Vous êtes sur la page 1sur 44

ST189.book Page 313 Vendredi, 5.

mai 2006 3:12 15

Chapitre 9
Développer
le capital marque
La stratégie de marque constitue l’une des priorités actuelles
des politiques marketing et même financières. Les entrepri- Dans ce chapitre,
ses cherchent à créer, développer et protéger leurs marques. nous examinerons
Des marques telles que Coca-Cola, Microsoft, IBM, Nokia, les questions suivantes :
Sony ou Nike permettent aux entreprises d’adopter des prix ■ Qu’est-ce qu’une marque ?
plus élevés pour leurs produits, de favoriser la fidélité des ■ Qu’est-ce que le capital
clients et de se différencier des concurrents. marque ?
La construction de marques fortes exige une planification
■ Comment peut-on le
marketing soignée, associée à des investissements sur le long construire, le mesurer et le
terme. Au cœur d’une stratégie réussie, on trouve un excel- gérer ?
lent produit ou service, accompagné d’un marketing créatif.
■ Quelles décisions doit-on
GOOGLE. Fondé en 1998 par deux étudiants en doctorat de Stan-
prendre lorsque l’on
ford, ce moteur de recherche représente aujourd’hui 56 % des définit une stratégie de
requêtes sur Internet et 200 millions de recherches quotidiennes. En marque ?
2004, il a doublé son chiffre d’affaires pour atteindre 3,2 milliards
de dollars, et quadruplé ses bénéfices pour parvenir à 342 millions
de dollars. Résultat : un an seulement après son introduction en
bourse, son cours avait déjà triplé et sa capitalisation boursière
représentait près de 80 milliards de dollars. La politique marketing
de l’entreprise s’appuie sur un moteur de recherche fondé sur le
texte lui-même et un algorithme sophistiqué, sur un service rapide
et fiable, ainsi que sur l’absence de publicité sur le site. Les bénéfi-
ces de Google reposent sur la vente de listings utilisables pour une
recherche, et sur celle de la licence de sa technologie à des entrepri-
ses comme AOL et le Washington Post. Google a également diversi-
fié ses logiciels en permettant désormais d’identifier un itinéraire
avec Google Maps, d’afficher la photo satellite de n’importe quelle
région du monde avec Google Earth, de comparer les prix avec
Froogle… L’entreprise n’a jamais dépensé d’argent en communica-
tion et s’est développée grâce au bouche-à-oreille. En 2005, Google
a été classée 38e marque mondiale par Interbrand, avec une valori-
sation de 8,5 milliards de dollars pour la marque. Elle est l’une des
marques les plus récentes parmi les cent premières mondiales 1.
ST189.book Page 314 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

314 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

La prise de conscience de la valeur des marques par les responsables d’entre-


prise date des années 1980 sous l’effet conjugué de plusieurs phénomènes :
l’arrivée à maturité de nombreux marchés de grande consommation, provo-
quant une intensification de la concurrence ; le nombre très élevé de marques
encombrant les linéaires et l’esprit des consommateurs ; l’augmentation des
coûts de publicité et donc des dépenses nécessaires pour construire la notoriété
et l’image des marques2.
En réaction, les entreprises ont été amenées à investir fortement dans leurs
marques, quitte à en limiter le nombre. Cette volonté s’est traduite par de nom-
breuses fusions-acquisitions dans l’objectif d’acquérir des marques leaders. Ainsi,
Pernod Ricard a acheté les marques Chivas, Martell et Glen Grant, tandis que
Unilever a acquis Slim Fast, Tetley, Amora et Maille. En parallèle, certaines entre-
prises (Danone, Nestlé, Philip Morris, par exemple) se sont séparées de nombreu-
ses marques afin de concentrer leurs budgets marketing sur celles qui leur
paraissaient avoir le plus fort potentiel. Procter & Gamble a ainsi réduit son por-
tefeuille à 300 marques et concentre ses efforts sur 16 d’entre elles, qui valent plus
d’un milliard de dollars.
Aujourd’hui, toutes les entreprises analysent avec soin leur portefeuille de
marques afin de déterminer sur lesquelles investir et lesquelles supprimer. Elles
considèrent leurs marques comme un actif immatériel, valorisé comme tel par les
marchés financiers et à développer en conséquence.
Pour étudier cette composante essentielle de la politique marketing, nous ana-
lysons le rôle de la marque et le contenu du capital marque, avant d’étudier com-
ment le construire et le développer. Puis, nous nous intéressons à la gestion des
marques existantes et à la conception des stratégies de marque.

1. Qu’est-ce que la marque


et le capital marque ?
Avant d’examiner les différents problèmes liés à la marque, une définition
s’impose :
Une marque est « un nom, un terme, un signe, un symbole, un dessin ou toute combinaison
de ces éléments servant à identifier les biens ou services d’un vendeur ou d’un groupe de
vendeurs et à les différencier des concurrents » 3.
La marque est un élément-clé de la stratégie d’une entreprise. Elle ajoute des
dimensions au bien ou au service, et le différencie des autres offres répondant au
même besoin. Les différences peuvent être fonctionnelles et rationnelles, c’est-à-
dire liées à la performance du produit, ou encore symboliques et émotionnelles,
c’est-à-dire fondées sur ce que la marque représente.

1.1. Le rôle de la marque


La marque joue un rôle essentiel auprès des clients et des entreprises : pour les
premiers, elle sert de repère et d’identificateur ; pour les entreprises, elle consti-
tue un outil stratégique.

a) Le rôle de la marque auprès des clients


La marque permet aux consommateurs d’identifier le fournisseur d’un produit
ou d’un service. Elle est une garantie, une source de confiance, car elle représente
un engagement public de qualité associé à un certain niveau de performance.
ST189.book Page 315 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 315

La marque influence également la manière dont le produit est perçu parce


qu’elle permet aux clients d’identifier l’entreprise qui le commercialise, de faire le
lien avec les opérations marketing dont elle fait l’objet et avec des expériences de
consommation antérieures avec d’autres produits signés de la même marque.
Lorsqu’elle est associée à des valeurs et à un imaginaire, la présence de la mar-
que peut également influer sur la manière dont les clients perçoivent la perfor-
mance des produits. La marque peut alors conduire les clients à mieux évaluer
les caractéristiques intrinsèques du produit (la voiture est jugée plus puissante,
plus rapide, mieux aménagée) et à lui associer une valeur symbolique liée à
l’identité de la marque et non au produit lui-même (cette voiture apparaît
comme un signe de réussite sociale ou semble mieux adaptée au mode de vie
du client).
Les consommateurs déterminent quelles marques sont susceptibles de répon-
dre à leurs besoins, et celles qui sont moins pertinentes pour eux. La marque leur
permet de simplifier leur processus d’achat et de réduire le risque perçu4.
Enfin, la marque joue un rôle d’identification pour ses clients, qui expriment ce
qu’ils sont à travers les marques qu’ils achètent. Les femmes qui achètent du Dior
se reconnaissent comme à la pointe de la mode, tandis que les jeunes qui appré-
cient Quicksilver se trouvent « cools » et décontractés. De même, les possesseurs
d’équipements hi-fi Bose se considèrent comme de véritables amateurs férus de
technologie.

BOSE. Cette entreprise, créée par le Dr Amar Bose, alors professeur en génie électrique au
MIT, exprime ses valeurs, et donc celles de ses clients, dans sa communication : « Bose a
forgé sa réputation grâce à la très haute qualité de ses systèmes audio, tant dans l'univers
de la maison, avec ses systèmes hi-fi et home cinéma, que dans les domaines profession-
nels. Partout où le son revêt une importance majeure, Bose est là. […] La recherche nourrit
la technologie. Or une technologie supérieure entraîne des performances supérieures.
Chez Bose, nous finançons la recherche en réinvestissant 100 % de nos bénéfices dans notre
entreprise5. »

Source illustration : www.bose.co.uk.


ST189.book Page 316 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

316 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

b) Le rôle de la marque pour les entreprises


Pour les entreprises, la marque présente de nombreux avantages6. D’abord, elle
facilite le suivi du produit et les opérations logistiques. Ensuite, elle offre une
protection légale pour éviter la copie du produit et de certaines de ses caractéris-
tiques techniques ou perceptuelles7. Ainsi, les noms des marques sont déposés
par zones géographiques et catégories de produits, empêchant d’autres entrepri-
ses du même secteur de réutiliser des noms existants. Les logos et les emballages
sont également protégés. Les processus de fabrication peuvent faire l’objet de
brevets. Ces différents éléments relèvent du droit de la propriété intellectuelle et
permettent à l’entreprise d’investir dans sa marque et d’en faire un actif sans
craindre la copie par les concurrents.
En outre, les marques constituent un signal de qualité à l’attention des
consommateurs8. La fidélité à la marque varie considérablement selon les sec-
teurs, mais dans la plupart des catégories de produits, elle garantit un certain
niveau de demande et constitue une barrière à l’entrée pour les nouvelles entre-
prises susceptibles de commercialiser des produits de la même catégorie.

CÔTE D’OR. Née en Belgique en 1883, la marque appartient depuis 1987 au groupe Kraft
Foods, numéro deux mondial de l’agroalimentaire qui détient également les marques
Milka, Toblerone et Suchard. Mais l’identité de Côte d’Or est spécifique. Elle évoque un
chocolat au goût intense, une grande qualité fondée sur un savoir-faire plus que centenaire
et un cacao soigneusement sélectionné. Même si la gamme est large et couvre l’ensemble
de la catégorie, depuis les tablettes familiales jusqu’aux carrés de chocolat, du chocolat au
lait aux chocolats noirs et parfumés, l’identité s’inscrit d’abord dans l’univers de la dégus-
tation avec des plaquettes fines et des mignonnettes aux parfums originaux comme noir
orange, noir framboise ou truffé intense 10.

La fidélité à la marque permet également de proposer des prix supérieurs aux


concurrents, parfois de l’ordre de 20 à 25 %9. Même si ces derniers peuvent copier
les processus de fabrication et imiter le design des produits, il leur est difficile de
récupérer à leur compte les perceptions des clients et leur expérience antérieure,
accumulée au cours des années, avec les produits de la marque. En ce sens, les
stratégies de marque contribuent à la constitution d’un avantage concurrentiel,
qui se renforce avec le temps.
Aujourd’hui, la notion de marque recouvre des activités extrêmement hétéro-
gènes, depuis les biens tangibles (shampooings Mixa, voitures Renault, yoghourts
Danone), les services (Air France, Société Générale), les magasins (Carrefour, Réso-
nance), jusqu’aux lieux (le Gers, l’Australie) ou encore les organisations (l’Unicef
ou Médecins sans Frontières). Même les magazines sont aujourd’hui des marques
(voir encadré 9.1). Pour analyser leur portée auprès du marché, on peut se poser
une série de questions à rassembler dans un tableau de bord des marques (voir
encadré 9.2).

1.2. La marque, outil essentiel de différenciation


Parce qu’elle permet l’identification du produit, la marque constitue un outil fon-
damental de différenciation. La stratégie de marque vise à conférer une identité
particulière aux produits qu’elle porte. Toute entreprise doit donc élaborer une
promesse de marque, qui correspond à ce qu’elle doit être et à ce qu’elle doit per-
mettre à ses clients. La réussite de la stratégie repose ensuite sur la capacité de
l’entreprise à faire percevoir cette promesse aux clients, puis à la tenir. Au final, la
ST189.book Page 317 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 317

Source illustration : Australian Tourist Commission.

valeur de la marque dépend de ce que les clients perçoi-


vent et croient à propos de la marque, en fonction de sa
politique marketing et de leur expérience avec les pro-
duits.
La marque repose sur un nom, des attributs et des valeurs
qui seront transférés aux produits. Il s’agit de créer des
associations mentales afin d’aider les clients à organiser
leurs connaissances et leurs perceptions des produits. On
peut, en fait, articuler le concept de marque autour de six
pôles :
Source illustration : Unicef.
1. Un ensemble d’attributs. Une marque évoque des
caractéristiques qui lui sont attachées. Mercedes, c’est
solide, cher, durable, etc.
2. Un ensemble d’avantages ou bénéfices clients. Au-delà des attributs, une marque
communique les avantages, fonctionnels ou émotionnels, qui lui sont associés.
Ainsi, la durabilité signifie : « Je n’aurai pas besoin d’acheter une autre voiture
avant des années » ; la solidité : « Je suis en sécurité en cas d’accident ».
3. Un ensemble de valeurs. La marque exprime la culture de l’entreprise qui en est
à l’origine. Mercedes, c’est aussi la performance, le prestige, la tradition.
4. Une culture. La marque traduit en même temps une affiliation culturelle. Mer-
cedes est allemande tout comme Fiat est italienne et Renault française.
5. Une personnalité. La marque projette une certaine personnalité11. Que serait-elle
si elle était une personne ? un animal ? un objet ? Mercedes serait peut-être un
patron, un lion ou un palais austère. Certains chercheurs ont appliqué aux mar-
ques des échelles de personnalité humaine. Par exemple, Jean-Marc Ferrandi et
Pierre Valette-Florence ont appliqué l’échelle de Saucier centrée sur cinq dimen-
sions : introverti, aimable, consciencieux, neurotique et ouvert12. Ils ont ainsi
observé que, dans l’esprit des consommateurs, la marque Nescafé était conscien-
cieuse et aimable, tandis que Perrier était ouverte et extravertie, BMW introver-
tie et non ouverte. Les deux chercheurs considèrent que les marques attirent des
consommateurs ayant des personnalités proches des leurs.
ST189.book Page 318 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

318 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

9.1 Cas d’entreprise

Quand les magazines deviennent des marques


L’exemple le plus emblématique est probablement le Selon la même approche, la marque Géo a été décli-
magazine Elle, qui décline sa marque sur des chaussu- née en livres, guides de voyages, ouvrages de photos,
res, des vêtements, mais aussi… des magazines, comme CD-Rom, cassettes vidéo et autres disques, soit 146 pro-
Elle à Table et Elle à Paris. Cette stratégie a démarré en duits en trois ans, pour un chiffre d’affaires cumulé de
1982 : « La marque était forte au Japon. Nous avons été 28 millions d’euros. « Le kiosque n’est pas un écrin idéal
contactés par des industriels japonais qui souhaitaient pour un magazine haut de gamme comme Géo. Lui
exploiter la licence Elle pour une gamme de vête- donner une présence dans les rayons disques et livres
ments », raconte Fabrice Plaquevent, directeur général est valorisante », explique Dominique Fleurmont, direc-
de Hachette Filipacchi Médias. En 1995, une véritable trice du département développement des produits de
stratégie d’exploitation de la marque est mise en place marque du groupe Prisma Presse.
et la griffe est déclinée sur une gamme de vêtements et De nombreux grands titres de la presse magazine utili-
d’accessoires (lunettes, sacs, chaussures, chapeaux…) sent désormais cette approche pour accroître leur activité.
pour femmes et enfants dans une trentaine de pays. Ainsi, on peut désormais acheter des fiches cuisine Femme
Une charte graphique est aujourd’hui définie à l’usage actuelle, des voyages Notre Temps, une collection de DVD
des licenciés afin de véhiculer une image unique et Gala sur « les couples légendaires du siècle » et une ency-
cohérente. « Nous avons aujourd’hui une centaine de clopédie du mieux-être Psychologies Magazine…
boutiques Elle dans le monde et 130 licenciés qui réali-
sent globalement un chiffre d’affaires de 500 millions de Sources : Laurence Girard et Bénédicte Mathieu, « Du titre de presse
dollars », explique M. Plaquevent. 80 % des ventes sont à la marque, source de profits », et Laurence Girard « Une fois connu
réalisées en Asie, notamment au Japon et en Corée du mondialement, « Elle » devient griffe de mode », articles parus dans
Sud. Le Monde, 16 janvier 2004, p. 21.

Source illustration : www.geomagazine.fr.

