’un instrument contenant à la
fois des règles matérielles et des règles de conflit de lois régissant toute opération du commerce international
s’appuyant sur une cession de créances (Stoufflet J., Le financement par cession de créances de la loi Dailly au projet
de convention de la CNUDCI, in Mél. AEDBF‐France, Paris, 1997, p. 285 ; Mattout J.‐P., Cessions internationales de
créances – Projet CNUDCI : État des lieux – Les besoins de la pratique, RD bancaire et bourse 1999, p. 165 ; Stoufflet J.,
précité, Les contraintes actuelles, p. 169 ; Janzen D., Der Uncitral‐Kommissionsentwurf zum Recht der internationalen
Finanzierungsabtretung, RabelsZ 1999, p. 368 ; Bazinas S.‐V., Le projet de convention de la CNUDCI sur la cession de
créances à des fins de financement : ses objectifs et ses effets sur les autres lois, RD bancaire et bourse 1999, p. 171 ;
Kuhn H., Materielle Rechtsvereinheitlichung und IPR – Das internationale Zessionsrecht im UNCITRAL‐Übereinkommen
über die Forderungsabtretung, in Festschrift für Kurt Siehr zum 65. Geburtstag, Zürich, 2001, p. 93 ; id., Zur
Neuordnung der grenzüberschreitenden Forderungsabtretung im einheitlichen UN‐Abtretungsrecht, SZW/RSDA 2002, p.
129 ; Kieninger E.‐M.,Vereinheitlichung des Rechts der Forderungsabtretung – Zur United Nations Convention on the
Assignment in international Trade, in Raum und Recht : Festchrift 600 Jahre Würzburger Fakultät, Berlin, 2002, p. 297 ;
Danielwsky M. et Lehmann A., Die UNCITRAL‐Konvention über internationale Forderungsabtretungen und ihre
Auswirkungen auf Asset‐Backed‐Securities‐Transaktionen, WM 2003, p. 221 ; Bazinas S. V., La contribution de la CNUDCI
à l’unification du droit du financement par cession de créances : la convention sur la cession de créances dans le
commerce international, RD bancaire et fin. 2003, p. 70 ; Affaki G., L’apport de la convention CNUDCI sur la cession de
créances aux opérations de banque, Banque et droit 2003, no 90, p. 3 ; Stoufflet J., L’apport au droit français de la
convention des Nations unies sur la cession de créances dans le commerce international, précité, p. 37 ; Deschamps M.,
La convention des Nations unies sur la cession de créances dans une perspective canadienne, précité, p. 40). À terme,
la Convention CNUDCI devrait se substituer, au moins partiellement, à la Convention Unidroit, faite à Ottawa (ci‐après :
Convention d’Ottawa) le 28 mai 1988, sur l’affacturage international (Béguin J., La convention d’Ottawa du 28 mai 1988
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sur l’affacturage international – Une étape vers l’adoption de règles uniformes sur les cessions de créances dans le
commerce international, in Mél. Guyon Y., Dalloz, 2003, p. 59 et s., spéc. p. 60 et 65).
L’intérêt de la recherche entreprise est confirmé par l’existence d’une disposition spécifique de la Convention CNUDCI
consacrée à l’engagement de ne pas opposer d’exceptions ou de droit à compensation (art. 19 ; plus généralement, sur
la situation du débiteur dans cette convention, voir Meinhard L., Die Stellung des Schuldners in der geplanten
UNCITRAL‐Zessionskonvention, BankArchiv 2001, p. 453).
Les principes du droit européen du contrat (PDEC) préconisés par la Commission Lando forment une source potentielle
d’uniformisation du droit de la cession de créances qui doivent retenir l’attention parce qu’ils aspirent à être la ratio
scripta moderne et devraient contribuer à une rationalisation des droits nationaux et singulièrement du droit français
(Rémy Ph., Ouverture, in Rémy‐Corlay P. et Fenouillet D. (dir.), Les concepts contractuels français à l’heure des
Principes du droit européen des contrats, Dalloz, 2003, p. 4 ; sur les Principes, voir aussi Jamin C. et Mazeaud D. (dir.),
L’harmonisation du droit des contrats en Europe, Economica, 2001, spéc. chapitre IV, Vers un droit commun européen
des contrats, p. 119 et s., avec les contributions de Tallon D., Beale H., Mazeaud D. et le rapport de synthèse de Witz C.
; Prieto C. (dir.), Regards croisés sur les Principes du droit européen du contrat et sur le droit français, PUAM, 2003). Les
dispositions pertinentes se trouvent dans la Troisième Partie, Chapitre 11, articles 11 : 101 et suivants des PDEC
(Commission pour le droit européen du contrat, Principes du droit européen du contrat, version française préparée par
Rouhette G., Tallon D., de Lamberterie I. et Witz C., Société de législation comparée, 2003, p. 449 et s.).
Quant aux travaux de l’Académie des privatistes européens coordonnés par M. Gandolfi (Code européen des contrats :
avant‐projet, Giuffrè A., 2002 ; le texte brut, sans les commentaires des coordinateurs, est paru : Gaz. Pal. 2003,
doctr., p. 240, avec une présentation de Gridel J.‐P.), ils seront aussi évoqués puisque le Livre Premier, Titre IX, section
2, est consacré à la cession de créance (sur ce projet, voir en dernier lieu Patti S., Kritische Anmerkungen zum Entwurf
eines europäischen Vertragsgesetzbuches, ZeuP 2004, p. 118, et les nombreuses références citées).
