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CHANGEMENT
SUR DES LOGEMENTS
LE BURUNDI PROFOND DE
DE QUALITÉ
DE NOS RÊVES SYSTÈME POLITIQUE
À CONSOMMATION
CHANGER LES DANSEURS
D’ÉNERGIE
ET LA MÉLODIE. QUASI NULLE
G R O U P E D E R E C H E R C H E E T D ’A P P U I A U D É V E L O P P E M E N T D E S I N I T I AT I V E S D É M O C R AT I Q U E S ( G R A D I S )
TABLE DES MATIÈRES
A PROPOS DE GRADIS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 5.
REMERCIEMENTS.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 5
RESUME EXECUTIF.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 7.
RÉSUMÉ Ú
Ú
1.4. L'Echantillon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 13
1.5. Limites et biais liés au dépouillement et la traduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 13
Ú 1.6. Les grandes articulations de la recherche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 14
Perceptions de réfugiés burundais
sur les causes de leur exil, de la 2 / LA NATURE DU CONFLIT BURUNDAIS ET LES CAUSES DE SA RECURRENCE Page 15
6 / OÙ VA LE BURUNDI ? Page 38
Ú 6.1. Le scénario catastrophe : le pays va dans une mauvaise direction « vers l’abîme ».. . . . . . . . . . . . . . . Page 39
Ú 6.2. Le scénario de la paix : Dialogue et cheminement vers l’État de droit.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 40
CONCLUSION.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 43
Pour atteindre cet objectif, GRADIS utilise plusieurs approches dont la réalisation d’études
stratégiques et prospectives sur le Burundi et la région des Grands Lacs, le renforcement
des capacités d’autres organisations en particulier ceux de la société civile ; la constitution
d’une banque de données sur la vie démocratique et associative dans la région ainsi que la
promotion de l’expertise locale et régionale. Depuis le mois de juillet 2012, GRADIS organise
des sondages d’opinion au Burundi dans le cadre du réseau africain Afrobaromètre, dont il
est le partenaire national, afin de mettre à la disposition des décideurs à tous les niveaux,
des données nécessaires à la prise de décisions. GRADIS a aussi à son actif de nombreuses
recherches et publications sur la gouvernance, la corruption, le genre, la réforme du secteur
de sécurité et l’environnement.
REMERCIEMENTS
GRADIS exprime sa gratitude à toutes les personnes physiques et morales qui ont contribué,
à travers des appuis multiformes, à la réalisation de ce projet de recherche, permettant à de
nombreux réfugiés burundais de faire entendre leur voix.
Ces appuis ont aussi permis à GRADIS de poursuivre sa mission de recherche et de promotion
des initiatives démocratiques. Et ainsi, pouvoir verser dans le débat public sur le futur du
Burundi, des opinions d’une frange de la population, aujourd’hui étouffée, marginalisée.
4 G R O U P E D E R E C H E R C H E E T D ’A P P U I A U D É V E L O P P E M E N T D E S I N I T I AT I V E S D É M O C R AT I Q U E S ( G R A D I S ) 5
RÉSUMÉ EXÉCUTIF
Le but de la recherche était d’appréhender les « vérité », rendre justice aux victimes et ainsi empêcher la
perceptions des réfugiés burundais, dans leur répétition des crimes.
diversité, sur la manière de résoudre les questions
Le leadership du pays depuis l’indépendance, a été remis en
fondamentales qui sont à la base de la récurrence des
cause, ainsi que son absence d’attachement à des valeurs
conflits au Burundi. Dégager ainsi leur vision sur les
conditions nécessaires à leur retour au pays et surtout d’intégrité, d’altruisme. Les dirigeants sont constamment
la construction d’une paix et d’un développement qualifiés d’égoïstes, de cupides, plutôt enclins à rechercher
justes et durables au Burundi. des intérêts personnels ou sectaires que défendre l’intérêt
général.
L’enquête a été conduite de manière qualitative auprès
d’un échantillon de 100 réfugiés, âgés de plus de 18 ans. Ils Les motifs d’exil invoqués peuvent être classés au moins en
ont été choisis de manière à être représentatifs des trois principales catégories.
différentes catégories, comprenant des réfugiés urbains et La première catégorie de personnes a fui en raison de me-
ceux vivant dans des camps du Rwanda et de Tanzanie. Au naces personnelles, vécues, ressenties ou pressenties.
Rwanda, les sites d’enquête choisis, sont en plus du camp Cette situation étant généralement liée à leur engagement
de Mahama, les villes de Kigali, Nyamata, Huye et Muhanga politique, professionnel ou para professionnel. Ces fac-
où se trouvent les plus grandes concentrations de réfugiés
teurs sont aussi parfois reliés de façon sournoise à
urbains. En Tanzanie, ce sont les camps de Nyarugusu et
l’appartenance politique et ethnique.
Nduta. Les enquêtés ont été répartis de façon équitable
par site et comprennent environ 30% de femmes. Le deuxième groupe de facteurs est constitué d’atteintes
graves ou de menaces directes, perçues ou ressenties
Contrairement aux crises antérieures où les réfugiés étaient
sur les proches, souvent les conjoints. La menace se
dans leur immense majorité des Hutu, celle déclenchée en
répercute sur l’ensemble de la famille.
avril 2015, a la particularité d’avoir provoqué l’exil de
personnes issues de toutes les ethnies du pays et de toutes Enfin la troisième cause d’exil est liée à un environnement
les couches sociales, y compris des personnes ou des global vécu ou perçu comme dangereux, menaçant. Ce
groupes de personnes qui étaient dans les cercles du sont l’imminence d’une guerre, d’une déflagration
pouvoir, aussi bien civils que militaires. Parmi ces derniers généralisée, avec la possibilité de perpétration de crimes
se trouvent des frondeurs et des officiers de haut rang dont de masse qui font peur. Le génocide des Tutsi étant le
certains sont issus de l’ancienne rébellion du CNDD-FDD. plus évoqué et redouté par beaucoup.
Les répondants balaient un éventail assez large de facteurs Certains ont dû fuir non seulement à cause de leur
qui sont à la base du conflit burundais et de sa récurrence. appartenance politique ou ethnique, mais également en
Certaines causes sont immédiates et sont considérées com- raison de leur lieu d’habitation, jugé « indésirable » et
me conjoncturelles, et perçues comme des déclencheurs de constitutif de « crime » pour le régime.
la crise de 2015, alors que d’autres sont structurelles et
persistantes depuis l’accession du pays à l’indépendance. Sur les conditions de retour, les opinions sont radicales,
L’analyse des facteurs dégage une certaine transversalité tranchantes. Leur point de convergence est le départ de
entre eux. Pierre Nkurunziza et de sa clique, la fin du système mis
en place par le CNDD-FDD ainsi qu’une lutte implacable
D’un côté, les facteurs identifiés sont liés à de graves dys-
contre l’impunité des crimes. Les préalables posés par
fonctionnements des institutions, conduisant à l’affaiblis-
ces réfugiés pour rentrer au Burundi sont d’ordre
sement, voire l’absence de l’État de droit avec diverses
politique, sécuritaire, social et économique, aussi bien
manifestations comme le non-respect de la loi, l’usage de la
dans le court que le moyen et long terme.
violence à des fins politiques, la persistance de l’impunité et
la mauvaise gouvernance. Tous ces éléments sont récur- Si beaucoup de répondants sont attachés à une sortie
rents dans le temps et empêchent que les contentieux histo- pacifique de la crise, il y en a qui sont persuadés qu’elle
riques liés aux crises soient clarifiés et traités pour établir la n’est plus possible et que la violence risque de s’imposer
6 7
conisée suppose des négociations inclusives entre tous les De nombreux répondants ont insisté sur la nécessité de Le but étant de construire notamment un projet de Dans tous les secteurs, la séparation des postes
protagonistes quitte à trouver des moyens pour contraindre poursuivre les responsables présumés des crimes réconciliation nationale permettant d’extirper les divisions techniques et politiques devrait être de rigueur, et
les récalcitrants. Les négociations porteraient sur commis depuis 2015, pour baliser la route de retour. de toutes sortes au sein de la société burundaise ainsi procéder à des recrutements et des nominations basés
l’impératif du retour du Burundi à l’État de droit à travers la Unanimement, les réfugiés interrogés ont souhaité la fin qu’une vision commune afin de «corriger toutes les erreurs
sur l’unique critère de compétence. Plusieurs répondants
restauration de l’Accord d’Arusha et de la constitution de de l’impunité à travers la poursuite de tous les auteurs et du passé». Le respect indispensable des lois et des
ont souligné la nécessité de mettre en avant les jeunes
2005, le retour et la sécurité des réfugiés, la mise en place commanditaires de crimes commis depuis le mois d’avril règlements devrait réinstaurer le sens de «l’interdit»,
d’un gouvernement d’union nationale “inclusif„ pour rendu obsolète. dans tous les projets.
2015, quels que soient leurs rangs, afin qu’ils soient jugés
assurer la transition et préparer des élections libres et et punis conformément à la loi. De cette façon, la peur de
transparentes. Et l’accession au pouvoir d’un dirigeant la loi va s’imposer. La nécessité de mettre en place une
rassurant pour tous. Il y a une forte insistance, empreinte justice efficace et indépendante est une préoccupation
de colère, sur la nécessité absolue de mettre fin d’abord au largement partagée. Les répondants reconnaissent la
système du CNDD-FDD. nécessité de régler les contentieux du passé, raison pour
Il s’impose le souhait d’un changement de pouvoir et laquelle ils recommandent « d’établir la vérité sur le
l’avènement de nouveaux dirigeants capables de répondre passé du pays pour que les jeunes qui grandissent
aux préoccupations de la population entière et la rassurer. apprennent ce qui est arrivé à leurs parents». Sans cela,
Un pouvoir à l’écoute de tous, «un chef d’état qui n’est ni une paix durable est impossible.
Sebatutsi ni Sebahutu», un père de la nation. Les élections
Pour de nombreux répondants, la construction d’une paix
ne peuvent être envisagées que si les libertés fonda-
durable, doit aussi passer par une rupture avec les
mentales (association, expression, réunion, manifestation,
pratiques du passé ayant engendré la violence. À cet
etc.) sont pleinement rétablies, et leur jouissance totale.
égard, la qualité du leadership est primordiale, et elle
L’insécurité étant une des causes principales d’exil, la devrait être fondée sur des principes et des valeurs
garantie de sécurité pour tous est un impératif. C’est une positifs, notamment d’intégrité, de probité, d’altruisme,
condition « sine qua non » posée par la totalité des d’ubuntu, nécessaires pour un leader « soucieux de
répondants. À cet égard, une réforme en profondeur du l’intérêt général ». On évoque aussi l’avènement d’une
secteur de sécurité est préconisée, incluant de manière nouvelle génération pour former un leadership
assez large le secteur judiciaire. Elle débuterait par une transformationnel. Le modèle du prince Louis Rwagasore
refonte de l’armée et de la police, sur base d’un système de a été maintes fois évoqué, ainsi que sa proposition.
