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Droit

musulman
Tome 1 : Histoire. Tome 2 : Fondements, culte, droit public et mixte
Hervé Bleuchot

Éditeur : Presses universitaires d’Aix-Marseille


Année d'édition : 2000
Date de mise en ligne : 15 avril 2015
Collection : Droit et religions
ISBN électronique : 9782821853324

http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782731402230
Nombre de pages : 418

Référence électronique
BLEUCHOT, Hervé. Droit musulman : Tome 1 : Histoire. Tome 2 : Fondements, culte, droit public et
mixte. Nouvelle édition [en ligne]. Aix-en-Provence : Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2000
(généré le 16 avril 2015). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/puam/979>. ISBN :
9782821853324.
Ce document a été généré automatiquement le 16 avril 2015. Il est issu d'une numérisation par reconnaissance optique de caractères.
© Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2000
Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
Sommaire
Avant-propos
Transcription
Introduction générale
SECTION I - SITUATION DU DROIT MUSULMAN
SECTION II - PROBLÈMES ÉPISTÉMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES
Tome premier. Histoire du droit musulman
Périodisations
Chapitre I. Formation des sources du droit musulman
ier/viie siècle
SECTION I - LA SOCIÉTÉ ET LE DROIT PRÉISLAMIQUE
SECTION II - DROIT ET JUSTICE À L’ÉPOQUE DU PROPHÈTE
SECTION III - LE DROIT MUSULMAN SOUS LES RACHÎDÛN (632-661)
SECTION IV - LE DROIT MUSULMAN SOUS LES UMAYYADES (DE 40/661 À 99/717)
Chapitre II. Formation des principaux rites du droit musulman
2e-3e/viii-ixe siècles
SECTION I - LE 2e/VIIIe SIÈCLE : LA FORMATION DES ÉCOLES JURIDIQUES
SECTION II - LES DERNIÈRES ÉCOLES. COMPILATION ET DIFFUSION DES DOCTRINES (3e/IXe SIÈCLE)
Chapitre III. L’époque classique des rites
4e-12e/xe-xviiie siècles
SECTION I - LA PRÉPONDÉRANCE CHIITE L’ÂGE D’OR DES TRAITÉS (4e/Xe AU MILIEU DU 5e/XIe SIÈCLE)
SECTION II - LES SALJOUQIDES ET LE RETOUR À LA PRÉPONDÉRANCE SUNNITE. LE TEMPS DES DOCTRINES
MOYENNES (DU MILIEU DU 5e/XIe SIÈCLE AU MILIEU DU 7e/XIIIe SIÈCLE)
SECTION III - L’ÉPOQUE MONGOLE ET MAMLOUKE LE TEMPS DES COMMENTAIRES (DU MILIEU DU 7e/XIIIe À LA FIN
DU 9e/XVe SIÈCLE)
SECTION IV - L’ÉPOQUE OTTOMANE LE TEMPS DES SUPER-COMMENTAIRES (10e/XVIe AU 12e/XVIIIe SIÈCLE)
Chapitre IV. L’époque moderne
Du 13e/xixe au 14e/xxe siècle
SECTION I - LE XIXe SIÈCLE : LES RÉFORMES PRÉCOLONIALES
SECTION II - LE XXe SIÈCLE DU DROIT POSITIF AU DROIT NÉO-ISLAMIQUE
Conclusion de la partie historique
§ 1 - La méthode dans les comparaisons
§ 2 - La querelle des influences
§ 3 - Situation actuelle du droit musulman
Annexes du tome I
Annexe 1
Principales citations juridiques du Coran
Annexe 2
Principaux auteurs et personnages importants pour l’histoire du fiqh
Annexe 3
Calendrier de correspondance simplifié entre les années hégiriennes et les années
chrétiennes
Annexe 4
Tableau simplifié de l'histoire des dynasties musulmanes
Annexe 5
Bibliographie
Tome II. Fondements, culte, droit public et mixte
Introduction au tome II
Chapitre V. Les fondements du droit musulman
SECTION 1 - EN SUIVANT UN TRAITÉ D’USÛL AL-FIQH
SECTION 2 - QUELQUES PROBLÈMES POSÉS PAR LA THÉORIE DES USUL AL-FIQH
Les branches du droit musulman
Introduction. Les sources formelles du droit musulman
Chapitre VI. Le culte
SECTION I - LE CULTE MUSULMAN
SECTION 2 - FILIATIONS ET COMPARAISONS
Le droit public
Généralités
Chapitre VII. Le califat
SECTION 1 - LES THÉORIES CLASSIQUES DU CALIFAT CHEZ LES NON-SUNNITES
SECTION 2 - LA THÉORIE DU CALIFAT SUNNITE
SECTION 3 - LES DOCTRINES POST CLASSIQUES ET LA SITUATION ACTUELLE
Chapitre VIII. Le jihâd
SECTION 1 - LA CONCEPTION CLASSIQUE
SECTION 2 - LES CONCEPTIONS NON CLASSIQUES DU JIHÂD
Le droit mixte
Introduction
Chapitre IX. Organisation judiciaire et procédure
SECTION 1 - LʼORGANISATION JUDICIAIRE
SECTION 2 - LA PROCÉDURE
SECTION 3 - PROBLÈMES ANCIENS ET NOUVEAUX
Chapitre X. Le droit pénal
Section 1 - Le droit pénal musulman
Section 2 - Devenir du droit classique et discussions contemporaines
Annexe. Les islamismes, histoire et débats
Bibliographie
Tome II : Fondements, culte, droit public et mixte
Avant-propos

1Cet ouvrage est la mise en forme et l’amplification d’un cours que je professe depuis plusieurs années

dans diverses Universités du Sud de la France au niveau du DEA ou du DESS. Il visait un double but. Le
premier était d’introduire des étudiants qui n’étaient pas juristes et qui ne se destinaient pas aux
professions juridiques, à une discipline qui joue un rôle important dans le monde musulman voisin. Il
fallait donc décrire les grandes lignes du droit classique en expliquant la terminologie et il n’était pas
question de pousser trop loin le détail juridique. Le second but était d’amener les étudiants à
“problématiser” un corps de doctrines donné comme monolithique et immuable, c’est-à-dire à mieux
comprendre sa formation, son évolution, sa diversité, sa situation actuelle et le rôle qu’il joue dans les
débats contemporains.
2En réécrivant mon cours, j’ai dû naturellement mettre largement à contribution les auteurs qui ont
travaillé aussi bien sur le droit musulman que sur l’histoire et la sociologie des pays islamiques,
effectuant une démarche, explicitée dans le chapitre premier, qui est celle de l’historien anthropologue.
Bien sûr, je suis plus à l’aise dans certains chapitres que dans d’autres. Evidemment je n’ai pas tout vu, ni
tout lu. Qui le pourrait ? D’ailleurs il n’était pas nécessaire de trop en dire pour un manuel. J’espère
cependant avoir vu l’essentiel et n’avoir pas écrit cet ouvrage trop tôt. Mais, ayant fini par comprendre
que le scrupule de compétence ne cesse de croître avec le temps, en même temps que diminue la
prétention d’avoir quelque chose à dire, il fallait se décider à écrire, pendant qu’il me restait encore
quelque immodestie.
3Dans ce travail de réécriture, j’ai cherché à serrer de plus près les textes arabes, anciens et modernes,

quelques-uns du moins, d’abord dans le but d’introduire l’étudiant à la lecture des sources, mais surtout
pour refléter une mentalité, un esprit, y compris dans son état moderne. On ne saurait exposer le droit
musulman en se fondant uniquement sur les textes anciens, ni sur les travaux (fort utiles !) des orientalistes
de la précédente génération, encore moins sur les plus récents, trop portés sur la spéculation. Il m’a
semblé nécessaire de faire droit aux auteurs musulmans contemporains, même si je ne peux prétendre bien
les connaître, ni les connaître tous.
4J’ai cru aussi devoir accorder à l’histoire du droit musulman la place qu’elle méritait, la moitié de

l’ensemble. C’est une discipline essentielle, sans laquelle on est condamné à ne rien comprendre non
seulement à la doctrine ancienne, mais encore à la situation actuelle. La partie historique, ayant pris de
plus en plus d’ampleur, j’ai résolu, avec l’accord du directeur des Presses Universitaires d’Aix-
Marseille, M. Garcin, que je remercie au passage, de la publier six mois avant l’autre en un premier
tome. On remarquera que je me suis efforcé d’entrer réellement dans l’histoire du droit musulman, dans la
complexité de l’histoire des dynasties et des auteurs, et que j’ai refusé d’en rester à des généralités sur le
“fixisme” du droit musulman. C’est le travail de Henri Laoust (Les schismes dans l’islam) qui m’a servi
de modèle, et je reconnais volontiers ma dette à l’égard de ce grand orientaliste français.
5La partie juridique formera le tome II Étant donné que je n’ai aucun a priori positiviste ou laïciste sur la

nature de ce qui est juridique, je me suis efforcé d’aborder toutes les matières, c’est-à-dire les
fondements méthodologiques (usûl) du droit musulman, et toutes ses branches (furû’), lesquelles
comprennent aussi le culte, le califat, le jihâd et le droit pénal. Le droit musulman, le fiqh, c’est tout cela,
et il n’est pas limité au seul droit privé. Dans le même esprit, j’ai voulu donner une idée de la diversité
des positions des écoles (ou des rites) juridiques. En regard des doctrines dominantes (hanéfite et
malékite), j’ai évoqué les principales divergences des autres rites sunnites et, dans une bien moindre
mesure, chiites et ibadite. Je me suis efforcé encore de ne pas négliger la pratique : j’ai essayé de donner
une idée de l’application diversifiée du droit musulman dans le monde arabe, hier et aujourd’hui, et dans
quelques unes des régions que je connais un peu ou sur lesquelles j’ai fait des lectures. Ici, vu
l’immensité du sujet, je ne pouvais songer qu’à indiquer quelques pistes. Je sais bien que parler de
“l’application du droit musulman” peut paraître une démarche trop classique, voire désuète pour certains
anthropologues. Je renvoie sur ce sujet à mon introduction.
6L’étudiant ne doit pas s’attendre à trouver dans ce travail autre chose qu’un guide pour ses premiers pas.

Il doit très vite fournir sa part de recherches, de trouvailles, de réflexions personnelles. Je lui
recommanderais deux choses. La première, c’est de ne pas chercher à trouver dans le droit musulman les
preuves de la supériorité ou de l’infériorité de l’islam : l’esprit militant est ce qui se fait de mieux pour
rendre aveugle et sourd au bon sens scientifique le plus élémentaire. La seconde est de se méfier des
résumés, aussi excellents soient-ils, qu’ils soient traduits de l’arabe ou faits en français, et d’abord de
l’ouvrage qu’il tient en mains. Il devra leur préférer la lecture des grands textes sources qu’il lui faudra
comprendre à la lumière de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie religieuse, etc. Il devra surtout
comparer avec ce qui s’est fait dans d’autres civilisations, cela est la clef, à mon sens, d’une bonne
compréhension de ce qu’est le droit musulman. Des bibliographies choisies l’aideront dans ses premières
recherches.
7Aix-en-Provence, janvier 2000

8P.S. Il est certain que cet ouvrage comporte des erreurs, des lacunes et des points de vue discutables. En
vue d’une nouvelle édition corrigée, je serais très heureux de recevoir les remarques de ceux qui me
liront, en particulier des étudiants. J’en tiendrai le plus grand compte. Merci donc de m’écrire à
l’IREMAM, 3-5 avenue Pasteur, 13617 Aix-en-Provence Cedex 1.
Transcription
Introduction générale

1Rejetant les problèmes relatifs à la nature du droit musulman, ainsi que la description de ses caractères

généraux à notre chapitre final (t. II), nous n’envisageons dans ce chapitre que de définir sommairement le
droit musulman et de le situer dans les champs de recherches où il se place (section I). Cependant nous
aborderons dès à présent divers problèmes épistémologiques et méthodologiques (section II), car ils
proposent une attitude qui nous semble nécessaire à une bonne compréhension de tout le reste.
SECTION I - SITUATION DU DROIT MUSULMAN
2Le droit musulman doit être situé dans le cadre des disciplines islamiques (§ 1), puis dans celui des

disciplines juridiques en général (§ 2).


§ 1- Le droit musulman (al-fiqh) et les disciplines islamiques

31 — Le fiqh, une science sacrée. Après la conquête d’une bonne partie de l’Empire byzantin, les Arabes

musulmans sont entrés en contact avec la philosophie grecque et la théologie chrétienne 1 . Ils ont produit
un ensemble de connaissances rationnellement organisées, les sciences religieuses islamiques (al ’ulûm
al-islâmîya). Ces sciences sont, dans l’ordre approximatif de leur apparition : le droit musulman (al-
fiqh) ; l’étude de la tradition islamique (as-sunna) qui est une science double comportant celle du ẖadîth
(dires du prophète 2 Muẖammad ou Mahomet) et de la sîra (vie du Prophète) ; le commentaire du Coran
(at-tafsîr) ; la théologie (al-kalâm) ; enfin la mystique (at-tasawwuf)- Il existe aussi des matières
propédeutiques à celles-ci, comme la grammaire, la lexicographie, et d’autres disciplines proprement
scientifiques comme les mathématiques, la médecine, ou littéraires (poésie, etc.).
4Le droit musulman, al-fiqh, comme les autres sciences islamiques est donc une science sacrée. Comme
elles, il dit puiser sa matière dans les sources fondamentales de l’islam 3 , le Coran, la Sunna (tradition),
l’unanimité (ijmâ’) des Compagnons du Prophète, mais il puise aussi dans des procédés techniques de
raisonnement dont le principal est l’analogie (qiyâs), raisonnement qui doit s’appliquer sur les sources
fondamentales. Le fiqh a donc deux versants, l’un énonciatif, c’est-à-dire rapportant la tradition, l’autre
déductif, commentant et développant cette dernière. Celui qui pratique le fiqh est le faqîh, pl. fuqahâ’, que
nous traduisons par juriste(s). Le mot fiqh signifie “intelligence ou compréhension” (d’un discours), et
peut désigner, dans les textes les plus anciens l’ensemble des matières religieuses.
5Dans les débuts de l’islam le mot fiqh désignait plus particulièrement le second versant dont on a parlé,
celui des procédés de raisonnement. Il correspondait alors au mot ra’y, opinion, jugement indépendant
des sources fondamentales. Il s’opposait au ’ilm, science, qui désignait prioritairement la connaissance
religieuse révélée, rapportée. C’est elle qu’il faut aller chercher jusqu’en Chine selon le célèbre dire
(ẖadîth) du prophète Muhammad. Par la suite le fiqh engloba les deux sens, mais en revanche il ne
désigna plus que les matières juridiques au sens large, excluant celles qui devinrent l’objet de la
théologie ou de la morale.
6Le fiqh ne se présente donc pas comme une science purement rationnelle, indépendante de la religion,

comme le sont les mathématiques. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’utilise pas la raison. Mais, dans
l’optique de la philosophie dominante acharite (voir t. II, chap. 5), la raison est, dans le fiqh, une servante
de la religion. Elle ne s’exerce qu’en aval des sources pour les traduire en loi, ou dans les interstices de
celle-ci, dans ses manques, pour la compléter, et cela, sans en contredire l’esprit. Pour faire court, on
peut dire qu’avec de la raison seule, le faqîh, le juriste, dans son effort de recherche de la loi sacrée
(ijtihâd), ne peut fabriquer de la loi islamique, encore moins remplacer une partie de la loi islamique par
une autre qui serait plus rationnelle ou plus adaptée aux circonstances ou aux objectifs politiques
(Schacht, Introduction, p. 12 ; Shorter Encyclopaedia of Islam, p. 102) 4 .
72 — Fiqh et charî’a. Au xxe siècle, les auteurs réformistes et modernistes ont insisté sur la différence

entre le fiqh et la charî’a (loi islamique). Celle-ci serait la révélation elle-même et s’identifierait à la
religion éternelle selon le Tafsîr al-manâr de Muẖammad ’Abduh et de Rachîd Riḏa (t 2, p 257, Zaydân p
38). En revanche, le fiqh serait l’œuvre des fuqahâ’ (juristes de droit musulman, sg. faqîh) dans leur
recherche de la loi islamique (ijtihâd). Chez eux, le mot fiqh a donc une connotation humaine, tandis que
la charî’a a une connotation divine (Calder, Encyclopédie de l’islam, 2° éd., art. sharî’a). La définition
du fiqh actuellement admise est celle du Talwîẖ, charẖ at-tawdîẖ du hanéfite at-Taftâzânî 5 : “(c’est) la
connaissance des statuts pratiques de la charî’a à partir de ses preuves (dalîl, pl. adilla) détaillées et par
voie de déduction (istidlâl)” 6 . Les réformistes et modernistes exploitent souvent cette nuance entre le
fiqh et la charî’a, ce qui leur permet de s’émanciper du fiqh classique. Ainsi on peut distinguer dans le
fiqh ce qui, de par sa certitude, appartient à la charî’a et est donc immuable, et ce qui est plus incertain,
parce que produit par la recherche humaine (ijtihâd), et est donc rectifiable par un nouvel ijtihâd (Zaydân,
p. 63 sq.).
8Nous emploierons ici “loi islamique” ou “loi musulmane” (expressions équivalentes pour nous
contrairement à certains auteurs), la concevant comme ce qui est donné à travers le fiqh. Quant au mot
charî’a, il comporte une ambiguïté fondamentale. De fait la charî’a est identifiée par les auteurs
réformistes et modernes au texte clair du Coran et de la Sunna. Or la Sunna est postérieure au fiqh, ou au
moins elle lui est contemporaine. Elle est un construit de l’époque abbasside, comme on le verra dans la
partie historique. Le doute a même été jeté sur l’ancienneté de l’interprétation juridique du Coran. La
charî’a ainsi conçue serait donc encore du fiqh. Dans cette situation de doute, et par égard pour les
“relectures” actuelles du droit islamique et de l’islam, nous avons décidé d’éviter l’emploi du mot
charî’a. Pour nous donc, la loi islamique est toujours celle du fiqh.
93 — Contenu du fiqh. Un manuel de fiqh contient différentes sortes de prescriptions et de normes.

D’abord des règles sur des matières que nous appelons habituellement droit : statut personnel (mariage,
divorce, successions), contrats, procédure, droit pénal, droit de la guerre et droit international, etc. Mais
aussi des règles cultuelles comme celles qui traitent des “cinq piliers de l’islam” : profession de foi,
prière (et ablutions), pèlerinage, aumône de purification, jeûne du mois de Ramaḏân, prescriptions
auxquelles il faut ajouter diverses règles alimentaires, ou cultuelles (enterrements, vœux, etc.),
l’ensemble de ces règles cultuelles étant regroupé sous le terme de ’ibâdât, par opposition aux autres
règles qui sont dites les mu’âmalât. Trop souvent on exclut les prescriptions cultuelles de l’étude du droit
musulman. Elles sont pourtant bien du droit musulman : elles procèdent des mêmes sources, avec les
mêmes méthodes. De la même manière, le droit canonique chrétien, dont on n’a jamais nié le caractère
juridique, comprend des règles organisationnelles à côté de règles cultuelles.
10Les mu’âmalât ne comprennent pas seulement les règles juridiques non cultuelles, mais encore des

règles de politesse, de morale, des conseils de toute sorte, par exemple l’encouragement à l’équitation ou
au tir à l’arc. Un traité de fiqh est un code de conduite qui se veut complet. Le croyant doit savoir
exactement son devoir dans ce bas monde et gagner ainsi son paradis. Cependant, comme on le verra,
certaines règles de droit public sont systématiquement absentes ou sommairement indiquées dans les
traités classiques, ce sont celles qui concernent le califat, al-khilâfa.
11Le droit musulman comprend aussi depuis longtemps l’étude de la méthodologie qui, selon sa propre

théorie, permet de passer des sources (Coran, Sunna) aux différentes règles juridiques. Ici encore on ne
saurait exclure cette étude du droit musulman, non seulement parce que la formation des cadis (qâḏî, juge)
l’incluait, mais encore parce qu’on se condamnerait à rater le cœur même du droit musulman, c’est-à-dire
sa logique. Enfin, on doit compter encore comme faisant partie du droit musulman l’histoire du droit
musulman, discipline qui s’est dégagée des biographies hagiographiques (manâkib, ṯabaqât...) pour
devenir, sous l’impulsion des orientalistes, une véritable histoire. Cette discipline est fort importante,
trop souvent négligée pour les ixe-xviiie siècles. Elle constitue la matière de notre tome I, Histoire, le
reste figurant au tome II, Droit.
124 — Importance des systèmes pour la terminologie. Ainsi nous comprenons le droit musulman dans le
sens le plus large possible. Mais un mot n’a de sens que dans un système de mots, et cela est vrai
particulièrement dans les systèmes juridiques. Le terme “droit musulman” a donc été redéfini dans les
systèmes de droits des États contemporains de l’aire musulmane. A l’heure actuelle aucun État n’applique
intégralement et exclusivement le droit musulman. Ce dernier cohabite donc toujours avec d’autres lois
(plus ou moins nombreuses, tantôt englobantes ou englobées, dominantes ou dominées). Par exemple en
Égypte, la matière “droit musulman” ne renvoie qu’à l’étude du statut personnel, car dans le système
juridique égyptien, c’est surtout à propos du statut personnel que la loi et le fiqh s’entrecroisent. Par
contrecoup en Égypte, le terme “droit civil” ne comprend pas le statut personnel. Dans l’enseignement
des facultés, l’étude du reste du droit musulman n’est pas systématiquement oubliée, mais elle se fait sous
le terme “fiqh”. Cette terminologie dépend évidemment du système juridique positif de l’Égypte mis en
place à la fin du xixe siècle.
13On a vu aussi que l’emploi du mot charî’a posait problème. La terminologie est donc une première

matière à controverse. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas de terminologie juste en soi, mais qu’elle se
fait toujours par rapport à un cadre de référence, à un système, qu’il convient de préciser. Le cadre
islamique traditionnel n’est évidemment pas le cadre positif égyptien, ni le cadre des auteurs réformistes,
ni encore le cadre des sciences “occidentales”. Pour notre part, étant donné que nous cherchons
prioritairement à prendre la mesure du droit musulman traditionnel, nous identifions les termes droit
musulman et fiqh, étant bien entendu que, lorsque nous nous placerons dans un système de références
différent, nous donnerons les repères nécessaires.
§ 2- Le droit musulman dans le cadre des sciences juridiques

145 — Le point de vue de l’anthropologue du droit. Du fait de son a priori religieux, le droit musulman

devrait être exclu du domaine scientifique. Toutefois, dans une optique positiviste, qui considère que
“dire le droit” est une science, on pourrait l’inclure. Le travail du faqîh serait alors une science, un peu
spéciale, mais pas fondamentalement différente de celle du droit conçu dans cette optique. Le juriste
positiviste ne se préoccupe pas de la légitimité des sources, ni de la validité des objectifs du droit,
problèmes qu’il laisse au théologien, au moraliste ou au politique. Le travail du juriste est alors
scientifique parce qu’il utilise la raison ou la logique et qu’il se borne à relever les problèmes de
conformité par rapport aux sources, ou de cohérence interne, ou d’interprétation.
15Mais, et c’est notre option, on peut considérer le droit comme un produit culturel, un art, une technique,

largement dépendant des valeurs fondamentales d’un groupe humain, d’un État, d’une société et dont
l’objectif est de gouverner la société conformément aux dites valeurs, d’où son caractère normatif. Dans
cette optique le droit est un produit rationnel, mais pas un produit scientifique. Il faut le distinguer alors
des disciplines scientifiques que Lévy-Bruhl appelle la “juristique”, c’est-à-dire de la sociologie
juridique, de l’histoire du droit et du droit comparé, qui, ensemble, forment l’anthropologie juridique
(Rouland, Anthropologie). Cette discipline est incontestablement scientifique, puisque son objectif n’est
pas de fonder une norme, de la légitimer ou de la développer par rapport à des normes fondamentales
indiscutées (les sources du droit), mais au contraire d’expliquer la naissance, le fonctionnement apparent
et réel d’un système et de ses sources en faisant appel à l’histoire, à la psychologie, à la sociologie, à la
science politique, etc.
16Le fiqh comme technique doit alors se distinguer de la science du droit musulman, ou plus exactement
de l’anthropologie du droit musulman qui regroupe le droit comparé, l’histoire, la sociologie et la
philosophie du droit en tant qu’ils s’intéressent au fiqh. Nous adoptons ainsi une démarche qui n’est pas
celle du faqîh, ou du mujtahid (celui qui pratique l’ijtihâd), à la recherche de la vraie doctrine de l’islam.
Il s’agit au contraire d’expliquer un donné, le fiqh, dans toutes ses dimensions. On comprend alors que cet
intérêt ne peut se borner à l’étude de la technique juridique du fiqh, mais s’ouvre non seulement à toute
l’histoire des pays musulmans, à leur sociologie et anthropologie, mais encore aux droits et situations
comparables en dehors du monde musulman. On est renvoyé à un “phénomène social total”, à la naissance
et au développement d’un système juridique dans le concert des systèmes voisins et contemporains.
SECTION II - PROBLÈMES ÉPISTÉMOLOGIQUES ET
MÉTHODOLOGIQUES
17La distinction entre le fiqh et les sciences juristiques est, elle aussi, le produit d’une histoire et d’une
situation qu’il convient d’analyser (§ 1) avant de revenir sur ce qui fait l’essentiel de la démarche
anthropologique (§ 2).
§ 1 - De l’orientalisme à l’apologétique musulmane

186 — Découverte du fiqh et orientalisme. Ce fiqh, donné immense par ses dimensions, a fait l’objet

d’une recherche scientifique en Occident, à partir du xviiie siècle. Un ensemble d’études sur “l’Orient”
s’est développé à cette époque et il a reçu le nom d’orientalisme. Comme les autres sciences humaines, il
s’est constitué en rupture avec le savoir chrétien (Bleuchot, La connaissance). Une manière scientifique
d’étudier l’islam et son corpus classique de théologie, de droit, de mystique, vit alors le jour.
L’islamologie, qui est une branche de ce nouvel ensemble, fut, à ses débuts, fortement marquée par le
niveau de la science de son temps : par exemple on utilisait le concept de “race sémite” et on s’efforçait
de tout expliquer par lui, de la même manière qu’on utilisait l’idée de “race franque” et de “race gallo-
romaine” pour expliquer l’histoire de France. Les voyages, les colonisations, puis les indépendances, ont
enrichi ce savoir de manière considérable aux xixe et xxe siècles. L’islamologie attira des historiens, des
arabisants, des philosophes, des théologiens... mais aussi des juristes.
19Malgré la diversité des disciplines, on assiste actuellement à une convergence des préoccupations et
des méthodes, mais force est de dire qu’elle se fait de manière inorganisée, faute surtout d’un cadre
universitaire adéquat. Le point central de cette convergence a été souligné (Bleuchot, L’étude) : tous ceux
qui traitent du droit musulman sont réunis par la même préoccupation de ne pas répéter les formules du
fiqh sans en montrer la dimension historique, sociale, économique, politique, idéologique. Il s’agit
toujours d’expliquer ce donné comme un “phénomène social total”. Cette convergence est surtout le fait
des Occidentaux, moins préoccupés que jadis de tâches positivistes, en raison de la décolonisation, alors
que ces dernières demeurent la préoccupation principale des juristes des pays musulmans.
20De même que la problématique globale de l’anthropologie juridique, a substitué à l’européocentrisme
évolutionniste, fruit de la situation coloniale, des problématiques mettant en évidence le pluralisme
juridique, de même l’islamologie juridique et le droit musulman comparé ont suivi une évolution d’un
certain positivisme colonial à la reconnaissance de la multiplicité des droits et coutumes musulmanes.
Mais le problème de l’ethnocentrisme n’est pas simple quand il s’agit de l’islam.
217 — Affrontements des “centrismes ”. Le chercheur suspecté. Pour nous, il est essentiel est de prendre

conscience de la situation épistémologique de l’observateur du droit musulman par rapport à l’observé.


De quel centre, de quel “centrisme” part l’observateur et qu’observe-t-il, quelle périphérie, quelle
pluralité ou bien quel autre “centrisme” ? La spécificité de la matière retentit-elle fortement sur l’attitude
du chercheur et remet-elle en cause ses références habituelles ?
22Le problème classique de l’européocentrisme s’est posé bien évidemment aux islamologues et
comparatistes du droit musulman. Le refus de l’européocentrisme (il faut préciser : ethnocentrisme est un
terme trop général) fait pourtant apparaître un autre danger, l’islamocentrisme, ce qui a amené B. Etienne
à présenter le problème du chercheur par une alternative apparemment sans issue : “Peut-on penser le
droit musulman autrement que pour le combattre ou s’y soumettre ?” 7

23Malgré certaines curiosités de type antique (les géographes arabes sont des Hérodote), et même si, avec

Ibn Khaldûn, on s’approche d’une problématique sociologique digne de Montesquieu, la civilisation


islamique n’a jamais pu produire que fort tardivement, sous l’influence occidentale, et marginalement, un
regard laïc sur soi et l’autre, condition essentielle pour approcher de la création d’une science humaine.
Ces laïcs, ces scientifiques du monde musulman, sont marginalisés et disqualifiés par les clercs
musulmans, car la démarche scientifique est perçue comme importée, comme un cheval de Troie laissé
par le colonisateur. En Occident, à l’inverse, le regard laïc et scientifique a supplanté l’autre, chrétien, au
point que le discours chrétien apologétique est ridiculisé et marginalisé, cela même dans l’exégèse ou la
théologie chrétienne.
24L’objectif de l’apologétique musulmane est de nier la validité d’un regard non religieux, scientifique.
Pour le clerc musulman le regard laïc, scientifique, ne peut être qu’un regard chrétien, le savant est un
croisé. Qu’un non-musulman écrive sur l’islam et le droit musulman ne peut donc être que suspect aux
yeux du clerc musulman, car pour lui toute écriture sur l’islam venant d’ailleurs et en particulier
d’Occident ne peut être qu’une attaque puisqu’il assimile le chrétien et le laïc. Ce qui ne l’empêchera pas
d’ailleurs d’utiliser des arguments de type scientifique, par exemple le manque d’objectivité ou
l’européocentrisme des orientalistes (Bleuchot, Compte-rendu).
25Mais ce n’est pas tout. Aux yeux de certains scientifiques aussi, le chercheur sur le droit musulman

serait suspect, et doublement. Soit du fait qu’il projette ses méthodes, ou pire, ses principes juridiques et
jugements, sur le fiqh, car il trahit la science par ethnocentrisme. On lui reprochera de mesurer le droit
musulman à l’aune des droits de l’homme ou de sa morale. Cette thématique critique s’accorde avec celle
du clerc musulman qui dénonce l’attaque. Soit encore, s’il se contente de répéter “objectivement” les
formules du fiqh, il pècherait par islamocentrisme, celui des “turcs de profession” dénoncés par J. P.
Peroncel-Hugoz (Peroncel-Hugoz, Le radeau) puisqu’il s’est soumis au clerc musulman. Il jouerait le
rôle de “l’ethnologue de service”, passé du service du colonisateur à celui de la bourgeoisie du tiers
Monde, plus implacable encore, ou pire, au service des islamistes terroristes. Il est fréquent que les
agnostiques musulmans reprennent cette accusation contre les orientalistes qui “ont failli à leur devoir”,
sous-entendu, de dénoncer l’islam, par exemple Ibn Warraq.
268 —Impact sur les recherches. Certes l’anthropologue a toujours rencontré des sociétés
ethnocentriques. Mais jamais l’ethnocentrisme de l’observé n’a retenti avec autant de force sur
l’observateur. Car l’observé ici se débat sous le scalpel et ne manque pas d’influencer l’observateur,
surtout si ce dernier s’efforce d’écouter attentivement le patient ! L’observé écrit, proteste, il est présent
dans les colloques et même il vit en nous par “empathie” (si l’on adopte la théorie de Charnay). Cette
situation n’est pas sans effets sur les débats scientifiques :
1. Les discussions sont ramenées trop souvent à l’opposition ou à la comparaison de l’islam et du
christianisme. Prêtres et ulémas, croisade et jihâd, carême et jeûne du mois de Ramadan, autant de
thèmes répétés parce qu’ils reviennent sans cesse dans les sources et les débats, surtout modernes.
2. Cette attitude fait rejaillir la question de l’évolutionnisme avec la récurrence de questions du genre :
Quel est le plus moderne des deux systèmes de droit, l’occidental ou le musulman ? Réintroduire le
droit musulman n’est-ce pas faire un “retour en arrière” ?, etc.
3. L’apologétique de l’islam refuse de reconnaître toute influence. D’où les débats persistants en
histoire du droit sur les rapports d’influence entre l’islam et le droit romain, ou entre l’islam et le
droit occidental. Selon certains auteurs, Bonaparte a pris l’essentiel du Code civil en Égypte, du
droit musulman (’Alî ’Alî Mansûr). Peut-on, doit-on répondre, ou omettre de répondre au fond ?
Etc., etc.
279 — La position de Lévi-Strauss. Critique. On est donc en plein conflit de civilisations, de deux
civilisations assimilationistes, chacune accusant l’autre de particularisme. Mais sommes-nous bien sur le
même plan quand la vision scientifique et la vision islamique s’opposent ? C’est qu’affirme Lévi-Strauss
dans Tristes Tropiques :
28“Vis à vis des peuples et des cultures encore placés sous notre dépendance, nous sommes prisonniers

de la même contradiction dont souffre l’islam en présence de ses protégés et du reste du monde. Nous ne
concevons pas que des principes, qui furent féconds pour assurer notre propre épanouissement, ne soient
pas vénérés par les autres au point de les inciter à les adopter 8 pour leur usage propre, tant devrait être
grande, croyons-nous, leur reconnaissance envers nous de les avoir imaginés en premier. Ainsi l’islam
qui, dans le Proche Orient, fut l’inventeur de la tolérance, pardonne mal aux non-musulmans de ne pas
abjurer leur foi au profit de la sienne, puisqu’elle a sur toutes les autres la supériorité écrasante de les
respecter.” (p. 469).
29Un peu avant : “l’islam, c’est l’Occident de l’Orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer

l’islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française” (en ce sens que l’islam
constitue l’exemple à ne pas suivre)... “chez les musulmans comme chez nous, j’observe la même attitude
livresque, le même esprit utopique... la France de la Révolution subit le destin réservé aux
révolutionnaires repentis, qui est de devenir les conservateurs nostalgiques de l’état des choses par
rapport auquel ils se situèrent une fois dans le sens du mouvement”... (p. 468-69)... Les ethno-centrismes
seraient symétriques. On peut penser aussi aux expressions étranges de “fondamentalisme laïc” ou d’
“intégrisme laïc” que l’on lit dans la presse. Ceux qui les ont inventées seraient d’accord avec Lévi-
Strauss.
30Pourtant, en mettant en symétrie les ethnocentrismes islamique et laïc, on opère une falsification
évidente. La science se veut universelle et s’efforce de l’être, même si elle ne l’est pas toujours. Cet
effort s’est fait et se fait au détriment des religions (chrétiennes en Occident) et des nations (européennes)
constituant le milieu d’origine des savants, pour aboutir à un langage commun universel. L’objectif du
clerc musulman ne se fait pas au détriment de l’islam et des nations islamiques, il s’efforce au contraire
de dire que l’islam est ce langage commun universel et de rejeter tout ce qui n’est pas islamique dans la
non-science ou la croisade. Quant à Lévi-Strauss, il n’a pas saisi toute la distance qui existait entre le
code de Théodose II et la Déclaration des droits de l’homme (voir conclusion du t. II).
3110 —Position de N. Rouland. Dépassement. Norbert Rouland écrit, après avoir opposé les attitudes

assimilationistes et particularistes : “ La seule attitude juste, aussi bien du point de vue moral que
scientifique, nous paraît consister dans l’affirmation que chaque culture a droit à l’affirmation d’une
autonomie relative, par rapport aux autres, dont il convient, dans un effort réciproque, de fixer les
limites.” (Rouland, Anthropologie, p 129). Toute la question est là : quelles limites ?
32Ensuite l’islam, plus exactement les clercs qui le défendent, peut-il se satisfaire de la reconnaissance

d’un champ délimité dans l’ordre aussi bien matériel qu’intellectuel comme cela paraît possible à N.
Rouland ? Si l’on observe ce qui se passe dans l’ordre juridique et politique on est en droit d’en douter.
On verra que le statut personnel fut le territoire réservé du droit musulman pendant la colonisation, cette
dernière ayant refoulé la loi islamique jusqu’à ce noyau dur, inexpugnable. La situation s’est maintenue
par la suite au début des indépendances. Mais on l’a remarqué avec pertinence dans le cas algérien
(Sanson, Laïcité) : l’islam, d’abord reconnu comme composante de la société socialiste, renverse par la
suite la problématique et c’est le socialisme qui cherche à être reconnu par l’islam, ou plus exactement
par les clercs. L’englobé est devenu englobant. Ce qu’ambitionne cet islam, c’est d’être le droit
architectonique des droits humains.
33Dans l’ordre intellectuel, ce renversement est-il possible ? Verra-t-on une époque où seuls ne pourront

parler en toute légitimité de l’islam que les musulmans (“orthodoxes”) ? N’est-ce pas l’ambition de
l’apologétique musulmane de ramener toute “attaque” contre l’islam au monde de la non-science, et donc
toute science à l’apologie de l’islam ? N’entend-on pas dire que “si l’islam est mal aimé c’est qu’il est
mal connu” ? Cette formule ne veut-elle pas dire que ce qui est bien connu est bien aimé et donc que la
bonne connaissance ne peut être qu’apologie ? Combattre ou se soumettre.
3411 — Le chercheur et les stratégies politiques. Cette complexité du rapport entre le chercheur et son
objet dans ce domaine est, bien sûr, inscrite dans un réseau de projets politiques, de stratégies, visant des
enjeux divers. Un seul exemple suffira à le montrer, celui de l’interprétation du Coran. Il existe des
interprétations diverses, les plus contradictoires. On trouve des versions modernistes, comme celle de
Muẖammad ’Abduh (Jomier, Le commentaire), des versions plus scientifiques, mais qui n’entrent pas
dans un vrai commentaire (Arkoun, Lectures), et des versions islamistes (Carré, Mystique), etc. (voir H.
R’dissi). Le Coran est-il “ouvert” (au sens bergsonien), comme le voudrait Jacques Berque (Berque,
Lecture), ou bien fermé comme le voudrait Olivier Carré, constatant la rigueur de l’interprétation de
Sayyid Qutb ? L’idée que l’observateur considérera comme exacte retentira sur toute la vision qu’il aura
de l’islam et du droit musulman. Si Berque a raison, l’islam est fondamentalement une religion, la guerre
sainte n’est pas importante, donc l’islam n’est pas une politique 9 , même s’il l’est secondairement,
historiquement et non pas essentiellement. Il n’est donc pas dangereux et ce qui défraie la chronique n’est
qu’accident ou perfidie des médias. Si Olivier Carré a raison, l’islamisme exprime le cœur même du
Coran et donc l’islam est essentiellement une politique, un projet impérial, donc un danger pour la
République, etc. Conscients de cette situation les chercheurs sont souvent contraints à diverses
hypocrisies ou contorsions, dans le seul but de ne pas se faire classer dans le mauvais camp. Ce qui est
grave, c’est que la liberté de la recherche n’est pas totale.
35En droit musulman, on retrouve constamment cette problématique épidermique, combattre ou se
soumettre. L’objectivité consisterait-elle à se tenir à égale distance des deux positions clefs ? La vérité
est-elle une moyenne ? Assurément non. C’est ici qu’il faut dénoncer vigoureusement une attitude,
résultant d’une part de l’influence de la problématique musulmane qui cherche à ramener tout débat à une
confrontation islam / christianisme, et d’autre part de la situation stratégique du chercheur ou locuteur,
c’est l’attitude qui identifie ou amalgame. On identifie pour condamner, c’est la technique du “renvoi dos
à dos” (par exemple, le jihâd est comme la croisade, tous les intégrismes se valent), ou pour justifier
(Khomeyni ne fait rien de plus que Jean Paul II, etc.). Fort en usage chez les orientalistes, cette attitude
révèle plus la stratégie politique ou personnelle du locuteur que son sens critique.
36S’il faut refuser d’identifier, on ne peut que distinguer, classer, comparer, avec tous les risques que cela

comporte. Pour échapper à ces pièges, la seule solution est, pour l’instant, la fuite en avant :
élargissement de l’information, élargissement des problématiques, élargissement des cadres
disciplinaires.
§ 2 - La démarche anthropologique. Plan de l’ouvrage

3712 — La démarche anthropologique. Les problématiques. La nécessité d’une analyse de la position du

chercheur et des erreurs engendrées par l’absence d’une réflexion sérieuse sur les conditions de la
production d’un texte, scientifique ou non, apparaîtra mieux dans un autre exemple. On entend dire ou on
lit dans des ouvrages de vulgarisation sur l’islam que le prophète Muẖammad a interdit la polygamie.
Pour le prouver, on rapproche les versets coraniques 10 4, 3 et 4, 129. Le premier énonce l’obligation
d’être équitable envers le coépouses et le second constate l’impossibilité de l’être. Or c’est un fait que le
Prophète ne l’a pas entendu ainsi, qu’il a pris plusieurs épouses, que ses Compagnons en ont fait autant et
que le droit islamique a toujours considéré la polygamie comme permise. Ce sont les réformistes qui ont
opéré le rapprochement des deux versets en question pour autoriser l’interdiction de la polygamie, ce qui
fut décidé en Tunisie par exemple, citations coraniques à l’appui. Les réformistes voulaient aussi donner
une vision de l’islam plus acceptable par les Occidentaux chez qui on compte toujours faire des
conversions. Les vulgarisateurs projettent donc sur le Prophète la pensée des réformistes.
38La démarche anthropologique consiste justement à dire ce qu’on vient de dire : comment, à l’époque du

Prophète le mariage a été compris et comment cette compréhension s’est transformée avec les
réformistes, qui, s’appuyant sur une nouvelle interprétation des sources, étaient soucieux de répondre aux
critiques des Occidentaux. L’anthropologue doit aussi dire que le vulgarisateur a adopté la vision
moderniste, qu’il est influencé par son objet d’études, pire, qu’il a fait une démarche théologique disant,
en quelque sorte, que le “vrai islam” interdit la polygamie, et cela probablement dans le cadre d’une
stratégie : il faut favoriser la vision réformiste pour que les musulmans ne nous rendent pas la vie
impossible en France, ou encore pour que les Français soient plus accueillants envers les immigrés.
39La noblesse de ces idéaux n’est pas en cause ici. Le militant a le droit de dire où est pour lui le “vrai
islam”, mais il n’a pas le droit de donner quelques coups de pouce à l’histoire. Ce qu’on veut montrer
c’est que la démarche de l’anthropologue est prioritairement historique. Il doit repérer à leur date les
faits, les idées et les idées sur les faits. Dans un second temps, sa démarche doit être synchronique. Dans
tel ou tel contexte historique bien délimité, il doit dire comment s’organise un système socio-juridique, la
fonction de chaque élément, comment il est compris par les acteurs, la stratégie de tel ou tel locuteur, etc.
Il doit expliquer les faits et non partir à la recherche d’une norme, d’un devoir-être ou du “vrai islam”,
démarche qui est proprement théologique ou apologétique. Ce qui ne veut pas dire que l’anthropologue ne
doive pas faire appel à la théologie, mais la démarche du théologien proprement dit n’est pas celle de
l’historien des théologies, ou de l’anthropologue des religions.
40Dans les deux temps de la recherche, diachronique ou synchronique, l’anthropologue devra prendre

garde à élargir ses cadres de références, historiques, théoriques, disciplinaires. Cette nécessité apparaîtra
mieux si l’on songe seulement aux projets de restauration de la charî’a (qui comportent le rétablissement
des peines d’amputation de la main droite pour vol, de la flagellation pour consommation d’alcool, etc.).
Ces projets appellent une problématique juridique musulmane d’abord (quelle différence existe-t-il entre
le droit restauré et le droit musulman ?) (la charî’a s’identifie-t-elle au fiqh ? car c’est lui qui est
finalement restauré), mais aussi une problématique politique (qui veut restaurer et pourquoi ?), ou
théologique (la restauration du droit musulman a-t-elle toujours été conçue comme un devoir absolu ?),
voire philosophique (l’islam est-il viable sans son droit pénal ?), tout autant que des problématiques
juridiques de type occidental (comment concilier la sévérité de la peine pour vol simple avec une échelle
de peines cohérente ?) ou criminologique (efficacité des peines, etc.). La question de la restauration de la
charî’a n’est donc pas une affaire simple qu’il suffit de régler en dénonçant les islamistes et leurs
méthodes, ou les Occidentaux et leur oubli de Dieu.
41Bien sûr il existe une querelle des problématiques non plus seulement relatives au droit, mais à
l’ensemble des sociétés musulmanes, ce qui a inévitablement une répercussion sur la perception du droit.
Il s’agit de savoir si certaines problématiques n’amènent pas des erreurs d’appréciation trop graves, au
point qu’il faille les abandonner, car il est bien entendu que toute problématique possède sa part d’ombre
et de gauchissement, aucune n’est innocente. L’orientalisme classique, trop influencé par l’optique de ses
sources, tend à poser le facteur religieux comme déterminant décisif : la colonisation devient une
croisade, l’immigration une forme de conquête religieuse, etc. Les anthropologues tendent à surestimer
les petites unités, les minorités ethniques et religieuses et tout tend à se ramener au conflit entre dominants
(sunnites ou chiites suivant les pays) et dominés (Berbères, Kurdes, chrétiens...). Chez d’autres on tend à
tout ramener aux méfaits de l’impérialisme capitaliste, l’intérieur du monde musulman perdant sa
consistance et n’étant vu que dans ses rapports avec l’extérieur. Des efforts considérables ont été
déployés pour dépasser ces problématiques classiques en ayant recours à de nouveaux concepts,
généralement dans la ligne de Max Weber ou de la sociologie politique américaine. Des apports
intéressants mettent en valeur le besoin de légitimité, la stratégie des acteurs, les systèmes d’organisation,
etc., mais trop souvent on ne fait que changer de mots pour retomber sur des problèmes trop classiques.
Quand on évoque maintenant le choc de civilisation, on est en terrain connu, celui de la surestimation des
facteurs culturels.
42Jusqu’à présent l’unanimité s’est faite pour exclure totalement les problématiques fondées sur les races,
qui étaient fort courantes au xixe siècle. Un autre point de convergence semble être le refus de
l’exclusivisme problématique et le recours à l’histoire et à la micro-histoire, ce qui se concilie bien avec
les tendances récentes de la science politique (vocabulaire mis à part). Pour G. Balandier, il faut faire
flèche de tout bois, ne pas craindre de superposer des lignes explicatives contradictoires, par l’histoire,
par l’économie, par la géographie, par la psychologie, par l’idéologie, etc. Trop de gens savent tout sur le
monde musulman et le claironnent. Avec un certain nombre de chercheurs sérieux, il vaut mieux dire
qu’on sait quelques bribes, qu’elle ne forment pas une doctrine, et qu’il vaut mieux rester modeste et
travailler encore.
43Ainsi, pour bien apprécier le fiqh, pour réaliser une anthropologie du droit musulman, pour échapper

aux conflits politiques actuels, il faudrait toujours le replacer dans tous les cadres de références avec
lequel il est en rapport : histoire du droit, droit comparé, ethnologie, économie, mais surtout histoire
politique et religieuse. Si cette méthode n’est pas la panacée, elle pourra donner des perceptions
multiples et contrastées de l’objet-droit, et, peut-être, contribuer à faire évoluer les problématiques..
4413 — Anthropologie du droit et anthropologie des juristes. Un dernier mot relatif à notre conception
de l’anthropologie juridique. Selon nous, il faut y distinguer deux démarches. La première, celle des
juristes, part du droit et cherche à en voir les rapports avec la société, en particulier son application ou sa
non-application, c’est à proprement parler une anthropologie du droit. La seconde, celle des
politicologues et anthropologues part de la société pour aller au droit. Ce dernier est considéré comme
“un système discursif partiel” (Décobert) qui est sans cesse débordé par des pratiques et institutions
sociales, qui elles-mêmes résultent de la solution de crises et conflits antérieurs. Les tenants de cette
démarche reprochent à la première démarche son juridisme ou son essentialisme, mais ils tendent à
dissoudre l’objet droit dans la stratégie des acteurs. Ils aboutissent moins à une anthropologie du droit
qu’à une anthropologie des législateurs, des juristes et des justiciables. On reconnaît aussi dans ces deux
démarches la permanence de vieux conflits politico-philosophiques, la première continuant le
conservatisme spiritualiste qui surestime le facteur idéologique, la seconde le sociologisme marxisant qui
tend à l’ignorer.
45Il est évident que les deux démarches doivent se compléter, se combiner à d’autres problématiques et

que l’erreur est surtout l’exclusivisme. C’est, selon nous, grâce à l’histoire qu’on est le mieux à même de
pratiquer cette association en évitant les travers des anthropo-politologues, une trop grande confiance
dans les abstractions phénoménologiques, et celui des juristes, qui font du droit une entité autonome,
voire institutrice du social. L’histoire est un maître sûr : établir les faits et les dates constitue la priorité,
avant toute spéculation ou interprétation. Mais il est certain que tel projet de recherches ou telle
documentation pousse à adopter tantôt une démarche, tantôt une autre.
4614 — Plan de l’ouvrage. Le texte de ce manuel se présente en deux tomes. Le premier retrace l’histoire

du droit musulman. Il vise à donner des éléments de base permettant de mieux situer la production
juridique actuelle de l’aire arabo-musulmane. La démarche partant du social au droit y sera favorisée,
quoique bornée et ramenée sans cesse aux faits. Le second tome est systématique et présentera les
principales dispositions du droit musulman classique et les problèmes qu’elles ont posés et qu’elles
posent à la conscience musulmane. Le projet même d’une introduction systématique au droit musulman
nous impose d’adopter la démarche partant du droit au social, en comptant sur l’histoire pour éviter de
trop verser dans le “juridisme essentialiste”.

Notes
1 Pour l’étudiant qui aborderait pour la première fois les questions religieuses, signalons que la deuxième partie du chapitre 6 (culte) (t. II)
comporte quelques vues de sociologie religieuse. Il trouvera aussi les références fondamentales sur les trois grands monothéismes dans la
bibliographie du t.II.
2 On écrira le mot prophète sans majuscule s’il est suivi du nom Muẖammad, avec majuscule dans le cas contraire, quand il désignera ce
même Muẖammad.
3 Rappelons, à l’usage des étudiants rédacteurs de mémoires et thèses, que, quand il s’agit de la religion, “islam” s’écrit sans majuscule,
comme “christianisme” ou “judaïsme", En revanche, on écrit “Islam” quand il s’agit de la civilisation, comme on écrit “Chrétienté" ou “Israël”.
4 Les indications bibliographiques à la fin de chaque paragraphe numéroté indiquent les sources principales utilisées pour ledit paragraphe. Les
références complètes sont données dans la bibliographie.
5 On trouvera en annexe du tome I une liste des principaux juristes cités, indiquant leur date de décès et leurs principaux ouvrages.
6 Sur les statuts ou qualifications des actes humains, voir chapitre 5 (usûl). Un exemple : sur une question de détail pratique, comme le vol. La
preuve est le texte coranique 5, 38, dont on déduit le statut du vol qui est l’interdiction. Sur la question de la sanction du vol, on déduira du
même texte son statut d’obligation.
7 Intervention orale au cours du colloque sur renseignement du droit musulman (dir. J.-R. Henry et M. Flory), Aix, décembre 1984.
8 Nous avons corrigé le lapsus manifeste “y renoncer”
9 La polémique se concentre sur l’alternative développée par l’écrivain égyptien Mohammed Sayyed Al ’Ishmawi (voir bibliographie à la fin
du tome II).
10 Voir l’annexe des principales citations juridiques du Coran à la fin du tome I. Les références sont marquées d’un astérisque (*) quand le
texte ne figure pas dans cette annexe.
Tome premier. Histoire du droit musulman
Périodisations

115 —Périodisations. Dans l'histoire du droit islamique la plupart des ouvrages arabes modernes
adoptent à peu près la même périodisation. Ils distinguent :
1. la période de constitution du droit musulman qui correspond à la mission du prophète Muẖammad ;
2. la période des grands Compagnons du Prophète qui correspond à l'époque des califes Râchidûn ;
3. la période des petits Compagnons et des Suivants, qui correspond aux Umayyades jusque vers 720 ;
4. la période des grands juristes, de cette date jusqu'au 4e/xe siècle 1 , c'est-à-dire à la “fermeture des
portes de l'ijtihâd” : c'est la grande époque abbasside, celle de la diffusion des écoles dans leur
zone d'influence en même temps que les grandes doctrines de chaque rite étaient compilées ;
5. la période des grands commentaires et des polémiques qui va du 4e/xe au 7e/xiiie siècle (invasion
mongole). Elle voit la consolidation des territoires de chaque rite, tandis que les auteurs se mettent à
choisir dans les opinions divergentes de chaque école et fixent une doctrine moyenne officielle ;
6. la période de la sclérose (taqlîd) du 7e/xiiie siècle à nos jours, pendant laquelle domine le
commentaire du commentaire et où se multiplient les fatâwâ (consultations juridiques) : elle
correspond à l'époque ottomane. Mais pour cette dernière, les auteurs se rendent bien compte du
caractère tout à fait particulier des deux derniers siècles. Al-Qaṯtân, par exemple, prend le soin de
les détacher pour les traiter à part.
2Nous conserverons globalement cette périodisation en regroupant l'ensemble en quatre grandes périodes.

La première est celle de la constitution des sources 2 du droit musulman et ira des origines à la fin du
premier siècle de l'hégire, vers 720 (chapitre I). Elle correspond aux périodes 1/-3/ des historiens
arabes. La seconde est celle de la formation de ses écoles ou rites juridiques (madhhab). Elle couvre
environ les deux siècles suivants de l'hégire, soit les 2e - 3e/viiie-ixe siècles (chapitre II). La troisième
période est celle de l'évolution du droit musulman ainsi constitué, que l'on appellera période des rites
(chapitre III). Elle s'étend donc du 4e/xe siècle jusqu'à la fin du 12e/xviiie siècle. La quatrième période,
celle des deux derniers siècles, soit des 13e et 14e siècle de l'hégire, correspondants aux xixe et xxe
siècles de l'ère chrétienne (chapitre IV), se distingue nettement de la précédente par l'irruption du droit
positif, par la naissance et l'expansion du réformisme et par la recherche d'une fusion des rites.

Notes
1 Quand on indique une double date, la première est celle du calendrier musulman (en chiffres arabes pour les siècles), la seconde, séparée par
/ est la date chrétienne (en chiffres romains pour les siècles).
2 Bien distinguer ce qu'on appelle les sources historiques et qui sont les sources réelles, historiquement attestées, auxquelles a puisé de l'ait le
droit musulman, cl les sources théoriques, ou méthodologiques, ou légitimes, celles qui sont fixées par la doctrine musulmane des usûl al-fiqh,
cf. tome II.
Chapitre I. Formation des sources du droit
musulman
ier/viie siècle

116— Générations (ṯabaqât). Les auteurs musulmans anciens périodisaient l’histoire du droit en se fiant
à la succession des générations. Ils distinguaient ainsi quatre générations : celles des Compagnons du
Prophète (as-saẖâba) qui comporte deux générations, les grands Compagnons (kibâr as-saẖâba) et les
petits (sighâr as-saẖâba). Puis ils distinguaient les générations des Suivants (tâbi’ûn), avec la même
subdivision entre les kibâr at-tâbi’un et les sighâr at-tâbi’ûn. Au total, quatre générations. La première
génération correspond à celle des califes Râchidûn (les “bien conduits”, les quatre premiers, de 632 à
661). Les deux générations suivantes correspondent à la majeure partie de l’époque umayyade (de 661 à
730 environ, les Umayyades d’Orient disparaissent en 750). La quatrième génération correspond à la fin
de l’époque umayyade (à partir de 720-730) et au début de l’époque abbasside (jusqu’à la mort d’Harûn
ar-Rachîd). Les auteurs modernes (cf. Khudarî, Zaydân, Al-Qattân) ou les orientalistes (Schacht...)
s’écartent peu de cette périodisation : l’unanimité semble s’être faite sur cette date de 720-730 qui
correspond pour Schacht au début de l’influence des hommes pieux, à la fin de l’époque umayyade, avant
la constitution des rites.
217— Un sujet de controverses. L’histoire de la formation du droit musulman est un sujet de
controverses. La raison principale tient aux caractéristiques de la documentation. Les documents du
premier siècle de l’hégire sont rares et il n’existe qu’un seul grand texte assurément daté de cette époque,
le Coran. Les traditions du Prophète, c’est-à-dire sa biographie (sîra) et ses dires (ẖadîth) qui forment
ensemble la Sunna (tradition), sont tardives et contestées comme sources fiables par les orientalistes,
mais aussi souvent, et dès cette époque, par les musulmans eux-mêmes. Elles véhiculent certainement des
souvenirs authentiques, mais dans une mesure fort difficile à déterminer. Les premiers ouvrages
juridiques ou historiques sont aussi tardifs et datent au mieux du 2e/viiie siècle, en majorité du 3e/viiie
siècle ou plus tard encore. Un énorme travail critique a été fait par les orientalistes et se poursuit encore,
puisqu’il est en plein renouvellement.
3On a donc, en simplifiant 1 , deux visions de la formation du droit musulman. D’une part celle, que l’on
peut appeler classique musulmane, et que l’on trouve dans la plupart des ouvrages arabes. Cette doctrine
reste proche de celle établie au 2e-3e/viie -viiie siècle. Pour elle les musulmans n’innovent pas et suivent
fidèlement les sources du droit, dont ils connaîtraient dès le début la hiérarchie : d’abord le Coran, puis
en cas de manque la Sunna, puis les dires des Compagnons du Prophète, puis le raisonnement analogique,
etc. Nous évoquerons des ouvrages actuellement répandus comme celui d’al-Khudarî, ou d’autres le cas
échéant. A cette vision musulmane s’oppose celle des orientalistes (principalement Goldziher, Tyan et
Schacht). Pour eux, le fiqh a puisé sa matière dans un “substrat” socio-juridique, constitué antérieurement
et qui comporte, à côté des sources prophétiques, le droit préislamique, diverses innovations introduites
par les califes et d’autres, des influences étrangères, etc., cela pendant tout le 1er / viie siècle.
418 — Plan du chapitre. Pour cette histoire de la formation des sources du fiqh, on devra donc explorer
trois ensembles : le premier, originel, est celui des coutumes 2 de la société préislamique (section 1). Le
prophète Muẖammad en approuva, corrigea ou abolit les règles et pratiques. Son œuvre constitue le
deuxième ensemble, le mieux connu, grâce au Coran (section 2). Le troisième ensemble est plus
disparate. Il s’étale dans le temps jusqu’à la fin du premier siècle de l’hégire c’est-à-dire jusque vers
720-730. Il comprend à la fois l’oeuvre des califes successeurs du Prophète, les apports des droits des
pays occupés par la conquête islamique, la pratique des juges du premier siècle de l’hégire. C’est surtout
à propos de l’existence de cet ensemble, comme source réelle du droit musulman que se situent les
controverses entre les auteurs musulmans traditionalistes et les orientalistes, et entre orientalistes eux-
mêmes. Nous le traiterons en deux paragraphes, le droit sous les premiers califes (section 3) et le droit
sous les Umayyades jusque vers 720 (section 4).
SECTION I - LA SOCIÉTÉ ET LE DROIT PRÉISLAMIQUE
5L’étude de la société préislamique est indispensable à l’étude du droit musulman. Elle est en effet le

“berceau de l’islam” (Lammens) et de l’État islamique (certains auteurs contestent qu’on puisse parler
d’État à cette époque). Du fait des conquêtes ultérieures, la société préislamique bédouine va avoir une
influence considérable, inattendue, sur des sociétés plus riches et plus évoluées. Elle servira souvent de
référence plus ou moins mythique que ce soit pour le commentaire du Coran, le droit ou la poésie. Nous
étudierons la société arabe préislamique en même temps que ses coutumes (§ 1), puis son mode coutumier
de solution des conflits, son système judiciaire si l’on préfère (§ 2).
§ 1 - La société arabe préislamique et ses coutumes

619 — Le contexte historique. Les religions d’Arabie centrale. L’Arabie au début du viie siècle était un

monde marginal, mais ni clos, ni isolé. L’Arabie du Sud, ou “l’Arabie heureuse” (c’est-à-dire le Yémen
actuel) constituait le lieu principal de la civilisation arabe originaire. L’Arabie centrale n’en formait
qu’une marge de ce point de vue, tandis que les parties septentrionales de l’Arabie se trouvaient sous
l’influence des Empires byzantin et perse.
7L’Arabie heureuse, arrosée par les moussons, était un pays agricole (céréales, fruits, légumes, vigne,

encens, myrrhe...), urbain, pratiquant le grand commerce avec l’Inde, le Golfe persique, l’Ethiopie,
l’Afrique et surtout avec l’Empire romain. Sa civilisation peut être dite hellénistique, mais elle avait
incorporé des influences indiennes. On y parlait une langue sémitique, le sud-arabique, différente de
l’arabe. Sa religion était polythéiste et on la rattache au groupe des religions sémitiques du Sud (Caquot
in Puech, t. 1, p. 307 sq.). Ses pratiques sociales, ses coutumes, son droit, sont mal connus en raison
surtout des difficultés d’interprétation des termes techniques. Les cinq États (Saba, Ma’în, Qatabân,
Hadramaout, Awsân) qui la composaient étaient toujours en guerre. C’étaient des monarchies où dominait
un groupe ethnique mais où fonctionnaient des sortes de conseils consultatifs.
8Les Arabes du Centre et du Nord y étaient employés comme mercenaires. Ce sont les “arabes de la
tente” (en grec : sarakênos, mot d’où vient notre “sarrasin”). Ils vivaient en marge de cette civilisation
mais étaient aussi captés, attirés par les Romano-Grecs, par les Perses au Nord qui les employaient
comme mercenaires. Les Arabes d’Arabie centrale nourrissaient donc l’émigration vers le Nord et le
Sud. Deux royaumes arabes vassaux des Empires existaient au Nord : le royaume de Hîra, ou des
Lakhmides, au Nord Est, chrétien nestorien, et allié des Perses. Au Nord-Ouest, celui des Ghassanides,
chrétien monophysite, et allié des Byzantins. Mais les Ghassanides s’entendaient mal avec leurs maîtres
(qui étaient orthodoxes) et souvent se retournaient contre eux.
9A la fin du vie siècle et au début du viie une série de guerres ravagea l’Arabie du Sud et affaiblit Perses

et Byzantins. Par contrecoup la position des fournisseurs d’hommes, les Arabes du Centre et du Nord,
autant que la position des petites places commerciales comme La Mecque se trouvèrent renforcée.
10En Arabie centrale se trouvait donc un peuple pauvre, vivant dans le désert, grâce à l’élevage de
chameaux et de petit bétail. Ces bédouins nomades vivaient en dominant les sédentaires des oasis : ils les
protégeaient, ils les exploitaient (tribut), ils attaquaient et pillaient ceux qu’ils ne protégeaient pas. Les
guerres entre nomades y étaient incessantes, mais ces razzias étaient peu meurtrières : on cherchait à
voler, pas à exterminer. Les bédouins pratiquaient aussi un commerce international ou plutôt servaient de
guides, ou d’escorte, à ce commerce. Ils prélevaient des droits de passage et pillaient toutes les
caravanes mal défendues. On a pu soutenir que le rapport des bédouins aux sédentaires était à l’inverse :
les nomades auraient été soumis aux sédentaires qui contrôlaient les échanges autant que les centres de
pèlerinage et disposaient de forces mercenaires. C’est probablement vrai de la Mecque.
11Dans le désert on adorait des pierres, des météorites, des arbres, des sources... Chaque tribu se référait

à un de ces objets sacrés qu’il entourait d’un ẖaram, lieu de culte, donc zone réglementée d’interdits
religieux et qui avait son desservant (sâdin). La divination et la magie étaient fort pratiquées. Une
tendance à la personnalisation des dieux et à leur représentation sous forme d’idoles se faisait jour. Les
rapports mythologiques entre les dieux et leur présence dans les lieux sacrés suivaient de manière
complexe les rapports intertribaux, leurs alliances, leurs généalogies.
12La Mecque (et d’autres villes) constituait déjà une société urbaine dont le type évoluait vers le type de
civilisation du Sud C’était un ẖaram, où se tenaient plusieurs dieux et déesses. On y adorait des idoles
comme Houbal, idole de cornaline rouge. On y invoquait peu Allah, le créateur, et beaucoup ses trois
filles Al-Lât (Vénus, l’étoile ?), Al-Uzzâ (Vénus aussi ?) et Manât (déesse du sort ?). Plusieurs groupes
tribaux, s’y référaient, signe qu’une recomposition de la religion arabe était en cours. Par exemple Al-
Uzzâ était aussi adorée à Hîra, Manât à Yathrib (Médine), mais le scepticisme envers les problèmes
religieux, qui était assez répandu, signalait encore cette crise religieuse. Les Arabes vivants sous
l’influence de la Mecque y effectuaient un pèlerinage pendant lequel on respectait une trêve de quatre
mois (dhû l-ẖijja, dhû l-qa’da, rajab, muẖaram). Le pèlerinage comportait peut-être des séances de
circumambulation (ṯawwâf) autour d’un temple cubique, la Ka’ba, et des sacrifices de bétail. Il était
associé à des foires commerciales.
13Enfin on trouvait en Arabie des communautés arabes juives (surtout au Yémen et dans les marges
byzantines et perses, mais aussi dans les oasis, comme à Yathrib), le plus souvent sédentaires. Les
communautés chrétiennes (Najrân, Yémen) étaient plus dispersées, car le plus souvent nomades. Des
convertis isolés se rencontraient un peu partout. En restaurant la prééminence d’Allah, en proclamant son
unicité, le prophète Muẖammad opéra une adaptation révolutionnaire de la religion de ses ancêtres face
aux religions universelles.
1420 — La société bédouine. La société bédouine n’était pas centralisée ni vraiment organisée. Le

bédouin est une sorte d’individualiste qui se méfie de tout pouvoir et est toujours prêt à empêcher la
montée en puissance de ses frères, quitte à s’allier avec eux contre ses cousins ou ses voisins, mais avec
lesquels il peut s’allier pour lutter contre une autre tribu. On a donc affaire à une société traditionnelle de
type segmentaire. L’individualisme auquel on a fait allusion n’avait rien de commun avec
l’individualisme occidental : il procédait d’une morale de la chevalerie, exaltant l’exploit sur le champ
de bataille autant que l’exploit de générosité 3 , mais il restait lié à la solidarité familiale et tribale. La
société bédouine était (et est encore) pyramidale et fondée sur les liens de parenté. On distingue trois
divisions fondamentales : la famille, le clan qui est un regroupement de familles, et la tribu (avec parfois
des sous-tribus). Les tribus, surtout les plus petites, pouvaient se regrouper et former des alliances ou des
confédérations.
15Une tribu joua un rôle important dans l’histoire musulmane, celle de Quraych. C’était une sous-tribu,
exactement les Quraych de l’intérieur (Quraych al Batâ’iẖ). Elle dominait la Mecque. Elle se subdivisait
en clans ou sous-clans dont les Hachémites (Banû Hichâm) et les Umayyadcs (Banû ’Umayya). Du clan
hachémite sont issus le prophète Muẖammad ; son cousin ’Alî Bn Abî Ṯâlib, qui sera le quatrième calife ;
ainsi que al-’Abbâs Bn ’Abd al-Muttalib, oncle du Prophète, dont les descendants fonderont la dynastie
abbasside en 750. Du clan umayyade sont issus ’Uthmân Bn ’Affân, qui sera le troisième calife ; Abû
Sufyân, le principal personnage de La Mecque dans les années 620-630 et dont le fils Mu’âwiya fondera
la dynastie umayyade. Abû Bakr, le premier calife, appartenait au clan des Taym, tribu des Quraych, et
’Umar Bn al-Khaṯṯâb, le deuxième calife, appartenait au clan des Banû ’Adi Bn Ka’b, un clan rattache à
la sous-tribu des Quraych de l’extérieur (Quraych az-zawâhir).
16Le lien essentiel était celui du sang, de la parenté. La généalogie (al-nasab), réelle ou légendaire, jouait
un rôle important. On le constate dans la composition du nom propre arabe : la descendance (par ex. Abû
Bakr, père de Bakr) précède le nom personnel (par ex. Muẖammad) et ce dernier est suivi de la filiation
(par ex. Bnu ’Affân, fils de ’Affân). On ajoute encore divers déterminatifs soit de lieu (par ex. Al-
Baghdâdî, le Baghdadien) soit un surnom (par ex. Al-Muqaffa’, le manchot) 4 .
17Dans la famille bédouine, le père exerçait une autorité absolue sur ses femmes, ses filles, ses fils, ses

belles-filles, les enfants, les domestiques, les clients, les esclaves... L’adoption (tabannî) était fréquente.
On adoptait des enfants trouvés, des esclaves, des orphelins. Les clients (mawlâ, pl. mawâlî) étaient des
esclaves affranchis, des étrangers protégés. On passait parfois une sorte de contrat de clientèle par
serment : la tribu s’engageait à protéger le client, à le venger, à payer ses dettes. Il devenait membre de la
tribu et devait se battre pour elle. Cette solidarité tribale est appelée ’asabiya, esprit de corps. A
l’inverse, un homme pouvait être expulsé de la tribu. Il était alors sans défense et voué à une mort rapide
si une autre tribu ne le recueillait pas. Les esclaves étaient souvent des Arabes, pris au cours des guerres,
ou bien des enfants d’esclaves. Par le droit du voisin (jiwâr) un individu pouvait recevoir dans une autre
tribu une protection temporaire (le protecteur : mûjîr, le protégé : jâr, voisin). Le contrat pouvait se faire
en dépit de l’absence de consentement : en accrochant son seau à côté de celui du mûjir par exemple, en
partageant le même repas, par ruse...
18La fille était une sorte de bien de famille que le père cédait contre une compensation matrimoniale 5 .
Le mari qui en faisait l’acquisition pouvait la répudier. Elle pouvait s’échapper chez son père qui
restituait la compensation. La polygamie existait, mais elle était rare semble-t-il. Les divorces étaient
fréquents. Le concubinage avec les esclaves-femmes était considéré comme normal. Des indices laissent
penser que la prostitution était aussi chose courante. La veuve restait dans la famille de son mari. Elle
devait passer au beau-frère, (comme dans le lévirat juif) ou au fils, mais ils pouvaient la marier à
d’autres.
19L’endogamie était favorisée : le meilleur mariage était celui qui avait lieu avec la cousine (bint
al-’amm). La raison en était que les biens collectifs de la famille devaient demeurer sa propriété.
L’héritage d’un homme passait à son fils adulte (le père était exclu), ou au père (s’il n’y avait pas de fils),
ou aux frères, jamais aux femmes. Le jeune garçon ne pouvait hériter car il était considéré comme
incapable de défendre le bien collectif de la famille. L’individu en général ne possédait que quelques
objets en propre : quelques armes, sa selle, ses vêtements et quelques ustensiles.
2021 — La tribu, organisation interne. La tribu avait d’abord un chef : le sayyid ou chaykh. Le choix du

chef ne se faisait ni par élection, ni par filiation, mais par le consensus qu’entraînait le prestige du
candidat, souvent le paterfamilias du clan dominant, le plus nombreux, le plus riche de la tribu. C’était, la
plupart du temps, le fils aîné du chef défunt qui était choisi, le successeur à la tête du clan dominant
devenant le successeur à la tête de la tribu. On ne lui prêtait pas serment ni hommage. Aucune cérémonie
d’intronisation ou d’investiture n’avait lieu, on n’a donc pas affaire à une société féodale. Les pouvoirs
du chef étaient limités et la tribu pouvait ne pas suivre ses avis (ra’y). Son pouvoir était surtout celui de
son clan (le clan dominant), donc en fin de compte il était toujours sous la surveillance des autres chefs
de clans. Il n’avait pas non plus de pouvoir législatif ni judiciaire.
21Gravitant autour du chef, divers personnages de la tribu avaient une certaine importance. On doit citer

le porte-parole (khâtib), le devin (kâhin), le desservant du ẖaram (sâdin), le poète (châ’ir). Ces fonctions
n’étaient nullement institutionnalisées et fixes, il s’agit plutôt de rôles, et le chef pouvait jouer le rôle de
kâhin, s’il en avait la compétence, le châ’ir celui de khâtib, etc.
22Dans la tribu il existait aussi une assemblée tribale. Elle recevait des noms divers : al-nâdi, al-adwa,

al-mala’ (surtout dans le Coran), al-maqâma, al-majlîs, etc. Elle comprenait les notables de la tribu ou du
clan. Elle s’occupait surtout de travaux agricoles, d’aide sociale, du respect des coutumes, et elle
arbitrait les joutes oratoires (al-mufâkhara). Elle prenait ses décisions par consensus 6 , mais elle n’avait
pas non plus à elle seule le pouvoir de décision, ni de contrainte. Il lui fallait aussi l’accord du chef et de
la tribu, ou du moins leur non-résistance, il lui fallait persuader. C’est là que réside le véritable sens de
la consultation (ach-chûra) à laquelle fait allusion le Coran (3, 159 ; 42, 38) : dans ce type d’assemblée,
on discute des heures jusqu’à ce qu’on tombe sur un accord, car l’opposition d’un seul suffit à relancer la
discussion. La décision est collégiale. Elle s’exécute par la bonne volonté de tous. Il en résulte, parce que
l’argument le plus convaincant est l’évocation d’un précédent, que cette sorte d’assemblée est très
conservatrice, très attachée à la coutume, aux usages admis par tous de tout temps.
2322 — Relations entre tribus. Mais en temps de guerre, le chef avait beaucoup plus de pouvoir comme

qâ’id, chef de guerre. Il avait notamment droit au quart du butin en raison de ses lourdes charges. C’était
d’abord l’hôte de la tribu, celui qui recevait les invités au nom de tous. Mais surtout il devait payer le
prix du sang d’un contribule assassin : c’est pourquoi on l’appelle aussi le “porteur de diya”, “porteur de
centaines” (de chameaux, car 100 chameaux est le prix de base pour compenser la mort d’un homme).
Malgré l’importance de la généalogie, de l’attachement à la lignée, il ne s’est pas développé une autorité
stable et héréditaire de type monarchique en Arabie. C’est surtout parce que le nomadisme semble assez
hostile à l’autorité et que les guerres tribales visaient à voler, à piller, pas à soumettre ni à conquérir, jeux
de sédentaires avides de terres.
24La razzia (al-ghazw) avait un but économique. Elle ne pouvait se produire pendant la trêve (religieuse)

des quatre mois. Le ghazw ne devait causer de mal à la victime que dans la mesure nécessaire au pillage.
On évitait donc le meurtre qui ouvrait droit à la vengeance. Les mutilations (muthla) étaient condamnées
par la coutume et réprouvées même pendant la bataille. La bataille était affaire de ruse, de surprise.
Après la victoire, une fois prélevé le quart du chef, on se partageait le butin entre tous les combattants.
Les captifs étaient échangés contre rançon ou gardés comme esclaves.
25Le rétablissement de la paix, comme tous les rapports intertribaux, se négociait par délégations
(wufûd), chacune conduite par le porte-parole (khâtib). Outre les affaires de meurtre et de compensation,
on négociait des droits de passage, des accords commerciaux (îlâf), des pactes de non-agression
(muwâda’a).
26Quand les tribus se rassemblaient ensuite pour un marché ou pour un pèlerinage, la bataille était
magnifiée par les poètes de la tribu. La poésie donnait même lieu à des concours, très sérieusement jugés.
L’art de la parole, de l’insulte, de la propagande était très prisé chez les Arabes de cette époque. Outre la
vendetta, on chantait les amours, la murûwa (virilité), l’hospitalité, etc., car, même quelque peu
indifférents sur le plan religieux, les Arabes avaient des valeurs, bien centrées sur la chevalerie
(futuwwa, de fatâ, jeune guerrier).
2723— La Mecque. Le commerce. Du côté sédentaire, on se procurait des revenus d’une tout autre

manière. Par le travail de la terre, bien sûr, mais aussi par le grand commerce. La Mecque était la plus
importante des villes commerciales.
28Elle possédait un grand conseil, al-mala’, qui dirigeait par persuasion plus que par force. C’était une

“république de marchands” (Lammens), comparable à Palmyre ou à Venise. Une sorte d’aristocratie de


riches personnages avait développé un commerce important, mené par de grandes caravanes (certaines de
2500 chameaux), transportant l’or et l’ivoire de l’Afrique, la soie de Chine, les armes de Perse, les
vêtements d’Egypte, les épices d’Arabie... Tout le monde pouvait participer, même avec un apport
dérisoire, et espérer un profit régulier de 100 % (SEI : Shorter Encycl. of Islam).
29Pour ce commerce il existait bien sûr un droit ou des usages commerciaux. On ne le connaît surtout qu’à
travers le Coran et les ẖadîth, ce qui pose des problèmes complexes, car on risque de projeter le droit
musulman sur le droit préislamique (Schacht, Introduction, p. 18). A côté de différentes formes de ventes,
et de prêts à intérêt (souvent usuraire), la ville connaissait diverses formes d’associations commerciales
(par exemple la commandite, muḏâraba) et de contrats (en particulier agricoles). L’usage de l’écrit était
courant. Ce droit comprenait aussi nombre de traits archaïques : il existait des ventes aléatoires
curieuses, comme la vente au toucher, ou la vente au jeté de caillou, ou au jeté de vêtement (bay’ bi-l-
mulâmasa, bay’ bi-l-ẖasâ, bay’ bi-l-munâbadha), mais on n’en connaît pas exactement le fonctionnement.
Les flèches divinatoires pouvaient aussi être utilisées pour les partages. Ces aspects furent éliminés du
droit musulman.
30Il est probable que l’extension de ce capitalisme marchand provoqua des tensions sociales. On a

souvent présenté la naissance de l’islam comme une révolution sociale : les agriculteurs, les bédouins et
les déclassés de toutes sortes se seraient révoltés contre le capitalisme mecquois. Les choses sont
évidemment bien plus complexes, mais il est certain que des liens existent entre l’économique, le social
et le religieux à la naissance de l’islam (cf. Décobert).
§ 2 - Le règlement des conflits

3124— La sunna des Arabes. L’arbitre. On a dit que la coutume 7 jouait un rôle très important. Elle
faisait référence à la sunna 8 , au précédent, à la tradition. La mentalité bédouine était très conservatrice,
hostile à l’innovation, comme dans toutes les sociétés traditionnelles. L’assemblée tribale ne pouvait
modifier la coutume : elle n’était pas un organe législatif, capable d’imposer des vues nouvelles. En
revanche on a soutenu que le ẖakam, l’arbitre, avait une certaine influence et pouvait pousser à une
modification de la coutume.
32Le ẖakam, qui pouvait être aussi un devin, un prêtre (kâhin), un évêque chrétien, un poète, un lettré, un
ascète, etc. (Tyan p. 41-48), jouait effectivement un rôle important. Des hommes prestigieux ont-ils pu
initier une coutume ? D’après l’historien al-Ya’qubî, ’Abd al-Muṯṯalib (le grand-père du Prophète) aurait
porté la diya (prix du sang) à 100 chameaux au lieu de 10 ce qui aurait diminué la criminalité. Buhl met
en doute cette tradition (SEI, p. 7). D’après Al-Bakri un ẖâkim tenta de faire triompher la coutume
d’interdiction de l’alcool.
33Mais en général le ẖakam est un individu, un particulier, pas un législateur. Lui aussi doit agir par
persuasion, lui aussi se heurte à la force du précédent. Probablement devait-il présenter les nouveautés
sous le masque de la coutume. Il est certain que toutes les coutumes évoluent (Balandier), de cette façon,
ou par référence à des mythes contradictoires, et donc que les innovations sont difficilement repérables.
34Pour la justice, il faut distinguer trois situations : les cas où l’appel au ẖakam ne se faisait pas ; les cas

où l’appel au ẖakam était facultatif ; les cas où l’appel était obligatoire.


3525 — La vengeance. Le cas d’une meurtre commis par un membre d’une tribu contre une personne
d’une autre tribu donnait lieu à la justice privée, à la vengeance, alors que le meurtre entre personnes
d’une même tribu donnait lieu à un arbitrage.
36Entre groupes différents donc, on pratiquait la vengeance (tha’r). La vengeance sauvait l’honneur de la

tribu et assurait le repos de l’âme de la victime. Le droit de vengeance appartenait à toute la tribu mais
plus spécialement au proche parent. Le vengeur s’appelait le walî ad-dam (le responsable du sang). Il
cherchait à tuer le meurtrier ou tout autre membre de sa tribu, parfois plusieurs membres, souvent des
nobles de cette tribu, car naturellement il exagérait la valeur de son parent mort. Ces meurtres
constituaient une obligation religieuse : tant que le vengeur n’avait pas tué, il ne buvait pas de vin, il ne
mangeait pas de viande, il ne s’approchait pas des femmes, il ne se lavait plus...
37Le tha’r était adouci par la diya, prix du sang, c’est-à-dire la composition volontaire, le prix versé par
le meurtrier ou sa tribu pour empêcher l’autre tribu d’exercer la vengeance. Son but n’était pas la justice,
car on ne visait pas spécialement à faire payer le meurtrier, mais à arrêter les désordres. Malgré la
poésie qui mettait en valeur le meurtre par vengeance, la composition était fort pratiquée.
38Le montant de la compensation était fixée par la coutume. Il était de 100 chameaux pour un homme libre.

Moins s’il s’agissait d’un mawlâ, d’une femme, d’un esclave, etc.. Parfois il fallait payer plus : selon le
ẖadîth, le prophète Muẖammad, agissant comme un chef de tribu, a payé une fois 130 chameaux pour un
meurtre commis par un musulman.
39Pour les autres atteintes aux personnes (blessures), la coutume fixait la compensation pécuniaire. La
coutume semble-t-il n’admettait plus le talion (qisâs) (oeil pour oeil, dent pour dent) et imposait la
compensation (Tyan p. 34).
4026 — L’arbitrage. Ce n’est qu’en cas de contestation dans les affaires de sang (meurtres, blessures),

notamment sur le montant de la diya, qu’on avait recours à l’arbitre. Parfois aussi quand les négociations
entre les deux tribus étaient trop dangereuses en raison de l’excitation des esprits.
41Dans les autres matières juridiques (patrimoine, mariage, commerce, atteintes à l’honneur) l’arbitrage

s’imposait, que l’affaire soit interne ou externe à la tribu. Les foires commerciales, les rencontres
poétiques étaient contrôlées par des ẖakam, qui jouaient le rôle de contrôleur des marchés. Ils avaient
souvent à cette occasion des charges administratives. Non seulement ils réglaient les conflits créés au
cours de la manifestation même, mais on venait de loin pour leur soumettre des litiges de toutes sortes.
Leur action fut très positive pour mettre fin aux vendettas incessantes (Tyan, p. 33-40).
42La procédure commençait par l’accord des deux parties sur le choix du juge, accord indispensable,
même quand l’arbitre fut le prophète Muẖammad. C’est dire qu’une partie seule ne pouvait obliger l’autre
à comparaître par l’intermédiaire de l’arbitre : l’accord des deux parties était nécessaire pour la suite de
la procédure. Souvent même les parties parvenaient à un accord à l’amiable sur le fond sans en appeler à
l’arbitre. Le ẖakam pouvait refuser de juger une affaire : les parties devaient alors en chercher un autre.
Le ẖakam en effet pouvait craindre dans certains cas de se faire des ennemis ou que son autorité soit
bafouée. Parfois il n’acceptait qu’après avoir contraint les parties par serment à accepter sa sentence
future. Une autre garantie existait, celle du rahn (littéralement gage, garantie) : on remettait des otages à
un tiers ou à l’arbitre : si le perdant n’exécutait pas la sentence, les otages de la partie perdante étaient
vendus en esclavage.
43Les parties établissaient en commun une formule, une question simple à soumettre au ẖakam : telle

femme est-elle adultère ? La diya d’un mawlâ est-elle de 50 chameaux ? Telle tribu est-elle supérieure
par ses exploits à telle autre ? (ce genre de conflit d’honneur était très fréquent). Elles faisaient aussi une
sorte de pari : en cas de victoire d’une partie, elle remporterait tel objet (des chameaux). Ce pari ne
constituait pas l’objet du litige mais une sorte de compensation supplémentaire, le “prix de la colère”. Il
n’excluait nullement le prononcé d’une véritable peine : l’exil pour telle personne ou telle autre,
l’obligation de payer une diya de tant de chameaux à la tribu gagnante, etc. Le vainqueur faisait souvent
alors le sacrifice des chameaux du pari au profit des assistants du procès qui mangeaient les bêtes en
louant l’arbitre et le vainqueur.
44Les procès se déroulaient en public, devant le domicile du ẖakam, avec un grand concours de foule :

amis et parents des parties, beaucoup d’étrangers à l’affaire, curieux, poètes, etc... Le ẖakam, quand il
s’agissait d’un kâhin (devin) était soumis à l’épreuve de la divination : il devait par exemple retrouver un
objet caché. Cette cérémonie était souvent formelle, rituelle. Elle était là pour souligner le caractère
religieux du juge, son pouvoir divinatoire, sa communion avec les puissances célestes et corrélativement
l’importance de suivre la sentence. Les parties exposaient brièvement la situation. Il n’y avait pas une
grande abondance de preuves, de témoignages, etc., car on se fiait surtout au pouvoir divinatoire du
ẖakam. Dans les conflits de prééminence (munâfara) on assistait à de véritables joutes poétiques en vers
ou en saj’ (prose rimée).
45La sentence aussi était en saj’. Précédée d’une invocation à la divinité ou à la nature (dont on a des
exemples dans le Coran, sourates de la fin), elle consistait en quelques phrases brèves. Parfois le ẖakam
rappelait la coutume ou proposait une législation. Le juge pouvait donner de simples avis, ou un conseil,
ou soumettre la question à une autre question ce qui était une manière de ne pas résoudre le fond. La
sentence du juge n’était pas exécutoire, mais le prestige du juge, la qualité de la sentence, la remise
d’otage jouaient en faveur de son exécution. Mais la non-exécution était fréquente si le ẖakam manquait
de prestige, si l’opinion ne suivait pas ou si le clan du vaincu était très puissant et cela pouvait dégénérer
en conflit armé.
46On voit donc que la justice dans cette société bédouine, comme le pouvoir, reposait en grande partie sur

le prestige et l’autorité morale de ceux qui l’exerçaient. L’opinion publique qui s’exprimait à travers la
coutume, ou par la voix des hommes éminents, ou dans la poésie, était en fin de compte le frein essentiel
de l’individualisme familial ou ethnique.
SECTION II - DROIT ET JUSTICE À L’ÉPOQUE DU
PROPHÈTE
47La source quasi unique du droit, tel qu’il a été modifié par le prophète Muẖammad, est le Coran. Les
autres sources, la vie du Prophète (sîrat an-nabî) et ses dires (ẖadîth) qui constituent la tradition
islamique (Sunna) sont postérieures et marquées par le souci de conformer l’histoire à des vues
théologiques et politiques qui sont celles de l’époque abbasside, c’est-à-dire postérieure à 750. Toutefois
on ne peut en faire totalement abstraction : sans la Sunna le Coran serait incompréhensible, ne serait-ce
que parce qu’elle éclaire maints passages par la vie du Prophète. Du point de vue de l’histoire du droit, il
nous faut examiner trois questions, la révélation islamique (§ 1), le rôle judiciaire et législatif du
Prophète (§ 2), enfin les grandes lignes de la législation coranique (§ 3).
§ 1 - La révélation islamique

4827 — Une révélation dans le temps On divise la vie du Prophète en deux périodes principales : la

période mecquoise, de sa naissance à son émigration (570 à 622) ; la période médinoise, de son
émigration à sa mort (622 à 632).
49Pendant la première période, même après le début de son inspiration ou de sa prédication, on ne peut
parler d’une histoire du droit. Le but du Prophète était principalement d’implanter une foi nouvelle,
monothéiste, face au polythéisme ou à l’indifférence de ses contemporains. Certes cette foi nouvelle avait
des incidences pratiques du fait de ses multiples recommandations morales, mais, du point de vue
juridique, on ne peut y distinguer que des indications très générales. Le lecteur vérifiera dans l’annexe 1,
consacrée aux citations juridiques du Coran, que les sourates mecquoises ont fourni très peu de
prescriptions.
50Après son émigration à Médine (622) la situation changea complètement. Le simple particulier qu’était
le Prophète à la Mecque devint un chef d’État, celui du premier État musulman 9 . Le persécuté de la
Mecque, l’immigré de Médine, décidait désormais de la justice, donc de la vie et de la mort, comme de
la paix et de la guerre, en se référant sans cesse au texte qui lui parvenait, le Coran. Cette “descente”
(nuzûl) du livre sacré des musulmans se faisait à la suite d’incidents divers ou de questions, ce que les
fuqahâ’ appelleront par la suite asbâb an-nuzûl, les causes de la descente, et dont la connaissance, fournie
par la Sunna, leur sera très précieuse pour l’interprétation du texte sacré. Certaines parties du Coran ne
possèdent pas de ce type de contexte : les fuqahâ’ disent alors que Dieu avait jugé que les temps étaient
mûrs pour une nouvelle révélation ou législation.
51Un autre trait de la révélation coranique a été souligné depuis longtemps : son caractère progressif. Il ne

s’agit pas seulement du fait que la révélation s’effectue par découvrements successifs, en sorte qu’une
même question (la répudiation par exemple) se trouve traitée dans plusieurs sourates (dans l’exemple
sourates 2 et 65 surtout), mais qu’elle change de nature au fur et à mesure de son dévoilement. Ainsi pour
le jihâd, la lutte contre la mécréance, le Coran le restreint d’abord à la patience (73, 10-11), puis il le met
sous le signe de la permission (22, 41), enfin de l’obligation (2, 216). Un autre exemple classique est
celui du vin, décrit d’abord comme un bien et un mal (2, 219), puis interdit avant la prière (4, 43), enfin
interdit absolument (5, 90).
5228 — Interprétations actuelles. Les auteurs contemporains (Zaydân p. 112 sq., Al-Khuḏarî p. 15 sq.)

aiment à souligner aussi l’existence de principes dans le Coran et en particulier celui du raf’ al-ẖaraj,
l’élimination de la gêne. Par ce concept, ces auteurs visent tout ce qui concerne les excuses dispensant de
l’obéissance à la loi (maladie, voyage, contrainte, erreur, oubli), le souci d’alléger le nombre des
prescriptions, et de manière plus générale encore la prise en compte de l’intérêt de la communauté et des
buts généraux de la loi. On est bien sûr déjà dans une lecture interprétative du Coran.
53Le caractère progressif de la révélation conduit nos auteurs à examiner la question de l’abrogé et de

l’abrogeant, qui est, comme la question précédente, un problème qui ressort des usûl al-fiqh. L’existence
de versets qui en abrogent d’autres semble pour certains une conséquence nécessaire de la progressivité
de la révélation. Zaydân par exemple s’appuie sur divers exemples comme celui du changement de qibla
(2, 144), ou celui de l’abrogation de l’obligation du testament (2, 180), par les versets sur les parts (4, 7-
12). Il évoque aussi un ẖadîth abrogeant un autre ẖadîth à propos de la visite des tombeaux. L’exemple du
passage de la ’idda (période de viduité, voir n° 36) d’un an à 4 mois (2, 240 abrogé par un verset
antérieur 2, 234) pose de toute évidence le problème de la chronologie des versets. Al-Khudarî pense
qu’il n’existe pas d’abrogation à proprement parler, mais de précisions successives ou d’effets de style
(p 19-24).
54Zaydân examine aussi la question de l’ijtihâd (recherche de la loi divine) du Prophète et de ses
Compagnons et il conclut à son existence, quoique n’étant pas source de législation en tant que tel. En
effet ou bien l’ijtihâd du Prophète n’était pas abrogé par une révélation coranique et alors il était
révélation, ou bien il était abrogé et il n’était ni source de législation, ni révélation. Son utilité n’était de
ce fait qu’exemplaire (p 114 sq.). L’exemple classique est celui du traitement des prisonniers après la
bataille de Badr : après consultation des Compagnons, le Prophète se décida à les rançonner tout de suite.
Une révélation postérieure vint lui donner tort, en lui signifiant que la mise en rançon des prisonniers ne
doit être faite qu’après la fin de la guerre (8, 67).
55Abû Zahra (Tarîkh, p. 238-240) souligne que le Prophète peut se tromper dans les affaires sans rapport

avec la religion ou la loi islamique, mais aussi en matière de jugement. Muhammad aurait affirmé : “Il est
possible que l’un d’entre vous soit plus habile à prouver sa cause qu’un autre, mais ce que je lui aurais
accordé contre son frère ne sera qu’une part d’enfer.” Pour Abû Zahra, on n’a pas d’exemple d’erreur du
Prophète en la matière, mais il demeure nécessaire de distinguer les actes législatifs du Prophète, qui sont
révélation, de ses actes d’application de la législation, qui peuvent être erronés. Un autre ẖadîth du
Prophète affirme (à propos de la pollinisation des palmiers) : “Vous êtes les plus experts (adrâ) pour les
choses de ce monde.” Ce dire départagerait le domaine religieux du domaine profane, et certains
modernistes s’en servent pour écarter la loi islamique, ce que Abû Zahra dénonce, tout en admettant la
distinction des deux domaines.
56On voit que pour les modernes l’histoire de la révélation coranique tend à se confondre avec le chapitre

des usûl consacré au Coran ou à la Sunna. Logiquement, pour être une véritable histoire, elle devrait
traiter du classement chronologique des sourates et en proposer une vision claire, certainement en
relation avec les pratiques sociales de la première communauté. Quant à la discussion, pour être
véritablement historique, elle devrait se placer dans la problématique de l’époque. Mais pourra-t-on
jamais la connaître ?
§ 2 - Le rôle judiciaire et législatif du Prophète

57La question de savoir si le Prophète était mujtahid se pose bien évidemment dans le cadre de la foi

islamique, car il s’agit, pour le croyant, de savoir si le Prophète a eu un rôle propre dans les intervalles
de la révélation, ce qui a des incidences sur la nature de l’ijtihâd. Tout autre est la façon qu’ont les
historiens, généralement orientalistes, de traiter la question, puisqu’ils ne s’appuient pas sur la foi en la
révélation coranique 10 . Deux questions sont soulevées, celle du rôle judiciaire et celle du rôle législatif
du Prophète.
5829 — Le rôle judiciaire du Prophète. Selon l’opinion admise par les orientalistes, le Prophète n’a pas
institué de système judiciaire nouveau, il est entré dans le rôle du hakam (arbitre), le Coran distinguant
bien par ailleurs qu’il n’est pas un devin (kâhin, cf. *59, 29 ; *69, 42 ; *81, 22 11 ). E. Tyan fait
remarquer que tous les textes du Coran parlent de ẖakam, ẖakama, taẖkîm. La racine q-ḏ-y qui donne qâḏâ
(juger), qâḏî (juge), qaḏâ҅՚ (judicature) n’est employée qu’à propos de Dieu, juge des bonnes et mauvaises
actions, ou des prophètes en général (Cor. 10, 47).
59Pour Muhammad, le Coran énonce : “Arbitre entre eux (“faẖkum baynahum”) ou bien détourne-toi d’eux
s’ils viennent à toi. Si tu te détournes d’eux, ils ne te nuiront en rien. Si tu les arbitres, arbitre-les avec
équité, Dieu aime les équitables...” (5, 42). Il est clair que le Prophète est un ẖakam puisqu’il peut refuser
de juger. Le Coran souhaite que les musulmans soumettent leurs litiges au Prophète : “Ils ne croiront pas
tant qu’ils ne t’auront pas fait arbitre de leurs différends. Ils ne trouveront plus ensuite, en eux-mêmes, la
possibilité d’échapper à ce que tu auras décidé (qadâ) et ils s’y soumettront totalement” (4, 65). C’est le
seul exemple de l’usage de la racine qaḏâ à propos de Muhammad. J. Schacht y voit l’annonce d’une
nouvelle conception de l’administration de la justice, mais on n’en saurait tirer que le système des cadis
était déjà institué à cette époque.
60Selon le Coran, cette soumission au Prophète-ẖakam est pour l’islam un moyen de se répandre.
Inversement le recours aux autres ẖakam sera un frein à son expansion. Le recours au Prophète est une
preuve de loyalisme, mais il n’est pas obligatoire (5, 42, cité plus haut). Cependant le Prophète était
mécontent quand les musulmans avaient recours à un ẖakam autre que lui : du fait que les parties
reconnaissaient que le ẖakam était en communication avec l’au-delà, un musulman ne devait pas
s’adresser ailleurs, et ceux qui s’adressaient à Muẖammad devraient logiquement se faire musulmans (4,
65). Toutefois les autres ẖakam pouvaient être reconnus justes s’ils arbitraient en fonction de la Tora (5,
43-48) ou de l’Évangile ou du Coran. Mais les ẖakam polythéistes arbitraient en fonction de l’ignorance,
la jâhilîya (5, 50). Dans tous ces passages la racine ẖ-k-m est seule employée.
61E. Tyan cite le verset : “Les incrédules sont ceux qui ne jugent pas les hommes d’après ce que Dieu a

révélé” (5, 44 et parallèle 5, 45) et pense que le verbe ne signifie pas juger mais appliquer les
prescriptions, se conduire, ou encore gouverner. Mais c’est une exégèse inutile. Les versets 5, 44-50
(utilisant la même expression) montrent bien qu’il s’agit de juger à la manière préislamique et d’écarter
les ẖakam de la jâhilîya, de leur enlever toute influence sur les musulmans. Le ẖakam Muhammad, lui, est
réellement en communication avec l’au-delà ; c’est le vrai kâhin, la divinité lui conseille d’écarter ses
sentiments personnels, etc. Ces versets n’infirment en rien l’idée fondamentale de Tyan, que le Prophète
est entré dans le rôle du ẖakam.
62Les traditions islamiques postérieures montrent le Prophète nommant des juges. Mais elles sont
contradictoires et ҅Alî ҅Abd ar-Râziq l’a bien souligné un ouvrage célèbre Al islâm wa usûl al-ẖukm, qui
lui valut des démêlés avec l’université al-Azhar. De plus, la première (et classique) biographie du
Prophète faite par Ibn Hisham, ainsi que le meilleur recueil de ẖadîth, celui d’al-Bukhârî, ne parlent
jamais de qâḏî. Chez ce dernier, on trouve : “Le ẖakam ne doit pas juger entre deux personnes alors qu’il
est en colère“ (Bukhârî II, 502) : ẖakam et non qâdî. Rien en outre ne révèle l’existence d’une procédure,
avec contrainte à comparaître et modes de preuves fixés, etc. Dans tous les autres recueils on ne trouve
jamais un juge qui prend conseil auprès du Prophète, alors que ce type de demande fut fréquent sous les
califes qui succédèrent à Muhammad.
6330 — Son rôle législatif. Pour Schacht, le Prophète a cherché primitivement une révolution morale, et
il n’est entré dans le détail législatif, qu’en s’y résignant (Introduction, p. 22 sq.). Bien des signes tendent
à prouver le caractère moralisateur et même non juridique des prescriptions coraniques. Ainsi
l’insistance est mise sur la manière plus que sur le fond du droit, notamment à propos de la répudiation
(2, 229, 231, 237...) et de l’aumône (2, 264 par ex.). Des précisions de techniques juridiques, souvent
importantes, par exemple relativement aux conséquences juridiques de certains actes, ne sont pas
évoquées. En matière pénale l’interdiction compte plus que le détail des peines et quatre infractions ne
comportent aucune peine précise (apostasie, ribâ, jeu de hasard, consommation de vin, cf. chapitre IX).
Souvent le Coran encourage le croyant à renoncer à ses droits (2, 237 ; 4, 92, 45...) et la renonciation aux
droits sera traitée en détail dans le fiqh. Tout cela est incontestable, sauf que, pour un musulman, ce n’est
pas la conception du Prophète, mais celle de Dieu...
64En tout cas, il en résulte que le système préislamique constitue la base sous-entendue du droit
coranique, et c’est bien ainsi que le comprit Mâlik B. Anas (le fondateur du malékisme) quand il pensait
retrouver dans l’usage de Médine l’authentique tradition. On ne comprendrait pas non plus l’insistance
sur la nécessité de la connaissance de la langue et du milieu arabe chez des auteurs comme ach-Chafi’î,
s’ils n’avaient pas admis implicitement cette idée. Reste donc à savoir quelles ont été les innovations
apportées par le Prophète par rapport au droit et aux usages préislamiques.
§ 3 - Les grandes lignes du droit coranique

6531— Source et conception fondamentale. L’étude du droit coranique se fonde essentiellement sur le

Coran. Selon la tradition, le Prophète lui-même avait commencé la recension du Livre, avec son
secrétaire Zayd Bn Thâbit, et les futurs califes ̒ Uthmân et ̒Alî (Zaydân, p. 117). Selon l’exégète andalou
Ibn ̒Aṯîya, il aurait même eu le temps de réviser sept sourates (Berque, Le Coran, En relisant, p. 714), ce
qui explique d’ailleurs que le Coran ne soit ni totalement ordonné, ni totalement désordonné. Pour ce qui
concerne la recension de la Sunna les ẖadîth sont contradictoires : le Prophète aurait interdit de faire cette
recension selon un texte rapporté dans le recueil de Muslim ou il l’aurait autorisé selon le recueil d’Ibn
Hanbal (Zaydân, p. 117).
66L’ensemble du droit coranique, mais surtout le droit public, est sous-tendu par une conception de la

religion et de la prophétie. L’essentiel en est que le Prophète vient rappeler la religion originelle,
naturelle (30, 30), pervertie par les hommes. L’islam est cette religion immuable qui triomphera des
autres (61, 9). La communauté islamique, lieutenante du pouvoir de Dieu sur toute chose (24, 55), est
spécialement chargée de cette mission par le jihâd, la guerre contre la mécréance.
6732— Droit de la guerre. Le jihâd, conçu lors de la période mecquoise comme une sorte d’apostolat

(25, 52) fut transformé à Médine en guerre effective (2, 190-194, etc.). Il se démarque du système ancien
de la razzia par son objectif qui est avant tout religieux (8, 7-8), même si le butin n’est pas oublié (8, 41).
Il devint alors une guerre sainte 12 . Le Coran y consacre de nombreux passages (voir index des citations
coraniques), posant un droit relativement détaillé, presque autant que celui de la famille, mais comportant
plus d’une ambiguïté (cf. Morabia).
6833— Droit constitutionnel. Pour ce qui correspondrait au droit public constitutionnel, on trouve dans le

Coran peu de dispositions. Un ensemble de versets, relatifs principalement au statut du Prophète, dessine
de manière négative les pouvoirs que le Prophète (et a fortiori les califes) ne sauraient avoir : le Prophète
n’est pas un innovateur, ni en religion ni en droit, puisqu’il restaure le monothéisme primitif, transmettant
seulement la même parole de Dieu qui fut révélée antérieurement (7, 2 ; 46, 9). Le serment dʼallégeance
(bayʻa) qu’on lui a prêté n’est qu’un acte de soumission à Dieu (48, 10). Le Prophète est seulement le
messager de Dieu ; il ne possède pas le pouvoir de contraindre à la foi (10, 99-100), il ne légifère pas, il
doit avant tout appliquer la loi sacrée (4, 105 ; 33, 36). Dans le droit musulman postérieur, il en sera de
même pour les califes.
69Toutefois le Prophète semble posséder une certaine autonomie, et d’abord en matière religieuse, car il

est un modèle (33, 21) et on doit lui obéir (24, 59). Il doit cependant pratiquer la consultation (3, 159).
De qui ? On pense de ses Compagnons. Mais on peut y voir aussi une référence à la coutume du
consensus des notables de la tribu. Les autorités que le Prophète délègue doivent aussi être obéies (24,
59), mais elles n’ont pas de pouvoir religieux ou législatif (22, 51). Elles doivent aussi consulter (42, 38)
et obéir à la loi. Outre le devoir d’obéissance et de consultation, le Coran n’a fixé que la répartition des
impôts (8, 41 ; 9, 60 ; 59, 7), et le partage du butin (8, 41).
7034 — Droit pénal. En matière pénale, le Coran montre bien que le système antérieur de la vengeance

(thaʼr) fut maintenu, mais modifié par la généralisation du principe du talion (qisâs). L’égalité entre l’acte
coupable et son châtiment fut fortement posée (2, 178 ; 2, 194 ; 17, 33). Cela avait l’avantage que la
vengeance ne devait plus frapper aveuglément, mais aussi l’inconvénient de rétablir la mutilation
équivalente pour blessure. Toutefois le versement du prix du sang (diya) pour meurtre ou blessure était
recommandé (5, 45 ; 16, 126) et il était obligatoire en cas d’homicide par erreur (4, 92). Ce dernier
verset et le suivant (4, 92-93) posent aussi nettement le principe d’individualisation de la vengeance.
71Des interdictions nouvelles, liées à la nouvelle foi, furent établies. Certaines ne recevaient d’autres

peines que celles de l’au-delà, comme les interdictions de l’usure (par exemple 2, 275-76), de
l’apostasie (16, 106) et de la consommation de vin. D’autres peines étaient fixées. Ce sont les ẖudûd
(peines fixes, sg. ẖadd) : mutilations pour vol (sariqa, 5, 38), mort ou crucifixion ou mutilation ou
bannissement pour brigandage (ẖaraba, 5, 33), fustigation de 100 coups de fouet pour fornication (zinâ,
24, 2), fustigation de 80 coups pour la fausse accusation de fornication (qadhf, 24, 4).
7235 — Procédure. Le Coran parle peu des procédures. Il fixe celle de l’enregistrement des dettes, qui

doivent se faire par écrit (2, 282), ce que le droit ultérieur ne suivra pas. Il exige quatre témoins pour
prouver le crime de fornication (24, 4). Il pose la nécessité du témoignage (2, 283) sauf en matière de
diffamation (4, 148). Il recommande surtout la justice aux juges et aux parties (2, 188 ; 4, 135) et fixe les
lois divines comme lois de référence (4, 105 ; 5, 48-50 ; 24, 51 ; 33, 36). La substitution du juge
musulman (qâdî), au ẖakim (arbitre) était impliquée par la nouvelle religion : le ẖakim était souvent un
devin, ou un prêtre ou un rabbin, personnages que l’islam ne pouvait plus maintenir pour juger des
musulmans. Néanmoins l’institution de l’arbitrage a subsisté pour certains conflits de famille (4, 35).
7336— Droit privé. La famille. En droit privé de même, le Coran maintient et modifie. La famille semble
avoir été son souci principal (avec le jihâd). Si la polygamie fut maintenue, elle fut limitée à quatre
femmes. Dans le divorce, la durée de la ʻidda, période de viduité 13 13, qui était uniformément de un an
en Arabie préislamique, fut raccourcie et modulée en fonction des cas (cf. index des citations). La
compensation matrimoniale qui devait désormais être versée à la femme, et non à sa parenté, devenait un
don nuptial. Cette nouvelle règle eut pour conséquence, tirée très logiquement par la tradition,
lʼinterdiction du mariage par échange de femmes entre deux familles (nikâẖ ach-chighâr). En revanche
l’adoption ne fut plus un empêchement au mariage, puisqu’elle fut abolie (33, 4-5, 37). La femme eut
désormais vocation à hériter (4,7 ; 4, 12), elle ne fut plus objet d’héritage, ce qui empêcha les formes de
mariage proches du lévirat (4, 22). La répudiation fut rendue plus difficile, notamment en faisant jouer
l’observation des périodes de viduité (65, 1). Surtout le droit de vie et de mort du père sur ses enfants qui
jouait surtout à l’encontre des filles fut aboli (16, 59 ; 17, 31).
7437— Droit privé. Les biens. Pour le reste du droit civil, le Coran approuva le respect préislamique des
contrats, interdit l’usure (Cor 3,130 ; 2, 275-79 ; 4,161 ; 30,39), incita au respect du bien des orphelins, à
l’équité des poids et mesures, à la vertu de la renonciation aux dettes, etc. (voir à l’index).
7538 — Les auteurs arabes admettent le plus souvent que le droit préislamique a constitué le
soubassement de la loi islamique et que la révélation prophétique a tantôt maintenu, tantôt modifié et
tantôt aboli ses diverses dispositions (par ex. Zaydân, p. 16-37). Ils soulignent que c’est surtout la
ʻasabîya, l’esprit de corps tribal, fondement important des pratiques sociales préislamiques, qui fut
contrecarré. C’est notable à propos de la vengeance : la solidarité tribale ne doit jouer qu’envers le bien
et non en faveur du mal (5, 2), d’où l’interdiction des razzias et des vendettas. Mais les liens charnels ont
conservé la priorité en matière de statut personnel et d’héritage (33, 6). Ces auteurs soulignent souvent
que le Coran améliora notablement le statut de la femme et rapportent en détail ce que nous avons vu.
76Savoir dans quelle mesure ce droit modifié a été connu et appliqué est plus délicat. On peut faire

l’hypothèse minimale qu’il l’a été à Médine, en même temps que le Prophète établissait sa domination.
Des études de sociologie historique sur la première communauté sont-elles possibles ? A la mort du
Prophète, on ne peut supposer que l’application du droit coranique ait été générale à la Mecque et en
Arabie. D’abord parce que le Coran n’avait été véhiculé qu’oralement et par un petit nombre de
musulmans. Ensuite et surtout parce le temps leur avait manqué pour enseigner ou pour apprendre. Le
Prophète termina sa carrière dès 632 et l’islamisation en profondeur de l’Arabie fut l’œuvre des califes.
SECTION III - LE DROIT MUSULMAN SOUS LES
RACHÎDÛN (632-661)
77L’époque des califes dits Râchidûn (les ”bien conduits“) est celle des Compagnons du Prophète (as-
saẖâba). On présentera d’abord une vue chronologique de l’histoire du droit de la période à travers une
histoire classique de ces califes (§ 1). Puis on fera ressortir les caractéristiques du droit de cette époque
(§ 2).
§ 1 - Les quatre califes

7839 — Abû Bakr As-Siddîq (632-634). Le Prophète était à peine mort que se trouva posée une grave

question qui n’avait pas de solution, ni dans le Coran, ni dans aucun précédent : quel serait son
successeur à la tête des musulmans ? Les ansâr, c’est-à-dire les gens de Médine, s’apprêtèrent à désigner
Sa’d bn ʻUbâda, un de leurs chefs. Mais les chefs muhâjirûn, cʼest-à-dire les Mecquois qui émigrèrent en
622, nommément le “triumvirat” constitué par Abû Bakr as-Siddîq, ʻUmar Bn l-Khaṯṯâb et ʻUbayda Bn al-
Jarrâh, se hâtèrent de les rencontrer. Après une chaude discussion, c’est Abû Bakr qui l’emporta grâce à
l’appui de ʻUmar. Croyant de la première heure, Abû Bakr avait toujours soutenu Muhammad dans les
moments difficiles à la Mecque comme à Médine. Le titre le plus solide qu’il avait à sa succession était
que le Prophète, pendant sa maladie, l’avait désigné pour conduire la prière à sa place.
79Une fois calife, il eut à faire face à une révolte des tribus d’Arabie. Certaines s’étaient attachées à des
prophètes (dont une prophétesse) rivaux de Muẖammad, d’autres voulaient rester musulmanes et ne pas
payer l’impôt de purification (zakât). C’était encore un problème grave dont la solution n’était pas dans le
Coran, ni dans l’exemple du Prophète. Abû Bakr, conscient du danger mortel que courait l’islam, les
traita toutes en apostates, malgré les réticences de ʻUmar. Il envoya Khâlid Bn l-Wâlid à la tête de
l’armée musulmane et ce dernier écrasa les rebelles en plusieurs batailles sanglantes. Selon les
orientalistes, Abû Bakr introduisit la règle, inconnue dans le Coran, que l’apostat devait être mis à mort
14 , mais les exécutions furent peu nombreuses (SEI). L’armée musulmane fut ensuite envoyée à l’Est et à

l’Ouest et elle commença la série de ses étonnantes victoires en s’emparant de Hîra et d’une partie de la
Palestine.
80Selon un ẖadîth rapporté par al-Bukhârî (Al-Khudarî, p. 88-89), sur le conseil insistant de ʻUmar, le
Calife donna ordre à Zayd Bn Thâbit de compiler le Coran. ʻUmar s’inquiétait de la mort sur le champ de
bataille de nombreux porteurs du Coran (qurraʼ, c’est-à-dire de ceux qui le connaissaient par cœur). En
tout cas, il était temps, car la tradition dit que deux versets (les deux derniers de la sourate 9) n’eurent
qu’un seul rapporteur (Al-Khudarî, p. 89). L’exemplaire compilé aurait été confié à Hafsa, une des
femmes du Prophète, ce qui est pour le moins étrange comme le souligne F. Buhl (SEI, p. 278). Ce qui
semble certain c’est qu’Abû Bakr, comme ’Umar par la suite, manifesta une grande antipathie envers le
ẖadîth (Al-Khuḏarî, p. 90 sq.).
8140 — ʻUmar Bn l-Khaṯṯâb (634-644). Abû Bakr désigna comme successeur ʻUmar Bn l-Khaṯṯâb. Ce

dernier fut un organisateur intelligent et il sut notamment tenir en mains ses généraux qui conquirent la
Perse, la Syrie-Palestine et l’Égypte. Se posa alors un nouveau problème grave. Selon le Coran (8, 41),
les quatre cinquièmes du butin doivent être partagées entre les combattants. Fallait-il donc partager aussi
les terres conquises ? Après avoir consulté les Compagnons, ʻUmar refusa le partage des terres, préférant
laisser au travail agricole les anciens propriétaires non-musulmans moyennant le paiement d’un impôt
spécial, le kharâj, outre la jizya, l’impôt de capitation. Les soldats pourtant recevraient le produit de cette
terre sous forme de dons (aṯâʼ) dont on tiendrait registre (diwân). Sa décision ne fit pas l’unanimité. Mais
il emporta la partie en arguant du verset 59, 7 : la prise de guerre (fayʼ) était distinguée du butin
(ghanîma) et devait revenir à l’État.
82La tradition rapporte aussi que, contrairement à ce qu’avait l’habitude de faire Abû Bakr, qui distribuait

les dons sur une base égalitaire, ʻUmar établit une sorte d’échelle des mérites islamiques : les
combattants de la première heure, ceux qui luttèrent aux côtés du Prophète à Badr, reçurent 5000 dirhams,
ceux qui vinrent après Badr 4000, et ainsi de suite. Les femmes du Prophète n’héritèrent pas et touchèrent
une pension annuelle de 12000 dirhams. Les gens dans le besoin ne furent pas oubliés (Al-Qattân p. 198-
200).
83ʻUmar mit aussi en place des gouverneurs. Selon la tradition, ʻUmar aurait nommé les premiers juges et
leur aurait écrit une Épitre sur la justice. Mais cette lettre semble bien être apocryphe, comme l’ont
démontré les orientalistes (Tyan, p. 78-82). Elle est en effet inconnue des recueils de traditions les plus
sûrs : Mâlik, Ibn Hanbal, ach-Châfiʻî, Bukhârî, Muslim, Ibn Hichâm... Surtout, elle contient une vision de
la hiérarchie des sources du droit qui est postérieure. Ce qui est probable c’est que les gouverneurs
nommés avaient des fonctions judiciaires : c’était d’ailleurs le plus souvent des Compagnons du
Prophète. A tort ou à raison, on rapporte au calife ʻUmar surtout, pour ce qui concerne l’histoire du droit,
l’origine de nombreuses décisions en matière jurisprudentielle, comme nous le verrons.
84Mortellement blessé en pleine mosquée, il aurait, avant de mourir, désigné un petit comité qui choisit
ʻUthmân Bn Affân comme son successeur.
8541 — ʻUthmân Bn ʻAffân (644-656). Sous son règne, les conquêtes furent poursuivies avec succès en

direction de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie. Selon la tradition, ʻUthmân, ayant été informé que les
divergences sur le Coran commençaient à prendre de l’ampleur, fit récupérer tous les exemplaires et
feuillets du Coran existants, dont l’exemplaire de Hafsa, et nomma une commission de révision de quatre
membres, dont Zayd Bn Thâbit, les trois autres ayant expressément la mission de faire dominer la langue
de Quraych (Al-Khudarî, p. 90). En 647, la version réalisée fut recopiée et envoyée aux gouverneurs de
Kûfa, Basra et Damas (d’autres sources rajoutent La Mecque, Yémen et Bahrayn), avec l’ordre de faire
brûler toutes les versions divergentes. Cette édition ne suscita pas de résistances notables sur le coup. Par
la suite les chiites accusèrent ʻUthmân d’avoir supprimé les passages à la gloire de ʻAlî Bn Abî Tâlib,
cousin et gendre du Prophète, mais ils ne parvinrent pas à en produire une version acceptable. La réalité
de l’élimination par le feu des versions divergentes a été mise en doute par les orientalistes qui montrent
que les autres versions furent conservées (notamment celle dʼIbn Masʻûd), et qu’elles sont à l’origine des
différentes lectures autorisées (SEI, art. Kurʼân). La ponctuation et la vocalisation du texte furent
réalisées plus tard, sous les Umayyades, mais même réduit à seize lettres et sans voyelles, le texte
n’offrait que des possibilités d’interprétations divergentes tout à fait mineures.
86Sous ʻUthmân, un mécontentement se fit jour. Deux conceptions de l’État, semble-t-il, s’affrontaient
déjà : celle des partisans de ʻAlî qui voulaient une imitation stricte de la conduite de Muẖammad, et celle
des premiers califes, soucieux de créer un État, même au prix d’innovations (Sourdel, p. 135). La
tradition chiite postérieure accusa ʻUthmân de népotisme, de détournement de fonds, de ne pas avoir
appliqué strictement le droit, de même que son prédécesseur ʻUmar. Le fait est que ʻUthmân continua la
politique de ʻUmar. Savoir dans quelle mesure cette politique est innovatrice est l’objet de controverses.
87En 656 des Égyptiens mécontents assiégèrent la demeure du calife à Médine. C’est ce même ʻAlî qui

servit d’intermédiaire entre eux et le calife. Les assiégeants, rassurés par des promesses, partirent pour
l’Égypte, mais ils saisirent en route un courrier du calife demandant au gouverneur d’Égypte de les
exécuter. Les insurgés revinrent à Médine et assassinèrent ʻUthmân.
8842 — ʻAlî Bn Abî Ṯâlib (656-661). Le règne du quatrième successeur, qui prit le pouvoir après
quelques jours d’hésitation, fut à l’origine de la division de la communauté musulmane en chiites,
kharidjites et sunnites. Le gouverneur de Syrie, Mu’âwiya, parent de ʻUmar, cria vengeance contre le
nouveau calife, soupçonné de ne pas vouloir faire justice contre les meurtriers. Nombreux furent les
Compagnons qui refusèrent de prêter serment à ʻAlî. Parmi eux, Talha et Zubayr, bientôt rejoints par
ʻAʼicha, prirent les armes. ʻAlî marcha contre eux et les écrasa près de Basra. La bataille fut appelée
bataille du chameau parce que le fort de la mêlée eut lieu près du chameau de ʻA’icha. Talha et Zubayr y
périrent (656). Pour la première fois, des musulmans s’entretuaient.
89ʻAlî se tourna ensuite contre Mu’âwiya. Il allait le vaincre à Siffîn, en Irak, quand les combattants
syriens placèrent des feuillets du Coran au bout de leur lances, demandant ainsi le jugement de la parole
de Dieu. La ruse avait été inventée par ʻAmr Bn al-ʻÂs, gouverneur d’Égypte. ʻAlî décida d’accepter la
négociation offerte. Chacun des deux partis désigna un arbitre. La rencontre des arbitres décida la
destitution de ʻAlî. ʻAmr Bn al-ʻÂs, l’arbitre de Muʻâwiya proclama alors Mu’âwiya calife. ʻAlî refusa
de se retirer, sʼestimant trahi par son arbitre, Abû Mûsâ al-Ansârî. Certains des partisans de ʻAlî, environ
4000 hommes, l’avaient déjà abandonné pour former un tiers parti fort turbulent, terroriste même, celui
des kharidjites.
90ʻAli dut se tourner contre eux. Ils avaient ravagé Ctésiphon et commis toutes sortes d’atrocités. La

bataille eut lieu à Nahrawân en 658. Les kharidjites présents à la bataille périrent tous à l’exception de
dix d’entre eux. Pendant ce temps, Mu’âwiya ralliait à lui le reste du monde musulman. ʻAlî, qui ne tenait
que l’Irak, comme ʻUthmân, comme ʻUmar, périt assassiné, mais sous le fer empoisonné d’un kharidjite
(661). Les effets de son malheureux règne sur le droit ne seront sensibles que dans la période suivante.
§ 2 - Caractéristiques du droit de l’époque

9143 — Sources du droit. On a déjà vu que les califes avaient procédé à la recension du Coran. Pour la

Sunna, ils manifestèrent une évidente hostilité à sa mise par écrit. Ils craignaient d’embrouiller le Coran.
Abû Hurayra aurait dit, qu’à l’époque d’Abû Bakr et de ʻUmar, il se gardait bien de raconter des ẖadîth
par crainte du fouet. ʻUmar aurait même fait emprisonner trois personnes pour cette raison. ʻAlî aurait
maudit les rapporteurs de ẖadîth. Mais d’autres ẖadîth, exprimant peut-être le souci que la Sunna ne se
détruise pas elle-même en niant sa propre légitimité, rapportent que ʻUmar faisait contrôler les ẖadîth par
plusieurs rapporteurs et que ʻAlî leur faisait prêter serment (Al-Khudarî, p. 90-92)(Al-Qattân, p. 229-
230).
92Pour les autres sources, selon la vision musulmane classique, les Râchidûn, devant des problèmes dont

la solution ne se trouvait ni dans le Coran, ni dans la Sunna, avaient recours au ra’y (avis personnel),
mais à travers la consultation des plus savants en matière de traditions. Lʼijtihâd individuel aurait été rare
comparé à lʼijtihâd par consultation, le plus important, puisqu’il concernait les questions d’intérêt
collectif. Dans ces cas, il pouvait y avoir unanimité ou pas. Quand il y avait unanimité de points de vue à
l’issue de la consultation, les califes parlaient d’ijmâʻ (consensus, unanimité). De plus, ʻUmar, selon la
Lettre sur la justice à Mûsâ al-Achʻarî, aurait dit : ”Sache les ressemblances et les exemples, et règle les
affaires par analogie (wa qis al-umûr ʻinda dhâlika)”. Les quatre sources à cette époque auraient donc été
le Coran, la Sunna, l’ijmâʼ et l’analogie (ou le ra’y selon d’autres traditions).
93Cette vision des origines des usûl al-fiqh est critiquée par Schacht en particulier dans son ouvrage The
Origins of Muhammadan Jurisprudence 15 . Selon Schacht, la hiérarchie des sources, telle que la
décrivent un certain nombre de ẖadîth et en particulier l’apocryphe Lettre sur la justice, exprime une
théorie tardive qui remonte pour l’essentiel à ach-Châfiʻî, c’est-à-dire au milieu du 2e/viiie siècle. Le
succès de la théorie du fondateur du chaféisme a retenti sur la vision de l’histoire du droit en sorte que le
caractère innovateur des règnes des Râchidûn et des Umayyades a été occulté par la tradition ultérieure.
94Les interprétations des auteurs contemporains ne sont pas inintéressantes. Selon Zaydân, par exemple, la

réticence des califes envers le ra’y (avis personnel) ne visait que le ra’y allant à l’encontre d’un texte, ou
produit par un incapable, ou posé en vue de nuire à la communauté, car le recours à l’idée d’intérêt
général existait à cette époque (Zaydân, p. 121). Les Râchidûn auraient été partisans d’un ijtihâd à
l’imitation de celui du Prophète et de ses Compagnons. Ils seraient d’autant moins à blâmer que, si l’on
en croit Ibn Qayyim dans son Iʻlâm al-muwaqqaʻîn (t 1, p. 55), que Zaydân cite, le sens du mot ra’y
n’était pas aussi spécialisé qu’il le sera par la suite et qu’il englobait l’analogie, la considération de
l’intérêt général, l’élimination des conséquences dommageables (sadd adh-dharâ’iʻ al-mufsida). Zaydân
passe alors en revue quelques décisions des califes pour montrer combien elles sont conformes aux
principes posés par les usûl al-fiqh. Ainsi le recours au ʻawl (réduction proportionnelle) dans les
héritages, est autorisé par analogie avec la règle “au marc le franc” qui est utilisé dans le règlement des
dettes. De même l’interdiction de la vente de toute marchandise dont on n’a pas pris possession est une
simple extension analogique de la même règle posée par la Sunna à propos des aliments. Ou encore
l’admission de la femme répudiée à l’héritage fut ainsi décidée sur la base de l’élimination des
conséquences dommageables. La non-application de l’amputation pour vol dépendait de l’application de
l’adage que nécessité fait loi. Etc., etc. Sans compter les décisions qui ont fait l’unanimité, comme la
recension du Coran, évidemment issue de la considération de l’intérêt de l’islam. Toute l’activité des
califes est pour Zaydân inspirée par les principes d’usûl al-fiqh les plus orthodoxes, ce qui permet à la
fois d’écarter des Râchidûn l’accusation d’avoir violé la loi et aussi la thèse des orientalistes selon
laquelle une vision aussi claire des usûl al-fiqh était impossible à cette époque.
9544 — Les divergences. Les califes auraient été conscients et soucieux de bien séparer leurs opinions de

leurs certitudes. On rapporte le mot d’Abû Bakr qui aurait dit : “Ceci est mon opinion, si elle est exacte,
elle vient de Dieu, sinon elle vient de moi, et j’en demande pardon à Dieu” (Zaydân, p. 119).
96Les divergences étaient rares, car les demandes de consultation ou les procès à trancher étaient rares.

Selon la vision classique c’était dû à la continuation de la vie simple et pieuse qui existait du temps du
Prophète tout au long du règne d’Abû Bakr, de ʻUmar, et sous une bonne partie du règne de ʻUthmân. De
plus la consultation des Compagnons était facile, ils n’étaient pas trop éloignés de Médine, les souvenirs
étaient frais. Sans compter qu’on ne se posait pas de problèmes théoriques, mais seulement de rares cas
concrets.
97Mais plusieurs faits rendaient les divergences inévitables, ce que soulignent bien les ouvrages
musulmans. D’abord, du fait que la recension des ẖadîth n’était pas faite, certains connaissaient tel ẖadîth
et d’autres non : la connaissance de la tradition était dispersée. Souvent, dès que la connaissance d’un
ẖadîth parvenait aux intéressés, ils abandonnaient leur point de vue (Zaydân, p. 128, à propos de ʻUmar),
ou étaient ravis de n’avoir pas à le changer car il coïncidait avec l’information nouvelle (Al-Khudarî,
p. 98, à propos dʼIbn Masʻûd). Mais il arrivait que l’intéressé n’avait pas confiance dans le rapporteur,
ce qui entraînait la coexistence d’un ẖadîth et d’un ra’y : ainsi ʻUmar rejeta un ẖadîth de Faṯîma qui
affirmait qu’elle n’avait eu droit ni au logement ni à pension au moment de sa répudiation et pendant sa
ʻidda. Enfin l’interprétation des textes amenait fatalement des divergences, et l’exemple classique est
celui du mot qurûʼ qui signifie à la fois temps de la menstruation et temps de pureté entre deux
menstruations.
98D’autres cas célèbres de divergence se laissent pas facilement expliquer, comme celui de la femme qui
s’était remariée alors qu’elle n’avait pas terminé sa ʻidda, nécessaire après son divorce d’avec son
premier mari. ʻUmar cassa le second mariage, punit le second mari de quelques coups de fouet et lui
interdit définitivement de reprendre cette femme. ʻAlî jugea différemment : il fit cesser seulement le
second mariage, ce qui permettait au second mari, après la ʻidda réglementaire de reprendre la femme.
Dans un autre exemple, un esclave avait répudié deux fois une femme libre, son épouse. Cette rupture
était-elle définitive (avec la nécessité d’un muẖallil) ou fallait-il une troisième rupture ? ʻUthmân et Zayd
Bn Thâbit jugèrent que la rupture était définitive au motif (analogique) que les droits de l’esclave sont, en
général, réduits de moitié. ʻAlî jugea autrement : il faut trois répudiations, parce que la femme est libre et
que ses droits n’ont pas à être réduits. Mais il signifia que s’il s’était agi d’un homme libre marié avec
une esclave, une double répudiation aurait suffi, la réduction de moitié des droits de l’esclave n’étant pas
mise en cause. La divergence portait donc sur le fait que ʻUthmân et Zayd alignaient la répudiation sur le
statut du mari et que ʻAlî l’alignait sur le statut de la femme.
99Une quinzaine d’exemples existent en tout (voir Al-Khudarî p. 98-104 ; Al-Qaṯṯân, p. 200-218). Nous

avons vu celui qui concerne le partage des terres. Le reste concerne surtout le divorce et les successions.
Nous en évoquerons certains dans la partie systématique (t. II).
10045 — Grands traditionnistes. En sus de ʻUmar et de ʻAlî que nous avons vus, ce sont ʻAbd Allâh Bn

Masʻûd et Zayd Bn Thâbit qui sont considérés comme les grands traditionnistes de lʼépoque. On peut y
rattacher Abû Hurayra, ʻAbd Allâh Bn ʻUmar et ʻAʼicha qui appartiennent aussi à la période suivante.
Moins importants sont Abû Mûsâ al-Achʻarî et les deux autres califes dont on rapporte peu de traditions.
On a donné quelques indications sur ces personnages, dans l’annexe 2. Leurs dires pourront être repérés
facilement grâce au Musnad dʼIbn Hanbal qui classe sa matière en fonction du rapporteur.
SECTION IV - LE DROIT MUSULMAN SOUS LES
UMAYYADES (DE 40/661 À 99/717)
101Le règne de ʻAlî introduisit une profonde rupture dans la communauté islamique, et elle ne s’en est
jamais vraiment remise. Les conquêtes changèrent aussi complètement sa situation politique, économique
et sociale. On cherchera d’abord à décrire les nouvelles conditions du droit à travers une histoire
sommaire des Umayyades et des schismes (§ 1), puis les traits fondamentaux du droit de cette période (§
2).
§ 1 - Les Umayyades et les divisions de lʼumma

10246 — Les Umayyades jusqu’en 717. La dynastie umayyade (661-750) commença donc avec ce
Muʻâwiya (661-680) qui s’était révolté contre ʻAlî. La majorité des musulmans se rallia à lui, plus par
fidélité à ʻUthmân qu’en considération de la légitimité de son pouvoir. Installé à Damas, Mu’âwiya fut un
calife habile : il obtint que le fils de ʻAlî, Hasan Bn ʻAlî, renonce à ses prétentions et se retire à Médine
(41/662, “année de la réconciliation”). Ainsi maître de l’Irak, il sut y assurer la paix en dépit de
l’agitation permanente des chiites et des kharidjites. Il jeta les bases d’un nouvel État bien administré en
sʼentourant de chrétiens, faute de trouver des compétences assez nombreuses chez les Arabes. Il sut tenir
ces derniers, divisés par des rivalités diverses, et en particulier les chefs, avides de posséder les postes
lucratifs de gouverneurs ou de généraux. Il les consulta fréquemment à travers des conseils centraux et
provinciaux. Enfin, il désigna son fils Yazîd comme successeur et imposa aux notables de lui prêter
serment. Ce n’était pas vraiment une nouveauté que de transformer le califat en institution héréditaire : le
séniorat existait chez les Arabes et les Alides n’en récusaient pas le principe, mais seulement le choix de
la lignée. Il n’empêche que cette institution nouvelle fut mal acceptée.
103Sous le règne de Yazîd (60-64/680-683) commença une longue série de troubles. La révolte qui eut le

plus d’importance religieuse est celle de Husayn, fils du quatrième calife et qui se termina par sa mort à
Karbala (680). La plus importante politiquement fut celle de ʻAbdallâh Bn Zubayr, fils d’Abû Bakr (voir
annexe 2) qui débuta sous le règne de Yazid et rallia la tendance des pieux médinois autant que des
notables mécontents. Elle fut appuyée au début par les kharidjites najadât du Yamâma. Elle se conjugua
sous les règnes de Muʻâwiya II (683-684) et de Marwân (684-685) avec une révolte des Arabes Qaysites
en Syrie et des chiites “pénitents” dans la Djéziré (Haut Irak). Marwân, puis son fils ʻAbd al-Malik (685-
705), rétablirent le pouvoir umayyade d’abord en Syrie. La révolte du chiite Mukhtâr dans la Djéziré ne
fut pas appuyée par le troisième fils de ʻAlî, Muẖammad Bn al-Hanafîya, réticent devant son caractère
social, et elle fut écrasée (687). La Mecque fut prise d’assaut par les troupes umayyades d’al-Hajjâj en
693 et Ibn Zubayr fut tué. Si la défaite de Mukhtâr amena cinquante ans de calme chiite, en revanche les
kharidjites, qui se divisaient sans cesse comme les chiites, continuèrent les révoltes : sufriya du Khuzistan
(680-682) ; azariqa extrémistes (ou Azraqites) de Basra qui durent être combattus de 684 jusqu’en 700 ;
chabîbiya des environs de Kûfa, puis du Khuzistan (695-697). La répression sanglante d’al-Hajjâj (en
poste en Irak de 694 à 714) détermina nombre de kharidjites à essaimer dans tout le monde arabe et en
particulier en Afrique du Nord, ce qui amena un certain calme en Irak. A cette époque fut aussi réprimée
la révolte d’un gouverneur qui rallia beaucoup de mécontents, Al-Achẖath (699-702). Un certain Maʻbad
al-Juhanî s’y associa : c’était le fondateur du courant théologique des qadarîya, partisans du libre-arbitre
de l’homme.
104Sous le règne de ʻAbd al-Malik l’administration s’arabisa et s’islamisa. Le calife nomma des
gouverneurs qui nommaient à leur tour des juges parmi les gens versés dans l’étude du Coran ou de la
tradition, ou qui, du moins, se faisaient assister d’un qasas (lecteur de ẖadîth), c’est-à-dire d’un
traditionniste. A cette époque l’existence d’une police régulière (chuṟtâ) et des muẖtasib (surveillants de
marché) ne fait plus de doute. Pour enrayer la baisse des revenus, le calife contraignit les convertis (les
mawlâ, les clients) à payer la jizya, impôt qui ne devait être levé, en principe, que sur des non-musulmans
(700). Ces mêmes mawlâ ne recevaient pas de solde dans l’armée. S’ils possédaient une terre ils
devaient depuis quelque temps déjà continuer à payer le kharâj, impôt sur les terres conquises. Cet impôt,
les arabes musulmans qui achetaient leurs terres devaient aussi le payer.
105La haine des Umayyades ne cessa de grandir à partir de là aussi bien chez les Arabes de pure race que
chez les mawlâ, pour des raisons aussi bien matérielles que religieuses. En effet, il devenait certain pour
l’opinion que les califes ne suivaient pas la voie musulmane, ce que les chiites ou kharidjites ne cessaient
de ressasser.
106La paix intérieure fut pourtant la dominante des règnes des califes suivants. Walîd (705-715) en profita
pour déclencher un second mouvement d’expansion extérieure qui se solda à l’Ouest par la mainmise sur
l’Afrique du Nord et par la conquête de l’Espagne, et à l’Est par celle du Sind (sur l’Indus) et de la
Transoxiane. Le Ferghana fut conquis sur les Chinois (il sera perdu et repris). Sulaymân (715-717)
échoua en revanche devant Constantinople (715-717), comme Mu’âwiya en 669 et en 677. Mais une
révolte kharidjite à Basra signala que les difficultés intérieures recommençaient.
107ʻUmar II ʻAbd al-ʻAzîz (99-102/717-720) est considéré comme un modèle de piété. Il fut suggéré à
Sulaymân mourant par Rajâ Bn Haywa, du parti des pieux. Pour l’histoire du droit, c’est son règne qui
marque la coupure avec la période suivante.
10847 — Les schismes, vue d’ensemble. Les divergences qui sont à l’origine des grands courants
théologico-politiques en islam sont plus faciles à comprendre si l’on part de la question théologique
qu’elles tentent de résoudre. En effet, toute la lutte se polarisa sur la question du statut du musulman qui a
commis une faute grave, ce qui avait d’importantes conséquences sur le califat.
109Les kharidjites pensaient que le musulman pécheur (fâsiq) ne se distinguait pas du mécréant (kâfir) et
devait être mis à mort, lui et toute sa famille, même s’il s’agissait du calife. Pour eux, le califat devait
revenir, par élection, au plus pieux, et à la limite il n’était pas nécessaire.
110Les chiites, les partisans de ʻAlî, pensaient au contraire que le califat devait revenir au plus proche

parent du Prophète, ʻAlî en l’occurrence, et à ses descendants désignés, qui, plus tard, furent considérés
comme impeccables (sans péché) et devant compléter la révélation prophétique. Pour eux les trois
premiers califes étaient des usurpateurs.
111Les partisans de Mu’âwiya, dont la doctrine est à l’origine du sunnisme, pensaient qu’il fallait remettre

(à Dieu) tout jugement à l’encontre d’un musulman pécheur, Dieu seul pouvant savoir s’il était ou non
mécréant. C’est l’attitude des murjites, d’un mot arabe signifiant ajournement (irjâʼ). Pour le califat, il
fallait qu’il reste dans la tribu des Quraych (celle du Prophète et des quatre premiers califes, autant que
celle de Mu’âwiya) et que somme toute celui qui obtenait le califat l’avait obtenu avec l’aide de Dieu.
112Il faut bien sûr considérer que ces théories, celles des kharidjites autant que celles des chiites et des

sunnites, sont postérieures à la pratique et qu’elles sont établies pour la justifier, quoiqu’elles se
présentent toujours comme antérieures et guidant l’action. Il nous faudra donc rester très près des
événements historiques pour bien comprendre (dans la partie systématique, tome II) les logiques des
différents groupes sur le califat surtout et parfois sur d’autres points de droit, par exemple les successions
pour les chiites, toutes conçues pour mettre en valeur les droits de ʻAlî.
11348 — Les kharidjites. Le mécontentement qu’exprimaient les kharidjites remontait loin : certains, de la
tribu des Tamîm, faisaient partie de la bande qui assassina ʻUthmân. Ils furent de ceux qui approuvèrent
ce crime et, ayant rallié ʻAlî, ils se révoltèrent contre lui après Siffîn (craignaient-ils que l’arbitrage se
fasse contre eux ?), semèrent la dévastation en Irak avant d’être massacrés à Nahrawân (658). Mais
beaucoup d’entre eux n’avaient pas rejoint leur imâm ʻAbd Allâh Bn Wahb ar-Râsibî au moment de la
bataille et continuèrent leur propagande et leurs vengeances, en assassinant notamment ʻAlî (661).
114Du fait que les kharidjites restèrent attachés à la lettre du Coran, et qu’ils rejetaient la majeure partie

de la Sunna (sauf ce qui venait d’Abû Bakr et de ʻUmar), on a pu dire que leur interprétation de l’islam
était “un possible de l’islam”, peut-être “le plus logique” dans sa relation avec le Coran seul (Décobert,
p. 119-121). Les kharidjites se sont divisées en de nombreuses sectes. Les plus importantes sont les
suivantes, dans l’ordre de leur apparition (cf. Laoust, Schismes, p. 36 sq., et passim).
115Les azraqites se rattachant à l’action de Nâfiʻ Bn Azraq. Ils considèrent les musulmans pécheurs et tous

ceux qui ne se soulèvent pas comme eux comme des incroyants sans excuses. Ils s’autorisent le massacre
des femmes et des enfants (isti’râḏ) des impies. Ils récusent la taqîya (ou le kitmân), c’est-à-dire le fait de
cacher ses opinions religieuses dans le but de sauver sa vie : c’est pour eux la lâcheté même. Seuls ceux
qui combattaient et étaient capables de tuer étaient des leurs, et il fallait le prouver par une épreuve,
imtiẖân, l’exécution d’un prisonnier. Les azraqites furent combattus par l’anti-calife Ibn Zubayr et Nâfiʻ
Bn Azraq fut tué (685). Ils se révoltèrent à Basra en 684, mais ne purent s’y maintenir et se répandirent
alors dans l’Iran du Sud (Khuzistan, Fars, Kirmân) et du Nord (Tabaristan). Ils durent être longuement et
durement combattus jusqu’à leur défaite en 700.
116On ne pouvait être plus extrémiste, et le kharidjisme ne pouvait évoluer que vers la modération. Les

najadât suivirent la pensée et l’action de Najda Bn Âmir. Il interdit de verser le sang des musulmans et
même de piller leurs biens. L’impiété totale, pour être imputée à quelqu’un, devait consister en un refus
des dogmes islamiques, et à condition qu’ils aient été présentés au présumé impie avec des preuves
suffisantes. Les najadât admettaient la taqîya (ou kitmân, la dissimulation). Ils se sont établis au Yamâma
en 682, ont été les alliés dʼIbn Zubayr à ses débuts, puis ils ont attaqué le Yémen, le ʻUmân, le Hedjaz et
le Bahrayn dont ils firent leur centre principal. Najda fut assassiné par des extrémistes en 692. Les
najadât furent battus par les troupes umayyades en 693. Ils ne réussirent à se maintenir que dans le
Bahrayn jusquʼà l’arrivée des Qarmates.
117Les sufrîya (se réclamant de Ziyâd Bn 1-Asfar ?) suivirent Abû Bilâl Mirdâs Bn Udayya at-Tamîmî qui
quitta Basra pour créer un centre indépendant (un dâr hijra) dans le Khuzistan. Pour eux les incroyants ne
sont que ceux qui ont transgressé un ẖadd déterminé par le Coran (voir chapitre pénal dans le t. II) et donc
ils s’interdisent de tuer les enfants n’ayant pas atteints l’âge de la responsabilité pénale. Il existe
plusieurs variantes de la doctrine. Ils sont à l’origine de la révolte de Mossoul (dans la Djéziré) en 680.
Ils furent battus par les troupes du calife en 682 et Abû Bilâl fut alors tué. Les survivants rallièrent les
ʻibâḏiya. Le poète et juriste ʻImran Bn Hiṯṯân, mort en 704, aurait appartenu à cette secte.
118Le groupe des ibadites (ʼibâḏiya) est le plus modéré et le mieux connu parce que le seul qui survit à

l’heure actuelle. Les ibadites ne se considèrent pas comme kharidjites. Ils se réclament de ʻAbd Allâh Bn
ʻIbâḏ al-Murrî at-Tamîmî qui s’était effectivement séparé en 684 des extrémistes kharidjites. Ce dernier
entretint l’espoir d’un accord avec les Umayyadcs et correspondit avec le calife ʻAbd al-Malik. Il aurait
attaqué les extrémistes dans ses écrits. Il admettait que des non-ibadites puissent être dits musulmans. Il
interdisait le meurtre des femmes et des enfants et permettait la taqîya ou le kitmân. Le successeur de
ʻAbd Allâh Bn ʻIbâd à la tête de la secte, le savant Abû ch-Chaʻthâʼ Jâbir Bn Zayd al-Azdî, organisa les
ʻibâdiya et fixa leur doctrine. Il chercha lui aussi un accord avec les Umayyades, et il maintint les
ibadites en état de kitmân, en dépit d’une période de persécution sous al-Hajjâj. C’est seulement en 747
que les ibadites décidèrent de faire passer la secte à l’état de ẕûhûr (manifestation ouverte).
119Il existe encore d’autres versions du kharidjisme qui ont engendré bien des révoltes. C’est la toile de

fond de l’histoire umayyade. Tout aussi importante est l’histoire des schismes et révoltes chiites.
12049 — Les chiites (chîʻîûn, chiite, ach-chîʻa, chiisme). A la mort de ʻAlî, Hasan fut proclamé calife à

Kûfa. Mais il se rendit vite compte qu’il était trahi de toutes parts et que ses troupes (impayées) se
débandaient : elles pillèrent même sa maison et le blessèrent. Il finit par s’entendre avec Muʻâwiya. En
échange d’une confortable pension pour lui et son frère, il renonça au califat et se retira à Médine (662).
Mais ʻAlî continua à être maudit en chaire, contrairement à lʼaccord. Hasan mourut en 670, empoisonné,
disent certains récits des partisans de la dynastie de ʻAlî, les chiites. Son frère, Husayn Bn ʻAlî, retiré à
Médine lui aussi, refusa de reconnaître Yazîd (680-683) et chercha à rejoindre ses partisans en Irak.
Encerclé par une troupe du calife à Karbala (près de Baghdad), il fut tué probablement parce quʼil
cherchait à s’échapper (680). Ce drame fondateur fut sans cesse évoqué par les chiites, et jusqu’à nos
jours.
121Husayn ne laissant qu’un jeune fils, certains des partisans des Alides se tournèrent vers le troisième
fils de ʻAlî, Muhammad Bn al-Hanafîya, qui, contrairement à Hasan et Husayn n’avait pas pour mère
Faṯîma, la fille du Prophète. D’autres, pris de remords d’avoir mal soutenu les premiers Alides se
lancèrent dans une révolte désordonnée dans la Djéziré. Mais ces “pénitents” furent massacrés par les
troupes umayyades (685). Un rescapé, Mukhtâr, réussit en revanche à Kûfa et la révolte s’étendit jusqu’à
Mossoul. Elle se réclamait de Muhammad Bn al-Hanafîya. Mais le mouvement prenait l’allure d’une
révolte servile et Mukhtâr se présentait comme une incarnation de la divinité. Aussi Muẖammad Bn al-
Hanafîya le désavoua et, après la défaite de Mukhtâr (687), il reconnut le calife umayyade ʻAbd al-Malik,
et se retira à Médine où il mourut en 701. Les partisans de Mukhtâr se divisèrent en plusieurs sectes dont
certaines furent extrémistes (voir Laoust, Schismes, p. 30 sq.).
122Les cinquante ans de calme chiite furent dus en grande partie à la volonté de paix de l’imâm suivant, le

jeune fils de Husayn, qui s’appelait ʻAlî. Ce fut un homme pieux et un savant traditionniste. Son surnom
fut Zayn al-ʻAbidîn, la “parure des dévots”. Selon la liste des imâms du chiisme imamite (ou
duodécimain, religion officielle de l’Iran), c’est le quatrième imâm, les trois premiers étant ʻAlî, Hasan
et Husayn. Mais il eut deux fils, Muhammad dit al-Bâqir et Zayd. Le premier est considéré comme le
cinquième imâm des duodécimains. Ce fut aussi un homme pieux et un savant traditionniste. Le second
déclencha la révolte de Kûfa en 740 où il laissa la vie. Il est à l’origine d’une voie chiite très différente,
le zaydisme, sur lequel nous reviendrons au n° 69.
123Pour l’histoire du droit il faut observer que le chiisme constitue, comme le kharidjisme, une sorte de
repoussoir, qui fit prendre conscience à la masse des musulmans du danger des thèses extrémistes. Abû
Zahra exprime bien ce sentiment (Tarîkh, p. 273-81). Certains chiites ne disaient-ils pas que Muhammad
n’était pas le sceau des Prophètes ? D’autres disaient que le jeu, le vin le porc étaient permis (Laoust
p. 32-33) ! Cette prise de conscience est à l’origine du sunnisme et de la formation du sentiment pieux
moyen cherchant à sauvegarder les dogmes et préceptes de l’islam et à couvrir dʼun voile pudique les
dissensions entre coreligionnaires, sentiment qui dominera à la période suivante.
§ 2 - Caractéristiques du droit umayyade

124Les divisions doctrinales que nous avons vues constituent certes la donnée fondamentale de l’époque.

Mais les habitudes arabes dans l’exercice de la justice vont se heurter à des conditions nouvelles, comme
l’extension territoriale du pouvoir arabo-musulman ou l’apparition de faux ẖadith. Il en résultera la
formation de traditions juridiques locales, influencées sinon par les droits antérieurs, du moins par les
circonstances socio-économiques particulières à chaque région.
12550 — Des cavaliers à l’esprit pratique. Il faut mettre d’abord en relief les conditions pratiques dans

lesquelles les gouverneurs et les juges de l’époque umayyade rendaient la justice. Les Arabes étaient
avant tout des cavaliers, mus par la foi certes, mais plus encore par “l’esprit de corps” des tribus, surtout
à l’époque umayyade ; c’étaient des guerriers et non des intellectuels érudits, mus par des scrupules
dogmatiques. Pratiques, les Arabes maintinrent intactes les institutions des pays conquis, avec leur
personnel. Ces fonctionnaires continuaient leur tâche dans leur langue habituelle (le grec, le persan).
C’est le cas notamment des juges des populations chrétiennes ou zoroastriennes. Les gouverneurs
musulmans et arabes se bornèrent à ne juger au début que les affaires où les Arabes étaient impliqués.
Selon Schacht, la sunna, d’après laquelle ils jugeaient, incluait en un même ensemble la tradition
préislamique, celle du Prophète dans la mesure où ils la connaissaient, et les ordres et conseils antérieurs
des premiers califes. Puis ils déléguèrent leur tâche pour ce qui concernait les affaires (civiles surtout) à
des officiers de l’armée, les premiers juges (qâdî), qui se décidaient en fonction de ce qu’ils savaient de
la sunna et souvent d’après ce qui leur semblait juste, d’après le bon sens (ra’y).
126On a des renseignements précis sur les juges d’Egypte, qui jugeaient bravement avec surtout du bon

sens (Coulson, History, donne des exemples d’après al-Kindî, p. 31). Ils consultaient fréquemment leurs
supérieurs sur des points particuliers : c’est lʼistiftaʼ, demande de consultation sur un point de droit, qui
donna lieu plus tard à la nomination auprès du calife d’un fonctionnaire spécialisé, le muftî. La justice
n’était pas l’occupation essentielle des qâdî, elle n’était qu’une de leurs tâches administratives. Les
affaires pénales (qui ont toujours, dans la société de l’époque, un aspect politique) restaient du ressort du
gouverneur et de certains corps d’élite de l’armée qui firent fonction de police (churtâ). On établit dans
lʼarmée une comptabilité des paiements de la diya, du prix du sang, et elle était retirée de la solde. Cette
police contrôlait l’ordre public, tâche importante en cette période troublée, recherchait les coupables dès
qu’elle avait connaissance d’un crime ou d’un délit, et les jugeait en fonction des ordres. Pour certains
historiens arabes (Maqrizî, as-Suyûṯî et aṯ-Ṯabarî), la création de ces corps de police remonte aux
Râchidûn (Tyan, p. 577).
127Ces officiers-juges obéissaient sans hésitation à leur gouverneur et celui-ci au calife. Selon Schacht,

personne ne mettait en doute le droit du souverain à contrôler le fond même du droit. Par exemple pour la
succession sans héritiers, la quotité disponible fut limitée à 1/3 de l’actif. Mais les califes ne firent aucun
effort pour en uniformiser les règles. On cite la réponse de ʻUmar II à un juge : “Rien ne m’est parvenu
sur ce sujet ; je te laisse donc prononcer un verdict conforme à ton opinion” (Sourdel, La civilisation,
p. 141). Le pluralisme juridique ne leur semblait mettre en péril ni l’islam, ni l’État. Ils intervinrent
surtout en matière fiscale et pénale, mais aussi dans les autres matières.
12851 — Les faux ẖadîth et leur vérification. Les divisions de la communauté avaient surexcité la

demande des traditions du Prophète, et, par suite du mouvement de piété des années 720, la soif de ẖadîth
ne fit que se renforcer. Elle favorisa l’apparition de faux. Les gens favorables ou hostiles à telle ou telle
faction, les ignorants avides d’auditoire, les gens pieux qui ne reculaient pas devant le mensonge, aussi
bien que les authentiques traditionnistes, répondirent à cette demande. Certains affirmaient connaître 5000
ou 13000 ẖadîth. Le travail du juriste devint difficile, car en sus de la recherche des transmetteurs, il leur
fallait vérifier la qualité des dires.
129L’apparition des faux autant que les divergences doctrinales renforcèrent la méfiance envers les
traditionnistes. Les gens d’Irak multiplièrent les conditions pour qu’un ẖadîth soit recevable, en
particulier en vérifiant l’isnâd, c’est-à-dire la chaîne des transmetteurs de celui qui parlait du Prophète.
S’ils trouvaient dans cette chaîne un chiite ou un kharidjite ou un personnage au comportement douteux,
ils rejetaient le ẖadîth. Ce travail de vérification ne devint systématique qu’au siècle suivant, mais il
semble incontestable que les Kufiens (ʻAbd Allâh Bn ʻAbbâs), dès cette époque, se méfiaient et
vérifiaient. Mais ils se fondèrent surtout sur la cohérence doctrinale de la loi divine et se mirent à refuser
les ẖadîth qui leur paraissaient en contredire d’autres plus sûrs. A Médine on était plus méfiant envers les
constructions rationnelles, mais l’esprit critique envers la multiplication des ẖadîth n’en existait pas
moins. C’est pourquoi, dès cette époque on peut dire que tout ce qui est en dehors de la lettre du Coran
(la Sunna autant que le tafsîr, le commentaire coranique) est “un construit“ très étroitement lié à la
formation du fiqh. Mais en même temps, les divergences devinrent un aspect essentiel du droit musulman.
Elles s’enracinaient dans des traditions juridiques différentes selon le lieu ou l’esprit de leur doctrine.
13052— Les traditionnistes et leur répartition géographique. Les qâḏî se consultaient ou consultaient

les mêmes traditionnistes, et cela ne pouvait se faire que dans un espace restreint, ville ou région. A côté
des traditions, ils maintinrent aussi les règles arabes présupposées par elles ou appliquèrent les coutumes
locales selon les circonstances, ce que la tradition admettait aussi. Il s’ensuivit une diversité
géographique. Par exemple l’institution du wâlî, faisant partie de la coutume de Médine, centre plutôt
rural, fut conservée plus tard dans l’école malékite : les femmes ne pouvaient se marier que par
l’intermédiaire d’un homme de la famille, le wâlî (le père le plus souvent). A Kûfa, ville conquise, ville
de vieille civilisation, où les convertis de fraîche date étaient nombreux, la coutume bédouine n’était pas
de mise : la femme adulte put contracter seule son mariage et la règle demeura dans l’école hanéfite. Plus
les centres urbains étaient éloignés, plus les divergences s’accentuaient.
131Dans l’annexe 2, on a dressé la liste des principaux traditionnistes répartis en fonction de leur centre

d’activité de muftî, établie principalement d’après al-Khudarî (p 124 sq.) et complétée. Dans chaque
ville ils sont classés par ordre chronologique de leur décès. Khuḏarî a retenu les personnages morts avant
136/753-754. Il est probable que, parmi les plus récents personnages de ces listes, certains peuvent être
rattachés à la génération des “hommes pieux”, celle des fondateurs d’école (ceux de la période
suivante) : ils furent en tout cas souvent leurs maîtres ou leurs contemporains. Selon Schacht la doctrine
de tous ces personnages a été “recomposée” par les générations suivantes et n’est pas sûre
historiquement.
13253— Les doctrines principales des traditionnistes. Du point de vue doctrinal on a distingué surtout

les “gens de la tradition” (ahl as-sunna) qui s’opposeraient aux “gens du raisonnement“ (ahl ar-ra’y).
C’est à Médine que la tradition aurait été à l’honneur alors qu’à Kûfa, c’était plutôt le raisonnement.
Zaydân fait observer que cette division ne coïncide pas exactement avec la division géographique Kûfa
contre Médine, car il existe les contre-exemples d’un partisan de la Sunna à Kûfa (ʻÂmir Acharâẖîl dit
ach-Chaʻbî) et d’un partisan du ra’y à Médinc (Rabî’a Bn ʻAbd ar-Raẖmân). La tendance des Kufiens fut
d’envisager les cas théoriques et de multiplier les hypothèses d’école. À Médine on se refusait à trancher
les cas d’école, car non prévus par la tradition, mais la multitude des ẖadîth qui circulaient à Médine
permettait tout de même de répondre aux besoins.
133Pour Abû Zahra, cette distinction est malvenue. La tradition autant que le raisonnement (ra’y) étaient à

l’honneur dans les deux contrées. La différence vient de ce qu’à Médine, il y avait beaucoup de
traditions, ce qui limitait le recours au ra’y et qu’en matière de ra’y on préfèrait se fier à la considération
de l’intérêt. En Irak, il y avait moins de traditions et le ra’y se fondait surtout sur l’analogie. De plus à
Médine, on faisait confiance aux traditions populaires locales et aux juristes tardifs, médinois le plus
souvent. En Irak, on ne se fiait qu’aux ẖadîth attestés par des chaînes de transmetteurs et on discutait les
opinions des penseurs tardifs (Abû Zahra, Tarikh, p. 266, 271, 399, etc.). Ce point de vue nous semble le
plus juste, car sans cela on ne comprendrait pas la résistance des Irakiens au mutazilisme, s’ils n’avaient
pas révéré la tradition, ni le respect des chaféites envers Mâlik, s’il n’avait pas eu un raisonnement
juridique solide.
134Il y avait toutefois une inquiétude sur la légitimité du ra’y, mot qu’on a traduit jusqu’ici tantôt par avis

personnel tantôt par raisonnement, mais qui, à l’époque avait un sens plus large encore, car le ra’y était
aussi bien l’analogie (donc appuyée sur un texte) qu’un raisonnement ou une opinion personnelle.
L’inquiétude portait encore sur la cohérence de la tradition. Un hadith résume bien cette double difficulté,
c’est le dialogue entre al-Musayyib et Rabiʻa ar-Raʼy. Aux questions de ce dernier, le premier répondit
que le prix du sang pour l’ablation du doigt d’une femme était de 10 chameaux, de 20 chameaux pour deux
doigts, de 30 chameaux pour trois doigts et de 20 chameaux pour quatre doigts. Rabi’a dit alors : “Donc
si sa blessure est plus grave et son malheur plus grand, on abaisse le prix du sang !”. Et Musayyib de faire
cette magnifique réponse : “Es-tu irakien, toi ?” — Non dit l’autre, un savant qui se confirme... ou un
ignorant qui apprend ! — Ô mon neveu, ma réponse vient de la Sunna” (al-Muwaṯṯaʼ, t. 2, p. 185). En
effet, dans la doctrine ancienne, on donnait à la femme pour les dommages inférieurs à un tiers du prix du
sang la même compensation qu’à un homme, mais on ne lui donnait que la moitié si le dommage dépassait
ce tiers. Tel était le résultat auquel aboutissait ce ẖadîth (ibid., p. 183). Mais Mâlik d’ajouter que la
doctrine suivie à Médine était d’accorder 40 et 50 chameaux pour les quatrième et cinquième doigts, 50
chameaux étant le prix d’une partie double du corps. Le raisonnement et la discussion ont ainsi fixé la
doctrine malékite. En Irak, il en fut de même : a priori, pour eux, comme pour Mâlik, la loi devait être
rationnelle.
13554 — Discussions. L’exemple qu’on a donné est bien sûr relevé par J. Schacht (Origins, p. 117) à côté

de bien d’autres pour toutes les écoles. Pour lui il n’existe pas de loi islamique au premier siècle de
l’hégire (622-718) car la loi n’appartenait pas encore à la sphère de la religion (Esquisse p. 27). C’est le
mouvement de piété qui se produit à partir de 720 environ qui fit entrer le droit dans la sphère religieuse,
par le moyen de ẖadîth plus ou moins authentiques. N. J. Coulson pense que certains ẖadîth doivent être
considérés comme authentiques, ceux qui cadrent bien avec la société bédouine, qui posent des
problèmes très courants (par exemple en matière de successions) et qui ont dû être abordés sans doute du
vivant même du Prophète. Mais l’essentiel de la thèse de Schacht lui semble incontestable (p. 64-69).
136Selon Schacht, les influences romaines et perses se firent sentir durant cette période : le statut des
dhimmî (les protégés) imita les règles du droit romain envers les juifs ; le waqf imita l’institutions des
piae causae (fondations pieuses), etc. Dans le domaine du droit personnel on retrouve certains adages
romains comme “pater est quem nuptiae demonstrant” (le père est celui que désigne le mariage) ; ou
encore l’idée que l’adultère crée un empêchement au mariage qui vient du droit canon des églises
orientales et passa dans le droit chiite et ibadite.
137Évoquer la possibilité d’une influence du droit romain sur le droit musulman est parfaitement irritant
pour la plupart des juristes musulmans. Certains refusent l’hypothèse en arguant simplement du fait qu’un
droit révélé ne saurait venir que de Dieu (az-Zuẖaylî, Usûl, t 2, p. 927). Bien sûr, mais l’argument
d’autorité ne compte pas. Pour Abû Zahra, il existe un tel écart entre le contenu et l’esprit des deux droits,
le droit romain étant dur envers le non-Romain, la femme, l’enfant, l’esclave, l’endetté, etc. que l’on peut
écarter l’hypothèse des orientalistes (Abû Zahra, Usûl, p. 79-81). La solution donnée par al-ʻIchmâwî
(Ach-Charîʻa al-islâmîya wa l-qanûn al-misrî, p. 31-37) est toute simple et pourrait bien être la seule
valable : il existait dans l’antiquité, depuis l’Egypte pharaonique en passant par la Mésopotamie, la
Grèce et Rome, un fond de connaissances juridiques, plus ou moins commun, et tout le monde y a puisé.
Sans compter que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. Pour notre part nous soutenons
que lʼon n’emprunte que ce qu’on est sur le point de découvrir, que ce dont on voit l’intérêt. L’emprunt est
le signe d’un faible décalage de niveau (voir n° 258).