Avant d’entrer plus avant dans l’étude de la renonciation à ses exceptions par le débiteur cédé, il apparaît nécessaire
de consacrer quelques développements au principe de départ, l’opposabilité des exceptions.
L’opposabilité des exceptions est un principe indiscuté.
En droit français, le principe de l’opposabilité des exceptions ne trouve pas expressément sa source dans le Code civil,
mais pourrait s’inférer de son article 1295, alinéa 1er.
La règle est généralement regardée comme le pendant de l’article 1692 du Code civil, lequel est lui même un des effets
de la cession : le cessionnaire entre dans les droits du créancier originaire sans que la créance soit affectée par ce
transport. Celle‐ci est donc transmise non seulement avec ses accessoires, privilèges et hypothèques, mais aussi avec
ses vices (voir Zachariä von Lingenthal K. S., Handbuch des französischen Civilrechts bearbeitet von Crome C., Band II,
8e éd., E. Mohr’s Verlag 1894, p. 519, et la référence à Pothier ; Crome C., Die Grundlehren des französischen
Obligationenrechts, Verlag F. Bensheimer, 1894, p. 260 ; Carbonnier J., Droit civil, t. IV, Les obligations, PUF, 22e éd.,
2000, no 315, p. 559 ; Flour J., Aubert J.‐L., Flour Y. et Savaux E., Les Obligations, vol. 3, Le rapport d’obligation,
Armand Colin, 2004, no 356). C’est en même temps une application particulière de la maxime nemo plus juris
transferre potest quam ipse habet (Cass. req., 29 juin 1881, S. 1882, 1, p. 125, rapp. Lepelletier ; Huc T., Traité
théorique et pratique de la cession et de la transmission des créances, t. II, 1891, nos 410 et s. ; Rouiller A., La maxime «
nemo plus juris » en Droit civil français, thèse Rennes, 1964, t. II, no 237). Elle s’explique encore par la force
obligatoire du contrat générateur de la créance cédée (Aynès L., La cession de contrat et les opérations juridiques à
trois personnes, Economica, 1984, no 31). Sous l’empire du Code civil, sa formulation prétorienne la plus nette
remonte, à notre connaissance, à un arrêt de la Cour de cassation de 1853 (Cass. civ., 2 mai 1853, D. 1853, 1, p. 144). La
règle vaut non seulement pour la cession de créance civile, mais aussi en matière de cession de créance professionnelle
ou Dailly (C. mon. et fin., art. L. 313‐29, al. 2, a contrario, anc. L. no 81‐1, 2 janv. 1981, art. 6, al. 2 ; Cass. com., 30
juin 1992, no 90‐16.802, Bull. civ. IV, no 252 ; Hocquet de Lajartre A.‐S., La protection des droits du débiteur cédé dans
la cession Dailly, RTD com. 1996, p. 211 et s., spéc. p. 225, nos 17 et s. ; Le Maigat P., La protection du débiteur cédé
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face au caractère occulte de la « cession Dailly », RD bancaire et fin. 2002, p. 92 et s., spéc. p. 94, nos 13 et s.).
Cette règle est exprimée par la plupart des droits nationaux ainsi que par le droit uniforme (pour un panorama des
droits européens, voir Ranieri F., précité, p. 448).
Ainsi, le § 404 BGB dispose que « le débiteur peut opposer au nouveau créancier les exceptions qui étaient fondées
contre l’ancien créancier au moment de la cession » (sur cette disposition, voir Pick E., Einwendungen bei dem
gegenseitigen Vertrag nach Abtretung der Forderung, AcP 172 (1972), p. 39 ; Kornblum U., Schuldnerschutz bei der
Forderungsabtretung, BB 1981, p. 1296 ; Bülow P., Grundprobleme des Schuldnerschutzes bei der Forderungsabtretung,
JA 1983, p. 7 ; Staudinger‐BGB/Busche J., § 404, 1999, nos 1 et s. ; MünchKomm BGB/Roth G. H., Bd. 2a, 2003, § 404, nos
1 et s. ; adde, en langue française, Saleilles R., Essai d’une théorie générale de l’obligation d’après le premier projet
de Code civil pour l’empire allemand, LGDJ, 3e éd., nouveau tirage, 1925, préf. Capitant H., réimprimé par éd. La
mémoire du Droit, 2001, no 94 ; Cashin‐Ritaine E., Les cessions contractuelles de créances de sommes d’argent dans les
relations civiles et commerciales franco‐allemandes, LGDJ, 2001, no 704). Le fondement et le but de cette norme sont
identiques au fondement et au but de la règle française (voir par exemple MünchKommBGB/Roth G. H., précité, no 1).
En droit suisse, le même principe est exprimé par l’article 169, alinéa 1er, CO : « Le débiteur (cédé) peut opposer au
cessionnaire, comme il aurait pu les opposer au cédant, les exceptions qui lui appartenaient au moment où il a eu
connaissance de la cession ». Le second alinéa de la norme étend même la possibilité d’invoquer la compensation : «
s’il possédait contre le cédant une créance non encore exigible à cette époque, il peut invoquer la compensation,
pourvu que sa créance ne soit pas devenue exigible postérieurement à la créance cédée ». La disposition est regardée
comme une application de la maxime nemo plus juris (Guggenheim D., Le droit suisse des contrats II, Les effets des
contrats, Genève, p. 341 ; Tercier P., Le droit des obligations, Zurich, 2e éd., 1999, no 1325).