« vetting» qui en exclurait des criminels présumés et ferait « d’écarter les voleurs, les agresseurs et les bandits de
une évaluation non seulement des personnes mais aussi toutes sortes » pour que la classe dirigeante ne soit pas
des institutions ayant joué un rôle dans la violation des un « refuge de bandits et de médiocres ». Il a été aussi
droits de l’homme et des principes démocratiques. Le SNR mis en exergue l’exemplarité de l’ancien Président
et la police sont en permanence pointés du doigt afin. Mandela qui a souffert sous l’apartheid mais qui n’a
« qu’ils ne se mêlent plus de politique ». jamais cherché à se venger mais plutôt à faire de son
La réforme des corps de défense et de sécurité doit être pays, une nation « arc-en-ciel ». Un pays pour tous.
fondée sur les principes énoncés dans l’Accord pour la paix Le leadership prôné devrait s’exercer à travers des
et la réconciliation d’Arusha afin de créer des organes de institutions solides, fondées sur le principe de la
sécurité ouverts à tous, rassurants pour toutes les
séparation des pouvoirs, avec surtout une justice
composantes de la population et aux différents niveaux.
véritablement indépendante, et des lois justes et
Ces forces devraient composées par de personnes intègres
équitables, adaptées à leur contexte. Toute paix durable
mettant en avant l’intérêt général.
ne peut passer que par un dialogue permanent, pour
L’autre aspect évoqué de manière récurrente est le plancher de manière continue sur les questions
désarmement et la dissolution de la milice imbonerakure, fondamentales du pays, et leurs solutions, à travers un
posé comme un préalable avant le retour des réfugiés. accord consensuel et des mécanismes de son respect. Le
8 9
Le Burundi est de nouveau plongé dans la violence depuis permettant de trouver des solutions à la récurrence de la
le mois d’avril 2015, lorsque le Président Pierre violence, l’exclusion et la mauvaise gouvernance. Les
Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat principes et mesures préconisés pour y pallier sont relatifs
1.
alors que ni l’Accord de paix d’Arusha, ni la constitution au génocide, aux crimes de guerre et autres crimes contre
du pays, ne le permettait. Cette situation a ouvert une l’humanité, à l’exclusion et à la réconciliation nationale. La
Au Burundi, les crises sur fond de violence politique et l’instauration d’une paix relative entre 2005 et 2015, hélas
ethnique sont devenues récurrentes depuis l’accession du polluée par des violations systématiques des droits de
pays à l’indépendance, le 1er juillet 1962. Ces crises ont eu l’homme, la mauvaise gouvernance et une corruption
de nombreux effets négatifs sur tous les secteurs. Elles systémique ainsi que la récusation constante des
ont surtout fortement entamé le tissu social et inhibé le fondamentaux d’Arusha par le pouvoir du CNDD-FDD. La
développement du pays. Une de leurs conséquences, est remise en cause systématique de l’Accord d’Arusha par le
une pauvreté endémique2 qui constitue une tendance pouvoir du CNDD-FDD et la violation de plusieurs de ses
lourde et un puissant combustible pour la résurgence de dispositions cardinales vont créer les conditions de rechute
nouveaux conflits, car créant un contexte favorable aux dans un nouveau conflit violent, avec comme élément
mobilisations dans la violence. Selon plusieurs analystes, déclencheur la candidature de Pierre Nkurunziza, à un
l’autre tendance lourde est l’impunité des crimes graves, troisième mandat, à la tête de l’Etat.
qui reste la norme3, et constitue une des caractéristiques Le 25 avril 2015, lorsque le parti présidentiel décida de
majeures de l’absence de l’État de droit et d’une justice désigner Pierre Nkurunziza comme candidat à sa propre
indépendante au Burundi. Dans la plupart des cas, la vérité
succession, à la tête du pays, en violation de la constitution
n’a jamais été établie, les auteurs des crimes commis
de la république et de l’Accord d’Arusha, le Burundi s’est
n’ont jamais été poursuivis et parfois certains d’entre eux
retrouvé divisé en deux : les soutiens indéfectibles et les
sont restés dans les rouages au sommet de l’État.
opposants farouches à ce projet. Ces derniers regroupés
L’Accord pour la paix et la réconciliation signé à Arusha en au sein de l’opposition politique, de la société civile
août 2000, obtenu après d’âpres et longues négociations indépendante, de la jeunesse, et même des confessions
entre protagonistes burundais, était censé mettre un religieuses décidèrent de mobiliser la population en vue de
terme non seulement à la crise déclenchée par l’assassinat manifester contre cette violation. Le pouvoir, à travers ses
4
du Président Melchior Ndadaye , mais aussi à la récurrence ténors, mettra en garde tous ceux qui seraient tentés de
de la violence au Burundi. L’Accord d’Arusha a préconisé manifester et annonça sa détermination à en découdre. Ce
une série de mesures pour réconcilier et reconstruire la qui fut fait. En effet, suite aux grandes manifestations
confiance entre Burundais, gages d’une paix et d’un organisées principalement dans la ville de Bujumbura, la
développement durables. En outre l’Accord pour la paix et répression annoncée ne tarda pas à s’abattre de façon
la réconciliation d’Arusha a préconisé une série de mesures systématique et disproportionnée sur les manifestants,
1 https://www.unhcr.org/fr/situation-au-burundi.html
2 LeBurundi se classe à l’avant-dernier rang mondial pour ce qui est du produit intérieur brut par habitant et près de 65% de sa population vit dans la
pauvreté, voir https://docs.wfp.org/api/documents/64a8d82c-3028-4da3-85bf-be59cde88513/download/
3 https://reliefweb.int/report/burundi/rapport-mondial-2018-burundi-v-nements-de-2017
4 Premier Président démocratiquement élu au Burundi, assassiné le 21 octobre 1993, 100 jours après son accession à la magistrature suprême.
10 11
caractérisée par des milliers d’arrestations arbitraires et et leurs différents militants comprenant des miliciens 1.1. OBJECTIF GLOBAL pour permettre aux répondants d’exprimer librement leurs
le recours disproportionné à la force5. Ailleurs dans le imbonerakure, parfois instrumentalisés contre leur opinions, de raconter leurs histoires, leurs vécus, et
pays, la population fut tétanisée par la peur et n’osa pas Appréhender les perceptions de Burundais, dans leur
volonté, développant des discours de haine ethno- formuler leurs propositions en particulier sur les conditions
manifester, hormis quelques timides tentatives dans diversité, en particulier de jeunes adultes réfugiés, sur la
centristes7. De l’autre, il y a les membres de l’opposition qui permettraient leur retour au pays, les scénarii
d’autres villes et coins du pays, vite mâtées et étouffées. manière de résoudre les questions fondamentales qui sont
politique à l’intérieur du pays et de nombreux autres partis d’évolution du Burundi, et les conditions permettant
à la base de la récurrence des conflits au Burundi. Dégager
en exil depuis 2015, et qui ne jurent que par la fin du l’instauration d’une paix et un développement durables au
Pour justifier l’accaparement illégal du troisième mandat, ainsi leur vision sur les conditions nécessaires à la
système incarné par le CNDD-FDD. Burundi.
l’aile radicale du CNDD-FDD n’a eu de cesse à recourir à la construction d’une paix et d’un développement juste et
manipulation du discours ethnique par le haut6 évoquant Dans ces deux catégories se retrouvent des jeunes qui durables au Burundi. .
les velléités de l’élite tutsi de (re)prendre le pouvoir avec constituent « le Burundi de demain », et on sait que les 1.4. L'ÉCHANTILLON
l’appui de certaines puissances occidentales. La société .
jeunes de moins de 24 ans représentent environ 65% de la
civile qui a joué un rôle éminent dans la contestation, a été 1.2. OBJECTIFS SPÉCIFIQUES Au regard des objectifs, même si l’enquête est qualitative,
population burundaise8. Dès lors, comment ces deux
souvent qualifiée de mono ethnique «tutsi», et de l’échantillon a été déterminé pour être relativement
Burundi pourront vivre ensemble après la crise, car elle Ú Organiser une recherche qualitative sur les perceptions
cinquième colonne de l’opposition politique. représentative des différentes catégories. Tous les
finira par prendre fin comme aiment le rappeler beaucoup des réfugiés burundais sur les causes de la crise actuelle
répondants choisis sont des réfugiés burundais, urbains et
de Burundais à travers ce proverbe que « la pluie la plus et de la récurrence des conflits au Burundi ;
d’autres basés dans des camps. Le choix de l’échantillon
longue finit toujours par cesser de tomber9 ». Comment
Ú À partir des perceptions des réfugiés, analyser les s’est basé sur une hypothèse de recherche, selon laquelle
ces deux Burundi pourront-ils créer ensemble les
raisons réelles ou perçues, en termes de risques et de les réfugiés pouvaient être répartis en deux catégories, en
conditions du beau temps, et cette fois-ci de manière
”La pluie la plus durable ? Cette perspective doit partir de la façon dont
menaces, qui ont poussées les différentes catégories de fonction du nombre d’exils subis. Comme la plupart de
réfugiés à fuir leur pays ; réfugiés, en exil, au moins pour la deuxième fois, se
longue finit chaque catégorie envisage l’avenir du pays sur les
trouvent en Tanzanie, l’échantillon a été étendu aux camps
questions de fonds, en particulier celles qui ont été Ú Recueillir les propositions du public cible sur les
toujours par diagnostiquées comme étant à la base du conflit burundais conditions nécessaires (réformes et mesures) pour le de Nyarugusu et Nduta. Au Rwanda, les sites d’enquête
retour au pays, la construction d’une paix et d’un choisis, sont en plus du camp de Mahama, les villes de
et de ses résurgences.
cesser de tomber„ développement juste et durables au Burundi ; Kigali, Nyamata, Huye et Muhanga où se trouvent les plus
L’objectif de cette recherche est de permettre un grandes concentrations de réfugiés urbains.
croisement des regards des deux groupes, si tant qu’on Ú Formuler des propositions pour le retour d’une paix
juste et durable à partir des idées émises par des réfugiés Le choix de l’échantillon intégrant les camps de Tanzanie,
peut considérer chacun comme homogène, en termes de
burundais. a permis d’avoir une représentation ethnique variée, et
perception sur les questions évoquées. À cet effet, cette
partant des perceptions diversifiées, notamment de ceux
Ce type de discours accompagné d’actes de répression recherche a ciblé un public constitué de réfugiés adultes
qui se retrouvent en exil pour la deuxième ou la troisième
parfois sélectifs à l’égard de Tutsi, civils et surtout de âgés de plus de 18 ans, se trouvant dans les camps de 1.3. MÉTHODOLOGIE fois, dont la majeure partie se retrouve dans les camps de
militaires ex-FAB, a contribué à faire resurgir des clivages réfugiés au Rwanda et en Tanzanie et dans quelques villes
La recherche a été menée suivant une approche purement réfugiés en Tanzanie.
qui avaient semblé s’atténuer au cours de la période 2005- du Rwanda. Diverses contraintes n’ont pas permis
d’étendre la recherche à d’autres camps de réfugiés et au qualitative, les moyens financiers disponibles n’ayant pas
2015. La crise actuelle permet de distinguer deux groupes Le total de répondants est de 100 personnes, soit environ
Burundi, en espérant cependant que la présente publication permis de combiner avec une approche quantitative. Un
opposés, qui se sont formés et qui se renforcent au fil du une vingtaine par site. Les sites formés par les paires
encouragera des initiatives dans ce sens. questionnaire a été élaboré, en français puis traduit en
temps. D’un côté, les radicaux soutenant Pierre Nkurunziza Nyamata et Muhanga ainsi que Nyarugusu et Nduta ont été
kirundi, car tous les répondants sont kirundiphones. Une
regroupés respectivement en un seul site.
