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Identite Profs Philosophie PDF
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l'Education
Poucet Bruno. Quelle identité pour les professeurs de philosophie ? (1809-2000) . In: Lycées, lycéens, lycéennes, deux siècles
d'histoire. Paris : Institut national de recherche pédagogique, 2005. pp. 285-300. (Bibliothèque de l'Histoire de l'Education, 28);
https://www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_2005_act_28_1_9258
QUELLE IDENTITÉ
POUR LES PROFESSEURS DE PHILOSOPHIE ?
(1809-2000)
Bruno POUCET
1. Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le Syndicalisme des fonctionnaires jusqu'à la guerre froide, Lille, Presses
universitaires, 1989 ; André Robert, Le Syndicalisme des enseignants, Paris, La Documentation
française, coll. « Systèmes éducatifs », 1995 ; Paul Gerbod, « Associations et syndicalisme
universitaires de 1828 à 1928 », Le Mouvement social, n° 55, avril-juin 1966. On laisse ici de côté la
question des enseignants du secondaire privé ; voir Bruno Poucet, Entre l'Eglise et la République,
Paris, Éditions de l'Atelier, 1998.
2. Le statut général de la fonction publique de 1948 remanié en 1984 en est une forme
d'aboutissement administratif. L'expression « corps enseignant » se trouve utilisée pour la
première fois, dans un texte législatif, dans la loi du 10 mai 1806 « relative à la formation d'une
Université impériale et aux obligations particulières des membres du corps enseignant ».
3. À l'exception notable de Paul Gerbod, La Condition universitaire en France au XIXe siècle. Étude d'un
groupe
1880, Paris,
socio-professionnel
PUF, 1965. : professeurs et administrateurs de l'enseignement secondaire public de '1842 à
286 Bruno POUCET
1.
2. Dominique
septembre
Loi
portant
du 10organisation
mai
1981,
Julia
1806
«p.La71-86.
relative
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sciences
du sociales,
17 Le
mars
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n1
métier -, les carrières, Textes officiels, t. 4 : 1802-1 91 4, Paris, INRP/Économica, 2000, p. 110 et 11
3. Loi générale sur l'instruction publique du 11 floréal an X, article 10.
4. Avant 1802, à Paris, au Prytanée et à Saint-Cyr un enseignement de philosophie est dispen
après 1802, on trouve, à Paris, un enseignement de physique, chimie, sciences naturelles, voir
langues vivantes. En revanche, le collège irlandais organise un enseignement de philosophie :
l'abbé Burnier-Fontanel qui officie, celui-là même qui rédigera en 1823 le premier program
Quelle identité pour les professeurs de philosophie ? 28 7
1.
2.
3. J.Patrice
AvecS. Flotte,
des
Vermeren,
interruptions
Leçons élémentaires
Victor en
Cousin,
1837-1838,
de lephilosophie,
jeu de1840-1841
la philosophie
Paris, Brunot-Labbé,
(il est
et deministre
l'État, Paris,
1812.
de l'instruction
L'Harmattan,publiqu
1995.
lieu dans les locaux même du lycée1 : il est vrai qu'à la différence de leurs collè¬
gues des autres disciplines, ils ne disposent d'aucun manuel officiel et ne reçoi¬
vent qu'une formation rudimentaire en philosophie. Ils doivent donc s'appuyer
sur les ouvrages des philosophes anciens, tels Platon ou Aristote, ou récents, tels
Condillac ou Charles Bonnet, ou sur les ouvrages de leurs collègues. Ils n'ont pas
de pratique pédagogique spécifique au lycée, ni réellement d'exercice propre :
c'est le cours dicté qui est pratiqué, au pire, la lecture d'un manuel.
Ajoutons que leur petit nombre - vingt-cinq pour toute la France en 1809, en
nette régression par rapport à l'Ancien Régime où ils étaient encore 250 en 17892
- ne permet guère de les distinguer de l'ensemble des professeurs de lycée des au¬
tres disciplines et de les voir s'organiser en un groupe spécifique. Leur activité,
outre l'enseignement, se réduit - lorsqu'ils sont également professeurs de faculté
- à celui d'examinateur à l'oral du baccalauréat, soit dans les facultés ou, après
1816, dans les petites académies, dans les commissions d'examen. D'élèves, ils
n'ont guère : en 1811, seulement onze lycées, dont les quatre de Paris, avaient as¬
sez d'élèves pour distribuer des prix en philosophie à la fin de l'année scolaire.