Notes
1 En simplifiant, parce que nombre de musulmans, à toutes les époques, ont contesté la fiabilité des traditions. Il nous est apparu de bonne
méthode pédagogique de donner aux étudiants d’abord un bagage cohérent, voire scolaire, en délaissant quelque peu les discussions les plus
récentes (Crone, Wansbrough. Décobert...). Ils pourront facilement remettre en question ces bases, par la suite, quand ils entreront dans les
discussions actuelles.
2 On s’est rallié à des conceptions terminologiques simples : la coutume, pour nous, inclut le droit, mais comprend plus que le droit, elle
comprend aussi les pratiques et usages sociaux pas ou faiblement sanctionnés ; le droit est donc la partie de la coutume obligatoire et
sanctionnée (peu importe par qui) ; la coutume comprend moins que la tradition, car elle n’est ni croyance, ni technologie ; enfin pour nous, la
tradition englobe la coutume (et donc le droit). Les expressions droit coutumier, droit traditionnel sont donc équivalentes. Pour la justification de
cette position cf. Bleuchot, Les cultures, p. 107-113. Toutefois ces emplois sont à distinguer des emplois islamiques où tradition signifie Sunna,
c’est-à-dire vie (sirâ) et dires (ẖadîth) du Prophète.
3 Exploit de générosité que celui-ci, souvent rapporté, où un bédouin tue son dernier chameau, sa monture préférée, pour donner à manger à
son hôte.
4 Dans la pratique, pour abréger, un de ces éléments finit par être préféré. En arabe, on écrit “Ibn” si le nom abrégé commence par la filiation,
“Bnu” si le nom personnel le précède.
5 Le mot “dot” ne convient pas, ni non plus “douaire”, pour désigner un bien qui passe du patrimoine du fiancé à celui du père de la fiancée.
6 Le consensus dans les sociétés traditionnelles ne doit pas donner lieu à une idéalisation : c’est surtout le résultat d’un rapport de force entre
chefs de clans, rapport de force dont on prend conscience à l’issue de longues “palabres”, à fleurets mouchetés. Toutefois le concept de
“proto-démocratie” (Chelhod) nous semble tout à l’ait valable, puisque les chefs de clans représentent plus qu’eux-mêmes et que la parole a
remplacé la force.
7 Rappelons que pour nous la coutume inclut et déborde le droit.
8 Sans majuscule, pour distinguer la sunna des Arabes de la Sunna du Prophète.
9 Les modernistes contestent qu’on puisse parler légitimement d’un État musulman. Ce qu’on veut dire c’est qu’il s’agit d’une entité
indépendante politiquement, qui s’organise elle-même et dispose d’une force militaire.
10 Et donc ce que le croyant attribue à Dieu, les orientalistes l’attribuent au Prophète, qui devient l’acteur principal. Comme on ne voit pas
l’intérêt de choquer les uns ou les autres, on s’efforcera de faire du Coran l’acteur principal.
11 Les références au Coran marquées d’un astérisque (*) ne figurent pas à l’annexe I.
12 La traduction du mot jihâd par “guerre sainte”, légitime en contexte juridique, suscite l’hostilité des réformistes et modernistes, pour des
raisons qui tiennent à leur stratégie dans le contexte actuel (voir le chapitre du jihâd dans le tome II).
13 La période de viduité est celle pendant laquelle une femme ne peut se remarier après son veuvage ou son divorce, pour éviter les
problèmes relatifs à l’attribution de la paternité.
14 Le Prophète avait fait mettre à mort plusieurs opposants politiques, et parfois des tribus entières (les juifs Banû Qurayza), mais il ne
s’agissait pas d’apostats
15 En anglais “jurisprudence” a aussi le sens de philosophie du droit.
Chapitre II. Formation des principaux rites du droit
musulman
2e-3e/viii-ixe siècles

1La formation des principaux rites du droit musulman couvre les 2e et 3e siècles de l’hégire. C’est la
grande période faste de l’histoire islamique, celle de la gloire des Abbassides. Elle se termine en 908,
date de la mise en tutelle des califes qui ne devinrent plus que des fantômes sans pouvoir.
2Deux périodes peuvent être distinguées, chacune correspondant à un siècle de l’hégire, la crise de
succession qui suivit la mort d’Harûn ar-Rachîd (809-813) marquant la coupure entre les deux.
SECTION I - LE 2e/VIIIe SIÈCLE : LA FORMATION DES
ÉCOLES JURIDIQUES
355 — Plan de la section. Dans l’histoire du droit au 2e/VIIIe siècle, il faudrait distinguer trois
générations, celle des maîtres des fondateurs de rites (génération des hommes pieux dont on a parlé au
chapitre précédent), celle de la première vague des fondateurs de rites (Abû Hanîfa, Mâlik) et celle de la
seconde vague de fondateurs (ach-Châfiʻî) 1 . Mais elles sont très difficiles à délimiter dans le temps, car
on ignore souvent la date où ces maîtres se mettent à enseigner et celle ou ils cessent de le faire, sans
compter qu’il existe des chevauchements dans la vie des maîtres et des disciples. De plus, d’une région à
l’autre il y a des décalages entre ces trois générations et l’exposé deviendrait inutilement compliqué s’il
l’on cherchait à faire correspondre étroitement le contexte avec l’histoire du droit et les générations
comme on a pu le faire pour le premier siècle de l’hégire.
4Aussi étudierons-nous le contexte politique et institutionnel en un premier paragraphe (§ 1). Un second

paragraphe sera consacré à l’histoire du droit dans sa généralité (§ 2). Le reste sera envisagé école
(madhhab) par école (ou rite par rite, nous employons indifféremment les deux mots), en commençant par
les premières à former leur doctrine, les ibadites (§ 3) et les chiites (§ 4). Quatre paragraphes sont
ensuite consacres aux sunnites : hanéfites (§ 5), malékites (§ 6), chaféitcs (§ 7), enfin aux premières
petites écoles sunnites (§ 8).
§ 1 - Le contexte historique du 2e/VIIIe siècle

556 — La crise umayyade (717 -750). On a laissé les Umayyades sous le règne du pieux ʻUmar II ʻAbd

al-ʻAzîz. La piété du calife était déjà le signe d’un tournant. Il sut encore un temps maintenir la paix
intérieure en écoutant les doléances. Son nom est surtout attaché à une réforme de l’impôt (Mantran,
L’expansion, p. 139-141).
6Le calife ʻUmar II aurait donné l’ordre à Abû Bakr Muẖammad Bn ʻAmr de relever la Sunna, mais il
n’en sortit rien. Un ẖadîth dit que Muẖammad Bn Muslim Bn Chihâb Az-Zuhrî aurait détenu un livre de
traditions. Ibn ʻAbbâs aurait entendu dire qu’un livre existait chez les chiites, mais il n’y croyait pas.
Pourtant un recueil chiite est datablc d’une époque à peine postérieure, c’est le Majmûʻ al-fiqh de Zayd
Bn ʻAlî (vers 740). Quoiqu’il en soit, rien n’est attesté avec certitude chez les sunnites avant le Muwaṯṯaʼ
de Mâlik.
7Le mouvement de piété fut exploité par les premières activités de propagande (secrète) en faveur des

prétendants abbassides. Sous Yazid II (720-724), le gouverneur du Khurasân, Ibn al-Muhallab, se révolta,
fut battu et tué (721). Signe des temps, il avait, le premier, évoqué l’impiété des califes pour justifier sa
propre révolte. Selon aṯ-Ṯabari, le mystique Hasan al-Basrî dénonça alors cette instrumentalisation de la
religion (Zotenberg, Omayyades, p. 222, 226). Mais le calife Yazîd lui-même cherchait à imiter son
prédécesseur ʻUmar. Le long règne de Hichâm (724-743) fut marqué par le reflux des conquêtes. Après
une période de calme intérieur les révoltes reprirent. La première affecta la Transoxiane principalement.
Conduite par l’hérésiarque al-Hârith Bn Surayj (734-738 et 744-46) et par son secrétaire al-Jahm Bn
Safwân, elle est à l’origine de la secte jahmîya qui nie, entre autres, tout attribut divin et l’éternité du
Coran. La révolte chiite de Zayd Bn ʻAli (celui-là même dont on vient d’évoquer l’ouvrage et sur lequel
on reviendra au n° 68) eut lieu à Kûfa (740). Les révoltes kharidjites furent nombreuses, et les plus
notables sont celle de Bahlûl à Mossoul (738), celles de divers chefs en Afrique du Nord (à partir de
740) et celle des sufriya de Daẖẖaq à Kûfa (744-748) (sur les autres voir Laoust, Schismes, p. 42 sq.).
8Les derniers règnes voient l’écroulement du pouvoir umayyade. Walîd II (743-744) al-Fâsiq (le
corrompu) fut assassiné par son successeur Yazîd III (744), qui soutint une tendance politico-religieuse,
la qadarîya, celle des partisans de la liberté humaine, alors que jusqu’ici les califes avaient soutenu la
tendance opposée en théologie, celle des jabarites, partisan du déterminisme. Sous son règne des révoltes
éclatèrent presque partout. Le dernier calife umayyade, Marwân II (744-750), ne parvint pas à rétablir
une situation désespérée. S’il réussit à écraser les sufrîya (748) et une autre insurrection kharidjite qui
avait éclaté dans le Haḏrâmawt, celle des ibadites (747) qui étaient parvenus à s’emparer des villes
saintes de la Mecque et de Médine, il succomba devant le complot abbasside.
9La révolte abbasside commença en Iran en 747. Marwân fut battu à la bataille du grand Zab en 750 et

exécuté peu après en Egypte où il avait fui. Les tombes des califes umayyades furent profanées, et les
membres de la famille umayyade furent tous massacrés, sauf un, ʻAbd ar-Raẖmân qui parvint en Espagne
et y fonda la dynastie umayyadc de Cordoue (755). Le chef du complot abbasside était Muẖammad Bn
ʻAli qui descendait de l’oncle du Prophète al-ʻAbbâs Bn ʻAbd al-Muṯṯalib par ʻAbd Allâh Bn ʻAbbâs et
son fils ʻAli Bn ʻAbd Allâh as-Sajjâd. Il aurait reçu les droits au califat par un testament de Abû Hachim
Bn Muẖammad al-Hanafiya. Il mourut en 746 et la direction du mouvement passa successivement à ses
fils, Ibrahim, ʻAbd Allâh et al-Mansûr qui furent les deux premiers califes abbassides.
1057 — Les Abbassides jusqu’en 813. L’histoire des Abbassides est comme celle des Umayyades, c’est
la chronique d’incessantes rébellions. Dès cette époque, l’immense empire commença à se disloquer.
L’Espagne, passée sous le contrôle de lumayyadc ʻAbd ar-Raẖmân Bn Muʻâwiya qui régna de 755 à 788,
devint définitivement indépendante. Au Maghreb, un Etat ibadite (Rustumides) s’établit sur la
Tripolitaine, la Tunisie et le Constantinois.
11Les Abbassides se réclamaient de ʻAbbâs, ancêtre de la famille, un oncle du Prophète, donc de la tribu

des Quraych. Ils avaient capté le mouvement pieux pour s’emparer du pouvoir, ce qu’ils réussirent en
133/750, quand l’abbasside ʻAbd Allâh, dit As-Saffâẖ, (le sanguinaire) monta sur le trône et régna
jusqu’en 754. Sous son règne les troupes musulmanes battirent les Chinois à Talas (751), ce qui gagna
définitivement à l’islam la Transoxiane (mâ warâʼ an-nahr, la plaine au delà de lʼOxus). La dynastie
écarta du pouvoir les Arabes (deux rébellions furent vite matées) aussi bien que les chiites, et s’appuya
sur les convertis (mawlâ, pl. mawâlî, clients), maintenant nombreux. A partir de cette époque, prit
naissance l’immense littérature de langue arabe, hostile aux Umayyades, mais qui fit des quatre premiers
califes, les Râchidûn, des parangons d’orthodoxie, et cela au prix de quelques coups de pouce à
l’histoire, ce que ne cessèrent de dénoncer les chiites. Dans cette optique les Umayyades apparaissent
comme des usurpateurs et les Abbassides comme les restaurateurs de la légitimité politique et de
l’orthodoxie musulmane des Râchidûn. Tel est le point de vue sunnite et ce siècle est celui de la naissance
du sunnisme.
12Abû Jaʻfar dit al-Mansûr succéda à son frère As-Saffâẖ, de 754 à 775. II envoya son général Abû

Muslim contre son oncle révolté (754), puis fit périr le général victorieux (755), ainsi que l’écrivain Ibn
al-Muqaffaʻ suspect de sympathie envers ledit oncle (756) et pour être un libre-penseur (zindiq). Un autre
zindiq, Ibn al-Awja fut exécuté en 772 : il aurait inventé des milliers de hadîfh pour jeter la confusion
dans l’islam (Laoust, Schismes, p. 73).
13Plusieurs révoltes se réclamèrent d’Abû Muslim et rallièrent des chiites extrémistes et des hérétiques

divers, notamment celle d’un zoroastrien, Sunbâdh (755-756), et celle des râwandîya (758). Les chiites
étaient devenus hostiles aux Abbassides et ils s’associèrent plus ou moins à la révolte de descendants de
ʻAlî par Hassan, les frères Ben ʻAbd Allâh, Muẖammad à Médine et Ibrahim à Basra et à Kûfa (762-
764). La répression frappa ensuite les descendants de ʻAlî par Hasan, mais pas la descendance de
Husayn (Laoust, Schismes, p. 66). Parmi celle-ci un important schisme se produisit à la mort de Jaʻfar as-
Sâdiq en 148/765 : il détermine le partage entre les chiites septimaniens (ou ismaéliens) et les chiites
duodécimains (ou imamites) (voir n° 87). C’est aussi à cette époque que le calife s’installa dans sa
nouvelle capitale, Baghdad, fondée en 762. La ville devint le foyer le plus brillant de la civilisation
islamique jusquʼà sa destruction par les Mongols en 1248.
14En Occident, al-Mansûr réussit en 759 à reprendre la Tunisie, mais les Rustumides ibadites (voir n° 65

et 100) se maintinrent à Tâhart en Algérie. On trouvait d’autres kharidjites à Tlemcen, à Sijilmâsa dans le
Sud marocain, et d’autres ibadites dans le Jabal Nafûsa en Tripolitaine. Les kharidjites et ibadites
réussirent à reprendre Kairouan pour un temps, mais ils furent finalement battus dans cette province dont
les gouverneurs s’employèrent à rétablir le sunnisme.
15Sous Muẖammad al-Mahdî, fils dʼAbû Jaʻfar al-Mansûr, qui lui succéda de 775 à 785, la poursuite des
hérétiques fut confiée à un organisme d’Etat (Laoust, Schismes, p. 74). On refusa le statut de dhimmî aux
manichéistes qui furent considérés comme des zanâdiq (athées, libres-penseurs, sg. zindiq) et persécutés.
Deux graves révoltes d’hérétiques se produisirent, celle, en Transoxiane, dʼal-Muqannaʻ qui se réclamait
aussi d’Abû Muslim et qui fut difficile à maîtriser (776-783), et celle des “rouges”, plus sporadique, dans
le Jurjân, aux abords de la Caspienne (jusqu’en 796). De dures guerres avec Byzance amenèrent tour à
tour les troupes byzantines jusqu’en Syrie et les troupes musulmanes sur les bords du Bosphore, mais ces
guerres nʼaboutirent à aucun changement notable de frontière (777-779).
16Mûsâ al-Hâdî ilâ l-Haqq, le fils aîné du calife précédent, régna de 785 à 786. Il réprima une révolte

alide, celle des “blancs”, à Médine. Elle était conduite par Husayn Bn ʻAlî, un descendant de ʻAli par
Hasan. Un grand nombre d’Alides périrent à la bataille de Fakhkh (786). Les Husaynides furent inquiétés
puisque Mûsâ al-Kâẕim, le septième imam selon l’ordre duodécimain fut emprisonné. Un rescapé de
Fakhkh, Idrîs Bn ʻAbd Allâh Bn Hasan gagna le Maroc et fonda la dynastie idrisside (zaydite) de Fès :
comme l’Espagne, le Maroc commença une histoire définitivement indépendante de celle des Abbassides.
17Le règne d’Harûn ar-Rachîd, frère de Mûsâ, de 786 à 809, est réputé comme le plus glorieux de

l’histoire de l’Islam. Pourtant, il y a bien des ombres dans le tableau. Sous son règne Mûsâ al-Kâẕim
mourut en prison (799). Le Maghreb acheva de se rendre indépendant, avec le début des Aghlabides de
Tunisie (800), qui toutefois reconnaissaient la suzeraineté du calife et lui payaient tribut. Les révoltes
furent le fait des Arabes en Syrie (790-796), du zaydite Yaẖyâ Bn ʻAbd Allâh qui tenta de s’établir au
Daylam, mais qui négocia son pardon (792), des kharidjites dans le Khurasân (795-829) et de Rafîʻ Bn
Layth en Transoxiane (805). Harûn continua de guerroyer contre Byzance et dut même résider en Syrie.
Cette fois les musulmans perdirent Chypre et le contrôle de la mer. Le calife mourut de maladie après
avoir décidé malencontreusement de partager l’empire entre ses trois fils.
1858 — Évolution des institutions. Les Abbassides avaient réussi à rallier la classe des intellectuels.

Avec eux ils reconstituèrent l’administration (voir Sourdel, Abbassides). A l’échelon central on trouvait
d’abord le grand vizir (wazîr), tantôt exécutant, tantôt véritable calife en second. Puis les diwân
(bureaux), déjà connus sous les Umayyades : trésor public, kharâj (impôt), armée, police, chancellerie,
postes, justice… dont le nombre et l’appellation ont varié. A l’échelon local les gouverneurs étaient
entourés d’un cadi, et des agents des diwân chargés de l’impôt, de la police, de l’armée, et des postes.
L’agent des postes faisait office de responsable de l’espionnage. Voyons de plus près la justice (Tyan,
Histoire, passim).
19Nous avons déjà signalé que la magistrature ordinaire provient d’une délégation du calife au
gouverneur, à l’époque des Râchidûn, et du gouverneur au cadi (qâdî), à l’époque des Umayyades. Le
point de départ des institutions était toujours le calife, successeur du Prophète. Il détenait tous les
pouvoirs, sauf, et depuis seulement l’époque abbasside, celui d’intervenir dans le fond même du droit. Le
droit musulman a surtout reconnu lʼinstitution du qâḏî comme institution fondamentale, en dépit de sa
création par les Umayyades, et probablement parce que c’était la moins politique. Les autres institutions
sont presque passées sous silence dans les traités de fiqh, alors qu’elles ont eu une grande importance, et
que, certaines d’entre elles (la police notamment, mais aussi le contrôleur des marchés, le tribunal des
injustices, etc.), n’ont cessé de coexister avec la magistrature ordinaire.
20Al-Maʼmûn assistait aux discussions des fuqahâʼ et prenait parti dans les polémiques, contraignait les

opposants à ses vues mutazilites. De ce fait, la position des ulémas en était à la fois grandie et diminuée :
ils comptent, mais ils doivent obéir.
21La création du tribunal des injustices (maẖkama al-maẕâlîm) remonte aux Abbassides (aux Umayyades

selon al-Mâwardî). Cʼétait un tribunal supérieur, compétent en toute matière, en premier et en dernier
ressort. Présidé par le calife, collégial (on y trouve des juristes, mais aussi et surtout des hommes
puissants, des gouverneurs, des ministres, des responsables de police, etc.), son pouvoir de décision était
considérable. Il s’était notamment affranchi du droit musulman : il fut en quelque sorte un tribunal
d’équité. Dans la pratique il a eu affaire le plus souvent à des procès concernant les exactions des
fonctionnaires et des soldats, et d’une manière générale on peut dire qu’il contrôlait les services publics.
22Du cadi émanent les auxiliaires de justice. Les plus importants sont les témoins (chuhûd ou ʻudûl). A

leur origine, on trouve le refus fréquent des juges les plus scrupuleux d’admettre des témoins, et cela sur
des bases arbitraires (appartenance à telle tribu, immoralité réelle ou prétendue, etc.). Ces scrupules
légitimes risquaient pourtant de bloquer la machine judiciaire naissante. En Égypte, un cadi, al-Mufaḏḏal
Bn Fuḏalâʼ, sous le règne de Harûn ar-Rachîd, eut l’idée de dresser une liste, qu’il établit à la suite d’une
enquête, des témoins qu’il considérerait désormais comme valables. Il fut très vite imité, malgré diverses
protestations (Tyan, Judicial, p. 253 sq.). Comme le droit musulman refusait la preuve écrite, on eut
recours à ces témoins reconnus, et ils témoignèrent de l’authenticité de l’écrit établi en leur présence,
aussi bien que des divers jugements passés par les cadis. De leur fonction est issue celle des notaires.
23Le cadi déléguant fréquemment ses pouvoirs administratifs, ces délégations multiples aboutirent à la

création de professions nouvelles et indispensables à la justice : greffier, portier, huissier, archiviste, etc.
On observe ce développement du personnel auxiliaire de la justice dès le début du 2e/viiie siècle. Les
mandataires (wukalâʼ, sg. wakîl) des parties en procès jouèrent si mal leur rôle qu’il n’y eut jamais
d’avocats proprement dits en Islam.
24Sous Harûn ar-Rachîd (entre 790 et 798) fut créée la fonction de qâḏî l-quḏât, cadi des cadis, et elle fut

attribuée à un hanéfite, ach-Chaybânî, sur lequel on reviendra. L’institution est inspirée du système persan
au dire des auteurs arabes (Jâẖiz). Ach-Chaybânî devint une sorte de ministre de la justice et fit nommer
tous les autres juges (hanéfites) par le calife. Mais il n’exerça jamais en son nom. Il n’eut jamais la haute
main sur la police, ni même sur le tribunal des injustices.
25Le temps des cavaliers était terminé. L’État musulman était devenu un État complexe et organisé, de

grande civilisation, digne d’être comparé à celui de la Perse, de Rome ou de Byzance. Il avait besoin
d’un système juridique complexe et évolué. Mais il nous faut accomplir un dernier détour avant
d’examiner le droit.
2659 — Le contexte théologique. On n’aurait pas une idée complète du contexte de la création des écoles

juridiques, sans un bref regard sur les discussions théologiques de l’époque, au moins sur celles qui
intéressent directement le droit. Le 1er/viiie siècle avait été celui des dissensions autour du califat lequel
posait le problème du statut du musulman pécheur (cf. n° 47) et avait déterminé les positions extrémistes
des chiites et kharidjites, pendant que l’opinion majoritaire moyenne, qui deviendra celle dite sunnite,
restait encore indécise.
27Le 2e/ixe siècle est une période de bouillonnement intellectuel intense avec des sectes, des tendances et
opinions de toutes sortes si l’on en croit les hérésiologues (Chahrastânî par exemple). Pour cette époque
on peut regrouper les opinions sunnites en deux grands courants. Le premier est celui des qadarites, d’un
mot arabe signifiant pouvoir (qadr ou qadar), car ils soutenaient que l’homme a le pouvoir de créer ses
actes. Ils étaient partisans du libre-arbitre de l’homme, de sa responsabilité, de sa capacité à voir le bien
et le mal. Nombreux et influents à Damas, les qadarites, trop raisonneurs peut être, étaient mal vus par le
pouvoir umayyade. La figure de référence de ce courant fut ce Hasan al-Basrî qui dénonça
l’intrumentalisation de la religion par la révolte politique (cf. n° 56). Les jabarites représentent le courant
opposé. Ils avaient au contraire l’appui du pouvoir. C’étaient les partisans de la contrainte (jabar) divine,
qui niaient le libre-arbitre de l’homme, sa capacité à connaître le bien et le mal et a fortiori celle de créer
ses actes. On reconnaît bien sûr dans ces deux courants la continuation de l’opposition entre les partisans
du raisonnement (ra’y) et ceux de la tradition (Sunna).
28Le premier courant se développa tout au long du 2e/viiie siècle et engendra la philosophie mutazilite.
Son représentant principal à cette époque en fut Wâsil Bn ʻAṯâʼ. Pour ces penseurs la théologie
rationnelle (ʻilm al-kalâm) doit être le cœur de l’islam. Le mutazilisme ne sʼépanouit qu’au siècle suivant
et nous y reviendrons. Le second courant de pensée, celui des traditionnistes (ahl as-sunna), fut celui des
partisans de la Sunna. Pour eux, c’est le droit qui doit être le coeur de l’islam. Tous les juristes en sont
issus. Ce courant aboutit bien plus tard à la philosophie acharite. Le fond de la controverse, au delà des
cinq positions mutazilites, semble bien de savoir si c’est la théologie, al fiqh al-akbar, fondée sur la
raison, qui va structurer l’islam, ou bien le fiqh al-asghar, le droit musulman, fondé sur le texte.
Paradigme rationnel contre paradigme exégétique (Laghmani, Éléments, p. 176-177). La réponse sera
donnée par le triomphe de la pensée dʼach-Châfiʻî, toute entière rivée au texte.
§ 2 - L’histoire du droit en général

2960 — La réaction pieuse selon Schacht. Donc, au début du viiie siècle (fin du premier siècle de

l’hégire, vers 700-720), les scrupules commencèrent à assaillir les hommes pieux sunnites qui se mirent
en quête des traditions. Cette inquiétude était aussi provoquée par la vague de décès qui s’était produite
parmi les grands traditionnistes entre 94 et 100 (712 à 718). Si l’on ajoute l’impact des exagérations
chiites ou kharidjites, le sentiment que l’islam était en péril dut alors se répandre. Les professionnels de
la justice étaient en outre harcelés par la surenchère légitimiste des chiites, très hostiles aux Umayyades.
Mais certains, comme Abû Hanîfa avaient des sympathies chiites. Les traditionnistes de Médine jouirent
alors d’un grand prestige : n’est-ce-pas à Médine que se trouvait l’authentique tradition des Arabes, celle
du Prophète, celle des califes bien conduits ? Selon Schacht, ce mouvement vers la tradition provoqua
une transformation importante du droit de l’époque qui devient confessionnel et se couvrit du manteau de
la tradition.
30Selon Schacht toujours, les juges de l’époque umayyade, attaqués, contestés dans leur islamité, durent
alors se faire une doctrine. Ils se consultèrent et commencèrent, à l’échelon des grandes villes, à créer
des écoles de pensée à base régionale. Au début ces écoles n’avaient pas d’organisation précise, pas de
statut, pas d’enseignement organisé. Les juges recherchèrent l’origine de leur pratique qui n’était rien
d’autre que celle des juges et gouverneurs de l’époque des Umayyades et des Râchidûn. Ils se plongèrent
dans le Coran qu’ils prirent au sérieux du point de vue juridique et ainsi les voleurs curent la main
coupée, ce qui n’aurait pas été le cas auparavant. Ils partirent à la recherche, eux aussi, des traditions. Et
ils en trouvèrent qui corroboraient leur pratique. Pour Schacht “presque aucune de ces traditions, pour
autant qu’elle concerne des règles de droit, ne peut être tenue pour authentique” (Schacht, Esquisse,
p. 31). Les juges en arrivèrent à recomposer la doctrine de ceux qui les avaient initiés au métier et dont
lʼislamité leur apparaissait de plus en plus incontestable et proche du Prophète au fur et à mesure qu’on
essayait de remonter dans le temps. Ainsi, pour Schacht, la pratique des juges de l’époque des
Umayyades finit par se présenter comme la tradition des Compagnons du Prophète et du Prophète lui-
même.
31Sous les Abbassides, les ʻulamâʼ, les savants en religion, dont nous avons fait les ulémas, devinrent des

personnages importants. Ce sont les hommes pieux dont on a parlé, et ils se firent attribuer les postes
clefs dans l’administration et notamment dans la justice. Selon Schacht, l’influence étrangère n’en cessa
pas pour autant, les convertis en furent les agents actifs. En matière juridique, la création du tribunal des
injustices (maẖkama al-maẕâlîm), à compétence universelle et extraordinaire du droit commun est un
exemple d’influence persane. Cette création est aussi le signe que le droit venait d’échapper au pouvoir,
mais que le calife entendait bien le contrôler par une sorte de Haute Cour.
32En effet, les souverains abbassides refusèrent de prendre en charge la coordination du droit. L’écrivain
Ibn al-Muqaffaʻ (exécuté en 756 par le calife Al Mansûr, 754-775) proposa la réalisation d’une sorte de
codification qui devait être régulièrement modifiée et mise à jour par le calife. Mais al-Muqaffaʻ ne fut
pas suivi. Le droit échappa donc au calife et devint l’affaire des hommes pieux.
3361 — Discussion autour dʼIbn al-Muqaffaʻ. La théorie de J. Schacht constitue un point de départ pour
les discussions contemporaines. On lʼa dit, elle n’est pas admise sans réticences ou correctifs. Pour
nombre d’orientalistes, le rejet de Schacht envers les ẖadîth est trop radical et il faut admettre qu’un
certain nombre d’entre eux est authentique, en particulier ceux qui concernent le mariage ou les
successions (Coulson). J. Berque nous avait confié qu’il partageait ce point de vue.
34Examiner point à point toute cette doctrine et les critiques qu’on lui a faites prendrait trop d’espace. On

discutera d’un exemple fort instructif, celui de l’interprétation du texte dʼibn al-Muqaffa’ par Schacht et
par al-Azami. Voici tout d’abord le texte source, écrit peu après 750 (trad. Charles Pellat, à peine
retouchée par nous dans ses gloses entre parenthèses) :
“§ 34. Une des questions qui doivent retenir l’attention du Commandeur des croyants touchant la situation de ces deux métropoles
(de Basra et de Kûfa) et d’autres cités et régions (de l’empire) est le manque d’uniformité, la contradiction qui se fait jour dans les
jugements rendus ; ces divergences présentent un sérieux caractère de gravité en ce qui a trait au sang (= les condamnations à
mort), aux femmes (= la punition des délits sexuels) et aux biens. À al-Hîra, condamnation à mort et délits sexuels sont considérés
comme licites, alors qu’ils sont illicites à Kûfa ; on constate semblable divergence au coeur même de Kûfa, où l’on juge licite dans
un quartier ce qui est illicite dans un autre. Pourtant, en dépit de leur fantaisie, ces sentences entraînant la mort ou concernant les
femmes sont exécutoires à l’égard des musulmans, puisqu’elles sont rendues par des cadis dont les ordres et les décisions sont
valables. Cependant, parmi les Irakiens et les Hijaziens qui ont examiné ces (problèmes), il n’y a pas une école qui n’ait la vanité
de croire (à la supériorité) de sa doctrine et ne dédaigne toutes les autres ; ce sentiment entraîne à des propos qui scandalisent les
hommes de coeur.
“§ 35. Le cadi qui prétend respecter la Sunna baptise sunna des dispositions qui n’en sont point, si bien qu’il parvient à verser du
sang tout en étant incapable de présenter des arguments probants en faveur de règles qu’il prétend traditionnelles. Si on l’interroge
à ce sujet, il ne peut répondre que du sang ait été versé dans un cas (semblable) au temps du Prophète ou des imâms de la voie
droite après lui ; si on lui demande qui a été condamné à mort en vertu de cette prétendue sunna, il répond : “Cʼest ʻAbd al-Malik
bn. Marwân (ou tel de ces amîrs (umayyades)) qui a procédé ainsi.” En se fondant sur l’opinion personnelle, il est conduit, par
attachement à la sienne propre, à émettre, à propos d’une grave affaire concernant les Musulmans, un point de vue qui n’est
partagé par aucun de ses coreligionnaires. Qu’il soit seul de son avis n’émeut pas l’intéressé, qui applique sa sentence (sans
scrupule), tout en reconnaissant qu’elle s’appuie sur une simple opinion personnelle que ne fonde ni le Coran, ni la Tradition.
Ҥ 36. Si le Commandeur des croyants jugeait opportun de donner des ordres afin que ces sentences et ces pratiques judiciaires
divergentes lui soient soumises sous la forme d’un dossier (kitâb), accompagné des traditions et des solutions analogiques
auxquelles se réfère chaque école ; si le Commandeur des Croyants examinait ensuite ces (documents) et formulait sur chaque
affaire l’avis que Dieu lui inspirerait, s’il s’en tenait fermement à cette opinion et interdisait aux cadis de s’en écarter, s’il faisait
enfin de ces (décisions) un corpus (kitâb) exhaustif, nous pourrions avoir l’espoir que Dieu transforme ces jugements, où l’erreur
se mêle à la vérité, en un code (ẖukm) unique et juste ; nous pourrions espérer que l’unification des pratiques judiciaires soit un
moyen d’harmoniser la justice selon l’opinion du Commandeur des Croyants et par sa bouche. Ensuite, un autre imâm procèderait
de la même façon (et ainsi de suite) jusqu’à la fin des temps, si Dieu le veut.
“§ 37. Les divergences qui apparaissent dans les jugements peuvent provenir d’une tradition remontant aux anciens, mais sur
laquelle l’unanimité n’est pas réalisée, de sorte que les uns l’interprètent d’une façon et les autres, d’une manière différente : il
faudra donc rechercher lequel de ces deux groupes est le plus digne de confiance et laquelle de ces deux interprétations est la plus
proche de la justice.
“§ 38. (Ces divergences peuvent encore provenir dʼ) une opinion personnelle formée à la suite de l’application du raisonnement
inductif (qiyâs) et qui s’est éloignée (des solutions communes), puis qui s’est répandue ainsi, alors qu’elle comportait une erreur sur
le principe du raisonnement et était fondée au départ sur l’assimilation d’un cas à un cas dissemblable, ou encore parce que son
auteur a poussé trop loin le raisonnement par analogie. En effet, si, en matière de religion et de justice, on veut suivre un
raisonnement inductif sans jamais le lâcher, on finit par tomber dans des embarras, passer sur des équivoques et fermer les yeux
sur des abominations que l’on connaît pourtant et dont on se rend bien compte, mais qu’on refuse d’écarter parce qu’on répugne à
abandonner cette forme de raisonnement.
“§ 39. Or ce raisonnement, le qiyâs, nʼest qu’un guide dont on se sert pour découvrir ce qui est bon : si le résultat auquel il conduit
est acceptable, on le retient, mais s’il mène à quelque chose de mauvais, de réprouvable, on doit l’abandonner. En effet, le qiyâs
n’est pas en lui-même un but, mais (ce qu’on recherche, ce sont) des solutions qui soient bonnes et admissibles, qui rendent justice
aux gens dans leur droit. Si quelque chose de juste pour le peuple se prête à un raisonnement soutenu, cʼest la vérité, et l’on n’a
pas (besoin dʼ) en mesurer (la qualité) au moyen de critères analogiques ; mais si l’on veut plier la vérité au raisonnement par
analogie, elle ne s’y prête pas (nécessairement)”.
§ 40. (exemple à verser au dossier de l’équité aristotélicienne : dans certains cas l’application d’une loi générale analogique est
contraire à la justice, ainsi, malgré le devoir de vérité, on ne doit par révéler où se trouve le fugitif au poursuivant qui veut lui faire
du tort).

3562 — Premières conclusions. On peut tirer beaucoup de ce texte sans s’en éloigner. Selon nous, il
confirme les points suivants :
1. il existe des divergences nombreuses, émanant des juges officiels.
2. il existe des écoles (farîq), des rivalités de doctrines juridiques, qui scandalisent les hommes de
coeur.
3. il existe des juges qui jugent selon les pratiques umayyades, ou leur opinion personnelle, et qui
appellent cela sunna.
4. (implicite) : les traditions du Prophète devraient être suivies.
5. mais Ibn al-Muqaffaʻ constate que celles-ci ne sont pas en un état utilisable, et qu’il faut les réunir.
6. selon lui, l’imâm doit fixer la doctrine sur un dossier contenant les traditions et les solutions
analogiques.
7. cette doctrine pourra changer selon les imâms dans la suite des temps.
8. pour le choix entre divergences il faut se fier à celles qui sont le plus dignes de confiance et
conformes à la justice.
9. des analogies erronées se sont répandues.
10. l’analogie suivie continuellement peut conduire à des solutions inacceptables qu’il faut abandonner ;
l’analogie doit être soumise à la justice.
11. un principe général bon peut se révéler mauvais dans un cas particulier.
36Sur les points 1/ et 2/, tout le monde est d’accord. Il faut souligner tout de même que des écoles existent

dès cette époque et que leur doctrine semble fixée. Schacht s’appuie sur le point 3/ pour affirmer
l’existence d’écoles juridiques anciennes qui ne se fiaient pas aux précédents du Prophète, mais aux
règlements administratifs umayyades, et que ces écoles ont revêtu leur doctrine du manteau de la Sunna.
Le texte ne permet pas en fait de savoir l’importance du phénomène ou la part respective de l’obéissance
aux précédents prophétiques ou aux ordres des Umayyades. Sur le point 4/ on peut dire quʼIbn al-
Muqaffaʻ appartient à la génération qui critique l’islamité des juges umayyades et considère que les
traditions doivent être suivies. Mais il constate aussitôt (5/) que la Sunna n’est pas en état de servir de
référence aux jugements, d’où sa proposition (6/). Cela confirme que le droit des hommes pieux n’est pas
dans le même état que celui des juges en place, et qu’il reste à faire. Ibn al-Muqaffaʻ ne dit pas si l’imâm
doit s’en tenir aux traditions ou non, mais le contexte indique que l’imâm sera lié par les traditions non
divergentes.
37Muẖammad al-Azami a raison de souligner ce contexte (On Schachtʼs, p. 42). En effet Ibn al-Muqaffaʻ

ne peut reprocher à certains de ne pas suivre la Sunna et donner à l’imâm la latitude de s’en affranchir. Le
sens du mot Sunna est donc bien celui du droit ultérieur, ce qui confirme le rôle des hommes pieux dans la
nouvelle définition du droit. Sur le point 7/, Muẖammad al-Azami ne cite pas le texte qui confirme bien
que Ibn al-Muqaffaʻ entendait donner à l’imâm le rôle permanent de régulateur des divergences et de
l’analogie. Al-Azami n’évoque pas non plus le problème de l’analogie et le rôle qu’Ibn al-Muqaffaʻ
entendait donner à la raison, à travers le sentiment naturel de la justice (points 8/ et 10/). La position
dʼIbn al-Muqaffaʻ est finalement proche de celle des courants de son temps : la raison doit contrôler la
Sunna (premiers hanéfites) ou être conforme à l’intérêt général (malékites). Elle n’est pas celle d’ach-
Châfi‘î.
38Pour ce qui concerne la controverse, on espère avoir montré que chacun tire la couverture à soi,
escamotant ce qui va en sens contraire. Peut-être faut-il dire que la démarche de Schacht n’est pas assez
claire. Pour lui, semble-t-il, la fausseté de la Sunna est une évidence acquise, et il cherche à retrouver, à
travers ces textes la véritable histoire du droit. Les textes qu’il cite ne sont donc pour lui que les indices
de cette histoire inconnue et non les preuves de la fausseté de la Sunna qu’il tient pour acquise.
Muẖammad al-Azami part des prémices inverses, la certitude des textes et de leur sens. Pour prouver
l’existence des juges à l’époque prophétique, il se borne à nous en donner la liste… tirée de la Sunna. Or
c’est sa validité qui est en cause. On le voit bien aussi pour le Coran (On Schachtʼs, chap. 1) : il
interprète les mots charî’a (voie ? loi ?), amr (ordre), ẖukm (arrêt, décision, statut. .), ma yuẖa ilayya (ce
qui m’a été révélé), etc. comme signifiant loi. C’est bien l’interprétation du fiqh. Mais c’est justement
cette interprétation trop strictement juridique qui fait problème. Dire que le Coran propose avant tout une
morale n’exclut pas le droit ou un impact sur le droit et Schacht en un sens a raison. Mais il a tort de
pousser trop loin l’opposition entre morale et droit : à cette époque et pendant longtemps en Islam, la
distinction entre morale, droit et religion n’est pas si tranchée qu’on puisse dire, comme le dit Schacht,
que le droit du premier siècle était en dehors de la religion.
39Dans le même sens que Schacht, d’autres recherches ont voulu pousser plus loin la remise en cause de

la vision classique des origines de l’islam. Ce sont en particulier des travaux anglo-saxons qui ont
défendu des points de vue nouveaux et souvent radicaux. Dans un livre touffu, mais passionnant, C.
Décobert nous a donné son sentiment sur ces remises en cause. Mais il avoue, qu’en ce qui concerne ces
origines “tout est écrasé”, et qu’on en est réduit aux hypothèses.
4063 — Autres conclusions. Il faut toutefois faire ressortir un certain nombre de faits peu contestables.

D’abord que la tradition sunnite a cherché surtout à recouvrir d’un voile pudique les divisions politiques,
les accrocs à la pureté islamique et à l’orthodoxie juridique. En fait il n’y avait pas à cette époque
d’orthodoxie bien claire puisque que la doctrine islamique, en droit comme en théologie, en était à ses
premiers balbutiements et à ses premiers tiraillements. Un argument intéressant qui conforte l’idée qu’à la
fin du premier siècle l’islam n’avait pas encore fixé sa doctrine, est tiré de la position des chrétiens. En
effet, sans elle, on ne s’expliquerait pas les conversions massives des chrétiens hérétiques persécutés par
Byzance, qui croyaient n’avoir affaire qu’à des ariens tolérants. Saint Jean Damascène qui vivait à Damas
et eut des fonctions administratives classe l’islam dans les hérésies aryennes dans son traité de théologie,
De haeresibus, (Migne, P. G., t. 94, p. 763-768). Il écrit aussi que le voleur était flagellé et non amputé,
ce qui tendrait à prouver que le Coran n’était pas appliqué en la matière. Mais on a aussi contesté
l’authenticité du texte de Saint Jean (Abel).
41Ce qui est certain aussi, c’est que le fiqh naît avant le ẖadîth, ou au moins en même temps, en tout cas

pas après. Le premier ouvrage connu, le Recueil de la loi musulmane, de Zayd Bn ʻAlî, qui est une
compilation de ẖadîth classés suivant un plan juridique, remonte au plus tôt vers 735, plus d’un siècle
après la mort du Prophète. Celui de Mâlik, le Muwaṯṯa ʼ, enseigné antérieurement à 800 et mis par écrit
vers cette date est lui aussi composé de ẖadîth suivant un plan juridique. Ces deux ouvrages comportent
déjà des discussions juridiques, ce qui tendrait à conforter l’idée que le fiqh a précédé la Sunna. De plus,
comme on l’a vu (n° 51), il est certain que la Sunna est “un construit”.
42La Sunna, qui sera présentée comme source du droit par la vision musulmane classique, est bien

postérieure si l’on en juge par la date des compilations. Les premiers recueils de ẖadîth fondés sur une
critique des transmetteurs sont de Ibn Hanbal (mort en 855), Bukhârî (mort en 870), Muslim (mort en
875), etc. Le premier commentaire du Coran est celui de aṯ-Ṯabarî (mort en 923). La première biographie
du Prophète est de Ibn Isẖak (mort en 768), mais elle est perdue et on en a que la version dʼIbn Hichâm
(mort en 834). Même s’il est certain aussi que des textes utilisés par les auteurs tardifs ont été perdus, on
est amené à dire que la masse de ẖadîth non juridiques (mystiques, moraux, anecdotiques) constituent une
création du 3e/ixe siècle.
43A côté de ce flou de la doctrine, un autre fait est incontestable : la présence massive des mawâlî, c’est-

à-dire des convertis, clients des Arabes. On cite souvent des ẖadîth où ce fait est particulièrement mis en
valeur (Qaṯṯân, p. 327-328). Or les convertis ont besoin de doctrine d’une part, et de considération
d’autre part : ce qu’ils n’ont pas par la naissance ils vont le gagner par le savoir et la piété. Le savant
pieux sera considéré comme supérieur à l’Arabe, fut-il conquérant, fut-il de noble origine, c’est l’attitude
typique de l’islam abbasside. Ce savoir sacré, les mawâlî vont le conquérir en cherchant les traditions,
en les organisant, en les classant, etc. Ils fréquentèrent les groupes de pieux Arabes, en particulier ceux
de Médine et ceux de la famille de ʻAlî. Mais ils agirent en intellectuels et en apologètes, minimisant les
divergences politiques ou en ne les regardant qu’à travers le prisme doctrinal. Ce qu’ils ont fait de
l’islam est donc bien connu. Ce qui existait avant eux est peut-être conforme à ce qu’ils en disent. Mais
peut-être pas. De toutes façons, dans la controverse, les véritables preuves historiques sont faibles, pour
les divers partis.
44Un des points qui irrite le plus les musulmans est que cette interprétation historique semble faire de tous

les savants traditionnistes et des juges de cette époque une génération de menteurs et de falsificateurs.
Mais cela n’est pas impliqué dans la vision de Schacht. Des phénomènes inconscients ont joué et
l’opération était probablement sincère. La mentalité du temps était conservatrice et personne ne
revendiquait les droits de l’innovation, du progrès, etc. On n’imaginait pas qu’une quelconque
falsification soit possible de la part des maîtres qu’on vénérait. S’ils avaient dit cela, ils ne pouvaient le
tenir que dʼUntel et Untel que dʼUntel, et cela jusqu’au Prophète. Rappelons aussi ce que nous avons dit
ailleurs (Bleuchot, Les cultures, p. 111) : une coutume orale est mouvante, elle peut évoluer rapidement,
mais elle se parc toujours du manteau de la tradition, en jouant sur le flou ou les différentes versions des
mythes. La mise par écrit du droit par la suite allait rendre plus difficiles ces processus inconscients de
création. Mais tant que l’écrit ne relaya pas l’oral (jusqu’à la fin du siècle en question), ces processus de
création ont dû jouer largement.
§ 3 - Kharidjites et ibadites

4564 — Les kharidjites. Il faut distinguer les kharidjites des ibadites. Pour ce qui concerne les premiers,

autant qu’on puisse le savoir par les traites d’hérésiologie (Ibn Hazm, Chahrastânî, etc.), ils ont une
doctrine à peu près unifiée sur le califat : les kharidjites rejettent toute idée dynastique, admettent que
l’imâmat doit être dévolu au plus pieux, mais que l’imâm peut être destitué ou tué s’il commet une faute
grave, devenant ainsi un mécréant (kâfir) (voir n° 48). En matière juridique la plupart sont partisans du
recours au Coran prioritairement, rejetant la majeure partie des traditions sunnites. Ainsi, en droit pénal,
ils n’admettent pas que le ẖadîth de ʻUmar qui institue la peine de lapidation pour adultère (cf. t. 2, n
° 267) puisse abroger le verset 24, 2. D’ailleurs, s’appuyant en outre sur le verset 4, 25, qui donne une
demi-peine aux captives fornicatrices, ils disent qu’il est impossible de donner une demi-lapidation. En
matière de culte ils mettent l’action sur la pureté intérieure. Un acte de culte comme la prière (salât) ne
peut être valable s’il est accompli par un homme vicieux, ou menteur, ou rempli de haine. En matière de
statut personnel, en se référant au verset 4, 23, ils ne rejettent pas le mariage de la femme avec les
oncles ; ni celui avec les parents de lait à l’exception de la nourrice elle-même et de la soeur de lait ; ils
admettent la réunion dans le même harem de la tante et de la nièce. Ils rejettent l’exclusion du légataire
dans les successions, en opposant au ẖadîth “Pas de testament en faveur de l’héritier” le verset coranique
2, 180 (al Qaṯṯân, p. 268-69). Mais toutes ces informations sont douteuses : on connaît mal la pensée
juridique des divers kharidjismes. La situation est différente pour les ibadites.
4665 — Les fondateurs de l’ibadisme. Les ibadites refusent d’être considérés comme kharidjites et

posent en principe que l’ibadisme est “un rite islamique modéré” (ʻAlî Yaẖya Muʻammar). Ils s’appellent
eux-mêmes ahl ad-daʻwa, les gens de l’appel (à l’islam).
47On a dit que les ibadites se réclament de ʻAbd Allâh Bn ʻIbaḏ al-Murrî at-Tamîmî qui s’était séparé en
684 des extrémistes et avait cherché un accord avec les Umayyades. Le successeur de ʻAbd Allah Bn
ʻIbaḏ, le savant Abû ch-Chaʻthâʼ Jâbir Bn Zayd al-Azdî, organisa la communauté des ibadites. Il est aussi
rangé parmi les traditionnistes de Basra (annexe 2), car il appartient à la génération antérieure. Né vers
639 et mort vers 710-720, il aurait fixé la doctrine ibadite. Les traditions qu’il transmit (dépendantes
dʼIbn ʻAbbâs) étaient estimées de tous les musulmans. Mais son Diwân est perdu et le fondateur du rite
ibadite est plus certainement son successeur à la tête de la communauté, Abû ʻUbayda Muslim Bn Abî
Karîma at-Tamîmî.
48Probablement d’origine iranienne, c’est un mawlâ de la tribu arabe des Banû Tamîm. Comme Jâbir Bn

Zayd, il est de l’école de Basra. Emprisonné par al-Hajjâj, libéré à la mort de ce dernier, il chercha la
conciliation avec les Umayyades. Mais il se rallia finalement à l’action révolutionnaire et organisa la
propagande ibadite sur une vaste échelle en envoyant partout des missionnaires, notamment en Afrique du
Nord, en ʻUmân, dans le Hadramawt (où eut lieu l’insurrection de 747) et dans le Khorassan. La
communauté ibadite de Basra resta en l’état de kitmân sous les Abbassides et certains ibadites furent bien
en cour (E.I.2, al-Ibadiyya, par Lewicki). Abû ʻUbayda mourut dans la seconde moitié du 2e/viiie, à une
date inconnue. A la fin du siècle, les principaux docteurs de la communauté se transportèrent dans le
ʻUmân qui devint dès lors le centre doctrinal de lʼibadisme (Lewicki donne les noms des imâms
ibadites).
4966 — La doctrine ibadite. Il est difficile de dater avec précision les doctrines ibadites. Ibn ʼIbâḏ

semble-t-il admettait que des non-ibadites soient dits musulmans. Comme Hasan al-Basrî, il parlait de
musulmans hypocrites quand il s’agissait de grands pécheurs. Il interdisait le meurtre des femmes et des
enfants de mécréants (théorie de l’istiʻrâḏ) et la confiscation de leurs biens. Vis-à-vis de ses adeptes, il
permettait la taqîya ou le kitmân (dissimulation) et permettait le mariage avec les musulmans non ibadites.
Au cours du 2e/viiie siècle les ibadites adoptèrent certaines idées mutazilites, notamment que le Coran a
été créé. On donnera ici un résumé de la doctrine achevée d’après ʻAlî Yaẖyâ Muʻammar, étant bien
entendu quʼelle devait être encore hésitante au 2e/viiie et qu’elle a été reformulée postérieurement à
travers celle dʼal-Ach’arî.
50Les ibadites refusent absolument toute position anthropomorphique. Il se font un devoir d’interpréter
allégoriquement toute parole du Coran et de la Sunna qui irait dans ce sens, et en cela ils sont proches des
mutazilites. Dʼoù leur position sur le Coran. Mais sur bien d’autres points leur théorie sera celle de ce
qu’on appellera l’acharisme : l’homme ne crée pas ses actes, il reçoit de Dieu une capacité accidentelle
pour les faire, et il en acquiert le mérite ou le démérite selon son consentement à les faire. Ceux qui ont
commis une grave faute sont des hypocrites, ils peuvent vivre avec les croyants ici-bas, mais seront avec
les incroyants dans l’au-delà, à moins qu’ils ne se repentent. Leur doctrine n’est pas vraiment un équilibre
entre lʼacharisme et le mutazilisme, puisque, sur le point le plus essentiel, les ibadites choisissent
l’acharisme : le bien et le mal sont ce que détermine le charʻ (la loi divine), donc la raison a un rôle
subalterne. Dans la pratique le devoir d’ordonner le bien et d’interdire le mal est essentiel, ce qui
amènera les communautés ibadites à vivre dans une ambiance d’espionnage et de rivalité.
51Les usûl al-fiqh ibadites 2 énoncent que, en sus du Coran et de la Sunna, le raʼy est source de la loi
islamique. Mais le raʼy est pour eux bien balisé : cʼest le consensus des Compagnons, l’analogie et la
déduction (istidlâl). Ce dernier concept est à son tour balisé par trois autres, le principe de continuité
(istisẖâb), le principe de l’équité (istiẖsân) et la considération des intérêts (al-masâliẖ al-mursala). Ils
sont donc très proches des malékites, mais, contrairement à eux, ils rejettent la pratique de Médine.
52Les principes politiques des ibadites ont conservé quelque chose du kharidjisme puisque le califat peut
être dévolu à n’importe qui, mais, ajoutent-ils, à valeur égale, on choisit l’Arabe, et parmi les Arabes, à
valeur égale, le Quraychite. La révolte contre l’imam injuste n’est pas interdite (contre les sunnites), ni
obligatoire (contre les kharidjites), elle est seulement permise s’il doit raisonnablement en sortir plus de
bien que de mal. La communauté doit avoir un Imam ou un Sultan (sulṯân). Les non-ibadites doivent être
traités comme des musulmans, sauf qu’on ne peut leur laisser l’imamat de la prière.
53Pour le reste du droit ils sont très proches des malékites, en particulier pour la rigueur et le moralisme.
Ils se sont nettement démarqués des kharidjites, puisqu’ils admettent la Sunna. Leur droit peut donc être
considéré comme un madhhab sunnite, ou du moins très proche, comparable en cela au zaydisme. C’est
d’ailleurs pourquoi, actuellement, les chercheurs musulmans modernes ne négligent pas l’ibadisme quand
ils font du droit comparé (par exemple az-Zuẖaylî).
§ 4 - La formation des écoles chiites

5467 — Un fond commun. Selon Coulson (chap. 8), jusqu’au 2e/VIIIe, on distinguait mal les dissidents

des sunnites, car ces derniers n’avaient pas encore constitué leurs grandes doctrines à partir du fond
commun. Le droit des chiites, kharidjites et ibadites est issu lui aussi du fond commun. Si cette origine
commune est incontestable, ce sont toutefois les chiites, qui, avec les ibadites fixèrent les premiers leur
doctrine. Les chiites pourtant accentuèrent les divergences. Cela tient à deux raisons : la première c’est
qu’ils exclurent toutes les traditions qui ne remontaient pas au Prophète par ʻAlî ou par des Alides. Le
droit des Compagnons fut ainsi rejeté en grande partie. La seconde est qu’ils refusèrent le principe de
l’analogie et qu’ils n’admirent comme source subsidiaire du droit que l’interprétation des imams chiites.
55Dans le chiisme nous suivrons surtout les deux branches principales, le zaydisme et l’imamisme
(chiisme duodécimain) qui, seules, ont été créatrices de grands rites juridiques.
5668— Zayd Bn ʻAlî (699-740) et les zaydites. Zayd Bn ʻAlî est le fils de Zayn al-ʻAbîdîn, le quatrième

imâm dans l’ordre duodécimain, et le frère cadet de Muẖammad al-Bâqir, le cinquième imâm. Il était né
vers 699, la même année que Abû Hanîfa et que son neveu, Jaʻfar, dont nous parlerons un peu plus loin.
Zayd fut élevé dans une ambiance pieuse, près d’un père et d’un grand frère éloignés de la politique,
surtout après le malheur qui avait frappé leur grand-père Husayn. Il étudia bien sûr avec ses parents,
même avec ceux des branches alides rivales, comme Muẖammad al-Hanafiya, fils de ʻAlî, le calife, mais
pas de Faṯîma, la fille du Prophète. Il eut d’autres maîtres, qu’il rencontra au cours de ses voyages de
recherches à Basra et à Kûfa, notamment Wâsil Bn ʻAṯâʼ, le fondateur de la tendance théologique
mutazilite. Zayd acquit très vite une réputation, en particulier pour sa connaissance du Coran.
57Mais les gouverneurs umayyades de Médine cherchaient à discréditer les Alides et à attiser les
querelles entre les différentes branches, en particulier entre les fils de Hassan et ceux de Husayn. La
tradition zaydite rapporte plusieurs de ces démêles. Le paroxysme fut atteint quand Zayd, qui était venu se
plaindre au calife Hichâm, fut humilié et chassé par l’Umayyade. On a vu dans la partie historique qu’il
se révolta, pensant entraîner avec lui 20 000 Irakiens qui lui avaient prêté serment. Quelques centaines de
Kufiens seulement tinrent parole et ils furent défaits. Zayd fut tué d’une flèche dans le front (740). Son
cadavre fut crucifié, mutilé et brûlé par les troupes du calife.
5869 — La doctrine de Zayd Bn ʻAlî. Sa pensée fut compilée par le compagnon de ses voyages qui

échappa à la mort dans la bataille de Kûfa, Abû Khâlid Amr Bn Khâlid al-Wâsiṯî, mawlâ des Hâchim. On
a ainsi un Majmûʻal-fiqh et un Majmûʻ al-ẖadîth, réunis sous le titre de al-Majmûʻ al-kabîr.
L’authenticité de ces ouvrages a été souvent attaquée, mais elle a été défendue aussi bien du côté des
orientalistes que par un auteur comme Abû Zahra (Tarîkh, p. 643-648).
59Une des causes de la défection des Irakiens tenait à la position très modérée de Zayd sur le califat. Il se
refusait à anathématiser Abû Bakr et ʻUmar : puisque ʻAlî leur avait été soumis à l’époque, leur califat
devait être légitime. Il ne pensait pas que le califat devait revenir à telle ou telle personne en particulier,
mais seulement au meilleur des Alides sʼil se peut. S’il admettait que ʻAli était le meilleur après le
Prophète, il pensait que des considérations d’intérêt de la communauté avaient pu jouer, ce qui légitimait
les deux premiers Râchidûn. De toute façon, pour lui, le califat ne s’héritait pas et il devait revenir en
priorité à celui des Alides (toutes branches confondues) qui en était le plus digne. Le prétendant devait
surtout revendiquer le pouvoir, chercher à se faire reconnaître des ulémas musulmans, et prendre les
armes seulement contre un calife injuste. La plupart des chiites ne suivirent pas : pour eux Abû Bakr et
ʻUmar étaient des usurpateurs et ʻAlî avait hérité du Prophète. Pour eux, le Prophète, ʻAlî, les imams
étaient doués dʼimpeccabilité, de dons surnaturels, autant de qualités que Zayd ne reconnaissait même pas
au Prophète. Les zaydites par la suite se rapprochèrent des autres chiites, refusèrent de reconnaître Abû
Bakr et ʻUmar, admirent lʼimpeccabilité des quatre premiers imams chiites et adoptèrent la théorie de
l’imam caché, du mahdî, qui devait revenir à la fin des temps pour remplir le monde de justice, avec des
divergences sur le point de savoir qui était cet imam caché…
60En matière de théologie Zayd avait en général une position médiane entre les partisans du libre arbitre
de l’homme et les déterministes. Pour lui Dieu permet (donc veut) la désobéissance de l’homme libre,
mais il ne l’agrée pas (donc il la punira). Zayd distinguait ainsi la volonté de Dieu (irâda) et son ordre
(amr).
61Le Majmûʻ ne contient pas de ẖadîth qui ne soit attesté par ailleurs dans la tradition sunnite (avec un

autre isnâd) et les zaydites en général ont accepté les traditions transmises par des sunnites, ils ne les ont
pas rejetées comme l’ont fait les imamites duodécimains.
62Le zaydisme était loin d’être unifié. Les zaydites participèrent à de nombreuses révoltes chiites, sans
trop se poser de problèmes, car ils ne considéraient pas que les divergences entre eux et entre musulmans
soient importantes. On y distingue huit écoles théologiques qui s’étagent du sunnisme au chiisme. Elles
n’ont été réunifiées que par al-Qâsim ar-Rassî au 3e/ixe siècle, comme le verra dans la section suivante.
6370 — Le droit zaydite. Le fiqh zaydite est très proche du fiqh sunnite. Certes des divergences existent,

mais les fondements du fiqh sont identiques et l’ampleur et la nature des divergences sont les mêmes que
celles qui existent entre les quatre rites sunnites. Le zaydisme se trouve tantôt avec deux rites sunnites
contre les deux autres ou avec un contre trois ou en accord avec les quatre. . Comme pour Abû Hanîfa,
comme pour Mâlik, ses principes d’usûl al-fiqh on été déduits de ses solutions par ses disciples. Ils sont
d’ailleurs tout à fait classiques : le Coran d’abord, puis les dires du Prophète, puis l’ijmâʻ (unanimité des
Compagnons), puis lʼanalogie, puis l’istiẖsân (équité), puis les masâliẖ mursala (voir le chapitre V, t. II).
Mais la raison est reconnue à l’inverse des autres rites, comme source du droit, encore qu’elle
intervienne en dernier et ne saurait contredire la tradition. L’influence mutazilite fut ici notable (Abû
Zahra, Tarîkh, p. 678-79).
64Les zaydites n’ont jamais considéré que les portes de l’ijtihâd étaient fermées, mais l’ijtihâd n’est
permis que dans les furûʻ, pas dans les usûl. Ils empruntèrent souvent au hanéfisme. De même les
hanéfites n’ont pas hésiter à piocher chez eux (Abû Zahra, ibid., p. 685).
6571 — Ja ʻar as-Sâdiq (148-765) et les duodécimains. Jaʻfar as-Sâdiq est le fils de Muẖammad al-

Bâqir, le neveu de Zayd Bn ʻAlî et sera le sixième imam dans l’ordre duodécimain. Il est de plus, par sa
mère, un descendant d’Abû Bakr le calife, et dʼal-Qâsim Bn Muẖammad, un des sept juristes de Médine.
Il est né en 699, comme Zayd Bn ʻAlî et Abû Hanîfa, et, comme eux, s’adonna à l’étude de la tradition
islamique où il excella vite. Abû Hanîfa le prit pour maître pendant deux ans. On voit qu’une grande
continuité existe entre les sunnites et les chiites, aussi bien qu’entre maîtres et élèves et élèves entre eux à
cette époque.
66Ja’far évita d’entrer dans l’arène politique. Les duodécimains disent qu’il pratiqua la taqîya (ou kitmân,

dissimulation) et le considèrent comme le sixième imâm par héritage. Il eut à souffrir les soupçons des
califes, surtout parce que les chiites khiṯṯâbîya se réclamaient de lui. Cette secte soutenait, entre autres,
que la science de la loi divine tenait lieu d’action et dissolvait ainsi toutes les prescriptions et
interdictions de l’islam qu’elles soient cultuelles ou non. Ja’far les désavoua clairement. Il mourut en
765, pleuré par le calife al-Mansûr, a-t-on dit.
6772 — La doctrine jaʻfarite. Comme son père et son grand-père, Jaʻfar fut un partisan de l’ésotérisme

du Coran (Corbin, Histoire, p. 27-29, 67) et il est considéré comme un maître de ce type d’exégèse,
même par les mystiques sunnites (Laoust, Schismes, p. 67). Il a eu aussi pour élève Jâbir Bn Hiyân at-
Tartûchî, alchimiste, hermétiste. On attribua à Ja’far une oeuvre ésotérique, où l’on trouve une sorte
d’algèbre mystique, une divinatoire par les nombres, al-jafr. (voir Corbin, ibid., p. 187 sq. et 436). Abû
Zahra récuse cette attribution (Tarîkh, p. 696 sq.).
68Selon Abû Zahra, qui tend à tirer les imams chiites vers le sunnisme, Jaʻfar, en matière d’usûl al-fiqh,

avait recours au Coran, à la Sunna (et pas seulement à celle des Alides), à l’unanimité (des
Compagnons ? des Alides ?) et au ra’y (raisonnement). Ce dernier nʼétait pas considéré comme incluant
l’analogie, mais comme la mise en valeur de l’intérêt de la communauté par la raison. Pour les branches
du droit, le fiqh de Jaʻfar serait très proche de celui des sunnites (ibid., p. 721-722). Mises à part les
questions relatives à la prophétologie et à l’imamologie qui ont des conséquences essentiellement sur le
droit du califat, les divergences ne sont pas considérables en matière juridique entre chiites duodécimains
et sunnites. Elles sont notables en matière de mariage et de succession (voir les chapitres
correspondants). Il est certain aussi que les imamites ont cherché par la suite à se démarquer des sunnites,
en particulier en rejetant les coutumes arabes et les opinions des Compagnons, et en mettant l’accent sur
les traditions transmises par les Alides.
69Dans la version imamite de l’histoire du droit, les imams ont pris en charge pendant les trois premiers

siècles les problèmes juridiques généraux de la communauté, les traditionnistes ayant à charge de
développer les détails et l’application de ces principes (Tabâtabâ’i, p. 24-27). En même temps, ils
encourageaient leurs adeptes à travailler la théologie, et il y eut une grande variété d’opinions, y compris
celles qui déniaient aux imams des qualités extraordinaires, ou qui considéraient que leur interprétation
du Coran et de la Sunna résultait de l’exercice de leur raison. Mais l’opinion dominante était
traditionaliste et rejetait l’usage de la raison que ce soit par l’analogie (qiyâs) ou par le raisonnement
(ra’y). Le mot ijtihâd (recherche de la loi divine) fut même banni pendant longtemps, jusqu’au 6e/xiie
siècle. Cela n’empêcha pas l’usage de cette raison et l’existence de juristes contemporains des imams
défendant l’emploi de procédés rationnels. Ainsi, dès les débuts du jaʻfarisme, le débat entre les
traditionnistes et les rationalistes existait dans le chiisme comme dans le sunnisme (Tabâtabâ’i, p. 29-31).
§ 5 - Lʼécole hanéfite

7073 — Abû Hanîfa (699-767). Abû Hanîfa est né vers 699. Son grand-père, qui s’appelait Zûṯâ, était un

noble de Kabûl réduit en esclavage, amené à Kûfa, converti à l’islam puis affranchi. C’était donc un
mawlâ. Il aurait connu ʻAlî. Son père, Thâbit, était resté dans l’entourage de ʻAlî. Abû Hanîfa, de son
prénom Nuʻmân, hérita de ses parents l’islam, des sympathies chiites et une affaire de soie fort
florissante, dont les revenus lui assurèrent l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs. Le futur imâm
s’intéressa d’abord au kalâm (théologie) et participa à quelques disputes où il aurait défendu les points
de vue qui seront ceux du sunnisme. A une époque indéterminée, il se plongea dans l’étude de la tradition
et du fiqh, délaissant les controverses. Kûfa était alors un centre bouillonnant de débats et de combats.
Son maître principal fut Hammâd Bn Abî Sulaymân (un mawlâ dʼIbrahîm Bn Abî Mûsâ al-Achʻarî). Par
son intermédiaire il apprit la doctrine d’Ibrahîm an-Nakha’î et de ach-Chaʻabî qui eux-mêmes
transmettaient celles de Charîẖ, de ʻAlqama, Masrûq al-Ajdaʼ, eux-mêmes se réclamant de ʻAbd Allâh
Bn Masʻûd. Mais il eut aussi des maîtres chiites comme Zayd Bn ʻAlî, Muẖammad al-Bâqir, Ja’far as-
Sâdiq. . Il fit plusieurs pèlerinages à la Mecque où il rencontra ceux qui se réclamaient d’Ibn ‘Abbâs. On
voit donc que la doctrine des divers maîtres d’une époque se cumule et se synthétise dans l’esprit des
élèves de l’époque suivante.
71En 737 Abû Hanîfa atteignit la maturité et il remplaça son maître Hammâd, décédé. Son enseignement

était tout à fait moderne dans sa méthode, puisqu’il laissait d’abord ses élèves discuter sur une question
avant d’en faire la synthèse, que tous n’admettaient pas d’ailleurs, d’autant plus que le maître se reprenait
souvent. Sa sollicitude pour eux était grande : il les entretenait, il les mariait, les conseillait… et on
s’explique bien les fidélités indéfectibles qui s’attachèrent à son souvenir.
72Ses biographes racontent aussi ses démêlés avec les pouvoirs. Il semble bien qu’elles soient la
conséquence de ses sympathies chiites. Après la révolte de Zayd Bn ʻAlî qu’il avait, semble-t-il, aidé
financièrement, il refusa un poste que lui offraient les Umayyades pour le rallier au régime. Il fut fouetté
pour cela. Rallié aux Abbassides, il fut au début bien en cour. Mais au fur et à mesure que le régime se
coupait des chiites, son opposition se manifesta. A la suite de la révolte des frères Ibrahim et Muẖammad
Bn ʻAbd Allâh Bn Hasan (762), il refusa le poste de grand cadi et fut finalement emprisonné, battu, ce qui
détermina sa mort en 767. Bien sûr, la plupart des biographies de juristes comportent ce genre d’épisode
et on a jeté le doute sur leur authenticité. C’est au moins un signe que la postérité considère ces hommes
comme des saints, sans compter que la brutalité des califes et de leurs gouverneurs n’est plus à prouver.
73Abû Hanîfa est compté, avec Mâlik, comme un des fondateur du sunnisme. Son oeuvre directe n’a pas

été conservée, à l’exception de quelques travaux mineurs en théologie. On verra, dans la section suivante
(n° 89) que ses positions théologiques sunnites lui ont peut-être été attribuées postérieurement. Melchert
dit qu’il soutenait la doctrine mutazilite du Coran créé (“fairly well established” p. 54) ou du moins qu’il
était murjite (“yet better established”, p. 56). Son droit n’est connu que par les écrits de ses disciples,
particulièrement Abû Yûsuf et ach-Chaybânî. Selon Schacht (Esquisse, p. 38-39), Abû Hanîfa manifeste
un niveau élevé de raisonnement et de cohésion logique. Mais, du fait qu’il n’a pas été cadi, certaines de
ses solutions ne sont pas pratiques. Ses disciples en rejetèrent une notable partie.
7474 — Abû Yûsuf (731-798) et ach-Chaybânî (750-805). Abû Yûsuf et ach-Chaybânî appartiennent à la
deuxième génération du 2e/viiie siècle. Par rapport à leur maître Abû Hanîfa, ils ont une vénération plus
grande pour la tradition, ach-Chaybânî en particulier, et par voie de conséquence, ils refoulent plus
souvent que lui le raisonnement.
75Abû Yûsuf, d’origine arabe, était né vers 731 à Kûfa. Il fut nommé cadi de Baghdad, puis cadi des cadis

et conserva cette fonction jusqu’à sa mort en 798. Dans sa doctrine, il tint compte plus nettement de
l’aspect pratique. Schacht observe (Esquisse, p. 39-40) que ses fréquents revirements dénotent un manque
de maturité. Son principal ouvrage est le Kitâb al-Kharâj, le livre de l’impôt foncier, qui traite aussi du
droit pénal, de la guerre sainte et des dhimmis. Abû Yûsuf joua un rôle essentiel dans la diffusion du
hanéfisme de par sa position : le rite devint la doctrine officielle de l’empire abbasside.
76Ach-Chaybânî est plus jeune de vingt ans puisque né vers 750 à Wâsit. Il fut aussi l’élève de Mâlik (il

est un des transmetteur du Muwaṯṯâʼ). Il fut cadi à Raqqa, puis à Baghdad. Il mourut à Rambûya en 805. Il
est le premier des grands compilateurs. Son oeuvre est considérable. Elle a été réunie par la suite sous le
titre de Ẕâhir ar-riwâya, et constitue la référence principale du hanéfisme (voir annexe 2). En insistant
sur les traditions et sur l’analogie, ach-Chaybânî prépara ou même précéda ach-Châfiʻî (Chaumont, E.I.2).
Il poussa la logique juridique à la perfection en éliminant du hanéfisme les aspects archaïques que l’on y
trouvait encore chez Abû Hanîfa et Abû Yûsuf (Esquisse, p. 39-40).
77On verra dans l’annexe 2, les autres disciples d’Abû Hanîfa de la même époque qui rallièrent l’école
de Kûfa au hanéfisme et le diffusèrent dans l’empire.
7875 — Traits distinctifs de la doctrine hanéfite. Les usûl al-fiqh hanéfites tels qu’ils se sont fixés par la

suite mettent en premier le Coran et la Sunna comme sources du droit. Sur les dires des Compagnons, les
hanéfites pensent qu’ils connaissaient les causes (asbâb) de la Révélation, et que leurs opinions sont à
rattacher au Prophète quoiqu’ils n’affirment pas explicitement cette dépendance. Pour l’analogie (qiyâs),
les hanéfites pensent qu’elle est légitime, mais qu’il faut une cause (ʻilla) pour justifier qu’on donne à un
acte le statut d’un autre acte. Abû Hanifa pensait qu’établir un fiqh taqdîrî (droit estimatif, ou droit
hypothétique) était une méthode nécessaire pour bien apprécier la valeur de ces causes. Pour sortir dʼune
analogie trop contraignante en préférant une autre solution (istiẖsân), il faut que le résultat contredise les
dires des Compagnons, ou la coutume, ou une autre analogie, ou une “analogie cachée”. L’unanimité
(ijmâʻ) consiste en l’accord des mujtahids d’une époque quelconque. Enfin la coutume (ʻurf) peut être
admise si elle ne contredit pas le Coran, la Sunna et les dires des Compagnons.
79Pour les branches du droit, le droit hanéfite est un droit marqué par le commerce et par le respect de la

liberté individuelle. Abû Hanîfa était un commerçant et la coutume devint une source qui pouvait refouler
l’analogie indésirable, en particulier nuisible à l’intérêt des affaires humaines. Le droit des contrats, avec
tout ce qu’il exige de probité dans l’échange, avec l’exclusion du prêt à intérêt (ribâ), fut mis en place par
lui. Son respect de la liberté individuelle ne se remarque pas seulement dans le droit des contrats. Abû
Hanîfa était pour la liberté absolue de l’individu, qu’il soit femme, prodigue, endetté, propriétaire… Ni
la communauté, ni le prince ne peuvent le contraindre tant qu’une prescription divine n’est pas violée.
Que l’usage d’un droit risque de porter préjudice, et Abû Hanîfa de trancher qu’on ne peut brimer la
volonté individuelle (un mal certain) en raison d’un mal hypothétique. . On rapporte qu’un propriétaire
s’était plaint à Abû Hanîfa que son voisin avait creusé un puits près de son mur et que le mur menaçait de
s’écrouler. Abû Hanîfa lui conseilla de creuser un égout de l’autre côté du mur dans l’espoir que le
voisin, craignant que son son puits ne soit pollué, finisse par chercher un accord. Mais contester le droit
du propriétaire de creuser un puits sur sa terre lui apparaissait impossible (Abû Zahra, Tarîkh, p. 374 sq.,
§§ 139-145). Les hanéfites n’ont d’ailleurs pas toujours suivi Abû Hanifa dans les conséquences extrêmes
de son respect de la liberté individuelle, ils ont, par exemple, réintroduit le wâlî dans le droit du mariage.
Mais l’esprit du rite demeura : respect absolu de la loi, et en même temps casuistique et ruses. Notons
encore que l’école hanéfite est aussi la plus laxiste dans son droit pénal, du moins relativement : elle ne
permet pas les troisième et quatrième amputations du voleur récidiviste par exemple. Elle a abandonné
certains aspects archaïques du droit arabe : par exemple le serment cinquantenaire (qasama) ne peut être
un moyen de preuve pour l’accusation, mais seulement pour la défense.
80Tous ces aspects signalent bien que le contexte du hanéfisme est un contexte urbain, diversifié, moins

soucieux peut-être d’islamisation et de morale que le furent les juristes malékites.


§ 6 - L’école malékite

8176 — Mâlik Bn Anas (710-795). Mâlik Bn. Anas, de souche arabe, est né vers 710 à Médine, la cité de

la tradition par excellence. Il assista donc à la décomposition du pouvoir umayyade dans un milieu qui
appelait de ses voeux une nouvelle dynastie. Il étudia le ẖadîth avec son premier maître, Ibn Hurmuz, puis
avec le mawlâ du fils de ʻUmar, Nâfiʻ, le maître du raʼy et tous les traditionnistes vivant à Médine à
lʼépoque, (voir annexe 2). Il enseigna à son tour dans la même ville et devint, de par sa science, son
intelligence et sa tenue morale, le maître le plus écouté du monde musulman.
82Cʼétait un fidèle traditionniste avant tout et il se refusait à répondre aux problèmes hypothétiques,
quoiqu’il pratiquait le raisonnement quand il le fallait comme on l’a vu (cf. n° 53). Ces traditions
remontaient au fils de ʻUmar en général, plus rarement à ʻUmar ou à ʻAlî. Il refusait les ẖadîth venant
d’Irak, et on cite sa réplique à un élève irakien : “Chez vous, en Irak, vous possédez un fabrique de
ẖadîth, on compose la nuit et on publie le jour.” Ce sentiment était général chez les Médinois (Békir,
p. 69).
83Pendant ses cours, on ne riait pas, on ne contestait pas. Mâlik était pauvre et devait accepter une
pension officielle, sur laquelle il entretenait certains étudiants plus pauvres encore comme ach-Châfiʻî.
Le maître n’enseignait le ẖadîth qu’en état de pureté, règle qui lui posa bien des problèmes quand il
souffrit à la fin de sa vie d’incontinence. Malgré son prestige et son autorité, il restait modeste : souvent il
répondait “je ne sais pas”. En matière théologique Mâlik était un modéré, refusant de porter une étiquette
et il écarta ainsi tous les ẖadîth kharidjites ou chiites, trop manifestement liés à une faction.
84Il détestait la controverse, les discussions politiques, les critiques du pouvoir et de la justice. Malgré

son milieu, Mâlik n’éprouva jamais d’hostilité envers les Umayyades. On rapporte même de lui de
bonnes paroles à l’égard d’un umayyade d’Espagne, ce qui aurait été à l’origine de l’adoption du
malékisme en Occident (Békir, p. 30). En Orient, Mâlik ne s’associa jamais à aucune rébellion. La
tradition rapporte qu’il fut battu sur ordre du gouverneur de Médine qui le soupçonnait de soutenir la
révolte alide des frères Ben ʻAbd Allâh en 762. Il est probable qu’il avait soutenu qu’un serment obtenu
par la contrainte n’engageait pas en conscience. Cette fatwâ d’ordre général avait été exploitée par les
rebelles pour se délier de la bay’a (serment d’allégeance) qu’ils avaient prononcée en faveur du calife
al-Mansûr. Mâlik en eut l’épaule abîmée sous les coups. Cette miẖna (épreuve) augmenta son prestige
plus que jamais, au point que le calife dut lui rendre visite pour se l’amadouer. Mais Mâlik ne chercha
pas à se venger. Il mourut en 795, entouré de lʼadmiration de tous (Abû Zahra, Tarîkh, p. 414-418).
85On a attribué à Mâlik divers textes non authentiques. Mais le recueil dit al-Muwaṯṯaʼ, qui rassemble les

traditions de Médine selon un plan juridique semble bien de lui. Il fut compilé par plusieurs élèves avant
la fin du siècle, mais seules deux versions ont survécu. Mâlik aurait refusé de son vivant que l’ouvrage
devienne la loi de l’empire et ce serait la raison qui poussa les Abbassides à se tourner vers les
hanéfites.
8677 — Traits distinctifs du malékisme. Mâlik n’a rien écrit en matière d’usûl al-fiqh, mais sa doctrine

est implicite. Il soutient la prééminence du Coran et de la Sunna. Il admet les ẖadîth isolés mais seulement
quand rien ne s’y oppose, en particulier pas la pratique (ʻamal) des Compagnons ou celle des Médinois.
Car il considère que la pratique courante des musulmans vaut mieux qu’un dire isolé : “mille venant de
mille valent mieux qu’un venant d’un”. Il admet qu’une analogie indésirable puisse être écartée (istiẖsân),
mais au nom de l’intérêt de la communauté musulmane, l’istislâẖ. L’intérêt devint une notion centrale dans
le malékisme. Pour Mâlik d’ailleurs la notion d’istiẖsân englobait tous les processus utilisables en cas
d’absence de texte clair du Coran ou de la Sunna (Abû Zahra, Tarîkh, p. 428). Mâlik avait aussi recours à
divers autres procédés ou considérations et les malékites continueront dans cette voie (cf. t. II, chapitre
V).
87Pour ce qui concerne le califat la doctrine malékite cherche à jeter le voile sur les dissensions et à les

concilier. Les quatre Râchidûn sont également respectés. Le malékisme n’est pas franchement hostile aux
Umayyades. Pour lui, le despotisme est moins mauvais que la discorde et la guerre civile. Il vaut mieux
essayer de convaincre le calife par le conseil ou une sorte de résistance passive que de prendre les armes
contre lui. L’intérêt de la communauté doit primer toute autre considération.
88Dans les branches du droit, la doctrine malékite est fortement charpentée, plus moralisante que
juridique, et dépend des pratiques juridiques umayyades, celles de Médine et de la Mecque. On y décèle
surtout un état antérieur du fiqh, fortement marqué par les coutumes arabes, d’esprit rural et paternaliste
(Brunschvig, Considérations, p. 71-74.). Plus tard, elle devint très hostile aux innovations, malgré
l’ouverture que marquent ses usûl.
89En matière pénale Mâlik est sévère, il permet quatre amputations du voleur récidiviste, admet la mise à
mort de l’espion et des libres penseurs (Laoust, Schismes, p. 88-89). La défense de l’islam est pour lui un
point essentiel. Mais le moralisme conduit aussi à des solutions justes, écartant le juridisme ou la
mysogynie (générale à l’époque) quand ils sont injustes. Ainsi chez Mâlik, on ne peut déshériter une fille
par le moyen d’un waqf (bien de mainmorte, voir t. II, chap. 12). Le contrat de mariage est plus qu’un
contrat ordinaire et la femme maltraitée se voit ouvrir le droit au divorce judiciaire, ce que ne permettent
pas les autres rites. La guerre sainte doit être conduite avec un idéal pur et devient illégale si elle est faite
pour le butin, quel que soit l’ennemi (Bleuchot, Buts du jihâd). Ce souci de cohérence morale se
retrouvera souvent chez les juristes malékites postérieurs.
§ 7 - L’école chaféite

9078 — Muẖammad Bn Idrîs ach-Châfi‘î (767-820). Né à Ghazza probablement, en 767, il était de la

tribu des Quraych et même de la famille du Prophète par une ligne parallèle. Il perdit son père au berceau
et sa mère le ramena à la Mecque pour que sa généalogie ne soit pas perdue. Pauvre, il passa sa jeunesse
en tribu, avec les Hudhayl notamment, tirant à l’arc et faisant de la poésie. Mais il apprit le Coran et le
ẖadîth et se décida pour “la science”. Il devint l’élève de Mâlik qu’il écouta pendant une dizaine
d’années. II dut accepter un travail au service du gouverneur de Najrân, mais se compromit, semble-t-il,
avec l’alide Yaẖya Bn ‘Abd Allâh (Chaumont, E. I.2). Arrêté, il passa en jugement devant le calife ar-
Rachîd, mais fut sauvé par l’intercession d’ach-Chaybânî, ancien élève comme lui de Mâlik (vers
184/800). De lui, ach-Châfi‘î apprendra le fiqh hanéfite à Baghdad. Dans son esprit naîtra une troisième
voie, issue de la confrontation entre les doctrines malékite et hanéfite. De retour à la Mecque, il y
enseigna une douzaine d’années, entrecoupées de séjours à Baghdad, à Médine, et peut-être en Égypte.
C’est au Caire qu’il s’établit finalement, pour fuir, semble-t-il, la vague d’iranisation consécutive à la
victoire d’al-Ma’mûn (voir n° 82) (Abû Zahra, Tarîkh, p. 448). C’est seulement là qu’il réussit à faire
école, au grand dam des malékites. La doctrine qu’il enseigna à cette époque diffère sur de nombreux
points de détail de celle qu’il enseigna à la Mecque, c’est pourquoi les chaféites parlent à son propos de
“doctrine ancienne” et de “doctrine nouvelle”. Ach-Châfi‘î mourut au Caire en 820, laissant une oeuvre
de première importance dans l’histoire du droit, qui a été réunie sous le titre Kitâb al-Umm.
9179 — Fondements (usûl) du chaféisme. Ach-Châfi‘î voulut peut-être réconcilier le hanéfisme et le

malékisme, mais il ne réussit qu’à fonder une troisième école. La nouveauté c’est qu’il chercha à la
justifier méthodologiquement.
92A la base du système, on trouve le dogme traditionaliste selon lequel, d’une part, tout acte humain doit
recevoir une qualification, un statut (ẖukm), qui permette de savoir s’il est à faire ou à éviter, et, d’autre
part, la totalité de ces statuts doit être tirée des sources de l’islam. Avec son ouvrage Ar-Risâla, ach-
Châfi‘î établit une doctrine de ce que devait être l’usage de ces sources et fonda ainsi ce qu’on appelle
les usûl al-fiqh, la méthodologie du droit islamique. Elle établit une hiérarchie stricte des quatre sources :
1. Coran ; 2. Sunna (tradition) ; 3. ijmâ’ (consensus) ; et 4. qiyâs (analogie), les autres étant minimisées
ou écartées, en particulier le ra’y (raisonnement ou opinion personnelle), cela contre les hanéfites. Le
résultat fut très traditionaliste et en même temps très logique. Ach-Châfi‘î concevait la vraie Sunna
comme celle du seul Prophète et écartait la conception de Mâlik, selon laquelle la pratique des maîtres
traditionnistes représentait la pratique authentique du Prophète. Il y avait là une critique du conformisme,
mais aussi l’aveu que l’islam n’était plus en prise directe avec le temps du Prophète (Chaumont, ibid.).
Selon Schacht, l’opération d’ach-Châfi‘î revenait en fait à identifier la sunna des anciens arabes et les
pratiques du 1er/viie siècle avec la Sunna du Prophète. Les idées que la Sunna explicite le Coran, et
qu’elle aussi est divinement inspirée, étaient les corollaires de cette conception.
93L’importance d’ach-Châfi‘î est considérable pour toute l’histoire du droit et peut-être pour celle de la

pensée musulmane. Elle est un tournant dont on cherche toujours la signification profonde et l’impact sur
la situation de la pensée islamique actuelle ( voir Schacht, Abû Zîd, Makdisî…).
9480 — Traits distinctifs du chaféisme. Ce que pensait ach-Châfi‘î en matière d’usûl vient d’être dit. Par

la suite, le chaféisme soutient en matière d’usûl une doctrine modifiée, si on la compare avec celle
explicitée dans la Risâla.
95Ach-Châfi‘î détestait la théologie et ses principaux représentants à l’époque, les mutazilites. Il déclara

même qu’on devrait les punir d’exposition infamante. Il haïssait en particulier leur habitude de se traiter
mutuellement de kâfir (mécréant passible de mort). Il préférait le fiqh, où le contradicteur n’était traité
que d’ignorant (Abû Zahra, ach-Châfi‘î, n° 95). On a déduit tardivement de ses usûl des positions
théologiques très sunnites (ar-Râzi par exemple), mais il est certain qu’il était qadarite et qu’il s’opposait
aux mutazilites, en particulier dans son refus de la raison et dans son recours exclusif aux sources
scripturaires et traditionnelles, ce dont témoigne tous ses usûl. Pour lui l’autonomie de la pensée morale
de l’homme n’était pas admissible.
96Sur le califat, ach-Châfi‘î, a laissé dans son Kitâb al-Umm des textes sans ambiguïté. II affirme la

nécessité du califat en reprenant les arguments de ‘Alî contre les kharidjites. Le calife doit être de
Quraych, mais il n’est pas nécessaire qu’il soit de la famille de ‘Alî. Il n’est pas nécessaire non plus qu’il
soit élu ou confirmé par une bay‘a. Il admettait que les Râchidûn avaient accédé au pouvoir dans l’ordre
de leur excellence. Dans la querelle entre ‘Alî et Mu’âwiya, il prenait le parti de ‘Alî, ce qui explique
qu’on l’ait soupçonné de sympathies chiites (Abû Zahra, ibid., n° 97). Pourtant il considérait ‘Umar II
comme le cinquième des Râchidûn, et c’est à cause de lui qu’il ne voulait pas limiter le califat à la
famille de ‘Alî, ‘Umar II n’en faisant pas partie.
97Dans les branches du droit, ach-Châfi‘î, dépendait étroitement de sa méthodologie. Elle lui imposait de

suivre un raisonnement et donc de demeurer dans un certain juridisme ou formalisme logique. Selon
Schacht, sa logique bute sur “des traditions irrationnelles ou des institutions qui défient la
rationalisation”. Elle est aussi déviée par l’esprit polémique, en particulier contre les Irakiens. Mais en
fin de compte on a “un système magnifiquement cohérent et de loin supérieur à la théorie des anciennes
écoles” (Schacht, Esquisse, p. 40-42). Il faut rajouter que ach-Châfi‘î est un disciple de Mâlik, et que, le
plus souvent, il suit son maître en matière de moralisme, quoiqu’il soit difficile de savoir ce qui revient
au coefficient personnel d’ach-Châfi‘î et ce qui revient à sa méthode, ach-Châfi‘î s’efforçant justement
d’éliminer ce coefficient personnel.
98La mort d’ach-Châfi‘î correspond à la première crise grave du califat abbasside, celle qui vit la lutte

des fils d’Harûn ar-Rachîd. A cette date on pouvait dire que les principaux rites étaient fondés (voir aussi
le point de vue de C. Melchert, n° 87).
§ 8 - Autres écoles sunnites

9981 — Muẖammad Bn ‘Abd ar-Raẖmân Bn Abî Laylâ (695-765). Né en 695, il ne fut pas considéré

comme un bon traditionniste, car sa mémoire était faible, mais comme un bon juriste. Il fut cadi de Kûfa
en 741 et le demeura jusqu’à sa mort en 765. Il fondait ses opinions sur le ra’y, ne reculait pas devant les
généralisations, se souciait de morale et de pratique judiciaire. Mais sa doctrine resta rudimentaire,
formaliste et conservatrice (Schacht, E. I.2, et Esquisse, p. 37-38). Une certaine rivalité l’opposa toujours
à Abû Hanîfa. Ses élèves suivirent ses opinions, mais son école disparut au 3e/ixe siècle.
100Abu ‘Amr ‘Abd ar-Raẖmân Bn ‘Amr al-Awzâ’î (704-774). Né vers 704 à Damas, il fut le cadi de la
ville. A l’avènement des Abbassides, il se retira à Beyrouth où il mourut en 774. Il représente la tradition
syrienne umayyade. Ses œuvres n’ont pas été conservées dans leur forme originale, mais on peut
retrouver ses opinions par Abû Yûsuf et ach-Châfi‘î. Il eut pour élève Mâlik et Sufyân ath-Thawrî. Sa
doctrine semble plus archaïque que celle d’Abû Hanîfa, ce qui laisse supposer qu’il transmet une
doctrine antérieure (Schacht, E. I.2, et Esquisse, p. 37). Son école eut les faveurs du pouvoir umayyade. A
l’époque abbasside elle se maintint en Syrie et survécut encore en Espagne. Le dernier représentant connu
se réclamant de lui mourut en 958 (Laoust, Schismes, p. 86-87)
101Abû ‘Abd Allâh Sufyân ath-Thawrî (715-778). Né en 715, à Kûfa, il apprit la tradition islamique de
son père. Il refusa d’être cadi sous les Abbassides et mena dès lors une vie de fuites successives, du
Yémen, à la Mecque, à Basra, jusqu’à sa mort en 778. C’est un des premier à mettre les traditions par
écrit, mais il ordonna la veille de sa mort de tout brûler, ce qui fut fait. Ce fut aussi un théologien et un
mystique. Il fonda une école juridique strictement sunnite, mais elle disparut rapidement après sa mort.
Beaucoup de légendes et d’anecdotes sont associées à son nom, car le personnage était, semble-t-il
attachant.
102Il appartenait aux disciples de tous ces maîtres (il en est d’autres) de les faire passer à la postérité en

mettant par écrit leurs doctrines. Ce fut le travail essentiel des juristes du 3e/ixe siècle.
SECTION II - LES DERNIÈRES ÉCOLES. COMPILATION
ET DIFFUSION DES DOCTRINES (3e/IXe SIÈCLE)
103Cette période commence vers 195/812. C’est la date de la première grande crise du pouvoir
abbasside, celle qui a suivi la mort de Harûn ar-Rachîd. La période ne couvre qu’un siècle, jusqu’à la
décomposition de la puissance de la dynastie (vers 300/912). En Occident le pouvoir dominant est celui
des Umayyades d’Espagne, en rivalité avec les Aghlabides de Tunisie. Pour le droit, c’est le temps de la
diffusion des grandes écoles dans leur zone d’influence, de la formation des petites écoles, et de la
compilation des grandes doctrines de chacune d’entre elles.
104On suivra à peu près le plan de la section précédente : contexte politique et théologique (§ 1),

problèmes généraux de l’histoire du droit (§ 2), chiites (§ 3), hanéfites et chaféites dont l’histoire est
difficilement dissociable (§ 4), malékites (§ 5), hanbalites qui apparaissent en ce siècle (§ 6), enfin les
petites écoles sunnites et les ibadites (§ 7).
§ 1 - Le contexte politique et théologique

10582 — Le califat mutazilite (811 à 847). Harûn ar-Rachîd avait partagé son empire entre ses fils.

Muẖammad al-Amîn, calife en titre, devait gouverner les pays arabes. ‘Abd Allâh al-Ma’mûn devait
gouverner les pays de l’Est. Le troisième, al-Qâsim al-Mu’tasim, devait se contenter de la Syrie du Nord.
La crise éclata en 811, deux ans après la mort du père : le calife al-Amîn (809-813) voyait se dresser
contre lui ses deux frères alliés. En 813, al-Ma’mûn prit Baghdad à l’issue d’une terrible bataille où al-
Amîn fut tué. On a présenté cette crise comme la victoire de l’élément iranien de tendance mutazilite et
chiite sur l’élément arabe qadarite et sunnite. La crise fut profonde et elle eut de graves conséquences,
comme la guerre civile des gouverneurs d’Egypte qui s’ensuivit et qui dura jusqu’en 826.
106Le nouveau calife voulut venir à bout des troubles suscités par les chiites (en 815 eut lieu une révolte

zaydite à Basra et Kûfa), et chercha à faire l’unité religieuse de l’empire. Il décida de donner la
succession à ‘Alî ar-Riḏâ, le huitième imam dans l’ordre duodécimain. Mais des révoltes sunnites
éclatèrent en Irak et en Egypte et al-Ma’mûn renonça à la succession chiite. ‘Alî ar-Riḏâ mourut alors
(818). En 827, toujours dans le but de faire l’unité religieuse, al-Ma’mûn imposa le mutazilisme. Pour
certains auteurs, il semble que cette idée d’unité religieuse marque la fin d’un temps, celui du
bouillonnement intellectuel et d’une certaine tolérance. A vrai dire on peut soutenir au contraire que le
pluralisme de pensée a été partout et toujours refusé, en invoquant l’affaire de la mosquée de la division à
l’époque du Prophète, la guerre contre les apostats sous Abu Bakr, la grande querelle sous ‘Alî, les
multiples batailles contre les chiites et les kharidjites… En ce qui concerne les Abbassides, le calife Al
Mahdî (775-785) avait réprimé les polythéistes, les manichéistes et les athées (zindîq).
107Al Ma’mûn (813-833) chercha donc à imposer la doctrine rationaliste des mutazilites. Cette doctrine
avait comme thème-vedette que le Coran était créé par Dieu et non pas éternel. Pour les mutazilites,
l’éternité du Coran semblait poser des difficultés semblables à celle de la Trinité chrétienne : ils ne
voulaient pas admettre que la langue arabe et le Coran soient coéternels à Dieu. Leur position suscita la
résistance des traditionalistes dont celle d’Ibn Hanbal (cf. n° 95), et divers remous, à Damas et en
Egypte, surtout quand, à partir de 833, une sorte d’inquisition se fit particulièrement pénible pour les
sunnites.
108Par ailleurs, l’empire manifestait plus d’une faiblesse politique. De graves révoltes se produisirent,

comme celle, kharidjite, du Khorassan (Hamza Bn Adrak, 795-820), et celle, hérétique, d’Azerbaïdjan
(Babak, 816-837). A l’est de l’empire, un gouverneur, Ṯâhir Bn al-Husayn, refusa à partir de 822 d’obéir
au calife et fit même supprimer son nom dans la prière du vendredi. Le fait fut rapporté à Baghdad et
Ṯâhir mourut mystérieusement peu après. Mais le calife ne put nommer que le fils de Ṯâhir comme
gouverneur. Ce fut le début d’une véritable dynastie au Khorassan et en Transoxiane (Tahirides). Elle
faisait le pendant avec celle des Aghlabides, installés depuis 800 en Tunisie.
109Le successeur d’al-Ma’mûn, al-Mu’tasim (833-842), continua la politique de son frère, c’est-à-dire

qu’il eut à mâter des révoltes, en particulier celle des Ẕuṯṯ, d’origine indienne, dans les marais irakiens en
834-36. Il s’installa à Samara, nouvellement fondée (836) au nord de Baghdad, et s’entoura d’une garde
composée en majorité de Turcs sunnites, pour échapper à la pression de Baghdad.
110Al-Wâthiq, son fils, qui lui succéda (842-847), relança l’obligation du mutazilisme et il eut à réprimer
la révolte sunnite de Baghdad. Le meneur, Ahmad Bn Nasr al-Khuzâ’î fut exécuté. L’épreuve (miẖna)
atteignit divers traditionnistes et juristes, dont al-Buwaytî, chaféite. Cette fois-ci, Ibn Hanbal ne fut pas
inquiété.
11183 — La restauration sunnite (847-908). Le troisième successeur d’al Ma’mûn, al-Mutawakkil (847-

861), céda à l’opinion publique et retourna au sunnisme. Il interdit toute discussion théologique sur le
Coran. Il persécuta alors les mutazilites, tracassa les Alides (le tombeau de Husayn à Karbala fut rasé en
851) et les chrétiens (qui furent éliminés de l’administration).
112Al-Muntasir (861-862) parvint au trône par l’assassinat de son père qu’il soupçonnait de vouloir

l’écarter de la succession. Il chercha à s’appuyer sur les Alides, mais mourut peu après. Déjà pour cette
époque, on considère que les califes sont des marionnettes aux mains des vizirs et des généraux turcs. Se
succédèrent ainsi al-Musta‘in (862-866), destitué et assassiné par sa garde ; al-Mu‘tazz (866-869),
emprisonné par sa garde qui réclamait sa solde et qui le laissa mourir de faim ; al-Muhtadi (869-870),
qui réussit à rétablir quelque peu son autorité, mais eut affaire à une terrible révolte servile, celle des
Zanj (les noirs), concentrés dans les marais irakiens (869). A la même époque deux royaumes chiites
zaydites s’installaient. Le premier dut guerroyer tour à tour dans le Tabaristan et le Daylam, et, en dépit
de nombreuses péripéties, il se maintint pendant près de deux siècles (864-900, 917-1126). Le second
s’établit au Yémen en 987 sous les Rassides, et y établit durablement le zaydisme (cf. n° 88).
113Al-Mu’tamid (870-892) laissa gouverner son frère Ṯalẖa al-Muwaffaq. Ce dernier parvint à écraser

les Zanj (883) et à repousser l’ambitieux Ya‘qûb as-Saffâr, gouverneur de Perse, qui avait lui-même
éliminé et remplacé les Tahirides en 873. Sous le règne d’al-Mu’tamid commença la rébellion des
Qarmates chiites (cf. n° 117) qui prit toute son ampleur sous le règne de al-Mu’tadid (892-902), fils de
Ṯalẖa al-Muwaffaq. Les troupes du calife finirent par venir à bout de la rébellion en Syrie, mais les
Qarmates essaimèrent en Arabie et en Afrique du Nord. Sous al-Mu’tadid, le chiisme imamite prit de
l’influence jusque dans la chancellerie califiale et dans l’armée. Les chiites trouvèrent un adversaire
acharné dans la personne du vizir hanbalite ‘Ubayd Allâh Bn Sulaymân Bn Wahb. Le calife al-Muktafî
(902-908), fils d’al-Mu’tadid, fut le dernier des califes de cette époque à avoir un semblant de pouvoir. Il
continua la lutte contre les chiites. Sous son règne une autre dynastie, celle des Sammanides, élimina les
Saffarides et contrôla tout l’Est de l’Iran.
114En Occident, au début du 3e/ixe siècle, l’Afrique du Nord était divisée en divers pouvoirs kharidjites

ou autres. Les Idrissides du Maroc se divisaient sur des questions dynastiques et perdaient leur puissance.
L’État ibadite des Rustumides de Tâhart, qui dominait le centre de l’Algérie, approchait de sa fin, du fait
des dissensions internes incessantes (Charles-André Julien, p. 367-374). L’Espagne coulait des jours
relativement heureux (si on ne veut pas tenir compte des révoltes fréquentes) sous la dynastie umayyade
de Cordoue. En Tunisie une puissante dynastie s’était établie dans l’orbite abbasside, celle des
Aghlabides. Elle dominait aussi une partie de l’Algérie et de la Libye actuelles. Elle prit possession de la
Sicile, de Malte, de la Sardaigne, mit à sac le sud de l’Italie et même Rome (846). Elle se maintint tout au
long du 3e/ixe siècle (800-910). En Egypte, la guerre civile des gouverneurs s’était soldée par le
triomphe des Tulunides (868-905). Ils dominèrent la Cyrénaïque, la Syrie et la Palestine. Eux aussi
étaient nominalement rattachés aux Abbassides.
115A la fin du siècle, l’empire avait donc laissé la place à des noyaux nationaux : Espagne, Maroc,
Tunisie, Egypte, Irak, Iran, peut-être Arabie. Entre eux, des zones impossibles à unifier, soit du fait de
leur compartimentage (Algérie), soit de leur facilité à être conquises (côte palestino-syrienne, Libye).
§ 2 - Histoire du droit en général

116Cette histoire troublée ne rend pas compte de l’extraordinaire richesse intellectuelle de l’époque. Le

décalage temporel entre la décadence politique qui commence et la décadence intellectuelle qui est
encore loin est considérable. Pour ce qui concerne le droit, on étudiera tout d’abord les traits généraux de
son histoire intellectuelle (les compilations de la tradition, celles du fiqh, les grands débats) et on
terminera par quelques mots sur son emprise réelle sur la société.
11784 — La compilation de la tradition. C’est au 3e/ixe siècle que fut compilée la tradition. Le retard par

rapport à la mort du Prophète est égal ou supérieur à deux siècles, ce qui est propre à jeter le doute sur la
valeur de ce travail, et beaucoup l’ont fait. Mais entre cette compilation et le temps du Prophète, on l’a
vu, le droit s’était constitué. La chronologie impose de dire que c’est la tradition qui est issue du fiqh et
non le fiqh de la tradition. Certes, cette dernière enregistre bien d’autres choses que du droit, on y trouve
aussi des traditions morales, mystiques, anecdotiques. Mais on ne saurait dire l’ancienneté de ces
nouveaux ẖadîth : on se heurte toujours à ce problème de leur datation.
118Un fait est certain : les six grands recueils canoniques, ceux de Bukhârî (ob. 870), Muslim (ob. 875),
Ibn Mâjâ (ob. 886), Abû Dâwûd as-Sijistâni (ob. 889), at-Tirmidhî (ob. 892) et An-Nasâ’î (ob. 915), ont
tous un plan juridique. Le seul qui ne suit pas l’ordre juridique, le recueil d’Ibn Hanbal, reste tellement
juridique dans son esprit qu’il a donné lieu à la naissance d’un rite (cf. n° 95). Nous donnons dans
l’annexe 2 les titres de ces différents recueils. Il faut y ajouter ceux de aṯ-Ṯabarî (ob. 923), et de ad-
Dârimî (ob. 869).
119Certes cet effort se fit aussi dans un cadre critique. On cite ainsi “les savants de la récusation et de la

modification”, (‘ulamâ’ al-jarẖ wa-t-ta’dîl) qui s’y illustrèrent : Yaẖyâ bn Sa’îd al-Qaṯṯân (ob. 806) ; Abd
ar-Raẖmân bn Mahdî (ob. 815) et Yaẖyâ bn Mu’în (ob. 847). Leur spécialité aboutit à la constitution
d’ouvrages de ṯabaqât (générations), sources essentielles de l’histoire du droit. Parmi les premiers il y a
celui de Ibn Sa’ad (ob. 845), at-Ṯabaqât al-Kubrâ, qui date du 3e/ixe siècle. L’étude du ẖadith, à travers
les auteurs que nous avons cités se pose comme une des plus importantes des sciences religieuses.
120A cette époque se constituent encore deux disciplines importantes pour le droit. L’une se consacre à la
vie du Prophète (sîrat an-nabî). Les références essentielles du 3e/ixe siècle sont les Maghâzî (conquêtes)
de al-Wâqidî (ob. 822) et surtout as-Sîra an-nabawwîya (la vie du Prophète) de Ibn Hichâm (ob. 834)
qui récupère les premiers travaux d’un ouvrage perdu de Ibn Isẖaq (ob. 768). L’autre discipline est le
commentaire du Coran (tafsîr). Le premier ouvrage non perdu est celui de aṯ-Ṯabarî, auteur sur lequel
nous reviendrons (n° 100). Il faut encore souligner que la constitution de ces sciences islamiques est
postérieure à celle du fiqh. L’histoire semble avoir procédé à l’inverse de la théorie : le fiqh, le résultat,
fut le premier ; puis vinrent en second les usûl de ach-Châfi‘î, la méthodologie de l’emploi des sources ;
puis en troisième les sources elles-mêmes, les recueils de ẖadîth et la sîra du Prophète. Mais l’existence
du Coran et celle du Muwaṯṯa’ de Mâlik (où le droit et ses sources sont indissociables) empêchent de
pousser trop loin cette vision inversée de l’histoire du droit.
121En dehors de ces travaux il faut noter que la période est celle d’une véritable explosion littéraire dans

tous les domaines, en particulier la mystique (al-Muhâsibî, al-Hallâj. .) et la philosophie (al-Kindî, Ibn
ar-Râwandî...). Certes, on ne peut que renvoyer aux ouvrages spécialisés, mais on ne saurait négliger ce
contexte. Un autre contexte à étudier est celui de la production juive. L’époque est celle où se compile le
Talmud et où les premiers travaux juridiques apparaissent. On en a tiré des conclusions intéressantes (cf.
Meron). Cette explosion intellectuelle s’appuie sur des bibliothèques publiques ou privées, soit dans les
mosquées, soit dans les palais du calife et de ses gouverneurs, soit chez de riches particuliers. Al-
Ma’mûn fonda à Baghdad une véritable académie, le bayt al-ẖikma, où on engrangea tout ce qui pouvait
être trouvé comme livres. Un corps spécialisé de savants (souvent chrétiens ou juifs) s’attacha à traduire
en arabe les ouvrages de langue étrangère, en particulier les oeuvres grecques de l’antiquité. Un
observatoire astronomique doublait le plus souvent ces bibliothèques (E. I.2, Pedersen-Makdisî).
12285 — Les grands débats. On a vu que le recours à la sunna des Arabes, ou à la Sunna du Prophète ou

des premiers califes et Compagnons était troublé par l’existence de faux ẖadîth en grand nombre, qui
provenaient aussi bien de falsificateurs, de partisans ou de gens pieux à courte vue. Les divergences
s’accentuaient et se multipliaient. Le travail des juristes en était considérablement compliqué. Ils devaient
concilier les contradictions des ẖadîth, ou les contradictions entre ces ẖadîth et leurs traditions juridiques,
ou entre lesdits ẖadîth et le raisonnement juridique, sous peine d’admettre un système juridique
incohérent. Ils étaient donc souvent contraints de choisir, de rejeter, puis de se justifier... Quel était le
statut de la Sunna ? Était-elle une source juridique ? Si oui comment trier le faux du vrai ?
123Certains refusaient toute Sunna et on verra ach-Châfi‘î être obligé de démonter leurs arguments (dans
le Kitâb al-umm, chap. “de ceux qui rejettent toute tradition”). Ce sont les mutazilites extrémistes. Pour
eux, en dehors du Coran, la tradition ne vaut rien. Et ach-Châfi‘î de leur répliquer que nombre de
passages du Coran sont incompréhensibles ou inapplicables sans les explications de la Sunna. L’exemple
classique est celui de la prière, toujours évoquée dans le Coran, mais dont le détail pratique ne se trouve
que dans la Sunna. Le débat continuera au 3e/ixe siècle avec Ibn Qutyaba et al-Jâhiz 3 .
124D’autres ne rejettaient que les traditions contredisant leurs pratiques judiciaires (la tradition des
écoles d’Irak ou de Médine par exemple). Ce principe de sélection était refusé par le chaféisme, contre le
malékisme et le hanéfisme. Le chaféisme admettait au contraire toute tradition, fut-elle contraire aux
pratiques judiciaires. Pourtant, un point était acquis : l’uniformisation était nettement rejetée par les
juristes. On a vu le souverain abbasside écarter la proposition de codification faite par Ibn Muqaffa‘. Dès
le 2e/viiie siècle, on remarque l’existence d’une maxime selon laquelle les désaccords dans la doctrine
juridique constituent une bénédiction divine (Schacht, Introduction p. 61). Il y avait certes des fidélités
régionales ou intellectuelles à telle ou telle doctrine. Mais les praticiens se rendirent vite compte que ces
divergences leur permettaient d’adapter le droit aux faits nouveaux. Bon nombre d’ouvrages savants
furent composés sur la question des divergences. Les premiers traités ont été écrits par Abû Yûsuf (mort
en 798), un des fondateurs de l’école hanéfite. Le droit musulman se maintint donc comme un droit à
divergences.
125Tous les débats à l’origine du chaféisme se sont prolongés pendant tout le 3e/IXe, et bien au-delà. Ils

concernent la valeur de l’unanimité des Compagnons ; celle de la tradition médinoise, celle de l’analogie
(qiyâs) et le choix du meilleur (istiẖsân). Tous les juristes durent prendre position. Ces problèmes
constituent le coeur de la science dite plus tard des usûl al-fiqh (voir le chapitre correspondant au t. II).
126Pour l’histoire de la formation des rites, C. Melchert, qui s’appuie sur le dépouillement des
dictionnaires biographiques, a adopté récemment un point de vue nouveau. Pour lui, au début du 3e/ixe
siècle, il ne saurait être question de parler d’écoles juridiques au sens plein, c’est-à-dire d’écoles
comportant une tradition suivie, appuyée sur un système d’enseignement et de diplômes, sur des
commentaires des maîtres livres, etc. Les grands fondateurs (Abû Hanîfa, Mâlik, ach-Châfi‘î, Ibn Hanbal)
ne sont tout au plus que des éponymes. Le débat fondamental à cette époque aurait été limité à celui des
partisans du ra’y contre les partisans de la sunna. Au cours du 3e/IXe, les points de vue se seraient
rapprochés, et les deux lignes de pensée se seraient mises d’accord pour reconnaître l’autorité d’un
certain nombre d’éponymes, tout en mitigeant chacune sa doctrine, admettant qui des traditions, qui des
raisonnements. Ce n’est qu’à la fin de ce siècle et au cours du siècle suivant (4e/xe siècle) que certains
auteurs (ceux que nous appellerons les compilateurs) fondèrent véritablement des écoles à proprement
parler. Ce sont : Ibn Surayj pour le hanéfisme, al-Karkhî pour le chaféisme, al-Khalâl pour le hanbalisme,
le cadi ‘Isma’îl (avec réserves) pour le malékisme. Par la suite, les auteurs de tabaqât auraient forcé
l’histoire en rattachant systématiquement à tel ou tel rite les auteurs du début du 3e/ixe siècle.
127La tendance des juristes et historiographes arabes est de faire remonter les doctrines le plus haut

possible dans le temps. Les orientalistes font le mouvement inverse. Il est certain qu’il faut tenir compte
du “délai d’édition”. La Risâla d’ach-Châfi‘î par exemple n’a été commentée que plus d’un siècle plus
tard. N’est-ce pas tout simplement parce que son texte n’a été disponible qu’à ce moment, une fois édité
par ses disciples ? Dès lors, rapporter au début du 3e/ixe siècle les positions d’ach-Chafi’î, telles
qu’elles sont contenues dans les livres publiés sous son nom, serait une erreur, car ils contiennent la trace
de débats postérieurs. On soulignera simplement pour conclure, que malgré la précision des dates qui
sont données pour la mort des différents auteurs, la datation de leurs doctrines doit rester prudente. Ce qui
limite de ce fait les ambitions d’une anthropologie historique qui voudrait lier trop étroitement doctrines
et événements politiques.
12886 — Droit et société. Une question doit être soulevée au moment où le droit musulman achève de se

former : quelle fut son importance véritable pour la vie sociale ? La question suppose de vastes
explorations historiques qu’on ne peut songer à détailler.
129Mais on peut avancer quelques idées. Le contrôle du droit musulman sur la vie sociale semble loin

d’être total même à l’époque abbasside. S’il domine presque sans partage en matière cultuelle, il doit
composer avec les coutumes locales (très nombreuses et très prégnantes hors des villes) en matière de
statut personnel (mariage, divorce, garde des enfants) et de successions ; son emprise baisse beaucoup en
matière économique (obligations, contrats) en face des coutumes commerciales ; elle devient très faible
dans les matières politiques ou assimilées (organisation de l’Etat, droit pénal, droit fiscal, droit de la
guerre). Le pouvoir des ulémas s’exercerait donc surtout sur la femme 4 et l’enfant de la ville ; il
concéderait au mari la prééminence et le laisserait agir dans sa vie commerciale, moyennant une
reconnaissance formelle de l’idéal musulman. Mais face aux califes, aux militaires, les ulémas cèderaient
le fiscal, le politique, le pénal, moyennant encore quelques rares concessions formelles.
130C’est dans le domaine commercial que la loi musulmane risquait d’être gênante. L’interdiction du ribâ

(usure) a toujours été conçue de manière très stricte par les fuqahâ’ qui se sont ingéniés à traquer, dans
leur travail doctrinal sur les contrats, le moindre enrichissement fondé sur le hasard ou l’intérêt. C’est
ainsi que la rente viagère est interdite, autant que le prêt à intérêt. Mais les commerçants avaient par
ailleurs des relations internationales et des coutumes anciennes ou nouvelles en la matière, Fin dépit de la
théorie, qui ne prenait en considération que les témoignages, ils continuèrent à utiliser des écrits. Le point
de rencontre fut trouvé par l’institution du notariat, les notaires étant alors, devant le qâdî, des témoins
professionnels qui avaient le droit de s’aider de textes. Ils tournèrent la loi islamique d’abord par des
procédés simples. Mais très vite les savants eux-mêmes se mirent au service des commerçants et des
systèmes complexes de ruses furent élaborés. Ils agissaient comme des muftî, comme des consultants. Le
système finalement poussait au respect de la loi sur le plan formel et maintenait l’ascendant du droit
musulman. Les procédés étaient plus compliqués dans certains cas. Pour éviter qu’une partie refuse
d’accomplir la transaction qui lui était désavantageuse, des documents explicatifs étaient remis à un tiers
digne de confiance. Toute une série de contre-preuves écrites était signée par avance. Les ruses
contribuèrent ainsi au développement du notariat. Une véritable technique naquit, la science des
conditions, des stipulations (churût) et les notaires s’efforçaient d’ajuster au mieux la volonté des parties
et le droit.
131Les hanéfites favorisèrent les ẖiyâl et même les maîtres du hanéfisme (Abû Yûsuf et ach-Chaybânî)
écrivirent des traités sur la question (ou du moins on leur attribua ces traités). Les autres écoles suivirent
avec plus ou moins de réticences, et même les plus rigoristes (hanbalites) considèrent que certaines ruses
sont légales. Les ruses ne portèrent pas seulement sur le droit commercial, mais sur tous les sujets, même
les plus sacrés. La science des churûṯ fut aussi une spécialité hanéfite.
§ 3 - Les chiites au 3e/IXe siècle

13287 — Les duodécimains et septimanains. Ja‘far as-Sâdiq (ob. 765), sixième imâm des duodécimains,

laissa à sa mort un fils cadet, Mûsâ al-Kâẕim, et les enfants de son fils aîné Isma’îl qui était mort avant
lui. Les partisans de son fils cadet Mûsâ al-Kâẕim, en firent le septième imâm chiite, et reconnurent
ensuite ses descendants comme imâm, jusqu’au douzième. Ce sont les duodécimains ou imamites. Les
partisans des fils du fils aîné Isma’îl, sont les septimanains ou ismaéliens. Ils furent à l’origine du
mouvement qarmate (voir n° 117) et de l’empire fatimide (voir n° 119). Ils se sont divisés à leur tour
pour des raisons diverses en druzes, musta‘lî et nizaris, ce que nous verrons à propos des Fatimides (n
° 119 et 135).
133Le fils de Mûsâ al-Kâẕim fut cet ‘Alî ar-Riḏâ que al-Ma’mûn avait désigné comme successeur et qui

était mort avant lui (818). C’est le huitième imam duodécimain.


134Le neuvième fut Muẖammad al-Jawâd at-Taqî, son fils, encore enfant, ce qui souleva des discussions

chez les chiites : comment un impubère peut-il jouer le rôle mystique d’un imâm tel que le définit la
conception chiite ? Il mourut en 835.
135Le dixième fut ‘Alî al-Hadî an-Naqî, fils du précédent. Il vécut à Médine, puis sous la surveillance

constante du calife al-Mutawwakil à Samarra, d’où son surnom d’al-‘Askarî, le prisonnier. Il mourut en
868.
136Le onzième imam, al-Hasan al-‘Askarî az-Zakî, vécut lui aussi en résidence surveillée. La secte
extrémiste des nusayriya se réclama de lui. Fondée par Muẖammad Bn Nusayr an-Namîrî, cette secte
voyait en al-Hasan al-’Askarî l’incarnation de l’Esprit saint. Par la suite an-Nusayr se donna lui-même
comme cette incarnation. La secte tendait à rejeter les obligations cultuelles (Laoust, Schismes, p. 147).
Ses partisans s’établirent sur la côte syrienne au cours du siècle suivant.
137L’année de la mort de al-Hasan al-’Askarî (260/874) est la même que celle de la disparition de son fils

Muẖammad, alors très jeune. Les duodécimains considèrent ce Muẖammad Bn al-Hasan comme le
douzième et dernier imâm, l’imâm absent, le Mahdî, celui qui doit revenir à la fin des temps et remplir le
monde de justice. Mais il y eut d’autres chiites pour songer à un treizième imam, ou pour considérer le
onzième comme le Mahdî. . (voir Laoust, Schismes, p. 148 sq.)
138Les chiites duodécimains divisent l’histoire de leur droit en distinguant toujours comme première

période celle de la présence des imams, soit jusqu’en 260/874, date de l’occultation du douzième (dite
petite occultation). Pendant cette époque et tout le 3e/ixe siècle, la tendance dominante fut celle des
traditionalistes. Deux noms se détacheront au siècle suivant, al-Kulaynî et Bn Bâbawayh dit as-Sadûq
pour illustrer cette voie. Toutefois on remarque au 3e/ixe siècle l’existence de juristes adeptes de l’usage
du qiyâs comme Faḏl Bn Chadhân al-Naysâbûrî.
13988 — Les zaydites. La révolte zaydite de 815 à Basra et Kûfa fut écrasée la même année par les

troupes du calife. Elle fit appel à plusieurs Alides, des lignées de Hasan et Husayn. Le frère d’un de ces
imams éphémères, al-Qâsim Bn Ibrahim ar-Rassî a une grande importante dans le droit zaydite puisqu’il
fit l’unité doctrinale des zaydites en matière juridique. Descendant de ‘Alî par Hasan, il étudia surtout le
hanéfisme. Il est proche des mutazilites en théologie. Il polémiqua contre Ibn Muqaffa‘, contre les
chrétiens, les sunnites, les chiites extrémistes. Al-Qâsim est la référence du zaydisme actuel subsistant (au
Yémen surtout).
140Les zaydites sont divisés en diverses sectes. Au cours de ce 3e/ixe siècle, les zaydites fondèrent un
petit État en 250/864 sur les bords de la Caspienne (Tabaristân, Daylam) et se maintinrent, avec des
fortunes diverses, jusqu’au 6e/XIIe où ils furent remplacés par les ismaéliens d’Alâmût (voir Laoust,
Schismes, p. 135-140).
141Le petit-fils d’al-Qâsim ar-Rassî, Yaẖya Bn al-Husayn, dit al-Hadî ilâ l-Haqq, réussit à fonder l’État

zaydite du Yémen en 897. C’était par ailleurs un théologien polémiste. La dynastie qu’il inaugura s’est
maintenue au Yémen jusqu’à nos jours, après bien des éclipses et des péripéties, il est vrai.
142Le fiqh zaydite adopte certains détails chiites en ce qui concerne le culte, mais rejette le mariage

temporaire (mut‘a), les mariages mixtes (musulman / femme dhimmî). Les zaydites aiment bien les
divergences, mais elles sont tout à fait sunnites.
143On a donné dans l’annexe 2, la liste des principaux auteurs zaydites du 3e/IXe et au delà.
§ 4 - Les hanéfites et chaféites en Orient

14489 — Irak et Syrie-Palestine. En Irak et Syrie-Palestine, le gouvernement central abbasside adopta le

hanéfisme et il nomma une série de juges hanéfites. L’événement symbolique de cette promotion du
hanéfisme est la commande que Harûn ar-Rachîd fit à ach-Chaybânî d’un traité sur les impôts. Le grand
auteur écrivit alors le Kitâb al-kharâj, qui traite non seulement de l’impôt foncier, mais aussi de maints
problèmes de gouvernement. Le hanéfisme devint la doctrine officielle de l’empire et se répandit surtout
en Asie musulmane.
145Par ailleurs, on a montré (Melchert et d’autres) que la situation du hanéfisme est bien moins claire à
cette époque. L’école n’avait pas la cohérence ni l’orthodoxie sunnite qu’elle a eues par la suite. Des
juristes mutazilites ou murjites se réclamaient d’Abû Hanîfa. Des “indépendants”, voire des traditions
locales (comme celle de Basra), existaient. Il semble bien que l’historiographie postérieure a fait de ces
personnages des hanéfites respectueux de la Sunna et des successeurs officiels de ach-Chaybânî. Sous la
pression des traditionnistes (ahl as-sunna), la pensée de Abu Hanîfa aurait été, au cours du 3e/ixe siècle,
progressivement transformée dans un sens plus traditionaliste. Ibn Chudja’ ath-Thaljî aurait été le
pionnier de cette opération. Plus tard des recueils de ẖadîth de Abû Hanîfa (ceux qu’il était censé avoir
utilisés) furent écrits, et plus ils étaient tardifs, plus Abû Hanîfa semblait se fonder sur des ẖadîth
prophétiques (et non plus principalement sur des ẖadîth des Compagnons). Les principaux auteurs de cette
époque que l’on rattache au hanéfisme sont répertoriés dans l’annexe 2.
146A Baghdad, on rattache au chaféisme un certain nombre d’auteurs, al-Karâbîsî, al-Za’farânî, al-Kinânî,
Abû Thawr, al-Muẖâsibî, le célèbre mystique, tous associés à Ibn Kullâb, le théologien, dont on ne sait
pas s’il fut chaféite (cf. annexe 2). Ils transmirent la première doctrine d’ach-Chafi’î. Ils sont considérés
comme semi-rationalistes et furent attaqués par Ibn Hanbal. Dâwûd aẕ-Ẕâhirî et aṯ-Ṯabarî furent parfois
comptés comme chaféites, quoique indépendants. Pour Melchert, ils ne forment pas encore une véritable
école avant Ibn Surayj.
147Ce dernier apparaît à la fin du 3e/ixe siècle à Baghdad. Le relevé de ses maîtres n’est pas bien établi.

Il travailla pour le cadi malékite Ismâ’îl (cf. n° 92). Il fut nommé cadi de Chiraz à une époque
indéterminée. Ce qu’Ibn Surayj écrivit (un mukhtasar ?) est connu seulement par citations. Ce qui est sûr
c’est qu’il défendit avec constance les points de vue chaféites contre les autres écoles. Il organisa (fonda
selon Melchert) l’école chaféite. Considéré comme chef de l’école, il eut de nombreux étudiants qui
produisirent des ta’liqât, des commentaires sur l’oeuvre d’ach-Châfi‘î, travaux qui jouaient le rôle de
dissertations de fin d’études. L’apparition, dans les dictionnaires biographiques, de la mention de ces
ta’liqât pour la première fois seulement à propos des élèves de Ibn Surayj a amené Melchert à ne parler
d’école qu’à partir de ce moment-là (voir aussi Makdisî). Parmi les élèves d’Ibn Surayj, on note al-
Ach‘arî, le célèbre théologien (cf. n° 112).
14890 — Égypte. En Égypte, c’est d’abord le malékisme qui s’implanta solidement, grâce aux disciples

directs de Mâlik (cf. n° 92). Puis ach-Châfi‘î, comme le sait, développa sa propre école, le chaféisme,
qui vint concurrencer le malékisme en Egypte au 3e/ixe siècle et finit par être majoritaire dans le peuple.
149Le rite hanéfite se répandit aussi dans le pays au cours de la même période, mais ne fut jamais un rite

populaire comme les deux précédents. Le premier cadi hanéfite fut Ismâ‘îl Bn al-Yasa‘. Mais,
contrairement à son rite, il prononça nombre de dissolutions de waqf et suscita le mécontentement. Il fut
destitué en 783. (Coulson, chap. 7). Chaque cadi suivait strictement son école, mais on connaît des
exceptions comme le juge Ibrahim Bn Jarraẖ, cadi de 820 à 826, qui choisissait la solution des litiges en
utilisant les trois écoles (Coulson, chap. 7). C’est tout de même le signe que des juristes indépendants
continuaient d’exister au 3e/ixe siècle. En 833 le cadi hanéfite al-Layth, mutazilite, appliqua la politique
d’Al Ma’mûn pour écarter les chaféites et les malékites. Évidemment, quand le mutazilisme ne fut plus la
doctrine de l’empire, ce fut le tour des hanéfites d’abandonner les places.
150La situation du chaféisme était comparable à celle du hanéfisme pour ce qui concerne la fixation de la

doctrine et la formation de l’école. Selon Calder, la Risâla d’ach-Châfi‘î n’a été publiée qu’un siècle
après la mort de son auteur (vers 300/912), ce qui décale d’autant la formation de l’école chaféite. Pour
Melchert, on ne peut parler d’école chaféite avant Ibn Surayj. Mais ce dernier n’eut pas d’influence en
Égypte et son élève Abu Ishâq al-Marwazî y fut mal accueilli. En Egypte, de tous les auteurs qu’on a
relevés dans l’annexe 2, le plus important est al-Muzânî, par son Mukhtasar et par ses élèves. Sont à
noter aussi ar-Rabî’ Bn Sulaymân al-Murâdî qui aurait compilé le Kitâb al-umm d’ach-Châfi‘î, et Abû
Aẖmad al-Mulqî dont l’ouvrage de fiqh a été beaucoup étudié à l’époque.
15191 — Perse, Transoxiane.. Le hanéfisme se répandit spécialement au Khorassan et en Transoxiane à

partir de l’Irak. Les Tahirides, les Saffarides et les Sammanides furent des hanéfites. Les plus importants
sont les Sammanides, des Iraniens de vieille souche, respectueux du calife, et qui menèrent une politique
de conversion en Extrême-Orient en direction des populations turques. Ils furent d’ailleurs les premiers à
s’en servir comme mercenaires, ce que les califes abbassides firent aussi par la suite.
152Le chaféisme fut aussi très présent en Orient, à Ispahan, au Khorassan et en Transoxiane, dès le 3e/ixe

siècle. C’était un chaféisme non organisé en école, mais avec des maîtres réputés comme Muẖammad Ibn
Nasr al-Marwazî.
§ 5 - Les malékites en Orient et en Occident au 3e/IXe siècle

153A la mort de l’imâm Mâlik (179/795), le malékisme comptait sept Égyptiens, sept maghrébins et

seulement trois orientaux, un médinois et deux irakiens. Le malékisme se répandit donc bien en Egypte et
au Maghreb, mal au Moyen Orient et pas du tout en Asie.
15492 — En Orient. Le malékisme continua à Médine. Les sources citent plusieurs juristes de la
génération des élèves de Mâlik, comme Ibn Mâjichûn (Békir, p. 77-78, Melchert p. 164-169) (voir
annexe 2). La plupart d’entre eux sont à classer parmi les gens du raisonnement (ahl ar-ra’y). Mais le
malékisme disparut de Médine dans le courant du 3e/ixe siècle.
155A Baghdad, ‘Abd ar-Raẖmân al-Qa‘nabî, le cadi Isma‘îl Bn Isẖâq, et d’autres, inaugurèrent la tradition
malékite orientale. Le plus prestigieux fut le cadi Isma’îl Bn Isẖaq. D’une famille de cadis malékites, il
exerça une grande influence au cours de la restauration sunnite sous Mutawakkil. Devenu grand cadi, il en
profita pour nommer des collègues du même rite, asseyant pour longtemps le malékisme à Baghdad et en
Irak. Il est célèbre aussi pour avoir poursuivi divers personnages considérés comme hérétiques (Dâwûd
aẕ-Ẕâhirî, et le soufi an-Nûrî). Son oeuvre écrite est perdue. Selon Melchert, il aurait réconcilié l’aile
traditionniste du malékisme avec la majorité des malékites partisans du ra’y. Il mourut en 895. Un autre
cadi célèbre fut son neveu Yûsuf al-Azdî, surveillant des marchés et des moeurs (muẖtasib), puis grand
cadi de Baghdad après Ismâ’îl.
156Le malékisme s’établit quelque temps en Syrie où il entra en concurrence avec la doctrine d’al-Awzâ‘î.

Dans le Khurasân, le malékisme eut quelques maîtres, mais il disparut dès le 3e/ixe siècle. Il en fut de
même au Yémen.
157En Égypte, le malékisme triompha du vivant de Mâlik, donc dès la fin du 2e/viiie siècle, grâce aux sept

disciples de l’imâm, premiers compilateurs du rite. Parmi ces élèves on remarque Ibn al-Qâsim et
Achhâb al-Qaysî qui firent les premières versions du Muwaṯṯa’. Ibn Wahhab et Muẖammad Bn ‘Abd al-
Hakam furent les premiers juges de l’Égypte. Comme on l’a vu, le malékisme se heurta au 3e/ixe siècle à
la montée d’un rite concurrent, le chaféisme. Une littérature malékite anti-chaféite naquit à cette époque,
en Égypte, aussi bien qu’en Orient, et se continua par la suite (cf. A. Békir, p. 54 sq.). L’Egypte eut un
polémiste malékite célèbre, Al-Harîth Bn Miskin, successeur d’al-Qâsim, qui ne fit aucune concession au
pouvoir abbasside, combattit le hanafisme, le chaféisme, le chiisme et le mutazilisme, “aggravant encore
son cas par des sympathies umayyades déclarées” (Laoust, Schismes, p. 109).
15893 — Au Maghreb. Les sept élèves maghrébins que Mâlik avait apportèrent sa doctrine en Espagne et

au Maghreb. La compilation du malékisme a été en grande partie l’oeuvre de ces Andalous et de ces
Africains.
159En Tunisie (Ifriqîya), l’introducteur du malékisme fut Asad bn Furât. Il étudia d’abord le rite hanéfite,
puis le rite malékite avec Ibn al-Qâsim. Il écrivit une compilation des dires de Mâlik selon Ibn al-Qâsim,
al-Asadiya, qu’il enseigna en Tunisie à son retour. Son élève Suẖnûn (souvent écrit Saẖnûn), alla à son
tour écouter Ibn al-Qâsim, avec qui il examina l’ouvrage de Asad Bn Furât. Ils écrivirent à ce dernier
pour lui demander des modifications, ce qu’il refusa. Alors Suẖnûn composa la fameuse Mudawwana al-
kubrâ, la bible du malékisme, qu’il tira des réponses d’al-Qâsim à ses nombreuses questions (Ibn
Khaldûn, 3, 942). On a jugé la Mudawwana comme une accentuation du rigorisme malékite. Suẖnun est
aussi célèbre par sa fameuse réflexion à sa fille, le jour de sa nomination comme cadi, en 848 :
“Aujourd’hui ton père est assassiné sans couteau” (Coulson, p. 126). C’est une réflexion que l’on trouve
dans la Sunna. Elle exprimait la méfiance constante des fuqahâ’ envers les politiques qui ne cessaient
d’intervenir dans la justice, aussi bien au niveau du contenu des jugements que sur les nominations et
destitutions des cadis.
160En même temps que le malékisme, en Tunisie, l’ibadisme s’était fortement implanté, comme on l’a vu.
Le hanéfisme eut aussi des adeptes jusqu’à l’époque ziride.
161Au Maroc et en Algérie, pendant le 3e/ixe siècle, la grande affaire était la lutte contre le kharidjisme et

le mutazilisme : le malékisme n’était pas majoritaire. Le christianisme et le paganisme étaient aussi fort
présents. Le royaume idrisside était peut-être chiite, mais on en sait peu de choses. A cette époque on
n’en était donc pas au choix du rite, mais encore au choix de la religion. Un fait semble certain, c’est que
les différents groupes ne se faisaient pas la guerre pour des raisons religieuses et qu’ils faisaient cause
commune contre les Abbassides. La religion montante était le sunnisme malékite, probablement sous
l’influence des Espagnols qui envoyaient leurs docteurs dans les grands centres, et les chrétiens, juifs et
idolâtres se convertissaient à l’islam par vagues successives.
16294 — En Espagne. L’Espagne pendant la période des Umayyades de Cordoue fut sunnite et malékite.
Les doctrines kharidjites, chiites, mutazilites, ne s’implantèrent pas. Selon le cadi ‘Iyâḏ, un historien
malékite du 6e/xie siècle, c’est le calife Hichâm qui imposa le malékisme. Mais selon le zahirite Ibn
Hazm (n° 124), c’est le cadi Yaẖya Bn Yaẖya al-Laythî qui fit triompher le rite malékite en ne nommant
que des collègues de son rite. Le rite élimina ainsi les adeptes d’al-Awza’î, l’imâm de l’école de Syrie.
On a indiqué dans l’annexe 2, les transmetteurs de la doctrine en Espagne.
163Le malékisme espagnol était d’esprit très traditionniste et très jurisprudentiel : il transmettait non des
ẖadîth, mais les dires du maître (Mâlik). Quoique rapportant des avis (ra’y), il était dénué d’aspects
théoriques (Turki, p. 283). C’était l’époque des masâ’il (cas d’espèce), des nawâzil (cas réellement
survenus), des fatâwâ (consultations), des aẖkâm (décision juridiques) et des wathâ’iq (actes notariés),
toute cette matière dépendant du Muwaṯṯâ’ et de la Mudawwana. Deux auteurs dominaient le 3e/ixe
siècle. Le premier, ‘Abd al-Mâlik Bn Habîb, étudia avec al-Qâsim en Égypte et écrivit al-Wâḏiẖa (la
Claire). Le second, son élève al-‘Utbî, écrivit à son tour al- ‘Utbiya qui fut par la suite souvent
commentée (Ibn Khaldûn, 3, 941) et déclassa la Waḏîẖa. Selon Melchert (p 159), une offensive de
traditionnistes porteurs de ẖadîth eut lieu dans le courant du siècle. Ils furent mal accueillis et les juristes
d’Occident continuèrent à préférer leur méthode. Les autres rites n’avaient presque pas d’adeptes, mais
les lettrés connaissaient le hanéfisme et le chaféisme.
164Melchert explique la forte personnalisation de l’école malékite au Maghreb et en Espagne par la

situation obsidionale des malékites ou par l’appui des souverains (p 39, 162). En fait, le développement
de l’école malékite cadre assez mal avec sa théorie, car on a une école bien marquée, bien unifiée, et un
enseignement qui ne suit pas les manières orientales telles qu’elles sont décrites par Melchert à propos
de Ibn Surayj.
§ 6 - Les hanbalites

16595 — Ibn Hanbal (740-855). Né en 740 à Baghdad, il était d’origine arabe. C’est un traditionniste qui

ne voulut être que traditionniste. Il voyagea beaucoup au Moyen Orient pour étudier le ẖadîth sous les
maîtres traditionnistes de l’époque (voir Laoust, Schismes, p. 115 sq.). Néanmoins il avait probablement
rencontré ach-Châfi‘î et était fort au courant des doctrines juridiques. Lui-même, quand il se mit à
enseigner à Baghdad, pratiqua le ra’y (jugement personnel) en cas de nécessité, en donnant ses fatâwâ. Il
mettait par écrit les traditions, et permettait à ses étudiants d’en faire autant, mais il n’admettait pas qu’ils
prennent note des opinions, pas même des siennes. On a fait allusion aux épreuves que lui ont fait subir
les califes mutazilites, parce qu’il refusait d’admettre la création du Coran. Son oeuvre principale est le
Musnad, un recueil de ẖadîth compilé par son fils ‘Abd Allâh et dont la version finale a été faite par Abû
Bakr al-Qaṯî’î qui rajouta des ẖadîth contestables. Ibn Hanbal a laissé d’autres oeuvres : des fatâwâ, des
professions de foi sunnites, des ouvrages sur le scrupule religieux, sur l’ascétisme, sur les premiers
califes. Il mourut en 855.
166Ibn Hanbal mit au net la doctrine théologique sunnite opposée au mutazilisme, et que reprendra en

grande partie l’acharisme. Le Coran est la parole de Dieu incréée. La tradition est la source unique de
toute morale et de tout droit. Hostile à toutes les sectes non sunnites, Ibn Hanbal n’admettait pourtant pas
qu’on traite les hérétiques de mécréants passibles de mort (opération dite takfîr), car Dieu seul est juge
des consciences, et tendait à lui substituer l’éloignement, la mise à l’écart (tabdî‘) (Laoust, ibid.).
167Ibn Hanbal reconnaissait la nécessité du califat qui devait être dévolu aux Quraychites. Il admettait
l’excellence des califes dans l’ordre de leur succession et faisait même une place honorable à Mu’âwiya.
Il recommandait d’éviter d’évoquer les querelles politiques. L’obéissance aux pouvoirs était placée haut,
et le devoir d’ordonner le bien et d’interdire le mal n’était reconnu que dans la mesure où il ne suscitait
pas la discorde.
168En droit, Ibn Hanbal se méfiait de tous les procédés rationnels que ce soit l’istẖsân d’Abû Hanifa ou

l’analogie admise par tous. Certes il la reconnaissait, mais il la plaçait loin derrière le Coran et la Sunna
qui étaient l’objet de tous ses soins. Pour lui le Coran a un caractère général. La Sunna l’explique et le
complète. Il plaçait les traditions du Prophète bien établies, même isolées, au-dessus de tous les dires des
Compagnons. Néanmoins ce qui provenait de ces derniers devait passer avant l’analogie. En cas de
divergences entre les Compagnons, il cherchait un appui dans le Coran ou la Sunna pour trancher, sinon il
préférait les rapporter sans choisir. Les ẖadîth mal établis (faibles) ou mal reliés au Prophète (mursal)
devaient passer eux aussi avant l’analogie. On ne devait avoir recours à cette dernière qu’en cas de
nécessité.
169Les premiers imams, Abu Hanîfa surtout, avaient recours à la raison pour éliminer les contradictions et

les inventions qui pouvaient se trouver dans les traditions de leur époque. Le quatrième fondateur de rite
accentua au contraire la volonté chaféite du respect de la tradition et du rejet des procédés rationnels :
ainsi, plus le temps éloignait du Prophète et plus on mettait l’accent sur la Sunna. Certes, la méfiance
envers les traditions fausses subsistait toujours, mais on avait perdu confiance dans la raison comme
guide dans le choix des traditions, et probablement la foi au caractère rationnel de la Sunna.
17096 — Traits distinctifs du hanbalisme. Ce qui distingue donc le hanbalisme des autres rites est

l’accumulation des traditions, l’esprit de fidélité à la lettre et l’hostilité aux innovations. Sur le fond, le
hanbalisme exalte la valeur de l’intention, contre les ẖiyâl (ruses). Selon Laoust (Essai, p. 78 sq.), le
hanbalisme a plus que les autres rites le sens de la sociabilité et de l’esprit communautaire. Il concilie
bien l’apostolat et l’obéissance aux autorités. C’est un rite réaliste et mesuré, faisant bien place à
l’activité commerciale. Le rite n’est pas toujours aussi rigoriste qu’on le dit. Par exemple, en matière
pénale, pour la récidive du vol, il se rallie à la position hanéfite qui n’admet que deux amputations et
refuse la troisième et quatrième amputation qu’admettent les chaféites et malékites. Melchert a montré
aussi que le hanbalisme, expression juridique des ahl as-sunna, s’est rapproché des autres rites issus des
ahl ar-ra’y, au début du 5e/xie siècle.
17197 — Compilation et diffusion du hanbalisme. Le hanbalisme fut compilé par les fils de Ibn Hanbal,
Sâliẖ, mais surtout ‘Abd Allâh qui mit en ordre le Musnad. A l’inverse des recueils de ẖadîth de son
époque, le Musnad est classé suivant les rapporteurs : les ẖadîth d’Abû Bakr viennent en premier, puis
ceux de ‘Umar, puis ceux de ‘Uthmân, etc. Abû Dâwûd as-Sijistânî, et le fils d’Ibn Hanbal, Abû Bakr,
rapportèrent les fatâwâ de leur maître et père. Un élève de l’imam, Abû Bakr al-Marwadhî, transmit à
Abû Bakr al-Khalâl la matière d’un gigantesque Kitâb al-Jâmi‘, la compilation du hanbalisme où de
nombreux dires contradictoires sont rapportés sur l’enseignement du maître. Al-Khalâl y ajouta divers
ouvrages dont une histoire du hanbalisme, le Ghulâm al-Khalâl. Selon Melchert, ce pourrait être le
véritable fondateur de l’école, mais sa filiation spirituelle est mal assurée : un seul des grands hanbalites
du siècle suivant fut son élève (Ibn Ja‘far).
172Le hanbalisme resta fort à Baghdad, essaima en Syrie, mais ne devint jamais une école nombreuse. On

a discuté des raisons de ce manque de succès. Selon Abû Zahra, il serait dû à l’arrivée tardive du rite, à
l’hostilité du rite envers l’ijtihâd, à sa répugnance à l’exercice de la justice, enfin à son goût pour la
violence. Melchert discute ces affirmations en faisant ressortir que les autres écoles sont tout aussi
tardives, qu’il y eut des juges hanbalites à Ispahan, au Khurasan, à Kûfa..., et que le refus de la violence
provenait des élèves étrangers des hautes classes surtout attirés par le prestige plus grand de maîtres
comme aṯ-Ṯabarî. Ajoutons que l’ijtihâd est tout de même admis dans le hanbalisme (après les traditions
du Prophète, même isolées) comme dans le chaféisme... Remarquons aussi que l’influence du hanbalisme
déborda toujours le nombre de ses adeptes. Le dévouement des hanbalites envers la Sunna, leur
intransigeance même, eut toujours un impact sur les autres rites. C’est eux qui donnaient le brevet
d’islamité.
§ 7 - Le zahirisme et les autres écoles sunnites. Les ibadites

17398 — Dâwûd Bn ‘Alî Bn Khallaf al-Isbahânî aẕ-Ẕâhirî (815-883). Né vers 815 à Kûfa, il fut
surnommé al-Isbahânî, du fait de sa mère qui était d’Ispahan. Il étudia à Basra, Baghdad, Nîsâbûr et
s’établit à Baghdad comme muftî chaféite. Par la suite, il s’attacha aux gens de la tradition (ahl as-sunna)
et il en poussa la doctrine à l’extrême en rejetant notamment le recours à l’analogie (qiyâs), le principe
du taqlîd (imitation) où les disciples suivent chacun un imâm. Dâwûd ne voulut que se fier au sens obvie
(ẕâhir) du texte (Coran et Sunna) et à l’unanimité des Compagnons du Prophète. Mais il dut raisonner
pour éliminer les traditions qui prônaient le ra’y ou l’analogie. Certaines sources, repérées par Melchert,
ne le présentent pas comme un traditionniste, mais plutôt comme un raisonneur chaféite et peut-être
quelque peu hérétique (p 180 sq.).
174Il fut l’auteur de nombreux traités, presque tous perdus. Il fit l’objet de réfutations de la part des
juristes hanéfites et chaféites. Les divergences du rite portent surtout sur les questions d’usûl al-fiqh et de
culte. Dâwûd mourut à Baghdad en 883. L’école (cf. annexe 2) n’eut jamais un grand succès, malgré
l’appui que lui apportèrent les Buwayhides à l’époque suivante. Il semble que ce soit ses positions en
matière d’usûl al-fiqh qui furent rejetées par la majorité (Hallaq, p. 8), mais plus encore son incapacité à
fonder une école avec tout son système d’enseignement (Melchert, p. 188). La doctrine zahirite ne se
répandit que par les livres, et c’est par ses lectures que le grand andalou Ibn Hazm se rallia au zahirisme
(cf. n° 124).
17599 — Abû Ja’far Muẖammad Bn Jarîr aṯ-Ṯabarî (839-923) est un grand auteur. Né en 839 dans le
Tabaristan, il étudia à Rayy, à Baghdad, en Égypte, puis s’installa à Baghdad. Il refusa des postes dans
l’administration ou la justice et se consacra à son oeuvre érudite. Il a écrit notamment une histoire du
monde, Tarîkh ar-rusul wa l-muluk et un commentaire du Coran, Jamî‘ al-bayân fi tafsîr al-Qur’ân,
d’une valeur inestimable l’un et l’autre par leur ampleur et leur qualité.
176Son oeuvre juridique est malheureusement presque toute perdue. Il reste des parties d’un Kitâb ikhtilâf

al-fuqahâ’ (Livre des divergences des fuqahâ’). Associé d’abord au zahirisme et au hanbalisme, aṯ-
Ṯabarî fonda sa propre école qui n’eut pas grand succès. Il aurait cherché à faire une synthèse générale
des rites sunnites. Il s’attira la hargne des hanbalites par ses positions moyennes en théologie, peut-être
aussi par son peu d’estime pour Ibn Hanbal comme juriste. Les hanbalites cherchèrent à le faire
condamner pour hérésie, mais en vain. Il mourut en 923 et on dut l’enterrer en cachette. Son école, dite
Jarîrîya, disparut assez vite. Il ne semble pas qu’elle ait été très différente du chaféisme. La raison de la
disparition de l’école semblent la même que celles de l’école zahirite : trop livresque.
177Les écoles qui ont disparu faute d’adeptes, ne peuvent être restaurées, puisqu’il y a eu consensus de

tous les croyants contre l’école défunte. Mais il faudrait rechercher s’il existe des fatâwâ sur ce point.
178100 — Les ibadites. La fin du 2e/VIIIe et le 3e/IXe fut la grande période de la secte ibadite, en raison

essentiellement de la constitution et de la survivance des royaumes maghrébins de Tripolitaine et de


Tahert (cf. E. I2. et Charles André Julien). Les ibadites s’étaient établis dans la zone steppique, propice
aux nomades. En dépit de cela, ils attiraient de nombreux moyen-orientaux, kharidjites, qui voyaient là un
lieu de paix pour vivre leur foi dissidente. La capitale, Tahert, était une citadelle rustique. Ibn Rustum et
les siens menaient une vie ascétique, partageant leurs revenus. Cependant l’imam était épié par les ulamâ’
et leur censure tournait facilement au schisme. La controverse religieuse devint l’âme de la vie ibadite.
Elle passait de la plus grande tolérance (avec les chrétiens notamment) au fanatisme puritain avec la plus
grande facilité.
179A Ibn Rustum succéda vers 776, ‘Abd ar-Raẖmân Bn Rustum ; puis de 784 à 825 ‘Abd al-Wahhâb Bn

‘Abd ar-Raẖmân qui tenta en vain de reprendre la Tunisie et finit par établir en 787 une paix durable avec
les gouverneurs abbassides. De 825 à 871 l’imam fut al-Aflâẖ Bn ‘Abd al-Wahhâb dont le long règne
marque l’apogée de la dynastie, quoique son royaume fut coupé en deux par l’avancée des Aghlabides
dans le Sud tunisien (839). Des schismes éclatèrent ensuite et le royaume se décomposa. La Tripolitaine
passa aux Aghlabides en 896, mais le Jabal Nafûsa resta indépendant et ibadite. Tâhert tomba en 911 sous
les coups des Fatimides. L’imam de l’époque, Abû Yûsuf Yaqûb, et les ‘ulamâ’ ibadites se réfugièrent à
Sadrâta (Wargla). On trouvera dans l’annexe 2, le nom de quelques docteurs ibadites de cette période.
180L’ibadisme était aussi vivant en ‘Umân. Ce royaume connut un sort analogue, c’est-à-dire qu’à la fin du

siècle les discordes l’affaiblirent considérablement. Les Abbassides reconquirent le pays en 893.
L’ibadisme retourna donc à l’état de kitmân.
181101 — Conclusion du chapitre. Les pieux qui ouvrent la période, les traditionalistes, avaient donc
gagné la partie sur le terrain des principes à la fin du 3e/ixe siècle. Tous les juristes durent finalement se
réclamer du Coran et de la Sunna, conçue comme celle du Prophète. Pourtant, comme les solutions aux
problèmes juridiques ne pouvaient être que tardives, les traditionalistes ont perdu en ce qui concernait le
fond du droit et c’est un droit umayyade qui fut adopte (Schacht, Introduction, passim). Néanmoins, avec
son habit traditionniste, il perdait sa souplesse et le droit musulman garda un caractère fixiste que vint
renforcer le passage de l’oral à l’écrit. Les successeurs des fondateurs furent condamnés, pour la majorité
des solutions, à l’imitation des maîtres (taqlîd), puisqu’il n’était plus possible, pour eux, de prétendre
avoir retrouvé un ẖadîth du Prophète. On ne tenta jamais de prôner les vertus de l’innovation ou de
l’adaptation ; au contraire, la chasse à l’innovation blâmable (bid‘a) fut l’occupation principale des
savants. Le retour au système umayyade où le pouvoir pouvait modifier le droit ne fut plus possible, si
tant est que cette situation n’ait jamais existé. Ce n’est pas dire que le droit musulman n’a plus jamais
évolué, ni que les États ne sont plus jamais intervenus en la matière, mais leur tâche devint plus difficile,
d’avance condamnée par l’orthodoxie, car selon celle-ci le droit musulman doit être immuable, “valable
pour tout temps et tout lieu”.
Notes
1 Voir plus loin. n° 87, le point de vue de C. Melchert.
2 Ce passage, ainsi que ceux qui lui correspondent pour les autres rites ne seront bien compris que par la lecture parallèle des chapitres 5 et 7
de la partie systématique (t. II).
3 Le même débat a été repris au xxe, contre le chef d’État libyen, al-Qadhdhâfî (Kadhafi), qui rejette la Sunna.
4 C'est évidemment une simplification. Les ulémas ne pénètrent pas dans les gynécées qui sont souvent le lieu de pratiques magiques et de
croyances folkloriques. De plus les femmes participent beaucoup moins que les hommes à la vie religieuse publique.
Chapitre III. L’époque classique des rites
4e-12e/xe-xviiie siècles

1102 — Problèmes de l’histoire des rites. Il est généralement admis que le fond du droit musulman ne

changea pas tout au long de son histoire classique, et que rien de vraiment nouveau ne fit son apparition.
Pourtant le droit musulman a bien une histoire, et elle est loin d’avoir été sérieusement explorée. La
doctrine a certainement plus évolué qu’on ne le pense et une véritable histoire du droit devrait suivre
cette évolution au moins chez les grands auteurs. Il faudrait surtout replacer cette évolution géographique
et doctrinale dans les différents contextes politiques et sociaux ce qui éclairerait d’autant les problèmes
relatifs à l’application du droit et à son enseignement.
2Dans l’histoire des rites, on voit souvent les auteurs aborder le problème historique des causes de leur

expansion. Par exemple chez Ibn Khaldûn, aussi bien que chez les modernes, (C.A. Julien, V. Monteil,
Boudhiba) on a souligné la convenance entre le caractère bédouin du Maghreb et le malékisme (Ben
Achour, 1992, chap. 2). Mais l’Espagne n’est pas du tout bédouine et elle a adopté le malékisme par la
décision de ses monarques. D’autres donnent alors la prééminence aux hommes politiques (Schacht).
Mais alors pourquoi les Fatimides n’ont-ils pas pu s’implanter durablement en Tunisie ni en Égypte et
pourquoi le hanéfisme n’a-t-il pas triomphé totalement, de l’Algérie à l’Irak, à l’époque ottomane ?
D’autres encore attribuent l’expansion des rites à l’existence de personnalités exceptionnelles, ce qui est
souvent l’opinion des auteurs arabes de ṯabaqât, mais on peut leur opposer des contre-exemples, comme
celui d’Ibn Hazm dont le génie n’a pas suffi à faire de l’Espagne un pays zahirite.
3Ces débats sont stériles et reprennent le plus souvent, avec d’autres mots, les faux problèmes de la
sociologie du xixe siècle : génies et milieu, individu et société, spiritualité et économie, infrastructures et
superstructures, essence et existence, etc. Des arrière-pensées philosophiques ou politiques expliquent
surtout la persistance de ces débats au xxe siècle., avec d’autres mots, suivant les modes théoriques :
charisme, structure, stratégies... Pourtant, dès qu’on entre dans le détail des faits, les contre-exemples
fourmillent, et toutes les théories se voient opposer la cruelle réalité dans sa complexité. Pour l’histoire
des rites, il conviendrait avant tout d’écrire de véritables histoires régionales du droit et on commencerait
à voir apparaître une problématique historique bien plus pertinente.
4103 — Plan du chapitre. On a vu, en introduction à la partie historique, que pour l’histoire des rites

islamiques, la plupart des ouvrages arabes distinguent quatre périodes. Cette division combine l’histoire
doctrinale et l’expansion géographique des rites. Mais elle semble cantonnée à la description des effets
en masquant les lignes de force véritables de l’histoire du droit : il faudrait surtout tenir compte des
évolutions politico-religieuses qui semblent donner à l’histoire du droit sa logique. Il conviendrait aussi
d’inclure dans cette histoire l’évolution des institutions, celle de l’enseignement du droit, celle de son
application... Malheureusement, une telle synthèse n’a jamais été réalisée, en dépit de nombreux travaux
de détail sur tel ou tel problème ou auteur.
5Nous essayerons tout de même une esquisse de cette histoire, au prix de quelques abandons (l’Afrique

noire, la Chine) et simplifications. Elle sera découpée en fonction des grandes périodes de l’histoire
politique du monde islamique. Bien évidemment les décalages entre les pays sont nombreux et de grandes
zones d’ombre subsistent dans le détail. Ces périodes correspondent à celles des historiens arabes de la
manière suivante.
6La première période peut être placée sous le signe de la prépondérance chiite, du 4e/xe siècle au milieu
du 5e/xie siècle. Le pouvoir dominant en Occident est celui du califat de Cordoue en rivalité avec le
pouvoir fatimide (chiite septimanain) de Tunisie pour le contrôle du Maghreb. Les Fatimides réussissent
à s’établir en Égypte en 969 aux dépens des Ikhchidides et à devenir le pouvoir dominant en Orient. Le
califat abbasside n’est plus que l’ombre de lui-même et il est contrôlé par les Buwayhides (chiites
duodécimains). Le sunnisme aurait peut-être disparu sans l’existence en Perse, en Afghanistan et en
Transoxiane de dynasties sunnites (Sammanides et Ghaznévides). Pourtant cette période marque l’apogée
de l’essor intellectuel arabo-musulman. Pour le droit, c’est le temps des grands traités de fiqh et des
polémiques entre les rites (section I).
7La deuxième période va du milieu du 5e/xie siècle au milieu du 7e/xiiie siècle et la prépondérance passe
de nouveau au sunnisme. En Occident c’est l’heure de gloire du Maroc dont les dynasties (Almoravides
puis Almohades) volent au secours de l’Espagne. En Égypte la dynastie fatimide s’affaiblit : elle est
incapable d’arrêter les Croisés en Palestine, lesquels profitent de la fragmentation politique de l’Orient.
Les Fatimides cèdent bientôt la place aux Ayyoubides, qui eux, repoussent les Croisés. En Orient
s’établissent les Turcs saljouqides, sunnites, nouveaux “protecteurs” du calife abbasside. La
fragmentation politique ne cesse d’ailleurs pas avec eux. Pour le droit, c’est le temps des premiers
résumes, c’est-à-dire de la fixation des doctrines moyennes officielles (section II).
8Dans la troisième période, qui s’étend du milieu du 7e/xiiie siècle au 9e/xve siècle, la décadence du

monde islamique devient patente. L’Orient est dévasté par les Mongols. Mais les Mamlûks d’Égypte leur
tiennent tête et sauvent l’essentiel de la culture arabe. En Occident dominent les dynasties mérinide et
hafside au Maroc et en Tunisie. Pour le droit, c’est le temps des commentaires des résumés, où la
créativité se tarit au profit de la technicité (section III).
9La quatrième période est celle où domine l’Empire ottoman, mais on l’arrêtera avant la chute de cet
empire, au moment de l’expédition de Bonaparte (du 10e/xvie au 12e/xviiie siècle). Malgré l’unité
politique retrouvée grâce à la puissance militaire des Turcs, l’époque voit se poursuivre la décadence
culturelle. Pour le droit, c’est le temps de la sclérose, des commentaires de commentaires, de plus en plus
obscurs, et des fatâwâ (section IV). Les xixe et xxe siècles feront l’objet du chapitre suivant.
SECTION I - LA PRÉPONDÉRANCE CHIITE L’ÂGE D’OR
DES TRAITÉS (4e/Xe AU MILIEU DU 5e/XIe SIÈCLE)
10L’histoire du monde musulman est désormais celle de noyaux nationaux et il ne convient pas de la

séparer de l’histoire des rites. On retouche en conséquence le plan suivi jusqu’ici et on présentera après
quelques généralités sur le contexte intellectuel et l’histoire du droit de cette période (§ 1), l’Orient (§ 2),
l’Égypte et la Syrie (§ 3), et l’Occident (§ 4). Nous essayons donc d’intégrer l’histoire de chaque rite
dans son contexte politique et intellectuel proche, étant bien entendu que le monde musulman forme un
ensemble où les contacts sont fréquents, par delà les frontières et les pouvoirs.
§ 1 - Généralités. Les institutions

11104 — La fermeture des portes de l’ijtihâd (4e/xe siècle). Selon un certain nombre d’orientalistes et

Schacht en particulier, un phénomène général se produisit à cette époque, c’est le sentiment que tout avait
été dit et que la recherche en droit musulman était close. L’existence de cette “fermeture des portes de
l’ijtihâd”, suivant l’expression arabe, ne faisait pas de doute parmi les juristes musulmans du xixe siècle
et les orientalistes les ont suivis. Cette théorie s’imposa longtemps et le thème de “la réouverture des
portes de l’ijtihâd” fut comme un cri de ralliement chez les réformistes (voir chapitre suivant).
12Mais en 1984, la théorie fut totalement remise en question par W. Hallaq. Il en démontra d’abord
l’impossibilité théorique : la doctrine des usûl al-fiqh lui est totalement contraire car il faut toujours des
muftis mujtahids pour résoudre les questions nouvelles. Le devoir de résoudre ces questions est un farḏ
kifâya, un devoir de la communauté. Hallaq démontra ensuite qu’il n’avait jamais été envisagé quoi que
ce soit qui puisse avoir un rapport avec la question dans aucun ouvrage classique avant la fin du 5e/xie
siècle. Bien plus, ceux qui, comme les zahirites, remettaient en cause l’analogie, qui est le procédé
fondamental de l’ijtihâd, furent exclus de la communauté sunnite. Toutefois, Hallaq concède qu’on avait
admis implicitement, dès la fin du 4e/xe siècle, que la création d’un nouveau rite sunnite était impossible.
13Ce n’est qu’en ce sens très restreint qu’on peut parler de “fermeture des portes de l’ijtihâd” 1
. En
pratique on repère encore au 4e/xe siècle de nombreux juristes qui sont en même temps indépendants (voir
annexe 2). Ce sont surtout des chaféites, mais at-Tanukhi est hanéfite. Hallaq fait voir, qu’en pratique, et
jusqu’à nos jours l’ijtihâd n’a jamais cessé d’être exercé, même aux époques les moins créatives de
l’histoire du droit musulman, mais bien sûr, sans fondation de nouveau rite. C’est aussi le sujet d’un livre
d’ach-Chawkânî, un juriste hanéfitc du 13e/xixe siècle. Nous analyserons dans la section suivante
l’historique de la controverse qui naît à la fin du 5e/xie siècle au sujet de la fin de l’ijtihâd et dont on a
fait une mauvaise lecture par la suite (n° 177).
14105 — Motivations possibles de cette attitude. La méfiance envers les innovations, la crainte que de

nouvelles polémiques ne se déclenchent entre les musulmans furent probablement les motivations
principales qui ont orienté les sunnites vers le refus a priori de tout nouveau rite. Après les compilations
de la Sunna au cours du 3e/ixe siècle, qui pouvait prétendre trouver des hadîth nouveaux propres à
bouleverser ce qui était admis ? Il est incontestable aussi, que, depuis le triomphe des traditionnistes,
même mitigé de raisonnement, le droit musulman avait acquis définitivement un caractère fixiste. Lui qui
n’enregistrait déjà pas certaines institutions nées antérieurement à sa constitution, n’enregistra pas non
plus celles nées postérieurement. C’est ainsi qu’on ne trouve pas dans les traités des éléments concernant
les confréries, ni les corporations, ni certaines fêtes (mawlid, achoura), ni le culte des saints. Pour Ibn
Khaldûn (trad. Monteil, 3, 937), qui écrit au 8e/xive siècle, c’est la difficulté de la tâche et la crainte de
l’incompétence et des polémiques qui empêcha la créativité : “la terminologie scientifique s’est
diversifiée et de nouveaux obstacles empêchent les juristes d’atteindre le niveau de jugement indépendant
(ijtihâd). On redoutait aussi que les controverses ne viennent encourager les gens non qualifiés...” Les
“nouveaux obstacles” sont probablement ceux de l’époque d’Ibn Khaldûn, époque de décadence
accentuée.
15106 — Conséquences. Les “portes de l’ijtihâd” étant fermées pour la création d’un nouveau rite, le

droit musulman ne pouvait progresser que dans le perfectionnement de l’exposé de la doctrine de chaque
rite. L’époque qui nous occupe dans cette section est celle de l’âge d’or des traités classiques. Il
convenait de mettre en ordre les compilations de l’époque précédente afin de donner aux cadis aussi bien
qu’aux étudiants une matière assimilable et raisonnée. La Mudawwana de Saẖnûn par exemple était
surnommée al-Mukhtaliṯa, la mélangée, et elle ne fut vraiment assimilable qu’après les travaux de Ibn
Abî Zayd al-Qayrawânî. Nous donnerons quelques indications sur les grands traités plus loin, en
esquissant l’histoire des rites (voir aussi l’annexe 2).
16La suite de cette situation était à prévoir et elle n’exercera toute son influence qu’aux époques suivantes
(cf. sections II à IV). La mise en ordre ne pouvait qu’entraîner l’abandon de certaines divergences rares
et le choix des meilleures solutions (tarjîẖ), en particulier de celles qui sont le plus conformes à la
méthodologie des usûl al-fiqh, ou de celles qui sont les plus cohérentes entre elles.
17En même temps l’époque est celle des bagarres et des polémiques. Nous les évoquerons aussi dans nos
analyses régionales, étant donné leur insertion étroite dans les situations locales.
18107 — Les institutions judiciaires. La période est celle de l’affaiblissement puis de la disparition des

“grands” tribunaux des injustices (tribunaux des maẕâlim) présidés par le calife. La restauration sunnite
ramena ces tribunaux au niveau des ministres, puis à celui de fonctionnaires de rang moindre, les
gouverneurs notamment. Ces tribunaux furent absorbés dans la machine administrative des pouvoirs. Leur
activité resta considérable : plaintes contre les abus de pouvoir, appels contre les jugements des cadis,
demandes d’aumônes ou de concession d’iqta’ (concessions fiscales sur une région). (Nielsen, E. I. 2).
Quand le pouvoir était fort, quand une justice administrative existait, elle n’était pas ressentie comme
rivale de la justice cadiale, car toutes les deux émanaient du sultan (Tyan, Histoire, p. 440) (Nielsen est
d’avis contraire). Quoiqu’il en soit, tenir régulièrement un tribunal ou une administration des mazâlim
était pour tout pouvoir le signe de sa légitimité, et se traduisait en accroissement de prestige (Tyan,
Histoire, p. 476).
19Mais du fait de la faiblesse des pouvoirs, il arrivait que souvent, l’institution du cadi se trouvait être le

seul recours pour la justice, aussi bien que pour les fatâwâ. Les compétences des juges ne cessèrent de
s’accroître. Dans cette époque politiquement troublée, les cadis furent souvent les seuls auxquels les
petits pouvoirs pouvaient avoir recours pour conforter leur légitimité, en sollicitant d’eux leur bay’a, leur
serment d’allégeance.
20La hiérarchisation de la justice cadiale était tout aussi nécessaire. Les Fatimides instituèrent un grand

cadi ; il en existait donc trois à cette époque, l’irakien, l’égyptien et l’espagnol (appelé cadi al-jama’a).
A partir du 6e/xiie siècle, il y en aura plusieurs autres en fonction : la nomination d’un grand cadi était
devenue le signe de l’indépendance des pouvoirs vis-à-vis du califat de Baghdad.
21108 — Les médersas. Dans un tout autre domaine, l’institution nouvelle de la médersa (madrasa, pl.

madâris, école de droit, collège), marque une sorte de réaction dont l’objectif est de maintenir l’islam
quelles que soient les vicissitudes politiques. Jusqu’ici l’enseignement du droit et des sciences
religieuses en général avait été fait dans les mosquées (masjid, pl. masâjid). L’afflux des étudiants avait
suscité le développement de khân-s, d’hôtelleries, au voisinage de ces grandes mosquées. La mosquée
d’al-Azhar, fondée par les Fatimidcs en 361/912, avait des logements pour les professeurs dont les frais
était couverts par des fondations pieuses (waqf). Les Buwayhides firent de même des masjid-khân. A la
fin du 4e/xe siècle on créa des établissements d’enseignement spécialisé, des médersas. La plupart des
mosquées avaient d’ailleurs une médersa, et chaque médersa eut son lieu de culte : la distinction entre
mosquée et médersa se tire surtout de l’intention principale du fondateur et de l’architecture du bâtiment
(E. I.2, Pedersen-Makdisi). Le mouvement est d’abord dû à l’initiative privée. Il marque surtout le
sunnisme en Orient persan, à Merw et Nichapur notamment. Ce n’est qu’à l’époque saljouqide que les
autorités politiques auront le plus grand souci des médersas. Le mouvement ne passera en Occident que
bien plus tard.
22Naturellement, des bibliothèques palatiales ou privées, continuaient à apparaître. Celle du palais
fatimide était le coeur de la propagande ismaélienne. Le dâr al-’ilm (ou dâr al-ẖikma) fondé par al-Hâkim
en 1005, avait tout d’une bibliothèque moderne : salle de lecture, salle de réunion, personnel spécialisé,
bourses pour les étudiants, etc. (E. I.2, Pedersen-Makdisi).
§ 2 - L’Orient
A. Les califes avant et pendant l’époque des Buwayhides

23109 — Les variations du califat. Le pouvoir baghdadien était tiraillé entre deux forces religieuses
hostiles, le chiisme et le sunnisme dont le hanbalisme était le sourcilleux gardien. La pression chiite
s’exerçait à l’intérieur même des bureaux du calife, en particulier avec l’introduction des frères Banû
Furât dans l’administration à la fin du 3e/ixe siècle. Une sorte de conjuration sunnite échoua à mettre sur
le trône un calife enfant, et Abû ‘Abd Allâh Bn al-Furât accéda au vizirat (908-912) sous al-Muqtadir
(908-932). La politique de ce calife fut tantôt pro-hanbalite, tantôt plus équilibrée, avec ‘Ali Bn ‘Isâ, un
chaféite, tantôt pro-chiite avec Ibn al-Furât. Il céda aux uns et aux autres, en sorte que, aussi bien, on
exécuta le mystique al-Hallaj (922), on inquiéta aṯ-Ṯabarî, ou on démolit une mosquée chiite. En fait le
calife était devenu le jouet de ses vizirs (Laoust, Schismes, p. 151-155).
24Al-Qâhir (934-934) utilisa les hanbalites pour déjouer un complot chiite : le comploteur Mu’nis fut
égorgé sous ses yeux. Ar-Râdî (934-936) céda lui aussi à la pression hanbalite et poursuivit les chiites
aussi bien que les innovateurs. Mais le zèle hanbalite dépassait les bornes, et l’émeute était permanente.
En 935, les hanbalites furent condamnés pour anthropomorphisme, mais l’agitation ne cessa pas, même
après la venue d’un émir à qui le calife remit ses pouvoirs. A la rivalité des vizirs succéda celle des
émirs, chacun favorisant tantôt le chiisme, tantôt le hanbalisme (Laoust, ibid., 155-156). Sous al-Muttaqî
(940-944), le calife tenta de décider l’émir d’Égypte (ikhchidide) de le délivrer de l’émir Tuzun, mais il
échoua. Tuzun fit aveugler le calife récalcitrant, ce qui le rendait inapte au vizirat selon le fiqh. Tuzun mit
à sa place al-Mustakfî (944-946). Finalement, un nouveau venu, Ahmad Bn Buwayh entra dans Baghdad
sous prétexte de la défendre contre les Qarmatcs (cf. n° 1 17). Avec les Buwayhides la lutte pour le poste
d’émir était terminée. Pour un siècle, une dynastie forte contrôla l’Irak, et relégua le calife dans ses
appartements (Garcin, p. 44).
25110 — Les Buwayhides (Banû Buwayh ou Bûyah) étaient chiites duodécimains. Mais c’était avant tout

des politiques. Ils ne cherchèrent ni à abattre la dynastie abbasside, ni à imposer le chiisme. Aẖmad Bn
Buwayh se fit conférer par le calife al-Mustakfî le titre de Mu’izz ad-Dawla (Renfort de la dynastie)
pendant que ses frères ‘Alî et Hasan recevaient ceux de ‘Imâd ad-Dawla (Colonne de la dynastie) et Rukn
ad-Dawla (Pierre d’angle de la dynastie). Cela fait, ils aveuglèrent le calife et le remplacèrent par al-
Mûti’ (946-974). Les trois frères gouvernaient de concert, chacun dans le territoire qu’il avait conquis et
leurs descendants après eux, non sans querelles dans les partages.
26En 973 un chef turc sunnite, Subuktikin al-Hâjib, imposa l’abdication d’al-Mûṯi’, installa aṯ-Ṯâi’ (973-

991) comme calife, et prit le poste de grand émir, mais le Turc mourut peu après et les Buwayhides
reprirent leur place. Le calife restait confiné dans la représentation islamique. Aṯ-Ṯâi’ étant intervenu
dans une querelle de succession entre Buwayhidcs, il fut déposé en 991 par celui qu’il avait favorisé,
Baha ad-Dawla. Il fut remplacé par al-Qâdir (991-1031).
27La conception du pouvoir buwayhide était fondée sur la séparation des pouvoirs politique et religieux, à

la manière byzantine et persane ancienne, les deux pouvoirs devant collaborer dans l’harmonie.
L’écrivain Firdûsî, dans ses Châhnamé parle du Châh et du Prophète “comme deux pierres précieuses
dans la même bague” (Mazahéri p. 306-307). Les Buwayhidcs ne prétendirent jamais au califat, et ils
s’appuyèrent sur les ulémas chiites qui leur fournissaient la légitimité religieuse nécessaire au maintien
de leur pouvoir.
28111 — Le califat indépendant d’al-Qâdir. Installés à Chiraz après 999, les Buwayhidcs, laissèrent un

peu de champ libre au calife. Ce dernier, s’appuyant sur les Ghaznévides sunnites de Perse et
d’Afghanistan, se permit de proclamer le caractère sunnite et universel du califat et de condamner les
Fatimides (1019). Cette profession de foi, connue sous le nom d’al-Qâdiriya, du nom du calife, était
d’inspiration hanbalite. C’est dans l’entourage d’al-Qâdir qu’écrivait le chaféite al-Mâwardî. Il eut la
lourde tâche, dans son livre fameux al-Aẖkâm as-sulṯanîya (Les statuts gouvernementaux), de justifier
religieusement l’existence d’un calife maître seulement des environs de Baghdad et celle, simultanée, de
multiples princes indépendants. Le célèbre al-Qudûrî écrivit un des premiers résumés (Mukhtasar) qui
est d’ailleurs toujours le meilleur pour l’enseignement du fiqh hanéfite.
29Mais le fils d’al-Qâdir, al-Qâ’im (1031-1075) dut se soumettre aux Turcs saljouqides (sunnites) qui

arrivèrent en 447/1055 à Baghdad, date qui marque la fin de cette période. (Garcin p. 44-46). Le
sunnisme était définitivement sauvé du péril chiite. Sur le plan intellectuel, il avait aussi stabilisé sa
doctrine.