équipe de six enquêteurs expérimentés, composée de
deux femmes et de quatre hommes, a été recrutée et
formée. Une pré-enquête a été réalisée pour vérifier le 1.5. LIMITES ET BIAIS LIÉS AU
niveau de compréhension et de précision des questions et DÉPOUILLEMENT ET LA TRADUCTION
apporter des corrections, le cas échéant, puis déterminer
Malgré un échantillon relativement petit, les informations
la durée moyenne d’un entretien. Les entretiens dans
collectées sont énormes et leur traitement complexe.
divers sites, à quelques exceptions près, ont été menés
Certaines informations importantes peuvent ne pas avoir
face à face, en respectant scrupuleusement le principe du
5 https://reliefweb.int/report/burundi/burundi-recours-excessif-la-force-l-tale-contre-des-manifestants
été traitées proportionnellement à leur importance. L’autre
consentement libre et éclairé, obtenu préalablement de
6 ICG, Burundi : anatomie du troisième mandat, Rapport Afrique de Crisis Group, n°235, 20 mai 2016. difficulté réside dans la traduction du kirundi au français
l’enquêté.
7A ce sujet, on peut se rappeler de la chanson entonnée par des Imbonerakure « Engrossons les filles et les femmes des opposants pour qu’elles où il n’a pas été possible de reproduire avec exactitude le
mettent au monde des Imbonerakure », Jeune Afrique, 5 avril 2017, www.jeuneafrique.com/425289/politique/burundi-videi-dimbonerakure-menacant.
-d-engrosser-leurs-adversaires-provoque-lindignation/.
Le questionnaire était composé de quelques questions vrai sens de certains mots, phrases, et autres proverbes. Il
8 Voir par exemple : https://theodora.com/wfbcurrent/burundi/burundi_people.html fermées mais l’essentiel des questions étaient ouvertes, y a donc forcément un biais lié à la traduction.
9 C’est équivalent au proverbe africain qui dit que « Même la nuit la plus longue se termine toujours par un matin ».
12 13
1.6. LES GRANDES ARTICULATIONS DE LA
RECHERCHE
2.
Le regroupement des réponses a permis de construire la La recherche a exploré les perceptions des réfugiés sur la
charpente des principales perceptions et propositions des
répondants, classées ensuite en sections et chapitres.
nature du conflit burundais et les causes de sa récurrence.
Les différences de perceptions entre ceux qui sont exilés
LA NATURE DU CONFLIT
L’analyse est illustrée par des « verbatims » choisis pour
leur niveau de pertinence.
pour la première fois, et ceux dont c’est la deuxième ou la
troisième fois, ont fait l’objet d’analyse. BURUNDAIS ET LES CAUSES
Il a semblé important de comprendre l’histoire des
réfugiés, les raisons ayant poussé les uns et les autres à
L’enquête a abordé les conditions qui devraient être
remplies pour que les différents réfugiés soient rassurés
DE SA RECURRENCE
prendre la décision de partir, de quitter leur pays natal et afin de retourner volontairement dans leur pays. Les
aller dans l’incertitude de l’exil. Il apparaît que certaines différentes réponses données sur les évolutions possibles
personnes ont quitté le pays à cause de risques personnels du pays, ont permis d’esquisser quelques scénarii, dont
réels ou perçus. D’autres en raison de menaces sur des celui qui ressort le plus est le scénario catastrophe, d’un
membres de leur famille, souvent l’épouse ou le mari. Il y pays qui sombre de plus en plus dans l’abîme ou s’achemine
en a enfin qui ont fui parce qu’ils ressentaient un danger inéluctablement vers la violence.
global, à l’instar d’une déflagration généralisée dans le
Enfin, les répondants ont exprimé des propositions
pays, se référant à la mémoire des crises passées, de 1972
permettant au Burundi de sortir définitivement des cycles
ou 1993, voire 1988. De nombreux Tutsi ont évoqué les
de violence, en vue de l’instauration d’une paix et d’un
risques de génocide à l’égard de leur communauté qu’ils
percevaient : « À n’importe quel moment il pouvait y avoir développement durables. Même si l’enquête menée a été
un génocide des Tutsi peut être même plus important qualitative, les résultats qui sont repris après l’analyse
qu’au Rwanda. Parce qu’ils ont gardé la haine et Pierre sont ceux sur lesquels convergent la majorité des
Nkurunziza travaille avec des imbonerakure et répondants. Certaines propositions moins consensuelles
interahamwe10 ». peuvent être cependant reprises en raison de leur
spécificité ou de leur originalité.
14 15
Contrairement aux crises antérieures où les réfugiés 2.1. LE NON-RESPECT DE LA LOI Cette situation d’impunité est évoquée comme un terreau mécanismes de reddition des comptes sont excessivement
étaient dans leur immense majorité issus d’une seule de la méfiance, pouvant être exploitée sur base de relents faibles et l’impunité est endémique, ce qui permet aux
ethnie, celle déclenchée en avril 2015, a la particularité Le non-respect des lois est perçu par l’ensemble des ethniques. Mais le plus grave est que l’absence de sanctions cycles de violence de se perpétuer sans relâche16 ».
d’avoir provoqué l’exil de personnes issues de toutes répondants comme permanent au Burundi. Cette violation encourage la répétition des crimes et leur banalisation
les ethnies du pays et de toutes les couches sociales, y des lois prend différentes formes et balaie un large quand « ôter la vie à un homme est devenu comme tuer
compris des personnes ou des groupes de personnes spectre, culminant par la transgression des lois les plus un chat ou une chèvre ». .
qui étaient dans les cercles du pouvoir, aussi bien civils importantes dont la constitution et l’Accord d’Arusha,
comme cela a été le cas en 2015 par Pierre Nkurunziza. L’absence de poursuites pour les auteurs des crimes et
que militaires. Parmi ces derniers se trouvent des
La violation de la loi va de pair avec l’usage de la force. délits est en définitive rendue responsable de la répétition
frondeurs et des officiers de haut rang dont certains
C’est donc la loi de la jungle qui s’installe, cela s’entend, des crimes car « ne pas punir des chiens mal élevés
sont issus de l’ancienne rébellion du CNDD-FDD.
par exemple, en ce qui concerne le troisième mandat, la encourage leur multiplication13».
Les répondants balaient un éventail assez large de facteurs violation de la loi faite avec « mépris » est soutenue par. Les différentes perceptions exprimées sur l’impunité au
qui sont à la base du conflit burundais et de sa récurrence. « une répression féroce des contestataires ». La raison Burundi recoupent parfaitement les définitions des
Certaines causes sont immédiates et sont considérées majeure de cette violation est perçue comme étant experts. En effet, il a été convenu de définir "l’impunité",
comme conjoncturelles, et perçues comme des l’obsession de se maintenir au pouvoir quel qu’en soit le comme étant l’omission d’enquêter, de poursuivre et de
déclencheurs de la crise de 2015, alors que d’autres sont prix, et sans se soucier des générations futures. In fine, juger les personnes physiques et morales responsables de
structurelles et persistantes depuis l’accession du pays à c’est « L’égoïsme des dirigeants et de leur soif immodérée graves violations des droits humains et du droit
l’indépendance. L’analyse de facteurs dégage une certaine du pouvoir qui les empêchent de mettre en avant l’intérêt international humanitaire. Aux fins des présents principes,
transversalité. Presque tous reliés. général mais au contraire entretient chez eux une ferme on entend par «graves violations des droits humains et du
volonté d’éliminer les opposants11. » droit international humanitaire», notamment les crimes de
D’un côté, les facteurs identifiés sont liés à de graves
dysfonctionnements des institutions, conduisant à La violation de la loi n’est possible que dans un système guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de
l’affaiblissement, voire l’absence de l’État de droit avec ce où la justice n’est pas efficace ou comme beaucoup l’ont génocide, la torture, les exécutions extra-judiciaires et les
qui le caractérise comme le non-respect de la loi, l’impunité souligné « ligotée » et instrumentalisée par le pouvoir disparitions forcées14.
et la mauvaise gouvernance. Tous ces éléments étant pour protéger les siens. C’est tout cela qui constitue le lit Plusieurs commissions d’enquête ont établi la commission
récurrents dans le temps et empêchant que les contentieux de l’impunité, relevée et décriée, maintes fois. de tels crimes au Burundi, mais aucun mécanisme, juste
historiques liées aux crises soient clarifiées et traitées pour
. et équitable, n’a permis d’établir la vérité et de poursuivre
établir la « vérité », rendre justice aux victimes et ainsi
empêcher la répétition des crimes suite à l’accumulation de 2.2. L'IMPUNITÉ les auteurs de ces forfaits. Ces faits sont maintes fois
soulignés par les répondants qui évoquent des rapports
frustrations qui engendrent une volonté de vengeance. L’impunité est évoquée comme une des principales causes des Nations Unis, classés jusqu’à présent, sans suite et qui
De l’autre côté, c’est le leadership du pays qui est mis en de la répétition d’épisodes de violences. On la fait remonter selon eux encourageraient à commettre des crimes, aux
2.3. LA MAUVAISE GOUVERNANCE
cause depuis l’indépendance, son absence d’attachement à de loin, pratiquement depuis l’indépendance du pays. Elle fins de protéger leurs auteurs, bien placés. La mauvaise gouvernance est fortement décriée par
des valeurs d’intégrité, d’altruisme. Ils sont plutôt et est présente « depuis l’indépendance du Burundi, les
l’ensemble des personnes interviewées, d’une manière ou
Burundais ne se sont jamais dit la vérité et la justice n’a Ces perceptions et faits relatés lors des enquêtes sont
constamment qualifiés d’égoïstes, de cupides, plutôt enclins d’une autre, la plaçant parmi les causes profondes et
jamais été indépendante. Tous ces malheurs sont liés aux confirmées presque dans les mêmes termes par différents
à rechercher des intérêts personnels ou sectaires que immédiates des crises actuelle et passée. Plusieurs aspects
profondes rancœurs qui se sont accumulées et ont été à la rapports d’organismes indépendants. Ainsi dans son
défendre l’intérêt général. Chez eux « l’amour pour la ont été évoqués de manière parcellaire par les répondants.
base des actes des dirigeants actuels12. » rapport de 2017, HRW affirmait : « Au Burundi, l’impunité
population » est inexistant. Mis ensemble, leur somme construit une image assez
pour les crimes graves reste la norme. Le système de
justice est manipulé par le parti au pouvoir et les sombre de la gouvernance actuelle au Burundi. Cette vue
responsables du renseignement, et les procédures holistique, empirique se rapproche des définitions
11 Entretiens avec une dame réfugiée, Nyamata, décembre 2018. judiciaires sont régulièrement bafouées15». théoriques de la mauvaise gouvernance. Beaucoup
12 Entretiens, camp des réfugiés de Nyarugusu, décembre 2018.. d’intervenants sont revenus sur le fait que la mauvaise
13 https://www.jeuneafrique.com/44998/societe/burundi-assassinat-et-viol-de-trois-religieuses-italiennes-kamenge/ La commission internationale d’enquête renchérissait en gouvernance du passé déteint négativement sur le présent.