1. Le professeur de lycée devait « instruire soit en latin soit en français sur les principes de la logique,
de la métaphysique, de la morale et sur l'histoire des opinions des philosophes » (Règlement sur
l'enseignement dans les lycées du 19 septembre 1809, article 17) ; le professeurs de faculté
« approfondira les principales questions de logique, de la métaphysique et de la morale. Il
s'attachera spécialement à montrer l'origine et les développements successifs de nos idées. Il
indiquera les causes principales de nos erreurs. Il fera connaître la nature et les avantages de la
méthode philosophique », Conseil impérial de l'instruction publique, 1811.
2. Paul Gerbod, « L'Université et la philosophie de 1789 à nos jours » dans Actes du 95e congrès
national des sociétés savantes, t . 1, Paris, Bibliothèque nationale, 1974, p. 237-330.
3. Moins d'un candidat sur deux présentés obtenait la seconde partie du baccalauréat, selon le
recteur Cournot, Des Institutions d'instruction publique en France (1864), dans Antoine-Augustin
Coumot, Œuvres complètes, Paris, Vrin, 1977, t. 7, p. 204.
4. II faudrait plutôt dire recréée puisque une première agrégation avait été fondée en 1766. Elle
comportait trois ordres : lettre, grammaire, philosophie. Le statut des agrégés du 24 août 1810
prévoit pour la section « classe supérieure de lettres » deux épreuves écrites, l'une est un discours
français ou une pièce de poésie latine, l'autre « une dissertation latine sur un sujet de
290 Bruno POUCET
métaphysique ». Les épreuves, comme sous l'Ancien Régime, ne sont pas nationales, mais ac
miques. Elles ne seront nationales qu'à partir de 1830, voir Yves Verneuil, Les Agrégés : histoire d
exception française, Paris, Belin, 2005.
1. En 1820, selon l'Almanach royal, il y a 18 ecclésiastiques sur 38 professeurs de philosophie.
2. André Chervel, Les Lauréats des concours d'agrégation de l'enseignement secondaire, 1 821-1 950, P
INRP, 1993.
3. Bruno Poucet, De l'Enseignement de la philosophie, Charles Bénard philosophe et pédagogue, P
Hatier, 1999, coll. « Le temps des savoirs », p. 39-60 et dossier individuel : AN, F17 20133.
Quelle identité pour les professeurs de philosophie ? 291
que le régime impérial devient plus libéral, ils obtiennent le retour à la situation
antérieure.
1. Anselme
droite monarchiste
Batbie (1828-1887),
au Sénat, professeur
fut ministre
de de
droit
l'Instruction
et auditeurpublique
au Conseil
du 25
d'État,
mai appartenant
au 26 novembre
à la
1873. Il se distingua par sa volonté de revenir sur les réformes introduites par Jules Simon en 1872
et redonna tout son poids à l'enseignement des vers latins, à la mémoire (circulaire du
18 septembre 1873, BAMIP, p. 678). Anselme Batbie prépara une réforme du baccalauréat qui
aboutit en 1874 : l'examen est désormais séparé en deux parties. L'enseignement de la
philosophie occupe une place fondamentale aussi bien dans le temps imparti à l'horaire
d'enseignement (35 %) qu'au poids à l'examen (45 % des coefficients de l'examen de la seconde
partie).
2. II faut entendre par ce terme l'achèvement des études. Cette métaphore que l'on trouve chez
Victor Cousin résulte d'un emprunt à Platon (La République, VII, 534e).
3. Le baccalauréat ès sciences est un examen de second rang, qu'on passe pour faire des études
scientifiques.
4. Maurice Barrés, Les Déracinés, Paris, Charpentier, 1897 ; Paul Bourget, Le Disciple, Paris, Fayard,
n. éd. 1953 ; Marcel Proust, Jean Santeuil, Paris, NRF, coll. « La Pléiade », 1976. Et de façon plus
292 Bruno POUCET
critique, Louis Guilloux, Le Sang noir, Paris, NRP, coll. « Folio » 1980 (Ie éd. 1935 ) ou Paul Ni
Les Chiens de garde, Paris, Maspero, 1969 (Ie éd. 1932).
