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Arnaud OUEDRAOGO, Magistrat, Conseiller technique au Ministère de la Promotion des

Droits Humains, Burkina Faso

PEINE DE MORT ET DROITS DE L’HOMME :


ENJEUX D’UNE ABOLITION AU BURKINA FASO

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Arnaud OUEDRAOGO, Magistrat, Conseiller technique au Ministère de la Promotion des
Droits Humains, Burkina Faso

INTRODUCTION

« Peine de mort et droits de l’homme : enjeux d’une abolition au


Burkina Faso ». Telle est le thème de la réflexion à laquelle nous
sommes conviés ce jour.

Avant tout, il convient de définir ce que recouvre la peine de mort. La


lecture combinée de deux dispositions du Code pénal nous en donne
un bon éclairage. L’art. 15 dispose : « La peine de mort s’exécute par
fusillade en un lieu désigné par décision du ministre chargé de la Justice ».
Dans une formule plus générale, l’art. 3, al. 2 prévoit : « Nul ne peut être
reconnu coupable d’une infraction, ni condamné à une peine autrement que par
décision d’une juridiction compétente ». Il en découle que la peine de mort,
ou « peine capitale », est une décision de mise à mort, prise par les
tribunaux, contre un individu reconnu coupable d’une infraction.

La peine de mort constitue la sanction pénale la plus lourde dans la


hiérarchie des sanctions pénales. Elle est aussi l’une des plus
anciennes, appliquée alors même que l’institution de la prison n’était
pas encore développée.

La recherche du sens de la peine de mort ne s’est pas épuisée avec le


temps. « Nulle peine comme la peine de mort n’aura suscité autant de propos
sur le sens de la peine », écrivent justement Casadamont et Poncela.

A travers les siècles, la peine de mort fut porteuse d’une vision de la


justice et d’une vision de l’Homme. Venger la victime, dissuader du
crime, c’est ce qui transparaît sous la plume du Grec Callistrate, qui
influença la conception romaine de la peine de mort : « Les assassins de
grand chemin subiraient la peine de la croix à l’endroit même où ils avaient
commis leurs crimes, afin que, par ce spectacle terrifiant, les autres soient
dissuadés de commettre de semblables forfaits, mais aussi que cette peine,
infligée sur le lieu même de l’infraction, soit une consolation pour les
parents et les proches des victimes ».
Mais, au fil du temps, des opinions s’élèveront pour remettre en cause
la peine de mort. Le XVIIIe siècle marque l’éveil des idées
abolitionnistes, notamment à partir de l’œuvre de Montesquieu De
l’esprit des lois et de celle de Cesare Beccaria, dont le livre Des délits et
des peines (1764) remet en cause la peine de mort.
Ces idées abolitionnistes seront reprises dans la littérature,
notamment par Victor Hugo (Le dernier jour d’un condamné, 1829) et
par Alphonse de Lamartine (Contre la peine de mort, 1830), auteurs qui
porteront le débat à l’Assemblée nationale.

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Parallèlement, l’on assiste à l’abolition de la peine de mort dans
plusieurs pays. Ainsi, Léopold II abolit la peine de mort en Toscane en
1786. De même, Joseph II la supprime en Autriche en 1787. En 1843,
la République de Saint-Marin l’abolit pour les crimes de droit commun
puis, en 1865, pour tous les crimes ; le Venezuela l’abolit pour tous les
crimes en 1863, le Royaume du Portugal l’abolit en 1867 pour les
crimes de droit commun ; le Tibet l’abolit en 1898.

Plus récemment, les droits de l’homme ont contribué à redessiner les


contours du sens de la peine de mort. Le débat a pris une dimension
internationale, par le truchement des Nations Unies. Il est aussi porté
par des ONG, notamment Amnesty International, dont les rapports
annuels, qui dépeignent la situation des droits de l’homme dans
plusieurs pays du monde, comportent des données sur la peine de
mort. Le 13 mai 2002 était créée, à Rome, la Coalition mondiale contre
la peine de mort, regroupement de 82 ONG, barreaux d’avocats,
collectivités locales et syndicats. Depuis 2003, la Coalition mondiale a
instauré le 10 octobre Journée mondiale contre la peine de mort.

Toutes ces actions, portées à la fois par des acteurs étatiques et par
des acteurs non étatiques ont entraîné la reconfiguration de la
communauté des Etats sur la question de la peine de mort. Selon le
dernier rapport du Secrétaire général des Nations Unies relatif au
moratoire sur l’application de la peine de mort, présenté à la 65e
session de l’Assemblée générale, « depuis la création de l’ONU, on assiste
à un renversement de tendance : après avoir représenté une large majorité des
Etats membres, les Etats dotés de la peine de mort ne sont plus qu’une
minorité, et ce mouvement semble appelé à se poursuivre ». En 2009, 140
Etats sur les 192 que compte les Nations Unies avaient aboli la peine
de mort ou de l’appliquaient plus.