14 https://www.rpa.bi/index.php/2011-08-15-07-10-58/justice/item/1304-la-verite-sur-l-assassinat-des-soeurs-italiennes-de-kamenge-se-fait-
précisant que « la répression est devenue moins ouverte,
toujours-attendre-une-annee-apres-les-faits
plus secrète, plus difficile à repérer, mais qu’elle est plus Selon les enquêtés, les plus grandes failles de la
15 Il a été arrêté le 20 janvier2015 après la diffusion de reportages investigation sur l’assassinat des trois sœurs italiennes. Pour plus de détails, voir
notamment : https://www.ifex.org/burundi/2015/01/23/prominent_journalist/fr/ systématique et en augmentation». Tandis que « les gouvernance actuelle sont l’absence de vision, la limitant
16 Mot forgé qui signifie le fait de punir.
17 Entretiens, Nyarugusu, décembre 2018.
18 Entretiens, Mahama, janvier 2019.
16 17
au court terme, la prédominance de l’intérêt particulier sur refus de partager la richesse et le pouvoir à travers des
l’intérêt général, engendrant une série de travers dont le discriminations basées sur l’ethnie, la région et la religion.
sectarisme, le favoritisme au sein du parti CNDD-FDD et du Certains vont même plus loin, en affirmant que ce n’est pas le
pouvoir proprement dit. Ce dernier se serait constitué un seul fait du pouvoir actuel mais que « depuis la fin de la
noyau dur de proches du Président Pierre Nkurunziza sur monarchie, les différents dirigeants étaient préoccupés par
base de relations clientélistes, assimilable à « l’akazu », en se s’enrichir avec les leurs21».
référant au noyau dur formé autour du Président Juvénal
Havyarimana, avant le génocide au Rwanda17. Enfin, la gouvernance du pouvoir actuel, à travers celui qui
l’incarne, pêcherait par une écoute faible, voire inexistante. Il
Ce type de pratiques va de pair avec « la répression»,. en est de même de la concertation. Beaucoup ont décrit un
« l’exclusion » ou « la marginalisation » de certaines Président « autiste » qui n’a même pas voulu écouter les «
catégories. En revanche, le pouvoir se consolide à travers des sages de son camp ». Sinon, il aurait peut-être privilégié le
pratiques de favoritisme fondées sur la loyauté au chef. Un 2.4. UN LEADERSHIP ÉGOCENTRIQUE maintes fois déplorés et a contribué à créer une société sans
choix d’un autre candidat de son parti en 2015, et ainsi éviter
répondant décrivait ainsi cette situation « C’est la mauvaise ÉRIGE SUR DES ANTIVALEURS « interdits », vécue dans la souffrance et abhorrée par la
au pays de plonger dans la violence et la crise.
majorité des répondants. Un proverbe burundais est explicite
gouvernance caractérisée par la répression de certaines Le leadership du pays est mis en cause de manière
Le refus de dialogue et de concertation ont comme à ce sujet « une mauvaise pratique venue d’en haut se répand
catégories, et une violation des droits de l’homme. Les systématique « depuis la fin de la monarchie, les régimes qui
responsabilités ont été confiées à des personnes qui n’ont conséquences l’usage permanent de la force pour se partout25», tout comme le bon modèle.
se sont succédé étaient aux mains d’une clique et ne
pas fait des études, par favoritisme et sectarisme18». Dans maintenir au pouvoir, en violation des principes
dirigeaient jamais suivant l’intérêt du pays ». Dans une étude menée au Burundi en 2017 auprès d’un
cette suite, ont été égrenés non sans colère, une série de démocratiques. On relève que le CNDD-FDD, en arrivant au
échantillon de jeunes, ceux-ci ont dressé une liste
maux imputés au régime et qui seraient parmi les causes de pouvoir se prévalait de démocratique. La séparation des Seuls quelques répondants ont vanté le Président Jean
d’antivaleurs. Les plus citées sont le mensonge (kubesha,
la crise: l’ignorance et la médiocrité, la cupidité, l’impunité, pouvoirs est également compromise avec une « justice Baptiste Bagaza, comme ayant fait exception dans cette suc-
kwiyorobeka), l’égoïsme (ubukunzi bw’inda, kwigungirako), le
l’égoïsme. L’idéologie mise en place par le pouvoir du CNDD- instrumentalisée » et tous les trois pouvoirs assujettis à la cession de leaders sans altruisme, sans patriotisme, luttant
complexe de supériorité (gukengera abandi), l’impunité
FDD est décrit un système « de désacralisation de tout » dans volonté du parti au pouvoir. de toutes leurs forces pour accéder et se maintenir au pouvoir,
(kudahana), le non-respect du bien commun (ubusuma) et la
lequel aucun interdit n’existe. Les enquêtés ont également pour eux seuls et leurs proches. Le réquisitoire à l’égard des
Peu ou prou, ce constat d’un réfugié résume la situation délinquance sexuelle (ubuhumbu)26. La récurrence de la
accusé le pouvoir actuel de pratiques divisionnistes « dirigeants du pays est impitoyable. Les mots, les qualificatifs
décrite « Une ambition démesurée pour le pouvoir, des violence au Burundi depuis l’Indépendance est attribuée au
ethnocentristes et régionalistes » dans tous les secteurs et décrivent un monde où la vertu est absente, où ne prolifère
gouvernants qui se soucient peu du bien de la population mensonge, plus précisément à cette duplicité qui habite les
d’entretenir un esprit de vengeance. Selon plusieurs que des antivaleurs. Le manque de leaders intègres est
lorsqu’ils gouvernent comme des mercenaires et puis dirigeants politiques. “Abantu benshi ubu basigaye ari
répondants, le pouvoir actuel propage la haine ethnique et décrié, de plus, des dirigeants sans vision, sans éducation
l’impunité des crimes et délits de toutes sortes ». 22 mpemuke ndamuke”, indiqueront les jeunes, faisant allusion
l’utilise comme un outil de mobilisation, des divisions civique, et mus par une haine viscérale qui les pousse à la
vengeance24. Les caractéristiques qui reviennent le plus. à la capacité de « trahir pour survivre ». Le résultat de cette
ethnocentristes comme des « passerelles pour mobiliser des Mis ensemble cette mosaïque de constats recoupe
souvent pour décrire les dirigeants actuels sont « la perfidie, enquête montre une parfaite convergence entre les
soutiens». Cette propagande a comme terreau un passé qui exactement l’analyse de John Locke sur la tyrannie. Elle est,
la cupidité, l’égoïsme, la médiocrité et l’avidité pour le perceptions des réfugiés et personnes qui sont restées au
n’a pas été clarifié. Beaucoup de choses seraient délibérément selon lui « l'usage d'un pouvoir dont on est revêtu, mais
pouvoir ». pays.
cachées et présentées de manière sélective et mensongère19. qu'on exerce, non pour le bien et l'avantage de ceux qui y
sont soumis, mais pour son avantage propre et particulier; et Le mauvais leadership en place au Burundi est accusé de En mars 2018, l’ancien vice-président Gervais Rufyikiri.
La critique des travers du régime en place au Burundi ne s’est
celui-là, quelque titre qu'on lui donne, et quelques belles porter la responsabilité de la crise. C’est l’accumulation de « dénonçait de faibles valeurs morales et éthiques en matière
pas limitée à la sphère purement politique, elle s’est étendue
raisons qu'on allègue, est véritablement tyran, qui propose, ces antivaleurs qui a poussé le Président à se cramponner au de gouvernance, ainsi qu’une volonté de se maintenir au
aux aspects économiques. Les répondants ont fortement
non les lois, mais sa volonté pour règle, et dont les ordres et troisième mandat, et en raison de son absence d’écoute, n’a pouvoir coûte que coûte27». Ces constats, devenus
fustigé « la cupidité des dirigeants », les malversations
économiques et la corruption décrite comme systémique les actions ne tendent pas à conserver ce qui appartient en même pas voulu suivre la voix des sages de son camp, ou récurrents, montrent une situation d’un pays bloqué
découlant de la volonté des dirigeants d’accaparer les propre à ceux qui sont sous sa domination, mais à satisfaire lorsqu’il l’a fait les a catalogué comme ses ennemis. Les embourbé dans des scandales à répétition, avec un leadership
ressources du pays20 concentrées entre les mains d’une son ambition particulière, sa vengeance, son avarice, ou antivaleurs attribuées aux dirigeants du pays font que ceux-ci qui incarne plutôt de mauvaises pratiques, et des
petite minorité. Selon quelques répondants, cela vient du quelque autre passion déréglée ». 23 n’incarnent pas de modèles pour les dirigés et surtout la questionnements sur son avenir, en particulier en ce qui
jeunesse. Ceci entraîne un effondrement de repères moraux concerne les modèles pouvant inspirer les jeunes générations
.
19 Traduction approximative du proverbe kirundi utilisé « ukudahana imbwa bigwiza imisega ». « Umusega » signifie un chien généralement famélique,
peureux, avec sa queue toujours entre les pattes. Tout le contraire d’un chien qui joue ses différents rôles, protéger l’enclos, chasser et qui fait peur.
Entretiens Huye, janvier 2019. 12 Entretiens, camp des réfugiés de Nyarugusu, décembre 2018.. 23 Voir pour plus de détails, https://africanarguments.org/2014/09/24/review-rwanda-1994-the-myth-of-the-akazu-genocide-conspiracy-and-its-consequences/
20 http://iccnow.org/documents/BrusselsPrinciples6Nov02_fr.pdf, principes de Bruxelles contre l’impunité et pour la justice internationale, 11-13 mars 2002. 24 Entretiens, camp de Mahama, décembre 2018.
20 21
Les motifs de l’exil invoqués par les réfugiés burundais 3.1. DIRECTEMENT ET PERSONNELLEMENT
3.
interrogés peuvent être classés au moins en trois
LES MOTIFS DE L’EXIL: DES principales catégories.
