Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Stéphane Boisard
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/nuevomundo/78650
ISSN : 1626-0252
Éditeur
Mondes Américains
Référence électronique
Stéphane Boisard, « Pedro Martínez Lillo, Joaquín Estefanía (dir.), América Latina: un nuevo contrato
social », Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], Comptes rendus et essais historiographiques, mis en
ligne le 10 décembre 2019, consulté le 04 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/
nuevomundo/78650
Nuevo mundo mundos nuevos est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons
Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Pedro Martínez Lillo, Joaquín Estefanía (dir.), América Latina: un nuevo cont... 1
Stéphane Boisard
RÉFÉRENCE
Pedro Martínez Lillo, Joaquín Estefanía, América Latina: un nuevo contrato social, Madrid,
Marcial Pons, 2016, 336 p.
Great Revolution à la fin du XVIIe aux révolutions hispaniques du début du XIXe siècle)
ont conduit au XXe siècle à une lente démocratisation des sociétés et à la création
d'Etats-providence chargés d'assurer un minimum de redistribution entre les
différentes classes sociales. Bien que ce processus n'ait pas été exempt de larmes et de
sang du fait de l'exploitation ouvrière et du lourd tribut payé par les peuples colonisés
au développement européen, le point d'équilibre entre libéralismes économique et
politique, c'est-à-dire la tension entre marché et démocratie, semble actuellement
rompu. Or, si l'on en juge par le fait que la dictature communiste chinoise est devenue
le principal défenseur du capitalisme mondial et que fleurissent partout dans le monde
des démocraties "illibérales", force est de constater que c'est le principe même de
démocratie, c'est-à-dire de souveraineté populaire capable d'établir un consensus a
minima de règles communes, qui est fragilisé. L'intérêt de penser en terme de contrat
social permet donc de questionner l'idée que le libéralisme - surtout lorsqu'il est
circonscrit à sa seule dimension économique - soit synonyme de démocratie. Comme l'a
fort justement rappelé C. B. MacPherson (The Life and Times of Liberal Democracy,
Oxford: Oxford University Press, 1977), le libéralisme n'est pas né démocratique mais il
s'est démocratisé tout au long des XIXe et XXe siècles, de même que la démocratie s'est
aussi progressivement libéralisée pendant ce même lapse de temps. Partir de
l'Amérique latine, cet "extrême-occident" à l'origine de la création du "système-
monde" comme Immanuel Wallerstein a nommé le processus de mondialisation
politique, économique, culturelle et biologique qui démarre symboliquement en 1492,
est une porte d'entrée roborative pour penser les changements planétaires en cours.
3 Malgré les limites inhérentes à son caractère collectif, et notamment le fait que les
chapitres sont de facture inégale tant sur le fond que sur la forme, l'intérêt de ce livre
réside dans le fait que les chapitres dialoguent entre eux. Partant de données
statistiques sociologiques et économiques, Rebeca Grynspan (¿Hacia donde va América
latina? Fortalezas y debilidades, p. 25-54) met en évidence l'émergence de nouveaux
acteurs sociaux, signe d'un empowerment citoyen qui se traduit par des demandes
sociales accrues notamment en termes d'évolutions institutionnelles, d'amélioration
des conditions de travail et des systèmes éducatifs. Toutefois Fernando Gualdoni (La
vida tras el auge de las materias primas, p. 89-110) rappelle que la croissance économique
qui a permis cette évolution sociale repose sur des bases fragiles car l'Amérique latine
reste très dépendante de l'exportation de matières premières. Cet auteur souligne aussi
une autre limite possible de cette croissance, à savoir qu'elle est largement tributaire
d'un nouvel acteur, la Chine, qui a pris de plus en plus d'importance dans les économies
latino-américaines.