Cette évolution de la question de la peine de mort au plan


international n’est pas sans conséquence au plan national où elle a
pris un tournant décisif, suite la recommandation faite par le Conseil
des droits de l’homme, pour l’abolition de la peine de mort lors de
l’examen périodique universel du Burkina Faso.

Envisager la peine de mort dans la perspective des droits de l’homme,


c’est donc s’imposer une double posture qui amène, d’une part, à
mettre en lumière l’évolution du débat au plan international (S1),
d’autre part, à revisiter les principales articulations que peut
emprunter un plaidoyer pour l’abolition de la peine de mort au
Burkina Faso (S2).

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Section 1

LES TROIS MARCHES VERS L’ABOLITION UNIVERSELLE


DE LA PEINE DE MORT

L’on peut distinguer trois articulations dans le discours des Nations


Unies sur la peine de mort. Sans épouser ni une succession temporelle
ni un cloisonnement textuel, ces trois articulations s’offrent comme
une grille de lecture pour cerner l’évolution du débat au plan
international. Dans une première approche, les Nations Unies avaient
accepté le principe de la peine de mort, sous la condition qu’elle soit
prononcée à l’issue d’un procès équitable (§1). Dans une approche
intermédiaire, les Nations Unies ont appelé les Etats à établir un
moratoire sur l’application de la peine de mort (§2). L’ultime approche
a consiste à l’abolition pure et simple de la peine de mort (§3).

§1) LA PEINE DE MORT SOUS CONDITION D’UN PROCES


EQUITABLE

Les diverses garanties devant entourer le prononcé et l’exécution de la


peine de mort se retrouvent dans le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (I) et dans d’autres textes (II).

I) Les garanties du Pacte international relatif aux droits civils


et politiques

L’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,


tout en réaffirmant le droit à la vie, se borne à interdire, non pas le
principe même de la peine de mort, mais la privation arbitraire de la
vie. Son alinéa premier énonce : « Le droit à la vie est inhérent à la
personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être
arbitrairement privé de la vie ».
Pour éviter l’arbitraire, l’article 6 indique des exclusions (A) et appelle
au respect des droits de la défense (B).

A) Les exclusions

Doivent être exclus du champ d’application de la peine de mort, les


enfants et les femmes enceintes. Doivent être également exclues, les
infractions ne présentant pas un caractère de gravité.

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B) Le respect des droits de la défense

Comme garanties d’un procès équitable, le Pacte énonce que « Nul ne


doit être arbitrairement privé de la vie » et indique que la sentence de
mort ne peut être prononcée que « conformément à la législation en
vigueur au moment où le crime a été commis ». Enfin, tout condamné à
mort a le droit de solliciter la grâce ou la commutation de la peine.
« L’amnistie, la grâce ou la commutation de la peine de mort peuvent dans
tous les cas être accordées ».

Article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques


1. Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être
arbitrairement privé de la vie.
2. Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les
crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis et qui ne
doit pas être en contradiction avec les dispositions du présent Pacte ni avec la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide. Cette peine ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement définitif rendu par
un tribunal compétent.
3. Lorsque la privation de la vie constitue le crime de génocide, il est entendu qu’aucune disposition du présent
article n’autorise un Etat partie au présent Pacte à déroger d’aucune manière à une obligation quelconque assumée
en vertu des dispositions de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
4. Tout condamné à mort a le droit de solliciter la grâce ou la commutation de la peine. L’amnistie, la grâce ou la
commutation de la peine de mort peuvent dans tous les cas être accordées.
5. Une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans
et ne peut être exécutée contre des femmes enceintes.
6. Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine
capitale par un Etat partie au présent Pacte.

II) Les garanties édictées par le Conseil économique et social

En 1984, le Conseil économique et social des Nations Unies a dressé


une liste de garanties que doivent observer les pays appliquant la
peine de mort. Cette liste fut complétée en 1989.
Sans valeur juridique contraignante, contrairement au Pacte, la
résolution a, néanmoins, une valeur morale et politique non
négligeable, dans la mesure où elle contribue à éclairer le contenu des
textes conventionnels qu’elle reprend et enrichit. A l’instar du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, la résolution du CES
prévoit des exclusions (A) et des règles du procès équitable (B).

A) Les exclusions

En plus des enfants et des femmes enceintes, également exclus dans le


Pacte, la résolution du CES exclut les mères de jeunes enfants, les
personnes âgées au dessus d’un certain âge, les handicapés mentaux
ou les personnes dont les capacités mentales sont extrêmement
limitées.
Par ailleurs, la résolution appelle les Etats à ne réserver la peine de
mort qu’aux « crimes intentionnels ayant des conséquences fatales ou
d’autres conséquences extrêmement graves ».