B. Essor du sunnisme

30112 — L’acharisme et son contexte. Avec l’acharisme le sunnisme trouva sa première formulation

théologique importante face au mutazilisme et aux sectes. Abû l-Hasan al-Ach’arî était né à Basra vers
874. A ses débuts c’était un mutazilite. Mais, vers 913, il rompit avec ses maîtres pour devenir sunnite et
se mit à attaquer les mutazilites avec une efficacité redoutable. A cette époque, à Baghdad les hanbalites
étaient les gardiens de l’orthodoxie. Ils étaient tellement hostiles envers la théologie qu’ils considérèrent
avec méfiance les débuts d’al-Ach’arî. Mais son Ibâna (Éclaircissement) faisait le plus vif éloge d’Ibn
Hanbal. Nous connaissons déjà les termes de cette doctrine : le Coran est la parole incréée de Dieu, et
les sources de la loi ne peuvent être que cette parole et la Sunna. Laoust souligne que, même si
l’acharisme a été mal accepté au début par les partisans de la tradition, il a contribué à orienter les
docteurs de l’islam vers un recours plus accentué à la raison (Schismes, p. 130). L’acharisme allait en fait
devenir la philosophie par excellence du droit musulman sunnite. Tous les malékites furent acharites
(Békir, p. 115, d’après as-Suyûṯî), ainsi que la plupart des chaféites. L’acharisme fut en effet défendu très
tôt par les docteurs non hanbalites, comme le malékite Abû ‘Abd Allâh Bn Mujâhid al-Basrî ou le
chaféite Abû Hamid al-Isfarâ’inî. Les hanéfites curent recours à la philosophie d’al-Maturidî (ob. 945)
qui est très proche. L’acharisme fut défendu et développé par de grands théologiens en cette période,
comme al-Bâqillânî (malékite) ou Abû Mansûr al-Baghdâdî. Le mutazilisme lui opposa un grand auteur,
le cadi ‘Abd al-Jabbâr.
31113 — Philosophie et mystique. Après le fiqh (droit), le ẖadîth (tradition), le tafsîr (exégèse), le kalâm

(théologie), deux nouvelles disciplines se trouvèrent structurées dans leurs lignes maîtresses (Laoust,
ibid., p. 156-161), la philosophie et la mystique. La philosophie commença sous le signe de Platon, avec
les platonisants al-Farabî, Miskawayh et Ibn Sînâ (Avicenne) et le libre-penseur Ibn ar-Râwandî.
32La préoccupation mystique, difficile à suivre au cours des deux premiers siècles de l’hégire, se
consolida au 3e/ixe siècle. On vit apparaître de grandes oeuvres comme celle d’al-Muẖasibî, dont le
Ri’aya li-ẖuqûq Allâh (l’observance des droits de Dieu) est utilisé comme ouvrage d’initiation même de
nos jours. Al-Junayd, disciple d’Ibn Hanbal, et de Muẖâsibî, bâtit un système qui servit de point de départ
aux spéculations ultérieures (Laoust, Schismes, p. 160). Il soutenait que le respect de la loi était
nécessaire au mystique. D’un avis contraire, al-Hallâj subit un procès, fut condamné et exécuté en 922.
Ce drame signale bien que le mysticisme dut batailler pour se faire admettre (cf. Grill, in Popovic-
Veinstein). C’est au 4e/xe siècle, sous les Buwayhides, que le soufisme apparaît au grand jour et
commence à s’organiser matériellement par la formation des premiers couvents (ribâṯ) tel celui d’Ibn
Khafîf à Chirâz et intellectuellement par la multiplication des manuels. L’objectif de ces oeuvres est de
parvenir à la synthèse de tous les enseignements de l’islam. On peut citer dans cet esprit le Qût al-qulûb
(nourriture des coeurs) de Abû Ṯâlib al-Makkî qui “embrasse tous les enseignements et les rites de
l’islam ainsi que la progression des stations spirituelles” (cf. Grill, in Popovic-Veinstein, p. 40). ‘Abd
ar-Raẖmân as-Sulâmî chercha à fondre les différents courants de spiritualité. Quand on le fit venir à
Baghdad, sous le calife al-Qâdir, c’était proclamer publiquement l’entrée du soufisme dans le sunnisme
(ibid.).
33114 — Le sunnisme en Irak. Avant même l’arrivée des Buwayhides l’affrontement des chiites et des
sunnites (surtout hanbalites) avait pris un tour très violent à Baghdad. Les incidents se multiplièrent et
s’étendirent à Ispahan et à Qumm au milieu du 4e/xe siècle. On se battait en particulier à propos des
inscriptions vantant les mérites de ‘Alî ou au contraire ceux de Abû Bakr, ‘Umar et ‘Uthmân. Les sunnites
pillèrent ou incendièrent plusieurs fois la mosquée chiite d’al-Barathra.
34Le jeu était complexe. Quand les Byzantins infligèrent plusieurs défaites aux musulmans, les sunnites

exigèrent que les Buwayhides aident les principautés d’Alep et d’Antioche. Les Qarmates pillèrent
Damas, mais celle-ci tomba aux mains des Fatimides en 974. Qarmates et Fatimides, d’abord alliés,
devinrent ennemis. Les Qarmates jouèrent un temps le jeu des sunnites contre les Fatimides. A chaque
nouvelle, à chaque rumeur, des bagarres éclataient à Baghdad. L’armée buwayhide était elle-même
divisée : les mercenaires turcs étaient sunnites, et ils avaient tenté avec Subuktikin de remplacer les
Buwayhides. Contre les Fatimides, une sorte d’alliance des chiites et sunnites aboutit à une déclaration
commune en 1012. Mais les sunnites étaient aussi divisés : hanbalitcs, chaféites et hanéfites étaient en
concurrence pour les places de cadis et en venaient parfois aux mains.
35115 — Dans la zone orientale de l’empire, on a vu comment les ambitions des Saffarides avaient été

brisées par les Sammanides. Ces derniers constituèrent une dynastie qui a joué un rôle capital dans
l’histoire de l’Islam. La famille des Sammanidcs était de noble origine, et elle fut à ses débuts au service
des Tahirides, en Transoxiane. On lui attribue la responsabilité de l’introduction des milices turques dans
le monde arabo-persan. Mais ce n’est en vérité que le signe de leur prosélytisme en direction des
populations turco-mongoles de l’Est, populations qui constitueront par la suite le meilleur rempart du
sunnisme contre le chiisme. Ainsi, à cette époque, les Khazars et les Bulghars, au nord de la mer
Caspienne, les Karakhanides au nord de la Transoxiane, se convertissaient à l’islam hanéfite.
36Avec les Sammanides l’aristocratie persane reprit ses positions. Le royaume sammanide fut riche,
fastueux, bien administré. La langue et la littérature persane prirent avec lui un nouveau départ. En droit,
les juristes furent nombreux : on vérifiera sur la liste de l’annexe 2 que le Khorassan et la Transoxiane ont
été un foyer hanéfite et chaféite.
37Le sunnisme trouva aussi chez les Ghaznévides chaféites de l’extrême est du monde musulman des

défenseurs zélés à partir du 5e/xie siècle. À leurs débuts, ils étaient au service des Sammanides qu’ils
supplantèrent à la fin du 4e/xe siècle. Maẖmûd de Ghazna effectua de brillantes campagnes de razzia
contre l’Ouest indien qu’il dévasta. Elles marquent pourtant le début de l’islamisation de l’Inde. Il fit
pièce à la puissance des Buwayhides à l’ouest, contribuant indirectement à maintenir le sunnisme à
Baghdad où les incidents entre chiites et sunnites en étaient aux incendies de mosquées et de mausolées.
Comme on l’a vu, le calife al-Qâhir, fit alors une profession de foi sunnite (1019). Les Ghaznévides
durent, par la suite, reculer devant la puissance montante des Karakhanides et Saljouqides. Ils perdirent
la Perse en 1037 et la Transoxiane en 1045, mais se maintinrent en Afghanistan et au Penjab jusqu’au
milieu du 6e/xiie siècle. La cour des Ghaznévides fut elle aussi brillante avec le savant al-Birûnî et le
poète al-Firdûsî.
38116 — Le malékisme en Orient. Le malékisme s’est maintenu au Hedjaz et on a pu repérer de loin en

loin des cadis malékites (voir Békir). En Irak, on a vu l’implantation malékite grâce au cadi Isma’îl. Son
cousin Yûsuf Bn Ya’qub lui succéda comme grand cadi, puis le fils de ce dernier Abû ‘Umar Muẖammad
Bn Yûsuf. C’est lui qui condamna al-Hallâj à mort (Békir, p. 106). Il y eut de nombreux maîtres et cadi
malékites pendant cette période en Irak (Békir, p. 108-114, recense ces personnages). Le plus prestigieux
d’entre eux fut al-Abharî, qu’on a surnomme “l’Ibn Abî Zayd d’Orient”. Signe des temps, il connaissait à
fond les quatre rites, tant il était important dans l’ambiance polémique de Baghdad de pouvoir se
défendre.
39Pourtant les malékites furent les moins impliqués dans les polémiques entre rites. Le prestige de Mâlik

y était pour beaucoup, car aucun des maîtres postérieurs, ach-Chafi’î, Ibn Hanbal, ne le méprisait.
Néanmoins il existe des ouvrages polémiques comme celui, apologétique, d’al-Abharî. Un autre auteur
intéressant est Ibn al-Qassar, qui fut un des premiers malékites à écrire sur les usûl al-fiqh.
40Toujours est-il que le malékisme céda le pas devant l’extension du chaféisme. Un certain nombre de
savants malékites préférèrent quitter l’ambiance de Baghdad et s’installer en Égypte, même après
l’installation des Fatimides. Ainsi le départ du cadi ‘Abd al-Wahhâb, à la fin du 4e/xe siècle, à la suite
des pressions chaféites sur le calife, marque la fin du malékisme en Orient.

C. Les chiites

41117 — Les ismaéliens (septimanains). Les Qarmates. On a vu qu’à la fin du 3e/ixe siècle, les
insurrections qarmates de Syrie avaient échoué (n° 83). Les imams du mouvement avaient été tous tués,
sauf un seul qui se réfugia en Afrique du Nord et réussit à fonder le royaume fatimide de Tunis (902).
Mais les Qarmates de Abû Sa’id al-Jannabî s’emparèrent d’une bande côtière au nord de l’Arabie (le
Baẖrayn) et lancèrent à partir de là de terribles attaques contre les centres vitaux du monde musulman :
Syrie, Palestine, Irak, Hedjaz. La Mecque fut attaquée et en 930 la Pierre noire fut enlevée ; elle ne fut
restituée qu’en 951. Alliés des Fatimides de Tunisie, les Qarmates rompirent avec eux en 969 quand les
premiers conquirent l’Égypte. Les Qarmates du Baẖrayn passèrent alors au service des Abbassides. Ils
menèrent une guerre terrible (971-974) contre l’Égypte fatimide, mais ils furent battus et massacrés à
Héliopolis. Leur force militaire disparut. L’État qarmate subsista jusqu’au 12e/xviiie siècle sans jouer un
rôle important. Les autres Qarmates, en Syrie, en Perse, furent ralliés par les sectes qui naquirent plus
tard, comme celles des druzes ou des nizaris. Du point de vue de leur doctrine, on a souvent souligné
(S.E.I., Corbin) leur importance dans le chiisme.
42118 — Les imamites (duodécimains). Les imamites (duodécimains) n’avaient donc plus d’imams
depuis la disparition de Muhammad al-Mahdî en 260/874. L’imâm fut réputé vivant, mais caché et parlant
à travers des “représentants”. C’est la “petite occultation”. Mais le quatrième de ces représentants
évoqua une ordonnance de l’imâm caché pour condamner comme usurpateur quiconque prétendrait parler
au nom de l’imâm (329/940). La “grande occultation” commence à ce moment et doit durer jusqu’à la fin
des temps (Mazahéri, p. 306-307).
43Les chiites eurent des protecteurs princiers. Le temps est celui des princes, et il était plus facile de

trouver des protecteurs que dans l’empire unitaire. Ce furent surtout les Buwayhides pour les
duodécimains, et avant eux les princes arabes de la région de Mossoul et d’Alep, les Hamdanides, qui,
par ailleurs, s’illustrèrent dans la lutte contre les Croisés.
44D’après Tabâtabâ’i (p. 33 sq.), en matière juridique, depuis la disparition du douzième imam, l’effort
de ces chiites se porta principalement sur la collecte des traditions des imams. On a vu que l’école
traditionaliste, ou école de Qumm, dominait, mais on pouvait y distinguer deux tendances. La première
admettait les sources du droit et les procédés de raisonnement que la tradition elle-même admettait. Cette
tendance est représentée par al-Kulaynî et as-Sadûq. Muẖammad Ya’qûb al-Kulaynî compila le Kitâb al-
Kâfî suivant un plan juridique. Muẖammad Bn ‘Alî Bn Bâbawayh al-Qummî dit as-Sadûq, écrivit des
ouvrages de traditions : Kitâb man lâ yaẖḏuruh al-faqîh, al-Hidâya, al-Muqni’. Ce sont les ouvrages de
référence du chiisme en matière de ẖadîth, équivalents des Saẖîẖ de Bukhârî et de Muslim chez les
sunnites. Ils incluent les traditions provenant des imams chiites. L’autre tendance fait penser au zahirisme
sunnite : elle n’admettait aucun compromis et écartait tout raisonnement. Cette tendance ne domina pas et
fut d’autant plus rapidement écartée que l’ensemble de l’école traditionaliste dut céder devant le triomphe
de ses adversaires rationalistes à la fin du 4e/xe siècle.
45Pour le début du 4e/xe siècle les sources chiites font référence à deux auteurs, Ibn Abî ‘Aqil et Ibn al-

Junayd (qui sont appelés “les deux cadis”), comme les pères du droit chiite. Le premier rejetait les
traditions uniques (c’est-à-dire colportées par un rapporteur unique, akhbâr âẖâd) et ne se fiait qu’aux
traditions multiples. Le second au contraire les admettait, mais dans la mesure où elles étaient
admissibles par le raisonnement. Le débat entre ces deux méthodes continua tout au long de l’histoire du
droit chiite. Mais on a déjà vu qu’il n’est pas étranger au sunnisme (n° 51) : faut-il prendre tout ce qui
vient sous le manteau du Prophète ? ou bien trier, choisir, construire ?
46A la fin du 4e/xe siècle le rationalisme triompha avec al-Mufîd et l’école de Baghdad. Ce qui permit à

cette école de supplanter celle des traditionalistes, c’est que, paradoxalement, elle soutenait que les
imams étaient doués de pouvoirs surnaturels. Cette opinion populaire n’était pas celle des traditionalistes
de Qûm (Tabâtabâ’i, p. 30). Au 5e-xie siècle, Al-Murtaḏâ poursuivit à fond l’attaque des traditionalistes.
L’école rationaliste mettait surtout l’accent sur son rejet des traditions uniques, et admettait les procédés
rationnels comme source de la loi. Toutefois ach-Chaykh (ou Chaykh aṯ-Ṯâ’ifa) tenta de faire une
synthèse, en renouant avec les traditions uniques, mais surtout avec le sunnisme.
47Dans les autres disciplines, nombre d’écrivains peuvent être rattachés au monde buwayhide et à son
système de pensée iranien. Ainsi le philosophe al-Fârâbî, dont La cité vertueuse, fait passer l’intérêt
général avant toute autre considération, y compris religieuse. Avicenne en est très proche dans ses
Directives et Remarques. On peut citer aussi les penseurs Miskawayh et Sijistânî qui écrivent en arabe
(Mazahéri, p. 308). Cette tradition se perpétua en particulier chez les grands commis de l’État iranien, à
travers les siècles, que ce soit sous les Saljouqides (Niẕâm al-Mulk), sous les Mongols (Râchid ad-Dîn)
ou sous les Safavides (Allâhwardi Khân) (Mazahéri, p. 310).
§ 3 - L’Égypte et la Syrie
A. Les chiites

48119 — Les ismaéliens (septimanains). Les Fatimides d’Égypte. Al-Mu’izz (952-975), le calife
fatimide de Tunisie (voir n° 121), conquit l’Égypte facilement. Le pays, avec ses dépendances syro-
palestiniennes, était resté dans le sunnisme sous les Tulunides et les préfets des Abbassides (905-935) ou
la dynastie de préfets dite des Ikhchidides (935-969). Avec l’avènement des Fatimidcs, l’Égypte connut
alors une des périodes les plus glorieuses de son histoire. La rupture avec les Qarmates était consommée
et les tentatives de ces derniers contre l’Égypte échouèrent. En Syrie, la domination fatimide fut plus
disputée, à la fois par les Qarmates, par des princes locaux et par les Byzantins.
49Le troisième calife fatimide al-Hâkim (996-1021) fut un homme bizarre, dont “toutes les actions étaient

sans motif” selon al-Maqrîzî (cité par Wict, Hist. de la nation égyptienne). Au début il persécuta les
sunnites par fanatisme chiite, puis les chrétiens et les juifs pour se gagner les sunnites, puis il changea
encore et versa dans un mysticisme très personnel. Il imposa toutes sortes de lois, les plus contraignantes
et les plus étranges, s’en prenant aux femmes surtout. Un certain Darazî soutint alors que Dieu s’était
incarné dans le calife al-Hâkim. Peut-être le calife le crût-il lui-même, peut-être pas, en tout cas c’est là
l’origine de la religion druze. Un soir, al-Hâkim disparut.
50Selon les septimanains, l’imam est désigné par Dieu et a quelque chose de l’essence divine. D’où le fait
que l’imam a un pouvoir législatif. Il s’ensuit que l’ijmâ’ n’a pas de sens, et que la loi n’est pas
immuable. Les califes ismaéliens qui ont succédé au septième disparu (Isma’îl, fils de Ja’far as-Sâdiq, ou
Muẖammad son fils) ont conservé le pouvoir législatif, du moins en théorie. En pratique les solutions ne
se sont guère écartées du fond commun chiite ou sunnite, sauf sous al-Hâkim.
51Aẕ-Ẕâhir (1021-1036) s’efforça de remettre de l’ordre, de récupérer les sommes gaspillées par al-

Hâkim, de rétablir la liberté de culte des dhimmis, de pourchasser les premiers druzes et de destituer les
sunnites qui avaient remplacé souvent les chiites. Les druzes (ou ẖâkimîya, du nom d’al-Hâkim) eurent
pour chef au début Darazî et Hamza Bn ‘Alî. Chiites septimanains, ils croyaient donc en l’incarnation de
l’esprit de Dieu chez al-Hakim. Ils furent hostiles à la loi islamique et abandonnèrent les obligations
cultuelles. Ils eurent du succès dans le Chouf syrien. Leur secte est toujours active.
52Son successeur, al-Mustansir (1036-1094), eut le règne le plus long de l’histoire de l’islam. C’est lui

qui, sur le conseil de son ministre al-Yazûrî envoya les tribus Banû Hillâl et Banû Sulaym dévaster
l’Afrique du Nord ziride, en 1051, date qui marque la fin de la période.
53La littérature arabe s’est enrichie grâce aux Fatimides d’une Encyclopédie d’une grande valeur, celle
des Ikhwân as-Safâ’, les frères de la pureté, un groupe de théologiens. Un autre auteur Hamîd ad-Dîn
Kirmânî écrivit l’ouvrage fondamental de la théologie ismaélienne, le Kitâb râẖat al- ‘aql, le livre du
repos de l’esprit ...

B. Les sunnites

54120 — Les sunnites sous les Fatimides. En Égypte, la doctrine officielle étant le chiisme, les malékites

curent à souffrir, comme les chaféites et les hanéfites, une fort mauvaise passe. Cependant, pour les
malékites, la venue du cadi ‘Abd al-Wahhab Bn Nasr al-Baghdadî, à la fin du 4e/xe siècle changea
quelque peu les choses. Il fut reçu avec honneur par les Fatimides, voulant faire pièce aux Abbassides qui
n’avaient pas su retenir un si grand savant. En conséquence les malékites connurent un succès relatif à
cette époque (Ibn Khaldûn, 3, 939). Mais cela ne dura pas, en raison de la politique d’al-Hâkim.
55Les malékites curent l’appui des occidentaux qui allaient à la Mecque ou en revenaient. L’espagnol aṯ-
Ṯurtûchî fut le premier à s’installer en Orient, à Jérusalem, puis en Égypte, à Alexandrie et au Caire. Il
enseignait clandestinement le malékisme (Békir, p. 147) à la fin de l’époque fatimide. La fin des
Fatimides amena bien sûr un renouveau sunnite.
§ 4 - L’Occident
A. Les chiites

56121 — Les ismaéliens (septimanains). Les Fatimides. de Tunisie. Au début du 4e/xe siècle, un
prédicateur qarmate (chiite septimanain), Abû ‘Abd Allâh, avec les Berbères Qutama fanatisés, renversa
le pouvoir aghlabide (909). Il installa à Kairouan ‘Ubayd Allâh, prince de la famille de ‘Alî, avec le titre
de Mahdî. Celui-ci, une fois son pouvoir bien établi, s’empressa de faire exécuter son intronisateur. Son
objectif était l’Égypte, mais il échoua en 913 et en 920. Il fonda la forteresse de Mahdia sur la côte
tunisienne et entreprit de conquérir le Maghreb, ce qu’il réussit. Son successeur, Muhammad Abû l-Qâsim
dut faire face à la révolte kharidjite de Abû Yazid, surnomme “l’homme à l’âne”, qui accula le Mahdi
dans sa forteresse. Le troisième fatimide, al-Mansûr (945-952), réussit à vaincre l’homme à l’âne et à
reprendre le pays en mains. Le quatrième, Al-Mu’izz (952- 975) fit la conquête de l’Égypte et s’y installa
en 973, laissant la Tunisie au chef sanhadja Ibn Zirî, qui inaugura ainsi la dynastie des préfets zirides.
57De tous les théoriciens fatimides, le mieux connu, pour ce qui concerne le droit, est le qâdî Nu’mân, qui

fut le grand cadi de Kairouan (Tunisie), puis du Caire. Son Da’â’im al-islâm est un traité de fiqh qui se
distingue peu du droit imamite et emprunte au malékisme. Ainsi le cadi Nu’man ne permet pas le mariage
temporaire et déclare nul le legs fait à un héritier, sauf si les autres héritiers y consentent. Pour le culte, il
remet à l’imam la fixation du début du mois de Ramadan et l’usage a prévalu chez les ismaéliens issus de
la da’wa fatimide de s’en remettre au calcul astronomique (E.I.2, Madelung). Mais la production
intellectuelle de l’ismaélisme fait une maigre place au droit (voir annexe 2).

B. Les sunnites (malékites)

58122 — Le malékisme en Tunisie. Pendant l’épisode fatimide, la population resta ibadite ou malékite.

Elle haïssait finalement ces chiites fatimides qui l’écrasaient d’impôts. Le chiisme ne s’implanta donc pas
durablement. Qui plus est les cadres chiites partirent en Égypte avec al-Mu’izz. La population eut des
sympathies pour la révolte kharidjite contre les Fatimides, mais ne se rallia pas à l’ibadisme. Elle s’en
détacha politiquement quand les révoltés se montrèrent aussi insupportables que les Fatimides.
59Les auteurs malékites maghrébins sont nombreux à cette époque. Le plus célèbre est Ibn Abî Zayd Al-

Qayrawânî, l’auteur d’un résumé de la Mudawwana, intitulé ar-Risâla, (La lettre) promis à maints
commentaires, mais aussi d’un livre important de compilation jurisprudentielle, les Nawâzil (Les cas
rares). Un autre résumé célèbre fut écrit à cette époque, le Tahdhîb (L’instruction) d’Abû Sa’îd al-
Barâdhi‘î : selon Ibn Khaldûn il supplanta le premier.
60Avec les Zirides il semble que la pression religieuse des chiites se soit atténuée très vite. Un des
préfets zirides, Mansûr Bn Yûsuf, fit même exécuter par deux fois des missionnaires chiites. Les Zirides
durent reculer à l’ouest devant les tribus berbères et laissèrent se constituer une principauté indépendante,
avec un monarque ziride d’ailleurs, fondateur de la dynastie des Banû Hammad (Hammadides), en
Algérie centrale. Les Hammadites se rallièrent au sunnisme et firent la prière au nom du calife abbasside.
61Le long règne de Mu’izz Bn Bâdis (1016-1061) entraîna en Tunisie des changements décisifs. Au début

le prince mena une politique chiite vigoureuse à l’intérieur et contre les Banû Hammâd d’Algérie
(Bianquis, in Garcin, p. 100-101). Les relations avec les Fatimides du Caire étaient excellentes. Le pays
était prospère, la cour du prince fastueuse. Pourtant, entre 1040 et 1050 une rupture intervint et Bn Bâdis
se rallia au calife abbasside. En représailles al-Mustansir envoya en Afrique du Nord ses plus turbulents
sujets, les tribus arabes pillardes des Banû Hillâl et des Banû Sulaym (1051). Malgré leur alliance, les
princes d’Algérie et de Tunisie ne purent les contenir. Ibn Bâdis se reconvertit au chiisme, mais en vain :
l’Afrique du Nord retourna au bédouinisme et fut dévastée selon Ibn Khaldûn. Il est certain par ailleurs
que cette invasion implanta solidement la langue arabe, jusqu’ici probablement marginale à côté du
berbère.
62123 — Le Maroc. Le 4e/xe siècle est encore pour le Maroc un siècle obscur où les agents de l’Espagne
sunnite luttent contre ceux des Fatimidcs. Malgré trois conquêtes du Maroc (920, 958, 985), les Fatimidcs
finirent par céder devant les Zénètes sunnites qui disaient la prière au nom de l’émir de Cordoue. Il est
probable que le prix à payer pour cet appui espagnol fut la disparition du kharidjisme et du christianisme.
Cette victoire du malékisme sunnite prépara certainement le succès des Almoravides (Hist. du Maroc,
p. 72).
63124 — Le malékisme en Espagne. L’Espagne umayyade continua sa vie protégée au 4e/xe siècle. Les

chrétiens du nord n’étaient pas encore assez puissants pour l’inquiéter et les kharidjites du Maghreb
n’envisageaient pas de s’étendre en Espagne. En 929 l’umayyade ‘Abd ar-Raẖmân III prit le titre de
calife : le calife d’Orient n’était qu’un fantôme et il fallait que l’orthodoxie se campe contre le califat
fatimide qui venait de s’établir en Tunisie (909). L’Umayyadc s’appuya sur les Zénètes pour contrecarrer
les entreprises fatimidcs et celles de leur alliés Sanhadja en Afrique du Nord. Au nord de l’Espagne, les
petits royaumes chrétiens étaient sous sa férule. Sa politique religieuse fut strictement malékite, et les
mutazilites, les soufis (mystiques), les chiites bien évidemment, furent refoulés et poursuivis.
64Sur le plan juridique le malékisme était la doctrine officielle. La ‘Utbîya devint l’ouvrage de référence

quasi exclusif. L’Espagne connut une petite extension du rite minoritaire zahirite, fondé par Dâwûd Bn
Khalaf et dont le plus célèbre représentant fut Ibn Hazm (au 5e/xie siècle). Le pouvoir central umayyade
s’écroula vers l’an mille, en raison de querelles de succession.
65L’époque suivante est dite celle des Taïfas (ṯâ’ifa, parti, secte...), c’est-à-dire des petits royaumes. Ici

aussi la décadence politique n’entraîna pas la décadence intellectuelle, et il semble même au contraire
que la division favorisa la liberté de pensée aussi bien que le commerce. L’Espagne continua de vivre
dans la prospérité et à un niveau de civilisation inégalé en Occident. En droit, les grands auteurs furent le
malékite Ibn ‘Abd al-Barr et le zahirite Ibn Hazm.
66Né en 993, d’abord malékite, puis chaféite, Ibn Hazm se rallia finalement au zahirisme. Son Kitâb al-

muẖallâ faisait une synthèse des usûl al-fiqh et de la théologie (teintée de mutazilisme et d’islmaïlisme),
et, en même temps, une synthèse des divergences entre les écoles juridiques (Laoust, Schismes, p. 181). Il
troubla l’unanimisme malékitc en lançant des problèmes théoriques avec une verve insoutenable. Mais le
malékite al-Bâjî, de retour d’Orient où il s’était initié aux usûl al-fiqh avec un grand maître en la matière,
le chaféite ach-Chirâzi, lui “cloua le bec” en 1047 au cours d’une polémique mémorable (Turki p. 285).
Ibn Hazm finit ses jours à Majorque, pendant que le malékisme entrait dans les subtilités de cette nouvelle
science.

C. Les ibadites

67125 — Reflux des ibadites. En Afrique du Nord, l’ibadisme s’était réfugié dans l’oasis de Wargla.

Plusieurs révoltes, au cours du 4e/xe siècle tentèrent de restaurer l’Etat ibadite, mais elles échouèrent et
l’ibadisme retourna au kitmân. Cet état de secret n’empêcha pas le maintien de l’institution politico-
religieuse ibadite la plus importante, celle des conseils de notables ou de ‘ulamâ’, que dirigeaient un
chaykh ou un ẖâkim. De manière générale l’ibadisme (et les kharidjismes) ne cessèrent de perdre des
adeptes. Les zones où la secte perdura sont essentiellement Wargla, dans le Mzab (Mizâb), qui était une
colonie nouvelle de la doctrine, l’île de Jcrba dans le Sud tunisien et le Jebel Nafûsa en Tripolitaine.
68Toutefois l’activité doctrinale se poursuivit à travers les siècles, souvent en relation avec les Orientaux

du ‘Umân. On a donné dans l’annexe 2 une liste des principaux auteurs ibadites.
SECTION II - LES SALJOUQIDES ET LE RETOUR À LA
PRÉPONDÉRANCE SUNNITE. LE TEMPS DES
DOCTRINES MOYENNES (DU MILIEU DU 5e/XIe SIÈCLE
AU MILIEU DU 7e/XIIIe SIÈCLE)
§ 1 - Généralités

69126 — Droit et institutions. L’époque des Buwayhides fut celle des traités, avons-nous dit. Or les

traités doivent introduire de la cohérence, comparer les rites entre eux, éclaircir les divergences et donc
souvent choisir certaines règles au détriment des autres. L’enseignement tendait aussi au même résultat.
70L’époque saljouqide est en effet celle de l’enseignement. La madrasa Niẕâmîya à Baghdad (achevée en
1067) fut créée par Niẕâm al-Mulk, le vizir des sultans saljouqides Alp Arslan et Malik Châh. Consacrée
au rite chaféite, elle marque le début de l’âge d’or des médersas. Elle n’était pas la première : le même
Niẕâm al-Mulk avait fait construire à Nichapur une médersa (chaféite) pour l’imam al-Haramayn (al-
Juwaynî). Par la suite, au 5/xie siècle, comme au 6e/xiie t au 7e/xiiie siècle, les médersas se multiplièrent,
pour les autres rites, et même pour les chiites imamites, dans l’Orient persan et extrême oriental. En Syrie
et en Égypte, Nûr ad-Dîn puis Salâẖ ad-Dîn firent beaucoup en la matière. Al-Mustansir, un des derniers
Abbassides, fonda à Baghdad la Mustansirîya, pour les quatre rites (1234).
71Pour enseigner, il fallait des manuels adaptés, d’où la rédaction d’une multitude de résumés
(mukhtasar), où, là encore, il fallait choisir entre l’essentiel et l’accessoire, entre les opinions sûres et les
opinions moins sûres. Un résumé était certes plus facile à retenir qu’un traité, mais il avait besoin d’un
commentaire (charẖ), pour que l’étudiant le comprenne bien, mais aussi pour justifier le choix des
opinions retenues. Ainsi, que ce soit par le traité, par le résumé ou par le commentaire, les différents rites
fixèrent leur doctrine sur les opinions les plus probables ou les opinions de la majorité des juristes du
rite. Les divergences, élément essentiel de la souplesse du droit musulman, tendaient à se regrouper par
rites. Cela amenait une certaine rigidité dans les doctrines, préjudiciable à tout progrès et à toute
adaptation à des situations nouvelles.
72Les institutions judiciaires restèrent ce qu’elles étaient : parallèlement à la justice du cadi, perdurait la

justice administrative des injustices (tribunaux des maẕâlim), qui sous des titres divers, constituait un
recours contre les abus. La bureaucratisation de l’institution s’accentua à l’époque, aussi bien sous les
Saljouqides que sous les Châhs Khawârizm, sous les Fatimides que sous les Ayyubides. La procédure
consistait à introduire une requête (ruq’a ou qissa) répondant à des critères formels précis. Elle était
traitée par la machinerie de la chancellerie. La décision était prise en séance publique, soit par le sultan
dans le meilleur des cas, soit le plus souvent par les gouverneurs, ou par des officiers de haut rang
(atabeg-s, voir n° 131 ; ou ẖâjib, chambellan) (Nielsen, E. I.²), en tout cas contresignée par eux.
73127 — La controverse sur l’ijtihâd. C’est à cette époque seulement que les juristes se posèrent la
question, purement théorique, de la possibilité ou non de l’extinction des mujtahids (Hallaq). Dans la
controverse, les hanbalites soutinrent que c’était impossible. Les autres rites que c’était possible, mais en
théorie seulement. Tous admettaient implicitement que la création d’une nouvelle école sunnite était
impossible. Au 5e/xie siècle les juristes admettaient la continuité de l’ijtihâd à l’intérieur des écoles, et
Ibn ‘Aqîl prétendait même à plus d’indépendance encore pour les mujtahids. Tous exigeaient que le calife
soit mujtahid (al-Baghdadî, al-Mâwardî) ou du moins qu’il consulte les mujtahids (al-Juwaynî, al-
Ghazâlî). Le travail des juristes de cette époque fut considérable. Leur créativité ne fait pas de doute et
on peut même penser que ce sont eux qui mettent en ordre le droit musulman, jusqu’ici assez anarchique
(voir Meron) et qui le portent à son plus haut degré. La question de l’extinction de l’ijtihâd est posée de
manière tout à fait théorique par al-Juwaynî à propos du calife incapable d’ijtihâd. Mais pour lui cette
situation n’est pas possible. Il n’était donc pas question de fermeture des portes de l’ijtihâd (Hallaq,
p. 20).
74La question se trouve posée aux environs du début du 6e/xiie siècle quand l’expression “insidâd bâb l-

ijtihâd” commença d’être employée, exactement par Ibn ‘Aqil, d’ailleurs pour dire que la fin des juges
était aussi impossible que la fermeture des portes de l’ijtihâd. Elle prend la forme de la question de
savoir si l’ijtihâd est permanent ou non, en théorie et en pratique, comme le soutiennent les hanbalites et
quelques chaféites. Al-’Âmidî, au 7e/xiiie siècle soutint le point de vue malékitc, hanéfite et chaféite, que
l’extinction des mujtahid était possible à certaines époques (voir n° 145).
§ 2 - L’Orient
A. Les califes et les Saljouqides

75128 — Les Saljouqides. Les Saljouqides (as-Saljûqîyûn) descendaient de groupes nomades turcs, qui
avaient été convertis à l’islam au 4e/xe siècle par le contact avec les Sammanides hanéfites. Ils avaient
même fondé une dynastie musulmane au Turkestan (Kharakhanides). Ils s’infiltrèrent dans les marches de
l’Islam et commencèrent à établir leur pouvoir aux dépens des Ghaznévides. À partir de 1037 les deux
fils d’un certain Saljûq, Tughrul et Dâwûd, établirent leur puissance. Ils battirent le ghaznévide Mas’ûd en
1040 et prirent le Khurasân, le Tabaristân, puis Ispahan, enfin Baghdad en 1055. Hanéfites, ils étaient
bien disposés envers le calife sunnite al-Qâ’im (1031-1075). Tughrul adopta le titre de sultan pour la
première fois, ce qui consacrait la division de fait entre le pouvoir spirituel du calife et le pouvoir
temporel du sultan (Wiet, Hist. Univ. p. 111).
76Les Fatimides suscitèrent pourtant une révolte dans le Nord-Est, et obligèrent Tughrul à quitter Baghdad
pour la réprimer. Les troupes fatimides, conduites par Basâsîrî entrèrent dans la ville à la fin de 1058. Le
calife abbasside al-Qâ’im fut destitué. Pendant une année la prière fut dite au nom du calife fatimide.
Mais les Fatimides ne purent se maintenir, les Saljouqides revenant en force. Tughrul réinstalla le calife
al-Qâ’im en 1060. Les chiites de Baghdad prirent la fuite. Les rivalités entre sunnites s’accentuèrent dans
la capitale par la suite. L’acharisme avait rallié la majorité des sunnites non hanbalitcs contre les
hanbalitcs (qui avaient des alliés chaféites). Ce qui se jouait c’était la possibilité même d’une théologie
soumise au droit et à l’exégèse comme l’acharisme.
77Avec le saljouqide Alp Arslan (1063-1072) la pression sur l’Ouest s’accentua. La victoire de
Manzikert (1071) contre les Byzantins ouvrit aux conquérants les portes de l’Anatolie. Damas fut prise en
1078 sous le règne du saljouqidc Mâlik Châh (1072-1092). Son vizir, Niẕâm al-Mulk, auteur d’un Traité
de gouvernement, fut la grande figure de l’ordre nouveau. Il couvrit le monde musulman de médersas
sunnites. Il tomba sous les coups des Assassins d’Alâmût (voir n° 135).
78129 — La lutte des rites sunnites à Baghdad. Le départ des chiites hors de la ville de Baghdad à
l’arrivée des Saljouqidcs, mit au premier plan les polémiques entre sunnites. La madrasa Niẕâmîya
devait, d’après sa constitution (en waqf) n’enseigner que le fiqh chaféitc. Le directeur en fut le célèbre
Abu Isẖâq ach-Chîrâzî. Les hanéfites firent construire leur propre médersa sur la tombe d’Abû Hanîfa.
Les hanbalites menaient campagne contre ceux qui étaient accusés d’enseigner le mutazilisme. Ils
manifestaient dans les rues (et ach-Chîrâzî avec eux) pour dénoncer le relâchement des moeurs aussi bien
que la perte de la valeur de la monnaie (1072). Ils sommaient Ibn ‘Aqil (un hanbalite pourtant) de faire
une rétractation publique contre le mutazilisme... etc. Le censeur hanbalitc vigilant, Abû Ja’far, joua un
grand rôle dans toutes ces affaires. Il fut accusé d’anthropomorphisme par un enseignant de la Nizâmîya
mais il obtint l’éloignement de l’accusateur. Le calife à qui on faisait constamment appel dans ces affaires
religieuses était le plus souvent impuissant à satisfaire tout le monde.
79Les hanbalitcs n’étaient pas tous extrémistes, Abû Muẖammad at-Tamîmî par exemple pensait que le

devoir d’ordonner le bien et d’interdire le mal ne devait pas être un prétexte à discordes, mais au
contraire une forme de l’assistance duc au calife. Pourtant la prééminence hanbalitc était telle à Baghdad
que le saljouqidc Mâlik Châh finit par la reconnaître (Laoust, Schismes, p. 189 sq.). Hors de Baghdad, le
hanbalisme avait aussi ses grands militants tel ‘Abd Allâh al-Ansârî, soufi également, à Nichapur et à
Hérat.
80130 — Théologie. Al-Ghazâlî. Le siècle des Saljouqides marqua l’apogée de l’acharisme (Laoust,

Schismes, p. 200-209). Al-Juwaynî, surnommé imâm al-Haramayn parce qu’il enseigna un temps à la
Mecque et à Médine, devint le protégé de Niẕâm al-Mulk qui lui confia un enseignement à la Niẕâmîya de
Nichapur. Entre autres écrits, il laissa al-Irchad, un traité de théologie qui eut un succès immense, et al-
Burham fî usûl al-fiqh qui est réputé être l’ouvrage le plus difficile de la langue arabe. Il fut le maître de
la plupart des grands acharites de son temps.
81Le plus célèbre de ses élèves fut al-Ghazâlî, l’Algazel des auteurs latins, qui enseigna le fiqh chaféite à

la Niẕâmîya de Baghdad, puis se convertit au soufisme à la suite d’une crise intérieure, voyagea, reprit un
enseignement à Nichapur, et finit sa vie à Tûs sa ville natale. C’était un juriste avant tout. Dans son traité
d’usûl al-fiqh (al-Mustasfâ), il rejetait le principe hanéfite de l’istiẖsân (recherche du meilleur, équité) et
le principe malékite de l’istislâẖ (recherche de l’intérêt commun ou particulier). Tout en jugeant le fiqh en
soufi en soutenant que son but essentiel était de conduire le musulman à la vie future, il n’admettait pas
que les principes de l’amour de Dieu puissent dispenser de l’obéissance à la loi. Il s’inscrivait ici contre
les ibâẖîya, c’est-à-dire ceux qui élargissent le domaine de l’ibâẖa, la permission de transgresser la loi.
En politique il était très conformiste, mais il minimisait l’importance du califat, préférant une politique de
regroupement des musulmans sans sectarisme. Son oeuvre théologique (Iẖyâ’ ‘ulûm addîn, la
revivification des sciences religieuses) est aussi celle d’un soufi, pour lequel l’acte de foi est la
démarche essentielle, aboutissant prioritairement à la soumission au Coran et à la Sunna. Héré-siographe,
il critiqua l’ismaélisme et la philosophie, notamment dans sa célèbre autobiographie al-Munqidh min aḏ-
ḏalâl.
82131 — Division de l’Empire saljouqide. La domination saljouqide admettait les principautés vassales,

la persistance des langues et coutumes locales, tout en unifiant les esprits par une politique
d’enseignement islamique. L’administration fut confiée aux plus compétents, les Persans. L’armée resta
l’affaire des Turcs saljouqidcs et son entretien fut fondé sur une généralisation du système de l’iqtâ’.
C’est la concession de l’impôt d’un territoire à un officier. Il se distingue du système féodal, existant à la
même époque en Occident, par le fait que l’officier qui recevait la concession n’était en rien un seigneur
héréditaire possesseur de droits étendus sur le territoire et ses sujets.
83Les querelles dynastiques entre Saljouqides se réglaient souvent par le partage et cette politique eut
raison par la suite de l’unité du monde oriental. Au moment où les Croisés dévalaient du Nord et
prenaient Jérusalem (1099), les musulmans étaient désunis. On peut distinguer au début deux lignées de
sultans, celle de l’ouest qui vit se succéder Muhammad (1105-1118), Maẖmûd (1118-1131) et Mas’ûd
(1131-1152) ; et celle de l’est avec Sandjar (1118-1157). Ces sultans qui se succédèrent n’eurent que peu
d’autorité sur les princes (malik) de leur famille. Par la suite la décomposition s’accentua. Ce fut le
temps des principautés (certaines arabes, d’autres buwayhides, le plus souvent saljouqides). Près d’une
dizaine de dynasties se sont ainsi partagé le Proche Orient selon des frontières mouvantes. On a appelé
cette époque l’époque des atabeg-s. Les atabeg-s sont les régents, tuteurs des princes trop jeunes. Le titre
était souvent porté par les dynastes saljouqides. Le plus intéressant de ces pouvoirs est celui des
Abbassides.
84132 — Le renouveau abbasside. Depuis al-Qâ’im (1031-1075), les Abbassides avaient continué de se
succéder, protégés par les sultans saljouqides. Mais ils s’efforcèrent de regagner leur influence en
grignotant celle des atabeg-s saljouqidcs. Au 7e/xiie siècle les califes commencèrent à s’immiscer dans
les querelles de succession, en arbitres. Le 29e Abbasside, al-Mustarchid (118-1135), mena une armée
contre la principauté arabe chiite de Hilla, quelque peu pillarde, et la vainquit en 1123. Ar-Rachîd prit
les armes contre le saljouqidz Mas’ûd, mais fut déposé (1135-1136). Al-Muqtafî (1136-1160) fut le
premier qui eut une certaine autorité. Il s’appuyait sur un vizir loyal, le hanbalite Ibn Hubayra qui oeuvra
pour un rapprochement non seulement entre les quatre écoles sunnites mais même avec les chiites : c’est
tout le sens de son Kitâb al-ifsâẖ qui est un commentaire des Sahîh de Bukhârî et de Muslim et en même
temps un traité de droit comparé.
85Le calife al-Mustanjid (1160-1170) favorisa le hanbalisme et en particulier le prédicateur Ibn al-Jawzî.
Al-Mustadi (1170-1180) fît de même et Ibn al-Jawzî redoubla d’activité et devint une sorte d’inquisiteur.
En 1179, la tombe d’Ibn Hanbal fut assortie d’une inscription faisant de l’imam le défenseur par
excellence de la foi sunnite (Laoust, Schismes, p. 213).
86À cette époque (5e/xie siècle), trois auteurs hérésiographes sont importants par leurs critiques des

philosophes arabes. Chahrastânî, dans son livre d’hérésiographie, le Kitâb al-milâl, une des oeuvres
essentielles en la matière, place les philosophes arabes après les juifs, les chrétiens, les philosophes
grecs et tout juste devant les polythéistes. Ibn al-Jawzî, zélé hanbalite, laissa une oeuvre polémique
contre les hérésies dans lesquelles il inclut la philosophie et certaines formes du soufisme (concerts
spirituels monachisme errant). Fakh ad-Dîn ar-Râzî est plus personnel, il exclut les philosophes de
l’islam, mais admet les soufis, dans la mesure où ils respectent la loi et où ils se refusent à
l’incarnationisme.
87Le califat devint réellement indépendant avec an-Nâsir (1180-1225). Ce calife prit l’initiative de créer

une sorte de chevalerie, la futûwa, qui devait lui être toute dévouée. Il employa des chiites, des soufis
aussi bien que des hanbalites. Il se libéra complètement des Saljouqides (1194) en appelant les
Khawarizmiens, et fit appel aux Mongols contre les Khawarismiens qui furent abattus sous son règne
(1220), politique éminemment dangereuse. Il réussit à rallier au califat les nizaris d’Alâmût, ce qui était
assurément un exploit, mais sans lendemain (1218). En revanche, le chérif de la Mecque, resta
indépendant.
88Aẕ-Ẕâhir (1225-1226) favorisa le rapprochement entre le sunnisme et le chiisme, mais eut un règne trop

court. Al-Mustansir (1226-1242) fonda une madrasa célèbre, la Mustansirîya (1234). Elle enseignait les
quatre écoles orthodoxes, et faisait une place importante aux sciences non religieuses. Elle fut détruite par
les Mongols. Al-Musta’sim (1242-1258) confia le vizirat au chiite Ibn al-’Alqamî que l’historiographie
accuse d’avoir intrigué avec les Mongols. Le conflit entre les chiites et les sunnites, qui s’était bien calmé
avec an-Nâsir, reprit à partir de 1248. Le calife fut exécuté par les envahisseurs en 1258 en même temps
que Baghdad était ravagée (Laoust, Schismes, p. 223-27).
89133 — Les confréries, les mystiques. On a signalé la naissance, au 4e/xe siècle du soufisme comme
discipline religieuse admise dans le giron des sciences sunnites, dans la mesure où il reste soumis au
droit et à l’acharisme. A l’époque saljouqide al-Ghazâlî acheva la réconciliation entre le droit, la
théologie et la mystique. C’est la fidélité absolue aux sources (Coran, Sunna), donc le droit, qui sont
confirmées comme formant l’ossature de l’islam sunnite.
90La fin de l’époque saljouqide fut celle du développement des confréries religieuses proprement dites.
Désormais il ne s’agit plus d’un ensemble de disciples d’un même maître, sans trop de liens entre eux,
mais de véritables institutions. Elles étaient organisées non seulement par la pensée (celle du maître
fondateur) mais aussi matériellement en couvent, avec ses multiples relais d’entraide et surtout l’appui
dévoué de populations entières... Ce furent donc de redoutables forces politiques qui se constituèrent. Il
est probable que l’importance des ulémas comme relais vers les populations ou comme source de
légitimité religieuse fut diminuée par cette concurrence. La première grande confrérie mystique (ṯarîqa),
celle des qâdirîya, fut fondée à cette époque par ‘Abd al-Qâdir al-Jîlî. Son disciple, Chihâb ad-Dîn as-
Suhrawardî, vécut dans l’entourage du calife abbasside an-Nâsir et dirigea un collège avant sa disgrâce.
La confrérie qui est issue de sa pensée ne naîtra qu’à l’époque suivante, comme la plupart des grandes
confréries.
91Un autre mystique, sans conteste très important, est l’andalou Ibn ‘Arabî, qui vécut en Orient à partir de
1201 et s’installa définitivement à Damas en 1223 jusqu’à sa mort (1240). Le prince de la ville,
l’ayyoubide al-Mâlik al-Achraf (1228-1237), fut son protecteur et son disciple. L’oeuvre d’Ibn ‘Arabî est
abondante et profonde, mais apportant des notions nouvelles et se plaçant au-delà les divergences, dans
un esprit d’ouverture, elle suscita par la suite le soupçon. Les juristes en particulier voyaient dans la
notion de walâya (amitié de Dieu) le germe d’un mépris de la loi. C’est dire combien a été tenace le
conflit entre le droit et la mystique, malgré al-Ghazâlî.
92134 — Châhs Khawârizm et Ghurides. Ce pouvoir abbasside est contemporain d’un autre, en Perse,

celui des Châh Khawârizm. Le titre de Khawârizm Châh était donné traditionnellement à tout maître du
Khawârizm (entre la Transoxiane et la mer Caspienne). Au début du 6e/xiie siècle, le saljouqide Malik
Châh y nomma un gouverneur turc. Les fils du gouverneur lui succédèrent à ce poste et avec ce titre de
Khawârizm Châh. A partir de 1140, un de ces derniers, Atzîz, se rendit indépendant. Un de ses
successeurs, Tukuch (1172-1200) s’étendit aux dépens des Saljouqides, de la Transoxiane jusqu’au
Khorasân, territoires d’ailleurs fort malmenés par des invasions (Oghuz, Karakitaï). Le Khawârizm Châh
‘Alâ d-Dîn Muẖammad (1200-1221) acheva la conquête de la Perse, poussa jusqu’en Irak en 1217. Il
songeait à remplacer le calife par un Alide. Mais le mauvais temps arrêta ses armées, et de l’est,
arrivaient les Mongols de Gengis Khân (qu’il avait provoqués). La Transoxiane et le Khorassan furent
ravagés et l’Empire des Khawârizm fut abattu (1219-1223).
93Plus à l’est, en Afghanistan et en Inde, les Ghurides (Ghûrîyûn) avaient remplacé les Ghaznévides et

occupé le Pakistan actuel (1186). En 1191-1194, ils conquirent la moyenne vallée du Gange, puis
ajoutèrent la basse vallée (Bengale) en 1204, formant ainsi ce qu’on appellera le sultanat de Delhi. Le
conquérant, Mu’izz ad-Dîn, était chaféite. Sa dynastie fut détrônée par ceux que l’on a appelés les
“sultans-esclaves” (des mamlouks, esclaves turcs enrôlés dans l’armée, puis devenus officiers).
L’Afghanistan passa aux Châh Khawârizm, puis aux Mongols, mais le sultanat de Delhi fut épargné. Le
sultan-esclave de Delhi, Iltumich (1210-1236), conquit le Rajastan, persécuta les chiites ismaéliens et fut
intolérant envers les hindous. Hanéfitc, il favorisa son rite, au détriment du chaféisme.

B. Les chiites en Orient

94135 — Les septimanains. Les nizaris d’Alâmût. En Égypte fatimide, al-Musta’alî succéda à al-
Mustansir grâce au vizir al-Afḏal. Le fils d’al-Hâkim, Nizâr, qui avait été écarté, se révolta, mais fut
vaincu et emmuré. Ses partisans, qui s’étaient emparé, en 1090, de la forteresse d’Alâmût, dans le
Daylam, sous la conduite de Hasan (Bn) as-Sabbâẖ, déclarèrent que Nizâr était vivant. Les nizaris furent
connus sous le nom d’assassins (ẖachâchîn, ceux qui se droguent au ẖachîch) et sont restés célèbres par
leurs actions terroristes, en particulier contre les Saljouqides. Un autre groupe de nizaris s’installa en
Syrie et s’attaqua moins aux Croisés qu’aux monarques saljouqides et aux cadis qui prêchaient la guerre
sainte contre eux. Partout ils furent détestés pour leurs crimes, même par les chiites duodécimains, même
par les septimanains fatimides. Une expédition sunnite tenta d’attaquer la citadelle en 1118, mais échoua.
En 1121, on se mit à massacrer leurs adeptes dans leur royaume, avec les mêmes moyens terroristes qui
furent les leurs. À Damas en 1128, plusieurs milliers de supposés nizaris furent massacrés (Laoust,
Schismes, p. 196).
95La secte ne pouvait évoluer que vers la modération. La mort de Hasan as-Sabbaẖ (1124) en brisa l’élan
fanatique. Au milieu du 6e/xiie s. le pouvoir d’Alâmût constituait une principauté parmi les autres. Sous le
maître Hasan II, qui proclama être l’imam attendu et la caducité de la loi islamique, on eut pu craindre
des revirements. Mais la secte resta modérée. Les successeurs de Hasan II renoncèrent à l’abolition de la
loi islamique. La secte s’allia un moment, en 1210, au califat abbasside. La citadelle d’Alâmût fut
emportée par les Mongols en 1257. La secte survit encore à l’heure actuelle en plusieurs points du Moyen
orient et notamment en Inde : ce sont les Khojas dont le chef spirituel est l’Agha Khân (Corbin, p. 444).
96136 — Les duodécimains. Le chiisme duodécimain se répandit notablement dans la population durant

cette époque (Garcin, p. 147). Les communautés vivaient dans le calme et coexistaient relativement bien
avec les sunnites. Eux aussi construisirent des médersas où ils transmirent leur doctrine. On peut dire que
leur histoire est d’abord celle de leurs doctrines, avant d’être celle de leur situation politique. N’ayant
pas le pouvoir, les chiites n’appliquaient leur droit que dans ses aspects cultuels.
97Le droit de cette époque comportait un certain nombre de contradictions (ducs au rapprochement avec
le sunnisme) ce qui amena une génération de critiques au 6e/xe siècle, dont la figure prédominante est
celle d’Ibn Idrîs al-Hillî qui rejeta les traditions uniques et critiqua vivement Chaykh aṯ-Ṯâ’ifa. Les deux
grands auteurs de la fin du 7e/xiiie siècle, al-Muhaqqiq et al-’Allâma, avaient déjà commencé leur
carrière à la veille de l’invasion mongole. A noter encore, un auteur important, Ibn Abî l-Hadîd, qui
quitta le chiisme pour le mutazilisme. Il travailla au service des derniers Abbassides. Il laissa un
commentaire du fameux Nahj al-balâgha, compilation des dits de ‘Alî. Il critiqua le traité d’usûl al-fiqh
de al-Ghazâlî, ainsi que le traité de théologie de Fakhr ad-Dîn ar-Râzî (Laoust, Schismes, p. 250).
§ 3 - L’Égypte et la Syrie
A. Les chiites

98137 — Les septimanains. La fin des Fatimides. Le règne d’al-Mustansir fut long (1036-1094).
L’équipée de Baghdad (1058-1060) fut sans lendemain. Tout au plus suscita-t-elle la haine des
Saljouqides contre les Fatimides. Comme ses prédécesseurs, al-Mustansir ne parvint même pas à établir
son autorité de manière stable en Syrie.
99À partir de 1060 ses troupes ne cessèrent de se déchirer. C’était une tradition en Égypte que de voir les
corps d’armée, arabes, berbères, persans, turcs et noirs s’entretuer chaque fois que l’autorité du calife
faiblissait. Vers 1070 l’Égypte connut la plus sinistre famine de son histoire. Le calife lui-même n’avait
presque rien à manger. La dynastie fut sauvée par un officier à poigne, Badr al-Jamâlî, qui, avec ses
Arméniens, massacra les officiers indisciplinés, les troupes et tribus pillardes, et instaura une autorité
forte qui dura de 1070 à 1094. Mais le calife, qui mourut la même année que son ministre, ne gouvernait
plus.
100Le successeur d’al-Mustansir fut al-Musta’alî (1094-1101). Al-Afḏal, son ministre, fils de Badr al-

Jamâlî, ne put arrêter les Croisés qui prirent Jérusalem (1099), profitant de la division du camp
musulman. La Syrie était en effet depuis longtemps un champ de bataille entre Qarmates, Fatimides,
Arabes de Palestine, princes divers d’Alep, de Damas et de Mossoul, sans oublier les Byzantins et les
Saljouqides qui entraient en lice.
101Le pouvoir fatimide s’effondrait. Les derniers fatimides furent des enfants, et les vrais maîtres furent
les vizirs, ayant reçu, comme Badr al-Jamâlî, délégation totale et permanente (1101 à 1154). Le vizir
cumulait aussi la responsabilité de la justice et de la mission religieuse fatimide (il était dâ’î ad-du’ât,
chef des missionnaires). C’était d’autant plus curieux que sur les 14 vizirs qui se succédèrent “on trouve
toutes les confessions, sunnite, chrétienne, chiite imamite, un seul fut ismaélite” (Th. Bianquis in Garcin,
p. 110). Al-Afḏal fut responsable du schisme nizarite en installant al-Musta’alî (cf. n° 135). Ses
successeurs ne cessèrent d’intriguer les uns contre les autres et de s’assassiner jusqu’à la mise en ordre
des Ayyubides. L’ismaélisme fatimide survit encore à l’heure actuelle et notament au Yémen et en Inde
(Bohras) (Corbin, p. 444).

B. Les batailles de Syrie-Palestine ; la victoire sunnite

102138 — Croisades et réactions musulmanes.. Au début du 7e/xiie siècle, les Croisés étaient solidement

établis sur la côte syro-palestinienne en quatre principautés : le comté d’Édesse (1098), la principauté
d’Antioche, le comté de Tripoli et le royaume de Jérusalem (1099). Toutefois ils étaient en petit nombre
et leur force résidait dans les divisions du monde musulman. La prise d’Edesse (1144) par le prince
saljouqide Zankî (qui avait unifié Alep et Mossoul) déclencha par ricochet la deuxième croisade (1147-
1149).
103Celle-ci se heurta à l’État saljouqide de Rûm qui devenait de plus en plus puissant en Anatolie. Le fils

de Zankî, Nûr ad-Dîn (1146-1174) combattit à son tour cette seconde croisade et reprit la moitié de la
principauté d’Antioche et la ville de Damas (1154). Il fit échouer les tentatives chrétiennes contre
l’Égypte fatimide. Dans cette lutte, émergea un officier kurde, Salâẖ ad-Dîn (Saladin) qui, en 1171 mit fin
au califat fatimide. Ce fut le début de la dynastie des Ayyoubides, les nouveaux maîtres de l’Égypte.
Saladin (1169-1193) prit Damas, Alep, Mossoul avant de défaire les Croisés à Haṯṯîn et de reprendre
Jérusalem (1187). La désunion s’était installée dans le camp des Croisés qui ne possédaient plus que
quelques places fortes sur la côte.
104La troisième croisade (1190-1192) passa difficilement l’Anatolie et échoua à reprendre Jérusalem.

L’État saljouqide de Rûm était à son apogée. La quatrième croisade se tourna contre Constantinople
(1202-1204). La cinquième attaqua l’Égypte prit Damiette, mais fut vaincue et se rembarqua (1216-
1221). La sixième croisade fut conduite par l’excommunié Frédéric II qui obtint Jérusalem par une
négociation avec l’ayyoubide al-Kâmil (1228-1229), au grand scandale des hommes pieux des deux
rives. Peu après, en 1244, Jérusalem subit un nouveau massacre perpétré par les Khawarizmiens refoulés
par les Mongols et alliés incontrôlables de l’Égypte. Les Égyptiens durent les anéantir en 1246. La
septième croisade (1248-1252) se porta contre l’Égypte. Saint Louis prit Damiette mais fut battu à
Mansourah (1250). À l’est, les Mongols arrivaient et balayaient les principautés saljouqides ainsi que le
califat abbasside (1258). Les Mamlûks, successeurs des Ayyoubides, voyaient se dresser devant eux un
adversaire de taille.
105139 — La Syrie pendant les croisades. En Syrie le sunnisme fut rétabli en même temps que l’avance

saljouqide, avant l’arrivée des Croises. L’émir Tutuch, frère de Mâlik Châh, y favorisa le hanbalisme et
le chaféisme. Mais les chiismes imamite et ismaélien conservaient de nombreux adeptes. Les nizaris
(d’Alâmût) y sévirent au tournant du 5e-6/xie-xiie siècle. Le hanéfite Nûr ad-Dîn, seigneur d’Alep, que
nous avons vu lutter victorieusement contre les Croisés jusqu’en Égypte, pratiqua une politique de
rapprochement entre les rites. La Nûrîya, sa médersa, son tribunal des injustices (dâr al-’adl, maison de
la justice), faisaient droit aux quatre rites sunnites. Il relança l’étude de la tradition en créant un dâr
ẖadîth, se préoccupa aussi des confréries (création de hanaqah, couvent hôtellerie), des hôpitaux...
106140 — Les Ayyoubides (al-Ayyûbîyûn) en Égypte et en Syrie. Avec la dynastie ayyoubide, un véritable

empire sunnite se reconstitua, de la Cyrénaïque au Yémen et de la Nubie à l’Anatolie. Seules subsistèrent


quelques enclaves chrétiennes. Quand les Mongols détruisirent Baghdad, l’Égypte devint le centre vital
de l’Islam. De plus elle détournait à son profit les voies commerciales (en particulier la route des épices)
et les principautés franques perdaient de ce fait tout intérêt pour le commerce occidental.
107La venue des Ayyoubides ramena le sunnisme au premier plan et la doctrine chiite cessa d’être
enseignée en Égypte et en Syrie. Salâẖ ad-Dîn était chaféite et les chaféites se trouvèrent à la place
d’honneur, mais sans sectarisme, puisque que Saladin en personne assista au cours du malékite Ibn ‘Awf
sur le Muwaṯṯa’ de Mâlik et qu’il employa le hanbalite Ibn an-Najâ. Il favorisa aussi l’acharisme et le
soufisme. Il combattit l’ismaélisme en Syrie, mais parvint semble-t-il à un compromis (Laoust, Schismes,
p. 230). Toutefois, c’est sous le règne de Saladin qu’eut lieu le procès et l’exécution du philosophe
mystique Suhrawardî (1191). Il semble qu’il fut piégé par des docteurs jaloux qui lui firent dire que Dieu
pouvait envoyer un nouveau prophète, proposition hérétique car Muẖammad est le sceau des prophètes
selon le Coran. Le fondateur de l’ichrâq (illumination), la philosophie orientale des lumières (cf.
Corbin), voulait-il seulement défendre la toute puissance de Dieu ? Voulait-il, si l’on suit Ibn Taymîya, se
faire reconnaître comme prophète ?
108La famille de Saladin se partagea le royaume. Les divers monarques ayyoubides ont favorisé tantôt un
rite, tantôt un autre. Par exemple, Al-’Azîz (1198-1199), sultan d’Égypte, poussé par le chaféitc Chihâb
ad-Dîn aṯ-Ṯûsi, voulut expulser les hanbalites, mais mourut avant de mettre son projet à exécution. Al-
Mu’azzam, à Damas de 1218 à 1227, hanéfite, favorisa au contraire le hanbalisme. Son successeur al-
Achraf soutint le soufisme d’Ibn ̒ Arabî. Najm ad-Dîn Ayyûb (1240-1249) fit construire une école, la
Sâliẖîya, pour les quatre rites. Il n’est pas étonnant alors que les querelles aient été fréquentes, surtout
entre hanéfites et chaféites (Laoust, Schismes, p. 232-234).
109Selon Ibn Khaldûn (Monteil, 3, 943-944), c’est à cette époque que la doctrine malékite, qui était

divisée en trois courants assez imperméables (espagnol, tunisien, oriental) s’orienta vers une fusion des
traditions. Il signale le voyage qu’Abû Bakr aṯ-Ṯurṯûchî (de Tortosa) fit d’Espagne en Égypte au 6e/xiie
siècle, comme le commencement de ce rapprochement. Un de ses élèves Abû ̒ Amr Bn al-Hâjib écrivit un
résumé (Mukhtasar) où il rapportait les doctrines espagnoles et égyptiennes. Entre tous les élèves de ce
juriste, il faut signaler aussi al-Qarâfi, qui se distingua en matière d’usûl al-fiqh. Selon Ibn Khaldûn, à la
fin de la période, l’avant-dernier calife abbasside, al-Mustansir, qui ne régna pas un an (1226), fit appel à
ach-Charimsâẖî pour enseigner dans la madrasa Mustansirîya à Baghdad. Ce dernier réussit à échapper
aux massacres mongols et vécut à Baghdad jusqu’à sa mort (ibid.).
110Toujours selon Ibn Khaldûn (3, 939), on observe la môme jonction des doctrines dans le chaféisme,

jusqu’ici divisé entre une tradition chaféite première manière (orientale) et une tradition seconde manière
(égyptienne). C’est ar-Râfi’î, juriste du Khorassan, qui est l’auteur de cette fusion et ses livres furent
répandus en Égypte.
§ 4 - L’Occident

111141 — La Tunisie. On a vu qu’au 5e/xie siècle, le cinquième gouverneur ziride, Mu ̒ izz Bn Bâdis

(1015-1061) finit par rompre avec les Fatimides du Caire et par faire allégeance au calife sunnite de
Baghdad, qui était sous la tutelle saljouqide. En punition, le fatimide al-Mustansir lui avait envoyé des
tribus arabes nomades très turbulentes, les Banû Hillâl, que suivirent les Banû Sulaym, qui dévastèrent la
Tripolitaine et la Tunisie. Une période d’anarchie avait suivi.
112Au 6e/xiie siècle, les Normands profitèrent des troubles tunisiens pour prendre Mahdia aux derniers

zirides impuissants (1148). Ils furent battus à leur tour par les armées marocaines de l’almohadc ̒ Abd al-
Mu’min (1160). L’imâm al-Mâzârî vécut pendant cette période.
113Selon Yadh Ben Achour, dès cette époque, du 5e/xie au 6e/xiie siècle se produisit la “contraction” du

malékisme ; la doctrine se resserra autour des opinions “les plus probables”. L’auteur le plus lu, quoique
non représentatif de l’esprit de contraction de l’époque, bien au contraire, fut Ibn Ruchd le jeune
(Averroès), un espagnol, qui écrivit un traité de droit comparé, la Bidâya al-mujtahid, toujours très prisé
à l’heure actuelle.
114142 — Almoravides et Almohades. Au Maroc, au 5e/xie siècle la situation changea complètement avec

l’entrée dans l’histoire de Berbères voilés, qui nomadisaient entre le Sud marocain et le pays noir, les
Sanhaja Lemtouma. La prédication de ‘Abd Allâh Bn Yasîn aboutit à la fondation d’un couvent fortifié, un
ribâṯ (d’où les murâbiṯûn, qui a donné les Almoravides) sur la côte mauritanienne. Les Almoravides
effectuèrent la conquête du Maroc à partir de 1056 (prise de Sijilmasa) jusqu’en 1069 (prise de Fès).
Puis, sous la conduite du grand souverain de cette époque, Yûsuf Bn Tâchufîn (1087-1106), ils conquirent
la côte algérienne jusqu’à Alger et intervinrent en Espagne (cf. n° suivant). Malékites rigoristes, ils
avaient le fouet facile pour sanctionner tout manquement aux obligations religieuses. Ils n’étaient pas
hostiles aux soufis respectueux du droit. Le mérite de l’islamisation en profondeur du Maroc leur revient.
115Au 6e/xiie siècle la dynastie entra en décadence, selon C. A. Julien, du fait de son rigorisme même et
de sa soumission aux fuqahâ’ dont l’esprit casuistique détruisait la pensée créatrice (p 430-432). Il est
plus probable que cette décadence, surtout politique et militaire, soit due aux coups des chrétiens et des
Almohades.
116En effet, au Maroc, Les Almoravides furent surtout battus par de plus pieux qu’eux, les Almohades, au
6e/xe siècle. Le prédicateur des Almohades, Ibn Tumart, avait étudié en Orient et était plus théologien que
juriste. Son point d’appui était l’unité de Dieu (d’où l’appellation “les unitaires”, al-muwaẖẖidûn qui a
donné almohade). De là son refus de reconnaître, à l’instar des mutazilites, tout attribut en Dieu, par
crainte de l’anthropomorphisme. Pour le reste, Ibn Tumart était qadarite et acharite : l’homme est
prédestiné, le Coran et la Sunna sont les seules sources pour connaître la volonté libre de Dieu. En droit
la doctrine d’Ibn Tumart penchait donc vers le zahirisme : il refusait toute analogie, toute divergence, tout
rite. Il aboutit à un grand rigorisme, tout à fait conciliable d’ailleurs avec le malékisme pratique
(séparation des sexes, pas de musique ni d’alcool, punition pour les manquements aux prières...), qui
renforça l’aspect austère de la mentalité maghrébine.
117Au cours de la lutte qu’il entreprit contre les Almoravides, à partir de 1120, Ibn Tumart finit par se

considérer comme le Mahdi (c’est une idée chiite). Il trouva son calife (successeur) en la personne de
‘Abd al-Mu’min, qui prit la direction du mouvement après la mort du prédicateur (1130). ̒Abd al-Mu’min
guerroya longtemps avant d’achever la conquête du Maroc en 1147. Puis il conquit l’Algérie (1152), la
Tunisie et la Tripolitaine (1160). En 1161, il intervint en Espagne. Il mourut en 1163. Son successeur,
Abu Yaqûb Yûsuf (1163-1184), eut affaire à nombre de révoltes. Mais le règne de Yaqûb al-Mansûr
(1184-1199) fut particulièrement calme et florissant. Il en profita pour relancer le rigorisme almohade,
tracasser les juifs et les chrétiens et brûler les livres malékites au nom du Coran et de la Sunna.
118Le début du 7e/xiiie siècle fut marqué par la décadence de la dynastie. Le Maghreb central échappa au
contrôle almohade, en 1236, quand fut fondée la dynastie ‘Abd al-wahdite de Tlemcen. L’Ifriqiya (la
Tunisie) fut remise à des gouverneurs (les Hafsides) qui agirent indépendamment à partir de 1229. En
1277, le ẖafside Abû Zakarîya proclamait son indépendance et sa souveraineté. Les Banû Marîn, des
Zénètes refoulés dans la haute Moulouya, commençaient leurs pillages. En 1238 ils s’emparaient de Fès
et installaient une nouvelle dynastie marocaine.
119143 — L ‘Espagne. Le rapport de forces s’était inversé avec les chrétiens. Étrange époque où les
musulmans étaient soumis au statut des dhimmî-s dans les royaumes chrétiens, et où on compta jusqu’à
vingt trois unités musulmanes indépendantes. C’est dans ce contexte que vécurent al-Bâjî, Ibn ̒ Abd al-
Barr, al-Lakhmî, al-Asadî.
120Les progrès du roi de Castille Alphonse VI (qui prit Tolède en 1085) détermina l’intervention des

Marocains de l’almoravide Yûsuf Bn Tâchufîn à partir de 1084. Elle se termina par la déposition de tous
les roitelets espagnols et par la reprise de la guerre contre les chrétiens. Les Almoravides firent régner le
malékisme le plus strict. Les Mozarabes (les chrétiens arabisés) durent fuir au Nord. Les alfaquies
(fuqahâ’ malékites) traquèrent les libres penseurs. Les livres d’al-Ghazâlî furent brûlés (1109). Au 6e/xiie
siècle les Almoravides s’affaiblirent. Saragosse fut prise par Alphonse le Batailleur (1120). La fin des
Almoravides est considérée comme une seconde période de Taïfas. C’est l’époque où vécurent de grands
auteurs comme le cadi ‘Iyâḏ, Ibn al-̒Arabî (le juriste) ou Ibn Ruchd l’ancien, commentateur d’al-’Utbî.
121Mais, de nouveau, les Marocains intervinrent sous la direction de l’almohade ‘Abd al-Mu’min (1145-

1150) et réalisèrent l’unité de l’Andalousie. Ils bataillèrent contre la principauté d’Almeria d’Ibn
Mardanich jusqu’à sa chute, en 1172. Les Almohades rejetaient l’autorité des grands imams, trouvant tout
à fait scandaleux l’existence de divergences. Mais ils reconnaissaient le Muwaṯṯa’ comme un livre
essentiel en matière de ẖadîth. En théologie leur tendance fut nettement acharite, et c’est finalement eux
qui assurèrent le succès des oeuvres d’al-Juwayni, en particulier al-Irchâd qui deviendra la référence
des malékites, en matière de théologie. Le malékisme, en dépit des Almohades persista. C’est l’époque
du philosophe Ibn Tufayl, dont le roman philosophique conclut de manière pessimiste à
l’incompréhension irrémédiable du droit envers la philosophie et la mystique, qui, elles, peuvent se
comprendre. Son contemporain, Ibn Ruchd le jeune, l’Averroès des latins, n’est pas seulement un célèbre
philosophe, mais aussi un juriste, moins original en droit qu’en philosophie. Lui aussi réfléchit sur les
rapports entre la Loi et la philosophie. Dans son Fasl al-maqâl (Discours décisif) il justifie la seconde
par la première. La philosophie ne serait pour lui que le degré le plus élevé de l’intellection de la Loi
(Laoust, Schismes, p. 235-240).
122L’extension musulmane reprit vers le Nord sous la direction de l’almohade Abû Yûsuf Yaqûb al-
Mansûr (1184-1199). Il obtint une victoire à Alarcos, en 1195, sur les chrétiens, mais Tolède ne fut pas
reprise. Au contraire, cette victoire provoqua un sursaut chrétien, et le pape Innocent III proclama la
croisade. Al-Mansûr hésita en matière juridique : il fut d’abord malékite, puis zahirite et pencha
finalement pour le chaféisme. Mais il n’eut pas d’influence sur la majorité espagnole qui resta malékite.
123Au début du 7e/xiiie siècle, les Almohades furent battus à Las Navas de Tolosa (1212). Les chrétiens
n’exploitèrent pas tout de suite leur victoire et on considère qu’une troisième période de Taïfas
s’ensuivit. Puis, au milieu du siècle, Ferdinand III de Castille, Jaime Ier d’Aragon et Alphonse III du
Portugal achevèrent l’essentiel de la reconquista et l’Espagne musulmane fut réduite au petit royaume de
Grenade qui subsista jusqu’en 1492, sous la dynastie des Nasrides.
124144 — Le “sunnisme dur”. L’époque saljouqide est celle du triomphe du sunnisme. Mais c’est “un

sunnisme dur” (Garcin, p. 255). Est-ce le fruit amer des croisades ? Le choc des croisades a certainement
joué un rôle dans ce durcissement : avant même la prise de Jérusalem, en 1098, un faqîh chaféite de
Damas prêcha la guerre sainte individuelle ; des cadis animèrent la résistance, envoyèrent des émissaires
aux différents princes, accordèrent à ceux qui s’engagèrent tout leur appui, aux Zankides, aux Ayyubides...
Il est certain que ces hommes n’étaient pas en situation de défendre un “sunnisme mou”.
125Pourtant ce sunnisme dur n’est pas le produit de la guerre extérieure, mais bien celui des luttes
intérieures : la médersa est née avant les croisades, et avant tout pour lutter contre les ennemis intérieurs,
chiites et hétérodoxes de toutes sortes. La croisade n’a jamais été dangereuse militairement ; elle est
même la bonne affaire, le bon argument qui va permettre de resserrer les rangs, de dénoncer avec vigueur
tout écart à la norme. Le jihâd, oublié au 5e/xie siècle (Bresc, in Garcin p. 192), sera réactivé. La
doctrine sunnite ne commença à parler qu’à cette époque de jihâd interne (Morabia, p. 302). On peut se
demander si l’objectif principal du jihâd est toujours la réduction du dâr al-ẖarb ou bien désormais
l’élimination de l’hétérodoxie et des nouveautés. En tout cas, à partir de l’époque suivante, les formes
intellectuelles de l’islam semblent se figer.
SECTION III - L’ÉPOQUE MONGOLE ET MAMLOUKE LE
TEMPS DES COMMENTAIRES (DU MILIEU DU 7e/XIIIe À
LA FIN DU 9e/XVe SIÈCLE)
§ 1 - Généralités
126145 — L’évolution de la doctrine en général. Ce sunnisme dur ne pouvait qu’entraîner une
atmosphère de suspicion générale. L’époque qui suivit fut celle des procès en hérésie, où toutes sortes de
tensions se révélèrent, de la pure querelle personnelle à la divergence profonde et irréconciliable. La vie
d’Ibn Taymîya témoigne de cette ambiance, que les hanbalites ont largement contribué à créer, depuis
leurs origines. Juristes, théologiens et mystiques, presque tous en ont souffert.
127Pourtant, le temps des grandes querelles s’achevait peu à peu. Chez les juristes, les doubles formations

étaient fréquentes : on ne connaissait plus exclusivement tel ou tel rite. Mais peu nombreux furent ceux qui
cherchaient les voies d’un rapprochement ou d’une conciliation entre les rites. Au contraire chaque rite ne
songeait qu’à marquer sa différence et à préciser sa doctrine dans tous ses détails. Le résumé (mukhtasar)
fut l’expression favorite des choix de doctrine qui s’opéraient systématiquement dans les écoles. Il
appelait évidemment le commentaire, surtout s’il était écrit en style télégraphique (comme le celui de
Khalîl). Le résumé devient ainsi le texte de base (matn, pl. mutûn) que l’étudiant devait apprendre par
coeur et dont il comprenait le sens par la lecture du commentaire. Il y eut toutefois des résistances : Ibn
Taymîya, son disciples Ibn Qayyim, s’élevèrent contre le taqlîd, la doctrine de l’imitation des maîtres.
128Dans ce mouvement il y avait certes un risque d’uniformisation, mais il n’alla pas loin. Une autre

tendance dans cette réécriture du droit classique fut celle qui chercha à compléter la doctrine en la
poussant dans ses moindres conséquences. Il y eut ainsi des “accrétions”, des rationalisations, qui
ménagèrent une certaine adaptation du droit, cela notamment à travers les fatâwâ (consultations
juridiques) (Coulson, p. 141-148). La controverse sur la possibilité d’un arrêt de l’ijtihâd (voir n° 107 et
127) continuait, compliquée par des décalages de vocabulaire entre les auteurs. Il est certain toutefois
qu’on admettait que les mujtahid-s fondateurs d’école avaient cessé d’exister. Sur la fin des mujtahid-s
“dans l’école”, il y avait controverse. Un mouvement hostile à la prétention d’as-Suyûṯî d’être le
mujaddid du siècle, au même niveau que ach-Châfi’î et que al-Ghazzâlî allait favoriser la doctrine du
taqlîd à la fin de la période (détails in Hallaq p. 25-28) (voir n° 163).
129Un autre phénomène important est à signaler pendant cette période, phénomène sur lequel on a peu de
documentation, mais qui devrait être approfondi : celui de la naissance des codifications non
musulmanes. Ce mouvement est parallèle à la reconnaissance du concept de “siyâsa char’îya”, de
“politique conforme aux buts généraux de la loi islamique”. Celui-ci tendait à inclure dans la loi des
dispositions qui n’y figuraient pas, mais ressenties comme indispensables au maintien de l’Etat musulman
(condamnation à mort des homosexuels, des récidivistes, durcissement des procédures pénales, etc.). La
codification, comme l’introduction du concept de “siyâsa char’îya” revenait en fait à avouer que la loi
islamique telle que conçue à l’époque abbasside, était insuffisante pour la gestion de l’Etat. Ce sont les
hanbalites (Ibn Taymîya, Ibn Qayyim) qui assurèrent le succès de la nouvelle doctrine, mais ce sont les
Turcs et les Mongols qui introduisirent des codes coutumiers, concurrentiels du droit musulman. Les
Turcs ottomans, comme on le verra à section suivante, mais aussi d’autres (ceux de Dhulkadir, Heyd,
p. 44) curent des codes.
130146 — Les institutions judiciaires. À l’époque mamlouke, dans l’ordre de la justice cadiale, les
grands cadis se multiplièrent. En Égypte, Baybars en institua quatre, selon les quatre rites, le grand cadi
chaféite gardant la prééminence. De plus, dans chaque circonscription, le cadi principal était dit aussi
qâḏî l-quḏat (grand cadi). En fait c’est un dévoiement du titre, puisque les grands cadis provinciaux
dépendaient des cadis du Caire.
131Dans l’ordre de la justice administrative, les autres juridictions continuaient leur existence : police
(churṯa), police des marchés et des moeurs (ẖisba), juge des armées (cadi al-’askar), administration des
injustices (tribunaux des maẕâlim), aucune n’étant reconnue par la doctrine et toutes étant éminemment
politiques. La justice des maẕâlim continua sa bureaucratisation sous les Mamlouks, et il était difficile de
séparer les aspects judiciaires des aspects administratifs. Toutefois, à la fin de la période on tendait à
séparer les genres (Nielsen, E. I.2).
132Un rapprochement est à signaler entre les deux types de justice. On reconnut au juge le droit de juger

selon la “siyâsa char’îya” dans l’école hanbalite, malékitc (Ibn Farẖûn), puis hanéfite (aṯ-Ṯarabulsî).
Comme on l’a dit, la fonction du cadi avait pris de plus en plus d’importance du fait qu’elle a toujours été
considérée comme une fonction religieuse. Dans les périodes de troubles, au moment où toutes les
institutions s’effondraient, les cadis avaient toujours été reconnus comme légitimes. C’était souvent à
partir d’eux (par leur bay’a, leur serment d’allégeance) que le pouvoir de l’homme le plus fort du moment
trouvait une légitimité religieuse, essentielle à l’époque. Dans ces conditions il n’est pas étonnant que les
compétences du cadi n’aient cessé de s’accroître, en matière de fatâwâ ou en matière administrative. Si le
cadi prenait de plus en plus d’importance, ce n’est pas dire que les princes se soient toujours laissé faire.
Il était pourtant rare que le cadi voie ses compétences réduites dans son diplôme de nomination. Ainsi le
calife abbasside an-Nâsir (mort en 1225) a laissé des diplômes de nomination retirant au cadi ses
compétences en matière de ẖudûd (peines religieuses fixes) et de waqf (biens de mainmorte). A l’époque
mamlouke, c’est à l’inverse. La doctrine des écoles hanbalite et malékite, puis hanéfite, reconnaîssent au
cadi des droits que seuls le juges administratifs détenaient, notamment le droit de pratiquer la torture
judiciaire contre certaines catégories de gens (voir Johansen, Vérité et torture, La légalisation ; Bleuchot,
L’aveu forcé). Au moment de la conquête ottomane, l’institution cadiale restait la clef des institutions
judiciaires musulmanes.
133147 — Médersas et confréries. Pour les médersas, les Mongols en démolirent quelques unes, mais se
mirent eux aussi à en fonder après leur passage à l’islam, à Bukhâra et à Samarcande entre autres. En
Égypte, avec les Ayyoubides et les Mamlouks, les médersas pullulèrent. Al-Maqrîzî note au Caire 73
médersas, 14 chaféites, 4 malékites, 10 hanéfites, les autres associant deux ou trois rites ou de rite
inconnu (E. I.2, Pedersen-Maksisi). Le mouvement n’atteignit le Maghreb que pendant cette période : la
première fut construite à Tunis sous les Hafsides, vers 1252 ; celle de Fès date de 1285, sous les
Marinides. En Espagne nasride, la première ne fut construite qu’en 1349. Mais Ibn Khaldûn soulignait la
baisse générale du niveau des études.
134La médersa fut l’instrument essentiel de l’établissement d’un conformisme de plus en plus rigoureux.
Les ouvrages contre les innovations fleurirent à cette époque. La fixation des pensées sunnites, chiites
devint définitive.
135Un autre phénomène important de l’époque est la multiplication des confréries mystiques. Laoust
distingue deux courants, l’un issu d’Ibn ̒ Arabî et qui resta toujours suspect de monisme aux juristes et
théologiens. Souvent il se trouvait un cadi (généralement malékite) qui condamnait les adeptes de ce
courant. L’autre courant se concilia mieux avec les juristes, mais pas toujours, en raison de certaines
pratiques populistes (danses ...). De lui sont issues nombre de confréries que nous évoquerons à
l’occasion, (voir Popovic-Veinstein).
§ 2 - L’Orient
A. Les sunnites

136148 — Gengis-Khân et les Gengiskhanides. Unis en une vaste confédération de tribus (1206), les
Mongols de Gengis Khân avaient constitué un empire immense en Asie. Ils détruisirent le royaume des
Chah Khawârizm en 1219-23. Après un temps d’arrêt, ils reprirent leur marche au milieu du siècle. Les
Saljouqides de Rûm furent abattus en 1243. Un descendant de Gengis Khân, Hulagu, bouddhiste, mais
pro-chrétien, attaqua la Perse, prit la forteresse d’Alâmût (1257) et Baghdad (1258). La ville fut pillée,
les habitants massacrés (chrétiens et un certain nombre de chiites exceptés), le calife étouffé. On a accusé
le chiite Nâsir ad-Dîn aṯ-Ṯûsî d’avoir conseillé Hulagu d’éliminer Alâmût aussi bien que le califat. Alep
subit le même sort que Bagdad, mais les habitants de Damas furent épargnés (1260). Les princes
saljouqides ou ayyoubides se précipitaient pour faire allégeance, pendant que les dhimmis chrétiens et les
chiites relevaient la tête. De plus les Mongols s’étaient alliés aux Francs et aux Arméniens de Cilicie.
Mais Hulagu fut rappelé dans le Caucase contre des Mongols rivaux, les Qipchaq, favorables aux
musulmans sunnites. Le contingent mongol restant fut écrasé à ‘Ayn Jalût (1260) par les Mamlûks, au
pouvoir en Égypte depuis 1250, avec la complicité des Francs d’Acre qui préféraient les musulmans
d’Égypte, plus civilisés (détails dans Grousset, L ‘Empire des steppes, p. 438).
137Hulagu est le fondateur de la dynastie des II-Khân, sujets du grand Khân (à l’époque Qubilay) ou
Ilkhanides. Les Mongols de Perse n’étaient pas unis religieusement. On trouvait parmi eux surtout des
animistes, des bouddhistes et des chrétiens nestoriens. Les chiites avaient trouvé grâce auprès d’eux : on
a beaucoup décrié le personnage de Nasir ad-Dîn aṯ- Ṯûsî, par ailleurs grand astronome et grand
théologien et juriste imamite. Les Mongols imposèrent la loi de la steppe, non musulmane. On attribue à
Gengis Khân un code qui se serait appelé Yasa. Par la suite les Mongols se convertirent à l’islam sunnite
hanéfite, à l’exemple de leurs souverains, et s’assimilèrent aux musulmans iraniens. La langue et la
littérature persanes fleurirent de nouveau à cette époque.
138L’empire d’Hulagu était menacé par l’alliance des Qitchaq et des Mamlûks et aussi à l’est par les

Mongols Chaghatanides (ou Djaghatay), pro-musulmans eux aussi. L’ilkhanide Abâqâ Khân (1265-1282),
qui succéda à Hulagu, pro-chrétien, réussit à se maintenir au Khorassan à l’est, mais ne put reprendre la
Syrie (1265-1268) du fait des Mamlûks qui au contraire s’étendaient en Anatolie. Il fut battu par eux à
Albistan (1277) et à Homs (1281), malgré l’aide des chrétiens de Cilicie. L’ilkhanide Aẖmad Takudar
(1282-1284) succéda à Abâqâ Khân, se convertit à l’islam à titre privé, si l’on peut dire, mais ne
reconnut pas le califat du Caire, rétabli par les Mamlûks en 1261. Il vécut en paix avec les Mamlûks,
rendit une partie des biens sunnites à Baghdad, et laissa proliférer les chiites. Arghoum, bouddhiste, lui
succéda (1284-1291) et mena une politique religieuse qu’il voulait équilibrée. On renonça à appliquer
aux musulmans la coutume mongole dans les procès. Mais les musulmans lui reprochaient surtout son
Premier ministre juif. Arghoun chercha en vain l’alliance des grandes puissances chrétiennes d’Occident
(Grousset, p. 447 sq).
139Un de ses successeurs, Maẖmûd Ghazan (1295-1304), se convertit à l’islam, cette fois-ci en voulant en
faire la religion officielle. Au début, il laissa libre cours à la réaction du parti musulman, longtemps
brimé, qui l’avait porté au pouvoir. On s’en prit alors aux chrétiens, aux juifs, aux bouddhistes et les
divers lieux de culte furent profanés. En 1297 Ghazan se débarrassa des extrémistes musulmans et opta
pour une politique de tolérance, mais les bouddhistes durent se convertir à l’islam ou partir. Il prit
l’historien persan Rachîd ad-Dîn comme ministre, il établit une véritable administration et relança
l’agriculture. On lui attribue une série de décrets (yerlighs) pour protéger les paysans, décrets qui font
référence à la fois à la loi islamique et à la loi mongole (Yasa) (Talesh, p. 145). Avec l’appui d’un parti
mongol, il pénétra en Syrie, battit les Mamlûks au Wâdî Khâzindar (1299), mais ne put s’y maintenir. Une
nouvelle tentative en 1303 se termina par la déroute. Malgré sa conversion, Damas lui restait hostile en
raison de ses complicités chiites et chrétiennes.
140L’ilkhanide Khudâbanda (ou Oldjeïtou) (1304-1316) se convertit au chiisme duodécimam et en fit la
religion officielle. Il était moins favorable aux chrétiens. Al-’Allâma al-Hillî, un autre élève d’aṯ-Ṯûsî,
lui dédia son Minhâj al-karâma, violemment antisunnite et auquel semble-t-il Ibn Taymîya répliqua dans
son Minhâj as-sunna (Laoust, Schismes, p. 257-258). Par la suite, Khudâbanda passa au sunnisme
chaféitc sous l’influence de Rachîd ad-Dîn, toujours ministre. Son successeur Abû Sa’îd (1317-1335)
resta fidèle au sunnisme, sans toujours faire allégeance au calife du Caire, ni persécuter les autres
religions. Mais son manque de sens politique conduisit vite la Perse au déchirement (Grousset, p. 462
sq.).
141L’ilkhanat entra ensuite dans une période de crises et de divisions (voir Grousset, p. 464-68 et
Calmard in Garcin p. 322-324). Tout fut balayé par Tamerlan.
142149 — Tamerlan et les Timourides. Timûr-Lang (Tamerlan) (1370-1405), probablement turc
d’origine, à force de ruse et de courage, parvint à se rendre maître de la Transoxiane, sans s’attirer les
foudres des maîtres du Chaghatay de l’est (1370). A partir de Samarcande, il entreprit de conquérir
l’Asie du Sud, au nom du sunnisme (Laoust, Schismes, p. 261), grâce à nouvelle force composite. Il
conquit le Khawârizm, l’Afghanistan, puis, à partir de 1395, la Perse. En 1400, la Géorgie, la Syrie et
l’Irak, furent victimes de l’invasion : Baghdad fut de nouveau passée au fil de l’épée. Se tournant vers
l’Anatolie, les Mongols infligèrent une terrible défaite (bataille d’Ankara, 1402) aux Ottomans, qui, tout
au cours du 8e/xive siècle, étaient montés en puissance (n° 159). Tamerlan fit campagne jusqu’en Russie
(contre la Horde d’or) et jusqu’en Inde (hâtant la fragmentation du sultanat de Delhi), mais sans
occupation permanente. En fait le passage de l’armée timouride ne fut qu’une suite de dévastations qui
n’épargnèrent que Samarcande et Tabriz. Balkh et Hérat furent toutefois reconstruites. On attribue à
Tamerlan un code qui a été publié en persan, mais dont on conteste l’authenticité (Talesh, p. 145). A la
mort de Timûr, l’empire fut partagé entre ses fils.
143Châh Rukh (1407-1447), son fils, sut refaire habilement l’unité de cet empire contre ses frères et

neveux (1420), mais l’Irak, l’Arménie et l’Azerbaïdjan passèrent sous le contrôle de Turcomans dits du
Mouton noir (Qara Qoyunlu), chiites, et malgré plusieurs expéditions victorieuses, Châh Rukh se résigna
à désigner un monarque de cette ethnie, disposé à lui obéir, Djahâm Châh (1410-1435). Châh Rukh ne put
non plus empêcher la renaissance des Ottomans. Il ne sut pas s’imposer à la Mecque où les Mamlûks
restèrent dominants. C’était un prince humaniste et la littérature persane refleurit sous son règne. À sa
mort, l’Orient irako-iranien fut à nouveau divisé en principautés dirigées par des princes mongols.
144Le souverain remarquable par la suite fut Abû Sa’îd (1449-1469), maître de la Transoxiane et du
Khorassan. Il fut tué en essayant de reprendre l’Occident persan aux Turcomans dits du Mouton blanc (At
Qoyunlu), sunnites, qui avaient évincé les autres en 1467. Ouzoum Hassan (1469-1478), le At Qoyunlu
victorieux, resta maître de la Perse occidentale et ses descendants ne furent évincés qu’en 1502, par Châh
Isma’îl. Au Khorassan régna Husayn Baykara (1469-1506), autre souverain remarquable, qui sut
s’entourer d’une cour d’hommes de lettres et faire régner la paix. Ses descendants aussi seront éliminés
par Chah Isma’îl. En Transoxiane, ce furent les Uzbecks, peuple mongol du nord, qui s’implantèrent
(1510) et firent constamment pression sur les musulmans sédentaires.
145150 — Le sultanat de Delhi. L’histoire des sultans-esclaves se déroulait parallèlement. La dynastie sut

résister aux raids mongols. Le pays était prospère et le règne de Balban (1266-1287) fut des plus
glorieux. Une nouvelle dynastie s’établit en 1290, celle des Khaljî. Elle a à son actif la conquête de la
majeure partie du Dekkan (sauf Orissa et Gondwana) sous le règne de ‘Alâ d-Dîn (1296-1316). La
dynastie des Tughluk débuta en 1320. Avec Muẖammad Bn Tughluk (1325-1351), qui admit à sa cour le
célèbre voyageur maghrébin, Ibn Baṯṯûṯa, commença la série des sécessions qui allait briser l’unité du
sultanat de Delhi.
146Ce sultanat était dominé par les Turcs et les immigrants iraniens qui étaient considérés comme nobles.

Les lettrés formaient une sorte de classe administrative indispensable. L’État prélevait du tiers à la moitié
du revenu agricole sur la masse des hindous pour entretenir cette noblesse, par le système de l’iqta’. Les
iqta’ devinrent ici héréditaires, ce qui favorisa la fragmentation du sultanat (Goborieau, in Garcin,
p. 444).
147Le rite officiel était le hanéfisme. Le soufisme se développa considérablement. Notons la confrérie

Suhrawardîya, organisée par Baha d-Dîn Zakarîyâ ; celle de Mu’în ad-Dîn, la Chichtîya, qui sera des plus
importantes en Inde ; et encore la Firdawsîya née avec Ibn Yaẖyâ Manirî.
148151 — Les sultanats indiens du 8e/xive-10e/xvie siècle. On peut y distinguer trois ensembles
musulmans (d’après Gaborieau, in Garcin).
149D’abord les sultanats sunnites hanéfites du nord : Sind, Gudjarat, Malwa, Lodi (capitale Delhi, avec

une dynastie afghane), Djawnpur, Bengale, Kachmir.


150Ensuite le royaume du Dekkan, où règnait la dynastie des Bahmanis, chaféite. Elle avait des sympathies

chiites et nombreux furent les immigrés iraniens. La confrérie des Ni’mat-u-Llâh y fit souche. On chercha
aussi un rapprochement avec les hindous. Au début du 9e/xve siècle le Dekkan se subdivisa en royautés
plus petites. Les royaumes finirent par faire allégeance aux Safavides pour se garer des Mughul au
10e/xvie siècle
151Enfin les républiques marchandes chaféites de la côte et qui s’étendirent dans les îles (Maldives)

surtout en Insulinde (Sumatra, Jawa, Bornéo). Elles furent à l’origine de la formation de la plus
importante communauté musulmane après celle de l’Inde et du Pakistan.
152Il existait aussi des royaumes hindous, soit qu’ils ne furent jamais conquis (Gondwana, Orissa, Kerala,

Népal), soit qu’ils s’étaient révoltés contre la domination musulmane (Rajastan, Vijayanagar).
153Tous ces royaumes furent en général prospères. Le commerce international y joua un grand rôle. Ils

développèrent tous des traditions locales très variées, islamiques ou non. L’islam était majoritaire au
Sind, au Bengale, au Kachmir, mais minoritaire ailleurs et nettement minoritaire au Dekkan, au Djawnpur
et dans les États hindous. Les confréries continuèrent à se développer. Elles étaient soit importées comme
la Qadirîya (d’origine arabe) dans le Dekkan, soit apparues par syncrétisme comme Chaṯṯarîya (ibid).
154152 — Le hanéfisme en Orient. Le sunnisme des Mongols (et celui des Ottomans) était hanéfite. Non

que les hanbalites et chaféites aient disparu, mais, comme on le verra dans le paragraphe suivant, leurs
centres intellectuels étaient au Caire et à Damas.
155Le hanéfisme adopta la philosophie d’al-Mâturidî (mort en 333/944. An-Nasafî (Abû l-Barakat) écrivit

des manuels de droit et d’usûl fort clairs (et toujours utilisés). Son commentaire de la Hidâya d’al-
Marghinânî est un classique. Il vécut à Kirmân. Dans le Khurâsân et en Transoxiane, al-Taftazânî, un
théologien élève de l’acharite al-Ijî, rédigea aussi une série de manuels.

B. Les chiites

156153 — Les duodécimains. Les duodécimains avaient repris de l’influence. Si les Mongols se
convertissaient de préférence au sunnisme, les chiites cependant prospéraient. On a évoqué, à propos des
Mongols, Nasir ad-Dîn aṯ-Ṯûsî, grand astronome, grand théologien et juriste (n° 148). Son élève Najm
ad-Dîn al-Hillî al Muẖaqqiq, compte aussi parmi les grands juristes. Son Kitâb charâ’i’ al-islâm est un
manuel comparable au Muthtasar de Khalîl pour son autorité (Laoust, Schismes, p. 301).
157Comme on l’a dit, l’ilkhanide Khudâbanda (1304-1316) avait quelque peu favorisé les chiites et

notamment le théologien al-’Allâma al-Hillî. C’était aussi un grand juriste. Comme al-Muẖaqqiq, on lui
doit un profond renouvellement de la compréhension de l’héritage des générations antérieures. Le droit
imamite atteignit à ce moment une sorte de perfection. Il était devenu une synthèse cohérente entre les
traditions chiites, l’esprit rationaliste et les emprunts au sunnisme (en particulier dans le droit des
contrats).
158Pourtant, dès la fin du siècle, on assista à une sorte de repli sur les positions imamites. Le fils de
‘Allâma, Fakhr al-Muẖaqqiqîn, écrivit un ouvrage (Îḏâẖ al-fawâ’id) qui est un commentaire du Qawâ‘id
al-aẖkâm de son père, mais dans lequel on ne cite plus les opinions sunnites. L’exemple sera suivi
systématiquement.
159Au 8e/xive siècle, ach-Chahîd al-Awwal, donna au droit une forte identité imamite, en particulier en

reformulant les règles fondamentales et en y ajoutant des développements nouveaux. Son oeuvre est
importante et il eut des disciples nombreux et savants. Au 9e/xve siècle, le chiisme duodécimain avait
donc une théologie et un droit parfaitement fixés.
160En Azerbaïdjan (Adharbayjân), à Ardabil, un ordre mystique, celui des derviches safavides, fut fondé
par le chaykh Safi d-Dîn au début du 8e/xive siècle. Sous l’impulsion de Junayd et de Haydar as-Sûfî, il
s’organisa militairement au cours du siècle suivant et adopta le chiisme duodécimain. C’est là l’origine
de la dynastie safavide, la seule qui réussit à établir durablement un pouvoir chiite imamite.
§ 3 - L’Égypte et la Syrie

161154 — Les Mamlouks (mamlûk). Ils prirent le pouvoir en 1250. Ce sont à l’origine des esclaves qui

venaient en général des pourtour de la Mer noire et de la Caspienne où ils avaient été achetés ou rafflés.
Enrôlés dans l’armée, ayant gravi les échelons jusqu’au grade d’officier, ils devenaient sultans par
cooptation (ou intrigue ou émeute...). Ils portaient alors le titre de malik (roi). Parmi ces souverains, on
distingue deux lignées, celle des Mamlûk baẖrides, parce que leur caserne était celle de l’île Rawda sur
le Nil (al-baẖr), et celle des Mamlûks burjites, à partir de 1382, parce que leur caserne était celle de la
citadelle du Caire (al-burj).
162La période des sultans mamlouks fut une période de grande civilisation, “la dernière grande synthèse

culturelle de l’islam avant les temps modernes” (Garcin, p. 343). Le Caire devint, après la chute de
Baghdad, le centre du monde arabo-islamique. Les chérifs de la Mecque passèrent sous la tutelle
égyptienne. Baybars, un des premiers souverain mamlouk et des plus notables, fut le véritable fondateur
de ce nouveau régime. Ayant établi son pouvoir en Égypte et en Syrie, il fit proclamer calife un survivant
abbasside, al-Mustansir. L’institution prolongeait donc un certain type de califat religieux, sans pouvoir
politique, comme si la séparation du spirituel et du temporel était consacrée.
163Le régime mamlouk ne reposait donc pas sur le califat, mais sur l’armée, fortement hiérarchisée. Les
officiers étaient payés par le système de concession (iqtaa‘). Ces soldats étaient braves sur les champs de
bataille, et leurs victoires furent nombreuses, contre les Mongols, les Francs, les Syriens et les Ottomans.
Mais l’indiscipline était permanente. En ville, les Mamlouks se comportaient en pays conquis et bien
souvent leurs bandes volaient, extorquaient, tuaient. En général emportés, peu tolérants (envers les
dhimmis en particulier), les Mamlouks entretenaient une atmosphère d’émeute permanente, contre le
sultan en place ou les uns contre les autres.
164L’administration, en dépit de la vénalité des charges, de la corruption et des vexations des militaires,

fonctionnait bien. Elle ne fut jamais aussi développée et efficace qu’à cette époque. La coopération du
régime avec les ulémas sunnites était essentielle. Les lettrés avaient l’habitude de se courber devant les
forts, mais ils savaient se rendre indispensables.
165Dans les campagnes les chefs de confréries régnaient sur les esprits. Ils étaient nombreux, beaucoup
moins dociles que les ulémas des villes, et en même temps très dangereux, car ils étaient capables de
soulever la population. Les Mamlouks les craignaient et les haïssaient (Wiet in Hanoteaux, Histoire, 4,
p. 399 sq.).
166155 — Les Mamlûks baẖrides. Baybars (1260-1277) reprit aux Croisés Césarée en 1265, Jaffa et

Antioche en 1268. Il enleva les dernières forteresses des Ismaéliens de Syrie et obtint leur soumission
(1270). Les Mongols subirent une défaite décisive, à Albistân (1277).
167Baybars ne voulut pas continuer à favoriser les chaféites comme le firent les Ayyoubides et il nomma

quatre grands cadis, pour les quatre rites orthodoxes, le chaféite conservant d’ailleurs la prééminence. La
justice était aussi fortement hiérarchisée. Le calife ne joua aucun rôle dans la justice, pas plus qu’en
politique. Notons l’existence d’un ẖajib (chambellan), sorte de ministre, qui jugeait toutes les querelles
relatives à l’armée et à l’administration des concessions. Mais Baybars ne rallia pas complètement les
‘ulamâ’ sunnites : les chaféites an-Nawawî et Ibn ̒ Abd as-Salâm lui tinrent tête et Ibn Khallikân fut
destitué en Syrie à cause d’une fatwâ favorable à un émir révolté. Le hanéfite Ibn ‘Atâ’ lui aussi le
contesta dans une affaire immobilière. En revanche, l’historien Ibn Kathîr lui était plus favorable (Laoust,
Schismes, p. 251-254).
168Kalâwûn (1280-1290) repoussa une coalition des chrétiens et des Mongols par sa victoire de Homs. Il

s’attaqua ensuite aux Croisés et reprit Tripoli. Saint Jean d’Acre ne tomba qu’en 1291, ainsi que les
autres places chrétiennes, Tyr, Sidon, Beyrouth, sous le sultanat de Khalîl (1290-1294). Les successeurs
de ce dernier repoussèrent les molles offensives mongoles sur Damas en 1300, 1301, 1303, 1313. La
région chiite du Kasrawân (district de la montagne libanaise) fut soumise et punie (1300-1305). Sous le
règne du sultan mamlouk Mâlik an-Nasir (3e règne, 1309-1340) la révolte des nusayrites (n° 87) fut
brisée en 1317 et la secte perdit son influence politique, mais elle subsiste encore de nos jours : ce sont
les alaouites (̒alawîya) de la côte syrienne. Le sultan Mâlik an-Nasir conclut une paix durable en 1323
avec les Mongols. La petite Arménie chrétienne (c’est-à-dire la Cilicie), abandonnée par les Occidentaux
et désormais sans appui, fut soumise la même année.
169Un des derniers mamlouk bahride, Hasan (1354-1361), eut à repousser des attaques franques partant de

Chypre contre la Syrie en 1356 et en 1365.


170156 — Les Mamlûks burjites et la fin de l’indépendance égyptienne. Les Mamlûks burjites, qui
gouvernent à partir de 1382, eurent à subir les campagnes de Tamerlan. Venant de Géorgie, ce dernier
ravagea la Syrie, exigeant des ulémas de Damas une fatwa justifiant ses conquêtes, ce qui ne l’empêcha
pas de dévaster la ville. La prospérité du siècle précédent semblait terminée : la peste, la sécheresse, les
rébellions tribales, la diminution des rentrées d’or de Nubie (du fait du détournement du commerce
réalisé par les Portugais), avaient affaibli l’Égypte. Cette faiblesse perdura au 9e/xve siècle.
171A la fin de ce siècle Qâytbây (1468-1496) réussissait pourtant à maintenir la domination égyptienne

aux confins anatoliens de l’Empire ottoman. La lutte entre les deux puissances avait lieu par vassaux
interposés. La petite Arménie chrétienne disparut complètement en 1375 et fut incorporée à l’Empire
mamlouk. En dépit de multiples incidents de frontière et d’intrigues, une paix intervint en 1491 entre les
Mamlûks et les Ottomans. Une nouvelle menace apparut à l’est avec la montée en puissance de Châh
Isma’îl, maître, en 1503, de l’Azerbaïdjan, du Kurdistan et de l’Irak, où le sunnisme était interdit. C’est
en fin de compte les Ottomans qui parèrent cette menace, en s’emparant du Kurdistan en 1514.
172Dès lors la puissance ottomane, conduite par Sélim Ier (1512-1520), se tourna contre le sud et le

mamlouk Qâsûq al-Ghurî (1501-1516) fut battu et tué à Marj Dâbiq. Damas fut prise. Le dernier
mamlouk, Tûmânbay (1516-1517), fut battu par deux fois aux abords du Caire et, une fois livré, il fut
pendu par les nouveaux maîtres de l’Égypte (1517). Contrairement à ce que les Ottomans cherchèrent à
faire croire au xviiie siècle, il n’y eut pas de transmission du califat entre le dernier Abbasside, al-
Mutawakkil, et le sultan Selim. En fin de compte le royaume sunnite était reconstitué et agrandi, des
Balkans jusqu’à l’Égypte.
173Mais les deux siècles et demi de l’époque mamlouke ont une importance capitale sur le plan
intellectuel. Pour le droit la période s’ouvre sur un grand auteur, Ibn Taymîya.
174157 — Ibn Taymîya. Le hanbalisme. Fuyant l’invasion mongole, une famille de juristes de Harran,
emmena un enfant de cinq ans, Aẖmad Bn Taymîya, et s’installa à Damas (1268). La première
intervention publique du jeune Ibn Taymîya fut pour réclamer la tête d’un chrétien, pour insulte au
Prophète, requête à laquelle le grand cadi chaféite ne donna pas suite (Laoust, Schismes, p. 266 sq.,
comme tout ce qui suit). Son premier écrit, une profession de foi (la Hamawîya), s’en prenait à
l’acharisme et au kalâm (théologie) et lui attira déjà des ennuis : il fut obligé de s’expliquer (1298).
Participant aux polémiques, il manifesta une violente hostilité envers les Mongols et leurs alliés chrétiens
et chiites. Il malmenait aussi les mystiques disciples d’Ibn ̒ Arabî ou les théologiens qui penchaient pour
les philosophes. Bref, il s’attira bien des ennemis. Sa seconde profession de foi (la Wâsitiya) passa par
trois fois devant une sorte de tribunal théologique présidé par l’émir de Damas : l’affaire se termina au
Caire (1306) et il fut condamné pour anthropomorphisme. Il resta un an et demi en prison, puis dut
demeurer en résidence surveillée au Caire.
175A peine libéré, Ibn Taymîya ne tarda pas à entrer en conflit avec deux chefs de confréries mystiques à
propos du culte des saints qu’il réprouvait. Le cadi chaféite Badr ad-Dîn Bn Jama‘a ne lui donna pas tort,
mais ses ennemis réussirent à le faire jeter en prison (avril 1308). En avril 1309, il fut placé en résidence
surveillée à Alexandrie. Il y composa là ses premières oeuvres les plus importantes contre la logique
grecque ou la doctrine d’Ibn Tumart. Le sultan al-Mâlik an-Nâsir qui était devenu son protecteur le
réhabilita en 1310. C’est probablement à cette époque qu’il composa pour lui la Siyâsa char’îya, un
traité de gouvernement, son œuvre la plus célèbre. Le sultan lui permit d’enseigner, de donner des fatâwâ,
et enfin, de retourner à Damas (1313).
176Il y resta jusqu’à sa mort, enseignant, écrivant ses oeuvres maîtresses. Il était devenu un chef d’école,

un nouveau mujtahid, avec des disciples convaincus. Les ennuis ne cessèrent pourtant pas. En 1320-21 il
fut emprisonné presque un an pour avoir donne une fatwâ contraire à la doctrine commune des quatre
écoles sur la répudiation. En 1326 il fut enfermé de nouveau, sans procès, pour ses positions contre le
culte des saints. Comme il continuait d’écrire et de transmettre ses fatâwâ en dépit de l’interdiction qui
lui avait été faite, on lui retira ses plumes et papiers (1328). Il mourut l’année même.
177Ibn Taymîya connaissait à fond les quatre écoles juridiques, l’hérésiographie, la philosophie, le kalâm,

la mystique... Laoust définit son système comme “un réformisme conservateur, fortement marqué par le
fidéisme initial du hanbalisme, et soucieux de restaurer l’unité première de l’islam” (ibid., p. 272). Selon
Ibn Taymîya, Dieu est comme il s’est décrit dans le Coran et comme le Prophète l’a dit dans la Sunna. La
révélation reste toutefois pour lui rationnelle. De plus elle englobe tout, et il n’est nul besoin d’avoir
recours à l’allégorie ou aux emprunts étrangers. L’ijtihâd n’a jamais cessé d’être et il est indispensable à
la permanence de la religion. Quant à l’Etat musulman, peu importe sa forme, l’essentiel étant
l’application de la charî’a.
178Cette oeuvre a “jusqu’à nos jours, fortement marque et divisé l’islam” (Laoust, ibid., p. 271). Elle eut
tout de suite ses détracteurs, mais aussi ses disciples fervents, comme Ibn Qayyim al-Jawzîya, son
compagnon dans la citadelle de Damas. Comme son maître à penser, il eut affaire à l’hostilité de Taqî ad-
Dîn as-Subkî, le grand cadi chaféite, mais il sut mieux s’esquiver. Il laissa une oeuvre importante en
théologie, en droit et en mystique.
179Une autre personnalité intéressante est Sulaymân aṯ-Ṯûfî qui se disait à la fois hanbalite, acharite et

chiite. Il fut arrêté lors d’un voyage au Caire, flagellé, promené en ville sous les quolibets, puis
emprisonné. Son oeuvre a été évoquée souvent par les réformistes du xxe siècle, parce qu’il soutenait que
l’intérêt (maslaẖa) général ou particulier pouvait fonder la Loi.
180158 — Juristes de l’époque mamlouke. La littérature arabe était devenue une “littérature du souvenir”

(Miquel). Elle vit apparaître des encyclopédistes, des compilateurs, des pédagogues. Ces hommes ont
sauvé la majeure partie de la littérature et de l’histoire arabes.
181On peut repérer d’abord les auteurs qui subirent l’influence d’Ibn Taymîya (Laoust, Schismes, p. 274

sq.). Ce sont surtout les chaféites, traditionnistes hostiles à toute théologie, comme al-Wâsiṯî, al-Mizzî,
Ibn Kathîr, adh-Dhahabî, al-‘Asqalânî, et d’autres. Mais le chaféisme eut aussi des adeptes fidèles à
l’acharisme, comme les Subkî (père et fils). Le fils passa devant un tribunal suscité par des rivaux
malékites et hanbalites. L’historien Maqrîzî fut un hanéfite rallié au chaféisme. A la fin de l’époque
mamlouke as-Suyûtî écrivit une oeuvre immense, en théologie, droit, histoire... toujours très lue à l’heure
actuelle. Il mit en évidence l’importance du soufisme. Il appartenait à la confrérie châdhilîya qui s’était
répandue à l’époque mamlouke en Égypte et dont l’esprit se conciliait facilement avec celui des juristes
et théologiens.
182Du Maghreb arriva dans l’Empire mamlouk le grand Ibn Khaldûn en 1382. C’était avant tout un juriste

malékite et il occupa plusieurs fois le poste de grand cadi malékite au Caire (1365). Il dut faire face à la
hargne constante de rivaux. Il fut envoyé en ambassade à Tamerlan. Mais l’essentiel de son oeuvre n’est
pas juridique. Deux grands auteurs malékites vécurent en Égypte. L’un, Aẖmad bn Idris Chihab ad-Dîn al-
Qarâfî donna ses lettres de noblesse aux usûl malékites, et mit en évidence l’existence d’une tradition
malékite en la matière depuis Baqillâni. L’autre est Khalîl Bn Ichẖâq al-Jundî, ascète et savant, qui mit un
point final à la fusion des traditions malékites d’Occident et d’Orient. Son résumé, le Mukhtasar, écrit en
style télégraphique, était tellement difficile, mais en même temps tellement complet, qu’il devint le texte
favori des commentateurs pendant la période suivante. Le malékisme cherchait toujours à renaître en
Orient : ainsi Ibn Farẖûn, cadi de Medine, contribua à ressusciter le malckisme dans le Hedjaz au
détriment du chiisme. Des Fassis en faisaient autant à la Mecque, d’autres en Syrie... (Békir, 165 sq.).
183Les grands auteurs hanéfites de cette époque se trouvaient surtout en Perse, comme on l’a vu.

184Le conformisme intellectuel resta très fort. On le voit bien à propos des chiites de Syrie. Ils jouirent
d’une certaine tolérance, à condition de ne pas enseigner leur doctrine ni de se mettre en vedette. Le
duodécimain Hasan as-Sakâkînî, théologien comme son père Muẖammad, fut condamné par un cadi
malékite et exécuté à Damas, sous l’accusation, entre autres, d’avoir soutenu que l’archange Gabriel
s’était trompé et aurait dû lire le Coran à ̒ Alî et non à Muẖammad (1342). Une autre condamnation du
même genre eut lieu en 1355. En 1363 le gouverneur de Damas condamna le chiisme, mais ne prit aucune
mesure concrète. Tous ces faits signalent le maintien voire la progression du chiisme en Syrie.
§ 4 - Les Ottomans en Anatolie et dans les Balkans

185159 — Les débuts des Ottomans. On se souvient que la victoire saljouqide de Manzikert (1071) avait

ouvert l’Anatolie aux Turcs. Diverses principautés s’y étaient établies et y guerroyèrent pendant
longtemps entre elles et contre Byzance. La principale fut celle des Saljouqides de Rûm dont nous avons
fait plusieurs fois mention à propos des croisades. Cette principauté prépara la turquisation et
l’islamisation de l’Anatolie, quoique les Turcs fussent très minoritaires en Anatolie et que la première
médersa ne fût fondée qu’en 1193. Mais l’immigration de nomades était continue (Balivet, in Garcin,
p. 274-275).
186Ces pouvoirs préparèrent la constitution de l’unité ottomane. Le premier souverain de la dynastie,
Osmân 2 Ier (d’où vient le terme ottoman) régna de 1290 à 1320 sur un petit territoire enclavé. Mais il
entreprit patiemment de s’agrandir aux dépens des Byzantins, ce qui lui attira les volontaires qui
voulaient en découdre avec l’infidèle.
187Orkhân (1324-1362) atteignit la mer et se mêla aux querelles de succession byzantine. Il établit une

première administration, créa une monnaie et réorganisa son armée en instituant le corps des janissaires.
Ce sont de très jeunes esclaves, enlevés aux familles chrétiennes, puis élevés dans l’esprit ghâzî
(combattant du jihâd), pour former un corps de soldats de métier. La plupart se lièrent à la confrérie des
Bektachis.
188Murâd Ier (1362-1389) passa en Europe et conquit la Thrace. Il suscita la première coalition anti-

ottomane, menée par la Hongrie, qu’il vainquit plusieurs fois, notamment à Kosovo (1389). En Anatolie il
s’agrandit par négociations jusqu’à Ankara. Il prit alors le titre de sultan (entre autres).
189Bâyezid Ier (1389-1403) continua sur cette lancée. Il écrasa à Nicopolis (1396) une croisade suscitée
par la Hongrie, mais échoua devant Constantinople (1397). A la fin du 8e/xive siècle, il avait conquis la
majeure partie de l’Anatolie jusqu’à Malatya, la Bulgarie, la Serbie et une bonne partie de la Grèce,
encerclant Constantinople. Mais il dut se porter à l’est contre les Mongols de Tamerlan. La défaite
ottomane d’Ankara fut terrible (1402). Toute l’oeuvre d’un siècle fut anéantie, puisque les anciennes
principautés se reconstituèrent. Pis, les fils de Bâyezid se disputèrent la succession.
190Mehmed Ier (1403-1421) élimina ses frères après dix ans de guerres et reconstitua l’Empire ottoman

(1413). Il dut batailler contre des révoltes et se fortifier du côté occidental.


191Murâd II (1421-1444 et 1446-1451) dut lutter contre un prétendant, Mustafa, qui eut l’appui de
Constantinople d’où le second siège de la ville par les Ottomans (1422). En Europe Murâd II combattit
longuement la Hongrie avec des fortunes diverses (échec du siège de Belgrade en 1440, victoire de
Kosovo en 1448).
192Mehmed II (1444-1446 et 1451-1481) son fils, enleva Constantinople en 1453 et en fit sa capitale. Il
reprit la Serbie et soumit l’Albanie. De multiples guerres, patiemment menées, contre Venise notamment,
commencèrent à réduire les enclaves chrétiennes en Grèce et en Asie mineure.
193Bâyezid II (1481-1512) entra en conflit avec les Mamlûk d’Égypte et signa une paix après une défaite

(1491). En Europe la guerre reprit contre Venise et la Hongrie, mais des traités de paix furent signés en
1502-1503. La fin de son règne fut troublée par la révolte de son fils Sélim : ce sera son successeur. On a
vu comment ce dernier mit fin au royaume mamlouk.
194Une telle réussite dans la continuité ne pouvait être accomplie sans des institutions solides. Nous avons
renvoyé leur étude à la section suivante, spécialement consacrée aux Ottomans.
§ 5 - L’Occident

195160 — Les Hafsides de Tunisie. Au cours du 7e/xiiie siècle, l’Empire almohade se décomposait. À

l’est il devait notamment subir les coups des Banu Ghanîya des Baléares, qui continuaient la lutte au nom
des Almoravides. Ils avaient pris Bougie en 1185 et trouvaient des alliances avec les tribus hilallienncs.
196Abû Zakarîya Bn Hafs était un gouverneur almohade. Installé en 1229 à Tunis, il prétendit à l’héritage
almohade en se réclamant d’un ancêtre Abû Hafs, lieutenant du Mahdi Ibn Tumart. Al-Mustansir, son fils
(1249-1277), prit le titre califal en 1258. Le commerce avec les républiques italiennes, l’arrivée
d’émigrés espagnols (musulmans et juifs), contribuèrent à la prospérité de la Tunisie. Al-Mustansir
repoussa la huitième croisade, celle où St Louis trouva la mort à Tunis (1270).
197À partir de 1277, les querelles dynastiques et les révoltes se multiplièrent, permettant aux Marinides

marocains de s’installer (1347). L’État hafside se reconstitua avec Abû l-̒Abbâs (1370-1394), Abû Fâris
(1394-1434) et ‘Uthmân (1435-1488). De nouveau les querelles dynastiques brisèrent la force des
Tunisiens. La Tunisie ne fut plus que le champ de bataille des Espagnols et des Turcs. La dynastie hafside
disparut en 1574 avec l’installation définitive des Ottomans.
198Du point de vue juridique, Ibn Khaldûn (trad. Monteil, 3, 944-945) signala au début de cette période

(fin 7e/xiiie siècle) le succès d’un manuel, le Mukhtasar d’Abû ̒ Amr Bn al-Hajib qui compila les
différentes solutions malékites, aussi bien d’Orient que du Maghreb. Il fut lui aussi commenté. C’était,
avec le Tahdhîb d’al-Barâdhi̒î, un ouvrage de base pour les étudiants. Il avait été introduit par un grand
docteur algérien, cadi de Bougie, Abu ̒Alî Nasir ad-Dîn az-Zawâwî.
199Cette période, du xiiie au xve siècle, est déjà celle de la sclérose qui se poursuivit jusqu’au xviiie. Elle
voit la domination du traité venu d’Orient, le Mukhtasar de Khalîl, en style télégraphique, qui, sans cesse
commenté, constituait le résumé de tout le savoir islamique malékite. Contre cet esprit se dressa Ibn
‘Arafa (ob. 1400), dont le résumé, très difficile, tente de faire un retour aux anciennes ouvertures.
200161 — Marinides et Wattassides au Maroc. Les Zénètes constituaient la force du Maroc oriental.

Refoulés par les Almohades, ils revinrent vers l’ouest quand l’empire s’affaiblit. En 1248, les Marinides
(Banû Marîn), une tribu (ou confédération) zénète, se rendit maîtresse de Fès et de Salé avec l’appui des
confréries qui s’étaient multipliées et qui étaient hostiles aux Almohades. Le Sud ne fut conquis que plus
tard, Marrakech ne fut prise qu’en 1269.
201Les Marinides ne mirent pas en avant une doctrine religieuse particulière, ils étaient sunnites et
malékites simplement. Mais ils ne manquèrent pas de légitimité religieuse, tant par la piété de leurs
souverains, que par leurs nombreuses constructions de médersas et de mosquées élégantes. Selon C. A.
Julien, “tout ce qui est orthodoxe au Maroc porte la marque des Mérinides, depuis les médersas et la liste
des ouvrages d’enseignement jusqu’aux pratiques pour la célébration des grandes fêtes religieuses...”
(p. 557). Le même historien souligne (p. 563) que la dynastie, une fois parvenue au pouvoir, joua des
ulémas contre les confréries aux tendances décentralisatrices.
202Le plus grand souverain fut Abû l-Hasan (1331-1349) qui conquit le royaume de Tlemcen jusqu’ici

sous la dynastie des ̒ Abd al-Wadides (1235-1283), et l’Ifriqiya (la Tunisie), mais le Marinide ne put
établir un État stable, les révoltes éclatant de toutes parts. Ibn Khaldûn finissait alors ses études à Tunis.
Abu ‘Inân (1348-1358), fils d’Abû l-Hasan, contribua à l’échec de son père par sa révolte. Il refit la
conquête de son père jusqu’à Tunis, mais dut faire face à de nombreuses révoltes et finit par être battu
(1358). Il fut étranglé l’année suivante par ses ministres.
203La crise qui s’installa au Maroc fut longue. Les tribus se rendirent indépendantes. La féodalité
triompha, aggravée par des dispenses d’impôts accordées aux chorfas (chefs de confréries) et aux tribus
arabes ou makhzen (celles du sultan). Castillans et Portugais en profitèrent. La guerre de course (qarsana
en arabe) s’installa en Méditerranée et dans l’Atlantique. La prise de Tétouan (1399) et le massacre de la
moitié de ses habitants par les Castillans provoqua une exaltation religieuse au Maroc et la multiplication
des confréries. En 1415 les Portugais s’établirent à Ceuta, pendant que les successeurs des Marinides
continuaient à se déchirer.
204Les Banû Wattas, un clan marinide, réussirent de 1428 à 1458 à redresser quelque peu la situation de

la dynastie face au péril étranger (défense victorieuse de Tanger). Si le souverain en titre ̒ Abd al-Haqq
secoua la tutelle de ses maires du palais, il se montra incapable par la suite (1458). Fès se révolta contre
lui et il fut exécuté (1465). Après quelques années de troubles pendant lesquelles les Portugais prirent al-
Qsar as-Saghîr, Arzila et Tanger, Muhammad ach-Chaykh, un Banû Wattas, prit le pouvoir pour son
compte (1471). La dynastie des Wattassides dura de 1471 à 1554 mais ne réussit pas à rendre au royaume
sa prospérité : déclin de la vie urbaine, déclin du commerce transsaharien (détourné par les Portugais),
fragmentation politique, insécurité... La puissance wattaside ne dépassait pas la région de Fès. Ni elle, ni
les confréries proclamant la guerre sainte, ne parvinrent à empêcher la mainmise des Portugais sur la côte
atlantique marocaine, où ils détenaient une dizaine de points d’appui. Des Espagnols s’établirent aussi sur
la côte méditerranéenne (Mellila) et aux Canaries. Les Wattasides, en dépit de leur tentative de capter le
mouvement de ferveur pour la guerre sainte à leur profit, avaient fini par composer avec les chrétiens qui
poussaient leurs incursions jusqu’à Marrakech (1515).
205Le Maroc eut à cette époque un grand auteur, Ibn Baṯûṯa, le célèbre voyageur, au 8e/xive siècle. Ce
n’est qu’à la fin du 9e/xve siècle qu’apparaissent des juristes dignes d’être signalés. At-Tujibî az-Zaqqâq
étudia à Fès et à Grenade et revint au Maroc. Ses travaux relancèrent l’esprit jurisprudentiel et son poème
didactique la Zaqqâqiya compléta Khalîl et fit autorité en droit (Merad Ben Alî Ould Abdekader,
p. XIII). Aẖmad Bn Yaẖya al-Wanchârîsî est né à Tlemcen, mais dut s’installer à Fès. On lui doit entre
autres un recueil de jurisprudence important, al-Mi’yar al mughrib. Ce souci de la jurisprudence montre
que ces auteurs pourraient aussi être rattachés à la période suivante. En fait la culture religieuse avait
changé de caractère : elle était devenue mystique, populaire, rurale, et “engagée” (dans la guerre sainte)
(Histoire du Maroc, p. 199).
206162 — L’Espagne nasride. Dans la Grenade nasride (Banû Nasr), la mentalité obsidionale domina.

Les chrétiens durent fuir la région pendant qu’affluaient les réfugiés musulmans. Le bilinguisme disparut.
Le pays se couvrit de forteresses et de remparts. Les interventions marocaines (de 1275 à 1293) ne
changèrent pas la carte de l’Espagne. En 1340, les Marinides et les Espagnols furent vaincus à la bataille
du rio Salado (1340) et Algésiras fut perdue peu après (1344). La situation entraîna des polémiques entre
les partisans de la paix et du compromis avec les chrétiens (campagnards, commerçants) et ceux de la
reprise de la guerre (gens des villes, soldats, juristes). Mais la fin du 8e/xive siècle fut tout de même une
période brillante par sa civilisation.
207Au 9e/xve siècle, en Espagne chrétienne, l’intolérance s’étendit, les Juifs surtout en souffrirent
gravement. Ce ne sont pas tant les guerres sporadiques contre les chrétiens qui décidèrent de la chute de
Grenade, mais les divisions des princes musulmans. Les Marocains subissaient la pression portugaise.
Grenade tomba en 1492. Les lettrés se réfugièrent au Maroc.
208Les auteurs de cette époque sont ach-Châṯibî qui écrivit le maître livre malékite en matière d’usûl, al-

Muwaffaqât, dans lequel il mettait en valeur les buts de la loi islamique et Ibn ̒ Asim al-Andalûsî qui
composa un manuel de justice, la Tuẖf ’at al-ẖukkâm, qui fut très lu par la suite au Maghreb.
SECTION IV - L’ÉPOQUE OTTOMANE LE TEMPS DES
SUPER-COMMENTAIRES (10e/XVIe AU 12e/XVIIIe
SIÈCLE)
209La carte du monde musulman s’était simplifiée avec la conquête ottomane au 10e/xvie siècle. Au
11e/xviie siècle, en Occident, seul le Maroc échappait à sa puissance. En Orient, il n’existait que deux
empires, celui des Safavides et celui des Mogols (mughul ou mughûl). À partir du 12e/xviiie siècle, ces
grandes unités se disloquèrent. C’est à partir de ce siècle que se formèrent les États contemporains, issus
soit de l’Empire ottoman, soit nés à ses marges (Aghanistan, Arabie Saoudite).
210Nous présenterons quelques généralités sur le droit (§ 1), puis nous étudierons les grands ensembles de

l’Orient (§ 2), l’Empire ottoman (§ 3) et le Maroc (§ 4).