L’article 11 :307 des PDEC (moyens de défense et droits de compensation) exprime le principe de la conservation des
droits avec une grande précision : « (1) Le débiteur est en droit d’opposer au cessionnaire toutes défenses au fond et
moyens de procédure relatifs à la créance cédée dont il aurait pu se prévaloir vis‐à‐vis du cédant ». Le régime de la
compensation est aussi réglé avec minutie : « (2) Le débiteur peut également faire valoir à l’encontre du cessionnaire
toute compensation qu’il aurait pu invoquer contre le cédant en vertu du chapitre 13 relativement à des créances
sur ce dernier qui existaient au moment où lui a été notifiée une cession conforme ou non à l’alinéa premier de
l’article 11 : 303, ou qui sont connexes à la créance cédée ».
L’article 124 (droit des parties) de la proposition de Code européen des contrats édicte une règle similaire et détaillée,
dont le cœur recueille la tradition civiliste continentale :
« 1. Le cessionnaire acquiert les mêmes droits qu’avait le cédant.
2. Le cédé peut opposer au cessionnaire toutes exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant jusqu’au moment de la
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cession ; mais s’il a donné sans réserve son adhésion à celle‐ci, il ne peut exciper la compensation. Il peut en outre
invoquer, sauf pour ce que prévoit l’article 122 alinéa 2, les exceptions relatives à l’invalidité de la cession et, s’il
n’a pas donné son consentement à celle‐ci, également les exceptions relatives à son inadmissibilité conventionnelle,
dans les limites prévues par l’article 121, alinéa 4 (...) ».
Ce principe est encore consacré par l’article 18, alinéa 1er, de la Convention CNUDCI : « lorsque le cessionnaire forme
contre le débiteur une demande en paiement de la créance cédée, celui‐ci peut lui opposer toutes les exceptions et
tous les droits à compensation qui découlent du contrat initial ou de tout autre contrat faisant partie de la même
opération et qu’il pourrait invoquer comme si la cession n’avait pas eu lieu et si la demande était formée par le
cédant ». L’alinéa 2 de la norme constitue le pendant de l’article 169, alinéa 2, CO, mais est plus restrictif : « le
débiteur peut opposer au cessionnaire tout autre droit à compensation, à condition qu’il ait pu invoquer ce droit au
moment où il a reçu notification de la cession ». La même règle est déjà présente dans la Convention d’Ottawa (art.
9).
Qu’elle soit écrite ou coutumière, la règle a un but précis : éviter que la situation du débiteur, qui n’a pas été partie à
la cession, soit aggravée par la cession.
La notion d’exception mérite quelques éclaircissements. Le mot exception est souvent utilisé dans la terminologie
juridique française. Il est polysémique lorsqu’il est utilisé en droit civil (Jubault C., Les « exceptions » dans le Code
civil, à la frontière de la procédure et du fond, Petites affiches 2003, nos 11, 12 et 13). Dans le cadre de la règle ici
étudiée, ce terme est employé dans son sens générique de moyen de défense opposé à l’action du demandeur ; il
englobe donc aussi bien l’exception stricto sensu, que la fin de non‐recevoir et la défense au fond (Lachièze C., Le
régime des exceptions dans les opérations juridiques à trois personnes en droit civil, thèse Bordeaux, 1996, no 2).
L’exception opposable au cessionnaire constitue souvent, au regard de la procédure civile, une défense au fond.
Les exceptions opposables s’appuient sur divers fondements et font l’objet de multiples classifications doctrinales (voir
en détail, Rieg A., Rép. civ. Dalloz, Vo Cession de créance, nos 546 et s. ; Lachièze C., précité, nos 490 et s.) ; nous
retiendrons la classification tripartite suivante :
les exceptions inhérentes à la créance, c’est‐à‐dire celles qui se transmettent avec la créance ; ainsi en est‐il des
modalités de paiement ; les exceptions personnelles contre le cédant, c’est‐à‐dire celles qui naissent des rapports
entre le débiteur cédé et le cédant, par exemple l’exception d’inexécution ou de nullité ; les exceptions personnelles
contre le cessionnaire, c’est‐à‐dire celles qui naissent des rapports entre le débiteur cédé et le cessionnaire et que
tout débiteur peut invoquer en principe contre son créancier, par exemple la compensation.
La terminologie des droits allemand et suisse n’est guère plus précise et est encore, tout comme la nôtre, fortement
imprégnée de romanité (Einwendungen, Einreden, exceptions péremptoires et dilatoires, objections, etc.) ; les
Principes évoquent quant à eux « les défenses au fond » et les « moyens de procédure ». L’étude de la casuistique
montre que derrière les mots se trouvent les mêmes moyens de défense (Jahr G., Die Einrede des Bürgerlichen Rechts,
JuS 1964, p. 125 ; Engel P., Traité des obligations en droit suisse, Neuchâtel, 1973, p. 276 ; Busche J., précité, nos 10 et
s. ; MünchKomm BGB/ Roth G. H., précité, nos 5 et s. ; commentaire sous art. 11 :307 PDEC, précité, p. 478).
