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BIOGRAPHIE

A se fier à la "Biographie" par laquelle s'ouvre le volume de ses Œuvres


complètes dans la prestigieuse collection de la Pléiade (édité par Gallimard en
1972), celui qui choisit pour nom de plume le mystérieux pseudonyme de Saint-
John Perse fut sans conteste un homme d'exception. On peut y lire pêle-mêle
le parcours d'un diplomate de haut rang et l'impressionnante chronique des
jours d'un créateur.
Mais c'est justement parce que Saint-John Perse fut avant tout un
créateur qu'il importe de considérer avec précaution cette "Biographie",
puisqu'il est avéré qu'il en est lui-même l'auteur.
C'est en fait l'ensemble de ce volume des Œuvres complètes qu'il prit
personnellement en charge, édifiant de son vivant son monument littéraire, tout
entier dévolu à la gloire d'un personnage légendaire, le Poète. Pour cette
opération unique en son genre, d'une auto-édition à la troisième personne, il
n'hésitera pas à remanier certains poèmes et surtout à réécrire toute une part
de sa correspondance, comme particulièrement les fameuses "Lettres d'Asie"
adressées à sa mère, pendant son séjour à Pékin. Au-delà d'une simple
entreprise de mystification, c'est en fin de compte surtout la poésie qui sort
victorieuse de cette réécriture, l'œuvre étant elle-même mise en valeur dans
cet écrin précieux certi de la légende du Poète.
A l'image de son oeuvre si singulière, le réel itinéraire biographique
d'Alexis Leger est, quoiqu'il en soit, peu banal. Une enfance choyée dans les
îles, au sein de l'aristocratie créole, un exil forcé vécu pour toujours comme un
arrachement, une jeunesse studieuse, une carrière diplomatique prestigieuse...
Moins voyageuse que celle de son aîné en poésie et en diplomatie Paul
Claudel, la carrière de Leger le mène tout d'abord en Chine, où il est témoin
des premières années agitées du nouveau régime républicain. Par la suite, il
passera l'essentiel de son parcours officiel au Quai d'Orsay, au service d'une
politique extérieure changeant au gré des nombreux ministres des Affaires
Etrangères des gouvernements successifs.
En tout cas, en 1940, avant la débâcle, intervient une cassure, puisque
l'ancien collaborateur d'Aristide Briand, l'ancienne éminence grise de la
"politique des Pactes" des années trente est dénoncé comme belliciste à la
suite de la signature des accords de Munich de 1938, puis mis en disponibilité.
Bien que sollicité par le Général de Gaulle pour rejoindre les instances
dirigeantes de la France Libre, Leger, alors exilé aux Etats-Unis, abandonne
toute carrière politique pour ne plus se consacrer qu'à son oeuvre, cédant
définitivement la place à Saint-John Perse, de retour en France en 1957.
En somme, au moins deux vies en une, au gré des métamorphoses
successives de cet homme public - écrivain chrysalide, et un itinéraire
personnel ressenti comme un destin. C'est à n'en pas douter dans son oeuvre
poétique elle-même que Saint-John Perse trouva le réel ancrage qui lui fit
défaut dans sa vie, lui qui s'identifia tant à la situation de l'exilé, jusqu'à en faire
son credo : "J'habiterai mon nom" (Exil, VI).
La personne du poète aura finalement pris le dessus d'une vie placée
sous le signe de la double identité, jusqu'à unifier un destin si bien résumé à
travers cette formule de Saint-John Perse dans son Discours de réception du
Prix Nobel : le "poète indivi
1960 : le couronnement du Prix Nobel de
Littérature
En 1960, Saint-John Perse se voit décerner le Prix Nobel de Littérature pour
l'ensemble de son oeuvre, « pour l'envolée altière et la richesse imaginative de sa
création poétique qui donne un reflet visionnaire de l'heure présente », selon les
termes de l'Académie suédoise. Dans son discours de remise du Prix au lauréat, le
Secrétaire perpétuel de l'Académie, le poète Anders Osterling, distingue dans la
poésie de Perse « un message universel » perpétuant « une grandiose tradition de
l'art poétique français ».
L’œuvre poétique :
Couronné en 1960 par l'attribution du Prix Nobel de Littérature, Saint-John
Perse dit un jour son attachement à "l'exigence, en art d'une œuvre réelle et
pleine, qui ne craigne pas la notion d' "œuvre", et d’œuvre "œuvrée", dans sa
totalité [...]" (Discours de Florence, O.C., p. 453 - Ecoutez le début du Discours
sur la page biographique du "Grand âge"). C'est peut-être par ce volontaire
pléonasme que l'on peut sans doute saisir l'une des caractéristiques
essentielles de la poésie de Saint-John Perse, qui peut aussi expliquer sa
réputation d'hermétisme.
Cette oeuvre si admirée, à la fois minutieuse dans son expression et
épique dans le souffle qui l'anime, se veut être avant tout une entité vivante, un
tout irréductible où les recueils successifs se répondent les uns les autres,
dessinant les contours d'un univers plein et cohérent. Goûter l’œuvre de Perse,
c'est donc entrer dans cet univers soigneusement construit, habité par ses rites
propres, ses scènes primales, ses fêtes et ses désastres, ses lignes
d'évolution.
C'est également se plier, d'Eloges à Chronique, à un style propre,
reconnaissable entre tous, hiératique et déclamatoire, menant le lecteur aux
confins d'une aventure spirituelle enthousiasmante, mais exigeant de lui une
attention soutenue face à la richesse d'une langue où rien n'est laissé au
hasard, une langue gouvernée par un continuel souci de précision.
Poésie du lien de l'homme avec le cosmos, poésie dédiée à la plénitude
de l'existence, l’œuvre de Saint-John Perse charrie en elle "le monde entier des
choses" (Vents, I, 1, O.C., p. 179) en une vaste fresque épique. L'ébranlement
des grandes forces primaires du monde, théâtre des destinées humaines et de
la marche des civilisations, s'allie parfois à des accents plus intimistes. Si la
puissance reste le maître-mot de l’œuvre, la palette des nuances employées
par le poète pour sonder l'âme humaine n'en est pas moins subtile.
A la lancinante réputation d'obscurité opposée à sa poésie et plus
généralement à la poésie moderne, Saint-John Perse avait coutume d'arguer
que la fonction même de la poésie fut toujours d'explorer l'obscurité elle-même,
que ce fût celle du monde ou celle de l'existence humaine. Il demeura en
revanche farouchement attaché au devoir de clarté de l'expression poétique,
face à cette exploration ténébreuse.
C'est dire que la difficulté qui lui est reprochée est surtout due à l'usage
fréquent de lexiques spécialisés, choisis non pas par goût d'une érudition
gratuite, mais surtout par devoir d'exactitude dans la nomination du monde et
de son foisonnement. Du reste, ce recours n'entrave jamais la compréhension
globale du sens profond, et si parfois cette poésie ne se livre pas d'elle-même
de prime abord, le lecteur attentif aura à cœur de découvrir chemin faisant
l'inépuisable subtilité lexicale que renferme cet univers, par le truchement de
jeux langagiers dont était friand ce fin gourmet de mots que fut Saint-John
Perse.
Même si beaucoup ont voulu l'associer à la veine surréaliste, après
qu'André Breton crut voir en lui un "surréaliste à distance", Saint-John Perse
n'est en fin de compte réductible à aucun courant littéraire, aucune des
nombreuses chapelles qui font la poésie française du XXe siècle - c'est dire
que sa position dans le cadre de la modernité poétique est très originale. A
l'instar de René Char ou de Jules Supervielle, son oeuvre transcende à coup
sûr les appartenances étroites, ne se réclamant que de son esthétique propre,
cette manière élaborée sous bien des inspirations et à l'écoute de bien des
influences, mais débouchant sur une originalité si marquée.
Dans l'histoire du poème en prose, Saint-John Perse serait à placer du
côté des chercheurs d'un ordre esthétique porteur et cohérent, plutôt que du
côté des chantres nombreux de l'anarchie formelle. Si l'on devait définir la
place de Perse au sein de la constante tension entre destruction et construction
qui irrigue tant l'histoire de la poésie moderne, ce serait certainement l'idée de
la recherche d'une discipline qui aiderait le mieux à cerner son tribut propre,
loin de toute tendance archaïsante, mais contre toute visée destructrice