6. Un profil d’utilisateur. Enfin, la marque évoque un profil d’utilisateur type, par


exemple un homme d’affaires d’une cinquantaine d’années pour Mercedes.
Une marque a donc un contenu symbolique complexe qui va bien au-delà de son
nom13. Gérer une marque implique d’analyser et de faire évoluer ces significations
ST189.book Page 319 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 319

9.2 Pour approfondir

Le tableau de bord des marques


Afin d’étudier la valeur d’une marque sur le marché et les différentes marques de l’entreprise, qu’il existe
son potentiel, on peut construire un tableau de bord ou non une marque ombrelle qui les regroupe ? La
autour des dix points suivants. hiérarchie entre les marques est-elle pensée soi-
1. La capacité de la marque à fournir des bénéfices gneusement et comprise par le marché ? Les dif-
que les clients souhaitent réellement. La marque férentes marques sont-elles complémentaires ou
répond-elle à des désirs réels chez les clients ? Cher- existe-t-il un risque de cannibalisation ?
che-t-on à fournir aux clients les meilleures expé- 7. Le recours à diverses activités marketing. Utilise-
riences possibles grâce aux produits et services ? t-on de manière optimisée les différentes options
2. Sa pertinence. La marque est-elle en phase avec les de communication et les différents outils marketing
goûts actuels des clients, les conditions de marché pour construire une image de marque cohérente ?
et les tendances en cours ? 8. Une analyse approfondie de ce que la marque
3. Une stratégie de prix fondée sur les perceptions représente pour les consommateurs. Sait-on ce
des clients. A-t-on optimisé les prix, la structure de que les clients aiment et n’aiment pas à propos de la
coûts et le niveau de qualité afin de fournir une offre marque ? A-t-on une idée claire des clients ciblés ?
cohérente, qui excède les attentes de clients ? 9. Un soutien cohérent pour la marque. Analyse-t-
4. Un positionnement pertinent. La marque est-elle on en détail les raisons des succès ou des échecs des
au moins au niveau des concurrents sur les points opérations marketing avant de les modifier ?
les plus importants ? Est-elle différenciée sur des 10. Un suivi des sources de valeur pour la marque.
éléments-clés aux yeux des clients ? A-t-on défini une charte explicitant la signification
5. La cohérence de la marque. Est-on sûr que les acti- de la marque et la manière de la présenter ? A-t-on
vités marketing de la marque ne véhiculent pas des attribué à quelqu’un en particulier le rôle de suivre
messages contradictoires ? et de développer le capital marque ?
6. Un portefeuille de marques cohérent. A-t-on ana- Source : Kevin Keller, « The Brand Report Card », Harvard Business
lysé la pertinence de la stratégie de relation entre Review, janvier 2000, p. 147-157.

symboliques en suscitant certaines perceptions et certains sentiments chez les


consommateurs. Les valeurs, la culture, la personnalité de la marque et le profil de
ses utilisateurs déterminent ces associations mentales. Elles expliquent qu’un
consommateur puisse souhaiter posséder une marque pour elle-même, indépen-
damment, ou presque, des qualités techniques de ses produits (comme des chaus-
sures Nike portées par des adolescents qui ne pratiquent aucun sport). Les
significations symboliques permettent également d’utiliser la marque pour de nou-
velles catégories de produits très éloignées de celles qu’elle a l’habitude de couvrir,
mais cohérentes avec sa personnalité ou son profil d’utilisateur.
Le gestionnaire de la marque doit décider des dimensions qu’il souhaite employer
pour construire l’identité. C’est certainement une erreur de se limiter aux attributs,
qui sont facilement imitables par la concurrence et risquent de se dévaloriser avec le
temps. Selon la marque et l’identité souhaitée, on mettra l’accent sur les bénéfices
clients, sur les valeurs et la culture, ou sur la personnalité et le profil d’utilisateur.

1.3. Le capital marque


Le capital d’une marque est la valeur apportée par la marque aux produits et services qu’elle
couvre.
Cette valeur dépend des pensées, des sentiments et des actions des clients par
rapport à la marque, ainsi que de ses prix, de sa part de marché et de sa rentabilité.
ST189.book Page 320 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

320 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

Le capital marque est un actif intangible important qui confère une valeur psycho-
logique et financière à l’entreprise.
Les responsables marketing et les chercheurs utilisent plusieurs approches
pour évaluer le capital marque14. Les approches fondées sur les clients, auxquel-
les nous nous intéressons plus spécifiquement ici, reposent sur l’idée que la por-
tée d’une marque est déterminée par la manière dont les clients la perçoivent15.
On définit le capital marque fondé sur le client comme la différence provoquée par la connais-
sance de la marque dans la manière dont les consommateurs réagissent à son marketing 16.
On considère qu’une marque a un capital positif lorsque les clients réagissent
plus favorablement au produit et à son marketing lorsqu’ils ont identifié la mar-
que. À l’inverse, ce capital est négatif si la réaction des consommateurs est moins
favorable lorsqu’ils connaissent la marque. Cette définition intègre trois compo-
santes.
♦ Premièrement, on analyse ici la différence de réaction des consommateurs. Si
la connaissance de la marque ne provoque aucune différence, alors la marque
s’apparente à une version générique du produit et la concurrence est essentiel-
lement fondée sur les prix.
♦ Deuxièmement, cette différence de réaction provient de la connaissance de la
marque par les consommateurs. On s’intéresse donc à l’ensemble des pensées,
sentiments, images, expériences, croyances qui lui sont associés. Les marques
doivent tenter de provoquer des associations mentales fortes, favorables et
spécifiques dans l’esprit des clients. Par exemple, sur le marché des cosméti-
ques vendus en grande surface, la dimension forte, spécifique et positive asso-
ciée à la marque L’Oréal est l’innovation.
♦ Troisièmement, la différence de réaction des consommateurs se traduit dans
leurs préférences et leurs comportements face à la marque.
Par conséquent, les responsables marketing qui tentent de construire des mar-
ques fortes doivent s’assurer que leurs clients vivent des expériences positives
avec leurs produits et services, et que leurs opérations marketing créent les asso-
ciations mentales souhaitées à propos de la marque.
Une marque forte présente en effet de nombreux intérêts (voir tableau 9.1) :
elle permet de fidéliser les consommateurs ; elle résiste mieux aux actions de la
concurrence ; elle représente un outil privilégié pour conquérir de nouveaux mar-
chés ; elle constitue un bon argument pour négocier le référencement des pro-
duits avec les distributeurs. Dans le même temps, une marque est un capital
fragile dont l’image peut être durablement affectée par des incohérences de ges-
tion, des rumeurs ou une crise sur les produits.

APPLE. Cette marque est aujourd’hui valorisée par les consommateurs de plusieurs géné-
rations et de nombreux pays. L’entreprise a réussi à créer un attachement exceptionnel et
une fidélité très élevée à sa marque en respectant l’engagement pris par le PDG, Steve
Jobs : « Créer des objets magnifiques qui changent la vie des gens. » De nombreux fans de
la marque la promeuvent sur le web et ailleurs : ainsi, dans un club branché de New York,
deux disc-jockeys organisent chaque mardi des « soirées DJ iPod open ». Mais l’entreprise
ne fonde pas tout son marketing sur les initiatives de ses clients : elle a consacré 293 mil-
lions de dollars à l’ouverture de 73 magasins dédiés, afin de favoriser une identité de mar-
que stimulante et de permettre aux clients de voir et de toucher les produits 17.

Certaines sociétés considèrent qu’une marque bien gérée a une durée de vie illimi-
tée, comme en témoigne la pérennité de noms tels que Gillette, Campbell Goodyear,
ST189.book Page 321 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 321

• Forte performance perçue des produits TABLEAU 9.1


• Forte fidélité des clients Les avantages
• Faible vulnérabilité aux opérations marketing des concurrents des marques fortes
• Faible vulnérabilité en situation de crise
• Marges accrues
• Faible diminution de la demande en cas de hausse des prix
• Forte augmentation de la demande en cas de baisse des prix
• Coopération avec les distributeurs
• Forte efficacité de la communication
• Possibilité d’accorder des licences
• Opportunités d’extension de marque

Colgate ou Coca-Cola, déjà leaders sur leurs marchés respectifs il y a plus de 80 ans.
Des sociétés comme Procter & Gamble, IBM, Sony ou Merrill Lynch ont su, au fil des
années, construire des marques particulièrement puissantes.
Certains analystes pensent que la marque constitue le capital suprême de l’entre-
prise. Les marchés boursiers réagissent en général positivement aux annonces des
entreprises à propos de leurs stratégies de marque, qu’il s’agisse de créations de
nouvelles marques, d’extensions de marque, de changements de nom et surtout
d’achats de marques existantes18. Cependant, il ne faut pas oublier que la marque
ne vaut que par ce qu’elle représente aux yeux des clients, et que la fidélité de com-
portement représente le véritable enjeu. À terme, c’est donc le capital client qu’il
faut privilégier, la marque n’étant qu’un moyen essentiel de le développer19.

a) L’évaluation du capital marque


Si l’on adopte la perspective du capital marque, tout argent consacré au produit ou
service constitue un investissement dans la marque. L’objectif réside dans sa noto-
riété, la manière dont elle est perçue et/ou les intentions d’achat qu’elle génère.
La stratégie de marque doit définir des objectifs a priori selon ces trois critères,
en précisant le type d’associations mentales souhaitées. Elle doit définir en consé-
quence les investissements à réaliser. Les montants en jeu ne sont pas le seul cri-
tère de succès. Au-delà d’un seuil minimal d’investissements, la qualité des
efforts consentis et de la politique marketing devient déterminante.
A posteriori, on mesure le capital marque à partir des mêmes indicateurs. Deux
grandes approches existent pour établir la valeur des marques20.
♦ L’approche individuelle s’intéresse directement à la manière dont les consomma-
teurs voient la marque. Elle mesure le capital marque à travers leurs perceptions
et l’impact que la connaissance de la marque a sur leurs comportements d’achat.
La valeur de la marque est d’autant plus forte que (1) un nombre important de
consommateurs la connaissent (notoriété) et s’en souviennent au moment du
choix (attention à la marque), et que (2) ces consommateurs ont en mémoire des
associations mentales à la marque fortes, nombreuses, spécifiques et positives.
Ces associations influenceront l’image de la marque, la manière dont les consom-
mateurs réagiront à son marketing, et la performance perçue des produits21. Cette
approche repose sur l’interrogation des clients concernant des éléments quan-
titatifs (notoriété, attention, nombre d’associations mentales), mais aussi qualita-
tifs (caractère plus ou moins positif des associations, spécificité par rapport aux
ST189.book Page 322 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

322 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

associations mentales à d’autres produits de la catégorie22). Elle constitue un


moyen de suivre la force de la marque auprès des clients. Elle est, par exemple,
utilisée lorsque l’on réalise un audit de la marque (voir encadré 9.3). Elle est éga-
lement à l’origine des modèles d’évaluation de la marque comme BAV, Brandz
ou celui de Aaker présentés plus loin.
♦ L’approche agrégée, quant à elle, repose sur une logique financière. On s’inté-
resse ici à la valeur de la marque pour l’entreprise en considérant qu’il s’agit
d’un actif financier. On peut utiliser des méthodes comptables d’évaluation
(fondées sur les coûts de construction de la marque) ou des méthodes financiè-
res (fondées sur la valeur boursière des entreprises ou sur la valeur actuelle
nette des flux financiers engendrés par la marque). On peut également recourir
aux jugements des dirigeants ou d’experts23.
Ainsi, le cabinet Interbrand évalue chaque année la valeur des plus grandes mar-
ques mondiales (voir tableau 9.2 et encadré 9.4) : en 2005, on trouve au premier rang
Coca-Cola, dont la marque est valorisée à 67 milliards de dollars, devant Microsoft et
IBM. La première marque européenne est Nokia (26 milliards), à la 6e place
mondiale. Quant aux marques françaises, la première est Louis Vuitton (16 milliards
de dollars ; 16e place mondiale), devant L’Oréal (6 milliards ; 52e place), Chanel

9.3 Pour approfondir

Réaliser un audit de marque et mettre en place un baromètre


Un audit de marque vise à analyser la perception de la aux associations de mots, aux méthodes projectives,
marque par les consommateurs et la cohérence entre à la visualisation et à la personnification de la marque
les produits, la politique marketing et l’identité de mar- évoquées dans le chapitre 4. En complément, une
que souhaitée. L’audit cherche à identifier les sources de enquête par questionnaire mesure la notoriété, la fré-
valeur associées à la marque pour les consommateurs et quence de certaines associations à la marque et les
pour l’entreprise. Il repose sur deux étapes : intentions d’achat.
♦ L’analyse de la politique marketing. Il s’agit d’analyser Ces analyses peuvent également être complétées
comment les produits et services sont commerciali- par des études en interne afin de déterminer comment
sés. On décortique les différents éléments constitutifs le personnel de l’entreprise perçoit l’image de la mar-
de la marque ; on examine la cohérence des produits que auprès de ses clients. Ce type d’études a une double
qu’elle recouvre ; on étudie l’ensemble des opéra- fonction : suggérer des idées pour l’avenir et mettre en
tions marketing réalisées, leur cohérence et leur com- évidence des incohérences entre les perceptions des
plémentarité. Afin d’avoir une vision complète, on différents acteurs de l’entreprise ou des écarts entre leur
établit des comparaisons avec les stratégies de perception du marché et la réalité.
marque et les politiques marketing des principaux Une fois l’audit réalisé, l’entreprise peut mettre en
concurrents. place un baromètre afin de suivre de manière régulière la
♦ L’exploration des perceptions des clients. Des études de perception de la marque. Ce baromètre repose sur un
marché permettent de comprendre la manière dont questionnaire administré régulièrement et à l’identique,
les clients perçoivent la marque et la catégorie de dans le but de déterminer comment la notoriété et
produits. Des entretiens en profondeur et des réu- l’image évoluent en fonction des opérations marketing
nions de groupe permettent d’identifier les associa- réalisées. Il constitue un outil de diagnostic sur la politi-
tions mentales à la marque, leur force, leur spécificité que marketing. Il permet de suivre l’évolution du capital
par rapport aux marques commercialisant le même marque et d’alerter les équipes lorsque des ajustements
type de produit, et leur caractère positif ou négatif. sont nécessaires. Mais il présente l’inconvénient de mesu-
On peut également avoir recours à l’ethnographie, rer l’impact des opérations à court terme seulement.
ST189.book Page 323 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 323

9.4 Pour approfondir

L’approche d’Interbrand pour calculer la valeur financière des marques


Pour la société Interbrand, la valeur financière d’une mar- prix ainsi que sa distribution, et résister à des atta-
que correspond à la valeur actuelle des profits et cash flows ques concurrentielles. Une marque leader est plus
que la marque générera dans le futur. Pour calculer cette stable et correspond à une valeur plus élevée.
valeur, il faut (1) identifier les gains qui peuvent strictement 2. La stabilité (15 %). Ce point concerne la capacité de
être attribués à la marque, et (2) les actualiser pour tenir la marque à survivre sur une longue période, en
compte de la date à laquelle ils surviendront. fonction de la fidélité de ses clients. On valorise ici
Les gains de la marque. les marques existant depuis longtemps et qui font
Interbrand considère que la rentabilité des marques partie du paysage économique.
n’est pas toujours liée à leur valeur. Cette rentabilité 3. Le marché (10 %). Cet élément fait référence à l’envi-
peut être liée au système de distribution ou aux carac- ronnement : taux de croissance, marché potentiel,
téristiques du produit, indépendamment de la marque volatilité de la clientèle, et barrières à l’entrée. Les
qu’il porte. Les gains de la marque sont calculés en marques qui exercent leur activité dans des secteurs
soustrayant du chiffre d’affaires un certain nombre comme l’alimentaire, les boissons ou l’édition ont
d’éléments : les coûts associés à la vente, les coûts mar- une valeur plus élevée que celles qui interviennent
keting, les frais généraux, les coûts fixes et variables, la dans les hautes technologies ou l’habillement, qui
rémunération du capital et les impôts. Parce que la sont plus vulnérables aux évolutions de la technolo-
valorisation peut être fortement affectée par le niveau gie ou de la mode.
de rentabilité d’une année donnée, Interbrand tient 4. La portée géographique (25 %). Il s’agit de la capacité
compte de la rentabilité des trois dernières années en de la marque à traverser les frontières géogra-
l’actualisant. phiques et culturelles. Les marques internationales
La force de la marque. sont davantage valorisées que les marques natio-
Pour ajuster ces gains, Interbrand réalise une analyse nales ou régionales, notamment à cause des écono-
approfondie de la force de la marque en étudiant son mies d’échelle.
positionnement, le marché sur lequel elle opère, la 5. La tendance (10 %). On étudie ici la capacité de
concurrence, sa performance passée, ses plans de dévelop- l’entreprise à rester moderne et pertinente pour les
pement et les risques qu’elle court. Interbrand administre consommateurs.
un questionnaire détaillé aux dirigeants de l’entreprise et à 6. Le soutien marketing (10 %). Cela correspond au
ses clients. Elle examine également le rapport annuel et montant des investissements en marketing et
d’autres documents écrits, et conduit des visites d’inspec- communication, ainsi qu’à la cohérence des actions
tion auprès des distributeurs et des détaillants. réalisées. Les marques qui ont fait l’objet d’investis-
La force de la marque provient des sept facteurs ci- sements importants et cohérents sont ici valorisées.
dessous auxquels sont associés des poids distincts. Le Le modèle ne tient pas seulement compte des mon-
résultat, connu comme le score de force de la marque, est tants dépensés mais également de la qualité des
exprimé en pourcentage, puis converti en coefficient choix réalisés.
multiplicateur des gains de la marque. Ces coefficients 7. La protection (5 %). Cet élément fait référence aux titres
multiplicateurs sont comparés aux taux d’actualisation légaux dont la marque est propriétaire. Une marque
habituellement utilisés en finance et aux taux d’intérêt. déposée est par définition en monopole sur son nom.
Ainsi, une marque que l’on pourrait considérer comme Le modèle tient également compte d’autres protec-
parfaite, avec un score de force de 100 aurait un taux tions comme celle du logo ou des brevets.
d’actualisation de 5 %, ce qui correspond classiquement à
un retour sur investissement peu risqué ; une marque plus Sources : Jean-Noël Kapferer, Les marques, capital de l’entreprise :
faible avec un multiplicateur plus bas correspond à un taux créer et développer des marques fortes, 3e édition (Paris : Éditions
d’actualisation reflétant un risque plus élevé. d’Organisation, 2001) ; Michael Birkin, « Assessing Brand Value »,
Brand Power, éd. Paul Sobart (New York University Press, 1994) ;
La formule de calcul de la force de la marque (poids). John Murphy, Brand Valuation (London : Hutchinson Business
Books, 1989) ; Noel Penrose et Martin Moorhouse, « The Valuation of
1. Le leadership (25 %). Il s’agit de la capacité de la mar-
Brands », Trademark World, vol. 17, février 1989 ; Tom Blackett, « The
que à influencer son marché et à le dominer à travers Role of Brand Valuation in Marketing Strategy », Marketing Research
une forte part de marché. Elle peut alors contrôler ses Today, vol. 17, n° 4, novembre 1989, p. 245-248.
ST189.book Page 324 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