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B) Le respect des droits de la défense

Selon la résolution du CES, l’appel doit être automatique ; de même,


l’exécution ne peut avoir lieu pendant le temps de l’appel. Le
condamné à mort doit bénéficier de l’assistance juridique et l’exécution
devra donner lieu au minimum de souffrances possibles.
Recommandations du Conseil économique et social

 La peine de mort ne peut être appliquée que pour des crimes intentionnels ayant des conséquences fatales ou
d'autres conséquences extrêmement graves ;
 Si la peine de mort est abolie ou son champ d'application restreint, les personnes condamnées à mort selon
l'ancienne loi doivent avoir leur peine commuée ;
 La peine de mort ne doit pas être appliquée aux personnes âgées de moins de 18 ans au moment où elles
commettent un crime ;
 Les femmes enceintes et les mères de jeunes enfants ne doivent pas être exécutés ;
 Les handicapés mentaux ou les personnes dont les capacités mentales sont extrêmement limitées doivent être
exemptées de la peine de mort ;
 La peine de mort ne peut être exécutée que lorsque la culpabilité de la personne accusée d'un crime repose « sur
des preuves claires et convaincantes ne laissant place à aucune autre interprétation des faits » ;
 Les garanties possibles pour assurer un procès équitable, en particulier l'assistance juridique, doivent être
respectées. La protection apportée aux accusés de crimes capitaux sur ce point devra aller au-delà que celle
apportée aux autres accusés ;
 L'appel d'une condamnation à mort doit être automatique ;
 Tant que le condamné n'a pas été exécuté, la grâce doit rester possible ;
 L'exécution ne pourra avoir lieu tant que le condamné est en instance d'appel ;
 Le minimum de souffrances possibles doivent être infligés lors de l'exécution ;
 Les personnes âgées au-dessus d'un certain âge doivent être exemptées de la peine de mort ;
 Les autorités doivent coopérer avec les organismes compétents dans l'étude de la peine de mort dans leur pays.

A cette logique primaire tournée essentiellement vers le respect des


règles du procès équitable s’est substituée une logique intermédiaire :
le moratoire sur les exécutions.

§3) L’OBJECTIF INTERMEDIAIRE : LE MORATOIRE SUR L’APPLICATION


DE LA PEINE DE MORT

Le moratoire sur l’application de la peine de mort est initialement issu


de la résolution 62/149 de l’Assemblée générale (I). Il a été repris, au
plan régional africain, par la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples (II).

I) La résolution 62/149 de l’Assemblée générale


des Nations Unies

Le 18 décembre 2007, lors de sa soixante-troisième session,


l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 62/149
relative au moratoire sur l’application de la peine de mort. Le projet de
résolution, initialement parrainé par l’Italie, a enregistré un vote
majoritaire des Etats dont le Burkina Faso. 104 Etats avaient voté
pour.

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La résolution s’adresse principalement aux Etats qui maintiennent la
peine de mort dans leur législation mais engage les Etats qui ont déjà
aboli la peine de mort à ne pas la réintroduire à nouveau.
De même, elle appelle les Etats qui maintiennent la peine de mort à
respecter des normes internationales garantissant la protection des
droits des personnes passibles de la peine de mort. Ces normes
minimales sont annexées à la résolution 1984/50 du Conseil
économique et social, en date du 25 mai 1984.
Par ailleurs, elle les appelle à la réduction du nombre d’infractions qui
emportent la peine de mort.
Enfin, les appelle à instituer un moratoire sur les exécutions.

II) Le moratoire de la Commission africaine des droits de l’homme


et des peuples

Le 24 novembre 2008, la Commission africaine des droits de l’homme


et des peuples a adopté la résolution 136 (XXXXIIII) dans laquelle elle
exhorte les Etats parties à : garantir un procès équitable, observer un
moratoire sur les exécutions en vue d'abolir la peine de mort
conformément aux Résolution ACHPR/Res 42 (XXVI) de la
Commission africaine et 62/149 de l'Assemblée Générale des Nations
Unies », ratifier le deuxième Protocole facultatif au Pacte DCP, coopérer
avec le Groupe de travail sur la peine de mort de la CADHP.
En septembre 2009, le Groupe de travail s’est réuni en vue d’examiner
la possibilité d’ajouter à la Charte un Protocole relatif à l’abolition de la
peine de mort (En Europe, le Protocole N°6 de la Convention
européenne des droits de l’homme est relatif à l’abolition de la peine de
mort).