1. Les premières classes de rhétorique supérieure ont été créées à Paris vers 1890. Auparavan
élèves qui se préparaient au concours suivaient l'enseignement de la classe de rhétorique, o
appelait des « vétérans ».
2. Une centaine d'ouvrages différents ont paru entre 1860 et 1940. Bruno Poucet, « De la rédacti
la dissertation. Evolution de l'enseignement de la philosophie dans l'enseignement secondair
France dans la seconde moitié du XIXe siècle », Histoire de l'éducation, janvier 2001, n° 89, p
note 2.
3. Inspection de 1923, dossier personnel d'Emile Chartier, AN, F17 24293. D. Parodi sera
revanche séduit, en 1929 puisqu'il affirme : « C'est un merveilleux éveilleur d'esprits ».
4. Revue de l'enseignement secondaire et de l'enseignement supérieur, 1884, n° 2.
5. Marcel Proust, .À la Recherche du temps perdu, Paris, 1988, NRF, coll. « La Pléiade », t. 3, p. 79
Quetle identité pour les professeurs de philosophie ? 293
4.
2.
3.
1. l'instruction
Jules
Paris
Ollé-Laprune,
du
Huguet,
«Notice
Le
épreuves
Lachelier
concours
jury
au
Lachelier
d'inspection
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(1832-1918),
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1869,
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à l'académie
après
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rédigée
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Paris,
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1901.
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1802-19'14,
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1994,
1994.
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1900,
du généraux
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Françoise
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président
puisdes
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294 Bruno POUCET
seur, pourvu que les questions indiquées soient toutes traitées »\ La concess
est de taille. Il faut comprendre ainsi cette remarque : un bon professeur n'a
réellement besoin de programme, en revanche, c'est le cas d'un professeur m
diocre, « un préparateur au baccalauréat ». En 1895, le Conseil supérieur ira p
loin encore dans la latitude laissée aux professeurs puisqu'il décidera que ces d
niers disposent d'un choix encore plus large dans les auteurs à expliquer en cla
Autrement dit, comme l'affirment explicitement les instructions de 1905, c
l'esprit qui compte plus que la lettre.
A partir des années 1880, la pratique pédagogique se structure autour d
leçon parlée et de la dissertation2. La rédaction est abandonnée : le professeur
philosophie se distingue ainsi de son collègue de la classe de rhétorique. Il
distingue aussi de son collègue de faculté : l'histoire de la philosophie devient,
principe, le propre de l'enseignement supérieur. Un corps de doctrine et u
pratique d'enseignement sont définis. Or, il va falloir les défendre.
1. Procès-verbal
F17* 13286. du Conseil supérieur de l'instruction publique, séance du 17 juillet 1880,
La question est donc bien de rester des philosophes, malgré l'école ou plus
exactement, malgré la conception que la société se fait de l'école, moins huma¬
niste et plus utilitariste que ne le souhaiteraient les professeurs de philosophie.
C'est le début d'un divorce entre les professeurs et la société. Mais les professeurs
restent unis et tentent de faire front en formant une véritable corporation.
1. Yves Verneuil, « De l'esprit de corps à la défense de "la qualité de l'enseignement". La Société des
agrégés de 1914 à nos jours », infra, p. 301-315.
2. La philosophie est officiellement enseignée dans les lycées de jeunes filles à partir de 1924 : le
programme est le même que celui des lycées de garçon, même si les instructions officielles de 1925
« oublient » purement et simplement de s'adresser aux jeunes filles. La première agrégée de
philosophie femme a été recrutée en 1920 : il s'agit de Lucy Prenant. Il n'y aura jamais
d'agrégation féminine de philosophie, au contraire d'autres disciplines (lettres, grammaire,
histoire, mathématiques, physique).
3. Publié d'abord sous forme de fascicules entre 1902 et 1923, l'ouvrage l'est ensuite sous forme de
livre en 1926 chez Alcan (en deux volumes), repris ensuite en 1947 en un volume aux PUF. Il est
toujours édité et réactualisé actuellement, aux PUF, en format de poche, coll. « Quadrige » et en
grand format, coll. « Les grands dictionnaires des Presses universitaires de France ».