324 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

TABLEAU 9.2 Valeur de la marque en 2005 Évolution


Marque
(milliards de dollars) par rapport à 2004
Le classement
Interbrand des 1 Coca-Cola 67,5 0%
marques mondiales 2 Microsoft 59,9 –2%
en 2005 3 IBM 43,4 –1%
4 General Electric 50,0 +7%
5 Intel 35,6 +6%
6 Nokia 26,5 + 10 %
7 Disney 26,4 –2%
8 McDonald’s 26,0 +4%
9 Toyota 24,8 + 10 %
10 Marlboro 21,2 –4%

(4,8 milliards ; 65e place), Danone (4,5 milliards ; 67e place) et Hermès (3,5 milliards ;
82e place)24. Pour ces entreprises, la valeur estimée de la marque représente sou-
vent plus de la moitié de la valeur boursière totale.

b) Quelques modèles d’évaluation du capital marque


Il existe plusieurs modèles d’évaluation qui mettent l’accent sur différents
aspects du concept de capital marque. Nous présentons quatre d’entre eux, parmi
les plus reconnus.
♦ Le modèle « Brand Asset Valuator » (BAV) de l’agence de publicité Young &
Rubicam. À partir d’études de marché réalisées auprès de quelque 200 000
consommateurs dans 40 pays, le modèle BAV propose des mesures compara-
tives du capital marque sur plusieurs milliers de marques dans plusieurs cen-
taines de catégories de produits. Cette mesure est fondée sur quatre
éléments : (1) la différenciation évalue dans quelle mesure la marque est per-
çue comme différente des autres ; (2) la pertinence mesure son degré d’attrac-
tivité ; (3) l’estime établit si la marque est respectée et reconnue ; (4) la
connaissance évalue le degré de familiarité et d’intimité des consommateurs
avec elle. La différenciation et la pertinence déterminent la force de la mar-
que, essentielle pour son potentiel de développement. L’estime et la connais-
sance constituent la stature de la marque, qui reflète davantage sa
performance passée. Ces deux dimensions, représentées dans la figure 9.1,
permettent d’évaluer la force passée et le potentiel futur de la marque. Les
marques naissantes sont faibles sur les quatre dimensions. Les marques
récentes qui ont réussi à se développer sont souvent différenciées et pertinen-
tes, tandis que l’estime et la connaissance se situent souvent à des niveaux fai-
bles. Les marques leaders sont performantes sur les quatre axes. Enfin, les
marques en déclin correspondent à un haut niveau de connaissance (une
preuve de leur performance passée), un niveau d’estime moyen et un niveau
de pertinence et de différenciation faible.
♦ Le modèle de Aaker. Pour David Aaker, le capital marque résulte de cinq fac-
teurs qui augmentent ou diminuent la valeur attribuée aux produits et services
par l’entreprise et ses clients : (1) la fidélité à la marque, (2) la notoriété, (3) la
qualité perçue, (4) les associations mentales à la marque, (5) d’autres actifs tels
que les brevets et les relations avec la distribution25.
ST189.book Page 325 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 325

Marque récente Marque leader FIGURE 9.1


en développement La grille d’analyse
BAV
(Différenciation et Pertinence)
Force de la marque

D P E C
D P E C

D P E C

D P E C

D P E C
Nouvelle marque Marque en déclin

Stature de la marque
(Estime et Connaissance)

Dans ce modèle, un élément essentiel de construction du capital marque est


l’identité de la marque, c'est-à-dire l’ensemble des associations mentales qui cor-
respondent à ce qu’elle représente dans l’esprit des clients. L’identité de la mar-
que repose sur douze dimensions organisées autour de quatre grands axes :
(1) la marque comme produit (fonctions remplies par le produit, attributs, rap-
port qualité/prix, usages, utilisateurs, pays d’origine) ; (2) la marque comme
organisation (caractéristiques de l’organisation, dimension locale ou globale) ;
(3) la marque comme personne (personnalité, relations entre la marque et les
clients) ; et (4) la marque comme symbole (imagerie visuelle, héritage).
Au sein de l’identité de la marque, on distingue le noyau central et les éléments
périphériques26. Le noyau central est perçu comme indissociable de la marque
par une majorité de consommateurs. Il évolue de manière très lente, quelles que
soient les extensions de la marque dans de nouvelles catégories de produits et
ses implantations sur de nouveaux marchés géographiques. C’est pourquoi
lorsqu’une entreprise décide de procéder à une extension de marque, il est
important qu’elle vérifie que les caractéristiques du nouveau produit sont cohé-
rentes avec le noyau central, de manière à maintenir une logique dans son offre.
Cette condition est nécessaire au succès de l’extension. À l’inverse, les éléments
périphériques de l’identité peuvent évoluer plus rapidement en fonction des nou-
veaux produits et des nouveaux marchés couverts par la marque.
♦ Le modèle Brandz. Ce modèle, qui a été développé par des consultants en
marketing, s’appuie sur une pyramide décrivant la dynamique de la marque.
La construction de la relation entre un consommateur et une marque repose
sur plusieurs étapes séquentielles : la présence à l’esprit (Est-ce que je connais
la marque ?), la pertinence (A-t-elle quelque chose à m’offrir ?), la performance
(Est-ce que je pense qu’elle est à la hauteur de ses promesses ?), l’avantage
(Offre-t-elle quelque chose de mieux que les autres ?), le lien (Aucune autre
ST189.book Page 326 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

326 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

marque ne l’égale). Les clients qui ont établi un véritable lien avec la marque,
en haut de la pyramide, dépensent davantage, sont réticents à changer de mar-
que et se caractérisent par une fidélité élevée. Cependant le nombre de con-
sommateurs en bas de la pyramide est évidemment plus élevé. Le rôle du
marketing est alors de développer des plans d’action incitant les clients à mon-
ter dans cette pyramide.
♦ La résonance de la marque. Le modèle de résonance appréhende également la
construction de la marque comme une série d’étapes séquentielles, de haut en
bas : (1) s’assurer que la marque est identifiée par les consommateurs et asso-
ciée à une catégorie de produits ou de besoins spécifiques ; (2) établir la signi-
fication de la marque grâce à des associations tangibles et intangibles ;
(3) obtenir des clients les réponses souhaitées en termes de jugements et de
sentiments à l’égard de la marque ; (4) transformer cette réponse en relations
commerciales effectives, à travers des comportements d’achat et de réachat.
Ces quatre étapes reposent sur six éléments représentés dans la figure 9.2.
Apparaît ici la dualité des marques entre la route rationnelle, représentée à
gauche de la pyramide, et la route plus affective, à droite27.

MASTERCARD. Cette marque constitue un bon exemple de dualité puisque son identité
met à la fois l’accent sur les aspects rationnels, à travers son acceptation par un grand nom-
bre de commerces dans le monde et la sécurité des transactions, ainsi que sur la dimension
affective, à travers la campagne de publicité « priceless » : celle-ci montre des gens réali-
sant des achats dans le cadre d’un objectif ou d’un sentiment essentiel (l’amour, le besoin
d’accomplissement…), avec le slogan « Il y a certaines choses qui ne s’achètent pas. Pour
tout le reste, il y a Mastercard ».

FIGURE 9.2
La pyramide de
résonance de la
Fidélité intense
marque 4. Relation
et active
Résonance

Réactions
3. Réponse Jugement Affect positives

Associations
mentales fortes,
2. Signification Performance Imaginaire
favorables
et spécifiques

Notoriété
1. Identification Saillance et attention
fortes
ST189.book Page 327 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 327

La construction du capital marque est réussie lorsque les différentes compo-


santes ont été mises en place. On peut l’évaluer à travers les outils suivants :
♦ La saillance de la marque correspond à la fréquence avec laquelle elle est évo-
quée dans différentes situations d’achat ou de consommation.
♦ Sa performance évalue la manière dont les produits et services répondent aux
besoins fonctionnels des clients.
♦ L’imagerie relève des propriétés extrinsèques du produit et de la manière dont
elle répond aux besoins psychologiques et sociaux des clients.
♦ Les jugements sur la marque sont les opinions et les évaluations faites par les
clients.
♦ L’affect correspond aux réactions affectives des clients à l’égard de la mar-
que.
♦ Enfin, la résonance reflète la nature de la relation établie entre la marque et
ses clients, ainsi que la proximité qu’ils perçoivent avec elle. Parmi les mar-
ques ayant réussi à développer une véritable résonance, on peut citer Harley-
Davidson ou Apple, dont certains clients sont de véritables fans qui font
office d’ambassadeurs auprès du marché.

2. Construire le capital marque


Le capital marque se construit à partir de toutes les interactions entre la marque
et les clients, qu’elles soient ou non initiées par l’entreprise. Les responsables
marketing, pour leur part, ont à leur disposition trois types d’outils : les compo-
santes de la marque et son identité visuelle (noms, logos, symboles, personnages,
slogans, emballages, etc.), les produits et les opérations marketing, ainsi que les
associations de la marque avec d’autres entités. Par exemple, BMW a utilisé les
films de James Bond pour renforcer l’image de luxe et de performance associée à
ses produits.

2.1. Les composantes de la marque


Une marque correspond à un nom (Marie, par exemple), un logo (pour Marie,
une écriture manuelle en noir avec un point rouge, soulignée de deux traits
rouges), des couleurs (variables pour Marie, vert pour Fructis), une signature
(« Marie, contentez-vous d’être exigeants »), parfois un symbole (le personnage
de Marie ou le lapin Quicky chez Nesquik).

TWININGS. Le nom complet, « Twinings of London », met en évidence l’origine britanni-


que de cette marque de thé, numéro 2 en France avec une part de marché de 25 %. Il
affirme le positionnement : Twinings, c’est le thé anglais par excellence. Le logo sobre évo-
que la tradition et le classicisme. En 2006, la marque a célébré son 300 e anniversaire et
modifié son logo pour rappeler son ancienneté et son statut de fournisseur de la cour
d’Angleterre.

Pour établir la pertinence des composantes de la marque, il convient de déter-


miner la manière dont elles seraient perçues par les consommateurs s’ils ne
voyaient qu’elles, sans connaître la marque. On peut, par exemple, les interroger
sur les associations mentales avec le logo ou la signature afin de voir si elles cor-
respondent à l’identité de marque souhaitée.
ST189.book Page 328 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

328 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

Source illustration : fructis-style.garnier.ca/fr/products.asp.

Au-delà de la pertinence, le choix de ces composantes repose sur six critères :


– La facilité de mémorisation : cette composante est-elle facilement mémorisée et
reconnue ? Ce critère met en avant les noms courts et simples comme Omo,
Bic ou Kiri.
– La signification : que suggère cette composante sur les produits ? Est-elle crédible
et cohérente avec la catégorie de produits ? Par exemple : les noms Espace,
Mr. Propre ou Pierrot Gourmand ; le swoosh de Nike évocateur de vitesse.
– L’attrait : la composante est-elle attrayante au plan esthétique ? Les consom-
mateurs la jugeront-ils positivement ?
– La transférabilité : la composante sera-t-elle utilisable pour lancer ultérieure-
ment de nouveaux produits dans d’autres catégories, auprès d’autres seg-
ments de clientèle ou d’autres marchés géographiques ?
– La capacité d’adaptation : les composantes sont-elles intemporelles ? Pourra-t-
on aisément les moderniser à l’avenir ? Par exemple, l’écureuil de la Caisse
d’Épargne a été stylisé et modernisé.
– La capacité de protection juridique : un dépôt est-il possible ? Un nom et un logo
sont déposés juridiquement et donc difficilement copiables ; un son est
moins protégé. Ainsi, Harley-Davidson a accusé certaines marques de motos
japonaises de copier le bruit de ses moteurs, et a cherché à déposer ce bruit
par un brevet.
Pour choisir un nom de marque, la plupart des entreprises commencent en
général par établir une liste de noms possibles, avant de faire un premier tri. Puis,
elles en testent quelques uns auprès des clients et font leur choix. Toutefois, elles
ont de plus en plus recours à des sociétés spécialisées dans la recherche et le test
de noms (voir encadré 9.5). Les méthodes les plus fréquemment utilisées pour
évaluer les noms de marque envisagés sont les tests d’association (Quelles images
viennent à l’esprit ?), les tests d’élocution (La prononciation est-elle aisée ?), les
tests de mémorisation (Est-il facile de se souvenir du nom ?), et les tests de préférence
(Quels noms sont préférés ?)28.
ST189.book Page 329 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 329

9.5 Pour approfondir

La création de noms
Y a-t-il un point commun entre Kangoo, la voiture, Ola, nom envisagé n’est pas déjà déposé ! Renault a ainsi
le téléphone et Natexis, le groupe bancaire ? Oui, toutes découvert qu’on ne pouvait pas utiliser le mot Clio au
ces appellations ont été trouvées par des agences spé- Japon et a dû rebaptiser sa voiture Lutecia. De même, la
cialisées en création de noms. banque Natexis devait au départ s’appeler Natexa, mais
En France, l’INPI (Institut national de la propriété l’existence en France d’une société Texa dans le même
industrielle), qui recense tous les noms protégés, a vu le secteur d’activité l’a obligée à changer la terminaison. Le
nombre de dépôts multipliés par neuf en quinze ans processus de vérification est devenu d’autant plus ardu
(75 000 noms aujourd’hui). Dans le monde, on estime le que dans certains secteurs, pratiquement tous les noms
nombre de noms protégés à plus de huit millions. ont déjà été déposés (par exemple, toutes les variantes de
la racine « nutri » en cosmétique). Pour se protéger, certai-
De fait, quel que soit le secteur, le nom est désormais
nes sociétés déposent à l’avance des centaines de noms
considéré comme un atout stratégique. Les entreprises
qu’elles pourront n’utiliser que bien plus tard (par exem-
de tous les secteurs font aujourd’hui appel à des agen-
ple, Mégane, déposé par Renault dès 1987).
ces spécialisées dans la recherche de noms. Saunier-
Duval, ELM Leblanc et Chaffoteaux & Maury, trois des À la mode des noms courts et des sigles, a succédé la
leaders sur le marché des chaudières, ont ainsi baptisé vague des noms symboliques, à fort contenu évocateur.
respectivement leur gamme Opalia, Melia et Elexia. De Ainsi, selon l’agence Nomen, le recours à la lettre « x »
même, la Compagnie générale des eaux a été rebapti- (comme dans Dexia ou Natexis) évoque le sérieux et la
sée Vivendi. Sélectionné par Nomen, l’une des grandes solidité, tandis que l’usage des « o » et des « a » (comme
agences spécialisées (avec Insight, Gimca, Kaos...), parmi dans Twingo, Kangoo ou le parfum Sotto Voce) suggère
5 400 noms, le mot Vivendi a été choisi car il évoque, rondeur et féminité.
selon le président du groupe de l’époque, « l’esprit
d’ouverture » qui caractérise désormais l’entreprise, et Sources : « Profession : inventeurs de noms », L’Expansion, 5 mars
est facile à prononcer de par le monde, exempt de tout 1998, p. 82 ; « Pour exister sur des marchés mondiaux, chacun cher-
che son nom », Le Monde, 3 mars 1998, p. 18 ; « Vivendi : un change-
piège de traduction.
ment d’identité à 400 millions », La Tribune, 6 avril 1998, p. 12. Voir
La recherche d’un nom, qui peut coûter de quelques aussi Pierre et Muriel Bessis, Name Appeal : créez des noms qui mar-
dizaines à quelques centaines de milliers d’euros, est un quent (Paris : Village Mondial, 2001) ; Marcel Botton et Jean-Jack
Cégarra, Le nom de marque (McGraw-Hill, 1990) ; Scott Ward, Larry
processus assez long, qui dure souvent plusieurs mois. Light et Jonathan Goldstine, « What High-tech Managers Need to
Outre les contraintes imposées par l’élocution et la know about Brands », Harvard Business Review, juillet-août 1999,
mémorisation internationales, il faut aussi vérifier que le p. 85-95.

Mais le nom de marque n’est pas le seul élément important. Le logo constitue
lui aussi un signe d’identification essentiel29.

REEBOK. À l’instar de Nike et de son « swoosh »,


d’Adidas et de ses trois bandes, Reebok a opté en
2003 pour un logo appelé la « gazelle » évoquant
deux bandes traversées par une flèche. Il apparaît
désormais sur toutes les campagnes de publicité. Source illustration : Reebok

La signature est une petite phrase qui accompagne en permanence le nom.


Pour Le Bon Marché, par exemple, la signature « Rive Gauche » affirme à la
fois la localisation et le positionnement haut de gamme du magasin. Les
signatures peuvent ainsi jouer un rôle clé pour communiquer les valeurs de la
marque.
ST189.book Page 330 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

330 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

JET TOURS. Afin d’affirmer son haut niveau d’exigence et montrer qu’il comprend les pré-
occupations des clients, le voyagiste adopte en 2001 la signature « Spécialiste en vacances
réussies ». La première campagne intégrant cette petite phrase explicite le message avec le
slogan : « On peut tout rater mais pas ses vacances ». Par la suite, cet axe continue de cons-
tituer le cœur de la promesse de la marque, avec le lancement en 2003 des « Garanties
Vacances Réussies », une charte de onze engagements auprès des clients. En 2005, une
nouvelle signature, « Vous avez choisi de réussir vos vacances », est adoptée et accompa-
gnée de visuels évoquant le zen et la sérénité. Il s’agit de maintenir la promesse de la mar-
que tout en la positionnant dans un univers plus haut de gamme. Le logo est alors changé :
à la place du fanion rouge et jaune avec un soleil stylisé, apparaît un ruban, symbole du
cadeau préparé avec soin et bien « fini » 30.

Les composantes de la marque jouent plusieurs rôles. Elles sont le fondement


de la notoriété et de la reconnaissance des produits. Dès que ceux-ci sont achetés
en libre-service, les composantes permettent aux clients de les repérer à distance.
Elles doivent également attirer l’œil et donner envie d’acheter. Lorsque les clients
se renseignent peu sur les produits et lisent peu leurs descriptifs, les composantes
doivent mettre en évidence leurs principaux attributs ainsi que la personnalité et
les valeurs de la marque afin que le consommateur se fasse rapidement une idée
de la promesse à laquelle elle est associée.