Eloges
Les chemins de la mémoire
Le recueil
 Eloges est un recueil composite, qui regoupe plusieurs poèmes publiés à
la NRF au début du siècle : "Ecrit sur la porte", qui constitue une sorte de seuil,
publié en 1910, "Images à Crusoé", publié en 1909, les six textes de "Pour
fêter une enfance" parus en 1910, puis "Eloges" proprement dit avec ses 18
chants, publié en 1911. L'ensemble est le premier pan de la poétique
persienne, dans lequel se fixent déjà les repères essentiels d'un imaginaire.
L'ordre de succession des différentes parties du recueil est celui qui a été
fixé par Saint-John Perse pour l'édition de la Pléiade en 1972 : plusieurs
éditions précédentes présentaient un ordre différent. La genèse, les différentes
étapes de la composition du recueil sont retracés par Mireille Sacotte dans sa
présentation d'Eloges parue en 1999, à laquelle nous renverrons.
La thématique
Même par le détour d'Images à Crusoé (qui revisite le mythe de Robinson
Crusoé en une intention métaphorique d'identification qui apparaît assez
clairement), Eloges est avant tout le recueil poétique de la réminiscence : chant
pluriel du souvenir d'une enfance "seigneuriale" que déploient particulièrement
"Pour fêter une enfance" et "Eloges". Le monde de l'enfance est celui de la
Guadeloupe natale dont se souvient le jeune poète de vingt ans qui déjà, est
tourné tout entier vers la préoccupation de la continuité, au-delà de toute
position nostalgique facile.
Eloges reflète un monde où, on l'a beaucoup dit, règne l'ordre idéal de
l'univers, qui est l'environnement même de l'enfance ; c'est aussi le constat de
l'effondrement de cet ordre idéal du monde, auquel succède l'exil et la
nécessité de recouvrer l'unité. « Sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il
n'y a plus ? »

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