La faculté qu’a le débiteur cédé de renoncer à ses exceptions n’est pas sans limite (I). Il convient de déterminer les
effets que produit une telle renonciation sur les trois protagonistes de la cession de créance (II).
A ‐ La renonciation
Trois questions appellent un examen : celle de la licéité de la renonciation (1), la distinction entre la renonciation et
une notion voisine, l’acceptation de la cession (2), enfin, la nature et la forme de la renonciation (3).
1 ‐ Licéité de la renonciation
Rares sont les auteurs qui se prononcent sur le caractère impératif ou dispositif de la règle de l’opposabilité des
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exceptions en droit français. Cependant, ceux qui abordent la question sont unanimes pour admettre que la règle n’est
pas d’ordre public, si bien que le débiteur peut toujours renoncer à ses exceptions (Huc T., Traité théorique et pratique
de la transmission et de la cession des créances, éd. F. Pichon, Paris, 1891, t. II, no 474 ; Baudry‐Lacantinerie G. et
Saignat L., Traité théorique et pratique de droit civil – De la vente et de l’échange, Sirey, 1900, no 849 ; Gaudemet E.,
Théorie générale des obligations, Sirey, 1937, réimpression 1965, p. 454 ; Planiol M. et Ripert G., Traité pratique de
droit civil français, t. VII, Obligations, LGDJ, 2e éd., 1954, par Esmein P., Radouant J. et Gabolde G., no 1121 ; Billiau
M., La transmission des créances et des dettes, LGDJ, 2002, no 32 ; même solution en droit belge : De Page H., Traité
élémentaire de droit civil belge, Bruylant, 1951, t. IV, no 378 ; Cass. bel., 13 sept. 1973, Pasicrisie belge 1974, I, p. 31).
Cette faculté est fondée sur le principe de la liberté contractuelle.
C’est la même solution qui résulte de l’interprétation des codes européens déjà évoqués, puisqu’ils envisagent tous
l’opposabilité des exceptions comme une simple faculté offerte au débiteur cédé comme l’atteste l’utilisation du verbe
pouvoir (pour le droit suisse, voir Tercier P. et Eigenmann A., La renonciation du débiteur cédé à ses exceptions,
SZW/RSDA 2003, p. 129 et s., spéc. p. 132 et les références citées ; pour le droit allemand, voir Staudinger BGB/ Busche
J., § 404, 1999, nos 35 et s. ; MünchKommBGB/Roth G. H., précité, no 18). Pour le droit allemand, la solution s’infère de
plus du § 496, alinéa 1er, BGB relatif au contrat de prêt à la consommation. Aux termes de cette disposition, est
inefficace la convention par laquelle l’emprunteur renonce au droit que lui confère le § 404 BGB d’opposer au
cessionnaire de la créance du prêteur les exceptions qu’il a contre ce dernier. A contrario, une telle convention est en
principe efficace.
La Convention CNUDCI prévoit quant à elle expressis verbis la licéité de la renonciation (art. 19 : « 1. Le débiteur peut
convenir avec le cédant (...) de ne pas opposer au cessionnaire les exceptions et droits à compensation qu’il
pourrait invoquer en vertu de l’article 18 (...) »).
Les Principes du droit européen du contrat n’indiquant pas expressément que l’article 11 :307 est impératif, il y a lieu
de considérer qu’il est de nature dispositive, conformément à l’article 1 :102 (2) des mêmes principes (art. 1 :102 : «
Liberté contractuelle (1) Les parties sont libres de conclure un contrat et d’en déterminer le contenu, sous réserve
des exigences de la bonne foi et des règles impératives posées par les présents Principes. (2) Les parties peuvent
exclure l’application dquelconque des présents Principes ou y déroger ou en modifier les effets, à moins que les
Principes n’en disposent autrement »).
De la même manière, il y a lieu de considérer que le cédé peut renoncer aux prérogatives de l’article 124.2 de la
proposition de Code européen des contrats, puisqu’il n’est pas expressément dérogé au principe de l’autonomie
contractuelle édicté par son article 2 (art. 2.1 : « Les parties peuvent librement déterminer le contenu du contrat,
dans les limites imposées par les règles impératives, les bonnes mœurs et l’ordre public, comme elles sont fixées
par le présent Code, dans le droit communautaire ou dans les lois nationales des États membres de l’Union
européenne, pourvu que par là même les parties ne poursuivent pas uniquement le but de nuire à autrui »).
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juridique par lequel il est renoncé aux exceptions nées du contrat créateur de la créance originaire, alors que l’autre
porte sur le transport de la créance. Cette différence d’objet se répercute sur la condition de leur validité. Alors que la
renonciation aux exceptions est possible dès que la créance est née, l’acceptation de la cession par le débiteur cédé ne
peut avoir lieu, selon le type de cession, qu’après la cession ou concomitamment à celle‐ci. La possibilité d’une
acceptation anticipée a été fermement rejetée par la Cour de cassation pour des raisons tenant à la nature des choses :
la cession Dailly ne prenant effet qu’à la date apposée sur le bordereau de cession, le cessionnaire ne peut avant cette
date notifier la cession ou inviter utilement le cédé à accepter celle‐ci (Cass. com., 8 févr. 2000, no 97‐17.627, Bull. civ.