§ 1 - Généralités

211163 — Evolution du droit en général. Sur le plan de la doctrine, le résumé et son commentaire avaient

marqué l’époque précédente. L’époque qui s’ouvre doit être placée sous le signe des gloses, ou notes
(ẖawâchî), c’est-à-dire du commentaire de commentaire. Dans tous les rites, les discussions se
compliquèrent alors et sombrèrent souvent dans des querelles terminologiques. Bien sûr, cette évolution
avait déjà commencé durant la période précédente, et, en parlant “du temps des gloses”, on ne cherche
qu’à fixer les idées. Les livres de droit se présentèrent comme des fusées à trois ou quatre étages (texte
de base, commentaire, glose, super glose). Ils ne sont pas toujours très clairs, tant ils sont techniques et
indigestes.
212Le temps est aussi celui des fatâwâ. De volumineux recueils se constituèrent, dont la matière provenait

des auteurs anciens comme des nouveaux. Ils sont constitués et classés suivant les entrées du fiqh. Les
textes sont placés sous forme de questions et de réponses ; parfois la question n’est même pas notée ;
parfois la fatwâ cite d’autres fatâwâ antérieures ou bien donne des autorités traditionnelles et on ne sait
plus très bien qui parle. Ces recueils, malgré leur difficulté sont précieux sur le plan historique et
anthropologique.
213La doctrine du taqlîd (imitation) devint dominante pendant cette période. Le sentiment de la décadence
se révèle dans la description des générations de mujtahids : l’époque se classe au dernier rang, celui des
muqallids (imitateurs). Ici les hanéfites, les malékites et certains chaféites donnèrent le ton. Ils niaient que
l’ijtihâd continuât, même s’ils le pratiquaient eux-mêmes, même si des traités consacrés à des questions
totalement nouvelles (sur le tabac, le café, le waqf des biens meubles...) paraissaient. Pour eux, “les
portes de l’ijtihâd” étaient fermées. Mais le refus du taqlîd était un des points forts de la doctrine
hanbalite (malgré son traditionalisme strict). Après Ibn ̒ Abd al-Wahhâb (cf. n° 178) et ach-Chawkânî (et
d’autres), cette doctrine du refus du taqlîd prit un nouvel essor à la fin de cette période. Elle joua un rôle
certain dans la naissance des courants fondamentalistes et réformistes qui s’étagent depuis la fin du xviiie
siècle et jusqu’au xxe siècle.
214On s’accorde souvent à dire que la créativité est morte pendant la période ottomane. Cependant elle ne

peut jamais l’être totalement, et il est toujours possible de trouver dans ces ẖawâchî ou fatâwâ quelques
remarques intéressantes. Un certain nombre d’indices montrent au contraire que la recherche se poursuit
et qu’elle est estimée. Le hanéfisme produisit une pléiade d’auteurs, les autres rites aussi, même si ce fut
dans une moindre mesure. La confiance en ces auteurs était grande, car dans les tribunaux on préféra
presque toujours leurs ouvrages aux ouvrages plus anciens ou plus prestigieux. Le chiisme vit se succéder
des courants divers, des débats importants et ne donnait pas du tout l’impression de sclérose. Le ̒ amal
marocain fut tout de même une voie, sinon originale, du moins qui témoignait d’un effort de réflexion. Le
wahhabisme prit son essor en Arabie. Si l’on ne peut guère parler de “renaissance”, au moins se gardera-
t-on de parler d’immobilisme. Les études manquent sur ces questions, et il vaut mieux rester prudent.
§ 2 - L’Orient
A. Les chiites

215164 — La Perse safavide. On a vu que Haydar as-Sûfî avait gagné l’appui de nomades turcs et les
avait organisé militairement. Les derviches safavides étaient appelés qizilbâch, c’est-à-dire “têtes
rouges”, parce qu’ils portaient un bonnet rouge à douze plis, représentant les douze imams du chiisme
duodécimain. Entre 1490 et 1501, Haydar as-Sûfî établit son pouvoir sur l’Azerbaïdjan. Son fils, Isma̒îl
(1501-1524), entreprit de reconstituer le royaume perse aux dépens des pouvoirs qui avaient pris la suite
des Timourides. En 1507 Baghdad fut prise (des sunnites furent exécutés, des sanctuaires sunnites
détruits...) et en 1510 le Khurasân fut conquis.
216À l’ouest le royaume nouveau avait un redoutable ennemi, l’Empire ottoman qui cherchait à abattre la

Perse et le chiisme. Le sultan Bâyezid II (1481-1512) avait déporté les chiites de ses territoires d’Asie
pour les contraindre à vivre en Morée, mais ils se révoltèrent et durent être durement combattus. Les
Safavides ne purent les secourir. Ils furent battus à Châldirân (1514) par le sultan Selim (1512-1520). Les
Perses perdirent les alentours du lac de Van. A l’est les Safavides se heurtaient aux Uzbeks de Muẖammad
Chaybânî, qui établissaient un pouvoir mongol fort en Transoxiane et au Khawârizm. Mais l’allié d’Isma̒îl
Chah, Baber (ou Bâbur), qui était le prince de Kaboul, les prenait à revers. Baber réussit à prendre pour
un temps la Transoxiane aux Uzbeks, mais il en fut chassé en 1512. On verra que Baber eut plus de chance
en Inde.
217L’établissement des Safavides est l’événement fondateur de la Perse actuelle (appelé Iran à partir de

1935). Selon Bacqué-Grammont, Isma’îl Châh enseignait un syncrétisme islamo-païen, “chiitisant, mais
fort éloigné du chiisme duodécimain” (in Mantran, p. 142). Les partisans d’Isma ̒ îl le considéraient
comme l’ombre de Dieu sur la terre, immortel et infaillible, puisqu’il était le murchid (maître) de leur
ordre mystique. Mais le chiisme duodécimain était la religion officiellement proclamée et un
fonctionnaire spécial, le sadr, devait imposer l’unité doctrinale. Des ulémas sunnites récalcitrants furent
exécutés à cette époque. Après la défaite de Châldirân, les qizilbâch perdirent la foi aux pouvoirs divins
de leur chef, et, par la suite, le côté soufi de la doctrine officielle céda la place au chiisme duodécimain
des ulémas. Des ulémas chiites, mal tolérés dans les pays voisins, vinrent s’installer en Perse. Le chiisme
s’organisa avec un clergé hiérarchisé. Le sadr en était le personnage principal. Des chaykh al-islam, au
niveau local, contrôlaient la machine judiciaire. Il existait aussi des muftis, des théologiens (ulamâ’), et, à
un niveau subalterne, des mullas (enseignants), des imams de mosquées... Tout ce clergé vivait des
fondations pieuses (Savory, De Bruijn, E. I. 2).
218Le problème principal de la dynastie safavide fut d’assurer l’équilibre entre le pouvoir temporel et

celui des religieux. Isma’îl, puis Ṯaẖmâsp 1er (1524-1576) cherchèrent à établir la dichotomie des
pouvoirs. A l’extérieur les assauts des Ottomans aboutirent à la perte de l’Irak et de l’Arménie (1534),
l’Azerbaïdjan et le Daguestan restant persans (paix d’Amasia, 1555).
219Isma’îl II (1576-1577) abjura le chiisme. Muẖammad Khudâbanda (1577-1587) le rétablit. La guerre

reprit contre les Ottomans. A l’est, ̒ Abd Allah II, khân des Uzbeck, prit le Khorassan. Le Chah ̒ Abbâs Ier
(1587-1628) dit le Grand, mit fin à la guerre à l’ouest. La paix de 1590 abandonnait un large pan de
territoire, dont Tabriz, aux Ottomans. Le nouveau chah ne songea qu’à prendre sa revanche, et, pour cela,
il constitua une armée nouvelle avec l’aide de techniciens anglais (les frères Shirley). Faite de Géorgiens
convertis à l’islam, cette force nouvelle brisait le pouvoir des qizilbâch. Le Khorassan fut repris en 1597.
Puis Isma’îl attaqua à l’ouest en 1603. Il obtint une grande victoire en 1605 à Salmas contre les Ottomans.
Il ne put imposer la paix qu’en 1618 à Sarab, récupérant l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Par une nouvelle
guerre (1623), il reprit Baghdad et Mossoul. Les sunnites furent de nouveau massacrés, persécutés,
poussés à l’exil. Les tombeaux d’Abû Hanifa et de divers autres saints du sunnisme (restaurés par
Süleyman) furent détruits. Le règne de Châh ̒Abbâs marque l’apogée de la dynastie. La nouvelle capitale,
Isfahân, s’enrichit de monuments, au moment même où l’art iranien atteignait son sommet. La Perse toute
entière profita des soins du châh, très soucieux de la prospérité de son royaume. Le pouvoir des ulémas et
cadis fut relativisé par l’installation officielle de tribunaux coutumiers (mahakim-e orf, en persan), qui
seront maintenus jusqu’au vingtième siècle (Talesh, p. 95).
220A cette époque, le Chouf (Syrie), où vivaient les druzes (n° 119), tentait de se rendre indépendant des
Ottomans. Une première fois le pays fut ravagé par la répression ottomane (1523). A la fin du siècle, au
moment de l’apogée des Safavides et de la crise du pouvoir ottoman, les druzes cherchèrent de nouveau à
se rendre indépendants et à s’étendre. Mais ils furent finalement écrasés en 1633.
221En Perse, sous le règne de Safi Ier (1629-1642), le sultan ottoman Murad IV rouvrit les hostilités
(1635-1639), reprit Baghdad (1638) où bon nombre de chiites furent massacrés, mais où les lieux saints
chiites furent respectés. La paix signée laissa l’Azerbaïdjan à la Perse, la Géorgie et l’Arménie étant
partagées. Les frontières de l’ouest ne devaient plus notablement bouger avant la poussée russe.
222165 — Les dynasties du xviiie siècle en Perse. Avec ̒ Abbâs II (1642-1666), plus encore avec
Sulaymân (1666-1694) et Châh Husayn (1694-1722), la dynastie entra en décadence du fait de la
corruption et du laisser-aller. Chah Husayn accentua l’orientation chiite du régime et donna plus de
pouvoir aux autorités religieuses. Le sadr avait perdu de son importance au profit du mullâbâchi (chef
mullâh). Le mullâbâchi al-Majlisî organisa la persécution du soufisme, sans épargner les qizilbach, et le
soufisme connut le déclin au 12e/xviiie siècle. La résistance de l’Afghanistan sunnite à la politique
religieuse de Châh Husayn coûta son trône à ce dernier (voir n° 168). Les Afghans se révoltèrent et
s’emparèrent d’une partie de la Perse. Les safavides, refoulés, continuèrent la lutte, avec notamment
l’aide des tribus qâjâr du Mazandaran (sur la côte sud de la mer Caspienne). Un chef de clan afchar,
Nâdir Khân, leur prêta main forte, et renversa la dynastie afghane en 1729. Les Safavides furent rétablis.
Mais finalement Nâdir Khân évinça le dernier safavide et se fit couronner sous le nom de Nâdir Châh,
inaugurant la dynastie afchâride. En 1738, Nâdir Châh prit Qandahar et pilla Delhi, sans pouvoir s’y
maintenir. A l’ouest il avait repoussé les Ottomans et les Russes qui avaient tenté de s’agrandir en
profitant des troubles. Nâdir Châh estimait catastrophique les divisions religieuses (Mazahéri p. 312). Il
tenta une réunion du chiisme et du sunnisme en parlant des cinq écoles orthodoxes, le chiisme étant le rite
ja ̒ farite. Mais les Ottomans ne voulurent rien entendre. A la fin de son règne, il sombra dans l’avarice et
la violence au point que ses officiers durent l’assassiner (1747).
223L’anarchie s’installa. Qandahar resta indépendante. Chah Rukh, petit fils de Nâdir Châh, se maintint

dans le Khurasân. Partout ailleurs les généraux, chefs de tribus, etc. étaient en lutte. Le pouvoir de
Muẖammad Karim Khân, qui régna au nom d’un safavide jusqu’en 1779, donna à la Perse du Sud un répit
et une certaine prospérité. La lutte entre les tribus reprit à sa mort jusqu’à ce que l’agha Muẖammad fonde
la dynastie des Qâjâr (1795) et impose son autorité à toute la Perse.
224166 — Le droit des chiites imâmiens (ou duodécimains, ithnâ ̒ acharîya). Le droit chiite imamien ne

connut pas une sclérose aussi importante que le droit sunnite. Certes le commentaire domina, mais les
débats persistèrent, l’unanimité mortelle ne fut pas atteinte. Trois écoles apparurent successivement dans
le contexte des Safavides.
225D’abord celle d’al-Karakî au 10e/xvie siècle. Ce dernier reformula le droit en cherchant à fortifier son
argumentation. Mais surtout il se posa les problèmes nouveaux issus de la nouvelle situation intellectuelle
où se trouvait le chiisme, devenu la religion officielle d’un État : quel est le pouvoir du faqîh ? au nom de
qui dire la prière du vendredi si l’imam est absent ? quels impôts lever effectivement ? De nombreux
juristes, à son exemple développèrent ces questions (voir Tabâtabâ’i, p. 51 et bibliogr.).
226L’école d’al-Ardabîlî naquit à la fin du même siècle. Elle se caractérise par une approche nouvelle des

problèmes juridiques, approche indépendante des opinions antérieures. Al-Ardabîlî eut lui aussi une
grande influence sur les juristes postérieurs.
227Enfin la troisième école naquit au 11e/xviie siècle, peut-être en réaction avec la précédente. C’est celle
d’al-Astarâbâdî, qui est dite akhbarisme (de akhbâr, tradition). C’est une école traditionniste qui relança
le débat sur la validité des traditions, des opinions des juristes antérieurs, sur la liberté de refaire un
ijtihâd. Al-Astarâbâdî remit en question toute la méthodologie du droit et tendit à rejeter tout usage de la
raison. Au 11e/xviie siècle, l’école akhbarî était essentiellement irakienne, alors que l’école des usûlis
(des méthodologues) était essentiellement persane.
228Mais au 12e/xviiie siècle les akhbârîs gagnèrent aussi les grands centres persans et finirent par dominer

la pensée chiite, alors qu’au Baẖrayn, les usûlis se maintenaient. Les akhbaris eurent notamment une
grande influence sur les monarques comme le Châh Husayn. Pourtant, au sein même de l’école akhbârî
apparaissaient des ouvrages critiques envers al-Astabârâbî. Puis, au cours du 12e/xviiie siècle, un grand
auteur apparut, al-Bihbahânî al-Waẖîd, pour faire repartir le balancier dans l’autre sens, le sens usûlî.
Son apport le plus notable fut de reprendre le fiqh à partir de zéro et de reconstruire totalement
l’ensemble du droit imamite dans un accord parfait avec les principes de ses usûl al-fiqh. Vivant à
Kerbala, il inspira la persécution du soufisme qui eut lieu à la fin du siècle. Il eut de nombreux disciples
au 12e/xviiie et au 13e/xixe siècle.
B. L’Orient sunnite

229167 — L’Afghanistan. Au 12e/xviiie siècle, on assista à la naissance d’un État nouveau entre les deux
empires les plus orientaux, l’Afghanistan. La ville de Qandahar se révolta contre la Perse en 1704 sous la
direction de Mir Ways (1704-1715). Son fils Maẖmûd réussit à prendre le trône de Perse en 1722. Achraf
Khân régna donc sur l’Afghanistan de l’ouest et une partie de la Perse. Mais la dynastie afghane fut
renversée en Perse par Nâdir Châh, qui, en 1738, prit Qandahar avant d’aller piller Delhi, sans pouvoir
s’y maintenir. Après l’assassinat (1737) de Nâdir Châh, Qandahar resta dans l’indépendance sous la
férule de Aẖmad Khân Sadozay qui prit Kaboul en 1747 et Hérat en 1749, réalisant ainsi l’unité de
l’Afghanistan. Le pays connut par la suite différentes dynasties de souverains afghans et leur
préoccupation principale au xixe siècle fut de préserver leur indépendance face aux poussées uzbèckes
que relayait l’impérialisme russe. Très dangereuse aussi était la poussée britannique qui se développait à
partir de l’Inde.
230168 — L’Inde. On a vu que le prince de Kaboul, Bâbur (ou Baber), avait été refoulé de Transoxiane

par les Uzbecks. Il se tourna vers l’est et entreprit la conquête de l’Inde (1526). Il réussit à s’établir à
Delhi, fondant la dynastie des Mughuls (ou Mogols).
231Son fils Humayoun (1526-1556) perdit son royaume de 1540 à 1545 avant de le reconquérir. Son

adversaire, Shîr Khân, qui régna pendant ces cinq années fut un administrateur de génie et “peut être
considéré, paradoxalement, comme le véritable fondateur de la puissance mogole” (Meile, Hist. Univ.
t. 4, p. 1258). Il jeta en effet les bases d’une administration rationnelle, d’une fiscalité assise sur un
recensement, d’un réseau de routes bien conçu. Humayoun après sa reconquête, et ses successeurs,
conservèrent ces réformes.
232Akbar (1556-1605), fils d’Humayoum, âgé de treize ans, fut tout d’abord protégé par le régent chiite

Bayrâm Khân qui se montra despotique. Débarrassé de lui en 1561, Akbar partit en guerre et constitua, de
l’Afghanistan au Bengale, du Berar (centre du Dekkan) au Cachemire, un puissant royaume sunnite. Il
comprit que l’Inde ne pouvait être gouvernée qu’avec la coopération des hindous et les fit largement
entrer dans son administration. Une “maison de religion” fut fondée en 1575, et Akbar y écouta tous les
lettres des diverses confessions. Puis il essaya d’établir une synthèse entre l’islam, le christianisme et le
bouddhisme, synthèse très tolérante envers l’hindouisme. Cette “religion divine” (dîn ilâhî) suscita
l’opposition des ulémas musulmans, mais Akbar les contraignit à admettre qu’il était infaillible en
matière de foi religieuse (1579). Malgré les nombreuses guerres et révoltes suscitées par ses fils, le
règne d’Akbar fut glorieux. Akbar se souciait du bien être de tous et réprimait les violences de ses
soldats. Il tenta d’abolir le sacrifice des veuves sur le bûcher (sutti) ainsi que l’esclavage. Il supprima
l’impôt vexatoire musulman sur les dhimmis (jizya), réforma le système de l’iqta ̒ (concessions fiscales)
et établit une assiette rationnelle et équitable pour les autres impôts. L’Inde connut alors une prospérité
inégalée par la suite (ibid., p. 1259-1269).
233Ses successeurs revinrent à l’islam sunnite hanéfite. Djahanghir (1605-1627), dut combattre la
rébellion de son fils et fit exécuter le chef religieux des Sikhs qui lui avait donné l’hospitalité : ce serait
l’origine de l’antagonisme entre les Sikhs et les musulmans. Qandahar fut perdue en 1622 du fait des
victoires de Chah ̒Abbâs Ier. Le mogol Shah-Djaham (1628-1657), reprit la place et la reperdit (1649). Il
élimina les Portugais qui s’étaient établis au Bengale. Aurengzeb (ou ̒Alamgîr) (1658-1707), prit le trône
en dépit de son père et de ses frères. Il ne parvint pas à reprendre Qandahar. Il guerroya dans le Dekkan
et dans le Nord-Ouest. Il s’aliéna les hindous par une politique religieuse à courte vue, qui anéantit le
capital de sympathie accumulé par ses prédécesseurs musulmans, et provoqua à terme la ruine de
l’empire. De cette époque date la compilation de textes hanéfites connue sous le titre de Fatâwa al-
‘alamgîrîya. Les révoltes hindoues furent incessantes à partir de ce moment, notamment celles des
Radjpoutes et des Marhates (ibid., p. 1269-1282).
234La décadence de l’empire, commencée sous Aurengzeb, devint de plus en plus patente. Les querelles
de succession furent continuelles. L’empire se morcela et fut mis au pillage par ses fonctionnaires
aristocrates, par ses voisins persan et afghan, aussi bien que par ses propres rebelles et brigands. Son
histoire est, au xviiie siècle, celle de sa colonisation. Car les rajahs, soubabs et nababs qui étaient en
rivalité constante, faisaient appel aux nouveaux venus sur la scène indienne, les Anglais et les Français.
Les compagnies de commerce anglaises et françaises se faisaient une lutte acharnée : Bombay, Madras et
Calcutta anglaises contre Pondichery, Chandernagor, Mahé, Yanaon, Karikal françaises. Le français
Dupleix sut étendre les possessions de la compagnie française sur le centre du Dekkan. Mais au cours de
la guerre de Sept Ans (1756-1763) la France perdit ses conquêtes. Le traité de Paris ne lui conserva que
ses cinq comptoirs. La compagnie anglaise mit à profit sa victoire, et contrôla bientôt le Bengale, le Oudh
(1764) et toute la côte est du Dekkan. Le mogol. Shah Allam II prit conscience du danger et tenta de se
dégager de l’emprise anglaise, mais il fut battu et dut signer un traité de protectorat à Allahabad (1765).
Cependant l’anarchie et la corruption régnaient aussi dans l’administration britannique. Le Bill of India
plaça la Compagnie des Indes sous le contrôle de la Couronne (1784). Le gouverneur général ne fut plus
contrôlé par les actionnaires et eut les mains libres pour mener une véritable politique coloniale. Un
temps de réformes pouvait commencer.
235Le droit anglais de l’Inde fait une distinction fondamentale entre la loi territoriale qui s’applique à
tous, et la loi personnelle qui varie en fonction de la religion (elle ne concerne que ce qu’on appelle le
statut personnel). En fait, il y avait trois lois territoriales différentes, s’appliquant chacune aux trois
provinces sous obédience anglaise directe, le Bengale, Calcutta et Madras. Ces territoires furent dotés de
tribunaux anglais où l’on appliquait du droit anglais (pour la loi territoriale) et les diverses lois
religieuses pour le statut personnel, avec l’aide d’assesseurs hindous ou musulmans. Dans le reste du
pays, du fait du traité de protectorat sur l’Empire mogol, il existait des tribunaux de la Compagnie des
Indes. Ils appliquaient les lois religieuses pour le statut personnel, mais n’appliquaient pas les lois
territoriales anglaises pour le reste : ils jugeaient selon la loi locale (le droit musulman), mais aussi en
équité 3 . Le droit musulman toutefois fut constamment retouché : en 1793, le talion (qisâs) fut interdit et
la composition (diya) fut obligatoire dans tous les cas ; en 1807 le commerce des esclaves fut interdit. Ce
système demandait de toute évidence des réformes.
236169 — L’Extrême Orient. En Asie du Sud Est, c’est le chaféisme qui domina, comme en Afrique
orientale et en Arabie du Sud. Ces communautés jalonnaient les routes du commerce arabe au moyen âge.
La communauté appelée à devenir la plus importante de l’islam, celle d’Indonésie, était déjà nombreuse à
Sumatra et à Java au 10e/xvie siècle. La caractéristique principale de cet islam indonésien était la forte
présence de coutumes locales qui ne furent jamais remplacées par le droit musulman. Les Portugais, qui
dominaient de petites principautés établies dans la multitude des îles à partir de Gao et de Malacca,
respectèrent ces coutumes, comme les Hollandais qui leur succédèrent au xviie et au xviiie siècle. Comme
les Portugais, ils implantèrent de petites communautés chrétiennes. Le centre de la puissante compagnie
hollandaise était établi à Java. Elle exigeait des paysans, par le biais de leur princes qui les soumettaient
au travail forcé, toujours plus de marchandises (café, indigo) et les actionnaires exigeaient d’elle toujours
plus de dividendes. Il fallut longtemps aux Hollandais pour dominer le plus grand royaume musulman de
la région, Madura. Les Britanniques à leur tour s’implantèrent dans la région, à partir de la Malaisie. Ils
évincèrent les Hollandais pendant les guerres napoléoniennes, mais ils leur rétrocédèrent leurs
possessions au traité de Vienne (1815) (J. Cuisenier, Hist. Univ. t 3 p. 1587-1643).
§ 3 - L’Empire ottoman

237170 — Les Ottomans, au 10e/xvie siècle. On se souvient qu’au 9e/xve siècle, Constantinople fut prise

(1453) et que, à la fin du siècle, la péninsule des Balkans et l’Anatolie, dans leur majeure partie, étaient
ottomanes. Selim Ier (1512-1520) après sa victoire de Marj Dâbiq sur les Mamlûks, conquit la Syrie
(1516) où il installa un grand cadi chaféite (alors que les Ottomans sont hanéfites). L’Égypte succomba
l’année suivante après deux batailles et le dernier sultan Mamlûk, Tûmânbây, fut pendu (1517). Au
12e/xviiie siècle, les Ottomans, en mal de légitimité religieuse, répandirent la légende d’une transmission
du califat par le dernier Abbasside, al-Mutawakkil. En fait ce dernier mourut prisonnier, sans avoir
jamais rien transmis. Au 10e/xvie siècle les Ottomans n’étaient pas en mal de légitimité. D’ailleurs, à
peine l’Égypte fut-elle conquise que le chérif de la Mecque fit allégeance à Selim (1517). Le corsaire
Khayr ad-Dîn, qui venait de s’emparer d’Alger, vint aussi se présenter comme vassal en 1518.
238Süleyman (1520-1566) fut surnommé le Magnifique en Occident, mais le Législateur (al-qânûnî) en

Orient. Il guerroya sans cesse, accumulant les victoires. Il adjoignit à l’empire le Yémen (1521) et
Rhodes (1522). Les guerres contre les puissances chrétiennes lui rapportèrent la Hongrie, la
Transylvanie, la Crimée. Vienne fut assiégée (1529). Charles-Quint paya tribut. Contre la Perse, si
Sulaymân réussit à conquérir l’Irak, il ne put conserver l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Selim II (1560-1574)
conquit Chypre (1571). Sa défaite navale de Lépante (1571) n’a d’importance que dans l’imaginaire
occidental, puisque la flotte ottomane, reconstituée, pris définitivement Tunis peu après (1574) (Bacqué-
Grammont, in Mantran, p. 156).
239Avec les souverains suivants, Murâd III (1574-1595), Mehmed III (1595-1603) et Ahmed Ier (1603-

1617), commença la décadence du pouvoir ottoman. Les sultans se désintéressèrent des affaires. Les
vizirs se succédèrent au gré des intrigues de palais, où les sultanes-mères jouaient un grand rôle. A la fin
du siècle, les Janissaires étaient gagnés par l’indiscipline, l’avidité, l’intrigue. Les Ottomans ne purent
reprendre l’Azerbaïdjan et connurent des défaites dans les Balkans. À la paix de Szitvatorok (1606),
l’Autriche fut reconnue comme non vassale de l’Empire ottoman.
240171 — Le système ottoman à son apogée. Le pouvoir ottoman reposait sur le sultan. Une tradition de

la steppe fut constamment observée : le sultan devait appartenir à la lignée royale des Osmanlis
(‘Uthmânîyîn). Mais l’ordre de succession n’était pas fixé et tout descendant mâle était potentiellement
légitime. Décrétée par Mehmed II pour le bien de l’État (et approuvée par les ulémas), la “règle du
fratricide” permettait au nouveau souverain d’éliminer tous ses frères et ses neveux et petits neveux
(Veinstein, in Mantran, p. 165 sq). La règle fut abandonnée à partir du 11e/xviie siècle et celle du séniorat
réapparut. Les frères et fils du sultan furent confinés dans une salle du palais (dite kafes, cage). Le rôle
des femmes, des sultanes-mères, puis des janissaires fut de plus important dans le choix du successeur, ou
la destitution du sultan en place, voire son exécution, comme le fait se produisit plusieurs fois.
241Le sultan était “l’ombre de Dieu sur les terres”, mais ses pouvoirs étaient limités en matière juridique

par la loi islamique qu’il devait respecter. Le rite officiel était le rite hanéfite. Le sultan était l’imam, ce
qui lui conférait de nombreux droits civils, militaires et religieux. Il pouvait décider de la guerre,
attribuer des terres, décider en temps de guerre que les troupes soient dispensées du jeûne du mois de
Ramadan, etc. Mais il ne pouvait modifier la loi islamique, ni même l’interpréter, ce travail étant du
ressort des jurisconsultes (muftis et ulémas, qui eux-mêmes devaient suivre les règles précises de la
science des usûl al-fiqh). Toutefois il était parfaitement admis, qu’en cas de silence de la loi, le sultan
puisse promulguer des règlements (qânûn, pl. qawânin ou loi). Son domaine d’intervention était limité au
droit public et mixte (constitutionnel, administratif, fiscal, procédural et pénal avec réserves). Les
coutumes, les règlements antérieurs, les lois des pays conquis furent souvent reconnus et admis, ce qui
permettait de notables exceptions ou compléments à la loi islamique et, constituait en même temps une
limite au pouvoir sultanien (Beldiceanu, Veinstein, in Mantran, p. 118, 170).
242La force du sultan résidait dans ses esclaves. La population se divisait en deux grandes catégories,

celle des agents de l’État (̒asker, soldats et fonctionnaires) et les autres (re ̒ aya, paysans d’abord, autres
producteurs aussi). Les ̒ asker étaient pour la plupart des esclaves (kul en turc, ̒ abîd en arabe) et ne
rendaient compte qu’au sultan, qui avait sur eux le droit de vie ou de mort, a fortiori le droit de les muter,
de les destituer, ou de confisquer leurs biens. Du coup le plus grand ministre pouvait être exécuté, aussi
bien que le moindre defterdar (percepteur).
243Mais ce droit de vie ou de mort ne s’étendait pas sur les non esclaves, ni sur les hommes libres, en

particulier pas sur les cadis et ulémas (ibid., p. 174). Ce sont eux qui constituaient le véritable contre-
pouvoir du sultan et ils étaient redoutables quand ils s’alliaient aux janissaires.
244172 — Les institutions judiciaires ottomanes. Le système judiciaire ottoman n’était pas unifié, comme
ce fut presque toujours le cas dans le monde musulman. Il comprenait principalement une justice
administrative (politique et pénale) et une justice proprement judiciaire (celle des cadis). À cette double
hiérarchie, il faut ajouter un bon nombre de juridictions spécialisées (pour l’armée ou la marine par
exemple).
245Les deux hiérarchies principales aboutissaient à la personne du sultan, comme à celle du grand vizir.

La hiérarchie administrative se déployait dans les provinces sous l’autorité des gouverneurs (beylerbey-s
ou sandjakbey-s) et de ses subordonnés. Ces administrateurs et officiers devaient suivre la loi islamique,
les codes ottomans, mais surtout écarter l’injustice (ẕulm) en écoutant les plaintes. Ils devaient tenir
régulièrement des dîvân-s (réunion, audience) pour cela. Ils pouvaient donner des ordres écrits, établir
des règlements. En voyage, ils pouvaient rendre la justice, même hors de leur province ou juridiction, du
moins en l’absence d’un fonctionnaire ou officier de rang supérieur ou de même rang. En principe les cas
trop complexes étaient renvoyés au cadi, même en matière pénale, mais il y eut toujours un conflit de
compétences. Les justiciables pouvaient se plaindre de cette justice (souvent brutale) à un niveau
supérieur, au grand vizir ou au sultan. Ce dernier pouvait envoyer des inspecteurs (Heyd, p. 210-212).
246La hiérarchie judiciaire fut mise en place progressivement et parallèlement à l’extension territoriale de
l’empire. Le premier cadi fut nommé par Osmân Ier vers 1300, puis on assista à une multiplication de ces
nominations. A la fin du 8e/xive siècle, un cadi ̒ askar fut chargé du contrôle des autres cadis et des
médersas. Bayezid décida de permettre aux cadis de percevoir des taxes, 2 % des héritages, de petites
sommes sur tous les actes administratifs, et par la suite une rémunération complémentaire, en sorte que les
juges furent moins soumis aux tentations de corruption. Mais la corruption demeura la plaie du système.
La fonction de cadi ̒askar fut dédoublée sous Mehmed II : il y eut un cadi ̒askar de Roumélie (Balkans) et
un d’Anatolie. Le grand vizir était juge suprême quand il participait le vendredi au divân particulier
chargé des questions de droit, avec les deux cadis ̒askar.
247Au milieu du 10e/xvie siècle la hiérarchie judiciaire se transforma encore. Le mufti d’Istanbul, dit aussi
le chaykh al-islam, eut la prééminence sur les deux cadis ̒ askar, et devint le véritable maître de toute la
machine judiciaire. C’était le troisième personnage de l’État (après le sultan et le grand vizir), et en
même temps le représentant de l’islam, comme le patriarche grec était celui des chrétiens orthodoxes.
Quoique ne siégeant pas au divân, les grandes décisions de l’État lui étaient soumises.
248La hiérarchie judiciaire des cadis s’étendait parallèlement aux subdivisions administratives et elle

variait en fonction des particularités régionales. Les cadis étaient nommés par un cadi suprême au niveau
des grandes provinces (appelé cadi ̒askar en Égypte), lui-même nommé par le chaykh al-islam d’Istanbul.
Le territoire d’un cadi était dit le plus souvent le qaḏa’ (ou qaza’), celui de ses substituts (nâ’ib) une
naẖiya (ou nahiyé en turc). Les cadis avaient des compétences très étendues : ils étaient à la fois notaires,
membres de l’administration municipale, responsables de l’approvisionnement de l’armée communale,
surveillants des immeubles, des corporations, des marchés, des biens de mainmorte, etc. Ils veillaient
notamment à l’exécution des ordres du pouvoir central et ils pouvaient dénoncer le fonctionnaire peu zélé
ou prévaricateur. Le responsable politique du moindre territoire le plus reculé de l’empire était
inévitablement flanqué d’un officier, d’un percepteur et d’un juge. C’est dire que dans le système ottoman,
la hiérarchie judiciaire joua toujours un grand rôle. Elle constituait une des quatre assises du régime, les
trois autres étant l’administrative, la militaire et la fiscale. Mais la confusion des rôles était évidente
entre la hiérarchie administrative et la hiérarchie judiciaire.
249La situation était encore compliquée par l’existence de tribunaux spéciaux dont on ne sait pas toujours

le nombre et les compétences. Il y avait des tribunaux militaires. L’amiral de la flotte avait la
responsabilité judiciaire des îles, mais il pouvait rendre la justice dans n’importe quelle escale, Istanbul
comprise. Il semble que les chefs de confréries, leurs membres, les chorfas (descendants du Prophète),
etc. jouissaient de privilèges judiciaires. Les chrétiens et les juifs avaient des tribunaux, qui ne jugeaient
pas seulement les questions de statut personnel, mais aussi des affaires pénales. Les étrangers étaient
régis par divers traités de capitulation. La justice ottomane était d’une extraordinaire complexité.
250173 — Les qanûnâme-s. Les Turcs possédaient des traditions juridiques avant de se convertir à

l’islam et ils y restèrent longtemps fidèles après leur conversion. Cette loi traditionnelle de la steppe se
disait en turc törü ou yasa dans le monde mongol. Dans l’Empire ottoman, cette loi de la steppe se
combina avec l’idéal persan du souverain “ombre de Dieu sur la terre” et dont la charge principale était
de faire régner la justice, en répondant en particulier aux plaintes (justice des maẕâlim) de ses sujets
(Inalcik, Suleiman the Lawgiver, p. 107). Évidemment cette loi entra en conflit avec la loi musulmane dès
l’époque mongole. Mais les juristes hanéfites admirent la dualité juridique, en considérant la loi de la
steppe comme ̒urf, coutume. Ils reconnurent au sultan, en matière de droit public, le droit de produire des
codes et des lois (qânûn, pl qawânîn, en arabe), soit sur la base de la coutume (qawanîn al-‘urfîya), soit
dans l’intérêt général (qawânîn as-sulṯanîya).
251L’histoire de cette législation est à retrouver d’abord à travers une histoire complexe de manuscrits

(voir Heyd par exemple). Essayons d’en retracer les grandes lignes. Mehmed II fut le premier sultan à
mettre des lois sous forme de code (qanûnâme, en turc). Son premier qanûnâme était un recueil pénal et
fiscal à la fois. Un second qanûnâme établit des règles de procédure pour les tribunaux. Aucun des deux
ne faisait mention de la loi islamique, Bayezid eut à faire face à la réaction des ulémas, mais comme il
avait besoin d’eux, il fit mine de leur céder pendant un temps, puis reprit les lois de Mehmed II. Selim ne
tint aucun compte des ulémas. Süleyman eut la réputation d’être un grand législateur. En fait il semble
bien qu’il n’ait que repris le code de Bayezid, tout en y ajoutant quelques lois, en opérant quelques
simplifications et en évitant les contradictions les plus criantes avec la loi islamique (Inalcik, ibid). Il fut
donc le premier à céder quelque chose aux docteurs musulmans.
252Dans cette production législative, on peut distinguer : 1) des codes (qanûnâme) particuliers à certaines

provinces ; c’était surtout des lois fiscales, fixant notamment les droits et devoirs des timariotes ; le
timariotc est le titulaire d’un timar qui était une sorte d’iqta’, une concession de revenus fiscaux à un
militaire en guise de solde ; 2) des décrets sur un point de droit particulier (ẖukm, ou firman) ; ils étaient
copiés pour les cadis ; 3) des codes à caractère généraux (qanûnâme) qui compilaient le plus souvent les
décrets. Le code de Süleyman en particulier reprenait et arrangeait les décrets et codes de ses
prédécesseurs. Il devait être appliqué par les agents du gouvernement et les cadis. Ces codes pouvaient
être modifiés par le sultan ou ses successeurs : on les complétait alors par des notes marginales (Inalcik,
ibid., p. 112-117).
253Le contenu de ces codes était essentiellement fiscal et pénal. En matière fiscale (Inalcik, p. 129 sq), le

principe était posé que les terres et ceux qui la cultivaient (ra ̒ îya en arabe, re ̒ âyâ en turc) appartenaient
au sultan. Ce principe lui donnait le droit d’interférer même dans les fondations pieuses. Les timariotes ne
devaient pas prélever plus que la loi le leur autorisait et en particulier ils ne pouvaient soumettre les
paysans au travail forcé. Dans toute l’histoire de l’Empire ottoman, les qânûnâme-s furent réputés comme
étant la loi de protection des faibles contre les féodaux (ẖimâyat ar-ra’îya min maẕâlim al-ẖukkâm), ou
une loi de justice (‘adalet-nâmé, en turc). Selon Inalcik, il en avait été de même sous les Mongols et les
Mamlouks, et les décisions prises au xixe siècle dans l’Empire ottoman à l’ère des réformes (tanẕimât)
sont à rattacher à cette tradition (ibid., p. 135-136). On peut remonter même plus loin, jusqu’à la tradition
persane, qui s’est exprimée notamment sous les Abbassides avec les tribunaux des injustices (tribunaux
des maẕâlim) (Heyd, p. 3).
254En matière pénale, ces codes ne partaient pas d’un point de vue humaniste, puisque les peines édictées

étaient tout aussi sévères que celles du fiqh. De nouvelles peines étaient introduites (castration, marque
au front, galères, expositions infamantes, etc.). Ces codes instituaient de nombreuses amendes, en
particulier en sus de la diya (prix du sang). Ainsi le côté civiliste du système musulman, relatif aux
homicides et blessures était tiré du côté du pénal. Il y avait manifestement des conflits entre ces codes et
la loi islamique. Une lutte d’influence subtile opposa le sultan au chaykh al-islâm (cadi suprême) et à
l’intelligentsia pieuse. En général, juges et muftis durent céder (détails dans Heyd, p. 180-207) par
crainte probablement (Heyd p. 203) donc à contrecoeur (p. 204).
255Il était admis d’abord, qu’en cas de divergence entre les fuqahâ’, le sultan pouvait décider intuitu

personae (ce qu’admet Ibn Taymîya, trad. Laoust p. 170). Il eut la possibilité, sans l’opposition des
ulémas, de puiser ailleurs que dans le rite hanéfite, faisant ainsi un talfîq, mélange de rites, en principe
refusé par la loi islamique. Il put aussi évoquer le principe de l’istiẖsân (recherche du meilleur) qui
permettait de renoncer à une disposition de la loi musulmane fondée sur l’analogie pour des raisons
d’équité (Heyd p. 186). Pour justifier ce droit nouveau les ulémas (les muftis surtout) firent appel à des
notions connues en droit classique. Ils évoquèrent d’abord la notion de coutume (‘urf) dont le sens fut
confondu avec celui de qânûn (Heyd p. 169, 182, 191). Ils eurent recours à l’idée “de politique légale”
(siyâsa char’îya), idée connue d’al-Mâwardî et d’Ibn Taymîya entre autres, selon laquelle l’imam devait
prendre les décisions politiques conformes à l’intérêt des musulmans. Enfin ils considérèrent que les lois
pénales nouvelles faisaient partie du ta ̒ zîr (correction, punition). En droit pénal, le ta ̒ zîr est le terme qui
désigne l’ensemble des peines soumises à la discrétion (ou à l’arbitraire) du juge et il a toujours été
admis que l’imam pouvait leur donner des instructions à ce sujet (cf. t. II, chapitre pénal). Ils admirent
ainsi que les faussaires, et ceux “qui semaient la corruption”, fonctionnaires prévaricateurs, récidivistes
ou auteurs de tentatives de cambriolages ou de crimes soient condamnés à mort. Pourtant si les ulémas
fondèrent certaines de leur fatâwâ sur ces textes nouveaux, ils ne le firent jamais en matière pénale
(Heyd, p. 183).
256Les ulémas avaient donc accepté que le sultan puisse agir dans l’intérêt commun, siyâsatan, c’est-à-
dire en vertu de son pouvoir politique, et que, conformément au droit classique, les qawânîn (les codes)
puissent être considérés comme complémentaires de la loi islamique. En pratique ils durent accepter plus
encore. Ils durent se taire devant les punitions préventives, les peines plus lourdes que celles de la loi
islamique, des modes de preuves plus faciles et même la torture (Heyd, p. 202). Plus graves étaient les
exécutions hors des formes légales, parfois en masse, comme celles des frères du sultan, rivaux potentiels
ou celles des habitants d’une zone de refuge pour les brigands (Heyd p. 193-194). Dans certains cas il y
eut des refus de la part des ulémas (Heyd p. 195-8). Les fuqahâ’ écrivains en tout cas ignorèrent ces
qawânîn et on ne trouve pas d’allusion aux codes ottomans dans les ouvrages classiques de droit hanéfite
(Majma’ al-anhur, Radd al-muhtâr), pourtant écrits postérieurement.
257Pour le statut personnel, qui échappait aux qanûnâme-s, le droit musulman, tel qu’il était à l’époque
classique, demeura. Les Ottomans n’imposèrent jamais aux populations d’adopter le rite hanéfite. C’est
ainsi que le malékisme resta la doctrine quasi générale en Algérie et en Tunisie. Seuls les Turcs des
villes et des garnisons suivaient le droit hanéfite. Il faut mettre à part aussi les zones de droit ibadite
(Mzab, Jerba, Jabal Nafûsa...) et de coutumes (Kabylie).
258174 — Le déclin ottoman aux xviie-xviiie siècle. Sur l’intervention de la sultane-mère Kösem,
Mustafa Ier (1617-1618) inaugura le système de succession par primogéniture. Mais le sultan était fou et
fut déposé. Osmân II (1618-1622) voulut réformer l’administration centrale mais se heurta aux ulémas,
aux fonctionnaires et aux janissaires qui le déposèrent et l’exécutèrent. Ils remirent sur le trône Mustafa
Ier (1622-1623), semèrent le désordre à Istanbul, pendant que toute l’Anatolie se révoltait (jusqu’en
1628). Mais la sultane-mère mit sur le trône son jeune fils Murad IV (1623-1640) et gouverna en fait.
Murad, majeur, reprit réellement le pouvoir en 1632. Il réussit à se débarrasser des plus turbulents chefs
de clans, à faire passer ses réformes, à remettre de l’ordre dans les finances. Une paix fixa les frontières
avec la Perse qui renonça à l’Irak, tandis que les Ottomans renonçaient à l’Azerbaïdjan (1649). Murad
inaugura aussi une politique de réaction religieuse en faisant fermer les cafés et en interdisant le vin. Son
successeur Ibrahim Ier (1640-1648) eut la réputation de n’être pas bien équilibré. Le fait est que sous son
règne la lutte des clans reprit avec ses conséquences : instabilité ministérielle, indiscipline des
Janissaires, gaspillages, révoltes... La situation au début du règne de Mehmed IV (1648-1687) était
désastreuse. La fin des conquêtes avait amené une crise de trésorerie permanente, le non-paiement des
salaires et soldes, d’où l’agitation, les révoltes à caractère social, la corruption... Le pouvoir y répondait
par la répression, par des confiscations, mais toute réforme semblait impossible en raison du
conservatisme des différentes corporations et communautés d’intérêts. Il était devenu impensable de
modifier les qânûname-s qui, peu à peu, devinrent lettre morte. En province, des féodalités puissantes
s’étaient établies et leurs exactions étaient couvertes par des administrations locales dominées. Sans
compter que Venise pouvait bloquer les Dardanelles impunément. (Mantran, p. 228-241).
259C’est à ce moment qu’intervint une dynastie de bons ministres, les Köprülü, presque sans interruption
de 1656 à 1691, sous les règnes de Mehmed IV et Süleyman II (1687-1691). À l’intérieur, ils réprimèrent
les révoltes, sévirent contre les extrémistes religieux, rétablirent les finances et l’autorité de l’État. A
l’extérieur, les Détroits furent débloqués, Venise dut céder au contraire la Crète (1669), la progression
reprit dans les Balkans (siège de Vienne, 1683) et aux abords de la Mer noire. Mais l’empire était à
l’extrême limite de ses forces. À l’intérieur, plusieurs fois, tous les acquis furent remis en cause,
notamment du fait des révoltes de janissaires, des intrigues du chaykh al-islâm, ou des résistances
religieuses. À l’extérieur la coalition de l’Autriche, de Venise, de la Russie, de la Pologne annonçait les
futurs orages.
260Pendant le xviie et une bonne partie du xviiie siècle, le déclin ottoman fut masqué. Si Mustafa II (1695-
1703) signa une paix désastreuse à Karlowitz (perte de la Hongrie, de la Transylvanie, de la Podolie, de
l’Ukraine, d’Azov et de la Morée), si la paix de Passarovitz (1718), sous Ahmed III (1703-1730),
consacra la perte de la Valachie et d’une partie de la Bosnie, en revanche, par le même traité, la Morée
était récupérée. Par la suite, sous Mahmud I (1730-1754), la Valachie et la partie perdue de la Bosnie
retourna aux Ottomans (paix de Belgrade, 1739). L’époque d’Ahmed III est dite l’époque des tulipes (le
sultan adorait ces fleurs). Elle est marquée par des fêtes somptueuses, en même temps qu’une gestion
financière saine, par l’envoi de multiples ambassadeurs en Occident. Ils devaient enquêter et répondre à
la question qui ne cessa plus de hanter les musulmans jusqu’à l’heure actuelle : pourquoi sont-ils (les
Européens) devenus si puissants ? Néanmoins la réaction religieuse se déploya plus nettement à partir de
cette époque, témoin l’école d’ingénieurs créée par le français Bonneval, ou l’imprimerie créée en 1727
qui furent fermées au tournant du demi siècle. Osmân III (1754-1757) interdit les promenades aux
femmes, la consommation de vin et voulut obliger les dhimmî-s à porter les vêtements distinctifs prévus
par la loi islamique.
261La guerre reprit contre les Russes sous Mustafa II (1757-1774) et se termina sous Abdül-Hamid Ier

(1774-1789). En 1774, la Russie se vit confirmer la possession d’Azov, et les Ottomans devaient
considérer le rivage des alentours comme ne faisant plus partie de leur domaine. Il était clair que la
“question d’Orient” était posée : ce n’était qu’un euphémisme pour désigner le partage de l’Empire
ottoman entre les puissances européennes.
262Au moment de l’occupation de l’Égypte par Bonaparte (1798), sous Selim III (1789-1807), l’Empire

ottoman tenait encore l’essentiel des Balkans. La plupart des provinces d’Afrique étaient indépendantes.
Les gouverneurs ottomans étaient devenus des dynastes locaux. Ils se bornaient à dire la prière au nom du
calife, à payer de temps en temps quelque tribut au gouvernement central. Toutefois, dans des
circonstances exceptionnelles et mues par un sentiment de solidarité islamique, les provinces pouvaient
envoyer des contingents militaires ou payer des contributions importantes. Le recul ottoman ne prendra
toute son ampleur qu’au xixe siècle.
263175 — Abandon des qanûname-s. Avant même que le 10e/xvie siècle ne soit achevé, les signes d’un
abandon de la loi ottomane se multiplièrent. Les modifications et compléments aux qanûname-s se firent
rares. Les taux d’amendes ne furent pas modifiés en fonction de la dépréciation monétaire. On ne trouve
au xviie siècle qu’une nouvelle compilation, privée, des lois de Süleyman, mais il semble qu’elle n’ait
jamais été reconnue officiellement. Au contraire des notes marginales apparurent, au 11e/xviie siècle,
corrigeant le code de Süleyman pour le faire mieux concorder avec la loi islamique. Une nouvelle
conception de la loi se faisait jour, visant à la restauration du droit musulman. Le pouvoir ottoman entrait
en décadence, et il devait se rapprocher des forces qui pouvaient augmenter sa légitimité (les ulémas). La
loi ottomane commença à être abrogée, d’abord par morceaux, puis, le sultan Mustafa II, dans un firman
de juin 1696, rejeta toute loi contraire à la charî̒a. Il pensait que la loi islamique devait suffire pour
empêcher les grands féodaux d’opprimer le peuple. Il était pourtant poussé à cette décision, certes par les
ulémas, mais aussi par les gouverneurs désireux de retrouver leur liberté d’action, notamment dans le
domaine fiscal (Heyd, p. 154-155).
264Le droit musulman restait apparemment sans concurrent. Cette décision coïncidait avec des
mouvements puristes qui traversaient à l’époque le monde musulman. En fait le pouvoir des gouverneurs
et notables militaires dans les provinces à population sédentaire, celui des bédouins dans les déserts
immenses de l’empire, surpassait celui des ulémas et du sultan d’Istanbul. Un partage des compétences
s’établit : le cadi jugeait suivant la loi islamique ce qui pouvait l’être, le reste était renvoyé aux
administrateurs (Heyd, p. 219).
265A la fin du xviiie siècle toutes les affaires pénales graves échappaient au cadi (Heyd, p. 220). La loi
islamique ne fut pas exaltée, et comme le note un poète, cité par Heyd (p 157), “Vous ne suivez pas la loi
de Dieu, ni même la loi des hommes”. Volney, l’idéologue voyageur, observe qu’il n’y a chez les
Mamlouks d’Égypte “nulle idée de police ni d’ordre public” et “qu’on verse le sang d’un homme comme
celui d’un boeuf La justice même le verse sans formalité” (Voyage en Égypte et en Syrie, Paris, 1799,
t. 1, p. 160-162). Ce jugement sera confirmé par la Porte elle-même. On lit en effet dans le Hatti Cherif
de Gulkhane (1835) : “Depuis cent cinquante ans, une succession d’accidents et de causes diverses ont
fait qu’on a cessé de se conformer au code sacré des lois”... et plus loin : “personne ne pourra plus être
exécuté ou empoisonné, publiquement ou clandestinement, avant qu’un jugement ne soit rendu…”. Tous
ces indices tendraient à montrer que l’empire perdait toute loi. Cela expliquerait aussi que les
philosophes français n’appréhendaient l’Empire ottoman que sous la problématique du despotisme
oriental (Bleuchot, La connaissance du droit musulman...).
266176 — Les provinces ottomanes. Au fur et à mesure que l’empire perdait sa puissance, les entités

nationales tendirent à se reconstituer. Il serait trop long d’en retracer ici l’histoire, bien connue par
ailleurs (résumé in A. Raymond, in Mantran). On peut donner comme règle générale que plus on
s’éloignait d’Istanbul, plus les pouvoirs locaux étaient forts et plus ils naquirent précocement. Ainsi
l’administration directe ottomane se maintint à Alep. La Palestine connut des “hommes forts” (Chaykh
Dâhir et Djazzâr Pacha) mais seulement au xviiie siècle. La Syrie (“dynastie” des ‘Azm) et l’Irak (les
Djilîlî à Mossoul, les Mamlouks à Baghdad) de même. L’Égypte résista au désirs des sultan dès le xviie
siècle (Ridwân Bey, par exemple, 1631-1656) et au xviiie siècle les Mamlouks sont presque
indépendants. La Libye passa sous la dynastie des Karamanlis au xviiie siècle. En Tunisie, dès le xviie
siècle, les Pachas nommés par la Porte n’avaient aucun pouvoir face à la dynastie héréditaire des deys 4 .
En 1631, Istanbul donna directement le titre de Pacha aux deys en place. Puis les beys ayant évincé les
deys, la Porte nomma Pacha les nouveaux hommes forts. L’Algérie naquit même dans l’indépendance,
puisque c’est le corsaire Barberousse lui-même qui offrit la province à Selim (1618).
267Il ne semble pas que ces qânûname-s aient reçu un commencement d’application en Afrique du Nord.

L’Afrique du Nord ottomane resta soumise au droit malékite, à l’exception de petits noyaux hanéfites dans
les villes de garnison turque. Du point de vue de l’organisation judiciaire, les pouvoirs locaux
développèrent des tribunaux laïques (voir Brunschvig, Justice religieuse... pour la Tunisie).
268177 — Les auteurs hanéfites. Les auteurs de cette période furent nombreux : le hanéfisme était le rite

officiel, les cadis avaient besoin d’ouvrages anciens et nouveaux.


269L’auteur à retenir est al-Halabî dont le Multaqâ al-abẖur servit d’ouvrage de base au commentaire de

Chaykhzâde, Majma’ al-anhur. L’édition cairote public ces deux textes avec, en marge, un autre
commentaire, celui d’al-Haskafî, le Durr al-muttaqâ, sur le Multaqâ al-abẖur. Ce texte fit autorité à la
fin du xviiie siècle et c’est sur lui que se fondait Mouradgéa d’Ohson, un chrétien, loyal sujet de l’empire,
dans son Tableau de l’Empire ottoman. Mouradgéa d’Ohson répondait aux philosophes français qui
parlaient du “despotisme oriental”, en mettant en valeur ce texte, donc l’existence d’un “État de droit”
ottoman, dirions nous aujourd’hui.
270Plus important encore est l’ensemble formé par le Tanwîr al-absâr de aṯ-Ṯimurtachî, texte de base,
commenté par le Durr al-mukhtâr d’al-Haskafî, lequel reçut, au xixe siècle, le super commentaire de Ibn
̒Abidîn, Ar-radd al-muẖtâr, le tout formant le dernier état du droit hanéfite avant les influences et
codifications du xixe siècle. Il est encore utilisé dans les tribunaux, quand le recours au droit musulman
est permis par la loi positive en cas de silence des textes.
271Attirons aussi l’attention sur Ibn Nujaym dont le Kitâb al-achbâh wa n-naẕâ’ir s’efforçait de classer

les dispositions juridiques du hanéfisme en fonction de règles générales. La substance de cet ouvrage fut
reprise dans la Majalla, le premier essai de codification du droit hanéfite (voir n° 191).
272178 — Les autres rites. Chez les chaféites, les commentaires se concentrèrent sur le Minhâj aṯ-ṯâlibîn
d’an-Nawawî. Les commentaires intitulés Tuẖf ’at al-muẖtâj de Ibn Hajar al-Haytamî, et la Nihâya al-
muẖtâj d’ar-Ramlî constituent les ouvrages de référence du chaféisme.
273Pour les malékites, c’est le Mukhtasar de Khalîl qui attira les commentaires. L’ensemble le plus prisé
est celui qui offre la superposition de quatre textes, celui de Khalîl, que commente ad-Dardîr, dans son
ach-Charẖ al-kabîr, ensemble que commentent à leur tour, au xixe siècle ad-Dasûkî et ‘Ullaych. Le
commentaire d’al-Khirchî est aussi bien utilisé. L’aspect le plus intéressant du malékisme à cette époque
est le ̒amal marocain (Cf. n° 181) où s’illustrèrent les al-Fâsî.
274Les hanbalites se sont fixés sur des textes antérieurs. L’ouvrage de référence est resté le Mughnî d’Ibn

Qudâma. Mais le hanbalisme connut un développement nouveau avec le mouvement wahhabite en Arabie.
Fondé par Muẖammad Bn ̒ Abd al-Wahhâb, c’était un mouvement puritain et réformiste qui se référait au
hanbalisme et à Ibn Taymîya. Très attaché à l’unité de Dieu, les wahhabites furent hostiles à tout ce qui
pouvait entacher cette unité, la théologie dogmatique, le soufisme et en particulier le culte des saints. Le
prédicateur fit alliance avec l’émir Muẖammad Ibn Sa’ûd en 1744. Il fut son conseiller, ainsi que celui de
son fils et successeur ̒ Abd al-̒Azîz Bn Sa’ûd (de 1765 à 1803), jusqu’à sa mort en 1792. Déjà, à cette
date, ̒ Abd al-̒Azîz, qui avait pris Ryad en 1773 et réalisé l’unité du Najd en 1786, se lançait dans le
grignotage des points d’appui ottomans sur les côtes.
275De ce mouvement naîtra un nouvel État dans la période suivante, l’Arabie Saoudite. Aux marges de

l’empire lui aussi, le Maroc sut préserver une indépendance totale vis-à-vis de la Porte.
§ 5 - L’Occident marocain

276179 — Les Saadiens. D’origine arabe, les Beni Sa ̒ ad se disaient descendants du Prophète, donc

chorfas (pl. de chérif, en dialecte marocain). Ces lettrés, installés depuis le 6e/xiie siècle dans le Sud
marocain, devinrent les chefs de la confrérie chadhilîya (1511). Les Saadiens acquirent leur légitimité
dans la lutte contre les Portugais. Ils rallièrent très vite les tribus et marabouts (petits saints locaux) du
Sud. Installés à Taroudant, puis à Marrakech (1525), ils reprirent Safi en 1541, ce qui entraîna
l’évacuation d’Azemmour par les Portugais. L’élimination du pouvoir wattasside par la dynastie montante
fut longue et compliquée par l’hostilité de la confrérie qadirîya, soutien des Wattassides, par les
interventions des Turcs (qui assassinèrent le saadien Muẖammad ach-Chaykh) et par des querelles
dynastiques chez les Saadiens. Fès fut prise, perdue, et reprise en 1554. L’acte final fut la bataille de
l’oued Makhazin, dite “bataille des trois rois” (4 août 1578), parce qu’y périrent le roi du Portugal Dom
Sébastien, le prétendant saadien al-Mutawakkil et le roi saadien ̒ Abd al-Mâlik. Le frère de ce dernier,
Aẖmad, qui conduisit la fin de la bataille, recueillit le pouvoir et la gloire de la victoire (Histoire du
Maroc, chap. 15 ; et C. A. Julien p. 572 sq).
277Aẖmad fut appelé al-Mansour. Son règne (1578-1603) fut un des plus prestigieux de l’histoire du

Maroc. Il mata les révoltes, soumit les confréries, développa le commerce et l’industrie, s’enrichit de la
course et du butin d’une expédition africaine 5 . Il organisa l’État (le makhzen), fit lever les impôts (dont
l’impopulaire kharâj) par les tribus dites guich, exemptées, sur le reste de la population. Se méfiant de
Fès comme tous les Saadiens, il conserva Marrakech comme capitale qu’il embellit de monuments et où il
entretint un cour brillante. A l’extérieur, il sut se faire craindre, récupéra les points d’appuis portugais,
tout en évitant habilement toute guerre.
278A sa mort ses trois fils se disputèrent le pouvoir et le Maroc sombra dans une période d’anarchie et de
destructions (en particulier la destruction des premières usines, parce qu’elles employaient des
chrétiens). Fès fut la proie de bandes et de clans. Marrakech fut perdue, reconquise, reperdue par les
Saadiens qui ne contrôlaient que la région des Doukkala (de Marrakech à Safi). Le dernier Saadien fut
assassiné en 1659. Dans le reste du Maroc des pouvoirs divers s’établirent : une république de corsaires
à Rabat-Salé ; la zaouia de Dila (près de Khénifra), affiliée à la chadhilîya, maîtresse du Moyen Atlas, de
Fès et du Gharb (1641) ; le Sous et le Sud, formant un véritable royaume, prospère, avec Illigh pour
capitale, sous le pouvoir de Bou Hassoun (Histoire du Maroc, p. 227). Les puissances chrétiennes se
firent moins pressantes qu’au siècle précédent : l’Espagne occupait la Mamora, Ceuta, Larache (1610) ;
le Portugal Tanger (1640-1661), Mazagan ; l’Angleterre obtint Tanger par mariage (1661-1684).
279180 — Les Alaouites. C’est dans ce contexte que s’établit le pouvoir des chorfas du Tafilelt, à

l’origine de la dynastie alaouite, toujours régnante. Descendants des Alides réfugiés au Maghreb, ils se
rendirent maître du Maroc oriental. Moulay Rachîd (1664-1672) fut proclamé sultan à Fès (1666), puis
détruisit Dila (1668), prit Marrakech (1670) et Illigh (1670). Son frère Moulay Isma’îl porta la dynastie à
son apogée. Sa main de fer écrasa toute révolte brutalement (mise à sac de Marrakech, massacre de
Taroudant). Il constitua une armée de métier, formée de noirs, dont il établit des garnisons sur tout le
territoire. Il réussit à récupérer Tanger, Larache, Arzila, mais les présides espagnoles lui résistèrent, ainsi
que Mazagan la portugaise. Il échoua dans ses tentatives de s’étendre à l’est. Ses relations avec Louis
XIV n’aboutirent pas à une alliance avec la France, ni même à une extension du commerce franco-
marocain, du fait de l’orgueil du Français. En revanche le commerce se développa avec l’Angleterre.
280A la mort de Moulay Isma’îl, le Maroc connut de nouveau l’anarchie. Elle était due cette fois-ci à la
garde noire, qui fit et défit les sultans. L’Etat fut mis au pillage, les garnisons abandonnées, les villes
malmenées, la majeure partie du Maroc vivant en dissidence. Moulay ̒ Abd Allah (1728-1757) fut
intronisé quatre fois et destitué trois fois. Avec Sidi Muẖammad (1757-1790), le pouvoir du sultan se
stabilisa dans le Maroc atlantique (dit bled al-makhzen), le reste du Maroc étant en dissidence (bled es-
sibâ). Les transformations de la population marocaine furent considérables à cette époque, du fait des
migrations vers l’ouest de montagnards berbères, de la politique de transfert de tribus décidée par le
sultan, et de terribles famines et épidémies. Mais ce sont les confréries qui donnèrent le plus de souci au
monarques marocains, en particulier celle des Derkaoua. Le sultan s’appuya sur d’autres confréries,
comme celle d’Ouezzane. La course déclina et se tarit du fait des réactions européennes. Pour développer
le commerce, le sultan fonda Essaouira, mit fin au monopole anglais en ouvrant le Maroc aux autres
puissances. Mais l’économie marocaine, surtout depuis les destructions du 11e/xviie siècle, avait raté son
entrée dans le monde moderne.
281181 — Le ̒amal marocain. Au Maroc, le malékisme subit une évolution assez originale. Selon le
premier analyste de ce mouvement, Milliot, à partir du 11e/xvie siècle se développa chez les juristes
marocains l’habitude de prendre en considération des décisions de justice, c’est-à-dire la pratique
judiciaire (̒amal). A l’origine, semble-t-il, un cadi décidait d’adopter une opinion minoritaire,
contrairement à Khalîl, pour des raisons d’intérêt commun ou d’équité. Les autres cadis l’approuvèrent et
le suivirent dans les cas semblables et la pratique fut ainsi créée. En principe quand la raison d’être de
l’écart à la norme cessait, on devait retourner à l’opinion majoritaire. Le poème didactique Al- ̒amal al-
fasî (la pratique judiciaire de Fès) de Abû Abd-ar-Rahmân Bn ̒ Abd-al-Qâdir al-Fâsî est bien
représentatif de cette tendance. L’ouvrage fut plusieurs fois commenté, notamment par as-Sijilmâsî, qui
vivait à la cour de Sidi Muẖammad et fut le précepteur de Moulay Slimân (1792-1822). Cette pratique,
qui reprend une tradition malékite bien ancrée que l’on peut repérer dans les recueils de fatâwâ, les
nawâzil jusqu’à l’époque andalouse, aurait fait passer au second plan les manuels de fiqh, du moins à
propos de certains problèmes 6 . Milliot en déduisit que la jurisprudence était créatrice de normes
(Milliot-Blanc, n° 187 anciennement n° 164).
282Mais bien des questions se posent. Le poème al- ̒Amal al-fâsî, affirme : “En principe, les jugements

rendus par les cadis de notre époque conformément à une opinion isolée, doivent être cassés sans
discussion. Il en est de même des jugements rendus par le commun des cadis suivant leurs propres
opinions. Mais la jurisprudence doit être préférée à la doctrine dominante. On ne doit pas s’en écarter.”
Toutes les règles, pour une nouvelle fixation, sont là. De fait le ̒ amal marocain se fixa. Il n’est donc pas
une jurisprudence. C’est ce qu’a bien vu Jacques Berque, pour qui le ̒ amal n’est pas non plus une
coutume, ni une codification. C’est, dans l’usage marocain, un “art judiciaire”, une pratique mise en
forme d’adages, versifiée, et surtout à usage du cercle des connaisseurs, cadis et ulémas (Berque,
Ulémas, p. 199 et tout le chap. 6).
283Fès ne fut pas la seule à mettre en valeur sa pratique. C’était une tradition malékite. On trouve un ‘amal

de Rabat, de Marrakech, dans le Sous, en Mauritanie (cf. Ould Bah). Il ne semble pas non plus que ce soit
un phénomène strictement marocain, puisqu’il y a un ‘amal en Tunisie, au Caire et à Damas (Berque,
ibid., p. 198). Selon cet auteur, le phénomène a un ancrage moins technique. “L’application du ‘amal n’est
en effet qu’un aspect entre autres de la régulation sociale qu’exercent les ulémas” (p. 199). Les ulémas
cherchaient avant tout à rendre service aussi bien au peuple des justiciables qu’aux princes dont la tâche
de gouvernement était nécessaire et pas facile. C’est leur expérience qu’ils consignèrent ici, dans un
langage sibyllin souvent. Naturellement cette expérience renvoie à une pratique, à des coutumes, à un
vécu sous-entendu et fort difficile à saisir.

Notes
1 Cette constatation de Hallaq (p 11) impliquerait dès lors que la réforme actuelle du droit musulman ne puisse passer par la création d’un
nouveau rite.
2 C’est-à-dire ‘Uthmân en arabe. Mais pour les noms et mots turcs nous suivons la transcription de R. Mantran, Hist. de l’Empire ottoman.
3 Un règlement de 1781 leur imposait de juger selon la “justice, equity and good conscience”, formule du dharma hindou selon David, p. 511.
4 Bey et Dey sont des grades militaires.
5 L'Afrique noire commença à être islamisée à l'époque des Almoravides, par l'Ouest. Cette islamisation était bien avancée au xvie siècle.
Voir bibliographie.
6 Les points principaux de divergence avec le fiqh classique concernent surtout les pratiques agricoles et les habous (waqf).
Chapitre IV. L’époque moderne
Du 13e/xixe au 14e/xxe siècle

1Pour les xixe et xxe siècles la documentation sur le monde arabe et musulman abonde et elle est
facilement accessible, même dans des petites bibliothèques. Aussi nous ne développerons pas les
contextes économiques, culturels et sociaux, même s’ils sont mieux connus à cette époque qu’aux époques
précédentes, pour conserver à ce chapitre une ampleur raisonnable, car il concerne l’histoire de près
d’une trentaine d’États. Nous n’avons d’ailleurs pas pu les traiter tous, pour la même raison. Les lacunes
les plus remarquables concernent les “marges de l’islam” (Europe, Afrique, Asie...) encore que nous
avons donné des renseignements précis sur les grands pays de ces zones, comme le Soudan ou
l’Indonésie. Nous n’avons pas jugé possible non plus de détailler le contenu des droits positifs, vu leur
ampleur certes, mais aussi parce qu’il ne s’agit plus vraiment de droit musulman. Nous ne signalons que
les convergences ou les conflits les plus remarquables entre le droit musulman et le droit positif. Enfin
nous avons pensé qu’un certain nombre de discussions, en particulier celles du xxe siècle, seraient mieux
à leur place dans le tome II, ce qui allégerait encore ce chapitre.
2Nous partagerons cette histoire en deux sections, le xixe siècle et le xxe siècle, la seconde section étant

divisée en deux sous-sections, les colonisations et les indépendances.


SECTION I - LE XIXe SIÈCLE : LES RÉFORMES
PRÉCOLONIALES
3Nous suivons le plan habituel désormais à quelques retouches près : généralités (§ 1), l’Orient de la

Perse aux Indes néerlandaises (§ 2) ; l’Empire ottoman (§ 3) ; le Proche Orient arabe et les réformismes
(§ 4) ; l’Afrique du Nord et l’Afrique noire (§ 5).
§ 1 - Généralités

4182 — L’ère précoloniale. A la fin du xviiie siècle l’Europe accentuait sa pression sur le monde

musulman. Au xixe siècle cette pression devint intense, tant sur le plan politique que sur le plan
économique ou culturel, au point d’aboutir à diverses colonisations. L’histoire de ces deux siècles tourne
tout entière autour de ces colonisations. Le xixe peut être considéré comme une ère précoloniale, la
première moitié du xxe, comme celle des colonisations, la seconde moitié celle des décolonisations. Bien
sûr, les décalages et les cas particuliers sont nombreux : l’Algérie est colonisée dès 1830, la Turquie
n’est occupée que quelques mois à la suite de la première guerre mondiale, l’Égypte est formellement
indépendante dès 1922, etc. L’histoire du droit suit naturellement cette évolution politique.
5L’histoire juridique des xixe et xxe siècles ne se comprend bien que si l’on identifie les quatre groupes

d’acteurs : le pouvoir en place, généralement despotique (sultan, Châh, président dictateur...) ; les forces
conservatrices, pas toujours alliées du pouvoir, mais souvent inspirées par les ulémas ; les puissances
coloniales ou néo-coloniales ; les élites réformatrices, nationalistes (ou libérales, ou socialistes...). Ces
groupes se sont tous alliés deux contre deux ou trois contre un, selon des formules plus ou moins logiques
ou hétéroclites, à un moment ou à un autre. Ce schéma est évidemment simplificateur, car ces forces sont
souvent divisées contre elles-mêmes. Il existe des ulémas libéraux, des nationalistes partisans des
dictatures... Même les puissances coloniales n’ont pas d’homogénéité : les diplomates poussent tantôt aux
réformes, tantôt ils défendent des intérêts douteux ; il y a des intellectuels qui jouent le jeu de la
colonisation, d’autres le jeu des colonisés en lutte pour se libérer (ce sont des orientalistes, des
politiciens libéraux, des conseillers techniques...) ; les officiers coloniaux furent aussi souvent d’esprit
libéral, etc.
6Il y encore un “acteur passif”, le peuple de villes et des campagnes, rarement consulté, et qui subit les
aléas de la vie politique, des guerres, le poids de la situation économique et des habitudes sociales. Il
faudrait de longs développements pour donner une idée exacte des contraintes de cette époque et pour
identifier les facteurs qui les déterminent. Nous a dû y renoncer et nous renvoyons à la bibliographie.
7183 — Réformes et colonisations. Les réformes précoloniales eurent un faible impact. Par la suite le

soupçon fut jeté sur elles par les partisans de la restauration de la loi islamique, ou au contraire elles
servirent d’alibi aux partisans de la laïcisation. Elles sont tantôt jugées comme étant les prémices de la
colonisation et ne représentant rien d’authentiquement islamique : ces réformes auraient donc été dictées
par le colonisateur. Ou au contraire on affirme qu’elles sont authentiquement islamiques, qu’elles révèlent
le côté évolutif et progressiste de l’islam et que c’est la colonisation, facteur de régression qui stoppa ce
processus interne et authentique de réforme. La première opinion justifie le conservatisme, l’autre la
poursuite des réformes ; l’une exagère le rôle de l’Occident dans ces réformes, l’autre le minimise et
l’annule. Ces opinions sont évidemment dépendantes d’un projet actuel et non des sources historiques.
8A notre avis, mis à part la prédication de Muẖammad et les conquêtes qui ont suivi, la colonisation

constitue le phénomène majeur de l’histoire de la civilisation islamique. Comme traumatisme, ni les


croisades, ni les invasions mongoles n’ont eu autant d’importance. Électrochoc bénéfique d’un certain
point de vue : la colonisation a renversé le cours de l’histoire de ces sociétés. Elles, qui semblaient
suivre définitivement la pente d’une décadence inexorable, se trouvèrent réorientées, et contraintes de
gravir la voie difficile du renouveau, ce que n’avaient pas pu obtenir tous les efforts internes, ni même
l’apport turc. Il ne semble pas qu’on puisse dire que les colonisations ont interrompu un renouveau. Ce
prétendu renouveau (le wahhabisme essentiellement) est comme tout ce qui l’a précédé un mouvement
d’enfermement, de refus. Quant aux autres réformes (en Turquie, en Égypte, en Tunisie...), elles sont le
fait de personnalités réformistes, inspirées directement ou indirectement par l’Europe. Elles durent lutter
contre des résistances formidables, en particulier dans les milieux religieux. Sans la pression européenne,
qui prend des formes diverses (empiétements diplomatiques, pressions militaires, avidité des
capitalistes, mais aussi soutien des intellectuels européens, etc.), ces réformes étaient vouées à la
récupération dans les voies traditionnelles, ou à la disparition pour incompatibilité avec l’orthodoxie.
§ 2 - L’Orient de la Perse aux Indes néerlandaises

9184 — La Perse. Après avoir soumis la Perse et exercé ses cruautés, Chah Muẖammad fut assassiné en

juin 1797. Le royaume était exsangue, ruiné, en pleine décadence. Fatẖ ’Alî Châh (1797-1834) son neveu,
lui succéda. Sous son règne le clergé chiite essaya de reprendre de l’influence. Ne pouvant s’appuyer sur
une autre source de légitimité religieuse, comme le faisaient les Safavides, descendants de ’Alî, les
Qâjârs durent s’appuyer sur les soufis. Fatẖ ’Alî Châh chercha pourtant à retenir le chaykh Aẖmad al-
Aẖsâ’î, fondateur d’une école doctrinale chiite nouvelle (le chaykhisme), mais il échoua. L’école fut mal
acceptée par les ulémas du pays (Laoust, Schismes, p. 363 sq.). Ceux-ci, en prêchant la guerre sainte
contre les Russes, eurent une bonne part de responsabilité dans le déclenchement d’une série de guerres
malheureuses (Mazahéri, p. 313). Elles conduisirent à la perte des bords ouest de la Caspienne
(Daguestan, Bakou) (1813), malgré les alliances anglaises (1801, 1814) ou françaises (1807). Au traité
de Turcomanchay (1828), la Perse perdit l’Arménie et l’Azerbaïdjan jusqu’à l’Araxe (frontière actuelle).
Ce traité donnait surtout des privilèges judiciaires aux nationaux russes (Capitulations), qu’il fallut
bientôt concéder à l’Angleterre. La porte était ouverte au processus de colonisation qu’on verra se
reproduire, sous des modalités quasi identiques jusqu’à l’Atlantique.
10Le souverain suivant, Muẖammad Châh (1834-1848), s’appuya aussi sur les soufis pour contrebalancer
l’influence du clergé. Sous son règne se développa le théâtre religieux, les cérémonies de la passion de
Husayn. Le Châh effectua, en 1837, une tentative pour reprendre Hérat sur les Afghans, mais l’opposition
britannique le força à la retraite. Sous son règne eut lieu la prédication de Mirza ’Ali Muẖammad, le
“Bâb” (la Porte), qui répudiait tout ritualisme, et prêchait une religion de l’esprit, un syncrétisme
philosophico-religieux, prônant notamment la libération de la femme. Il eut des disciples au Khorassan,
au Mazanderan et en Azerbaïdjan. Cette prédication est tout à fait symptomatique des besoins de
renouveau ressentis à l’époque par nombre de musulmans.
11Nasr ad-Dîn (1848-1896) eut pour ministre Mirza Taqi Khan Amir Kabir qui effectua une réforme

judiciaire, mais fut assassiné (1851). Le Châh eut à combattre, en 1849, les révoltes du Mazandéran et du
Zendaji, sous l’impulsion de Molla Husayn et de Buchrûye, babistes. Les révoltés furent pris et tués. Le
Bâb, qui s’était donné comme le mahdî, le douzième imam, fut fusillé. Après la tentative babiste
d’assassiner le Châh, en 1852, la répression de la nouvelle secte dans tout l’empire fut systématique.
Cependant, à Karbala, en Iraq, Mirza Husayn ’Alî Nûrî, dit “Baha Allah” (splendeur de Dieu) reprit et
compléta la doctrine du Bâb, accentuant son caractère universaliste et syncrétique (1852-54). Il rejetait
notamment le jihâd et toute discrimination religieuse. Le gouvernement persan obtint des Ottomans qu’ils
éloignassent le prophète des frontières perses : il fut contraint de séjourner en Turquie d’Europe et
finalement à St Jean d’Acre (Laoust, ibid. p. 364-370).
12Suivant les conseils de l’ambassadeur russe à Téhéran, Nasr ad-Dîn tenta, en 1852, pour la seconde
fois, de prendre Hérat et de nouveau les Anglais l’obligèrent à abandonner la partie. En 1856, il essaya
pour la troisième fois et réussit à prendre la ville convoitée, mais les Anglais bombardèrent la côte et
marchèrent sur Téhéran. Finalement, en 1856, le Châh signa le traité de Paris où il reconnut
l’indépendance de l’Afghanistan. Les Russes continuaient leur avance au nord-est : en 1865, ils prenaient
Tachkent, en 1868, Bukhara, et en 1884, Merv.
13Nasr ad-Dîn chercha à réformer l’Empire perse. Il donna des concessions d’exploitation aux
compagnies européennes dans l’espoir qu’il en résulterait une amélioration de l’économie iranienne.
Ainsi, en 1872, le britannique Julius de Reuter se fit attribuer des concessions démesurées, mais, sous la
pression des Russes, le Châh les retreignit. La Grande Bretagne obtint quand même, en 1889, le droit de
fonder la Banque impériale de Perse, les Russes pouvant aussi créer une banque de prêts. En 1890, le
monopole des tabacs fut accordé à une compagnie britannique, mais le réformiste Jamal ad-Dîn al
Afghânî (voir n° 199) écrivit au mujtahid principal de Samarra, l’ayatollah Chirâzî, qui publia une fatwâ
interdisant l’usage du tabac jusqu’à ce que le Châh revienne sur sa décision. Les manifestations de
Chîrâz, Isfahân, Tabrîz, contraignirent le Châh à céder en 1891. Pour la première fois dans l’histoire de la
Perse, le Châh reculait devant l’opinion. Il cédait surtout devant la puissance du clergé, qui avait réussi à
se positionner comme tel, suivant en cela la théorie de Muhaqqiq al-Hillî (ob. 1326) qui fait des ulémas
les gardiens de la pensée de l’imâm caché. De plus, à la fin du xixe, des associations secrètes s’étaient
formées pour la réforme de la Perse, contre la corruption, l’absolutisme royal et l’influence de l’étranger.
Elles avaient aussi une grande influence, les religieux étant en général de leur côté, par haine de
l’étranger. Mais cette alliance était lourde d’ambiguïté : pour les uns, les réformes étaient nécessaires
pour résister à l’étranger, pour les autres il fallait éliminer l’étranger pour éviter les réformes... En 1896,
le Châh fut assassiné.
14185 — L’organisation judiciaire et les réformes internes. La situation des tribunaux était déplorable
au début du siècle. Les tribunaux d’État (administratifs) et les tribunaux des cadis (judiciaires) avaient
des compétences mal définies et la loi appliquée était confuse. Arguant de la cruauté de la loi islamique,
les étrangers avaient obtenu des privilèges exorbitants à travers leurs “agences légales” (tribunaux
consulaires) qui leur permettaient de se soustraire aux tribunaux persans et même d’en soustraire ceux des
Persans qu’ils voulaient favoriser (Talesh, p. 97-98). Paradoxalement les gouvernements étrangers
poussaient aux réformes, tout en étant prêts à y résister si elles menaçaient leurs privilèges et intérêts.
Depuis la fin du xviiie siècle, des lettrés (mirza) persans, ayant visité l’Europe, faisaient campagne pour
la rénovation de la Perse. Souvent en exil, ils vivaient à l’heure ottomane, suivaient les Tanzimât (cf. n
° 191), et n’avaient pas de mots assez durs contre le despotisme du Châh ou des religieux. En Perse, en
revanche, en correspondance avec le Châh, Mirza Malkom Khan, défendit, en vain, une profonde refonte
du système judiciaire.
15Diverses tentatives furent pourtant entreprises au cours du siècle. Le ministre Mirza Taqi Khan amir

Kabir (1848-1852) tenta de reformer les tribunaux administratifs (c’est-à-dire laïques, dits Divan khaneh)
et d’étendre leurs juridictions. Il prit des mesures contre les juges corrompus des tribunaux chariyeh
(c’est-à-dire judiciaires, qui étaient perçus comme des tribunaux religieux), mais il fut démis et assassiné.
En 1858 le Châh décida la création d’une chambre consultative de 25 membres et d’un ministère (dont un
ministre de la justice). Ce ministre, tenta de rendre la justice administrative indépendante de
l’administration (des gouverneurs), en nommant un fonctionnaire, le divan-begi, qui aurait la tâche de
répartir toutes les affaires entre les tribunaux laïques et les tribunaux chariyeh. Des codes furent mis à
l’étude. Les gouverneurs, qui achetaient leur charge et cherchaient à en tirer le maximum, ne firent rien
pour aider la réforme. Le Châh de son côté, à partir de 1860, tint régulièrement des séances de justice
dans la plus pure tradition des tribunaux maẕâlim, en première instance et en appel. Les réformes
échouèrent pourtant, à cause de l’incompétence et de la corruption du personnel judiciaire. En 1862, un
autre ministre de la justice les abolit, et rendit la justice laïque aux gouverneurs.
16Une nouvelle vague de réformes fut entreprise (1871-72), à l’instigation de Mirza Husayn Khân ministre
de la justice, puis premier ministre. Elles prenaient modèle sur les tanzimât ottomanes. Les gouverneurs
ne conservaient plus que des fonctions de police et d’instruction. Les procédures nouvelles respectaient
les droits de la défense et ceux des personnes. Six chambres furent créées qui devaient traiter chacune du
pénal, du commercial, des propriétés, des voies d’exécution, des appels et de la législation. Mais le
ministre dut démissionner devant la conjonction des mécontents qui suscitèrent des manifestations
l’accusant de sentiments anti-islamiques. Jusqu’en 1905, il ne subsista, de ces vagues de réformes que
trois chambres sur six (pénale, commerciale et foncière), ainsi que les séances de justice du Châh, de
plus en plus surchargées.
17Le grand juriste de droit musulman chiite au xixe siècle fut le chaykh al-Ansârî, qui, dans ses Rasâ’il

reconstruisit les usûl al-fiqh chiites et en poussa loin la rationalisation. Il l’appliqua notamment à la
théorie des contrats. Sa méthode s’imposa et s’impose encore au xxe siècle. Le plus influent, à la fin du
siècle, fut at-Ṯabâṯabâ’î, correspondant de Jamâl ad-Dîn al-Afghânî (Mazahéri, Talesh, Tabâtabâ’î
Esposito, E.I. 2 art. Iran). Voir aussi l’annexe 2.
18186 — L’Afghanistan. Timur Châh (1773-1793) qui succéda à Aẖmad Châh Sadozay, le “père de

l’Afghanistan” et la “perle des perles” (Durri Durrani) (1747-1737) s’entendit mal avec les tribus et
transféra la capitale à Kaboul. Le règne de Zaman Châh (1793-1800) fut marqué par le recul de
l’influence afghane en Perse (montée des Qâjârs) et en Inde. Les Sikhs se rendirent indépendants au Sind
et prirent le Penjab. Les successeurs de Zaman Châh se disputèrent le pouvoir, pendant que les Sikhs
s’emparaient du Cachemire.
19La situation resta confuse jusqu’à la venue de Dost Muẖammad, de la lignée des Barakzaï, qui régna de

1826 à 1863. En fait, comme ses prédécesseurs, il ne cessa de combattre ses frères ou cousins
prétendants au trône. L’intervention anglaise changea les données. Avec des troupes sikh les Anglais
mirent sur le trône afghan un ancien roi de la lignée des Durranis, Châh Chuja (1839). Mais Kaboul se
révolta, la garnison britannique dut battre en retraite et se fit massacrer dans les montagnes (1842). Chah
Soudjah fut alors assassiné, et Dost Muẖammad reprit le pouvoir en même temps que sa lourde tâche
d’unifier l’Afghanistan, toujours travaille par ses forces centrifuges. En 1855, Lord Dalhousie,
gouverneur général de l’Inde, signa avec Dost Muẖammad un traité garantissant l’indépendance de
l’Afghanistan. En 1856, Lord Caning, son successeur, dut tenir parole et se porter au secours des Afghans
contre les Perses qui tentaient de prendre Hérat à l’instigation des Russes. En remerciement, Dost
Muẖammad n’intervint pas au cours de la révolte des Cipayes (1857-1858).
20Chîr ’Alî, son fils (1863-1879), batailla pour garder son trône dont il fut dépossédé un temps par

Akhbar Khân. Ce dernier avait pour ministre un certain Jamâl ad-Dîn al-Afghânî qui sera un
propagandiste actif de la résistance à la colonisation et de la réforme des États musulmans (n° 200). Il dut
s’enfuir quand les Anglais rétablirent Chîr ’Alî. Le monarque rétabli fit mine de s’allier aux Russes, mais
les Anglais intervinrent de nouveau et Chîr ’Alî dut s’enfuir à son tour. Muẖammad Ya’qûb (1879-1880)
fut installé à sa place et signa à Gandamak un traité de protectorat, laissant aux Anglais la politique
étrangère. Mais la mission anglaise fut massacrée et la guerre reprit. Finalement, après une succession de
victoires et de défaites, les Anglais évacuèrent en 1881, laissant l’Afghanistan au neveu de Ya’qûb, ’Abd
ar-Raẖmân (1880-1901). Il devait se soumettre à leur volonté quant à sa politique étrangère et accepter
subsides et assistance technique. Le nouveau monarque songea surtout à réunifier politiquement et
religieusement l’Afghanistan. Les païens du Kâfiristân (pays des infidèles) furent convertis de force et la
province devint le Nûristân (pays de la lumière). Les chiites du Centre furent soumis. ’Abd ar-Raẖmân se
proclamait seul interprète de la religion et exigeait obéissance. Il affaiblit le pouvoir des ulémas en leur
reprenant notamment l’administration des waqfs, en leur imposant le texte de leurs sermons, en créant des
écoles publiques. Il établit des tribunaux d’État appliquant la loi islamique, et interdit les tribunaux
coutumiers. Il favorisa surtout l’ethnie pachtun, majoritaire. Sous l’influence des Anglais, l’esclavage fut
aboli. A sa mort, les frontières du pays étaient délimitées : une langue de terre au Pamir faisait de
l’Afghanistan un État-tampon entre la Russie et l’Inde (Poulton, Esposito).
21187 — L’Inde. Le déclin de l’Empire moghul n’empêcha pas la vitalité de l’islam en Inde. A Delhi, le

traditionniste Châh Walî Allâh est considéré comme le précurseur du réformisme. Son disciple, Châh
’Abd al-’Azîz est connu pour son important recueil de fatâwâ. Dans son entourage on traduisit le Coran
en urdu, langue qui allait devenir celle favorite des musulmans. Près de Lucknow, une école religieuse
forma maints spécialistes en sciences islamiques. A cette époque on trouve aussi des mouvements de
réforme, de type fondamentaliste, comme ceux de Aẖmad Barelwî (ob. 1831) dans le Nord-Est et
Charî’at ul-Llâh au Bengale sous domination anglaise (Esposito, 2,188 sq ; Laoust, Schismes, p. 356 sq.).
22La progression des Britanniques fut rapide au début du siècle. En 1798-1805, ils soumettaient à leur

protectorat les principautés d’Hayderabad et de Mysore (où le musulman Tippoo fut remplacé par un
prince hindou). La confédération marhate (au centre du Dekkan) fut battue une première fois et le
Rajputana passa sous la protection anglaise (1817-1819). Après leur défaite en Afghanistan (1842), les
Britanniques occupèrent le Penjab, le Cachemire (1846), le Sind (1849).et le centre marhate (1853). A la
veille de la révolte des Cipayes, la totalité de l’Inde était sous leur contrôle direct ou indirect. Lord
Dalhousie, gouverneur général en 1848, entreprit une politique de réformes. Il interdit les sacrifices
humains (1845), le brûlement des veuves (sutti, 1848). L’esclavage, qui était aboli dans l’Empire
britannique depuis 1833, ne fut interdit en Inde qu’indirectement : les tribunaux n’eurent plus la
possibilité de reconnaître le statut d’esclave (1847). L’occidentalisation s’accéléra dans tous les
domaines. En 1853, le gouverneur général détenait seul le pouvoir législatif et juridictionnel.
23La mutinerie des Cipayes fut une révolte des troupes auxiliaires indigènes (1857-1858). Elle unit les

hindous et les musulmans contre les Britanniques. Delhi fut prise et le vieux roi mughul Bahadur Châh fut
proclamé empereur (il avait été destitué l’année précédente). Les Sikhs, par haine des musulmans, se
rallièrent alors aux Anglais qui purent reprendre Delhi et Lucknow et exercer des représailles. La révolte
eut un grand retentissement. Elle mit en évidence les défauts de la colonie et suscita une vague de
réformes dont la suppression de la Compagnie des Indes. Le gouverneur général devient vice-roi et la
reine impératrice des Indes. Elle devait gouverner de Londres, avec l’aide d’un Conseil des Indes. Une
Haute Cour, nommée par la Couronne surveillait la justice. Les réformes les plus notables curent lieu en
matière de codification, à l’instigation de Lord Macaulay. On renonça à codifier les statuts personnels et
l’effort se porta sur la loi territoriale. On adopta en 1859 un code de procédure pénale, en 1860-61 un
code pénal et un code de procédure pénale. En matière civile (obligations) les juges devaient juger en
équité, selon la formule “justice, equity and good conscience”, ce qui en pratique équivalait à introduire
le droit anglais. D’autres codes et lois suivirent et leur histoire sort de celle du droit musulman. Ce
dernier se maintint en Inde pour le culte, bien sûr, et pour le statut personnel des musulmans. Il allait
donner naissance à ce qu’on appelle le droit anglo-musulman que nous étudierons dans la section suivante
(Francis du Pré Olfield, in Dodwell, vol 5, p. 379-394).
24Il faut noter aussi que cette colonisation intense n’a pas été sans effet sur l’islam lui-même et qu’un

important réformisme prit naissance. Les figures essentielles en sont Sayyid Aẖmad Khân, célèbre pour sa
fondation de Mohammadan Anglo-Oriental College (1875) et Chirâgh ’Alî et Amîr ’Alî (chiite). Sur
l’initiative des ulémas une école islamique d’esprit réformiste fut créée à Deoband et elle devait
essaimer dans toute l’Inde et former des générations d’ulémas et d’imams. Le mouvement du mahdî Mirza
Ghulâm Aẖmad tenta la réconciliation des musulmans, chrétiens et hindous, mais ses disciples de
l’aẖmadîya furent considérés comme non musulmans.
25188 — Les Indes néerlandaises. Au début du xixe siècle, en application du traité de Vienne (1815), les

Hollandais récupérèrent leurs colonies malgré la mauvaise grâce des Anglais. Ils ne purent se réinstaller
qu’en guerroyant contre les populations indigènes qui voulaient conserver ou retrouver leur
indépendance, et, à vrai dire, les expéditions furent continuelles. Trois guerres furent particulièrement
difficiles : contre les wahhabites (dits Padri) de Sumatra (1803-1838) ; contre le prince Dipanegra à Java
(1825-1830) ; contre le sultan d’Achech à Sumatra (1873-1907). Le régime colonial hollandais fut
particulièrement dur (travail forcé).
26Du point de vue juridique, le droit colonial hollandais introduisit le droit hollandais en matière
publique et pénale. Il était mis en oeuvre dans des tribunaux laïques institués par les autorités coloniales.
Pour le statut personnel, il existait de nombreux tribunaux islamiques, à Java en particulier. La loi
islamique (chaféite) qui était appliquée faisait une large place aux coutumes (adat). Cette politique
contribua à gêner l’emprise des ulémas sur l’ensemble de la population musulmane en multipliant les
communautés. Les tribunaux islamiques devaient obtenir une ordonnance d’application des tribunaux
civils hollandais pour chacun de leurs jugements. En 1882, ils turent réformés dans un sens collégial, ce
qui en pratique conduisit à leur autonomie vis-à-vis des tribunaux civils. Une loi sur les mariages mixtes
autorisa le mariage de la musulmane avec un non-musulman (1898), mais en général les Hollandais ne
cherchèrent pas à bouleverser le statut personnel musulman (Esposito, Cuisinier in Grousset-Léonard).
§ 3 - L’Empire ottoman

27189 — Les premiers réformateurs ottomans. L’histoire de la réforme de l’Empire ottoman commence

dès la fin du xviiie siècle. Abdul-Hamîd II (1774-1789), avec une petite équipe de ministres
réformateurs, porta ses efforts sur l’armée, première urgence. Il modernisa l’artillerie et la marine, en
faisant appel à des techniciens étrangers, ce qui prêta le flanc aux critiques des religieux. Il tenta de
discipliner l’infanterie des janissaires et la cavalerie. Les mécontents firent campagne contre le principal
ministre réformateur, Khalîl Hamid, qui fut démis et exécuté (1785). Le parti religieux qui l’emporta
obligea à la guerre contre la Russie (1787), que vint rejoindre l’Autriche (1788).
28Selim III (1789-1807), mit fin à la guerre. L’Autriche, détournée par les affaires de France, signa la

paix (1791, Sistova), sans rien obtenir. La Russie en revanche obtint la reconnaissance de son annexion
de la Géorgie et de la Crimée (Jassy, 1792). Le sultan créa une armée nouvelle, recrutée en Anatolie, dite
nizâm-i djedid (la nouvelle organisation), continua les réformes de la marine, et accorda aux ulémas le
plaisir de voir les sujets chrétiens et juifs de l’Empire porter un costume légal. Des ambassadeurs
permanents furent nommés dans les capitales européennes (sauf Paris), mais inefficaces, ils furent
remplacés par des chargés d’affaires. Les difficultés s’accumulèrent : l’insurrection grondait en Grèce et
dans les Balkans, Bonaparte s’emparait de l’Égypte (1798), Ibn Sa’ud des villes saintes (1803-1804),
Djazzar Pacha cherchait à s’agrandir en Palestine... Une insurrection des janissaires, auxquels se
rallièrent les mécontents, eut raison de Sclim III. Il fut destitué en 1807 et assassine peu après. L’anarchie
régna à Istanbul où l’on fit la chasse au réformateurs, mais ceux-ci, se rallièrent autour du ministre
Bayraktar Mustafa Pacha, qui renversa la situation avec des troupes fidèles (1808) et proclama un
nouveau sultan, Mahmud II.
29Mahmud II (1808-1839) était un réformateur, mais il agit avec prudence. De nouveau il tenta de
réformer l’armée, ce qui entraîna de nouveau la révolte des janissaires et la mort de Bayraktar (1808).
Mahmud réussit à reprendre la situation en mains et attendit. En 1822, il était parvenu à placer ses
hommes dans tout l’appareil d’État. Il s’était rallié les ulémas par son attitude religieuse, d’autant qu’il en
était de réformistes comme les chaykh ül-islam ’Abd ul-Wahhab et Mustafa ’Asim. Il fit mener une
campagne de propagande contre les janissaires, incapables de gagner une guerre, et seulement bons à
piller. En 1826, nouvelle tentative de réforme, nouvelle révolte des janissaires, mais cette fois l’opinion,
les ulémas, et surtout le corps des canonniers étaient avec le sultan. La caserne des janissaires fut
bombardée, conquise, nettoyée. Les janissaires restants dans l’empire furent arrêtés et exécutés. Les chefs
de la confrérie des bektachis qui les soutenaient (la plupart des janissaires étaient membres de cette
confrérie) subirent le même sort. Les ulémas avaient perdu leurs alliés, le sultan avait retrouvé son
armée. Elle devint effectivement moderne en quelques années, mais elle manquait de cohésion, et elle ne
connut que la défaite (Mantran, p. 421-458).
30Malheureusement la conjoncture interne et externe fut mauvaise. L’agitation des chrétiens des Balkans,

combinée aux guerres russes, aboutit à l’abandon de vastes pans de territoire. La Bessarabie, passa aux
Russes dès 1812, puis, après l’insurrection grecque et l’intervention des Européens, le traité
d’Andrinople (1829) consacra le premier recul d’importance. La Grèce devint indépendante, la Serbie et
des territoires valaques et moldaves devinrent autonomes (ils formeront la Roumanie). Le plus grave fut
que l’Égypte, jusqu’ici alliée fidèle, devint une puissance menaçante. Une première passe d’armes fit de
la Syrie une province égyptienne et de la Russie le gendarme des Détroits (Hünkar Iskelesi, 1833). La
France s’empara d’Alger (1830) et quand il fut évident qu’elle comptait y rester et agrandir sa conquête,
les troupes ottomanes durent reconquérir la Libye préventivement (1835). Dans une seconde passe
d’armes avec l’Égypte, grâce à l’appui anglais, la Porte parvint à faire rentrer Muẖammad ’Alî dans
l’obéissance et à faire reculer la politique française (Londres, 1841).
31190 — Les réformes et leur contexte. Entre-temps, pour gagner l’alliance anglaise, le sultan avait

préparé une programme de réformes (tanzimât). À vrai dire, depuis 1834, l’administration n’avait pas
cessé d’être réformée et rationalisée, les fonctionnaires hiérarchisés et salariés en conséquence. Un
recensement permit de refaire l’assiette des impôts qui furent levés par des agents salariés. Différents
conseils consultatifs de haut niveau furent créés en 1838, pour proposer des réformes aux ministères et au
sultan (Shaw, p. 36-49). Mais le grand coup d’envoi des tanzimât fut le Khatti Cherif de Gûlkhâne, le
Noble écrit (du palais) du Berceau de la rose (1839). Ce texte fut proclamé solennellement, non par
Maẖmud II qui mourut en 1839, mais par son fils ’Abd ül-Mejid Ier (1839-1861). En un mot il annonçait
le retour à la sécurité et à la légalité et en même temps instaurait l’égalité de tous les sujets ottomans,
musulmans ou non, devant la loi (texte in Aristarchi-Nicolaides, t 2, p. 7-14).
32Les réformes ne furent pas seulement ni même principalement le résultat des pressions européennes.

Elles étaient souhaitées par l’élite de l’Empire. Parmi les grandes figures de ce courant on retient surtout
(Shaw, p. 61-70 ; Dumont, in Mantran, p. 462 sq.) Mustafa Rechîd Pacha (ob. 1858), ancien ambassadeur,
franc-maçon, plusieurs fois ministre des affaires étrangères et grand vizir, et qui fut l’inspirateur du Hatti
Cherif de Gülkhâne (1839). Mehmed Emîn ’Alî Pacha (ob. 1871) fut un membre du bureau des
traductions du ministère des affaires étrangères, véritable pépinière de réformateurs, et probablement le
lieu où se sont décidées toutes les réformes. Il fut nommé plusieurs fois ministre des affaires étrangères et
grand vizir, il anima le Haut Conseil des réformes créé en 1854, et fut l’auteur du Khatti Hümâyün (1856),
deuxième charte des réformes. Midhet Pacha (ob. 1883) fut gouverneur provincial (Bulgarie, Syrie), puis
grand vizir ; il fut l’apôtre de la Constitution ottomane de 1876. A ces hommes de pouvoir s’ajoutent des
idéologues divers, journalistes, écrivains : Münif Pacha (ob. 1910) ; Ibrahim Chinâzî (ob. 1871) ; Ziyâ
Pacha (ob. 1880), conservateur, mystique religieux ; Nâmik Kemâl (ob. 1888), attaché à l’islam, partisan
de la liberté constitutionnelle, fondateur d’une société secrète d’où sortiront les “Jeunes ottomans” ;
Mustafa Fâzîl (ob. 1875), prince égyptien, auteur d’une Lettre ouverte (1867) qui marque le début de la
rupture entre les réformateurs fidèles au sultan, et ceux qui voulaient une Constitution et la fin de
l’absolutisme. Très nombreux furent aussi les “anonymes de la réforme”, francs-maçons, militaires,
hommes d’affaires, artisans et travailleurs des professions libérales (métiers nés de l’occidentalisation),
nombreux minoritaires (juifs, grecs, arméniens), mais aussi hommes de religion, pour lesquels, de par un
certain concordisme naïf, les réformes ne sauraient nuire à l’islam.
33Pour mener à bien le programme des réformes, il aurait fallu que “l’homme malade de l’Europe” (i. e.

l’Empire ottoman) jouisse d’une certaine tranquillité. Ce ne fut pas le cas et les difficultés ne cessèrent
pas. L’agitation des chrétiens était permanente, en Crète et en Roumanie. Au Liban, les Égyptiens
(appuyés par la France), pendant leur occupation, s’étaient alliés aux chrétiens maronites contre les
druzes, fidèles au sultan (appuyés par l’Angleterre). La haine des deux communautés et les massacres
commis par les uns et les autres obligea d’abord le sultan à partager l’administration du pays et à créer un
sandjak du Liban dirigé par un gouverneur chrétien (1841). En Palestine, la mésentente entre latins et
orthodoxes de Jérusalem amena la guerre de Crimée entre la France, qui soutenait les latins, et la Russie,
protectrice des orthodoxes, décidée à aller jusqu’au bout. La France se serait contenté d’un accord, ainsi
que l’Empire ottoman, mais cette fois-ci l’Angleterre poussa à la guerre. Au traité de Constantinople
(1854), les Anglo-français assurèrent le sultan de leur appui en échange de réformes. La guerre de
Crimée fut meurtrière. Le traité de Paris (1856) garantit l’intégrité de l’Empire ottoman devenue une
“question d’intérêt européen”. Toute flotte de guerre fut de nouveau exclue des Détroits.
34Avant même la conclusion de la paix le sultan tint ses promesses et le Khatti Hümâyûn de 1856 reprit

avec plus de précision le Khatti Cherif de Gûlkhâne : liberté des cultes garantie par la rétribution des
prêtres, égalité de tous devant la loi, la justice, l’école, l’impôt... Les chrétiens obtenaient le droit
d’entrer dans les institutions représentatives locales (en voie de création), dans toutes les écoles, dans
toutes les armées, (mais là, ils pouvaient s’en dispenser moyennant une taxe, le bedel). L’État ottoman
s’assignait le devoir de bien gérer ses finances, de lutter contre la corruption, de favoriser la création de
banques, de mettre en oeuvre des travaux publics, etc. (texte in Aristarchi-Nicolaides, t 2, p. 14-23).
35Ces bonnes mesures ne passèrent pas facilement dans les faits. Témoin, en 1860, la nouvelle flambée de

haine entre les communautés libanaises. Mais les massacres réciproques tournèrent au désavantage des
chrétiens, les druzes ayant rallié à eux les sunnites. Une intervention militaire française rétablit l’ordre et
Napoléon III obtint l’autonomie de la montagne libanaise (1860).
36Avec ’Abd ül-’Azîz (1861-1876) la politique de réformes continua, les difficultés aussi. La Crète était

en révolte permanente, ainsi que toutes les principautés balkaniques autonomes ou pas, avec la complicité
des agents russes. La Porte concéda l’autonomie du Monténégro (1858), la réunion des principautés
roumaines (1861). Les troupes ottomanes quittèrent la Serbie en 1867 pour éviter les incidents. Mais le
sultan ne voulut pas céder aux révoltes en Crète (1856, 1869), ni en Bosnie-Herzégovine (1874-1876) où
la répression des Bachï-bozouk (irréguliers ottomans) tournait au massacre. L’entrée en guerre de la
Serbie et du Monténégro, appuyées par la Russie, souleva la haine des communautés. Une foule de
musulmans à Istanbul exigea le renvoi du chaykh ul-islam et de Nedîm Pacha, le grand vizir, accusés de
complicité avec les Russes. Le sultan céda, remplaça le chaykh ül-islam et nomma à contrecœur un
nouveau ministère libéral (avec Midẖet Pacha). Celui-ci, pour se prémunir déposa le sultan et mit sur le
trône Murâd V qui se révéla faible d’esprit. Il fut remplacé par son frère ’Abd ül-Hamîd II (1876-1909).
37Malgré tout, en l’espace de trente ans l’empire avait connu des bouleversements profonds, tant
économiques, que sociaux, ou culturels. En dépit de ses aspects négatifs (inflation, emprunts, banqueroute
de 1875, pertes de souveraineté du fait des ingérences étrangères...) le bilan était impressionnant. Les
villes avaient des gares, des postes, des hôtels pour les Européens, un quartier de banques, des cafés, des
théâtres, mais aussi de nouvelles casernes, des écoles, des hôpitaux, des bâtiments administratifs...
L’empire était devenu méconnaissable. Examinons surtout ce qu’il advint du droit et des institutions.
38191 — Les réformes institutionnelles. Les réformes en ce domaine furent nombreuses, retouchant
plusieurs fois le même projet. Nous en présentons le résultat vers 1870.
39L’administration ottomane, depuis la réforme de 1864, faite sur le modèle napoléonien, s’était fortement

rationalisée. De véritables ministères existaient désormais, avec leurs administrations centrales bien
fournies en fonctionnaires ayant statut, hiérarchie, salaires... L’administration locale comptait 27
provinces (vilâyet), chacune dirigée par un gouverneur (vâlî), assisté d’une assemblée générale. Chaque
province était divisée en sandjak, dirigé par un mutasarrif assisté d’une assemblée consultative. Les
sandjaks, à leur tour, étaient divisés en kazâ, dirigé chacun par un kâymâkam avec son assemblée. Chaque
kazâ était encore divisé en nâhiyé (avec son müdür ou mudîr en arabe), comprenant des villages ou
quartiers, chacun dirigé par un maire (mukhtâr) et son conseil des anciens. Outre les fonctions
administratives attendues, ces instances avaient des fonctions judiciaires : la justice n’était pas séparée
de l’administration, conformément à la théorie des tribunaux de mazâlim.
40L’organisme le plus important pour la justice et le droit fut le Conseil supérieur de la justice. Fondé en
1838, il devait préparer les textes législatifs, et servir de cour d’appel pour les questions relatives aux
nouveaux codes et lois. On lui adjoignit l’Assemblée supérieure des réformes, sorte de “brain trust” des
tanzimât, fondée en 1854. Le Conseil supérieur de la justice avait trois départements, le premier chargé
de la législation, le second de surveillance administrative et financière, et le troisième servait de cour
d’appel ou de tribunal administratif en première instance pour juger les fonctionnaires du gouvernement
central. En 1867, il devint le Conseil d’État, l’appellation de Conseil supérieur de la justice désignant
une Cour d’appel supérieure.
41Du Conseil supérieur de la justice est issue la transformation de la justice. Elle commença par la

création en 1840 de tribunaux de commerce. Ils étaient collégiaux, à l’image des tribunaux français : aux
trois juges nommés s’ajoutaient quatre assesseurs professionnels (qui pouvaient être choisis parmi les
minoritaires ou les Européens). Mais surtout, durant les années 1860-1870, on assista à la création des
tribunaux officiels (nizâmî). Ils faisaient une place aux laïcs et minoritaires nommés par les autorités
civiles et appliquaient le droit des codes nouveaux et non le droit musulman. Ils étaient hiérarchisés : à la
base, au niveau du canton (nâhiyé), on trouvait un conseil des anciens de 12 membres, servant de tribunal
de paix ; puis s’étendait un réseau de tribunaux d’arrondissement (kaza, sandjak) ; ils étaient supervisés
par des cours d’appel dans les chefs lieux de provinces ; en 1867, on couronna l’édifice par la fondation
du Conseil d’État, avec ses cinq départements : 1/ intérieur et guerre ; 2/ finances et waqfs ; 3/ droit et
justice ; 5/ travaux publics, commerce et agriculture ; 5/ éducation publique. En 1869 le Conseil d’État
s’adjoignait 6/ une cour d’appel de la justice administrative. La même année on fusionna les départements
1/ et 5/ et on dédoubla le 6/ en une cour civile et une criminelle. Une réforme de 1875 fut abolie l’année
suivante et le Conseil d’État resta à peu près ce qu’il était jusqu’à la fin de l’Empire ottoman.
42Le droit subit la plus importante mutation. Le code pénal de 1840 était une simple loi complémentaire
de la loi islamique. Elle punissait les délits contre la chose publique (lèse-majesté, détournement de
fonds...), l’excitation à la révolte (notamment le refus de payer l’impôt), la corruption, le refus
d’obéissance des fonctionnaires, mais infligeait aussi des peines de galère contre les brigands (qui
s’ajoutaient éventuellement au talion), la peine d’exil pour l’usurpation de biens ou le licenciement s’il
s’agissait d’un fonctionnaire, ainsi que quelques règles de procédure (Heidborn, p. 366-367). Ce code
était assez confus, mais d’esprit égalitaire et respectueux de la loi islamique pour les matières qu’il
traitait. Il fut révisé en 1851 par une nouvelle loi pénale (kanun-i djedid) improprement appelée code, car
ce n’était en fait qu’un complément au code de 1840. Heidborn l’appelle “Novelle de 1867” (p. 367).
Cette loi criminalise le faux, les propos indécents, l’enlèvement des jeunes filles. Elle ordonne que les
prisonniers malades soient rendus à leur familles et que les pauvres soient entretenus aux frais de l’État.
43En 1858 l’ensemble fut remplacé par un code directement inspiré du droit français, excluant les ẖudûd,
y compris la punition de l’apostasie. Le code commercial (1850, révisé en 1861) était aussi d’inspiration
française, et légalisait le prêt à intérêt. Il ne fit pas l’unanimité et déclencha des polémiques (qui furent en
général rares). Le code de commerce maritime, d’inspiration française, suivit peu après (1863). En
matière de droit civil (obligations), on codifia la loi musulmanes hanéfite. Le résultat, qui fit date, fut
appelé la Medjelle (ou Majalla en arabe). Il comprend 16 livres et fut publié de 1870 à 1877. Ahmed
Djevet Pacha (ob. 1895), historien et juriste, homme politique, en fut l’auteur principal. Il faut signaler
aussi un code agraire (1858), respectueux du droit coutumier, c’est-à-dire de la situation existante, qui
favorise l’appropriation des terres et à long terme la constitution de grandes propriétés. Mais les
réformateurs ottomans se heurtèrent à la mauvaise volonté des Européens dès qu’il s’agissait de
supprimer les Capitulations. Sur ce terrain, la réforme échoua totalement.
44Dans ce train considérable de réformes signalons encore, et brièvement, la sécularisation de
l’enseignement. Les ulémas se voyaient retirer un privilège de taille, celui de former les nouvelles
générations. Le projet de réforme de 1869 prévoyait une dar ül-fünûn, une université (lettres, droit,
sciences naturelles, mathématiques). Elle fut effectivement créée en 1870, mais elle fut tout de suite
l’objet des attaques des ulémas, qui trouvaient son enseignement trop laïc. Une fois mort le ministre qui
l’avait initiée (1871), elle fut fermée. Toutefois depuis 1830, une série de grandes écoles existait pour
former des officiers, des professeurs (1862), des ingénieurs, des médecins (1866), des vétérinaires, des
administrateurs (1859). Toutes étaient ouvertes à tous les sujets de l’empire. Les femmes eurent la
première école normale féminine en 1870. S’ajoutaient des centaines d’écoles privées, protestantes,
catholiques, juives, que fréquentaient surtout les minoritaires arméniens et grecs.
45192 — La Constitution ottomane. ’Abd ül-Hamîd II. Quand le nouveau sultan monta sur le trône la

guerre dans les Balkans contre la Serbie et le Monténégro était presque gagnée, mais les Russes, puis les
Européens intervinrent pour exiger une conférence internationale. En même temps une Constitution fut
proclamée dans l’empire. Elle laissait au sultan des pouvoirs considérables. Le ministère était
responsable devant lui et non devant les chambres. Le sultan avait le droit de dissoudre et de convoquer
ces dernières, de déclarer la guerre et la paix, de signer les traités et de promulguer les lois. Les
chambres n’avaient que le pouvoir de contrôler le budget. La conférence internationale se tint à Istanbul
(1876) et échoua complètement : toutes les exigences européennes se heurtèrent à la même objection :
c’est contraire à la Constitution.
46Midhet Pacha, paradoxalement tenu pour responsable de l’échec de la conférence, fut remercié par le
sultan. La Serbie et le Montenegro signèrent la paix (1877), mais la Russie entra en guerre, entraînant de
nouveau ses satellites. Au début de 1878, le troupes russes étaient aux portes d’Istanbul. Le traité de San
Stéfano fut corrigé en un sens moins défavorable aux Ottomans par la conférence internationale de Berlin
qui se réunit la même année (1878). Si les appétits slaves furent contenus, la conférence consacra quand
même l’indépendance de la Roumanie, de la Serbie, du Monténégro, et prépara celle de la Bulgarie. La
Russie s’agrandit en Anatolie. Le sultan avait payé l’alliance de l’Angleterre par le don de Chypre. Quant
à l’Autriche, elle occupa la Bosnie-Herzégovine. Entre-temps le sultan avait dissout le Parlement (1878).
Il ne se réunira plus pendant trente ans.
47Durant ces trente années, le sultan ’Abd ül-Hamîd II chercha à consolider l’empire par une politique de

force, centralisatrice et panislamiste. Ce panislamisme n’était d’ailleurs pas un retour à une quelconque
théocratie puisque la sécularisation du droit et de la justice continua. Il était par dessus tout, à travers
l’affirmation de la doctrine du califat, un appel pressant à tous les musulmans de serrer les rangs autour
du sultan. Les libéraux furent disgraciés, pourchassés, parfois assassinés par la police politique de
l’empire. La censure fut tatillonne jusqu’au ridicule. Les minoritaires chrétiens, qui s’agitaient plus que
jamais et qui étaient la cause et le prétexte de l’intervention des puissances, furent brutalisés ou
massacrés. Les Arabes aussi donnaient du souci. Ils commençaient à prendre conscience d’eux-mêmes en
tant que non Turcs, et cherchaient à se libérer des Ottomans. La parution en 1902 du livre du Syrien al-
Kawâkibî, La mère des cités, qui défend l’idée d’un calife établi à la Mecque, pape de l’islam régénéré,
marque une date dans l’éclosion du nationalisme arabe. Eux aussi, comme les chrétiens des Balkans,
pouvaient donner prétexte à l’ingérence des puissances. Les Turcs essayèrent de se les attacher par des
concessions et des faveurs diverses, mais cette politique ne réussira pas mieux qu’avec les chrétiens des
Balkans.
48Malgré tout les réformes continuèrent. On organisa des tribunaux mixtes (1879), mais l’initiative échoua
en raison du refus des puissances de céder sur la question des Capitulations. On créa encore des grandes
écoles, on construisit des voies ferrées, on fit appel aux investissements étrangers (qu’on considérait à
l’époque comme bénéfiques). La prépondérance économique des Anglais céda le pas à celle des Français
qui investirent massivement. Les Allemands, dont le rôle économique augmenta vite après la visite de
Guillaume II en 1898, suscitaient moins de méfiance du côté ottoman. Ils obtinrent la concession du
chemin de fer de Bagdad. Culturellement, c’est la France qui dominait, par sa langue, par son droit, par
ses écoles.
49Déjà le temps de la curée commençait. La France imposa son protectorat à la Tunisie (1881).
L’Angleterre, l’alliée de la Porte, occupa l’Égypte (1882). Dans l’empire, on institua en 1881
l’administration de la Dette publique, un État dans l’État, comme l’était déjà la Régie des tabacs. Dirigée
par des Européens représentant les porteurs de titres, la Dette se paya sur diverses taxes, diminuant
d’autant les ressources de l’État ottoman. En 1894-96 les violences endémiques se généralisèrent dans
les pays chrétiens, Macédoine, Arménie, Crète. Les Grecs déclarèrent la guerre pour la Crète, et malgré
leur défaite, le sultan dut céder aux voeux des puissances (1897). La Crète devint autonome : elle sera
rattachée à la Grèce en 1908. La Macédoine resta ottomane jusqu’en 1912, mais les troubles y furent
incessants et encouragés par l’attitude des Serbes, Grecs et Bulgares. Les interventions des puissances
visaient à cette époque à maintenir le statu quo, ce qui permit aux Ottomans de noyer la révolte
arménienne dans le sang (1894-1896). Le système hamidien semblait réussir au début du xxe siècle, mais
le danger ne vint ni de l’extérieur, ni des chrétiens, ni des nationalistes arabes. Ce fut l’opposition jeune
turque, qui, grâce à sa pénétration dans l’armée, réussit à abattre le régime décrié du “sultan rouge”.
§ 4 - Le Moyen Orient arabe. Les réformismes

50193 — L’Égypte de Muẖammad ’Ali. Premières codifications pénales. L’expédition d’Égypte (1798)

fut le premier contact en profondeur du monde musulman avec une Europe transformée et dont l’esprit
était devenu délibérément laïque. Le choc ne provenait pas tant des coups de canon de l’armée française,
ni même de la constatation de l’avance scientifique des conquérants, que de la découverte d’une manière
de penser toute nouvelle et surtout non religieuse (Djabarti, Lewis). L’expédition française eut pour
résultat immédiat en Égypte, la destruction de la puissance mamlouke et la mise en vedette des notables et
des ’ulamâ’. Quand Mehemet Ali (ou Muẖammad ’Alî, 1805-1849) vint avec les troupes ottomanes, il
comprit le parti qu’il pouvait tirer de ces nouvelles élites et établit son pouvoir en s’appuyant sur elles
(1805). En 1811 le massacre des derniers Mamlouks, au cours d’un banquet, lui donna les mains libres.
51Dès 1808 il introduisit une réforme de l’administration locale. Il en décidera deux autres, en 1816 et
1833, sur le modèle français. Elles peuvent être considérées comme des réformes judiciaires, dans la
mesure où l’administration et la justice étaient en partie confondues suivant le système habituel en Islam,
dont l’origine remonte aux tribunaux des injustices, institués sous les Abbassides. Cette réforme créa des
gouvernorats divisés en départements, lesquels furent divisés en districts comprenant plusieurs villages.
Chaque chef-lieu possédait une administration plus ou moins développée : soit celle du gouverneur,
mudîr, ou celle du préfet, nâzîr, ou celle du chef de district, ẖâkim, ou enfin dans les villages, réduite à sa
plus simple expression, celle du maire, chaykh al balad. Parallèlement à l’administration et à sa justice,
on trouvait le système des tribunaux judiciaires (dits char’î, conformes à la loi islamique) avec ses juges
ou ses substituts dans les centres les plus importants (bandar). Il y avait surtout dans les bandar-s une
garnison avec un officier responsable de la police du territoire et des troupes mobiles de janissaires (ou
des auxiliaires bédouins parfois) sous l’autorité de qaimaqam-s ou d’aga-s (officiers). Cette police était
rattachée au “ministère” de la guerre. Les réformes de 1816 et 1833 firent varier le nombre des
gouvernorats et les appellations arabes, mais le système administratif à quatre niveaux, décalqué sur le
système français resta le même.
52Jusqu’en 1830, Muẖammad ’Alî fut le fidèle serviteur des Ottomans dans ses campagnes d’Arabie (n

° 199), du Soudan (n° 205) et de Grèce (n° 189). Mais il avait le souci d’enrichir l’Égypte et de
développer la production industrielle et agricole, tout en poursuivant une politique de réformes
administratives et militaires. L’envoi d’une mission scolaire en France, dont Rifâ’at aṯ-Ṯaẖṯâwî était
l’imâm, signale bien son esprit moderniste. Il faut surtout évoquer, en 1830, le code paysan, sorte de code
pénal qui tendait à réduire les peines infligées aux paysans, jusqu’ici fort maltraités. Les peines étaient la
mort, le bagne, la prison, l’exil au Soudan, ou de 10 à 500 coups de fouet (kurbâj) ou encore le tatouage
de la lettre “lam” (pour liss, voleur). Plusieurs articles renvoyaient à la loi islamique ; le code ne
divergeait avec elle que pour le vol (bastonnade et emprisonnement au lieu d’amputation).
53Une nouvelle codification pénale partielle fut incluse dans la loi publiée en 1837 sous le titre Qânûn as-

siyâsa-namê qui créait les premiers ministères en Égypte. La partie pénale concernait les délits commis
par les agents de l’État : détournement de fonds, corruption, désobéissance, négligence, détérioration du
matériel. Mis à part les crimes qui étaient punis par le bannissement ou les travaux forcés, la plupart des
sanctions étaient le licenciement, la prison ou l’amende prise sur le salaire. Si un fonctionnaire
commettait un crime de sang, il s’en tirait avec le paiement de la diya. Mais si un fonctionnaire était
assassiné, son meurtrier était mis à mort. Quand Muẖammad ’Alî reçut en 1839 le Khatt-i Cherif de
Gülkhane, il répondit que les réformes qu’il énonçait étaient déjà appliquées en Égypte, notamment
l’interdiction du talion et le contrôle de la peine de mort, ainsi que l’égalité de tous devant la loi. Ce
n’était pas faux, pour le dernier point du moins, le Pacha n’avait aucun préjugé contre les juifs et les
chrétiens et tout le monde fut bien obligé de l’imiter.
54Depuis 1830, Muẖammad ’Alî était en conflit avec son suzerain, mais le bilan de l’affaire, en 1841, fut

mauvais pour lui : son armée dut être réduite à 18000 hommes ; il fut contraint d’abandonner ses
prétentions syriennes et de payer un tribut à Constantinople ; surtout, il dut consentir à la fin du monopole
commercial égyptien, système qui avait permis le départ d’une industrie. Le seul avantage qu’il obtint fut
la reconnaissance de sa dynastie à titre héréditaire. Le firman en question disposait expressément que les
lois ottomanes devaient s’appliquer à l’Égypte. Ce qui n’empêcha pas le Pacha de ne pas appliquer le
code pénal ottoman de 1840 (n° 191), et de continuer à publier diverses lois pénales, directement ou à
travers un organisme spécial l’Assemblée juridique (Jam’iyya ẖaqqâniyya) créée en 1842. Cet organisme
était issu du Conseil du gouverneur (diwân al wâli), modifié plusieurs fois. Il s’occupait de siyâsa, c’est-
à-dire des lois civiles, pénales, militaires et administratives qui échappaient au droit musulman. Il jouait
le rôle de Chambre de cassation, ou de Haute cour. En 1849, sous Abbas, il devint le Conseil des arrêts
(majlis al-aẖkâm).
55Les nouvelles lois de Muẖammad ’Alî furent réunies aux anciennes en une sorte de code appelé Qânûn

al-muntakhabât (Lois choisies). Cette codification empruntait largement au droit musulman, surtout en ce
qui concernait le meurtre, les coups et blessures où le talion, la diya (prix du sang), le serment
cinquantenaire étaient en usage. Mais elle s’en écartait aussi, pour le vol et pour les atteintes à l’honneur.
On y trouvait des emprunts au droit français, les premiers décidés par les Égyptiens : par exemple en
matière de légitime défense, de bris de scellés ou de fausses signatures. Les peines étaient dures, et le
principe de la responsabilité individuelle n’était pas toujours respecté puisque que le chaykh l-balad
pouvait être puni en cas de vol dans son village. Mais par ailleurs étaient introduits les droits du
prisonnier à garder ses biens, des peines différentes selon l’âge du coupable, l’interdiction des
arrestations arbitraires. Le champ couvert était assez vaste et il s’agissait véritablement d’un code pénal.
56194 — Codes et réformes sous Abbas et Sa’îd. Ce “code de Mehemet Ali” comme l’appelaient les

Européens reçut encore des compléments et une nouvelle édition fut faite en 1849. Muẖammad ’Alî étant
mort, l’ensemble fut édité sous son successeur, ’Abbâs Ier (1849-1854). On l’appela le “code d’Abbas”.
Il est très proche du code de Muẖammad ’Alî, mais certaines peines étaient différentes et plus proches de
la loi islamique. Par rapport au code ottoman de la même époque, la loi égyptienne était supérieure.
Après la parution de la “Novelle de 1867” à Istanbul, il fallut mettre à jour le code égyptien. La
différence fondamentale était qu’aucune condamnation à mort ne devait être prononcée sans l’approbation
du sultan. ’Abbâs résista avec acharnement à cette clause qui sapait son autorité. L’Angleterre l’appuya
dans ses négociations avec la Porte (1851-52) et les délégués égyptiens parvinrent à un compromis avec
ceux du sultan : le Pacha garderait encore sept ans le droit de condamner à mort, et les Égyptiens
obtenaient d’importantes modifications au code pénal ottoman, de sorte qu’un nouveau code fut mis au
point pour l’Égypte.
57Le nouveau code s’appelait officiellement al-Qânûn-nâmê as-sultânî ou encore Qânûn al-jazâ’ al-
himâyûnî. Il fut en vigueur de 1854 à 1863 en principe, mais de fait jusqu’en 1883. Il ne différait de la
codification précédente que par l’adjonction de nouvelles pénalités. Il limitait le ta’zîr (peine
discrétionnaire) par exemple à 79 coups de fouet (c’est de droit hanéfite), remplaçant le reste par des
peines diverses (prison surtout). On y trouvait aussi des discriminations sociales : par exemple en cas de
destruction d’arbres, le pauvre recevait des coups de fouet et le riche payait une amende correspondant
au double des dégâts. Les peines étaient moins sévères dans l’ensemble. Cette clémence serait duc à une
plus grande sécurité et à des pressions européennes. A noter que la rébellion, qui était punie de mort dans
le code ottoman, ne recevait qu’une peine d’exil de sept ans : ’Abbâs préféra une peine légère et
immédiate plutôt que d’en référer à Constantinople. Quant au fonctionnaire criminel il était cette fois
condamné à mort. Le code ne s’éloignait pas beaucoup de la loi islamique.
58Ce code ne fut publié qu’avec retard et sous le règne de Sa’îd (1854-1863), d’où son nom “code de

Sa’îd”. De toute façon il fut mal appliqué et des peines arbitraires plus sévères furent souvent infligées et
trop souvent la mort. Sa’îd limita la bastonnade à 200 coups en 1858, puis l’interdit en 1861, sans grand
succès. Sa’îd réforma aussi l’armée et fit en sorte que les Égyptiens puissent accéder aux plus hauts
grades. Il décréta la fin du monopole sur les terres qui purent être appropriées. Son nom est surtout
attaché à la construction du canal de Suez (1856-1869), réalisée par son ami d’enfance, le français
Ferdinand de Lesseps.
59’Abbâs constitua des bureaux de plaintes (aqlâmu d-da’âwî) qui devaient, dans chaque poste de police,

recevoir les plaintes des victimes, mais aussi des administrés contre l’administration. Ces bureaux ne
donnèrent pas grande satisfaction dans la mesure où ils étaient placés sous la responsabilité du
gouverneur, en quelque sorte juge et partie. La création de cinq conseils judiciaires de province en 1852
est plus importante : ces conseils devaient traiter des affaires criminelles et constituer de véritables cours
d’appel.
60Ils furent supprimés sous Sa’îd en 1854, rétablis en 1856, supprimés en 1860 et rétablis en 1861 et

probablement supprimés encore une fois puisque nous verrons Isma’îl les rétablir. Sa’îd fut le premier à
tenter une réforme des tribunaux char’î en 1856, au moins sur le papier, car, semble-t-il, ce ne fut qu’un
premier essai. La même année il obtint d’Istanbul que tous les cadis fussent nommés par le gouvernement
égyptien et non plus par le grand cadi de la capitale. Néanmoins le cadi ’askar du Caire restait nommé
par la Porte comme par le passé. Mais Sa’îd introduisit surtout du désordre dans une machine qui en avait
assez de par elle-même. En 1857 Nubar Pacha fut nommé président d’une cour d’appel dont il ne savait
rien, même pas le lieu, et dont il ne trouva même pas les juges (p. 168).
61195 — Les premières réformes d’Isma’îl Pacha. Isma’îl Pacha (1863-1879) fut le plus ambitieux et le

plus attachant des Pachas d’Égypte. Quand il prit le pouvoir en 1863, il déclara vouloir se conformer
strictement en matière pénale au code officiel, et ainsi les interdictions prononcées par Sa’îd contre la
bastonnade furent levées. Il permit à Rifa’at aṯ-Ṯaẖṯawî de reprendre son œuvre de traducteur
(interrompue sous ’Abbâs) et donna ordre de traduire les codes français. Mais surtout, Isma’îl, séduit par
le nouveau code pénal ottoman de 1858 inspiré du droit français, décida de l’adopter le 5 juillet 1863. Il
dut rencontrer des résistances puisque la même année, en septembre, il ordonna que les parties
particulières à l’Égypte et contenues dans l’ancien code devaient être maintenues. Ce qui fait qu’en
attendant la parution d’un code nouveau inspiré du code ottoman mais comprenant les parties égyptiennes,
on continua d’appliquer le code de 1854. Ce code attendu devait être un des élément de la première
réforme judiciaire, celle de 1870-73 que nous allons voir. Isma’îl créa en 1866 une Chambre consultative
de députés (75 membres). Il acquit en 1867, à coups de millions, le titre de khédive (prince), que l’on
traduit par vice-roi, en même temps que la liberté de négocier directement avec les puissances. Ce droit
fut complété en 1873 par celui de légiférer et d’avoir une armée en nombre illimité. Derrière ce transfert
de droits juridiques et politiques, il y avait la volonté égyptienne de mettre fin au système des
Capitulations.
62Isma’îl rétablit définitivement les conseils judiciaires de province en 1863, “à la demande populaire”.
Après le premier effort, avec Nubar Pacha, pour éliminer la domination consulaire (n° 196), il entreprit
de se rendre encore plus indépendant, en 1870, en acceptant de payer le cadi du Caire, encore nommé par
la Porte, pour qu’il reste à Istanbul. Puis par une série de textes qui s’étagent de 1870 à 1873 il mit en
place un système de tribunaux nationaux qui devaient juger toutes les affaires autres que celles relevant du
statut personnel (qui étaient réservées aux cadis). Ces tribunaux comprenaient :
1. un niveau de justice sommaire dans presque chaque ville et village (majâlis da’âwî al-balad).
2. des tribunaux de première instance dans les huit principaux bandar-s (majâlis da’âwî al-bandar ou
majâlis ibtida’îya). Au Caire et à Alexandrie les tribunaux commerciaux existants furent supprimés.
3. trois tribunaux d’appel au Caire, à Tanta et à Asyût (majâlis al-isti’nâf)
4. enfin le majlis al aẖkâm, maintenu comme Conseil supérieur de la justice et Haute cour.
63En 1872 était créé un ministère de la justice pour parfaire le tout. Mais la réforme péchait par bien des

côtés. Le manque d’élites compétentes la rendait difficile. La procédure était mal fixée, les sessions
irrégulières et surtout les tribunaux restaient soumis aux interventions de l’administration. Les tribunaux
char’î subsistaient et avaient aussi le droit de juger au pénal sous le seul contrôle du majlis al-ahkâm. En
même temps on continua de créer des tribunaux nouveaux qui enlevaient des compétences aux tribunaux
char’î, comme en 1873 la création des majlis hisbiya chargés de juger les affaires d’incapables.
Cependant une réforme avait nettement réussi, celle qui instituait les tribunaux mixtes. Pour bien en
comprendre l’enjeu, il faut faire un retour sur le système des Capitulations.
64196 — Le problème des Capitulations. Les étrangers de l’Empire ottoman étaient soumis au système
des Capitulations. Depuis le moyen âge, et notamment depuis 1535, date à laquelle François Ier aurait
obtenu de la Porte les premières “Capitulations” (c’est-à-dire “chapitres”), elles s’étaient multipliées et
étaient devenues perpétuelles en 1740. Elles soustrayaient à l’autorité locale les étrangers et ceux-ci
étaient dès lors jugés selon les lois de leur pays d’origine par des tribunaux consulaires. Cette dérogation
n’affecta pendant longtemps que peu de monde et convenait à l’esprit du droit musulman qui admet le
principe antique de la personnalité des lois. Mais dès lors qu’un sujet ottoman était impliqué dans une
affaire (qu’il soit plaignant ou victime), celle-ci devait passer devant les juridictions ottomanes (art. 5 du
traité de 1535 par exemple). Par la suite, la France, puis les autres puissances, avaient obtenu la présence
obligatoire d’un drogman (interprète) ou d’un représentant du consulat pour le procès et pour l’exécution
des sentences : la personne du prévenu, son domicile étaient inviolables sans le consentement de son
consul.
65En Égypte, jusqu’à Muẖammad ’Alî le système fut défavorable aux étrangers selon Nubar Pacha
(Mémoires, p. 147). Puis l’usage évolua. La nécessité de la présence du drogman ou des assesseurs
consulaires amenait les Égyptiens à se présenter d’abord au consulat. Si l’action avait été introduite
devant un tribunal égyptien, cela revenait au même car les représentants du consulat ou l’accusé ne
comparaissaient pas, ce qui bloquait l’affaire dans la juridiction égyptienne. L’Égyptien plaignant finissait
par s’adresser toujours d’abord au consul qui faisait promptement condamner son ressortissant s’il lui
apparaissait coupable et à ce moment l’Égyptien, ayant obtenu réparation, renonçait à porter plainte
devant les juridictions égyptiennes. Ou au contraire le consul faisait lanterner l’affaire s’il estimait son
ressortissant innocent (cas le plus fréquent). Même si le plaignant avait pu obtenir un jugement des
autorités égyptiennes contre un étranger, il fallait l’assistance du consul pour exécuter le jugement. On
aboutissait au même résultat : le consul était juge, le plus souvent d’ailleurs un juge incompétent en droit,
mais surtout un juge partial. Pour les crimes, le consul n’ayant pas le droit d’en juger, il renvoyait
l’affaire dans la métropole. Comme il n’était pas question de payer le voyage aux témoins, aux parties
civiles, au représentant de la police égyptienne, les tribunaux métropolitains jugeaient sur les pièces
écrites et concluaient souvent par des non-lieux. De plus, même au niveau des délits le prévenu pouvait
interjeter appel à Londres, à Malte, à Aix-en-Provence..., l’affaire prenait alors tellement de temps que la
partie plaignante finissait par abandonner. Les délinquants et criminels étrangers semblaient jouir d’une
quasi-impunité.
66Le principe de la compétence du tribunal du prévenu fut ainsi établi au pénal comme au civil. En sens

inverse le plaignant étranger avait l’appui du consul et toute l’affaire devenait diplomatique, aboutissant
souvent au plus haut niveau quand la plainte visait l’administration locale. Muẖammad ’Alî réagissait
brutalement devant les prétentions excessives et fit même parfois expulser les demandeurs et plaignants
étrangers. ’Abbâs fit traîner. Sa’îd donna satisfaction trop libéralement aux demandes des plaignants
contre le gouvernement égyptien. La bonté attire la canaille. Les exigences devinrent de plus en plus
exagérées, abusives. Voici quelques exemples : un négociant perdit ( ?) quelques marchandises dans un
village : il accusa collectivement le village, puis le gouvernement responsable de la sécurité ; un
Autrichien obtint 25 000 F pour un oeil poché par un ânier : car le gouvernement égyptien fut tenu
responsable de la police. On cite ce mot de Sa’îd à un consul qu’il recevait : “Couvrez-vous, mon cher
consul, couvrez-vous ! Il y a des courants d’air ! Vous pourriez prendre un rhume et j’aurais des
indemnités à vous payer !” (Nubar, p. 153). Cette situation fut à l’origine de la réforme de Nubar Pacha.
67197 — La grande réforme : les tribunaux mixtes. La question de la réforme du système des
Capitulations fut relancée en 1862, par une circulaire de Chérif Pacha (ministre des affaires étrangères)
qui est, en fait, inspirée par Nubar Pacha : il s’agissait d’établir des commissions d’arbitrage mixtes
(étrangers / Égyptiens), une par consulat. Tous les consuls acceptèrent sauf celui de France. On constitua
la commission pour l’Autriche mais elle échoua assez vite car les arbitres de l’Égypte ou de l’Autriche se
considérèrent comme les avocats de leur partie et non comme des juges.
68Les négociations reprirent en 1867, après le firman octroyant à Isma’îl le titre de khédive (prince) et lui

permettant de négocier directement avec les puissances (8 juin). Le 7 juillet, Nubar Pacha envoya un
rapport au khédive. Il proposait de créer une catégorie spéciale de tribunaux qui seraient composés de
magistrats étrangers et égyptiens (vraiment égyptiens cette fois-ci) et qui jugeraient les litiges entre
Égyptiens et étrangers, à côté des tribunaux consulaires qui jugeraient les litiges entre étrangers, et des
tribunaux égyptiens qui jugeraient les litiges entre Égyptiens. De plus il était affirmé le principe de la
séparation complète de la justice d’avec l’administration : “la justice doit émaner du gouvernement mais
non en dépendre ; elle ne doit pas plus dépendre du gouvernement que des consulats” (cité par Lamba,
Européens, p. 85). Le projet de Nubar fut rendu public et communiqué aux puissances. Les résistances
furent vives, surtout dans la colonie européenne.
69Une autre difficulté existait : “Appeler le magistrat européen à siéger comme juge en Égypte pouvait

paraître chose simple à un Européen ; le vice-roi lui-même pouvait ne pas y faire attention, tant il était
habitué à considérer sa volonté comme au-dessus de tout. Mais à Constantinople, siège du califat, centre
d’un gouvernement musulman, proposer un magistrat chrétien, en lieu et place du cadi représentant la loi
sacrée, était chose hardie, et bien hardie en effet. Comment serait-elle considérée par Ali, par Fouad, par
le corps des ulémas ?” (p. 284). En fait l’objection ne lui fut jamais faite directement car Nubar Pacha mit
en avant la lutte contre l’influence des consulats, une lutte pour l’Égypte et qui ne pouvait en fin de
compte que servir l’islam. Il déclara au sultan qu’il s’agissait de “délivrer cinq millions de musulmans de
l’exploitation qu’ils subissent du fait de cent mille Européens..” (p. 289). Il obtint d’ailleurs du sultan
l’extension des pouvoirs d’Isma’îl et le titre de khédive pour son maître en 1867, car le calife avait très
bien compris l’enjeu.
70La question du contenu du droit à créer fut aussi escamotée, car il apparut plus important de reprendre
le contrôle sur les tribunaux. À aucun moment il ne fut question de proposer aux puissances quelque code
inspiré du droit musulman en matière pénale : aucune ne l’aurait accepté, le tollé aurait été formidable et
tous les efforts de l’Égypte vers un plus d’indépendance anéantis. Qui plus est, sur le plan juridique, on
voulait précisément reprendre aux puissances ce que la conception musulmane du droit leur accordait à
travers les Capitulations.
71L’histoire des négociations est bien connue et nous ne la reprendrons pas (cf. Brinton). La France dont
les intérêts étaient importants en Égypte, se signala par sa mauvaise volonté devant le projet de Nubar.
Elle accepta les projets en matière civile et commerciale pour une période probatoire de cinq ans, mais
refusa le projet pénal. L’avocat français Maunoury, ami de Nubar Pacha, avait rédigé des projets de
codes. La guerre franco-allemande fit traîner les négociations jusqu’en 1873. Finalement le khédive
proposa de restreindre la compétence pénale des tribunaux, dans un premier temps, aux crimes et délits
commis contre les magistrats et officiers de justice dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs
fonctions ; y étaient rattachés les crimes et délits commis par les magistrats et officiers eux-mêmes et les
obstructions à l’exécution des sentences des tribunaux mixtes. Il maintint fermement sa demande,
menaçant de retourner à l’application stricte des Capitulations. La France finalement se rallia à titre
d’essai pour cinq ans. Une nouvelle commission internationale se réunit à Constantinople en janvier-
février 1873 et son rapport reprit les demandes du khédive. La France fit adopter l’interprétation la plus
restrictive possible : ne serait accordé aux tribunaux que le strict nécessaire à leur fonctionnement. Le
Règlement d’organisation judiciaire de 1875 est le fruit du travail de cette commission (texte in Wathelet-
Brunton, II, p. 740).
72Les tribunaux furent solennellement inaugurés le 28 juin 1875, en l’absence des magistrats français
parce que l’Assemblée nationale de Versailles n’avait pas encore approuvé la réforme, ce qu’elle ne fit
que le 17 décembre. Ces tribunaux avaient compétence en matière de contraventions commises par les
étrangers à l’encontre des règlements égyptiens de police approuvés par les puissances. Pour les affaires
pénales (délits et crimes) qui n’intéressaient pas les magistrats et officiers des tribunaux mixtes, les
Capitulations étaient toujours en vigueur. Elles ne furent supprimées qu’en 1936, par le traité de
Montreux.
73Les Tribunaux mixtes commencèrent à siéger le 1er février 1876. Leur organisation était moderne, mais

complexe. En matière pénale par exemple, on avait institué des tribunaux correctionnels composés de
trois magistrats (un magistrat égyptien et deux étrangers) et d’assesseurs (tous étrangers) ; des cours
d’assises composées de trois conseillers (un égyptien et deux étrangers) et d’un jury (douze étrangers). Il
était aussi institué une Chambre d’instruction (chambre du conseil) composée des trois magistrats (un
égyptien, deux étrangers) et de quatre assesseurs (tous étrangers). Un Parquet était aussi mis en place
avec un procureur général. Les magistrats du Parquet étaient amovibles et nommés par le khédive seul à
la différence des juges qui étaient inamovibles et nommés par le khédive sur une liste présentée par les
consuls.
74Les codes utilisés par les tribunaux mixtes furent ceux rédigés par Maunoury, à partir du droit français :

code civil mixte, commerce mixte, commerce maritime mixte, procédure civile et commerciale mixte,
pénal mixte, instruction criminelle mixte (textes in Wathelet-Brunton, I). Le code pénal avait été fait à
partir du code pénal français et du code pénal ottoman de 1858. Il devait être au début le seul code pénal
pour toute l’Égypte. Mais il ne fut pas promulgué par le gouvernement égyptien. Ayant été adopté que par
les puissances pour les tribunaux mixtes (et seulement pour ce qui concernait les contraventions et ce qui
entrait dans le cadre du Règlement d’organisation judiciaire), il fut appelé code pénal mixte. Pour les
Égyptiens, le code pénal indigène ne fut mis au point qu’en 1883, après l’occupation anglaise : il fut
largement inspiré du code pénal mixte (Anderson in Holt).
75Nous n’avons pas suivi la vie intellectuelle égyptienne durant tout le siècle : elle est très riche. On ne

peut que renvoyer à l’ouvrage de Delanoue (Moralistes...) qui décrit bien ce qu’elle était, et qui est très
attentif aux questions juridiques.
76198 — Fin d’Isma’îl. Tawfîq et l’occupation anglaise. Le droit égyptien à la fin du siècle. Mais le

khédive Isma’îl ne sut pas profiter de son indépendance financière. Trop endetté, il vendit à l’Angleterre
ses parts du canal de Suez (1875) et quand la banqueroute se profila, l’Angleterre était, avec la France,
au premier rang des actionnaires du canal. En 1876 un véritable condominium franco-britannique fut
institué pour régler les dettes du royaume. La Caisse de la dette était dirigée par des commissaires
européens. Les recettes étaient contrôlées par elle. Le khédive n’avait plus le droit d’emprunter. En
essayant de lutter contre cette mainmise occidentale, le khédive ne provoqua que sa destitution qui fut
décidée par le sultan sur la demande de l’Angleterre et de la France.
77Son fils Tawfîq (1879-1881) fut investi et se montra plus docile. Cependant dans le pays le
mécontentement, aggravé par une crise économique, était immense. L’armée égyptienne en particulier
s’agitait et elle finit par imposer le nationaliste ’Arabi Pacha comme ministre de la guerre (1882).
L’agitation tourna à l’émeute à Alexandrie où des Européens et des chrétiens furent tués. La flotte anglaise
bombarda la ville et débarqua des troupes. Le khédive déclara ’Arabi Pacha rebelle et le destitua, mais il
constitua un contre-gouvernement au Caire. En septembre l’armée de ’Arabi Pacha fut battue, le Caire
occupé par les troupes anglaises. Les Français, hésitants, s’étaient esquivés. Le 19 septembre 1882 fut
pris le décret khédivial le plus court et le plus fascinant de l’histoire du droit égyptien : “Nous, Khédive
d’Égypte, considérant la rébellion militaire, décrétons : Article premier : L’armée égyptienne est
dissoute. Signé Tewfiq”.
78Le régime anglais, de 1882 à 1914, fut un régime d’occupation sans base juridique. Un consul général

britannique donnait des conseils “qui devaient être suivis”, en particulier pour la nomination des
ministres. Lui-même devait négocier toute décision aussi bien avec le khédive ou le gouvernement
égyptien qu’avec son ministre de tutelle ou les puissances intéressées au sort de l’Égypte. Ce fut Sir
Eveling Baring (Lord Cromer en 1891) qui joua ce jeu délicat. Il fit sans cesse ressortir que de profondes
réformes devaient être faites avant l’évacuation des troupes anglaises, sans quoi une réoccupation
apparaîtrait immanquablement comme nécessaire peu de temps après l’évacuation.
79L’assemblée consultative de 1866 existait toujours. Son mode d’élection fut réformé par la Loi
organique de mai 1883, et le suffrage devint universel indirect. Cette loi réorganisait toute la structure
politique égyptienne. Désormais on trouvait des Conseils consultatifs provinciaux, un Conseil législatif
(30 membres, 16 élus par les conseils consultatifs de provinces, 14 nommés par le gouvernement), une
Assemblée législative (composée de 82 membres : 6 ministres ; les 30 membres du Conseil législatif ; 46
élus par l’ensemble des électeurs).
80Les réformes furent nombreuses : armée nouvelle, réorganisation de la dette publique, des impôts, des

douanes, de la fonction publique, etc. Suivons les réformes du droit et de la justice.


81De 1879 à 1892, le ministre de la justice fut Qadri Pacha. En 1880 il avait procédé à la réforme des

tribunaux char’î, au moment où éclatait la crise de ’Arabi Pacha. Cette loi portait surtout sur le statut des
cadis. Mais elle limitait leur compétence au statut personnel et aux homicides. Ils devaient juger suivant
le rite hanéfite, mais pouvaient opter entre la doctrine d’Abû Hanîfa et celle des deux Compagnons (Abû
Yûsuf ou ach-Chaybânî). On avait aussi introduit une prescription de 15 ans pour la majorité des cas, 30
ans pour les waqf-s.
82Le décret du 14 juin 1883, portant réorganisation des tribunaux indigènes (ahlî) 1 , reprenait et clarifiait
la réforme d’Isma’îl : les trois niveaux étaient confirmés, celui des tribunaux de justice sommaire, celui
des tribunaux de première instance, enfin celui d’une Cour jugeant en appel ou en cassation au Caire. Ils
pouvaient juger toute matière civile ou criminelle, sauf celles relevant de la compétence des tribunaux
mixtes ou des tribunaux char’î (art 16). Toute condamnation à mort devait recevoir l’avis favorable du
mufti d’Égypte (art 15). Il était obligatoire que les jugements soient rendus conformément aux textes ou
codes promulgués (art 28). En cas de silence de la loi, le juge devait avoir recours à l’équité ou, en
matière de commerce à l’équité et aux coutumes (art 29).
83Les codes furent : le code civil indigène d’octobre 1883 (propriété et obligations), et, en novembre

1883, les codes de commerce indigène, de commerce maritime indigène, de procédure civile et
commerciale indigène, le code pénal indigène, et le code d’instruction criminelle indigène, les deux
derniers ayant été remplacés en 1904. Ils étaient calqués sur les codes mixtes, mais pas totalement. Par
exemple le code civil indigène (propriété et obligations), adopta des institutions de droit musulman : la
préemption (chuf’ a) ; le transfert des dettes (ẖawâla) ; le droit d’annulation dans la vente (khiyâr ach-
charṯ) ; la vente à livrer (salam) ; la non-exigibilité des dettes résultant de ventes de boissons
alcooliques, etc.
84En 1897 la réforme atteignit les tribunaux char’î. Le texte fut retouché en 1910 et 1911. Une hiérarchie

était constituée et les procédures d’appel furent fixées. Les témoignages et serments furent réglementés et
le document écrit tendit à devenir le principal mode de preuve. C’était une révolution silencieuse, qui
transformait profondément la nature du procès. L’homicide échappa à la compétence de ces tribunaux qui
ne traitèrent plus que du statut personnel. En cette matière, le droit musulman classique qui s’y appliquait
resta inchangé pendant tout le xixe siècle. Le code écrit par Qadri Pacha, pourtant strictement hanéfite, ne
fut pas promulgué. Il fut toutefois utilisé marginalement dans les tribunaux mixtes.
85Que ce soit par la question des Capitulations et des tribunaux mixtes, ou par l’influence de la Porte à

travers son code pénal de 1858, le droit français avait pénétré l’Égypte. Cette acculturation du droit
français s’ancra fortement, du moins chez les élites nationalistes (Ziadeh). D’ailleurs elles n’en parlaient
pas comme un droit français, mais comme le droit égyptien, et, tout en en reconnaissant l’origine
étrangère sans honte, elles étaient décidées à le conformer par la jurisprudence aux nécessités locales et à
en faire un véritable droit national. Ce droit leur apparut comme un refuge, un trait de la personnalité
égyptienne face aux tentatives anglaises de le modifier.
86Quant au droit musulman, il n’avait pas su trouver en lui-même les ressources pour se présenter comme
un droit possible pour un État moderne. Il est même frappant de constater que le droit pénal musulman n’a
jamais fait l’objet (à l’époque) d’une codification (comme celles de Qadri Pacha pour le statut personnel,
le waqf, les obligations) ni même d’un projet. Peut-être était-il difficile aux Égyptiens d’être plus
musulmans que le Calife ou que le Grand Cadi de Constantinople.
87En Égypte pourtant la vie intellectuelle était intense. On y jouissait d’une liberté d’expression bien plus

grande que dans l’Empire ottoman. Les nationalistes arabes en particulier ceux de Syrie, s’y réfugièrent.
L’assemblée consultative permettait un semblant de vie parlementaire. Les Égyptiens Sa’ad Zaghloul et
Mustafa Kamel furent les nationalistes égyptiens les plus en vue (Anderson in Holt).
88199 — Les courants réformistes. Le wahhabisme. En matière de réforme, il faut bien distinguer deux

types, ou deux courants de réformisme. Il y a d’abord le réformisme qu’on pourrait qualifier d’interne.
C’est celui qui vise la réforme des moeurs, l’élimination du paganisme et des innovations, l’application
de la loi islamique “la plus authentique”. Depuis les kharidjismes et les chiismes, en passant par les
Almohades et les Ikhwân wahhabites, il est permanent en terre d’islam, “structurel” si l’on veut.
89Ce premier versant du réformisme est représenté par le wahhabisme en Arabie. Fondé par Muẖammad
Bn ’Abd al-Wahhâb le mouvement se référait au hanbalisme et à Ibn Taymîya et Ibn Qayyim. Le
prédicateur fit alliance avec une famille d’émirs, Muẖammad Ibn Sa’ûd (ob. 1765) et ses fils. Ces
derniers prirent Ryad (1773) puis grignotèrent les possessions ottomanes dans la péninsule. La Mecque
fut prise en 1806 par les wahhabites. Ce n’est qu’en 1811 que le sultan, utilisant son féal, Muẖammad
’Alî, pacha d’Égypte, réussit à écraser la révolte (1818). D’un type comparable est le réformisme de la
Sanûsîya en Libye (n° 229), et, plus hétérodoxe, le mahdisme du Soudan (n° 205).
90Le second type de réformisme naît à partir de la fin du xviiie s. environ, et vise surtout la réforme des

États musulmans, de leur droit et de leur économie sur le modèle européen, mais précisément pour
relever le défi européen avec les mêmes armes. Il est représenté par les exemples du sultan d’Istanbul et
celui de Muẖammad ’Alî, qui légiférèrent par qawânîn, en cherchant l’inspiration en Occident, comme on
l’a vu. Cette opposition des deux types de réformisme se retrouve, avec mille nuances, tout au long du
xixe et du xxe siècle.
91A la fin du siècle, il semble que les deux courants se soient rejoints dans la personnalité de Muẖammad

’Abduh qui tenta une réforme de l’islâm lui-même en réaction au défi européen. Le terme réformiste a été
plus spécialement donné à cet auteur et à ses disciples, cependant qu’on a préféré le terme modernistes
pour ceux dont le souci était plus centré sur la réforme de l’État et de la société et qui, le plus souvent
oubliaient l’islam. Cette distinction est plus valable pour le xxe siècle que pour le xixe siècle. Les
réformistes comme Muẖammad ’Abduh et les réformistes puritains comme les sanûsî de Libye, sont dits,
ensemble, salafistes, car ils font tous références aux salaf (en arabe, les anciens). Le terme est donc
ambigu.
92Les réformistes sont relativement nombreux et très actifs à la fin du xixe siècle et au siècle suivant. On a

déjà évoqué les figures les plus célèbres et leur action (n° 185 pour la Perse, n° 190 pour les Ottomans)
et on verra Khayr ed-Dîn pour la Tunisie (n° 202). On a aussi signalé Jamâl ad-Dîn al-Afghânî en
Afghanistan et al-Kawâkibi (n° 192), plus politiques que juristes. En revanche Muẖammad ’Abduh et
Rachîd Rida curent une profonde influence sur le droit.
93200 — Muẖammad ’Abduh et Rachîd Riḏâ. Le plus célèbre des réformistes fut Muhammad ’Abduh

(1849-1905). C’est d’abord un disciple de Jamâl ad-Dîn al-Afghânî (1839-1897), avec lequel il a
souvent travaillé. ’Abduh, reprenant des idées déjà connues en Orient (Mouradgéa d’Ohsson par
exemple), pensait que les coutumes et les superstitions populaires, la pratique des juges et des potentats
locaux, déformaient le vrai visage de l’islam. Pour lui, un retour aux sources authentiques de l’islam
(Coran, Sunna) devait résoudre les problèmes du retard du droit musulman. Il préconisa donc “la
réouverture des portes de l’ijtihâd”, c’est-à-dire de la recherche de la loi de Dieu à partir des sources
fondamentales.
94Mais le procédé idéalisait trop l’histoire des origines. Malgré son effort pour introduire plus de rigueur
dans le commentaire du Coran et plus d’indépendance d’esprit dans les matières religieuses en faisant
passer la morale avant le droit, ce qui révèle ses tendances mutazilites, Muẖammad ’Abduh resta
prisonnier d’une vision totalisante de l’islam, c’est-à-dire considérant l’islam comme une totalité
autosuffisante. Or ce qui faisait problème c’était justement l’optique totalisante des sources et moins les
constructions des juristes sur ces sources. C’est pourquoi la postérité intellectuelle de Muẖammad
’Abduh ne pouvait que retomber sur les pentes traditionnelles. Son disciple Rachîd Ridâ (1865-1935)
continua certes son oeuvre, mais de manière plus conformiste, surtout après l’abolition du califat en 1924,
car il craignait, semble-t-il, que l’islam tout entier ne fût emporté par le courant laïcisant et moderniste.
95201 — Réformisme et droit musulman. Le droit de Muẖammad ’Abduh provenait du Coran et de la

Sunna “authentique”, c’est-à-dire vérifiée. Il attaqua les écoles juridiques, l’imitation servile des anciens
(le taqlîd), réclama le droit à un nouvel ijtihâd (recherche de la loi sacrée). Préoccupé surtout de faire
progresser le monde arabe, il n’hésitait pas à adopter des points de vue favorables à l’intérêt de la
communauté, fussent-ils contraires à l’orthodoxie stricte. Son orthodoxie n’a jamais été mise en doute,
quoique sa méthodologie ne le fût point, ni non plus certaines de ses solutions. Dans ce domaine, il a
d’ailleurs été l’initiateur d’une pratique contemporaine très répandue, jusqu’aux islamistes : chacun a sa
propre interprétation et ses propres solutions en droit musulman, interprétations et solutions souvent fort
éloignées du fiqh classique, et qui contribuent à une dispersion certaine des opinions actuelles.
96Même vu selon Rachîd Riḏâ, le réformisme, en admettant la reprise de l’ijtihâd, la pratique du talfîq

(mélange des rites), le recours à la raison, la supériorité de certains principes moraux sur des injonctions
particulières de la tradition, le recours à la notion classique de nécessité (ḏarûra), ou à celui d’intérêt
(maslaẖa), ouvrait la voie aux législations modernes (cf. n° 292). Par la suite certains ont soutenu que le
problème résidait dans les sources, et c’est ainsi qu’il faut comprendre le rejet de la Sunna par exemple
chez Kaddhafi ou même celui des prescriptions coraniques médinoises du Coran chez Maẖmûd Ṯaha.
97C’est grâce à l’influence réformiste que les attitudes changèrent, que l’esprit de dialogue se renforça.