4. Méthode, revue de l'enseignement philosophique, n° 1-2, novembre 1933, p. 2 et 10 ; Pierre Caspard
(dir.), La Presse d'éducation et d'enseignement..., op. cit., t. III. p. 109-110.
29 6 Bruno POUCET
2.
3.
1. Bruno
éditions,
fondements
Entre Poucet,
Poucet
1923
1999,
», «Enseigner
et Carrefours
p.La
1940,
386-397.
"tradition"
quatorze
ladephilosophie,
l'éducation,
de auteurs
l'enseignement
n°
histoire
différents
6, juillet-décembre
d'une
de dans
la discipline
philosophie
l'enseignement
1998,
scolaire
: p.essai
2-21.
1860-1990,
d'investigation
public (etParis.
septsu
C
l'enseignement privé) rédigent un manuel - aucun d'entre eux n'est inspecteur général.
4. Armand Cuvillier, Manuel de philosophie, t. 2, Paris, Armand Colin, 1927, p. 426.
5. « Interrogation sur le langage et la pensée. [ . . . ] Il y aurait à dire sur certaines parties de cette le
Peut-on considérer le raisonnement sentimental comme une forme de raisonnement ? D'a
part, c'est net, solide, illustré, grande place aux exemples. Professeur dans toute la forc
terme : incontestable autorité personnelle, pensée sérieuse, sûre, maîtresse d'elle-même. C'es
Quelle identité pour les professeurs de philosophie ? 297
La fin de l'unité
Certes, l'apparence sociale peut aujourd'hui encore donner l'illusion que les
professeurs de philosophie forment une corporation homogène : le taux de fémini¬
sation reste nettement inférieur à celui des autres disciplines d'enseignement gé¬
néral (40 % au lieu de 63 %), la sélectivité des concours reste élevée (environ un
admis sur 25, voire un sur cent dans les années où le nombre de postes est réduit, à
la fin des années 1970). Toutefois, plusieurs facteurs, qui ne sont pas spécifiques à
l'enseignement de la philosophie, ont provoqué une crise d'identité : accroisse¬
ment du nombre (200 professeurs avant 1940, 4 300 en 2000) ; déstabilisation du
recrutement - désormais, les agrégés sont minoritaires (un sur trois en 1964) - ;
création, en 1950, d'un nouveau concours de recrutement, le CAPES, suivi ulté¬
rieurement de concours internes, spécifiques ou réservés et de listes d'aptitude.
L'unité de recrutement a donc disparu.
même temps une conscience. Influence réelle sur les élèves qui trouvent en lui une direction
autant morale qu'intellectuelle et un point d'appui ferme ». Armand Cuviilier, notice de
l'inspecteur général Désiré Parodi, 1928, AN, F17 25312.
1. F17
Notice
25175/b.
individuelle de G. B., rédigée par l'inspecteur général Georges Davy en 1939, AN,
298 Bruno POUCET
davantage par lassitude d'un débat qui ne semblait pas devoir prendre fin que par
conviction profonde1.
* * *
2.
1. Bulletin
On peutdeRayoux,
Patrick lire
l'ACÎREPH
ainsi La
les et"Dissert
approches
dans Côté
de contradictoires
philo.
philo'', sociologie
dansd'une
L'Enseignement
épreuve scolaire,
philosophique
Rennes,
ou dans
Presses
le
universitaires, 2002.
3. Voir Michel Tozzi (coord.), Diversifier les formes d'écriture philosophique, Montpellier, CRDP
Languedoc-Roussillon, 2000 ; Serge Cospérec et Jean-Jacques Rosat, Les Connaissances et la pensée,
Quelle place faire aux savoirs dans l'enseignement de la philosophie ?, Paris, Bréal, 2003.
300 Bruno POUCET
désormais offert aux deux tiers des élèves qui se présentent au baccalauré
général ou technologique. Au moment où l'enseignement de la philosophie a é
généralisé à toutes les classes des lycées d'enseignement général
technologique, la « classe » de philosophie n'est plus qu'une classe parmi tou
celles qui existent et ses effectifs sont en baisse constante depuis une dizai
d'années : elle n'accueille plus en 2003 que 10 % de l'ensemble des fut
bacheliers1.
1. Bruno Poucet, « La classe de philosophie dans son histoire », Côté philo, n° 4, 2004, p. 11-15.