CIBLÉS: OBLIGÉS DE VIVRE ET DE FUIR
COMME DES OMBRES
ENVIRONNEMENT INCERTAIN
Cette situation étant généralement liée à leur engagement
pour vivre au Burundi que le quitter. La chasse était
politique, professionnel ou para professionnel. Ces facteurs
permanente contre eux, des agents des services de
sont aussi parfois reliés de façon sournoise à l’appartenance
renseignement étaient constamment à leurs trousses,
politique et ethnique. Pour ce réfugié par exemple, la
certains ont vécu cachés, terrés, obligés parfois de
menace était claire, directe : « J’ai failli être tué. Ils sont
changer de cachette, nuit et jour. Pour quitter le pays, ceux
venus me chercher à la maison à trois reprises, alors j’ai
qui n’avaient pas de passeports ne pouvaient pas le
décidé de fuir 40… »
demander, car se manifester aux bureaux des migrations,
Le deuxième groupe de facteurs qui est à la base de l’exil de équivalait à se livrer aux bourreaux. Ceux qui avaient la
personnes est constitué d’atteintes graves ou de menaces chance d’avoir des passeports valides étaient exposés lors
directes, perçues ou ressenties sur les proches, souvent de la traversée des frontières, le contrôle des documents
leur conjoint. « La décision a été prise après l’assassinat de pouvait conduire à une arrestation. Certaines traversées
mon mari. Il est allé à Bujumbura et je ne l’ai plus revu. Il a de frontières se sont muées en des scènes de poursuites
été tué parce qu’il était membre du MSD. » rocambolesques d’agents burundais tentant de les arrêter
avant de fouler le sol rwandais. Pour éviter tout cela, il
Enfin la troisième catégorie de personnes a décidé de
fallait donc vivre, se mouvoir et fuir comme une ombre.
quitter le Burundi, à cause d’un environnement global vécu
Certaines catégories de personnes étaient et restent
ou perçu comme dangereux, menaçant, soit parce qu’elles
toujours plus visées que d’autres.
percevaient l’imminence d’une guerre, d’une déflagration
généralisée, avec la possibilité de perpétration de crimes De façon globale, ceux qui étaient considérés comme des
de masse. Le génocide des Tutsi étant le plus évoqué et manifestants constituaient les premières cibles de la
redouté par beaucoup. répression, avec en tête les leaders du mouvement. Mais,
«Ce qui a provoqué ma fuite c’est que mes voisins hutu et simplement habiter un quartier réputé contestataire
les imbonerakure nous disaient, mon mari et moi, que notre constituait un motif valable de persécution, de tortures ou
pays c’est le Rwanda, puisque nous sommes des Tutsi. 41» d’élimination physique. C’est pour se mettre à l’abri que de
nombreuses personnes de cette catégorie ont décidé de
Certains ont dû fuir non seulement à cause de leur quitter le pays, parmi les exilés de la première heure. Cela,
appartenance politique ou ethnique, mais également en indépendamment de leur ethnie, même si les Tutsi étaient
raison de leur lieu d’habitation, dans un quartier généralement les plus visés. Plusieurs organisations ont
contestataire du troisième mandat. Y habiter était jugé « alerté sur ce fait, et même sur des risques de génocide
indésirable » et constitutif de « crime » pour le régime. contre les Tutsi42.
L’une des personnes rencontrée a témoigné « Je suis un venaient s’enquérir si c’était bien la ligue Iteka. J’ai compris 51 Entretiens, Huye, janvier 2019.
donner ses idées. Consécutivement à cela « la situation a je travaillais avait été incendiée.51» Trimestre_4_2017_version-francaise.pdf
24 25
Les catégories les plus concernées sont des activistes des l’auditeur d’avoir l’impression de maîtriser la situation, en et des représailles à l’égard de tout récalcitrant, ne pas avoir répression, et se sont principalement réfugiés en Tanzanie.
droits humains, des journalistes et des membres de force l’appréhendant le mieux possible. D’autre part, terrifiant, de liberté dans son propre pays et être dirigé par quelqu’un Puis en1993, l’assassinat du Président Melchior Ndadaye et
de sécurité, policiers et militaires. C’était clair pour ce car en suivant les informations permettaient d’avoir une qui ne le mérite pas à cause de son appartenance ethnique les massacres qui ont suivi ont entraîné de nouveaux
militant d’un parti politique « J’étais membre d’un parti idée plus ou moins précise de l’ampleur des menaces. La et politique64». La perte de ces valeurs se remarquait à déplacements et de nouveaux départs, renouvelés depuis lors
mal-aimé. Quand on a commencé à arrêter et torturer, j’ai destruction de ce canal d’information a créé la panique :. travers un pouvoir autiste, qui emprisonnait et qui tuait, un après chaque vague de violence. Ainsi, trois ans après la
entendu une rumeur que j’étais le prochain58». Pour cet « Nous suivions à la radio, la façon dont les gens étaient pays laissé entièrement aux mains d’anciens maquisards « signature de l’accord pour la paix et la réconciliation d’Arusha,
ancien militaire, la chasse contre les ex-FAB ne pouvait pas soumis à la terreur dans certaines communes. J’ai pris la médiocres », rongés par une haine viscérale, et des velléités en 2003, on estimait à plus de 500 000 le nombre de réfugiés
l’épargner, c’était seulement une question de jours « La décision de fuir quand les radios qu’on écoutait ont été maintes fois exprimées de vengeance. Bref, un système de dans les camps de l’ouest de la Tanzanie et à 300 000 ceux qui
première cause c’est qu’on a commencé la chasse aux ex- brûlées61». nivellement par le bas. se sont dispersés ou ont été réinstallés dans des conditions
FAB. J’ai compris que mon tour allait venir. Et la chasse
L’autre facteur aggravant mis en évidence est que tout cela 3.4. CATÉGORISATION D’EXILÉS PAR précaires sur l’ensemble du territoire tanzanien.
globale aux opposants politiques dont plusieurs ont été
se passait dans une impunité totale « Ce qui m’a poussé à RAPPORT AU NOMBRE D’EXILS Simultanément, on comptait environ 281 000 déplacés
tués59». Ou alors sans que la menace soit directe mais permanents au Burundi, vivant sur 226 sites répertoriés. Tous
l’exil c’est qu’on est arrivé à un niveau où on tuait les tiens
probable, ce jeune réfugié a vu beaucoup de compagnons « C’est la troisième fois que je fuis mon pays65». les mois 100 000 civils en moyenne étaient également
de lutte tués ou emprisonnés, et a eu peur d’être dénoncé. sans que tu puisses rien dire. Dans ces conditions comment
Bien que l’échantillon utilisé dans cette recherche ne soit pas temporairement déplacés en raison de la poursuite des
Il a décidé de fuir. ne pas fuir ? En plus, les policiers venaient très tôt le matin
statistiquement représentatif, il reflète la diversité combats66 .
pour perquisitionner et chercher des armes. Parfois ils
3.3. UN ENVIRONNEMENT GLOBAL PERÇU faisaient des montages et apportaient des armes qu’ils démographique et sociale des réfugiés. Ils sont issus de La souffrance ressentie transparaît à travers ce témoignage :
COMME INCERTAIN ET PORTEUR DE TOUS simulaient d’avoir trouvées chez toi et t’accusaient62» . toutes les composantes ethniques, de toutes les provinces et « La première fois, j’ai fui en 93 vers le Rwanda, je suis rentré
LES DANGERS Parfois, les signes de menaces étaient ressenties à travers les classes sociales du pays, et balayent tout l’éventail des en 2007. Je ne pensais pas que je pourrais encore prendre le
des effets de contournement et de rapprochement différents niveaux d’instruction. chemin de l’exil, tellement j’aime mon pays. J’espère qu’on
Hormis, qu’il y a un bon nombre d’exilés ayant fui en raison
de menaces directes, il y a lieu de penser que le gros des progressif, à travers des membres de sa catégorie L’aspect qui est abordé ici est une conséquence directe de la allait enfin vivre en paix dans mon pays67».
réfugiés a pris la décision de fuir à cause d’un environnement professionnelle ou para professionnelle (militaires, récurrence des conflits. Il est lié au nombre de fois où les
peu rassurant, porteur de tous les dangers. La crainte d’une défenseurs des droits de l’homme, journaliste), de son Ú 3.4.1. Forcés de quitter le pays natal pour la
réfugiés actuels ont été obligés de quitter leur pays pour
épée de Damoclès suspendu au-dessus de leur tête, en ethnie ou parti politique. Quand ceux-ci étaient ciblés, sauver leur vie et celles des leurs. Au moins trois principales première fois
permanence. emprisonnés ou tués, pour une de ces raisons, parfois la catégories ont été identifiées. Le premier groupe est constitué Cette catégorie est composée de réfugiés issus de toutes
conclusion était que l’étau n’allait pas tarder à se resserrer de personnes qui se sont exilés ou déplacés pour la première
Les perceptions de cette insécurité sont multiples. Pour les composantes ethniques (hutu, tutsi et twa) et de tous
sur toi, et sans tarder, décider de déguerpir. fois après le déclenchement de la crise de 2015. Le deuxième
certains, ce climat de peur est lié au nombre élevé les groupes sociaux du pays. Elle a la particularité de
Par ailleurs, plusieurs exilés ont interprété quelques faits groupe comprend des personnes exilés pour la première fois comprendre un nombre important de Tutsi, dont c’est la
d’arrestations arbitraires et de tueries. Le fait de tuer
comme des signes précurseurs d’un génocide contre les après avoir été des déplacés intérieurs tandis que la troisième première fois dans l’histoire du Burundi, qu’une proportion
impunément, y compris en plein jour. Mais également, une
Tutsi, à travers le spectre du passé, en établissant une catégorie est constituée de réfugiés qui le sont pour la
insécurité généralisée liée à l’activisme des miliciens aussi importante fuit le Burundi. C’est donc aussi un fait
similitude avec des évènements dramatiques vécus. deuxième ou la troisième fois. Que ressentent-ils ?
imbonerakure, semant la terreur un peu partout lors de inédit que des Burundais de toutes les origines ethniques
parades et d’exercices paramilitaires, scandant des slogans Convaincu de leur imminence « J’ai eu peur que les miens Ces différentes vagues internes et externes de réfugiés sont fuient ensemble la répression d’un pouvoir en place. Cet
tels que « nous allons vous lessiver ». Comme en témoigne soient tués comme ils ont été exterminés en 1993, au vu associées dans l’imaginaire à l’origine ethnique des gens. La aspect donne à cette crise une dimension politique que les
ce réfugié « Nous on ne vivait pas bien parce que les des menaces proférées qui faisaient craindre le pire. J’avais première grande vague s’est produite en 1972, où environ 300 crises antérieures n’avaient pas nécessairement, car elles.
imbonerakure faisaient la pluie et le beau temps. Je voyais peur du génocide comme je l’ai vécu en 1993 63». Pour 000 personnes, majoritairement des Hutu, ont fui la avaient tendance à être perçues ou vécues essentiellement
les gens mourir autour de moi et je me suis dit que mon tour d’autres réfugiés, les signes qu’ils observaient ne pouvaient
viendrait60». Un facteur aggravant relevé lié à une incapacité que conduire à une guerre généralisée.
56 Entretiens, Huye, janvier 2019.
des forces de défense et de sécurité de protéger la 57/58 Entretiens, Nyamata, décembre 2018.
À côté des motifs d’exil d’ordre politique et sécuritaire, des
population, alors même que certains d’entre eux étaient 59 Entretiens, Kigali, décembre 2018.
raisons sociales et économiques ont été évoquées. Il s’agit
aussi pourchassés. 60 Entretiens, Nyamata, décembre 2018.
notamment du fait de se sentir paria, dévalorisé, dans son 61 Entretiens, Kigali, décembre 2018.