IV, no 27). De la lettre de l’article 1690, alinéa 2, du Code civil, il résulte que la cession civile et l’acceptation sont
concomitantes.
Une différence importante tient aussi à la forme de l’acte : alors que l’acceptation obéit à un formalisme strict, que la
cession soit civile ou professionnelle (C. civ., art. 1690, al. 2 et C. mon et fin., art. L. 321‐29, al. 1er, anc. L. no 81‐1, 2
janv. 1981, art. 6, al. 1er) la renonciation obéit au principe du consensualisme (voir cependant infra, les nuances
apportées). On notera au passage que la Cour de cassation veille strictement au respect du formalisme de l’acte
d’acceptation pour la « cession Dailly » (Cass. com., 29 oct. 2003, no 01‐02.512, Bull. civ. IV, no 157, RD bancaire et fin.
2004, no 6, obs. Crédot F.‐J. et Gérard Y.), mais pas pour la cession civile où elle admet l’acceptation sous signature
privée (Cass. req., 27 déc. 1933, DP 1934, I, p. 13, rapp. Pilon). Cette différence de traitement s’explique certainement
par le caractère plus rigoureux des effets de l’acceptation d’une cession Dailly.
La renonciation aux exceptions ne doit pas être confondue avec l’acceptation de la cession, même si ces deux
actes juridiques ont pour effet de faire bénéficier le cessionnaire de l’inopposabilité des exceptions dans une
mesure très différente, il est vrai, selon que la cession de créance est civile ou professionnelle.
Enfin, les effets de l’acceptation du cédé sont plus larges que la renonciation lorsque la créance est professionnelle
puisque celle‐ci conduit non seulement à l’inopposabilité des exceptions, mais aussi à un renversement de la charge de
la preuve de l’existence de la créance (sur les conséquences de l’acceptation de la cession Dailly, voir Crocq P., Lamy
Droit des sûretés, no 262‐59). Dans le cadre du Code civil, l’acceptation produit un effet plus restreint que la
renonciation puisqu’elle fait seulement perdre au cédé le bénéfice de l’exception de compensation (C. civ., art. 1295,
al. 1er). La doctrine dominante considère à juste raison que cette présomption de renonciation tacite ne doit pas être
étendue par analogie (contra, Sériaux A., Droit des obligations, PUF, 2e éd., 1998, no 169).
L’acceptation a enfin pour importante conséquence d’obliger le cédé à payer directement le cessionnaire ou
bénéficiaire du bordereau, car elle équivaut à une signification. La renonciation n’entraîne pas un tel effet (Planiol M.
et Ripert G., précité ; Baudry‐Lacantinerie G. et Saignat L., précité).
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créancier et le débiteur (en ce sens pour le droit belge, voir De Page H., précité, no 444) ou plus rarement entre le
débiteur et le cessionnaire.
La pratique allemande vient conforter cette idée (Palandt BGB/ Heinrichs H. 2003, § 404, no 7). L’analyse de la
renonciation en une convention abdicative trouve un solide appui dans la convention CNUDCI. Son article 19, alinéa 1er,
prévoit en effet que « le débiteur peut convenir avec le cédant (...), de ne pas opposer au cessionnaire les
exceptions » et que cette convention « empêche le débiteur d’opposer au cessionnaire ces exceptions et droits à
compensation ». La convention peut être unilatérale ou synallagmatique selon que la renonciation fait l’objet d’une
contrepartie ou non. Il peut s’agir d’une clause du contrat générateur de créance ou d’une convention conclue
postérieurement à celui‐ci.
Le recours à une convention est préférable à la renonciation unilatérale, car chacun des protagonistes devrait y trouver
avantage : en renonçant à ses exceptions sur la base d’une convention, le débiteur cédé est en position d’obtenir une
contrepartie ; la conclusion d’une telle convention permet au créancier de céder son droit à un meilleur prix ; le
cessionnaire, quant à lui, acquiert une créance plus sûre. C’est pourquoi la convention interviendra généralement
avant la cession.
La renonciation peut aussi emprunter la voie d’un acte juridique unilatéral. Le renonçant exerce alors un droit
formateur (ou potestatif). La nature de la renonciation se déduit logiquement de la nature même de l’exception : se
prévaloir d’une exception constitue un acte formateur si bien que le fait de l’abdiquer doit s’analyser de la même
façon (voir en ce sens, pour le droit suisse, Tercier P. et Eigenmann A., précité, p. 135).
Les auteurs allemands admettent aussi que le débiteur cédé puisse renoncer unilatéralement à ses exceptions
(MünchKomm BGB/ Roth G. H., Bd. 2a, 2003, § 404, no 18 ; Staudinger‐BGB/Busche J., § 404, 1999, no 35 ; plus
généralement, le caractère unilatéral ou bilatéral de la renonciation en droit des obligations est sujet à discussion :
Kleinschmidt J., Der Verzicht im Schuldrecht ‐ Vertragsprinzip und einseitiges Rechtsgeschäft im deutschen und US‐
amerikanischen Recht, Mohr Siebeck, 2004, propose une théorie sur la base de la comparaison des droits).