§3) L’OBJECTIF ULTIME : L’ABOLITION PURE ET SIMPLE


DE LA PEINE DE MORT

L’appel à l’abolition de la peine de mort est contenu principalement


dans le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la
peine de mort (I). Avec ce Protocole, les droits de l’homme sont appelés
au secours de l’abolition de la peine de mort (II).

I) Le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP

Au Pacte international relatif aux droits civils et politiques se


rapportent deux protocoles, à savoir :
- Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale dans sa
résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966. Il habilite le Comité des

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droits de l’homme à recevoir des communications (plaintes) de la part
de particuliers qui estiment être victimes d’une violation par un Etat
partie, d’un des droits énoncés dans le Pacte et qui ont épuisé tous les
recours internes disponibles.
- Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort,
adopté par l’Assemblée générale dans sa résolution 44/128 du 15
décembre 1989. En juin 2010, 72 Etats avaient adhéré au Deuxième
Protocole facultatif.
Ce Protocole appelle à l’abolition (A), tout en prévoyant une possibilité
de réserve (B).

A) L’abolition pure et simple

L’abolition pure et simple de la peine de mort met fin aux exécutions et


se traduit par la prise de mesures supprimant la peine de mort dans le
droit national.
Article 1er
1. Aucune personne relevant de la juridiction d’un État partie au présent Protocole
ne sera exécutée.
2. Chaque État partie prendra toutes les mesures voulues pour abolir la peine de
mort dans le ressort de sa juridiction.

B) Une possibilité de réserve

Le Deuxième Protocole prévoit la possibilité de réserve pour les crimes


d’une gravité extrême, ayant un caractère militaire. Cette possibilité
est entourée de plusieurs conditions.
Article 2- 1. Il ne sera admis aucune réserve au présent Protocole, en dehors de la
réserve formulée lors de la ratification ou de l’adhésion et prévoyant l’application
de la peine de mort en temps de guerre à la suite d’une condamnation pour un
crime de caractère militaire, d’une gravité extrême, commis en temps de guerre.
2. L’Etat partie formulant une telle réserve communiquera au Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, lors de la ratification ou de l’adhésion, les
dispositions pertinentes de sa législation interne qui s’appliquent en temps de
guerre.
3. L’Etat partie ayant formulé une telle réserve notifiera au secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies la proclamation ou la levée de l’état de guerre sur
son territoire.

II) Les droits de l’homme appelés au secours de l’abolition

Les droits de l’homme encadraient déjà la peine de mort, sous l’angle


du procès équitable et de la protection de certaines personnes
vulnérables. D’autres arguments viendront se prêter à l’abolition de la
peine de mort. Désormais, elle constitue une atteinte intolérable contre
le droit à la vie (A). De même, elle constitue un acte de torture, objet de

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l’interdiction absolue de la Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (B).

A) La peine de mort : une atteinte intolérable au droit à la vie

Hier déjà, la peine de mort était considérée comme une atteinte au


droit à la vie, mais une atteinte tolérable, les dispositions relatives à la
peine de mort côtoyant celles relative au droit à la vie dans la plupart
des textes internationaux sans s’annuler mutuellement (article 3 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme ; article 6 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques).
Désormais, la peine de mort devient intolérable toujours au nom du
respect du droit à la vie. Selon le préambule du Deuxième Protocole
facultatif, les Etats parties sont « Convaincus que l’abolition de la peine de
mort contribue à promouvoir la dignité humaine et le développement
progressif des droits de l’homme,… Convaincus que toutes les mesures prises
touchant l’abolition de la peine de mort doivent être considérées comme un
progrès quant à la jouissance du droit à la vie ». Il s’agit d’aller au cœur
des textes, d’extraire « l’esprit des lois ». Si, selon l’article 6 du Pacte,
« Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être
protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie », le
Deuxième Protocole nous suggère de le relire en enjambant l’expression
« arbitrairement » et en mettant en avant ce que le Pacte voyait comme
souhaitable : « Notant que l’article 6 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques se réfère à l’abolition de la peine de mort en des termes qui
suggèrent sans ambiguïté que l’abolition de cette peine est souhaitable ». Ce
souhait transparaît nettement de la lecture de l’article 6, al. 6 :
« Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou
empêcher l’abolition de la peine capitale par un Etat partie au présent Pacte ».

B) La peine de mort : un acte de torture

La peine de mort, en tant qu’elle met en branle des méthodes


d’exécutions éprouvantes pour le condamné et soumet celui-ci aux
affres du « couloir de la mort », constitue un acte de torture, objet de
l’interdiction absolue contenue dans la Convention contre la torture.
Cette interdiction aboutit à réduire la coopération internationale, un
grand nombre de pays refusant l’extradition vers un pays qui
maintient la peine de mort ou dans lequel la personne extradée risque
d’être soumise à la torture. Par exemple, selon l’article 19 de la Charte
des droits fondamentaux de l’UE, « Nul ne sera ne peut être éloigné,
expulsé ou extradé vers un Etat où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis
à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ».