2.2. Les outils marketing permettant


de construire le capital marque
On croit souvent que la publicité constitue le levier d’action privilégié pour cons-
truire et gérer les marques. C’est vrai, mais seulement dans une certaine mesure.
Les clients ont de nombreuses occasions d’entrer en contact avec la marque : bou-
che-à-oreille, rencontre avec le personnel de l’entreprise et ses distributeurs, articles
de presse, salons professionnels, Internet, etc. Toutes ces expériences peuvent être
positives ou négatives. L’entreprise doit les imaginer et les gérer avec autant de
soin qu’elle le fait pour les publicités31.
Les stratégies et les tactiques employées en marketing ont profondément
changé au cours des dernières années32. Les leviers d’action permettant de cons-
truire une identité de marque se sont diversifiés et intègrent désormais les clubs
de consommateurs, les salons, l’organisation d’événements, le parrainage, les
visites d’usines, le marketing relationnel...

CHUPA CHUPS. Qui pense que les sucettes sont réservées aux enfants ? Pas la marque espa-
gnole, dont la stratégie vise depuis trente ans à élargir la clientèle du produit ! Pour cela, elle a
misé sur le placement des produits dans toutes sortes d’occasions, sur des idées marketing
novatrices et sur un réseau de boutiques exclusivement consacrées à la marque. Une task force
interne appelée 4C (pour Chupa Chups Corporate Communications) est chargée d’accroître la
notoriété et la présence de la marque chez les jeunes et les adolescents s’intéressant à la mode.
Lorsqu’elle a appris que l’entraîneur de l’équipe de football de Barcelone essayait d’arrêter de
fumer, l’équipe 4C lui a envoyé une boîte de Chupa Chups ; pendant le reste de la saison, on le
vit sur le banc de touche avec une sucette à la bouche. Les ventes en Catalogne ont doublé cette
année-là ! Le leader mondial des sucettes est également présent dans toutes sortes d’événe-
ments et de festivals, comme la Mostra de Venise. Elton John, Giorgio Armani, Magic Johnson,
David Beckham et Naomi Campbell ont été vus en train de déguster une sucette. En 1995, la
marque a même expédié des produits dans l’espace avec les astronautes russes de la station
Mir. Les adolescents sont également séduits par les vêtements, lunettes ou casques de moto à
l’effigie de la marque. Cependant, depuis 2002, Chupa Chups s’est quelque peu recentrée sur la
ST189.book Page 331 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 331

clientèle des enfants après une chute de ses ventes, des investissements de diversification
hasardeux et un succès mitigé sur les marchés émergents comme la Chine. Elle a lancé Cre-
mosa, « première sucette crémeuse et sans sucre » de seulement 27 calories, afin de répondre à
une attente de produits de confiserie peu caloriques pour enfants… et adultes 33.

Source illustration : www.chupachupsgroup.com.

Quels que soient les outils ou les approches marketing employés, la construc-
tion d’une identité de marque tourne en général autour de trois axes : la person-
nalisation, l’intégration entre les différents leviers d’action, et la sensibilisation
interne sur les valeurs de la marque. Tous les outils évoqués dans cet ouvrage,
qu’ils relèvent du marketing-mix ou d’autres éléments, contribuent à la construc-
tion du capital marque.

a) La personnalisation
Le rapide développement d’Internet a ouvert la voie au marketing personnalisé.
Aujourd’hui, les entreprises abandonnent de plus en plus le marketing de masse,
tel qu’il régnait dans les années 1950, 1960 et 1970, pour revenir à des pratiques
beaucoup plus anciennes, lorsque les marchands connaissaient leurs clients par
leurs noms. Afin de répondre au désir croissant des clients d’avoir une offre per-
sonnalisée, les entreprises adoptent des concepts comme le marketing expérien-
tiel ou le marketing « one to one ». Nous avons déjà évoqué ces évolutions dans le
chapitre 5. Du point de vue des stratégies de marque, ces concepts aboutissent à
la création d’une relation active et intense entre la marque et ses clients. Le mar-
keting personnalisé vise donc à construire la marque la plus pertinente possible
pour ses clients, même s’ils sont différents les uns des autres.

b) L’intégration entre les différents leviers d’action marketing


Le marketing intégré consiste à associer les différents leviers d’action afin de maximi-
ser leurs effets individuels et conjoints. Ce souci d’intégration est particulièrement
important en matière de communication. Tous les outils de communication envisa-
geables (publicité, promotions, relations publiques, marketing direct, parrainage,
ST189.book Page 332 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

332 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

organisation d’événements et communication interne) doivent être évalués en fonc-


tion de leur capacité à nourrir le capital marque, c’est-à-dire de leur efficacité et de
leur efficience pour construire et renforcer la notoriété et l’image de la marque.
La notoriété de la marque mesure la tendance des clients à citer la marque dans différentes
conditions, soit de manière spontanée lorsqu’on énonce la catégorie de produits (notoriété
spontanée), soit de manière assistée lorsqu’on leur demande s’ils connaissent le nom d’une
marque que l’on mentionne (notoriété assistée).
L’image de la marque est l’ensemble des perceptions et des croyances des consommateurs à
propos de la marque, telles qu’elles apparaissent dans les associations mentales stockées en
mémoire.
Dans le chapitre 18, nous verrons que les divers moyens de communication
présentent différents types d’avantages et permettent d’atteindre des objectifs
distincts. C’est pourquoi les responsables marketing doivent recourir à plusieurs
outils complémentaires qui jouent un rôle différent dans la construction ou le
maintien du capital marque. L’objectif est que la combinaison de ces éléments
renforce l’efficacité de l’ensemble au-delà de la simple somme des effets de cha-
que opération : le tout doit excéder la somme des parties qui composent le plan
de communication et le plan marketing.

MICHELIN. Pour renforcer son capital marque, l’entreprise investit dans la R&D, fait de la
publicité et organise des opérations de promotion à l’attention des garagistes. Elle conçoit
également des pneus utilisés sur les circuits de Formule 1 afin d’accroître sa crédibilité
technique et d’associer son image aux valeurs de performance, de modernité et de sécurité.

c) La sensibilisation en interne
Pour fournir une prestation à la hauteur de ses engagements, la marque doit éga-
lement tenir compte de la sensibilisation à faire en interne. Parce que l’image de
la marque dépend de l’expérience vécue par les clients dans chacun de leurs
contacts avec elle, il faut que le personnel de l’entreprise comprenne et respecte la
promesse de la marque, de manière à éviter toute distorsion entre le discours
publicitaire et la réalité. L’ensemble du personnel doit adhérer aux valeurs de la
marque et chercher à les faire vivre lors des contacts avec les clients.
Trop d’entreprises négligent la dimension interne de construction de la
marque34. À l’inverse, quelques entreprises mettent en place des formations inter-
nes sur l’identité de la marque et adoptent une organisation conforme à leur
approche du marché. Certaines ont développé des programmes b-to-e (business-
to-employee) fondés sur des systèmes Intranet afin de favoriser un dialogue per-
manent sur la marque avec le personnel. D’autres confient cette tâche à une
personne chargée de suivre l’expérience des clients avec la marque.

HEWLETT-PACKARD. Un cadre dirigeant est en charge de l’expérience client au sein de cha-


que division. Sous l’autorité directe du président de la division, il analyse, mesure et amé-
liore la manière dont les clients utilisent les produits de la marque.

Cette dimension interne est encore plus importante dans les activités de ser-
vice pour lesquelles les échanges entre les clients et le personnel en contact cons-
tituent un élément-clé de l’offre. De manière plus générale, les méthodes de
construction de la marque varient selon les secteurs d’activité, et l’on ne peut
donc pas appliquer dans toutes les entreprises les méthodes qui sont nées dans la
grande consommation (voir encadré 9.6).
ST189.book Page 333 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 333

9.6 Pour approfondir

Construire une marque hors de la grande consommation


La théorie de la marque a été fortement inspirée par les ♦ élaborer un plan complet de construction de la mar-
méthodes appliquées aux biens de grande consomma- que afin que le client vive une expérience positive à
tion : différencier le produit à partir d’attributs fonctionnels chaque moment de contact (téléphone, e-mail,
ou d’associations symboliques ; investir massivement en contact en face-à-face) ;
publicité en espérant stimuler la notoriété, l’essai, l’adop- ♦ définir l’essence de la marque, à fournir quel que soit
tion et la fidélité à la marque. le lieu d’achat ;
Heidi et Don Schultz suggèrent que ce modèle de ♦ utiliser l’identité de marque comme vecteur de la
construction de la marque est de moins en moins perti- stratégie de l’entreprise, des services offerts et du
nent, en particulier dans les activités high-tech et busi- développement de nouveaux produits ;
ness-to-business, dans les secteurs financiers et les
♦ mesurer l’efficacité de la construction de la marque,
services. Ils proposent d’autres méthodes pour cons-
non pas en recourant aux méthodes classiques de
truire des marques puissantes :
mesure de l’efficacité publicitaire (notoriété, recon-
♦ définir les valeurs de l’entreprise et construire une naissance et attribution), mais en mettant en place
marque corporate, correspondant au nom de l’entre- des indicateurs plus complets, tels que la valeur per-
prise : des sociétés comme Sony, Hewlett-Packard et çue par le client, la satisfaction, la part dans le panier
American Express ont des marques corporate fortes d’achat, le réachat et le bouche-à-oreille.
qui transmettent à leurs produits et services une
image de qualité et de valeur ;
♦ confier la stratégie de marque aux plus hauts niveaux
hiérarchiques de l’entreprise et ne déléguer aux chefs Source : Heidi et Don Schultz, « Why the Sock Puppet got Sacked »,
de produit que les choix tactiques ; Marketing Management, juillet-août 2001, p. 34-39.

2.3. L’association avec d’autres entités


Le troisième et dernier moyen de construire le capital marque est de « l’emprun-
ter ». Cela signifie que l’on associe la marque avec d’autres entités qui ont leur
propre image, afin de créer des associations mentales secondaires à la marque.
Autrement dit, on construit l’identité de la marque en l’associant avec d’autres
informations présentes dans la mémoire des consommateurs (voir figure 9.3).
LAGERFELD CHEZ H&M. H&M a distribué une ligne de vêtements conçue par le couturier
de Chanel, Karl Lagerfeld. Une telle opération renforce l’image mode de la chaîne de maga-
sins, tout en attirant une clientèle plus snob que sa clientèle habituelle. Résultat : raz de
marée le premier jour avec épuisement des stocks en quelques heures.

La marque peut être associée à plusieurs types d’entités : l’entreprise par le


biais des stratégies de marque (« Fjord de Danone » ou « iPod d’Apple », par
exemple, soulignent l’appartenance à une marque ombrelle corporate) ; des pays
ou des régions à travers l’identification de l’origine du produit, comme « Twi-
nings of London » évoqué plus haut ou Krisprolls qui fait figurer le drapeau sué-
dois sur son paquet ; ou encore des réseaux de distribution. Lorsqu’une marque
distribuée en circuit sélectif étend son réseau à une nouvelle enseigne ou une
nouvelle formule de vente, son image est modifiée sous l’influence de celle du
réseau concerné (et réciproquement)35.
La marque peut également être associée à d’autres marques à travers le co-
branding (voir chapitre 12), à des personnages grâce à des stratégies de licences
ST189.book Page 334 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

334 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

FIGURE 9.3 Ingrédients Entreprise


Les sources
Alliances Extensions
secondaires
d’information
sur la marque
Autres
marques
Employés Pays d'origine

Personnel MARQUE Lieux

Réseaux
Portes-parole
de distribution
Autres

Événements Causes

(personnages Disney sur des paquets de céréales), à des porte-parole ambassa-


deurs de la marque (stars apparaissant dans la publicité ou dans des événements,
comme Claudia Schiffer pour Citroën ou Pierce Brosnan pour les montres
Omega), à des événements culturels et sportifs (à travers des opérations de par-
rainage), etc. Une marque de sport comme Quicksilver peut ainsi faire évoluer
son image en insistant sur son origine australienne, en ayant recours à un porte-
parole champion de surf, en parrainant des championnats de surf locaux, ou
d’autres sports s’il souhaite modifier son image, en se faisant distribuer dans des
chaînes indépendantes à l’image spécifique…

3. La gestion des marques


La gestion des marques exige d’adopter une vision de long terme. Parce que la
réaction des clients aux opérations marketing dépend de ce qu’ils savent sur la
marque, les actions marketing de court terme affectent le succès des actions futu-
res. Il convient donc d’adopter des stratégies proactives qui permettront de
mieux faire face aux évolutions de l’environnement ainsi qu’aux changements
d’objectifs internes et de politiques marketing.

3.1. Renforcer une marque


La marque doit être gérée avec soin pour éviter que son capital ne se déprécie. De
nombreuses marques leaders il y a vingt ans le sont toujours aujourd’hui : Coca-
Cola, Pampers, Danone, Sony… Cependant, cela suppose d’améliorer en perma-
nence les produits, les services, et la politique marketing.
Pour maintenir la valeur d’une marque, il convient de suivre en permanence
ce qu’elle représente dans l’esprit des clients, quels bénéfices elle leur offre, quels
besoins elle satisfait et en quoi sa présence modifie leur perception des produits.
ST189.book Page 335 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 335

Renforcer le capital marque exige de lancer régulièrement de nouveaux produits


et de renouveler les programmes marketing. Il ne faut jamais s’endormir sur ses
lauriers, sous peine de voir son image vieillir. La marque Levi Strauss, par exemple,
a perdu du terrain en ne renouvelant pas suffisamment sa vision du marché et ses
produits, jusqu’au début des années 2000 où elle a mis en place un suivi des mar-
chés de la mode et développé la gamme LEJ s’adressant aux jeunes urbains et bran-
chés.
Le renouvellement des opérations marketing ne signifie pas qu’il faut changer
radicalement d’orientation. Les politiques marketing relatives à la marque doivent
rester cohérentes au cours du temps et s’inscrire dans une stratégie de marque
homogène. S’il n’y a pas de changement majeur dans l’environnement marketing,
il n’est pas nécessaire de s’écarter du positionnement et de l’identité de la marque
tels qu’ils ont été définis en amont.

VOLVO. Afin d’élargir son audience, Volvo a modifié sa stratégie de marque au cours des
années 1990, abandonnant son positionnement historique autour de la sécurité pour mettre
en avant le plaisir de conduire, la rapidité et la performance. Rachetée par Ford en 1999, la
société a abandonné les campagnes publicitaires autour de la ReVOLVOlution pour reve-
nir à ses racines. Cependant le positionnement fut modernisé autour de la « sécurité
active » pour transcender l’image antérieure de sécurité passive. Les nouveaux véhicules
commercialisés intègrent de nombreux équipements de sécurité tout en se caractérisant
par un design moderne, une grande performance et un certain luxe 36.

La gestion des marques suppose de faire un arbitrage entre les activités marke-
ting qui renforcent la marque et la construisent pour l’avenir, et celles qui renta-
bilisent les investissements passés37. Il peut arriver qu’une démarche continue de
rentabilisation diminue la notoriété et affaiblisse l’image.

3.2. Revitaliser une marque


Quel que soit le positionnement initial d’une marque, plusieurs facteurs peuvent
le remettre en cause comme : un concurrent qui a lancé avec succès une marque
semblable, destinée au même segment ; les préférences des consommateurs qui
ont évolué d’une façon défavorable à la marque ; ou encore une crise qui marque
les esprits (encadré 9.7)38. Cependant, de nombreuses marques en perte de vitesse
ont réussi à reconquérir le marché. Un exemple de repositionnement réussi est la
stratégie adoptée par Mixa.

MIXA. Lancé au moment du baby-boom, le shampooing commença à connaître des diffi-


cultés lorsque le rythme des naissances se ralentit. La marque fut alors repositionnée
auprès des mères en s’appuyant sur l’argument de la douceur, avec le slogan « Si c’est bon
pour mon bébé, c’est aussi bon pour moi ». La promesse de douceur s’étant progressive-
ment banalisée dans la catégorie des shampooings, la société L’Oréal décida de faire évo-
luer la marque vers le marché des produits de soin pour le corps, en fort développement.
Trois nouveaux produits Mixa Soin Intensif Peaux Sèches furent introduits : un stick pour
les lèvres, une crème pour les mains et un lait pour le corps. Une grande campagne publi-
promotionnelle mettait en scène Estelle Hallyday et un enfant, maintenant ainsi l’univers
d’origine de la marque. En un an, la marque obtint un grand succès, devenant même la
deuxième du marché derrière Nivea pour les laits corporels.
ST189.book Page 336 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

336 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

9.7 Pour approfondir

Quand la marque traverse une crise


En février 1994, Perrier se voyait contraint d’arrêter sa gestion de crise sont également essentielles. Lorsque la
production et de rappeler toutes les bouteilles disponi- Mercedes Classe A est sortie de route lors de tests réali-
bles aux États-Unis après la découverte de traces de ben- sés par des journalistes, l’entreprise a immédiatement
zène, un produit cancérigène, dans certaines bouteilles. réagi en retirant toutes les voitures des concessions, en
Au cours des semaines qui suivirent, plusieurs raisons modifiant le système de frein et de pneu, et en commu-
furent mises en avant pour expliquer comment la conta- niquant soigneusement sur la sécurité retrouvée du
mination avait eu lieu, mais elles créèrent surtout de la véhicule. Quelques mois plus tard, l’incident était oublié
confusion et un certain scepticisme. De manière peut- et les ventes de la classe A décollaient.
être plus grave, le produit lui-même resta indisponible La rapidité apparaît également comme un élément
jusqu’en mai 1994. Malgré un relancement massif assorti essentiel. Plus l’entreprise prend de temps pour réagir à
d’une campagne publicitaire et de multiples promotions, une crise, plus il est probable que les consommateurs
la marque éprouva des difficultés à reconquérir la part de auront une impression défavorable qui pourra se diffu-
marché perdue, et un an plus tard, les ventes américaines ser à travers un bouche-à-oreille négatif. Peut-être plus
de Perrier restaient inférieures à la moitié du chiffre grave encore, les consommateurs risquent de découvrir
atteint un an plus tôt. Pendant la période d’indisponibilité qu’ils ne sont pas si attachés à la marque, optant de
du produit, les consommateurs et les détaillants avaient manière définitive pour des alternatives.
trouvé des produits de substitution satisfaisants. Parce
que l’association à la notion de pureté – qui était au cœur Au-delà de la rapidité, les actions réalisées doivent
de l’identité de la marque – avait disparu, la marque ne être sincères. Elles doivent traduire l’engagement public
disposait plus de points de différence majeurs par rap- de l’entreprise à résoudre le problème identifié, quels
port à ses concurrents. que soient le coût et les conséquences des mesures à
prendre. De cette manière, les consommateurs peuvent
Ce type de crise peut arriver à toutes les marques. En rétablir leur confiance dans la marque.
général, plus le capital marque et plus l’image de
l’entreprise sont bien établis, notamment en termes de Sources : Norman Klein et Stephen Greyser, « The Perrier Recall : A
crédibilité et de confiance, plus on est en mesure de Source of Trouble », Cas Harvard Business School ; n° 9-590-104 et
résister à l’orage. Une préparation soignée et une bonne « The Perrier Relaunch », Cas Harvard Business School, n° 9-590-130.