La notion de droit formateur est d’origine essentiellement allemande et italienne (voir les sources dans notre thèse, La
protection du distributeur intégré en droit français et allemand, Litec, 2002, p. 358 et s. et 378 et s. ; adde Ducrocq A.,
Recherches sur la notion de droit potestatif, mémoire DEA Université Lille 2, 1999/2000). Le droit formateur peut être
défini comme un droit subjectif secondaire par lequel son titulaire a le pouvoir de former, de modifier ou d’éteindre
par un acte unilatéral sa propre situation juridique ou celle d’autrui. L’« effet formateur » (Gestaltungswirkung) opère
par la seule réception de la déclaration de volonté émise par le titulaire du droit, la déclaration formatrice
(Gestaltungserklärung). Cette possibilité qu’a le titulaire d’exercer une influence sur la relation juridique, de la
modeler, explique l’expression allemande « droit formateur » (Gestaltungsrecht).
La « déclaration formatrice » étant une déclaration de volonté réceptice (voir Limbach F., Le consentement
contractuel à l’épreuve des conditions générales – De l’utilité du concept de déclaration de volonté, LGDJ, 2004, nos 72
et s. et 98 et s.), il convient de déterminer son destinataire. Cette déclaration de volonté s’adresse en principe au
cédant puisque c’est la relation créancier‐cédant/débiteur cédé qui est en premier lieu affectée. Mais en même temps,
comme c’est le cessionnaire qui retire le bénéfice de cet acte abdicatif, il est possible que la renonciation soit aussi
adressée au cessionnaire ou seulement à celui‐ci. La nature de droit formateur de cette renonciation emporte une
conséquence importante : l’impossibilité pour son auteur de la révoquer. Pour rétracter sa déclaration formatrice, le
déclarant doit en effet en principe recueillir l’accord du destinataire de la déclaration de volonté.
Une question surgit naturellement à propos de la nature stricto sensu de la renonciation à l’opposabilité des exceptions
: y a‐t‐il novation ? La parenté est indéniable, puisque l’obligation est, dans la mesure déterminée par l’acte abdicatif,
purgée des exceptions à l’égard du cessionnaire. Mais pour le reste, l’obligation primitive subsiste telle qu’elle existait.
Ainsi, les sûretés demeurent.
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consensus obligat se déduit la liberté de principe du mode d’expression des manifestations de volonté abdicatives
(Dreifuss‐Netter F., précité, nos 67 et s.). En conséquence, le débiteur cédé peut renoncer à ses exceptions
expressément ou tacitement (Gaudemet E., Théorie générale des obligations, Sirey, 1965, p. 454 ; dans le même sens,
pour le droit belge : De Page H., précité, no 444). Mais encore faut‐il que l’acte ou le comportement du débiteur cédé
ne puisse être interprété autrement qu’en une renonciation (voir Cass. com., 3 déc. 2002, no 00‐14.704). Dans un cas,
le Code civil présume une renonciation tacite : le débiteur cédé est censé renoncer à la compensation qu’il pouvait
opposer au cédant quand il a accepté purement et simplement la cession (C. civ., art. 1295, al. 1er). La renonciation
tacite au droit d’opposer les exceptions ne doit cependant pas être confondue avec la déchéance de ce même droit
(Verwirkung). L’ordre juridique connaît des cas où l’exercice d’un droit est paralysé alors que le droit n’est pas prescrit
et que le titulaire de ce droit ne l’a pas abdiqué. Cette hypothèse est connue sous le nom de déchéance ou de
Verwirkung. La déchéance est une application spéciale du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment
d’autrui de manière dommageable (venire contra factum proprium nulli conceditur). C’est pourquoi la paralysie
exceptionnelle de l’exercice du droit par son titulaire est conditionnée par la croyance légitime de l’autre partie que le
droit ne serait pas exercé du tout, ou pas à ce moment‐là, ou encore pas de cette manière, et que cette dernière,
confiante dans la situation ainsi créée, a agi en fonction d’elle, a pris des dispositions.
Il ne fait pas de doute que cette institution connue depuis longtemps des droits suisse (Dreifuss‐Netter F., précité, nos
263 et s. ; entre‐temps les contours de la notion se dissolvent quelque peu pour semble‐t‐il se fondre dans un principe
protéiforme et contesté de responsabilité pour confiance : Morin A., La responsabilité fondée sur la confiance : étude
critique des fondements d’une innovation controversée, Helbing & Lichtenhahn, 2002) et allemand (voir, parmi une
abondante littérature, Canaris C.‐W., Die Vertrauenshaftung im deutschen Privatrecht, C. H. Beck, 1971, p. 278 ;
Larenz K. et Wolf M., Allgemeiner Teil des Bürgerlichen Rechts, C. H. Beck, 1997, § 16, nos 44 et s. ; Teichmann A.,
Venire contra factum proprium – Ein Teilaspekt rechtsmissbräuchlichen Handelns, JA 1985, p. 498) est, sinon toujours
expressément consacrée par la jurisprudence française, nichée dans la ratio decidendi de nombreuses décisions et
l’objet désormais d’une large reconnaissance doctrinale après une longue éclipse (Célice B., Les réserves et le non‐
vouloir dans les actes juridiques, LGDJ, 1968 ; Muir Watt H., Pour l’accueil de l’estoppel en droit privé français, in Mél.