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Section 2)
FAUT-IL ABOLIR LA PEINE DE MORT AU BURKINA FASO ?

La peine de mort figure encore en droit positif burkinabé (§1), même si


son champ connaît un véritable amenuisement (§2). Demeure l’étape
ultime : l’abolition pure et simple (§3).

§1) UNE EXISTENCE TEXTUELLE

Au Burkina Faso, la peine de mort est une peine prévue en matière


criminelle, à côté de l’emprisonnement à vie, de l’emprisonnement à
temps et de la dégradation civique.

I) Le régime général de la peine de mort

Le régime général de la peine de mort figure dans le Code pénal. Les


modalités de l’exécution ainsi que des garanties procédurales sont
prévues aux articles 15 à 20 du Code pénal.
Article 15. La peine de mort s’exécute par fusillade en un lieu désigné par décision du ministre chargé de la Justice.
Article 16. L’exécution a lieu en présence du président de la juridiction qui a prononcé la condamnation ou à
défaut par un magistrat désigné par le président de la cour d’appel, du magistrat du ministère public ayant requis
dans l’affaire ou à défaut d’un magistrat désigné par le procureur général près la cour d’appel, du ou des
défenseurs du condamné, d’un greffier, du chef de l’établissement de détention, du commissaire de police ou du
commandant de brigade de territoriale du lieu d’exécution, d’un médecin requis pour le constat de décès et d’un
ministre de culte à la demande du condamné.
Article 17. Il ne peut être procédé à l’exécution avant qu’il n’ait été statué sur le recours en grâce selon les
dispositions du code de procédure pénale.
Article 18. Aucune exécution ne peut avoir lieu les jours de fête légale, ni le dimanche.
Article 19. L’exécution d’une femme condamnée à mort à mort est subordonnée à la délivrance d’un certificat de
non grossesse.
Si son état de grossesse est médicalement constaté, la femme condamnée à mort ne subira sa peine qu’après sa
délivrance.
Article 20. Les corps des suppliciés peuvent être remis à leurs familles si elles les réclament, à charge pour elles de
les faire inhumer sans cérémonial sous peine d’une amende de 150.000 à 500.000 francs.
Article 21. Un procès-verbal d’exécution est établi sur le champ par le greffier sous peine d’une amende de 2.000 à
10.000 francs.
Il est signé par le ministère public et le greffier.
Il est transcrit au pied de la minute de la décision de condamnation par le greffier.
Ce procès-verbal et éventuellement un communiqué officiel peuvent seul être lus dans la presse.

II) Les infractions passibles de la peine de mort


- Dans le Code pénal, sont passibles de la peine de mort, certains
crimes contre la sûreté de l’Etat tels que : la trahison, en temps de
guerre (article 89) ; l’espionnage commis par un étranger ou un
apatride. Des crimes et délits contre des particuliers tels que : les
crimes contre l’humanité (articles 313 à 317) ; l’assassinat, le parricide
et l’empoisonnement ; certains crimes aggravés par des tortures ou des
actes de barbarie (article 325) ; certains cas de meurtre : meurtre
commis dans un but d’anthropophagie, de culte, de pratiques occultes

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ou de commerce ; meurtre précédé, accompagné ou suivi d’un autre
crime ; meurtre comme moyen de réalisation d’un délit.

- Dans le Code de justice militaire (Loi 24-94 ADP du 24 mai 1994), les
infractions passibles de peine de mort sont plus nombreuses, décidées
surtout pour protéger l’ordre militaire en temps de guerre. Certains cas
de désertion à bande armée (article 176), de désertion à l’ennemi ou en
présence de l’ennemi (articles 177 et 178), de mutilation volontaire en
présence de l’ennemi (article 185), de capitulation, de trahison et de
complot militaire (article 189), de pillage (article 194), de destructions
(article 198), de révolte (article 208 et 209), de refus d’obéissance
(article 214), d’infractions aux consignes (article 232), d’abandon
volontaire de navire ou d’aéronef militaire en vol, d’abandon de poste
en présence de l’ennemi (article 238).

- Dans la loi 6-72 du 22 juin 1972 relative à la police des voies ferrées,
la destruction de la voie ferrée ou entrave à la circulation ferroviaire
ayant entraîné la mort (article 4).

Mais, l’existence de la peine de mort dans les textes nationaux ne rend


plus vraiment compte de l’option de l’Etat par rapport à la peine de
mort. En effet, au Burkina Faso, la peine de mort a perdu du terrain,
non seulement sous l’angle des faits mais aussi sous l’angle du droit.