La revitalisation d’une marque passe souvent par un « retour à ses racines ».


Dans le cas de Mixa, par exemple, cette revitalisation est fondée sur la notion de
douceur, essentielle pour l’identité de la marque, et sur la mise en scène d’une
mère avec son enfant.
La première étape d’une stratégie de revitalisation consiste à comprendre les
éléments fondamentaux de l’identité de la marque et les raisons du déclin du
capital marque. Les associations positives à la marque ont-elles perdu de leur
force ou de leur spécificité par rapport aux concurrents ? De nouvelles associa-
tions négatives sont-elles apparues ? Il faut ensuite décider si l’on maintient le
positionnement actuel ou si l’on en change. Parfois, le positionnement reste perti-
nent et c’est seulement le programme d’actions marketing qu’il faut revoir parce
qu’il ne parvient pas à tenir la promesse de la marque. Dans ce cas, une stratégie
de retour aux fondamentaux peut être pertinente.

HARLEY-DAVIDSON. Fondée en 1903 à Milwaukee, Harley-Davidson est passé deux fois au


bord de la faillite. Elle est aujourd’hui l’une des marques de motos les plus célèbres et les
plus rentables. Dans les années 1980, ses difficultés financières l’incitèrent à multiplier des
licences hasardeuses pour des articles aussi divers que les cigarettes et les produits pour
maintenir le vin au frais. Les ventes de motos étaient pénalisées par des problèmes de
qualité. La revitalisation de la marque commença par une amélioration des processus de
ST189.book Page 337 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 337

fabrication et l’introduction de nouveaux moteurs plus performants. Puis, l’entreprise cher-


cha à faire évoluer son image pour sortir de la caricature du gros motard barbu et tatoué.
Elle entreprit de séduire les femmes (9 % des acheteurs actuels, contre 2 % il y a vingt ans),
puis les jeunes à travers un partenariat avec la marque de motos Buell, rachetée depuis par
Harley. Elle créa une communauté de marque, le Harley Owners Group (HOG), qui ras-
semble aujourd’hui plus de 900 000 membres. Les concessionnaires organisent pour eux des
sorties, des soirées privées et des barbecues. Un magazine, des guides, des produits d’assu-
rance, des discounts hôteliers et des programmes de location leur sont également proposés.
Aujourd’hui, des stars comme George Clooney ou Johnny Depp s’affichent au volant d’une
Harley. L’entreprise réalise plus de 4 milliards de chiffre d’affaires, dont 21 % sur les pro-
duits dérivés comme les casques, les blousons et même les parfums 39.

Source illustration : www.harley-davidson.com.

Les stratégies de revitalisation sont extrêmement diverses entre les deux extrê-
mes que constituent le retour aux sources de la marque et sa réinvention complète.
Dans tous les cas, il faut agir à deux niveaux : (1) sur la notoriété de la marque à
renforcer pour favoriser sa reconnaissance dans les contextes d’achat, et (2) sur son
image en améliorant la force, le caractère positif et la spécificité des associations
mentales des consommateurs. Pour la réintroduction de Findus, par exemple, la
gamme a été complètement revue en s’appuyant sur la notoriété (encadré 9.8).

3.3. Faire face aux marques de distributeurs


Dans les activités de grande consommation, un enjeu majeur pour les marques
est de résister à la croissance des marques de distributeurs (MDD). Dans les eaux
minérales, elles représentent aujourd’hui plus de 16 % du marché (en volume),
dans les surgelés sucrés 39 %, dans les plats cuisinés surgelés 47 %. Selon Seco-
dip, les marques de distributeurs représentaient en 2005 27 % des ventes en
ST189.book Page 338 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

338 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

9.8 Cas d’entreprise

Le retour de Findus dans les plats surgelés


Lorsqu’en 1999, Nestlé vend la marque Findus au fonds Pour son retour, Findus se concentre sur les quinze
d’investissement Equity, une clause de non-concur- recettes traditionnelles qui représentent près de la moi-
rence prévoit que la marque ne pourra plus vendre de tié des ventes : hachis, lasagnes, paella, moussaka… Elle
plats cuisinés surgelés pendant quatre ans en France et se différencie de ses concurrents en ne proposant que
en Espagne. Le groupe Nestlé peut ainsi disposer d’une des formats familiaux et en travaillant sur la qualité des
plus grande marge de manœuvre pour renforcer les ingrédients. Des études ethnographiques auprès de
marques qu’il a gardées, et en particulier Maggi. Findus clients révèlent le rôle prépondérant du micro-ondes
est alors cantonnée dans les légumes, les pommes de dans la préparation des plats surgelés ; Findus aban-
terre et le poisson pané. Les deux tiers de son ancien donne donc les barquettes en aluminium. Enfin, elle
chiffre d’affaires disparaissent d’un seul coup. investit 20 millions d’euros dans une campagne publici-
Findus se développe, pendant ces quatre années, taire qui reprend le slogan musical d’autrefois (« Heu-
dans ses catégories de produits à travers une stratégie reusement il y a Findus »).
d’innovation : elle lance, par exemple, le poisson pané Au début, les distributeurs rechignent à référencer
préalablement enduit de matière grasse ou le mélange les plats surgelés de la marque, et les ventes de plats
de légumes Wok. La marque voit ainsi sa part de marché préparés plafonnent à une part de marché de 3 %. Puis,
passer de 4,3 % à 5,7 % entre 2001 et 2003, et se retrouve la stratégie redevient payante. Findus devient leader sur
n° 2 du marché… derrière Maggi. le marché des surgelés en 2005, atteignant 7 % de part
Cependant, Findus a une notoriété et une identité de marché et 57 % de notoriété spontanée.
pérennes : en 2002, 41 % des consommateurs continuent
de la citer spontanément comme marque de plats cuisi- Sources : Bruno Declairieux, « Findus ou comment on ressuscite une
nés, 25 % croient même l’avoir achetée au cours du mois marque », Capital, juin 2004, p. 144-145 ; Christiène Brancier,
précédent ! Cela constitue un atout précieux pour prépa- « Nestlé Grand Froid ne craint pas le retour de Findus », LSA, 23 sep-
rer le retour de la marque dans son ancienne activité tembre 2004, p. 38 ; Rita Mazzoli, « L’intuition doit aussi dicter le tra-
vail du marketeur », Marketing Magazine, interview de Matthieu
reine en 2004. Le secteur est pourtant en crise : le marché
Lambeaux, directeur marketing de Findus, janvier-février 2005,
est stable, voire décroissant, et la concurrence est rude p. 32-35 ; « Findus numéro 1 des plats cuisinés », L’Usine nouvelle,
entre Maggi, Marie, Knorr, Petit Navire, etc. 16 février 2005.

grandes surfaces, contre 18 % en 199640. 48 % des clients de la grande distribu-


tion déclarent acheter régulièrement des MDD, et 35 % disent choisir systémati-
quement les marques premiers prix. Cette problématique s’étend également à
d’autres secteurs, puisque des enseignes comme Décathlon, Mr. Bricolage ou
Sephora ont développé leurs propres marques.

SEPHORA dispose de plusieurs marques qui s’adressent à des cibles distinctes : Sephora
pour les femmes, Sephora Girls pour les filles de 3 à 10 ans, Sephoramen pour les hommes,
Sephora Piiink pour les lolitas, Sephora Express, Sephora Professionnel… Avec un packa-
ging sobre et soigné, on pourrait les prendre pour des marques de fabricants. Elles repré-
sentent 7 à 10 % des ventes selon les estimations des experts indépendants, car l’enseigne
ne communique pas de chiffres41.

Dans l’affrontement qui oppose les fabricants aux distributeurs, ces derniers
disposent de nombreux atouts. Le linéaire est limité, et de nombreux produc-
teurs, surtout s’ils sont nouveaux ou petits, éprouvent des difficultés à distribuer
largement leurs produits. Les distributeurs s’attachent aussi à maintenir la qua-
lité des produits vendus sous leur marque, suscitant ainsi la confiance du con-
sommateur, tout en adoptant un prix inférieur aux marques de fabricant. En
ST189.book Page 339 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 339

2005, Leclerc a communiqué sur ce thème autour du slogan « La qualité équiva-


lente à 30 % moins cher ». Les produits vendus sous MDD sont fabriqués par des
sous-traitants à partir d’un cahier des charges précis. Quant à la commercialisa-
tion des produits, les distributeurs mettent leurs marques dans les meilleurs
emplacements et s’assurent d’avoir des stocks en quantité suffisante.
Mais il faut en réalité distinguer deux
types de marques de distributeurs : (1) les
MDD proprement dites qui cherchent de
plus en plus à se différencier sur d’autres
axes que le prix, et (2) les marques premier
prix, de moins bonne qualité et nettement
moins chères, comme Éco+ chez Leclerc ou
Bien vu ! chez Système U. Ainsi, chez Car-
refour, on peut trouver au rayon céréales
pour petit déjeuner le muesli Kellogg’s au
prix de 3,93 euros, un produit Carrefour (à
gauche de la photo) au prix de 2,51 euros (soit 36 % de moins) et un produit premier
prix (ici, à droite) vendu 1,12 euro (71 % moins cher que la marque Kellogg’s)42.
Les fabricants tentent depuis quelques années d’enrayer ce phénomène, à tra-
vers plusieurs stratégies.
1. Leur première réaction est souvent d’investir davantage en publicité et en promo-
tion, de façon à maintenir une forte préférence pour la marque. Mais leurs prix
doivent alors être relevés afin de couvrir ces dépenses. Parallèlement, les distri-
buteurs exercent une forte pression sur les fabricants afin qu’ils dépensent
davantage en promotion réseau ; ils en font même une condition d’octroi de
linéaire. Si les producteurs acceptent ces conditions, il leur reste moins d’argent
à dépenser en promotion consommateur, et leurs ventes s’effritent. C’est ce que
l’on appelle le « cercle vicieux des marques ».
2. Les fabricants réagissent également en consacrant davantage de moyens à la R&D
et en multipliant les nouveaux produits43. Ainsi, Danone consacre chaque année à
la recherche 130 millions d’euros, et a développé un yoghourt anticholestérol.
Mais cette approche s’apparente à une course en avant, car les distributeurs
imitent les nouveaux produits sous un délai de quelques mois, dès lors qu’ils
rencontrent un certain succès sur le marché.
3. Certaines grandes entreprises tentent de sortir d’une logique d’affrontement
avec les distributeurs en développant une réflexion conjointe sur les comporte-
ments des consommateurs et sur l’aménagement des rayons (ce que l’on
appelle le category management).
4. Quelques-unes, enfin, choisissent de commercialiser une partie de leur production
sous marque de distributeur, afin d’être moins affectées par la hausse des MDD,
d’accroître les volumes fabriqués et de réaliser des économies d’échelle. Elles
restent cependant peu nombreuses à avoir fait ce choix puisque 63 % des four-
nisseurs de marques de distributeurs sont des PME44.
La donne évolue car, après les marques de distributeurs, ce sont aujourd’hui les
produits de hard-discount qui rencontrent une forte croissance. Les hypermarchés
et les supermarchés voient leurs ventes s’effriter au profit d’Aldi et autres Lidl. Fin
2005, le hard-discount représentait une part de marché de 20 % en volume. Les
MDD développent en conséquence une véritable politique de marque fondée sur la
construction d’une identité spécifique et d’un véritable capital marque (voir enca-
dré 9.9). Certains experts prédisent que les MDD vont donc devenir plus agressi-
ves, ce qui risque d’affaiblir davantage les grandes marques45.
ST189.book Page 340 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

340 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

9.9 Pour approfondir

Les stratégies de marque des distributeurs


Quels avantages les détaillants trouvent-ils à déve- lessives liquides en doses (avant les grandes marques du
lopper leurs marques sachant qu’il leur faut rechercher secteur), ou Casino qui, le premier, a inclus du bitrex dans
des approvisionnements réguliers, maintenir la qualité, ses produits d’entretien afin de leur donner un goût désa-
gérer des stocks et investir en communication ? gréable et obliger les enfants qui en auraient absorbé à le
D’abord, le distributeur réalise souvent une marge plus recracher. Aujourd’hui, 120 personnes (vétérinaires, biolo-
élevée avec ses produits qu’avec les grandes marques de gistes, ingénieurs qualité, responsables marketing, desi-
fabricants. Il achète ses produits à des prix inférieurs et ne gners) développent les produits chez Auchan, 40 chez
supporte pas les mêmes dépenses en publicité, promo- Cora, plus d’une centaine chez Carrefour.
tion, recherche et développement. Même s’il répercute Résultat : selon une enquête réalisée auprès de
une partie de ces économies auprès du consommateur, il consommateurs pour le magazine LSA, sur huit critères
peut garder une marge bénéficiaire confortable. d’image, les MDD arriveraient cinq fois devant les mar-
Ensuite, le fait de disposer de sa marque donne au ques nationales. Pour les prix, bien sûr, mais également
distributeur un plus grand contrôle sur ses prix et une pour le plaisir et la « qualité gustative »…
certaine emprise sur le producteur, qu’il peut menacer Cependant, les MDD ont encore du mal à se différen-
d’abandonner. cier les unes des autres : « D’abord au niveau prix, il y a
Enfin, les marques de distributeurs permettent à confusion entre plusieurs types de marques de distribu-
l’enseigne de se différencier de ses concurrents. Au teurs, celles qui sont au cœur de la gamme et les pre-
départ, elles étaient fondées sur la copie des grandes mar- miers prix, explique Philippe Breton, consultant. Ensuite,
ques. C’est de moins en moins le cas. Face à la montée du les marques de distributeurs se banalisent. Entre les
hard-discount et afin d’accroître leur part de marché, la marques Casino, Carrefour et Auchan, les consomma-
plupart des distributeurs (mais à des degrés divers) posi- teurs ne font pas la différence. Ils achètent des marques
tionnent leurs marques de manière de plus en plus quali- de distributeurs « génériques ». Et certaines gammes
tative. Leur nouvelle philosophie est d’offrir au moins la thématiques manquent encore de notoriété. »
qualité du produit leader et des avantages dans le choix
des ingrédients : plus de vitamines, plus de lait, plus de
Sources : Philippe Breton, Les marques de distributeurs (Paris : Dunod,
cacao, plus de fer, etc. En outre, les marques de distribu- 2004) ; « MDD : combattre les idées reçues », LSA, 16 mai 2002, p. 48-
teurs sont de plus en plus innovantes, tels Intermarché, 53 ; « Marques de distributeurs : la fin du me-too ? », LSA, 25 mai
Leader Price, et ED qui ont mis sur le marché les premières 1995, p. 32-35.

4. Concevoir une stratégie de marque


La stratégie de marque d’une entreprise reflète le nombre et la nature des marques
apposées aux différents produits qu’elle commercialise. Autrement dit, concevoir
une stratégie de marque consiste à décider si l’on crée de nouvelles marques ou si
l’on utilise les marques existantes. En matière de nouveaux produits, la question est
critique. Une entreprise a en effet le choix entre trois stratégies : créer une nouvelle
marque pour le nouveau produit, utiliser une marque existante, ou recourir à une
combinaison des marques existantes et d’une nouvelle marque.
Lorsque l’entreprise utilise une marque existante pour commercialiser un nouveau produit,
on parle d’extension de gamme si le nouveau produit s’inscrit dans une catégorie déjà cou-
verte par la marque, et d’extension de marque si le nouveau produit correspond à une nou-
velle catégorie de produits, que la marque ne couvrait pas jusque-là.
Par exemple, lorsque Clarins a développé des produits cosmétiques pour hom-
mes sous la marque Clarins Men, il s’agissait d’une extension de gamme. En revan-
che, lorsque Kenzo a commercialisé sous sa marque des produits cosmétiques alors
qu’elle était jusque-là absente de cet univers, il s’agissait d’une extension de marque.
ST189.book Page 341 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 341

Lorsqu’une nouvelle marque est associée à une marque existante, on parle de


sous-marque, comme la création de Centrino d’Intel. La marque existante est alors
désignée sous le nom de marque mère (Intel, dans notre exemple).