Bien que l’information diffusée par des radios privées sur pays, dans son service, de souffrir de la mise au rencart des 62/63 Entretiens, Mahama, décembre 2018.
tout ce qui se passait dans le pays permettait aux populations valeurs d’intégrité et d’excellence. Ce répondant affirme 64 Entretiens, Kigali, décembre 2018.
26 27
comme des crises ethniques. Comme l’affirme bien à propos Ces réfugiés sont pour la plupart déçus, aigris et désespérés Ú 3.4.3. Deuxième, troisième exil : Vieillir en paix était revenue puisqu’un Hutu accédait au pouvoir. Je
ICG « cet exode est le résultat de la dérive autoritaire du régime par les souffrances du passé et du présent et les incertitudes pensais que c’était la fin des souffrances pour les Hutu82».
fuyant
de Bujumbura, qui réprime violemment les opposants au sur leur avenir et celui du pays. Ce témoignage exprime assez
Plus que dans les autres catégories, l’exil qui se répète sans
troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza. L’élimination bien ce malaise : « Comment je me sens, difficile à décrire. « Je pensais que fuir faisait partie du passé79». Il s’agit de
personnes qui, depuis 2015, ont repris le chemin de l’exil pour fin soulève des questions poignantes sur l’avenir des con-
de toute forme de dissonance politique s’inscrit dans le projet Vieillir en continuant de fuir, j’ai de mauvaises pensées qui me
la deuxième, voire la troisième fois. Les vicissitudes de cernés. Le fait d’être obligé de quitter le pays « qu’on aime »,
du parti au pouvoir de démanteler l’accord d’Arusha, conclu bloquent. Je ne peux pas progresser. J’étais en train de penser
entre les élites hutu et tutsi en 2000. En ayant recours à un l’histoire du Burundi font que l’immense majorité de ces sans possibilité de s’y établir durablement et d’y faire sa vie,
à des projets et c’est à ce moment que j’ai fui, je ne vois pas
discours ethnicisant et à la violence arbitraire, le régime personnes est généralement d’origine hutu. Quelquefois l’exil est affligeant. Les sentiments dominants sont la douleur, la
comment je vais y retourner74. »
cherche à diviser les Burundais et à répandre la peur, et mise s’est superposé à des déplacements internes pendant des tristesse, l’incertitude du lendemain liés au fait de « grandir et
sur l’enlisement du conflit pour se maintenir au pouvoir68» Ú 3.4.2. Déplacés intérieurs puis réfugiés périodes relativement brèves, intervenues lors des crises vieillir en fuyant ».
successives de l’histoire du pays. Plus que d’autres Burundais,
C’est cette dérive ethnicisante du pouvoir qui a été décelée par de « Ce qui me fait mal c’est que j’ai grandi comme déplacé Cette nouvelle expérience vécue permet de dépasser les
ces personnes sont restées dans l’incertitude pendant
nombreux Tutsi à travers un faisceau convergents de faits et les interne et maintenant je suis réfugié» 75
. La récurrence des raccourcis ethniques et de s’inscrire dans une compréhension
plusieurs années de leur vie, avec « en permanence leurs
a décidés de se mettre à l’abri. Les signaux les plus évoqués sont crises a malmené plusieurs générations de Burundais depuis davantage politique du système politique burundais. Les
effets sur la tête80».
constitués de discours de haine ainsi qu’une répression sélective 1962. Des milliers de Burundais en sont certainement mar- similitudes des situations vécues face à des pouvoirs dominés
à leur égard comme l’affirme ce répondant « A Musaga, nous qués au fer rouge tant physiquement que moralement. Le La spécificité de cette catégorie est que les motifs principaux par des dirigeants issus d’ethnies différentes inclinent les
avons été arrêtés et maltraités par des policiers, et nous avons spectre du passé ne cessait de les hanter et ils interprétaient de leurs exils antérieurs avaient un soubassement ethnique : victimes à questionner la gouvernance et non l’origine ethni-
subi des persécutions sur une base ethnique 69 ». A cela les évènements qui survenaient avant 2015 comme des signes fuir un pouvoir dominé par des Tutsi et persécutant des Hutu, que des gouvernants. Nombreux parmi les réfugiés ren-
s’ajoutent d’autres faits évoqués à maintes reprises. Il s’agit en annonciateurs, des précurseurs d’une nouvelle éruption de en 1972 et 1993. Ce témoignage exprime bien cette situation contrés l’ont clairement exprimé. Pour ce réfugié, ce n’est ni
particulier de l’omnipotence et de l’armement des miliciens violence, devenue inéluctable par la force des faits. et va au-delà par une analyse du système politique et de
la région ni l’ethnie qui sont en cause « c’est un sentiment de
imbonerakure, de la collaboration du pouvoir avec des éléments l’impunité qui le caractérise « Ce n’est pas la première fois
désolation. Continuer à m’exiler en étant vieux. La mauvaise
Comme annoncé, cette deuxième catégorie est constituée de que je suis en exil. Auparavant, j’avais fui à cause des tueries
issus des miliciens interahamwe. Et surtout des risques pouvant
personnes qui depuis 1988 76 ou 1993 77 , se trouve dans des gouvernance que j’avais fuie est revenue, c’est ce qui montre
provenir d’officiers burundais à « courte vision et animés de massives, mes parents ont été tués en raison de leur ethnie.
camps de déplacés internes. Certains y sont nés ou y sont allés que l’ethnie des dirigeants n’a rien à voir avec la gouvernance.
velléités génocidaires 70». Tous ces éléments mis ensemble, Rescapés, nous nous sommes réfugiés dans le camp de
très jeunes. Après y avoir subi cet exil intérieur, avec ses En grandissant, on nous disait que ce sont des Tutsi, des gens
inclinaient certains à établir des similitudes avec ce qui s’était Nduta. Nous avons fui en 95 et nous avons continué à nous
traumatismes, ils ont été obligés de fuir le pays, laissant toute de Bururi qui sont mauvais mais maintenant ils ne sont pas
passé au Rwanda, et à conclure à des préparatifs de génocide. cacher dans la brousse pendant deux ans. Nous ne sommes
ou une partie de leurs familles là-bas. Les traumatismes de responsables de ce qui arrive 83. »
Selon plusieurs réfugiés « A n’importe quel moment il pouvait y parvenus en Tanzanie qu’en 97. Après mon retour au pays,
avoir un génocide des Tutsi de même ampleur qu’au Rwanda. ces crises successifs se ressentent dans ce témoignage ceux qui ont tué mes parents étaient toujours là, jamais La question de l’impunité maintes fois soulevée revient ici
Parce qu’ils ont gardé la haine et Pierre Nkurunziza travaille avec poignant: « Je me sens très mal surtout que je ne vois pas où poursuivis. Même après la signature de l’accord d’Arusha, avec force lorsque certains évoquent des tueries qui ont
des imbonerakure et interahamwe 71». nous allons. Les crises ont eu des conséquences néfastes sur personne ne les a poursuivis81». continué en secret, et leurs auteurs protégés. Dans ce
moi. Je me souviens quand j’étais adolescente, élève en 7ème
Alors que certaines menaces étaient spécifiques à un groupe Pour ces réfugiés, s’imaginer qu’ils pouvaient fuir un pouvoir contexte, il était impossible de penser à une paix durable alors
et en 9ème, j’avais des dépressions et je perdais connaissance
donné, d’autres étaient communes. Il y avait ainsi une pression dominé par des Hutu était inimaginable, impensable. La qu’on tuait. Quelques répondants ont mis en cause le pouvoir,
lorsque je me rappelais que je m’étais recouverte du cadavre
très forte sur l’électorat surtout hutu, d’adhérer et voter pour le déception est donc à la hauteur de l’espoir placé dans l’accord à travers son incarnation suprême, le Président lui-même
d’un de mes parents pour que les tueurs pensent que j’étais
CNDD-FDD, au risque d’être « lessivés » par des miliciens d’Arusha et son respect. Mais surtout l’avènement depuis dont on pensait qu’il était un homme « correct » mais qui s’est
morte. Maintenant, cette crise a provoqué la séparation avec
imbonerakure qui « faisaient la pluie et le beau temps 72». La 2005, d’un pouvoir dominé par des Hutu « J’avais fui aupa- plutôt avéré être « féroce avec une peau de mouton, alors
ma famille mais surtout de mon mari et il m’arrive d’avoir des
distribution d’armes aux miliciens, qui ne pouvait pas rester ravant, je suis rentré au pays en 2004, j’étais persuadé que la qu’à l’intérieur c’est un loup cruel 84».
cauchemars pendant des nuits successives où je n’arrive pas à
secrète, faisait craindre l’imminence d’une guerre. Jusque
dormir. Et je m’interroge sur cette vie où je continue de fuir.
dans les campus la menace était perceptible, présente : « J’ai
C’est très difficile78». 74 https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/burundi/refugies-burundais-fuir-la-repression
fui alors que j’étais en train de faire mon mémoire de fin 75 Entretiens, Mahama, décembre 2018.
d’études. J’étais membre d’un parti politique autre que le Face à cette instabilité cyclique, il subsiste une incertitude et un 76 Entretiens, Huye, janvier 2019.
77 Entretiens, Nyamata, décembre 2018.
CNDD-FDD, dans les campus, nous étions pourchassés questionnement permanents sur l’avenir des personnes
78 Entretiens, Nyarugusu, décembre 2019.
partout. J’ai re-gagné ma colline et là j’ai vu que le G. Adolphe concernées et celui du pays. Il en découle une impossibilité 79 Entretiens, Nduta, décembre 2018.
Nshimi-rimana était en train de distribuer des armes aux d’organiser et de planifier sa vie. D’où de forts sentiments 80 Entretiens, Mahama, décembre 2018.
81 Entretiens, Kigali, décembre 2018.
imbone-rakure. A 60 m de chez moi. J’ai pris la décision de fuir d’amertume et de désespoir mêlés de colère.
82 Un certain nombre de Tutsi originaires des communes de Ntega et Marangara ont été obligés après les « évènements » de Marangara de quitter leurs
vers la Tanzanie 73». propriétés pour s’installer ailleurs dans les mêmes communes ou dans les communes voisinnes.
83 Le nombre de déplacés internes était estimé à 281.628 répartis dans 230 sites et en 2005, leur nombre était évalué à 100.000, http://forscburundi.org/
wp-content/uploads/2016/11/RAPPORT-SUR-LA-SITUATION-DES-DEPLACES-INTERNES.pdf
84 Entretiens, Kigali, décembre 2018.
72 International Crisis Group, Rapports Afrique n°70, Réfugiés et déplacés au Burundi: Désamorcer la bombe foncière, https://www.crisisgroup.org/fr/africa/ 85 Entretiens, Mtabila, décembre 2018
central-africa/burundi/refugees-and-displaced-persons-burundi-defusing-land-time-bomb, 7 octobre 2003.
86 Selon un dicton kirundi « Kwamana intekera ku mutwe ».
28 73 Entretiens, Nyarugusu, décembre 2018. 29
Conformément aux déclarations récurrentes que « la paix
4.
sont identiques à celles exprimées par les manifestants
règne au Burundi », le gouvernement burundais envoie dans le camp de Nakivale lors de la visite de la délégation du
des délégations pour persuader les réfugiés de rentrer
RETOUR AU PAYS NATAL:
gouvernement burundais. Ceux-ci n’entendent pas renter
dans leur pays. Dans ce cadre, une délégation dirigée par tant que le pouvoir qu’ils ont fui, avec ses dérives, est
le ministre burundais de l'intérieur et de la formation toujours là.