Des concepts comme le jihâd (guerre sainte) furent imprégnés de sens nouveaux (tirés du fond ancien de
la Sunna) : effort vers le travail, effort de pureté. L’idée que seul le droit du culte était immuable
s’imposa, ce qui avait pour corollaire que le droit concernant les relations entre les hommes (mu’âmalât)
pouvait être adapté. De plus en plus de musulmans ont récusé l’existence de quatre écoles juridiques ou
du moins ont cherché une pratique qui synthétisât les quatre courants. C’est sous le couvert du réformisme
que les musulmans ont accepté les législations nouvelles qui faisaient usage du talfîq (mélange des rites).
§ 5 - L’Afrique du Nord. L’Afrique noire

98202 — La Tunisie. Les beys de Tunis étaient indépendants d’Istanbul depuis longtemps. Au début du

xixe siècle, le souci de Hammûda Bey (1782-1814) était de défendre sa liberté d’action vis-à-vis du dey
d’Alger (à qui il payait tribut), et vis-à-vis des puissances européennes qui voulaient des avantages
commerciaux. A l’intérieur, il fit lui aussi massacrer ses janissaires, qui complotaient contre lui (1811).
Maẖmûd Bey (1814-1824) dut promettre aux Européens la fin de la course et l’abolition de l’esclavage.
Husayn Bey (1824-1835) institua une armée régulière mais n’intervint pas contre la France qui occupait
Alger et les villes de la côte algérienne. Sous Musṯafâ Bey (1835-1837) la France empêcha une
reconquête ottomane de Tunis. Devant la pression des Français tant militaire que diplomatique, Aẖmad
Bey (1837-1855) tenta une réforme militaire qui coûta cher et échoua. Les Tunisiens, écrasés d’impôts, se
révoltaient çà et là. Istanbul cherchait à renforcer sa position à Tunis, mais la France n’y avait pas intérêt
et encourageait le bey à manifester son indépendance. Le bey fut reçu en France en 1846 comme un
souverain et il refusa d’aller en Angleterre car les Britanniques prétendaient l’accompagner d’un délégué
de la Porte. La même année, il abolit l’esclavage. La décision fut communiquée aux juges des tribunaux
religieux (il existait aussi une justice du Bey), en arguant que la loi islamique était incertaine sur ce sujet.
Une réforme de la loi pénale et civile fut entreprise où le Bey demandait que “les dispositions du code
soient en harmonie avec les besoins actuels et possibles du pays et qu’ils ne s’écartent des principes
fondamentaux de la loi religieuse qu’en cas de besoin absolu” (Bouali, p. 13 sq.). Une réforme fiscale fut
aussi mise en oeuvre.
99Muẖammad Bey Husayn (1855-1859) accepta la nouvelle réforme fiscale que lui présentait Khayr ad-

Dîn son ministre : elle instituait un impôt non coranique, la mejba, dont était exemptes certaines villes
(Tunis) et régions. La condamnation à mort d’un Juif blasphémateur en 1857, suscita un tollé en Europe.
Les consuls réclamèrent des garanties pour les non-musulmans. Finalement le bey prêta serment sur un
texte, al-’ahd al-amân, le Pacte fondamental, qui reprenait en substance le Hatti Cherif de Gülhané en
consacrant le principe de l’égalité de tous les habitants de la Tunisie sans distinction de religion. Le
commentaire de ce texte, élaboré dans différentes commissions, où siégeaient le chaykh al-islam, les
mufti-s hanéfite et malékite, des ministres (dont Khayr ad-Dîn, ministre de la marine), devint plus tard la
Loi organique, la Constitution tunisienne de 1861.
100C’est sous As-Sâdiq (1859-1882) que le texte fut achevé et adopté. Beys, ministres, gouverneurs et

notables prêtèrent serment. Le “code civil et pénal tunisien”, entrepris en 1852, fut adopté en même temps
que cette Constitution. Il organisait une hiérarchie de tribunaux laïcs, à côté des tribunaux de cadi et de
rabbins (pour les statuts personnels), et des tribunaux commerciaux. Les juges étaient en même temps
procureurs. Les dispisitions pénales étaient d’esprit égalitaire, comme le pacte fondamental, et elles
excluaient les châtiments corporels.
101Mais la situation était mauvaise : les impôts restaient abusifs, les caïds avides et impitoyables, l’armée

famélique donc pillarde, les paysans fatalistes, l’administration mal payée donc corrompue, sans oublier
les escrocs étrangers qui se multipliaient... Les hauts personnages de l’État contractaient des emprunts à
l’étranger, détournaient les fonds ou les gaspillaient, s’endettaient de nouveau... La dette tunisienne,
gonflée de ses intérêts, devint énorme. En 1863, on décida d’augmenter la mejba, et de supprimer les
exemptions. L’insurrection éclata contre cette décision et contre la Constitution rendue responsable de
tous les maux. Elle fut abolie en 1864. A la guerre répressive (atroce), s’ajoutèrent le choléra, le typhus,
les sauterelles, la sécheresse donc la famine. Une commission financière où dominaient les Français fut
instituée (1868-1869) et elle contrôla l’essentiel des revenus de l’État tunisien. La Porte tenta de
reprendre le contrôle des relations étrangères de Tunis, mais ni le bey, ni les puissances européennes n’en
tinrent compte.
102En 1873, Khayr ad-Dîn fut nommé premier ministre. A son actif il faut compter la création du collège

Sadiki (1876), dont le fruit, une nouvelle élite tunisienne, ne devait se faire sentir que bien plus tard. La
situation restant désespérée, il fut destitué en 1877. L’année suivante, un échange de lettres franco-anglais
laissa les mains libres à la France. Finalement, prenant prétexte d’une incursion de pillards en Algérie,
les Français attaquèrent par terre et par mer et imposèrent le traité du Bardo (12 mai 1881). Le bey
admettait l’occupation française jusqu’au moment où “l’administration locale (serait) en état de garantir
le maintien de l’ordre”. Au Sud, les “marabouts” (selon la terminologie coloniale) déclenchèrent une
véritable guerre sainte, et les troupes françaises durent employer toute la fin de l’année à réduire cette
résistance. Une nouvelle convention fut signée en 1883 par le nouveau bey, ’Alî Bey (1882-1902) : il
consentait au protectorat français et “à procéder aux réformes administratives, judiciaires et financières
que le gouvernement français jugera utiles”.
103203 — L’Algérie colonisée de 1830 à 1902. L’Algérie fut conquise de 1830 à 1847. Malgré l’aide

marocaine, l’émir ’Abd al-Qâdir, âme de la résistance à l’invasion, fut finalement vaincu et fait
prisonnier (1847). Par la suite le Sud fut conquis, mais diverses révoltes éclatèrent dont la plus
importante fut celle de Muqranî (1870-1871) en Kabylie.
104A l’arrivée des Français, la majorité des Algériens vivaient dans les campagnes et étaient soumis, au

civil, à leurs coutumes. Le droit musulman proprement dit ne s’appliquait que dans les villes ou les
bourgs où il y avait un cadi ou un délégué du cadi. La justice criminelle était soustraite de la compétence
des cadis au profit des autorités administratives (ẖâkim dans les villes, caïds et chaykhs dans les
campagnes) et de leurs polices. Le pays n’avait pas de tradition intellectuelle comparable à celles de la
Tunisie ou du Maroc, et le réseau d’écoles islamiques était faible. L’islam algérien était surtout
populaire, rural, confrérique.
105Les Français reconnurent le principe de la personnalité des lois et commencèrent par donner aux cadis

la plénitude de juridiction (civile et pénale). En même temps étaient créés des tribunaux français pour les
Français. En 1841, puis en 1859, on retira aux cadis leurs compétences pénales pour soumettre tous les
habitants de l’Algérie aux tribunaux criminels français, appliquant le Code pénal français et des textes
spéciaux variés. Mais, dans les territoires sans justice ordinaire, l’administration avait des pouvoirs
judiciaires. A partir de 1848, l’Algérie fut rattachée au territoire français et divisée en trois
départements. Le gouvernement général de l’Algérie fut supprimé, mais il fut rétabli sous l’Empire
(1860). Napoléon III tenta une “authentique politique d’association” (Ageron, p. 33), mais l’opposition
appuya les “colonistes” et l’affaire échoua. Le Sénatus-consulte de 1865 distingua la nationalité française
de la citoyenneté française dont ne jouissaient pas les musulmans. Ces derniers pouvaient demander leur
“naturalisation” 2 à condition d’abandonner leur statut personnel. Après la chute de l’empire, le principe
de l’assimilation triompha. Les juifs d’Algérie furent “naturalisés” en 1870 (décret Crémieux). Les
espoirs musulmans anéantis, la révolte éclata.
106La révolte de Muqrânî (1871-72) entraîna une répression assortie de confiscations et lourdes amendes.
Le plus grave fut la mise en place d’un régime disciplinaire d’exception pour les musulmans. Un “Code
de l’indigénat” (1881) énonça une série d’infractions nouvelles, vagues (comme le “refus de renseigner
les autorités”), permettant l’internement administratif. Cette répression administrative arbitraire, de
caractère politique, prononçait des peines d’internements (à Calvi), de séquestres et d’amendes (même
collectives). D’abord réserves aux maires des territoires mixtes (dans le Tell et le Sud), ces pouvoirs
furent accordés aux maires des communes de plein exercice (dans le Nord) et aux juges de paix (statuant
sans appel). Ce système était contraire au principe de la séparation des pouvoirs et à celui de la
personnalité des peines, sans compter qu’il remettait en cause les libertés publiques (liberté de réunion,
etc). En 1902 furent créées des juridictions répressives spéciales, appliquant les textes spéciaux aux
musulmans, ce qui était une nouvelle atteinte au principe de l’égalité de tous devant la loi. (voir n° 227).
107Les tribunaux dits maẖakmas appliquaient le droit musulman pour les questions de statut personnel. En

1854, ils furent soumis à un système de cours d’appel musulmanes (dites medjelès) que coiffait un
Conseil de jurisprudence. Mais dès 1859, le système d’appel était rattaché aux tribunaux civils français et
les medjelès n’eurent qu’un rôle consultatif. De plus les musulmans pouvaient opter pour le système
français (option de juridiction) qui leur appliquait toujours le statut personnel musulman (1866). Le
Conseil de jurisprudence devint le Conseil supérieur du droit musulman.
108A partir de 1870 fut menée une politique de démantèlement de la justice musulmane. En 1875 les

medjelès et le Conseil supérieur du droit musulman furent supprimés. Le nombre de juridictions de cadi
passa de 184 à 61. Les compétences du cadi furent limitées au statut personnel des musulmans, alors que
les compétences du juge de paix français s’étendaient aux musulmans en matière mobiliaire. Un droit
coutumier fut appliqué aux Berbères de Kabylie (mais pas à ceux de la petite Kabylie, ni de l’Aurès). Le
système berbère échoua (réticences des musulmans, surcharge et incompétence des juges français,
existence de tribunaux clandestins en Kabylie, etc.) (Collot, Ageron).
109204 — Le Maroc. Le souverain marocain Moulay Slimane (Sulaymân) (1792-1822) dut lutter
longtemps contre l’opposition des confréries, mais il était parvenu à rendre au Maroc une certaine
prospérité. La course était terminée, le commerce avec l’Europe se développa et les traités furent
nombreux. L’esclavage fut aboli en 1816. Le système judiciaire marocain différait peu de ce que l’on
trouvait ailleurs dans le monde musulman. D’abord la justice cadiale. Un cadi des cadis résidant à Fès
proposait au gouvernement marocain les hommes compétents pour les postes de cadi ou de professeur de
la Qarawiyyîn. Les juges se faisaient aider des adoul (’udûl, notaires-témoins). Les muftis étaient
indépendants. A cette justice s’opposait une justice administrative : celle des pachas dans les villes et des
caïds dans les campagnes. Ils aidaient le cadi à faire respecter ses décisions, mais en général ils
jugeaient eux-mêmes au pénal, sans code, se fondant sur la coutume et le bon sens (E.I. 1 et 2). Au niveau
gouvernemental il existait un ministre des injustices, qui servait de cour d’appel.
110Les ulémas persuadèrent le sultan que le commerce avec l’Europe était défavorable au Maroc et des
droits de douane prohibitifs furent établis, puis des interdictions totales. Le sultan tenta d’introduire le
wahhabisme, qui lui aurait permis de consolider la légitimité religieuse de son pouvoir tout en luttant
contre l’emprise des confréries sur le royaume. Mais le culte des saints était profondément ancré et son
interdiction fut impopulaire. Les montagnards se révoltèrent de nouveau et trouvèrent l’alliance des
confréries (en particulier des Derkaoua) hostiles au wahhabisme. Moulay Slimane, dépassé par la
révolte, cèda le trône à son neveu Moulay ’Abd ar-Raẖmân Bn Hicham (1822-1859).
111Ce dernier s’empressa de renoncer au wahhabisme. Il y eut un temps de retour à la course, vite

abandonné en raison des réactions européennes. L’alliance avec ’Abd al-Qâdir aboutit à la défaite d’Isly
(1844) et à la prise de conscience de la faiblesse de l’armée marocaine. De cette époque datent les
premières réformes de l’armée. Le commerce étant strictement monopolisé par l’État marocain, l’effort
des Européens se porta vers la rupture de ce monopole. Le traité de 1856 avec la Grande-Bretagne
marqua le début du processus de colonisation : le Maroc perdait le pouvoir de jouer sur les droits de
douane, et concédait l’exterritorialité juridique aux sujets britanniques et à leurs protégés marocains,
suivant le principe des Capitulations.
112Sous Muẖammad IV (1859-1873), après un court conflit (prise de Tétouan, 1860), le Maroc céda les
mêmes avantages à l’Espagne, plus des avantages territoriaux à Ceuta, Mellila, Ifni, et encore une lourde
indemnité... La France obtint en 1863 un traité lui permettant d’avoir des protégés marocains. La liberté
du commerce fut consacrée par un dâhir (loi) de 1864. De cette époque date la multiplication des
étrangers dans les ports du Maroc, agents consulaires, commerçants, missionnaires, etc. Le sultan opéra
une réforme administrative, en particulier pour lutter contre la corruption des finances et des douanes.
113Moulay Hassan (1873-1894) chercha aussi à réformer et développer le Maroc. Il réduisit le pouvoir
des grands caïds, réforma encore le ministère et le contrôle des finances, développa l’armée nouvelle...
Mais presque toutes les réformes échouèrent ou ne donnèrent que de maigres résultats en raison
principalement de la dépréciation de la monnaie marocaine sur les places européennes (même quand elle
était de bon aloi !), des réticences à base religieuse de la population et surtout de la rivalité des
Européens, certains, comme les Français et les Espagnols, n’ayant aucun intérêt au renforcement de l’État
marocain. Le sultan voulut aussi réformer le système de la protection qui donnait lieu à des abus. Les
Européens firent la sourde oreille à ses doléances, et à Madrid, en 1880, étendirent au contraire leurs
avantages. Dans ces conditions, tout projet de réforme judiciaire (comme en Égypte) était rendu
impossible. Les Puissances s’entendaient désormais pour se partager le Maroc. Le gouvernement
marocain n’avait plus la ressource de les opposer les unes aux autres et perdait de ce fait son
indépendance.
114La marche à la colonisation se fit suivant le même processus qu’on a vu à l’oeuvre en Perse, en Égypte,

en Tunisie : désordre, corruption et misère, gaspillages, réformes désordonnées, escroqueries des


aventuriers étrangers, endettement auprès des banques étrangères, confiscation des douanes, révoltes
désespérées, enfin occupation militaire par la puissance la mieux placée, ici la France (voir Miège).
Moulay ’Abd al-’Azîz (1894-1908), intronisé à l’âge de 14 ans, fut le jouet de ses ministres, qui
agissaient les uns pour la France, d’autres pour l’Angleterre et l’Allemagne, d’autres encore pour le repli
conservateur. La progression des Français dans le Sud à partir de leurs bases algériennes vit se dresser la
résistance du chaykh Mâ’ al-’Aynîn, qui reçut des armes du sultan. Mais il fut battu et les Français
progressèrent encore, de concert avec les Espagnols dans le Rio de Oro. Les Français signèrent des
accords en 1904 avec les Anglais, à qui ils abandonnaient l’Égypte, et avec les Espagnols, moyennant la
bande nord du Maroc. L’opposition de l’Allemagne (visite de Guillaume II à Tanger en 1905) aboutit à la
conférence d’Algésiras où les trois alliés tinrent tête au nouveau venu dans le partage (1906).
115L’acte d’Algésiras (1905), qui mettait les ports marocains sous contrôle franco-espagnol et Tanger

sous contrôle international, souleva un tollé au Maroc. D’autant que les troupes françaises occupèrent le
Maroc oriental et la ville de Casablanca (1907), après quelques assassinats d’Européens. Bientôt les
Français contrôlèrent la Chaouïa (1908) pour contenir les attaques des tribus. Moulay Hafîd (1908-
1912), frère du sultan, s’appuyant sur les ulémas, fut proclamé sultan à Marrakech. Son programme était
d’éliminer les étrangers. ’Abd al-’Azîz partit en guerre contre lui, mais Fès se rallia au prétendant tout en
réclamant une Constitution à l’image des révolutionnaires turcs et persans. Moulay Hafîd entreprit
pourtant de négocier avec les Français, qui firent traîner les négociations, mais acceptèrent finalement en
1910 d’évacuer, contre une indemnité et le droit de constituer des troupes marocaines (tabors) avec des
instructeurs français. Les Espagnols, qui avaient occupé le Rif (1909), signèrent un traité similaire, mais
continuèrent l’occupation. Des incidents à Fès (une rébellion contre le sultan) donnèrent aux Français le
prétexte nécessaire pour occuper la ville (mai 1911). L’Allemagne relança la question marocaine en
envoyant un navire de guerre à Agadir (juillet 1911). Après d’âpres négociations l’affaire se termina par
la cession d’une partie du Congo à l’Allemagne (novembre 1911). Peu après les Français contraignirent
le sultan à signer le traité de Protectorat (30 mars 1912). Moulay Hafid abdiqua en faveur de son frère,
Moulay Yûsuf (Youssef) (Miège, C.A. Julien).
116205 — L’Afrique noire. L’exemple du Soudan nilotique. Nous n’avons pas suivi l’histoire de
l’Afrique depuis son islamisation au bas moyen âge et dans les temps modernes. Au début du xixe siècle
une série de royaumes musulmans étaient établis dans la zone sahélienne, du Sénégal à l’Ethiopie :
Waalo, Fouta-Toro (Sénégal), Kaarta, Segou, Macina (Haut-Niger), Mossi (Burkina-Fasso), Sokoto
(Nord-Nigéria), Bornou, Baguirmi (lac Tchad), Ouaddai, Dâr Fûr (ouest du Soudan), Dâr Funj (Soudan
central), Éthiopie (chrétienne). Leur histoire laisse bien des questions ouvertes, plus encore pour ce qui
concerne leur évolution juridique. La colonisation, essentiellement anglaise et française, pénétra par les
côtes à l’ouest, par terre à l’est. Il y eut de vives résistances, des “révoltes de marabouts” selon la
terminologie coloniale, mais, à la fin du xixe siècle l’Afrique était soumise, partagée, exploitée. Pour
donner une idée plus précise et détaillée des droits africains, on a centré l’exposé sur un exemple unique,
celui du Soudan nilotique, moins connu du public francophone.
117Le droit musulman au Soudan ne s’est établi que progressivement à partir du xvie siècle et il
progressait grâce à l’action des commerçants et pèlerins, ou, au Dâr Fûr, du fait des crises de piété
périodiques des souverains, ou encore, au Dâr Fung, du fait des confréries islamiques. Ce droit dut
laisser une place considérable aux coutumes locales, profondément ancrées, autant qu’aux droits émanant
des roitelets du Dâr Fung ou du Dâr Fûr. La justice musulmane des cadis était donc précédée par la
justice coutumière africaine au niveau local, et coiffée, au niveau global par la justice des monarques,
souvent inspirée de coutumes africaines. Le fait essentiel au xixe siècle fut la conquête du Soudan par
Muẖammad ’Alî (1820-22), et l’introduction (anarchique) de bribes de modernisation juridique. L’Égypte
elle-même ne cessait d’hésiter entre diverses formules juridiques et la confusion se répercuta au Soudan
(détails et discussions in Bleuchot, Cultures). Le Sud, païen et inconquis, vivait selon des coutumes
africaines dont l’histoire est inconnue. Au Nord, les éléments de droit moderne qu’avait apportés la
domination égyptienne de 1822 à 1881 furent balayés par le mouvement mahdiste (1881-1898), un
mouvement radical islamique, qui avait sa propre version du droit musulman. Il se voulait comme la
restauration de la Sunna la plus pure, débarrassée des querelles d’écoles et de la technologie du fiqh. En
fait le Mahdî Muẖammad Aẖmad s’écarta souvent des solutions du fiqh et le mouvement fut condamné par
al-Azhâr pour hérésie (Bleuchot, Signification). La reconquête effectuée par les Anglo-Égyptiens fut faite
au nom du rétablissement de l’orthodoxie musulmane (Holt-Daly).
SECTION II - LE XXe SIÈCLE DU DROIT POSITIF AU
DROIT NÉO-ISLAMIQUE
118206 — Introduction. Pendant la première moitié du xxe siècle (sous-section I), le droit musulman vit

son champ se rétrécir considérablement. A l’image de ce qui s’était déjà fait dans l’Empire ottoman et
particulièrement en Égypte, on introduisit massivement un droit inspiré des droits occidentaux, que l’on a
appelé “droit positif (qânûn waḏ’î), aussi bien sous l’action des colonisateurs, que sous l’action des
régimes musulmans indépendants. Le droit musulman ne s’appliquait plus que pour le statut personnel,
sauf dans quelques pays, comme l’Arabie Saoudite. La situation ne changea qu’à la fin du siècle,
longtemps après l’obtention des indépendances (sous-section II), au moment où les mouvements
islamistes parvinrent à faire passer leur programme législatif, dans un petit nombre de pays d’ailleurs,
non sans que se pose le problème de la véritable nature de ce droit que nous avons appelé “néo-
islamique”.
SOUS-SECTION I - LA PREMIÈRE MOITIÉ DU SIÈCLE. LES
COLONISATIONS ET L’INTRODUCTION DU DROIT POSITIF

119Rappelons le plan habituel : généralités (§ 1), Orient de la Perse aux Indes néerlandaises (§ 2) ;

l’Empire ottoman (§ 3) ; le Moyen Orient arabe et les réformismes (§ 4) ; l’Afrique du Nord et l’Afrique
noire (§ 5).

§ 1 - Généralités

120207 — Islam et colonisation. On verra que les colonisateurs furent très prudents en matière de droit

musulman. La plupart des réformes qui furent tentées furent timides et ne sont pas comparables aux
réformes turques des années 1920. Les colonisateurs conservèrent le plus souvent possible l’ancien état
des choses tout simplement pour éviter les troubles et maintenir leur domination politique et économique.
L’islam a toujours été vu par les coloniaux comme contraire au développement, favorable à la
colonisation, ou renforçant la “colonisabilité” (le concept est de Malck Bennabi). Cette idée du facteur
religieux bloquant le progrès général et en particulier le progrès économique a été souvent critiquée (par
exemple. M. Rodinson, Islam et capitalisme), mais le fait est que l’idée, aussi fausse qu’on puisse la
juger, a souvent inspiré la vision des colonisateurs.
121La colonisation est avant tout une domination économique et politique. L’objectif des gouvernements

coloniaux n’a jamais été d’attaquer l’islam ou de convertir les populations. C’est une erreur d’optique,
duc à la surestimation du facteur religieux par les clercs musulmans (surestimation que relaient trop
d’orientalistes et plus tard les islamistes), qui fait voir dans la colonisation une opération anti-islamique.
Le dahir berbère ou le Congrès eucharistique de Carthage (1930), évoqués à satiété par les partisans de
l’idée d’une colonisation-croisade, ne sont que des erreurs marginales. On doit affirmer que jamais les
Églises n’ont dicté les politiques coloniales, que ce soit celle de la France ou celle de la Grande-
Bretagne ou de l’Italie, car les États européens s’étaient affranchis de la tutelle des religions depuis
longtemps. Certes, à l’époque, le dahir berbère et le Congrès de Carthage furent dénoncés par les
nationalistes qui faisaient flèche de tout bois, et qui ne se privèrent pas d’agiter des thèmes religieux.
Cependant pour les élites nationalistes, il y avait bien d’autres choses plus importantes et plus
dangereuses pour eux et pour leur pays. Elles n’ont d’ailleurs pas cessé de vilipender les ulémas et chefs
de confréries complices de la colonisation. Le califat fut aboli parce le calife complotait avec
l’Angleterre. Vrai ou fausse, l’accusation est révélatrice. On vérifiera dans l’ouvrage de G. Corm (Le
Proche-Orient éclaté, ed. 2000) à quel point cette surestimation du religieux est préjudiciable à une
perception correcte des situations et des enjeux.
122208 — Les législations coloniales et celles des États déjà indépendants au début du xxe siècle.
Comme on l’a vu l’état de choses antérieur aux colonisations différait beaucoup de la théorie classique du
fiqh et constituait souvent un compromis entre l’État et la religion. Cette situation n’avait pas besoin
d’être trop transformée par les colonisateurs, sans compter que des États, comme la Tunisie ou l’Égypte
étaient résolument entrés dans l’ère des réformes dès le xixe siècle. Dans ces pays la colonisation se
coula dans la voie ouverte par les réformes antérieures, les légitimant et se légitimant par elles. Les
formes mêmes de ces réformes furent conservées : on ne parlait pas de loi, mais de dahir au Maroc, de
décret beylical en Tunisie, etc. La nouveauté n’est donc pas la dichotomie droit positif / droit islamique,
car le droit musulman a toujours coexisté avec d’autres droits concurrents, droit régalien ou administratif,
et droit coutumier. La nouveauté, avec les colonisations, consiste d’abord dans la hiérarchisation des
deux droits : c’est le droit positif qui délimite le champ d’application du droit musulman et non l’inverse.
La nouveauté consiste ensuite et surtout dans l’ampleur de l’emprunt aux droits européens, car le droit
musulman, au début du xxe siècle était incapable de fournir les solutions nécessaires à la gestion des
sociétés industrielles complexes.
123Toutefois les situations étaient extrêmement variées d’un pays à l’autre et il faudrait les analyser

chacune séparément et longuement. D’autant plus que, en droit colonial, les systèmes de tribunaux furent
toujours complexes, le colonisateur tendant à maintenir les particularismes des minorités religieuses ou
ethniques, à étendre les droits des colons, à réformer et parfois à démanteler le système de justice
autochtone... Les solutions adoptées par des colonisateurs de nationalités différentes (français, anglais,
italien...) ont déterminé en grande partie la nature des droits arabo-musulmans à l’indépendance.
124Les États qui restèrent indépendants (Turquie, Iran) ou le devenaient (Égypte) subirent indirectement
l’influence du modèle occidental. Même en Arabie Saoudite ou en Afghanistan, on s’efforça, non sans
peines ni ruses, de moderniser. De manière générale on peut dire que l’audace réformatrice en matière
législative fut plus grande dans ces pays que dans les pays colonisés. Le pays modèle fut évidemment la
Turquie de Mustafa Kémal Ataturk qui était résolument laïque. Mais en Égypte de même, on n’hésita pas à
s’attaquer au statut personnel, domaine réservé du droit musulman. Ici ce fut le réformisme, et non pas le
laïcisme, qui guida les législateurs. En Iran aussi on codifia, plus timidement, il est vrai. Contre-
exemples, en Afghanistan et en Arabie Saoudite, les forces conservatrices étaient telles que la situation
juridique n’évolua que peu.
125Signalons enfin, pour ne plus y revenir, que les bouleversements apportés par cette époque furent

immenses, dans tous les domaines : politique (colonisations, guerres mondiales), économique (économies
capitaliste et communiste, développement de l’industrie, des transports, du commerce), sociaux
(libération des femmes, montées des classes sociales pauvres, progrès de la santé publique, etc.),
culturels (développement des sciences, nouvelles idéologies, explosion artistique..). L’impact du contexte
mondial sur le droit musulman est difficilement appréciable à cette époque, mais indéniable, car le
changement des mentalités, même dans les zones les plus reculées du monde musulman fut considérable.
On ne peut songer ici à rappeler tous les contextes, tous les facteurs, et tous leurs effets. Nous renvoyons
à la bibliographie.
§ 2 - L’Orient de la Perse aux Indes néerlandaises

126209 — De la Perse à l’Iran. Sous Muẕaffar ad-Dîn Châh (1896-1907), en 1901, la Grande Bretagne
obtint la concession exclusive pour soixante ans de l’exploitation pétrolière dans la zone non occupée par
les Russes. La rivalité anglo-russe commença à s’estomper du fait des nécessités stratégiques en Europe,
et, en 1907, par le traité de Saint-Petersbourg, les deux puissances se partageaient la Perse : le Nord
serait sous l’influence russe, le Sud-Est sous l’influence anglaise, le Centre et le Sud-Ouest seraient sous
influence conjointe, mais interdits aux troupes des deux puissances.
127A cette date la Perse avait commencé une mutation politique décisive, la révolution de 1906. En effet,
la coalition des forces hétéroclites, unies que par le refus de l’absolutisme du Châh et de la présence
étrangère, aboutit à série de manifestations exigeant une Constitution. Le Châh céda tout de suite,
convoqua une assemblée, promulgua la Loi fondamentale et le Supplément qu’on lui présentait, et mourut
peu après (1907). Inspiré par la Constitution belge, le nouveau système ignorait les théories chiites de
l’imamat, mais admettait le chiisme duodécimain comme religion d’État. Il instituait un comité de cinq
membres, avec un droit de veto sur toute législation passée par les assemblées. Mais tout le reste, dans la
Loi fondamentale et dans son Supplément, faisait diverses entorses à la loi islamique : souveraineté du
peuple, séparation des pouvoirs, égalité des musulmans et des non-musulmans, liberté d’expression
(toutefois pas contre la religion)...
128Le nouveau Chah, Muẖammad ’Alî (1907-1909), entra très vite en conflit avec l’Assemblée. Le régime
nouveau avait introduit, dès 1906, diverses réformes qui indisposaient les ulamâ’. Ces derniers,
notamment le chaykh Faḏl Allâh Nûrî, firent alliance avec le Chah, lequel ordonna la fin de l’expérience
parlementaire. Une véritable guerre civile éclata. Le siège de l’Assemblée fut bombardé. Le parti
nationaliste eut le renfort de la tribu des Bakhtiaris qui prit Téhéran, déposa le Chah et mit sur le trône
son fils, âgé de dix ans, Aẖmad Mirza (1909-1925). Le chaykh Faḏl Allâh Nûrî fut exécuté, ce qui
exaspéra l’antagonisme des modernistes et des religieux.
129La première guerre mondiale accentua l’emprise étrangère. La Perse fut occupée par les deux
puissances alliées, la Russie et l’Angleterre, en guerre contre l’Empire ottoman. Mais les Russes
évacuèrent en 1917 et l’Angleterre, pour contrer les séditions suscitées par les Allemands, occupa le
pays, sauf l’Azerbaïdjan. Le 9 août 1919 le Châh conclut avec l’Angleterre une sorte de traité de
protectorat. Le mouvement nationaliste le refusa, diverses révoltes éclatèrent en province dont certaines,
communistes, étaient appuyées par les Soviétiques. Téhéran fut même menacée par un débarquement
soviétique au Jilân (côte sud de la mer Caspienne). C’est alors qu’un coup d’État, réalisé par Reza Khân,
commandant des troupes anglo-persannes, et agissant pour le compte d’un homme politique, Tabâtâbâ’i,
renversa la situation. En mars 1921, Reza Khân entra en maître à Téhéran et fut fait ministre de la guerre
par Tabâtâbâ’i. Par la suite c’est Reza qui fit les présidents du conseils avant de le devenir lui-même
(1923).
130Le Châh Aẖmad, en fuite, fut déclaré déchu en octobre 1925. L’idée de République fut écartée, sous

l’influence des religieux (chaykh Hasan Mudarris) et Reza Pahlavi fut proclamé Châh. Il réduisit les
révoltes, s’attaqua aux féodaux, confisqua les terres, supprima les titres de noblesse, exila ou élimina les
récalcitrants. Les réformes se succédèrent rapidement : nouvelle armée, création d’une industrie,
extension de l’enseignement, des travaux publics (notamment construction du chemin de fer transiranien),
réforme de la justice et du droit (n° 210), interdiction du costume oriental et du voile des femmes
(1937)... La réforme agraire échoua cependant du fait des grands propriétaires, qui restèrent puissants, et
de la corruption, mal indéracinable. La Perse devint officiellement l’Iran en 1935 : le Châh, qui était plus
zoroastrien que musulman, revendiquait ainsi une continuité millénaire. Le régime devenait de plus en
plus despotique : presse muselée, partis supprimés, l’Assemblée (majlis) n’étant plus qu’une chambre
d’enregistrement. Cependant le Châh sut se gagner l’appui de l’ayatollah Nâ’ini, qui était ayatollah
suprême, appui qui ne lui fit pas défaut tout au long de son règne en dépit de l’audace de certaines
réformes.
131De nouveaux rapports furent établis avec les grandes puissances. En juin 1921, les traités de 1907 et
de 1919 furent dénoncés. En 1920 un traité d’amitié fut signé avec les Soviétiques qui renonçaient à tout
avantage et à toute ingérence, sauf s’ils étaient menacés par une intervention étrangère. En 1927 le
nouveau Châh mit fin au monopole britannique du pétrole. Les Capitulations furent abolies en 1927,
unilatéralement. Les ambassadeurs y avaient consenti sous réserve que le système judiciaire soit
transformé. On se hâta donc de réaliser ces réformes avant la date prévue (n° 207). La hâte explique
l’imperfection de la réforme et ses multiples amendements.
132Avant la seconde guerre mondiale, le Châh s’était appuyé sur l’Allemagne pour faire pièce aux
Britanniques et aux Soviétiques. Pendant la guerre il voulut rester neutre et conserver les techniciens et
agents allemands, contrairement aux exigences des Alliés. Ceux-ci occupèrent l’Iran et déposèrent le
Châh au profit de son fils Muẖammad (1941). Les Alliés occidentaux évacuèrent à la fin de la guerre,
mais les Soviétiques tentèrent d’implanter des “républiques démocratiques” en Azerbaïdjan et au
Kurdistan. L’Iran se plaignit à l’ONU, l’armée rouge dut évacuer en mai 1946, et les troupes du Châh
réoccupèrent les deux provinces. L’Iran ne pouvait que se tourner vers les États-Unis qui lui fournirent
des armes et un appui diplomatique constant.
133En avril 1951, l’ancien opposant revenu d’exil, Mossadegh, devint Premier ministre et nationalisa les

sociétés pétrolières britanniques. La rupture avec la Grande Bretagne ne fut pas immédiate (oct 1952), et
même après, Mossadegh jouit de la neutralité bienveillante des États-Unis. Mais en 1953, il entra en
conflit avec le Châh et les religieux. Les communistes appuyèrent alors Mossadegh, ce qui entraîna la
méfiance américaine. Après un mois de confusion, d’intrigues, de manifestations, et même un exil du
Châh, la situation fut rétablie au profit du Châh par le général Zahedi avec l’aide des services secrets
américains. L’alliance américaine était scellée pour vingt-cinq ans. L’opposition ne retint que ce point :
pour la deuxième fois, le Chah devait son trône aux Américains. Les partis politiques furent interdits. Le
pétrole iranien restait nationalisé, mais sa commercialisation dépendait d’un consortium où les Anglais et
les Américains dominaient (Mazahéri, Deriennic).
134210 — Le système juridique iranien. La première Assemblée de 1906 avait déja commencé une

réforme de la justice en créant des tribunaux d’appel à deux niveaux et en mettant à l’étude des codes à
partir de traductions de codes européens. Par la suite le nouveau système mis en place fut l’oeuvre de
Mirza Hasan Khân Pir-Niya, plusieurs fois ministre de la justice jusqu’à sa mort en 1935. Il se fit aider
par son frère Husayn, et par un juriste français Adolphe Perni. Pour tourner l’opposition des ulémas, il
adopta une stratégie efficace : un comité d’assemblée l’autorisait à mettre en application pour
expérimentation une loi et un code. L’Assemblée ne votait le texte que deux ou trois ans après (d’où, ici,
les deux dates qui suivent le titre des textes). En 1911 il fit ainsi passer une loi organisant le ministère de
la justice, et, malgré l’opposition du chaykh Hasan Mudarris, un code de procédure civile (1911-1913)
que suivit un code de procédure commerciale (1913-1914). Les tribunaux furent hiérarchisés, la
procédure fixée, les juges salariés, l’enregistrement des actes rendu obligatoire. Un code pénal, avec 14
articles imposés par les ulémas, fut seulement mis à l’essai (1913). La guerre interrompit les travaux,
mais ils reprirent vite sous Reza Khan. A côté d’un code commercial inspiré par Perni, un code pénal
nouveau fut adopté (1923-1926) : il constituait le premier vrai défi à la loi islamique.
135Sous Reza Châh, le ministre en charge en avril 1927 était Ali Akbar Davar. C’est lui qui fixa la date du

10 mai 1928 pour l’abolition des Capitulations, ce qui imposait de terminer la réforme judiciaire et le
code civil (première partie : obligations) en un an. Ce fut fait. Les différentes assemblées, où les ulémas
se firent rares, eurent la tache de modifier et de réajuster toutes les lois, dans une atmosphère très
laïcisante : code de procédure pénale (1932), code civil (statut personnel, fondé sur la loi chiite) (1935),
code de procédure civile (1939). La justice laïque s’était totalement substituée aux tribunaux religieux.
Mais les solutions de la loi islamique n’avaient pas été négligées et à l’instar de la Majalla ottomane (n
° 191), le code civil reprenait le droit musulman. Il était toutefois largement complété par du droit
français, la technique de codification française remodelant l’ensemble (Talesh).
136211 — L’Afghanistan. La Russie renonça en 1907 à étendre son influence en Afghanistan, qui resta

donc la chasse gardée de l’Angleterre. Habibu Llâh (1901-1919) ne participa pas à la première guerre
mondiale, resta soumis aux Anglais, et se soucia surtout du développement du pays. Amanu Llâh (1919-
1929), après une guerre contre l’Angleterre, obtint l’indépendance totale du pays au traité de Rawalpindi
(8 août 1919), ce qui lui valut un prestige immense. C’était un réformateur, mais il se heurta vite aux
ulémas. Il établit une Constitution en 1923, modifiée en 1924, où l’islam était la religion d’État, le rite
hanéfite le rite officiel, où les hindous et les juifs devaient payer la jizya et porter des marques
distinctives (art. 2). L’esclavage était aboli, la liberté de tous garantie, mais soumise à la religion (art 9-
10) Les ministres étaient responsables devant le Châh, mais pas devant l’Assemblée qui n’était que
consultative. D’autres assemblées consultatives furent établies aux différents niveaux administratifs. La
justice devait avoir quatre niveaux : justice de paix, première instance, cour d’appel, cour de cassation.
137Un code pénal, introduit en 1924, pourtant très respectueux du droit islamique, mais qui limitait le
pouvoir discrétionnaire du cadi en matière de ta’zîr, et établissait un système de peines graduées, dut être
amendé en sorte que la nouveauté soit inopérante (Schacht, Introduction, p. 78). Amanu Llâh se fit
proclamer roi d’Afghanistan en juin 1926. Il tenta une politique égalitairc et féministe, mais les ulémas
suscitèrent des troubles et le roi dut abdiquer en janvier 1929.
138La succession fut difficile ; un usurpateur régna un moment, mais finalement Muẖammad Nadîr Châh, un
parent d’Amanu Llâh, prit le pouvoir (1929). Il dut abandonner les réformes de son prédécesseur. Il
établit un Haut conseil des ulémas, leur rendit l’éducation et la justice, fit fermer les écoles de filles, et
favorisa les Pachtun... Pourtant, en 1931 une nouvelle Constitution plus libérale fut adoptée. L’art 2 ne
parlait plus de la jizya et des signes distinctifs. Une Assemblée nationale élue était créée, ainsi qu’un
Sénat de membres nommés par le souverain. Le ministère était responsable devant l’Assemblée. La
justice était divisée en tribunaux civils et tribunaux religieux. Les conseils de province furent désormais
élus.
139Le roi fut assassiné en 1933. Son fils, Muẖammad Zahîr Châh (1933-1973) était jeune. Son oncle
Hachcm tint la régence et sut éviter à l’Afghanistan les ennuis de la guerre. (Poulton, Esposito, E. I. 2).
140212 — L’Inde britannique. Le droit anglo-musulman. Le mouvement nationaliste en Inde commença
dès le xixe siècle, avec la fondation du Congrès national indien. Se sentant partout minoritaires, les
musulmans cherchèrent à préserver leur identité pour l’heure et pour l’avenir. En 1906 était fondée une
ligue musulmane (Ali India Muslim League). L’intelligentsia musulmane veilla jalousement sur tous les
problèmes de représentation des musulmans, de l’islam, de l’urdu contre le hindi... Cet esprit de minorité
est probablement le premier motif de la partition de l’Inde. A cette époque plusieurs mouvements
islamiques naquirent. Signalons la création d’une association des ulémas (Husayn Aẖmad Madanî), qui
s’opposa à la partition de l’Inde ; celle de la Jamâ’at Tablîghî (Muẖammad Ilyas), apolitique, mais
d’esprit fondamentaliste ; celle de la Jamâ’at islâmî (Mawdûdî), islamiste, mais qui s’opposa aussi à la
partition, en raison du peu de confiance qu’elle accordait au laïciste ’Alî Jinnah, le leader de la Ligue
musulmane.
141Pendant la période coloniale se développa une version originale du droit musulman qu’on a appelé le

droit anglo-musulman (Anglo-Muhammadan Law). Sa génèse s’explique ainsi. On a vu que les magistrats
britanniques avaient remplacé les cadis qui n’étaient donc plus en poste. L’influence de ces derniers
continua pourtant (et ce jusqu’à nos jours), soit parce qu’ils servirent d’assesseurs aux juges britanniques,
soit parce qu’ils tenaient les registres de mariage, soit parce que les musulmans continuaient de
s’adresser à eux et de régler leur différends sur une base coutumière ou à l’amiable sur leurs conseils. De
plus, les magistrats furent de plus en plus souvent recrutés parmi ces anciens cadis (après une formation
en droit anglais), en sorte que les concepts britanniques pénétraient le droit musulman. Trois éléments
doctrinaux curent une influence décisive : la doctrine du précédent qui imposa la compilation de la
jurisprudence ; le principe de “justice, équité et bonne conscience” qui permit la variation de cette
jurisprudence ; enfin la prééminence du Conseil privé de la reine, une haute cour de justice statuant à
Londres et dont la jurisprudence était supérieure. Tout cela conduisit les juges à créer un droit original
mélangeant la loi islamique, les coutumes locales, les principes d’équité et des règles logiques
autonomes. Selon Schacht (Introduction, p. 84) on a affaire à une “symbiose réussie et viable”, fondée
sur un corpus original de décisions (Fyzee). Selon Coulson ce processus se fit en toute bonne foi, étant
donné la difficulté qu’avaient les juges de savoir ce que disait la loi islamique dans des cas bien
particuliers (exemples in Coulson, chapitre 12).
142Toutefois des lois (Statutes) intervinrent assez tôt pour corriger au fond le droit musulman. En voici les
principales au début du siècle. On supprima d’abord les incapacités légales énoncées pour motif de
religion, par exemple l’interdiction d’hériter à cause de différence de religion (1850). Le Child Mariage
Restreint Act of 1929 punit les mariages des filles de moins de 14 ans et des garçons de moins de 16 ans,
mais les mariages faits en infraction de la loi restaient valides : on n’a pas usé de ruses de procédures
comme en Égypte. En revanche la Shariat Act de 1937 disposait que la charî’a devait être la loi
fondamentale de tous les musulmans en Inde pour le statut personnel (avec successions, waqf et
donations), donc tendait à écarter toute coutume contraire : ainsi la femme, qui ne pouvait hériter de par
la coutume, devint héritière de par le droit musulman. Un Statute concernant la dissolution des mariages
musulmans de 1939 adopta les principes malékites pour le divorce, mais pas exactement. L’apostasie de
la femme n’entraînait pas automatiquement le divorce, contrairement aux quatre rites. La dissolution du
mariage sur la base du non-entretien ne pouvait intervenir qu’après un délai de trois ans et la femme
devait prouver le non-entretien pour deux ans au moins, ce qui n’est pas tout à fait conforme au
malékisme. Tous les cas de divorce possibles chez Mâlik n’étaient pas repris ; la cruauté en particulier ne
fut retenue qu’en cas de traitement inégal des coépouses (ḏarar). Le mode de dissolution adopté fut celui
du faskh, rescision, qui est un divorce définitif. Selon Schacht ce texte n’est pas cohérent avec la
jurisprudence, ni même avec la loi de 1937.
143Cette application de principes anglais à des solutions musulmanes conduisit parfois à des difficultés.
On a ainsi l’exemple du waqf. En 1894 le Conseil privé de la reine soutint que, dans le cas des waqf ahlî,
l’attribution finale à des pauvres était de pure forme, et on considéra ces waqfs comme des donations
d’usufruit inaliénables aux descendants, en principe non valides en droit musulman. Cette jurisprudence
provoqua des remous, et une nouvelle loi, la Mussalman (sic) Wakf Validating Act of 1913 rétablit la loi
islamique hanéfite ; elle fut complétée en 1930 pour la rendre rétroactive (Schacht, p. 84-85).
144La cause de l’indépendance de l’Inde bénéficia surtout du prestige immense de Gandhi, apôtre de la
non-violence. Une certaine autonomie fut obtenue à travers la Constitution de 1935 (Government of India
Act of 1935). Mais la Ligue musulmane de ’Alî Jinnâh se prononça pour un État musulman séparé de
l’Inde, le Pakistan (1940). Malgré le voeu de Gandhi, l’Inde fut divisée, et, le 15 août 1947,
l’indépendance des deux pays fut proclamée. Elle commença par un bain de sang, hindous et musulmans
se massacrant horriblement.
145213 — Les Indes néerlandaises. Au début du siècle, aux Indes néerlandaises, où 90 % de la
population était musulmane, un mouvement nationaliste commença à prendre racine. Les autorités
coloniales créèrent un Conseil consultatif (1918), pour servir d’exutoire, mais le mode de suffrage
garantissait la majorité aux Européens. Sur le plan judiciaire, la réforme de 1882, instituant des tribunaux
collégiaux de cadis, fut critiquée par le grand orientaliste hollandais, Snouk Hurgronje qui dénonça ces
“tribunaux de prêtres”. Par la réforme de 1931, qui ne fut en fait appliquée qu’à Java, Madura et Bornéo
en 1937, on rétablit donc le cadi unique. On retira de sa compétence les successions et les waqf-s, pour
préserver les coutumes matrilinéaires, ce qui n’empêcha pas les justiciables musulmans d’obtenir des
cadis des fatâwâ sur ces questions.
146Le réformisme prit pied en Indonésie et en 1911 fut fondée l’organisation Muẖammadîya. Une autre
organisation musulmane importante (Sarckat islam), fondée en 1912, fut une pépinière de nationalistes.
Ces organisations rivalisaient avec le Club des ulémas (Nahdatul Ulama), d’esprit traditionnel, fondé en
1926. La totalité de la région passa aux mains des Japonais en 1942. Ils cherchèrent à se concilier les
nationalistes (libération de Sukarno). En 1943, ils mirent en place une petite armée de volontaires, noyau
de la future armée indonésienne, et au début de 1945, préparèrent l’indépendance du pays.
147Après la capitulation du Japon, Sukarno proclama l’indépendance (17 août 1945) et une Constitution

(sans référence à l’islam). Il avait réussi à écarter les partisans d’un État théocratique musulman en
soutenant que la démocratie était la meilleure chance de pérennité de l’islam. En septembre 1945, le
retour des Alliés que relayèrent les Hollandais ne se fit pas sans résistances. Ni les “opérations de
police” hollandaises, ni les manoeuvres (créations de mini-États, fédérations...) ne parvinrent à abattre la
jeune république qui avait l’appui des États-Unis et de l’ONU. En son sein un conflit existait entre le parti
national de Sukarno et les musulmans conservateurs : le premier voulait supprimer les tribunaux
islamiques, ce que les autres refusaient, créant même des tribunaux clandestins à Sumatra. En 1946 un
ministère de la religion fut créé. Les tribunaux islamiques de Sumatra furent maintenus et d’autres établis,
avec compétence en matière de waqf et de succession. Par ailleurs, des mouvements insurrectionnels de
tendance islamiste, apparemment écrasés en 1949, continuaient leur rébellion : ils n’admettaient pas la
mise à l’écart de l’État islamique et l’idéologie syncrétiste du régime. (Esposito, Cuisinier in Grousset-
Léonard, Lombart in Crouzet).

§ 3 - De l’Empire ottoman à la Turquie

148214 — La révolution “jeune turque”. Depuis longtemps divers groupes clandestins s’étaient
constitués dans le monde ottoman et en exil, en Angleterre ou en France. Ils avaient pour objectif
d’abattre le despotisme et de régénérer l’empire. Ce mouvement “jeune turc” prenait surtout parmi les
officiers, les médecins et les ’ulamâ’, mais il était divisé en deux tendances d’inégale importance. La
tendance la moins nombreuse, celle de Sabbâheddin, n’était pas hostile aux Européens. Elle prônait la
décentralisation et ralliait surtout des non-musulmans. La tendance majoritaire, celle de Ahmed Rïzâ, était
centralisatrice, hostile aux Européens et aux minorités, chrétiennes ou arabes. La première tendance est à
l’origine du Parti libéral ottoman (PLO), la seconde du Comité Union et Progrès (CUP).
149En 1905-1908, l’empire était la proie de désordres incessants dus aussi bien à l’agitation des
minorités qu’à la situation économique. Le plus grave était que l’armée se mutinait souvent pour protester
contre le retard du paiement des soldes. En juillet 1908, le CUP, bien implanté en Macédoine, prit la tête
des mutineries. Le mouvement s’étendit, réclamant le retour à la Constitution. Le sultan, qui n’était plus
obéi, céda : la Constitution fut rétablie le 22 juillet 1908, les électeurs convoqués, un nouveau ministère
nommé (Sa’îd Pacha). Les élections donnèrent une majorité écrasante au CUP, une minorité au PLO.
L’emprise du CUP sur le pouvoir ne fut assurée qu’après la mise à l’écart des grands vizirs Sa’îd Pacha,
Kâmil Pacha (PLO), et la nomination de Huseyin Hilmi Pacha (CUP) (février 1909). Mais un mouvement
de mécontents divers, qui rallia des religieux de rang inférieur (qui réclamèrent notamment le
rétablissement de la charî’a), s’empara d’Istanbul et commença à massacrer les Arméniens (13-24 avril
1909). Le sultan, ravi de cette contre-révolution, nomma un grand vizir du PLO, Ahmed Tawfiq Pacha, et
accéda à toutes les demandes du mouvement. Or l’armée de Macédoine était pour le CUP, et le 24, elle
rétablit l’ordre à Istanbul. Huseyin Hilmi Pacha reprit ses fonctions, les Chambres se réunirent de
nouveau et votèrent la déchéance de ’Abd ul-Hamîd.
150Mehmed V (1909-1918) laissa le pouvoir réel au CUP. Une série d’amendements fut ajoutée à la

Constitution : le ministère était désormais responsable devant les Chambres (août 1909). Dans l’empire
c’était une explosion de comités, de journaux, d’association féminines, de syndicats. Les associations de
races ou de nationalités furent interdites (1909) et une politique centralisatrice vigoureusement menée. Le
ministère d’Ibrahim Hakki Pacha (janvier 1910 - septembre 1911) n’avait presque plus d’opposition
depuis les journées d’avril. Le CUP y possédait des hommes à lui comme Tala’at Pacha à l’Intérieur. Il
gouvernait par des méthodes héritées de la clandestinité : son comité dirigeant était secret. En politique
extérieure, les ouvertures des Jeunes Turcs en direction de l’Angleterre et de la France furent mal
accueillies. L’Albanie entra en dissidence, dans l’union de ses communautés religieuses orthodoxe,
catholique et musulmane. Là dessus l’Italie attaqua la Tripolitaine et la Cyrénaïque (Libye) (septembre
1911), ce qui décida de la chute du cabinet. Les “occidentalistes” autant que les “ottomanistes” (partisans
de l’union des peuples) déchantaient, ce qui renforça les tendances islamisantes et nationalistes turques.
151Le ministère Mehmed Sa’îd Pacha (septembre 1911-décembre 1911) qui succéda, se heurta à une
opposition dissidente à la chambre (Parti de l’entente libérale). La Chambre fut dissoute. Au cours des
nouvelles élections, le CUP employa des méthodes déloyales et même violentes. Il gagna ces élections,
mais la menace d’intervention de certains groupes d’officiers en rupture avec le CUP amena la création
du ministère d’Ahmed Mukhtar Pacha (juillet 1912- octobre 1912), sans aucun membre du CUP. Le
gouvernement accorda l’autonomie à l’Albanie (septembre 1912) et liquida la guerre avec l’Italie en lui
cédant la Libye (Ouchy, octobre 1912). La menace autrement plus dangereuse de la guerre des Balkans l’y
contraignait. Attaqué par tous les pays balkaniques, l’Empire ottoman fut partout battu. On nomma grand
vizir Mehmet Kâmil Pacha (octobre 1912- janvier 1913), un vieil ami de l’Angleterre, espérant qu’il
sauverait quelque chose. A Londres il dut céder encore toute la Macédoine mais il refusa de livrer Edirne
(Andrinople) qui était assiégée. A Istanbul on le soupçonnait pourtant de vouloir tout lâcher, d’où le coup
d’État du CUP, dirigé par Enver Pacha (janvier 1913). Las, la guerre reprit, Edirne tomba, et le nouveau
grand vizir, Mahmud Chevket Pacha (janvier 1913-juin 1913) ne put que céder Edirne (Londres, mai
1913). Le Parti libéral, qui comptait profiter de la déception, complota. Le vizir fut assassiné le 11 juin
1913, comme coup d’envoi aux opérations. Mais le CUP réagit plus vite, proclama l’état de siège, arrêta
des centaines d’opposants, dont 16 furent condamnés à mort. Le ministère suivant, celui de Sa’îd Halîm
Pacha (juin 1913-fevrier 1917) fut entièrement dominé par le CUP. Edirne fut reprise à la faveur de la
seconde guerre des Balkans qui vit les alliés d’hier se disputer la Macédoine. Le traité de Bucarest (août
1913) consacrait cette reprise. L’honneur était sauf, mais l’Empire n’avait plus comme possessions en
Europe que la zone d’Edirne-Istanbul.
152L’année de paix (août 1913 - août 1914) fut employée à essayer de rallier les Arabes autour du
gouvernement de l’empire. On modifia l’administration locale pour les faire entrer dans les assemblées
locales. La turquification laissa une place à l’arabisation. Mais c’était “une dictature sans dictateur”
(Georgeon, in Mantran) et, malgré de touchantes scènes de fraternisation, il était trop tard (Georgeon, in
Mantran ; Shaw ; Deriennic)
153215 — L’Empire ottoman et la Grande Guerre (1914-1918). Avant même d’entrer en guerre du côté

allemand, ce que souhaitaient le sultan, le grand vizir, ainsi que les hommes clefs du CUP, Enver Pacha et
Tala’at Pacha, le gouvernement ottoman supprima unilatéralement les Capitulations et les juridictions non
ottomanes. Il ferma les Détroits, releva les droits de douane et fit cesser l’activité des postes privées
étrangères. L’idéologie des Jeunes Turcs s’était orientée vers la constitution d’une économie nationale
que tiendrait une bourgeoisie turque. La guerre, avec toutes les mesures exceptionnelles qu’elle permettait
de prendre, était l’occasion à saisir pour réaliser ce programme.
154À l’arrivée de l’or allemand à Istanbul, on déclencha les premières opérations contre la Russie,

l’ennemi héréditaire, à qui on espérait bien reprendre quelque territoire. Le 23 novembre le sultan
proclama la guerre sainte contre les ennemis de l’islam, Russie, France et Angleterre. Les officiers
allemands affluèrent dans les armées ottomanes, et les agents secrets d’Enver Pacha se répandirent dans
le monde arabe et islamique.
155La guerre commença par des désastres : échec d’Enver Pacha dans le Caucase, établissement des
Anglais à Bassora (fin 1914), échec de Djemâl Pacha contre l’Égypte (1915). Toutefois un certain
Mustafa Kemal réussit à galvaniser la résistance contre les Alliés débarqués aux Dardanelles (février
1915) et à les contraindre à rembarquer (novembre 1915). Des “événements atroces” se déroulèrent alors
en Arménie. Les populations arméniennes regroupées et déportées par les Ottomans vers le Sud,
“disparurent”. De même, l’avance russe fit apparaître un “déficit démographique” important. Il s’agit bien
sûr de massacres et de contre-massacres, par centaines de milliers (Dumont et Georgeon, in Mantran,
p. 623-25). En 1916, le Chérif de la Mecque, soutenu par la promesse anglaise (Lawrence d’Arabie) d’un
grand État arabe indépendant, appela les Arabes à la révolte. Les garnisons turques de la Mecque, de
Médine, du Yémen furent isolées et assiégées. Akaba tomba en juillet 1917 et Jérusalem fut prise à la fin
de l’année par les troupes anglaises remontant d’Égypte. Les Turcs résistaient avec acharnement. Ils
savaient, depuis que la révolution russe avait révélé les documents secrets, que la défaite signifiait pour
eux le dépeçage de l’empire et la colonisation des morceaux par cinq puissances européennes.
156A l’arrière, les poètes (Ziya Gökalp est le plus connu) chantaient les valeurs turques, le renouveau de

la nation, la nécessité de l’héroïsme, mais aussi le progrès, l’émancipation féminine. La guerre


n’interrompit pas les réformes, en particulier celles visant à la création d’une économie nationale
véritable, avec ses banques, ses usines, ses coopératives de production et de distribution... Plus d’une
centaine d’entreprises furent ainsi créées.
157Les tribunaux de cadis furent réglementés et leur compétence fut limitée dès 1913. Ils furent placés

sous le contrôle des autorités civiles, puis, en 1915 sous la férule unique du ministre de la justice. Les
ulémas furent fonctionnarisés et les écoles religieuses rattachées au ministère de l’Éducation. En 1916, le
chaykh ül-islam ne fit plus partie du cabinet et ne dirigea plus que la Direction des affaires religieuses. La
réforme la plus importante porta sur le droit familial.
158La loi de 1917 sur la famille marqua le début des réformes du statut personnel dans le monde
musulman (voir toutefois le n° 230). Le droit hanéfite fut modifié au moyen des autres rites sunnites. La
loi interdit les mariages de personnes non pubères et fixa l’âge minimum des mariés à douze ans pour les
garçons et à neuf ans pour les filles. On eut recours, pour justifier ce point, à des opinions anciennes
isolées. La loi ottomane admit aussi la validité de la condition (charṯ) interdisant une seconde épouse,
mais pas que toute l’institution du mariage soit modelée par des conditions, comme le permet le
hanbalisme. On sait que ce rite autorise toutes les conditions dans la mesure où elles ne sont pas
manifestement contraires au mariage (comme le mariage temporaire). La nouvelle loi libéralisait le
divorce : le divorce judiciaire devenait possible si l’homme était malade (malékisme) ou s’il était
incapable d’assurer l’entretien de la femme (hanbalisme). La règle hanéfite selon laquelle l’entretien
(nafaqa) de la divorcée était dû par le mari pendant un délai de viduité (’idda) de trois périodes fut
modifiée. Il y avait en effet des abus : une femme pouvait dire qu’elle n’avait pas terminé sa ’idda, et cela
pendant des années ; le hanéfisme disait alors qu’il fallait attendre que la femme ait atteint sa ménopause
(fixée à 45 ans), et que trois mois après sa ’idda était juridiquement réputée terminée. Une divorcée de
vingt ans pouvait ainsi obtenir 25 ans d’entretien. Pour les malékites, l’entretien (nafaqa) ne saurait être
versée pendant plus de neuf mois (le temps de la gestation), plus trois mois de ’idda normale. La loi
ottomane de 1917 adopta le principe malékite de la durée de la gestation (sans les trois mois
supplémentaires d’une ’idda normale) (Coulson, passim).
159La guerre se terminait. Tala’at Pacha (février 1917 - octobre 1918) rêvait encore de conquérir l’Asie

centrale. Mehmed V étant mort, Mehmet VI Vahîeddin (1918-1922) lui succéda.. Damas tomba le 1er
octobre 1918 devant l’offensive anglaise. Les Français débarquèrent à Beyrouth le 6 octobre et
enfoncèrent, sur le front de Salonique, la résistance de la Bulgarie qui signa l’armistice le 26 septembre.
Après avoir ordonné une dernière offensive à l’est, contre la Russie (en dépit de l’armistice de Brest-
Litovsk, où les Soviétiques renoncèrent à toute conquête et admirent le retour aux frontières d’avant
1876), Tala’at Pacha donna sa démission, car il ne voulait pas signer sa défaite... Ahmed Izzet Pacha
(octobre 1918 - novembre 1918) le fit à Moudros le 31 octobre 1918 (Dumont et Georgeon in Mantran,
Shaw).
160216 — Kemal Ataturk et la libération de la Turquie. Après l’armistice de Moudros, les Alliés

occupèrent Istambul et plusieurs parties de l’Anatolie, remettant l’administration aux minorités grecques
et arméniennes, qui en profitèrent souvent pour exercer des vengeances. Le gouvernement du CUP prit la
fuite, et le sultan Vahîeddin nomma un gouvernement d’Entente libérale, qui coopéra avec les Alliés et les
’ulamâ’. On en profita pour abroger la loi sur la famille de 1917, rendre aux tribunaux religieux toutes
leurs compétences traditionnelles et remettre la justice au chaykh ül-islam (Shaw, p. 333). Mais l’opinion
ne se résigna pas tout entière. On le vit bien quand les Grecs débarquèrent en Asie Mineure (juin 1919)
car ils se heurtèrent à une résistance mal organisée, mais décidée. Il en était de même pour les Français,
en Cilicie.
161Un officier de valeur, Mustafa Kemal, avait été nommé inspecteur de l’armée du Nord (mai 1919). Il

s’assura l’appui des officiers turcs, notamment de Kara Bekir qui disposait de l’armée de l’est et qui
n’avait pas rendu ses armes. Mustafa Kemal réunit un Congrès des organisations de défense des droits de
l’Anatolic orientale à Erzurum (juillet 1919) qui adopta un Pacte national. Il posait comme but
l’indépendance et l’unité de la Turquie dans les limites de l’armistice de Moudros (et l’abolition des
Capitulations, entre autres). Un autre congrès, à Sivas, comprenant des représentants de toute la Turquie
(septembre 1919) confirma le Pacte national et élit Mustafa Kemal président. Pour couper court à cette
sécession, le gouvernement ottoman organisa des élections pour un nouveau parlement (novembre 1919),
mais la majorité de ce dernier vota le Pacte national en janvier 1920. La guerre des nationalistes
continuait contre les Grecs et contre les Français arrêtés à Maras. Les Italiens avaient délimité leur zone
avec les Grecs (juillet 1919) et fournissaient des armes aux nationalistes.
162Au début de l’année 1920 le nationalistes semblaient l’emporter. Les Français négocièrent. Un
armistice fut signé le 30 mai 1920, et les Arméniens, laissés seuls, furent massacrés. Alors l’Angleterre
intervint : arrestation des nationalistes à Istanbul, dissolution du Parlement. Le sultan en appela à la
guerre contre les nationalistes rebelles au calife (avril 1920). La Grande Assemblée nationale,
convoquée à Ankara, où l’on trouvait les députés chassés d’Istanbul, élit Mustafa Kemal président (avril
1920). Les partisans du calife suscitèrent des troubles un peu partout en Anatolie. C’est à ce moment (juin
1920), qu’on connut les clauses du traité de Sèvres que Mehmed VI signa le 10 août 1920. Ce traité
prévoyait une commission des Détroits, un Kurdistan autonome, une grande Arménie indépendante,
l’attribution d’une grande partie de l’Ionie à la Grèce, un mandat français sur la Syrie, un mandat anglais
sur la Palestine et l’Irak, la restauration des Capitulations, trois zones d’influence italienne, française et
britannique en Anatolie, le contrôle des Détroits... L’opinion se renversa alors en faveur des nationalistes.
Les bandes du calife furent défaites. Peu après (août 1920), la Turquie kémaliste et le gouvernement
soviétique se reconnaissaient mutuellement. A la fin de l’année 1920, les Arméniens furent battus à l’est
par l’avancée concertée des troupes turques et soviétiques. L’armée turque (Karim Kara Bekir) reprit sur
la Russie des territoires perdus en 1878. Ces conquêtes furent confirmées par le traité d’Andrinople (3
décembre 1920), de Moscou (16 mars 1921) et de Kars (12 octobre 1921).
163En janvier 1921 Les Grecs furent stoppés par Ismet Pacha à Inönü près d’Eskichehir. L’offensive

grecque de mars échoua, mais elle réussit en juillet et les Turcs reculèrent derrière la Sakarya. Mustafa
Kemal se fit attribuer les pleins pouvoirs par la Grande Assemblée et organisa la défense. En août 1921,
après une dure bataille sur la Sakarya (du 23/8 au 13/9), les Turcs obtinrent la victoire. Les Grecs
refluèrent en désordre sur Smyrne. A la fin de l’année, les Italiens évacuèrent leur zone, mais
conservèrent le Dodécanèse. Le 20 octobre 1921 un accord avec la France fixa les frontières de la Syrie.
En été 1922 les Turcs passèrent à l’offensive. Le 9 septembre ils étaient à Smyrne et les dernières forces
grecques évacuèrent l’Anatolie le 18. Les Turcs se tournèrent alors contre Istanbul occupée. Les Anglais
et les Grecs envisageaient de continuer la lutte, mais les Français renoncèrent. Le 11 octobre 1922 fut
signé l’armistice de Mudanya. Le 1er novembre 1922, la grande Assemblée nationale vota l’abolition du
sultanat. Mehmet VI s’enfuit à bord d’un bateau anglais. Abdulmejid fut désigné par l’assemblée pour être
Calife et non sultan. Cette décision était urgente pour écarter de la conférence de Lausanne les délégués
du sultan.
164Le traité de Lausanne (24 juillet 1923) conserva à la Turquie Edirne, la frontière étant fixée sur la

Maritza. Les îles de la mer Egée furent reconnues à la Grèce, sauf Imbros et Ténédos, près des
Dardanelles, mais la Grèce devait démilitariser les îles proches du rivage turc d’Anatolie. On échangea
1 400 000 Grecs d’Asie contre 400 000 Turcs d’Europe. La souveraineté italienne sur le Dodécanèse fut
confirmée. Les Détroits pouvaient être militarisés par la Turquie. Le régime des Capitulations devait être
aboli dans un délai de cinq ans. Les Anglais et Alliés devaient évacuer Istanbul dans les six mois.
Arméniens et Kurdes étaient abandonnés. L’armée turque entra triomphalement à Istanbul le 6 octobre.
Une nouvelle assemblée élue fut réunie. Le parti du peuple de Mustafa Kémal (Cumhuriyet Halk Partisi)
la domina complètement. Le 1 3 août son chef fut élu président de l’assemblée. Le 29 octobre la
République fut proclamée (Dumont et Georgeon in Mantran, Shaw).
165217 — Les transformations de la Turquie. De 1924 à 1938, une avalanche de décisions réformatrices
furent prises, touchant surtout l’emprise du droit et des traditions islamiques. Ce fut d’abord le 3 mars
1924 l’abolition du califat, dont le siège était devenu le centre de ralliement des opposants au régime, en
premier lieu du calife, qui revendiquait divers avantages. Puis le 20 avril 1924, on vota la nouvelle
Constitution : une Assemblée élue au suffrage universel devait élire le président de la République, qui
nommait le président du gouvernement. Mustafa Kemal fut réélu à ce poste, sans interruption, jusqu’en
1938. La modification constitutionelle la plus importante fut celle de 1928. La séparation de la religion et
de l’État y était affirmée. La clause faisant de l’islam la religion d’État et de la charî’a la base de la
législation fut supprimée. En 1934, le droit de vote fut étendu aux femmes. En 1937, un amendement de la
Constitution ajouta les six principes de base de l’État turc : il était déclaré républicain, nationaliste,
populiste, étatiste, laïc et révolutionnaire.
166Mustapha Kemal gouverna de plus en plus en despote. Le parti républicain progressiste (Karabekir),

fondé en 1924, fut interdit l’année suivante. La cause en est peut être la révolte du Kurdistan (1925). Cette
révolte est remarquable. Elle fut certes séparatiste et anti-turque. Mais elle fut aussi religieuse, elle lutta
contre la laïcisation, et réclama le rétablissement du califat et de la charî’a. La répression fut dure : les
“tribunaux de l’indépendance” jugèrent et condamnèrent à tour de bras. On déporta les Kurdes, pour les
remplacer par des Turcs au Kurdistan. De nouvelles révoltes éclatèrent et furent réprimées en 1930 et
1937.
167La politique de laïcisation ne mit jamais en cause la liberté des cultes, musulman ou autre. Il n’y eut
pas de propagande athée ou hostile à l’islam en tant que tel. Ce qui était visé était la prééminence de la
religion sur le domaine public et surtout les réseaux du pouvoir religieux. Ainsi on interdit les écoles
religieuses (1925) (celles des minorités religieuses, rares depuis l’échange de population, furent
maintenues) et surtout les ordres religieux. Beaucoup de décisions laïcistes furent purement
“cosmétiques” : interdiction du port du vêtement traditionnel et du fèz, abandon du calendrier musulman
(1925), interdictions des inscriptions religieuses sur les bâtiments publics (1927). D’autres mettaient
surtout en question la prééminence de l’arabe dans la religion islamique : en 1928 on introduisit
l’alphabet latin (d’où le développement de la presse et de l’alphabétisation) ; les mots arabes furent
remplacés par des mots turcs ou français turquifiés ; les noms de ville furent aussi turquifiées (Smyrne
devint Izmir) ; en 1932 Le Coran fut lu en traduction turque dans les prières publiques ; en 1933 l’appel à
la prière et les offices religieux durent être faits en turc...
168C’est en matière juridique que la laïcisation fut la plus importante et porta réellement atteinte au droit

musulman. En 1924 l’unification des tribunaux fut effectuée par la suppression des tribunaux de cadis et
la création d’une Cour de cassation. L’adoption d’un code civil (obligations et statut personnel) repris du
droit suisse fut une véritable révolution : le mariage civil devint obligatoire, la polygamie fut interdite, le
divorce ne pouvait se faire que par la voie judiciaire (1926). Moins révolutionnaire fut l’adoption d’un
code criminel fondé sur le droit italien (1926), car le droit pénal était largement abandonné à cette
époque dans les pays musulmans. On adopta encore un code commercial pris du droit allemand (1926) et
un code de procédure criminelle calqué aussi sur le droit germanique (1928). En 1926 la vente et la
consommation d’alcool furent légalisées pour les musulmans.
169La Turquie mena une intelligente politique étrangère, cherchant la neutralité et la paix. Un traité
d’amitié et de neutralité fut signé dès 1925 avec l’URSS. La réconciliation avec la Grèce intervint en
1930 et aboutit même, en 1934 à un pacte défensif signé avec elle, la Roumanie et la Yougoslavie. Vis-à-
vis de la Grande Bretagne et de l’Irak, par le traité d’Ankara (juin 1926), la Turquie renonça à Mossoul
contre la promesse de 10 % des bénéfices sur le pétrole. En 1936, la Convention de Montreux (signée
avec la Grande Bretagne, la France, la Grèce, le Japon, la Roumanie, la Serbie, l’URSS, mais pas avec
l’Italie) confirma le droit de la Turquie au contrôle total des Détroits. Divers accords avec la France,
l’Irak, l’Iran et l’Afghanistan aboutirent à la redélimitation des frontières et la Turquie y gagna
Alexandrette. En 1938, Ismet Inönü succéda à Atatürk décédé. Par une politique habile, il réussit le tour
de force de maintenir la Turquie dans la neutralité alors que tous ses voisins connurent la guerre. En 1945
seulement, la Turquie déclara la guerre à l’Allemagne, pour entrer à l’ONU.
170En 1945, sur le plan intérieur, Inönü admit le multipartisme. Un deuxième parti politique (Demokrat

partisi) (Kelal Bayar, Menderes) fut créé et il resta dans le consensus kémaliste. Un parti socialiste (de
tendance communiste) créé en 1946, fut toutefois interdit en décembre. Le parti démocrate parvint au
pouvoir en 1946 et en 1947 assouplit le régime laïc : le premier ministre Hasan Saka, autorisa
l’enseignement religieux dans les écoles publiques. La Turquie bénéficia du plan Marshall à partir de
1947. Elle vota contre le plan de partage de la Palestine, mais reconnut Israël en 1949. Elle ne s’opposa
pas au rattachement du Dodécanèse italien à la Grèce (1948) (Shaw, Deriennic).

§ 4 - Le Moyen orient arabe

171218 — L’Égypte sous l’occupation anglaise (1881-1922). L’Égypte continua sa modernisation sous la

domination anglaise, pendant que sa vie intellectuelle était plus active que jamais. En 1913, le Conseil
législatif fut réuni à l’Assemblée législative. En matière juridique, les modifications de 1907 du code
pénal et du code de procédure pénale indigènes introduisirent des retouches inspirées du code pénal
soudanais et des codes italien et belge. Un projet de codification des lois sur le mariage et le divorce,
issu du ministère de la justice, et inspiré par le code de Qadri Pacha, ne fut pas adopté. Un autre, en
matière pénale, voulait serrer plus étroitement le code pénal soudanais (code Macaulay) (projet
Brunyate), mais il ne fut pas adopté non plus, les Égyptiens ayant manifesté leur hostilité. On se contenta
de la loi n° 25 de 1920 sur le droit familial. Elle s’écartait de la doctrine hanéfite dominante pour adopter
une opinion hanéfite minoritaire, ou pour suivre la doctrine d’un autre rite sunnite (malékite surtout).
Écrite dans le langage de fuqahâ’, elle revient à établir une durée minimum et maximum pour le délai de
viduité (un à trois ans). Elle définit la pension alimentaire comme une dette conformément au droit
malékite et contrairement au droit hanéfite ; elle devait être versée sous peine de divorce judiciaire,
même s’il existait des biens appartenant au mari. La loi autorisait le divorce judiciaire, sur demande de la
femme, en cas de disparition du mari pendant plus de quatre ans ou de maladie incurable.
172En 1914, la suzeraineté ottomane fut abolie et le protectorat britannique établi (18 décembre). ’Abbâs
II, pro-turc, fut déposé et remplacé par Husayn Kâmil avec le titre de sultan, ce qui indiquait clairement
que tout lien avec Istanbul était désormais rompu. Les attaques ottomanes pour reprendre l’Égypte à partir
du Sinaï échouèrent et, en 1916, ce sont au contraire les troupes anglaises qui occupèrent la péninsule. Du
côté libyen, les attaques de la confrérie sanûsîya, la seule qui obéit au mot d’ordre de la guerre sainte
lancé par Istanbul, échouèrent aussi devant les défenses anglaises. En 1917 le sultan d’Égypte, Husayn,
mourut et son frère Aẖmad Fu’âd lui succéda. La fin de la guerre amena les nationalistes à réclamer
l’indépendance. Ils formèrent une délégation pour participer à la commission d’armistice, mais elle ne fut
pas autorisée à quitter l’Égypte. Le peuple égyptien, durement touché par les privations de la guerre,
soutint par des pétitions ses nouvelles élites qui avaient formé le parti politique Wafd (délégation). Le
sultan Fu’âd faisait de même. L’arrestation de Sa’ad Zaghlûl par les autorités coloniales déclencha des
insurrections populaires (mars 1919). Finalement libéré et autorisé à se rendre à Paris, Sa’ad Zaghlûl
n’obtint rien, pendant que la répression était incapable de rétablir le calme. Un rapport d’expertise, le
rapport Milner, conclut à la nécessité de l’indépendance égyptienne. Mais les négociations n’aboutirent
pas, les nationalistes ne voulant pas faire de concessions aux Anglais, à l’inverse du sultan. Finalement,
l’indépendance de l’Égypte fut décidée le 21 janvier 1922 par une déclaration unilatérale de
l’Angleterre : le protectorat était supprimé, mais l’Angleterre se réservait quatre domaines, la défense,
les communications, la protection des étrangers et des minorités et l’administration du Soudan.
173219— L’Égypte de 1922 à 1944. Le sultan Fu’âd prit le titre de roi le 15 mars 1923 et promulgua une

Constitution, imitée de la Constitution belge et ottomane. Le Parlement était composé de deux chambres :
un Sénat (dont les deux tiers des membres nommés par le roi) ; une Chambre élue au suffrage universel
indirect comme le reste du Sénat. Le gouvernement était responsable devant la Chambre, mais le roi
gardait le droit de veto sur les lois et le pouvoir de dissoudre la Chambre. Sa’ad Zaghlûl devint Premier
ministre en 1923 et en 1924 le Wafd obtint la majorité à la Chambre. Il vota l’établissement du suffrage
universel direct. L’indépendance de l’Égypte marqua la prise de pouvoir d’une bourgeoisie et d’une élite
intellectuelle nouvelles, formées tout au long du xixe siècle, et qui se distingue des élites religieuses
traditionnelles.
174La question essentielle était de définir les rapports entre l’Égypte et l’Angleterre, mais on ne parvint

pas à un accord sous le règne de Fu’âd. Les nationalistes voulaient une indépendance totale et la
souveraineté sur le Soudan. Les Britanniques voulaient conserver le Soudan et le contrôle militaire de
l’Égypte et que cet accord soit accepté par le Wafd (majoritaire jusqu’en 1938). Le Roi était pour une
solution moyenne. L’assassinat de Sir Lee Stack, sirdar du Soudan, servit de prétexte aux Anglais pour
obtenir le départ de Sa’ad Zaghlûl. Pendant plus d’une dizaine d’années la situation resta bloquée. Le roi
gouverna le plus souvent contre la Chambre (détails in Colombe), sauf en 1927-28 (Naẖẖâs Pacha). En
1930, avec le ministre Isma’îl Sidqî, une nouvelle Constitution (où la Chambre était élue au suffrage
censitaire indirect), ne parvint pas à stabiliser la situation politique, ni à obtenir le calme dans le pays où
les accrochages avec les Anglais et les assassinats politiques continuaient. La Constitution de 1923 fut
rétablie en 1935.
175Malgré la confusion politique, deux lois importantes relatives au statut personnel furent adoptées. La

première est la loi n° 25 de 1929. Elle reprenait et complétait celle de 1920. Dans certains cas elle
empêchait les abus possibles contre les maris : désormais la durée de la gestation était réduite à un an et
la dette de pension était prescrite au bout de trois ans. Mais l’essentiel de la loi continuait de préserver la
femme : la disparition était définie comme une absence prolongée sans motif légitime (l’emprisonnement
était un motif illégitime), ce qui revenait à ne plus prendre en considération les causes de l’absence du
mari, conformément au droit malékite, et contrairement au droit hanbalite. Pour demander le divorce, la
femme pouvait désormais invoquer les mauvais traitements, et si elle parvenait à le prouver, le divorce
était prononcé. Sinon des arbitres étaient nommés : s’ils constataient la mauvaise volonté du mari, le
divorce était prononcé ; s’il s’agissait de celle de la femme, elle devait entamer la procédure de khul’,
c’est-à-dire qu’elle devait racheter sa libération. La loi introduisait aussi un contrôle de la répudiation
par le biais de l’enregistrement administratif. Les répudiations en état d’ivresse, ou conditionnelles, ou
sous la contrainte, ou ambiguës, ou faites en une fois pour valoir trois furent déclarées non advenues.
176L’autre loi fut la loi 78 de 1931 sur l’organisation des tribunaux de cadis. Elle interdit aux juges de

prendre en considération un mariage non établi par un certificat officiel. Or, depuis une loi de 1923, ce
certificat officiel ne pouvait pas être obtenu si la mariée avait moins de seize ans et le marié moins de
dix-huit ans. En théorie la loi islamique demeurait, en pratique le droit des tuteurs de marier des enfants
mineurs était annulé. La procédure devenait un moyen détourné et efficace de modifier la loi islamique.
Malgré tout, les réformistes et le roi étaient prudents et se heurtaient à une vive opposition, tant de la part
des ulémas conservateurs que de la part des diverses tendances réformistes. On le vit bien en 1926,
quand des propositions de modifier le contrat de mariage en généralisant la légalité des churûṯ (pl. de
charṯ, condition) hanbalites (dans le but d’interdire la polygamie) furent écartées. C’est aussi à cette
époque que le chaykh ’Alî ’Abd ar-Râziq fut exclu d’al-Azhar pour son livre sur le califat. Plus tard,
contre d’autres écrivains (Taha Husayn, Mansour Fahmy), on fera appel à la rue.
177Ce furent les menaces italiennes (en Libye, en Éthiopie) qui amenèrent une certaine stabilisation
politique, le Wafd, démocrate, se rendant compte que l’appui anglais allait devenir indispensable dans le
conflit à venir contre les dictatures. Fu’ad étant mort en 1936, son fils Fârûq lui succéda. Enfin en 1936,
le traité anglo-égyptien fut signé entre l’Égypte (Naẖẖâs Pacha) et l’Angleterre. Il confirmait
l’indépendance de l’Égypte, qui acceptait le stationnement de troupes britanniques alliées sur son
territoire. Les Capitulations étaient abolies et les tribunaux mixtes devaient être supprimés dans un délai
de 12 ans. Tous les résidents étrangers étaient donc soumis aux codes indigènes (ahlî) dits désormais
nationaux (qawmî). En 1937 un code pénal largement inspiré des codes pénaux mixtes et indigènes et du
code italien fut promulgué. Un code civil (propriété et obligations) fut mis à l’étude sous la direction de
’Abd ar-Razzâq as-Sanhûrî Pacha.
178Entre-temps on assista à une réaction islamique assez générale. En 1928 avait été créé un mouvement
politico-religieux, celui des Frères musulmans (voir n° 234) qui profita de la lassitude envers le Wafd et
des craintes engendrées par sa politique juridique. Le roi Fârûq était favorable au sentiment commun et à
al-Azhar. Il chercha à s’appuyer sur le sentiment religieux pour faire échec au Wafd, et il y parvint en
1938. Le Wafd perdit les élections devant un concurrent dissident, le parti saadiste (’Alî Mâhir Pacha).
Cette désaffection n’était que passagère. Malgré sa misère, le peuple faisait bloc sur des thèmes
nationalistes et soutenait la bourgeoisie largement dominante dans les partis.
179Le Wafd collabora avec les Anglais contre les Allemands pendant la guerre. D’autres nationalistes (de
divers partis et dans l’entourage du roi) cherchèrent l’alliance avec l’Axe. En 1942, Les Anglais
imposèrent un ministère wafd (Naẖẖâs Pacha). La défaite de Rommel éloigna le danger, mais le Wafd
était apparu comme l’agent de l’Angleterre, ce qui lui fit perdre son prestige. La vie politique égyptienne
resta agitée. En 1944, le Roi congédia Naẖẖâs Pacha (Colombe, Deriennic).
180220 — La Syrie sous mandat français. La révolte arabe et l’effondrement de l’Empire ottoman (fin

1918) aboutirent à l’occupation du pays par des troupes françaises, anglaises et arabes. Ces dernières
étaient dirigées par Faysal, troisième fils du chérif Husayn de la Mecque. A Londres et à Paris, Faysal,
accompagné de Lawrence d’Arabie, ne put obtenir la reconnaissance de l’indépendance de la Syrie
(1919). Un congrès général, réuni par les nationalistes syriens (Parti de l’indépendance syrienne)
proclama l’indépendance de la Syrie (y compris la Palestine, le Liban et Alexandrette) sous la royauté de
Faysal (mars 1920). Mais à San Remo, les Français et les Anglais se partagèrent le pays, dans la ligne
des accords Sykes-Picot de 1916 (avril 1920), ce qui fut reconnu plus tard par la Société des Nations
(SDN) en 1922. En juillet 1920 le roi Faysal accepta le mandat français et par là même paralysa l’action
des nationalistes. Les Français ne reconnurent pourtant pas Faysal qu’ils considéraient comme un agent
anglais, et les troupes du général Gouraud conquirent le pays.
181En Syrie il existait des forces centrifuges puissantes (particularismes druze, alaouite, turc...) et des
forces centripètes (nationalisme arabe). Les Français s’appuyèrent sur les premières pour faire pièce aux
secondes dans lesquelles ils voyaient surtout des manoeuvres anglaises. C’est pourquoi les notables
locaux curent satisfaction et que le pays fut divisé en cinq États, le Liban (cf. n° 221), Damas, Alep,
Djebel alaouite, Djebel druze (1920-1922). Par réaction le nationalisme s’en trouva renforcé et les
particularismes discrédités. La révolte druze de 1925 prit ainsi rapidement un tour nationaliste dans le
reste du pays. Cette révolte ne fut réduite qu’en été 1926.
182Il fallait donc donner voix au nationalisme. Une Assemblée constituante élue fut mise en place.
Majoritairement nationaliste, elle vota une Constitution incluant le Liban dans le territoire syrien, et
impliquant la fin du mandat (1928). Le Haut commissaire français ne pouvait que refuser et l’Assemblée
fut dissoute. De nouvelles élections et une nouvelle Assemblée donnèrent de nouveau la majorité aux
nationalistes (1932). Faute d’un accord possible, l’Assemblée fut suspendue (1934). Le Front populaire,
au pouvoir en France en 1936, négocia et on signa un traité prévoyant l’indépendance dans les trois ans
assortie d’une alliance franco-syrienne. Il ne fut pas ratifié du côté français. En 1938-1939, divers
accords avec la Turquie aboutirent au rattachement d’Alexandrette à la Turquie au vif mécontentement des
Syriens.
183Après l’installation du régime de Vichy en France (1940), le général Dentz aida, en 1941,
l’intervention de l’aviation allemande en Iraq, ce qui par contre-coup amena la conquête de la Syrie par
les troupes anglaises et françaises libres. Le général Catroux, gaulliste, proclama l’indépendance de la
Syrie le 27 septembre 1941. Les Français auraient voulu maintenir leur présence sur la base de traités
similaires à ceux de 1936, mais l’heure était passée. Des émeutes nationalistes éclatèrent en mai 1945 et
la répression commença (bombardement de Damas). Le commandement militaire anglais exigea alors un
cessez-le-feu et le cantonnement des troupes françaises, ce que De Gaulle dut accepter. Les pouvoirs
furent alors remis aux Syriens sous la pression des Anglo-saxons et de la Ligue arabe (créée en mars
1945). Les fonctionnaires et soldats français évacuèrent à la fin de 1945, suivis peu après par les
Anglais.
184Pendant toute la période du mandat français, le système du droit ottoman continua de s’appliquer : pour

le statut personnel le droit musulman hanéfite et la loi de 1917 ; la Mejelle pour le droit civil (propriété,
obligations) ; le code de 1858 pour le droit pénal (Deriennic, Esposito, Rondot).
185221 — Le Liban sous mandat français. En 1920 les Français décidèrent la séparation du Liban d’avec

la Syrie, État qui fut reconnu en 1922 par la Société des Nations. S’appuyant sur les minorités, les
autorités coloniales parvinrent à s’imposer dans le pays. En 1926 une Constitution de la République du
Liban mit en oeuvre le principe du partage du pouvoir au prorata des minorités. En 1936, un traité
d’indépendance similaire à celui de la Syrie fut ratifié au Liban, mais pas en France.
186À la suite de l’occupation des troupes anglaises et françaises libres et des élections qui suivirent,

Bichâra al-Khûrî devint le premier président du Liban indépendant. L’activité nationaliste libanaise,
soutenue par la politique anglaise, aboutit à une passation effective des pouvoirs et à l’évacuation des
troupes françaises et anglaises en 1946. Le pacte national des nationalistes maintint le principe du
confessionnalisme : le président devait être chrétien maronite, le premier ministre sunnite et le président
de l’assemblée chiite. La Syrie refusa de reconnaître le Liban. Ce dernier vécut dans une certaine
stabilité jusque vers 1956, sans trop s’impliquer dans les affaires moyen-orientales.
187Du point de vue juridique, la loi ottomane continua d’abord de s’appliquer. Puis, en 1930, un code

libanais de la propriété foncière fut promulgué. Il fut suivi, en 1932, d’un code des obligations. Les deux
contiennent des institutions tirées du droit islamique, dans un ensemble de droit français. En 1943, un
code pénal inspiré des codes français, italien et suisse remplaça le code pénal ottoman de 1858 qui
s’appliquait jusqu’ici. Le droit personnel restait soumis à la loi ottomane de 1917 ce que confirma la loi
241 de 1942 (Deriennic, Alem-Bourrat).
188222 — La Palestine sous mandat anglais. Favoriser le développement du foyer national juif sans
porter atteinte aux droits de la population arabe, telle était la mission impossible confiée par la SDN au
mandat britannique (1922).
189A la fin du xixe siècle il existait déjà en Palestine une quinzaine de villages juifs, que continuait
d’alimenter l’immigration de ceux qui fuyaient les pogroms (Russie, 1881, 1882, 1903...). Le nombre des
Juifs atteignait 24 000 en 1880. C’est alors que Théodore Herzl, auteur de L’État juif (1895), fonda le
mouvement sioniste (Bâle, 1897), qui avait pour objectif la formation d’un État juif. L’immigration
continua et Tel-Aviv était déjà un centre juif important à la veille de la première guerre mondiale.
190On a dit que les promesses de l’anglais Lawrence d’Arabie aux Arabes qu’il incitait à la révolte
contre l’Empire ottoman, furent trahies par les accords franco-anglais (Sikes-Picot) de 1916, qui
prévoyaient un partage du Moyen Orient entre les deux puissances. Elles le furent une seconde fois par la
déclaration Balfour, du 2 novembre 1917, obtenue par le juif anglais Chaïm Weizman, qui promettait la
création d’un foyer national juif en Palestine. Weizmann obtint aussi l’accord de l’émir Faysal, fils du
chérif de la Mecque et allié des Anglais dans la révolte arabe, qui admit un foyer juif dans le futur État
arabe (1919). A cette date, les Juifs étaient au nombre de 58 000 (8 % de la population palestinienne).
Entre-temps, les Ottomans étaient défaits et les Alliés européens occupaient la région. La conférence de
San Remo (1920) confirma la déclaration Balfour, et la SDN confia à l’Angleterre le mandat sur la
Palestine (1922).
191Dès 1921 les premiers accrochages se produisent entre Juifs et Arabes. Les gouvernements fascistes
attisant la haine contre les Juifs en Europe, l’immigration juive en Palestine s’amplifia, et l’Agence juive,
l’organisme dirigeant le Foyer juif, devenait une puissance en Palestine. En 1936, une véritable révolte
arabe éclata, et par suite les Anglais prirent des mesures restrictives contre l’immigration juive, pendant
que certains Juifs songeaient à une lutte armée contre l’Angleterre (Parti de la révision). Collaborant avec
les Anglais tant qu’il s’agissait de lutter contre l’avance allemande en Libye (une Brigade juive fut
incorporée dans l’armée anglaise), les Juifs, au lendemain de la guerre étaient toujours empêchés
d’immigrer en masse. Les groupes Stern et Irgoun, issus du Parti de la Révision, entreprirent alors des
activités terroristes contre les troupes d’occupation. L’ordre n’étant plus maintenu, l’Angleterre se
résigna à remettre la question à l’ONU qui décida le partage entre un État arabe et un État juif (27
novembre 1947). Les affrontements entre Juifs et Arabes commencèrent, en particulier pour le contrôle de
la route Tell-Aviv-Jérusalem. Le 14 mai 1948, la veille de l’expiration du mandat britannique, Ben
Gourion proclama l’indépendance d’Israël. Les pays arabes ne reconnurent pas l’État juif, et lancèrent
leurs armées en Palestine (Égypte, Jordanie, Syrie, Irak, avec des contingents libanais, saoudiens,
tunisiens...). Les Palestiniens arabes quittèrent le pays en masse, après le massacre de Deir Yassine
perpétré par le groupe Stern. La guerre, entrecoupée de longues trêves, dura jusqu’en janvier 1949 et
divers accords d’armistice furent signés entre les belligérants.
192En matière juridique l’époque du mandat fut gouvernée par le pragmatisme britannique. Conservateurs,

les Anglais décidèrent de n’adopter la Common Law et ses principes d’équité que si l’insuffisance du
droit local devenait manifeste (art 46, Palestine Order in Council, 1922). En matière de droit civil
(propriété, obligations), la Mejelle ottomane continua de s’appliquer. Mais comme elle était fondée sur
une logique différente de la logique des magistrats anglais, un glissement se produisit vers la Common
Law. Des lois (Statutes) vinrent aussi modifier les règles des faillites, des effets de commerce, des
sociétés. En matière pénale, on maintint le droit ottoman (code de 1858, inspiré du droit français), puis on
adopta un code spécial, élaboré d’abord pour Chypre, et qui conservait certaines dispositions ottomanes.
Ce fut le Criminal Code Ordonance (1936). En son art. 4, il énonçait que l’interprétation du code devait
être faite suivant les principes du droit anglais, ce qui en pratique compliqua les choses. Ce code servit
de base au code israélien de 1977, mais l’art. 4 fut supprimé. En matière de statut personnel musulman,
rien ne fut changé et la loi ottomane s’appliqua, c’est-à-dire la loi hanéfite non codifiée, mais modifiée
par la loi de 1917. Pour certaines matières du statut personnel (tutelle, successions, pension alimentaires)
l’option était ouverte entre le système de droit religieux ou le système civil de droit ottomano-anglais
(Bin-Nun ; Klein).
193223 — La Jordanie sous mandat anglais. En 1921 ’Abd Allâh accepta de renoncer à l’Iraq et de
diriger l’émirat de Transjordanie, séparé de la Palestine, sous mandat anglais. La Grande Bretagne prit en
charge les dépenses publiques et la constitution d’une petite armée. Akaba et sa région y furent rattachées
en 1924. C’était un pays peu peuplé, calme, presque totalement composé de musulmans sunnites. La loi
ottomane demeura en vigueur avec quelques retouches faites en 1927, d’ailleurs abrogées en 1943.
194Le 22 mars 1946, l’émir signa un traité organisant la fin du mandat anglais sur la base d’une
occupation-alliance avec la Grande Bretagne. La Transjordanie devint le royaume de Jordanie. En 1948
un traité de défense commune permit à la Grande Bretagne de maintenir une base aérienne (jusqu’en
1956) (Deriennic).
195224 — L’Irak, du mandat à l’indépendance. Occupé pendant la première guerre mondiale par les

troupes anglaises de l’Inde, l’Iraq fut officiellement constitué en 1920 sous mandat britannique. Le pays
comprenait des communautés religieuses ou ethniques importantes : sunnites (20 %), chiites (55 %),
chrétiens (5 %), Kurdes (20 %). En juillet 1920 une insurrection anti-anglaise éclata, mais elle fut
durement réprimée. Les nationalistes irakiens avaient choisi comme roi ’Abd Allâh, le deuxième fils du
chérif Husayn. Mais Faysal, le troisième fils, refusé par les Français en Syrie, devait être proclamé roi
d’Iraq, après un plébiscite, pendant que ’Abd Allâh se contentait de la Transjordanie. En 1925 une
constitution fut adoptée : le gouvernement était responsable devant une Chambre élue au suffrage
indirect ; le Sénat était entièrement nommé par le roi. Dès 1930, les Anglais accordèrent l’indépendance
à l’Iraq, mais elle était assortie d’une alliance-occupation. Faysal mourut en 1933 et son fils Ghazî lui
succéda (1933-1939).
196Un traité avec l’Arabie Saoudite (1932) régla le problème des frontières. De très dures révoltes kurdes

eurent lieu, notamment en 1931. En 1936 par une sorte de coup d’État, l’armée iraqienne (Hikmet
Sulaymân) fit triompher l’influence turque. Le pacte de Saadabad signé avec l’Iran et la Turquie (1937)
consacrait la fin des espoirs kurdes d’autonomie. Les Arabes d’Iraq furent mécontents des concessions
frontalières faites à l’Iran dans le Chuṯṯ al-’Arab. En 1937, Hikmet Sulaymân fut assassiné et la politique
pro-arabe reprise sous la direction de Nûrî Sa’îd. En 1939, le roi Ghâzî se tua dans un accident et son fils
Faysal II, encore mineur, lui succéda. En 1941 des officiers favorables à la cause nazie tentèrent de
maintenir la neutralité de l’Iraq. Ils furent soutenus par l’aviation allemande basée en Syrie. Mais les
forces anglaises (aidées par la légion jordanienne et les Français libres) réinstallèrent Nûrî Sa’îd en Iraq
et se portèrent alors contre les Français de Syrie (dépendants de Vichy).
197Du point de vue juridique, le commandement anglais promulgua, en 1918, un Code des principes
directeurs en matière de jugements répressifs de Baghdad, dit Code de Baghdad. Il était inspiré du code
pénal soudanais, du code ottoman (de 1858) et du projet de code égyptien de 1917 (projet Brunyate). Les
affaires de statut personnel des sunnites étaient jugées par des tribunaux spéciaux coiffés d’une Cour de
révision (majlis tamyîz char’î). La loi applicable était le droit hanéfite, tel que modifié en 1917. Les
affaires de droit civil (obligations, contrats) étaient jugées par des tribunaux civils suivant la Mejelle. Ils
jugeaient aussi les affaires de statut personnel des chiites (ja’farites). En 1923 on établit des tribunaux
chiites pour le statut personnel sur le modèle sunnite, c’est-à-dire avec un majlis tamyîz (Deriennic,
Esposito, El-Alami-Hinchcliffe).
198225 — La péninsule arabique. Avec la révolte arabe et l’effondrement ottoman, cinq princes se
retrouvèrent indépendants, ceux du Hedjaz, de l’Assir, du Yémen, du Chammar et du Nejd. Dans ce
dernier, depuis 1902, ’Abd al-’Azîz Bn Sa’ûd, avait reconstitué une force considérable de frères
wahhabites. Il s’empara du Chammar, l’ennemi héréditaire, en 1921. En 1924, le chérif Husayn se
proclama calife ce qui suscita la désapprobation du monde musulman., Ibn Sa’ûd mit l’affaire à profit et
conquit la Mecque où il se proclama roi du Hedjaz. Une guerre avec le Yémen se termina par la fixation
des frontières. En 1933 la découverte du pétrole en immense quantité allait permettre à l’Arabie de
devenir peu à peu une puissance dominante au Moyen Orient.
199Le programme des frères wahhabites fut repris au début : destruction des tombeaux des saints,
réorganisation du pèlerinage de la Mecque, mise au pas des chiites d’Arabie. Le mouvement wahhabite
finit même par s’opposer à Ibn Sa’ûd, jugé trop ouvert aux États mécréants. Il fomenta des révoltes qui
furent écrasées en 1929. C’est une version plus strictement hanbalite du sunnisme qui devint la doctrine
officielle de l’Arabie (Laoust, Schismes, p. 327-332). Le droit hanbalite était appliqué par des tribunaux
de cadis, mais aussi par des gouverneurs dans la partie orientale du pays. Du point de vue juridique la
position des ulamâ’ hanbalites devint très forte et ne laissait place à aucune compromission. La tentative
d’Ibn Sa’ûd, en 1927, de codifier le droit hanbalite en y supprimant les divergences par un choix des
meilleures opinions selon les vues d’Ibn Taymîya, se heurta à l’opposition des ’ulamâ’. De même les
tribunaux de commerce, créés en 1931, furent supprimés peu après. Mais très tôt on adopta des lois, qui
portent le nom de nizâm (ordonnances) ou marsûm (décrets) et non celui de qânûn, employé en Égypte.
Elles venaient compléter la loi hanbalite pour les matières où elle était insuffisante ou silencieuse : droit
du travail, accidents de la route, véhicules, peines d’amendes et d’emprisonnement complémentaires
(ta’zîr) (Schacht, Introduction, p. 78).

§ 5 - L’Afrique du Nord. L’Afrique noire

200226 — La Tunisie sous le Protectorat français. La Tunisie fut mise sous protectorat en 1881. En

matière juridique les Français laissèrent subsister les juridictions tunisiennes existantes. Il y avait la
justice des cadi, contre lesquels on pouvait faire appel au Diwân du Bey. Existait aussi une justice non
religieuse (tribunaux cantonaux et régionaux contrôlés par l’Ouzara, le ministère de la justice). Un
tribunal de l’Orf (’urf, coutume) réglait les litiges commerciaux à Tunis. Un système de tribunaux français
fut créé parallèlement, avec une Cour d’appel à Tunis (1941).
201Le droit pénal tunisien fut codifié en 1913. Le code n’est pas d’inspiration exclusivement française. On
y avait admis l’institution de la diya, (mais elle fut supprimée en 1921). En 1906 un code des obligations
et des contrats, fondé sur des sources islamiques, fut adopté. C’était une partie du Code Santillana (ob.
1931), mis au point en 1899, qui conciliait en grande partie le droit musulman et le droit romain. En
matière de statut personnel, le rite hanéfite fut reconnu à côté du rite malékite. Aucun statut coutumier ne
fut défini, vu le faible nombre de Berbères. A une date que nous n’avons pas pu déterminer, le mufti
malékite désigna une commission pour faire un code de statut personnel combinant les doctrines malékite
et hanéfite, mais le projet n’aboutit pas (Schacht, Introduction, p. 92). Une réforme des tutelles fut aussi
réalisée (ordonnance beylicale du 30 octobre 1934). Une autre fixa le montant maximal de la dot et du
trousseau (mai 1941) (Sana’ Ben Achour).
202Mais les efforts de Khayr ad-Dîn avaient porté leurs fruits dès avant la première guerre mondiale. Une

nouvelle élite, celle des “sadikiens” (formés au collèges Sadiki) (Sraïeb) commença la longue marche
qui devait mener à l’indépendance à travers le parti du Destour (le mot vient de dustûr, Constitution), puis
du Néo-Destour. Cette élite est remarquable par son souci de modernité qui va souvent au-delà du
réformisme. Citons au moins les ouvrages de ’Abd al-’Azîz Tha’âlbi (L’esprit libéral du Coran) et de
Ṯahar Haddâd (Notre femme dans la charia et dans la société). Ils durent combattre aussi bien les
colonisateurs que les conservateurs qui n’hésitaient pas à faire appel aux maîtres de l’heure pour
combattre l’esprit de réforme (M. Charfi, p. 36-41).
203Le Néo-Destour, dirigé par Habib Bourguiba, entreprit la lutte contre la colonisation. Il parvint à faire
admettre au gouvernement français le principe de l’autonomie en 1954, puis l’indépendance totale (20
mars 1956). Habib Bourguiba proclama ensuite la déchéance du Bey, et la République tunisienne en 1957
(Camau).
204227 — L’Algérie sous la colonisation (1902-1962). L’Algérie était toujours sous la domination
française et assimilée au territoire métropolitain. En 1898, la création d’une Assemblée consultative
(dont les membres étaient européens pour les deux tiers) ne marqua pas vraiment le début d’une autre
politique administrative, tendant à reconnaître une spécificité algérienne. Au contraire l’esprit répressif
se maintenait : les “tribunaux répressifs” et “cours criminelles” dont la procédure était expéditive,
continuèrent à siéger jusqu’en 1931 pour les premiers et jusqu’en 1942 pour les secondes.
205On a vu la tentative d’élimination des tribunaux charieh (n° 203). En 1912 on fit (partiellement) marche

arrière : dans le Nord, le juge de paix français demeura compétent pour toute affaire civile et pénale, le
cadi pour les affaires de statut personnel musulman ; dans le Sud, les cadis (sunnites ou mzabites) avaient
plénitude de juridiction pour le statut personnel musulman. Les appels devaient se faire au tribunal
français de droit civil qui eut ainsi une chambre musulmane spéciale. Des recours devant la Chambre
française de cassation ou devant la Chambre de révision musulmane de la cour d’Alger étaient encore
possibles. L’avant-projet de code de droit musulman algérien, publié en 1916 et écrit par Marcel Morand
(ob. 1932), qui suivait les solutions malékites surtout, et hanéfites par moment, ne fut pas promulgué.
Mais il influença souvent la jurisprudence ou la confection de loi en Afrique du Nord. Sur le fond du
droit musulman, la Chambre de révision musulmane remit souvent en cause le droit de jabr (droit de
contrainte matrimoniale), et, dans une moindre mesure, la facilité de la répudiation. L’arrêt le plus
remarquable énonce que “le droit de djebr ne peut être exercé contrairement à l’intérêt de l’enfant” (C. R.
M. 23 mars 1942). Un arrêt du 10 novembre 1924 accorda des dommages intérêts à la femme répudiée
pour des motifs futiles, en citant même le traditionniste Muslim : “Que Dieu maudisse quiconque répudie
sa femme pour le seul motif du plaisir”. Selon Coulson (p 171) il y eut là un mélange original de loi
islamique et d’équité comparable à la jurisprudence indienne (n° 212), mais à vrai dire, il n’eut jamais la
même ampleur (cf. Charnay, La vie musulmane).
206Les Algériens musulmans participèrent largement à la première guerre mondiale, mais les réformes de

1919 furent de peu d’ampleur. Tout au plus élargit-on la proportion des musulmans dans les assemblées
représentatives 3 , sans leur donner toujours la majorité. En 1928 et 1931, la Ligue française des droits
de l’homme et le mouvement des Jeunes Algériens (assimilationiste) obtinrent la suppression du code de
l’indigénat, des tribunaux répressifs, mais les sujets musulmans restèrent soumis aux mesures
disciplinaires (administratives). La prise de conscience nationale algérienne commença avec la naissance
de divers mouvements nationalistes. Le mouvement de l’Étoile nord-africaine (Messali Hadj) militait
pour l’indépendance (en France). En Algérie, le mouvement musulman réformiste (Ben Bâdîs) regroupait
bon nombre d’ulémas. D’autres, plus constitutionalistes (Bendjelloul, Ferhat Abbas) cherchaient à
négocier avec le gouvernement français des réformes et une constitution. Mais le conservatisme des
Européens d’Algérie bloqua toute réforme (projet Blum-Violette notamment).
207De nouveau les soldats algériens participèrent à la guerre mondiale en 1939. En 1943, le Manifeste du

peuple algérien publié par la tendance constitutionnaliste réclamait “un État algérien autonome”. Après le
discours de Constantine, le général De Gaulle accorda la citoyenneté à tous les Algériens, l’élargissement
de la représentation des musulmans et la fin des mesures d’exception (Ordonnance du 7 mars 1944). Mais
c’était trop tard. En mai 1945, des manifestations nationalistes tournèrent à l’émeute et furent durement
réprimées (des milliers de morts). Le statut de l’Algérie, adopté en 1947, institua une Assemblée
consultative de 120 membres qui devait être composée de musulmans pour moitié. Mais il ne fut pas ou
mal appliqué, les élections furent truquées... Finalement, en 1954, l’aile gauche du mouvement
nationaliste se décida à la lutte armée. L’insurrection du Front de libération nationale, déclenchée le 1er
novembre marque le début de cette guerre qui aboutit à l’indépendance de l’Algérie. Quels que furent les
avantages militaires obtenus sur le terrain, la position politique de la France devint intenable, surtout
après les indépendances du Maroc et de la Tunisie. Les violentes réticences des Européens d’Algérie, ne
réussirent qu’à retarder les inévitables échéances. Par les accords d’Evian, le général de Gaulle finit par
consentir à l’indépendance (1962) (Ageron).
208Pendant la guerre d’Algérie, des lois avaient commencé à réformer le statut personnel. En 1957 on

réforma les tutelles et les preuves du mariage. En 1959, on fit de même pour le mariage et le divorce : le
mariage ne devait être conclu que par consentement des époux et à un âge minimum ; la dissolution du
mariage ne pouvait être que judiciaire, sur la requête du mari ou de la femme ou des deux. Le système
pénal qu’on a décrit était déjà démantelé en 1944. Mais les textes sur l’état d’urgence (3 avril 1955), sur
les pouvoirs spéciaux (16 mars 1956) et sur les procureurs militaires (12 février 1960) firent passer
l’essentiel de la justice pénale aux mains de l’administration, puis de l’armée.
209Le système colonial algérien, “chaotique au dernier degré”, non exempt de “bouffonneries” est
toutefois un exemple extrême (Bousquet, Précis p. 57-64).
210228 — Le Maroc sous le Protectorat français (1912-1956). Le Maroc était donc sous protectorat en
1912. La même année Fès se révolta et le général Lyautey fut nommé résident général. Il était plus porté à
la négociation qu’à la guerre, et même de tempérament libéral. La soumission des populations se fit au
nom du nouveau sultan Moulay Yûsuf (Youssef) (1912-1927). Cette politique fonctionna relativement
bien dans les plaines où les colonisateurs s’appuyaient sur les pachas et caïds, mais la montagne et le
désert oriental durent être conquis de haute lutte (jusqu’en 1934).
211Le système politique du protectorat reposait sur la bonne entente entre le résident et le sultan. Chacun

avait la possibilité de paralyser complètement l’action de l’autre. Malgré le désir de Lyautey, le système
tourna vite à l’administration directe, les Marocains n’ayant que la façade du pouvoir. Les populations
furent rarement consultées sur les réformes et les Marocains furent minoritaires dans les organismes
consultatifs comme le Conseil économique et social.
212En matière juridique, les autorités maintinrent la division existante entre la justice religieuse du cadi et

la justice administrative des pachas et caïds. Dès 1912, on créa un ministère de la justice et une
Commission de révision pour réviser les jugements illégaux ou obtenus par corruption. Pour la justice
char’î (ou justice du chra’a, celle des cadis appliquant la charî’a), le ministère se soucia surtout de la
qualité du personnel, de sa formation et de ses traitements d’une part, et de la procédure d’autre part. Les
juges furent recrutés sur concours (1937) parmi les diplômés de la Qarawiyîn et de la madrasa (médersa)
Ibn Yûsuf de Marrakech. Dès lors, ils devenaient inamovibles. Ils pouvaient avoir des substituts (nâ’ib et
’adûl). Leur traitement était fixé. Ils avaient compétence pour toutes les questions de droit civil (statut
personnel et obligations). Ils devaient juger selon le fïqh malékite. Leurs jugements pouvaient donner lieu
à appel auprès d’un Conseil d’ulémas créé en 1913, auquel succéda, en 1927, trois cours d’appel (Rabat,
Tétouan, Tanger). Les justiciables pouvaient être représentés par des wukalâ’ (représentants) (1925). La
tenue de registres fut rendue obligatoire.
213Les tribunaux administratifs (justice du makhzen) furent réorganisés en 1918. Les pachas et caïds
pouvaient juger au civil et au pénal, mais seulement pour les affaires mineures. Un Haut tribunal chérifien
avait seul compétence pour les affaires pénales importantes (mais elles étaient instruites par les pachas et
caïds) et servait de cour d’appel pour les affaires mineures jugées par lesdits pachas et caïds en première
instance. Le fond du droit musulman ne fut pas touché : on conserva la pratique du ’amal, que l’on
considérait comme propre au Maroc. Une seule réforme est à signaler avant 1939 selon Bousquet
(Application, p. 18-19), celle des tutelles (dahir du 25/3/1938).
214Dans les zones berbères la justice était exercée par la jamâ’a (assemblée coutumière). Les cadis
installés par les troupes coloniales au fur et à mesure de leur avance n’eurent pas de succès (cette justice
n’était pas gratuite). Le dahir (loi) de 1930 (le fameux “dahir berbère”) officialisa l’existence de ces
tribunaux coutumiers. Des tribunaux rabbiniques existaient pour les juifs, des tribunaux mixtes pour les
étrangers.
215Les premières manifestations nationalistes se produisirent en 1930, à propos de ce dahir berbère,

quoiqu’on puisse dire que la révolte du Rif (1923-1925), conduite par ’Abd al-Karîm, constitue une
tentative évidente de décolonisation. Au début, les nationalistes qui avaient formé le Comité d’action
marocaine ne demandaient que l’application stricte du protectorat. Le parti de l’Istiqlâl (indépendance),
dirigé par ’Allâl al-Fâsî, par ailleurs lettré réformiste, fut fondé en 1942. Le sultan Muẖammad V (1927-
1961) s’appuya sur le mouvement et se heurta vite au conservatisme des autorités coloniales et d’une
population européenne en général peu disposée aux concessions. Prenant prétexte de l’immobilisme du
sultan, le résident général Guillaume le remplaça en août 1953 par un personnage plus docile. Mais le
mouvement nationaliste avait pris une ampleur considérable et tant par ses manifestations, ses actions
terroristes, que par son influence auprès des Français du Maroc et de la métropole, il parvint à fléchir le
gouvernement français, à obtenir le retour de Muẖammad V (1955). Ce dernier, peu après, obtenait
l’indépendance du Maroc (1956) (Cyrich, Bernard, C.A. Julien, El Habib Fassi Fihri).
216229 — La Libye sous la colonisation italienne. La Tripolitaine, province ottomane que ne parvenait

plus à contrôler la dynastie des Karamanli, avait été reconquise par les Ottomans en 1835. Elle subit un
processus de colonisation, comparable à ceux que nous avons vus dans les autres pays musulmans. Le
colonisateur était cette fois-ci l’Italie qui parvint, après une guerre contre l’Empire ottoman, à se faire
attribuer ce territoire (traité de Lausanne ou d’Ouchy, 1912). Cette conquête prit le nom de Libye et
regroupa la Tripolitaine et la Cyrénaïque. Cette dernière région était dominée par la confrérie sanûsîya,
établie dans le Djebel Akhdâr depuis 1840, et qui avait essaimé dans le Sahara central.
217Pendant la première guerre mondiale, la confrérie suivit les mots d’ordre de la Porte et lutta contre les
Alliés. Les Italiens ne purent que se maintenir sur la côte. À la fin de la guerre, après diverses
négociations avec la confrérie et les tribus, l’Italie parut alors opter pour une formule d’autonomie.
Néanmoins, sous l’impulsion du comte Volpi, dès 1921, et plus encore avec l’avènement du fascisme
(1922), les colonisateurs adoptèrent une politique de force. La conquête ne fut pas facile et la lutte dura
jusqu’en 1931. Le héros de la résistance libyenne, ’Umar al-Mukhtâr, fut pris et pendu en 1932. La
confrérie sanûsîya fut interdite et ses biens confisqués, à l’exception de certains de ses waqf-s (1930).
218Du point de vue juridique, les autorités coloniales installèrent un système comparable à celui de

l’Algérie sous domination française. On distingua la citoyenneté italienne (pour les Italiens) d’une
citoyenneté italienne libyque (pour les musulmans) qui était était très restrictive en matière de libertés
publiques. Un organe consultatif (Consulta générale) fut institué ; ses membres, italiens ou libyens, étaient
nommés. Les Libyens pouvaient entrer dans l’administration aux échelons inférieurs. Les chefs de tribus
nomades étaient nommés par l’administration sur proposition des anciens de la tribu.
219Pour la justice, on institua des tribunaux de première instance jugeant, au civil (propriété, obligations,
commerce) par juge unique, et, au pénal par collèges. Une cour d’appel (Corte d’appello della Libia),
siégeant à Tripoli, les supervisait. On appliqua au civil et au pénal les codes de la métropole, qui
pouvaient être adaptés aux conditions locales. Les catholiques étaient soumis, selon les termes du
Concordat, au droit canonique (Codex iuris canonici, 1917) et au code civil italien et jugés pour toute
affaire par ces tribunaux civils et pénaux de première instance. Les sujets juifs avaient un tribunal
rabbinique à Tripoli pour les affaires relevant de leur statut personnel. Pour les musulmans, de même, des
tribunaux de cadis (tribunali sciaraitici) existaient pour leur statut personnel. Les waqf-s furent, après
quelques hésitations, exclus de leur compétence. Des cours d’appel collégiales furent instituées au dessus
de ces tribunaux (tribunali sciaraitici superiori). Le rite musulman applicable était le rite malékite ou
hanéfite, et, en cas de conflit de rite, le rite du défendeur. Les jugements des tribunali sciaraitici n’étaient
exécutoires qu’après l’obtention d’un visa du tribunal civil de niveau correspondant pour vérifier si les
règles de compétence et d’ordre public avaient été respectées. Une importante circulaire, prise après une
réunion d’ulémas présidée par le gouverneur général (septembre 1935), proposa une règelementation des
coutumes locales : limitation du montant du don nuptial, fixation de l’âge du mariage à la puberté, respect
de l’ordre public au cours du mariage et des enterrements, limitation des processions de confréries,
institution d’un contrôle sanitaire sur les écoles coraniques (texte in Bertola, p. 92-94).
220Les Italiens s’efforcèrent de faire de leur conquête une colonie de peuplement. Des sommes
considérables furent investies pour favoriser l’installation de colons et le développement d’une
agriculture. Mais la seconde guerre mondiale, où la Libye fut un célèbre champ de bataille, se termina par
la débâche germano-italienne et l’occupation anglaise (Cyrénaïque et Tripolitaine) et française libre
(Fezzan) (1942-1943). Le chef de la sanûsîya, Idrîs as-Sanûsî, exilé en Égypte depuis 1922, et qui avait
activement collaboré avec les Alliés, fut reconnu par le nouvel occupant comme émir de Cyrénaïque.
(Miège, Bertola, Laronde-Burgat, Martel, Triaud...)
221230 — Le Soudan sous le Condominium anglo-égyptien (1898-1956). Le mahdisme disparu (1898),

le Soudan n’était plus, aux yeux du conquérant anglo-égyptien, qu’une mosaïque de coutumes à peine
unifiée au Nord par la prééminence, plus religieuse que juridique, de l’islam.
222Le concept architectonique présidant au système de droit institué alors par le colonisateur anglais fut

celui de “Territorial Law” cf ; n° 168 et 187). Il fut introduit au Soudan par Lord Cromer, ancien
fonctionnaire du gouvernement de Sa Majesté dans le subcontinent et, en 1898 consul et agent anglais au
Caire. Les premières lois territoriales adoptées au Soudan furent le Code pénal et le Code de procédure
pénale (1899), tous deux empruntés à l’Inde après une adaptation réalisée par Bonham Carter dans les
bureaux du Caire. Puis ce fut la Civil Justice Ordinance, 1900, loi d’organisation judiciaire et de
procédure civile, qui ne consacrait que deux articles (sur 135) à définir la loi civile applicable par les
tribunaux qu’elle instituait (Mustafa, The common Law). L’article 3 renvoyait le juge au droit musulman
pour ce qui concernait le statut personnel quand les deux parties étaient musulmanes (et, selon l’art 38, si
elles renonçaient par écrit à être jugées par les tribunaux charieh). Pour le statut personnel des non-
musulmans, ainsi que pour tous les problèmes civils hors statut personnel, le juge devait se référer aux
lois existantes ou à “toute coutume non contraire à la justice, à l’équité et à la bonne conscience”.
L’article 4 reprenait cette formule redondante. Pour tous les cas non prévus par la loi, le juge devait agir
en fonction de la “justice, de l’équité et de la bonne conscience”.
223Les lois (Statute Law, donc territoriales) étaient peu nombreuses au début. La célèbre formule donnait

donc aux juges une grande liberté pour adopter la coutume qui leur paraîssait la plus juste ou des lois
étrangères. On fit donc référence à des lois égyptiennes, françaises, mais surtout anglaises. La
jurisprudence ainsi créée forma la base du droit relatif aux biens, obligations et contrats, mais aussi au
statut personnel pour les non-musulmans. Cela n’excluait nullement que le législateur produisît des lois en
ces matières, créant ainsi un véritable droit civil soudanais (Par exemple : Title of Land Ordinance, 1899,
Companies Ordinances, 1925, Non Mohammedan Marriage Ordinance, 1926, etc. Mais il n’y eut jamais à
proprement parler de code civil.)
224La Mohammadan Law Courts Ordinance, 1902 fut de même une loi de procédure, organisant les

tribunaux charieh (Fluer-Lobban, Islamic Law). Ils n’avaient compétence qu’en matière de statut
personnel, mais l’ordonnance accordait au grand cadi (toujours égyptien sous le Condominium) le
pouvoir de faire des règlements (art 8). Un de ces règlements, la Mohammadan Law Courts Ordinance
and Procédure Régulations, 1915 (300 art) lui donnait le pouvoir de faire des circulaires s’écartant du
rite hanéfite officiel (art 53). Le grand cadi introduisit certes le droit malékite, dominant en pratique, mais
en fait il modifia la loi islamique en matière de statut personnel en utilisant la technique du talfîq
(mélange des rites). Ces circulaires sont très importantes dans l’histoire générale du droit musulman.
L’une d’entre elles a précédé la réforme ottomane de 1917 sur la famille, d’autres les réformes
égyptiennes de 1920 et 1930. La circulaire de 1916 sur la famille autorise même le divorce, si la femme,
seule depuis un an, déclare qu’elle a peur de tomber dans l’immoralité, et quelles que soient les raisons
de l’absence du mari. Ainsi, si le “statut légal” de la loi islamique ne soumet pas cette loi à la contrainte
d’être conforme “à la justice, à l’équité et à la bonne conscience”, en fait, elle y fut soumise par une voie
plus discrète.
225D’importantes réformes curent lieu en 1922-1932, dans le cadre de la politique indigène (Native
Policy). Les divers textes existants furent réédités, complétés, modifiés, mais l’architecture d’ensemble
ne fut pas bouleversée par la mise en place des tribunaux coutumiers, opération pourtant très importante.
Les réformes de 1922-1932 généralisèrent un système déjà appliqué au Sud. Contrairement à la théorie du
droit territorial, les codes pénaux ne s’appliquaient pas au Sud, ni au Darfur et Kordofan pour des raisons
pratiques. Dans ces régions, le droit applicable était le droit coutumier local, administré par des
tribunaux officiels anglais, en théorie du moins. Les réformes de 1922-1932, en créant pour tout le
Soudan un premier niveau de tribunaux coutumiers, compétents au pénal et au civil pour les affaires
mineures, officialisaient et généralisaient une pratique.
226Le reste demeura inchangé : au-dessus des tribunaux coutumiers on trouvait donc le réseau de tribunaux
ordinaires qui existait déjà, c’est-à-dire les tribunaux pénaux (infractions majeures) et les tribunaux civils
(statut personnel des non-musulmans et affaires civiles hors statut personnel). Ils formaient ensemble,
avec les tribunaux coutumiers, la Civil Division. A côté, les tribunaux charieh constituaient à eux seuls la
Mohammedan Division. À l’usage, les tribunaux coutumiers se révélèrent comme la pièce essentielle du
système puisque traitant plus de 65 % des affaires. L’abandon de la Native Policy et de ses arrière-
pensées politiques n’empêcha pas leur maintien après l’indépendance. Leur suppression sous Numeiri
créa de tels problèmes qu’on fut obligé de les rétablir sous un autre nom (Local Courts Act, 1977).
227A la fin des années 1940, le colonisateur anglais associa les Soudanais à la justice et à son
administration. De nouvelles réformes eurent lieu, mais surtout dans le but de perfectionner le système,
par exemple par la création, en matière pénale, d’une Cour d’appel et de révision (1949), et cette
politique continua après l’indépendance (1956) (Bleuchot, Cultures).
SOUS-SECTION II - LA SECONDE PARTIE DU SIÈCLE. LES
INDÉPENDANCES, LAÏCISATIONS ET RÉACTIONS

228Nous suivons le plan habituel : généralités (§ 1), Orient de l’Iran à l’Indonésie (§ 2) ; l’Empire ottoman

(§ 3) ; le Moyen Orient arabe (§ 4) ; l’Afrique du Nord et l’Afrique noire à travers l’exemple soudanais
(§ 5).
229Plus qu’ailleurs, l’abondance, la complexité des faits, le manque de recul, nous contraignent à un
balayage rapide pays par pays. On n’essayera pas de dépasser la description des contextes nationaux des
différentes histoires du droit musulman dans ses relations avec les droits positifs. Cette prise en
considération de la situation internationale (l’après-guerre, la guerre froide, l’après-guerre du Golfe), ou
de la situation économique (dépendances coloniales, économies pétrolières, mondialisation), ou des
transformations culturelles et sociales (démocratisation du savoir, développement des communications,
chute des idéologies, évolution des mœurs...) est bien évidemment fort importante, mais nous mènerait
trop loin. Quelques allusions faites dans le cadre des histoires nationales du droit mettront le lecteur en
alerte sur l’importance du contexte mondial, mais pour son approfondissement, nous ne pouvons que le
renvoyer à la bibliographie.

§ 1 - Généralités

230231 — Les législations indépendantes : caractères généraux. Bousquet écrivait en 1940 : “il faut

reconnaître que les forces réformatrices ont une puissance vraiment bien faible en islam, dans ce domaine
juridique : l’effet en est nul au Maroc et en Tunisie, quasi nul en Syrie, bien modeste en Égypte.”
(Bousquet, Application, p. 101). L’appréciation est quelque peu injuste dans la mesure où “les forces
réformatrices” étaient surtout préoccupées d’obtenir leurs indépendances et que la question de la réforme
du droit était à mettre au programme de l’après-indépendance.
231Ces forces existaient et ne se manifestèrent donc qu’après les indépendances. Il est vrai qu’elles

restèrent timides pour éviter la confrontation avec les conservateurs et n’eurent pas l’audace des
nationalistes de Mustapha Kemal Atatürk. Cette production juridique a tout de même quelques points forts
comme le code civil égyptien (hors statut personnel) de as-Sanhûrî (1947) et le code du statut personnel
dans la Tunisie de Bourguiba (1956). Ce qui est remarquable c’est que l’on chercha souvent un
rapprochement avec le droit musulman. Le code Sanhûrî est signalé par Coulson comme étant le premier
pas dans cette fusion du droit moderne et du droit ancien. L’unification fut plus nette en ce qui concerne
l’organisation judiciaire et la fusion des tribunaux fut réalisée à peu près partout. Dans le passage suivant
(n° 232) nous tentons de poser quelques catégories pour classer les différents types de droits actuels.
Puis, nous essayerons de décrire les idéologies (n° 233-234) qui ont accompagné (on ne peut dire
déterminé) la formation de ces droits.
232232 — Types de droits de l’aire musulmane contemporaine. Le premier type de droit dont il faut

rappeler la définition est le droit musulman ou droit islamique, dont nous avons longuement parlé jusqu’à
présent et qui se distingue des autres par l’existence de rites et de divergences dûment cataloguées au
cours des 1er-12e/viie-xviiie siècles. Nous l’appelons aussi souvent le droit musulman (islamique)
classique.
233A ce droit s’oppose totalement le droit occidental importé, le plus souvent de France, ou de la famille
romano-germanique, plus rarement du droit anglais ou des pays de Common Law. Le modèle en est le
droit mixte des codes égyptiens, ou le droit turc de la période kémaliste.
234Entre ces deux extrêmes se placent deux types de droits. Le premier est le droit national, le second le
droit néo-islamique. Le droit national ne suit pas un modèle unique et cherche une conciliation entre les
traditions locales (droit musulman mais aussi coutumes, pratiques, jurisprudence) et l’apport étranger
(pas seulement le droit français, mais aussi l’apport du comparatisme et de la réflexion juridique). La
place du droit musulman n’est pas négligeable, quoiqu’elle soit mal aperçue du fait de l’adoption des
techniques modernes de codification et de jurisprudence. Le modèle en est le code civil d’as-Sanhûrî qui
synthétise réellement les apports divers dans un ensemble original et bien charpenté.
235Le droit que nous appelons néo-islamique met en évidence son islamité en portant en épingle quelques
dispositions pénales islamiques (amputation pour vol, fouet, mise à mort de l’apostat...) qui focalisent
toute l’attention des médias. Cela permet de rendre discrets les nombreux emprunts aux droits nationaux
ou aux droits empruntés ainsi que l’adoption d’une technologie occidentale (codes, jurisprudence, gazette
officielle, etc.). La distance considérable qui existe entre ce droit et le droit musulman tel que nous
l’entendons est le plus souvent passée sous silence. En effet, contre l’ennemi, le droit positif, occidental
ou national (et pour ce dernier les islamistes se refusent souvent à en admettre le caractère autochtone),
les nouveaux juristes de droit musulman firent front commun, d’où le rapprochement des rites, la
minimisation des différences et le recentrage sur le Coran. Il s’ensuivit la création d’un droit “islamique”
plus ou moins commun, droit mélangeant (talfîq) toutes sortes de traditions juridiques islamiques, et
aboutissant le plus souvent à des codes de technique française. C’est pourquoi on a employé l’expression
“droit néo-islamique” pour le nommer.
236Ce droit se caractérise donc par une mise en forme suivant la technique occidentale (code, loi, décrets,
arrêtés, etc.) faisant intervenir le principe du stare decisis (doctrine du précédent) fondant une
jurisprudence au sens occidental du terme. Le législateur puise dans les solutions anciennes selon sa
volonté du moment, fabriquant un droit nouveau, dans une certaine mesure adaptable, et plus ou moins
acceptable par les ulémas. Ces derniers y retrouvent ici ou là telle ou telle doctrine connue dans un rite
sunnite ou pas, doctrine majoritaire, ou minoritaire voire rare. Ce droit s’accompagne inévitablement de
très larges emprunts au droit occidental avec lequel il coexiste, car son but est de gérer le concret d’une
société musulmane moderne complexe. Il représente une tentative de solution au conflit entre le droit
musulman classique et le droit positif importé, mais une solution plus idéologique qu’inspirée du concret
des situations et traditions locales, à l’inverse des droits nationaux.
237Les législations des États islamistes ayant déjà proclamé avoir rétabli la charî’a (Soudan, Libye, Iran,

Pakistan, etc.) placent le droit musulman comme droit architectonique (sauf la Libye), mais sont contraints
à la fois, 1/ de ne pas rétablir toute la charî’a (par exemple l’esclavage n’est pas rétabli ; rites et
divergences sont écartées, etc.), 2/ d’en altérer profondément le mode de fonctionnement (par la
codification, le mélange des rites, la technique occidentale, etc.), 3/ d’emprunter les trois quarts (sinon
plus) de leur droit aux droits modernes, nationaux ou occidentaux, la loi islamique étant muette sur
nombre de questions actuelles.
238Le droit néo-islamique représente donc la sortie du droit musulman classique, lequel était fondé sur la

divergence des rites, sur la doctrine d’auteurs variés, et sur une application laissée à l’appréciation de
professionnels dévoués surtout à la défense de la prééminence symbolique de l’islam plus qu’à
l’application stricte de la loi ou à la direction de la société. A l’opposé le droit néo-islamique introduit
un droit rationnel et sans divergences, non plus fonde sur la doctrine mais sur des codes, faits par des
hommes politiques dont l’objectif est de toute évidence bien moins symbolique (il l’est, sinon il n’y aurait
pas de recours aux solutions anciennes ni d’emphase sur l’islamité des codes) que politique.
239Si l’on veut bien accepter ces quatre types tels qu’on les a définis, on s’expliquera mieux les
convergences entre des droits nationaux et les projets islamistes (par exemple en Algérie, pour le statut
personnel) : les musulmans cherchent la même chose, à savoir concilier le droit positif et le droit
musulman dans la création d’un droit nouveau. Pour nous, le conflit sur la nature de ce droit semble moins
dépendre de celui, mythique, qui oppose l’Islam et l’Occident que de celui, séculaire et réel, qui oppose
les traditions locales et les situations concrètes aux traditions livresques, voire aux options idéologiques
de certains islamistes.
240233 — Les grands courants idéologiques actuels. Modernistes, réformistes et traditionalistes. Les

types de droit que nous avons décrits résultent d’un compromis entre la réalité concrète des pays et les
idéologies que les hommes soutiennent relativement au droit. Il faut donc analyser ces idéologies, les
classer, même si l’exercice est périlleux.
241Quatre courants semblent se dessiner en matière de droit musulman : le courant islamiste, le courant

traditionaliste, le courant réformiste et le courant moderniste. C’est surtout le courant islamiste qui a
focalisé l’attention et celui par rapport auquel on situe les traditionalistes et les réformistes, mais les trois
premiers courants sont difficilement discernables dans leurs versions modérées. Ils se distinguent et
s’opposent tous trois au courant moderniste (ou laïciste) qui tend à exclure le droit musulman et la
religion de la vie publique. La véritable coupure est là, entre les laïcistes et les autres.
242On a beaucoup parlé des réformistes et on n’y reviendra pas. Rappelons que c’est le courant qui

inspire en général les législateurs musulmans en matière de statut personnel surtout et que sa méthode
privilégiée est celle du talfîq (mélange, bricolage).
243La position moderniste rallie la majorité écrasante de l’élite cultivée des pays musulmans, celle qui est

active en politique (dans les Ligues de droits de l’homme par exemple), dans l’économie (chefs
d’entreprises, cadres) et dans la vie universitaire moderne. Les modernistes pourtant n’ont pas gagné le
droit de s’exprimer et de défendre leurs positions. Chaque fois qu’ils l’ont fait, cela leur a rapporté de
multiples tracas (Ṯahar Haddâd, ’Alî ’Abd ar-Râziq, Abu Zayd) ou la mort (Farag Foda). Aussi, souvent,
sous des dehors réformistes ou même traditionalistes, on trouve un moderniste. La position fondamentale
des modernistes est de séparer l’islam éternel de ses réalisations temporelles, humaines, comme le droit
musulman (voir n° 293, au t. II). Le modernisme est probablement plus ancien que le réformisme de
Muẖammad ’Abduh. L’étude de la formation de Kemal Atatürk nous éclairerait probablement sur
l’ampleur des courants modernistes à la fin du xixe siècle. Les ouvrages clefs du modernisme sont
essentiellement ceux du tunisien Ṯahar Haddad (La femme dans la loi islamique et dans la société), de
l’égyptien ’Alî Abd Ar-Râziq (L’islam et les fondements du pouvoir). Actuellement on a l’oeuvre de
l’égyptien al-’Achmâwî (Le califat, Le riba, Fondements de la charî’a, etc., en arabe). Citons encore les
égyptiens Nasr Abou Zayd et Fouad Zakaria dont une partie des œuvres a été traduite en français. Le plus
récent est celui de Mohamed Charfi (Islam et liberté, en français) qui les défend et les résume. Mais on
trouve de très nombreux modernistes musulmans, en particulier dans les sciences humaines.
244On réunit sous le vocable “traditionaliste”, faute d’un meilleur, les écrivains qui se rattachent par leur
formation ou leurs fonctions à diverses universités traditionnelles (al-Azhar, Qarawiyyine...), et se
signalent à la fois par leur attachement aux traditions et par leur volonté de reformuler, expliquer et
défendre le droit musulman classique. Ce sont souvent des pédagogues, la plupart sont très lus. Ils
peuvent être considérés tantôt comme frères musulmans, tantôt comme réformistes, tantôt comme
philosophes indépendants. Leur influence est considérable : ce sont eux qui remplissent les librairies à
l’heure actuelle. Signalons surtout ici le grand commentateur tunisien du Coran Ṯahar Bn ’Achûr et le
vulgarisateur égyptien du droit musulman Abû Zahra. Mais ils contribuent largement à la permanence du
courant islamiste, car ils se refusent à considérer la loi islamique comme périmée (voir M. Charfi,
passim).
245Reste à donner quelques détails sur les frères musulmans et les islamistes.

246234 — Les frères musulmans et les islamistes. A la racine des idées islamistes il y a certes divers

conservatismes, mais aussi la pensée de réformistes comme Jamâl Ad-Dîn Al-Afghânî. Le choc fut la
suppression du califat en 1924, événement qui suscita des controverses et des remous, notamment la
condamnation du livre de ’Alî Abd Ar-Râziq qui approuvait cette suppression. Outre les livres de as-
Sanhûrî et de Rachîd Riḏâ sur le sujet, on doit surtout noter, parmi les réactions hostiles à la suppression,
la création des Frères musulmans en 1927 par Hasan Al-Bannâ (1906-1949). Son programme était
simple : “tout l’islam, rien que l’islam”. Une autre de ses formules, rapportée par le dictionnaire Al
Munjid, définit l’islam comme “croyance et culte, patrie et nationalité, religion et nation, spiritualité,
Coran et sabre” (deuxième partie p. 86). Le mouvement des frères musulmans est considéré comme la
“matrice” du mouvement islamiste. À vrai dire il n’est pas le seul, et on signalera plusieurs penseurs ou
groupes politiques ou religieux qui énoncèrent les mêmes idées en même temps, notamment en Inde et au
Pakistan (Abû al-A’lâ al-Mawdûdî).
247Les thèmes favoris du mouvement des frères musulmans dans les années 1930 et 1940 mettaient en
valeur essentiellement les problèmes de l’indépendance du monde musulman et du parlementarisme. Dans
les années 1950 et 1960 l’accent fut mis sur les questions sociales, sur le “socialisme islamique”. Ce
n’est que par la suite que le problème de l’application de la loi islamique devint une question centrale,
quoique ayant toujours été défendue par le mouvement. En 1952, la “déclaration programmatique” des
Frères musulmans, qui croyaient pouvoir réaliser leurs ambitions grâce à Nasser, ne comportait que des
thèmes sociaux et aucun projet précis de rétablissement du droit musulman. Mais cette année même
paraissait un livre de ’Abd al-Qâdir ’Awda sur la législation pénale islamique. Il est devenu un
classique. Peu après paraissait l’ouvrage d’Abû Zahra, sur le crime et la peine en droit musulman : lui
aussi défendait la loi islamique et soutenait qu’elle conservait toute sa valeur dans le monde
contemporain.
248D’abord très légaliste, le mouvement des frères musulmans entra en conflit avec les autorités
égyptiennes au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le conflit atteignit son paroxysme sous Gamal
’Abd an-Nâsir (Nasser). L’idéologue de frères musulmans, Sayyid Qutb fut pendu en 1966. Ses disciples,
dans les années 1970, multiplièrent les groupes islamistes. L’histoire de ces mouvements a été
reconstituée par Mitchell, Carré, Kepel, Etienne, Burgat, etc. Les islamistes sont très nombreux et variés
dans leurs thèmes et leurs démarches. Ils sont très souvent subversifs et terroristes. Par exemple en
Égypte ils ont commis divers attentats : attaque de l’Académie militaire d’Héliopolis, assassinat de
ministres, assassinat d’Anwâr as-Sadate, attaques des Coptes, assassinat de touristes, etc. Des
mouvements similaires sont nés un peu partout dans le monde arabe et musulman, à partir ou à côté des
frères musulmans qui apparaissent comme modérés. Dans la plupart des pays musulmans, ils ne sont pas
tolérés, car ils remettent en cause les fondements de la légitimité des différents pouvoirs, mais leur
influence grandit sans cesse. Ils se font parfois la guerre entre eux. Ils sont tout à fait capables de
déstabiliser entièrement un pays (par exemple l’Algérie).
249Les thèmes idéologiques sont le takfîr wal hijra, la condamnation du monde comme païen, ce qui

justifie une guerre sainte à outrance contre tout ce qui n’est pas pur. Les islamistes reproduisent la geste
du prophète Muẖammad en la matière, espérant que Dieu leur donnera la victoire, comme il l’a fait pour
le Prophète. Ce qui n’est évidemment pas pour plaire aux autres musulmans qui considèrent cela comme
une hérésie.
250En droit, le thème qui a eu le plus de succès est celui de “l’application de la loi islamique” qui “a fait

ses preuves”, qui “résout tous les problèmes” et qui est “valable pour tout temps et tout lieu”. C’est ce
thème qui a franchi les limites étroites de ces groupes et a été adopté par de plus en plus de monde. La
plupart des gouvernants les ont suivis, soit pour anéantir la gauche en s’appuyant sur eux, soit dans
l’espoir vain de leur subtiliser leur fond de commerce pour les abattre, faisant de l’intégrisme pour lutter
contre l’intégrisme (l’expression est de M. Charfi). On assiste donc à une vague d’islamisation du droit
qui est le fruit indirect de leur action. Les législations islamistes ne sont toutefois pas encore très
nombreuses. A proprement parler, il n’y a que le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan, dans les pays non
arabes et le Soudan, le Qatar, le Koweït, l’Arabie Saoudite et la Libye comme pays arabes qui ont une
législation de ce type ou apparentée. Voyons dans les différents pays comment ces divers courants se sont
affrontes et le droit qui en est résulté.

§ 2 - L’Orient de l’Iran à l’Indonésie

251235 — L’Iran jusqu’en 1979. Après la chute de Mossadegh (1953), le pouvoir personnel du Chah put

s’exercer sans opposition, puis dans un second temps sans assemblée (1961-1963), ensuite avec une
opposition de façade, partis légaux, ou parti unique. La police politique, créée en 1958, fut impitoyable.
Les réformes se succédèrent à bon train, surtout après le référendum de 1963 où fut approuvé un
programme en six points (réforme agraire, participation, alphabétisation, vote des femmes...). La réforme
agraire suscita de vives résistances chez les grands propriétaires qui obtinrent l’appui des religieux, mais
elle échoua à rallier les paysans au régime, du fait de ses options trop techniciennes. Les revenus
pétroliers permirent des investissements immenses, faits à un rythme frénétique.
252En matière juridique, le travail de révision continua après la deuxième guerre mondiale. Le droit

nouveau était trop complexe, mal adapté ; la procédure était un labyrinthe. On chercha à simplifier cette
procédure, à la rendre plus efficace en la rapprochant des justiciables. Ce travail fut accompli en
particulier dans les années 1960 par le Dr Hadi Hedayati. Le programme de réformes en six points de
1963, approuvé par les Iraniens (et les Iraniennes), contenait des dispositions pour l’égalité des hommes
et des femmes. La loi sur la protection de la famille (1967, révisée en 1975) s’attaqua au statut personnel
musulman. Le contrat de mariage devait comporter obligatoirement une délégation de répudiation à
l’épouse. En fait, la répudiation céda la place au divorce judiciaire où les droits de l’homme et de la
femme étaient égaux. La polygamie était soumise à l’autorisation du tribunal. En 1967 toujours, une loi
constitutionnelle organisait la régence en cas de minorité du prince héritier : elle devait être dévolue à
l’impératrice (Farah Diba). Mais cette seconde vague de réformes venait trop tard, les lois nouvelles
gardèrent la réputation de n’être pas satisfaisantes. Les milieux religieux en tout cas ne manquèrent pas de
le répéter.
253Malgré la mise à l’honneur constante de la religion et les diverses concessions et subventions faites au

clergé chiite, celui-ci, hostile à la modernisation et à la présence des techniciens étrangers de plus en plus
nombreux, passa dans l’opposition. Les opposants de gauche, les libéraux et le clergé s’unirent pour
abattre le Châh. Ils y réussirent en 1979 (Esposito, Deriennic).
254236 — La république islamique. Une république islamique fut proclamée sous la houlette de
l’ayatollah Khomeyni (1979-1989). Chose inouïe en milieu chiite, il prit le titre d’imâm, moins souvent
celui de nâ’ib al-imâm. L’imâm, on le sait, ne peut être pour les chiites que l’imâm caché. Pendant la
présidence provisoire de Bâzargân, un Conseil de la révolution (auquel participèrent Bâzargân et Bani
Sadr, laïcs) fut créé. Mais les ayatollahs les plus intégristes contrôlèrent vite toutes les institutions, par
toutes sortes d’organismes : le ministère de l’orientation islamique, les organisations islamiques, les
gardiens de la Révolution islamique, le parti de Dieu... Contré systématiquement, Bâzargân démissionna
en novembre 1979 et fut remplacé par Bani Sadr qui fut démis par Khomeyni en 1981 et remplacé par
l’aytollah Khameyni (1981-1989). A cette date, les opposants de gauche avaient été éliminés, l’armée
mise au pas, puis envoyée défendre le pays attaque par l’Iraq. La guerre, commencée en septembre 1980
dura jusqu’en juillet 1988, sans autre résultat que des morts et des destructions.
255Une Assemblée d’experts (religieux), néanmoins élue sur des listes choisies par l’ayatollah Khomeyni,

devait élaborer une Constitution islamique. Elle se réunit en 1979 et vota un texte. Cette Constitution
prévoyait un Président de la République élu au suffrage universel, un Premier ministre responsable
devant une chambre de 270 députés, un Conseil de surveillance de la Constitution, à la fois Conseil
d’État et Conseil constitutionnel. Tous les candidats devaient être approuvés par des organismes
spéciaux. Mais le chef suprême de l’État était le vali-yé faqih (compagnon-théologien), responsable des
affaires religieuses et temporelles. Le terme vali (compagnon de Dieu) était donné traditionnellement à
’Ali. Selon la Constitution, il était le chef de l’armée, déclarait la guerre ou la paix, nommait la moitié
des membres du Conseil de surveillance de la Constitution, mais surtout pouvait contrecarrer toutes les
décisions du législatif, de l’exécutif et du judiciaire. En pratique, le vali-yé faqih était même au-dessus du
suffrage universel (il critiqua à l’occasion le résultat des élections) et de toute institution, bref il était le
représentant de Dieu, laissant aux autres la responsabilité des échecs. La justice fut placée sous le
contrôle d’un Conseil de la magistrature et d’une Cour suprême de cinq membres dont trois religieux qui
proposaient un ministre de la justice et nommaient les juges. Pour ce qui concerne les lois, l’article 167
prévoyait que la loi islamique était en vigueur et que les lois codifiées ne s’appliqueraient que par défaut
de la première. Ainsi les réformes de l’ancien régime relatives à la libération de la femme et aux
minorités furent abolies.
256Peu avant sa mort (1979), Khomeyni nomma une commission de 20 membres pour amender la
Constitution. Elle remplaça le concept de vali-yé faqih par celui de raẖbar (guide). Ce fut l’ayatollah
Khameyni qui, après quelques difficultés, lui succéda. Du fait du manque de prestige du nouveau titulaire,
l’importance de la fonction diminua. En revanche la fonction de Président prit de l’importance. Le poste
de Premier ministre fut supprimé et le Président (Rafsanjânî) cumula les deux fonctions (Esposito,
Mazahéri, p. 317-322).
257237 — L’Afghanistan. L’Afghanistan n’avait pas eu la chance d’avoir été dirigée par un réformateur

habile et restait un État féodal. Sous le règne du jeune Muẖammad Zahîr Châh (1933-1973), plusieurs
régents se succédèrent. De 1953 à 1963, le prince Daoud, fut régent et premier ministre. Il mena d’abord
une politique d’équilibre entre les grandes puissances (États-Unis, URSS). En 1963, le roi essaya de
gouverner par lui-même. Il accorda une nouvelle Constitution en 1964, mais il fut renversé par un coup
d’État républicain, conduit par le prince Daoud qui mena de 1973 à 1978 une politique de plus en plus
pro-soviétique. En fait la corruption et l’incompétence étaient générales.
258Cette République fut la cible d’un nouveau coup d’État en 1978, communiste cette fois. Le régime eut à

faire face à une révolte générale et fit appel à l’intervention soviétique qui dura jusqu’en 1989, sans
réussir à rétablir la situation. Les révoltés au contraire prirent Kaboul (1992), mais ne parvinrent pas à
s’entendre, et les crises furent continuelles. Actuellement la force dominante semble bien être celle des
partisans de la restauration de la loi islamique (les “talibans”). D’après ce qu’en ont rapporté les agences
de presse (qui ne distinguent pas toujours ce qui est loi de ce qui est coutume, voire comportement
individuel), il semble que l’interprétation de l’islam la plus obscurantiste et la plus antiféministe ait
triomphé. En attendant de plus amples informations, on peut compter l’Afghanistan comme un pays de
droit islamique (Esposito, Universalia, 1978, 149).
259238 — L’Inde, le Pakistan et le Bangladesh. L’antagonisme qui marqua les relations entre l’Inde et le
Pakistan, conduisit plusieurs fois à la guerre, à propos du Cachemire (1947-49, 1965) et de
l’indépendance du Bangladesh (1971). Actuellement, les deux pays étant devenus des puissances
atomiques, il semble qu’on s’oriente vers un modus vivendi.
260L’Inde se veut laïque, mais doit subir une pression grandissante de la part des extrémistes hindous,
surtout ces dernières années. La majorité des musulmans de l’Inde (environ 100 millions) est hanéfite,
beaucoup sont chaféites dans le Sud. Une importante minorité (10 % environ) est chiite, la majorité
d’entre eux imamite, une minorité ismaélienne vit autour de Bombay où réside l’Agha Khan. Les rapports
avec les hindous dominants sont mauvais et plusieurs incidents graves tournent en leur défaveur, le plus
grave étant celui de la mosquée Babari (1984-1992). Juridiquement ils cherchent à maintenir leur statut
personnel et protestent chaque fois que la jurisprudence fait un accroc à la loi islamique. Si le projet de
code de statut personnel unique pour tous les Indiens était adopté, il est certain qu’il faut s’attendre à une
vive opposition de leur part (Esposito).
261Le Pakistan aussi selon le voeu de ’Alî Jinnah, se voulait laïque et la Ligue musulmane se trouva en
opposition avec les ulémas et islamistes (al-Mawdûdî). Si le Pakistan avait été incontestablement créé
sur une idée religieuse, ’Ali Jinnah, aussi bien que ceux qui l’appuyaient (notamment les disciples du
réformiste Muẖammad Iqbal) ne concevaient pas cet État comme devant appliquer la loi islamique, mais
seulement comme permettant d’assurer la protection nécessaire d’une identité qui aurait été en danger
sous un gouvernement laïc hindou. Les ulémas et islamistes n’entendaient pas en rester là et la vie
politique pakistanaise fut tout entière marquée par le problème de l’islamisation de la Constitution et des
lois. En 1949, un important compromis intervint avec l’adoption d’une résolution d’orientation qui
affirmait à la fois la souveraineté de Dieu et celle du peuple, la loi islamique et les principes de
“démocratie, liberté, égalité, tolérance, justice sociale”. Le principe de liberté consistait clairement en
“liberté de pensée, d’expression, de croyance, de foi, de culte et d’association”. Ce texte fut repris dans
toutes les Constitutions qui se succédèrent.
262En 1952 une tentative des conservateurs d’instituer un Comité d’ulémas qui aurait eu le droit de veto

sur toute législation échoua. L’islamisation fut promise dans la Constitution de 1956, mais la conformité
des lois avec le Coran et la Sunna devait être jugée par l’Assemblée et non par un comité d’ulémas. La
commission qui avait été nommée pour étudier les modifications souhaitables du statut personnel remit un
rapport qui allait dans un sens moderniste (1956) ; l’unique membre traditionaliste donna un rapport en
sens contraire. Une autre commission demandait la réintroduction de la zakât comme impôt de solidarité.
La loi sur le statut personnel de 1961 adopta le point de vue réformiste : la polygamie ne fut permise que
sous décision du tribunal, la répudiation fut rendue difficile.
263Ayant pris le pouvoir par un coup d’État militaire, Ayyub Khan (1958-1969), réformiste, populiste, et
pro-occidental, donna une nouvelle Constitution au Pakistan en 1962. Les lois devaient être conformes à
l’islam (et non plus au Coran et à la Sunna), ce qui permettait des interprétations modernistes, d’autant
plus que ladite conformité devait toujours être appréciée par l’Assemblée. Mais la pression des groupes
religieux restait forte et il fallut conserver l’adjectif dans l’expression officielle “république islamique du
Pakistan” et admettre un Conseil consultatif de l’idéologie islamique. Des manifestations forcèrent Ayyub
Khan à céder la place à Yahya Khan (1969-71), militaire lui aussi, mais qui prépara un régime
parlementaire. La débâcle de la sécession du Pakistan oriental (1971) amena rapidement la fin du régime
militaire.
264Le parti populaire d’Ali Butto (1971-1978) fut victorieux aux élections. En 1973 une nouvelle
Constitution fut adoptée sous le signe du retour à l’islam. L’art 227 disposait que toutes les lois devaient
être mises en conformité avec le Coran et la Sunna. Mais l’islamisation, jusqu’ici symbolique, ne fut
vraiment lancée qu’après le coup d’État de Zia ul-Haqq (1977-1988). Le droit pénal islamique fut
restauré ; la jurisprudence renversa les nouvelles règles sur la répudiation adoptées en 1961 ; la zakât
devint une taxe de solidarité ; des lois tendirent à supprimer le taux d’intérêt des banques ; les juges de
droit positif furent remplacés par des ulémas. Le droit adopté fut un droit sunnite, ce qui suscita
l’opposition des chiites (10 à 15 % de la population).
265Cette islamisation ne fut pas remise en cause par les gouvernements successifs, notamment pas par

Bénazir Butto, la fille de ’Ali Butto (1988-1990 et 1993-1996). La vie politique pakistanaise est
complexe, marquée par la violence et la corruption, par une multitude de partis religieux, par
d’inexpiables conflits de communautés. La pression des partis islamiques est hors de proportion avec
leur importance électorale qui ne dépasse pas 10 %. C’est dire la puissance du recours à la surenchère
religieuse (Esposito).
266Le Pakistan oriental, fit sécession en 1971 avec l’appui indien et prit le nom de Bangladesh (Bengale).

Les musulmans y sont majoritaires à 85 % (surtout hanéfites). La langue bengali et les traditions locales
syncrétistes constituent des facteurs de rapprochement entre les communautés, mais l’influence des
réformistes et islamistes musulmans tend au contraire à marquer les différences entre musulmans et non
musulmans, et à opposer les musulmans orthodoxes aux musulmans de tradition locale. En 1972, la
Constitution proclama le sécularisme comme doctrine d’État et interdit les partis religieux. Mais la
politique bengalie resta instable et ces fondements furent vite remis en cause. En 1988 des amendements
islamiques à la Constitution ont été adoptés.
267239 — L’Indonésie. En 1950, les troupes hollandaises partirent et l’Indonésie connut une
indépendance réelle. Un régime parlementaire multipartiste fut installé. Le président Sukarno, chef du
Parti national indonésien, non confessionnel, adopta une politique neutraliste (conférence de Bandoeng,
1955). Mais en 1957, il prit totalement le pouvoir et mena une politique anti-occidentale, que soutinrent
les nombreux communistes. De cette époque (1957) date la réorganisation des tribunaux islamiques
suivant un nouveau règlement : leur décisions étaient soumises au contrôle des tribunaux laïcs. Les
questions d’héritage étaient toujours exclues de leur compétence, et en certaines régions l’adat law (la loi
coutumière) était maintenue. L’opposition musulmane était représentée, d’une part par le Nahdatul Ulama,
de tendance traditionaliste, d’autre part par un parti d’esprit réformiste (Masjumi). Ce dernier fut interdit
en 1960. Des groupes islamistes activistes (Darul islam notamment) continuèrent leur activité jusque vers
1965.
268L’expulsion des civils hollandais (1957) et le boycott des investissements occidentaux conduisit à une
crise économique grave et à des troubles durant lesquels les communistes furent massacrés (1965). Le
général Suharto sut profiter de la situation pour prendre le pouvoir et une bourgeoisie musulmane sunnite,
jusqu’ici tenue à l’écart, accéda au pouvoir. Les subsides et les sociétés occidentales revinrent en force.
Une loi de 1970 confirma l’existence des tribunaux islamiques et organisa des cours d’appel. En 1973 on
songea à une loi unique sur le mariage, valable pour tous. Les musulmans conservateurs refusèrent
vivement le projet où figurait l’abolition de la polygamie et de la répudiation. La loi de 1974 autorisa la
polygamie, mais rendit la répudiation difficile. De manière générale les tribunaux indonésiens sont plus
soucieux de résoudre avec équité les cas concrets que d’appliquer strictement une doctrine.
269Le “miracle économique indonésien” se fonde sur la dictature implacable de Suharto. Le régime
demeura en mauvais termes avec les partis musulmans. Ils furent contraint de s’unifier en 1973. A cette
époque des mouvements islamistes firent leur réapparition, accusant le gouvernement d’être pro-chrétien
(une légère progression du christianisme a été observée en Indonésie). Sur la question juridique aucune
unanimité ne s’est faite dans les partis musulmans, ni sur la prééminence du chaféisme, ni sur la place de
l’adat law, ni sur celle de l’ijtihâd. Suharto fut renversé par des émeutes en 1998. (J.A.M. Caldwell, D.
S. Lev in El2, Lombard in Crouzet, Esposito).