4 Le chapitre rédigé par Pedro Martinez Lillo et Pablo Rubio Apiolaza (Del neoliberalismo
conservador al giro a la izquierda: el discurso político latinoamericano en la era global,
1990-2010, p. 55-87), analyse l'évolution du discours néoliberal conservateur des années
1990 et le discours des gouvernements de gauche dans les années 2000. Il offre un cadre
historique fort utile pour lire le chapitre de Joaquín Estefanía (Democracia y ciudadanía,
p. 111-125), en suggérant une périodisation de la vie politique allant de la
généralisation des régimes démocratiques au début de la décennie 90 à l'élection de
Hugo Chávez à la présidence du Venezuela en 1998. Après les années de "démocratie de
marché" chère à Ludwig Von Mises et synthétisé dans le Consensus de Washington,
l'arrivée au pouvoir du leader vénézuélien ouvre la voie à un "virage à gauche" du sous-
continent et l'apparition dans les agendas politiques de thématiques telles que
l'approfondissement de la démocratie, la promotion d'un développement économique
7 Comme souvent, l'Amérique latine nous apparaît comme une sorte de miroir inversé de
l'Europe occidentale et des Etats-Unis d'Amérique où les problèmes sociaux y sont plus
exacerbés et prégnants du fait de l'ampleur des inégalités et de la violence qui
imprègne les relations sociales. Les choix originaux des thématiques et des perspectives
développées dans cet ouvrage en font un livre fort recommandable pour qui veut
comprendre l'Amérique latine contemporaine, et cela malgré la difficulté d'écrire sur
une actualité brûlante et mouvante. Les perspectives croisées et pluridisciplinaires
permettent d'ausculter les évolutions récentes tout en maintenant un regard critique.
On pourra regretter que ce livre reste incomplet tant dans sa couverture thématique
que géographique. On aurait apprécié, par exemple, des études sur le processus de paix
en Colombie, les relations entre le régime post-chaviste vénézuélien et ses voisins, le
rôle et l'influence des Etats-Unis d'Amérique de Donald Trump dans le contexte actuel
de tensions migratoires intercontinentales, la question des minorités ethniques (voire
des "majorités ethniques" dans certains pays) ou encore l'émergence de mouvements
féministes très revendicatifs à l'échelle du continent, sans oublier bien sûr les enjeux
écologiques à l'heure où l'Amazonie est en train de partir en fumée.
8 Au vu de l'actualité des dernières années, on attend donc avec impatience une suite à ce
livre sur la décennie 2010 marquée par l'arrivée de gouvernements de droite extrême,
parfois brutaux et agressifs comme c'est le cas au Brésil avec Jair Bolsonaro ou en
Colombie avec Iván Duque, ou "tout simplement" néo-conservateurs comme ceux de
Sebastián Piñera au Chili ou Mauricio Macri en Argentine. Au regard de la politique que
mène Jair Bolsonaro contre la grande forêt amazonienne et ses habitants, mais aussi de
la terrible répression exercée contre les populations, elles-aussi souvent
amérindiennes, qui s'opposent aux très polluantes industries d'extraction minière et
pétrolifère en Argentine, au Chili ou dans les autres pays andins, on ne peut que
suggérer l'inclusion dans le prochain volume d'un chapitre sur la question écologique.
L'investissement massif réalisé par la Chine afin de se garantir un accès aux matières
premières du continent mais aussi l'arrivée d'hommes d'affaires
"climatonégationnistes" au pouvoir dans les Amériques (Donald Trump, Sebastian
Piñera, Mauricio Macri ou Jair Bolsonaro soutenu par les tout-puissants
agrobusinessmen brésiliens) sont des facteurs qui laissent augurer une aggravation des
tensions géopolitiques et socio-économiques dans tout le continent. Il semble en effet
urgent d'interroger le rôle de ces dirigeants dans l'émergence d’un nouveau régime
climatique (Bruno Latour, Face à Gaïa, Paris: La Découverte, 2015) en questionnant notre
rapport à ce monde en crise. Car comme l'avait prophétiquement annoncé Antoni
Gramsci dans ces Cahiers de prison (Cahier 3, §34, p. 283, Paris: Gallimard, 1996) , "la crise
consiste justement dans le fait que l’ancien [monde] meurt et que le nouveau ne peut
pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus
variés. » Afin que dans ce clair-obscur ne surgissent plus de monstres, il faut
inlassablement "décrire" la réalité car « Décrire, c’est alarmer, émouvoir, mettre en
mouvement, appeler à l’action » (Bruno Latour, Face à Gaïa, p.38). On saura gré à ce livre
de Martínez Lillo et d'Estefanía, à défaut de nous apporter des réponses simples et
simplistes, d'avoir contribué à "décrire" la réalité présente de l'Amérique latine.
INDEX
Mots-clés : démocratie, Amérique latine, politique, institutions, société
Keywords : democracy, Latin America, politics, institutions, society
Palabras claves : democracia, América latina, política, instituciones, sociedad
AUTEURS
STÉPHANE BOISARD
INU Jean-François Champollion / FRAMESPA (CNRS-UMR 5136)