30 31
et préparer des élections libres et transparentes. Et 4.2. DES CONDITIONS DE SÉCURITÉ :
l’accession au pouvoir d’un dirigeant rassurant pour tous89. RASSURANTES POUR TOUS
Il y a une forte insistance, empreinte de colère, sur la
nécessité absolue de mettre fin d’abord au système du L’insécurité étant une des causes principales d’exil, la garantie
CNDD-FDD. On parle « d’éradication », « de destruction » de sécurité pour tous est un impératif. C’est une condition «
ou « d’éviction » de ce système. sine qua non » posée par la totalité des répondants. Mais
quels en sont les contours ?
Et qu’est-ce qui est souhaité à sa place ? Un changement
de pouvoir et l’avènement de nouveaux dirigeants capables Les propositions formulées prônent une réforme en
de répondre aux préoccupations de la population entière et profondeur du secteur de sécurité incluant de manière assez
la rassurer. Un nouveau pouvoir caractérisé par une bonne large le secteur judiciaire. Elle débuterait par une refonte de
gouvernance. La politique du pays organisée autrement l’armée et de la police, sur base d’un système de «vetting94 »
avec la sécurité et l’économie du pays mieux organisées qui en exclurait des criminels présumés et ferait une
dans l’intérêt de tous et non d’une oligarchie. Un pouvoir à évaluation non seulement des personnes mais aussi des
institutions ayant joué un rôle dans la violation des droits de Les conditions de retour posées par ce réfugié donnent la De nombreux répondants ont insisté sur la nécessité de
l’écoute de tous, « un chef d’état qui n’est ni Sebatutsi ni
l’homme et des principes démocratiques. Le SNR et la police quintessence des conditions perçues comme rassurantes poursuivre les responsables présumés des crimes commis
Sebahutu », un père de la nation. Des forces de sécurité
rassurantes90». sont en permanence pointés du doigt afin « qu’ils ne se mêlent par de nombreux répondants. « Ce qui peut me rassurer depuis 2015, pour baliser la route de retour. Unanimement,
plus de politique ». c’est le démantèlement des imbonerakure, puis la fin du les réfugiés interrogés ont souhaité d’abord « l’arrestation de
Les élections ne seraient envisageables que si les libertés mandat du CNDD-FDD, l’entente entre les partis politiques, Pierre Nkuruziza et de sa clique 98
». Ensuite la poursuite de
fondamentales (association, expression, réunion, manifes- La réforme des corps de défense et de sécurité doit être de
autorisés tous à aller auprès des populations. Celui qui sera tous les auteurs de crimes commis depuis le mois d’avril
tation, etc.) sont pleinement rétablies, et leur jouissance nouveau fondée sur les principes énoncés dans l’accord
élu doit diriger sans recourir à la force96». 2015, quels que soient leurs rangs, afin qu’ils soient jugés et
totale. Ceci afin de permettre aux différentes associations d’Arusha afin de créer des organes de sécurité ouverts à tous,
punis conformément à la loi. De cette façon, la peur de la loi
et aux partis politiques de s’organiser librement, d’accéder rassurants pour toutes les composantes de la population et
va s’imposer99 .
pleinement à leurs membres et diffuser leurs programmes. aux différents niveaux. Ces forces devraient être et composées
4.3. UNE LUTTE IMPLACABLE ET
La nécessité de mettre en place une justice efficace et
Mais également aux associations et aux médias indé- par de personnes intègres mettant en avant l’intérêt général.
SYSTÉMIQUE CONTRE L’IMPUNITÉ
pendants, dont les mesures de radiation et de suspension indépendante est une préoccupation largement partagée.
En matière de sécurité, l’autre dimension évoquée de manière
seraient préalablement levées, de reprendre leurs activités, La lutte contre l’impunité n’est pas perçue de manière théorique Une justice qui n’est pas instrumentalisée par le pouvoir et
récurrente est le désarmement et la dissolution de la milice
sans entraves. Le souhait formulé par ce répondant est par les répondants. Le souhait de cette dame l’exprime qui n’est pas soumise à un parti politique, à la police ou à
imbonerakure « Mais tant qu’il y aura des miliciens qui nous
emblématique à ce sujet « Ce qui me rassurerait c’est le clairement « Ce qui peut me rassurer c’est que ceux qui ont l’armée100. À cet égard, il faudrait même « instaurer un
persécutent et une police qui n’en est plus une, je ne vois pas tué mon mari et qui sont bien connus soient arrêtés. Ça c’est
jour où j’entendrai la Radio Publique Africaine (RPA) ou système de jugement avec un juge unique pour éviter que
comment je peux retourner au Burundi 95». La question est en matière de justice. La politique devrait être organisée de
Inzamba émettre, le sage Mbonimpa en train de parler. des juges véreux se cachent sous des décisions collectives101».
posée. Surtout qu’il est de notoriété publique que des manière que chaque citoyen ait la sécurité et vive en toute
Ce jour-là je passerai la nuit au Burundi 91». Ce jour-là,
miliciens ont été armés sur toutes les collines, comment 97 Les répondants reconnaissent la nécessité de régler les
devrait être aussi celui où «les activistes des droits de quiétude dans ses biens ». L’architecture préconisée pour
envisager de rentrer alors que le danger est toujours là ? contentieux du passé, raison pour laquelle ils recommandent
l’homme et les politiciens en exil vont rentrer92» ou peu éradiquer l’impunité est constituée par une justice nationale
«d’établir la vérité sur le passé du pays pour que les jeunes qui
après. Le grand soir. Le désarmement, le démantèlement de la milice indépendante, épaulée par une justice pénale internationale et
un mécanisme de justice transitionnelle, conformément aux grandissent apprennent ce qui est arrivé à leurs parents 102».
imbonerakure viennent donc comme un préalable posé par
L’organisation d’un scrutin libre ne pourrait être possible normes reconnues en la matière et à l’accord d’Arusha. Sans cela, une paix durable est impossible.
de nombreux répondants avant leur retour. Cette opération
qu’avec une CENI réellement indépendante « consensuelle
constitue la pierre angulaire de toute réforme visant à
» mise en place par un gouvernement de transition inclusif.
ramener la sécurité pour tous. Le désarmement doit 95 Entretiens, Kigali, décembre 2018.
L’opinion de nombreux réfugiés sur leur éventuel retour
s’étendre à toute personne illégalement armée. Quelques 96 Entretiens, Kigali, Huye, Mahama, Nyamata, Nyarugusu, décembre 2018.
est traduite par la position de ce répondant « Rien ne me
intervenants ont également évoqué le nécessaire 97/98 Entretiens, Nyarugusu, décembre 2018.
rassure. Tout ce que j’ai fui est toujours en place dans tous 99 Entretiens, Kigali, janvier 2019.
démantèlement des miliciens étrangers «interahamwe»,
les secteurs. Il faudrait organiser des élections vraiment 100 «Vetting» est un terme utilisé également dans le domaine de la justice transitionnelle. Lorsque des pays traversent un processus de transition - après une
notamment, se trouvant sur le sol burundais. Des mesures
libres pas produites par la machine comme celles de période de conflit armé ou de régime autoritaire -, ils doivent déterminer quoi faire des employés de la fonction publique qui ont perpétré des violations des
conséquentes de rapatriement en toute sécurité vers leurs droits de l'homme. Ils doivent également examiner et réviser les structures institutionnelles qui ont permis que de tels abus se produisent. Le filtrage est
Ndayicariye93». l'ensemble des processus permettant d'évaluer l'intégrité des individus (tels que leur adhésion aux normes pertinentes des droits de l'homme) afin de
pays d’origine ou de remise à des instances internationales déterminer leur aptitude à occuper un emploi public. Les pays en transition vers la démocratie et la paix utilisent souvent de tels processus pour s'assurer que
devraient être envisagées. les employés publics abusifs ou incompétents sont exclus de la future fonction publique, https://en.wikipedia.org/wiki/Vetting
101/102 Entretiens, Nyarugusu, décembre 2018.
32 33
Les propositions émises par les réfugiés enquêtés but étant de construire notamment un projet de réconciliation
convergent avec les analyses et les mesures préconisées nationale permettant d’extirper les divisions de toutes sortes
par l’accord pour la paix et la réconciliation d’Arusha. au sein de la société burundaise ainsi qu’une vision commune
Certains ont certainement lu cet accord et affirment qu’il « afin de « corriger toutes les erreurs du passé 106 ». Le respect
5.
se suffit » en termes de propositions pour construire une indispensable des lois et des règlements devrait réinstaurer
QUELLES PISTES POUR paix durable au Burundi. Pour d’autres quelques aspects
de cet accord sont dépassés et devraient être revisités.
le sens de « l’interdit », rendu obsolète.
du Burundi. Le respect de la limite des mandats est jugé Les propositions émises pour la construction d’une paix
impératif. Sauf lorsque le Président en fonction dirige très durable recouvrent les dimensions politiques, économiques,
mal alors il faudrait le démettre avant terme103. sociales et culturelles.
34 35
Une politique efficace de protection des minorités devrait Ú 5.1.2. La séparation des pouvoirs sécurité (RSS), dont la suivante : jugées cruciales en particulier l’élaboration d’un code
être pensée et mise en œuvre, au mieux, à travers novateur de promotion des investissements.