§2) L’AMENUISEMENT DU CHAMP DE LA PEINE DE MORT

I) L’amenuisement par l’inapplication : l’abolitionnisme de fait

Depuis plusieurs décennies, notre pays n’a plus procédé à des


exécutions, même si la peine de mort à parfois été prononcée par les
tribunaux. La dernière exécution remonte à 1977 en ce qui concerne
des crimes de droit commun. Cet épisode fut ponctué par des cas
survenus durant la période d’exception, en 1984 (cinq militaires et
deux civils pour complot contre le gouvernement) et en 1988 (sept
militaires pour meurtre d’un officier de l’armée et de son épouse).
Le Burkina Faso figure donc dans la catégorie des pays dits
« abolitionnistes de fait ». Parallèlement, la volonté pro abolitionniste de
l’Etat a continué de s’affirmer.

III) L’amenuisement par le droit

Plusieurs actes traduisent l’amenuisement du champ juridique de la peine de


mort au Burkina Faso. Nous en retiendrons deux parmi les plus récents, à
savoir : l’adhésion au Statut de Rome (A) ; le vote du Burkina Faso en faveur

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de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies appelant au
moratoire sur l’application de la peine de mort (B).

A) L’adhésion du Burkina Faso au Statut de Rome

Le Burkina Faso a ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale


internationale. L’internalisation du texte a été faite à travers la loi du 3
décembre 2009 portant détermination des compétences et de la
procédure de mise en œuvre du statut de Rome relatif à la Cour pénale
internationale par les juridictions burkinabé.
Ni le Statut de Rome ni la loi nationale, qui s’en inspire, ne prévoient
pas la peine de mort parmi les peines à l’encontre des infractions
pourtant considérées comme les plus graves (crimes contre l’humanité,
crimes de génocide, crimes de guerre et crimes d’agression récemment
définis), imprescriptibles, insusceptibles ni d’amnistie ni de grâce.
Les personnes reconnues coupables des crimes visés à l’article 5 du
Statut sont passibles des peines suivantes, prévues à l’article 77 du
Statut :
- Une peine d'emprisonnement à temps de 30 ans au plus ; ou
- Une peine d'emprisonnement à perpétuité, si l'extrême gravité
du crime et la situation personnelle du condamné le justifient.
À la peine d'emprisonnement, la Cour peut ajouter :
- Une amende fixée selon les critères prévus par le Règlement de
procédure et de preuve ;
- La confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou
indirectement du crime, sans préjudice des droits des tiers de
bonne foi.

Dès lors, le Code pénal burkinabé, qui punit de mort les crimes contre
l’humanité, n’est pas compatible avec une bonne application du
Statut. De même, un grand nombre d’Etats n’extradent pas des
personnes suspectées d’avoir commis ces crimes vers un pays où
existe la peine de mort.

B) Le vote du Burkina Faso en faveur du moratoire des


Nations Unies sur l’application de la peine de mort

En 2007, le Burkina Faso avait émis un vote favorable à l’adoption de


la résolution 62/149 de l’Assemblée générale, se rangeant ainsi dans
la majorité des Etats et dans l’opinion dominante de la Communauté
internationale. Ce faisant, notre pays entérinait tout simplement une
situation nationale d’abolitionnisme de fait.
Si cette résolution n’est pas juridiquement contraignante, elle a
néanmoins une force d’interpellation importante, car elle traduit la

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volonté de la communauté internationale d’aller vers l’abolition
universelle de la peine de mort.
Reste un dernier pas à franchir, celle de l’abolition pure et simple de la
peine de mort.

§3) VERS UNE ABOLITION PURE ET SIMPLE ?

Le débat sur l’opportunité ou non d’abolir la peine de mort remet au


goût du jour des arguments connus de longue date qu’il ; n’est pas
intéressant de revisiter (I). Cela étant, la question dépasse aujourd’hui
le cadre strict de cet argumentaire traditionnel pour se placer sous
l’angle d’une participation à la communauté internationale, porteuse
d’une vision humaniste que véhiculent les droits de l’homme et dont
l’abolition se présente comme la traduction la plus plausible (II).

