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Multitudes39

Icônes43
sommaire
Iconoclasistas
1-5 Cosmovisión Rebelde, Panoramica del control
20-21 La Carteloneta
Bijari
28 Operações urbanas e gentrificação
Fadaiat
48-49, 69, 92-93, 114-115 Libertad de movimiento,
Libertad de conocimiento
Ricardo Basbaum
137-139 Sur, sur, sur, sur… 140-155 Diagrams
Guga Ferraz
173 Autobus incendié 190-191 Rome de Nero

Barbara Szaniecki
Cartes, cartographies,
diagrammes, etc.
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Ricardo Basbaum
Sur, Sur, Sur, Sur... comme
diagramme : carte + marque
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Icônes Cartographies

Barbara Szaniecki Une fois Tarifa et Tanger connectées, partons direction Sud. Dans « Sur,

Cartes, cartographies,
South, Sul», Ricardo Basbaum trace des lignes discours-art en mélangeant signes
textuels et visuels. Il fait référence à la célèbre carte de Joaquìn Torres Garcìa – Upsi-
de Down – qui inverse la représentation des hémisphères Nord et Sud et garde donc

diagrammes, etc. des repères géographiques, mais dessine plutôt un « espace de problématisation »
qui ne se situe nulle part, ni au Sud ni au Nord : une carte sans géographie, nous dit-
il. Des diagrammes où politiques de subjectivation (lignes je-tu) et politiques terri-
toriales (lignes dedans-dehors, lignes ici-là-bas) s’associent et s’entremêlent dans la
tentative d’ouvrir des brèches dans tous les corps constitués, soient-ils individuels,
collectifs ou nationaux. Les diagrammes sont des dispositifs de contamination et
d’action au-delà des frontières.

Nous voilà désormais en Amérique du Sud où nous trouvons une im-


portante production esthétique et politique de cartes et cartographies. Le collectif
argentin, Los Iconoclassistas, oppose aux procédures d’exploitation capitalistes co-
lonialistes et néo-colonialistes leur Cosmovision Rebelle. Ils développent une prati-
que militante au service des mouvements sociaux dans plusieurs villes d’Amérique
Depuis un certain temps, on peut observer la multiplication de pratiques carto- Latine (Buenos Aires, Córdoba, Neuquén en Argentine ; Lima au Pérou ; Montevideo
graphiques. Sortes d’inscriptions des flux, des circulations, des agencements et des en Uruguay) et d’Europe (surtout en Espagne : Malaga, Barcelone et en Galice). Ils
tensions des « métropoles » dans un sens large, ces pratiques sont très similaires et ont réalisé à Barcelone la carte-cartographie du quartier de Barceloneta – la « Car-
très différentes à la fois, d’où notre proposition de les aligner plutôt que de les en- teloneta » – en proie à la spéculation immobilière depuis les Jeux Olympiques de
glober sous un seul concept. Notre point de départ est la frontière Sud de l’Europe 1992. Nombreuses d’ailleurs sont les « villes globales » qui subissent ce problème de
et Nord de l’Afrique. Fadaiat1 – Liberté de mouvement, liberté de connaissance – est spéculation immobilière. C’est la raison pour laquelle le collectif brésilien, BijaRi,
le nom d’une rencontre de personnes et de collectifs pour la création de nouveaux se saisit lui aussi de la pratique cartographique et représente graphiquement les
récits et imaginaires sur et depuis la frontière. Elle a donné lieu à un évènement so- alliances entre pouvoirs publics et entreprises privées. Par ce travail, ils attirent l’at-
cial, artistique et technologique autour du Détroit de Gibraltar – là où le Sud et le tention sur leurs respectives responsabilités dans la gentrification de São Paulo qui
Nord se rencontrent (ou non) – qui a abouti à une connexion wi-fi entre les villes de s’accompagne d’expulsions de populations à bas revenus qui habitent ou travaillent
Tarifa en Espagne et de Tanger au Maroc. Les cartes qui représentent des frontières de manière informelle dans le centre-ville. À Rio de Janeiro, le conflit lié à la gentrifi-
sont confrontées à celles qui cherchent à donner une visibilité aux mouvements cation du centre et de la zone portuaire comme préparation de la ville pour les Jeux
qui s’opposent à l’insistante et autoritaire production de frontières. En effet, l’ins- Olympiques de 2016 se double d’un conflit diffus dans tout le territoire métropoli-
tallation d’une série d’artefacts (radars, satellites, installations militaires, centres tain entre trafiquants de drogue, police et paramilitaires. Des autobus sont incen-
de vigilance, camps de réfugiés) et d’activités (persécutions policières et judiciai- diés et Rio de Janeiro devient « Rome de Nero » dans la carte réalisée par Guga Ferraz
res, incidents racistes et déportations) contre les immigrés se voit confrontée à des qui, en plus, « marque » ces rencontres violentes avec des plaques d’arrêt d’autobus
devenirs-immigrants sous la forme de processus d’auto-organisation, grèves de la dans lesquelles le pictogramme même est recouvert de flammes en peinture rouge.
faim, occupations de paroisses, mobilisations coordonnées avec les mouvements de Ces mêmes plaques ont été accrochées à Paris pour signaler que villes du Sud (Amé-
précaires et création d’instruments de communication de façon coopérative comme rique Latine) et villes du Nord (Europe) se retrouvent dans des luttes communes.
ce fût le cas du projet Fadaiat. Les cartographies de ces devenirs exposent alors des Les cartes, cartographies, diagrammes, etc. rassemblées ici se veulent l’expression de
lignes qui ne sont pas des oppositions dichotomiques, mais des lignes de tension : cette multitude connectée au-delà des barrières continentales, mais encore en-deçà
lignes global-local, lignes analogique-digital, lignes artistes-militants-hackers-im- de sa puissance radicale.
migrants. Ce sont des lignes de contact éventuellement conflictuelles, mais qui, par
leur désir de dehors, ouvrent la voie à la création de nouveaux territoires subjectifs
au sein de ces frontières géographiques.

1 Mot arabe pour designer les antennes paraboliques.

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