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1STMG3 - Commentaires Des Textes Du Bac Blanc II
1STMG3 - Commentaires Des Textes Du Bac Blanc II
3. Commentaire des l. 9 à 26 :
a. étonnement devant l’absence de honte de Manon : “Quoiqu’elle fût encore moins
âgée… embarrassée”. Ici, Manon reçoit, elle n’entreprend rien, il lui suffit d’être là,
les hommes viennent à elle => pouvoir magnétique de Manon (nouvelle illustration
de son “charme”). Mes politesses = salutations, formules toutes faites et admises ;
Manon en a probablement l’habitude, d’où l’absence de gêne. DG rapporte la
conversation qu’ils ont eue. “Ingénument” = naïveté calculée, probablement, car
Manon ne dit rien des raisons qui l’ont conduite à Amiens (le “pour arrêter sans
doute son penchant au plaisir” est de DG narrateur, qui a fait l’expérience de
l’amour avec Manon). Bref : sur ce point Manon dit la vérité mais pas toute ; en
cela, elle manipule DG. Mélange, dans ce personnage, de naïveté et
d’expérience, de spontanéité et de calcul.
b. Un lieu commun, un cliché littéraire : l’amour éclaire l’esprit. “Mes désirs” : DG
découvre qu’il a un corps ; son attirance pour Manon est physique, sensuelle.
DG s’anime ; son attitude, ses paroles révèlent à Manon l’effet qu’elle a
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Ce mépris à l’égard des inférieurs, on le rencontrera à plusieurs reprises - notamment à l’égard des laquais - ainsi p. 187 quand il tue
l’un des domestiques du directeur de Saint-Lazare : “C’était un puissant coquin, qui s’élança sur moi sans balancer ; je ne le
marchandai point ; je lui lâchai le coup [de pistolet] au milieu de la poitrine.” et p. 196 quand il corrompt le valet qui sert Manon à
l’Hôpital : [DG vient de lui promettre de le payer grassement, quoiqu’il dispose d’une fortune très médiocre à ce moment du récit] “Je
comptais bien qu’il me serait toujours aisé de récompenser un homme de cette étoffe.” DG, en tout cas, sait rappeler qu’il est noble
quand cela l’arrange.
produit sur son coeur - une fois encore, DG souligne l’expérience de Manon.
D’où les paroles qu’elle prononce ensuite : "c'était malgré elle qu'on l’envoyait au
couvent” : Manon se présente en victime. La suite est certainement un
commentaire du narrateur, qui présente Manon comme mue par une force contre
laquelle elle ne peut rien, si bien qu’elle devient, avec DG, un personnage tragique
(ce qu’indique la prolepse, c’est-à-dire l’annonce des malheurs à venir, l. 17-18).
DG s’anime encore davantage, et mobilise toute son éloquence, spontanée comme
apprise.
c. Euphémisme qui présente Manon sous un jour plutôt agréable : “elle n’affecta ni
rigueur ni dédain” = jeune femme spontanée, franche. Le dédain aurait pu résulter
du caractère “scolastique”, càd pédant, et guère associé à l’amour en littérature,
sinon sous forme grotesque et comique, de l’éloquence de DG ; mais Manon n’en a
cure, toute à l’idée de se libérer. Manon pèse ses mots (en effet, elle reprend la
parole “après un moment de silence”) et se présente à nouveau en victime, non
plus de ses parents, mais du sort ; elle obtient l’effet escompté : DG est prêt à tout,
y compris affronter Dieu. Cet engagement de DG résulte de l’envoûtement de
Manon (“la douceur de ses regards”, “un air charmant de tristesse”)... Mais DG
narrateur corrige aussitôt : non, décidément, ce n’est pas la jeune femme qui l’a
enjolé, lui a fait oublier ses devoirs ; c’est sa mauvaise étoile (“l’ascendant de
ma destinée qui m’entraînait à ma perte”) => dimension tragique
intentionnellement donnée au récit. Résolution de DG, qui adopte la posture du
combattant, du héros qui ne reculera devant aucun sacrifice pour obtenir la
femme qu’il désire.
L’extrait est remarquable par l’élan d’enthousiasme qu’il exprime : des Grieux est transporté
par une joie toujours plus intense – il manque même de s’évanouir (l. 24-26). Si, dans le premier
paragraphe, des Grieux surjoue l’optimisme pour consoler Manon de la misère dans laquelle ils se
trouvent tous les deux, et se montre un peu hésitant (l. 2 : « Vous m’aimez, n’est-ce pas ? »), la
confession de Manon (deuxième paragraphe) le confirme dans la parfaite réciprocité de leur
passion : dès lors, c’est l’exaltation (troisième paragraphe). Des Grieux parle d’un « excès de joie »
; son intonation est vive, comme l’indiquent le point d’exclamation et le verbe « m’écriai-je » à la
ligne 26 ; il insiste sur son bonheur : les mots qui l’expriment, au sens propre ou
métaphoriquement, s’accumulent : « être heureux », « ma félicité », « ces charmantes idées »,
« lieu de délices », « les vraies douceurs de l’amour », « des trésors ». Commencé dans
l’inquiétude, l’extrait s’achève sur la certitude du bonheur.