Partant du constat actuel de contrôle de tous les pouvoirs La réforme du secteur de la sécurité est la transformation
l’invention d’une nouvelle forme de démocratie, et un pacte
par l’exécutif et le parti au pouvoir, la séparation et du système de sécurité qui inclut tous les acteurs, leurs Beaucoup d’inquiétudes ont été exprimées sur des contrats
de non-agression « inter ethnique », qui serait conclu à
l’indépendance des trois pouvoirs sont préconisées. Il y a rôles, leurs responsabilités et leurs actions afin qu’ils soient léonins que le gouvernement de Pierre Nkurunziza aurait
travers un cadre de dialogue, permanent. Une paix durable
surtout une insistance appuyée sur l’indépendance du gérés et opèrent d’une façon plus compatible avec les conclus avec différentes compagnies, spécialement minières
devrait alors se fonder sur « le plus jamais ça » bannissant
pouvoir judiciaire pour qu’il joue son rôle d’arbitre et en vue normes démocratiques et les principes sains de bonne et pétrolières. Selon plusieurs répondants, ces transactions
à jamais l’idéologie génocidaire.
d’éradiquer l’impunité. gouvernance et ainsi contribuent à établir un cadre ont été faites au profit « d’un groupe mafieux qui s’accapare
In fine, la construction d’une paix durable doit reposer sur sécuritaire fonctionnant correctement. Les forces de toute la richesse du pays 117 ». Pour assainir ce secteur, des
la bonne gouvernance, la séparation des pouvoirs, une sécurité responsables et devant rendre des comptes procédures d’audit devraient être mises en place, afin
Ú 5.1.3. Une lutte implacable contre l’impunité
lutte implacable contre l‘impunité et une réforme du sec- réduisent les risques de conflit, assurent la sécurité des d’abroger les contrats illégaux ou irréguliers, et poursuivre, le
teur de sécurité permettant de mettre en place des corps Mettre fin à la répétition de la violence passe par l’éradication citoyens et créent un environnement favorable au cas échéant les auteurs de malversations et de
de défense et de sécurité républicaines, représentatives et de l’impunité. L’architecture proposée comporte trois pa- développement durable. L’objectif en général de la réforme détournements.
rassurantes pour tous109 . liers. Le premier palier comprend la justice traditionnelle du secteur de la sécurité est d’établir un environnement
L’accaparement des richesses nationales par une petite
qui doit être absolument indépendante. Son rôle serait de sécurisé qui stimule le développement 115.
minorité a été décrié, d’où la nécessité conséquente de mettre
Ú 5.1.1. La bonne gouvernance poursuivre tous les criminels quel que soit leur rang, et
en place des mécanismes permettant de réduire les inégalités
« La bonne gouvernance c’est lorsque les dirigeants sont là
servir d’arbitre pour tous. De cette façon, la peur de la loi va 5.2. LA GOUVERNANCE ECONOMIQUE sociales et partager équitablement les ressources du pays.
s’imposer et ainsi permettre de prévenir les crimes.
pour tous 110». Une gouvernance à l’écoute des citoyens est L’organisation de l’économie doit être basée sur une
.
revenue continuellement dans les entretiens. Quelques Le deuxième palier comprend la justice pénale internationale planification de long terme. Des spécialistes dans différents
5.3. DES MESURES CULTURELLES ET
répondants ont recouru à des proverbes kirundi pour montrer devant épauler la justice nationale dans la lutte contre domaines devraient être mis à contribution pour élaborer une
SOCIALES
que lorsque cela n’est pas le cas, les situations, comme celle l’impunité. Son rôle serait de se saisir des crimes commis vision économique du Burundi. Aussi, il faudrait tout faire pour
que le pays vit actuellement, peuvent être à risque. Diriger depuis l’indépendance du pays. Le troisième palier proposé réduire la corruption de manière drastique afin de rattraper le « Initier les citoyens au respect des valeurs et mœurs sociales
c’est écouter car « celui qui n’écoute pas les sages ne peut est un mécanisme de justice transitionnelle, à ériger retard économique actuel 116
. Cela afin de créer des fondées sur la dignité et la sacralité de la vie humaine118 ». Un
pas diriger111». Accéder et se maintenir au pouvoir, dans ces conformément à l’Accord d’Arusha. Une de ses missions conditions propices aux investissements. Et cette étape est constat communément partagé est que le Burundi connaît une
conditions, comporte des risques pour la paix, à éviter serait d’établir la vérité sur le passé, analyser les possibilités jugée cruciale. Les stratégies de lutte contre la corruption érosion des valeurs morales et culturelles du Burundi, d’où des
absolument. Ce proverbe cité par un répondant, illustre de pardon et les voies de réconciliation. Elle devrait devraient être accompagnées de mesures de mise en œuvre, appels au « retour aux valeurs ancestrales119» positives, à
l’inévitable violence quand le partage et le dialogue ne sont également proposer des mécanismes pour traiter les d’évaluation et de suivi. La lutte contre la corruption passe l’instar de « la solidarité comme dans le temps ». Un lien est
pas d’usage « quand un chien tient un os entre les mâchoires, victimes des crimes du passé moralement et matériellement. nécessairement par l’accroissement de la transparence établi entre « la déliquescence des institutions de l’État, et
on ne peut le lui enlever qu’avec un gourdin112». spécialement dans l’attribution des marchés publics. l’effritement des valeurs culturelles et morales120 ».
Quelques idées ont, également été émises et, elles recoupent Ú 5.1.4. La réforme des corps de défense et de La deuxième série de propositions touche à l’accroissement Pour surmonter ces difficultés, des formations sur différentes
les critères habituels de bonne gouvernance, notamment la sécurité de la richesse du pays et sa protection. Pour y arriver on doit thématiques comme la démocratie et la réconciliation sont à
redevabilité, la transparence dans la prise de décision, la passer par le développement de différents secteurs dont la initier. Elles devraient s’adresser aux leaders, aux citoyens en
« La sécurité est une condition nécessaire pour le progrès113».
planification et la concertation. La décentralisation devrait production, comprenant notamment l’agriculture, à travers de général. Un accent particulier est mis sur la nécessité.
être spécialement promue pour permettre aux communes de La violence déclenchée depuis le mois d’avril 2015, ayant été
nouvelles techniques culturales et l’encadrement des «d’enseigner aux jeunes les valeurs et les comportements
jouer un rôle crucial dans le développement du pays, et en rendue possible par l’instrumentalisation d’éléments des
agri-éleveurs, la promotion de nouveaux créneaux dignes en vue de la réorganisation du pays et le rôle des jeunes
plaçant à leur tête des personnes compétentes, avec une corps de défense et de sécurité par le pouvoir politique,
générateurs d’emplois en particulier pour les jeunes. dans cette nécessaire transformation 121».
formation de niveau universitaire, et la promotion d’une beaucoup de réfugiés sont extrêmement sensibles à l’urgente
nécessité de réformer ces corps afin qu’ils soient rassurants Outre la lutte contre la corruption, d’autres mesures visant à L’éducation devrait être réformée et restructurée de fonds en
culture basée sur l’évaluation des performances. À ce sujet,
pour tous. encourager les investissements internes et externes sont comble pour former un citoyen patriote, responsable et au
beaucoup de répondants sont aussi revenus constamment
service du progrès de la société.
sur la nécessité de privilégier le mérite dans les recrutements
Après l’élimination de criminels présumés de ces corps, à
et les nominations afin de réduire les pratiques de favoritisme
travers une procédure de « vetting », le but de la réforme
et de népotisme. 116 Entretiens, Mahama, décembre 2018.
serait de constituer des forces de défense et de sécurité
117 En kirundi « kananirabagabo ntiyimye ». « ntiyimye » vient du verbe « kwima », qui signifie être intronisé.
Concernant les relations avec d’autres pays, le pouvoir devrait républicaines, qui respectent et font respecter la loi, afin de
118 « igufa riri mu kanwa k’imbwa urikuzayo ubuhiri ».
intégrer le fait que l’autarcie n’est pas possible « on ne peut pouvoir protéger le pays et sa population. À cet égard, des 119 Entretiens, Nyamata, décembre 2018.
pas se suffire » et organiser la coopération avec ses formations techniques et éthiques sont préconisées pour 120 Terme plus fort en kirundi qui implique le comportement, les attitudes, dont la politesse, la courtoisie le savoir-vivre qui reflètent la « bonne éducation »
36 37
Les entretiens ont permis d’esquisser deux futurs en renforçant la répression va isoler le pays et peut le conduire
possibles pour le Burundi à partir d’une perspective basé vers des tueries massives, voire le génocide123 ». De plus,.
sur un contexte politique proche de celui de fin de l’année « On fait l’apologie du crime et des divisions au vu et au su de
2018 et du début de 2019. tout le monde. L’économie et la cohabitation pacifiques sont
6.
compromises124».
Celui-ci est dominé par un forcing du pouvoir vers les
élections après avoir fermé la porte au dialogue Selon les répondants, l’élément le plus préoccupant, c’est le «
inclusif avec les autres acteurs politiques. Ici, le forcing » vers les élections de 2020, dans un contexte de «
et nuirait dangereusement au bien commun du pays134». 140 Extrait de Populorum Progressio, Encyclique du Pape Paul VI, page 31.
traitement des crimes, spécialement ceux qui ont été 141 https://www.modele-lettre-gratuit.com/auteurs/jacques-chirac/citations/guerre-toujours-ultime-recours-toujours-constat-echec-toujours-solutions-parce-
À ce propos, d’après Jacques Chirac « La guerre, c'est commis après le mois d’avril 2015. Ces négociations devraient amene-misere-3072.html
142 Entretiens, Nyamata, décembre 2018.
toujours un ultime recours, c'est toujours un constat être sanctionnées par un accord, ainsi que des mécanismes
143 Entretiens consolidés, tous les sites, décembre 2018-janvier 2019.
144 Entretiens, Kigali, décembre 2018.
134 Entretiens, Kigali, décembre 2018. 145 Propos de Ismaïl Chergui, https://news.un.org/fr/story/2019/06/1045601, 14 juin 2019.
135 Entretiens, Mahama, décembre 2018. 146/147 HRW, Burundi : Abus généralisés visant l’opposition, https://www.hrw.org/fr/news/2019/06/12/burundi-abus-generalises-visant-lopposition, 14 juin 2019.
40 136 Entretiens, Nyamata, décembre 2018. 148 Entretiens, Huye, janvier 2019.. 41
137 149/150 Entretiens, Kigali, décembre 2018.
Entretiens, Nyarugusu, janvier 2019
CONCLUSION
L’unanimité au sein du groupe cible est qu’il est impossible de rentrer au pays tant
que les conditions qui ont provoquées leur départ n’ont pas fondamentalement
changé. Ils préconisent un changement profond du système politique burundais,
qui selon eux, est le même depuis que le Burundi a accédé à l’indépendance. Seuls
les danseurs ont changé mais la mélodie est restée la même. Les deux doivent
impérativement être remplacés.
Le retour à la paix n’est pas possible sans un dialogue inclusif entre toutes les
forces politiques qui devrait déboucher sur un accord et se convenir sur des
mécanismes de mise en œuvre. En gros, cet accord devrait permettre la mise en
place d’un gouvernement d’union nationale, de ramener la paix et la sécurité en
initiant déjà une réforme des corps de défense et de sécurité et de la justice, le
désarmement et la dissolution de la milice imbonerakure et des modalités sur le
retour et l’installation des réfugiés. La transition aurait pour but de créer les
conditions permettant l’organisation d’élections libres et transparentes.
Pour construire une paix durable, il serait nécessaire de s’attaquer aux tendances
lourdes qui constituent des facteurs de récurrence de la violence. Parmi ceux-là
figurent notamment l’impunité, la mauvaise gouvernance, l’absence de séparation
des pouvoirs, la corruption et une répartition inéquitable des ressources du pays,
souvent aux mains d’une petite oligarchie. Des mesures novatrices ont été
évoquées, spécialement l’alternance ethnique au sommet de l’État et une réflexion
en profondeur sur un système démocratique adapté aux réalités du Burundi.
42 G R O U P E D E R E C H E R C H E E T D ’A P P U I A U D É V E L O P P E M E N T D E S I N I T I AT I V E S D É M O C R AT I Q U E S ( G R A D I S ) 43
DOCUMENTS ET SITES WEB CONSULTÉS
1. https://www.unhcr.org/fr/situation-au-burundi.html 22. http://www.rfi.fr/afrique/20160127-burundi-devenue-marie-claudette-kwizera-ligue-iteka-disparue
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44 G R O U P E D E R E C H E R C H E E T D ’A P P U I A U D É V E L O P P E M E N T D E S I N I T I AT I V E S D É M O C R AT I Q U E S ( G R A D I S ) 45
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