Loussouarn Y., p. 303 ; Fages B., Le comportement du contractant, PUAM, 1997, nos 630 et s. ; Sériaux A., Droit des
obligations, PUF, 1998, no 55 ; Behar‐Touchais M. (dir.), L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui,
Economica, 2001 ; Gautier P.‐Y., RTD civ. 2001, p. 875 ; Houtcieff D., Le principe de cohérence en matière
contractuelle, PUAM, 2001 ; notre thèse, précitée, p. 513 et s.).
D’un point de vue dogmatique, la distinction entre les mécanismes est claire : la renonciation tacite est le fruit d’une
déclaration de volonté, alors que la Verwirkung ou déchéance est la sanction attachée à la confiance accordée à un
comportement.
La distinction entre renonciation tacite et déchéance peut être illustrée par un important arrêt de la Cour de cassation
(Cass. com., 13 févr. 1996, no 93‐17.962, JCP éd. G 1996, II, no 22725, note Routier R., RTD civ. 1997, p. 130, obs. Mestre
J.). Une société subit un sinistre et reçoit une première avance de son assureur. Ce dernier lui adresse ensuite un
courrier lui exprimant son accord pour le versement d’une nouvelle somme de 1 500 000 francs, en précisant cependant
que cette somme sera payée après l’accomplissement des formalités administratives. L’assureur adresse spontanément
une copie de cette lettre à la banque de son assuré. Au vu de celle‐ci, la banque consent à son client un crédit en
échange de la cession, à son profit, de sa créance sur l’assureur. La cession Dailly est notifiée à l’assureur, qui ne
l’accepte pas. La déclaration de l’assuré se révélant ensuite surévaluée, l’assureur conclut alors avec l’assuré une
transaction limitant l’indemnisation du préjudice au montant de la première avance versée. Lorsque le banquier
cessionnaire vient réclamer à l’assureur‐débiteur cédé le paiement de la créance, ce dernier excipe de l’inexistence de
la créance pour refuser son paiement. La cour de Colmar a jugé que le cédé n’était pas en droit d’opposer l’exception
de l’inexistence de la créance. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que le débiteur cédé avait agi avec
légèreté en se déclarant rapidement et spontanément débiteur d’une somme importante, sans assortir cette
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reconnaissance des réserves adéquates. C’est le fondement de la responsabilité civile qui a été retenu. Il est possible
de voir dans cette exclusion de l’opposabilité des exceptions une véritable réparation en nature du préjudice subi par la
banque.
La décision s’explique fort bien à la lumière du principe venire contra factum proprium nulli conceditur : le courrier
qu’il avait reçu de l’assureur pouvait légitimement faire croire au banquier à l’existence de la créance ; sur le
fondement de cette croyance, le banquier avait pris des dispositions, en l’espèce octroyé un crédit à son client ; le
silence ensuite observé par l’assureur était de nature à maintenir le banquier dans sa croyance, si bien que l’exercice
par l’assureur‐cédé de son droit de soulever une exception apparaît comme une contradiction abusive avec son premier
comportement créateur de l’apparence que le client de la banque était bien créancier d’une importante somme
d’argent. Cette contradiction abusive était de nature à causer un préjudice au banquier confiant.
Il faut cependant admettre que la distinction entre renonciation tacite et déchéance n’est pas aussi tranchée qu’il y
paraît, car il n’est pas toujours aisé de faire le départ entre une déclaration de volonté sujette à interprétation (sur la
structure de la déclaration de volonté, voir les développements éclairants de Limbach F, précité, nos 183 et s.) et un pur
comportement, sans valeur déclarative (Dreifuss‐Netter F., précité, no 264). Il a d’ailleurs été relevé que le droit
français, ainsi que les autres systèmes romanistes, a longtemps préféré recourir, et recourt encore souvent, à la fiction
de la renonciation tacite plutôt que de sanctionner ouvertement l’exercice déloyal ou tardif d’un droit par la
déchéance (Ranieri F., « Verwirkung » et renonciation tacite, quelques remarques de droit comparé, in Mél. Bastian D.,
Litec, 1974, p. 427, et Europäisches Obligationenrecht, précité, p. 689 et s.).
La plupart des droits étrangers connaissent le consensualisme comme principe (voir Fontaine M. (dir.), Le processus de
formation du contrat ‐ Contributions comparatives et interdisciplinaires à l’harmonisation du droit européen,
Bruylant/LGDJ, 2002, p. 616).
La distinction entre renonciation tacite et déchéance n’est pas aussi tranchée qu’il y paraît, car il n’est pas
toujours aisé de faire le départ entre une déclaration de volonté sujette à interprétation et un pur
comportement, sans valeur déclarative.
En droit suisse, où règne la liberté de la forme (CO, art. 11), la renonciation aux exceptions n’est soumise à aucun
formalisme. La pratique enseigne que pour des raisons de preuve évidentes, elle revêt généralement la forme écrite
(Tercier/Eigenmann, précité, p. 136).
Le droit allemand connaît la même solution : la liberté contractuelle et son corollaire la liberté de la forme
(Formfreiheit) sont des principes non écrits de l’ordre juridique allemand (Schlechtriem P., Schuldrecht, Allgemeiner
Teil, JCB Mohr, 5e éd., 2003, nos 34 et s.). Dès lors, la renonciation peut être expresse ou concluante (Staudinger‐BGB/
Busche J., § 404, 1999, no 42).