I) La confrontation des arguments traditionnels

A) Les défenseurs de la peine de mort

Pour les défenseurs de la peine de mort, les arguments les plus


récurrents sont :
 L’élimination du délinquant ;
 La dissuasion de commettre de nouvelles infractions ;
 La solution radicale contre les récidivistes.
La position de l’opinion publique est généralement en faveur de la
peine de mort, dans un grand nombre de pays. Elle l’est encore plus
lorsque dans l’intervalle du débat, il se produit un crime horrible ou
une série de crimes qui éveillent le sentiment d’insécurité. C’est ainsi
qu’en 1906, sous la IIIe République en France, une proposition de loi
déposée par Joseph Reinach faillit de peu aboutir à l’abolition, mais
l’espoir fut vite déçu par l’émoi qu’a suscité auprès de l’opinion un
crime qui déclencha une campagne pour le maintien de la peine de
mort.
Cela est d’autant plus émouvant lorsque le crime est commis par une
personne en état de récidive. Ainsi que l’écrivent Cassadamont et
Poncela, « La récidive… est interprétée, à tort ou à raison comme étant la
manifestation de l’échec d’une politique pénale… Il est impossible de
comprendre la teneur des discours de politique pénale si l’on ne tient pas
compte de ce qui se joue autour du thème de la récidive ».

B) Les abolitionnistes

Les défenseurs de l’abolition de la peine de mort, soit situent la


question sous l’angle moral ou religieux, soit remettent en cause le
caractère dissuasif de la peine de mort et mette en avant le caractère

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irréversible de la peine de mort face au risque d’erreurs judiciaires.
C’est d’ailleurs ces deux idées-forces que reprend la résolution
62/149 : « Estimant… qu’il n’y a pas de preuve irréfutable que la peine de
mort a un effet dissuasif et que toute erreur judiciaire dans l’application de la
peine de mort est irréversible et irréparable ».
Cet argument n’est pas nouveau. Déjà on lisait dans le décret du 12
avril 1848 qui abolit l’exposition publique et le carcan, en France :
« Considérant que le spectacle des expositions publiques éteint le sentiment de
la pitié et familiarise avec la vue du crime ». C’est Voltaire qui écrit qu’ « il
vaut mieux hasarder de sauver un coupable que condamner un innocent ».
Plus récemment, des études menées aux Etats-Unis d’Amérique (où
trente-cinq Etats fédérés sur cinquante en plus l’Etat fédéral
appliquent la peine de mort), remettent en cause la valeur dissuasive
de la peine de mort. Ainsi, en juin 2009, dans une étude menée par
des chercheurs de Northwestern University de Chicago, 88,2% des
criminologues parmi les plus réputés réfutent la portée dissuasive de
la peine de mort.
Parallèlement, en juin 2000, la Faculté de droit de l’Université de
Columbia de New York publiait un rapport sur la peine de mort qui
montre qu’entre 1973 et 1995, deux tiers des condamnations à mort
ont été décidées sur la base d’une erreur judiciaire.
Enfin, plusieurs études démontrent que la peine de mort s’aligne
largement sur la carte des discriminations.

II) L’argument des droits de l’homme

Le nouveau paradigme qui présente la peine de mort comme une


atteinte aux droits de l’homme, notamment à la vie, à la dignité
humaine ou comme une forme de torture ou de traitement cruel,
inhumain ou dégradant a toutes les chances de trouver une assise
juridique confortable aussi bien au plan international qu’au plan
national. L’Etat est partie à des traités qui affirment le droit à la vie et
interdisent la torture. La Constitution burkinabé, à son article 2,
stipule : « La protection de la vie, la sûreté et l’intégrité physique sont
garanties. Sont interdits et punis par la loi, l’esclavage, les pratiques
esclavagistes, les traitements inhumains et cruels, dégradants et inhumains, la
torture physique ou morale, les sévices et les mauvais traitements infligés aux
enfants et toutes les formes d’avilissement de l’Homme ».
Cela a été analysé plus haut. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que les
droits de l’homme constituent une trame majeure de la vie
diplomatique des Etats. Le Burkina Faso est membre du Conseil des
droits de l’homme depuis 2008. L’abolition de la peine de mort offre à
l’Etat toutes les chances de porter sa voix au chapitre des droits de
l’homme au plan international.

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III) Quelles options législatives pour l’abolition ?

La Constitution burkinabé n’a pas évoqué spécifiquement la peine de


mort ; celle-ci est prévue dans des lois. C’est donc par la loi que pourra
être envisagée l’abolition de la peine de mort. Les options législatives
sont diverses, plus pertinentes les uns que les autres.

 L’adoption d’un moratoire de droit sur les exécutions pour une


durée plus ou moins longues. Par exemple, le Mali avait pris
cette décision pour une durée de deux ans.
 L’adoption d’un moratoire de droit sur les exécutions pour une
durée définitive.
Lorsque le moratoire est pris pour une durée définitive, il
contribue priver d’effet toute condamnation judiciaire à mort,
même si celle-ci peut toujours être prononcée. L’on remarquera
qu’elle n’est pas très pertinente puisque sa très grande proximité
d’effet avec l’abolition pure et simple plaide plutôt au profit de la
seconde option.
 L’abolition pure et simple pour les crimes de droit commun. Le
deuxième protocole facultatif prévoit la possibilité de réserve pour
maintenir la peine de mort pour les crimes commis à caractère
militaire.
 L’abolition pure et simple pour tous types d’infractions.