Le sort des amants paraît stable en effet : la misère (toute relative) du couple et de la colonie
qu’ils viennent d’intégrer éloigne les passions mauvaises qui les avaient jusqu’ici conduit au
malheur : l’intérêt (c’est-à-dire la passion de l’argent, qui pousse tout un chacun à se vendre au
plus offrant, à se corrompre et se souiller) n’ayant plus cours – la misère égalise les conditions – il
n’y a plus de jalousie (les hommes s’arrachaient Manon parce que la posséder revenait à affirmer
ostensiblement sa supériorité financière et sociale, à flatter à son orgueil : or, puisqu’à la Nouvelle
Orléans, tous sont égaux dans la misère, plus besoin de se distinguer en s’affichant aux côtés
d’une jeune femme particulièrement désirable), et, partant, plus de tentation ni d’inconstance.
L’épisode américain ne relève dès lors pas seulement d’un souci de « réalisme » de la part de
Prévost, ni non plus d’une habileté de composition (un moment de calme avant la catastrophe
finale), mais aussi d’une nécessité morale : il révèle la véritable nature des deux personnages –
ce sont des êtres essentiellement purs, vertueux, innocents. L’épisode américain s’avère –
dans cette page du moins – un équivalent de la « retraite » à laquelle rêvait des Grieux lorsqu’il
était retenu chez son père. Cette vie heureuse et comblée, menée à l’écart du monde, est un idéal
qui traverse l’œuvre de Prévost.
Malheureusement, ce bonheur est éphémère et semble définitivement inaccessible à une
humanité mue par de mauvaises passions. Car si la Nouvelle Orléans paraît un paradis à des
Grieux, c’est en raison d’une agréable illusion (il parle de « charmantes idées », il est comme
envoûté par son enthousiasme et son bonheur, il perd pied avec la réalité, inquiétante : en effet, à
la Nouvelle Orléans, les colons viennent chercher de l’or – en quoi ils ont tort, car les vrais trésors
sont à chercher dans le cœur et sont d’une nature immatérielle – mais cela montre que,
contrairement à ce qu’affirme des Grieux, l’intérêt et l’envie sont bien présents – la suite et la fin
des aventures du couple le prouveront !). Cet extrait conforte en tout cas le lecteur dans l’idée
que des Grieux et Manon sont des êtres fondamentalement innocents (quel tour de force
après des pages et des pages de mensonge, de trahison, de vol, d’excès en tous genres !), et que
leurs malheurs résultent des circonstances, de la corruption d’une société mue par le désir
de pouvoir, d’argent et de jouissances. Il montre aussi que des Grieux ne cesse d’être la dupe
de lui-même car le rêve de bonheur complet qu’il vise est irréalisable dans un monde où il y a
toujours quelqu’un pour vous envier et vous nuire.
Enfin, ce qui était au départ une scène délimitée dans le temps – la prise de possession de la
cabane qui est réservée au couple, la confession de Manon, l’expression de la joie immédiatement
éprouvée après par des Grieux) – et qui n’a duré que quelques instants, devient insensiblement
une séquence étalée dans le temps : la fin de l’extrait (à partir de ligne 31) laisse entendre que le
bonheur des amants a duré un peu – quelques semaines – car des Grieux se réjouit de son
bonheur régulièrement, comme le laissent entendre les expressions : « après cela » et surtout
l’adverbe « souvent » (l. 32).
Conclusion : ce texte vaut pour la confession et la conversion à l’amour vrai qu’il contient ; il
révèle un changement profond de Manon, qui devient une héroïne sentimentale, noble, se
préparant (pour ainsi dire) à une sortie tragique. Il fallait que Manon s’élevât ainsi au rang des
amoureuses marquantes de la littérature romanesque pour marquer profondément les mémoires.
Ce texte vaut également pour la pause heureuse qu’il apporte dans une intrigue pleine de
rebondissements. La fin de l’ouvrage n’en sera que plus tragique – à la fois terrible et émouvante.
Enfin, cet extrait conforte le lecteur dans l’idée que les deux héros sont essentiellement
innocents et que les malheurs qu’ils ont connus sont dus aux circonstances, à un entourage
corrompu et corrupteur.