L’article 2 :101 (2) des PDEC consacre une solution identique (art. 2 :101 : « Conditions pour la conclusion d’un
contrat. (2) Le contrat n’a pas à être conclu ni constaté par écrit et n’est soumis à aucune autre exigence de forme.
Il peut être prouvé par tous moyens, y compris par témoins »).
La même solution s’infère des articles 34 à 38 de la proposition de Code européen des contrats.
L’article 19 de la Convention CNUDCI édicte une règle raisonnable, car elle tient compte des intérêts en présence : « le
débiteur peut convenir avec le cédant, par un écrit qu’il signe, de ne pas opposer au cessionnaire les exceptions (...)
». L’article 5 c) précise que « le terme “écrit” désigne toute forme d’information accessible de manière à être
utilisable pour référence ultérieure ». La CNUDCI voit à juste titre dans cette exigence la garantie que « (...) les deux
parties soient bien informées du fait de la renonciation et de ses conséquences, y compris les avantages offerts en
retour au débiteur » et un moyen de « faciliter la production des preuves » (Commentaire relatif au projet de
convention sur la cession de créances à des fins de financement, 2e partie, A/CN.9/WG.II/WP.106, Vienne 1999, p. 20).
Une exception possible au principe ? – Le Code monétaire et financier connaît, ainsi qu’il a été vu plus haut, un
formalisme ad validitatem pour un mécanisme, l’acceptation, qui a notamment pour conséquence d’interdire au
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débiteur d’opposer à l’établissement de crédit les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du
bordereau de cession de créances professionnelles.
Aux termes de l’article L. 313‐29 du Code monétaire et financier, en effet, l’acceptation doit être constatée dans un
écrit intitulé « Acte d’acceptation de la cession ou du nantissement d’une créance professionnelle ». Ce texte n’est
pas directement applicable à la renonciation faute d’identité de nature entre les deux mécanismes. L’acceptation
emporte en effet une conséquence que la renonciation n’emporte pas : celle d’obliger le débiteur à payer directement
le bénéficiaire du bordereau.
Reste alors la question de l’application par analogie de l’article L. 313‐29 du Code monétaire et financier (anc. L. no
81‐1, 2 janv. 1981, art. 6) à la renonciation aux exceptions. Ce mécanisme de comblement des lacunes intra legem
apparaît ici justifié si l’on s’attache au sens et au but de ce formalisme. Ce dernier vise en effet à la fois la sécurité des
transactions, en conformité avec la ratio de la loi Dailly et, au moins indirectement, la protection du consentement du
débiteur. L’application analogique devrait toutefois se limiter aux cessions de créances professionnelles.
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Contrats, conc., consom. 1997, comm. 182, obs. Raymond G., RTD com. 1998, p. 181, obs. Cabrillac M.).
Le droit allemand connaît une restriction comparable : aux termes du § 496, alinéa 1er, BGB, est inefficace une
convention par laquelle l’emprunteur à la consommation renonce à opposer au cessionnaire de la créance que le
prêteur détient sur lui les exceptions qu’il a contre ce dernier.
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Dans le doute, la renonciation devrait toujours s’interpréter strictement, c’est‐à‐dire de la manière la plus favorable au
débiteur cédé, puisque c’est lui qui s’oblige (C. civ., art. 1162 ; Baudry‐Lacantinerie G. et Saignat L., précité ; Planiol
M. et Ripert G., précité ; De Page H., précité ; contra Petit B., note précitée sous Cass. 3e civ., 31 mai 1983, no 81‐
13.824, spéc. no 16), a fortiori lorsque la renonciation est intégrée dans des conditions générales de contrat (en ce
sens, pour le droit allemand, Staudinger‐BGB/ Busche J., § 404, no 38). Du point de vue de la technique contractuelle, il
est préférable de dresser une liste aussi exhaustive que possible des exceptions auxquelles il est renoncé.
Pour mieux cerner les effets de la renonciation, il est nécessaire de s’attacher aux différents rapports qui unissent les
protagonistes de la cession de créance.
Le débiteur cédé qui a renoncé aux exceptions ne peut être moins bien protégé que celui qui a accepté la cession
ou que le débiteur cambiaire.
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renonce est celui d’opposer cette créance en réduction de prix en compensation pour le cas où il serait recherché en
paiement du prix cédé à un tiers. Si toutefois, le débiteur venait à renoncer à ses exceptions vis‐à‐vis du cédant, cette
renonciation se transmettrait alors au cessionnaire de la créance. Il convient de relever qu’une telle renonciation
s’analyserait en une clause exclusive de responsabilité. S’appliqueraient alors les limites traditionnelles aux clauses
exonératoires de responsabilité : le dol, la faute lourde et, selon la jurisprudence Chronopost, l’absence de cause (Le
Tourneau Ph., Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 2002/2003, nos 1135 et s. ; Malaurie Ph., Aynès, L. et
Stoffel‐Munck Ph., précité, nos 979 et s. ; Flour J., Aubert J.‐L., Flour Y. et Savaux E., Les Obligations, vol. 3, Le
rapport d’obligation, Armand Colin, 2004, nos 224 et s.).
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être prémuni contre une créance affaiblie par les relations nouées entre le cédant et le cédé. Aucune règle ne fait
cependant obstacle à ce que le débiteur cédé convienne directement avec le cessionnaire de renoncer aux exceptions
personnelles qu’il détient à son encontre.
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