Source illustration : Intel Corporation.

Si la marque mère a déjà été associée à de nombreux produits de catégories dif-


férentes, on parle même parfois de marque famille. Enfin :
Un produit sous licence est un produit dont le nom de marque a fait l’objet d’une licence
accordée à des fabricants extérieurs à l’entreprise.
Aujourd’hui, les entreprises accordent des licences dans de très nombreuses
catégories de produits, depuis le livre jusqu’aux chaussures.
Ces différentes définitions montrent la diversité des décisions à prendre pour
concevoir une stratégie de marque. D’abord, faut-il apposer une marque sur ses
produits ? Ensuite, faut-il procéder à des extensions de marque en diversifiant les
catégories de produits qu’elle couvre ? Enfin, faut-il avoir un nombre élevé de
marques ou opter pour un portefeuille de marques réduit ? Nous examinons suc-
cessivement ces différentes questions. L’extension de la gamme, quant à elle, sera
étudiée dans le chapitre suivant.

4.1. Produits avec ou sans marque


Pendant longtemps, les produits banalisés, tels que le sucre, le vin, le jambon, ont
été vendus sans marque : le producteur expédiait sa marchandise au distributeur,
qui la revendait directement sans qu’elle porte ni sa marque ni celle du fabricant.
Seuls les produits artistiques, tels que les pièces de théâtre, les peintures ou les
sculptures, étaient signés de leurs auteurs.
ST189.book Page 342 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

342 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

C’est à partir de la fin du XIXe siècle qu’une évolution commença à se faire jour
sous l’effet du développement des grandes entreprises et des médias publicitai-
res. Le succès des marques a été tel qu’aujourd’hui, en France, il y a peu de pro-
duits qui en soient dépourvus. Le sel est emballé dans des paquets spécifiques
aux fabricants, les oranges sont marquées, les boulons et les écrous les plus ordi-
naires sont vendus dans des sachets en plastique portant le nom du distributeur,
et dans l’automobile les pièces détachées, comme les bougies, les pneus, les fil-
tres, portent des noms de marque visibles et différents de ceux de la voiture. Au
fil des années, certaines marques de composants (comme Intel) arrivent même à
rejoindre, en notoriété, les marques des produits finis (IBM, Compaq). Parmi les
produits qui restent non marqués, certains portent une marque collective – un
label – qui constitue une garantie de qualité (voir encadré 9.10).

9.10 Pour approfondir

Une marque collective : le label


L’affaire de la vache folle a indubitablement sensibilisé ges, puis à tous les produits (par exemple, le taureau
les Français à la mise à disposition d’informations objec- de Camargue ou le miel corse). Les syndicats profes-
tives sur la qualité des produits alimentaires et sur leur sionnels se chargent des tests de consommation, réa-
origine. Certaines entreprises ont réagi en développant lisés par prélèvements à l’aveugle, et l’INAO effectue
de nouvelles marques (comme la viande Valtero de des contrôles sur les conditions de production.
Socopa) et en lançant des innovations (barquettes ♦ Le Label Rouge a été mis en place par le ministère de
individuelles sécables). D’autres se sont positionnées l’Agriculture. Il distingue dans une catégorie de pro-
autour des valeurs d’authenticité, de tradition et de duits donnée les références de meilleure qualité,
naturel. On a ainsi vu fleurir dans les hypermarchés plé- obéissant à un cahier des charges précis. Par exemple,
thore de produits du terroir ou artisanaux, arborant pour être Label Rouge, le saumon fumé doit ne jamais
médailles de qualité et références régionales diverses. avoir été congelé, être fumé à la sciure de bois, être
La multiplicité des labels est souvent source de confu- prétranché manuellement, etc. En général, les pro-
sion pour les consommateurs qui, du coup, ne fondent duits Label Rouge sont vendus de 15 à 30 % plus cher
pas leurs décisions d’achat sur ces éléments. que la moyenne des autres produits.
Dans cette « jungle des labels », il convient cepen- ♦ Le logo AB identifie les produits issus de l’agriculture
dant de distinguer trois catégories : biologique, c’est-à-dire une agriculture excluant l’uti-
♦ Les labels expérientiels apportent de l’information sur lisation de produits chimiques de synthèse et res-
la qualité de l’expérience de consommation (par pectant le bien-être animal. Un aliment « bio » doit
exemple, une médaille d’or au concours général pour comprendre plus de 95 % de matières premières agri-
les produits alimentaires ou le label UGC pour les coles. Là encore, un différentiel de prix se constate
films). dans les points de vente.
♦ Les labels techniques donnent des garanties sur les ♦ Le certificat de conformité enfin, apparu en 1990,
caractéristiques techniques de la production (comme garantie l’existence de caractéristiques précises
le label AB pour l’agriculture biologique ou NF pour portant sur l’origine, la fabrication ou le conditionne-
les produits non alimentaires). ment du produit. Auchan, Leclerc ou Carrefour l’utili-
♦ Les labels expérientiels et techniques associent les deux sent pour certaines filières comme la viande.
dimensions, comme Label Rouge ou l’AOC.
Parmi les différents labels, quatre sont particulière- Sources : Fabrice Larceneux, « Segmentation des signes de qualité :
labels expérientiels et labels techniques », Décisions Marketing,
ment connus. n° 29, janvier-mars 2003, p. 35-46 ; François Courvoisier et Fabienne
♦ L’AOC (appellation d’origine contrôlée) est délivrée Courvoisier, « La jungle des labels de qualité et d’origine sur les pro-
par l’Institut national des appellations d’origine duits alimentaires : analyse de la situation en Suisse francophone »,
Cahier de recherche de la Haute École de gestion de Neuchâtel ; « Les
(INAO) depuis 1935. L’AOC identifie un produit typi- efforts marketing paient », Point de vente, 4 mars 2002, p. 54-62 ;
que par son origine. Elle a conquis ses lettres de « Labels, terroir AOC... le grand capharnaüm », Les Echos, 16 avril
noblesse dans le vin, avant de s’appliquer aux froma- 1998, p. I-58-59.
ST189.book Page 343 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 343

Les fabricants ou distributeurs qui choisissent de vendre leur production sous


une marque doivent décider s’ils veulent utiliser un ou plusieurs noms. On peut
distinguer au moins quatre stratégies.
1. Des noms de marque individuels. Cette poli-
tique est choisie par certaines sociétés, tel-
les que Lever (Puget, Timotei, Signal, Cif,
Boursin, Carte d’Or, etc.) et Procter &
Gamble (Ariel, Pampers, Lénor, Bonux,
Mr. Propre). Un des avantages essentiels
de cette approche est que la société ne lie
pas sa réputation au destin du produit.
S’il échoue, la réputation de l’entreprise
n’en souffre pas. Un fabricant de montres
haut de gamme ou de produits alimen-
taires réputés peut ainsi lancer des pro-
duits de moindre qualité sans grand
risque. Parmi les autres avantages : la
possibilité de choisir le nom optimal pour
chaque nouveau produit, de conférer une
image distincte à chaque produit avec des
associations mentales spécifiquement
adaptées à la catégorie, et d’obtenir plus
de linéaire en magasins. Cependant, cette
approche augmente les coûts de commu-
nication puisqu’il n’existe pas de syner-
gies d’image et de notoriété entre les
marques46.
2. Une seule marque couvrant tous les pro-
duits. Moulinex, Peugeot, Hermès ou
Canon préfèrent cette approche. Lors-
que les produits appartiennent à des
catégories différentes, on parle de mar-
que ombrelle. Cette politique réduit les
coûts de lancement car il n’est pas
nécessaire de procéder à une recherche
de nom ni de dépenser beaucoup en
publicité. De plus, les ventes sont éle-
vées si la réputation de l’entreprise est
bonne. Ainsi, la société Géant Vert, lea-
der du maïs en boîte, a lancé d’autres
légumes (comme les asperges) sous sa
marque en obtenant une réaction immé-
diate du marché. Cette approche pré-
sente donc l’avantage de conférer de la
visibilité et de la crédibilité à la marque,
donc à ses produits, tout en démulti-
pliant l’efficacité de la communication.
3. Des marques distinctes pour chaque gamme
de produits. Cette politique est par exem-
ple suivie par le groupe Uniq avec la
marque Marie pour les plats préparés
ST189.book Page 344 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

344 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

(frais et surgelés), Paul Bocuse pour les plats préparés haut de gamme au
rayon frais, Luang pour les spécialités exotiques, et Saint-Hubert pour les
corps gras. Elle est pertinente lorsqu’une entreprise fabrique ou vend des pro-
duits très différents. Ainsi, Nestlé, qui commercialise en France du lait pour
bébés et des aliments pour chiens et chats (Friskies) utilise des marques dis-
tinctes.
4. Le nom de l’entreprise combiné ou juxtaposé avec des noms de marque individuels.
Danone a souvent adopté cette solution : Danette, Dan’up, Velouté de Danone,
Fjord de Danone.... Dans ce cas le nom de l’entreprise est la marque mère ; elle
authentifie le produit et sert de caution. Le nom individuel correspond à la
marque fille : elle permet de différencier le produit et de lui donner une image
spécifique.
Dans un même secteur, différents fabricants peuvent adopter des stratégies
de marque opposées. Dans la catégorie du dentifrice, par exemple, Procter &
Gamble préfère utiliser des noms de marque individuels (Crest, Fixodent), tandis
que Colgate-Palmolive fait appel à la marque générique Colgate.
Parfois, certaines sociétés choisissent de faire coexister toutes ces stratégies.
Ainsi, le groupe L’Oréal utilise des noms spécifiques pour certains produits
(Dop, Narta), développe certaines marques ombrelles rassemblant plusieurs caté-
gories de produits (Garnier, Lancôme, Vichy), et utilise la caution L’Oréal en la
juxtaposant à d’autres marques (Elsève de L’Oréal, Elnett de L’Oréal).

4.2. Les extensions de marque


Comme nous l’avons déjà indiqué, une stratégie d’extension de marque con-
siste à utiliser une marque qui a fait ses preuves pour lancer un produit appar-
tenant à une nouvelle catégorie. Il est courant, dans l’industrie du luxe,
d’utiliser sa griffe dans de multiples secteurs d’activité. Ainsi, la marque Her-
mes couvre à la fois des produits de maroquinerie, des vêtements, des accessoi-
res, des parfums…

LA LAITIÈRE. Cette marque du groupe Nestlé a construit sa notoriété dans les produits
frais, avec les yoghourts au lait entier. À partir de 1999, elle a procédé à plusieurs exten-
sions de marque : au rayon épicerie d’abord avec toute une gamme de desserts en boîte
(gâteau de riz, riz au lait, semoule au lait, etc.) ; au rayon surgelé en 2002 avec une
gamme de glaces qui a remporté un succès spectaculaire sur le marché ; puis au rayon
confiserie en 2003 avec des tablettes de chocolat au lait 47.
ST189.book Page 345 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 345

a) Les avantages de l’extension de marque


Une stratégie d’extension de marque offre de nombreux avantages, à la fois pour
le nouveau produit lancé et pour la marque concernée48.
Pour le nouveau produit, d’abord. Celui-ci est accompagné d’un nom bénéfi-
ciant d’une forte notoriété et d’une image affirmée. Les associations à la marque lui
sont immédiatement transférées. Ainsi, lorsque Sony a commercialisé son premier
ordinateur, Vaio, les clients ont été d’autant plus enclins à anticiper un niveau de
performance élevé qu’ils connaissaient la marque Sony et la performance de ses
autres produits. Dans de telles situations, l’entreprise peut moins investir en com-
munication et bénéficier d’un taux d’essai souvent plus élevé en comparaison
d’une marque nouvellement créée. De même, les distributeurs sont plus disposés à
référencer le produit car ils savent que les consommateurs l’essaieront plus volon-
tiers. Les produits lancés au moyen d’une extension de marque obtiennent souvent
des parts de marché élevées et ont de meilleures chances de survie49.
Pour la marque, ensuite. Les extensions peuvent contribuer à clarifier la signi-
fication de la marque et les valeurs auxquelles elle est associée. Elles peuvent éga-
lement préciser ou faire évoluer les perceptions des consommateurs. Parfois, elles
peuvent favoriser leur fidélité en multipliant les occasions de contact et d’achat
de la marque. Elles accroissent alors sa visibilité et sa notoriété, à l’instar des plats
surgelés Weight Watchers qui ont mieux fait connaître la marque50.

b) Les risques associés à l’extension de marque


Dans le même temps, une telle stratégie n’est pas sans risque51. Le nouveau pro-
duit peut être défavorisé par la marque, si celle-ci véhicule des associations peu
cohérentes avec la catégorie de produits concernée.

BIC. Le lancement des parfums Bic constitue un exemple célèbre d’extension ratée. Cette
marque avait réussi à commercialiser diverses catégories de produits peu coûteux et jeta-
bles : les stylos-billes non rechargeables à la fin des années 1950, les briquets jetables au début
des années 1970, les rasoirs jetables au début des années 1980. En 1989, elle commercialisa,
avec la même approche, des parfums. Le marketing-mix reposait sur un jus de grande qua-
lité olfactive, de petits flacons spray qui ressemblaient à de gros briquets, un prix de vente de
4 euros et le réseau de distribution habituel de Bic, largement fondé sur les débits de tabac. À
l’époque, le porte-parole de Bic présenta le projet comme une extension de l’héritage Bic :
« Une grande qualité à un prix abordable, facile à acheter et à utiliser. » L’entreprise consacra
15 millions d’euros à la campagne de lancement en Europe et aux États-Unis. Pourtant,
l’image populaire de la marque et son manque de cachet apparurent comme des obstacles
insurmontables pour commercialiser cette catégorie de produits. Le réseau de distribution
était également un handicap, notamment du fait que les débits de tabac étaient peu adaptés
à un produit olfactif. L’extension fut un échec cuisant, qui fait aujourd’hui office de cas
d’école en marketing52.

Plus grave encore, le nouveau produit peut décevoir et jeter le discrédit sur la
marque. Si l’extension concerne une activité éloignée, elle peut, en outre, créer
une confusion dans l’esprit du consommateur et brouiller son image, qui ne sera
plus associée avec aucun produit53.
La dilution d’image intervient lorsque les consommateurs n’associent plus la marque avec un
produit ou un ensemble de produits spécifiques et qu’elle génère moins d’associations dans
leur esprit.
Le pire scénario intervient lorsque l’extension remet en cause l’image anté-
rieure de la marque. Certaines marques de prestige ont ainsi vu leur image se
ST189.book Page 346 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

346 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

dégrader du fait de la multiplication des extensions réalisées. Heureusement, ce


type de situation reste rare.

c) Les critères de succès d’une extension de marque


Une extension est dommageable si elle cannibalise les anciens produits de la mar-
que parce qu’elle leur est trop proche. Elle est modérément réussie si elle favorise
le nouveau produit sans affecter les anciens. Elle est véritablement réussie si elle
sert les ventes des anciens et du nouveau produit, tout en faisant évoluer favorable-
ment le capital de la marque. Une extension peut même permettre à la marque de
réaliser, par la suite, d’autres extensions parce qu’elle a fait évoluer son identité.
Pour prendre la décision adéquate, les sociétés tentées par une extension de
leur marque doivent précisément analyser l’impact de la marque sur le nouveau
produit en lancement, et l’effet de celui-ci sur la notoriété et l’image de la
marque54. La question-clé est celle de la cohérence entre l’extension et la marque,
ce que l’on appelle le fit. Cette cohérence repose sur deux dimensions de la
marque55 : d’une part, sa composante « produits », c’est-à-dire la catégorie de
produits à laquelle elle est associée dans l’esprit des consommateurs, ce qui
donne lieu à une analyse de la typicalité de la marque ; d’autre part, sa compo-
sante « image », c’est-à-dire les associations mentales.
Les travaux académiques ont mis en évidence plusieurs phénomènes autour
de l’extension de marque56 :
– Les extensions réussies reposent sur des marques générant des associations
mentales positives et pour lesquelles les consommateurs perçoivent une
forte cohérence entre la marque et le produit d’extension. Cette cohérence
peut être fondée sur de nombreux aspects : les attributs physiques du pro-
duit, les contextes de consommation et leur complémentarité avec les
contextes habituels de la marque, les valeurs associées à la marque, ou
encore les types de consommateurs.
– Lorsqu’une marque est étroitement associée à une catégorie de produits, il
est plus difficile de réaliser des extensions.
– Les associations mentales de la marque avec des attributs concrets du pro-
duit sont plus difficiles à étendre que les associations fondées sur des bénéfi-
ces clients plus abstraits.
– Il peut arriver que des associations positives dans le contexte d’origine de la
marque deviennent négatives dans le contexte de l’extension.
– L’attitude des consommateurs envers une extension de marque est d’autant
plus favorable que l’attitude envers cette marque est bonne57.
– Les extensions peuvent être plus lointaines pour les marques associées à une
image de qualité.
– Une extension ratée affecte la marque seulement s’il existe une forte cohé-
rence entre elle et l’activité d’extension.
– Une extension ratée n’empêche pas la marque de revenir en arrière et de réa-
liser par la suite des extensions plus similaires à son activité d’origine.
Pour anticiper les conséquences d’une extension, le responsable marketing
doit d’abord analyser l’identité de la marque en distinguant le noyau central des
éléments périphériques. Il convient alors de s’assurer que les caractéristiques du
nouveau produit sont cohérentes avec le noyau central de manière à maintenir
une logique dans les activités de la marque. Si ce n’est pas le cas, il est préférable
de renoncer à l’extension. On analyse ensuite les incohérences entre l’activité
ST189.book Page 347 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 347

d’extension et les éléments périphériques de l’identité de marque qui, non rédhi-


bitoires, peuvent au contraire faire évoluer l’image de la marque sans altérer sa
signification. Une erreur classique lorsque l’on évalue les avantages d’une exten-
sion de marque est de ne pas prendre en compte toutes les structures mentales
associées à la marque dans les perceptions des consommateurs. Les responsables
marketing se focalisent sur certains aspects et négligent d’autres associations.