§ 3 - Le Moyen Orient turc et arabe

270240 — La Turquie. En 1950, après sa victoire électorale, le parti républicain d’Adnan Menderes, prit

le pouvoir. La première loi qu’il fit voter autorisa l’usage de l’arabe pour l’appel à la prière. Menderes
toléra par la suite le retour aux traditions islamiques car sa base électorale était constituée par les masses
paysannes qui suivaient les mots d’ordre des religieux. Mais on n’assista pas à une restauration de
l’ancien régime. La Turquie reste donc en dehors de l’histoire du droit musulman depuis la révolution
juridique kémaliste.
271Après un coup d’État militaire, Menderes fut exécuté et son parti dissout (1960). Après le
rétablissement du parlementarisme, le parti de la Justice, conservateur, prolongea en fait le parti de
Menderes. La lutte des partis utilisa bien de temps en temps des thèmes islamiques et on fit souvent des
concessions aux religieux, mais la laïcité resta la base fondamentale de l’État turc. L’armée, qui intervint
périodiquement dans le jeu parlementaire, n’aurait pas permis qu’on l’oubliât. Et comme personne ne
pouvait oublier non plus que l’identité de la Turquie reposait sur l’islam, on admit sans problème autre
que matériel les 250 000 musulmans expulsés en août 1951 par la Bulgarie.
272La dérive vers la violence politique que l’on observe depuis la fin des années 1960 est loin d’être le

fait initial des islamistes. Les militaires, les marxistes et les séparatistes kurdes (depuis 1984) ont leur
part de responsabilité. En 1971 fut fondé le premier parti religieux, le parti de l’ordre national
(Nedjmeddin Erbakan), devenu le parti du salut national (Refah). Il prône, entre autres, une économie
islamique, sans usuriers. En 1995 les islamistes vinrent en tête aux élections législatives et en 1996 ils
formaient le gouvernement, mais ils durent en sortir peu après. Il n’est pas probable pour l’instant que
l’on puisse assister à un passage du droit positif vers un droit néo-islamique dans les années futures.
273241 — L’Égypte d’après guerre. L’Égypte continua une vie politique plus agitée que jamais. Les

manifestations, les incidents, les émeutes furent continuelles en particulier contre les étrangers. Les partis
politiques se multipliaient. La question sociale se posait avec acuité. Le gouvernement était dépassé par
les événements. La défaite contre Israël en 1948-1949 accentua le mécontentement contre le régime royal.
Le Wafd (Naẖẖâs Pacha), revenu au pouvoir en 1949, ne put obtenir de l’Angeterre un accord satisfaisant
révisant le traité de 1936 (sur le Soudan et le canal).
274La multiplication des accrochages culmina le 26 janvier 1952 avec les émeutes au Caire. La police
resta inactive et l’on nota près de 200 foyers d’incendie dans la ville. L’armée rétablit l’ordre. Les 21-23
juillet un coup d’État, conduit par un Comité des Officiers Libres avec Nagîb (Naguib) et Gamâl ’Abd
an-Nâsir (Nasser), prit le pouvoir. Le roi Fârûq abdiqua en faveur de son fils mineur et quitta l’Égypte.
La monarchie fut abolie le 18 juin 1953, la République proclamée et une nouvelle Constitution adoptée,
dans laquelle la réalité des pouvoirs était aux militaires. Avec la dissolution des partis politiques (1953),
les grands bourgeois et propriétaires fonciers de l’ancienne classe politique perdirent leur prééminence.
Une nouvelle couche sociale prenait le pouvoir, celle de la petite bourgeoisie et des ouvriers des villes,
celle des petits propriétaires des campagnes, toujours à la limite de la misère. En 1954, Néguib fut écarté
au profit de Nasser.
275La même année l’Angleterre accepta d’évacuer l’Égypte dans les vingt mois. Mais le refus occidental

de financer le barrage d’Assouan orienta Nasser vers l’URSS et le conduisit à nationaliser le canal de
Suez (juillet 1956). L’intervention franco-anglaise, appuyant celle des Israéliens, réussit militairement,
mais échoua totalement sur le plan politique (1956). Nasser au contraire gagnait un prestige immense,
répandait une idéologie faite de nationalisme anticolonial, d’unitarisme arabe et de socialisme islamique.
Son succès atteignit son apogée en 1958-1961 quand l’Égypte et la Syrie formèrent la République arabe
unie. Mais cette union ne dura pas et, en 1967, une nouvelle guerre perdue avec Israël entraîna la
fermeture du canal de Suez et l’occupation du Sinaï par les Israéliens. A l’intérieur le régime s’était
révélé dictatorial et les frères musulmans entre autres furent durement réprimés.
276En 1970, Anwâr as-Sadât (Sadate) succéda à Nasser. Il écarta les conseillers soviétiques, misa un

temps sur l’appui des conservateurs et des frères musulmans et déclencha en 1973 une nouvelle guerre
contre Israël, à l’issue de laquelle il récupéra le contrôle du canal de Suez. Il renversa la politique
économique de Nasser (de style socialiste) et se rapprocha de l’Occident. S’appuyant principalement sur
les États-Unis, devenus les véritables alliés d’Israël, Sadate signa en 1979 un traité de paix avec son
ennemi. Mais cet acte suscita un tollé dans le monde arabo-musulman et le Président égyptien fut
assassiné par des islamistes (1981).
277Son successeur et continuateur, Husnî Mubârak, obtint en 1982 la restitution du Sinaï à l’Égypte et
parvint à se rapprocher du monde arabo-musulman. L’Égypte participa symboliquement aux côtés des
Alliés à la force multinationale contre l’Iraq (1991). Continuant une politique pro-occidentale et pro-
saoudienne, l’Égypte doit faire face surtout au défi du terrorisme islamiste et à celui de son
développement.
278242 — Droit égyptien et droit musulman. Durant cette période le droit égyptien acheva son évolution

commencée en 1920. Au lendemain de la guerre, trois lois (la loi 77 de 1943 sur les successions ab
intestat ; la loi n° 71 de 1946 sur les legs ; la loi 48 de 1946 sur le waqf) réformaient le système de
successions en faisant usage du talfîq (mélange des rites). La réforme des waqf-s ne fut achevée que par
la loi 180 de 1952 abolissant les waqf-s privés ou familiaux.
279L’événement fut surtout, en 1948, la promulgation du code civil d’as-Sanhûrî. Toujours en vigueur, il

est fondé essentiellement sur la jurisprudence égyptienne (elle-même issue des codes mixtes et
indigènes), mais aussi sur le droit comparé et la loi islamique. Ce code est loin d’être un “patchwork”, il
est au contraire solidement pensé par un maître en la matière. Il servit de modèle à la plupart des codes
civils arabes postérieurs au Moyen Orient. Quoi qu’on en ait dit, ce sont les francophiles qui résistèrent à
as-Sanhûrî, plus que les religieux qui étaient avec lui. Selon Coulson, ce code marque le “début du
processus d’islamisation” (p 163), mais à notre sens, du fait que ce code n’est ni emprunté, ni néo-
islamique il s’agit plutôt d’un code national égyptien.
280Dans la même optique on promulgua en 1950 un nouveau code criminel et un nouveau code de
procédure criminelle. Là aussi on tenta de faire une place au droit musulman dans la mesure où la
pratique ou la coutume égyptienne l’avait conservé. C’est le cas pour une disposition, celle permettant
l’action en paiement du prix du sang pour dommages corporels. La loi 462 de 1955 abolit toutes les
juridictions de statut personnel, ce qui aboutissait à l’unification des tribunaux. En fait les deux structures
coexistèrent dans le même ensemble puisque les juges devaient continuer à juger selon les droits
personnels religieux.
281Les réformes législatives subirent une pause dans les années 1960-1970. Peut-être est-elle due déjà à

l’influence clandestine des frères musulmans ou des groupes islamistes. Sous as-Sadât, la loi 44 de 1979
réformant le statut personnel retoucha les lois de 1920 et 1929. Le mari n’avait plus le droit de
contraindre la femme “désobéissante” à retourner au domicile conjugal. La répudiation devait être
enregistrée et donner lieu à une information à l’épouse sous peine de nullité. Le mariage du mari avec une
seconde femme ouvrait automatiquement à la première le droit de divorcer. Les droits de la divorcée en
matière de garde des enfants, pension, logement furent augmentés. La réaction des conservateurs fut vive
contre la “loi Jihân” (c’est le nom de l’épouse du président as-Sadât). De multiples batailles politiques
allaient être déclenchées pour la défense du droit égyptien ou pour la restauration du droit musulman. En
1980, sous la pression des conservateurs, on modifia la Constitution : la loi islamique devait être
désormais “la source principale de la législation”. Mais en 1982, divers projets de codes islamiques
furent refusés à l’Assemblée nationale. En 1985 la Haute cour constitutionnelle décida que la loi 44 de
1979 avait été adoptée dans des formes contraires à la Constitution. Une nouvelle loi (la loi 100 de 1985)
édulcora les réformes de 1979 : la femme qui demandait le divorce sur le motif qu’un second mariage
avait été contracté par son mari, devait désormais prouver qu’elle avait souffert un préjudice. Ces
batailles n’ont pas réussi à restaurer le droit islamique, mais elles ont assurément arrêté les réformes. Le
phénomène est général dans le monde arabo-musulman : l’heure des laïcistes et des réformistes semble
passée et ils sont sur la défensive.
282243 — La Palestine et la formation d’Israël. La Grande-Bretagne aida la Syrie et le Liban à échapper

au mandat français, favorisa la création, le 22 mars 1945, d’une Ligue des États arabes, mais ne parvint
pas à empêcher la création d’un État juif en Palestine. Cette création fut décidée par l’ONU en novembre
1947 et conduisit, après le départ des troupes britanniques (mai 1948), à la guerre (1947-1959) entre les
communautés religieuses. Malgré l’appui des États arabes voisins, les Palestiniens musulmans et
chrétiens ne parvinrent pas à empêcher la maintien et l’agrandissement de l’État juif, Israël. Toute
l’histoire du Moyen Orient arabe fut empoisonnée par ce conflit : trois autres guerres (1956 ; 1967 ;
1974), des milliers d’actes terroristes et de représailles, n’aboutirent qu’à une solution bancale, celle
d’un État palestinien diminué et dominé.
283En 1988, dans ses frontières de 1949, Israël comptait environ 4,5 millions d’habitants (dont 750 000

Arabes). En Cisjordanie, il y avait environ 900 000 habitants, (dont 97 % d’Arabes) ; et dans la bande de
Gaza : 600 000 hab. (dont 98 % d’Arabes). L’accord de principe israélo-palestinien sur l’autonomie des
territoires occupés (1993). prévoit le transfert de compétences administratives aux Palestiniens de
Cisjordanie et de Gaza. Il ne s’est opéré que très partiellement, et avec de nombreuses difficultés. Le
premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou (depuis 1996), semble prendre plaisir à susciter des
difficultés, ce qui met le leader palestinien, Yasser Arafat, dans une situation difficile face à ses
extrémistes. Le chemin de croix du peuple palestinien n’est pas terminé.
284Les musulmans d’Israël ont des tribunaux char’î reconstitués depuis 1961. La loi ottomane (hanéfisme
et loi de 1917 pour le statut personnel) continue de s’appliquer. Mais le droit pénal israélien interdit le
mariage à moins de 17 ans, la polygamie et la répudiation non judiciaire. La compétence des tribunaux
char’î leur fut retirée en matière de succession en 1965. L’autorité palestinienne a rétabli, pour les
territoires sous sa juridiction, le droit antérieur à l’occupation de 1967, c’est-à-dire la loi jordanienne de
l’époque (Esposito, Deriennic).
285244 — La Syrie. De 1945 à 1949 la Syrie connut un régime parlementaire. L’échec des Arabes contre
Israël amena trois coups d’État militaires en 1949. Le troisième fut dirigé par le colonel Chichakli. Une
nouvelle Constitution (1950) déclara le pays membre de la nation arabe. Mais Chichakly ne parvint pas à
s’imposer à la classe politique, et malgré une nouvelle Constitution (1953), il finit par se démettre. Le
régime parlementaire (Constitution de 1950) révéla les profondes divisions des Syriens, tiraillés entre
l’Égypte et l’Iraq, entre le socialisme et le libéralisme, entre l’URSS et les Occidentaux, sans oublier les
particularismes locaux ou religieux. Toutefois le radicalisme anti-israélien était un important facteur
d’unité. La Syrie fut le premier pays arabe à coopérer avec l’URSS. C’est à cette époque que se renforça
le Ba’ath (parti de la résurrection), fondé par Michel Aflaq, et qui avait fusionné avec le parti socialiste
syrien. Il militait en faveur de l’unité arabe et du socialisme.
286L’essentiel du système législatif syrien date de cette période. La loi sur le statut personnel de 1953

était d’inspiration hanéfite. Elle faisait dépendre la conclusion d’un second mariage de la preuve à
fournir par le mari de sa capacité à entretenir une seconde femme ; elle permettait, au moment de la
conclusion du mariage, des conditions limitant les droits du mari ; elle permettait le divorce judiciaire
pour absence, non-paiement de pension, mésentente entre épouses, mais pas sur le motif de mauvais
traitements. En 1949, on adopta un code civil (propriété, obligations), inspiré du code Sanhûrî. En 1949,
un code pénal inspiré du code libanais fut à son tour promulgué. Il mettait fin à un siècle d’exercice du
code ottoman de 1858. Il fut amendé en 1953. La loi de 1975 sur le statut personnel conserva les acquis
précédents, mais sans pousser plus loin le libéralisme : la polygamie resta permise, le divorce judiciaire
pour mauvais traitements ignoré.
287Réélu président en 1955, Choukri al-Kouatli obtint de Nasser, au faîte de sa gloire après l’affaire de
Suez, l’union de l’Égypte et de la Syrie sous l’appellation de République arabe unie (proclamée le 22
février 1958). Mais les Égyptiens dirigèrent maladroitement cette fusion, jusqu’à provoquer une réaction
syrienne d’hostilité qui se traduisit par un coup d’État et la fin de la RAU (28 septembre 1961). Le
régime parlementaire qui suivit, avec une nouvelle Constitution, fut instable, l’armée intervint dans la vie
politique, les manifestations et démissions se succédèrent. En 1963, un coup d’État du Ba’ath se
produisit, mais les nouveaux détenteurs du pouvoir étaient divisés. Les hésitations syriennes continuèrent.
Les pro-Égyptiens furent écartés en 1963, à la suite d’une tentative de coup d’État. Puis en 1966 la
fraction dure du Ba’ath (Nûr ad-Dîn Atassi) évinça les chefs historiques du parti (Michel Aflak, Amine
al-Hafez, Salah Bitar) et certains communistes en 1969. Enfin en novembre 1970 ce furent les civils
(Atassi, Jdid...) qui durent céder le pouvoir aux militaires. La guerre de juin 1967 se solda par la perte du
plateau du Golan et renforça le refus syrien de reconnaître Israël.
288Le nouvel homme fort de Syrie, le général d’aviation Hafez al-Asad, gouverne la Syrie depuis cette

date jusqu’à nos jours. Le “Bismark des Arabes” s’appuie sur la minorité alaouite, l’armée et le Ba’ath,
dont l’optique est laïcisante. L’opposition des frères musulmans fut brisée à partir de 1980 et en 1982, la
tentative de révolution à l’iranienne de la ville de Hama fut durement réprimée (près de 10000 morts).
Alliée de l’Égypte pendant la guerre de 1973 contre Israël, la Syrie ne put reprendre le plateau du Golan
et perdit encore une bande de terrain. Elle signa, sous l’égide américaine, un accord de désengagement
partiel en 1974, récupérant une partie du terrain perdu, mais refusa de s’associer à l’Égypte dans les
accords de paix avec l’État hébreu. Elle anima au contraire le “front du refus” (avec l’Irak, la Libye, le
Yémen du Sud et l’OLP). Les relations restèrent difficiles avec l’Iraq, pourtant ba’athiste, et la Syrie
préféra l’Iran. Au Liban, la Syrie lutta tour à tour contre toutes les tendances jusqu’à parvenir à imposer
son hégémonie, sauf au sud-Liban, après les accords de Ta’if (1989). La chute du communisme en 1989-
1990 amena la Syrie à se rapprocher du camp occidental, et elle participa à la guerre du golfe en 1991
dans la coalition contre l’Iraq. A la conférence de Madrid, elle n’écarta pas la possibilité d’une paix
avec l’État hébreu, si le Golan, annexé par Israël en 1981, était restitué (1992) (Esposito, Deriennic).
289245 — Le Liban. Le Liban vécut longtemps dans la prospérité, mais sous un calme apparent. En 1958,

une véritable guerre civile éclata entre les partisans chrétiens du président Chamoun et les musulmans (et
leurs clients chrétiens) nassériens. Une intervention américaine mit fin aux affrontements et la présidence
du général Chehab permit une nouvelle période de stabilité. Au cours de cette période on adopta la loi du
16 juillet 1962 sur le droit de la famille. Elle tenait compte des diverses confessions. Pour les musulmans
la loi restait très hanéfite : les mariages de fillettes de neuf ans étaient autorisés ; la femme ne pouvait
mettre qu’une seule condition à son contrat, celle qui la répudie en cas de second mariage du mari ; elle
ne pouvait pas obtenir le divorce sur le motif de mauvais traitements. Les druzes curent un statut à part.
290Les lendemains de la défaite arabe de 1967 entraînèrent une autre guerre civile libanaise, autrement
plus longue et plus cruelle que celle de 1958. Le détonateur en fut l’afflux des Palestiniens chassés de
Jordanie en 1970-1971. Ils allaient perturber l’équilibre délicat des clientèles sunnites, maronites et
chiites. La guerre fit rage de 1975 à 1989. La Syrie intervint en 1976, puis des forces de l’ONU (1978),
Israël le fit plusieurs fois et notamment en 1982. L’État libanais demeura longtemps sans pouvoir face aux
milices et armées diverses qui s’entretuaient. Selon les accords de Tâ’if (1989) le Président libanais
devait être maronite, le Premier ministre (dont les pouvoirs sont augmentés) sunnite et le Président de
l’Assemblée chiite. L’Assemblée devait comporter un nombre égal de musulmans et de chrétiens.
L’abandon du principe du confessionnalisme était décidé. En fait le pays fut dominé par la Syrie, à
l’exception d’une bande de terrain au Sud, contrôlée par Israël. La proportion du nombre de musulmans
s’est considérablement accrue, car les chrétiens ont émigré en masse, et à l’inverse l’immigration
musulmane (Syriens ou Palestiniens) a afflué vers le Liban (Esposito, Deriennie, Encyclopédie
Universalis, Corm).
291246— La Jordanie. Le roi ’Abd Allâh (1921-1951) aurait voulu succéder à la Grande-Bretagne en
Palestine où il aurait accepté le foyer national juif, dans la logique hachémite. Sans la surenchère de ses
rivaux arabes, il y serait peut être parvenu, l’appui anglais lui étant acquis, mais les choses tournèrent
autrement. L’armée jordanienne fut la seule à obtenir quelques succès en 1948. C’est dans cette logique
hachémite qu’il faut comprendre l’annexion de la Cisjordanie en 1950 (reconnue par la Grande-Bretagne)
et les négociations secrètes que ’Abd Allâh conduisit avec Israël. Mais il fut considéré comme traître à la
cause arabe et assassiné en 1951. Après le bref règne de son fils Talal, son petit-fils Husayn lui succéda.
Le nouveau roi sut maintenir son pouvoir et son option favorable à l’Occident, en dépit des mille
tempêtes du Moyen-Orient. Les turbulences les plus dangereuses lui vinrent des Égyptiens et des
Palestiniens. En 1958 des troupes aéroportées britanniques l’aidèrent à déjouer un coup d’État
pronassérien. L’armée jordanienne fut battue en 1967 par Israël.
292En septembre 1970, le roi était devenu le meilleur allié de Nasser et acceptait avec lui le plan Rogers

qui comportait de mettre fin aux activités des combattants palestiniens. Après douze jours d’une cruelle
guerre (“Septembre noir”), les organisations palestiniennes furent brisées par l’armée jordanienne et
contraintes au départ au Liban. La Jordanie ne participa pas à la guerre israélo-arabe de 1973. Le
rapprochement avec l’Égypte et les Palestiniens se fit à partir de 1984. En 1988, le roi Husayn renonça
complètement à la Cisjordanie. Le roi eut toujours des sympathies envers les frères musulmans qui
l’aidèrent à contrebalancer la propagande nassérienne ou palestinienne et à se garer des plus extrémistes
des islamistes. Les frères entrèrent au gouvernement en 1990. Après la reconnaissance mutuelle d’Israël
et de l’OLP (1993), un traité de paix fut signé avec l’État hébreu l’année suivante. Le roi Husayn mourut
en 1999 et son fils ’Abd Allâh lui succéda.
293Du point de vue juridique, un code pénal inspiré du code égyptien fut adopté en 1951. La même année,

on promulgua une loi des droits de la famille, elle aussi inspirée de l’Égypte. Elle imposait aux juges de
ne pas reconnaître la répudiation si elle n’avait pas été enregistrée devant un cadi ; elle admettait la
validité des conditions interdisant une seconde épouse, et que toute l’institution du mariage soit modelée
par de telles conditions (droit hanbalite). En 1960 la loi n° 16 portant code pénal, abrogea le code de
1951, pour adopter un code inspiré du code libanais de 1943. Un code de statut personnel (loi n° 61 de
1976) reprit les dispositions précédentes, notamment celles de droit hanbalite. On y ajouta diverses
dispositions malékites, notamment le divorce judiciaire pour non-paiement de la pension, ou mauvais
traitements, ou pour maladies ou absence du mari (Esposito, El -Alami-Hinchcliffe, Corm).
294247 — L’Irak. La tension internationale due à la montée de l’État israélien empêcha Nûrî Sa’îd de

parvenir à une révision de l’accord de 1930 avec l’Angleterre. Les émeutes étaient fréquentes contre un
régime jugé trop proche de la Grande-Bretagne. La signature du pacte de Baghdad par l’Iraq (1955), la
guerre de Suez (1956), la proclamation de la RAU (1958) relançaient la propagande nassérienne contre
les dirigeants irakiens. En juillet 1958, le général ’Abd al-Karîm Qâsim (Kassem) prit le pouvoir à la
suite d’un coup d’État sanglant où le roi Faysal, la famille royale et Nûrî Sa’îd trouvèrent la mort. Le
nouveau régime fut d’abord favorable à Nasser, puis devint son principal ennemi. L’URSS, alliée des
deux pays, choisit l’Iraq où les communistes n’étaient pas pourchassés comme en Égypte. En 1961,
Kassem échoua à annexer le Koweït, à cause de l’opposition résolue de la Ligue arabe. La même année
recommençait la rébellion kurde qui resta endémique.
295En 1963, le général Aref renversa Kassem et mena une politique plus favorable à l’Égypte et à la Syrie
conformément à l’idéologie ba’athiste. On fit des projets d’unions... Mais, en 1965, les pronassériens
furent écartés du pouvoir. L’Iraq, dirigé par le frère d’Aref depuis 1966, fut inefficace pendant la guerre
de 1967. En 1968, un nouveau coup d’État permit au général al-Bakr de prendre le pouvoir. En 1969, il
nomma Saddam Husayn vice-président. Ce dernier gouverna seul les destinées de l’Iraq à partir de 1979.
L’Iraq dut faire face à une guerre intérieure contre les Kurdes (qui furent gazés). Une longue guerre contre
l’Iran n’aboutit pas à la récupération du Chuṯṯ al-’Arab (1980-1988). L’occupation et l’annexion du
Koweït entraîna une nouvelle guerre, cette fois-ci contre une grande coalition occidentalo-arabe (1991).
Le Koweït fut perdu, ainsi que la majeure partie des forces iraqiennes. Saddam Husayn reconnut
l’indépendance du Koweït en 1994, dans l’espoir d’obtenir la levée des sanctions de l’ONU, mais elles
ne furent levées que partiellement en 1996. Depuis, l’Iraq essaie en vain de retrouver une partie de sa
puissance militaire et économique, se heurtant aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne qui continuent les
bombardements.
296Du point de vue juridique, l’Iraq a adopté en 1953 un code civil (propriété, obligations) inspiré du

code égyptien de Sanhûrî. Un projet (1946) de code de statut personnel ne fut jamais promulgué par le
Parlement. Il comportait un système double, des dispositions pour les sunnites, et des dispositions pour
les chiites. Ce n’est que sous Kassem qu’on adopta la loi 188 de 1959 sur le statut personnel. Elle ne fait
référence à aucune école en particulier. Comme la loi syrienne de 1953, elle fait dépendre la conclusion
d’un second mariage de la preuve à fournir par le mari de sa capacité à entretenir une seconde femme ; de
plus, il doit produire la preuve qu’un avantage légitime en résultera. Dans la conclusion du mariage,
toutes les conditions qui entraînent un avantage pour la femme sont valides (droit hanbalite) ; leur non-
respect constitue une cause suffisante pour l’obtention du divorce. Toutes les dispositions du projet qui
devaient s’appliquer tantôt aux sunnites, tantôt aux chiites furent abandonnées, c’est un droit unifié, en
particulier pour les successions. Cette loi fut retouchée en 1963 et 1978.
297En 1959 on adopta une loi allemande sur les héritages, mais elle fut abrogée et remplacée en 1963, à la
mort de Kassem. La loi sur les successions des chiites duodécimains devenait désormais applicable à
tous les musulmans, en ce qui concerne les priorités des classes, mais les règles de distribution dans
chaque classe suivent tantôt une règle chiite, tantôt une règle sunnite. En 1969, un nouveau code pénal
d’inspiration égyptienne remplaça le vieux code de Baghdad de 1918. (Schacht, Coulson, Esposito, El -
Alami-Hinchcliffe)
298248 — La péninsule arabique. En Arabie Saoudite, le roi ’Abd al-’Azîz mourut en 1953 et Sa’ûd lui

succéda. Il fut détrôné en 1964 par son frère Faysal qui régna jusqu’en 1975. Faysal chercha à moderniser
le pays grâce aux revenus de plus en plus considérables du pétrole extrait par les compagnies
américaines. Il se fit le champion d’un panislamisme modéré, et soutint tous les mouvements religieux
islamiques. Le roi Faysal fut le fidèle allié des monarchies arabes contre l’Égypte et les États liés à
l’URSS, et, en même temps, l’ennemi d’Israël et l’ami des Occidentaux. Son frère Khalîd lui succéda de
1975 à 1982 et mena une politique semblable. Sous le règne du roi Fahd (depuis 1982), l’Arabie fut le
point de départ de la coalition occidentalo-arabe contre l’Irak et pour l’indépendance du Koweït (1991).
299Dans ce pays, le droit n’est toujours pas codifié. En Arabie Saoudite, les décisions ne font pas l’objet
de publication. Les juges se fondent sur l’ijtihâd dans chaque cas. Toutefois, pour éviter que les
jugements soient disparates, une Cour d’appel fut établie en 1954. La règle, suivant laquelle les autres
rites sunnites peuvent être préférés au hanbalisme dans des circonstances convenables, a été adoptée.
Parmi les marsûm-s importants on note celui sur les investissements, et récemment celui portant
Constitution (1992) (Tellenbach in Bleuchot, Institutions).
300Les divers émirats et principautés du Golfe (Koweït, Baẖrayn, Trucial Coast, Qatar, ’Uman, Aden,
Yémen) étaient sous protectorat anglais au début du siècle. Le Yémen, toujours zaydite gouverné par
l’imâm Yaẖya, puis Badr à partir de 1948, suivit une évolution qui le rapprocha de l’Égypte et de
l’URSS. En 1962 le coup d’État du général Salai amena une véritable colonisation égyptienne qui suscita
une guérilla royaliste soutenue par l’Arabie séoudite. La guerre prit fin en 1967 et l’Arabie reconnut la
République (nord)-yéménite. Aden devint indépendant la même année et prit le nom de Sud-Yémen. Les
autres émirats furent émancipés dans les années 1960. L’Iraq tenta d’annexer le Koweït en 1961, mais la
Ligue arabe s’y opposa. L’annexion qu’elle décida en 1990 suscita une coalition conduite par les État-
Unis qui aboutit à la restauration de l’indépendance koweïtienne en 1991. ’Uman, le plus vaste de ces
États, est toujours dominé par les ibadites.
301Dans les Émirats arabes unis (ex Trucial Coast), au Qatar, à Baẖrayn et ’Uman, le droit musulman non

codifié subsiste. Ce sont donc, selon notre terminologie, les seuls pays de droit musulman, les autres pays
prétendant avoir rétabli la loi musulmane sont de droit néo-musulman. Ces États de la péninsule, comme
l’Arabie Saoudite, possèdent souvent des Constitutions. L’exploitation de l’indispensable main d’oeuvre
étrangère se fait suivant des formules fort critiquées (Tellenbach et Nancy in Bleuchot, Institutions). Le
Koweït a adopté en 1984 un code de statut personnel très détaillé et strictement malékite. Le Nord et le
Sud Yémen, avaient adopté séparément des lois sur le statut personnel. Après leur unification (1990), une
nouvelle loi de 1992, porte code de statut personnel unique. D’esprit très conservateur, ce code tire son
inspiration des rites chaféite et zaydite. Ni les dispositions hanbalites permettant des mariages sous
conditions, ni les règles malékites de divorce judiciaire n’ont été adoptées (Esposito, El-Alami-
Hinchcliffe).

§ 4 - L’Afrique du Nord et le Soudan

302249 — La Tunisie. Sous l’impulsion de son président, Habib Bourguiba, la Tunisie mena résolument

une politique de laïcisation du droit. En 1956-1957, les tribunaux furent unifiés et les ẖabous supprimés et
réunis au domaine public pour les habous publics ou distribués aux bénéficiaires ou aux occupants pour
les habous privés.
303C’est surtout avec le code de statut personnel, promulgué le 13 juillet 1956, que les décisions
juridiques de la nouvelle République firent date. Le code fut un modèle de libéralisme, en même temps
qu’un essai loyal de conserver du droit musulman ce qui pouvait l’être : ainsi le don nuptial ou
l’empêchement au mariage provenant d’une parenté de lait fut conservé, mais la polygamie fut interdite et
qualifiée de crime. Le mariage devait être conclu par consentement des deux époux majeurs (mais ils
pouvaient déléguer ce pouvoir). Le mariage d’une musulmane avec un non-musulman fut implicitement
autorisé. Le divorce ne pouvait être prononcé que par un tribunal à la requête d’un des deux époux et pour
des motifs spécifiés par le code, le juge fixant alors le montant des indemnités dues par l’une ou l’autre
partie. Le divorce par consentement mutuel était autorisé. Toutefois le principe de l’égalité des sexes ne
fut pas admis pour l’héritage, qui suit le droit musulman malékite. Diverses lois furent faites dans les
années suivantes pour libéraliser et égaliser le droit successoral (réformes de 1957, 1959 notamment). En
1958, l’adoption fut légalisée. L’application de ce droit fut remis à un personnel judiciaire, en majorité
formé à l’ancienne, qui chercha à reprendre, par la jurisprudence, ce que la loi donnait aux femmes. C’est
la loi qui revint à la charge pour empêcher ce glissement et continuer les réformes, notamment en 1962,
1964, 1966, 1981... Elle dut lutter contre les “mariages coutumiers”, c’est-à-dire les mariages selon la loi
islamique, parfois polygames, en tout cas en dehors des formes légales.
304Au pénal, le code de 1913 est toujours en vigueur. Il a subi bien évidemment de nombreux
amendements, mais dans le même esprit moderne. Il en est de même du reste du droit légué par le
colonisateur qui fut modifié, complété, adapté, faisant du droit tunisien un véritable droit national.
305Malgré des problèmes économiques constants, une question sociale jamais résolue, un sous-
développement toujours présent, la Tunisie se sortit des grandes bourrasques de la fin du siècle dans un
confort relatif, en bonne intelligence avec l’ancien colonisateur (sauf pour l’affaire de Bizerte) et avec
ses voisins (voir toutefois n° 252). L’erreur du gouvernement tunisien la plus grave peut-être, c’est
d’avoir cru que c’était la gauche qui ruinerait l’État, alors qu’au contraire le danger venait de l’autre
bord. Par la suite la répression contre les islamistes fut de plus en plus dure, même après l’instauration du
multipartisme (1983). Le 7 novembre 1987, le président Bourguiba fut destitué, conformément à la
Constitution. Le président Zayn al-’Abidîn Bn ’Alî continua la même politique, mais de manière moins
ouvertement répressive. L’opposition islamiste, qui se présente pourtant comme modérée, ne cache pas
qu’elle veut remettre en cause tous les acquis de la Tunisie moderne. (Camau, Kerrou, Abû Salich)
306250 — Le Maroc. À l’indépendance, le sultan du Maroc, Muẖammad Bn Yûsuf, s’employa à réunifier
les zones délimitées par la colonisation (Tanger, Maroc espagnol, Ifni, Maroc français). En 1957, il prit
le titre de roi (Muẖammad V), tout en restant le Commandeur des croyants (amîr al-mu’minîn). Il
gouverna avec une Assemblée consultative (1956-1959) et le parti de l’Istiqlâl (’Allâl al-Fâsî). Mais ce
dernier se divisa : la fraction gauchisante, dirigée par Ben Barka fonda l’Union nationale des forces
populaires. Le parti de l’Istiqlâl ne regroupa depuis que la tendance conservatrice.
307A l’indépendance de nouveaux tribunaux de cadis furent créés pour remplacer les tribunaux berbères.

L’ensemble des tribunaux char’î fut muni d’instances d’appel régionales (1956). Un code fixa la
procédure (1957). La loi malékite du statut personnel fut codifiée, clic porte le titre de Mudawwana
aẖwal chakhsîya (1956-57). Le code mit l’accent sur l’istislâẖ (intérêt de la communauté). En bien des
points, il choisit des solutions minoritaires et chercha à poser un nouvel ’amal (jurisprudence). Le résultat
ne fut pas très audacieux. Parmi les dispositions de cette loi, notons que le walî perdait son droit de
forcer au mariage une femme majeure et que la condition interdisant une seconde épouse (droit hanbalite)
fut admise, ce qui ouvrait le droit de divorcer à la première épouse.
308Les autres tribunaux furent aussi réformés. L’objectif était de séparer la justice de l’administration. Une

hiérarchie de tribunaux de première instance et régionaux fut coiffée par le Haut tribunal chérifien (1956).
Un code pénal inspiré de droit français fut adopté en 1962 (il était inspiré du code criminel de 1954). La
rupture en public du jeûne du mois de Ramadan était punie de six mois de prison. Le code retenait le
crime de zinâ (fornication) et lui infligeait 6 mois d’emprisonnement. Le droit musulman fut ici écarté. De
même en matière de vol.
309Le roi Muẖammad V mourut en 1961 et son fils Hasan Il lui succéda. Une Constitution fut adoptée en

1962, mais le Parlement avait des pouvoirs limités. En 1965, des émeutes à caractère social furent
sévèrement réprimées et l’état d’exception fut proclamé. C’était un curieux état d’exception d’ailleurs,
laissant subsister les partis et une assez large liberté de presse. Les tribunaux furent unifiés en 1965, leur
système simplifié. La hiérarchie comprenait des tribunaux de paix, des tribunaux régionaux, des cours
d’appel, le tout étant coiffé par la Cour suprême. La justice fut arabisée en 1966. En 1970, une nouvelle
Constitution fut adoptée (et amendée plusieurs fois par la suite). Un complot militaire faillit emporter la
monarchie en 1971 et le roi échappa de justesse à la mort. Les partis politiques marocains avaient tous
admis le principe monarchique et préféraient la monarchie constitutionnelle à toute aventure républicaine
ou militaire. Une véritable union nationale se fit jour lors de l’affaire du Sahara occidental (1974), et le
Maroc finit par récupérer l’ancien Rio de Oro espagnol, malgré l’opposition d’une guérilla sahraouie
soutenue par l’Algérie (1979). Aussi, en 1977 de nouvelles élections législatives furent possibles et
curent lieu pour la première fois depuis 1963. En 1983, Sahara oblige, les partis d’opposition entrèrent
dans le gouvernement. Les extrémistes de gauche (favorables à l’indépendance du Sahara) ou les
islamistes furent arrêtés, jugés, condamnés. Toutefois la fin du règne du roi Hasan II fut plus calme. Une
série de révisions constitutionnelles permit l’élection, en 1997, d’une Chambre des représentants
entièrement élue au suffrage universel. Le chef de l’opposition socialisante, ’Abd ar-Raẖmân Yûsufi
devint Premier ministre. Une relative prospérité économique détendit l’atmosphère. Le roi mourut en
1999 et son fils Muẖammad VI lui succéda. (Miège, Santucci, Leveau).
310251 — L’Algérie. Le gouvernement algérien de Ben Bella (1962-1965), issu de la guerre et de la crise

de l’été 1962, ne chercha pas à bouleverser la législation française dans l’immédiat. Celle-ci fut donc
reconduite (loi du 31 décembre 1962), et on continua à légiférer dans la même veine. En 1963, fut créée
une Cour suprême qui était à la fois Cour de cassation et Conseil d’État. Le système pénal fut réorganisé
en 1963 par la création de tribunaux criminels populaires (cours d’assises) et de tribunaux correctionnels
populaires.
311L’option socialiste décidée par le parti unique FLN et exprimée dans la Constitution de 1963, et

notamment dans la Charte d’Alger de 1964, fut maintenue après le coup d’État de Boumediene (1965-
1978). Nationalisations (des biens vacants, des banques, des pétroles...), industrialisation, réforme
agraire, autogestion, villages socialistes... telles étaient les orientations de la politique officielle. En
1965 les tribunaux furent unifiés, l’organisation judiciaire et la procédure simplifiées. En 1966, on adopta
une série de codes de type français : code pénal, de procédure pénale, de procédure civile, mais le code
de la famille ne vit pas le jour étant donné l’affrontement entre les tendances modernistes et
traditionnalistes au sein même de l’appareil du FLN.
312De plus, les thèmes de l’idéologie socialiste officielle étaient peu parlants pour bon nombre
d’Algériens, plus sensibles aux discours religieux qui n’avaient pas été abandonnés. Une arabisation
massive et trop rapide (1971 pour la justice), un accroissement démographique non maîtrisé, l’échec des
politiques économiques industrialisantes, devait conduire à un conflit entre l’élite nationaliste au pouvoir
et une masse de jeunes chômeurs arabisés sans avenir qui se rallia aux thèmes islamistes. Les profondes
transformations administratives et politiques qui culminèrent en 1976 avec la Charte nationale et une
nouvelle Constitution ne parvinrent pas à créer l’unanimisme recherché.
313Sous Chadli Benjedid (1978-1992), la pression de l’opposition religieuse était déjà très forte. Témoin,

le code de statut personnel, qui finit par paraître en 1984. Il suit de près le droit malékite. Il maintient la
répudiation sans motif, oblige au contraire la femme à justifier sa demande de divorce ; la polygamie y
est maintenue ; en matière d’héritage aussi on a suivi les règles malékites. L’article 222 permet au juge, en
cas de silence de la loi, de se référer “à la charî’a”, ce qui permettrait toute sorte d’ijtihâd.
314Quand des “émeutes de la faim” furent durement réprimées en 1988, les ralliements au Front islamique
de Salut (Abbâsî Madani, ’Alî Belhaj) se produisirent en masse chez les jeunes. Le multipartisme,
instauré en 1989, permit le succès du FIS aux élections législatives (1991) et amena une intervention de
l’armée qui annula les élections (1992). Muẖammad Boudiaf fut nommé président, mais il fut assassiné
peu après (juin 92). Une véritable guerre civile éclata, scandée par des massacres de civils, par villages
entiers. Le président Zéroual (1994-1999) ne voulut ou ne put rien céder, ni aux démocrates, ni aux
Kabyles, et encore moins aux islamistes. L’élection du président ’Abd al-’Azîz Bouteflika en 1999
semble pourtant apporter un espoir de solution politique à la crise, d’autant plus qu’une grande partie de
la jeunesse, rebutée par la tournure prise par la guerre civile, semble souhaiter un retour au calme. (Leca-
Vatin, Etienne).
315252 — La Libye. On a vu qu’à la suite des défaites germano-italiennes, en 1942, les Anglais
occupaient la Tripolitaine et la Cyrénaïque, et les Français le Fezzan. La question libyenne fut remise à
l’ONU après la guerre. L’instance internationale décida de son indépendance (1949) qui eut lieu en 1951.
L’émir de la sanûsîya fut proclamé roi de Libye sous le nom d’Idris Ier. La Libye qui était une fédération
de trois provinces, devint un État unifié en 1962. Très pauvre à ses débuts, la Libye devint un pays riche,
du moins en théorie, après la découverte de grandes ressources pétrolières (voir Talha, Retal, in AAN).
316Le système juridique de l’Égypte servit de base à la refonte du système libyen. Le code civil adopté en

1954 prit pour modèle le code Sanhûrî. Le code pénal en 1953 combina l’inspiration italienne et la
française. Pour le statut personnel le droit malékite s’appliquait, avec quelques aménagement législatif,
par exemple l’interdiction de constituer un waqf déshéritant les filles (ce qui est du strict droit malékite,
mais interdit de faire usage du droit hanéfite, comme c’était la coutume).
317Le 1er septembre 1969, un coup d’État amena au pouvoir une junte militaire où domina très vite le

colonel Kadhafi (Mu’ammar al-Qadhdhâfi). On peut distinguer trois périodes dans la vie politique
libyenne, toutes marquées par la forte personnalité de Kadhafi.
318Dans un premier temps, le colonel faisait la quasi unanimité des Libyens. Le slogan de l’époque était le
slogan nassérien, “liberté, socialisme, unité”. La Libye obtint l’évacuation des bases anglaise et
américaine. Elle nationalisa partiellement les compagnies pétrolières et obtint l’augmentation des prix du
pétrole. Elle rechercha l’unité arabe, mais les unions décidées avec l’Égypte, le Soudan et la Syrie
(1971-1973) échouèrent, comme celle signée avec la Tunisie (1974). Après la troisième guerre israélo-
arabe (1973), la Libye s’opposa énergiquement à l’Égypte et à toute solution négociée avec Israël.
319Du point de vue juridique, le système mis en place par la monarchie ne fut pas fondamentalement

changé sous le nouveau régime Toutefois on adopta des lois réintroduisant la loi islamique en 1972-1974
(Mayer). Ce sont des compléments au code pénal et aux lois civiles. La solution adoptée pour écarter
l’application du droit pénal islamique est purement procédurale mais entre bien dans la tradition de
méfiance des fuqahâ’ envers le droit pénal musulman. Ces lois sont plus l’expression d’une volonté
d’arabisation à outrance, que d’islamisation. Les tribunaux furent unifiés en 1973.
320Dans un second temps, Kadhafi chercha la mise en application d’un système social plus juste, d’abord

par le biais d’une révolution populaire dont le plus clair résultat fut d’introduire des comités populaires
dans l’administration. Puis on mit en application le système préconisé par le Livre vert, qui généralisait
le principe de l’autogestion. Un Congrès général du Peuple, regroupant tous les comités populaires devait
être l’expression d’une nouvelle formule de démocratie directe. La Libye se proclama alors comme étant
une Jamâhîrîya, pouvoir des masses, nouveau concept que l’on prétendait substituer à celui de
démocratie. Toutefois le pouvoir réel était detenu par un réseau de comités révolutionnaires qui prenait
ses ordres de Kadhafi. Le résultat économique de cette politique fut désatreux, mais masqué par
l’abondance financière que donnaient les revenus pétroliers.
321Quand ces revenus baissèrent du fait de la nouvelle conjoncture économique au début des années 1980,
les oppositions s’avivèrent. Comme la révolution n’admettait pas la remise en cause de ses options
fondamentales et que des opposants furent assassinés ou pendus en public, l’opinion bascula. Un
mouvement islamiste dénonça les vues du régime, en particulier le rejet de la Sunna que Kadhafi
préconisait. Des complots, des tentatives d’assassinat de Kadhafi, des rébellions se produisirent, et en
retour des pendaisons. En politique extérieure l’activisme libyen utilisa la subversion et le terrorisme
pour parvenir à l’unité arabe et à la défaite d’Israël et de ses alliés réels ou supposés, ce qui lui suscita
des haines tenaces dans le monde occidental, en Afrique et dans le monde arabe.
322Sur le plan juridique il faut noter la tentative de faire passer au Congrès général du peuple un nouveau

texte, très libéral, sur le statut personnel. Mais le Congrès le modifia, preuve qu’il avait une certaine
marge de manœuvre, en un sens plus conservateur. La loi 10 de 1984 permit le contrat de mariage sous
conditions (droit hanbalite). L’âge du mariage fut fixé à 20 ans, sauf permission du tribunal. La contrainte
matrimoniale fut interdite. En revanche, le mariage de la musulmane avec un non musulman ne fut pas
permis, la polygamie fut autorisée sous réserve de faire la preuve de la capacité économique et physique
du mari. La répudiation fut maintenue. En 1991 toutefois, deux articles furent modifiés, rendant la
polygamie et la répudiation plus difficiles. Le futur polygame devait désormais obtenir l’autorisation
écrite de sa première femme.
323Le troisième temps s’ouvrit par un bombardement de la caserne de Tripoli par les Etats-Unis (1986) en

représailles d’attentats terroristes. La population de la ville resta presqu’indifférente à ce qui arrivait,


démontrant clairement sa désaffection. Peu après les troupes libyennes furent battues au Tchad (1987), et
une partie de cette armée rejoignit l’opposition en exil. Kadhafi chercha alors à desserer l’étreinte sur le
peuple, à regagner sa confiance. L’idéologie officielle parla alors d’ouverture (infitâẖ), comme l’avait
fait Sadate. On laissa un secteur privé coopératif se reconstituer. On proclama une Charte verte des droits
de l’homme (1988). On se réconcilia avec les voisins tunisiens et égyptiens, on signa un accord pour la
création d’une Union du Maghreb arabe avec le Maroc (1989). La Libye resta même neutre dans le conflit
du Golfe.
324Mais l’opposition n’ayant pas désarmé, le régime retomba dans la répression. La prospérité ne fut pas

au rendez-vous. De nouvelles affaires de terrorisme (attentats meurtriers contre les avions de l’UTA et de
la TWA), conduisent à des sanctions de l’ONU et à un embargo aérien (1992-1999). La Libye semble
vivre dans une atmosphère de “fin de règne” (Burgat). Le Nord du Tchad fut évacué en 1994. (sur
l’ensemble, voir Bleuchot, Libye nouvelle, Chroniques et documents libyens ; Bleuchot-Monastiri,
L’évolution... ; Laronde-Burgat ; Djaziri ; Davis ; pour le droit : El Alami-Hincheliffe, Monastiri...).
325253 — Le Soudan. L’histoire du Soudan est marquée par une alternance entre des périodes à régime

parlementaire (1956-1958 ; 1964-1969 ; 1985-1989) et des périodes à régime militaire (’Abbûd, 1958-
1964 ; Numeiri, 1969-1985 ; al-Bâchir, 1989...). L’échec des régimes parlementaires s’explique par
l’incapacité des deux grands partis ou groupes de partis, inspirés par deux forces religieuses rivales (la
mahdîya et la khatmîya), à s’entendre sur un programme de travail raisonnable. Deux problèmes majeurs
se posaient à l’indépendance, le sous-développement et la révolte du Sud. L’attention se focalisa au
contraire sur la nature théologique du régime. Un régime laïc (celui légué par l’occupation britannique)
était-il compatible avec l’islam ? Le coup d’État de ’Abbûd se produisit contre un projet de régime
islamique, mais ’Abbûd, voulant arabiser le Sud dans l’espoir d’unifier les esprits, n’aboutit qu’à y
susciter une large opposition qui prit très vite un tour religieux, christianisme contre islam. La révolution
populaire de 1964 fut en grande partie conduite par des éléments de gauche (le parti communiste était très
fort), mais le régime parlementaire qui prit sa suite retomba aux mains des forces conservatrices, qui de
nouveau, songèrent à établir un régime constitutionnel islamique. Le coup d’État de Numeiri (1969) mit
fin à ces tentatives. Le nouveau président mena une politique laïcisante de type nassérien. Il parvint à un
accord dans le Sud et à une paix relative sur le fondement d’une union fédérale. Mais le régime brisa le
parti communiste et s’aliéna ses appuis de gauche sans parvenir à convaincre les cléments conservateurs
du Nord. La montée des islamistes noyauta l’État. Numeiri, changeant alors du tout au tout, décida
l’islamisation du Soudan en 1983, ce qui eut pour résultat immédiat l’exacerbation de la guerre dans le
Sud (car elle avait repris un peu avant). Une nouvelle révolution populaire (1985) fut rapidement
confisquée par les éléments conservateurs qui furent incapables de proposer des solutions au problème
du Sud, ni de se poser franchement comme régime démocratique, fédéral et laïc. Le dernier coup d’État
(1989) fut conduit par des islamistes et le régime se trouve dans la même situation : rébellion au Sud,
divergences graves au Nord (toujours sur la nature du régime), et surtout situation économique
désespérée.
326Les turbulences dans le droit soudanais ne commencèrent vraiment que sous Numeiri qui avait, au
début, le projet de l’égyptianiser (1969-1973), mais qui, en 1983, décida de l’islamiser. On a surtout
remarqué le problème du droit pénal (Köndgen, Bleuchot, Le code pénal de 1983) en raison de la
réintroduction de la peine d’amputation pour vol. Cette peine du droit musulman classique, refoulée au
Soudan par les coutumes et les droits régaliens depuis le xvie siècle qui lui substituaient des
compensations ou des amendes, avait été appliquée à la suite de la vague de piété radicale de l’époque
mahdiste, mais ignorée par le condominium anglo-Égyptien (1898-1956) (Bleuchot, Les cultures).
327Succédant à Numeiri, le régime parlementaire (1985-1989) où domina Sâdiq al-Mahdî, se borna à
“suspendre” les lois de Numeiri, sans parvenir à une décision, même pas pour mettre fin à la guerre
civile. Le coup d’État du général Béchir cacha quelque temps sa nature islamiste, mais le code pénal de
1991 leva tous les doutes. Quoique les partis politiques soient interdits, Hasan at-Turâbî, responsable des
frères musulmans (National Islamic Front) semble diriger le pays en coulisses. Mais la pauvreté générale
du Soudan, le manque total de libertés publiques, la guerre qui se prolonge au Sud, les divergences entre
Turabi et Béchir laissent mal augurer de l’expérience islamiste (Grandin, Lavergne, Delmet, Prunier,
Bleuchot, La liberté religieuse).

Notes
1 C'est la terminologie de l'époque et sa traduction officielle. Par la suite on préféra le terme arabe “qawmî”, traduit par “national”.
2 Terme absurde puisqu'ils étaient déjà français. Il s'agit en fait de “citoyennisation”, puisqu'elle donnait le droit de vote. Il y eut au total, pour
toute la période coloniale, moins de 10 000 “naturalisations”.
3 Les musulmans furent représentés dans divers organismes avant cette date, mais dans une proportion ne dépassant pas le quart.
Conclusion de la partie historique

1254 — Nécessité de nouvelles études. L’histoire du droit musulman est une terra incognita que l’on doit

explorer. Nous avons la conviction qu’elle n’est pas figée et que, au-delà des répétitions des formules
stéréotypées des manuels de fiqh, se dessine une véritable histoire de la pensée juridique. Certes, elle
n’apparaît pas avec évidence. Mais il faut tenir compte du fait que les auteurs devaient “faire le
programme” officiel des cours, et surtout se garer de toute extravagance politique ou religieuse, ce qui
leur aurait coûté cher. Il faut donc repérer les moyens qu’ils ont adoptés pour s’exprimer, déceler
l’originalité au fin fond des commentaires de commentaires, mettre en évidence l’enjeu des débats
techniques, etc. Les textes existent, ils sont publiés en nombre ; on connaît de mieux en mieux les
contextes car les historiens ont fait un travail énorme. Il est temps que les juristes se mettent à réfléchir
sur leur histoire et à l’écrire. Notre essai historique, imparfait bien sûr, se veut comme une première
synthèse, indiquant comment on pourrait faire une véritable histoire du droit musulman.
2Pour aider à de nouvelles synthèses, nous ajouterons encore quelques considérations qui pourront être

utiles à l’histoire du droit musulman dans son ensemble. On s’est ainsi proposé de discuter de la méthode
dans les comparaisons (§ 1) et de la querelle des influences (§ 2) avant de dire la situation actuelle du
droit musulman (§ 3).
§ 1 - La méthode dans les comparaisons
3Les initiations au droit islamique écrites par des musulmans modernes comportent souvent une partie
générale où la loi islamique, la charî’a (et non le fiqh) 1 est “comparée” à la loi positive moderne (par
ex. Abû Zahra, Zaydân, Qaṯṯân... mais aussi souvent les cours de Faculté). L’initiateur de cette
comparaison est sans doute ‘Abd al-Qâdir ‘Awda, dans l’introduction de son livre sur le droit pénal
islamique. Nous avons examiné l’un de ces ouvrages.
4255 — L’ouvrage de ‘Abd al-Karîm Zaydân. L’auteur, un réformiste semble-t-il, part de la définition du

mot charî’a (chap. 2, p. 38-61), dont le sens originaire est le chemin qui mène à l’abreuvoir — ce serait
plutôt la zone proche d’un point d’eau, même le rivage de la mer. La charî’a est ensuite définie comme
l’ensemble des prescriptions divines incluses dans le Coran et la Sunna, et là seulement.
5Elle se caractérise par son origine divine, alors que toutes les lois positives sont d’origine humaine. Elle

est donc parfaite et exempte d’injustice, de fantaisie, etc. Ainsi elle a posé le principe d’égalité de race,
de sexe, de langue, quoiqu’elle tienne compte de la différence de religion, mais de manière juste et
conforme aux croyances et suivant l’adage “lahum mâ lanâ wa ‘alayhum mâ ‘alaynâ” “Leurs droits sont
nos droits et leurs devoirs sont nos devoirs”. Ainsi, tous sont soumis au mêmes lois, en particulier aux
ẖudûd. En regard la loi positive est injuste, comme le prouve l’exemple du droit américain où les noirs ne
peuvent épouser des blanches...
6Le respect de loi islamique s’impose à tous, gouvernants et gouvernés, de l’intérieur, à partir de la foi et

de l’âme, ce qui est la meilleure garantie de sa bonne application, de son efficacité. Quand le Prophète a
demandé d’éviter le vin, les musulmans ont, spontanément, crevé leurs outres. La sanction de la loi divine
appartient à la fois à ce monde et à l’autre. Elle tient compte du repentir et récompense les bonnes
actions. Elle atteint donc les mauvaises intentions et les crimes cachés. Tout autre est le résultat avec la
loi positive : la loi américaine de la prohibition n’a eu aucun résultat malgré l’ampleur de la propagande
et l’activité de la police...
7La loi islamique peut s’appliquer à toute l’humanité en tout lieu et en tout temps. Elle ne peut être

abrogée ni être modifiée, si ce n’est par Dieu. Elle est la fin de toute législation, comme Muẖammad est
le sceau des prophètes. Elle est conforme aux intérêts de toute société comme le souligne la théorie des
buts de la charî’a qui est développée dans les usûl al-fiqh (voir chapitre 5, t. II). Ces buts sont la
protection des cinq nécessités (ḏarûriyât) : la religion, la vie, la raison, l’honneur, les biens matériels.
Elle permet la satisfaction des besoins (ẖâjiyât) grâce à des permissions diverses comme la vente à
crédit, le divorce, la compensation en cas de meurtre accidentel. Enfin elle apporte des améliorations
vertueuses (taẖsinât) : pureté, pudeur, embellissements des mosquées, interdiction du meurtre des femmes
en temps de guerre...
8L’auteur poursuit par une citation d’Ibn Qayyim : “Elle (la charî’a) est construite et fondée sur les

maximes de sagesse (hikam) et les intérêts (masâliẖ) des fidèles dans leurs vies présente et future. Elle
est toute entière justice, tout entière miséricorde et intérêts, et tout entière sagesse (ẖikma). Toute question
qui sort de la justice et va vers l’injustice, ou qui sort de la miséricorde et va vers son contraire, ou qui
sort des intérêts et va à la corruption, ou qui sort de la sagesse et va à la frivolité, ne fait pas partie de la
charî’a, même si on l’y a mise par interprétation.” (cité p 49, extrait de l’ I’lâm al-mûqi’în, t 3, p 1).
9Un tel texte justifie le remodelage de la loi islamique en fonction du droit naturel, représenté ici par les
concepts de justice, miséricorde, intérêts et sagesse. Toutefois A. Zaydân dit un peu plus haut que les
besoins les plus pressants sont ceux auxquels la loi pourvoit et que les maux les plus dangereux sont ceux
que la loi réprime : on a donc ici un modelage du droit naturel par le fiqh... C’est finalement une
dialectique complexe qu’ont entrepris les réformistes, entre l’air du temps (ce qu’est en fait le droit
naturel) et celui de l’époque abbasside (qui a produit l’essentiel du droit musulman). Mais de graves
problèmes se posent, pour le contenu du mot charî’a et pour le mode de comparaison.
10256 — Ambiguïté de la charî’a selon les modernes. Le succès même de cette comparaison entre

charî’a et droit positif laisse penser qu’on n’a pas vu ce qu’elle avait de faux. Cela tient tout d’abord à
l’ambiguïté du terme charî’a. Si la charî’a est le fiqh, alors toute la comparaison est fausse, puisque le
fiqh exposé dans les traités n’a pas les qualités qu’on attribue à la charî’a (universalité, permanence,
justice, égalité, liberté, humanisme, etc.). Si la charî’a est le Coran avec ou sans la Sunna, on est ramené
au fiqh. D’abord parce que le Coran est ramené à la Sunna, puisque, sans la Sunna, le Coran est
incompréhensible selon les règles mêmes posées par les usûl al-fiqh. Quant à la Sunna, elle n’est qu’une
façon d’exposer la mise en ordre de la pensée musulmane à l’époque abbasside, c’est dire qu’elle est le
fiqh même dans son premier état. Enfin s’il ne s’agit que de la charî’a comme “voie”, elle est réduite
alors à des principes très généraux (c’est le point de vue de Qattân, p 20-21), et la comparaison entre la
charî’a et le droit positif n’a pas lieu d’être puisque qu’on compare le même au même. En effet, ces
principes sont peu nombreux, vagues et connus depuis l’antiquité : il faut respecter les contrats, une dette
doit être payée, la peine doit être proportionnelle à la faute, etc. Le droit positif et le fiqh ont alors les
mêmes principes (antiques) sous des appellations différentes (charî’a et droit naturel).
11257 — Règle fondamentale des comparaisons. La comparaison que nous discutons est indue surtout

parce qu’on compare des législations qui existent (le droit positif) à un idéal, la charî’a, dont on ne sait
pas trop ce qu’il est. On viole la règle fondamentale de toute comparaison qui est de comparer ce qui est
comparable.
12Pour être tout à fait net sur notre position et montrer qu’elle ne recèle pas de parti pris, éclairons-la par

une comparaison inverse, celle qu’effectuerait un philosophe incroyant avec la même (fausse) méthode. Il
dirait que le droit naturel est valable en tout temps et en tout lieu, puisqu’il ne dépend que de la raison
pure, immuable, scientifique, aussi sûre et universelle que le sont les mathématiques. Il soutiendrait que le
droit religieux est toujours relatif à une religion, qu’il en est des milliers, et que même à l’intérieur d’une
même religion ce ne sont que déchirements et crimes entre factions. Il affirmerait encore que le droit
naturel est efficace parce que tous les hommes ont une raison, alors que tous les hommes n’ont pas la
même foi, ce qui les divise et les incite au mépris de l’autre et à la guerre. Il pourrait même ajouter, s’il
croit en Dieu, que seule la raison permettra le dépassement de la diversité des usages humains et des
guerres de religions, préparant ainsi le seul vrai culte de Dieu qui est de faire le bien sans esprit de
chapelle (‘asabîya), etc.
13Inutile de poursuivre : on comprend tout de suite que ce droit naturel, cette raison, ce vrai culte, sont

des idéaux qu’on oppose au concret des religions qui ne sont vues que par leurs aspects négatifs. C’est le
même péché que commettent, en inversant les termes, ceux qui veulent valoriser la charî’a. La leçon est
méthodologique uniquement : il faut comparer idéal à idéal, principe à principe, livre sacré à livre sacré,
abstrait à abstrait, société à société, histoire à histoire, etc., et non pas idéal à réalisation concrète, livre
sacré à histoire, etc.
14De plus, les comparaisons qui semblent les plus légitimes ne doivent pas être poussées trop loin. On a

souvent comparé la situation du fiqh par rapport aux droits des États musulmans, à celle du droit romain
par rapport aux droits occidentaux. Ici, il y a une différence fondamentale : le droit romain n’est pas un
droit révélé et il n’a jamais acquis un statut religieux comparable au droit musulman. Quant au droit
canonique, il n’a jamais joué le rôle du fiqh en Occident, car il n’a jamais visé à se substituer aux droits
étatiques à l’inverse du droit musulman.
15On voit donc que le chapitre des comparaisons est plus que périlleux. Les comparaisons doivent servir

surtout à faire voir les différences de système. C’est pourquoi elles sont nécessaires. Un chercheur qui ne
travaille que sur l’islam et ne connaît que l’islam ne pourra pas voir tout ce qu’est l’islam. Le
“dépaysement anthropologique” est toujours nécessaire. Un autre exercice périlleux est celui de la
détermination des influences.
§ 2 - La querelle des influences
16258 — La rigueur à retrouver. Je ne crois pas plus à l’influence du droit romain sur le droit musulman

qu’à l’influence du droit malékite sur le code Napoléon (affirmé parfois du côté arabe, voir par exemple
‘Alî ‘Alî Mansûr).
17En effet, qu’est-ce qui peut migrer d’une civilisation à l’autre ? Certainement pas ce qu’il y a de

spécifique à une civilisation, mais seulement ce qui peut passer pour juste, rationnel ou naturel ou
universel ou banal, comme on voudra. Or ce non-spécifique, s’il est considéré comme tel (juste,
rationnel, naturel, etc.), c’est qu’il est rattachable à ce que l’on sait ou que l’on croit déjà juste, rationnel,
naturel, etc. On n’emprunte que ce que l’on sait déjà, au moins à moitié. Le droit romain et le droit
musulman ont puisé au même fond. Il est évident que les Mecquois étaient en contact avec le Yémen, zone
de grande civilisation, et savaient fort bien faire du commerce et régler leurs problèmes familiaux. Les
Espagnols chrétiens adoptèrent certaines dispositions prises au droit du jihâd (Boisard). Mais il est clair
que ce qui passe concerne le respect des ambassadeurs, des non-combattants, des prisonniers, autant de
sentiments humanitaires qu’on trouve ressassés chez les historiens romains ou grecs.
18Il est de plus certain que l’adoption d’une idée étrangère doit correspondre à un niveau de civilisation

comparable, en tout cas à un faible décalage de niveau. On n’adopte que ce dont on voit l’intérêt, et pour
le voir, il faut être déjà fort capable. Le récepteur doit avoir un système (de pensée, de droit, de société,
etc.) qui lui permet de voir l’intérêt de l’élément étranger et de le digérer. Les populations les plus
primitives du globe n’ont que faire de la théorie de la relativité ou de l’informatique. À l’inverse quand
les Égyptiens ou les Ottomans adoptent le droit français, leur niveau de civilisation est déjà considérable
et ils sont capables d’emprunter ce qu’ils jugent utile.
19D’ailleurs tout est ambigu dans cette question des influences. On vient de dire que ce qui est spécifique

ne migre pas. Certes, le code Napoléon ne reprend pas les quatre femmes du droit malékite. La polygamie
n’est pas passée en France, que ce soit par l’Espagne, ou par l’expédition de Bonaparte. Mais si elle était
passée, on aurait pu dire qu’elle vient du droit romain ou juif ! Et comment sait-on que quelque chose est
spécifique ? Parce que la chose n’est pas passée ailleurs ! La monogamie est-elle spécifique à l’Occident
chrétien ? Elle n’est pas passée dans le monde arabe ou africain malgré les colonisations. Mais dira-t-on
qu’en Tunisie ou en Turquie c’est l’Occident qui l’a imposée ? Les femmes musulmanes n’ont-elles pas
été souvent hostiles à la polygamie ? Les réformistes sont-ils les premiers à la condamner ? Les juristes
(longtemps unanimes sur la polygamie par quatre) expriment-ils tout le savoir, l’expérience et le
dynamisme moral d’un peuple, de dizaines de peuples musulmans ? Non, bien évidemment, et il nous
suffira de rappeler la coutume de Kairouan, où, grâce aux conditions (churûṯ) du contrat de mariage, on
avait institué la monogamie.
20Je pense que toutes les influences, si elles existent, ne sont que marginales. Même dans le cas d’une

influence imposée (accompagnée d’occupation), les phénomènes restent ambigus. Ce sont les Grecs
colonisés qui ont influencé les Romains. Dans le cas de la colonisation européenne, la pénétration des
idées nouvelles a été très lente, suivant (plutôt que précédant) le désir de réforme, la dynamique interne
de modernisation. Le cas des modernistes ne doit pas faire oublier l’ampleur de la réaction traditionaliste
et islamiste qui montre bien qu’il ne suffit pas que certaines idées soient énoncées pour qu’elles soient
immédiatement adoptées.
21Toute une méthodologie devrait d’abord être fondée avant qu’on puisse parler d’influence. Pour
prouver une influence il ne suffit pas de constater des analogies ou des décalages temporels. Même l’aveu
explicite du récepteur, qui semblerait constituer une preuve, peut être mis en doute : que d’auteurs ont
présenté leurs idées nouvelles sous l’autorité d’un grand nom ! Finalement la querelle des influences
risque bien de n’être qu’un faux problème, comme celui de l’individu et de la société ou celui de l’inné et
l’acquis. Et un auteur friand de ce genre de démonstrations par influences, ne révèle en fin de compte que
son imprudence critique, ou les travers qui détruisent son esprit scientifique, comme la fierté nationale,
l’esprit de militant religieux, le besoin de se consoler de la misère momentanée de sa civilisation, etc.
Dans le monde arabe, on s’est beaucoup moqué de Kadhafi qui avait affirmé que les Arabes avaient
découvert l’Amérique, mais trop d’apologètes du droit musulman ne font pas autre chose et Kadhafi est le
produit de leur enseignement. La rigueur est d’autant plus nécessaire que la situation actuelle du droit
musulman est particulièrement difficile.
§ 3 - Situation actuelle du droit musulman
22259 — Situation du droit musulman. Constatons d’abord la situation “éclatée” du droit musulman à

l’heure actuelle. Le droit musulman a certes toujours été très varié et même instable dans sa formulation
autant que dans ses formations concrètes, mais depuis le xixe siècle et au xxe siècle surtout, que l’on
analyse les législations effectives ou les théories des uns et des autres, le phénomène n’a fait que
s’accentuer. Tout un ensemble de facteurs explique cette situation. Au départ même on peut invoquer les
éléments structurels du droit musulman : rites multiples, divergences innombrables, ruses dans les
pratiques, coutumes locales, etc. Ensuite il faut souligner les effets de l’histoire ancienne et récente et
notamment la perte de pouvoir des ulémas sous l’action des colonisateurs et des gouvernements arabo-
musulmans. Plus récemment les théories des réformistes, des modernistes et même des islamistes posent
nettement la nécessité d’une réforme profonde du droit musulman.
23Tous ces facteurs expliquent la situation confuse qui existe en la matière. Il n’y a pas deux codes néo-

islamiques qui soient identiques. Il est fréquent de lire ou d’entendre soutenir des théories sur le droit
musulman qui sont sans aucun rapport ni avec le droit musulman classique, ni avec les législations
modernes, ni même avec un projet cohérent quelconque, réformiste ou moderniste. Malgré l’idéal sans
cesse proclamé d’une loi “valable en tout temps et en tout lieu”, on ne sait plus où est le droit musulman,
sauf pour les ulémas traditionalistes pour lesquels il n’est et ne peut être que dans les traités de fiqh de
basse époque.
24Les traditionalistes ont retrouvé quelque prestige ces vingt dernières années, grâce à l’appui direct ou
indirect des islamistes et des gouvernements. Il s’ensuit qu’un système de pouvoir surpuissant fausse les
débats et condamne à l’avance toute formule nouvelle. Des facteurs psychologiques très importants
semblent condamner les intellectuels musulmans à choisir entre deux aliénations, celle, “dans l’espace”
de l’Occident ou celle, infiniment plus grave, “dans le temps” d’une crispation sur le turath (le
patrimoine) (Fouad Zakaria).
25Mais ce n’est que l’aspect négatif de la situation. Le versant positif est que le droit musulman est en
plein renouvellement, en pleine mutation. Les xxe siècle est à cet égard comparable au 2e/viiie siècle, ce
sont des siècles de bouillonnements intellectuels, où l’islam se trouve confronté à l’Autre avec lequel il
vient d’entrer ou de rentrer en contact. Si tout le monde a des idées sur le droit musulman, c’est que tout
le monde cherche des voies nouvelles. Il est évident pour la plupart des réformistes et pour les
modernistes que les formules abbassides sont périmées. Les arguments modernistes sont de plus en plus
solides (Nasr Abu Zayd, Fouad Zakariya) et il faudra bien songer soit à les adopter, soit à y répondre au
fond, et non par le terrorisme physique et intellectuel ressassant les mêmes vieilles formules. Le monde
musulman attend le grand auteur qui, par son prestige et son islamité incontestable, pourra refonder le
droit musulman sur une nouvelle herméneutique des sources et qui tiendra compte des sentiments actuels
exigeant toujours plus de liberté et de justice pour tous. Souhaitons-lui de pouvoir trouver un espace de
liberté pour travailler et s’exprimer. Nous verrons dans le tome II, matière par matière, comment se
présentent les doctrines traditionnelles et les débats qu’elles suscitent actuellement

Notes
1 Voir Introduction, n° 2.
Tome premier. Histoire du droit musulman
Annexes du tome I
Annexe 1
Principales citations juridiques du Coran
I. CITATIONS 1

12, 2 Coran

“Voici le Livre. Il ne renferme aucun doute. Il est une direction (hudan) pour ceux qui craignent Dieu.”
22, 43 aumône/prière

“Acquittez-vous de la prière (salât), faites l’aumône (zakât, aumône de purification), inclinez-vous


(raka’a) avec ceux qui s’inclinent.”
32, 99 Coran
“Nous t’avons révélé des versets (âyât) parfaitement clairs (des signes probatoires, JB)...”
42, 106 Coran
“Dès que nous abrogeons (nasakha) un verset (âya) ou dès que nous le faisons oublier, nous le
remplaçons par un autre, meilleur ou semblable...”
52, 107 califat
“Ne sais-tu pas que la Royauté (mulk) des cieux et de la terre appartient à Dieu, et qu’en dehors de Dieu,
il n’est pour vous ni maître (walî), ni défenseur ?”
62, 143 umma/prophétie

“Nous avons fait de vous une communauté (umma) éloignée des extrêmes pour que vous soyez témoins
(chuhadâ’ pl de châhid) contre les hommes (que vous témoignez des hommes, JB), et que le Prophète soit
témoin contre vous (témoin de vous, JB)...”
72, 144 prière
“... nous t’orienterons vers une qibla (un orient, JB) qui te plaira : tourne donc ta face dans la direction de
la Mosquée sacrée.”
82, 154 jihâd

“Ne dites pas de ceux qui sont tués dans le chemin de Dieu : ‘Ils sont morts. Non. Ils sont vivants, mais
vous n’en avez pas conscience. (//)”
92, 177 islam/prière/aumône/contrats

“... L’homme bon est celui qui croit en Dieu, au dernier Jour, aux anges, au Livre et aux prophètes (//).
Celui qui, pour l’amour de Dieu donne de son bien à ses proches, aux orphelins, aux pauvres, au
voyageur, aux mendiants et pour le rachat des captifs. (Est juste) “celui qui s’acquitte de la prière, celui
qui fait l’aumône. (Sont justes) ceux qui remplissent leurs engagements (‘ahd)... (//)”
102, 178 meurtre/talion

“La loi du talion (qisâs) vous est prescrite en cas de meurtre : l’homme libre pour l’homme libre,
l’esclave pour l’esclave, la femme pour la femme...”
112, 179 talion

“Il y a pour vous, une vie, dans le talion...” (vous pouvez gagner une vie, JB).
122, 180 successions
“Voici ce qui vous est prescrit : quand la mort se présente à l’un de vous, si celui-ci laisse des biens
(khayr), il doit faire un testament (wasîya) en faveur de ses père et mère, de ses parents les plus proches,
conformément à l’usage. C’est un devoir (ẖaqq, droit) pour ceux qui craignent Dieu.”
132, 182 successions”

“Celui qui rétablit la concorde entre les héritiers, par crainte d’une injustice ou d’un péché imputable au
testateur, ne commet pas de faute...”
142, 184 jeûne/expiation
“(Jeûnez) durant les jours comptés. Celui d’entre vous qui est malade ou qui voyage jeûnera ensuite un
nombre égal de jours (//). Ceux qui pourraient jeûner et s’en dispensent, devront, en compensation,
nourrir un pauvre...”
152, 185 jeûne/ facilité

“Le Coran a été révélé durant le mois de Ramadan. C’est une direction pour les hommes, une
manifestation claire de la direction et de la loi (furqân, démarcation entre le bien et le mal, JB).
Quiconque d’entre vous, verra la nouvelle lune jeûnera le mois entier... Dieu veut la facilité pour vous, il
ne veut pas pour vous la contrainte (//) ...”
162, 187 jeûne/retraite/loi/femmes

“La cohabitation avec vos femmes vous est permise durant la nuit qui suit le jeûne (sawm). Elles sont un
vêtement pour vous, vous êtes pour elles un vêtement... Mangez et buvez jusqu’à ce qu’on puisse
distinguer à l’aube un fil blanc d’un fil noir. Jeûnez ensuite, jusqu’à la nuit. N’ayez aucun rapport avec
vos femmes lorsque vous êtes en retraite dans la mosquée. Telles sont les lois (normes, JB) (hudûd,
limites) de Dieu, ne les transgressez pas (n’en n’approchez pas, JB)...”
172, 188 contrats/juge

“Ne dévorez pas à tort vos biens entre vous ; n’en faites pas présent aux juges (hukkâm, arbitres) dans le
but de manger injustement une part des biens d’autrui. Vous le savez parfaitement.”
182, 190 jihâd
“Combattez dans le chemin de Dieu ceux qui luttent contre vous, ne soyez pas transgresseurs (mu’tadîn,
agresseurs, JB), Dieu n’aime pas les transgresseurs.”
192, 191 jihâd

“Tuez-les partout où vous les rencontrerez ; chassez-les des lieux où ils vous ont chassés, la sédition
(fitna, trouble, JB) est pire que le meurtre. Ne les combattez pas auprès de la Mosquée sacrée, à moins
qu’ils ne luttent contre vous en ce lieu même. S’ils vous combattent, tuez-les : telle est la rétribution des
incrédules”.
202, 192 jihâd
“S’ils s’arrêtent, sachez alors que Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux.”
212, 193 jihâd

“Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition et que le culte de Dieu soit rétabli. S’ils
s’arrêtent, cessez de combattre, sauf contre ceux qui sont injustes.”
222, 194 talion/jihâd

“Le mois sacré contre le mois sacré. Toute profanation tombe sous la loi du talion. Soyez hostiles envers
quiconque vous est hostile, dans la mesure où il vous est hostile...”
232, 195 jihâd

“Dépensez vos biens dans le chemin de Dieu...”


242, 196 pèlerinage/expiation
“Accomplissez pour Dieu le grand (ẖajj) et le petit (‘umra) pèlerinage. Si vous en êtes empêchés,
envoyez (en compensation) l’offrande (hadyu) qui vous est facile. Ne vous rasez pas la tête avant que
l’offrande ait atteint sa destination. Si l’un de vous est malade, s’il souffre d’une affection de la tête, il
doit se racheter par des jeûnes, par une aumône (sadâqa) ou par des sacrifices...” (cf 3, 97)
252, 197 pèlerinage/vente
“Le pèlerinage (ẖajj) a lieu en des mois déterminés. Le pèlerin devra s’abstenir de toute cohabitation
avec une femme, de libertinage, de disputes, durant le pèlerinage. Dieu connaît le bien que vous faites.
Emportez des provisions de voyage, mais, vraiment, la meilleure provision de voyage est la crainte
révérentielle de Dieu (taqwâ)... (cf. *22, 26-33)
262, 198 pèlerinage/vente
“Vous ne faites aucun mal si vous recherchez une faveur (faḏl, interprété comme bénéfice) de votre
Seigneur...”
272, 216 jihâd/loi

“Le combat (qitâl) vous est prescrit, et vous l’avez en aversion. Il se peut que vous ayez de l’aversion
pour une chose et elle est un bien pour vous. Il se peut que vous aimiez une chose et elle est un mal pour
vous. Dieu sait, et vous, vous ne savez pas.”
282, 217 jihâd

“Ils t’interrogent au sujet du combat dans le mois sacré. Dis : ‘Combattre en ce mois est un péché grave ;
mais écarter les hommes du chemin de Dieu, être impie dans la Mosquée sacrée, en chasser ses habitants,
tout cela est plus grave encore devant Dieu. La persécution (fitna, sédition, trouble) est plus grave que le
combat. Ceux qui combattent ne cesseront pas, tant qu’ils ne vous auront pas contraints, s’ils le pouvaient,
de renoncer à votre religion (irtadda, apostasier)...”
292, 219 vin/jeux de hasard/contrats

“Ils t’interrogent au sujet du vin (khamr) et du jeu de hasard (maysir) ; dis : ‘Ils comportent tous deux
pour les hommes un grand péché et un avantage, mais le péché qui s’y trouve est plus grand que leur
utilité.’”
302, 221 mariage/esclave

“N’épousez pas de femmes polythéistes avant qu’elles ne croient. Une esclave croyante vaut mieux
qu’une femme libre et polythéiste, même si celle-ci vous plaît. Ne mariez pas vos filles à des polythéistes
avant qu’ils ne croient. Un esclave croyant vaut mieux qu’un homme libre et polythéiste, même si celui-ci
vous plaît”...
312, 222 pureté/femmes

“Tenez-vous à l’écart des femmes durant leur menstruation ; ne les approchez pas tant qu’elles ne sont pas
pures”.
322, 224 serments

“Ne faites pas de Dieu l’objet (‘urḏa, empêchement, JB) de vos serments (aymân) afin d’être bons, de
craindre Dieu, de rétablir la concorde entre les hommes...”
332, 226 répudiation par serment/délai de viduité
“Un délai de quatre mois est prescrit à ceux qui se sont engagés par serment à s’abstenir de leurs
femmes...”
342, 227-228 répudiation/délai de viduité/femmes
“S’ils décident de répudier leurs femmes... * les femmes répudiées attendront trois périodes (qurû’) avant
de se remarier. Il ne leur est pas permis de cacher ce que Dieu a créé dans leurs entrailles... Mais si leurs
maris désirent la réconciliation, ils ont le droit de les reprendre durant ce temps. Les femmes ont des
droits équivalents à leurs obligations, et conformément à l’usage (al-ma’rûf). Les hommes ont cependant
une prééminence sur elles...”
352, 229 répudiation/divorce par consentement mutuel/dot

“La répudiation (ṯalâq) peut être prononcée pour deux fois. Reprenez donc votre épouse d’une manière
convenable (bil-ma’rûf) ou bien renvoyez-la décemment (bi-iẖsân). Reprendre quelque chose que vous
lui avez donné ne vous est pas permis... Si vous craignez de ne pas observer les lois de Dieu, nulle faute
ne sera imputée à l’un ou à l’autre, si l’épouse offre une compensation (aftadâ, verser rançon)...”
362, 230 répudiation/remariage

“Si un homme répudie sa femme, elle n’est plus licite pour lui, tant qu’elle n’aura pas été remariée à un
autre époux. S’il la répudie, et qu’ensuite tous deux se réconcilient, aucune faute ne leur sera imputée, à
condition qu’ils croient ainsi observer les lois de Dieu...”
372, 231 répudiation/délai de viduité

“Quand vous aurez répudié vos femmes, et qu’elles auront atteint le délai (ajal) fixé, reprenez-les d’une
manière convenable, ou bien renvoyez-les décemment. Ne les retenez pas par contrainte...”
382, 232 répudiation/délai de viduité/remariage/loi

“Quand vous aurez répudié vos femmes, et qu’elles auront atteint le délai (ajal) fixé, ne les empêchez pas
de se remarier avec leurs nouveaux époux, s’ils se sont mis d’accord, conformément à l’usage... Voilà ce
qui est plus pur et plus net pour vous, Dieu sait, et vous, vous ne savez pas.”
392, 233 mariage/enfants/entretien/loi

“Les mères qui veulent donner à leurs enfants un allaitement complet, les allaiteront deux années entières.
Le père doit assurer leur nourriture (aux mères) et leurs vêtements, conformément à l’usage. Mais chacun
n’est tenu à cela que dans la mesure de ses moyens (//). La mère n’a pas à subir de dommages à cause de
son enfant, ni le père à cause de son enfant. Les mêmes obligations incombent à l’héritier...”
402, 234 délai de viduité/veuves

“Certains d’entre vous meurent en laissant des épouses : celles-ci devront observer un délai de quatre
mois et dix jours. Passé ce délai (ajal), on ne vous reprochera pas la façon dont elles disposeront d’elles-
mêmes, conformément à l’usage...”
412, 235 mariage/délai de viduité

“Il n’y aura aucune faute à vous reprocher si vous faites allusion à une demande en mariage (khiṯba)... Ne
leur promettez rien en secret... Ne décidez pas la conclusion du mariage, avant l’expiration du délai (ajal)
prescrit...”
422, 237 mariage/répudiation/don nuptial
“Si vous répudiez des femmes avant de les avoir touchées, ou celles auxquelles vous avez déjà versé ce
qui leur est dû (farîda), donnez-leur la moitié de ce à quoi vous vous étiez engagé ; à moins qu’elles n’y
renoncent, ou que celui qui détient le contrat de mariage ne se désiste. Il est plus conforme à la piété
(taqwâ) de se désister. N’oubliez pas d’user de générosité (fadl) les uns envers les autres...”
432, 239 prière

“En cas de danger, priez, soit à pied, soit à cheval...”


442, 240 mariage/veuves

“Ceux d’entre vous qui sont rappelés à nous et qui laissent des épouses, feront, en leur faveur, un legs
(matâ‘, bien d’usage, JB) qui assurera leur entretien pendant un an. Elles ne seront pas expulsées de leurs
maisons, mais si elles en sortent, on ne vous reprochera pas la façon dont elles disposeront d’elles-
mêmes, conformément à l’usage...”
452, 241 répudiation

“Les femmes répudiées ont droit à une pension (matâ‘, bien d’usage, JB) convenable, la leur assurer est
un devoir (ẖaqq, droit) pour ceux qui craignent Dieu.”
462, 256 liberté religieuse/jihâd

“pas de contrainte (ikrâh) en religion ! La voie droite se distingue de l’erreur...”


472, 264 morale/aumône

“... Ne rendez pas vaines vos aumônes (sadâqa) en y joignant un reproche ou un tort, comme celui qui
dépense son bien pour être vu des hommes, et qui ne croit ni en Dieu ni au Jour dernier.”
482, 272 prophétie/liberté religieuse
“Il ne t’incombe pas de diriger les incrédules, Dieu dirige qui il veut.”
492, 275-276 contrats/usure/vente
“Ceux qui se nourrissent de l’usure (ribâ) ne se dresseront (au Jour du Jugement) que comme se dresse
celui que le Démon a violemment frappé. Il en sera ainsi, parce qu’ils disent ‘la vente est semblable à
l’usure’, mais Dieu a permis la vente et il a interdit l’usure. Celui qui renonce aux profits de l’usure, dès
qu’une exhortation de son Seigneur lui parvient, gardera ce qu’il a gagné. Son cas relève de Dieu. Mais
ceux qui retournent à l’usure seront les hôtes du Feu où ils demeureront immortels (//).”
502, 279 contrats/usure

(contexte : usure) “Ne lésez personne (zulm) et vous ne serez pas lésés.”
512, 280 contrats/dette
“Si votre débiteur se trouve dans la gêne, attendez qu’il soit en mesure de vous payer. Si vous faites
l’aumône en abandonnant vos droits, c’est préférable pour vous.”
522, 282 contrats/dette/preuve écrite/témoignage/vente
“Écrivez la dette (dayn) que vous contractez et qui est payable à une échéance déterminée. Qu’un écrivain
choisi parmi vous l’écrive honnêtement ; qu’aucun écrivain ne refuse de l’écrire comme Dieu le lui a
enseigné. Qu’il écrive ce que le débiteur dicte ; qu’il craigne son Seigneur ; qu’il ne retranche rien de la
dette. Si le débiteur est fou (safîh, incapable, JB) ou débile (ḏa’îf), s’il ne peut dicter lui-même, que son
représentant (walî) dicte honnêtement. Demandez le témoignage de deux témoins parmi vos hommes. Si
vous ne trouvez pas deux hommes, choisissez un homme et deux femmes, parmi ceux que vous agréez
comme témoins. Si l’une de deux femmes se trompe, l’autre lui rappellera ce qu’elle a oublié. Que les
témoins ne se dérobent pas lorsqu’ils sont appelés à témoigner. N’hésitez pas à écrire cette dette, petite
ou grande, en fixant son échéance. Voilà ce qui est plus juste devant Dieu, ce qui donne valeur au
témoignage, ce qui est le plus apte à vous ôter toute espèce de doute, à moins qu’il ne s’agisse d’un
marché (tijâra, commerce) que vous concluez immédiatement entre vous. Il n’y a alors pas de faute à vous
reprocher, si vous ne l’inscrivez pas. Appelez des témoins lorsque vous vous livrez à des transactions.
N’exercez de violence ni sur l’écrivain ni sur le témoin...
532, 283 contrats/gage/témoignage

“Si vous êtes en voyage et que vous ne trouviez pas d’écrivain, vous laisserez des gages (rahn). Si l’un
d’entre vous confie un dépôt (amâna) à un autre, celui qui a reçu le dépôt devra le restituer... Ne refusez
pas de témoigner, celui qui refuse de témoigner pèche en son coeur...”
542, 286 capacité/responsabilité
“Dieu n’impose à chaque homme que ce qu’il peut porter (//). Le bien qu’il aura accompli lui reviendra,
ainsi que le mal qu’il aura fait (//)...”
553, 7 Coran/mujtahid

“C’est lui qui a fait descendre sur toi le Livre. On y trouve des versets clairs (muhkam, péremptoires JB)
—la mère du Livre (sa partie-mère JB)— et d’autres obscurs (mutachâbih, ambigus JB). Ceux dont les
coeurs penchent vers l’erreur s’attachent à ce qui est obscur, car ils recherchent la discorde (fitna) et sont
avides d’interprétations (ta’wîl) ; mais nul autre que Dieu ne connaît l’interprétation du Livre. Ceux qui
sont enracinés dans la science disent ‘Nous croyons ! tout vient de notre Seigneur !’, mais seuls les
hommes doués d’intelligence s’en souviennent.”
563, 19 prophétie

“La religion au yeux de Dieu est vraiment la soumission (l’islam).”


573, 26 califat

“... Tu donnes la royauté à qui tu veux et tu enlèves la royauté à qui tu veux.” (//)
583,79 mujtahid
“Il n’appartient pas à un mortel auquel Dieu a donné le Livre, la Sagesse et la prophétie, de dire ensuite
aux hommes : ‘Soyez mes serviteurs, et non pas ceux de Dieu’ ; mais (il dira) (Mais non ! JB) : ‘Soyez
des maîtres (rabbânîn, spirituels) puisque vous enseignez le Livre et que vous l’avez étudié.”
593, 86-87 apostasie
“Comment Dieu dirigerait-ils ceux qui sont devenus incrédules après avoir été croyants ; après avoir été
témoins de la véracité du Prophète et des preuves irréfutables qui leur sont parvenues ? Dieu ne dirige
pas le peuple injuste. * Quelle sera leur récompense ? La malédiction de Dieu, celle des anges et de tous
les hommes réunis tombera certainement sur eux.”
603, 89-90 apostasie/repentir
“à l’exception de ceux qui par la suite s’étaient repentis et qui s’étaient amendés. Dieu est celui qui
pardonne, il est miséricordieux. * Quant à ceux qui auront été incrédules après avoir été croyants, et qui,
ensuite, se sont entêtés dans leur incrédulité : leur repentir ne sera pas accepté : voilà ceux qui sont
égarés.” (//)
613, 97 pèlerinage
“... Il incombe aux hommes, à celui qui possède les moyens, d’aller, pour Dieu, en pèlerinage à la
Maison...”
623, 103 umma

“Attachez-vous tous fortement au pacte de Dieu, ne vous divisez pas... Dieu a établi la concorde en vos
cœurs ; vous êtes, par sa grâce devenus frères alors que vous étiez ennemis les uns pour les autres..”
633, 104 umma
“Puissiez-vous former (Que soit, parmi vous...H) une communauté dont les membres appellent les
hommes au bien : leur ordonnent ce qui est convenable et leur interdisent ce qui est blâmable...”
643, 110 umma

“Vous formez la meilleure communauté suscitée pour les hommes : vous ordonnez ce qui est convenable,
vous interdisez ce qui est blâmable, vous croyez en Dieu. (//)”
653, 126 prophétie/jihâd

“...La victoire (nasr, secours JB) ne vient que de Dieu, le puissant, le juste...” (//)
663, 130 usure

“...Ne vivez pas de l’usure produisant plusieurs fois le double...”


673, 146 prophétie/jihâd
“Combien de prophètes ont combattu en ayant avec eux de nombreux disciples (rabbiyûn, spirituels JB),
ils ne se sont pas laissés abattre par les difficultés qu’ils rencontraient dans la voie de Dieu...”
683, 148 jihâd

“Dieu leur donna la récompense de ce monde ainsi que la meilleure récompense de la vie future, Dieu
aime ceux qui font le bien.”
693, 159 califat

“... consulte-les (chûra) sur toute choses ; mais lorsque tu as pris une décision, place ta confiance en
Dieu.”
703, 189 califat

“La royauté des cieux et de la terre appartient à Dieu. Dieu est puissant sur toute choses (//).”
714, 2 tutelle

“Donnez aux orphelins les biens qui leur appartiennent. Ne substituez pas ce qui est mauvais à ce qui est
bon. Ne mangez pas leurs biens en même temps que les vôtres : ce serait vraiment un grand péché.”
724, 3 tutelle ? /mariage/captives

“Si vous craignez de ne pas être équitables à l’égard des orphelins, épousez comme il vous plaira deux,
trois ou quatre femmes, mais si vous craignez de ne pas être équitables, prenez une seule femme ou vos
captives de guerre. Cela vaut mieux pour vous que de ne pas pouvoir subvenir aux besoins d’une famille
nombreuse.”
734, 4 mariage

“Donnez spontanément leurs douaires (saduqa, don nuptial JB) à vos femmes...”
744, 5 tutelle

“Ne confiez pas aux insensés (safîh, incapables JB) les biens que Dieu vous a donnés pour vous
permettre de subsister. Donnez-leur le nécessaire, prélevé sur ces biens ; donnez-leur de quoi se vêtir et
adressez-leurs des paroles convenables.”
754, 6 tutelle

“Éprouvez les orphelins jusqu’à ce qu’ils aient atteints l’âge de se marier. Si vous découvrez en eux un
jugement sain, remettez-leur les biens qui leur appartiennent. Ne mangez pas ces biens avec prodigalité et
dissipation avant que les orphelins aient atteints leur majorité. Celui qui est riche s’abstiendra d’en
profiter, celui qui est pauvre en usera modérément. Quand vous leur remettez leurs biens assurez-vous de
la présence de témoins...”
764, 7 successions/principe des parts
“Remettez aux hommes une part (nasîb) de ce que leurs parents et leurs proches ont laissé, et aux femmes,
une part de ce que leurs parents et leurs proches ont laissé ; que cela représente peu ou beaucoup : c’est
une part déterminée (mafrûḏ, d’obligation JB).”
774, 8 successions/pauvres/orphelins

“Attribuez aussi une part aux proches, aux orphelins et aux pauvres lorsqu’ils assistent au partage, et
adressez-leur des paroles convenables.”
784, 11

successions/ascendants et descendants
79“Quant à vos enfants, Dieu vous ordonne d’attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles. Si

les filles sont plus de deux (sans frères), les deux tiers de l’héritage leur reviendront ; s’il n’y en a
qu’une, la moitié lui appartiendra. Si le défunt a laissé un fils, un sixième de l’héritage reviendra à ses
père et mère. S’il n’y a pas d’enfants et que ses parents héritent de lui : le tiers reviendra à sa mère. S’il a
des frères : le sixième reviendra à sa mère, après que les legs ou ses dettes auront été acquittés. Vous
ignorez si ce sont vos ascendants ou vos descendants qui vous sont le plus utiles. Telle est l’obligation
imposée par Dieu : Dieu est celui qui sait, il est juste.”
804, 12. successions/épouses/frères et sœurs
“Si vos épouses n’ont pas d’enfants, la moitié de ce qu’elles vous ont laissé vous revient. Si elles ont un
enfant, le quart de ce qu’elles vous ont laissé vous revient, après que leurs legs ou leurs dettes auront été
acquittés. Si vous n’avez pas d’enfants, le quart de ce que vous avez laissé reviendra à vos épouses. Si
vous avez un enfant, le huitième de ce que vous avez laissé leur appartient, après que vos legs ou vos
dettes auront été acquittés. Quand un homme ou une femme n’ayant ni parents ni enfants laisse un
héritage : s’il a un frère ou une soeur : le sixième reviendra à chacun d’entre eux. S’ils sont plusieurs : ils
se répartiront le tiers de l’héritage, après que ses legs ou ses dettes auront été acquittés, sans préjudice
pour quiconque. Tel est le commandement de Dieu. Dieu est celui qui sait, il est plein de mansuétude.
814, 15 fornication/témoignage

“Appelez quatre témoins que vous choisirez contre celles de vos femmes qui ont commis une action
infâme (fâẖicha). S’ils témoignent : enfermez les coupables, jusqu’à la mort, dans les maisons, à moins
que Dieu ne leur offre un moyen de salut.”(abrogé par 24, 2).
824, 17 responsabilité/ignorance/repentir

“Dieu ne pardonne qu’à ceux qui font le mal par ignorance et qui s’en repentent, sitôt après...
834, 19 mariage : empêchements

“Il ne vous est pas permis de recevoir les femmes en héritage contre leur gré, ni de les empêcher de se
remarier (de soulever des difficultés JB) pour vous emparer d’une partie de ce que vous leur aviez
donné, à moins qu’elles n’aient manifestement commis une action infâme. Comportez-vous envers elles
suivant la coutume, (al-ma’rûf)”
844, 20 mariage/don nuptial

“Si vous voulez échanger une épouse contre une autre, et si vous avez (eussiez-vous JB) donné un qintar à
l’une des deux, n’en reprenez rien. Le reprendre serait une infamie et un péché évident.”
854, 21 mariage

“Comment le reprendriez-vous alors que vous étiez lié l’un à l’autre et que vos femmes ont bénéficié
d’une alliance solennelle (mîthâq ghalîz) contractée avec vous ?”
864, 22 mariage/empêchements/non rétroactivité de la loi
“N’épousez pas les femmes que vos pères ont eues pour épouses, exception faite pour le passé, ce serait
vraiment un acte abominable et haïssable, un chemin détestable.”
874, 23 mariage/empêchements/non retroactivité de la loi

“Vous sont interdites : vos mères, vos filles, vos soeurs, vos tantes paternelles, vos tantes maternelles, les
filles de vos frères, les filles de vos soeurs, vos mères qui vous ont allaité, vos soeurs de lait, les mères
de vos femmes, les belles-filles placées sous votre tutelle, nées de vos femmes avec qui vous avez
consommé le mariage. —nulle faute cependant ne vous sera imputée si le mariage n’a pas été consommé
—, les épouses de vos fils issus de vos reins. Il vous est encore interdit d’épouser deux soeurs —
exception faite pour le passé—...
884, 24 mariage/captives

“Vous sont encore interdites : les femmes mariées de bonne condition (muẖsanât, “préservées” JB), à
moins qu’elle ne soient vos captives de guerre... Hormis les interdictions mentionnées, il vous est permis
de satisfaire vos désirs, en utilisant vos biens (amwâl) d’une façon honnête et sans vous livrer à la
débauche. Versez le douaire (ujûr, salaire nuptial JB) prescrit aux femmes dont vous aurez joui. Pas de
faute à vous reprocher pour ce que vous déciderez d’un commun accord, après avoir observé ce qui vous
est ordonné...”
894, 25 mariage/captives
“Celui qui, parmi vous, n’a pas les moyens d’épouser des femmes croyantes et de bonne condition,
prendra des captives de guerre croyantes... Epousez-les avec la permission de leur famille. Donnez-leur
leur douaire suivant la coutume, comme à des femmes de bonne condition, et non comme à des
débauchées. Lorsque ces femmes ayant accédé à une bonne condition commettront une action infâme,
elles subiront la moitié du châtiment que subiraient les femmes de bonne condition...”
904, 28 facilité

“Dieu veut alléger vos obligations, car l’homme a été créé faible.”
914, 33 successions/clientèle

“Nous avons désigné pour tous des héritiers légaux (mawâlâ, ayants droit, JB) : les père et mère, les
proches et ceux auxquels vous êtes liés par un pacte...”
924, 34 mariage

“Les hommes ont autorité sur (assument JB) les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordé
sur elles, et à cause des dépenses qu’ils font (pour assurer leur entretien) (nafaqa)... Admonestez celles
dont vous craignez l’infidélité ; reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. Mais ne leur
cherchez plus querelle, si elles vous obéissent...”
934, 35 mariage

“Si vous craignez la séparation entre des conjoints, suscitez un arbitre (ẖakam) de la famille de l’époux,
et un arbitre de la famille de l’épouse. Dieu rétablira la concorde entre eux deux, s’ils veulent se
réconcilier...”
944, 43 pureté/prière/vin
“... N’approchez pas de la prière, alors que vous êtes ivres, attendez de savoir ce que vous dites ! Ou
impurs (junub, impureté majeure), à moins que vous ne soyez en voyage, attendez de vous être lavés...”
(cf. // 5, 6)
954, 58 contrats/dépôt/justice
“Dieu vous ordonne de restituer les dépôts (amânât) (//) et de juger (ẖakama, arbitrer JB) selon la justice
lorsque vous jugez (arbitrez) entre les hommes...”
964, 59 prophétie/Sunna/califat/justice
“Obéissez à Dieu, obéissez au Prophète (//), et à ceux d’entre vous qui détiennent l’autorité. Portez vos
différends devant Dieu et devant le Prophète... C’est mieux ainsi, c’est le meilleur arrangement (ta’wîl)”
974, 65 prophétie/justice
“Ils ne te croiront pas tant qu’ils ne t’auront pas fait juge (arbitre) de leurs différends ; ils ne trouveront
plus ensuite, en eux-mêmes, la possibilité d’échapper à ce que tu auras décidé (qadâ) et ils deviendront
musulmans (soumis)”.
984, 74 jihâd/récompense
“Que ceux qui troquent la vie présente contre la vie future combattent donc dans le chemin de Dieu. Nous
accorderons une récompense sans limites à celui qui combat dans le chemin de Dieu, qu’il soit tué ou
qu’il soit victorieux.”
994, 76 jihâd

“Les croyants combattent dans le chemin de Dieu ; les incrédules combattent dans le chemin des Taghout
(tyrans, JB : idoles). Combattez donc les suppôts de Satan ; les pièges de Satan sont vraiment faibles.”
1004, 80 prophétie

“Celui qui obéit au Prophète obéit à Dieu...”


1014, 82 Coran

“Ne méditent-ils pas sur le Coran ? Si celui-ci venait d’un autre que Dieu, ils y trouveraient de
nombreuses contradictions (ikhtilâf).”
1024, 89 jihâd/califat
“... Ne prenez aucun protecteur (awliyâ’) parmi eux (les hypocrites), jusqu’à ce qu’ils émigrent dans le
chemin de Dieu. S’ils se détournent, saisissez-les, tuez-les partout où vous les trouverez. Ne prenez ni
protecteur, ni défenseur parmi eux.”
1034, 90 jihâd/pacte

“à l’exception de ceux qui sont les alliés d’un peuple avec lequel vous avez conclu un pacte (mîthâq), ou
de ceux qui viennent à vous le coeur serré d’avoir à combattre contre vous ou à combattre contre leur
propre peuple.... S’ils se tiennent à l’écart, s’ils ne combattent pas contre vous, s’ils vous offrent la paix
(salam), Dieu ne vous donne plus alors aucune raison de lutter contre eux.”
1044, 91 jihâd/pacte

“Vous trouverez d’autres gens qui désirent la paix (amân) avec vous et la paix avec votre propre peuple.
Chaque fois qu’ils sont poussés à la révolte (fitna), il y retombent en masse. S’ils se retirent loin de vous,
s’ils ne vous offrent pas la paix (salam), s’ils ne déposent pas leurs armes, saisissez-les, tuez-les partout
où vous les trouverez. Nous vous donnons pouvoir sur eux !”
1054, 92 meurtre/ prix du sang/rebellion/expiation
“...Celui qui tue un croyant par erreur (khaṯa’an) affranchira un esclave (ruqba, cou) croyant et remettra le
prix du sang (diya) à la famille du défunt ; à moins que celle-ci ne la donne en aumône. Si le croyant qui a
été tué appartenait à un groupe ennemi, le meurtrier affranchira un esclave croyant. S’il appartenait à un
groupe auquel un pacte (mîthâq) vous lie, le meurtrier remettra le prix du sang à la famille du défunt et il
affranchira un esclave croyant. Celui qui n’en a pas les moyens jeûnera deux mois de suite, en signe de
repentir imposé par Dieu...”
1064, 93 meurtre
“Celui qui tue intentionnellement (mu’tamidan) un croyant aura la Géhenne pour rétribution : il y
demeurera immortel...”
1074, 101-102 prière/jihâd
“Lorsque vous parcourez la terre, vous ne commettrez pas de faute si vous abrégez la prière par crainte
d’être surpris par les incrédules. Les incrédules sont vos ennemis déclarés. * Lorsque lu te trouves avec
les croyants et que tu diriges la prière : un groupe d’entre eux se tiendra debout avec toi pour prier, tandis
qu’un autre groupe prendra les armes. Lorsque que ceux qui prient se prosternent, les autres doivent se
tenir derrière vous. L’autre groupe qui n’a pas encore prié viendra ensuite prier avec toi tandis que le
premier assurera la garde et prendra les armes...”
1084, 103 prière

“Pensez (dhikr) encore à Dieu debout, assis ou couchés, lorsque vous avez achevé la prière. Acquittez
vous de la prière quand vous êtes en sécurité. La prière est prescrite aux croyants à des moments
déterminés.”
1094, 105 Coran/justice

“Nous avons fait descendre sur toi le Livre avec la Vérité, afin que tu juges (arbitres) entre les hommes
d’après ce que Dieu te fais voir. Ne sois pas l’avocat (khasîm, de la partie) des traîtres (khâ’inîn).”
1104, 115 apostasie/unanimité

“Quant à celui qui se sépare du Prophète après avoir clairement connu la vraie direction et qui suit un
chemin différent de celui des croyants, nous nous détournerons de lui, comme lui-même s’est détourné...”
1114, 129 mariage

“Vous ne pouvez être parfaitement équitables à l’égard de chacune de vos femmes, même si vous en avez
le désir. Ne soyez donc pas trop partiaux et ne laissez pas l’une d’entre elle comme en suspens”...
1124, 135 justice

“Pratiquez avec constance la justice (qisṯ, équité) en témoignage de fidélité envers Dieu, et même à votre
propre détriment ou au détriment de vos père et mère et de vos proches, qu’il s’agisse d’un riche ou d’un
pauvre, car Dieu a la priorité sur eux deux. Ne suivez pas les passions au détriment de l’équité (‘adl,
justice) ; mais si vous louvoyez ou si vous vous détournez, sachez que Dieu est bien informé de ce que
vous faites.”
1134, 148 témoignage

“Dieu n’aime pas que l’on divulgue des paroles méchantes, à moins qu’on en ait été victime...”
1144, 176 successions sans descendants/frères et sœurs

“... Si quelqu’un meurt sans laisser d’enfants, mais seulement une soeur, la moitié de la succession
reviendra à celle-ci. Un homme hérite de sa soeur, si celle-ci n’a pas d’enfants. S’il (le défunt) a deux
soeurs, les deux tiers de la succession leur reviendront. S’il laisse des frères et des soeurs, une part égale
à celle de deux femmes revient à un homme.”
1155, 1 contrats/pèlerinage/jihâd
“Ô vous qui croyez ! Respectez vos engagements (‘uqûd, contrats JB)... La chasse ne vous est pas permise
lorsque vous êtes en état de sacralisation...”
1165, 2 pèlerinage/jihâd/morale

“... Chassez lorsque vous êtes revenus à l’état profane. Que la haine envers un peuple qui vous a écarté de
la Mosquée sacrée ne vous incite pas à commettre des injustices (devenir des agresseurs JB)(//).
Encouragez-vous mutuellement à la piété et à la crainte révérentielle de Dieu. Ne vous encouragez pas
mutuellement au crime (ithm, péché JB) et à la haine (‘udwân, haine, mais JB : agression)(//).”
1175, 3 pureté/aliments/magie/prophétie/nécessité

“Voici ce qui vous est interdit : la bête morte, le sang, la viande de porc ; ce qui a été immolé à un autre
que Dieu ; la bête étouffée ou morte à la suite d’un coup, ou morte d’une chute, ou morte d’un coup de
corne, ou celle qu’un fauve a dévorée, sauf si vous avez eu le temps de l’égorger, ou celle qui a été
immolée sur des pierres (//). Il vous est également interdit de consulter le sort au moyens de flèches...
Aujourd’hui j’ai rendu votre religion parfaite ; j’ai parachevé ma grâce sur vous ; j’agrée l’islam comme
étant votre religion. A l’égard de celui qui, durant une famine, serait contraint de consommer des aliments
interdits sans vouloir commettre de péché, Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux. (// 2, 173)”
1185, 4 pureté/aliments

“... Les bonnes choses vous sont permises (//). Vous pourrez manger après avoir invoqué sur elles le nom
de Dieu, les proies saisies pour vous par les animaux que vous avez dressés comme des chiens de chasse,
d’après ce que Dieu vous a enseigné.”
1195, 5 aliments/mariage/protégés/don nuptial

“Aujourd’hui, les bonnes choses vous sont permises (//). La nourriture de ceux auxquels le Livre a été
donné vous est permise, et votre nourriture leur est permise (abrogé par 6,121). L’union avec les femmes
croyantes et de bonne condition, avec les femmes de bonne condition faisant partie du peuple auquel le
Livre a été donné avant vous, vous est permise, si vous leur avez remis leur douaire (ujûr, salaire), en
hommes contractant une union régulière et non comme des débauchés, ou des amateurs de courtisanes...”
1205, 6 pureté/prière
“... Lorsque vous vous disposez à la prière : lavez vos visages et vos mains jusqu’au coude ; passez les
mains sur vos têtes et sur vos pieds jusqu’au cheville. Si vous êtes en étal d’impureté légale (junub,
impureté majeure), purifiez-vous. Si vous êtes malades ou en voyage, si l’un de vous vient du lieu caché,
si vous avez eu commerce avec des femmes et que vous ne trouviez pas d’eau, recourez à du bon sable
que vous passerez sur vos visages et sur vos mains. Dieu ne veut pas vous imposer des charges
supplémentaires, mais il veut vous purifier et parachever votre grâce en vous...”
1215, 17 califat

“... La royauté des cieux et de la terre et de ce qui est entre les deux appartient à Dieu...” (// 5, 18)
1225, 32 meurtre
“... Celui qui a tué un homme qui lui-même n’a pas tué, ou qui n’a pas commis de violence (fasâd,
corruption, JB : dégâts) sur la terre, est considéré comme s’il avait tué tous les hommes ; et celui qui
sauve un seul homme, est considéré comme s’il avait sauvé tous les hommes...”
1235, 33-34 peine fixe/brigandage/repentir
“Telle sera la rétribution (jazâ’) de ceux qui font la guerre (ẖâraba) contre Dieu et son Prophète, et de
ceux qui exercent la violence (fasâd) sur la terre : ils seront tués ou crucifiés, ou bien leur main droite et
leur pied gauche seront coupés, ou bien ils seront expulsés du pays. Telle sera leur sort : la honte en ce
monde et le terrible châtiment dans la vie future, *sauf pour ceux qui se sont repentis avant d’être tombés
sous votre domination. Sachez que Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux.”
1245, 38-39 peines fixes/vol/repentir

“Tranchez les mains du voleur et de la voleuse, ce sera une rétribution pour ce qu’ils ont commis et un
châtiment de Dieu. Dieu est puissant et juste. * Dieu reviendra sûrement à celui qui reviendra vers lui
après sa faute, et qui s’en amendera. Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux.”
1255, 42 procédure/prophétie
“... Juge (arbitre) entre eux ou bien détourne-toi d’eux s’ils viennent à toi. Si tu te détournes d’eux, ils ne
te nuiront en rien. Si tu juges (arbitres) entre eux, juge (arbitre) avec équité. Dieu aime les équitables”.
1265, 45 prophétie/talion/blessures/justice

“Nous leur avons prescrit (dans la Tora) : vie pour vie, oeil pour oeil, nez pour nez, oreille pour oreille,
dent pour dent. Les blessures (jurûẖ) tombent sous la loi du talion, mais celui qui abandonnera
généreusement son droit obtiendra l’expiation (kaffâra) de ses fautes. Les injustes sont ceux qui ne jugent
(arbitrent) pas les hommes d’après ce que Dieu a révélé”
1275, 47 prophétie/justice

“Que les gens de l’Évangile jugent (arbitrent) d’après ce que Dieu y a révélé ...”
1285, 48 justice/communautés/morale/liberté religieuse

“Juge (arbitre) entre ces gens d’après ce que Dieu a révélé, ne te conforme pas à leurs désirs, en te
détournant de ce que tu as reçu de la vérité. Nous avons donné, à chacun d’eux une règle (chir’a, chemin,
loi religieuse, JB : accès) et une loi (minhâj, chemin, méthode, procédure, JB : avenue). Si Dieu l’avez
voulu, il aurait fait de vous une seule communauté (umma)(//). Mais il a voulu vous éprouver par le don
qu’il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans les bonnes actions. Votre retour, à tous,
se fera vers Dieu, il vous éclairera, alors au sujet de vos différends.”
1295, 50 prophétie

“Recherchent-ils le jugement (ẖukm, arbitrage) de l’ignorance (jâhilîya, JB : paganisme) ? Qui donc est le
meilleur que Dieu comme juge (arbitre) envers un peuple qui croit fermement ?”
1305, 51 protégés

“... Ne prenez pas pour amis (awliyâ’ pl de walî, maîtres) les Juifs et les Chrétiens ; ils sont amis les uns
des autres. Celui qui, parmi vous, les prend pour amis, est des leurs. Dieu ne dirige pas le peuple
injuste.”
1315, 55-56 umma/califat

“Vous n’avez pas de maître (walî) en dehors de Dieu et de son Prophète, et de ceux qui croient : ceux qui
s’acquittent de la prière, ceux qui font l’aumône, tout en s’inclinant humblement. * Ceux qui prennent pour
maîtres Dieu, son Prophète et les croyants : voilà ceux qui forment le parti (ẖizb) de Dieu, et ils seront
vainqueurs.”
1325, 89 serments/expiation
“Dieu ne vous punira pas pour un serment fait à la légère (// 2, 225) ; mais il vous punira pour les
serments prononcés délibérément. L’expiation (kaffâra) en sera de nourrir dix pauvres de ce dont vous
nourrissez normalement votre famille, ou de les vêtir, ou d’affranchir un esclave. Un jeûne de trois jours
sera imposé à quiconque n’aura pas les moyens de s’acquitter autrement... Mais tenez vos serments...”
1335, 90 vin/jeu de hasard

“... Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées et les flèches divinatoires sont une abomination et une
oeuvre du Démon. Évitez-les...”
1345, 95 pèlerinage/expiation/récidive

“... Ne tuez pas le gibier lorsque vous êtes en état de sacralisation. Celui qui, parmi vous, en tuerait
intentionnellement, enverra en offrande à la Ka’aba, comme compensation (jazâ’, sanction), un animal de
son troupeau, équivalent au gibier tué, d’après la décision de deux hommes intègres d’entre vous. Une
réparation (kaffâra, expiation) équivalente consistera encore à nourrir un pauvre ou à jeûner, afin que
celui qui est fautif goûte les conséquences de son acte. Dieu pardonne ce qui appartient au passé, mais
Dieu tirera vengeance de celui qui récidive...”
1355, 96 aliments

“Le gibier de la mer et la nourriture qui s’y trouve vous sont permis... Le gibier de la terre vous est
interdit aussi longtemps que vous êtes en état de sacralisation... ”
1365, 97 pèlerinage

“Dieu a institué la Ka’aba, Maison sacrée édifiée pour les hommes, le mois sacré, l’offrande, les
guirlandes...”
1375, 101 loi/allègement

“... Ne posez pas de questions sur des choses qui vous nuiraient, si elles vous étaient montrées...”
1385, 106-108 testament/témoignage/serment

“Ô vous qui croyez ! Quand la mort se présente à l’un de vous, deux hommes intègres (dhû ‘adl), choisis
parmi les vôtres, seront appelés comme témoins au moment du testament, —ou bien deux étrangers (min
ghayrikum), si vous êtes en voyage et que la calamité de la mort vous surprenne— vous retiendrez ces
témoins après la prière. Si vous n’êtes pas sûrs d’eux, vous les ferez jurer par Dieu : “Nous ne ferons pas
argent de cela, même au bénéfice d’un proche. Nous ne cacherons pas le témoignage de Dieu, car nous
serions alors au nombre des pécheurs”. *Si l’on découvre que ces deux témoins sont coupables de péché,
deux autres plus intègres, parmi ceux auxquels le tort a été fait, prendront leur place. Tous deux jureront
par Dieu : “Oui, notre témoignage est plus sincère que celui des deux autres. Nous ne sommes pas
transgresseurs, car nous serions alors au nombre des injustes.” *Il sera ainsi plus facile d’obtenir que les
hommes rendent un témoignage vrai ou qu’ils craignent de voir récuser leurs serments après qu’ils les
auront prononcés. Craignez Dieu et écoutez : Dieu ne dirige pas les pervers (fâsiq).
139• 6, 34 Coran

“... Nul ne peut modifier les Paroles de Dieu...” (//)


1406, 38 Coran

“... Nous n’avons rien négligé dans le Livre...” (// 11, 6)


1416, 108 loi/élimination des incidences préjudiciables
“N’insultez pas ceux qu’ils invoquent en dehors de Dieu, sinon ils insulteraient Dieu par hostilité et par
ignorance...”
1426, 118 aliments
“... Mangez ce sur quoi le nom de Dieu a été invoqué.”
1436, 120 loi/fors interne

“Laissez le dehors et le dedans du péché ...”


1446, 121 aliments

“Ne mangez pas ce sur quoi le nom de Dieu n’aura pas été invoqué, car ce serait une perversité...”
1456, 141 aumône de purification

“... Mangez des fruits (des jardins), quand ils en produisent ; payez-en les droits le jour de la récolte...”
1466, 151 enfants/meurtre/fors interne

“... Ne tuez pas vos enfants par crainte de la pauvreté. Nous vous accorderons votre subsistance avec la
leur. Éloignez-vous des péchés abominables apparents ou cachés. Ne tuez pas injustement votre
semblable. Dieu vous l’a interdit.”
1476, 152 tutelle/vente/équité

“Ne touchez à la fortune de l’orphelin, jusqu’à ce qu’il ait atteint sa majorité (//), que pour le meilleur
usage. Donnez le poids et la mesure exacts (//). Nous n’imposons à chaque homme que ce qu’il peut
porter (//). Lorsque vous parlez, soyez équitables même s’il s’agit d’un parent proche. Soyez fidèles au
pacte de Dieu.
148• 7, 2 Coran

“Un livre est descendu sur toi... rappel (dhikrâ) pour les croyants”
1497, 31 prière/vêtements “Ô fils d’Adam ! Portez vos parures en tout lieu de prières...”

1507, 128 propriété

...“la terre appartient à Dieu et il en fait hériter qui il veut, parmi ses serviteurs...”
1517, 199 pardon/coutume
“Pratique le pardon, ordonne le bien (‘urf, coutume, JB convenances), écarte-toi des ignorants.”
1528, 7-8 jihâd/but
“Lorsque Dieu vous promettait qu’un des deux groupes se rendrait à vous, vous désiriez vous emparer de
celui qui était désarmé, alors que Dieu voulait manifester la vérité par ses paroles et exterminer les
incrédules jusqu’au dernier. * afin de faire apparaître la vérité et d’anéantir ce qui est vain, en dépit des
coupables.”
1538, 39 jihâd/ but

“Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition (ou persécution), que le culte soit rendu à Dieu
dans sa totalité. S’ils cessent le combat, qu’ils sachent que Dieu voit parfaitement ce qu’ils font.”
1548, 41 jihâd/butin

“Sachez que quel que soit le butin (ghanîma) que vous preniez, le cinquième appartient à Dieu, au
Prophète et à ses proches, aux orphelins, aux pauvres et au voyageurs...” (// 59, 6-10)
1558, 58 jihâd/pacte/trahison
“Si tu crains vraiment une trahison de la part d’un peuple, rejette son alliance, pour pouvoir lui rendre la
pareille. Dieu n’aime pas les traîtres.”
1568, 60 jihâd/préparatifs
“Préparez, pour lutter contre eux, tout ce que vous trouverez, de forces et de cavaleries... Tout ce que
vous aurez dépensé dans la voie de Dieu vous sera rendu et vous ne serez pas lésés.” (//)
1578, 61 jihâd/pacte

“S’ils inclinent à la paix, fais de même...”


1588, 62 jihâd/pacte/trahison

“S’ils veulent te tromper, Dieu te suffit. C’est lui qui t’assiste de son secours et par l’intermédiaire des
croyants.”
1598, 67 jihâd/but

“Il n’appartient pas à un Prophète de faire des captifs (asrâ), tant que, sur la terre, il n’a pas
complètement vaincu les incrédules. Vous voulez les biens de ce monde, Dieu veut, pour vous, la vie
future. Dieu est puissant et juste.”
1608, 69 jihâd/butin

“Mangez ce qui, dans le butin, est licite et bon...”


1618, 72 jihâd : but/pacte
“... S’ils vous demandent votre aide au nom de la religion, vous devez les secourir, sauf s’il s’agissait de
combattre un peuple avec lequel vous avez conclu une alliance...”
1629, 3-4 jihâd/pacte

“Annonce un châtiment douloureux aux incrédules. * à l’exception des polythéistes avec lesquels vous
avez conclu un pacte (‘ahd) ; de ceux qui ne vous ont pas ensuite causé du tort et qui n’ont aidé personne à
lutter contre vous. Respectez pleinement le pacte conclu avec eux, jusqu’au terme convenu...”
1639, 5 jihâd/obligation/conversion
“Après que les mois sacrés se seront écoulés, tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez ;
capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades. Mais s’ils se repentent, s’ils s’acquittent de la
prière, s’ils font l’aumône, laissez-les libres, Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux.”
1649, 6 morale/jihâd/amân
“Si un polythéiste cherche asile auprès de toi, accueille-le pour lui permettre d’entendre la parole de
Dieu ; fais-le ensuite parvenir dans son lieu sûr, car ce sont des gens qui ne savent pas.”
1659, 7 jihâd/pacte
“Comment existerait-il un pacte, admis par Dieu et son Prophète, avec les polythéistes, autres que ceux
avec lesquels vous avez déjà conclu un pacte auprès de la Mosquée sacrée ? Aussi longtemps qu’ils
seront sincères (istaqâma, être droit) avec vous, soyez sincères avec eux. Dieu aime ceux qui le
craignent.”
1669, 13 jihâd/but

“Ne combattrez-vous pas les gens qui ont violé leur serments et qui ont cherché à expulser le Prophète ?
Ce sont eux qui vous ont attaqué les premiers...”
1679, 17 mosquée

“Il n’appartient pas aux polythéistes de pénétrer dans les mosquées de Dieu...”
1689, 29 jihâd/but/protégés
“Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu et au jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que
Dieu et le Prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie
religion. Combattez-les, jusqu’à ce qu’ils payent directement le tribut (jizya), après s’être humiliés (et ils
seront humiliés ?).”
1699, 33 islam

“C’est lui (Dieu) qui a envoyé son Prophète avec la direction, la religion vraie, pour la placer au dessus
de toute autre religion, en dépit des polythéistes (muchrik, associateurs).” 2
1709, 36 jihâd/réciprocité

“... Combattez les polythéistes totalement, comme ils vous combattent totalement...”
1719, 39 jihâd/obligation

“Si vous ne vous lancez pas au combat, Dieu vous châtiera d’un châtiment douloureux, il vous remplacera
par un autre peuple...” (//)
1729, 41 jihâd/obligation

“Légers ou lourds, élancez-vous au combat. Luttez avec vos biens et vos personnes dans le chemin de
Dieu (//). C’est un bien pour vous si vous saviez !”
1739, 60 aumône/califat/budget

“Les aumônes sont destinées : aux pauvres et aux nécessiteux ; à ceux qui sont chargés de les recueillir et
de les répartir ; à ceux dont les coeurs sont à rallier (à l’islam) ; au rachat des captifs ; à ceux qui sont
chargés de dettes ; à la lutte dans le chemin de Dieu et au voyageur. Tel est l’ordre de Dieu, Dieu sait et il
est juste !”
1749, 71 umma

“Les croyants et les croyantes sont amis (awliyâ’) les uns des autres...”
1759, 73 jihâd/obligation

“Ô Prophète ! Combats les incrédules et les hypocrites, sois dur envers eux !...”
1769, 91 jihâd/dispenses

“Il n’y a rien à reprocher aux faibles, aux malades, à ceux qui n’ont pas de moyens (pour s’équiper), s’ils
sont sincères envers Dieu et son Prophète. Il n’y a pas non plus de raison de s’en prendre à ceux qui font
le bien...”
1779, 103 aumône de purification

“Prélève une aumône (sadaqa) sur leurs biens pour les purifier (zakkâ) et les rendre sans taches ...”
1789, 122 jihâd/obligation communautaire

“Il n’appartient pas aux croyants de partir tous ensemble en campagne. Pourquoi quelques hommes de
chaque faction ne s’en iraient-ils pas s’instruire de la religion afin d’avertir leurs compagnons lorsqu’ils
reviendront parmi eux ? Peut-être alors prendraient-ils garde.
1799, 123 jihâd/obligation

“... Combattez ceux des incrédules qui sont près de vous. Qu’ils vous trouvent durs...”
180• 10, 15 Coran

“...lorsque nos versets leur sont lus, comme autant de preuves évidentes... (//)”
18110, 36 loi/interprétation

“... La supposition (ẕann) ne prévaut pas contre la vérité...”


18210, 37 Coran

“Le Coran n’a pas été inventé par un autre que Dieu, mais il est la confirmation de ce qui existait avant lui
(//) ; l’explication (tafsîl, articulation) du Livre envoyé par le Seigneur des mondes et qui ne renferme
aucun doute.”
18310, 47 prophétie
“Un prophète est envoyé à chaque communauté : quand vient son prophète, tout est tranché (quḏiya) avec
équité entre ses membres, personne n’est lésé.” (//)
18410, 99-100 prophétie/liberté religieuse
“Si ton Seigneur l’avait voulu, tous les habitants de la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les
hommes à être croyants ? * Alors qu’il n’appartient à personne de croire sans la permission de Dieu...”
(//)
18511, 114 prière
“Acquittez-vous de la prière le matin, le soir plusieurs fois au cours de la nuit...”
18613, 11 communautés

“... Dieu ne modifie rien en un peuple, avant que celui-ci ne change ce qui est en lui...”
187• 16, 44 prophétie/Coran/Sunna

“... Nous avons fait descendre sur toi le rappel pour que tu exposes clairement aux hommes ce qu’on a fait
descendre vers eux...”
18816, 89 Coran/loi

“Nous avons fait descendre le Livre sur toi, comme un éclaircissement de toute chose, une direction, une
miséricorde, et une bonne nouvelle pour ceux qui sont soumis.” (//)
18916, 91 serments

“Soyez fidèles à l’alliance de Dieu après l’avoir contractée. Ne violez pas les serments, après les avoir
solennellement prêtés et avoir pris Dieu comme garant (kafîl) contre vous...”
19016, 98 prière/Coran

“Lorsque lu lis le Coran, demande la protection de Dieu contre le Démon maudit.”


19116, 101 Coran/abrogation
“Lorsque nous changeons un verset contre un autre verset - Dieu sait ce qu’il révèle ! - ils disent : “Tu
n’es qu’un faussaire !” Non ! Mais la plupart d’entre eux ne savent pas.”
19216, 106 apostasie/responsabilité
“Celui qui renie Dieu après avoir cru, non pas celui qui subit une contrainte et dont le coeur reste paisible
dans la foi, celui qui délibérément ouvre son coeur à l’incrédulité : la colère de Dieu est sur lui et un
terrible châtiment l’atteindra”
19316, 125 liberté religieuse/jihâd

“Appelle les hommes dans le chemin de ton Seigneur, par la Sagesse et une belle exhortation ; discute
avec eux de la meilleure manière...”
19416, 126 talion/peines
“Si vous châtiez, châtiez comme vous l’avez été, mais si vous êtes patients, c’est mieux pour ceux qui
sont patients”.
195• 17, 15 responsabilité/légalité

“... Nul ne portera le fardeau d’un autre. Nous n’avons jamais puni un peuple avant de lui avoir envoyé un
prophète.”
19617, 33 talion/jihâd

“Ne tuez pas l’homme que Dieu vous a interdit de tuer, sinon pour une juste raison. Lorsqu’un homme est
tué injustement, nous donnons à son proche parent (walî) le pouvoir de le venger. Que celui-ci ne
commette pas d’excès dans le meurtre...”
19717, 34 engagements

“... Tenez vos engagements (‘ahd), car les hommes seront interrogés sur leurs engagements.”
19817, 35 vente

“Donnez avec une juste mesure, quand vous mesurez ; pesez avec la balance la plus exacte...”
199• 18, 29 liberté religieuse
Dis : “La Vérité (haqq) émane de votre Seigneur. Que celui qui le veut croie donc et que celui qui le veut
soit incrédule.”...
200• 21, 92 umma islamique
“Cette communauté qui est la vôtre est une communauté unique (//).” 3

20121, 107 Coran/prophétie


“Nous t’avons seulement envoyé comme une miséricorde pour les mondes.”
20222, 26 pèlerinage/rites/ La Mecque

“Nous avons établi, pour Abraham, l’emplacement de la Maison : Ne m’associe rien ; purifie ma Maison
pour ceux qui accomplissent les circuits, pour ceux qui s’y tiennent debout, pour ceux qui s’inclinent et se
prosternent.”
20322, 27 pèlerinage/obligation

“Appelle les hommes au pèlerinage ; ils viendront à toi ...”


20422, 28 pèlerinage/sacrifice

“pour témoigner des bienfaits qui leur ont été accordés ; pour invoquer (dhakara) le nom de Dieu aux
jours fixés, sur la bête des troupeaux qu’il leur a accordée. Mangez-en et nourrissez le pauvre, le
malheureux.”
20522, 29 pélerinage/rites

“Qu’ils mettent ensuite fin à leurs interdits ; qu’ils s’acquittent de leurs voeux, qu’ils accomplissent les
circuits autour de l’antique Maison.”
20622, 30-31 islam/penal/idolâtrie

“... Evitez la souillure des idoles ; évitez les paroles fausses * comme de vrais croyants en Dieu et non
comme des polythéistes. Quiconque associe quoi que ce soit à Dieu se trouve comme s’il était tombé du
ciel...”
20722, 36 sacrifices

“Nous avons placés les animaux sacrifiés aux nombre des choses sacrées de Dieu (cha‘â’ir, rites). Il y a
là un bien pour vous. Invoquez le nom de Dieu sur ces animaux prêts à être égorgés, puis, quand ils gisent
sur le flanc, mangez-en et nourrissez celui qui s’en contente et celui qui mendie...”
20822, 39-40-41 jihâd/liberté religieuse

“Toute autorisation (de se défendre) est donnée à ceux qui ont été attaqués (combattus) parce qu’ils ont
été injustement opprimés — Dieu est puissant pour les secourir— * et à ceux qui ont été chassés
injustement de leurs maisons pour avoir dit seulement “Notre Seigneur est Dieu !”. Si Dieu n’avait pas
repoussé certains hommes par d’autres, des ermitages auraient été démolis, ainsi que des synagogues, des
oratoires ou des mosquées où le nom de Dieu est souvent invoqué. Oui, Dieu sauvera ceux qui l’assistent.
Dieu est en vérité fort et puissant * (Toute autorisation de se défendre est donnée) à ceux qui, si nous leur
accordons le pouvoir sur la terre, s’acquittent de la prière, font l’aumône, ordonnent ce qui convenable et
interdisent ce qui est blâmable. La fin de toute chose appartient à Dieu.”
20922, 52 Coran/abrogation
“Nous n’avons pas envoyé avant toi ni Prophète, ni Apôtre sans que le Démon intervienne dans ses
désirs. Mais Dieu abroge ce que lance le Démon. Dieu confirme ensuite ses versets. Dieu est celui qui
sait, il est sage.”
21022, 78 jihâd/obligation/loi facile

“Combattez pour Dieu, car il a droit à la lutte que les croyants mènent pour lui. C’est lui qui vous a
choisis. Il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion, la religion de votre père Abraham.”
211• 23, 115 loi/nécessité

“Pensiez-vous que nous vous avons créé sans but (en vain) et que vous ne seriez pas ramenés vers
nous ?”
21224, 2 fornication/témoignage

“Frappez la débauchée et le débauché de cent coups de fouet chacun. N’usez d’aucune indulgence envers
eux afin de respecter la religion de Dieu, si vous croyez en Dieu et au jour dernier, un groupe de croyants
témoins sera témoin de leur châtiment...”
21324, 4 fausse accusation de fornication/témoignage
“Frappez de quatre-vingts coups de fouet ceux qui accusent les femmes honnêtes sans pouvoir désigner
quatre témoins ; et n’acceptez plus jamais leur témoignage : voilà ceux qui sont pervers.”
21424, 5 témoignage/repentir

“à l’exception de ceux qui, à la suite de cela, se repentent et se réforment...”


21524, 6-7 répudiation par accusation d’adultère/serments

“Quant à ceux qui accusent leurs épouses, sans avoir d’autres témoins qu’eux-mêmes : le témoignage de
chacun d’eux consistera à témoigner quatre fois devant Dieu qu’ils sont véridiques, * et une cinquième
fois pour appeler sur eux la malédiction de Dieu s’ils ont proféré un mensonge”.
21624, 8-9 répudiation par accusation d’adultère/serments

“On détournera le châtiment de la femme, si elle témoigne quatre fois devant Dieu que son accusateur
ment, * et une cinquième fois pour appeler sur elle-même la colère de Dieu, si c’est lui qui est
véridique.”
21724, 31 femmes/voile

“Dis aux croyantes : de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne montrer que l’extérieur de leurs
atours, de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines (JB leur fichu sur les échancrures de leurs vêtements),
de ne montrer leurs atours qu’à leurs époux, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs époux, ou à leurs fils,
ou aux fils de leurs époux, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs soeurs, ou à
leurs servantes ou à leurs esclaves, ou à leurs serviteurs mâles incapables d’actes sexuels, ou aux garçons
impubères. Dis-leur encore de ne pas frapper le sol de leurs pieds pour montrer leurs atours cachés...”
21824, 32 esclaves/mariage

“Mariez les célibataires qui sont parmi vous, ainsi que vos esclaves, hommes ou femmes, qui sont
honnêtes ...”
21924, 33 contrat d’affranchissement/esclaves
“... Rédigez un contrat d’affranchissement pour ceux de vos esclaves qui le désirent, si vous reconnaissez
en eux des qualités et donnez-leur des biens que Dieu vous a accordés. Ne forcez pas vos femmes
esclaves à se prostituer pour vous procurer les biens de la vie de ce monde, alors qu’elles voudraient
rester honnêtes...”
22024, 51 loi/justice

“Lorsque les croyants sont appelés devant Dieu et son Prophète pour que celui-ci juge (arbitre) leurs
différends, ils ne prononcent qu’une seule parole, ils disent : ‘Nous entendons et nous obéissons’, voilà
ceux qui sont heureux !”
22124, 55 umma
“Dieu a promis à ceux d’entre vous qui croient et qui accomplissent les oeuvres bonnes d’en faire ses
lieutenants sur la terre...”
22224, 60 femmes/voile
“Il n’y a pas de faute à reprocher aux femmes qui ne peuvent plus enfanter et qui ne peuvent plus se
marier, de déposer leurs voiles...”
22324, 62 croyants
“Seuls sont croyants ceux qui croient en Dieu et en son Prophète...”
224• 25, 1 Coran/critère
“Béni soit celui qui a révélé la loi (furqân, critère) à son serviteur afin qu’il devienne un avertisseur pour
les mondes...”
22525, 52 jihâd/Coran “Ne te soumets donc pas aux incrédules ; lutte contre eux, avec force, avec ceci ( =

au moyen du Coran)”
226• 30, 30 islam/fondement du droit

“Acquitte-toi des obligations de la religion, en vrai croyant, et selon la nature que Dieu a donné aux
hommes, en les créant. Il n’y a pas de changement dans la création de Dieu. Voici la religion immuable,
mais la plupart des hommes ne savent rien.”
22733, 4-5 adoption non admise

“(Dieu n’a pas fait) ... que vos enfants adoptifs soient comme vos propres enfants. Ce n’est qu’une parole
dans votre bouche... * Appelez ces enfants adoptifs du nom de leurs pères, ce sera plus juste auprès de
Dieu, mais si vous ne connaissez pas leurs pères, ils sont vos frères en religion, ils sont des vôtres...”
22833, 6 umma/parenté

“... D’après le Livre de Dieu, la parenté a la priorité sur les liens existant entre les croyants et les
émigrés, à moins que vous ne vouliez être bons envers vos compagnons. Voilà ce qui est écrit dans le
Livre.”
22933, 21 Sunna

“Vous avez, dans le Prophète de Dieu, un bel exemple (uswa).”


23033, 36 Sunna/loi/califat/justice

“Lorsque Dieu et son Prophète ont pris une décision, il ne convient ni à un croyant, ni à une croyante de
maintenir son choix sur cette affaire.”
23133, 37 adoption/mariage

“...il n’y a pas de faute à reprocher aux croyants au sujet des épouses de leurs fils adoptifs, quand ceux-ci
ont cessé tout commerce avec elles...”
23233, 40 prophétie
“Mohammed n’est le père d’aucun homme parmi vous, mais il est le
Prophète de Dieu, le sceau des prophètes...”
23333, 49 répudiation/mariage non consommé

“... Quand vous épousez des croyantes et que vous les répudiez ensuite sans les avoir touchées, vous
n’avez pas à leur imposer une période d’attente. Donnez-leur quelque bien et renvoyez-les décemment.”
23433, 57 blasphème

“Oui, Dieu maudit en ce monde et dans l’autre ceux qui offensent Dieu et son Prophète. 11 leur prépare un
châtiment ignominieux.”
23533, 58 insulte
“Ceux qui offensent injustement les croyants et les croyantes se chargent d’une infamie et d’un péché
notoire.”
23633, 59 femmes/voile

“Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles (JB de revêtir
leurs mantes) : c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées...”
237• 41, 41-42 Coran
“... Un livre précieux. * L’erreur (al-bâṯil, le nul) ne s’y glisse nulle part (litt : ni devant ni derrière)...”
238• 42, 38 califat/consultation

(sont auprès de Dieu) “...ceux qui délibèrent entre eux...”


23942, 40 peines/pardon

“La punition d’un mal est un mal identique ; mais celui qui pardonne et qui s’amende trouvera sa
récompense auprès de Dieu. Dieu n’aime pas les injustes.
24042, 41 -42 dommages et réparations
“Quant à ceux qui, après avoir subi un tort, se font justice à eux-mêmes, voilà ceux contre lesquels aucun
recours n’est possible. * Le recours n’est possible que contre ceux qui sont injustes envers les hommes, et
qui, sans raison, se montrent violents sur la terre...”
241• 45, 18 charî’a
“Nous t’avons ensuite placé sur une voie (charî’a) procédant de l’ordre (amr). Suis-la donc et ne suis pas
les passions de ceux qui ne savent rien.”
242• 46, 9 Coran/rappel
“Je ne suis pas un innovateur parmi les prophètes.”
24347, 4 jihâd/captifs

“Lorsque vous rencontrez les incrédules, frappez-les à la nuque, jusqu’à ce que vous les ayez abattus :
liez-les alors fortement ; puis vous choisirez entre leur libération ou leur rançon afin que cesse la
guerre...”
24447, 35 jihâd/pacte/condition

“Ne faiblissez pas ! Ne faites pas appel à la paix quand vous êtes les plus forts...”
24548, 10 prophétie/califat/serment d’allégeance
“Ceux qui te prêtent un serment d’allégeance ne font que prêter serment à Dieu. La main de Dieu est posée
sur leurs mains...”
24648, 17 excuses légales/jihâd
“Il n’y a aucune faute à reprocher à l’aveugle, il n’y a aucune faute à reprocher au boiteux, il n’y a aucune
faute à reprocher au malade, s’ils s’abstiennent de combattre.”
24748, 23 loi/immuable

“... Tu ne trouveras aucun changement dans la coutume de Dieu (sunnat Allâh)”.


24848, 29 jihâd/dureté
“Muẖammad est le Prophète de Dieu. Ses compagnons sont violents envers les impies, bon et
compatissants entre eux.”
24949, 9 rebellion/jihâd

“Si deux groupes de croyants se combattent, rétablissez la paix entre eux. Si l’un des deux se rebelle
contre l’autre (commet un passe-droit, JB), luttez contre celui qui se rebelle, jusqu’à ce qu’il s’incline
devant l’ordre de Dieu. S’il s’incline, établissez entre eux la concorde et la justice. Soyez équitables !
Dieu aime ceux qui sont équitables !
25049, 10 umma/fraternité

“Les croyants sont frères. Établissez donc la paix entre vos frères...”
25149, 13 umma/hiérarchie de la piété
“... Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux d’entre vous...”
252• 56, 77-79 Coran/pureté

“Voici en vérité un noble Coran (qur’ân, lecture) * contenu dans un livre caché * ceux qui sont purs
peuvent seuls le toucher.”
25358, 3 répudiation par serment du dos (ẕihâr) /expiation

“Ceux qui répudient leurs femmes avec la formule : ‘Sois pour moi comme le dos de ma mère !’ et qui la
répètent, devront affranchir un esclave avant de pratiquer de nouveau la cohabitation...”
25458, 4 répudiation par serment/expiation

“A quiconque n’en a pas la possibilité incombe un jeûne de deux mois consécutifs avant de pratiquer de
nouveau la cohabitation. A quiconque ne le pourrait pas non plus incombe la charge de nourrir soixante
pauvres...”
25558, 21 prophétie

“Dieu a écrit : ‘Moi et mes prophètes, nous vaincrons sûrement !” Dieu est fort et puissant.”
25659, 2 loi/analogie

“Tirez donc une leçon de cela, ô vous qui êtes doués d’intelligence !”
25759, 7 prises de guerre/budget/califat/Sunna

“Ce que Dieu a octroyé à son Prophète comme butin (fay’, prise de guerre) pris sur les habitants des
cités, appartient à Dieu et à son Prophète, à ses proches, aux orphelins, aux pauvres, au voyageur, afin que
ce ne soit pas attribué à ceux d’entre vous qui sont riches. Prenez ce que le Prophète vous donne et
abstenez-vous de ce qu’il vous interdit...”
25860, 3 umma/parenté
“Ni vos liens familiaux, ni vos enfants ne vous seront utiles le jour de la résurrection...”
25960, 7 jihâd/pacte

“Dieu établira peut-être l’amitié entre vous et ceux d’entre eux que vous considérez comme ennemis...”
26060, 8-9 jihâd/liberté religieuse/équité
“Dieu ne vous interdit pas d’être bons et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus à cause de
votre foi et qui ne vous ont pas expulsés de vos maisons, Dieu aime ceux qui sont équitables (muqsṯîn).
Dieu vous interdit seulement de prendre pour patrons ceux qui vous combattent à cause de votre foi, ceux
qui vous expulsent de vos maisons, et ceux qui participent à votre expulsion.”
26160, 10 jihâd/mariage

“... Lorsque des croyantes, qui ont émigré, viennent à vous, éprouvez-les... Si vous les considérez comme
croyantes, ne les renvoyez pas vers les incrédules : elles ne sont plus licites pour eux ; ils ne sont plus
licites pour elles. Donnez-leur ce qu’ils sont dépensé pour elles. 11 n’y a pas de faute à vous reprocher si
vous les épousez après leur avoir versé leur douaire (don nuptial, JB). Ne retenez pas en les épousant
celles qui sont incroyantes. Réclamez ce que vous avez dépensé pour leur entretien, comme ils vous
réclament ce qu’ils ont dépensé...”
26262, 9 prière/vendredi/négoce

“...Quand on vous appelle à la prière du vendredi, accourez à l’invocation de Dieu ! Interrompez tout
négoce : c’est un bien pour vous, si vous saviez !”
26365, 1 divorce/loi/fornication

“Lorsque vous voulez répudier vos femmes, faites-le à l’issue de leur période d’attente (de
viduité,‘idda). Calculez soigneusement le délai (‘idda)... Ne les chassez pas de leurs maisons, et qu’elles
n’en sortent pas, à moins d’avoir commis une turpitude manifeste. Telles sont les lois (udûd) de Dieu.
Celui qui transgresse les lois de Dieu se fait tort à lui-même.”
26465, 2 répudiation/témoins

“Lorsqu’elles ont atteint le délai imposé, retenez-les d’une manière convenable, ou bien séparez-vous
d’elles d’une manière convenable. Appelez deux témoins équitables (dhawa ‘adl) choisis parmi vous, et
rendez témoignage devant Dieu.”
26565, 4 répudiation/délai de viduité

“La période d’attente (‘idda) sera de trois mois, même pour celles de vos femmes qui n’espèrent plus la
menstruation, si vous avez quelque doute à ce sujet, et pour celles qui ne sont pas pubères. La période
d’attente des femmes enceintes se terminera avec leur accouchement...”
26665, 6 répudiation/entretien
“Faites habiter ces femmes, là où vous demeurez suivant vos moyens. Ne leur causez pas trop de peine en
les mettant trop à l’étroit. Si elles sont enceintes, pourvoyez (anfaqa) à leurs besoins jusqu’au moment de
leur accouchement. Si elles allaitent l’enfant né de vous, versez leur une pension (ujûr). Mettez vous
d’accord sur ce point d’une manière convenable...”
26765, 7 loi/possibilités

“Que celui qui se trouve dans l’aisance paye selon ses moyens. Que celui qui ne possède que le strict
nécessaire, paye en proportion de ce que Dieu lui a accordé. Dieu n’impose quelque chose à une âme,
qu’en proportion de ce qu’il lui a accordé. Dieu fera succéder l’aisance à la gêne.”
268• 70, 24 aumône/droit des pauvres

“ceux sur les biens desquels on prélève un droit reconnu comme obligatoire” (seront récompensés)
269• 73, 10-11 jihâd/patience

“Supporte patiemment leurs discours ; écarte-toi d’eux poliment. * Laisse-moi avec ceux qui crient au
mensonge ; avec ceux qui vivent dans l’aisance, et accorde-leur un court répit.”
270• 75, 36 loi/nécessité
“L’homme pense-t-il qu’on le laissera libre (sudan, négligé) ?”
271• 87, 6-7 Coran/oubli

“Nous te ferons bientôt réciter le Coran et tu n’oublieras que ce que Dieu voudra te faire oublier...”
II. INDEX 4

ISLAM

272islam : vraie religion : 3, 19 ; achevée : 5, 3 ; naturelle : 30, 30 ; parti de Dieu : 4, 76 ; 5, 55-56 ;


dominera les autres : 61, 9 ; cf but du jihâd, umma.
273croyants : définition : 24, 62.

274prophétie : et victoire : 3, 148 ; 58, 21 ; et jihâd : 3, 146 (passim) et justice : 4, 65.

275morale : équité : 5, 45 ; 6, 152 ; 60, 8-9 ; péché intérieur : 6, 120 ; générosité supérieure au droit : 2,

237 ; 4, 92 ; 5, 45 ; 42, 40 ...


276traits “oecuméniques” : 5, 48 ; 60, 7-8 ; cf. liberté religieuse contre l’extrémisme : 2, 143 ; contre le
pouvoir clérical : 3, 79. cf jihâd. politesse : *24, 27-29 ; *24, 58-61 ; *33, 53.
FONDEMENTS DU DROIT (USÛL)

277loi : nécessité de la loi : 23, 115 ; 75, 38 ; charî’a : 45, 18 ; elle est limite : 2, 187 ; miséricorde : 22,

107 ; facile : 2, 185 ; non gênante : 22, 78 ; allégée : 4, 28 ; adaptée aux possibilités : 2, 233, 280, 286 ;
3, 97 ; 65, 7 ; excuses légales, contrainte : 16, 106 ; nécessité : 2, 173 (//) ; erreur : 2,186 ; maladie et
voyage : 48,17 (//) ; loi et raison : 2, 232 ; et nature : 30, 30 ; principe de légalité : 17, 15.
278Coran, vient de Dieu : 4, 82 ; 10, 37 ; il est rappel : 7, 2 ; confirmation des Écritures antérieures : 10,
37 ; critère de la loi (furqân) : 2, 185 ; 25, 1 ; direction et miséricorde : 2, 2 ; 16, 89 ; clair : 2, 99 ; 16,
89 ; immuable : 6, 34 ; complet : 6, 38 ; sans erreur : 41, 42 ; sans doute : 2, 2 ; 10, 37 ; — et
divergences : 4, 82 ; interprétation du — : 10, 36 ; lecture du — : 16, 98.
279versets : abrogation : 2, 106 ; 16, 101 ; 22, 52 ; ils sont preuves évidentes : 10, 15 ; clairs et obscurs :

3, 7 ; — oubliés : 87, 6-7 ; — et Démon : 22, 52.


280Sunna, Muẖammad est un modèle : 33, 21 ; il faut lui obéir : 4, 59 ; 33, 36 ; 59, 7.

281Autre sources : unanimité : 4, 115 ; analogie : 59, 2 ; élimination des incidences préjudiciables : 6,
108 ; coutume : 7, 199.
282capacité et responsabilité : 2, 286 ; 4, 17 ; 16, 106 ; 17, 15.

283mujtahid, savant : 3, 7, 79.


CULTE (‘IBÂDÂT)

284pureté rituelle : et femmes : 2, 222 ; 5, 6 ; et prière : 4, 43 ; 5, 6 ; et Coran 56, 77-79 ; et mosquées : 9,

17.
285prière : obligation : 2, 43 ; 4, 103 ; et qibla : 2, 144 ; moments : 11, 114 ; tenue : 4, 43 ; 7, 31 ; du
danger : 2, 239 ; 4, 101-102 ; et pureté : 4, 43 ; 5, 6 ; et Coran : 16, 98 ; du vendredi et négoce : 62, 9.
286aumône : obligation individuelle : 2, 43 ; 6, 141 ; obligation des autorités de prélever la zakât : 9, 103 ;

répartition des : 9, 60 ; et droit du pauvre : 70, 24-25.


287jeûne du mois de Ramadan : 2, 185, 187. cf. expiation.

288pèlerinage : obligation : 2, 196-197, 198-200 ; pour qui en a les moyens : 3, 97 ; rites : 5, 1-2 ; et

nourriture : 5, 95-97 ; 22, 26-29 ; et sacrifices : 5, 95-97 ; 22, 28. Sur la pureté de La Mecque : 5, 97 ; 22,
26. cf. vente.
289aliments permis : 5, 96 ; 6, 141 ; interdits : 5, 3-5 ; 6, 118, 121, 141.

290sacrifices : obligation : 22, 36 ; 108, 2 ; cf pèlerinage.

291retraite : 2, 185.

292expiation : du pèlerinage : 2, 196, 5, 95 ; du meurtre par erreur : 4, 92 ; des serments non tenus : 5, 89 ;
de la répudiation par serment du dos : 58, 3-4.
293ẖisba : commander le bien et interdire le mal : 3, 104, 110.

294serments : 2, 224 ; 5, 89 ; 16, 91

295voeux : 22, 29 ; 48, 10.


DROIT CONSTITUTIONNEL (KHILÂFA)

296le pouvoir est à Dieu : 2, 107 ; 3, 26, 189 ; 5, 17 ; il est remis à l’umma : 24, 55.

297umma islamique : la meilleure : 3, 110 ; éloignée des extrêmes : 2, 143 ; unique : 21, 92 ; ne doit pas se
diviser : 3, 103 ; fraternelle : 3, 103 ;
29849, 10 ; hiérarchisée par la piété : 49, 13 ; et changement : 13, 11 ; et liens de parenté : 33, 6 (mais

*60, 3-4).
299devoir d’obéissance aux autorités : 4, 59 ; qui ne peuvent ête que musulmanes : 5, 51, 55-56.

300califat : et consultation : 3, 159 ; 42, 38 ; et législation : 33, 36 ; impôts et budget : 8, 41 ; 9, 60 ; 59, 7 ;


cf. aumône,
301cf jihâd, liberté religieuse.
DROIT INTERNATIONAL (JIHÂD)

302but du jihâd : religieux : 8,7-8 ; 8, 39, 67, 72.

303Dieu donne la victoire : 3, 126, 148.

304par la parole, le silence, la patience : 25, 52 ; 73, 10-11.

305par la guerre : défensive : 2, 190-194, 217 ; 4, 89-91 ; 5, 2 ; 8, 58, 61 ; 9, 3-7, 13 ; 22, 39-41 ; 60, 8-9 ;

offensive : 9, 29, 36, 39, 41, 123.


306obligation : 2, 190, 216 ; 22, 78 ; communautaire : 9, 122 ; dispenses : 9, 91 ; obligation de donner : 2,

195 ; 8, 60.
307devoir de dureté : 9, 123 ; 49, 29.

308jihâd et prière : 4, 101-102 ; et mariage : 60, 10.

309croyants tués : vivants : 2, 154 ; récompensés : 4, 74.

310butin (ghanîma) : 8, 41, 69 ; prise de guerre (fay’) : 59, 7 ; *59, 8-10 ; prisonniers : 8, 67 ; 47, 4.

311amân : 9, 6.

312pactes : conditions : ne pas être fort : 47, 35 ; à respecter : 5, 1 ; 8, 72 ; 9, 4, 7 ; 16, 91 ; 17, 34 ; et


trahison : 8, 58, 61.
313protégés (dhimmî) : et jizya : 9, 29 ; et mariage 5, 5 ; jugent selon l’Evangile : 5, 47 ; ne peuvent

accéder au pouvoir : 5, 51, 55-56.


314liberté religieuse : 2, 217, 256, 272 ; 10, 99-100 ; 16, 125 ; 18, 29.
DROIT PÉNAL (‘UQÛBÂT)

315général : idée du principe de légalité : 17, 15 ; de récidive : 5, 95 ; de proportionnalité des peines : 16,

126 ; cf loi (excuses) et ci dessous les repentirs.


316meurtre : interdit : 5, 32 ; 17, 33 ; 4, 93 ; talion : 2, 178-179 ; 5, 45 ; 32 ; 6, 151 (enfants) ; par erreur :
4, 92 ; intentionnel : 4, 93 ; droit du wâlî ad-dam : 17, 33.
317blessures : 2, 178-179, 194.

318apostasie : 3, 86-90 ; 16, 106 ; et repentir : 3, 88-90 ;

319blasphème : 33, 57-58

320idolâtrie : 22, 30-31.

321vol, amputation : 5, 38 ; et repentir : 5, 39.

322brigandage : 5, 33 ; et repentir : 5, 34.

323rébellion : 49, 9.

324fornication : quatre témoins : 4, 15 ; 24, 4 ; flagellation : 24, 2-3, cf. répudiation ;

325qadhf : 24, 4-5 ; 23, 25 ;

326consommation de vin : 2, 219 ; 4, 43 ; 5, 90.

327peine des esclaves à moitié : 4, 25


PROCÉDURE (IJRA’ÂT)

328pouvoir et justice : 4, 59

329loi à utiliser : 4, 105 ; 5, 48-50 ; 24, 51 ; 33, 36.

330juge : 2, 188 ; 4, 135

331témoignage : obligatoire : 2, 283 ; 5, 106 ; déconseillé en certains cas : 4, 148 ; un homme et deux

femmes : 2, 282 ; ‘adâla : 65, 2 ; 5, 106-107 ; cf fornication, qadhf, dettes, tutelle, testament.
332preuves écrite : cf. dettes

333serment judiciaire : 2, 224 ; 5, 89, 107-108 ; cf. répudiation.


STATUT PERSONNEL (AHWÂL CHAKHSÎYA)

334femmes : et pureté : 2, 222 ; 5, 6 ; et jeûne : 2, 187 ; et droits : 2, 228 ; et voile : 24, 31, 60 ; 33, 59 : et

prééminence de l’homme : 2, 228 ; 4, 34 ; cf. esclaves captives


335mariage : pacte grave : 4, 21 ; obligation du : 24, 32 ; empêchements : 2, 221 ; 4, 19, 22, 23, 24 ;
conclusion : 2, 235 ; polygame : 4, 3 ; 4, 129 ; don nuptial : 2, 229 ; 4, 20 ; 5, 5 ; obéissance des femmes :
4, 34 ; arbitrage : 4, 35 ; et jihâd : 60, 10.
336répudiation, double : 2, 229 ; pension : 2, 241 ; 33, 49 ; 65, 6-7 ; délai de viduité : 2, 227-228, 231 ;
33, 49 ; 65, 1, 4, 6 ; remariage : 2, 230, 232 ; et don nuptial : 2, 237 ; 4, 4 ; et témoins : 65, 2.
337répudiation par serment de continence : 2, 226.

338répudiation par serment du dos : 58, 3-4

339répudiation par accusation d’adultère : 24, 6-9 ; 65, 1 ; 65, 1.

340divorce khul’ : 2, 229.

341veuvage : et entretien : 2, 240 ; et délai de viduité : 2, 234 ; et remariage : 2, 234, 240.

342enfants : ne pas les tuer : 6, 151.

343adoption non admise : 33, 4-5 ; n’empêche pas le mariage : 33, 37.

344obligation d’entretien (nafaqa) : du mari envers ses épouses : 2, 233 ; des enfants envers leurs parents :
46, 15.
345tutelle : des faibles d’esprits : 4, 5 ; des orphelins : 4, 2, 6.

346esclaves : et mariage : 2, 221 ; 4, 3 ; contrats d’affranchissement : 24, 33 ; et talion 2, 178. captives

permises à leur maîtres 4, 24-25, mais proxénétisme interdit 24, 33. cf. expiation.
347successions : dettes des — : 4, 11-12 ;

348héritage : parts : principe 4, 7-8 ; 4, 33 ; détail : 4, 11-12, 176 ; clientèle : 4, 33 ; accord amiable : 2,

182.
349testament : 2, 180, et témoins : 5, 106-108.
DROIT CIVIL (BIENS) (MU’ÂMALÂT)

350propriété : 7, 128.

351contrats aléatoires ( = jeu de hasard) : 2, 219 ; 5, 90 ;

352respect des engagements : 17, 34 ; des contrats : 5, 1.

353préjudices : 2, 188, 279 ; principe d’équivalence : 42, 40-42.

354usure : 2, 275-76 ; 3, 130.

355vente : permise : 2, 275 ; sans écrit : 2, 282 ; juste poids : 6, 152 ; 17, 35 ; et pèlerinage : 2, 198.

356dette : 2, 280-283 ;

357dépôts : 2, 283 ; 4, 58.

358gage : 2, 283

Notes
1 Ce recueil ne constitue pas un résume de l’islam, ni du fiqh, ni du Coran, ni même seulement des obligations du croyant. Pour conserver à
cette annexe des dimensions raisonnables, on s’en est tenu au “fors externe” et on a dû renoncer à représenter les aspects spirituels (humilité
dans la prière, attitude de celui qui fait l’aumône, bonnes manières, etc.) qui font bien partie des obligations du croyant. De plus, les passages
parallèles ou répétés, très fréquents dans le Coran, n’ont pas tous été relevés ici ; on indique leur existence par le signe (//), parfois suivi de
leur référence. Le codage des versets (à droite) suit les catégories de la partie systématique (voir la note p 342). Le signe (•) devant la
première référence de certaines sourates indique qu’elle est mecquoise selon la tradition.
La traduction est celle de D. Masson (Gallimard, La Pléiade), toujours la seule en bon français. Les mots français entre parenthèses sont
rajoutés pour la clarté. Nous donnons aussi entre parenthèses certains mots arabes pour permettre à l’étudiant d’apprendre la terminologie
juridique du Coran. Nous avons aussi ajouté diverses gloses ou notes quand il nous semble que le texte coranique peut se comprendre d’une
autre manière. Nous ferons référence ainsi aux traductions de Jacques Berque (JB), de Mohammed Hamidullah (MH) et du chaykh Hamza
Boubakeur (CHB) quand elles sont intéressantes.
2 D. Masson suit l’interprétation islamique classique. J. Berque (p 202. 558, 611), ( = *48, 28 ; *61, 11), qui a la grammaire pour lui, traduit :
C’est lui qui a envoyé son envoyé avec la guidance et la religion du vrai pour faire prévaloir celui-ci sur la religion en entier.” Ce qui signifie
que l’islam doit se soumettre à son Prophète, c’est-à-dire au Coran...
3 Selon J. Berque il s’agit de la communauté chrétienne : elle est aussi celle des musulmans, et elle constitue une communauté unique. Dans le
parallèle *23, 52, il s’agit de la communauté juive, la même donc que celle des chrétiens et des musulmans.
4 Les références marquées d’un * ne figurent pas dans le recueil précédent. Le premier chiffre (absolument ou après un point virgule) indique
la sourate, tous les autres des versets de cette sourate.
Tout index est une catégorisation, donc une interprétation. Il s’agit en fait d’une rétroprojection du droit moderne sur le Coran, qui est inspirée
en grande partie par l’interprétation courante des juristes arabes actuels. Ils tendent à faire du Coran un code complet qui aurait été copié par
le droit moderne. Si cette filiation de l’un à l’autre est fort contestable, à tout le moins la compatibilité de l’un avec l’autre sur bien des points
est incontestable.
Annexe 2
Principaux auteurs et personnages importants pour l’histoire du fiqh

1Nous présentons les juristes en fonction des grandes périodes historiques, puis, dans chaque période

dans l’ordre des rites et sectes. Cette subdivision n’est pas très pertinente pour la première période
puisque les rites n’existent pas encore ; ou pour les dernières, étant donné que les auteurs modernes
n’indiquent que rarement le rite auquel ils appartiennent. La date hégirienne précède la date chrétienne,
c’est l’inverse pour le xixe-xxe siècle.
2Il faut admettre que les personnages qui meurent dans les premières années d’une nouvelle période

appartiennent à la période précédente, d’où le décalage entre les dates “fourchettes” des décès et les
dates normales des périodes.
3Abréviations :

4Hf : hanéfite ; Mk : malékite ; Ch : chaféite ; Hb : hanbalite ; Zh : zahirite ; Mz : mutazilite ; Ach :


acharite ; Im : imamite (duodécimain) ; Zd : zaydite ; ls : ismaélien (septimanain) ; Ft : Fatimide ; Kh :
kharéjite ; Ib : ibadite.
5L’astérisque (*) attire l’attention sur un ouvrage important. Les points de suspension (...) sur le fait que la

liste est particulièrement incomplète.


I. FORMATION DES SOURCES DU DROIT (personnages
décédés entre 10/632 et 150/767)
COMPAGNONS

611/633, FATÎMA, Bint Muẖammad, fille du Prophète, mariée à ‘Ali dont elle eut deux fils Hasân et
Husayn.
712/634, ABÛ BAKR AS-SIDDÎQ, premier calife (cf. n° 39).

818/639, ABÛ ‘UBAYDA BN AL-JARÂH, converti de la première heure, un des dix auquels le Prophète

promit le paradis. Avec ‘Umar, joua un rôle décisif dans la prise de pouvoir d’Abû Bakr.
918/639, MU‘ÂDH BN JABAL, lecteur du Coran.

1020 ou 21/ 641, ZAYNAB BINT JAHCH, femme de Zayd Bn Haritha (ob. 8/629), puis du Prophète.

1121/642, UBAYY BN KA‘AB, lecteur du Coran.

1221/641, KHÂLID BN AL-WALÎD, général des armées arabes.

1322/644, ‘UMAR BN AL-KHAṮṮÂB, deuxième calife. Transmit de nombreuses traditions, dont se

réclame en particulier l’école du ra’y de Kûfa (cf. n° 40).


1432/652, AL-‘ABBÂS ‘ABD AL-MUṮṮALIB, dit ABÛ AL-FAḎL, oncle du Prophète, converti en 629

(?), ancêtre des Abbassides.


1532/652, ABÛ DARDÂ’ Huwaym Bn Mâlik al-Khazrâjî al-Ansârî, Compagnon du Prophète dès son

jeune âge, transmetteur du Coran, puis cadi de Syrie suivant la Sunna.


1632/652, ABÛ DHARR AL-GHIFÂRÎ, Jundab Bn Junâda, Compagnon du Prophète, ascète. Sous
‘Uthmân, il fut interné jusqu’à sa mort à cause de ses critiques contre les riches. Ses ẖadîth font référence
pour les mystiques et les socialistes arabes.
1732/652, IBN MAS‘ÛD (‘Abd Allâh), est un berger, converti de la première heure, qui devint un familier

de la maison du Prophète. Ce dernier lui aurait promis le paradis (comme aux quatre califes et à cinq
autres, dont Talha et Zubayr). Il fut gouverneur et “catéchiste” de Kûfa. Il mourut à Kûfa ou à Médine s’il
est vrai que ‘Uthmân le destitua. Il est connu comme une autorité sur le Coran et a rapporté 848 ẖadîth.
L’école de Kûfa se réclama de lui.
1836/656, ṮALHA BN ‘UBAYD ALLÂH, un des dix à qui le Prophète a garanti le Paradis, un des six

qu’il consultait souvent. Révolté contre ‘Alî, avec ‘Â’icha et Zubayr, il fut tué à la bataille du chameau.
1936/656, ZUBAYR BN AL-’AWWÂM, un des dix à qui le Prophète a garanti le Paradis. Révolté contre

‘Alî, avec ‘Â’icha et Ṯalẖa, il fut tué à la bataille du chameau.


2036/656, ‘UTHMÂN BN ‘AFFÂN, troisième calife (cf. n° 41).

2137/658 ‘ABD ALLÂH BN WAHB AR-RÂSIBÎ, le premier des chefs kharijites, tué en à Nahrawân.

2240/660, ‘ALÎ BN ABÎ ṮÂLIB, quatrième calife. Transmit de nombreuses traditions dont se réclament

l’école de Kûfa et les chiites (cf. n° 42).


2341/661 (?), ABÛ MÛSÂ AL-ACH‘ARÎ, ‘Abd Allâh Bn Qays, est un converti des premiers temps, qui
émigra en Abyssinie. Il fut nommé gouverneur d’un district par le Prophète. Il fut gouverneur tantôt de
Basra, tantôt de Kûfa sous ‘Umar et ‘Uthmân. A l’arbitrage de Siffin il représentait les intérêts de ‘Alî,
mais il se fit jouer par ‘Amr Bn al-‘Âs. Il dut s’enfuir à la Mecque, mais mourut à Kûfa probablement peu
après ‘Alî.
2444/663, ‘AMR BN AL-‘ÂS,. Converti en 629, il fut expédié par le Prophète en Oman. Abû Bakr
l’employa comme chef de guerre. Il conquit l’Égypte sous ‘Umar (640-642) qui lui envoya des renforts
dirigés par Zubayr. Il fut destitué par ‘Uthmân et incita ‘Alî, Ṯalẖa et Zubayr à la révolte. Après la défaite
des deux derniers contre ‘Alî, il passa à Mu‘âwîya auquel il assura le pouvoir par ses ruses à Siffin. De
retour en Egypte, il échappa à un attentat kharidjite en 661, mais mourut peu après.
2544/664, UMMA HABÎBA, Ramla Bint Abû Sufiân, épouse du Prophète, soeur de Mu‘âwîya.

2644/664, HAFSA, fille de ‘Umar, épouse du Prophète, qui la répudia et la reprit. École de Médine.

2745/665, ZAYD BN THÂBIT Bn Aḏ- Ḏaẖẖâk AL-ANSÂRÎ al-Khazrijî, secrétaire du Prophète, fut le
maître d’oeuvre de la recension du Coran sous les trois premiers califes.
2849/669. AL-HASAN BN ‘ALÎ BN ABÎ ṮÂLIB, fils aîné de ‘Alî, le quatrième calife et de Fatîma, fille

du Prophète, dit AL-MIṮLÂQ (“le divorceur”). À la mort de son père, il fut malgré lui proclamé calife
(deuxième imâm chiite), et renonça au pouvoir contre une pension que lui versa Mu‘âwiya.
2950/670 (?) SA‘D BN ABÎ WAQQÂS, Compagnon du Prophète, un des dix auxquels le paradis fut

promis, combattant, fondateur de Kûfa.