 L’abolition après ratification du deuxième protocole. Elle


constitue alors la mise en œuvre d’une obligation internationale
de l’Etat. Cette ratification peut se faire avec ou sans réserve.

 L’abolition sans ratification du deuxième Protocole facultatif.


Tous les pays qui ont aboli la peine de mort n’ont pas
nécessairement ratifié le deuxième protocole. L’initiative est prise
au plan national, mais pas comme la mise en œuvre d’une
obligation internationale. On notera toutefois que cette option
préfigure la ratification du Deuxième Protocole facultatif.

CONCLUSION

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Toute réflexion sur la peine de mort nous invite à un regard renouvelé


sur le sens de la justice. Le débat qu’elle suscite révèle comment la
société se console de ses peurs face à l’insécurité. C’est un débat
difficile à épuiser. En France, le débat à l’Assemblée nationale a duré
deux siècles depuis l’adoption du Code pénal de 1810 la loi du 9
octobre 1981. Le premier jour du débat à l’Assemblée nationale qui
devait aboutir à l’abolition de la peine de mort, un sondage donnait
62% de personnes favorables au maintien de la peine de mort.

Mais, aussi inespéré que cela puisse paraître a priori, les tendances
mondiales se sont inversées en faveur de l’abolition, à un moment où
l’humanité est en proie à la peur du terrorisme. Au plan africain,
plusieurs pays ont aboli la peine de mort, parmi des pays pourtant
dans une période conflictuelle ou post conflictuelle : le Burundi, le Cap
Vert, la Côte d’Ivoire, Djibouti, la Guinée Bissau, le Mozambique, le
Rwanda, Sao Tomé et Principes, le Sénégal, les Seychelles, et
récemment le Togo.

Au Burkina Faso, la peine de mort n’est plus appliquée depuis des


décennies et l’on peut parier qu’elle ne sera plus jamais appliquée.
Abolitionniste de fait, nous n’appliquons plus la peine de mort, bien
avant un grand nombre de pays où elle est aujourd’hui abolie en droit.

Quoique non partie au Deuxième Protocole facultatif, nous sommes


partie à plusieurs conventions internationales qui restreignent
l’application de la peine de mort. Nous faisons partie des Etats qui ont
voté en faveur du moratoire sur l’application de la peine de mort. Aussi
l’abolition de la peine de mort se présente-t-elle comme l’épilogue
naturel d’une option politique qui s’est dessinée au fil du temps.

L’adhésion au Statut de Rome ne permet plus de maintenir dans le


droit pénal une peine qui sanctionne certaines infractions plus
lourdement que la communauté des nations considère comme les plus
graves. L’existence de la peine de mort en droit burkinabé nous installe
dans un inconfort juridique. De même, elle ne nous permet pas de tirer
tous les bénéfices de la coopération judiciaire internationale, un grand
nombre de pays qui refusent justement l’extradition vers un pays qui
applique la peine de mort. Le Rwanda, par exemple, a dû abolir la
peine de mort pour obtenir l’extradition de personnes suspectées de
génocide.
Notre pays a un leadership à bâtir, un espace diplomatique à investir
en matière de droits de l’homme, et l’abolition de la peine de mort se

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Droits Humains, Burkina Faso
présente aujourd’hui comme l’ultime engagement à prendre au nom du
respect de la vie en toutes circonstances.

Le Burkina Faso, en tant que membre du Conseil des droits de


l’homme participe à la construction d’un nouvel ordre de valeur au
plan international. Or, la communauté internationale ne veut plus se
satisfaire des seules règles du procès équitable comme condition de la
peine de la peine de mort. Elle sait qu’aucun système pénal, même
parmi les sociétés démocratiques, ne peut garantir du risque d’erreur
judiciaire dans l’absolu. Elle a trop souvent été témoin de la reprise en
main de la peine de mort par des régimes dictatoriaux pour
l’élimination de défenseurs des droits de l’homme sous le couvert de la
voie judiciaire. Elle est enfin témoin d’une réalité troublante qui
rapproche la peine de mort de la cartographie de la discrimination,
certaines catégories de la population étant statistiquement plus
exposées que les autres.

Dès lors, abolir la peine de mort au Burkina Faso, c’est engager la


société burkinabé à s’inscrire dans cet ultime sursaut de l’humanité
auquel nous invitent les droits de l’homme : comment être toujours
capable de surprendre quelque dignité humaine, jusque dans
l’ignominie du crime et dans la figure du délinquant le plus dangereux.

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