4.3. Le portefeuille de marques


La plupart des entreprises choisissent d’avoir plusieurs marques en parallèle afin
de toucher des segments de marché distincts. Plusieurs arguments plaident en
faveur d’un portefeuille de marques multiples. D’abord, la bataille est sévère
pour le linéaire en supermarchés et hypermarchés. En introduisant plusieurs
marques, un fabricant bénéficie d’un linéaire plus important, au détriment de la
concurrence. Ensuite, peu de consommateurs sont fidèles à une marque au point
de ne jamais en essayer une autre. L’entreprise n’est alors pas pénalisée par la
recherche de variété. Troisièmement, le lancement de nouvelles marques est un
facteur d’enthousiasme et d’efficacité chez le fabricant. Des sociétés telles que
General Motors et P&G voient leurs marques individuelles se livrer, par l’inter-
médiaire de leurs responsables, une véritable guerre qui permet de maintenir le
dynamisme de tous. Enfin, une stratégie multimarques permet de tirer profit de
l’existence de segments au sein du marché. Les consommateurs de chaque seg-
ment répondent à des axes publicitaires spécifiques, et même des différences
marginales entre les marques peuvent avoir une grande importance.
Le portefeuille de marques est l’ensemble des marques qu’une entreprise donnée commercia-
lise dans une catégorie de produits.
Lorsqu’une société investit une nouvelle catégorie de produit ou auprès d’un
nouveau segment, elle peut estimer qu’aucune de ses marques actuelles n’est
adaptée. Ainsi, lorsque Toyota ou Nissan ont voulu pénétrer le marché des voitu-
res de luxe, elles l’ont fait à travers de nouvelles marques (respectivement Lexus
et Infiniti)58.

GAP. Fondée en 1969 à partir de l’expression « generation gap » (fossé de générations en


anglais), la chaîne de distribution s’est développée en commercialisant sous sa marque des
vêtements décontractés, pratiques, simples et stylés. Puis, elle a multiplié ses marques, soit
en les créant, soit en les rachetant : GapKids a été créée en 1986 à destination des enfants ;
Banana Republic, marque de vêtements plus haut de gamme fondant son identité sur le
thème du voyage et des safaris, a été rachetée en 1983, puis a évolué vers une image plus
urbaine ; Old Navy a été créée en 1994 pour commercialiser des vêtements à bas prix.

Un portefeuille de marques doit être évalué en fonction de sa capacité à maximi-


ser le capital de chacune d’elles sans empiéter sur les autres. Le responsable marke-
ting doit alors faire des arbitrages entre la couverture du marché le plus large
possible et la construction d’une identité de marque cohérente et spécifique, avec
des considérations de coûts, d’économies d’échelle et de rentabilité. Il faut veiller à
éviter, dans la mesure du possible, toute cannibalisation entre les marques d’une
même entreprise59. Si la rentabilité peut être améliorée en abandonnant certaines
marques, c’est que le portefeuille est trop large et qu’il faut le restreindre ; si la ren-
tabilité peut être renforcée en ajoutant des marques, c’est que le portefeuille est trop
étroit et qu’il faut le compléter. Depuis plusieurs années, les marques de grande
consommation ont tendance à rétrécir leur portefeuille de marques (encadré 9.11).
ST189.book Page 348 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

348 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

9.11 Pour approfondir

La tendance à l’élagage du portefeuille de marques


Le 21 septembre 1999, la société Unilever annonçait retrouver la part de marché d’origine. Ainsi, lorsque
qu’elle allait réduire le nombre de ses marques de 1 600 Arthur Martin et Electrolux ont été fusionnées, la part de
à 400. Quelque temps plus tôt, Danone avait supprimé marché de l’ensemble est restée inférieure à la somme
des marques aussi connues que l’Alsacienne. Lafuma a des deux parts séparées. Par ailleurs, un grand nombre
également éliminé six de ses neuf marques... de marques permet de « verrouiller » le marché. Procter
La réduction d’un portefeuille de marques permet à & Gamble détient ainsi 30 % du marché des lessives avec
l’évidence de bénéficier d’économies d’échelle. Danone cinq marques (Ariel, Gama, Dash, Vizir et Bonux). Un
estime ainsi que la suppression de l’Alsacienne au profit nombre limité de marques réduit les possibilités de
de Belin lui a fait gagner 12 millions d’euros par an (pac- positionnement distinct. Une solution intermédiaire
kaging, frais de référencement, coûts commerciaux). De consiste alors à utiliser une marque « caution » qui en
plus, les marques restantes, qui de ce fait s’étendent, chapeaute plusieurs autres. Par exemple, les biscuits
bénéficient d’un budget plus important. « En divisant Prince, Taillefine et Petit Écolier vivent tous sous
par deux notre portefeuille de marques, explique le pré- l’ombrelle de Lu.
sident des produits capillaires Eugène Perma, nous
avons fait bénéficier chaque marque d’un budget publi-
Sources : adapté de « Vous faut-il une ou plusieurs marques ? La ten-
citaire de 7 millions d’euros contre 1 million aupara- dance est à en diminuer le nombre... », Management, novem-
vant. » Enfin, jouir d’un nom puissant permet de mieux bre 1999, p. 78-99. Voir également Georges Lewi, La marque, (Paris :
négocier avec la distribution. Vuibert, 1999) ; George S. Low et Ronald A. Fullerton, « Brands,
Brand Management and the Brand Manager System : A Critical-His-
Parallèlement, il y a quelques risques à réduire le torical Evaluation », Journal of Marketing Research, mai 1994, p. 173-
nombre de marques. D’abord, on n’est jamais certain de 190.

ELECTROLUX. En 1996, le fabricant de produits d’équipement électroménager alimentaire


avait un large portefeuille de 15 marques en Europe occidentale, dont une seule (Zanussi)
était commercialisée dans plus d’un pays. En passant d’une structure de l’offre par niveau
de prix – faible, moyen, élevé – à une approche par besoin des clients – depuis les solutions
de base jusqu’aux produits de prestige à destination des gourmets –, Electrolux put réduire
son portefeuille à quatre marques européennes. Les économies d’échelle qui en résultèrent,
l’aidèrent à retrouver une rentabilité positive en 2001.

Au sein d’un portefeuille, certaines marques remplissent des rôles particuliers.


Les marques d’attaque sont positionnées en fonction des marques concurrentes afin
que les marques phares de l’entreprise puissent maintenir leur propre position-
nement. Les vaches à lait sont appréciées par un grand nombre de clients fidèles et
sont extrêmement rentables, malgré des ventes stables ou en déclin. Ces marques
doivent être rentabilisées au maximum en limitant les investissements marketing
dont elles font l’objet afin de s’appuyer sur le capital marque existant. Les mar-
ques d’appel, à bas prix, ont pour but de faire venir à l’entreprise de nouveaux
clients. Les distributeurs apprécient ce type de marques génératrices de trafic,
espérant que les clients ainsi conquis monteront ensuite en gamme si l’entreprise
fait le lien avec les marques plus haut de gamme de son portefeuille, par exemple
à travers une marque mère commune. Les marques de prestige, enfin, comme
Lexus chez Toyota ou Velsatis chez Renault, ajoutent du prestige et confèrent de
la crédibilité au portefeuille de marques dans son ensemble.
ST189.book Page 349 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 349

Résumé
1. La marque est un nom, un terme, un signe, un symbole, un dessin ou toute
combinaison de ces éléments servant à identifier les biens ou services d’un ven-
deur ou d’un groupe de vendeurs, et à les différencier des concurrents.
2. La marque joue plusieurs rôles auprès des clients et des entreprises. Elle cons-
titue un outil essentiel de différenciation. Il s’agit d’un actif intangible qui doit
être géré avec soin.
3. Le capital marque est la valeur apportée par la marque aux produits et services
qu’elle porte. D’un point de vue marketing, il s’agit de la différence provoquée
par la connaissance de la marque dans la manière dont les consommateurs réa-
gissent à son marketing. L’évaluation du capital marque peut se faire de plu-
sieurs manières. Une approche centrée sur les consommateurs analyse leur
connaissance de la marque, les associations mentales auxquelles elle est asso-
ciée et son impact sur les comportements d’achat. Cette analyse peut être réali-
sée au niveau individuel ou agrégé.
4. La construction du capital marque repose sur trois types d’outils : (1) le choix
des composantes de la marque et de leur identité visuelle ; (2) les programmes
marketing et la manière dont ils intègrent la marque ; (3) l’association avec
d’autres entités (une entreprise, un pays, un réseau de distribution, une autre
marque) dont l’identité sera en partie transférée à la marque. Des audits de
marque permettent d’analyser sa perception par les consommateurs et sa cohé-
rence avec les produits, la politique marketing et l’identité souhaitée.
5. La gestion des marques exige d’adopter une vision de long terme et d’opérer
un arbitrage entre la nécessité d’investir dans la durée pour construire et ren-
forcer le capital marque et la volonté de rentabiliser ces investissements. Gérer
les marques suppose de renforcer régulièrement celles qui bénéficient d’une
identité favorable, d’en revitaliser certaines, de construire une stratégie cohé-
rente face aux marques de distributeurs.
6. La stratégie de marque d’une entreprise reflète le nombre et la nature des mar-
ques détenues par l’entreprise. Une stratégie d’extension consiste à utiliser une
marque qui a fait ses preuves afin de lancer un produit dans une nouvelle caté-
gorie. Une telle stratégie est associée à des avantages et des risques, à la fois
pour l’activité d’extension et pour la marque elle-même. C’est pourquoi ce type
de décision exige une analyse préalable soignée de l’identité de la marque et
des enjeux associés à l’extension.
7. Le portefeuille de marques est l’ensemble des marques qu’une entreprise com-
mercialise dans une catégorie de produits. Certaines sociétés optent pour des
marques multiples afin de toucher différents segments de marché. D’autres
rétrécissent leur portefeuille pour concentrer leurs investissements sur quel-
ques marques.
ST189.book Page 350 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

350 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

Notes
1. Stéphane Barge, « Google, le nouveau maître du monde », 15. Jean-Noel Kapferer, Les marques, capital de l’entreprise :
Capital, octobre 2005, p. 36-42 ; www.interbrand.com créer et développer des marques fortes, 3e édition (Paris :
2. Sophie Changeur, « Le capital marque : concepts et Éditions d’organisation, 2001) ; David Aaker et Jacques
méthodes », Cahier de recherche, IAE d’Aix en Provence, Lendrevie, Le capital marque (Paris : Dalloz, 1994) ; David
n° 648, 2002. Aaker et Erich Joachimsthaler, Brand Leadership (New
3. Définition de l’American Marketing Association. Sur la York : Free Press, 2000) ; Kevin Keller, Strategic Brand
marque et les stratégies de marque, voir Géraldine Management, 2e éd. (Upper Saddle River : Prentice-Hall,
Michel, Au cœur de la marque (Paris : Dunod, 2004). 2003) ; Scott Davis, Brand Asset Management : Driving
4. Jacob Jacoby, Jerry Olson et Rafael Haddock, « Price, Profitable Growth Through Your Brands (San Francisco :
Brand name, and Product Composition Characteristics Jossey-Bass, 2000). Pour une analyse de la recherche sur
and Determinants of Perceived Quality », Journal of Con- la marque, voir le numéro spécial de la Revue Française de
sumer Research, vol. 3, n° 4, 1971, p. 209-216 ; Jacob Gestion coordonné par Jean-Noël Kapferer en 2003, ainsi
Jacoby, George Syzbillo, et Jacqueline Busato-Sehach, que Kevin Keller, « Branding and Brand Equity », in
« Information Acquisition Behavior in Brand Choice Handbook of Marketing, éds., Bart Weitz and Robin Wens-
Situations », Journal of Marketing Research, 1977, p. 63-69. ley (Sage Publications, 2002, p. 151-178).
5. www.bose.com 16. Kevin Keller, op. cit.
6. Leslie de Chernatony et Gil McWilliam, « The Varying 17. « Apple Transcends as Lifestyle Brand », Advertising
Nature of Brands and Assets », International Journal of Age, 15 juin 2003, p. S2 et S6.
Advertising, vol. 8, n° 4, 1989, p. 339-349. 18. Sophie Changeur, « Stratégies de marque et richesse des
7. Constance Bagley, Managers and the Legal Environment : actionnaires : une approche financière du capital mar-
Strategies for the 21st Century, 2e edition (Cincinnati : que », Recherche et Applications en Marketing, vol. 19, n° 4,
West Publishing, 1995). décembre 2004, p. 23-38.
8. Tulin Erdem, « Brand Equity as a Signaling Phenome- 19. Voir Bernard Dubois et Patrick Duquesne, « Valeur
nom », Journal of Consumer Psychology, vol. 7, n° 2, 1998, imaginaire de la marque, valeur fonctionnelle des pro-
p. 131-157. duits : les scénarios de l’échange », Séminaire IREP
9. Scott Davis, Brand Asset Management (San Francisco : Jos- « Marque et innovation », 26 juin 1996.
sey-Bass, 2000) ; D. Bello et M. Holbrook, « Does an 20. Voir Sophie Changeur, « Le capital marque : concepts et
Absence of Brand Equity Generalize Across Product méthodes », Cahier de recherche, IAE d’Aix en Provence
Classes ? », Journal of Business Research, vol. 34, 1996, n° 648, 2002 ; Sandor Czellar et Jean-Émile Denis, « Un
p. 125-31 ; Mary Sullivan, « How Brand Names Affect modèle intégrateur du capital-client de la marque : une
the Demand for Twin Automobiles », Journal of Marke- perspective psycho-cognitive », Recherche et Applications
ting Research, vol. 35, 1998, p. 154-65 ; Adrian Slywotzky en Marketing, vol. 17, janvier 2002, p. 43-56 ; Philippe
et Benson Shapiro, « Leveraging to Beat the Odds : The Jourdan, « Le capital marque : proposition d’une mesure
New Marketing Mindset », Harvard Business Review, sep- individuelle et essai de validation », Recherche et Applica-
tembre-octobre 1993, p. 97-107. tions en Marketing, vol. 16, avril 2001, p. 3-24 ; voir égale-
10. Charles Lepeu (éd.), Le livre des grandes marques (Paris, ment le numéro spécial de l’International Journal of
2005), p. 36-37. Research in Marketing, automne 1993, ainsi que
11. Jean-Marc Ferrandi, Dwight Merunka et Pierre Valette- P. Barwise et al., Accounting for brands (London : Institute
Florence, « La personnalité de la marque : bilan et pers- of Chartered Accountants in England and Wales, 1990).
pectives », Revue Française de Gestion, 2003, p. 145-161 ; 21. Voir par exemple Sandor Czellar et Jean-Émile Denis,
Jennifer Aaker, « Dimensions of Brand Personality », Jour- « Un modèle intégrateur du capital-client de la marque :
nal of Marketing Research, vol. 34, n° 3, 1997, p. 347-356. une perspective psycho-cognitive », Recherche et Applica-
12. Jean-Marc Ferrandi et Pierre Valette-Florence, « Premier tions en Marketing, vol. 17, n° 1, 2002, p. 43-56.
test et validation de la transposition d’une échelle de 22. H. Krishnan, « Characteristics of memory associations :
personnalité humaine aux marques », Recherche et Appli- A consumer-based brand equity perspective », Interna-
cations en Marketing, vol. 17, n° 3, 2002, p. 21-40. tional Journal of Research in Marketing, octobre 1996,
13. Georges Lewi, Les marques, Mythologie du quotidien vol. 13, n° 4, p389-405.
(Paris : Village Mondial, 2003). Sur la relation entre mar- 23. Des modèles agrégés d’inspiration plus marketing exis-
que et consommateur, voir Benoît Heilbrunn, Modalité tent également. Ainsi, certaines approches fondées sur
et enjeux de la relation consommateur-marque, Revue des données de panel permettent d’évaluer un indica-
Française de Gestion, vol.29, n° 145, 2003, p. 131-143. teur de la valeur de la marque pour chaque enseigne de
14. D’autres approches sont fondées sur la théorie économique distribution. Voir Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou et
du signal (voir Tulin Erdem, « Brand Equity as a Signaling Michel Dietsch, « Indicateur de la valeur de marque et
Phenomenon », Journal of Consumer Psychology, vol. 7, n° 2, variables d’offre : analyse empirique sur données de
1998, p. 131-157) ou sur une perspective plus sociologique, panel de magasin », Recherche et Applications en Marke-
anthropologique, ou même biologique (par exemple, Grant ting, vol. 17, n° 3, 2002.
McCracken, « Culture and Consumption : A Theoretical 24. Anne Lavaud, « Ce club prisé des 23 milliardaires », CB
Account of the Structure and Movement of the Cultural News, 30 mai 2005, p. 13 et www.interbrand.com
Meaning of Consumer Goods », Journal of Consumer 25. David Aaker, Building Strong Brands (New York : The
Research, vol. 13, 1986, p. 71-83 ou Susan Fournier, « Consu- Free Press, 1996).
mers and Their Brands : Developing Relationship Theory 26. Géraldine Michel, « Évolution des marques : approche
in Consumer Research », Journal of Consumer Research, 1998, par la théorie du noyau central », Recherche et Applica-
vol. 24, n° 3, p. 343-373). tions en Marketing, vol. 14, n° 4, 1999, p33-53.
ST189.book Page 351 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 351