3050/670, SAFÎYA, prisonnière juive des Banû Nadîr devenue la onzième femme du Prophète. Elle se

convertit à l’islam. Elle défendit ‘Uthmân au moment critique. Elle mourut à Médine.
3151/671 ou 61/681, MAYMÛNA, dernière femme du Prophète.

3253/673, KA‘B BN MÂLIK (Abû ‘Abd Allâh), Poète, défenseur de ‘Uthmân et qui refusa de reconnaître

‘Alî. Mourut aveugle. On lui attribue un Diwân.


3354/674, SAWDA BINT ZAMA‘A BINT QAYS, seconde femme du Prophète, répudiée, puis reprise.

3458/678 (?), ABÛ HURAYRA, ‘Abd ar-Raẖmân Bn Sakhr, rejoignit le Prophète en 629. Un temps préfet

de Baẖrayn sous ‘Umar, il vécut et mourut à Médine. Il est source de près de 3500 ẖadîth pas très prisés.
3558/678, ‘Â’ICHA BINT ABÎ BAKR, fille du premier calife, deuxième et très jeune épouse du Prophète,

fut marquée par l’incident de 628, où on l’accusa d’adultère. L’affaire fut l’occasion de la révélation des
versets 24, 10 sq. Elle détesta ‘Alî qui avait conseillé au Prophète de la répudier. Elle s’opposa à
‘Uthmân et incita à la révolte contre lui. Elle fit de même contre ‘Alî et rejoignit les révoltés Ṯalẖa et
Zubayr qui furent écrasés et tués à la bataille du chameau en 656. Elle mourut à Médine où elle s’était
retirée. Intelligente, cultivée, très estimée pour son jugement, très consultée, elle est la source de 1210
traditions.
3662/681, UMM SALAMA, Hind Bint Suhayl, épouse du Prophète.
(SUNNITES)
École de Médine

3794/713, ‘URWA BN AL-ZUBAYR BN AL-‘AWÂM AL-ASADÎ, neveu de ‘Â’icha, dépend de plusieurs


Compagnons. Un des sept de Médine.
3894/713, ABÛ BAKR BN ‘ABD AR-RAHMÂN BN AL-HÂRÎTH Bn Hichâm al-Makhzûmî, dépend de
son père et de ‘Â’icha, un des sept de Médine.
3994/713, SA‘ÎD BN AL-MUSAYYIB al-Makhzûmî, le plus célèbre des sept de Médine, dépend d’Abû
Hurayra (son beau-père) et de divers Compagnons.
4098/716 (?), ‘UBAYD ALLÂH BN ‘ABD ALLÂH BN ‘UTBA BN MAS‘ÛD, dépend de ‘Â’icha, Abû
Hurayra, Ibn ‘Abbâs. Précepteur du calife ‘Umar ‘Abd al-‘Azîz. Un des sept de Médine.
41100/ 718 (?) KHÂRIJA BN ZAYD BN THÂBIT AL-ANSÂRÎ, 7e des sept de Médine, spécialiste des

successions comme son père (ob. 45/665).


42106/724-725, SALIM BN ‘ABD ALLÂH Bn ‘Umar Bn al-Khaṯṯâb, école de Médine, dépend de son

père, de ‘Âicha, Abû Hurayra, Ibn al-Musayyib.


43106/724 (?), AL-QÂSIM BN MUHAMMAD Bn Abî Bakr. Dépend de sa tante, de ‘Â’icha, Ibn
‘Abbaâs, Ibn ‘Umar. Un des sept de Médine.
44107/725 (?), SULAYMÂN BN YASÂR, mawlâ de Maymuna, femme du Prophète, dépend de sa
patronne, de ‘Â’icha, Abû Hurayra, Ibn ‘Abbâs, Zayd Bn Thâbit. Un des sept de Médine.
45117/735, ‘ABD AR-RAHMÂN BN HURMUZ dit AL-A‘RAJ, mawlâ des Hachîmîn, dépend de Abû

Hurayra, Abû Sa‘îd al-Khudarî et de Mu‘âwîya (le calife). École de Médine. Il eut le jeune Mâlik pour
élève.
46117/735, NÂFI’ mawlâ ‘ABD ALLÂH BN ‘UMAR, école de Médine, envoyé en Égypte par ‘Umar

comme enseignant. Pour les traditions, il dépend de son patron, de ‘Â’icha, de Abû Hurayra.
47124/742, MUHAMMAD BN MUSLIM, dit IBN CHIHÂB AZ-ZUHRÎ, cadi de Syrie, école de Médine,

dépend de ‘Abd Allâh Bn ‘Umar, Anas Bn Mâlik, Sa‘îd Bn al-Musayyib et d’autres.


48130/748, MUHAMMAD BN MUNKADAR, école de Médine.

49131/748, ABU Z-ZANÂD ‘ABD ALLÂH BN DHAKÛN, école de Médine, dépend de Anas Bn Mâlik

et d’autres suivants.
50136/753, RABΑA BN ‘ABD AR-RAHMÂN FARÛH, école de Médine, dépend de Anas Bn Mâlik et

d’autres suivants. Surnommé RABΑA ALRA’Y. Eut Mâlik pour élève.


51136/753, ZAYD BN ASLAN, école de Médine.
52146/763, YAHYA BN SA‘ÎD AL-ANSÂRÎ, école de Médine, dépend de Anas Bn Mâlik et d’autres

suivants.

École de la Mecque

5368/687,’ABD ALLÂH BN (AL-)‘ABBÂS, n’avait qu’une dizaine d’années à la mort du Prophète, son

cousin. Il aurait trahi ‘Alî qui l’avait nommé gouverneur de Basra ; il rejoingnit Mu’âwiya à condition
qu’il ne vérifie pas sa gestion. Il mourut à Tâ’if. Réputé pour sa connaissance des traditions, mais de
nombreux ẖadîth apocryphes ont été mis sous son nom. Ecole de la Mecque. Dépend de ‘Umar, ‘Alî et
Ubayy Bn Ka‘b. C’est le grand-père des prétendants abbassides.
5473/692, ‘ABD ALLÂH BN ‘UMAR, fils du deuxième calife, fut surtout un combattant très pieux. Il resta
neutre dans les querelles politiques, ne chercha pas à succéder à son père, mais refusa de reconnaître
‘Alî, Mu‘âwiya et Yazîd, du moins tant que celui-ci n’accéda pas au trône. Il mourut à la Mecque.
55104/722, MUJÂHID BN JABR, mawlâ des Bani Makhzûm, école de la Mecque, dépend de Sa’d Bn

Mâlik, ‘Â’icha, Abû Hurayra, Ibn ‘Abbâs. Il aurait une grande influence sur le tafsîr.
56105/723, ‘IKRIMA, mawlâ IBN ‘ABBÂS, école de la Mecque, dépend de son patron, de ‘Â’icha, Abû

Hurayra et d’autres. Rapporterait des traditions kharidjites.


57114/732, ‘AṮÂ’ BN ABÎ RABÂH, mawlâ des Quraych, école de la Mecque, dépend de ‘Âicha, Abû

Hurayra, Ibn ‘Abbâs.


58127/744, ABÛ Z-ZUBAYR MUHAMMAD BN MUSLIM BN TADRUS, mawlâ Hakîm Bn Hazzâm,

école de la Mecque, dépend de Ibn ‘Abbâs, Ibn ‘Umar, Sa‘îd Bn Jubayr.

École de Kûfa

5962/681, ‘AQALMA BN QAYS AN-NAKHA‘Î, école de Kûfa, dépend de ‘Umar, ‘Uthmân, Ibn Mas‘ûd

et ‘Alî.
6063/682, MASRÛQ BN AL-AJDA‘ AL-HAMADHÂNÎ, école de Kûfa, dépend de Ibn Mas‘ûd et de son

oncle ‘Amr Bn Ma‘ad Yakrab.


6178/697, CHARÎH BN AL-HÂRITH AL-KINDÎ, école de Kûfa, aurait été nommé par ‘Umar cadî de

Kûfa, puis ne le fut plus jusqu’à l’époque d’al-Hajjâj Bn Yûsuf. Dépend de ‘Umar, ‘Alî et Ibn Mas‘ûd.
6292/711, ‘UBAYDA BN AMR AL-SALMÂNÎ AL-MURÂDÎ, école de Kûfa, dépend de ‘Ali et de Ibn

Mas‘ûd.
6395/713, SA‘ÎD BN JUBAYR, mawlâ Wâliba. D’origine éthiopienne, école de Kûfa, tué par al-Hajjâj

pendant la fitna d’Ibn Ach‘ab. Dépend de Ibn ‘Abbâs et Ibn ‘Umar.


6495/713, AL-ASWAD BN YAZÎD AN-NAKHA‘Î, école de Kûfa, neveu de ‘Aqlama, dépend de Mu‘adh,

Ibn Mas‘ûd.
6595/713, IBRÂHÎM BN YAZÎD AN-NAKHA‘Î, école de Kûfa, dépend de ‘Aqlama, Masrûq, al-Aswad.
66104/722, ‘ÂMIR BN CHARÂHÎL ACH-CHA‘BÎ, école de Kûfa, mais hostile au qiyâs. Dépend de ‘Ali,

Abû Hurayra, Ibn ‘Abbâs, ‘Â’icha, Ibn ‘Umar.


67105/723, ABÛ ‘ÂMIR BN SARÂHÎL ACH-CHA‘BÎ, école de Kûfa, dépend de ‘Alî, Abû Hurayra,
‘Âicha. Il eut pour élève Abû Hanîfa.
68120/738, HAMMAD BN ABÎ SULAYMÂN, selon Schacht, Esquisse, légiste kufien, le premier dont on

puisse dire la doctrine authentique.

École de Basra

6990/708, ABÛ L-’ÂLÎYA RAFΑ BN MAHRÂN AR-RIYÂHÎ, mawlâ des Tamîm, école de Basra,
dépend de ‘Amr, Ibn Mas‘ûd, Alî, ‘Â’icha.
7091-93/709-711, ANAS BN MÂLIK ABÛ HAMZA ANSÂRÎ, jeune serviteur du Prophète. On le trouve

en 684 imâm à Basra, représentant du calife prétendant Abdallâh Bn Az-Zubayr. 11 fut humilié par al-
Hajjâj. Il est à l’origine de 128 ẖadîth, dépendant aussi d’Abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthmân et Ubayy, mais Abû
Hanîfa les refusa.
71100/718 (?), ABÛ CH-CHA‘THÂ’ JÂBIR BN ZAYD AL-AZDÎ, école de Basra, dépend de Ibn Abbâs.

Traditionniste estimé de son temps, il est la référence des ibadites.


72110/728, AL-HASAN BN ABÎ AL-HASAN YASÂR, mawlâ Zayd Bn Thâbit dit HASAN AL-BASRÎ,

école de Basra, dépend de Compagnons nombreux, surtout Anas bn Mâlik. Célèbre par son ascétisme
(zuhd). Il est aussi le premier des mutazilites.
73110/728, MUHAMMAD BN SIRÎN mawlâ ANAS BN MÂLIK, école de Basra, dépend de son patron et

d’Abû Hurayra, Ibn ‘Abbâs, Ibn ‘Umar.


74118/736, QATÂDA BN DI‘ÂMA AS-SADÛSÎ, école de Basra, dépend de Anas, de Sa‘îd Bn
Musayyib. Savant en tafsîr, ikhtilâf, langue arabe.

École de Syrie

7578/697, ‘ABD AR-RAHMÂN BN GHÂNIM AL-ACH‘ARÎ, école de Syrie, dépend de ‘Umar, Mu‘adh.
Il fut envoyé comme “catéchiste” en Syrie par ‘Umar.
7680/699, ABÛ IDRÎS AL-KHÛLÂNÎ ‘Â’IDH ALLÂH BN ‘ABD ALLÂH, école de Syrie, cadi de Syrie.

Pour les traditions qu’il rapporte, il dépend de Mu‘adh Bn Jabal.


7786/704, QUBAYSA BN DHU’ÎB, école de Syrie, dépend de Abû Bakr et ‘Umar.

78101/719, ‘UMAR BN ‘ABD AL-‘AZÎZ BN MARWÂN, huitième calife umayyade, dépend de Anas Bn
Mâlik et d’autres tardifs.
79112/730, RAJÂ’ BN HAYWA AL-KINDÎ, école de Syrie, dépend de Mu‘âwiya, ‘Abd Allâh Bn ‘Umar,

et Jâbir.
80113/731, MAKHÛL BN ABÎ MUSLIM, mawlâ des Hudayl, école de Syrie, dépend de tardifs.

École d’Égypte

8165/684, ‘ABD ALLÂH BN ‘AMR BN AL-’ÂS, école d’Égypte, fils du célèbre général.

8290/708, ABÛ L-KHAYR MURTHID (?) Bn ‘Abd Allâh al-Yaznî, muftî d’Égypte.

83128/746, YAZÎD BN ABÎ HABÎB, mawlâ al-Azd, Danaqla (soudanais), mufti d’Égypte nommé par
‘Umar II Bn ‘Abd al-‘Azîz.

École du Yémen

84106/724, ṮÂWUS BN KAYSÂN AL-JUNDÎ, école du Yémen, dépend de Zayd Bn Thâbit, ‘Âicha, Abû
Hurayra.
85114/732, WAHAB BN MANBAH AS-SANA‘ÂNÎ, école du Yémen, dépend de Ibn ‘Umar, Ibn ‘Abbâs,

Jâbir.
86129/747, YAHYA BN ABÎ KATHÎR, mawlâ Tay’i (?), école du Yémen, dépend de Anas Bn Mâlik.

Mutazilites

87128/746, JAHM BN SAFWÂN Abû Muẖriz at-Tirmidhî, mawlâ des Banû Râsib, théologien jabarite et

mutazilite. Probablement à l’origine de l’idée du Coran créé.


88131/748, WÂSIL BN ‘AṮA’ (Abû Hudhayfa al-Ghazzâl), chef de file des mutazilites.

89145/762, ‘AMR BN ‘UBAYD (Abû ‘Uthmân), Irak, un des premiers mutazilites. Cf. 110, Basra.
KHARIDJITES, IBADITES

9063/682, ABÛ BILÂL MIRDÂS BN UDAYY AT-TAMÎMÎ, chef de file des kharidjites sufrîya.

9164/683 env., NÂFI‘ BN AL-AZRAQ AL-HANAFÎ AL-HANZALÎ, chef des kharidjites extrémistes
azraqites, tué à la bataille de Dûlâb.
9266/685, NÂFI‘ BN AZRAQ, chef de file des kharidjites extrémistes.

93ier/viie siècle (fin), IBN ’IBAḎ (‘Abd Allâh — al-Murrî at-Tamîmî), fondateur de l’ibadisme. cf. Abû

ch-Cha‘thâ’ (vers 100, Basra).


9473/692, NAJDA BN ‘ÂMIR, chef de file des kharidjites najadât.

95136-158/753-75, ABÛ ‘UBAYDA MUSLIM BN ABÎ KARÎMA ATTAMÎMÎ, savant et propagandiste

ibadite, mort sous al-Mansûr Abû Ja‘far, dépend de Abû chu‘Chu’thâ’ et autres ibadites.
CHIITES

9661/680, AL-HUSAYN BN ‘ALÎ BN ABÎ ṮÂLIB, fils cadet de ‘Alî, le quatrième calife et de Faṯîma,

fille du Prophète. Cf. Hasan. Troisième imâm chiite à la mort de son frère. Il fut tué à Karbalâ’, par les
troupes du gouverneur umayyade, au moment où il tentait de rejoindre la rébellion chiite de Kûfa. Source
de nombreuses traditions.
9782/701, MUHAMMAD BN AL-HANAFÎYA, descendant du calife ‘Alî, mais pas de Faṯîma. Il réussit à
ne pas se compromettre ni avec Ibn Zubayr l’anti calife, ni avec Mukhtar le révolté chiite qui se réclamait
de lui. On le considère comme le premier murjite, c’est-à-dire dissociant la foi et les oeuvres, comme ce
sera la tradition sunnite.
9894/713, ZAYN AL-‘ÂBIDÎN, surnom de ‘ALÎ BN AL-HUSAYN BN ‘ALÎ, petit fils du quatrième calife,

quatrième imâm chiite. Pour ses traditions, il dépend de son père, de son oncle al-Hasan, de ‘Âicha,
d’Ibn ‘Abbâs, et on le rattache à Médine. On lui attribue une Risâlat al-ẖuqûq.
9998/716, ABÛ HACHIM fils de Muẖammad Bn al-Hanafîya, aurait transmis ses droits au califat au

prétendant abbasside avant sa mort.


100114/732, ABÛ JA‘FAR MUHAMMAD Bn ‘Alî Bn al-Husayn, dit AL-BÂQIR, cinquième imâm chiite,

école de Médine. Pour les traditions qu’il rapporte, il dépend de son père, de Jâbir, d’Ibn ‘Umar.
101122/740, ZAYD BN ‘ALÎ, cinquième imâm chiite selon ses partisans, les Zaydites (Cf. Abû Ja‘far al-

Bâqir), écrivit : Majmû‘ Zayd Bn ‘Alî, le premier recueil de ẖadîth en forme juridique (trad. part.
Bousquet et Berque). (cf. n° 68-69). Rattaché aussi à l’école de Basra (cf. n° 68-69)
102145/762, MUHAMMAD BN ‘ABD ALLÂH, dit NAFS AZ-ZAKÎYA, descendant de ‘Alî par Hasan,
révolté (avec son frère), tué à Médine. Traditionniste retenu par les zaydites et parfois par les sunnites. Il
aurait écrit un Kitâb as-siyar qui aurait inspiré celui du hanéfite ach-Chaybânî.
103148/765 JA‘FAR BN MUHAMMAD dit AS-SÂDIQ (Abû ‘Abd Allâh), fils d’Abû Ja’far Muẖammad

al-Bâqir, sixième des imâms chiites : Misbaẖ ach-charî‘a (La lampe qui éclaire la religion littérale, selon
la trad. de Corbin) (cf. n° 71-72).
LISTE COMPLÉMENTAIRE

10473/692, ‘ABD ALLÂH BN ZUBAYR, petit-fils d’Abû Bakr. Il refusa de reconnaître Yazîd et se

proclama khalife (680), ralliant le Hedjaz et l’Égypte. Les troupes umayyades prirent et pillèrent Médine,
assiégèrent la Mecque, la bombardèrent mais se retirèrent à la mort du calife Yazîd (683). Marwân, le
nouveau calife parvint à récupérer l’Égypte et à battre les partisans de Ibn Zubayr en Syrie (684), mais ce
n’est que ‘Abd al-Malik qui parvint à prendre la Mecque en 693, ‘Abd Allâh Bn Zubayr étant mort peu
avant.
10595/713, AL-HAJJÂJ BN YÛSUF, gouverneur umayyade d’Irak, célèbre par sa cruauté.

106104/724, ABÂN BN ‘UTHMÂN AL-KHALÎFA, aurait écrit une biographie du Prophète : al-Maghâzî.

107118/736, ‘ALÎ BN ‘ABD ALLÂH AS-SAJJÂD, père de Muẖammad Bn ‘Alî, premier prétendant

abbasside.
108128/746, AL-HÂRITH BN SURAYJ, théologien hérétique dont la doctrine postérieure en a fait
l’origine des hérésies non sunnites. Il participa à plusieurs révoltes.
II. FORMATION DES RITES (chapitre 2 : 2e/viiie et 3e/ixe
siècle)
FORMATION DES PREMIERS RITES (chapitre 2, section 1 : le 2e/viiie
siècle) (personnages décédés entre 150/767 et 204/820)
HANÉFITES

109150/767, ABÛ HANÎFA (Al-Nu‘mân Bn Thâbit Bn Zûtâ), fondateur du hanéfisme, Kûfa : Fiqh akbar
(théologie) ; Musnad ; Wasîya ; Fiqh absaṯ... (compilés par ses élèves) (cf. n° 73).
110157/774, IBN HUDHAYL (Zufar — Bn Qays), élève de Abû Hanîfa.

111182/798, ABÛ YÛSUF (Ya‘qûb Bn Ibrâhîm al-Ansârî), élève de Abû Hanîfa, Kûfa, Baghdâd : Kitâb
al-ẖiyâl (ruses) ; Kitâb al-athâr ; Kitâb ikhtilâf Abû Hanîfa wa Bn Abî Laylâ ; Kitâb ar-radd ‘alâ siyar al-
Awzâ‘î ; Kitâb al-kharâj (trad. Fagnan) (cf. n° 74).
112189/805, ACH-CHAYBÂNÎ (Muẖammad Bn al-Hasan), mawlâ, élève de Abû Hanîfa et de Abû Yûsuf,

fondateur du hanéfisme, Kûfa, Irak : *Kitâb al-asl fî l-furû‘ ( = al-Mabsûṯ) ; az-Ziyâdât ; Kitâb al-Alhâr
(ẖadîth) ; *A1jâmi’ as-saghîr ; *Al-jâmi‘ al-kabîr ; as-Siyar al-kabîr (jihâd) ; Kitâb almakhârij fî l-ẖiyâl
(ruses) ; ‘Aqîda (théologie) (cf. n° 74).
113204/819, AL-LU’LU’Î (al-Hasan Bn Ziyâd), élève de Abû Hanîfa, de Abû Yûsuf et de ach-Chaybânî,

mawlâ, Kûfa.
114204/820 (vers), AL-JÛZAJÂNÎ (Abû Sulaymân Mûsâ Bn Sulaymân), Hf, élève de ach-Chaybânî.

MALÉKITES

115179/795, MÂLIK BN ANAS (Abû ‘Abd Allâh), Médinois, fondateur de l’école malékite : *al-
Muwaṯṯa’ (recensions : Yaẖyâ Bn Yaẖyâ al-Masmûdî ; Muẖammad bn al-Hasan ach-Chaybânî, Hf) (cf. n°
76).
116185/801, ‘UTHMÂN BN KINÂNA, Mk, Hedjaz, élève de Mâlik.

117189/805, YAHYÂ BN MUḎAR, Mk, Espagne, élève de Mâlik, crucifié pour rébellion.

118191/806, IBN AL-QÂSIM AL-‘UTAQÎ, (Abû ‘Abd Allâh ‘Abd ar-Raẖmân), Mk, élève de Mâlik,

principal transmetteur de la doctrine malékite, en Égypte, puis au Maghreb. Cf. Saẖnûn ; Asad (ob.
213/828).
119197/812, IBN WAHB MUSLIM (Abû Muẖammad ‘Abd Allâh — al-Qurchî), Mk, élève de Mâlik,

répandit le malékisme en Égypte.


120198/814, M‘AN BN ‘ÎSÂ AL-QAZZÂZ, Mk, Médine, traditionniste.

121200/814, ZIYÂD BN ‘ABD AR-RAHMÂN, Mk, introduisit le Muwaṯṯâ’ en Espagne.


122204/819 ACHHAB BN ‘ABD AL-‘AZÎZ Al-Qaysî Al-‘Âmirî, élève de Mâlik, répandit le malékisme

en Égypte : Mudawwana Achhab (remaniement de la Asadiya).


123204/819 (ou 213/829 ?) AL-MÂJICHUN (‘Abd al-Malik Bn ‘Abd al-‘Azîz Bn ‘Abd Allâh Bn Abî
Salamat), Mk, Médine.

CHAFÉITES

124204/820, ACH-CHÂFI‘Î (Abû ‘Abd Allâh Muẖammad Bn Idrîs), élève de Mâlik, fondateur de l’école

chaféite : *ar-Risâla (usûl) (trad. angl. Khadduri, française Souami) ; Kilâb al-umm ; Kitâb ikhtilâf al-
ẖadîth ; Kitâb wasîya Ach-Châfi‘î (cf. n° 78-79).

ANCIENNES ÉCOLES SUNNITES

125148/765, 1BN ABÎ LAYLÂ (Muẖammad Bn ‘Abd ar-Raẖmân), cadi de Kûfa, kufien indépendant. Son

raisonnement est de bon sens et tient compte de la pratique (Schacht, Esquisse) (cf. n° 81).
126157/774, AL-AWZ‘Π(‘Abd ar-Raẖmân). Juriste indépendant. Son école s’est implantée en Syrie. Elle

essaima un temps en Espagne. Le dernier mufti de cette école mourut à Syrie en 347/958 (cf. n° 81).
127161/778, SUFYÂN ATH-THAWRÎ, kufien indépendant, : al-Jâmi‘ al-kabîr ; al-Jâmi‘ as-saghîr ; al-

Farâ’iḏ. Il est revendiqué par le soufisme comme un précurseur. Le dernier muftî de cette école mourut en
Irak en 406/1015 (cf. n° 81).
128181/797, IBN MUBÂRAK (Abû ‘Abd ar-Raẖmân ‘Abd Allâh), Khurassân, Irak, juriste indépendant

qui influença l’école hanbalite.


129175/791, AL-LAYTH BN SA‘D, Égypte, juriste indépendant.

130177/793, AN-NAKHA‘Î (Charîk Bn ‘Abd Allâh), kufien indépendant.

IBADITES

131170/786, RABΑ BN HABÎB AL-BASRI, Ib, quatrième imâm ibadite, Basra : al-Jâmi‘ as-saẖîẖ
(ẖadîth).
1322e/VIIIe, ABÛ SUFYÂN MAHBÛB BN AR-RAHÎL, cinquième imam ibadite, ‘Umân.

133168/784, ‘ABD AR-RAHMÂN BN RUSTUM, Ib, fondateur de la dynastie des Rustumides au


Maghreb, composa un Tafsîr du Coran (perdu).
1342e/viiie siècle, HÛD BN MUHKAM AL-HAWÂRÎ, Ib : Tafsîr du Coran.

1352e/viiie siècle, ABÛ L-YAQZÂN MUHAMMAD BN AFLAH, Ib, Maghreb, théologien.

1362/viiie siècle, ABÛ GHÂNIM BN GHÂNIM, Ib, Khurasân : al-Mudawwana I-kubrâ (ẖadîth).

CHIITES ZAYDITES
137( ?) AHMAD BN ‘ÎSÂ BN ZAYD, fils de Zayd Bn ‘Alî, Irâk, influencé par le hanéfisme : al-Amâlî.

138150/767, ABÛ KHÂLID Amr Bn Khâlid al-Wâsiṯî, mawla des Hâchim, Irak, élève de Zayd bn ‘Alî.

CHIITES IMAMIENS (duodécimains, ithnâ ‘acharîya)

139183/799 MÛSÂ AL-KÂZIM, fils cadet de Ja‘far as-Sâdiq, septième imam dans l’ordre duodécimain,

emprisonné par les Abbassides et mort en captivité.


140201/818, ‘ALÎ AR-RIDÂ, huitième imam chiite, désigné par al-Ma’mun calife abbasside comme
successeur, mais décédé avant ledit calife.

LISTE COMPLÉMENTAIRE

141150/767, IBN ISHÂQ, traditionniste, écrivit une vie du Prophète (perdue). Cf. Ibn Hichâm (ob.
218/834).
142205/822, AL-WÂQIDÎ (Abû ‘Abd Allâh Muẖammad), Irak ? : Kitâb al-maghâzî (histoire).
FORMATION DES DERNIERS RITES. COMPILATION ET DIFFUSION
DES DOCTRINES (chapitre 2, section 2 : 3/IXe siècle) (personnages
décédés entre 205/821 et 320/932)
HANÉFITES

143221/836, ‘ÎSÂ BN ABÂN, Hf, Irak, élève de ach-Chaybânî.

144233/847, IBN SAM‘A AT-TAMÎMÎ, Irak, Hf : Kitâb an-Nawâdir.

145237/851, IBN AL-WALÎD AL-KINDÎ (Bachîr ou Bichr), Hf, Irak.

146242/857? YAHYÂ BN AKTHAM, Hf, Basra, plusieurs fois grand cadi.

147245/859, HILÂL AR-RA’Y (Ibn Yaẖya Bn Muslim al-Basrî), Hf, Basra, élève de ach-Chaybânî : Kitâb

aẖkâm al-awqâf.
148261/874, AL-KHASSÂF (Aẖmad Bn ‘Umar Bn Muhayr), Hf, Baghdâd : Kitâb al-ẖiyal wa-l-makhârij ;

Kitâb aẖkâm al-waqf ; Kitâb adab al-Qâḏî...


149267/853, IBN CHUJ‘ ATH-THALJÎ (Muẖammad), Hf, Irak : Kitâb an-Nawâdir.

150288/901, IBN GHIYÂB AL-MARÎSÎ, Hf, aussi théologien murjite.

151290/903, BAKKÂR BN QUTAYBA BN ASAD, Hf, cadi en Égypte : Kitâb al-wathâ’iq wa-l-‘ahd ;
Kitâb ach-churûṯ ; Kitâb al-muẖâḏir wa-s-sijillat...
152292/905, ABÛ KHÂZIM (‘Abd al-Hamîd), Hf, Syrie : Kitâb adab al-qâḏî ; Kitâb al-muẖâḏir wa-s-

sijillat.
153308/921 (?) IBN AS-SALT (Aẖmad), Hf, Irak.

154318/929, AL-BARDA’Î (Abû Sa’îd Aẖmad Bn al-Hasan), Hf, Baghdâd, tué par les Qarmates : Masâ’il

al-khilâf.
155318/929, MAKHÛL AN-NASAFÎ (Abû Muṯî‘ — Bn Faḏl Allâh —), Hf.

156318/929, AL-TANUKHÎ (Ibn Hasan), Hf.

MALÉKITES

157206/822, ‘ABD ALLÂH BN NÂFI‘ AS-SÂTGH, Mk, Médine, élève de Mâlik.

158212/827, ‘ÎSÂ BN DÎNÂR, Mk, Espagne, cadi de Tolède.

159213/828, AL-FURÂT, ASAD BN AL — BN SINÂN (an-Nisâbûrî), Mk, répand le malékisme en

Tunisie : al-Asadîya (réponses d’Ibn al-Qâsim).


160221/835, AL-QA‘NABÎ (‘Abd ar-Raẖmân), Mk, répand le malékisme en Irak (Basra), traditionniste.

161224/838, IBN AL-LAYTH (Abû Muẖammad ‘Abd Allâh Bn al-Hakam Bn A‘yan), Mk, Égypte.

162225/839-40, ASBAGH BN FARAJ (Bn Sa’îd Bn Nâfi‘ Abû ‘Abd Allâh) AL-UMAWÎ, mawlâ, Mk,

Égypte : Comm. des mots du Muwaṯṯa’...


163227/841, IBN ABÎ UWAYS, Mk, Medine, élève de Mâlik.

164236/851, MUS‘AB AZ-ZUBAYRÎ, Mk, Medine, élève de Mâlik.

165234/848, AL-LAYTHÎ (YAHYÂ BN YAHYÂ lbn Kathîr — al-Masmûdî), Mk, Espagne, a transmis la
version la plus courante du Muwaṯṯa’ de Mâlik.
166238/853, IBN HABÎB (‘Abd al-Malik — Bn Sulaymân AS-SULÂMÎ), Mk, poète, historien, répandit le

malékisme en Espagne : al-Waḏiẖa fî s-sunna wa-l-fiqh.


167240/854, SUHNÛN ou SAHNÛN (‘Abd as-Salâm Bn Sa‘îd), Mk, cadi de Kairouan, répandit le
malékisme au Maghreb et en Espagne : *al-Mudawwana al-kubrâ (réponses d’Ibn al-Qâsim).
168240/854, AHMAD BN AL-MU‘ADHDHAL, Mk, répand le malékisme en Irak (Basra), aussi
théologien.
169242/857, ABÛ MUS’AB AZ-ZUHRÎ, Mk, Médine.

170243/857, DHÛ N-NÛN AL-MISRÎ, Mk, soufi, rapporteur du Muwaṯṯâ’ de Mâlik (version perdue).

171245/859, AL-HARÎTH BN MISKIN, Mk, Égypte.

172255/869, AL-‘UTBÎ (Muẖammad Bn Aẖmad), Mk, Espagne : al-‘Utbîya (ou al-Mustakhraja).

173267/880, HAMMÂD BN ISHÂQ, Mk, Irak, frère du cadi Ismâ’îl bn Isẖaq.

174268/881, IBN ABD AL-HAKAM (Muẖammad Bn ‘Abd Allâh), Mk, Égypte.

175281/894, IBN MAWÂZ (Muẖammad Bn lbrâhîm Bn Ziyâd al-Iskandarî), Mk, Alexandrie : al-
Mawâzîya.
176282/895, QÂḎÎ ISM‘ÎL BN ISHÂK, Mk, Irak, grand cadi.

177296/909, YÛSUF BN YA‘QÛB AL-AZDÎ, Mk, Irak, grand cadi.

CHAFÉITES

178221/836, ABU ‘ABD AR-RAHMÂN ACH-CHÂFI‘Î, Ch, Mtz, Baghdâd.

179231/846, YÛSUF AL-BUWAYṮÎ (Abû Ya’qûb), Ch, Égypte, transmetteur de la seconde doctrine
d’ach-Châfi‘î : Mukhtasar min kutub ach-Châfi‘î.
180240/854 IBN KULLÂB, Ch ?, Baghdâd, théologien semi-rationaliste.

181240/854 ABÛ THAWR, Ch, Baghdâd, juriste indépendant mais transmetteur de la première doctrine

d’ach-Châfi‘î.
182242/856, YAHYA BN AKTHAM, Ch, Irak, : Kitâb at-tanbîh (contre le qiyâs)
183243/857, HARMALAH, Ch, Égypte, transmetteur de la seconde doctrine d’ach-Châfi‘î :

184243/857 AL-HÂRITH BN ASAD AL-MUHÂSIBÎ, Ch, Irak, soufi, traditionniste.

185245/859, ou 248/862, AL-KARÂBÎSÎ (Abû ‘Alî al-Husayn), Ch, transmetteur de la première doctrine

d’ach-Châfi‘î.
186256/870, AL-JÎZÎ (Ar-Rabî‘ bn Sulaymân), Ch, Égypte, transmetteur de la seconde doctrine d’ach-
Châfi‘î.
187260/874, AZ-ZAFARÂNÎ (Abû ‘Alî al-Hasan), Ch, transmetteur de la première doctrine d’ach-Châfi‘î.

188264/877, IBN ‘ABD AL-A‘LÂ (Yûnus), Ch, transmetteur de la seconde doctrine d’ach-Châfi‘î.

189264/877, AL-MUZANÎ (Abu Ibrâhîm Ismâ’îl), Ch, Égypte, transmetteur de la seconde doctrine d’ach-

Châfi‘î : *Mukhtasar min ‘ilm al-imâm annafis ; Risâla.


190270/883, AR-RABΑ AL-MURÂDÎ (Abû Muẖammad Bn Sulaymân — ), Ch, Égypte, transmetteur de la

seconde doctrine d’ach-Châfi‘î : Mukhtasar. Il aurait compilé le Kitâb al-umm d’ach-Châfi‘î.


191288/901, ABÛ L-QÂSIM ‘UTHMÂN AL-ANMÂṮÎ, Ch, transmetteur de la seconde doctrine en Irak.

192294/907 IBN NASR AL-MARWAZÎ (Muẖammad), Ch, Transoxiane.

193295/907 ABÛ JA‘FAR AT-TIRMIDHÎ, Ch, Irak.

194306/918, IBN SURAYJ (Aẖmad), Ch, Perse, Irak, polémiqua avec les zahirites ; son œuvre est perdue.

195306/918, MANSÛR BN ISM‘ÎL, Ch, Égypte, poète aveugle.

196311/923 IBN KHUZAYMA, Ch et indépendant.

HANBALITES

197241/855, IBN HANBAL (Aẖmad Bn Muẖammad), élève d’ach-Châfi‘î, transmetteur de sa première


doctrine, fondateur de l’école hanbalite : Musnad (ẖadîth), Kitâb as-sunna (ẖadîth), Kitâb az-zuhd
(ascétisme), Kitâb as-salât (fiqh), Kitâb al-wara‘ wa l-imân (théologie), Ar-radd ‘alâ azzanâdiqa wa l-
jahmîya (théologie), Kitâb ṯa‘at ar-rasûl (théologie), Masâ’il Sâliẖ (fiqh)...
198251/865, ISHÂQ BN MANSÛR AL-KAWSAJ (Abû Ya‘qûb), Hb, Irak, transmit des opinions de Ibn
Hanbal.
199275/888, ABÛ BAKR AL-MARWADHÎ (Aẖmad Bn Muẖammad Bn al-Hajjâj, dit —), Hb, élève d’Ibn

Hanbal.
200266/880 (?), SÂLIH BN AHMAD, Hb, Irak, fils aîné d’Ibn Hanbal, rapporteur de l’oeuvre de son

père : Masâ’il Sâliẖ.


201275/888 ABÛ DÂWUD SULAYMÂN AS-SIJISTÂNÎ, Hb, Irak : Kitâb al-Masâ’il (fatâwâ d’Ibn
Hanbal); as-Sunan.
202290/901, ‘ABD ALLÂH BN AHMAD, Hb, fils cadet d’Ibn Hanbal, rapporteur de l’oeuvre de son

père.
203311/923, ABÛ BAKR AL-KHALÂL (Aẖmad Bn Muẖammad Bn Harûn), Hb, Irak : Kitâb al-Jâmi‘

(grande compilation d’après al-Mawardhî) ; Kitâb al-imân (théologie) ; Kitâb as-Sunna ; Kitâb fî l-‘ilm ;
Kitâb al-‘ilâl ; Ghulâm al-Khalâl (histoire du hanbalisme).
204317/929, ABÛ BAKR AS-SIJISTÂNÎ, Hb, Irak, fils de Abû Dawûd : Kitâb al-Masâẖif (lectures du

Coran).

ANCIENNES ÉCOLES SUNNITES

205245/860, DUHAYM, cadi de Jordanie-Palestine, école d’al-Awzâ‘î.

206310/923, AṮ-ṮABARÎ (Abû Ja‘far Muẖammad BN JARÎR), Kitâb ikhtilâf al-fuqahâ’, *Tafsîr, *Tarîkh.
L’école Jarîrîya ne maintint pas, le dernier cadi de l’école, al-Mu‘âfa al-Nahrawânî, mourut en 390/1000.

Zahirites (ou ẖachwîya)

207270/883, DÂWUD BN KHALAF ‘ALÎ AL-ISFAHÂNÎ, Zh, Irak, le troisième des six traditionnistes

sunnites : Kitâb fi ibtâl al-qiyâs.


208283/896, AL-HUSAYN BN ‘ABD ALLÂH, Zh, Irak, “éditeur” de Dâwud.

209297/910, ABL) BAKR MUHAMMAD, Zh, Irak, fils de Dâwud, juriste et poète : kitâb az-Zuhra
(poésie).

CHIITES ZAYDITES

210246/860 ou 242/856, AL-QÂSIM BN IBRÂHÎM AR-RASSÎ, al-Hasanî, (descendant de ‘Alî par


Hasan), étudia le hanéfisme, mulazilile en théologie, proche des sunnites en droit, cf. Yaẖya al-Hâdî.
211270/883, AL-HASAN BN ZAYD BN MUHAMMAD, fondateur des Alaouites du Tabaristan et du

Daylam.
212298/910, YAHYÂ BN AL-HUSAYN BN AL-QÂSIM dit AL-HÂDÎ ILÂ L-HAQQ, petit-fils d’al-

Qâsim ar-Rasî Hasan, fondateur de l’Etat zaydite du Yémen, théologien, polémiste.


213304/916, ABÛ MUHAMMAD AL-HASAN BN ‘ALÎ ZAYN AL-‘ÂBIDÎN AL-UṮRÛCH, dit AN-
NÂSIR AL-KABÎR, Husaynite, Daylam, Jîlân.

CHIITES ISMAÉLIENS (septimanains, sab‘îya)

214261/875, ABD ‘ALLÂH BN MAYMÛN AL-QADDÂH, propagandiste chiite, fondateur du mouvement


isma‘îlî, à l’origine du mouvement qarmate et du pouvoir fatimide. Personnage peut-être mythique.
2153/ixe siècle HAMDÂN QARMAT Bn Ach‘ath, fondateur du mouvement qarmate, Irak, Syrie.

CHIITES IMÂMIENS (duodécimains, ithnâ ‘acharîya) (avant la grande occultation,


329/940)

216220/835, MUHAMMAD AL-JAWWÂD AT-TAQÎ, neuvième imam.

217255/868, ‘ALÎ BN MUHAMMAD AL-HADÎ AN-NAQÎ OU ABÛ L-HASAN, dixième imam.

218260/873, FAḎL BN CHADHÂN al-Naysâbûrî : al-Îḏâẖ.

219261/874, AL-HASAN AL-‘ASKARÎ AZ-ZÂKÎ. onzième imam.

220266/879, MUHAMMAD AL-MAHDÎ, AL-MUNTAẔAR (“l’attendu”), douzième imam, occulté en


260/873 (petite occultation)
221290/903, ABÛ JA‘FAR QUMMÎ, Im, Perse : Bachâ’ir ad-darajât fî ‘ulûm ‘Âl Muẖammad wa mâ
khassahum Allâh bihi.

LISTE COMPLÉMENTAIRE

222218/834, IBN HICHÂM, tradilionniste sunnite, élève de Ibn Isẖaq : *Sirât Rasûli Llâh.

223220/ 835 AN-NAZZÂM (Ibrâhîm Bn Sayyâd), Irak, théologien mutazilite.

224230/845, IBN SA‘D, dit KÂTIB AL-WÂQIDÎ, traditionniste : Kitâb aṯ-ṯabaqât (de tous les rites).

225225/840, IBN L-HUDHAYL (Abu l-Hudayl Muẖammad) AL-‘ALLÂF, Irak, fondateur de la théologie

mutazilite.
226255/869, AD-DÂRIMÎ (Abu Muẖammad ‘Abd Allâh), Transoxiane, traditionniste : al-Musnad (ou
Jâmi’ as-Saẖîẖ).
227254/868, IBN KARRÂM, fondateur de la Karramîya, première confrérie.

228256/870, AL-BUKHÂRÎ, le premier des six traditionnistes sunnites : *al-Jâmi‘ as-saẖîẖ (trad. Houdas

et Marçais, 1904, 4 vol).


229257/870, AL-KINDÎ (Yûsuf bn Isẖâq), philosophe.

230261/875, BISTÂMÎ (Abu Yazîd Tayfûr), Iran, mystique.

231261/875, MUSLIM (BN) AL-HAJJÂJ, Perse, le deuxième des six traditionnistes sunnites : Saẖîẖ.

232273/886, IBN MÂJAH (Abû ‘Abd Allâh Muẖammad Bn Yazîd al-Qazwînî), le sixième des six
traditionnistes canoniques : Sunan.
233279/892 (?), AT-TIRMIDHÎ (Abû ‘Isâ Muẖammad), le quatrième des six traditionnistes sunnites : al-

Jâmi‘ as-saẖîẖ.
234289/911, AL-JUNAYD (Abu l-Qâsim), Irak, mystique et juriste : Dawâ al-arwâẖ (mystique).

235290/903, IBN AR-RÂWANDÎ (Abû l-Hasan), mutazilite, puis libre penseur.

236303/915, AN-NASÂ’Î (Aẖmad), Égypte, Ch, le cinquième des six traditionnistes sunnites : as-Sunan.

237309/922, AL-HALLÂJ (Abû Mansûr Husayn), soufi, Irak, Khorassan, Perse, exécuté à Irak : Kitâb aṯ-

Ṯawâsin.
238313/925, AR-RAZI (Abu Bakr Muẖammad Bn Zakarîyâ), Iran, médecin, le Rhazès des latins.
III. ÉPOQUE DES RITES (chapitre 3, du 3e/IXe siècle au
12e/xviiie siècle)
ÉPOQUE BUWAYHIDE (chapitre 3, section 1, du 4e/Xe siècle au milieu
du 5e/XIe siècle) (personnages décédés entre 320/932 et 464/1071)
HANÉFITES

239321/933, AṮ-ṮAHÂWÎ (Abû Ja’far Aẖmad Bn Muẖammad Bn Salâma al-Azdî), Ch puis Hf, Égypte,
Syrie : Mukhtasar ; comm. sur les oeuvres de ach-Chaybânî ; Manâqib Abû Hanîfa ; Muqaddima fî usûl
ad-dîn (théologie) ; Bayân as-sunna wa-l-jamâ’a (théologie).
240325/937, ACH-CHÂCHÎ (Isẖâq bn Ibrahîm — as-Samarqandî), Hf, Égypte.

241333/944, AL-MÂTURÎDÎ (Abû Mansûr Muẖammad Bn Muẖammad) AS-SAMARQANDÎ, Hf,


théologien de référence des hanéfites d’Orient, Transoxiane : Kitâb ta’wîlât al-Qur’ân ; Kitâb at-tawẖîd
(théologie).
242334/945, AL-HÂKIM AL-MARWAZÎ (Muẖammad Bn Muẖammad — ach-Chahîd), Hf, Transoxiane,

Khorassan : al-Kâfî fî l-fiqh.


243340/951, AL-KARKHÎ (Abû l-Hasan ‘Ubayd Allâh Bn Hasan), Hf, organisateur du hanéfisme, Irak :
Mukhtasar ; Charẖ al-jâmi‘ as-saghîr d’ach-Chaybânî ; Charẖ al-jâmi‘ al-kabîr (du même) ; Risâla fi l-
usûl.
244342/953, AS-SAMARQANDÎ (Isẖaq Bn Muẖammad Bn al-Hakîm al-Mâturîdî), Hf, Transoxiane :
Kitâb as-Sawâd al-a‘zam.
245362/973, AL-BALKHÎ AL-HINDAWÂNÎ (Abû Ja‘far Muẖammad Bn ‘Abd Allâh), Hf, Khurasân.

246370/980, AR-RAZÎ AL-JASSÂS (Abû Bakr Aẖmad Bn ‘Alî), Hf, Irak : Charẖ al-jâmi‘ al-kabîr d’ach-
Chaybânî ; Charẖ Mukhtasar al-Kurkhî ; Charẖ Mukhtasar aṯ-Ṯaẖâwî ; Kitâb al-usûl.
247373/983, ABÛ AL-LAYTH (Nasr Bn Muẖammad AS-SAMARQANDÎ), Hf, Transoxiane : Tanbîh al-

ghâfilîn ; an-Nawâzil ; fatâwâ ; Khizâna al-fiqh...


248380/990, IBN IMRÂN (Abû Ja‘afar Muẖammad), Hf.

249398/1008, AL-JURJÂNÎ, (Abû ‘Abd Allâh Yûsuf Bn Muẖammad), Hf, Khurâsân : Khizâna al-akmal...

250418/1027, AL-HALWÂ’Î AL-BUKHÂRÎ (Chams al-A’imma ‘Abd al-‘Azîz Bn Aẖmad), Hf,


Khorassan.
251428/1036, (IBN) AL-QUDÛRÎ AL-BAGHDÂDÎ (Abû al-Husayn Aẖmad Bn Muẖammad), Hf, Irak :

*Mukhtasar.
252430/1038, AD-DABBÛSÎ AS-SAMARQANDÎ (Abû Zayd ‘Abd Allâh Bn ‘Umar), Hf, Khorassan :

Ta’sîs an-naẕar fî ‘ilmay al-jadal wa-l-khilâfiyât (ikhtilâf); an-Nuẕum fî l-fatâwâ ; Taqwîm al-adilla
(usûl).
253433/1041, KHAWÂHIR ZÂDE (Abû Bakr Muẖammad Bn al-Hussayn al-Bukhârî), Hf, Khurasân : al-

Mukhtasar ; at-Tajnîs ; al-Mabsûṯ.

MALÉKITES

254314/936, BAKR BN AL-‘ALÂ’ AL-QUCHAYRÎ AL-BASRÎ, Égypte, Mk : Kitâb ar-radd ‘alâ al-

Muzanî ; Kitâb usûl al-fiqh ; Kitâb al-aẖkâm...


255320/932, MUHAMMAD ABÛ ‘UMAR, Mk, Irak, grand cadi, présida le tribunal qui condamna le soufi

al-Hallâj.
256326/938, MUHAMMAD BN YAHYÂ BN LABÂBA AL ANDALUSÎ, Mk, Espagne : al-Muntakhiba.

257328/940, ABÛ AL-HUSAYN ‘UMAR BN MUHAMMAD, Mk, Irak, grand cadi.

258351/962, IBN ABÎ DALÎM, Mk : Kitâb aṯ-ṯabaqât.

259355/965 ABÛ ISHÂQ MUHAMMAD BN AL-QÂSIM BN CHA‘BÂN AL’UNSI, Mk, Égypte : Kitâb

az-Zâhî ach cha‘bânî fî l-fiqh (opinions isolées).


260361/971, MUHAMMAD BN HÂRITH BN ASAD AL-KHUCHNÎ, Mk, Espagne, : Kitâb fî ikhtilâf wa-

l-ittifâq fî madhhab Mâlik ; fatawas...


261367/977, ABÛ BAKR MUHAMMAD BN ‘ABD ALLÂH AL-MU‘ÎṮÎ AL-ANDALUSI, Mk.

262367/978 (?), ABÛ AT-TÂHIR ADH-DHUHLÎ, Mk, Irak, Syrie, Égypte.

263372/982, (écrit vers), AL-BARÂḎI’Î (Abû Sa‘îd Khalaf bn Abî l-Qâsim al-Azdî), Mk, Kairouan :
Tahdhîb al-Mudawwana.
264375/986, ABÛ BAKR AL-ABHARÎ, Mk, Irak, adopte les méthodes d’enseignement du chaféite Ibn
Surayj.
265380/990, YÛSUF BN ‘UMAR BN ‘ABD AL-BARR, Mk, Espagne, comm du Muwaṯṯâ’, Kitâb al-kâfi

fi al-fiqh.
266386/996, IBN ABÎ ZAYD AL-QAYRAWÂNÎ, Mk, Kairouan : *ar-Risâla (trad Bercher) ; Ikhtisâr al-

Mudawwana ; Kitâb an-nawâdir wa z-ziyâdât ‘alâ l-Mudawwana.


267391/1001, IBN TUMART (Muẖammad Bn ‘Abd Allâh — al-Maghribî al-Andalûsî), Mk, n. p. c. avec

le réformateur du même nom, mort en 524/1130. Cf. Zh.


268395/1004, ABÛ BAKR MUHAMMAD BN ‘ABD ALLÂH AL-ABHARÎ, Mk, Irak, : Charh madhhab

Mâlik wa-l-ihtijâj wa r-radd ‘alâ man khâlafahu ; kitâb al-usûl ...


269398/1007, IBN AL-QASSÂR (Abû l-Hasan ‘Alî Bn Ahmad Al-Baghdâdî), Mk, Irak : Muqaddima fî

usûl al-fiqh ; Masâ’il al-khilâf.


270399/1008, ABÛ ‘ABD ALLÂH MUHAMMAD BN ‘ABD ALLÂH dit IBN ABÎ ZAMANAYN AL-

BAYRÎ, Mk.
2715e/xie ABÛ ‘IMRÂN AL-FÂSÎ, Mk, Tunisie, rencontra le fondateur des Almoravides, Yaẖya bn
Ibrâhim.
272403/1012, MUHAMMAD BN AṮ-ṮAYYIB dit AL-BAQILLÂNÎ (Abû Bakr), Mk, théologien, Ach.,

Irak : I’jâz al-Qur’ân ; Kitâb al-tamhîd ; al-Insâf fimâ yajib i‘tiqâduhu ; at-Taqrîb (usûl)...
273403/1012, ABÛ L-HASAN ‘ALÎ BN MUHAMMAD BN KHALAF AL-MA‘ÂFARÎ, dit IBN AL-

QÂBISÎ, Mk.
274422/1031, AṮ-ṮA‘LABÎ (‘Abd al-Wahhâb Bn ‘Alî), Mk, Baghdâd : Kitâb at-talqîn...

275422/1031, ABÛ AL-WAHHAB BN NASR AL-BAGHDÂDÎ, Mk, Égypte : Kitâb al-Ichrâf‘alâ masâ’il

al-khilâf.
276440/1048, ABÛ AL-QÂSIM ‘ABD AR-RAHMÂN BN MUHAMMAD AL-HAḎRARMÎ dit AL-
BAYDÎ, Mk, Tunisie, entre autres résuma la Mudawwana.
277451/1059, IBN YUNIS (Abû Bakr Muẖammad Bn ‘Abd Allâh), Mk, Tunisie : al-Jâmi‘ li-masâ’il al-
Mudawwana.
278452/1060, ABÛ AL-FAḎL BN ‘ABDÛS, dernier Mk d’Irak.

CHAFÉITES

279318/930, AL-MUNDHIRÎ (Abû Bakr Muẖammad Bn Ibrahîm Bn al-Mundhir), Ch et indépendant,


Hedjaz.
280319/931, IBN HARBAWAYH (‘Alî Bn al-Husayn), Ch.

281324/935, AL-’ACH‘ARÎ (Abû l-Hasan ‘Alî), Irak,, théologien : al-Ibâna ‘an usûl ad-diyâna ; Maqâlât

al-islâmîyîn.
282328/939, Abû Sa‘îd AL-ISTAKHRÎ, Ch et indépendant.

283336/947, AL-QAFFÂL ACH-CHÂCHÎ, Ch, Perse, Transoxiane.

284340/951 ABÛ ISHÂQ AL-MARWÂZÎ, Ch, Irak.

285345/956, IBN ABÎ HURAYRA (Abû ‘Alî), Ch, Irak.

286345/956, IBN AL-HADDÂD AL-MISRÎ, Ch, Égypte : Kitâb al-furû‘.

287375/985, AL-DARIKÎ (Abû Hasan), Ch et indépendant.

288386/996, ABÛ ṮÂLIB AL-MAKKÎ, Ch, soufi, Perse : Qût al-qulûb.

289406/1015, ABÛ HÂMID AL-ISFARÂYÎNÎ, Ch, Irak.

290415/1024, ‘ABD AL-JABBÂR (AL-QÂḎÎ — ), Ch, Mtz, Perse : Kitâb al-Mughnî (droit et théologie) ;

al-‘Ahd (usûl)
291415/1024, AL-MAHAMILÎ (Abû l-Hasan), Irak : Kitâb al-lubâb fî l-fiqh.

292418/1027, ABÛ ISHÂQ AL-ISFARÂYÎNÎ, Ch, Khorassan.

293429/1037, IBN TÂHIR (Abû Mansûr ‘Abd al-Qâhir) AL-BAGHDÂDÎ, Khorassan, Ach : Kitâb al-
milal wa-n-niẖal (hérésiologie) ; Farq bayn al-firaq ; Kitâb usûl ad-dîn (théologie)
294436/1044, ABÛ L-HUSAYN AL-BASRÎ, Ch, Mtz : al-Mu‘tamad fi usûl al-fiqh (connu de al-’Ahd de

‘Abd al-Jabbâr).
295438/1047, AL-JUWAYNÎ (l’ancien) (Abû Muẖammad ‘Abd Allâh), Khurasân : al-Jam‘ wa l-firaq.

296450/1058, AL-MÂWARDÎ (Abû l-Hasan ‘Alî), Ch, Irak : *al-Aẖkâm as-sulṯânîya (trad. Fagnan) ;

Kitâb al-bughya al-‘ulyâ fi adab ad-dîn wad-dunya (morale).


297450/1058, ABÛ AṮ-ṮAYYIB AṮ-ṮABARÎ (Ṯâhir Bn ‘Abd Allâh), Ch, Irak : Charẖ Mukhtasar al-

Muzanî.
298458/1066, ABÛ BAKR AHMAD AL-BAYHAQÎ, Ch, Irak, Iran : Kitâb al-ma‘rifa (traditions) ; Kitâb
as-sunan wa l-’âthâr (traditions) ; Mabsût ; Kitâb al-asmâ wa-s-sifât (théologie).
299463/1070, AL-BASRÎ (Abû l-Husayn Muẖammad Bn ‘Alî), Ch, Mtz, Irak : Kitâb al-Mu’tamad (usûl).

300464/1071, AL-KHAṮÎB AL-BAGHDÂDÎ (Aẖmad Bn ‘Alî), Ch, Irak, traditionniste : Tarîkh Baghdâd.

HANBALITES

301334/945, KHIRAKÎ (Abû l-Qâsim ‘Umar AL-), Hb, Syrie : Mukhtasar fi l-fiqh.

302363/974, IBN JA‘AFAR (‘Abd al-‘Azîz), ou GHULÂM BN JA‘FAR, Hb, Irak : acheva Ghulâm al-

Khalâl (histoire du hanbalisme) ; Muqni’.


303327/938, ABÛ MUHAMMAD AR-RÂZÎ, Hb, Khorassan : Kitâb al-Jarẖ wa-t-a‘dîl (ẖadîth) ; Tafsîr
(perdu).
304329/941, AL-BARBAHÂRÎ (Abû Muẖammad), Hb, Irak, célèbre agitateur.

305348/959, AN-NAJJÂD (Abû Bakr), Hb, Irak : compile le Musnad d’Ibn Hanbal ; Kitâb as-Sunan ;
Kitâb ikhtilâf al-fuqahâ’.
306360/971, AL-ÂJURRÎ (Abû Bakr), Hb, Ch, Irak, Hedjaz : Kitâb ach-charî‘a.

307360/971, ABÛ L-QÂSIM AṮ-ṮABARÂNÎ, Hb, Irak : Kitâb as-Sunna, Kitâb Makârim al-akhlâq
(morale).
308368/978 ABÛ BAKR AL-QAṮÎ’Î, Hb, compilateur du Musnad d’Ibn Hanbal.

309387/997, IBN SAM’ÛN (Abû l-Husayn), Hb, Irak : Comm du Mukhtasar d’al-Khiraqî.

310387/997, IBN BAṮṮA AL-‘UKBARÎ, Hb, Irak : Ibâna kabîra, Ibâna saghîra (trad Laoust) ; un ouvrage

contre les ẖiyal.


311403/1012, IBN HAMID (Abû ‘Ab Allâh al-Hasan), Hb, Irak : Comm du Mukhtasar de al-Khirâqî ;

Kitâb al-Jâmi’ fi ikhtilâf al-fuqahâ’; Kitâb fî usûl ad-dîn ; Kitâb fi usûl al-fiqh.
312410/1020, ABÛ AL-FAḎL AT-TAMÎMÎ, Hb.

313458/1056, ABÛ YA’LÂ AL-FARRÂ’, Hb, Irak : Kitâb al-mu‘tamad (théologie) ; al-aẖkâm as-
sulṯânîya ; Comm du Mukhtasar de al-Khirâqî ; Kitâb al-mujarrad (usûl) ; Kitâb ikhtilâf al-fuqahâ’.
ZAHIRITES (ou ẖachwîya)

314324/936, IBN AL-MUGHALLIS, Zh, Irak : al-Mudîh.

315358/969, HAYDARA BN ‘UMAR, Zh, Irak.

316361/972, ‘UBAYD ALLÂH BN AHMAD, Zh.

317380/990, BICHR BN AL-HUSAYN, Zh, Chiraz, Irak.

318391/1001, AL-‘AZÎZ BN AHMAD AL-KHARAZÎ, Zh, Irak.

319429/1038 IBN AL-AKHDAR, Zh, Irak : Akhbâr ahl aẕ-Ẕâhir (tabaqât).

320456/1064, IBN HAZM, théologien, juriste Ch, puis Zh, Espagne : Kitâb al-muhalla (Ch)(droit
comparé); Ibṯâl al-qiyâs wa l-istiẖsân wa t-taqlîd wa l-ta’lîl (Zh)(usûl); Kitâb al-fasl fi l-milâl
(hérésiologie)(Zh); Kitâb al-akhlaq (morale)(Zh); Kitâb al-iẖkâm (Zh)(usûl).

CHIITES ZAYDITES

321338/945, IBN UQDA, Zd, juriste, historien.

322356/967, ABÛ L-FARÂJ AL-ISFAHÂNÎ, Irak, Syrie, Zd : Kitâb maqâtil at-tâlibiyîn* (histoire du
chiisme) ; Kitâb al-aghânî* (anthologie poétique).
323404/1013, AL-MAHDI AL-HUSAYN BN AL-MANSÛR AL-QÂSIM, Zd, Yémen.

CHIITES ISMAÉLIENS
Fatimides

324331/942, ABÛ YA’QÛB SIJISTÂNÎ, Ft, Khorassan : Kitâb asâs ad-da‘wa (théologie) : Kitâb ta’wîl
ach-charâ’i‘ (tafsîr) ; Kitâb kachf al-asrâr (ésotérisme).
325331/942, ABÛ HÂTIM RÂZÎ, Ft, Khurasân.

326331/942, MUHAMMAD BN AHMAD AN-NASAFÎ, Ft, Khurasân : Kitâb al-maẖsûl.

327363/974, QÂḎÎ NU’MÂN (Muẖammad Bn Mansûr Bn Hayyân), Ft, grand cadi, Tunisie, Égypte :

*Da’â’im al-islâm (droit, ouvrage de référence des ismaéliens); al-Idâẖ (théologie) ; Ikhtilâf usûl al-
madhâhib.
328fin 4e/xe ( ?) IKHWÂN AS-SAFÂ’, groupe de théologiens qui écrivirent une Encyclopédie.

329410/1021 ? HAMÎD AD-DÎN KIRMÂNÎ, Ft, Égypte : Kitâb râẖat al-‘aql (théologie)...

Druzes

330410/1019, DARAZI Nechtegîn, proclama la divinité du calife fatimide al-Hâkim et est à l’origine de la

secte des Druzes (Syrie, Liban).


CHIITES IMAMITES

331328/939, AL-KULAYNÎ (Muẖammad Ya‘qûb AR-RÂZÎ), traditionniste : *Kitâb al-Kâfi (le premier
recueil chiite de traditions).
332(?) BÂBAWAYH OU BÂBÛYAH (Abû Muẖammad ‘Alî), le père, Im, Irak : Risâla fi ach-charâ’i‘.

333381/991, IBN BÂBAWAYH OU BÂBÛYAH (Muẖammad Bn ‘Alî) AL-QUMMÎ le jeune, dit AS-

SADÛQ, Im, Perse, Irak : Kitâb man lâ yaẖḏuruh al-faqîh* (traditions) ; al-Hidâya ; al-Muqni‘ ; Madînat
l-‘ilm (traditions, deuxième des quatre recueils imamites).
3344e/xe, IBN ABÎ ‘AQÎL (Abû Muẖammad Hasan Bn ‘Alî — al-‘Umâmî al-Hadhdhâ’), Im.

3354/xe, IBN AL-JUNAYD (Abû ‘Alî Muẖammad Bn Aẖmad —) dit AL-KÂTIB AL-ISKÂFÎ), lm, :
Tahdhîb ach-chî‘a (droit).
336406/1016, ACH-CHARÎF AR-RÂḎÎ (ou Râzî) Im, Irak : *Nahj al-balâgha (traditions de ‘Alî,
considéré parfois comme le cinquième recueil des traditions imamites).
337413/1022, AL-MUFÎD (Abu ‘Abd Allâh Muẖammad al-Nu‘mân al-Baghdâdî Bn al-Mu‘allim), Im,
Irak : at-Tadhkira bi-usûl al-fiqh ; al-Ichrâf fî ‘ammat farâ’iḏ ahl al-islâm ; al-Muqni‘a (traditions); al-
Irchâd (histoire); Fiqh ar-Riḏâ...
338436/1044, ACH-CHARÎF AL-MURTAḎÂ (ou Mortazâ) ‘ALAM AL-HUDÂ (Abû l-Qâsim ‘Alî Bn l-
Husan), frère de ach-Charîf ar-Râḏî, Im, Irak : adh-Dharî‘a ilâ usûl ach-charî‘a ; al-Intisâr ; al-Masâ’il
an-nâsirîyât.
339460/1067, ACH-CHAYKH (Abû Ja‘far Muẖammad Bn l-Hasan) AṮ-ṮÛSÎ dit aussi ACH-CHAYKH

AṮ-ṮÂ’IFA), Im, Irak : *al-Istibsâr (troisième des quatre recueils chiites de traditions); *Taẖhdhîb al-
aẖkâm (quatrième recueil chiite de traditions); *’Uddat al-usûl ; Kitâb al-mabsûṯ ; Masâ’il al-khilâf (droit
comparé); an-Nihâya fi mujarrad al-fiqh wa-l-fatâwâ ; Fihrist kutub ach-chî‘a.

LISTE COMPLÉMENTAIRE

340339/950, AL-FÂRÂBÎ, philosophe, mystique, Irak, Égypte, Syrie : Fusus al-ẖikam ; *al-Madîna al-

fâḏila (politique).
341350/961, AL-KINDÎ (Abu ‘Umar Muẖammad), Égypte, historien : Kitâb al-quḏat ; Kitâb wulât Misr.

342385/995, IBN AL-NADÎM AL-WARRÂQ, Mtz, Irak, biographe : *al-Fihrist (source importante)

343421/1030, IBN MISKAWAYH, moraliste, Mtz, Iran : Kitâb tajârib al-umama (histoire) ; Risâla fi

ma’iyyat al-’adl ; Tahdhîb al-akhlâq (morale).


344421/1030, AL-BIRÛNÎ, Transoxiane, Afghanistan, savant naturaliste, historien de l’Inde.

345428/1037, IBN SÎNÂ (Avicenne), Transoxiane, Iran, philosophe à tendance mystique.


ÉPOQUE SALJOUQIDE (section 2, du milieu du du 5e/xie siècle au milieu
du 7e/xiiie siècle) (personnages décédés entre 465/1072 et 650/1250)
HANÉFITES

346478/1085, AD-DÂMAGHÂNÎ (Abû ‘Abd Allâh Muẖammad Bn ‘Alî), Hf, cadi de Baghdâd : Kitâb
masâ’il al-ẖîṯân waṯ-ṯuruq.
347482/1089, AL-B(P)AZDAWÎ, FAKHR AL-ISLAM (Abû l-Hasan Muẖammad Bn Muẖammad), Hf,

Samarcande : *Kanz al-wusûl (usûl) ; al-Mabsûṯ ; Charẖ al-jâmî‘ al-kabîr d’ach-Chaybânî ; Charẖ al-
jâmî’ as-saghîr d’ach-Chaybânî.
348483/1090, AS-SARAKHSÎ (Chams al-A’imma Muẖammad Bn Aẖmad), Hf, Turkestan : Mabsûṯ (comm
du Kâfi d’al-Hâkim) ; *Charẖ as-siyâr al-kabîr d’ach-Chaybânî ; Charẖ Mukhtasar aṯ-Ṯaẖâwî ; Kitâb al-
usûl ...
3496e/xiie, SIRÂJ AD-DÎN AL-SAJÂWANDÎ, Hf : Al-Sirâjîya (fatâwâ).

350508/1114, AN-NASAFÎ (Maymûn Bn Muẖammad al-Makẖûlî), Hf, théologien : Tamhîd li-qawâ’id at-
tawẖîd ; Tabsirat al-adilla ; Baẖr al-kalâm.
351512/1118, AZ-ZARNAJIRÎ (Chams al-A’imma Bakr Bn Muẖammad), Hf.

352536/1141, AS-SADR ACH-CHAHÎD AL-BUKHÂRÎ (Husâm ad-Dîn ‘Umar Bn ‘Abd al-‘Azîz Bn

Mâza), Hf, Samarcande : al-Fatâwâ al-kubrâ.


353533/1138, AN-NASAFÎ (Abû Muẖammad ‘Abd al-‘Azîz Bn ‘Uthmân al-Qâḏî), Hf, Khorassan.

354537/1142, AN-NASAFÎ (Abû Hafs ‘Umar Najm ad-Dîn), Hf : *al-’Aqâ’id (théologie, souvent
commenté) ; Manẕûma (droit comparé).
355538/1144, AS-SAMARQANDI (‘Alâ ad-Dîn al-Mansûr), Hf : Kitâb tuẖfat al-fuqahâ’; Mizân al-usûl fî

natâ’ij al-‘uqûl.
356540/1145, AL-WALWAJÎ (Ẕahîr ad-Dîn ‘Abd ar-Rachîd Bn Abî Hanîfa Bn ‘Abd ar-Râziq) : al-
Walwajîya (fatâwâ)
357542/1147, AL-BUKHÂRÎ (Ṯâhir Bn Aẖmad Bn ‘Abd ar-Rachîd Iftikhâr ad-Dîn), Hf, Khurâsân : Kitâb

khizâna al-fatâwâ.
358570/1174, IBN MAZÂ (Burhân ad-Dîn), Hf : Dhakhîrat al-burhanîya.

359573/1177, IMÂM ZÂDE ACH-CHARGHÎ, Hf, Bukhârâ : Kitâb charî’at al-islâm ilâ dâr as-salâm.

360574/1178, AS-SAFFÂR (Abû Isẖaq Ibrâhîm Bn Ismâ‘îl), Hf, Khurâsân.

361577/1181, (écrit vers), AL-KIRMÂNÎ (Rukn ad-dîn), Hf, Marw : Jawâhir al-fatâwî.
362587/1191, AL-KÂSÂNÎ (Abû Bakr Bn Mas‘ûd Bn Aẖmad), Hf, Alep : Kitâb al-badâ’î‘ ; Badâ’î as-

sanâ’i‘ fî tartîb ach-charî‘a.


363592/1196, QAḎÎKHÂN (Hasan Bn Mansûr Fakh ad-Dîn al-Awzajandî al-Ferghânî), Hf, Iran : al-
Khânîya (fatâwâ)
364593/1197, AL-MARGHÎNÂNÎ (‘Alî Bn Abî Bakr Bn ‘Abd al-Jalîl al-Ferghânî), Hf, Transoxiane : *al-

Hidâya ; Mukhtârât an-nawâzil...


365593/1197, AL-GHAZNAWÎ (Jamâl ad-Dîn), Hf, Syrie : Muqaddimat al-Ghaznawî.

366vie/xiie (fin du —) AS-SAJÂWANDÎ (Sirâj ad-Dîn Abû Ṯâhir Bn ‘Abd ar-Rachîd), Hf : Kitâb al-
farâ’iḏ as-Sirâjîya (fatâwâ).

MALÉKITES

367463/1070, IBN ‘ABD AL-BARR (Yûsuf Bn ‘Abd Allâh Bn Muẖammad -al-Nimrî), Mk, Espagne : al-

istî‘âb fî ma‘rifa l-asẖâb (ṯabaqât).


368474/1081, AL-BAJÎ (Abû al-Walîd Sulaymân Bn Khalaf Bn Sa‘d), Mk, élève du chaféile ach-Chîrâzî

(ob. 476/1083) : Mukhtasar fî masâ’il al-Mudawwana ; al-Muntaqa min charẖ al-Muwaṯṯa’ ; Minhâj
(usûl)...
369478/1085 (ou 498/1104), AL-LAKHMÎ (Abû l-Hasan ‘Alî), Mk, Kairouan : Kilâb at-Tabsira (où il

introduit des préférences personnelles).


370486/1093, AL-ASADÎ (Abû l-Asbagh ‘Isâ Bn Sahl), Mk, Espagne, Maroc : al-Aẖkâm al-kubrâ ; al-

I‘lâm tï nawâzili l-aẖkâm (fatâwâ).


371520/1126, IBN RUCHD (Abû l-Walîd Muẖammad Bn Aẖmad Bn Muẖammad) (l’Ancien), Mk, cadi de
Cordoue : *al-Bayân wa-t-taẖsîl (comm de la ‘Ulbîya d’al-’Utbî) ; al-Muqaddamât al-mumahhadât li-
masâ’il al-Mudawwana ; al-Fatâwâ ; an-Nawâzil...
372520/1126, AṮ-ṮURTÛCHÎ (Abû Bakr Muẖammad Bn al-Walid, dit Abî Randaqa), Mk, Espagne,
Alexandrie : Sirâj al-mulûk wa naẕm as-sulûk (sur la fonction de calife, trad, esp.) ; Kilâb al-ẖawâdith
wa-l-bida‘.
373536/1141, AL-MÂZÂRÎ (Abû ‘Abd Allâh Muẖammad), dit Imâm Al-Mazârî, Mk, Mahdiya (Tunisie) :

(fatâwâ) ; Comm du Saẖîẖ de Muslim ; Comm du Talqîn de ‘Abd al-Wahhâb aṯ-Ṯa‘labî ; Comm. du
Burhân d’al-Juwaynî (théologie).
374543/1148, IBN ‘ARABÎ AL-MU‘ÂFIRÎ AL-ICHBILÎ (Abû Bakr Muẖammad Bn ‘Abd Allâh), Mk,

Espagne, Maroc : Kitâb aẖkâm al-Qur’ân ; Kitâb al-masâliq fî charẖ Muwaṯṯâ’ Mâlik ; Kitâb al-maẖsûl fî
usûl al-fiqh...
375544/1149, QÂḎÎ ‘IYÂḎ (Abû al-Faḏl — Bn Mûsâ), Mk, Espagne, Maroc : *Tartîb al-madârik wa-

taqrîb al-masâlik (ṯabaqât) ; ach-Chifâ’ (vie du Prophète)...


376581/1185, ISMA‘ÎL BN MEKKÎ AL-‘ÛFÎ, Mk, Égypte, : al-‘ufiya.
377588/1192, AL-HAWFÎ (‘Alî Bn Muẖammad Bn Khalaf), Mk, Séville : Kilâb al-farâ’iḏ.

378595/1189, IBN RUCHD (Muẖammad Bn Aẖmad Bn Muẖammad Bn Aẖmad Bn Aẖmad)(le Jeune)

(Averroès), philosophe, juriste Mk, Espagne : *Bidâya al-mujtahid (trad. part. Laimèche) ; *al-Fasl al-
maqâl (sur les rapports raison/croyance)(trad. Gauthier).
379610/1213, AL-JALLÂL AL-JUDHÂMÎ (Abû ‘ Abd Allâh Muẖammad Bn Najm Bn Châs), Mk, Égypte :

‘lqd al-jawâhir.
380620/1223 AL-MUNÂSIF (Muẖammad Bn ‘îsâ al-Azdî), Mk, Espagne, Maroc : Tanbîh al-ẖukkâm.

381646/1248, IBN AL-HÂJIB (‘Uthmân Abû ‘Amr Bn Abî Bakr Bn Yunus ar-Rawini), célèbre
grammairien mais aussi juriste Mk, Égypte : Kitâb al-jâmi’ bayn al-ummahât fi l-fiqh ; Mukhlasar fi l-
furû‘ (résumé du précédent) ; Muntahâ al-wusûl wa-l-‘amal fi ‘ilmay al-usûl wa-l-jadal, résumé dans
Mukhlasar al-Muntahâ.

CHAFÉITES

382476/1083, ACH-CHIRÂZÎ, Ch, Iran, Irak : *Kitâb al-Tanbîh fi l-fiqh (trad. Bousquet) ; *al-
Muhadhdhab fî l-madhhab ; *al-Luma‘ fi usûl al-fiqh (trad. Chaumont) ; Ṯabaqât al-fuqahâ’...
383478/1085, AL-JUWAYNÎ (‘Abd al-Malik al-Nîsâbûrî), dit IMÂM AL-HARAMAYN, Ch, Khorassan,
Hedjaz : Nihâyat aṯ-ṯalb fî darâyat al-madhhab ; al-Maṯlab ; *al-Burhân fi usûl al-fiqh ; Kitâb al-Waraqât
(résumé d’usûl)(trad. Bercher) ; *al-Irchâd fî usûl al-i‘tiqâd (théologie)(trad Luciani).
384500/1106, ABÛ CHUJÂʻ, Ch, Irak : *Kitâb at-Taqrîb fî l-fiqh ( = Ghâyat al-Ikhtisâr)(trad. Bousquet).

385505/1111, AL-GHAZZÂLÎ, théologien, mystique, juriste Ch, Khorassan, Irak, Syrie. Ecrivit en droit :

al-Wasîṯ ; al-Wajîz ; al-Basîṯ ; *al-Musṯasfâ (usûl). En théologie : *Iẖyaʼ ʻulûm ad-dîn (trad. part.)...
386507/1113, AL-QAFFÂL ACH-CHÂCHÎ (Abû Bakr Muẖammad), Ch, Irak, Perse : Kitâb al-ʻumda ;

Kitâb al-usûl.
387579/1183, AR-RAHBÎ AL-MUTAQQINA (Abû ʻAbd Allâh Muẖammad), Ch : Bughyat al-bâẖith ʻan

jumal al-mawârîth (ou ar-Raẖbîya, poème sur les héritages souvent commenté). 606/1209, AR-RÂZÎ
(Fakhr ad-Dîn Muẖammad Bn ʻUmar), Ach, Ch, Khurâsân, Inde : *al-Maẖsûl fî ʻilm al-usûl ; *Mafâtiẖ al-
ghayb (tafsîr) ; al-Muẖassal (théologie)...
388623/1226 ou 628/1230, AR-RÂFIʻÎ (Abû al-Qâsim ʻAbd al-Karim), Ch, Khurâsân : Fatẖ al-ʻazîz fî

charẖ al-Wajîz lil-Ghazzâlî, (ouvrage faisant la jonction des deux doctrines dʼach-Châfiʻî) ; *al-Muẖarrar.
389631/1234 AL-ÂMIDÎ (Sayf ad-dîn), Hb puis Ch, Irak, Syrie, Égypte : *al-lẖkâm fî usûl al-aẖkâm.

390632/1234, SUHRAWARDÎ (Abû Hafs Chihâb ad-Dîn ʻUmar), Ch, Iran, Irak : Kitâb ʻawârif al-maʻârif

(morale et mystique).

HANBALITES

391510/1116, AL-KALWADHÂNÎ (Abû l-Khaṯṯâb), Hb : *Kitâb al-hidâya ; Kitâb at-tamhîd fî usûl al-
fiqh ; ad-Dâlîya (théologie, en vers) ; deux traités d’ikhtilâf, et un sur les successions.
392513/1120, IBN ʻAQÎL (Abû l-Wafâʼ ʻAlî), Hb, Irak : Kitâb al-fusûl ( = Kifâyat al-muftî), Kitâb al-

wâḏiẖ fi usûl al-fiqh ; Kitâb al-irchâd fi usûl ad-dîn ; kitâb al-intisâr li-ahl al-ẖadîth.
393526/1131, IBN ABÎ YAʻLÂ, (Abû al-Husayn), Hb : Ṯabaqât al-ẖanâbila

394560/1165, IBN HUBAYRA, Hb, Irak : Kitâb al-ifsâẖ (comm. des Saẖiẖ dʼal-Bukhârî et Muslim)

contenant un traité dʼikhlitâf.


395561/1166, ʻABD AL-QÂDIR AL-JÎLÎ (ou AL-JILÂNÎ), Irak, Hb, soufi et prédicateur, référence de la

confrérie Qâdirîya : al-Fatẖ ar-rabbânî (sermons) ; *al-Ghunya li-ṯâlibî ṯarîq al-ẖaqq (théologie, morale,
hérésiologie).
396597/1200, IBN AL-JAWZÎ (Abû l-Faraj), Hb, Irak : Talbîs Iblîs, (contre les innovations) et diverses

oeuvres historiques.
397616/1219, AS-SÂMARRÎ (ʻAbd Allâh), Hb, Irak : Kitâb al-mustawʻib : Kitâb al-furûq.

398620/1223, IBN QUDÂMA (Muwaffaq ad-Dîn Abû Muẖammad ʻAbd Allâh AL-MAQDISÎ), Hb, Syrie :

Kitâb al-Muqniʻ; *Kitâb al-Mughnî (comm du Mukhtasar dʼal-Khirakî); Kitâb al-mîzân fi usûl al-fiqh ;
Kitâb arrawda fî l-usûl ; Kitâb ʻumdat al-aẖkâm (trad. Laoust); Zâd al-mustaqniʻ...

ZAHIRITES (ou hachwîya)

399507/1113, IBN ṮÂHIR AL-MAQDISÎ, Zh.

400524/1130, IBN TUM ART (Muẖammad Bn ʻAbd Allâh), réformateur maghrébin, à l’origine de la

dynastie almohade (1147-1269), hostile au fiqh, mais de tendance zahirite : al-‘Aqîda (théologie) ; Kitâb
at-tawẖîd (théologie).
401615/1218, AL-MULHAMÎ, Zh, Irak, homme de lettres.

IBADITES

402570/1174, AL-WARGLÂNÎ, Abû Ya‘qûb Yûsuf Bn Ibrâhîm, Ib, Algérie : Kitâb al dalîl li-ahl al-

ʻuqûl... (théologie et philosophie) ; al-ʻAdl wa-l-insâf (usûl).


403574/1178, AL-WARGLÂNÎ, (ABÛ ZAKARÎYA Yaẖyâ Bn Abî Bakr —), Ib, Algérie : as-Sîra wa-

akhbâr al-’a’ima (ṯabaqât).


404570/1174, ABÛ ʻAMÂR ʻABD AL-KÂFÎ AT-TANÂWUTÎ, Ib, théologien, Maghreb : al-Mawjaz fî

taẖsîl as-su’âl.

CHIITES ZAYDITES

405424/1032 AN-NÂTIQ BIL-HAQQ, compila le droit de Yahya, Tabaristan.

406447/1055, AL-NÂSIR (Abû l-Fatẖ Bn al-Husayn) AD-DAYLÂMÎ, dernier imam du Daylam.


CHIITES ISMAÉLIENS

Fatimides

407470/1077, AL-MUʻAYYAD CHIRÂZÎ, Ft, Perse.

408465-470/1072-1077, NASIR KHUSRÛ, Ft, Perse, philosophe et théologien.

Druzes

40957xie siècle HAMZA BN ʻALÎ BN AHMAD, Égypte, fondateur du système théologique druze.

Nizarî ou ismaéliens orientaux dʼAlâmût

410518/1124, AL-HASAN BN AS-SABBÂH, fondateur de la secte des Hachîchîn dʼAlâmût.

CHIITES IMAMIENS

411548/1153, AṮ-ṮABARSÎ (Abû Mansûr Aẖmad), ACH-CHAYKH — AL-AWWAL, Im, Perse : al-

Iẖtijâj ʻalâ ahl al-ẖajj ; al-Intisâr li-ahl al-bayt.


412598/1202, IBN IDRÎS AL-HILLÎ, (Muẖammad Bn Mansûr Bn Aẖmad), Im : as-Sarâ’ir.

413655/1257, AL-HADÎD (Ibn Abî —), Im, Irak : Charẖ Nahj al-balâgha.

LISTE COMPLÉMENTAIRE

414538/1144, AZ-ZAMAKHCHARÎ (Abû l-Qâsim Maẖmûd bn ʻUmar), exégète, philologue, Mtz,


Transoxiane : *al-Kachchâf ʻalâ ẖaqâ’iq at-tanzîl (tafsîr)
415548/1153, CHAHRASTÂNÎ (Muẖammad), théologien, Ach., Iran, Irak : *Kitâb al-milal wa-n-niẖal

(hérésiologie, source importante).


416562/1167, SUHRAWARDÎ (Diyâʼ ad-Dîn Najib), théologien, mystique : Hikmat al-ichrâq.

417581/1185, IBN ṮUFAYL (Abû Bakr), Espagne, philosophe : Hay Bn Yaqẕân (roman philosophique) ;

418587/1191 SUHRAWARDÎ (Chihâb ad-Dîn Yaẖyâ) d’Alep, Im, Iran, Syrie, philosophe mystique exécuté

sous Saladin, chef de file des Ichrâkîyîn : Kitâb ẖikmat al-ichrâk.


419594/1197, ABÛ MADYÂN, soufi, Maroc, éponyme de la confrérie Madânîya.

420628/1230, JALÂL AD-DÎN AR-RÛMÎ, soufi, fondateur de l’ordre des Mawlawî (derviches
tourneurs).
421630/1232, IBN AL-ATHÎR (‘Izz ad-Dîn Abu l-Hasan ‘Alî), historien : al-Kâmil fî t-tarîkh (histoire) ;

Usd al-ghâba fî ma‘rifat as-sahâba (biographies)...


422638/1240, IBN (AL-) ‘ARABÎ (Muẖî d-Dîn), mystique, Espagne, Syrie : al-Futûẖat al-Makkîya (trad.
part. Grill) ; Fusûs al-ẖikam...
423656/1258, ABÛ L-HASAN ACH-CHÂDHILÎ, Égypte, fondateur de la Châdhilîya.
ÉPOQUE MONGOLE ET MAMLOUKE (section 3, du milieu du 7e/XIIIe
siècle à la fin du 9e/XVe siècle) (personnages décédés entre 650/1250 et
926/1520)
HANÉFITES

424630/1232 (vers), SADR ACH-CHARΑA AL-AWWAL AL-AKBAR (‘Ubayd Allâh Bn Ibrâẖîm al-

Maẖbûbî), Hf : Wiqâya.
425696/1296, AS-S‘ÂTÎ (Muẕaffar ad-Dîn Aẖmad Bn ‘Alî), Hf, Baghdâd : Kitâb badî’ an-niẕâm fî usûl

al-fiqh ; Kitâb majma‘ al-baẖrayn...


4267e/xiiie siècle (fin du), AR-RÂZÎ (Zayn -ou Tâj- ad-dîn Muẖammad Bn Abî Bakr), Hf : Tuẖfat al-

mulûk.
427644/1247, AL-AKHSÎKATÎ (Muẖammad Bn Muẖammad Bn ‘Umar), Hf : Kitâb al-Muntakhab fi usûl

al-madhhab.
428700/1300 (vers) AS-SIGHNÂQÎ, Hf : Nihâya (comm de la Hidâya).

429710/1310, AN-NASAFÎ (Abû l-Barakât ‘Abd Allâh Bn Aẖmad Bn Maẖmûd), Hf, Iran : al-Wâfî fi l-

furû’ ; *Kanz ad-daqâ’iq fî l-furû‘ (résumé du précédent) ; Kitâb al-Kâfî (comm. du Wâfî) ; Manâr al-
anwâr (usûl) ; Kachf al-asrâr (comm. du Manâr) ; al-Mustasfa (comm. de la Manẕûma de son homonyme
Najm ad-Dîn an-Nasafi mort en 537/1142) ; al-Musaflâ (résumé du précédent) ; Madârik at-tanzîl wa
ẖaqâ’iq at-ta’wîl (tafsîr) ; al-‘Umda (théologie)...
430730/1330, AL-BUKHÂRÎ (‘Abd al-‘Azîz Bn Aẖmad), Hf : * Kachf al-asrâr (comm. du *Kanz al-wusûl

de Bazdawî) (usûl).
431743/1342, AZ-ZAYLA‘Î (Fakhr ad-dîn ‘Uthmân Bn ‘Alî), Hf, Égypte : Tabyîn al-ẖaqâ’iq (comm de
Kanz ad-daqâ’iq).
432747/1346, AL-MAHBÛBÎ (‘Ubayd Allâh bn Mas‘ûd — ), dit SADR ACH-CHARΑA ATH-THÂNÎ,

Hf, Transoxiane : Tanqîẖ al-usûl ; at-Tawḏîẖ (résumé d’usûl) ; Charẖ al-Wiqâya (de Saḏr ach-Charî‘a al
Awwal) ; Nuqâya.
433773/1372, AL-HINDI ACH-CHIBLÎ (Sijâj ad-dîn ‘Umar Bn Isẖâq al-Ghaznawî), Hf, Cadi al-askar en

Égypte : ach-Châmil fî l-fiqh.


434775/1373, AL-WAFÂ’ AL-QURACHI (‘Abd al-Qâdir Bn Muẖammad), Hf, Égypte : al-Jawâhir al-

muḏî’a (tabaqât).
435786/1384, AL-BÂBARTÎ (Muẖammad Bn Maẖmûd Akmal ad-dîn), Hf, Égypte : Inâya (coram de la

Hidâya); Risâla fî tarjîẖ laqlîd al-imâm al-a‘ẕam ‘alâ ghayrihi min al-a’imma...
4368e/xive siècle, AL-KURLÂNÎ, Hf : Kifâya (comm de la Hidâya).

437800/1397, IBN ‘ALÂ’ AD-DÎN, Hf : At-Tatarkhânîya (fatâwâ).

438800/1397 (vers), AR-RÛMÎ (Fakhr ad-dîn), Hf, Anatolie.

439811/1408 (écrit vers) MULLA MISKÎN AL-HARAWÎ, Hf : Tabyîn al-ẖaqâ’iq (comm de Kanz ad-

daqâ’iq de an-Nasafî).
440817/1414, IBN AL-BAZZÂZÎ AL-KARDARÎ, Hf, Anatolie : Al-Bazzâzîya (fatâwâ).

441844/1440, AT-TARÂBULUSÎ (‘Ala’ ad-Dîn), Hf, Égypte : Mu‘in al-ẖukkâm...

442855/1451, AL-’AYNÎ (Badr ad-dîn), Hf, Égypte : Ramz al-ẖaqâ’iq (comm de Kanz ad-Daqâ’iq).

443861/1457, IBN AL-HUMÂN (Kamal ad-dîn Muẖammad Bn Humân ad-Dîn as-Siwâsi al-Iskandarî),
Hf, Égypte, Alep : at-Taẖrîr fî usûl ad-dîn ; Zâd al-faqîr fî l-furû‘...
444879/1474, IBN AMÎR AL-HAJJ (Muẖammad Bn Muẖammad al-Halabî), Hf, Alep : at-Taqrîr (comm
de Taẖrîr de Taftâzânî, Ch, ob. 791/1389) (usûl).
445879/1474, IBN QUTLUBUGHA (Abû al-Faḏl Zayn al-milla wad-dîn), Hf, Égypte : Tâj al-tarâjim

(ṯabaqât)...
446885/1480, MULLA KHUSRÛ (Muẖammad Bn Farâmurz), Hf, Grand cadi d’Istanbul : Durar al-
ẖukkâm ; Mirqât al-wusûl (usûl).
447921/1515, ACH-CHIHNA (Sarî ad-dîn ‘Abd al-Barr Bn Muẖammad), Hf, Égypte.

MALÉKITES

448684/1285, AL-QARÂFÎ (Chihâb ad-Dîn Abû l-’Abbâs Aẖmad), Mk, Égypte : Kitâb al-iẖkâm fi tamyîz
al-fatâwâ ‘an al-aẖkâm wa-tasarrufât alqâḏî wa-l-imâm ; Nafâ’is al-usûl fî ‘ilm al-usûl (comm. du
Maẖsûl de Fakhr ad-Dîn ar-Râzî) ; Mukhtasar Tanqiẖ al-fusûl (usûl) ; Kitâb al furûq (=Anwâr al-burûq) ...
449690/1291, AL-BURRÎ (Ibrâhîm Bn Abû Bakr at-Tilimsânî), Mk, Espagne : al-Manẕûma at-Tilimsânîya

(successions).
450690/1291 AL-YÛSÎ (al-Hasan), Mk, Maroc : al-qânûn.

451723/1321 IBN ACH-CHATT (Abû l-Qâsim Sirâj ad-Dîn), Mk, Maroc : Idrâr ach-churûq.

452763/1362, IBN AN-NAQQACH (Chams ad-dîn Muẖammad Bn ‘Ali), Mk, Égypte, Syrie : al-
Madhimma wa-sti’mâl ahl adh-dhimma (fatwâ).
453776/1374, KHALÎL BN ISHÂQ, Mk, Égypte : *Mukhtasar (trad. Bousquet).

454778/1376, AL-QABBÂB (‘Alî Bn al-Qâsim al-Judhâmî al-Fâsî), Mk, Tunisie, essaie de remettre en

honneur les solutions oubliées de l’école.


455790/1388, ACH-CHÂṮIBÎ (Abû Isẖaq Ibrahim Bn Mûsâ al-Lakhmî), Mk, Espagne : *al-Muwâfaqât fi

usûl ach-charî‘a ; Kitâb al-i’tisâm (contre les innovations).


456799/1396, IBN FARHÛN (Burhâm ad-dîn Ibrâhîm Bn ‘Alî), Mk, Médine : *ad-Dîbâj al-mudhhab fî
ma‘rifat a‘yân ‘ulama al-madhhab (ṯabaqât) ; Tabsirat al-ẖukkâm...
457804/1401, IBN ‘ARAFA AL-WARGHAMÎ (Abû ‘Abd Allâh Muẖammad Bn Muẖammad), Mk, Tunis :

al-Hudûd al-fiqhîya ; al-mukhtasar fî l-fiqh ; al-mabsût fî usûl al-fiqh... essaie de remettre en honneur les
solutions oubliées de l’école.
458808/1406, IBN KHALDÛN, Mk, historien, théologien : *Muqaddima.

459829/1426, IBN ‘ÂSIM (Muẖammad Bn Muẖammad), Mk, Grenade : Tuẖfat al-ẖukkâm (poésie
didactique, trad. Houdas et Martel)...
460841/1438, AL-BURZULÎ (ou Barzalî) (Abû l-Qâsim Aẖmad Bn Muẖammad), Mk, Tunis, essaya de

remettre en honneur les solutions oubliées de l’école : Jâmi’ masâ’il al-aẖkâm mimma nazala min al-
qaḏâya bi-l-muftîn wa-l-ẖukkâm.
461894/1489, AR-RASSÂ’, Mk, Tunisie : *al-Hidâya al-kâfiya (comm des Hudûd de Ibn ‘Arafa).

462895/1490, AS-SANÛSÎ (Abû ‘Abd Allâh Muẖammad), Mk, théologien, Algérie : Umm al-barâhîn fî

l-‘aqâ’id (dite as-Sanûsîya al-sughrâ) (théologie).


463912/1506, AZ-ZAQQÂQ AT-TUJIBÎ, Mk, Grenade : Lâmiyât az-Zaqqâq (poésie didactique, trad.
Merad Bn Ali Ould Abdelkader).
464914/1508, AL-WANCHARÎSÎ (Abû l-‘Abbâs Aẖmad Bn Yaẖya), Mk, Tlemcen, Fès : *al-Mi‘yâr al-

mu‘rib (trad. part. Amar) ; Kitâb fî l-wilâyât wa ẖaqâ’iqihâ (trad. Brunot et Gaudefroy-Demombynes).
465xe/xve, AL-‘ACHMÂWÎ (‘Abd al-Bârî ar-Rifâ‘î), Mk : *al-Muqaddima al-achmâwîya fî l‘ibâdât.

CHAFÉITES

466665/1266, AL-QAZWÎNÎ, soufî et juriste Ch, Irak : al-Hâwî (fatâwâ).

467673/1274, ADH-DHAHABÎ (Chams ad-Dîn Muẖammad Bn ‘Uthmân at-Turkmânî, dit —), Ch, Syrie :

*Kitâb al-kabâ’ir.
468676/1277, AN-NAWÂWÎ (Abû Zakaryyâ Muẖî ad-Dîn Yaẖyâ bn Saraf), Ch, Syrie : Charẖ Saẖîẖ

Muslim ; *Minhâj aṯ-ṯâlibîn ; Rawḏa aṯ-ṯâlibîn (comm. du Muẖarrar de ar-Rafi‘î mort en 623/1226) ;
Zawâ’id ar-Rawḏa ; *Fatâwâ ; Kitâb al-arba’în (ẖadîth) ; *Riyâḏ as-Sâlihîn (ẖadîth) ; Ṯabaqât al-fuqahâ’
ach-châfi‘îya...
469685/1286 ou 691/1292, AL-BAYḎÂWÎ (‘Abd Allah Bn Abî l-Qâsim ‘Alî Bn ‘Amr Nâsir ad-Dîn),

Ch, : *Minhâj al-wusûl ilâ ‘ilm al-usûl ; *Anwâr at-tanzîl wa asrâr at-ta’wîl (tafsîr).
470690/1291, IBN AL-FIRKÂH AL-FAZÂRÎ, Ch : Fatâwâ.

471694/1294, AṮ-ṮABARÎ (Muẖibb ad-Dîn), Ch, Hedjaz : Ghâyat al-iẖkâm fî aẖâdîth al-aẖkâm.

472702/1302, IBN DAQÎQ AL-‘ÎD (Taqî ad-Dîn), Ch, Égypte.

473711/1311, AHMAD AL-WÂSIṮÎ, Ch, Égypte, juriste et soufi.

474742/1341, AL-MIZZÎ, Ch, Syrie : Kitâb at-tahdhîb (ẖadîth).


475749/1348, ADH-DHAHABÎ, Ch, Égypte, traditionniste : Tadhkirat l-ẖufâẕ ; Mîzân al-i‘tidâl fî naqd ar-

rijâl.
476756/1355, AS-SUBKÎ (Tâqî ad-Dîn), Ch, père de Tâj ad-Dîn, Syrie, Égypte : Chifâ’ as-siqâm fî ziyâra
khayr al-anâm (défend le culte des saints contre Ibn Taymîya).
477771/1369, AS-SUBKÎ (Tâj ad-Dîn), Ch, Syrie, adversaire d’Ibn Taymîya : *Jam‘ al-jawâmi’ (usûl) ;

Ṯabaqât ach-châfi‘îya.
478772/1370, AL-ISNAWÎ, Ch, Égypte : *Comm du Minhâj al-wusûl de Bayḏâwî ; Tabaqât ach-Châfi‘îya.

479774/1373, IBN KATHÎR, Ch, Syrie : Ṯabaqât ach-châfi‘îya ; al-Bidâya wa-n-Nihâya (histoire).

480780/1378, AS-SAKHÂWÎ, Ch, Ṯabaqât mâlikîya (sic).

481780/1378, AL-KHAṮIB AL-‘UTHMÂNÎ (Abû ‘Abd Allâh Muẖammad al-Quraychî), Ch : Tabaqât al-

fuqahâ’ al-kubrâ.
482786/1374, IBN AL-KHAṮÎB (Lisân ad-Dîn), Ch ?, Espagne : al-Iẖâṯa fî tarîkh Gharnâṯa.

483792/1398, AL-TAFTÂZÂNÎ (Sa‘d ad-Dîn), théologien et juriste Ch, Khurasân, Transoxiane : *Charẖ

‘aqâ’id an-nasafiya (théologie, comm. d’an-Nasafî, Hf, ob 710/1310) ; Tahdhîb al-manṯiq wa-l-kalâm
(philosophie et théologie) ; *al-Maqâsid aṯ-ṯâlibîn fî usûl ad-dîn (théologie) ; al-Talwîẖ ilâ kachf ẖaqâ’iq
at-Tanqîẖ (comm du Tawḏîẖ, ouvrage d’al-Maẖbûbî dit Sadr ach-Charî‘a ath-thânî, Hf, ob 747/1346)
(usûl).
484794/1392, AZ-ZARKACHÎ (Badr ad-Dîn), Ch, Égypte, Irak : Luqṯa al-‘ajalân (usûl et logique) ; al-

Baẖr al-muẖîṯ (usûl) ; Fatâwâ.


485804/1401, IBN AL-MULAQQIN AL-ANSÂRÎ, Ch, Égypte.

486805/1403, AL-BULQINÎ (‘Umar Sirâj ad-Dîn al-Kinânî) AL-ASQALÂNÎ, Ch, Égypte, Syrie, Ch, cadi

askar : at-Tadrîb fî l-fiqh ‘alâ madhhab al-imâm ach-Châfî‘î.


487808/1405 AL-AQFAHSÎ, (Chihab ad-Dîn Abû l-‘Abbâs Bn ‘Imâd), Ch, Égypte : fatwâ contre le

hachîch.
488819/1416, IBN JAMA‘A (Abû ‘Abd Allâh Muẖammad al-Kinânî), Ch, Égypte : Charẖ al-arba‘în an-

nawâwîya (ẖadîth).
489819/1416, AZ-ZÂHID (Chihâb ad-Dîn), Ch, Égypte, : Muqaddima az-Zâhid.

490829/1426 AL-HISNÎ (Taqî ad-dîn Abû Bakr bn Muẖammad), Ch, Syrie : *Kifâyat al-akhyâr (comm du
Taqrîb d’Abû Chuja‘).
491831/1427, AL-BIRMÂNÎ (Muẖammad Bn ‘Abd ad-Dâ’im), Ch, Syrie.

492837/1433, IBN AL-MUQRÎ’, Ch : al-Irchâḏ ; ar-Rawḏ (résumé du Rawḏa aṯ-ṯâlibîn d’an-Nawâwî,


676/1277).
493845/1442, AL-MAQRÎZÎ, Hf, Ch, historien de l’Égypte : al-Khiṯaṯ_al-Maqrîzîya.

494852/1449, IBN HAJAR AL-‘ASQALÂNÎ, Ch, Égypte, traditionniste : Fatẖ al-bârî bi-charẖ saẖîẖ al-
Bukhârî ; *al-Isâba fi tamyîz as-saẖâba.
495864/1459, AL-MAHALLÎ (Jalâl ad-dîn), Ch : Comm du Jam‘ al-jawâmi‘ d’as-Subkî ; *(comm du

Minhâj aṯ-ṯâlibîn d’an-Nawâwî).


496900/1494, AN-NÂJÎ (Burhân ad-Dîn), Ch, Syrie.

497911/1505, AS-SUYÛṮÎ, (Abû al-Faḏl Jalâl ad-Dîn), Ch, Égypte, théologien, exegete : Tafsîr al-
Jalâlayn (écrit en collaboration avec al-Maẖallî) ; al-achbâh wa-n-naẕâʼir (droit reclassé en fonction des
principes et ressemblances); *al-itqân fi ulûm al-Qurʼân (exégèse et théologie).
498918/1512, IBN QÂSIM AL-GHAZÎ, Ch : *Fatẖ al-Qarîb (comm du Taqrîb dʼAbû Chujaʻ ob.
500/1106).
499923/1517, AL-QASTALÂNÎ (Aẖmad), Ch, Égypte, traditionniste : Irchâd as-sârî ilâ charh saẖîẖ
Bukhârî ; al-Mawâhib al-ladunîya (vie du Prophète).
500926/1520, AL-ANSÂRÎ, (Abû Yaẖyâ Zayn ad-Dîn Zakarîya Bn —), Ch, Égypte : Manhâj aṯ-ṯullâb avec

son comm. Fatẖ al-wahhâb ; Asnâ al-maṯâlib (comm de Ar-Rawḏ de Ibn al-Muqrî).

HANBALITES

501652/1254, IBN TAYMÎYA AL-HARRÂNÎ, l’ancien, Hb, Syrie : Usûl al-fiqh ; Kitâb al-muẖarrar ;
Kitâb al-muntaqa fî l-aẖkâm ach-charîʻa...
502682/1283, IBN QUDÂMA AL-MAQDISÎ (Chams ad-Dîn), Hb : Supercomm. dʼal-Mughnî de
Muwaffaq ad-Dîn Bn Qudâma.
503716/1306 AṮ-ṮÛFÎ (Abû ar-Rabiʻ Sulaymân Najm ad-Dîn), Hb, Irak, Hedjaz : Usûl al-mâlikîya ;
ʻAlam al-jadal fî ʻilm al jadal (ikhtilâf).
504728/1328, IBN TAYMÎYA AL-HARRÂNÎ (Taqî Ad-Dîn Aẖmad), le jeune, Hb : 153 titres répertoriés
par Brockelman dont : *as-Siyâsat ach-char‘îya fî islâẖ ar-râ‘î war-ra‘îya (trad. Laoust), Minhâj as-
sunna, al-Wâsiṯîya ; Siẖẖa usûl madhhab ahl al-Madîna...
505751/1350, IBN QAYYIM AL-JAWZÎYA (Muẖammad), Hb : *Iʻlâm al-muwaqqiʻîn (usûl) ; At-ṯuruq al-

ẖukmîya fî s-siyâsat ach-charʻiya ; Zâd al-maʻad fi hady khayr al-ʻibâd (jihâd et piété)...
506795/1392, IBN RAJAB (Zayn ad-Dîn Abû l-Faraj ʻAbd ar-Raẖmân), Hb, Syrie : *Dhayl ʻalâ ṯabaqât

al-ẖanâbila ; Kitâb al-istikhrâj li-aẖkâm al-kharâj ; Qawâ’id...


507909/1503, AL-MABRAD (Jamal ad-Dîn Abû l-Maẖâsin), Hb : 47 titres recensés par Brockelman.

IBADITES

508670/1271, AD-DARJÎNÎ Aẖmad Bn Sa‘îd, Ib : Jabaqât al-machâʼikh bi-l-Maghrib.

509750/1349, AL-JAYṮÂLÎ, Ismâʻîl, Ib, Jabal Nafûsa, Djerba : Qawâ‘id al-islâm (théologie); Qanâṯir al-

khayrât (3 vol)(droit et morale).


5108e/xive, IBN BARAKA AL-ʻUMÂNÎ, Abû Muẖammad ʻAbd Allâh Bn Muẖammad, Ib : Kitâb al-jamî‘

(2 vol).
5118e/xive, ABÛ HAFS AMR IBN JAMÎʻ, Dj. Nafûsa, Ib : Muqaddimat al-tawẖîd (théologie).

512798/1390, ACH-CHAMMÂKHÎ (Abû Sakin ʻÂmir Bn ʻAlî), Jabal Nafûsa, Ib : Kitâb al-idâẖ ; Diwân

(droit).

CHIITES ZAYDITES

513836/1432, AL-MURTAḎÂ, Zd, Yémen : al-Azhâr fî fiqh al-aʼimma al-aṯhâr.

CHIITES ISMAÉLIENS

Druzes

514926/1520, HAMZA BN ISBÂṮ AL-GHARBÎ, druze, juriste, poète, historien.

Nizarî ou ismaéliens orientaux d’Alâmût.

515Les très nombreux auteurs de cette secte, pour cette période et les suivantes, sont théologiens,
philosophes ou mystiques. Voir Corbin, Histoire, p. 444 et suivantes. Actuellement on en trouve des
représentants en Syrie, au Pakistan et en Inde (Khojas) ; l’Agha Khan est leur chef spirituel.

Mosta‘lî ou ismaéliens occidentaux.

516Les très nombreux auteurs de cette secte qui prend la suite des Fatimides, pour cette période et les

suivantes, sont théologiens, philosophes ou mystiques. Voir Corbin, Histoire, p. 444 et suivantes.
Actuellement au Yémen (Tayyibites) et en Inde (Bohras).

CHIITES IMAMIENS

517672/1274, AṮ-ṮÛSÎ (Nâsir ad-Dîn), dit KHWÂJEH NÂSIR, Irak, Iran, ismaélien, puis imamite,
astronome, mystique, théologien. Il aurait poussé Hulagu à éliminer Alâmût aussi bien que le califat
sunnite : Akhlâq nâsirîya (morale) ; Tajrîd al-‘aqâ’id (théologie).
518676/1277, AL-MUHAQQIQ (Najm ad-Dîn Abû l-Qâsim Ja’far Bn Hasan) AL-HILLÎ, Im, Irak : al-

Mukhtasar an-nâfi‘ ; al-Mu‘tabar ; *Charâ’î‘ al-islâm ; Ma‘arif al-wusûl (usûl).


519678/1279, MAYTHAM BAHRÂNÎ (Kamâl ad-Dîn), Im, Iran, juriste et théologien : *Comm. du Nahj

al-Balâgha.
520724/1323, AS-SÂKAKÎNÎ (Muẖammad), Im, père.

521726/1325, AL-’ALLÂMA (Jamâl ad-Dîn al-Hasan Bn Yûsuf BN AL-MUṮAHHAR AL-HILLÎ) Im,

conseilla l’ilkhanide Khudabanda : Tahdhîb al-usûl ; Irchâd al-adhhân* ; Minhâj al-karâma fî ma‘rifat al-
imâma ; Mukhtalaf ach-chî‘a ; Muntahâ al-maṯlab ; Nihâyat al-iẖkâm ; Qawâ’id al-aẖkâm* ; Tabsirat al-
mula‘allimîn...
522744/1343, AS-SÂKAKÎNÎ (Hasan), Im, fils.

523771/1370, FAKHR AL-MUHAQQIQÎN (Muẖammad Bn Hasan aL-Hillî) : Îḏâẖ al-fawâ’id (comm. du

Qawâ’id al-aẖkâm de son père Al-‘Allama).


524786/1384, ACH-CHAHÎD AL-AWWAL (Chams ad-dîn Muẖammad BN MAKK.Î AL-‘AMILÎ), Im,
Irak, exécuté à Bagdad : Qawâ’id wa-l-fawâ’id ; al-Bayân ; Jâmi‘ al-bayân (usûl); Dhikra ach-chî‘a ; ad-
Durûs ach-char‘îya ; Ghâyat al-murâd ; al-Lum‘a ad-dimachqîya...

LISTE COMPLÉMENTAIRE

525669/1270, IBN SAB‘ÎN, Espagne, Maroc, Hedjâz, mystique et philosophe (école d’Ibn ‘Arabî).

526675/1276 AHMAD AL-BADAWÎ, Égypte, fondateur de la confrérie Aẖmadîya.

527709/1309, IBN ‘AṮA’ ALLAH (Aẖmad Bn Muẖammad), Égypte, soufi, adversaire d’Ibn Taymîya.

528733/1332, IBN ‘ABBAD, soufi, Espagne, Maghreb : Rasâ’il al-irchâd.

529755/1355, AL-ÎJÎ (‘Adud ad-Dîn), Ach, Iran : Mawâqif (théologie)

530816/1413, AL-JURJÂNÎ (‘Alî Bn Muẖammad ach-Charîf), théologien, Perse, Transoxiane : Kitâb at-

ta‘rîfât (définitions) ; *Charẖ al-Mawâqif (comm des Mawâqif d’al-Îjî).


531811-820/1408-1417, (?) ‘ABD AL-KARÎM BN IBRÂHÎM AL-JÎLÎ, soufi irakien : al-Insân al-kâmil
(mystique) : al-lnsân al-kâmil.
ÉPOQUE OTTOMANE (section 4, du 10e/xvie siècle au 12e/xviiie siècle)
(personnages décédés entre 926/1520 et 1231/1815)
HANÉFITES

532940/1534, KAMAL PACHA ZÂDE (Chams ad-Dîn), historien, Hf, Istanbul (chaykh al-islâm) : Ṯabaqât
al-mujtahidîn.
533950/1543, AL-KÛHISTÂNÎ, Hf : Jâmi’ ar-rumûz (comm de la Nuqâya de Sadr ach-Charî‘a ath-Thânî).

534956/1549, AL-HALABÎ (Burhân ad-Dîn Ibrâhîm Bn Muẖammad), Hf, Égypte, Istanbul : *Multaqâ al-
abẖur. Résuma la Tâtârkhânîya, recueil de fatâwâ.
535968/1560, ṮÂCHKÖPRÜZÂDE (ou ṮÂCH KUBRÂ ZÂDE), Hf : ach-Chaqâ’iq an-nu‘mânîya
(ṯabaqât).
536970/1562, IBN NUJAYM (Sirâj -ou Zayn- ad-dîn ‘Umar Bn Ibrâhîm), Hf, Égypte : *al-Fatâwâ az-
Zaynîya fî fiqh al-Hanafîya ; *al-Baẖr ar-râ’iq (comm du Kanz ad-daqâ’iq de Nasafî, ob. 710/1310) ;
Kitâb al-achbâh wa n-naẕâ’ir (dispositions juridiques regroupées d’après les principes et
ressemblances) ; Az-Zaynîya (fatâwâ)...
537979/1572, QINÂLÎZÂDE (‘Alî Chelebi Bn ‘Imra Allâh), Hf, Anatolie, Syrie.

538982/1574, ABÛ AS-SU‘ÛD Effendi, Chaykh al-islam, Hf, Istanbul (chaykh al-islâm)( fatâwâ).

539985/1577, AL-QUNAWÎ (Hâmid Bn Muẖammad al-Qasṯamûnî), Hf : Al-Hâmidîya (fatâwâ).

5401000/1591, AL-WÂNKÛLÎ (Muẖammad), Hf, Anatolie : Charẖ Durar al-ẖukkâm (de Mulla Khusrû, ob.

885/1480).
5411004/1595, AT-TÎMÛRṮÂCHÎ (Chams ad-Dîn Muẖammad Bn ‘Alî), Hf, Égypte : *Tanwîr al-absâr wa

jâmi‘ al-biẖâr.
5421044/1634, AL-HALABÎ (Nûr ad-Dîn), Égypte, Hf : al-Halabîya (vie du Prophète).

5431069/1658, ACH-CHURUNBULÂLÎ (Abû l-Ikhlâs Abû l-Barakât Hasan b. ‘Ammar al-Wafâ’î), Hf,

Égypte : *Nûr al-îdaẖ wa najât al-arwâẖ ; Marâqî l-falâẖ (comm. du précédent).


5441078/1667, CHAYKHZÂDE (Muẖammad Bn Sulaymân, dit DÂMÂD EFFENDÎ), Hf, Anatolie :
*Majma‘ al-anhur (comm de Multaqâ al-abẖur d’al-Halabî).
5451081/1670, AL-FÂRÛKÎ (Khayr ad-Dîn Bn Aẖmad AR-RAMLÎ), Hf, : al-Fatâwâ l-Khayrîya, compilé

par son fils Muẖî ad-Dîn.


5461088/1677, AL-HASKAFÎ (Muẖammad Bn ‘Alî), Hf, Syrie : Khazâ’in al- asrâr ; ad-Durr al-mukhtâr

(comm. du Tanwîr al-absâr de Timurtachî) ; Durr al-muttaqâ (comm du Multaqâ al-abẖur de Halabî) :
Ifâda al-anwâr ‘alâ usûl al-Manâr (comm. du Manâr de Nasafi).
5471098/1687, AL-HAMAWÎ AL-HUSAYNÎ (Chihâb ad-dîn Abû ‘Abbâs Aẖmad Bn Makkî), Hf, Égypte.

5481098/1687, AL-ANQARAWÎ, Hf, Chaykh al-islam, Istanbul : Fatâwâ al-Anqarawî.

5491103/1691, ‘ALÎ EFFENDI, Chaykh al-islâm : Fatâwâ.

55011e/xviie, Al-fatâwâ al-‘Alamgîrîya.

5511116/1704, AL-ÂYDÎNÎ (Muẖammad Bn Hamza al-Güzelẖisârî), Hf : (fatâwâ).

5521119/1707, AL-BAHÂRÎ (Muẖibbu Llâh), Hf, Indes : Musallam ath-thubût (usûl).

5531143/1731, ‘ABD AL-GHÂNÎ AN-NÂBULUSÎ, Hf, Syrie, juriste, soufi, compilateur.

5541192/1778, AṮ-ṮÂ’Î (Mustafa Bn Muẖammad), Hf, Égypte : Charẖ Kanz ad-Daqâ’iq (de Nasafî).

55512e/xviiie siècle (fin), AL-KHALÎFATÎ (‘Abd al-Karîm al-’Abbâsî al-Madanî), Hf.

MALÉKITES

556939/1532, AL-MANÛFÎ ACH-CHÂDHILÎ (‘Alî Bn Nâsir ad-dîn Bn Muẖammad), Mk, Égypte :


‘Umdat as-sâlik ‘alâ madhhab Mâlik ; Kifâyat aṯ-ṯâlib...
5571008/1600, AL-QARÂFÎ (Badr ad-dîn Muẖammad), Mk, Égypte : Tawchîẖ ad-Dibâj (ṯabaqât)

5581032/1600, AHMAD BÂBÂ (at-Takrûrî as-Sanhâjî as-Sûdânî), Mk, Maroc, Afrique noire : Nayl al-
ibtihâj bi-taṯrîz al-Dibâj (ṯabaqât).
5591037/1627, AT-TUMBUKTÎ (Aẖmad Bâbâ), Mk, Afrique noire : Jalb an-ni‘ma

5601041/1631, AL-LAQÂNÎ, Mk, Égypte : Jawharat at-tawẖîd (théologie en vers) ; al-Fusûl fî l-fiqh...

5611052/1642, AL-FÂSÎ (Sidi Muẖammad al-’Arabî Bn Abu l-Maẖâsin), Mk, Fès, Tétouan : Naẕm
(Qasîda) fî dh-dhakâk...
5621066/1656, AL-AGHWÂRÎ (Nûr ad-Dîn Abû l-Irchâd ‘Alî Bn Zayn al-‘Abidîn), Mk, Égypte :
Manzûma fî usûl ad-dîn...
5631096/1685, AL-FÂSÎ (‘Abd ar-Raẖmân Bn ‘Abd al-Qâdir Abû Zayd Bn Abû l-Maẖâsin), frère de Sidi
Muẖammad al-Fâsî, Mk, Fès, Tétouan : *al-‘Amalîyât al-Fâsîya (poésie sur la pratique fassie).
5641099/1687 AZ-ZURKÂNÎ (‘Abd al-Bâqî Bn Yûnis), le père, Mk, Égypte : Comm du Mukhtasarde

Khalîl.
5651101/1689, AL-KHIRCHÎ (Muẖammad) ou AL-KHARÂCHÎ, Mk, Égypte, chaykh d’al-Azhâr : *Comm

du Mukhtasar de Khalîl.
5661116/1704, AS-SANHÛRÎ (ach-chaykh Salîm), Mk, Égypte.

5671122/1710 AZ-ZURKÂNÎ (Muẖammad Bn ‘Abd al-Bâqî Bn Yûnis, le fils), Mk, Égypte : Comm. du

Muwaṯṯâ’ de Mâlik.
5681173/1759, AL-BANNÂNÎ, Mk, Égypte ? : Supercomm sur az-Zurkânî.
5691189/1775, AL-‘ADAWÎ (‘Alî Bn Aẖmad Bn Mukarram Allah), Mk, Egypte : Supercomm sur al-

Khirchî ; Hachîya ‘alâ Kifâyat aṯ-ṯâlib de ach-Châdhilî.


5701201/1786, AD-DARDÎR (Aẖmad), Mk, Egypte, juriste et soufi : *Aqrab al-masâlik ; *ach-Charẖ al-
kabîr (comm du Mukhtasar de Khalîl) ; al-Kharîda al-bahîya fi al-’aqâ’id at-tawẖîdîya (théologie)...
5711214/1799, AS-SIJILMÂSÎ (Abu ‘Abd Allah Muẖammad Bn Abu l-Qâsim), Mk, Maroc : Comm.

d’al-‘amalîyat al-fâsîya.

CHAFÉITES

572950/1543, AL-BURULLUSÎ (Chihâb ad-dîn), Ch : *(comm du Minhâj aṯ-ṯâlibîn d’an-Nawâwî)

573973/1566 ‘ABD AL-WAHHÂB ACH-CHA‘RÂNÎ, Ch, Égypte, juriste, mystique.

574975/1567, IBN ZIYÂD (Wajîh ad-Dîn al-Ghaytî al-Muqsirî az-Zabîdî), Ch, Arabie.

575975/1567, IBN HAJAR AL-HAYTHAMÎ, Ch, Égypte, La Mecque : *Tuẖfat al-muẖtâj (comm du
Minhâj aṯ-ṯâlibîn d’an-Nawâwî) ; Fatẖ al-jawâd (comm de al-Irchâd de al-Qazwînî) ; al-Imdâd (aussi
comm. de al-Irchâd de Al-Qazwînî) ; *al-Fatâwâ al-kubrâ ; az-Zawâjir ‘an iqtirâf al-kabâ’ir...
576977/1569, ACH-CHIRBÎNÎ, Ch, Égypte : al-Mugnî (comm du Minhâj aṯ-ṯâlibîn d’an-Nawâwî) ; *al-

Iqnâ‘ (comm du Taqrîb d’Abû Chuja‘)


5771006/1596, AR-RAMLÎ (Chams ad-Dîn), Ch, Égypte : *Nihâya al-muẖtâj (comm du Minhâj aṯ-ṯâlibîn

d’an-Nawâwî) ; *al-Fatâwâ.
5781014/1605, AL-HUSAYNÎ (Hidâyat Allah), Ch, Irak : Ṯabaqât ach-châfi‘îya.

HANBALITES

579968/1560, AL-HAJÂWÎ (Charaf ad-dîn Mûsâ), Hb : *Kitâb al-iqna‘.

5801033/1623 AL-MAR‘Î BN YÛSUF, Hb, Égypte : Dalîl aṯ-ṯâlib ; Ghâyat al-muntahâ ; al-adilla al-
wâfiya... (droit et mystique conciliés) ; Sulûk aṯ-ṯarîqa (idem)
5811035/1626, IBN ‘UMAR (‘Abd al-Qâdir) AL-DIMICHQÎ, Hb, *Nayl al-ma’ârib, (comm du Dalîl aṯ-

ṯâlib de Mar‘î Bn Yûsuf, 1030/1621).


5821051/1641, BAHÛTÎ (‘Abd ar-Rahmân Mansûr AL-) Hb, Égypte.

5831088/1677, BAHÛTÎ (Muẖammad AL-), Hb, Égypte.

5841089/1678, IBN AL-‘IMÂD, Hb : Chajarât adh-dhahab (ṯabaqât)

5851206/1792, IBN4 ‘ABD AL-WAHHÂB (Muẖammad), Hb : Kitâb at-tawẖîd (théologie).

IBADITES

586928/1522, ACH-CHAMMÂKHÎ (Abû l-’Abbâs Aẖmad), Jabal Nafûsa, Ib : Kitâb as-siyar (histoire,
tabaqât); Mukhtasar kitâb al-‘adl wa-l-insâf (usûl, cf. Warglânî).
58711e/xviie, AR-RUSTÂQÎ (Khumays Bn Sa‘îd Bn ‘Alî Bn Mas’ûd ach-Chaqsî, (ou ach-Chuqa‘bî?), Ib :

Minhâj at-tâlibîn wa balâgh at-râghibîn (22 vol, fiqh et théologie).


58811e/xviie, AS-SA‘DÎ (Jumayal bn Khumays), Ib, Oman : Qâmûs achcharî‘a (usûl al-fiqh).

58911e/xviie, AHMAD BN ‘ABD ALLÂH AL-KINDÎ, Ib, : al-Musannaf.

CHIITES IMAMITES

59010e/xvie siècle (début), AL-ARDABÎLÎ (Husayn ‘Abd al-Haqq) AL-ILLÂHÎ, Im, théologien.

591940/1534, AL-KARAKÎ (Al-Muẖaqqiq ‘Ali Bn Husayn Bn ‘Abd al-‘Âlî) : Fawâ’id ach-charrâ’i‘


(comm du Charâ’î‘ al-islâm de Muẖaqqiq) : Jâmi‘ al-maqâsid (comm du Qawâ’id al-aẖkâm de ‘Allama) ;
Ta‘lîq al-Irchâd (comm de l’Irchâd al-adhhân de ‘Allama).
592993/1585, AL-ARDABÎLÎ, (al-Muẖaqqiq Aẖmad Bn Muẖammad) : Majma‘ al-fâ’ida wa-l-burhân
(comm de l’Irchâd al-adhhân de ‘Allama).
5931019/1610, ACH-CHUCHTARÎ (Nûr Allâh ou Nûr ad-Dîn Bn Charît ad-Dîn) AL-MAR‘ACHÎ dit
ACH-CHAHÎD ATH-THÂLITH, Im, Inde, fouetté à mort par Jahânghîr : Iẖqâq al-ẖaqq (philosophie et
droit).
5941030/1620, BAHÂ’ AD-DÎN (ou AL-BAHÂ’I) AL-‘AMILÎ (Muẖammad Bn Husayn), Im, Perse :

Jâmi‘ ‘Abbâsî (fatâwâ sur le culte) ; Risâla fî taẖrîm dhabâ’iẖ ahl al-kitâb.
5951036/1626, AL-ASTARÂBÂDÎ (Muẖammad Amîn) : Fawâ’id al-madanîya.

5961040/1640, MÎR DÂMÂD (Muẖammad Bâqir) AL-ASTARÂBÂDÎ, dit AL-MU‘ALLIM ATH-


THÂLITH, Im, Perse : al-Qabasât (théologie) ; al-Rawâchiẖ (comm. de traditions des imams).
5971050/1640, MOLLA SADRA (Sadr ad-Dîn Muẖammad) ACH-CHÎRÂZÎ, philosophe, théologien chef
de file des akhbarî-s : Mafâtiẖ al-ghayb (comm. des usûl al-kâfî de Kulaynî, ob. 328/939); al-Asfâr al-
arba’a (=al-Hikmat al-muta‘âlîya, comm. de al-Ichrâq de Suhrawardî, ob. 587/1191).
5981105/1693, AL-HURR AL-‘AMILÎ (Muẖammad bn Hasan) AL-MACHGHÂRÎ, Im, Perse : Wasâ’il

ach-chî‘a* (traditions); al-Jawâhir as-sanîya.


5991112/1700, AL-MAJLÎSÎ (Muẖammad Bâqir), Im, Iran : Biẖâr al-anwâr (encyclopédie du chiisme).

6001135/1722, ‘ABD ALLAH BN SÂLIH AS-SAMÂHÎJÎ, Im, Irak, théologien.

6011205/1791, AL-BIHBAHÂNÎ (Muẖammad Bâqir Bn Muẖammad Akmal) : al-Fawâ’id al-Ha’irîya :

Charẖ Mafâtiẖ ach-charâ‘’i‘ ; (usûl).


IV. MODERNES (Chapitre 4 : Les xixe et xxe siècle)
LE 13e/XIXe SIÈCLE (section 1) (personnages décédés entre 1815/1231 et
1914/1333)
HANÉFITES

6021815/1231, AṮ-ṮAHTAWÎ (Aẖmad), Hf, Égypte : Hachîya ‘alâ Marâqî l-falâẖ (culte) de Churunbulâlî
(ob. 1069/1658) ; Hachîya ‘alâ Dhurr al-mukhtâr.
6031815/1231, AS‘AD (Aẖmad — Afandî), Chaykh al-islam qui autorisa la réforme de l’armée ottomane.

6041831/1247, SAYYID AHMAD BARALWÎ, Hf, Inde, réformateur puritain, préconisa la guerre sainte
contre les Anglais.
6051834/1250, ACH-CHAWKÂNÎ (Muẖammad), Hf, exégète, Yémen : Fatẖ al- Qâdir (tafsîr rejetant le

taqlîd) ; al-Badr aṯ-Ṯâli’ bi-maẖâsin man ba‘d al-qarn as-sâbi‘ (biographies montrant la continuité de
l’ijtihâd). ; Nayl al- awthâr (traditions) ; Irchâd al-fuẖûl (usûl).
6061836/1252, IBN ‘ÂB1DÎN, Hf, Irak : *Ar-radd al-muẖtâr (supercomm. de ad-Durr al-mukhtâr).

6071851/1268, AL-MAYDANÎ (‘Abd al-Ghaznî al-Ghanîmi al-Dimaschqî), Hf, Syrie : al-Lubâb (comm.

du Mukhtasar d’al-Qudûrî, ob. 428/1036).


6081873/1290, KARÂMAT ‘Ali, Hf, Inde, réformateur : Hidâyat r-râfiḏîn.

6091887/1304, AL-LAKNAWÎ (Muẖammad ‘Abd al-Hayy), Hf, Indes : al-Fawâ’id al-bahîya (ṯabaqât) ;

at-Ta‘lîqât as-sanîya (ṯabaqât).


6101888/1306, QADRÎ Pacha (Muẖammad Bn —), Hf, Égypte, ministre de la justice de 1879 à 1892 : Al-

aẖkâm ach-char’îya fi l-aẖwâl ach-charkhsîya ; Murchid al-ẖayrân ilâ ma‘rifat aẖwâl al-insân ; Qânûn al-
jinâyât ; Qânûn al-‘adl wa-l-insâf lil-qaḏâ’ ‘alâ muchkilât al-awqâf (=codes).
6111890/1308, HASAN KHAN (Siddiq —), Inde, réformateur hanéfite, accusé d’avoir des tendances

wahhabites.
6121897/1315, AL-‘ABBÂSÎ (Muẖammad), Hf, chaykh al-islâm au Caire.

MALÉKITES

6131815/1230, AD-DASÛKÎ (Muẖammad Bn Aẖmad Bn ‘Arafa), Mk, Égypte : *Supercomm sur Ad-
Dardîr ; Supercomm. sur at-Taftâzânî...
6141815/1230, AT-TIJÂNÎ (Abû l-‘Abbâs Aẖmad), Mk, Maghreb, fondateur de la Tijânîya.

6151817/1232, AS-SUNBÂWÎ AL-AMÎR (Muẖammad Bn Muẖammad), Mk, Égypte : al-majmû‘ fî l-fiqh ;

al-Manâsik...
6161859/1275, AS-SANÛSÎ (Sîdî Muẖammad — al-Jazâ’irî), Mk, fondateur de la Sanûsîya, Libye : as-

Salsabîl al-mu‘ayan fî ṯarîqa al-arba‘în (mystique).


6171881/1299, ‘ULAYCH ou ILLÎCH (Muẖammad Bn Aẖmad), Mk, Égypte : Comm. de Khalîl ;
Supercomm sur Ad-Dardîr.
6181886/1303, AL-IDWÎ (Hasan al-Hamzawî), Mk, Égypte.

6191902/1320, AS-SUYÛṮÎ (‘Abd ar-Raẖîm Bn ‘Abd ar-Raẖmân), Mk, Égypte : *Bughyat as-sâlik ilâ
Aqrab al-masâlik (de Dardîr)...

CHAFEITES

6201821/1236, AL-FAḎÂLÎ (Muẖammad bn Châfi‘î), Ch, théologien, Égypte : Kifâyat al-‘awâmm min
‘ilm al-kalâm (théologie).
6211860/1276, AL-BAJÛRÎ (Ibrâhîm), Ch, Égypte : *Supercomm. sur le Fatẖ al-qârib d’al-Ghazî.

6221863/1280, ADH-DHAHABÎ (Musṯafâ), Égypte, Ch : ar-Risâla adh-dhahabîya (fiqh).

6231889/1307, AL-JAMAL (Sulaymân), Ch, Égypte : Futûẖât al-wahhâb bi-tawḏîẖ charẖ minhaj aṯ-ṯullâb.

6241861/1278, AL-BÂJÛRÎ (Ibrâhim), Ch, Égypte : at-Tuẖfa al-khayrîya fî farâ’iḏ al-madhâhib al-arba‘a.

6251897/1305, AL-ABYÂRÎ, Ch, Egypte, précepteur d’Ismâ‘îl Pacha.

IBADITES

62613e/xixe siècle, JAMÎL BN K.HUMAYS AS-SA‘ADÎ, Ib, Qâmûs ach-charî‘a (écrit avec d’autres
juristes et théologiens)
6271326/1808 ‘ABD AL-‘AZÎZ THAMINÎ dit ḎAYÂ’ AD-DÎN (des Béni Izguène), Ib, Mzab : Kitâb an-

nîl ; Ma‘âlim ad-dîn (théologie).


6281333/1914, MUHAMMAD BN YÛSUF BN AṮFÎYACH, Ib, Charẖ an-nîl wa chifâ’ al-‘alîl (17 vol) :

Taysîr li-tafsîr al-Qur’ân al-karîm (7 vol).


6291333/1914, AS-SÂLIMÎ ‘Abd Allah, Ib, ‘Umân : Machârik anwâr al-‘uqûl (théologie), Ṯal‘at ach-

Chams (usûl) ; Jawâhir an-niẕâm fî ‘ilmay al-adyân wa-l-aẖkâm (4 vol); Tuẖfat al-a‘yân bi-sîra
ahl-’Umân (2 vol, histoire); Ma‘ârij al-khisal (18 vol).

IMAMITES

6301811/1226, AL-‘ÂMILÎ (Muẖammad al-Jawwâd), Im, Perse : Miftâẖ al-karâma fî charẖ qawâ’id
al-‘Allâma (théologie).
6311819/1235, AL-NASRÂBÂDÎ (Sayyid Dildâr ‘Alî Bn Mu‘în), Im, théologien.

6321826/1241, CHAYKH AHMAD AL-AHSÂ’Î, Im, Iran, fondateur de l’école chaykhie en théologie.
6331847/1263, MULLA TAQÎ MUHAMMAD AL-QAZWÎNÎ, Im, Perse, assassiné par les Babî-s,
théologien.
6341849/1265, BÂQIR (MUHAMMAD HASAN), Im, : Jawâhir al-kalâm fî charẖ charâ’i‘ al-islâm.

6351870/1287, MUHAMMAD KARÎM KHÂN KIRMÂNÎ, Im, Perse, théologien chaykhî.

6361881/1299, AṮ-ṮABÂṮABÂ’Î (‘Alî Bn Riḏa Muẖammad Mahdî), Im, Perse : Charẖ ‘alâ l-kitâb an-
Nâfi’ Mukhtasar ach-charâ’i‘ ; ach-Charẖ al-kabîr.
6371895/1313, KHÛWÂNSÂRÎ (al-Hâjî Mirza), Im, Perse : Rawḏât al-janât fî aẖwâl al-‘ulamâ’ wa-s-

sadât (ṯabaqât).
6381864/1281, CHAYKH AL-ANSÂRÎ (ach-Chaykh Murtaḏâ Bn Muẖammad Amîn), Im : ar-Rasâ’il
(usûl).
6391911/1330, AL-KHURÂSÂNÎ (Kâẕim), Im, Perse : al-Kafâyâ (usûl).

LISTE COMPLÉMENTAIRE (Juristes de rite non déterminé ; auteurs et personnages


historiques importants pour l’histoire du droit)

6401837/1253, IBN IDRÎS AL-FÂSÎ (Aẖmad), Maghreb, Arabie, fondateur de l’Idrîsîya. Maître de As-
Sanûsi (ob. 1859) et de al-Mirghânî (ob. 1853)
6411853/1270, AL-MIRGHÂNÎ (Muẖammad ‘Uthmân), Hedjaz, fondateur de la confrérie Mirghânîya (ou

Khatmîya).
6421817/1233, DAN FODIO (‘Uthmân), réformiste, Niger : Nûr al-albâb.

6431824/1240, CHAH ‘ABD AL-AZÎZ, Inde, traditionniste, réformiste.

6441840/1256, CHARΑAT ALLÂH, Inde, réformateur puritain, fondateur du mouvement des Farâ’iḏîya.

6451850/1266, ‘ALÎ MUHAMMAD ACH-CHIRÂZÎ, se proclama AL-BÂB, la porte (vers Dieu),


fondateur de la religion syncrétiste des Babis en Perse : al-Bayân’. cf. Bahâ’ Allâh.
6461854/1271, AL-’ÂLÛSÎ (Chihâb ad-Dîn Maẖmûd), exégète, Irak : Rûẖ al-ma‘âni (tafsîr).

6471873/1290, RIF‘A AT-TAHTÂWÎ, Égypte, Ch, traducteur, éducateur, réformiste : Takhlîs al-ibrîz fî

talkhîs Bârîz (relation de son voyage à Paris) ; Manâhij al-albâb al-misrîya fî mabâhij al-âdâb al-‘asrîya ;
al-Murchid al-amîn li-l-banât wa-l-banîn (morale).
6481883/1301, ‘ABD AL-QÂDIR, émir combattant les Français en Algérie, finit sa vie en Syrie, soufi :

(Le livre des haltes).


6491885/1303, AL-MAHDÎ (Muẖammad Aẖmad Bn ‘Abd Allâh), le Mahdî soudanais, hostile au fiqh :

‘Âthâr al-Mahdî (4 vol).


6501892/1310, MIRZA HUSAYN ‘ALÎ NÛRÎ dit BAHÂ’ ALLÂH, splendeur de Dieu, prit la tête de la

majorité de Babis, infléchit la doctrine du Bâb. Ses disciples sont dits bahâ’î (Béhaïs) : Kitâb al-aqdas.
6511897/1315, JAMAL AD-DÎN AL-AFGHÂNÎ, réformiste, homme politique et journaliste, Afghanistan,
Moyen Orient, Europe : ar-Radd ‘alâ ad-dâhirîya (Réfutation du matérialisme).
6521898/1316, AHMAD KHAN BAHÂDUR, éducateur réformiste indien, pro-anglais, écrivit une vie du

Prophète et commenta la Bible et le Coran.


6531902/1320, AL-KAWÂKIBÎ (‘Abd ar-Raẖmân), réformiste, Égypte : Les caractéristiques du
despotisme, Umm al-Qurâ (sur le califat).
6541905/1323, MUHAMMAD ‘ABDUH, sunnite, Mk ?, théologien réformiste, soufi, journaliste, Égypte :
Charẖ Nahj aL-balâgha ; *Risâlat at-tawẖîd (théologie), nombreux articles.
6551908/1326, MIRZA MALKOM KHAN, Perse, réformiste : Kitabcheh-ye Gheybi (en persan).

6561908/1326, MIRZA GHULAM AHMAD QÂDIÂNÎ, fondateur du mouvement syncrétiste des


Ahmadîya en Inde.
6571908/1326, QÂSIM AMÎN, Égypte, réformiste : *Taẖrîr al-mar’at (1899).
LE 14e/XXe SIÈCLE (section 2) (personnages décédés après 1914/1333)

6581919/1338, AT-TABÂTABÂ’Î (Muẖammad Kâẕîm Bn ‘Abd al-‘Aẕîm), Im, Iran : al-‘Urwa al-wuthqâ.

6591924/1343, HASÛNA AL-NAWÂWÎ, Égypte, Hf, Chaykh d’al-Azhar, réformiste : Sullam al-
mustarchidîn li-aẖkâm ach-charî’a wa-d-dîn.
6601927/1346, AL-KHUḎARÎ (Muẖammad), Égypte, réformiste : Tarîkh at-tachrî‘ al-islâmî ; Usûl al-

fiqh.
6611928/1347, AMÎR ‘ALÎ, réformiste, Inde, Im : The Spirit of Islam.

6621930/1349, AL-HADDÂD (Ṯâhir), réformiste, Tunisie : *Imar’atunâ fî chcharî‘a wa-l-mujtama‘.

6631934/1353, IBN AL-‘ALAWÎ (Muẖammad), Algérie, soufi, fondateur de la ‘Alawîya.

6641935/1354, RACHÎD RIḎA (Muẖammad), réformiste, Ch, Égypte : *al-Khilâfa wa-l-imâma al-‘uẕmâ

(trad Laousl) ; Tafsîr al-Manâr.


6651936/1355, AN-N‘ÎMÎ (Muẖammad Husayn Bn ‘Abd ar-Raẖîm), Im.

6661936/1355, AZ-ZAHÂWÎ (Jamîl Sidqî), Irak, poète, homme politique, défenseur des droits de la
femme.
6671937/1356, ABÛ CHU‘A’IB AD-DUKKÂLÎ, Maroc, réformiste,.

6681938/1357, IQBÂL (Muẖammad), poète, réformiste, Inde : The reconstruction of Religious Thought in
Islam (Lahore, 1930).
6691940/1359, IBN BÂDIS (‘Abd al-Hamîd), Algérie, fondateur de l’association des ulémas algériens,

réformiste, exégète.
6701940/1359, JAWHARÎ (Ṯantawî), Égypte, “exégèse scientifique”.

6711945/1365, MARÂGHÎ (Muhammad Mustafâ AL-), réformiste puis traditionnaliste, deux fois recteur

d’al-Azhar : Nukhab fî tarjama al-Qur’ân al karîm wa ahkâmuhâ.


6721947/1367, HUDÂ CHA‘RÂWÎ, fonda l’association des filles du Nil pour défendre les droits de la

femme.
6731947/1367, ‘ABD AR-RÂZIQ (‘Alî), réformiste, Égypte : *al-Islâm wa usûl al-ẖukm (trad. Ansari).

6741949/1369, AL-BANNÂ’ (Hasan), fondateur des Frères musulmans, Égypte : (brochures).

6751952/1372, AL-AMÎN (as-Sayyid Muẖsin), Im, Liban : A’yân ach-chi‘a.

6761954/1374, ‘AWDA (‘Abd al-Qâdir), frère musulman, Égypte : al-Islâm wa awda’unâ as-siyâsîya ;

*at-Tachrî‘ al-jinâ’î al-islâmî.


6771954/1374, WAJDÎ (Farîd), Égypte, auteur d’un comm. “scientifique” du Coran.
6781954/1374, AMÎN (Aẖmad), Égypte, historien.

6791960/1380, SAYYID NURSI (Bediüzzaman), islamiste turc.

6801963/1383, CHALTÛT (Maẖmûd), réformiste, Égypte : *al-Qur’ân wa-l-qitâl ; al-qitâl fî l-islâm,

1940 ; al-Islâm ‘aqîda wa-charî‘a, 1959 ; Tafsîr..., 1959 ; al-Fatâwâ..., 1964 ; al-Qur’ân wa-n-nisâ’....
6811964/1384, IBN AL-‘ARABÎ AL-‘ALÂWÎ (Muẖammad), réformiste, Maroc.

6821966/1386, QUTB (Sayyed —), frère musulman, Égypte : al-‘adâla al-ijtima‘îya fî l-islâm (1954) ; *fî

ẕill al-Qur’ân (tafsîr) ; *Ma‘âlim fî t-tarîq (1964).


6831969/1389, MUHAMMAD ‘ISÂ ANCHARÎ, réformiste indonésien.

6841971/1391, AS-SANHÛRÎ (‘Abd ar-Razzâq Aẖmad), Égypte, moderniste : Masâdir al-ẖaqq (droit

civil) ; Le califat ; Code civil égyptien...


6851973/1393, ṮAHA HUSAYN, Égypte, romancier et essayiste libéral : Muslaqbal ath-thaqâfa fî Misr.

6861973/1393, BENNABI Malek, Algérie, réformiste : Le phénomène coranique ; Vocation de l’islam ;


plusieurs autres ouvrages en français et en arabe.
6871973/1393, ṮÂHAR BN ‘ACHÛR, exégète, Mk, Tunisie : *Tafsîr at-taẖrîr wa-t-tanwîr.

6881974/1394, AL-FÂSÎ (‘Allâl), homme politique, Mk, réformiste, Maroc : an-Naqd adh-dhâtî ; des trad,

françaises de ses œuvres existent.


6891974/1394, ABÛ ZAHRA (Muẖammad), Égypte, traditionnaliste, auteur de nombreux ouvrages de
vulgarisation du droit musulman.
6901977/1397, ‘ALÎ CHARI‘ATÎ, Im, Iran : On the sociology of islam.

6911978, MAHMÛD (Abd al Halim), Égypte, chaykh d’al-Azhar de 1973 à sa mort : fatâwâ contre les
communistes ; Al-hamdu li-Llâh, hâdhihi hayâtî, (autobiographie).
6921979/1400, AL-MAWDÛDÎ (Abû l-’A’lâ), islamiste, Pakistan, écrit en urdu et trad arabe : al-Jihâd fî

l-islâm ; al-Qur’ân muẖâwala fahm mu‘âsir ; Tafhîm al-Qur’ân...


6931979/1409, TALEQÂNÎ (Maẖmûd), Iran, chiite, économie islamique.

6941980/1401, BÂQIR AS-SADR (Muẖammad), Im, Iran, économie islamique.

6951985/1406, MUHAMMAD ṮAHA (Maẖmûd), Soudan, réformiste, pendu sous Numeiri : ar-Risâla ath-

thânîya min al-islâm ; Tatwîr charî’a al-aẖwâl ach-charkssîya.


6961988/1409, FAZLUR RAHMÂN, Pakistan, réformiste : Prophecy in Islam.

6971989/1410, KHUMAYNÎ (Ayatollah Khumeyni), Im, au pouvoir à partir de 1979 en Iran : Pour un

gouvernement islamique (1967).


6981992/1413, FARAG FODA, Égypte, moderniste, en résidence surveillée après une plainte d’al-Azhar ;
assassiné par des islamistes : Qabl as-suqût.
Annexe 3
Calendrier de correspondance simplifié entre les années hégiriennes et les années chrétiennes
MODE D’EMPLOI
1I • Presque toutes les années hégiriennes sont à cheval sur deux années chrétiennes et correspondent donc

à deux dates chrétiennes qui se suivent. Pour simplifier, on n’a écrit dans le tableau que la première de
ces deux dates. Ainsi le 1/1/1 de l’hégire correspond au 2/7/622, l’année 1 déborde de 185 jours sur 623,
donc on écrit 1 = 622, mais cela signifie 1 = 622-623. De même pour les années suivantes, 5 = 626
signifie 5 = 626-627.
2• Le tableau, qui ne donne que les années hégiriennes terminées par 0 ou 5, permet aisément de calculer

les années se terminant par un autre chiffre. Exemple : On veut savoir quelle année représente 8 de
l’hégire. De 5 à 8, on a 3. On sait que 5 = 626 d’après le tableau. Donc 8 = 626 + 3 - 629, ce qui veut
dire 8 = 629-630. Le calcul inverse, de la date chrétienne à la date hégirienne, se fait tout aussi aisément.
On veut savoir à quoi correspond 656-57. On ne considère que la première de cette date double, 656. Sur
le tableau on a 35 = 655. Donc, en ajoutant la différence 1, on a 656 = 36. Ce qui signifie 656-657 = 36.
3II • Certaines années, indiquées en gras (trois par siècles), signalent que le calendrier hégirien rattrape

d’une année le calendrier chrétien. Ainsi l’année 18 qui commence le 12/1/639, ne déborde que d’un jour
sur 640, donc 18 =639 signifiant 18 =639-640 est toujours valable. Mais l’année 19 commence le
2/1/640 : elle ne déborde pas, son dernier jour est le 20/12/640, c’est pourquoi on a 19 =640, en gras,
dans le tableau. L’année 20 commence le 21/12/640, elle déborde sur l’année 641, donc 20 =640 signifie
normalement 20 =640-641. On voit que l’année hégirienne qui suit celle en gras reprend la même date
chrétienne en gras. Exemple : On a les données suivantes 50 = 670, 52 =672, 55 = 674. On fait le calcul
simple indiqué en I, ce qui donne 51 =671, 52 = 672. Mais l’année hégirienne suivant celle en gras
reprend la même date chrétienne, donc 53 = 672. La suite, normalement : 54 = 673, 55 = 674. Chacune de
ces dates, sauf celle en gras, étant une date double, 53 = 672-73, 54 = 673-74, etc..
Annexe 4
Tableau simplifié de l'histoire des dynasties musulmanes

LÉGENDE

dynastie musulmane
dynastie régnant sur plusieurs pays
fragmentation des pouvoirs
fragmentation des pouvoirs avec prédominance d'une dynastie ou ethnie
pouvoirs non musulmans
ABRÉVIATIONS

TABLEAU SIMPLIFIE DE L'HISTOIRE DES DYNASTIES MUSULMANES 1

TABLEAU SIMPLIFIÉ DE L'HISTOIRE DES DYNASTIES MUSULMANES 2

TABLEAU SIMPLIFIÉ DE L'HISTOIRE DES DYNASTIES MUSULMANES 3


Annexe 5
Bibliographie

1Pour aider l’étudiant dans ses premières recherches, nous lui indiquons dans le texte suivant quelques

pistes de départ avec des références abrégées (I. Orientation bibliographique). On a cherché surtout à en
limiter le nombre, en indiquant les livres-clefs qui donnent une vue d’ensemble d’une question et qui
comportent une bibliographie pouvant servir de point de départ. On a favorisé les livres de langue
française, récents, accessibles et peu coûteux.
2Il trouvera plus loin les références bibliographiques détaillées, classées par ordre alphabétique des

auteurs, en deux listes (II. Références en langues européennes et III. Références en langue arabe).
I. ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
3Ouvrages de références, bibliographies : À consulter constamment. l’Encyclopédie de l’islam, 1ère

éd., 4 vol, et l’Encyclopédie de l’islam, 2ème édition, en cours. La plupart des grands articles concernant
le droit musulman traitent, sur chaque question, dans l’ordre, la position du droit préislamique, celle du
Coran, de la Sunna et enfin celle du droit classique.
4Parmi les dictionnaires abrégés (qui se multiplient) notre préférence va à la Shorter Encyclopaedia of

islam (seulement pour la théologie, le droit et la mystique) et au Dictionnaire historique de la


civilisation islamique des Sourdel, qui a su concilier brièveté et exhaustivité.
5Pour le droit, l’Introduction de Schacht comporte une importante bibliographie. Elle sera complétée par
celle de Laila al-Zwaini et R. Peters. Les auteurs de mémoires et thèses ne peuvent se dispenser de puiser
dans les bibliographies détaillées ou dans les périodiques d’islamologie ou de droit. Les plus importants
sont : Index islamicus (Pearson) avec ses suppléments ; Abstracta islamica in Revue des Etudes
islamiques ; Annales islamologiques ; Annuaire de l’Afrique du Nord ; Arab Law Quaterly ; Arabica ;
Bulletin d’Etudes orientales (Damas) ; Cahiers de Tunisie ; Droit et cultures ; Journal of African
Law ; Revue de l’institut des Belles Lettres arabes (IBLA) ; Mélanges de l’Institut dominicain
d’Etudes orientales (MIDEO) ; Revue française de droit comparé ; Revue des sciences philosophiques
et théologiques (C. Gilliot) ; Studia islamica ; Yearbook of islamic and Middle Eastern Law ; etc.
6Islam : Rappelons qu’une bonne connaissance de l’islam et de ses sources est nécessaire au juriste de

droit musulman. Pour ces dernières, on trouve l’essentiel en français. Le Coran a subi de nombreuses
traductions. Toutes ont leurs avantages et leur inconvénients. L’usage le plus commode est celui d’un texte
bilingue (Masson, Hamidullah). La traduction de Hamza Bou Baker est commentée. Celle de Jacques
Berque se signale par ses interprétations “ouvertes” d’un texte qu’on a eu trop tendance à enfermer dans
des interprétations juridiques strictes. Blachère a donné une traduction très fidèle au texte arabe, en deux
versions, l’une suivant l’ordre traditionnel des sourates, l’autre suivant un ordre chronologique supposé.
7Pour la Sunna, on trouve en français les hadîth d’al-Bukhârî, traduits par Houdas et Marçais et un choix

par Bousquet. Les autres recueils n’ont pas été traduits. En arabe on trouve aisément dans les librairies
arabes d’Europe les grands classiques, le Saẖîẖ de Bukhârî, les recueils de Muslim, Ibn Hanbal, etc.
L’ouvrage de Wensinck est un fort utile index de la tradition par matières.
8Les discussions sur l’authenticité du hadîth sont récurrentes. Hallaq, The authenticity, fait un point récent,

soutenant que la question est résolue par les théoriciens musulmans eux-mêmes : il n’existe tout au plus
qu’une dizaine de ẖadîth mutawâtir. Cet article donne les références des auteurs anglo-saxons.
9La vie du Prophète : En langue française, on dispose des ouvrages de Watt, Gaudefroy-Demombynes

(qui donne les sources arabes), Rodinson (plus critique). Le point de vue traditionnel est développé par
Hamidullah. En arabe, la source principale est la sîra d’Ibn Hichâm, à laquelle il faut ajouter au moins
celle de Waqîdî et l’histoire de Tabari. Ibn Hichâm a été traduit en anglais par Guillaume. Tabari a été
traduit en français par Zotenberg. La biographie moderne arabe la plus célèbre est celle de Muhammad
Haykal, traduite en anglais.
10Sur le Coran, en français, on lira Blachère et Berque. Du point de vue musulman Draz, déjà ancien,

mais réédité, Malek Bennabi et M. Arkoun. En arabe la bibliographie est abondante. Pour les
commentaires du Coran, on s’orientera grâce au répertoire publié par 1’ISESCO (voir à Zamâma). Pour
rechercher la référence d’une citation coranique, on utilise ‘Abd al-Baqî.
11Sur la théologie et la philosophie islamiques, en français, tous les ouvrages de Gardet ou Gardet et

Anawati sont sûrs et précis. Le Folio de Corbin offre dans un format commode un résumé non indigent sur
la théologie, la philosophie et la mystique qui met l’accent sur le chiisme. L’histoire des schismes de
Laoust est indispensable, tant pour ces matières que pour l’histoire du droit. Baydawî est très complet.
On a aussi un traité de théologie musulmane moderne dû à Hamza Boubakeur (en français). En arabe, Abû
Zahra ou Zuhra (Tarîkh) peut servir d’introduction. Le classique ancien est la somme de Chahrastânî, et
pour les modernes Aẖmad Amîn.
12Pour le soufisme, le livre récent et complet de Popovic et Veinstein permettra d’accéder à toute la

matière. Celui de Chevalier pourra donner une vue plus rapide.


13On appréciera mieux l’originalité de l’islam en étudiant les autres religions, leur histoire et la
sociologie religieuse. On se réfèrera d’abord à l’histoire des religions de Puech. Pour la sociologie, les
ouvrages classiques sont ceux de Max Weber, Menschig et Wach. Une nouvelle compréhension du
phénomène religieux se développe, en particulier à la suite de M. Gauchet et R. Girard. Les mises au
point les plus récentes sont ducs à Meslin et Willaime.
14Origines du droit musulman : Le point de vue musulman est développé dans les ouvrages classiques de

al-Khudarî, Tarîkh, et de Abu Zahra, Tarîkh, mais il en est d’autres, nombreux. Les introductions au droit
à l’usage des Facultés arabes comprennent tous une partie consacrée à l’histoire du droit. On a utilisé par
exemple Zaydan.
15Le point de vue des orientalistes se trouve chez Goldziher (traduit en anglais, Muslim studies, vol. 2),

Schacht (Introduction, Esquisse, The origins et ses articles), Coulson et Tyan (Organisation judiciaire).
Schacht a été critique par al-Azami (On Schacht’s Origins). Ne seront pas inutiles les travaux de
Brunschvig (Considérations). Décobert (Le mendiant), dont la position n’est pas toujours très claire,
donne une bibliographie récente sur les origines de l’islam avec beaucoup de références anglo-saxonnes.
Les ouvrages anglais se sont fait nombreux depuis 1990. Par Décobert, Calder, Melchert, on pourra les
repérer. On n’oubliera pas de joindre à cette critique du point de vue musulman traditionnel les travaux
traduits en français de ‘Abd ar-Râziq, al-Ichmâwî, Abou Zeid.
16Histoire des rites : En langue arabe, les deux classiques déja signalés de al-Khudarî, Tarîkh, et de Abu
Zahra, Tarîkh, sont toujours utiles malgré leur ancienneté. Abû Zahra a écrit toute une série de
monographies détaillées, malheureusement sans références précises. On cite souvent al-fikr as-sâmî de
al-Hajrî, et les Muẖâḏarât de Muẖammad Yûsuf Mûsâ, mais nous n’avons pas pu trouver ces ouvrages.
17En langue européenne, Coulson, A history, Khadduri-Liebcsny, Law, et Schacht, Introduction,
comportent une partie historique, mais n’accordent pas à l’histoire des rites et à sa périodisation la place
qu’elles méritent. Même défaut avec le Cours d’histoire de Vandevelde et l’Histoire juridique de
Ladjili-Mouchette. Ce dernier travail est un essai copieux, puisé aux meilleures sources, comparant le
droit musulman avec les droits antérieurs ou contemporains de sa naissance. On ne saurait trop en
recommander la lecture. A recommander aussi dans une optique comparative, le livre de Laghmani,
Eléments d’histoire, qui est centré sur la philosophie du droit, et qui contient une bibliographie étoffée.
L’ouvrage de Tyan, Organisation judiciaire, est indispensable. De même celui de Laoust, Schismes, qui
apporte le plus de renseignements historiques précis en un format maniable, mais évidemment pas dans
une optique juridique.
18Bien sûr, tout au long de l’Encyclopédie de l’islam, dans les différentes notices biographiques, on

trouvera ample matière à une histoire des rites. Pour repérer les principaux auteurs aussi bien que les
auteurs secondaires, il faut utiliser Brockelmann (Geshiste). A un niveau de spécialisation plus élevé, il
faudrait reprendre cette histoire à partir des grands dictionnaires biographiques arabes et les ouvrages de
tabaqât très nombreux répertoriés dans l’annexe 2. L’ouvrage de Melchert a montré la voie. Mais les
jeunes historiens arabes apporteront probablement beaucoup à une réécriture de l’histoire des rites.
19Pour le contexte, les ouvrages d’histoire en langue européenne sont bien sûr nombreux, mais aussi très

utiles à l’historien du droit. On a cité à titre d’exemple les ouvrages de Cahen, Elisséef, Garcin, Hourani,
Lévi-Provençal, Mantran, Miquel, Sourdel, Talbi et Raymond (toujours attentif aux institutions). En
arabe, les ouvrages d’Ahmad Amîn sont classiques.
20Pour les hanéfites, Schacht a écrit l’article Hanafiyya dans l’Encyclopédie de l’islam,. Sur l’empire
ottoman, l’historien de référence est R. Mantran. Son Histoire de l’empire ottoman, ouvrage collectif
permettra de répérer les autres auteurs. En matière juridique la référence principale est l’ouvrage de
Heyd, Studies, qui comporte une bibliographie. Dans l’ouvrage de Kaddhuri-Liebesny, Law, trois articles
sont consacres à l’empire ottoman (Liebesny, Mardin, Onar).
21Sur le chaféisme, Chaumont a repéré ce qui existait dans son article, Al-Shâfi’iyya, dans
l’Encyclopédie de l’islam, 2e ed. Voir aussi Makdisi.
22Pour les hanbalites Laoust monopolise les références, à juste titre. Voir son article Hanâbila, aussi dans

l’Encyclopédie de l’islam, 2e ed. Ses travaux apporteront beaucoup aux historiens des autres rites.
23Pour les malékites, l’Afrique du Nord et l’Espagne, la bibliographie est moins déficiente que pour les

autres rites. On commencera par Cottart, Mâlikiyya, dans l’Encyclopédie de l’islam,. 2e ed. On a
répertorié les articles ou ouvrages de Békir, Berque, Bousquet, Brunschvig, Ghrab, Idriss, Linant de
Bellefonds, Langhade-Mallet, Ould Bah, Mones, Talbi, Turki qui sont intéressants du point de vue
historique. Le sens de la contraction du malékisme est bien mis en valeur dans Ben Achour, Politique.
Milliot-Blanc, Introduction, § 183-193 (sur la jurisprudence) et Milliot, Coutume nord africaine, sont
les références classiques, malheureusement la seconde est introuvable. En arabe, voir al-Jîdî. Il y a aussi
de nombreuses thèses de qualité.
24Sur les zahirites, le classique de Goldziher a été traduit en anglais par W. Behn.