27. Kevin Keller, « Building Customer-Based Brand Equity », 46. David Aaker et Erich Joachimsthaler, Brand Leadership
Marketing Management, vol. 10, juillet-août 2001, p. 15-19. (New York : Free Press, 2000), p. 120.
28. Voir Marcel Botton et Jean-Jack Cégarra, Le nom de 47. « Nestlé veut faire passer La Laitière du frais au sec sans
marque (Paris : McGraw-Hill, 1990) ; Kim Robertson, publicité », CB News, 25 janvier 1999, p. 8.
« Strategically Desirable Brand Name Characteristics », 48. Pour une analyse approfondie des enjeux et des risques
Journal of Consumer Marketing, automne 1989, p. 61-70 ; associés aux extensions de marque, voir Géraldine Michel,
C. Kohli et D. La Bahn, « Creating Effective Brand Au cœur de la marque (Paris : Dunod, 2004), chapitre 4.
Names : A Study of the Naming Process », Journal of 49. Géraldine Michel, La stratégie d’extension de marque (Paris :
Advertising Research, janvier-février 1997, p. 67-75. Vuibert, 2000) ; Byung-Do Kim et Mary Sullivan, « The
29. Benoît Heilbrunn, Le Logo (Paris : PUF, « Que sais-je », Effect of Parent Brand Experience on Line Extension Trial
2001). and Repeat Purchase », Marketing Letters, n° 9, avril 1998,
30. Le livre des grandes marques, op. cit., p. 48-49. p. 181-193 ; Kevin Keller et David Aaker, « The Effects of
31. Mohanbir Sawhney, « Don’t Harmonize, Synchronize », Sequential Introduction of Brand Extensions », Journal of
Harvard Business Review, juillet-août 2001, p. 101-108. Marketing Research, vol. 29, février 1992, p. 35-50 ; John
32. David Court, John Forsyth, Greg Kelly et Mark Loch, Milewicz et Paul Herbig, « Evaluating the Brand Exten-
« The New Rules of Branding : Building Strong Brands sion Decision Using a Model of Reputation Building »,
Faster », McKinsey Marketing Practice 13 ; Scott Bedbury, Journal of Product & Brand Management, 3, 1, 1994, p. 39-47.
A New Brand World (Viking Press, 2002). 50. Subramanian Balachander et Sanjoy Ghose, « Reciprocal
33. Christophe David, « Chupa Chups victime de sa gour- Spillover Effects : A Strategic Benefit of Brand Exten-
mandise », Capital, octobre 2003, p. 45-46 ; et Ian Wylie, sions », Journal of Marketing, vol. 67, n° 1, janvier 2003.
« These Lollies are About to Go Pop », Fast Company, 51. Barbara Loken et Deborah Roedder-John, « Diluting
décembre 2002, p. 52-54. Brand Beliefs : When Do Brand Extensions Have a Nega-
34. Scott Davis et Michael Dunn, Building the Brand Driven tive Impact ? », Journal of Marketing, juillet 1993, p. 71-84 ;
Business (John Wiley & Sons, 2002) ; Colin Mitchell, voir également le numéro spécial de mai 1994 du Journal
« Selling the Brand Inside », Harvard Business Review, of Marketing Research, entièrement consacré aux marques ;
janvier 2002, p. 99-105 ; Donald Tosti et Roger Stotz, Peter S. Fader et Bruce S.G. Hardie, « Le produit au-delà
« Building Your Brand from the inside out », Marketing de la marque », L’art du marketing, (Paris : Village Mon-
Management, juillet-août 2001 et P. Berthon, JM Hulbert, dial, 1999), p. 111-116 ; M. Tauber, « Brand Franchise
L. Pitt, « Brand Management Prognostications », Sloan Extension : New Product Benefit from Existing Brand
Management Review, hiver 1999, p. 53-65. Names », Business Horizons, 24/2 (1981), p. 36-41.
35. Lydiane Huvé-Nabec, « L’extension du circuit de distri- 52. Henri Joannis, Cas Bic, groupe HEC ; Andrea Rothman,
bution sélectif d’une marque : quelles répercussions sur « France's Bic Bets U.S. Consumers Will Go for Perfume
l’image de la marque et celle de l’enseigne ? », Décisions on the Cheap », Wall Street Journal, 12 janvier 1989, p. B6.
Marketing, n° 35, juillet-septembre 2004, p. 49-60. 53. John Quelch et David Kenny, « Extend Profits, Not Pro-
36. David Kiley, « To Boost Sales, Volvo Returns to its duct Lines », Harvard Business Review, septembre-octobre
Roots : Safety », USA Today, 26 août 2002, p. 6B. 1994, p. 153-60 ; Bruce Hardle, Leonard Lodish, James
37. Nathalie Mizik et Robert Jacobson, « Trading Off Kilmer, David Beatty et al., « The Logic of Product-Line
Between Value Creation and Value Appropriation : The Extensions », Harvard Business Review, novembre-décem-
Financial Implication of Shifts in Strategic Emphasis », bre 1994, p. 53-62 ; J. Andrews et G. Low, « New But Not
Journal of Marketing, vol. 67, janvier 2003, p. 63-67. Improved : Factors That Affect the Development of Mea-
38. Jean-Marie Lehu, « Personnages emblématiques : la ningful Line Extensions », Working Paper Report, n° 98-
vieillesse peut être un naufrage », La Revue des Marques, 124, Cambridge, MA : Marketing Science Institute,
juillet 1998, p. 6-21. novembre 1998 ; Maureen Morrin, « The Impact of
39. Capital, « Harley-Davidson, c’est reparti comme au bon Brand Extensions on Parent Brand Memory Structures
vieux temps ! » de C. Piétralunga, août 2003, pp. 30-32. and Retrieval Processes », Journal of Marketing Research,
40. Jean Botella, « Les grandes marques valent-elles leur vol. 36, n° 4, p. 517-525.
prix ? », Capital, mars 2005, p. 50-52 ; Céline Astruc, 54. Barbara Loken et Deborah Roedder John, « Diluting
« Surgelés : les marques nationales en péril », LSA, 2 juin Brand Beliefs : When Do Brand Extensions Have a Nega-
2005, p. 60-62. tive Impact ? », Journal of Marketing, juillet 1993, p. 71-
41. « MDD non alimentaires : le prix n’est pas leur seule clé 84 ; Deborah Roedder John, Barbara Loken, et Christo-
d’entrée », LSA, 24 novembre 2005, p. 66-67. pher Joiner, « The Negative Impact of Extensions : Can
42. Recueil de prix réalisé en mars 2004 au Carrefour Flagship Products Be Diluted », Journal of Marketing, jan-
Bercy 2. vier 1998, p. 19-32 ; Susan Broniarcyzk et Joseph Alba,
43. Voir « Quelle stratégie face aux marques de distribu- « The Importance of the Brand in Brand Extension »,
teurs ? », L’Essentiel du management, 23 février 1996, Journal of Marketing Research, mai 1994, p. 214-28. Voir
no 102-108. Voir aussi Price Auchenthaler, « Les mar- également R. Ahluwalia et Z. Gürhan-Canli, « The
ques, un rôle catalyseur dans l’innovation », Les Echos, Effects of Extensions on the Family Brand Name : An
15 septembre 1998, p. 47 ; et « Marketing : innover pour Accessibility-Diagnosticity Perspective », Journal of Con-
séduire », Entreprendre, 1er avril 1998, p. 86-87. sumer Research, vol. 27, décembre 2000, p. 371-81 ;
44. « MDD : combattre les idées reçues », LSA, 16 mai 2002, Z. Gürhan-Canli et M. Durairaj, « The Effects of Exten-
p. 48-53. sions on Brand Name Dilution and Enhancement », Jour-
45. Jean-Noël Kapferer, « Les marques face au hard-dis- nal of Marketing Research, vol. 35, 1998, p. 464-73 ; S. J.
count : quelle marge de manœuvre ? », Revue Française Milberg, C. W. Park, et M. S. McCarthy, « Managing
de Gestion, vol. 30, n° 150, mai-juin 2004. Negative Feedback Effects Associated with Brand Exten-
ST189.book Page 352 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

352 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

sions : The Impact of Alternative Branding Strategies », Recherche et Applications en Marketing, 1995, vol. 10, n° 2,
Journal of Consumer Psychology, vol. 6, 1997, p. 119-40. p. 31-52 ; Chantal Lai, « Les déterminants de l’attitude
55. Voir Mehdi Seltene, « Processus d’évaluation de l’exten- envers les extensions de marques », Recherche et Applica-
sion de marque par le consommateur : conception et tions en Marketing, 2001, vol. 17, n° 1, p. 21-42.
validation d’un modèle de décomposition », Recherche et 58. « Pour tout changer, les constructeurs automobiles lan-
Applications en Marketing, vol. 19, n° 1, 2004, p. 1-24. cent de nouvelles marques », Le Monde, 6 mai 1998, p. 20.
56. Kevin Keller, op. cit., 2003. 59. Voir Mark B. Taylor, « Cannibalisation in MultiBrand
57. Sophie Changeur et Jean-Louis Chandon, « Le territoire- Firms », Journal of Business Strategy, printemps 1986, p. 69-
produit : étude des frontières cognitives de la marque », 75.
ST189.book Page 353 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 353

Activités

Question de réflexion
Pour ou contre un portefeuille de marques élargi ?
Certains spécialistes marketing soulignent l’utilité de disposer de multiples mar-
ques dans une même catégorie pour toucher des segments de marché différents et
pour fidéliser, à leur insu, des clients qui aiment changer de marque. D’autres
dénoncent le coût de telles politiques et la dispersion des investissements qui en
résultent, insistant sur la force des marques sur lesquelles les efforts sont concen-
trés. Qu’en pensez-vous ? Est-il préférable d’avoir une seule marque ou plusieurs ?

Exercice
Analysez les points communs et les différences entre les modèles d’évaluation du
capital marque présentées dans ce chapitre. Lequel vous paraît le plus pertinent ?
Pourquoi ?

Étude de cas
Mr. Propre
Procter & Gamble crée, aux États-Unis en 1959, la marque Mr. Clean, et l’intro-
duit en France sous le nom Mr. Propre en 1966. Très rapidement, elle est incar-
née par un personnage : un marin musclé et chauve, qui porte un tee-shirt blanc
immaculé et met ses muscles au service du nettoyage. Son crâne est aussi net
qu’un lavabo bien propre. Le positionnement, centré sur l’efficacité, est soutenu
par la présence de l’ammoniaque dans le détergent. Comme l’odeur de ce com-
posant est un peu forte, l’entreprise lance en 1972 un parfum au citron – c’est le
premier nettoyant ménager parfumé –, puis dans les années 1990, les parfums
fraîcheur cascade, lavande, fraîcheurs du monde et senteur des bois.
La marque fait très tôt l’objet de campagnes publicitaires, d’abord dans les
magazines féminins, puis, dès 1969, à la télévision. En un clin d’œil et en claquant
des doigts, Mr. Propre nettoie tout du sol au plafond. Le clin d’œil et le claque-
ment de doigts entrent d’ailleurs dans les composantes de la marque et restent
présents campagne après campagne. La promesse intègre progressivement la
brillance en plus de l’efficacité. Le slogan « Mr. Propre rend tout si propre que
l’on peut se voir dedans » apparaît dans les années 1970. Les films publicitaires
tournent autour d’un scénario commun : une ménagère ignorante découvre
Mr. Propre grâce à une amie ; celle-ci n’a d’ailleurs aucun mal à prouver la perti-
nence de son conseil puisqu’après application du produit, la ménagère initiée
voit son propre reflet dans le sol !
Dans les années 1990, la personnalité de la marque évolue pour tenir compte
des évolutions sociologiques. Mr. Propre apparaît comme un bon génie qui aide
les femmes pour leur permettre de faire autre chose que le ménage. Il rend égale-
ment service aux hommes qui prennent en charge certaines tâches ménagères.
Progressivement, la communication met moins en avant le produit et davantage
la marque et son personnage.
ST189.book Page 354 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

354 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

À la fin des années 1990, Mr. Propre devient un personnage à la mode. Il com-
munique de façon humoristique autour de l’actualité. Lors de la coupe du monde
de football en 1998, une campagne fait remarquer que les meilleurs joueurs sont
chauves. Lors de la création du PACS, Mr. Propre indique qu’il n’a pas attendu
« pour se mettre en ménage ». Lors de la Saint-Valentin, on découvre une affiche
de Mr. Propre serrant contre lui une éponge avec pour déclaration : « Son seul
amour, c’est votre intérieur ». En 2001, « Rien de tel qu'un homme qui vous offre
son corps » pour la Journée des femmes, ou « Besoin de faire le ménage dans la
sélection ? » au moment du festival de Cannes. Des tee-shirts à l’effigie du per-
sonnage sont vendus dans le commerce. La marque bénéficie en 2004 d’un taux
de notoriété assistée de 92 % en France, et d’une image très positive, à la fois sym-
pathique, conviviale et efficace. Mr. Propre vend un flacon toutes les secondes
dans plus de cinquante pays du monde.
Au début des années 2000, la marque fait l’objet de plusieurs extensions : les
lingettes détergentes en 1999 remportent un grand succès ; des balais et des gants
de ménage sont proposés sous licence Mr. Propre à partir de 2002.
La lessive Mr. Propre est lancée en Allemagne, en Autriche et en Suisse en
2002, en France en novembre 2004. Cette extension de marque apparaît comme
un événement dans un secteur qui n’avait pas vu apparaître de nouvelle marque
depuis vingt ans et qui connaît une décroissance (– 5 % en valeur en 2004). Le
marché est atomisé avec 19 marques distinctes, en plus des marques distributeurs
qui représentent 28 % de part de marché. Le leader, Ariel, du même groupe Proc-
ter & Gamble, détient de 21 % du marché devant Skip, de la société Unilever
(14 %), positionné autour du plaisir et de la practicité.
Le paquet de lessive Mr. Propre présente le personnage emblématique de la
marque plutôt que les visuels habituels des lessives évoquant les machines à
ST189.book Page 355 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

CHAPITRE 9 • Développer le capital marque 355

laver. Toutefois, ses bras musclés ne sont pas visibles afin de ne pas évoquer une
corvée à faire à la main et de ne pas laisser penser que la lessive est agressive
pour le linge. Le prix de vente varie selon les pays : il se situe en milieu de gamme
en Allemagne, Autriche et Suisse ; il est plus élevé en France (2,40 euros le litre
pour une bouteille de 3 litres, par exemple, là où Skip et Ariel, les deux marques
haut de gamme du marché, coûtent respectivement 2,42 euros et 2,65 euros)*. Ce
choix vise probablement à bénéficier de l’image haut de gamme de la marque en
France, ainsi qu’à attaquer le challenger Skip. Le référencement du produit est
rapide et atteint 80 % de grandes surfaces en deux mois. La communication est
fondée sur plusieurs outils : des publicités radio, par affichage et bien sûr télévi-
sées, mais pour une part plus réduite qu’habituellement dans ce secteur (34 % du
budget, contre souvent 80 %) ; Internet avec un jeu-concours et des forums de
discussion autour de la question « Pourquoi le tee-shirt de Mr. Propre est-il si
propre ? » ; des promotions sur le lieu de vente avec de nombreuses têtes de gon-
dole et animations (Mr. Propre tournant dans le hublot d’une fausse machine à
laver). En complément, la presse, notamment économique, évoque largement
l’événement.
En 2005, la marque obtient une part de marché en valeur de 0,9 % en France ;
globalement, Procter & Gamble perd cette année-là 0,8 % du marché avec un
score multimarque de 36,2 % en valeur. « Compte tenu des baisses de prix et de
promotions pratiquées en 2005, nous n’avons pas pu soutenir Mr. Propre comme
nous le souhaitions », reconnaît Jérôme Dubois, responsable du trade marketing
soins du linge chez Procter & Gamble, qui souligne également que le score global
de l’entreprise a augmenté sur les derniers mois de l’année. Plus généralement, le

* Prix relevés sur le site auchandirect.fr en mars 2005.


ST189.book Page 356 Vendredi, 5. mai 2006 3:12 15

356 QUATRIÈME PARTIE • Construire des marques fortes

marché des lessives continue à décroître (– 4,9 % en valeur et – 2,2 % en volume


en 2005). Le hard-discount représente 11 % des ventes (+ 1,7 point). Dans ce
contexte, il est décidé, début 2006, de retirer progressivement la marque Mr. Pro-
pre du rayon lessive, à l’exception de la lessive liquide.

Sources : François Bernheim, Guide de la publicité et de la communication (Paris : Larousse : 2004),


p. 18-19 et 282 ; C. Riste, « Procter & Gamble fait le ménage dans ses lessives », LSA, 5 janvier
2006, p. 32 ; C. Riste, « Entretien : la situation devient critique », LSA, 9 juin 2005, p. 51-54 ;
A. Rosencher, « Au secours, Mr. Propre débarque au rayon lessive ! », Capital, février 2005, 84-
86 ; Jean-Watin Augouard, « Mr. Propre ne ménage pas ses tours de magie », La Revue des mar-
ques, n° 49, janvier 2005, p. 27-33.

Questions
1. Faites une analyse du capital marque de Mr. Propre en étudiant notamment
les associations mentales qui lui sont associées.
2. Réalisez une analyse rétrospective de l’extension de la marque Mr. Propre
aux lessives, en identifiant les conséquences positives et négatives pour la
marque et pour l’activité d’extension. Expliquez les résultats obtenus.
3. Quelles recommandations formuleriez-vous à l’attention de Mr. Propre
concernant sa stratégie de marque à venir ?

Vous aimerez peut-être aussi