25Sur le droit chiite, Tabâtabâ’i, An introduction to Shî‘î Law, contient une partie historique.

26Sur les ibadites, on attend la thèse de Bendrissou Salah qui comportera une bibliographie de plus de
mille titres. En attendant, voir Lewicki dans l’Encyclopédie de l’islam.
27Période contemporaine : Le passage du droit musulman au droit positif dans les pays musulmans a fait
l’objet d’études d’ensemble par Anderson et plus récemment par Alluffi Beck-Peccoz. On trouvera aussi
de nombreux articles de haut niveau. On a signale ceux de Anderson, Badr, Borrmans, Castro, Schacht,
mais il en est beaucoup d’autres que l’on repèrera par la bibliographie de Aluffi Beck-Peccoz.
28Pour les courants d’idées contemporaines, Delanoue (Moralistes), Hourani (Arabie Thought), Kerr et
Merad (sur le réformisme), Carré (sur les frères musulmans), Kepel (islamistes), Zeghal (ulémas d’al
Azhar). On citera au tome II les auteurs qui ont fait moins de place à l’histoire.
29Les historiens sont surtout attentifs aux constitutions et aux accords internationaux. La fréquentation de
leurs travaux est indispensable à l’historien du droit. On en a signalé quelques-uns dans notre texte, pour
chaque pays, notamment les Que sais-je ? qui ont tous une courte bibliographie qui servira de point de
départ.
30Il faut y ajouter les travaux des politicologues, fort nombreux et qu’on ne peut songer à répertorier ici.
Les régimes politiques de Flory (dans ses deux éditions) donneront un point de départ. Une attention
spéciale doit être accordée à ceux qui sont arabisants et se sont spécialisés sur la sociologie politique
des juristes comme Botiveau, Dupret, Ferrié dont on a signalé quelques travaux comportant une
bibliographie. Il faut remarquer aussi, avec des préoccupations voisines ou différentes les Tunisiens Ben
Achour, Charfi, Laghmani, R’Dissi et les Marocains Jabri, Tozi, et bien d’autres, qu’on s’excuse de ne
pouvoir citer ici. Mais on citera certains d’entre eux au tome II.

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Tome II. Fondements, culte, droit public et mixte
Introduction au tome II

1La division fondamentale du droit musulman est méthodologique. Elle distingue deux disciplines, celle

qui étudie les fondements ou les racines du droit (usûl al-fiqh) et celle qui traite des branches du droit
(furû‘ al-fiqh). En première approximation on peut dire que la première est une sorte de méthodologie de
l’usage des sources sacrées de l’islam, posant, en même temps un certain nombre de résultats généraux.
Elle justifie les solutions détaillées par la seconde, qui correspond en gros à l’idée qu’on se fait d’un
traité de droit, étant entendu que le culte fait partie de ce droit. La formation normale d’un cadi inclut ces
deux disciplines. Si la pratique a eu tendance parfois à négliger ou à ignorer la première, du moins
jusqu’à une date récente, la présentation de ces deux versants du droit musulman est indispensable à sa
bonne compréhension.
2Nous commencerons donc par présenter les fondements du droit musulman. La technicité de la matière
est considérable et elle reste l’objet d’études de spécialistes. L’exposer avec l’ampleur qu’elle a toujours
eue ne correspondrait pas à ce que doit être un manuel. Aussi on ne lui a consacré qu’un chapitre.
3Il n’en est pas de même du reste, les branches du droit musulman. Il pose un problème épineux quant au

plan. Les anciens musulmans ne travaillaient pas sans plan, mais ils en avaient une conception très
particulière. L’ordre de l’exposé devait être celui de l’urgence des devoirs et la hiérarchie des devoirs
dépendait de chaque rite.
4Cette conception est totalement déroutante pour les gens du xxe siècle, musulmans ou non. Le grand as-
Sanhûrî nous fait l’aveu de sa surprise en découvrant, dans sa jeunesse, le “pêle-mêle” du droit musulman
(Le califat, p. xii). Aussi tous les auteurs contemporains, musulmans ou non, s’efforcent peu ou prou de
remettre en ordre la matière. Plus personne, même le plus conservateur, ne suit pas à pas l’ordre
traditionnel, tous introduisent des innovations dans les plans classiques. Les remises en ordre les plus
radicales s’inspirent généralement des grandes divisions du droit occidental, principalement français. Il
est évident qu’il y a un risque permanent de trahison envers le droit musulman, chez tout le monde, mais
comment faire autrement ?
5Il nous faut d’abord séparer le culte du reste. La division entre le culte et les relations (mu‘âmalât) est

connue des fuqahâ’et ils commencent toujours par traiter du culte, car dans leur vision du monde c’est
l’affaire la plus urgente. La suite est plus épineuse. On a utilisé des divisions inspirées du droit français :
droit public, droit mixte, droit privé. Le concept de droit mixte (à la fois public et privé) n’est pas
d’usage courant, mais il permet de mettre à part un certain nombre de matières de manière bien logique.
6Ce tome II n’est qu’une partie du tome II annoncé dans le tome I. Simplement en raison de l’ampleur de

la matière, on a divisé l’ensemble des chapitres V à XIII en un tome II et un tome III.


7Voici comment tout cela se présente. Les chiffres arabes correspondent aux distinctions qui sont connues

en droit musulman, et les chiffres romains aux autres.


Chapitre V. Les fondements du droit musulman

1260 — Le fiqh et les usûl al-fiqh. Rappelons d’abord la définition du fiqh que nous traduisons par droit

musulman pour faire simple (cf. t. I, n° 1-2). Techniquement, c’est la connaissance (‘ilm, ou science) des
aẖkâm (statuts des actes humains) au moyen des indices (adilla, preuves scripturaires). C’est une science
pratique, par opposition à la théologie qui est une science théorique.
2Les usûl al-fiqh sont la science des principes (qawâ’id, règles), par lesquels on arrive à déduire le fiqh
(Ibn al-Humâm, cité par Abû Zahra, Usûl, p. 5).
3La théorie musulmane des usûl al-fiqh (racines du droit) se présente donc comme une méthodologie
préalable à l’ensemble des furû‘ al-fiqh (branches du droit musulman). C’est la science des preuves
(scripturaircs et autres) ayant conduit aux solutions développées dans les branches du droit. Elle est donc
comme la méthodologie d’un travail à faire, quoique les usulistes (c’est-à-dire les fuqahâ’ et théologiens
traitant des usûl) sachent bien que les solutions dans les différentes branches ont souvent été posées avant
que la méthodologie du droit ne soit explicitée. Les usûl al-fiqh d’une école constitueraient donc
fondamentalement la justification des positions de l’école, une apologie a posteriori de ce qui a été fait.
4261 — Importance des usûl al-fiqh. Toutefois les traités d’usûl sont séparés des traités de fiqh et ont été

souvent rédigés par des non-juristes : la matière des usûl al-fiqh a une dimension théologique et
philosophique très importante. Les usulistes actuels distinguent, dans l’histoire de la discipline, trois
types d’auteurs : les théologiens (surtout chaféites), les juristes qui justifient avant tout les positions de
leur école (surtout hanéfites), et ceux qui ont tenté une synthèse des deux courants (al-Huḏarî, p. 6-10 ;
Abû Zahra, Usûl, p. 14-25). A quoi tient l’intérêt des théologiens pour cette matière ? Pour J. P. Charnay,
dans son étude sur la fonction de l’ikhtilâf (divergence) dans la culture arabe, la science des usûl al-fiqh
n’a pas fondamentalement un but juridique. Il écrit, à propos d’ach-Châfi‘î, le fondateur de cette
discipline, que la Risâla “a pour but davantage la réduction du doute religieux (coexistence de normes
ambiguës ou plurales dans l’islam) que du doute de comportement (choix par l’usager d’une interprétation
ou d’une norme en présence)... ach-Châfi‘î nie donc l’importance des ikhtilâfât... ach-Châfi‘î affirme que
les contradictions qui demeurent après l’application de sa méthode sont de faible importance...” (p. 197-
200). Charnay retrouve le même souci chez tous les auteurs, jusqu’aux plus modernes. On voit donc que
les usûl al-fiqh représentent une discipline fondamentale pour la compréhension de l’islam et de son
droit, aussi bien que pour son apologétique.
5Nous partagerons notre étude en deux parcours. Le premier prendra connaissance de cette science telle
qu’elle se présente et telle qu’on la présente généralement (section 1). Le second s’efforcera d’éclairer
certains des problèmes théologiques et philosophiques sous-jacents et d’évoquer quelques conceptions
contemporaines (section 2).
SECTION 1 - EN SUIVANT UN TRAITÉ D’USÛL AL-FIQH
6262 — Contenu des traités : vue d’ensemble. Dans ces traités on retrouve à peu près toujours les

mêmes préoccupations : des généralités sur l’acte humain, son statut (moral), sur celui qui l’impose
(Dieu), et sur celui à qui il est imposé (l’homme) ; une étude des sources du droit (Coran et Sunna) ;
l’examen de problèmes linguistiques et sémantiques posés par ces sources elles-mêmes ; une analyse des
sources dérivées (analogie et autres) et leur hiérarchie ; enfin une étude du statut du mujtahid (celui qui
recherche la loi) et de celui du muqallid (celui qui suit un mujtahid).
7Le plan suivi par les auteurs est variable. Les études manquent sur la structure des traités classiques

d’usûl. Le résumé classique d’usûl, par exemple le Kitâb al Waraqât, d’al-Juwaynî, longtemps le seul
traduit en français, présente une série de développements dont la logique d’organisation n’est pas mise en
valeur. Pourtant il ne s’agit pas du tout d’un vrac. Chez les grands auteurs (al-Ghazzâli par exemple), le
plan est fortement structuré. Chez les auteurs tardifs (al-Bazdawî) il n’est pas transparent. Le contenu est
aussi variable : les Muwâfaqât du malékite andalou tardif ach-Châṯibî, présentent pour un quart du total
une méditation sur les buts de la charî‘a. Les hanéfites incluent des développements sur la capacité, qu’on
ne trouve pas toujours dans les autres rites, etc. Les auteurs modernes, comme al-Khuḏarî 3 , dont
l’ouvrage, paru entre les deux guerres est toujours réédité, et Abû Zahra, suivent le plan des auteurs
classiques depuis al-Ghazzâlî à quelques transpositions près.
8La logique d’un traité d’usûl se comprend bien à partir de l’opposition des dérivés de la même racine, ẖ,

k, m, qui signifie arbitrer à l’époque du Prophète, mais qui a pris par la suite le sens de statuer, juger. On
distingue donc fondamentalement l’étude du statut ou de la prescription (ẖukm, pl. aẖkâm) ; celle de l’acte
qui fait l’objet du statut (al-maẖkum fîhi, le “statué dans lui”, ou celui à propos duquel il y a statut) ; celle
du statuant (hâkim), c’est-à-dire Dieu, et les textes fondamentaux qui révèlent sa volonté, le Coran et la
Sunna ; enfin celle du croyant tenu de respecter la prescription (al-maẖkûm ‘alayhi, le “statué sur lui”, ou
celui à la charge duquel il y a statut). Une autre racine permet de former une série parallèle, la racine k, l,
f, qui signifie, à la deuxième forme factitive, charger quelqu’un (d’une tâche, d’une charge). La
prescription sera donc la charge, at-taklîf ; Dieu sera celui qui l’impose, al-mukallif ; et l’homme sera le
mukallaf, le chargé, l’obligé (qu’on traduit aussi “le responsable”, traduction qui a l’inconvénient de
donner un sens actif à ce qui est conçu comme passif). Mais les usulistes doivent intercaler la
méthodologie de lecture des sources fondamentales (ṯurûk al istinbâṯ, les voies de la dérivation), une
étude de ce qu’on peut appeler les sources dérivées (analogie, etc.) et une autre réglant les conflits de
sources. Ils placent tout cela généralement à la suite des développements sur le Coran et la Sunna. De
même ils rajoutent une étude de ceux qui opèrent ces déductions, les mujtahid-s et muftî-s, et de ceux qui
les suivent, les muqallid-s. Ces développements sont généralement mis à la fin des ouvrages à la suite de
l’étude du mukallaf.
9Nous présenterons la matière dans cet ordre : la loi, les actes humains et leurs statuts (§ 1), le
Législateur et les modes de connaissance de sa loi (§ 2), l’homme croyant et son rapport à la loi (§ 3).
§ 1 - La loi, les actes humains et leurs statuts

10263 — La loi islamique. Si la loi est nécessaire à l’homme (Coran 23, 115 et 75, 36) 4 , le concept de
charî‘a (loi islamique) n’est pas un concept fondamental dans les usûl classiques, au contraire de ce qu’il
deviendra au xxe siècle. Son synonyme, le mot char‘, de la même racine, est plus fréquent dans les textes
classiques, encore qu’il ne soit pas non plus un concept fondamental comme celui de hukm, le fiqh étant
défini comme la science des aẖkâm. Ibn ‘Âbidîn, au xixe s. accorde quelques lignes au mot charî‘a : c’est
un passif indiquant ce que Dieu a décrété (et métaphoriquement le Prophète). Il est employé aussi
fréquemment dans le sens de religion (dîn) ou de communauté (milla). L’auteur souligne aussi que le mot
veut dire “chemin vers l’abreuvoir” et qu’il a été appliqué aux aẖkâm dans un but de clarté et en raison du
fait qu’aller à l’abreuvoir c’est aller vers la vie éternelle (Hachîya Radd al-muẖtâr, t. 11, p. 11, 16e
ligne). N. Calder note aussi que charî‘a recèle une connotation divine et fiqh une connotation humaine.
L’idée réformiste et moderniste de séparer charî‘a et ftqh sur cette base n’est pas donc totalement
infondée (cf. t. I, n° 2 et 256).
11La loi islamique se présente comme le code infaillible des devoirs humains dans toutes les situations de

la vie et dans tous les domaines. Elle se dit valable en tout temps et en tout lieu, quoiqu’elle puisse elle-
même restreindre sa propre validité : les gens du Livre par exemple ne sont pas soumis à ses exigences
cultuelles. Il est plus grave de nier l’existence de la loi car ce serait un acte d’irréligion (kufr) ou
d’apostasie (ridda) passible de mort, que de ne pas la pratiquer. La nécessité (ḏarûra) permet d’ailleurs
le non-accomplissement des prescriptions en toute légitimité.
12Le ẖukm (pl. aẖkâm), le statut ou la prescription, est défini par les ulamâ’ comme étant un qualificatif

caractérisant un acte et provenant du discours divin (d’où notre traduction par statut de l’acte). Nous
verrons les cinq aẖkâm fondamentaux au n° 265. Les usulistes ont une définition différente, c’est le
discours divin lui-même (d’où la traduction par prescription), mais cela ne porte pas à conséquence (al-
Khuḏarî, p. 18).
13264 — Les actes humains. Les actes qui intéressent l’homme sont ceux qui créent de nouvelles
situations juridiques. Ce sont les maẖkûm fihi, ceux que qualifie le ẖukm, ou qui font l’objet d’une
prescription par le ẖukm. Ces actes peuvent être indépendants de la volonté du croyant (la mort,
l’apparition de la lune...) ou bien dépendre d’elle et dans ce cas, ils sont proprement humains (mariage,
contrat...). Le faqîh s’intéresse surtout à ces derniers, ceux qui sont possibles humainement, pour leur
donner un statut. Dans les usûl al-fiqh donc, une première série de réflexions concerne les actes
humainement possibles ou impossibles, et généralement les usulistes concluent que Dieu n’impose pas
l’impossible. Le Coran confirme ce point de vue (cf. 2, 185 ; 2, 286 ; 2, 233 ; 22, 78). Le principe est que
dans l’islam, il faut éviter la gêne, les exagérations pieuses...
14Une distinction qui joue un rôle important est celle qui divise les actes obligatoires en fonction de la
personne concernée par ces droits :
les obligations de pur droit de Dieu, comme les devoirs du culte, les peines obligatoires où aucun
individu en particulier n’est touché mais qui, selon les fuqahâ’ tardifs, sapent la communauté tout
entière, comme dans le cas de la fornication, ou la consommation de vin.
les obligations de pur droit humain, comme les dettes, les propriétés, l’héritage, etc. Toute atteinte à
ces droits est une injustice (ẕulm) et Dieu n’aime pas l’injustice, mais comme l’homme peut céder
volontairement ces droits, ce ne sont pas des droits de Dieu.
les obligations de droit mixte, mais où le droit de Dieu prédomine, comme la punition du vol, de la
fausse accusation de fornication.
les obligations de droit mixte, mais où le droit humain prédomine, comme le talion et la diya
(compensation), où l’homme peut pardonner, ce que d’ailleurs le Coran favorise (2, 178). C’est le
cas aussi des peines réglées par le ta‘zîr (peines discrétionnaires), car le prince peut toujours
pardonner, mais qui relèvent tout de même du droit de Dieu, car le délinquant puni a porté atteinte à
la communauté.
15Cette subdivision fait l’objet de divergences.

16265 — Les statuts imposés ou originels. La théorie des aẖkâm est fondamentale, le fiqh étant défini, on

l’a vu, comme “la science des statuts, ‘ilm al-aẖkâm”. Mais leur étude se dédouble, il y a le statut imposé
(ou originel) et le statut construit (ou relationnel).
17On traduit par statut imposé l’expression arabe ẖukm taklîfi. C’est le statut dans l’absolu, originel,
habituel, indépendant des circonstances qui le changent. Selon la théorie classique, un acte quelconque
peut donc recevoir un de ces cinq statuts, et être :
18• wâjib, ou farḏ, obligatoire. C’est un acte récompensé dans l’au-delà et puni en cas d’abstention, ici-
bas ou seulement dans l’au-delà. Exemple : la prière. Les hanéfites distinguent le farḏ, qui est appuyé sur
une preuve scripturaire décisive, du wâjib qui est appuyé sur une preuve probable. La non-croyance au
devoir wâjib n’est pas considérée comme mécréance, mais, comme il faut mettre ce devoir en pratique
tout de même, la distinction est purement théorique. Parmi les distinctions diverses que posent les juristes
sur ce devoir, la plus importante est celle qui distingue le fard ‘aynî, le devoir individuel, du farḏ kifâya,
le devoir collectif. Le mot kifâya signifie à la fois suffisance et compétence. Si une partie des musulmans,
compétente et en nombre suffisant, assure la tâche collective (judicature par exemple), l’autre partie en
est déchargée. Si la première partie est insuffisante ou incompétente, le péché retombe sur tous.
mandûb, recommandé, (ou mustahabb, préférable ou sunnî, conforme à la tradition) : l’acte qualifié
ainsi est récompensé dans l’au-delà s’il est accompli, mais pas puni s’il n’est pas accompli.
Exemple : nourrir un pauvre. Les actes de piété surérogatoires (nâfila) entrent dans cette catégorie,
en particulier ceux qui sont faits par imitation du Prophète. Mais si ces actes d’imitation sont sans
rapport avec la piété, comme porter des vêtements blancs ou se nettoyer la bouche avec le miswâq
(plante aromatique), c’est une innovation blâmable que de les exiger.
mubâẖ, indifférent, acte ni récompensé, ni puni. Ex : se lever, dormir, circuler, etc. Le mubâh est à
distinguer du jâ’iz, autorisé, qui recouvre cette catégorie et les deux précédentes. Le mubâh, plus que
tout autre catégorie, dépend des circonstances (voir n° 266).
makrûh, déconseillé, désapprouvé, détestable : l’acte qualifié ainsi ne reçoit pas de punition s’il est
accompli, mais il est récompensé dans l’au-delà s’il n’est pas accompli. Ex : le divorce immédiat ;
la trop grande curiosité religieuse (cf. Coran *5, 101). Ici encore les hanéfites subdivisent. L’acte
makrûh à éviter simplement correspond à l’acte makrûh des autres rites. Mais l’acte makrûh proche
de l’interdit est un interdit reposant sur une preuve scripturaire probable, mais non décisive : il est
alors obligatoire de l’éviter. Les autres rites classent ces actes dans l’interdit, leur classification ne
tenant pas compte de la nature de la preuve scripturaire.
ẖarâm, interdit, ou maẖẕûr, acte puni s’il est accompli ici-bas et dans l’au-delà, et récompensé dans
l’au-delà s’il n’est pas accompli. Exemple : voler : la punition de l’acte est reçue ici-bas si on le
fait, la récompense est dans l’au-delà si on ne le fait pas. Le contraire de ẖarâm, ẖalâl, qualifie les
quatre statuts précédents. A la suite de al-Ghazzâli et d’ach-Châtibî, on explique l’interdit par la
nécessité (ḏarûra) de protéger les cinq valeurs fondamentales sur lesquelles repose toute société
(voir n° 278). A côté de cet interdit en soi, il existe l’interdit en raison d’un autre, c’est un interdit
qui doit être observé parce que sa non-observation conduirait à violer l’interdit en soi. Ainsi la
fornication est interdite en soi parce qu’elle menace la société. Mais la nudité, pas interdite en soi,
sera interdite en fonction d’un autre, parce qu’elle conduit à la fornication.
19266 — Statuts construits ou relationnels. Les actes peuvent avoir aussi un statut construit ou
relationnel (ẖukm waḏ‘î). Le statut de l’acte tient compte à ce stade des circonstances particulières, qui
peuvent alors changer la prescription divine absolue. La définition classique est que le statut construit
l’est du fait d’un motif, d’une condition, d’un empêchement que l’on trouve énoncé dans le discours divin
à propos d’un acte. Depuis al-’Âmadî, on classe dans cette catégorie les cas de nullité et la dispense.
20Les usulistes s’efforcent de distinguer le motif ou cause apparente (sabab), de sa cause réelle (‘illa), et

de sa raison d’être (ẖikma, litt. sagesse). Ainsi le mois de Ramadan peut être dit le motif ou la cause
apparente du jeûne mais pas sa cause réelle, ni sa raison d’être, que seul Dieu connaît pour certains, mais
que d’autres entreprennent d’expliquer : faire connaître au croyant la dureté de la misère pour l’inciter à
être généreux, l’habituer à renoncer au monde, etc. Le motif est souvent ramené au signe ou signal
(amâra), comme telle ou telle position du soleil qui devient le signal de la prière. Le motif peut survenir
du fait des circonstances, ainsi la mort entraîne l’application des lois sur l’héritage. Le motif peut être
décidé par le croyant. Le mariage par exemple entraîne pour lui toute une série de devoirs (entretenir son
épouse par exemple) et il est le motif de l’aggravation de sa peine en cas de fornication. Mais les choses
ne sont pas toujours aussi claires que dans les exemples cités. Tout cela donne lieu à de nombreuses
discussions et divergences. Le traducteur est aussi souvent embarrassé, car il doit faire correspondre des
registres qui sont variables selon les auteurs, les époques et les langues.
21La condition (charṯ, pl. churûṯ) est l’acte sur lequel repose la validité d’un autre acte, mais sa présence

n’entraîne pas l’obligation de l’autre acte. Ainsi l’ablution est obligatoire pour que la prière soit valide,
mais l’ablution n’entraîne pas en elle-même l’obligation de la prière, à l’inverse du motif, certaines
positions du soleil entraînant l’obligation de la prière. La condition peut être liée au motif ; ainsi la zakât
(impôt de purification) a pour motif la richesse, mais elle est assortie d’une condition, la richesse doit
dépasser un certain montant (nisâb). Dans les contrats, les conditions peuvent être le fait de l’homme et
non du Législateur (Dieu). Les fuqahâ’ sont divisés à ce propos, notamment pour les conditions relatives
au mariage, qui sont largement permises chez les hanbalites.
22L’empêchement (mani‘, pl. mawâni‘) est l’acte qui va à l’encontre de la cause réelle (‘illa) ou de la

raison d’être (ẖikma) qui fondent une législation, un ẖukm. Ainsi l’héritage a pour motif réel la
prolongation de la vie du défunt à travers un proche. Mais le meurtre du défunt par son héritier va à
l’encontre du sens même de la loi, il devient donc un empêchement à l’héritage. Les empêchements
peuvent toucher à la capacité : ainsi le fou n’est plus tenu à la prière. Ou toucher à la condition : ainsi
l’impur(e) (homme venant de déféquer, femme ayant ses règles par exemple) ne peut pas la faire (la
prière n’est plus valable) ; le malade peut la faire (elle reste valable) mais elle n’est plus obligatoire
pour lui.
23Pour la majorité des rites, sauf le rite hanéfitc, la validité (siẖẖat) s’oppose à la nullité (batlân), il n’y a

pas de moyen terme. Un acte est valide (saẖîẖ) s’il est conforme à la loi dans ses éléments fondamentaux
(arkân), son motif, ses conditions, et qu’il ne comporte pas d’empêchement. Il déploie alors tous ses
effets juridiques ici-bas et dans l’au-delà. L’acte est nul (bâṯîl) s’il n’est pas conforme à la loi. Il n’a
aucun effet juridique. La catégorie du bâtil ne recouvre pas celle de l’interdit, car une transaction peut
être considérée comme harâm, par exemple un contrat usuraire (ribâ, usure), et pourtant rester saẖîẖ en
partie, car ce qui est emprunté doit être rendu sans intérêts. Les hanéfites suivent les autres rites en
matière de culte. Mais dans les autres matières, ils posent un moyen terme, l’acte fâsid (vicié). L’acte est
fâsid si son défaut ne touche pas un élément fondamental (rukn ou asl) mais seulement une circonstance
non essentielle (wasf). L’acte déploiera ses effets, mais le défaut devra être corrigé.
24Enfin la dispense (rukhsa) est l’autorisation donnée au croyant de ne pas accomplir un devoir du fait de

sa situation qui rendrait l’accomplissement du devoir trop pénible ou impossible. C’est l’inverse de la
constance (‘azîma). Les raisons doivent être sérieuses, et le devoir est renvoyé à plus tard. Le malade,
par exemple, est dispensé du jeûne du mois de Ramadan, et il devra l’accomplir une fois sa santé
rétablie. Mais il peut s’en tenir à la ‘azîma et l’accomplir quand même. La crainte de la mort, la peine
excessive (machaqqa), la gêne excessive (ẖaraj), le besoin (ẖâja) sont des raisons valables. C’est au nom
de la rukhsa que Ton peut cacher ses convictions (kitmân ou taqîya) si l’on craint pour sa vie dans une
situation de persécution. Mais il est possible de les manifester quand même, on s’en tient alors à la
‘azîma. Dans d’autres cas, c’est le hukm d’un acte qui change totalement en fonction de la situation du
croyant. Par exemple, si l’on craint de mourir de soif, dans le désert, on doit boire le vin que l’on trouve,
cet acte passant de l’interdit à l’obligatoire. C’est la nécessité (ḏarûra) qui amène ce changement de
statut. Mais s’agit-il encore d’une rukhsa ? Non dit al-Bazdawî, il s’agit d’un hukm en soi, la ‘azîma n’a
pas lieu d’être, la protection de la vie est prioritaire. De même, le motif de certaines de ces tolérances,
l’aise (yusr), fait partie des buts de la loi (maqâsid ach-charî‘a) et fonde des aẖkâm propres, il ne s’agit
plus de rukhsa. On voit donc qu’il y a matière à de longues discussions.
§ 2 - Le Législateur et les modes de connaissance de sa loi

25267 — Le Législateur et la raison humaine. Le Législateur (châri’) qui pose les statuts des actes, le

Statuant, est Dieu, parfois dans les textes le Prophète Muhammad, mais à titre métaphorique. Dieu fait
connaître la loi principalement par le Coran et la Sunna de son messager.
26La question fondamentale soulevée à ce propos est celle du rôle de la raison humaine. Peut-elle être
source de loi ? Les chiites et les ibadites ont répondu positivement à cette question, mais la raison ne peut
intervenir qu’en cas de silence des textes (Coran, Sunna du Prophète, et pour les chiites, Sunna des sept
ou douze imâm-s). La position sunnite permet au prince de légiférer par qawânîn (lois, règlement), mais
les qawânin ne font pas partie de la loi islamique, encore qu’on doive leur obéir. Les sunnites se sont
refusés à reconnaître formellement la raison comme source de la loi islamique.
5
27En termes classiques , la question a été restreinte à celle-ci : la raison peut-elle reconnaître le hukm
d’un acte d’après sa beauté ou sa laideur (ẖasan wa qubẖ) ? C’est un des débats qui ont opposé les
mutazilites et les partisans de la tradition (ahl as-sunna) qui se reconnaîtront plus tard principalement
comme acharites (voir tome 1, n° 59 et passim). Les mutazilites répondent que les actes ont en eux-mêmes
une beauté ou une laideur que tout le monde reconnaît, soit qu’ils apportent plaisir ou peine à l’échelon
individuel, ou bienfait ou dommage au plus grand nombre à l’échelon collectif. Les acharites rétorquent
que ces appréciations varient avec les individus, leurs âges, les collectivités et leurs princes, donc que
l’appréciation des actes est incertaine. Pour eux, la certitude ne peut venir que de la prophétie, en
particulier en matière de culte : la raison seule est incapable de trouver quel est le bon culte, celui qui
plaira à Dieu. Entre ces deux positions, les maturidites concèdent que les actes ont une beauté et une
laideur en eux-mêmes, mais que la raison est incapable de les saisir avec certitude, donc que la
révélation est nécessaire pour en connaître les statuts. Les hanéfites suivent en général al-Maturidî. En
pratique donc ils rejoignent ach-Châfi‘î, pour qui “les aẖkâm ne sont pris que du texte ou ne reposent que
sur lui”. Le Coran le confirmerait (33, 36). La pensée d’ach-Châfi‘î s’est imposée à tous les rites.
28Les aẖkâm se prennent dans des sources fondamentales (A) et dans des sources dérivées (C), mais les

usulistes intercalent les règles relatives à la déduction à partir des textes (B).

A - Les sources fondamentales

29268 — Le Coran. Le Coran est dit parole directe de Dieu, infaillible, infalsifié (mais le Diable a
cherché à le falsifier, 22, 52), complet (16, 89 ; 6, 38), mais certains versets sont oubliés (2, 106 ; 87, 6-
7). Il a été transmis grâce à une psalmodie transmise de Gabriel au Prophète, puis aux musulmans,
pendant 23 ans. Il est considéré comme mutawâtir, c’est-à-dire rapporté par plusieurs chaînes de
transmetteurs sûrs. Il est aussi considéré comme inimitable ; son inimitabilité (i‘jâz) a fait l’objet de
maints traités de théologie.
30Le Coran est lafẕ wa ma’na, prononciation et sens. C’est une manière de dire que la langue arabe fait

partie de la révélation coranique. On ne peut dire d’une traduction qu’elle est le Coran, mais seulement
une interprétation ou une explication (tafsîr) du Coran. La connaissance de l’arabe est une exigence
fondamentale pour être mujtahid (voir n° 286).
31Du point de vue juridique il comprend 500 à 600 versets utilisables (Voir tome I, n° 31 à 38 et l’annexe

1). Selon la pensée sunnite, certains manquent, ils ont été supprimés du texte, mais la loi subsiste. C’est
ainsi que le verset de la lapidation de l’adultère n’est connu que par une tradition de ‘Umar 6 . D’autres
semblent se contredire, et le Coran lui-même précise qu’il y a des versets qui abrogent d’autres versets
(2, 106 ; 16, 101). La tâche du savant sera de déterminer avec précision ceux qui demeurent en vigueur en
s’aidant de la Sunna (voir n° 273).
32269— La Sunna. Ce sont les dires du Prophète (hadîth), ses actes tirés de sa biographie (sîra), ses
appréciations, ses jugements. La Sunna est justifiée par le Coran qui affirme que le Prophète est un
modèle (33, 21). Elle est conçue comme explicitant le Coran, qui évoque souvent de manière allusive des
prescriptions parfois très importantes, comme la prière. Ainsi le Prophète dit dans la Sunna : “Priez
comme vous m’avez vu prier” ou encore “Prenez sur moi vos manières”. Donc tous les témoignages des
Compagnons sur la
manière de prier du Prophète devinrent source en matière de culte.
33Les ẖadîth sont qualifiés par les traditionnistes selon leur degré de certitude. Ceux qui sont rapportés

par des rapporteurs nombreux, sans rupture de continuité dans la chaîne des rapporteurs (isnâd), sont dits
mutawâtir, récurrents, répétés. Ceux qui sont rapportés par des rapporteurs en plus petit nombre sont dits
machhûr, connus ; ils comportent une part de doute et sont dits ẕannî, comme dans les autres types de
ẖadîth. Ceux qui proviennent d’une source unique sont dits ‘âẖâd, uniques. Ceux qui ont des chaînes de
transmission qui ne remontent pas jusqu’au Prophète, ou qui sont interrompues, sont dits mursal, relâchés,
etc. Il existe une trentaine de définitions de ce type qu’on trouvera dans l’Encyclopédie de l’islam. Ces
classifications jouent un rôle important quand il s’agit de soupeser, ou de faire prévaloir (tarjîẖ) un ẖadîth
par rapport à un autre en cas de conflit. La sélection des hadîth a été une grande affaire historiquement,
comme on l’a vu. Les traditionnistes se sont surtout fondés sur la biographie des transmetteurs, leur
droiture (‘adâla), les possibilités qu’ils avaient effectivement d’être disciples les uns des autres. Une
critique interne a été ébauchée : les ẖadîth ne devaient pas comprendre d’absurdités, ni être contraires
aux usages et à l’islam. Mais la critique interne ne fut jamais approfondie, elle supposait une théorie
sociologique du pensable de chaque époque et on en était pas encore là.
34Les usulistes ont discuté la valeur respective des deux sources principales, le Coran et la Sunna. Ach-

Châfi‘î est celui qui a insisté sinon fondé l’autorité sacrée de la Sunna. Dans son exposé sur al-bayân (le
texte clair), il ne distingue pas l’une et l’autre source, les mettant sur le même plan, celui du nass, du texte
(révélé). Mais en cas d’opposition des textes ? L’accord s’est fait sur l’idée que c’est la dernière en date
des prescriptions qui abroge les précédentes, même si l’on doit considérer un verset coranique comme
abrogé par la Sunna. Solution logique puisque la biographie du Prophète (la sîra), qui fait partie de la
Sunna, était la seule source possible pour établir la chronologie des prescriptions opposées qu’elles
soient du Coran ou de la Sunna. D’où l’adage de Yaẖya Bn Kathîr qui affirme : “La Sunna juge le Livre et
non le Livre la Sunna”.
35Mais cette position ne fit pas l’unanimité. En particulier Ibn Taymîya, refusa que la Sunna puisse

abroger le Coran. Les réformistes et modernistes ont tendance à refuser la doctrine de l’abrogé et de
l’abrogeant (n° 273) et à prendre tous les versets concernant une même question comme un tout. On en
verra une application avec la position du chaykh d’al-Azhar, M. Chaltût à propos du jihâd (n° 457).

B - Méthodologie de déduction des preuves scripturaires

36Les traités sont prolixes pour poser un grand nombre de distinctions logiques permettant de discerner la
valeur probante (ẖujjiîya) des preuves scripturaires (dalîl, pl. adilla). La matière étant abondante et
complexe, on se bornera à évoquer quelques thèmes dans les paragraphes suivants à titre d’illustration.
Cette partie des usûl indique la logique du travail du juriste. C’est la plupart du temps à ce niveau, celui
de l’interprétation des textes et de leur hiérarchisation, que naissent les divergences. Mais cette logique
de la déduction ayant été faite après la formation du fond du droit, son rôle pratique est en fin de compte
restreint aux parties du droit constituées tardivement.
37270 — La clarté et l’obscurité. Les usulistes analysent les énoncés (lafẕ) d’un texte d’abord du point

de vue de leur clarté (wudûh). Ils distinguent les degrés de clarté : l’évident (zâhir, litt. l’apparent), le
littéral (nass, litt. le texte), l’expliqué (mufassar, i. c. par la Sunna), le renforcé (muẖkâm, litt. le parfait)
qui ne peut être contredit par un autre texte. En face ils établissent les degrés d’obscurité : l’imprécisé
(khafî, litt. le caché), le polysémique (muchkal, litt : le problématique), l’équivoque (mujmal, litt. le
totalisant), l’obscur (mutachâbik, litt. l’entremêlé) dont Dieu seul sait l’explication. Tout cela donne lieu
à maintes discussions - et à maintes difficultés de traduction. Ainsi selon certains auteurs la prière est dite
équivoque, mujmal, car le mot véhicule, totalise, tout un faisceau de prescriptions non explicitées dans le
Coran, mais seulement par la Sunna. D’autres disent que si le mot est expliqué par la Sunna, il n’est plus
équivoque et devient mufassar.
38271 — La valeur probante. Les usulistes classent encore les textes selon leur valeur probante (dalâla).
Ils distinguent l’expression directe (dalâla al-ibâra), le sous-entendu (dalâla al-ichâra), l’analogique clair
(ou textuel ou a fortiori) (dalâla an-nass), l’estimé (dalâla al-iqtiḏâ), l’inexprimé (ou a contrario) (dalâla
al-mafhûm). L’estimé est une interprétation du texte qui enlève son côté absurde. Ainsi un ẖadîth dit : “La
faute, l’oubli et tout ce qu’on déteste sera enlevé à ma communauté”. Mais les musulmans ont continué de
se tromper, d’oublier et de subir des choses détestables ! Le sens estimé sera donc de dire que le péché
dû à l’erreur ou à l’oubli ne sera pas compté aux musulmans. Un exemple d’analogique clair est donné
par le Coran qui énonce qu’il est interdit de dire “ouf (dans le sens “tu m’ennuies !”) à ses parents (17,
23). On en déduit a fortiori qu’il est interdit de les insulter ou de les battre. Mais certains auteurs placent
l’exemple dans l’étude de l’analogie. L’argument a contrario 7 est celui qui pose la loi contraire à partir
d’un texte. Ainsi celui qui ne peut pas épouser une femme de bonne condition peut épouser une esclave
(Coran 4, 24). On en déduit l’interdiction d’épouser des esclaves quand on peut épouser des femmes
libres. Évidemment tous les usulistes ne sont pas d’accord. Les hanéfites récusent ce type de
raisonnement : ainsi le Coran (9, 36) interdit d’être injuste pendant les quatre mois sacrés, il s’ensuivrait
la permission de l’être durant les huit autres mois...
39272 — L’extension. Du point de vue de l’extension (chumûl), les traités distinguent d’abord le
particulier (khass) du général (‘amm). Par exemple si Dieu dit à Moïse “Va à Pharaon !” (Coran 79, 17),
faut-il que tous les musulmans aillent à Pharaon ? Non répondent les usulistes, parce qu’il s’agit d’un
ordre particulier. Mais “accomplissez la prière” (Coran, passim) est obligatoire pour tous parce que
l’ordre est général. L’intérêt de la distinction se remarque en cas de contradiction des textes. Elle est
d’application fréquente, car il arrive souvent qu’un principe général du Coran s’oppose à une règle
particulière dans la Sunna. En principe la Sunna particularise un ordre général du Coran. Ainsi ce dernier
accorde telle part d’héritage à tel héritier, mais la Sunna en excepte les gens du Livre ou les meurtriers du
de cujus. Dans le temps, si le général est révélé après le particulier, il l’abroge (cf. n° 273) ; si c’est
l’inverse, le particulier ne fait que spécifier une exception au général. La raison peut intervenir pour
particulariser un texte : ainsi on a dans un texte “ceux à qui les gens ont dit : les gens sont groupés autour
de toi...” Il faut nécessairement que les gens qui parlent soient différents des gens à qui ils parlent, donc
que l’expression “les gens” ne concerne pas tout le monde. Ou encore “les vents détruisent tout”
n’implique pas que la mer, la terre, le ciel et les étoiles soient détruits.
40Dans le chapitre relatif à l’extension, les fuqahâ’ distinguent aussi l’indéterminé (mutlaq, absolu) du
déterminé (muqayyad, lié, relatif). Par exemple on trouve dans le Coran, pour expier certains péchés, le
précepte de libérer un esclave (sans autre précision, 5, 89 ; 58, 3 ; *90, 13), une autre fois de libérer un
esclave croyant (4, 92). Les rites ont raisonné pour faire dominer le verset 4, 92 sur les autres, tandis que
pour les hanéfîtes chaque texte du Coran est une preuve en soi, donc ils n’exigent pas que l’esclave libéré
soit toujours un croyant. On voit encore par cet exemple que les divergences ne sont pas fondées sur la
fantaisie des imâm-s, mais qu’elles naissent bien de l’interprétation des textes.
41273 — L’abrogé et l’abrogeant. L’opposition du particulier et du général n’est qu’un cas de figure du

problème plus général de l’abrogation (naskh). Le Coran lui-même énonce que certains versets (dits
abrogeants, nâsikh) en abrogent d’autres (dits abrogés (mansûkh) (2, 106). Les usulistes disent qu’il faut
d’abord chercher la conciliation en utilisant les règles du général et du particulier, celles qui font
prévaloir un texte sûr sur un texte de transmission incertaine, ou, s’ils sont de force égale par des règles
spéciales dites du tarjîẖ, de préférence. Si tout cela n’est pas possible, il faut décider de l’abrogation
d’un texte par un autre.
42C’est ach-Châfi‘î qui a évoqué le premier l’abrogation (il emploie le mot inhâ’, fin). Les anciens

tendent à le suivre en soulignant l’intérêt de l’abrogation quand il s’agit de dire que les lois juives et
chrétiennes sont abrogées. Ils distinguent des types d’abrogation, l’abrogation franche (sarîẖ) ou
l’abrogation implicite (ḏimmî). Un exemple d’abrogation franche est celui du changement de qibla (Coran
2, 144). Pour l’abrogation implicite on cite celui de l’interdiction progressive du vin (Coran 16, 67 ; 2,
219 ; 4, 43 ; 5, 90). Certains textes renforcés (muẖkam) sont inabrogeablcs, ainsi que ceux qui expriment
un principe moral raisonnable admis partout, ou une loi religieuse universelle. Du fait qu’il n’y a plus
d’abrogation possible après la mort du Prophète, les lois établies sur la base des textes par consensus
(ijmâ‘) ou même par analogie (qiyâs) sont de ce fait inabrogcablcs (Abû Zahra, p. 178).
43Mais une minorité d’auteurs nie qu’il puisse y avoir une abrogation quelconque en arguant de Coran 41,

42 et en interprétant “âya” dans Coran 2, 106 comme voulant dire “miracle”. Pour Ibn Taymîya le Coran
doit s’interpréter synthétiquement, sur la base de connaissances historiques et linguistiques étendues. Il
refuse d’admettre la possibilité d’une contradiction du Coran avec lui-même, ni de la Sunna à l’encontre
du Coran. Les réformistes et modernistes sont aussi très hostiles à l’abrogation. Quand ils l’admettent ils
en réduisent le nombre, et le plus souvent cherchent d’autres explications : ainsi l’interdiction
progressive du vin serait duc à un souci pédagogique eu égard à la mentalité arabe préislamique.
44274 — La permission, l’ordre et la défense. Les usulistes analysent aussi les expressions de l’ordre

qui fondent l’obligation (wâjib), celles qui énoncent une recommandation fondant le recommandé
(mandûb), celles donnant permission qui fondent le mubâh (indifférent), celles exprimant la réprobation
fondant le déconseillé (makrûh), enfin celles posant l’interdiction (nahy) qui fondent le ẖarâm. Ils
examinent si elles ont une valeur permanente ou pas, ou unique ou répétitive, etc. L’impératif (amr) peut
être le signe d’une obligation ou bien d’une permission. Par exemple le Coran dit à propos de la fin du
pèlerinage : “Quand vous serez en état de désacralisation, chassez” (5, 2) et les usulistes de montrer que
cela signifie “vous pouvez de nouveau chasser” et non pas “il est obligatoire de chasser” en vertu du
contexte.
45Les textes amènent donc bien des divergences. Les sources dérivées plus encore.

C - Les sources dérivées

46275 — L’unanimité. C’est l’accord unanime (ijma‘) de la communauté sur un point de foi ou de droit.

Selon la doctrine classique, cette source serait justifiée par les versets 3, 103 et 4, 115 du Coran. Une
tradition tardive (après 820 puisqu’elle n’est pas connue d’Ach-Châfi‘î) affirme “Ma communauté ne se
mettra jamais d’accord sur une erreur”.
47Les premiers juristes de l’islam curent des opinions divergentes sur la nature de l’unanimité. L’ijmâ‘

était conçu par ach-Châfi‘î comme le consensus de tous les musulmans. C’était une manière de l’exclure,
puisque la prise en compte de toutes les opinions était impossible. Mâlik tenait pour la tradition
médinoise, c’est-à-dire l’unanimité des Compagnons et des deux générations suivantes. Les hanbalites
pensent que l’unanimité doit être celle des Compagnons du Prophète, ce qui restreint son utilité. Ibn
Taymîya n’admet que cette forme d’unanimité et ne considère même pas comme infaillible l’accord des
quatre rites sur une question : son but était surtout de sauvegarder la prééminence du texte. Les chiites ne
parlent que de l’unanimité de leurs imâm-s et de leurs savants, excluant les sunnites.
48La doctrine classique majoritaire opta pour une position différente de celles-ci. Elle réduisit l’ijmâ‘ au

consensus des savants sunnites ou pas d’une époque donnée. C’est sur l’ijmâ‘ que sont fondés de
nombreux points de doctrine : la nécessité du califat, l’interprétation voire l’abrogation du Coran par la
Sunna, la reconnaissance de l’analogie, des écoles de droit, etc. De même le consensus des savants du
4e/xe siècle pouvait garantir les traditions des grands recueils et en fin de compte la totalité du droit
musulman et de ses écoles. Les ẖadîth ‘âẖâd (isolés) s’en trouvaient renforcés. Le reste était ẕann,
conjecture, et ne pouvait devenir charî‘a (loi divine) que si un autre consensus se faisait jour. Le principe
était d’ailleurs aussi négatif puisque ce nouveau consensus était tout aussi difficile à réaliser et à prouver.
La chasse aux bida‘ (innovations) pouvait donc se poursuivre, renforçant le caractère immuable de la loi
islamique.
49L’ijmâ‘ peut être explicite (sarîẖ) ou implicite, c’est-à-dire tacite (sukûtî), si personne ne s’est opposé à
telle ou telle position. Mais nombre d’usulistes se sont portés contre l’ijmâ‘ sukûtî. Le contraire de
l’unanimité, c’est la divergence (ikhtilâf). Les usulistes doivent en rendre compte et l’expliquer. Une
tradition du 2e/viiie siècle affirme que “La divergence dans la communauté est un signe de la faveur
divine”. Il existe des traités de divergences (kitâb al ikhtilâfât) dès la fin du 2e/viiie s.
50Actuellement, sous l’influence réformiste, certains cherchent à placer l’unanimité au-dessus des
sources, la considérant comme capable d’abroger une disposition traditionnelle (le culte des saints) ou
capable d’abandonner une croyance traditionnelle (l’infaillibilité du Prophète). D’autres, à la suite d’Ibn
Taymîya, cherchent au contraire à minimiser l’ijmâ‘ pour mettre l’accent sur le texte clair.
51276 — L‘analogie. La légitimité de l’analogie (qiyâs) n’est pas confirmée par le Coran, mais par

l’unanimité. Elle consiste en l’application à un cas d’espèce (dit far‘, branche, dérivé), dont le hukm, la
solution, est inconnue, de la solution connue d’un autre cas (dit asl, origine). Il faut qu’il y ait une cause
commune (‘illa muchtaraka ; rukn, pilier, chez Bazdawî), une sorte de principe commun aux deux cas
justifiant ce transfert. La consommation de vin est interdite. On en déduit, du fait de la cause (présence
d’alcool, ivresse prévisible) que toute boisson alcoolique est interdite. Ou encore : le meurtre est dit
intentionnel, s’il a été commis par l’épée, et il est puni de mort. Il en sera de même du meurtre par arme à
feu (inconnue des sources), la cause étant l’usage d’un instrument fait pour donner la mort. La cause
(‘illa) ou la raison d’être (ẖikma) ? La cause citée par le texte 8 ou la cause réelle ? Une cause et une
autre analogue peuvent-elles donner lieu à analogie ? On imagine sans peine la multiplicité des
discussions et la multiplication des occasions de divergences.
52Les usulistes posent les conditions que doivent remplir le asl, le far‘, la ‘illa. Ils distinguent différentes

sortes d’analogies. Ils examinent les cas de contradiction entre les résultats d’une analogie et un texte, ou
entre des analogies différentes. Ils discutent de savoir si l’on peut faire une analogie sur une analogie. Sur
ce dernier problème, la majorité répond par la négative, car la première analogie étant appuyée sur un
texte, on doit ramener la seconde à ce texte. Les malékites, dont l’optique est plus large et qui font
intervenir les “buts de la charî‘a” (voir n° 277) sont d’un avis contraire. En matière de culte, comme la
cause réelle n’est jamais vraiment connue, on ne pratique pas l’analogie. En matière pénale Ach-Châfi‘î
est pour l’usage de l’analogie, les hanéfites contre, et la majorité n’en use que très modérément.
53Toutes les écoles actuelles admettent le qiyâs, mais de fortes oppositions se sont manifestées (les
zâhirites, les chiites imamites, al-Ghazzâlî). Les zahirites pensaient que toute situation où doit intervenir
un ẖukm a son texte ce que prouve le verset 5, 3 du Coran, donc que le qiyâs est inutile. Pour celles que le
texte n’a pas prévues, il faut s’abstenir de chercher à savoir, conformément au Coran encore (17, 39 et 6,
38). Mais la majorité souligne que le résultat de cette position conduit à des absurdités : l’urine humaine
serait impure parce qu’il y a un texte, celle du cochon ne le serait pas parce qu’il n’y en a pas. Le vin
serait interdit en raison du texte, les liqueurs seraient permises faute de texte, etc. Le qiyâs est donc une
nécessité, en dépit de sa difficulté et de son caractère incertain (ẕannî). Ibn Taymîya l’admet et en
renforce le caractère logique, mais l’analogie ne saurait contredire le Coran, la Sunna et l’ijmâ‘ des
Compagnons. Il voit en l’analogie le moyen de rationaliser la totalité de la loi autant que de lui permettre
d’évoluer (Laoust, Essai, p. 244).
54Les problèmes que pose l’analogie ont amené d’autres concepts méthodologiques qui ont pour fonction

principale d’en corriger l’application systématique.


55277 — La recherche du meilleur ou l’équité (istiẖsân). L’istiẖsân est un concept hanéfite et malékite. Il
consiste à diverger du résultat de l’analogie quand il est absurde, ou trop gênant. Par exemple la règle qui
veut que la femme soit toujours couverte tombe devant la règle de la nécessité de se soigner, donc on
l’autorisera à se découvrir chez le médecin.
56Mais sur quelle base écarter l’analogie ? N’est-ce-pas une manière d’introduire la raison, ou l’opinion
personnelle (ra’y) ? Abû Hanîfa usait largement de l’istiẖsân, même en dehors des cas où il s’agissait de
corriger une analogie, sans se justifier assez souvent. Mais ses disciples ne l’ont pas suivi, ils se sont
ralliés à la position d’Ach-Châfî‘î, pour qui le principe de l’itiẖsân n’a aucun fondement scripturaire.
Pour lui la seule manière de diverger est de s’appuyer sur un autre texte du Coran ou de la Sunna. Chez
les hanéfites et chaféites donc on repousse une analogie en faisant intervenir une autre analogie “plus
forte”, fondée sur un autre texte, et qui contredit la première. La référence souvent invoquée est le verset
2, 185 du Coran qui énonce que Dieu veut pour le croyant l’aise et non la gêne. La coutume vint aussi
chez les hanéfites à la rescousse (voir n° 283).
57Mais en fait, les positions de l’école hanéfite ayant été trouvées avant la constitution des usûl, les

juristes ont été embarrassés pour justifier certaines de leurs positions et ils ont parlé d’une analogie
cachée (khafî) (Chehata, L’équité, p. 125-128, à propos des hanéfites). Un bel exemple est celui du
prodigue interdit. Le droit lui interdit d’aliéner ses biens, donc devrait lui interdire, par analogie, de les
constituer en waqf (bien de mainmorte). Or les hanéfites ont conclu qu’il pouvait le faire s’il se
constituait en premier bénéficiaire. Aucune autre analogie ne peut être invoquée pour justifier cette
autorisation. Elle découle en réalité de considérations rationnelles : la règle interdisant l’aliénation des
biens du prodigue vise à protéger son patrimoine. Or en se constituant comme premier bénéficiaire du
waqf, le prodigue se met à l’abri de sa propre prodigalité, donc réalise pleinement l’objectif de la loi
tout en contredisant son application analogique. Chehata parle de “diktat de la conscience juridique”, de
“benignitas juris” ou encore “d’antithèse du summum jus summa injuria”. Mais il faut bien admettre
qu’il s’agit ici d’une correction de l’analogie qui fait intervenir la raison ou le droit naturel, ce qui est
compatible, d’une certaine manière, avec le maturidisme des hanéfites.
58Les malékites admettent l’istiẖsân, mais en restreignent l’emploi à la correction de l’analogie par des

considérations diverses qui peuvent être d’intérêt général (cf. n° suivant). Chez eux, c’est surtout la
liberté d’Abû Hanîfa qui était repoussée. Mais par ailleurs les malékites ont une vision moins étroite de
la fidélité aux sources. Des concepts divers, comme celui d’istislâẖ, ou de masâlih mursala, acquirent,
chez eux, un champ d’action indépendant de l’analogie.
59278 — La recherche de l’intérêt humain, les buts de la loi islamique et la siyâsa char‘îya. La loi

islamique tient compte de l’intérêt des gens ce que confirme le Coran (10, 57 ; 21, 107). On trouve ici
trois concepts voisins : l’istislâẖ, la recherche de l’intérêt humain (ou celui de la communauté ?) ; les
masâliẖ al-mursala, les intérêts traditionnellement reconnus ; les maqâsid ach-charî‘a, les buts de la loi
islamique ; la siyâsa char‘îya, politique conforme aux buts généraux de la charî‘a. Ces concepts ont été
abordés en différents endroits dans les traités, soit dans le chapitre de l’analogie chez les hanéfites et
chaféites, soit à part et en bonne place chez les malékites. Et abordés de différentes manières, mais en
reprenant toujours les mêmes idées initiées par al-Ghazzâlî.
60A la suite d’al-Juwaynî, son maître, al-Ghazzâlî énonça sa théorie à propos de l’istiẖsân : on ne peut

sortir de la contrainte analogique, dit-il, que si l’intérêt de la religion, de la vie, de la raison, de l’espèce
et de la propriété sont en jeu. Ces cinq motifs sont classés dans les darûrîyât, les nécessités, et
correspondent aux peines fixes (ẖudûd) qui sanctionnent l’apostasie, le meurtre et les blessures 9 , la
consommation de vin, la fornication et le vol. A côté des nécessités, al-Ghazzâlî distingue aussi les
besoins (iẖtâjât), et les embellissements (taẖsinât), ces trois concepts permettant de classer à peu près
toutes les dispositions de la loi islamique et d’en reconnaître les motifs fondamentaux (maqâsid ach-
charî‘a). Pour les hanéfites et chaféites, la reconnaissance des intérêts humains reste étroitement liée à la
découverte des analogies.
61On dit qu’un ẖadîth est mursal, relâché, quand il n’est pas rattachable au Prophète, mais quand il est
bien attesté par la suite, notamment chez les Suivants. Les masâliẖ mursala sont donc les intérêts qu’on ne
peut rattacher au Prophète par un texte, d’où la traduction par intérêts traditionnels que l’on rencontre
parfois. Les hanéfites et chaféites les rattachent à l’analogie. Pour eux, il n’est pas nécessaire de prévoir
une source supplémentaire aux quatre sources principales (cf. Coran 6, 38 encore).
62Les malékites soulignent qu’en cas d’impossibilité d’analogie, les intérêts traditionnels constituent une

source autonome. Le concept est assumé chez eux par celui de l’istislâẖ, qui est à proprement parler la
recherche de l’intérêt. Chez les malékites on peut donc produire une loi islamique à partir de la
considération de l’intérêt, mais sous des conditions strictes. C’est d’abord en l’absence de texte (formel
ou analogique) ; pour lever une gêne avérée ; en conformité avec la charî‘a et ses buts ; en conformité
avec la raison. Grâce à ce type de concept, aucune situation nouvelle ne pouvait prétendre à échapper à la
loi islamique.
63Le concept de buts de la charî‘a (maqâsid ach-charî‘a) a été développé par un autre auteur, le malékite

andalou ach-Châṯîbî, dans la deuxième partie de ses Muwâfaqât. L’origine n’en est pas proprement
malékite mais chaféite. Ach-Châtîbî tourne et retourne la théorie d’al-Ghazzâlî, les cinq nécessités, les
besoins, les embellissements (voir ar-Raysûlî) pour en extraire toutes les implications, incluant les
matières relatives à d’autres parties des usûl. De nombreux auteurs se réclament de lui à l’heure actuelle.
Mais soulignons que chez les malékites, ces sources n’interviennent qu’en cas de silence de la loi, on ne
saurait y avoir recours pour la modifier. Ce sont en fin de compte des analogies d’ordre général, dont la
capacité heuristique n’est pas épuisée.
64Un concept voisin a été initié par des hanbalites (surtout Ibn Qayyim) et repris par les malékites (Ibn

Farhûn) et les hanéfites (aṯ-Ṯarâbulsî), celui de siyâsa char‘îya. On l’a évoqué déjà aux n° 145-146 dans
le tome I. Ce concept doit se traduire “politique conforme aux buts généraux de la charî‘a” et non
“conforme à la charî‘a”. En effet, dans la théorie de la siyâsa char‘îya, la charî‘a (loi islamique) est
conçue comme incomplète. Il incombe alors au pouvoir politique de prendre toutes les mesures
cohérentes avec elle, mais qu’elle n’énonce pas, de façon à ce qu’elle puisse être appliquée. Il ne s’agit
pas seulement d’appliquer la charî‘a, mais de prendre toutes les mesures qui tendent à rendre cette
application possible : la siyâsa char‘îya déborde donc la charî‘a. Elle est juste tant qu’elle est en
cohérence avec la loi islamique, elle permet beaucoup de choses dans l’intérêt commun, et cela
“siyâsatan”, en vertu du devoir politique de préserver les conditions d’application de la loi islamique.
C’est à ce titre qu’on condamnera à mort les homosexuels, les sorciers, les récidivistes, tous ceux qui
“sèment la corruption sur la terre” et qui sapent les fondements de l’ordre islamique. Les hanéfites et
chaféites tendaient à réserver ces pouvoirs étendus aux politiques. Chez les malékites, du fait d’un large
emploi du concept de maslaẖa (intérêt commun), on a tendu à ne pas faire la distinction entre les pouvoirs
des deux juridictions. Les hanbalitcs (Ibn Qayyim) sont plus éclectiques et admettent que ce sont les
circonstances qui décident pour l’un ou l’autre système (Tyan, 1959, p. 106).
65Tous ces concepts (masâliẖ mursala, istiẖsân, siyâsa char‘îya, et même le gôut (dhawq), l’illumination

(kachf) ou l’amour (mahabba) des mystiques, sont réunis par Ibn Taymîya sous le nom de maslaẖa.
Combinée avec le concept du juste milieu (wasat), la tolérance compréhensive (‘afw), la nécessité
(ḏarûra), elle amène à une position ouverte à propos des innovations (bida‘) justifiées par les besoins des
gens. On comprend ainsi que la doctrine d’Ibn Taymîya ait pu être considérée par les modernes comme
une ouverture sur le monde moderne tout en garantissant par sa rigueur dogmatique le maintien d’un islam
authentique (Laoust, Essai, p. 248 et 541 sq.)
66Les concepts suivants sont traditionnellement traités à la suite des précédents. Ils sont parfois reconnus

comme source par les malékites et hanbalites, mais toujours ramenés à l’analogie ou à l’ijmâ‘ par les
hanéfites et chaféites.
67279 — La précaution. L’expression arabe, sadd adh-dharâ’i’, signifie littéralement mettre obstacle

(sadd) aux moyens ou aux prétextes (dharâ’i‘). C’est interdire quelque chose d’initialement indifférent ou
blâmable, parce qu’elle conduit trop sûrement à l’interdit, ou à des dommages divers. Ce concept est
considéré comme source autonome chez les malékites et hanbalitcs, il est classé comme type de ‘illa
(cause) dans l’analogie chez les hanéfites et chaféites. Son domaine d’application est très large. C’est à
ce titre qu’on interdit de creuser un puits qui conduirait immanquablement à un accident. De même on
interdit la nudité parce qu’elle conduit à la fornication. Ou bien on interdit le commerce le vendredi à
midi, car il conduit à manquer ou à faire manquer la prière collective obligatoire. Les cadeaux du
débiteur au créancier seront interdits car ils conduisent au prêt à intérêt, etc.
68Dans certains exemples, l’usage de ce concept amène à reconnaître le principe de réciprocité. Ainsi le

Coran (6, 108) interdit d’insulter les idoles, car le résultat serait de conduire les idolâtres à insulter
Allâh par vengeance. D’autres exemples donnent lieu à discussion : faut-il interdire la culture de la vigne
car elle conduit à la fabrication de vin ? La majorité a répondu non, car l’utilité l’emporte sur le risque.
C’est l’application du concept qui donne lieu à des divergences et l’appréciation (d’ordre sociologique)
de ce qui va résulter d’une permission, mais pas le principe du concept.
69280 — La présomption de continuité. La présomption de continuité (istisẖâb al-ẖâl) est un concept de

procédure qui se trouve ici adopté, car il a des applications utiles. On sait ce qu’il en est de la
présomption d’innocence : tant qu’une personne n’a pas été déclarée coupable par un jugement, la loi doit
la traiter comme innocente. Ici, tant qu’une chose existe, avec tel ou tel statut (interdit, obligatoire), elle
continue de l’être tant qu’on n’a pas prouvé que son statut devait changer. C’est pourquoi on parle aussi
de principe de continuité, ou mieux, de présomption de continuité. Ainsi une personne restera propriétaire
tant qu’on n’aura pas prouvé la vente ; elle sera considérée comme vivante tant qu’on n’aura pas prouvé
sa mort. Le vin sera interdit tant qu’il est vin ; s’il devient vinaigre, il ne sera plus interdit.
70Le principe cède donc le pas à toute autre preuve au tribunal et il en est de même dans l’établissement
de la loi. Son utilité, tant en procédure que pour l’établissement du détail des lois civiles et pénales est
évidente. Manquant de sources secondaires, les hanéfites et chaféites y eurent recours fréquemment,
moins les malékites et hanbalites. Mais lui non plus n’est pas d’application simple et donne lieu à des
divergences. Quelques exemples. Une femme répudiée doute de savoir si elle l’a été par une fois
(divorce simple) ou par trois fois (divorce définitif). Comme la règle le précise, le doute ne peut détruire
la certitude (du mariage antérieur), donc il n’y a pas divorce du tout (chaféites, hanéfites, hanbalites).
Mais les malékites répondent : on peut dire, à première vue, que le divorce simple est acquis et que le
doute ne porte que sur le divorce définitif. Or ce dernier ne peut être aboli par un doute (c’est une règle
du mariage), donc il est définitif. Le même type de raisonnement dans un autre exemple : un homme a
répudié avec certitude, mais il ne sait laquelle de ses deux femmes. Les trois rites concluent qu’aucune
n’est répudiée puisqu’il y a doute sur les identités. Mâlik conclut que les deux sont répudiées, puisqu’il y
a certitude de divorce. Ibn Hazm critique les malékites. Si un homicide est commis par une des deux
personnes sans qu’on sache laquelle, il faudra exécuter les deux. Mais à ce compte-là, si on sait que
l’assassin est Médinois, faut-il exécuter tous les habitants de Médine ? (Abû Zahra, p. 281).
71281 — Les législations provenant des religions divines antérieures. L’islam reconnaît dans sa
théologie l’authenticité des prophéties antérieures à celles de Muẖammad, d’où la question de savoir si
les législations antérieures peuvent être sources du fiqh ou si elles sont abrogées. Un certain nombre de
fuqahâ’, minoritaires, surtout chaféites, s’appuyant sur le verset 2, 143, affirment que toutes les
législations antérieures sont particulières, non valables en tout temps et en tout lieu. D’autres, rejettent
totalement les législations antérieures. Mais la majorité des fuqahâ’ a posé trois principes : les sources
pour connaître ces lois doivent être islamiques (donc il faut rejeter la Bible en entier et tout autre livre
non musulman) ; ce qui est déclaré abrogé est abrogé ; ce qui est approuvé s’impose aux musulmans. La
difficulté surgit quand les sources islamiques évoquent une loi sans l’approuver ni la désapprouver
comme en Coran 5, 45, sur le talion. Le principe de continuité est alors évoqué : tant qu’on n’a pas la
preuve contraire, la législation ancienne est valable. L’imitation des prophètes anciens est aussi
conseillée par le Coran (6, 90 ; 4, 125). Sur cette base, les hanéfites par exemple, admettent qu’on puisse
punir de mort le musulman meurtrier d’un non-musulman dont le sang est protégé. Ils s’appuient aussi sur
le verset 5, 45. En pratique donc, la législation se trouvant dans les sources islamiques, même si elle se
rapporte aux temps anciens, est admise.
72282 — Les influences exercées par les droits humains antérieurs. L’existence d’une influence du droit
romain sur le droit musulman a été soutenue par certains orientalistes. Les auteurs musulmans modernes
se refusent le plus souvent à la reconnaître. La question demeure controversée même chez les
orientalistes, faute de sources sur le premier siècle de l’hégire, et certainement aussi faute d’une méthode
précise pour démontrer sans conteste une influence ou un emprunt. Az-Zuẖaylî expédie la question en une
phrase : “Tout cela est une prétention nulle, car la source de la législation islamique est indépendante et
c’est seulement la volonté divine” (Usûl, t. 2, p. 927). C’est surtout confondre une question de fait (cela
s’est-il produit ou pas ?) avec une question de légitimité (doit-on admettre comme source un droit non
divin ?). Les arguments d’Abû Zahra sont plus solides, puisqu’il part des faits juridiques et montre
l’opposition du système romain et du système musulman (Usûl, p. 78-80).
73Le problème doit être à notre avis dédoublé. La question de principe n’est pas ici à discuter, elle est du

ressort des croyants en la mission de Muẖammad, à eux de décider si l’expérience humaine a droit de cité
dans le développement de la loi islamique ou pas.
74Pour la question de fait, il faut élargir le débat au “pensable” de l’époque (Arkoun). Il y a un fond
commun de pensée juridique, un bon sens acquis depuis les origines de l’histoire, et il est évident que le
fiqh s’est constitué en y puisant largement : une dette doit être payée, un dommage doit être réparé, la
preuve incombe au demandeur, etc. (Al-‘Ichmâwî, Usûl). On trouve tout cela dans toutes les législations
antérieures, étatiques ou coutumières ou religieuses, peu ou prou. On signalera par exemple, en ce qui
concerne les systèmes de relation entre la religion et l’État, qu’il existe un véritable droit commun entre
le droit judaïque, le droit romano-byzantin et le droit musulman (Bleuchot, L’alternative).
75Enfin n’oublions pas que toutes ces civilisations sont beaucoup plus proches qu’on ne le croit
généralement. Sans cela aucun emprunt ne passerait de l’une à l’autre. On ne reçoit que ce que l’on
comprend, que ce qu’on est capable de recevoir, que ce que l’on est sur le point de trouver. Il s’ensuit que
l’emprunt est le plus souvent marginal, tout au plus fait-il gagner un peu de temps. A mon sens, même dans
le cas de l’influence de l’Occident sur le monde islamique à l’époque contemporaine, la question n’est
pas aussi évidente qu’elle en a l’air (voir t. I, n° 258).
76283 — La coutume. La coutume (‘urf ou ‘âda) ne fut jamais placée en tant que source autonome au

même niveau que les quatre grandes sources. Mais elle intervient souvent en droit musulman, pour tous
les rites, en particulier les “coutumes linguistiques”, c’est-à-dire l’usage de la langue, qui sont
fondamentales pour interpréter les sources (Coran et Sunna). Les rites hanéfite et malékite font aux
diverses coutumes la plus grande place et ils l’admettent pour corriger l’analogie ou pour particulariser
une règle générale. Le verset 7, 179 du Coran l’autorise. Le hanéfite as-Sarakhsî ira jusqu’à dire que “ce
qui est établi par la coutume est comme ce qui est établi par un texte” (cité par Abû Zahra, p. 255). Un
exemple : pour purifier une mare polluée par une bête morte, l’analogie avec le nettoiement d’un récipient
et de son eau est impraticable. C’est alors la coutume qui est adoptée : on retire la bête, puis on enlève
une quantité d’eau correspondant à plusieurs fois son volume, enfin on rajoute de l’eau pure dans la même
quantité, et la marc est réputée purifiée.
77La coutume doit être bonne, ne pas contredire le dogme et le culte islamique, ni permettre la débauche
ou la corruption. Elle cède toujours devant un texte décisif (qaṯ‘î), mais pas toujours devant un texte de
valeur moindre (ẕannî), surtout si c’est une bonne coutume, générale en pays d’islam. D’ailleurs parmi les
connaissances exigées du mujtahid et du muftî, il y a la connaissance des coutumes de son temps, car son
devoir est d’éviter à ses contemporains une trop grande gêne.
78Les domaines géographiques ou dominèrent le hanéfisme et le malékisme étant fort vastes, la coutume

tient donc une grande place dans la pratique du droit musulman relevant de ces rites. Elle a même
débordé les règles de son emploi. En Afrique noire par exemple, la prescription coranique de couper la
main du voleur fut souvent ignorée et remplacée par la compensation. Les coutumes berbères (portant
notamment sur le mariage) restèrent vivantes en Afrique du Nord. Mais dans le domaine chaféite, la
coutume ne fut pas non plus ignorée, et “the adat law” d’Indonésie en est un bon exemple (voir tome 1).
§ 3 - L’homme croyant dans son rapport à la loi

79284 — Le croyant tenu à la loi. La capacité selon les âges de la vie. L’homme croyant est la personne

à qui s’impose le statut (ẖukm), le maẖkûm ‘alayhi, ou celui que Dieu charge de sa loi, le mukallaf. On a
traduit ce mot par responsable, mais il a l’inconvénient d’être de sens actif en français, car le mukallaf est
à proprement parler passif, c’est l’obligé, le chargé. L’imposition de la charge et la charge elle-même,
c’est le taklîf, la loi, l’obligation.
80La condition essentielle est d’être sain d’esprit et doué de raison, adulte, ou au moins mumayyiz (enfant

capable de discernement). Cette condition entraîne les usulistes à parler de la capacité (ahlîya). Les
hanéfites distinguent la capacité de jouissance (ahlîya l-wujûb) liée à l’humanité, et la capacité
d’exercice (ahlîya l-adâ’) liée à la capacité de discerner. C’est l’occasion de distinguer la capacité du
fœtus (janîn), celle de l’enfant sans raison (tifl ghayr mumayyiz), celle de l’enfant raisonnable (ṯifl
mumayyiz), celle du pubère (balîgh), celle du majeur chrématique (rachîd), celle du disparu (mafqûd),
celle du défunt (mayyit). Un certain degré de capacité et de responsabilité (dhimma) s’attache à chaque
âge.
81Le fœtus n’a que des droits, que gère un secrétaire (amîn), mais ils disparaissent s’il naît mort. De plus

le fœtus suit le sort de sa mère, il est esclave si elle est esclave.


82L’enfant vivant acquiert la capacité de jouissance et son père ou son wâlî gère ses biens à sa place. Il

peut hériter, acquérir, mais doit payer toutes les charges du capital comme les impôts, l’entretien des
parents (nafaqa). L’enfant est responsable civilement des dégâts qu’il commet. Il n’est pas responsable
pénalement. Il paye toutefois le dommage civil, la dîya par exemple en cas de meurtre ou de blessure,
mais il ne peut être puni du talion. Il ne doit pas la kaffara qui est liée au péché, car on ne commet pas de
péché à son âge. C’est pourquoi il n’est pas soumis aux obligations religieuses.
83Une fois considéré comme raisonnable, l’enfant acquiert une partie de la capacité d’exercice : il peut

contracter absolument quand cela lui est profitable (hériter, recevoir des dons...), sous réserve de
l’accord de son père ou wâlî en cas de doute. L’obligation contractée qui ne lui est pas profitable est
considérée comme nulle. On doit l’initier à ses obligations religieuses, mais il est toujours non
responsable pénalement.
84Quand sa puberté (bulûgh) est atteinte, il devient responsable pénalement. Toutes les prescriptions de la

loi islamique s’imposent à lui. Mais il n’a pas la libre disposition de ses biens tant qu’il n’a pas atteint sa
majorité chrématique (ruchd) (voir Coran, 4, 6). Donc de 15 à 25 ans environ le wâlî a le droit
d’empêcher le jeune homme de gaspiller ses biens. S’il se révèle prodigue (safîh), un jugement doit
intervenir pour que la tutelle puisse s’exercer au delà de cet âge. Il y a des divergences portant sur l’âge
de la puberté et de la majorité chrématique.
85285 — Les empêchements à la capacité. De même sont analysées par les usulistes les situations

diminuant la capacité ou l’annulant. Ils distinguent les incapacités venant du ciel et celles venant de
l’homme.
86Dans les premières on trouve les déficients mentaux. En général, à diverses divergences près, le dément

(majnûn, muṯbiq) est traité comme l’enfant sans raison, l’imbécile (ma’tuh) comme l’enfant mumayyiz. Le
prodigue (safih) est traité comme n’ayant pas la majorité chrématique. Les usulistes rattachent ici l’étude
du sommeil et de la perte de conscience, qui maintiennent la responsabilité civile. L’oubli, en particulier
des obligations religieuses donne lieu à des divergences, les uns relevant le croyant de sa responsabilité
en vertu d’un ẖadîth, et les autres refusant ledit hadîth.
87A la veille de sa mort, lors de sa dernière maladie, la capacité de l’homme se restreint aussi. Certains

de ses actes comme se marier ou aliéner ses biens peuvent être nuls ou soumis à diverses restrictions.
L’homme qui a disparu (mafqûd, perdu) ne perd pas ses droits tant qu’on a pas prouvé sa mort. Le mort
lui-même conserve des droits dans certains cas et l’exemple le plus net est celui du waqf (bien de
mainmorte) par lequel le défunt continue de faire prévaloir sa volonté.
88Les incapacités venant de l’homme (c’est-à-dire résultant d’un acte volontaire) comprennent tout
d’abord l’ivresse (sikr). Si elle est le résultat de circonstances licites (remède, ou contrainte), elle
entraîne l’irresponsabilité. Si elle est volontaire, les hanéfites pensent que le péché n’excuse pas le
péché, et que l’homme ivre reste responsable totalement, y compris de ses engagements. Les hanbalites,
la majorité des malékites et chaféites pensent au contraire que le doute empêche l’application des ẖudûd,
et que les contrats ont un consentement vicié qui les annule.
89L’ignorance (jahl) de la loi n’excuse pas en principe, mais les manquements aux lois objets de
controverses sont excusées en général.
90L’erreur (ghalaṯ, khaṯa’) matérielle ou d’intention est plus largement admise. Ces questions entraînent

des divergences.
91Pour la contrainte (ikrâh), les usulistes distinguent la contrainte urgente (mulji’) ou irrésistible, sous

menace de mort, qui excuse, des autres formes de contrainte qui n’excusent pas et des situations où il vaut
mieux parler de dispense (rukhsa) qui peut être permise ou pas. Aucune contrainte ne dispense de la
responsabilité de certains actes comme frapper ses parents, tuer quelqu’un dont le sang est préservé.
Dans d’autres cas (blasphème, apostasie), on peut y céder, mais la constance est récompensée. D’autres
situations comme celles de nécessité (ḏarûra) renversent la prescription divine : celui qui est sur le point
de mourir de soif doit boire le vin qu’il trouve. Ces distinctions sont utilisées par les auteurs
contemporains pour établir ce qu’on appelle les excuses absolutoires du droit pénal général.
92286 — Autres capacités réduites. Les usulistes n’envisagent généralement pas d’étudier à fond les

autres cas d’incapacité réduite, ceux de la femme, de l’esclave, du dhimmî, de l’apostat, de l’idolâtre,
etc. Mais tous les éléments pour bâtir une théorie complète se trouvent dans les furû‘ (branches du droit),
en particulier dans les chapitres du ẖajr (voir t. III). Donnons ici les grandes lignes de cette théorie, étant
entendu que nous complèterons cet aperçu chaque fois que ces capacités réduites joueront un rôle
important dans la suite de nos exposés.
93La femme (imra’a, pl. nisâ’) a moins de droits et de devoirs religieux que les hommes. En général elle

est comptée comme la moitié d’un homme dans le droit pénal et procédural. Sa position dans le mariage
est inférieure, elle ne peut répudier, elle est soumise à la correction du mari. Ce n’est qu’à propos du
droit patrimonial qu’elle est l’égale de l’homme.
94L’esclave (‘abd, pl. ‘abîd ; raqîq, collectif), quand il est musulman, est tenu aux devoirs religieux de

l’islam, au même titre que l’homme libre (ẖurr, pl. aẖrâr). On ne devient esclave que par naissance de
parents esclaves, ou du fait du jihâd, jamais pour dettes. L’esclave est soumis à son maître pour la plupart
des actes de sa vie. Avec son autorisation, il peut se marier, avoir des enfants, se constituer un pécule.
Mais surtout il est considéré comme un élément du patrimoine de son maître, ce qui a des conséquences
juridiques multiples que l’on évoquera dans les divers chapitres.
95Le mécréant (kufr, pl. kuffâr) en général est tenu par le discours divin (Cor. 74, 42-43). Son devoir est
d’abord de se convertir, mais on ne lui impose pas d’accomplir, à sa conversion, tous les actes qu’il
aurait dû accomplir pendant sa mécréance. Les mécréants sont classés en deux catégories principales, les
protégés et les autres.
96Les protégés sont les “gens du livre” : juifs, chrétiens ou zoroastriens, et souvent des polythéistes par

tolérance. Ils sont admis à vivre au milieu des musulmans qui en ont la responsabilité (dhimma),
conformément au pacte de protection (‘ahd ad-dhimma). Le protégé (dhimmî) doit se conformer à un statut
spécial. La question est traitée principalement dans le chapitre du jihâd. Mais le dhimmî est aussi
mentionné dans les autres chapitres dans la mesure où il entre en rapport avec le musulman. En dehors de
cela il jouit d’une complète autonomie, notamment en matière religieuse et pour son statut personnel.
97Enfin les autres, les non-musulmans qui ne sont pas protégés, ne sont évoqués que dans leurs rapports
avec les musulmans et principalement dans le livre du jihâd. Le musulman qui renie sa foi (l’apostat)
entre dans cette catégorie.
98Revenons au croyant musulman mukallaf. Sa situation doit être maintenant définie vis-à-vis de l’ijtihâd,

la recherche de la loi musulmane.


99287 — L’ijtihâd et le mujtahid. On définit l’ijtihâd comme l’effort (porté à son maximum) pour déduire

les aẖkâm ou pour étendre leur champ d’application. C’est donc simplement le travail de recherche de la
loi islamique. Celui qui pratique l’ijtihâd, le mujtahid, doit connaître la langue arabe, le Coran et la
Sunna dans leur ensemble mais particulièrement les parties juridiques et les circonstances de leur
révélation (asbâb an-nuzûl). Il doit avoir la connaissance de l’abrogé et de l’abrogeant, de l’unanimité et
des divergences, de l’analogie et des intentions de la charî‘a. Il doit enfin avoir des qualités personnelles
d’intelligence et une intention droite.
100Les traités distinguent ensuite plusieurs générations (tabaqât) de mujtahid-s qui s’étagent jusqu’au bas

de l’échelle, où l’on trouve la génération des muqallid-s, ceux qui suivent l’opinion des prédécesseurs. Il
faut d’ailleurs prendre le terme de génération au sens large, surtout pour les dernières qui durent plusieurs
siècles, ce sont plutôt des catégories. Dans son idée même, cette classification révèle la tendance des
juristes musulmans, à vouloir projeter une conception théorique sur l’histoire. La classification de Ibn
‘Âbidîn distingue sept catégories, mais Abu Zahra les ramène aux six suivantes :
1011/ le mujtahid absolu, indépendant, fondateur d’école comme l’est Abu Hanîfa.

1022/ le mujtahid relatif, qui est relié à un imâm en matière d’usûl, comme le sont Ach-Chaybânî et Abû

Yûsuf qui sont disciples d’Abû Hanîfa (Abû Zahra les met dans la catégorie précédente).
1033/ le mujtahid dans l’école comme le sont les compilateurs qui dépendent de leurs prédécesseurs en
matière d’usûl aussi bien que de furû‘, mais qui ont complété la doctrine de l’école.
1044/ le mujtahid qui choisit les meilleures opinions dans les divergences du rite. C’est celui qui écrit les

traités de fiqh.
105Les deux catégories suivantes sont consacrées au muqallid, l’imitateur, le conformiste, mais plus
exactement l’adhérent d’un rite.
1065/ le muqallid “qui retient”, capable de distinguer les opinions les plus fortes des plus faibles et qui

écrit des résumés des traités.


1076/ le muqallid incapable de discerner les opinions fortes des faibles, mais capable de comprendre un
livre.
108Cette classification et d’autres semblables ont donné lieu à de multiples discussions. La question la

plus importante a été de savoir si les mujtahid-s de la première catégorie existaient encore et s’ils ont le
droit d’exister. La majorité des hanéfites, les chaféites et les malékites répondent non à la première
question et oui à la seconde. Les hanbalites répondent oui aux deux questions. Pour eux, personne n’a le
droit de fermer la “porte de l’ijtihâd”. La permanence de l’ijtihâd est obligatoire. Les chiites sont du
même avis, mais Abû Zahra rappelle que leur usûl leur fait obligation de suivre les imâm-s de leur rite,
ce qui entraîne que le mujtahid chez eux ne correspond ni à la première ni à la deuxième catégorie (voir n
° 107, 127, 145, 163).
109288 — Le muftî. Le muftî correspond au prudens romain, celui qui donne des avis, des consultations

juridiques (fatwâ, pl. fatâwâ). Il dit le droit et doit donc le connaître, usûl (fondements) et furû’
(branches), comme le mujtahid. Celui qui le consulte est le mustaftî ou le muqallid dont la règle est
d’adopter l’opinion d’autrui (et non ses actes). Le muftì doit en outre connaître le cas d’espèce soumis à
sa sagacité, y compris la situation du muqallid, sa psychologie, son milieu et les conséquences
éventuelles des solutions qu’il choisira.
110Les auteurs en général lui recommandent d’éviter les extrêmes, laxisme ou rigorisme. Il ne doit pas

faire plaisir aux maîtres de l’heure, ni à son client, mais il ne doit pas non plus dégoûter les gens de
l’islam. Il peut choisir de donner sa consultation conformément à son rite ou, s’il en a la compétence,
conformément à la majorité des rites. Il doit adapter sa fatwâ en utilisant avec mesure les opinions rares.
Abû Zahra donne deux exemples de bonnes fatwâ pour le même cas. Un homme veut se marier avec une
sœur de lait, le mufti le lui interdira (l’opinion majoritaire interdit le mariage avec la sœur de lait). Un
homme marié, ayant des enfants découvre que son épouse est sa sœur de lait. Il s’inquiète : est-il un
fornicateur ? Doit-il abandonner sa femme ? Le muftì le rassurera en lui montrant les opinions
minoritaires, et il maintiendra la famille.
111Enfin le muftì doit suivre ses propres fatâwâ, car il doit montrer l’exemple.

112289 — Le conformisme. La légitimité du conformisme (taqlîd) n’est admise dans le sunnisme que pour

l’ignorant (‘âmî, illettré), incapable d’ijtihâd, en vertu du Coran (16, 43). Les zahirites, les mutazilites,
les chiites imamites l’interdisent absolument, même pour l’incapable. Celui-ci ne doit pas suivre un
homme, mais le Prophète (cf. Coran 7, 3) ; en pratique il doit exiger qu’on lui fournisse les preuves
scripturaires, donc vérifier les fatâwâ.
113Pour le mujtahid, la légitimité du taqlîd donne lieu à discussion aussi chez les sunnites. La majorité

l’interdit absolument, la qualité de mujtahid étant indivisible, il ne peut être mujtahid pour certaines
questions et muqallid dans d’autres. D’autres auteurs (surtout malékites et hanbalites) admettent la
divisibilité. Le Coran (16, 43) sépare celui qui sait de celui qui ne sait pas, sans préciser l’étendue du
savoir et de l’ignorance, les Compagnons se sont mutuellement consulté, et il n’est pas raisonnable
d’exiger du mujtahid qu’il sache tout.
114Les preuves en faveur du taqlîd sont faibles pour az-Zuẖaylî, qui recommande au mujtahid d’aller aux

meilleures preuves scripturaires sans trop se soucier de suivre un rite (Usûl, t. 2, p. 1135).
115290 — Le conformiste. La position du conformiste (muqallid) n’est pas dénuée de responsabilités. Le
muqallid doit vérifier la compétence et l’honorabilité de celui qu’il suit (son imâm). Il doit le choisir
parmi ceux reconnus par l’ensemble de la communauté. Mais il n’est pas obligé de choisir toujours le
meilleur muftî.
116Le muqallid est-il tenu de suivre un rite ? Il y a trois opinions. La première, minoritaire l’y oblige

absolument. La seconde, majoritaire le laisse libre absolument. Une troisième opinion (al- ’Âmadî, Ibn
al-Humâm) lui permet de changer d’école totalement ou partiellement pour certaines affaires. Mais dans
ce cas, l’affaire doit être conduite jusqu’à la fin selon le rite choisi à son commencement. Le muqallid n’a
pas le droit de mélanger, de pratiquer le talfîq (mélange). Ainsi il peut faire chacune de ses prières
suivant un rite différent. Mais pas de mélanger au cours de la même prière les rites différents. Dans le
premier cas, il se trouverait toujours un imam pour reconnaître comme valable la prière de son rite. Dans
le second cas, aucun imam n’y retrouverait la sienne.
117La seconde opinion pourtant a prévalu. Elle met en relief que suivre un rite n’est pas une obligation,

rien ne le prouve dans le Coran ou la Sunna. De plus l’islam veut l’aise, pas la gêne. L’avantage de cette
position c’est qu’elle autorise le talfîq, le mélange, sous certaines conditions visant à empêcher le
laxisme. Elle légitimise les législations modernes et réformistes qui font appel à cette technique.
SECTION 2 - QUELQUES PROBLÈMES POSÉS PAR LA
THÉORIE DES USUL AL-FIQH
118On jette ici quelques idées en évoquant plusieurs débats pour élargir les perspectives dans une matière
très riche et mal connue. Nous avons retenu plusieurs thèmes, un certain nombre plutôt philosophiques (§
1), d’autres juridiques (§ 2), d’autres plus d’actualité, donnant quelques pistes sur les usûl des
réformistes et modernistes (§ 3).
§ 1 - Problèmes philosophiques

119291 — Nature et sens des usûl al-fiqh. On est d’abord frappé par les hésitations des orientalistes

quand ils veulent traduire l’expression usûl al-fiqh. Jusqu’ici nous avons traduit servilement le mot asl,
pl. usûl par “racines”, ce qui est le sens fondamental du mot, ou “fondements”, qui est aussi un sens
dérivé courant du mot asl. Chaumont traduit l’expression par “fondements de la compréhension de la
Loi”, mettant l’accent sur le deuxième terme, fiqh, que nous traduisons par droit musulman. On a traduit
aussi l’expression en question par “méthodologie” (Charnay, Ostorog, Turki) ou par “épistémologic”
(Chchata), “principiologie” (Charnay), etc. Est-ce le signe que les usûl al-fiqh correspondent à quelque
chose qui n’est pas familier aux conceptions européennes ? Pas vraiment. Les usûl sont tout cela à la fois,
chacune de ces traductions ne mettant en vedette qu’une partie de la matière.
120S. Laghmani apporte un éclairage intéressant sur le sens de ce faisceau de recherches. Pour lui c’est la
science qui “établit les normes de validité de la casuistique juridico-religieuse”... (c’est) la “chaîne
méthodologique qui lie le fiqh et assure sa stricte conformité au dogme de la toute puissance divine et de
l’hégémonie de sa volonté” (Laghmani, Éléments, p. 194). La création d’ach-Châfi‘î ne vise pas à mettre
de l’ordre dans le droit, mais à “produire une théorie qui fasse le contrepoids du ‘ilm al-kalâm”, c’est-à-
dire de la théologie rationnelle mutazilite (Laghmani, ibid., p. 195 et les références qu’il donne
notamment à Arkoun). Ach-Châfi‘î démontre à coups d’arguments coraniques (*4, 44-47 par exemple)
que Dieu est le seul législateur, donc que tout droit humain ne peut être qu’hérétique et que la raison est
nécessairement réduite à un rôle subalterne dans le droit musulman. Éclairons cette conception sous-
jacente à la science des usûl par quelques détails tirés d’al-Ach‘arî et quelques comparaisons avec le
christianisme et le mutazilisme.
121292 — Acharisme et mutazilisme. Al-Ach‘arî n’a peut être fait que mettre en forme philosophique la
conception impliquée par la création des usûl al-fiqh par ach-Châfi‘î. Sa philosophie n’a d’ailleurs pas
été admise sans mal par les traditionnistes tant était grande leur aversion pour le kalâm.
122On a vu que, selon cette conception, la loi islamique est le seul critère qui permette de distinguer le

bien et le mal, Dieu aurait pu faire que le mal soit le bien et que le bien soit le mal. Sa volonté est au-
dessus de tout, elle est absolument libre, elle n’est soumise à aucune contrainte issue de sa nature.
L’homme ne peut comprendre cette volonté, il ne peut que l’enregistrer quand Il la lui révèle. Le fiqh,
science de la volonté divine, est avant tout une exégèse et l’ossature de la seule théologie possible, la
théologie exégétique. La loi ne peut être tirée que de la Révélation prophétique, le reste étant le mal ou du
moins l’inconnu.
123Donc la loi ne doit pas être jugée par l’intelligence. Dieu sait (Allâh ya‘lam), pas l’homme (cf. Coran,

2, 242). La pensée acharite était aussi déterministe : elle a pour origine le courant jabarite qui affirme, à
l’inverse des qadarites, que l’homme n’a pas le pouvoir (qadar) de décider ses propres actes, tout étant
déterminé par Dieu. La contradiction entre cette idée et celle de la responsabilité (morale ou pénale),
nécessaire au juriste, fut résolue chez les acharites par la théorie du kasb (acquisition) : l’homme que
Dieu détermine à faire le bien ou le mal peut “acquérir” cet acte ou pas, c’est-à-dire peut consentir ou pas
à ce qu’il fait et c’est ce consentement (ou ce refus) qui fera l’objet de la justice divine.
10
124A l’inverse pour les chrétiens et les mutazilites, c’est la nature même de Dieu qui fonde le bien et le
mal. Sa nature bonne lui interdit de faire un acte mauvais, il ne peut faire que le bien et des choses
bonnes, sa liberté est limitée par sa nature. Il y a donc deux Révélations : la première est opérée par la
création qui exprime cette nature bonne de Dieu et fonde alors le concept de nature bonne et de raison
naturelle bonne ; la seconde s’exprime par la prophétie (les deux alliances bibliques pour les chrétiens,
le Coran pour les mutazilites). De là, chez les chrétiens, les multiples dialectiques possibles entre le droit
naturel, le droit de l’ancienne alliance et de la nouvelle, le droit positif, le droit canonique, la morale, les
droits de l’homme, etc. qui se développent à partir du xiiie siècle. La pensée mutazilitc avait pour origine
celle des qadarites pour lesquels l’homme avait un pouvoir (qadar, pouvoir donné par Dieu) lui
permettant de choisir entre le bien et le mal, ce qui fondait la responsabilité et de là la justice divine.
125Mais en Islam les théologiens mutazilites extrémistes (Ibn ar-Râvendî, ob. 903), en arrivèrent à dire
“ou bien la prophétie est d’accord avec la raison ou elle ne l’est pas. Dans le premier cas elle est
superflue, dans le second cas elle est à rejeter” (Corbin, p. 71), ce qui pourrait expliquer l’horreur des
sunnites devant la pensée qadarite. Nous ne pensons pas comme S. Laghmani, que le rejet de l’acharisme
soit dû uniquement à des hasards politiques. Une raison plus logique conduisait aussi à l’affrontement : en
islam, il fallut choisir entre la Raison humaine ou la Parole de Dieu, l’un des deux termes devant
finalement éliminer l’autre. Chacun des deux termes était très fort, incompatible avec l’autre. Le
christianisme a évité que cet affrontement n’aboutisse à l’élimination quasi totale d’un des deux termes,
car dans sa conception les deux termes sont diminués, amoindris : la raison est conçue comme atteinte par
le péché originel, et la Bible n’est pas la Parole de Dieu stricto sensu, mais une tradition, selon Moïse,
selon Isaïe, selon Matthieu, Paul, etc. D’où le besoin, dans la raison même, d’une Lumière extérieure, et
le besoin, pour la Bible, d’une interprétation et d’un commentaire.
126L’acharisme triompha donc en terre islamique. Cela explique le refus de fonder la loi par des moyens

rationnels. Al-Bajî s’exprime ainsi : “le permis et l’interdit n’ont pas leur source dans la raison (‘aql).
Tout au contraire, ils sont l’œuvre de la loi religieuse et c’est le Créateur, qu’il soit exalté, qui autorise
ce qu’il veut ou qui interdit ce qu’il veut. C’est ainsi que dit la majorité de nos Compagnons” (cité par
Pesle, p. 17). Le maturidisme (adopté par la plupart des hanéfites) offre une voie moyenne : pour lui
l’homme peut savoir quelque chose du bien et du mal avant la révélation, mais celle-ci lui est nécessaire,
car il ne peut deviner les actes de culte nécessaires et que sa raison est faillible : la solution fut pour lui
de diminuer la raison.
127293 — Conséquences de l’acharisme. On présente ici comme conséquence logique de l’acharisme des

faits ou des conceptions qui, bien évidemment, étaient admis antérieurement. L’acharisme les justifie a
posteriori.
128De la position acharite s’ensuit que les ruses (ẖiyâl) sont parfaitement légitimes et ne doivent pas faire

intervenir un quelconque jugement moral ou rationnel. Dieu seul sait ce qui est absurde ou barbare ou
hypocrite, pas l’homme. Les ẖiyâl sont donc des moyens légitimes de tourner la loi que Dieu a mis à la
disposition de la créature car il ne veut pas l’accabler.
129De plus, la théorie du kasb (acquisition) entraîne que la charî‘a ne puisse connaître que du forum
externum, comme le droit canonique catholique. Le forum internum, l’intention réelle, le secret de
l’acquisition, est une affaire qui sera réglée entre l’homme et Dieu au jugement dernier.
130Autre conséquence, la loi divine, bien qu’elle distingue entre ‘ibadât (règles cultuelles, concernant les

rapports avec Dieu) et mu‘amalât (règles concernant les hommes) est toujours une loi religieuse. Dans les
traités on trouve toujours des règles religieuses et profanes mélangées (par exemple, dans le chapitre de
la vente, l’interdiction de vendre de l’alcool, ou dans le chapitre pénal, l’obligation pénitentielle de
l’expiation, etc.).
131A l’heure actuelle, sous l’influence réformiste, on tend à introduire de plus en plus de justifications

rationnelles de la Loi, et à tenter de la modifier par la raison.


§ 2 - Théories et concepts généraux

132294 — Théories générales. Le droit musulman étant en principe déduit du Coran et de la Sunna, la

règle de droit doit descendre des textes vers les cas et non remonter au-dessus des textes, pour créer une
théorie générale. Le droit musulman ne se déduit pas des principes de justice, égalité, équilibre, droit de
la défense, etc. Avec la raison on ne peut fabriquer de la charî‘a, on ne fabrique que des qawânîn, pl. de
qânûn, des lois séculières. Cela en principe, mais, dans le détail, des théories et des concepts communs
n’en existent pas moins.
133Si on appelle théorie générale une théorie juridique qui s’applique à toute la matière juridique, il en
existe au moins deux dans les traités d’usûl. La première est celle qui traite des “notes” ou
“qualifications” (aẖkâm, sg. ẖukm) des actes juridiques dont nous avons déjà donné le détail. La seconde
est celle relative à la capacité, tant du point de vue des âges de la vie (enfant à naître, pubère, majeur,
malade de la dernière maladie, défunt), du sexe (homme, femme, hermaphrodite), que du point de vue des
religions (musulman, dhimmî, polythéiste, etc.). Il serait même possible de reclasser toute la matière du
droit musulman en fonction de ces catégories de personnes. Fattal l’a fait par exemple pour le dhimmî. De
nombreux ouvrages l’ont fait pour la femme. Charfi signale qu’il existe un véritable “code musulman de
l’esclavage”...
134Mais, si l’on veut bien considérer tout système de concepts comme formant une théorie générale, il en

existe d’autres dans le figh. Schacht (Introduction, p. 101 sq.) considère la théorie de l’intention (niyya),
selon laquelle un acte religieux n’est pas valable s’il n’est pas fait avec l’intention de le faire, comme une
théorie générale. On la trouve dans le culte, mais aussi dans les autres parties du droit, même si, à propos
du mariage, de la répudiation et de l’affranchissement, les auteurs hanéfites disent que ces actes sont
valables en dépit de l’absence d’intention (en état d’ivresse, par plaisanterie, par pari, par ignorance de
l’arabe... etc.). La justification donnée par les hanéfites est que ces actes comportent un droit de Dieu
(ẖaqq Allâh) conformément à un ẖadîth rapporté par Abû Dawûd mais qui ne se trouve pas dans Bukhârî
ni dans Muslim. Ces mêmes actes restent valables s’ils ont été faits sous la contrainte, ou par erreur.
135Autre exemple, celui de l’acte juridique. Linant de Bellefonds a construit une “théorie générale de

l’acte juridique”, qu’il place en ouverture de son traité de droit musulman. Il rattache les théories de
l’intention, de la capacité, des obligations et contrats, etc. en une vaste synthèse. On a là un travail de
refonte du droit musulman, plus ambitieux encore que celui de Sanhûrî sur les obligations 11 .
136295 — Tendances et théories partielles. Peut-on compter aussi ce qu’on peut appeler des tendances

comme des théories générales ? Ainsi, on dit que le droit musulman est objectiviste. Par exemple en ce
qui concerne le meurtre, on ne considère qu’il y a préméditation, donc assassinat, que si le meurtrier a
utilisé une arme, et non pas s’il a utilisé une pierre ou un pot, etc. On ne cherche pas à prouver son
intention de tuer par ses déclarations antérieures, son comportement, ou autre moyen subjectif, la preuve
de l’intention doit être un objet incontestable comme une arme. Mais on peut trouver des exemples
inverses : ainsi dans le droit de la propriété, la prescription acquisitive des hanéfites et malékites est
plutôt fondée sur l’analyse de l’intention d’abandon du propriétaire que sur le fait objectif de la
possession par son adversaire possesseur.
137Il est facile aussi de constater que des principes (des théories partielles) existent dans le droit
musulman, mais qu’ils n’ont pas été dégagés en tant que tels, par exemple le principe de la responsabilité
(ḏamân) en cas de dommages civils. Il est très net encore que le droit des contrats est soumis au principe
égalitairc interdisant l’usure (voir plus loin).
138Ces concepts commencent à être dégages par divers auteurs modernes (sur lesquels nous reviendrons à

propos du droit pénal général ou des obligations). Mais deux auteurs anciens ont abordé la question. Il
s’agit du chaféite as-Suyûtî dans son livre Al-achbâh wa-n-naẕâ’ir, écrit au 10e/xvie siècle. Il a été imité
par le hanéfite Ibn Nujaym, dont l’ouvrage porte le même titre. Ces ouvrages entreprennent d’exposer la
matière du droit musulman en s’évadant complètement du plan classique et en regroupant les dispositions
diverses du fiqh par leurs ressemblances. Au 10e/xvie s. des fuqahâ’ avaient donc ouvert une piste
nouvelle vers une systématisation différente du droit. Ils ne furent pas suivis. Mais la Majalla a largement
repris la matière d’Ibn Nujaym, dans la partie générale 12 .
§ 3 - Les usûl et la réforme du droit musulman

139296 — Droit imaginaire et recherche. Linant de Bellefonds a dénoncé, dans son Traité de droit

musulman comparé, ce qu’il a appelé un droit musulman imaginaire. Il affirme que, dans un but
d’apologétique musulmane, de nombreux travaux veulent donner du droit musulman, à travers l’étude des
théories générales, une image moderne, mais au prix d’une certaine trahison de ce qu’a été le droit
musulman. Par exemple l’ignorance de la distinction entre l’acte makrûh et l’acte ẖarâm, le premier, non
nul, ayant des conséquences juridiques à l’inverse du second, entraîne un auteur (Mahmoud Fathy, en
1910) à écrire que le mariage avec une femme pour sa situation sociale est illicite, que la répudiation
irrégulière est illicite, etc. L’auteur voulait surtout prouver que le fiqh a précédé l’Occident dans la
création d’une théorie de l’abus de droit, ou donner une image favorable de l’islam. Il s’agirait là d’un
droit musulman imaginaire (Bellefonds, I, 81).
140Il est encore vrai qu’à l’heure actuelle, pratiquement tout ce qui s’écrit par des non-fuqahâ’ ou des non-

juristes, laisse perplexe, du moins quand il ne s’agit pas d’une falsification pure et simple. Ce qui ne veut
pas dire qu’on défend le taqlîd, ce n’est pas notre rôle. Mais on ne peut faire dire au taqlîd des choses qui
manifestement le contredisent et relèvent d’une création. C’est l’exactitude historique qu’il faut défendre.
141Quant au rapport avec la “vraie doctrine” du droit musulman, il faut rester prudent. L’orthodoxie en
islam s’établit avec le temps. Les opinions qui sont totalement hétérodoxes peuvent rallier la majorité et
devenir orthodoxes par la suite. Le plus souvent elles tombent dans l’oubli. Mais il y a aussi des opinions
orthodoxes qui tombent dans l’oubli. Actuellement le droit semble flotter, mais il a toujours existé une
grande part de flottement dans les sciences islamiques. A côté de tentatives hétérodoxes qui ne sont
fondées sur aucune théorie des usûl, qui mélangent tout et n’importe quoi - ce qui laisse la porte ouverte à
toutes sortes d’idéologies lénifiantes (socialisme) ou revanchardes (“djihadisme”) - il existe des
tentatives nouvelles qui méritent qu’on s’y arrête, à la fois du fait de leur cohérence (réformistes et
modernistes), que de leurs solutions, parfois heureuses, des contradictions entre les doctrines classiques
d’une part et l’histoire ou les droits de l’homme d’autre part. Ici, nous tenterons de donner un aperçu des
usûl qui semblent les guider, quoique aucun traité d’usûl se réclamant spécialement de ces doctrines ne
soit connu de nous.
142297 — Les usûl réformistes. Muẖammad ‘Abduh ne s’est pas beaucoup préoccupé d’usûl. Dans son

commentaire du verset 4, 59, il aborde quelque peu la question par le biais du pouvoir législatif des
autorités politiques. Pour lui, aucune autorité terrestre n’a de compétence sur le culte. Pour le reste, les
pouvoirs doivent s’en tenir au Coran, à la Sunna sûre, à l’unanimité et à l’intérêt commun, mais il ne
développe pas son idée.
143Muẖammad ‘Abduh admettait la théorie de l’abrogeant et de l’abrogé, tout en pensant que les cas

d’abrogation véritables étaient rares. Il se refusait à dire que le verset 83, 22 ait été abrogé par les
versets sur le jihâd, et, partant du principe que le jihâd ne conduit pas à des conversions forcées, il en
déduisait qu’il ne saurait y avoir abrogation. Par ailleurs, n’admettant pas qu’un ẖadîth aẖad (unique)
puisse abroger un verset coranique, il soutenait que, en vertu du verset 2, 180, le croyant musulman
pouvait toujours faire un testament attribuant une partie de ses biens à un non-musulman (Jomier, p. 191-
198 ; Hourani, p. 130 sq.).
144Rachîd Riḏâ s’intéressa plus au sujet. Comme son maître, il était d’accord pour dire que les
prescriptions cultuelles étaient intangibles. En revanche, dans les autres matières, il distinguait. Dans un
premier cas, quand il existe un texte clair du Coran ou de la Sunna sûre, ou une unanimité des premières
générations de l’islam, les prescriptions de la loi divine ne peuvent pas être changées. Dans un second
cas, si l’interprétation du texte donne lieu à divergences, ou si sa transmission n’est pas sûre, la question
reste ouverte. Ainsi en est-il de l’interdiction du vin et de sa punition dont on ne sait pas la mesure
exacte.
145Pour lui, les solutions provenant des imâm-s fondateurs de rites ne sauraient brider la liberté des
“détenteurs de l’autorité” (ûlû l-amr), qu’il concevait de manière large, docteurs de la loi, élites
politiques, militaires, économiques, culturelles. Il se montrait par ailleurs favorable au respect des
coutumes tout en refusant la création de nouvelles lois islamiques. À propos de l’ijmâʻ, Rachîd Riḏâ se
montrait plus libéral que son maître : il ne pensait pas qu’un ijmâʻ quelconque, non appuyé sur un texte
clair, puisse avoir une valeur éternelle (Hourani, p. 222 sq. ; Jomier, p. 200-207)
146L’apport des deux maîtres consiste surtout en un changement d’attitude. Leur refus du taqlîd
(soumission aux rites classiques), leur volonté de purifier l’islam des apports superstitieux et
traditionnels comme le culte des saints, la valorisation de l’ijtihâd, leur dénonciation du conservatisme
(jumûd), surtout leur conviction que l’islam pouvait être le fondement d’une société moderne nouvelle,
allait marquer profondément les esprits. En admettant la reprise de l’ijtihâd, la pratique du talfîq
(mélange des rites), en ayant recours à la raison, la supériorité de certains principes moraux sur des
injonctions particulières de la tradition, le recours à la notion classique de nécessité (ḏarûra), à l’intérêt
de la communauté (maslaẖa), aux buts de la loi islamique (maqâsid ach-charîʻa), le réformisme ouvrait la
voie aux législations modernes qui allaient triturer le donné traditionnel pour en tirer le meilleur comme
le pire. La méthode du talfîq devenait la panacée pour mettre à jour le droit des États sans heurter l’islam.
Mais comme le firent ressortir les modernistes, la méthode a ses limites.
147298 — Les usûl modernistes. Les modernistes critiquent d’abord la voie réformiste fondée sur le

talfîq. Ce dernier est une démarche où l’on part en réalité d’une idée moderne, que l’on va conforter dans
un second temps par une recherche dans les traités de fiqh. Selon que le chercheur est conservateur ou
libéral, il trouvera dans la tradition ce qu’il voudra trouver, soit la polygamie, soit la monogamie (Charfi,
p. 137 sq.). Surtout les résultats ne sont pas convaincants, et ils restent, si l’on peut dire, instables,
pouvant toujours être critiqués par d’autres interprétations.
148Découverte terrible en vérité, puisqu’elle signifie que des préconceptions idéologiques précèdent
toujours la foi islamique, qu’elle qu’en soit la version. Mais elle n’est que la transposition de l’apport de
la philosophie critique occidentale de Kant à Wittgenstein : les préconceptions héritées du milieu, de
l’époque, du langage, etc. sont toujours antérieures à n’importe quelle prise de position religieuse ou
philosophique. La clarification méthodique de ces préconceptions est une démarche prioritaire et
nécessaire à tout raisonnement humain : il faut d’abord poser une méthodologie avant d’entreprendre une
quelconque recherche.
149Aussi les modernistes proposent une méthode, la méthode herméneutique (Charfi, p. 144 sq.) qu’a

développé Tahar Haddâd dans son livre Notre femme dans la charî‘a et dans la société, en arabe, paru à
Tunis en 1929 (et qui a donné lieu à de vives polémiques). On pourrait l’appeler aussi la théorie
vectorielle, comme le fait Mohammed Talbi.
150Ce dernier, dans son livre Plaidoyer pour un islam moderne, en français, soutient que le Prophète

Muẖammad a commencé une révolution mais qu’il l’a arrêté au niveau que l’Arabie de l’époque pouvait
accepter. Néanmoins sa révolution doit être continuée dans le sens (vecteur) qu’il indique. Ainsi, la
femme qui ne recevait rien en héritage dans le droit préislamique, reçut une demi-part dans le droit
musulman de l’époque prophétique. Il faut donc continuer cette révolution dans le sens indiqué par le
Prophète, c’est-à-dire jusqu’à l’égalité des sexes. Et de même pour les autres matières. Il s’ensuit que le
fiqh abbasside n’est pas valable pour tout temps et tout lieu, que toute réforme est possible si elle va dans
un sens moral, que la liberté d’interprétation doit être totale, etc.
151Un autre exemple (Charfi, p. 96 sq.), en droit pénal : le Prophète a voulu éliminer les guerres tribales

issues assez souvent du vol. En l’absence d’État, de prisons, il ne pouvait que songer à des châtiments
corporels pour punir le vol. Le voleur eut donc la main coupée. Cette punition atroce, satisfaisait les
volés, sauvait la vie du voleur et des hommes qui seraient tombes dans la guerre tribale. Elle constituait
donc un adoucissement par rapport à la peine de mort. C’est en ce sens étymologique qu’il faut
comprendre ce qu’est le ẖadd, la peine fixée par Dieu, que les modernistes interprètent alors comme la
limite maximum qu’il ne faut pas dépasser dans la peine. Mais le sens de la révolution prophétique est
clair, le Prophète veut adoucir la peine de vol et de nos jours il faut continuer cette révolution dans le
sens clairement indiqué.
152Un troisième exemple, celui de l’esclavage, a emporté la conviction de tous, même des islamistes. Il

est clair que le Prophète a encouragé sans cesse l’affranchissement des esclaves. Il est clair que ces
encouragements ne sont que des étapes vers l’abolition de l’esclavage. Il est clair que l’esclavage ne
saurait être rétabli. Alors dit M. Charfi “Pourquoi abandonner l’esclavage et s’accrocher à la polygamie
et aux châtiments corporels au nom de leur caractère prétendument sacré ? Aucune explication religieuse,
aucune explication cohérente ne peut justifier une telle distinction” (p. 67). La logique des modernistes
est implacable : ou restaurer le “code de l’esclavage”, ou réformer l’ensemble du droit en tenant compte
des droits de l’homme.
153Il en résulte une remise en cause totale des usûl traditionnels par l’apport des sciences humaines 13 .
L’interprétation sociologique de la mission prophétique lui donne alors une valeur morale éternelle, mais
relativise les solutions juridiques concrètes de l’époque prophétique et a fortiori celles de l’époque
abbasside, qui sont fondées sur une exégèse littéraire et juridique de la tradition, sur une “épistémé” du
moyen âge. Certes les musulmans n’ont pas à rougir du monument que constitue le droit musulman,
sommet de l’esprit humain à son époque, mais il faut le dépasser. L’islam, moral, éternel, se distingue de
la charîʻa, ou du fiqh (qui sont identifiés par M. Charfi) qui ne sont plus valables que pour leur époque.
“L’islam n’est donc ni un droit, ni un État, ni une politique, ni une identité. Il est une religion.” (p. 58). La
théorie de l’abrogé et de l’abrogeant disparaît (p. 141). La raison retrouve tous ses droits, tant par la
recherche historique sur l’histoire de l’Arabie, que par son exégèse scientifique et sa réflexion sur le sens
moral du Coran. L’autonomie du droit est alors fondée sur les recherches de l’homme et sur son effort
vers un droit sans cesse plus moral et plus juste.
154Nous reviendrons sur les positions réformistes et modernistes à la fin de chacun des chapitres de la
partie systématique.

Notes
3 Vocalisation de Schacht, mais le Munjid vocalise al-Khidrî.
4 Ces références renvoient à l’annexe 1, du tome 1, où l’on trouvera la traduction des principaux versets juridiques du Coran. Quand notre
renvoi est précédé d’un astérisque (*), c’est que le verset ne figure pas dans cette annexe, le lecteur devra alors se reporter à son exemplaire
du Coran.

5 Nous aborderons cette question de nouveau dans la section 2, mais de manière plus large.
6 “Umar dit : “Prenez garde de périr sans connaître le verset de la lapidation. On va dire qu’on ne trouve
pas deux peines fixes dans le Livre de Dieu. Or le Prophète a lapidé et nous avons lapidé. Par Celui qui
détient ma vie ! Si je n’avais pas craint qu’on dise ‘Umar a rajouté au Livre’, j’y aurais écrit : ‘Le
vieillard et la vieille femme, lapidez-les une fois pour toutes’. Oui, nous avons récité ce verset !” Mâlik
B. Anas : Al Muwatta’, chapitre des ẖudûd, section zina.
7Qui dicit de uno, negat de altero, ou Inclusio unius, exclusio alterius. Qui dit de l’un, nie de l’autre.
L’inclusion de l’un est l’exlusion de l’autre.
8 Le Coran justifie souvent les aẖkâm qu’il pose : par exemple *4, 160 ; *33, 37 ; 59, 7... Dans le cas de l’interdiction du vin, le Coran évoque
Satan qui, au moyen du vin et des jeux de hasard, cherche à diviser les croyants et à les inciter à se détourner de la religion (*5, 91). Mais si la
‘illa est l’ivresse, ce serait ici la ẖikma.
9 Pour les chaféites, le talion est considéré comme ẖadd, le vol et le brigandage forment le même ẖadd.

10 Pas tous pourtant, la tradition scotiste se refuse au droit naturel… I1 est probable qu’il y a eu une
influence islamique, notamment avec Ibn Ruchd (Averroès), dans l’acceptation par l’Eglise de la voie
rationnaliste. Cf. Badie, De Libera.
11 Pour notre part on a renoncé à un tel reclassement de la matière. On a suivi d’assez près les auteurs arabes. La capacité par exemple se
trouve traitée dans les usûl et à propos de chaque question (califat, pénal, personnes, obligations...). Un index des mots arabes (tome III)
permettra au lecteur de s’y retrouver.

12 Ainsi on n’emprunte (la codification) que parce qu’on est capable de l’apprécier, voire, sur le point
de la trouver.
13 Notons qu’Ibn Khaldûn avait ouvert la voie (n° 399).
Tome II. Fondements, culte, droit public et mixte
Les branches du droit musulman
Introduction. Les sources formelles du droit
musulman

1299 — Sources classiques du droit musulman. En matière de religion et en particulier de droit


musulman il faut se garder de laisser son imagination ou ses convictions aller ça et là : il faut s’entendre
sur ce qui fait autorité en droit musulman. C’est dire que les convictions personnelles des étudiants par
exemple, pour respectables qu’elles soient 14 , même s’ils sont musulmans, ne constituent pas une preuve
de ce qu’affirme le droit musulman. Où se trouve le droit musulman ? Résumons ici ce qu’en dit Linant de
Bellefonds, p. 18-49 (voir aussi Milliot-Blanc chap. 1-3 et Schacht chap. 16). Le lecteur qui a pris
connaissance de la partie précédente sur les usûl al-fiqh suivra sans peine ce développement.
2Le droit musulman ne se trouve pas dans le Coran. Le Coran n’est pas le “code” de la loi islamique
comme on l’affirme parfois, mais seulement une des sources du droit musulman. La lecture du Coran
induit en erreur. Par exemple on pourrait croire que le mariage à terme est valable (4, 26), que la femme
répudiée a droit à une indemnité sous forme de mutʻa (2, *236 et 241), que les conventions doivent être
prouvées par écrit (2, 282), que l’adultère est puni de cent coups de fouet (24, 2), etc. Or en droit
musulman sunnite le mariage temporaire est nul, la femme répudiée n’a pas nécessairement droit à une
indemnité, la preuve par écrit n’est pas nécessaire, l’adultère est lapidé dans certains cas... Cela tient à la
théorie de l’abrogeant (nâsikh) et de l’abrogé (mansûkh), où d’ailleurs la Sunna a le pouvoir d’abroger le
Coran selon certains rites, et à bien d’autres considérations techniques que l’on a vues dans le chapitre
précédent.
3Le droit musulman ne se trouve pas dans la Sunna, car elle n’est, elle aussi, qu’une des sources du droit
musulman. Les différentes écoles ont puisé chacune dans une partie de la Sunna. Il y a aussi des ẖadîth
abrogés et abrogeants ; des ẖadîth à valeur juridique et d’autres à valeur simplement morale. S’ajoutent
les complications et les sélections opérées par l’isnâd, et toutes les opérations logiques et appréciatives
que l’on a vues dans les usûl al-fiqh. Aussi l’ouvrage très répandu de Sayid Sâbiq : Fiqh es-Sunna, qui
réunit les versets du Coran et les différents ẖadîth de al-Bukhârî sur chaque question, est un ouvrage qui
n’entre pas à proprement parler dans la catégorie des ouvrages de fiqh.
4Le droit musulman ne se trouve pas non plus dans la jurisprudence, même si la jurisprudence des

premiers temps de l’islam a contribué à former le droit musulman. Si on a retenu la pratique (ʻamal)
comme fondement des jugements des cadis, cette reconnaissance est restée marginale (cf. le jugement de
Schacht sur le ʻamal dans Classicisme et déclin culturel, p. 150). Les recueils de ẖiyâl ne font que
conforter et respecter la loi dans sa lettre, ce n’est pas une source modifiant la loi ou la faisant évoluer
comme la jurisprudence au sens occidental. Les recueils de fatâwâ ne sont que des exposés doctrinaux
qui ne se réfèrent jamais à des décisions judiciaires, sauf à celles du Prophète, comme tout le fiqh. Quant
à la coutume, même si elle a contribué à une époque à la constitution du fiqh, elle est en dehors du droit
musulman.
5Où se trouve donc le droit musulman ? La réponse, celle des ʻulamâ’ est simple et unique : dans la
doctrine, et qui plus est, non pas dans les ouvrages des maîtres fondateurs (Abû Hanîfa, Mâlik, Ach-
Châfi‘î, Ibn Hanbal), mais dans des traites, résumés et commentaires de moyenne et basse époque qui sont
pratiquement les seuls consultés. Pourquoi ? Parce que les volumineux traités des maîtres fondateurs, le
plus souvent compilés par leurs disciples, laissent maints problèmes en suspens, ou contiennent des
contradictions ou des hésitations, ou ne peuvent être utilisés aisément, ou tout cela à la fois. Des
générations (ṯabaqât) de juristes se sont efforcés de clarifier ces ensembles, de les développer, d’en
réduire les contradictions en faisant prévaloir telle ou telle doctrine, puis de les résumer et de les mettre
à la portée des débutants. Le mukhtasar, le résumé devint ensuite un texte de base (matn) qui est appris
par cœur, mais que le commentaire (charẖ) vient expliquer et développer, lui-même pouvant faire l’objet
de nouveaux commentaires ou de gloses (ẖawâchi‘). Le Mukhtasar de Khalîl, par exemple, a fait l’objet
de trois commentaires, donnant ainsi ce qu’on appelle ach-Charẖ al-kabîr, le grand commentaire, base du
droit malékite tardif.
6Il y eut incontestablement un effort permanent, un perfectionnement de l’expression de la doctrine de

chaque école. A la manière ancienne, on n’hésitait pas à copier littéralement un prédécesseur sans le
citer, alors qu’on citait celui qu’on n’utilisait pas pour le critiquer : le but était de parvenir à dire le plus
parfaitement possible un droit éternel. Aussi, très logiquement, on enseigne le droit musulman à
l’université d’al-Azhar sur la base de ces traités tardifs, car ils constituent la forme la plus parfaite de la
science islamique du fiqh. Nous attirons l’attention sur ces ouvrages par une remarque dans la
bibliographie arabe.
7300 — Les ouvrages modernes. Mais il existe aussi des traités modernes, certains ne manquant pas de

valeur, comme les traités d’Abû Zahra, d’autres se signalant par leur esprit extrémiste ou hétérodoxe. Ces
traités ne font pas autorité et ne sont pas enseignés à al-Azhar, mais ils sont très lus parce qu’ils sont
rédigés dans une langue moderne et qu’ils s’efforcent souvent de répondre à des préoccupations actuelles.
On a pu constater qu’ils étaient plutôt utilisés par les juristes formés à l’école occidentale, par les
orientalistes, par les gens cultivés, etc. Toute cette production attend ses analystes. C’est là que l’on
trouve le droit musulman vivant, en pleine évolution, en pleine polémique.
8L’utilisation de ces travaux doit se faire avec prudence. La plupart de ces auteurs manquent d’esprit
historique et ne manquent pas d’esprit apologétique. Leur méthode est révélatrice. Ils adoptent le plus
souvent un plan inspiré du droit français et remplissent les différentes cases en puisant dans les traités
anciens. Quand les titres et les sous-titres nouveaux coïncident à peu près avec les subdivisions
anciennes, on a affaire à une mise en ordre bienvenue. Mais quand les matières ne coïncident pas, on peut
avoir des surprises. Par exemple, aucun traité de droit musulman jusqu’au xixe siècle ne contient une
partie qui pourrait correspondre à notre droit pénal général. Les auteurs s’en sortent alors en copiant le
droit français et en l’émaillant de citations tirées du Coran ou de la Sunna. Certes, ce faisant, ils tentent
une synthèse, mais ils ont tendance à croire et à faire croire que de tout temps, en islam, les fuqahâ’ ont
tenu cette doctrine. Par exemple ils évoquent les versets 17, 15 ou *4, 165 du Coran (qui portent sur les
différentes missions prophétiques) pour affirmer que le droit musulman a toujours connu le principe de la
légalité et de la non-rétroactivité de la loi pénale. Ou encore ils évoquent le verset 49, 13 qui exprime la
vieille idée de l’égalité des hommes devant Dieu, pour affirmer que le droit musulman a toujours connu le
principe de l’égalité devant la loi. Parfois certains auteurs vont jusqu’à dire que les juristes occidentaux
n’ont fait que prendre les théories modernes dans les textes islamiques 15 . On trouve d’ailleurs ce genre
d’affirmation dans tous les domaines scientifiques.
9Ces travaux ne sont pas inutiles car ils prouvent nettement que la plupart des théories juridiques
modernes sont compatibles avec l’islam. Pour le reste, on peut dire que le droit musulman aurait pu
hiérarchiser et rationaliser le donné juridique en le ramenant à un petit nombre de principes. Les fuqahâ’
raisonnaient fort bien et les idées générales ne leur manquaient pas. Mais ils n’ont pas voulu faire un
droit déductif ou rationaliste par scrupule religieux, par esprit acharite. Les multiples résumés du droit
musulman qui ont été écrits au moyen âge montrent bien que l’ossature du droit musulman n’est pas
constituée par des principes généraux, parce que le droit musulman ne voulait pas que son ossature soit
telle.
10Un grand nombre de concepts modernes sont utilisés dans les traités de droit musulman contemporains

et sont absents des traités classiques : par exemple le concept général de crime, ou celui d’obligation.
Même s’il est tout à fait vrai que les fuqahâ’ ont eu souvent une intuition des problèmes modernes ou ont
utilisé des concepts voisins, ils n’ont pas utilisé ceux-là. On s’en convaincra en confrontant un texte d’un
auteur contemporain (Abû Zahra par exemple) à des dictionnaires de fiqh classique comme celui de Abû
Jayb. Il ne faut donc pas projeter la doctrine actuelle au moyen âge et éviter des carambolages de
concepts, d’idéologies et de dates, sources de toutes les confusions ou d’apologétiques à la hache.
11Ainsi, le droit musulman s’enrichit et se reconstitue totalement au contact du droit occidental. La plupart

des auteurs écrivent sans se placer dans la tradition d’un rite particulier, et tous tentent plus ou moins de
faire du droit comparé ou un droit sunnite synthétique. La nomenclature des questions abordées est
modifiée, si on la compare au questionnement classique. Des problèmes disparaissent ou sont minimisés.
Par exemple, en droit pénal, ce qui concerne les tarifs de la compensation pour blessure est réduit à sa
plus simple expression. Ou de même, dans le droit du jihâd, les différents cas relatifs aux situations nées
d’une conversion, ou d’un mariage, ou d’un décès d’un ennemi prisonnier. Les règles de l’esclavage, des
affranchissements, etc. disparaissent. A l’inverse de nouvelles questions apparaissent. En droit pénal, ce
qui concerne le droit pénal général, comme on l’a dit. Dans le droit du jihâd, des analyses nouvelles
portent sur le but du jihâd, sur le rôle de la femme, sur le comportement du prophète Muẖammad. S’agit-il
seulement d’innovations formelles, comme l’affirme Abû Zahra (L’infraction et la peine en droit
musulman, t 2, préface) ? La question reste bien sûr ouverte.
12301 — Sources principales utilisées. Pour exposer le droit classique, j’avais l’embarras du choix

parmi les traités destinés aux débutants. Les fuqahâ’ en effet ont pris le plus grand soin de donner à la
doctrine musulmane tous les manuels et tous les traités correspondant à tous les besoins, ceux du juge ou
du muftî, comme ceux de l’étudiant, avancé ou pas. J’ai consulté en priorité les ouvrages d’enseignement
les plus célèbres : pour le hanéfisme le Mukhtasar d’al-Qudûrî, pour le malékisme la Risâla d’Ibn Abû
Zayd al-Qayrawânî et le Mukhtasar de Khalîl, pour le chaféisme le Mukhtasar d’Abû Chuja‘ et le
Tanbîh de ach-Chirâzî, enfin pour le hanbalisme la ‘Umda d’Ibn Qudâma. J’ai eu recours en outre aux
commentaires et aux autres grands classiques, la Multaqa al-abẖûr d’al-Halabî, la Bidâya d’Ibn Ruchd
(Averroès), le Charẖ al-kabîr d’ad-Dasûqî, les Aẖkâm sulṯanîya d’Al-Mâwardî, la Siyâsa char‘iya
d’Ibn Taymîya, etc., mais les résumés m’ont servi de guide, s’agissant de distinguer l’essentiel de
l’accessoire. Ce qui m’a en outre déterminé c’est que ces ouvrages étaient traduits (sauf une partie d’al-
Qudûrî) - ce qui m’a évité probablement bien des erreurs - et que les étudiants non arabisants pourront se
faire une idée précise du ton et de la méthode des fuqahâ’ en se reportant auxdites traductions. J’ai suivi
aussi avec attention les travaux des juristes et des orientalistes, en particulier Bousquet, Brunschvig,
Schacht, Milliot-Blanc, Berque, Charnay, et l’Encyclopédie de l’islam, bien sûr.
13Pour la compréhension moderne du droit classique, j’ai puisé dans divers ouvrages scolaires (cours de

faculté) ou dans les plus fréquemment rencontrés et cités (Abû Zahra, al-Khuḏarî, al-Djazirî...) ou encore
dans des travaux récents (az-Zuẖaylî). Je ne cacherai pas que, en matière moderne, le hasard des
librairies arabes a été plutôt déterminant. Une part non négligeable de ma perception du droit musulman
est due aux travaux des modernes, traduits (Alî ‘Abd ar-Râziq, Rachîd Riḏâ, Nasr Abû Zayd, Jabrî...) ou
écrits directement en français (as-Sanhûrî, Arkoun, Ben Achour, Charfi, etc.). Il y a aussi mes rencontres,
formelles ou informelles, avec les musulmans, cultivés ou non, en France ou dans le monde arabe... Elles
m’ont décidé à accorder une grande place au Coran, car j’ai cru déceler que l’évolution future du droit
musulman sera centrée sur lui. Je remercie particulièrement mes étudiants dont les questions (ou
contestations) ont enrichi ma réflexion. En écrivant ce livre, j’ai eu surtout le désir de leur rendre service,
et à eux d’abord.
14Dans le détail de la matière je me suis efforcé, dans la mesure du possible de distinguer deux temps

dans mes exposés. Le premier est consacrée à la description de la doctrine du droit musulman. Le second
temps propose plus librement diverses perspectives d’ordre sociologique ou historique et s’efforce
d’introduire aux débats contemporains. Formellement il correspond à la dernière section de chaque
chapitre. Cette séparation n’est pas rigoureuse, puisque l’histoire et la sociologie apparaissent parfois
dans le premier temps, mais surtout dans un but pédagogique.

Notes
14 La diversité d’opinions, en particulier celle des jeunes musulmans, procède d’un islam qu’ils sont en train de faire pour demain, souvent au
milieu des pires difficultés. Il ne faut pas oublier la part créatrice de leur vécu. Ils forment l’opinion publique musulmane de l’avenir, celle qui
acceptera ou rejettera les versions du droit musulman qui ont été faites ou qui sont en train de se faire. Pour notre part, on ne peut évidemment
pas leur dire ce que sera ce droit de demain : on est condamné à ne leur présenter que le droit du passé (proche ou lointain), droit qu’ils
devront connaître quelque peu tout de même.
15 Sur la question des influences, voir la conclusion de notre tome 1. Nous reviendrons à la fin de chaque chapitre sur les conceptions des
auteurs modernes.
Chapitre VI. Le culte

1302 — Nécessité de traiter du culte. Les ‘ibâdât (prescriptions cultuelles) occupent en général le

premier quart des traités de fiqh. On y traite de la pureté rituelle, de la prière, du jeûne du mois de
Ramadan, de l’impôt dit zakât (aumône de purification), du pèlerinage à la Mecque, des sacrifices, des
enterrements et de prescriptions diverses, surérogatoires ou alimentaires ou vestimentaires. Parfois
certains groupes de prescriptions mineures sont rejetés plus loin dans les traités. C’est que les traités sont
faits par ordre d’urgence et d’importance. La prière est le plus urgent et le plus important des devoirs du
croyant. Mais il ne peut la faire sans avoir fait ses ablutions, donc les ablutions viennent avant la prière.
Mais il faut savoir avec quelle eau les faire. Donc le chapitre sur les eaux vient en tête des traités. Pour
certains auteurs, comme Abû Zayd al-Qayrâwânî, il y a une question encore plus urgente que celle des
eaux, celle de la profession de foi, et il commence son traité par un bref exposé de la théologie
musulmane. Dans le détail, cet ordre d’urgence n’est pas rigoureux et varie suivant les rites et les auteurs.
2Pourquoi traiter du culte ? Est-ce bien du droit ? Nous pensons qu’évoquer le culte musulman, même

sommairement comme il se doit dans un précis, c’est rester fidèle à la nature du droit musulman et c’est
une bonne introduction à son esprit. On a déjà vu, à propos des usûl al-fiqh, que les prescriptions
cultuelles ont fourni maints exemples dans l’exposé de la doctrine. Le faqîh étudie les règles de la prière
au même titre que celles du contrat, car Dieu veut qu’on fasse la prière et qu’on respecte les contrats. Il
n’ignore pas que la première a rapport à Dieu et les seconds aux hommes, et il sait distinguer les ‘ibadât,
les prescriptions cultuelles, des mu‘âmalât, les prescriptions sur les rapports entre les hommes, mais
cette distinction ne lui paraît que d’une utilité restreinte, que ce soit à propos des règles de l’exégèse des
textes, ou à propos de l’exposé des devoirs. Ce n’est surtout pas pour lui une summa divisio qui change la
nature de son travail quand il change de domaine.
3Devions-nous, d’un point de vue scientifique, faire cette distinction et ignorer le culte ? Il nous a paru

que ce serait concevoir le droit de manière bien étroite, bien positiviste. Le droit est, selon nous, un
produit social par lequel une société cherche à résoudre ses conflits et à s’imposer des devoirs. Il n’est
pas seulement le produit de l’État, mais de tout groupe social qui cherche sa stabilité. La perspective
positiviste a été dépassée et les théories du pluralisme juridique ont reconnu l’importance de tous ces
droits non étatiques. Ainsi les sociétés sans État créent du droit, au même titre que les groupements de la
“société civile”, soumis à l’État, et en particulier les groupements religieux. Qui d’ailleurs peut affirmer
que le droit canonique chrétien n’est pas du droit, ou qu’il n’est que le droit d’un mini-État, le Vatican ? Il
fallait donc faire sa place au culte si l’on voulait donner une idée exacte du contenu du droit musulman.
4Le risque dans ce chapitre était, dans le but louable de faire comprendre, de christianiser en traduisant.
On a vu traduire la “fatiẖa”(première sourate du Coran) par “l’oraison dominicale” (chez Mouradgea
d’Ohsson), ce qui est tout de même une double trahison. De plus, en France, ni la sociologie ni l’histoire
des religions ne fait l’objet d’un enseignement secondaire valable, en sorte que plus d’une fois le
professeur a eu droit à des questions d’une naïveté consternante. Il convenait donc d’ajouter à une
première partie présentant le droit cultuel musulman, une seconde partie où seraient présentés quelques
rapides éléments de comparaison avec le culte judaïque et chrétien dans une perspective sociologique.
Dans la bibliographie on a aussi donné quelques références fondamentales sur les trois religions
monothéistes, sur la sociologie et sur l’histoire des religions.
SECTION I - LE CULTE MUSULMAN
5Parce qu’ils sont souvent mis en vedette par la tradition, on étudiera tout d’abord les cinq piliers de

l’islam et les pratiques qui s’y rattachent (§ 1), puis le reste de la matière auquel on rattachera des
éléments cultuels que la coutume a fini par ajouter au culte normal (§ 2).
§ 1 - Les cinq piliers de l’islam

6On appelle les cinq piliers de l’islam (arkân al-islâm) les pratiques fondamentales que doit accomplir le

musulman. Elles sont traditionnellement au nombre de cinq : la profession de foi (A), la prière canonique
(C), le jeûne du mois de ramaḏân (D), l’aumône légale (E), le pèlerinage à la Mecque (F). Comme le
musulman ne doit accomplir sa prière qu’en état de pureté, il faut intercaler l’étude de la pureté et des
ablutions avant la prière (B).

A - La profession de foi

7303— La profession de foi proprement dite. La profession de foi (chahâda) ne donne pas lieu
habituellement à des développements dans les traités. C’est un acte simple qui consiste à dire “Je
témoigne qu’il n’y a de dieu que Dieu et que Muẖammad est le Prophète de Dieu”. Cette formule est
employée constamment, dans l’appel à la prière canonique, dans les prières individuelles, dans les
pratiques mystiques autant que dans la vie quotidienne. Prononcer sincèrement cette formule devant deux
témoins musulmans consigne la conversion à l’islam. Le péché par excellence, celui qui consiste à donner
des associés à Dieu, et qui ne sera pas pardonné, est conjuré par la chahâda. Aussi l’entend-on prononcer
en particulier en cas de danger, quand une femme accouche ou quand une personne va mourir...
8304— Son contenu. Le petit traité d’Abû Zayd al-Qayrawânî, ar-Risâla (la Lettre) détaille quelque peu
en introduction le contenu de la foi musulmane. Le texte étant court, nous le citons en entier dans la
traduction de Bercher. Le lecteur qui a pris connaissance du chapitre des usûl al-fiqh ou du califat saisira
sans peine l’importance que le juriste doit accorder quand même à la théologie. Voici donc ce texte, très
traditionnel et très acharite dans son expression de la foi musulmane :
“Parmi les devoirs est la croyance, que le cœur doit contenir et la bouche proclamer, selon laquelle on confesse qu’Allâh est une
divinité unique, qu’il n’y en a point d’autre, qu’il n’a point de pareil, point d’égal, point de fils ni de père, point de compagne et point
d’associé ; qu’il n’a point de commencement ni de fin ; que l’essence de ses attributs échappe à la description des hommes ; que
les esprits humains ne peuvent l’embrasser. Ceux qui réfléchissent tirent un enseignement de ses signes (ayât) ; ils ne peuvent
approfondir son essence, ni embrasser une partie de sa science que dans la mesure où il le permet. Son trône (kursî) s’étend sur
les Cieux et sur la terre et il n’a point de peine à les conserver, étant le sublime et l’immense, le savant et l’informé de toutes
choses, l’ordonnateur et le Tout puissant, l’entendant et le voyant, l’élevé et le grand.
“(Il faut croire) qu’il est sur son Trône (‘arch), glorieux par son essence même ; qu’il est en tous lieux avec sa science ; qu’il a
créé l’homme ; qu’il sait à quelles tentations est exposée l’âme humaine puisqu’il est infiniment près de sa créature, qu’aucune
feuille ne tombe sans qu’il le connaisse ; qu’il n’est point de graine dans le sein ténébreux de la terre, point de végétal, ni de minéral
qui ne soit inscrit dans un Livre manifeste ; qu’il siège sur le Trône (‘arch) ; que sa puissance s’étend à tout son royaume ; qu’à
Lui appartiennent les noms les plus beaux (al-asmâ’ al-ẖusnâ) et les sublimes attributs (as-sifât al-ulâ) ; qu’il n’a jamais cessé
d’être avec tous ses attributs et tous ses noms ; qu’il est trop haut pour que ses attributs aient été créés et ses noms inventés ; qu’il
a parlé à Moïse avec son Verbe qui est un attribut de son essence et non un objet de la création ; qu’il s’est manifesté au mont
(Sinaï), qui, frappé par sa Majesté, a été nivelé au sol ; que le Coran est la parole d’Allâh, non point créé et donc périssable, ni
attribut d’une chose créée et par suite voué à la disparition.
“Il faut croire à la prédestination (al-qadar) du mal comme du bien ; de ce qui est douceur, comme de ce qui est amertume. Tout
cela résulte d’un arrêt d’Allâh, notre Seigneur (rabbunâ). C’est lui qui partage souverainement toutes choses et elles n’arrivent que
comme il l’a décidé. Il a connaissance de toute chose avant qu’elle ne soit et elle n’est que dans la mesure où il la conçoit. Ses
serviteurs ne prononcent point de paroles et ne font point d’actes qu’il n’ait décidé et dont il n’ait eu antérieurement connaissance.
Ne connaît-il point ceux qu’il a créés, lui qui est toute finesse et toute science ? Dans sa justice, il égare qui il veut et l’abandonne.
Par sa grâce, il dirige qui il veut dans la bonne voie et il l’assiste. Ainsi chacun est amené à ce que la science et la prédestination
divine lui ont réservé de bonheur et de malheur. Allâh est trop haut pour qu’il y ait quelque chose dans son royaume qui ne résulte
point de sa volonté ou quelqu’un qui puisse se passer de lui, ou un Créateur d’une chose quelle qu’elle soit, hormis Lui, le Seigneur
des Créatures, le Maître de leurs actes, celui qui détermine leurs mouvements et le terme de leur vie et qui leur a envoyé les
Prophètes afin que ceux-ci engagent par leur témoignage, la responsabilité des hommes (devant Dieu).
“Il faut croire qu’il a clos la série des Prophètes et mis un terme à leur mission d’avertisseur, avec Muẖammad, son Prophète,
(qu’Allâh répande sur lui ses bénédictions et lui accorde le salut), et qu’il a fait de lui le dernier des Envoyés pour annoncer la
bonne nouvelle, pour avertir, pour appeler à la religion d’Allâh, conformément à son ordre, et tel qu’un lumineux flambeau.
“Il faut croire qu’Allâh a révélé à son Prophète son Livre plein de sagesse ; que par lui, il a expliqué sa religion bien établie, a dirigé
les hommes dans la voie droite ; que l’heure (de la résurrection générale) arrivera inéluctablement ; qu’Allâh ressuscitera les morts
et qu’ils reviendront tels qu’il les avait créés ; qu’Allâh dont la gloire soit proclamée, a décidé de multiplier pour ses serviteurs les
croyants, le mérite de leurs bonnes actions (ẖasanât), d’être indulgent pour leurs fautes graves (kabâ’ir) s’ils s’en repentent, de
pardonner entièrement leurs péchés véniels (saghâ’ir) s’ils s’abstiennent des péchés capitaux ; que ceux qui ne se repentent point
des fautes les plus graves sont abandonnés à sa discrétion, car Allâh ne pardonne pas qu’on lui donne des associés, mais il
pardonne à qui il veut les manquements moins graves ; que ceux (des Croyants) qu’il aura puni de son Feu, il les en fera sortir en
raison de leur foi (imân) et les fera entrer dans son paradis (janna) en raison de cette même foi, car il est écrit dans le Livre saint :
“Quiconque fait un atome de bien en verra (la récompense)” ; que, sur l’intercession du Prophète (que Dieu répande sur lui ses
bénédictions et lui accorde son salut) sortiront de l’enfer ceux d’entre sa nation (umma) qui auront commis des péchés capitaux ;
que Dieu (dont la gloire soit proclamée), a créé le paradis et l’a réservé comme éternelle demeure pour ses fidèles et leur a fait la
grâce d’y contempler son auguste face. C’est de ce paradis qu’il précipita sur la Terre Adam, son Prophète et son lieutenant
(khalîfa), en vertu d’un arrêt de sa prédestination éternelle ; qu’il a créé l’enfer, l’a réservé comme éternelle demeure à ceux qui
ne croient point en Lui et qui s’écartent de la voie droite quand il s’agit de ses signes, de ses Livres et de ses Prophètes, et les a
privés de sa contemplation ; qu’Allâh (qu’il soit béni et exalté) viendra au jour de la résurrection (yawm al-qiyâma), accompagné
des anges rangés (en cohortes), pour inspecter les nations (umam) et leur faire rendre des comptes, les châtier et les
récompenser ; que les balances seront (alors) disposées pour peser les actions des hommes ; que ceux dont les œuvres pies seront
prépondérantes seront les triomphateurs ; que les hommes recevront les feuillets où seront inscrites leurs actions ; que ceux qui
recevront leur livre de la main droite seront traités avec indulgence dans le règlement des comptes ; tandis que ceux qui le
recevront par derrière leur dos, seront brûlés dans le sa’ir (l’un des feux de l’enfer) ; que le sirât (pont de l’enfer) existe
réellement ; que son franchissement par les hommes est fonction de leurs œuvres. En effet, les uns se sauvent de l’enfer
(jahannam) en luttant de vitesse sur ce pont, les autres y seront précipités par le poids de leurs fautes.
“Il faut croire au bassin (ẖawd) du Prophète (qu’Allâh répande sur lui ses bénédictions et lui accorde le salut), où se rendra sa
nation et qui apaisera la soif de ceux qui y auront bu. En seront écartés ceux qui auront été apostats ou hérétiques.
“Il faut croire que la Foi consiste en paroles, en dévotion (ikhlâs) du cœur et en actes des membres ; qu’elle augmente ou diminue
en proportion des œuvres (a’mal), celles-ci pouvant être imparfaites ou au contraire servir à intensifier la foi ; que l’expression
orale de la foi n’est parfaite que quand elle s’accompagne d’actes (‘amal) (des membres) ; qu’aucune parole et aucun acte ne
valent que par l’intention (nîya) (quand celle-ci est requise) ; que les paroles, actes, et intentions ne valent que si elles sont
conformes à la Sunna ; que le péché (dhanb) ne suffit point à rendre les musulmans infidèles ; que les martyrs (chuhadâ’) sont
vivants auprès de leur Seigneur et qu’il est pourvu à leur existence (au paradis) ; que les âmes des croyants fidèles demeurent et
sont dans la béatitude jusqu’au jour où les croyants seront ressuscités ; que les âmes des réprouvés sont tourmentées jusqu’au jour
de la résurrection ; que les croyants seront mis à l’épreuve (par les anges Munkar et Nakîr) dans leurs tombeaux et subiront un
interrogatoire ; que Dieu affermira ceux qui ont cru dans la parole ferme ici-bas comme dans l’autre monde 16 ; que toutes les
créatures ont des gardiens (ẖafaẕa) qui enregistrent leurs actions et que rien n’en échappe à la science de leur Seigneur ; que
l’ange de la mort prend possession des âmes par l’ordre de son Seigneur.
“Il faut croire encore que la meilleure génération (qarn) est celle qui a vu l’envoyé d’Allâh, (qu’Allâh répande sur lui ses
bénédictions et lui accorde le salut), et a cru en lui, puis celle qui l’a suivie, puis encore la suivante ; que les meilleurs Compagnons
(du Prophète) sont les califes orthodoxes et bien dirigés (ar-rachidûn wa-l-mahdîyûn), Abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthmân et ‘Alî, (que
Dieu les garde tous) ; qu’il ne faut parler de chacun des Compagnons que très élogieusement ; qu’il faut se taire sur ce qui les a
divisés ; qu’ils ont plus le droit que quiconque à ce qu’on cherche pour eux les meilleures échappatoires (à la médisance) et à ce
qu’on fasse bénéficier leurs opinions d’une présomption de supériorité.
“On doit obéir aux imâm-s (chefs) des musulmans, tant à ceux qui sont chargés de les gouverner qu’à leurs savants (ulamâ’). On
doit suivre les vertueux anciens (as-salaf as-sâliẖ), les imiter en tout et demander le pardon de Dieu pour eux. On doit éviter les
disputes de mauvaise foi et les controverses (de parti pris) en matière de religion et l’on doit s’abstenir des innovations des
innovateurs (muẖdith).
“Que Dieu répande ses bénédictions sur notre Seigneur (sayyidunâ) Muhammad, son Prophète, sur sa famille, ses épouses, et sa
postérité et qu’il leur accorde généreusement le salut !”
B - Pureté et impureté. Les ablutions

9305— Les états d’impureté. Accomplir la prière canonique vient tout de suite après la profession de foi
dans l’ordre des urgences. Son accomplissement est obligatoire et sa négligence punie. Mais on ne peut la
dire en état d’impureté.
10Il existe deux états d’impureté, l’impureté majeure (janâba) et l’impureté mineure (ẖadath). La
première, la majeure, résulte surtout d’une activité sexuelle, c’est-à-dire après éjaculation, ou chez la
femme, après émission de son liquide jaunâtre, pour les deux après toute pénétration d’ordre sexuel 17 ,
même sans jouissance. La femme pendant ses règles (ẖayḏa), ou après un accouchement est en état
d’impureté majeure. L’impureté majeure interdit toute prière, d’entrer dans une mosquée et même de citer
un verset du Coran.
11L’impureté mineure (ẖadath) se contracte après un “événement” (hadath), c’est-à-dire après miction,
excrétion, ou après un vent. Les attouchements sexuels, le sommeil, l’évanouissement, l’ivresse, l’accès
de démence entraînent aussi l’impureté mineure. L’impureté mineure permet de citer le Coran, mais pas
de le toucher, il permet d’entrer dans une mosquée, mais pas d’accomplir la prière canonique.
12306— L’istinjâ’ et les grandes ablutions. Il existe deux sortes d’ablutions, la grande ablution ou lavage

(ghusl) pour effacer l’impureté majeure, et la petite ablution ou ablution (wuḏû’) pour effacer l’impureté
mineure. A l’étude des ablutions, il faut y ajouter celle de la toilette intime (istinjâ’) et celle de l’ablution
sèche (tayammum).
13La petite et la grande ablution doivent être précédées de la toilette intime (istinjâ’). C’est le nettoyage

des parties du corps souillées par la miction et l’excrétion. Il faut signaler que ces besoins naturels ne se
font pas n’importe comment. On entre dans les lieux d’aisance du pied gauche, on en sort du pied droit.
On n’y emporte pas de texte comportant le nom de Dieu, sauf en cas de nécessité. Si l’on fait ses besoins
en plein air, on évite les lieux susceptibles d’attirer les gens : zone d’ombre, dessous d’un arbre fruitier,
chemin, etc. On ne se tournera pas en direction de la Mecque ni en lui tournant le dos. Pour les chaféites
et les hanbalites, on évitera aussi la direction du soleil et de la lune. Il faut ensuite pratiquer l’istinjâ’, qui
est obligatoire et valable même sans intention. Elle se fait à l’eau courante, de la main gauche
préalablement lavée. On peut en cas d’absence d’eau, utiliser de la terre ou des cailloux (istijmâr). En
cas d’émission de liquide prostatique (madhy), sans éjaculation, on n’est tenu qu’au lavage de la verge et
aux petites ablutions.
14La grande ablution consiste en un lavage de toutes les parties du corps en commençant par la droite de

préférence. Elle doit s’accompagner d’une prière exprimant l’intention qu’a le croyant de se purifier. On
doit se soustraire aux regards. Elle est obligatoire pour la personne qui a contracté une impureté majeure
(janâba). Il est recommandé de faire la petite ablution tout de suite après la grande.
15307 — Les petites ablutions et le tayammum. Elles sont obligatoires après un ẖadath, avant la prière

canonique. Pour la femme atteinte de pertes continuelles ou la personne atteinte d’incontinence d’urine,
les petites ablutions avant chaque prière sont obligatoires. Les fuqahâ’ prennent bien garde à signaler ce
qui est obligatoire, ce qui recommandé, les conséquences de tel ou tel oubli, etc. Mais chaque rite tend à
fixer un ordre strict de ses pratiques.
16Ainsi selon le malékisme, le croyant agit de la manière suivante. Il commence par la toilette intime

(istinjâ’) s’il ne l’a pas faite avant. Il prononce une “basmallah” (“Au nom de Dieu”) et il formule ensuite
l’intention de se purifier. Puis il procède à l’ablution proprement dite : lavage préalable des mains (3
fois), rinçage de la bouche (3 fois), rinçage du nez (3 fois), lavage du visage de haut en bas (3 fois),
lavage des mains et des avant-bras en commençant par le droit (3 fois), passage des mains mouillées sur
les cheveux du front à la nuque et de la nuque au front, nettoyage simultané des oreilles, nettoyage des
pieds jusqu’aux chevilles en commençant par le droit (3 fois). Le rinçage de la bouche, le rinçage du nez
et les répétitions par trois fois ne sont pas obligatoires, mais on ne doit pas dépasser ce nombre. Le
croyant termine enfin par une courte prière, une chahâda en général. Il est recommandé d’user de peu
d’eau et il est interdit d’utiliser des récipients d’or et d’argent.
17Abû Zayd al-Qayrawânî écrit : “L’ablution doit être faite uniquement en vue d’Allâh Très Haut, pour
obéir à ses prescriptions, dans l’espoir d’obtenir son agrément et sa récompense et d’être, par cette
pratique, purifié des fautes commises.” L’ablution ne purifie donc pas automatiquement du péché, ex
opere operato (c’est-à-dire par l’effet de l’action), mais seulement si Dieu veut.
18L’ablution sèche (tayammum) est en fait une ablution symbolique, puisqu’elle se fait avec de la terre
propre. Elle s’impose en cas de manque d’eau ou de difficulté excessive pour s’en procurer ou encore si
le contact avec l’eau était dommageable pour la santé. Les éléments essentiels en sont : pose des mains à
terre et formulation de l’intention, passage des mains sur le visage, nouvelle pose des mains à terre,
passage sur la main et l’avant-bras droit, puis sur la main et l’avant-bras gauche. Le tayammum remplace
provisoirement la grande ou la petite ablution et permet la prière. Si on trouve de l’eau et que l’heure de
la prière n’est pas encore passée, on doit faire l’ablution normale et refaire la prière, mais il y a des
divergences à ce sujet.
19308— Pratique et divergences. La plupart des mosquées offrent l’équipement nécessaire pour faciliter

l’accomplissement des ablutions. La pratique des ablutions n’a jamais été systématiquement suivie. Les
musulmans ont souvent recours au tayammum, ainsi qu’à la madéfaction des chaussures (mash ‘alâ l-
khufayn) qui évite de se déchausser, mais à condition que les chaussures aient été mises en état de pureté.
20Donnons une idée des divergences entre les principaux rites, par exemple à propos de la petite ablution.
Selon la Bidâya d’Ibn Ruchd (Averroès) les divergences portent sur la nécessité de l’intention, pas
toujours exigée par les hanéfites ; sur l’obligation de se laver les mains préalablement ; sur le statut
obligatoire ou recommandé du rinçage du nez et de la bouche ; sur les limites du visage et sur la barbe ;
sur le lavage des coudes, exclu par quelques malékites ; sur le passage des mains mouillées sur la tête
entière selon les malékites, en partie selon les autres ; sur le mérite de la répétition par trois fois de ce
passage, comme l’admettent les chaféites ; les hanbalites admettent ce passage sur le turban, pas les
autres ; sur le statut obligatoire ou non de l’ordre des actes, ou du nettoiement des oreilles ; sur le
nettoyage des pieds en même temps ou non que la madéfaction des chaussures (masẖ ‘alâ l-khufayn) qui
n’est pas admise chez les chiites et les kharidjites. Le plus souvent ces divergences ont des causes
diverses : le sens d’un mot, comme visage. Ou celui d’une préposition : ilâ l-marâfiq veut-il dire jusqu’au
coude inclus ou exclu ? Ou encore l’existence de ẖadîth admis par certains rites et non par d’autres,
comme à propos du turban. Ou l’existence de ẖadîth différents, conciliés ou pas selon une application
différente des règles que nous avons évoquées dans la partie des usûl al-fiqh, etc.
21309— Les eaux ; pureté et impureté. Selon les malékites, il existe trois sortes d’eaux (mâ’ pl. miyâh),

les eaux impures, les eaux pures et les eaux pures et purifiantes. Les eaux pures et purifiantes sont les
eaux du ciel, des puits, des sources et de la mer. Elles peuvent servir aux ablutions, au nettoyage des
vêtements, etc. Une eau impure est celle qui est mélangée d’impureté (najâsa), ou dont la couleur ou le
goût ou l’odeur sont altérés. L’eau dont la couleur est altérée par un corps pur reste pure mais n’est plus
purifiante : elle ne peut plus servir aux ablutions. Si on sait qu’une eau a reçu un corps impur, même en
petite quantité, elle est impure, même si son altération n’est pas visible.
22Selon la Bidâya, les principales divergences portent sur la qualification d’impure ou non de l’eau
mélangée à un corps impur sans altération notable, en particulier après qu’un animal y a bu ; sur la valeur
purifiante de celles mélangées à un corps pur ; sur la valeur purifiante des eaux déjà utilisées à des
ablutions ; sur la possibilité de faire des ablutions avec du nabîdh (jus de fruit, fermenté ou non), permis
par Abû Hanîfa.
23Le droit musulman doit dès lors partager l’ensemble des objets et animaux en purs (ṯâhir) et impurs

(najis). Sont impurs et souillent, par exemple, les excréments d’homme ou d’animaux, le sperme, le pus,
le sang, le vin (sauf chez les hanéfites) ; le chien et le porc vivants (sauf chez les malékites), les animaux
non abattus rituellement ; les cadavres humains et les infidèles (chez les chiites seulement). Sont purs en
revanche et ne souillent pas : les eaux de pluie, de source, de mer, les jus naturels, le lait d’animaux
mangeables, la salive, les larmes et, la sueur humaines ; les cadavres humains et les infidèles (pas chez
les chiites) ; le vinaigre, la nourriture végétale en général, le poisson, et les animaux abattus rituellement,
les peaux une fois tannées (sauf celle du porc et du chien), le coton une fois cardé, etc. Dans les traités
toute une casuistique est développée à ce sujet, offrant nombre de divergences. Elle n’est pas purement
théorique, car savoir comment nettoyer un puits pollué ou sauvegarder la nourriture partiellement moisie
sont des choses utiles. On reviendra sur cette question en décrivant ce qui est permis ou interdit à la
consommation (n° 331).
24Les traités contemporains ne négligent pas ces questions (par exemple az-Zuẖaylî, ou ‘Abd ar-Raẖmân

al-Jazirî). Un ẖadîth (rapporté par Muslim) dit que la pureté est la moitié de la religion. Le Traité de
Hamza Boubakeur les minimise, mais il s’adresse à des convertis du christianisme qu’il ne faut pas
rebuter. D’ailleurs la pratique des musulmans contemporains tend aussi à négliger cette casuistique.

C - La prière légale ; les fêtes

25310 — La prière légale. A l’inverse des prières individuelles sans rituel (du’â’), la prière (salât) est

dite légale (ou canonique) car son déroulement est fixé par le droit. Les prières canoniques, leur nombre
et leurs rites, ne sont pas décrites dans le Coran. Elles ne sont connues que d’après les traités de droit
fondés sur les traditions bien postérieures à la mort du Prophète. Les orientalistes soupçonnent qu’il y a
eu une certaine variation dans la pratique du Prophète et des musulmans du premier siècle avant que
l’ensemble ne soit fixé par les écoles de droit (cf. Encyclopédie de l’islam). Bousquet pense au contraire
que l’essentiel en a été fixé très tôt, ce qui est pour nous le plus probable : on imagine mal que les califes
aient pu faire des innovations en matière rituelle, alors que des centaines ou des milliers d’Arabes ont été
les témoins directs et quotidiens de la pratique prophétique. Autre chose est le droit concernant les
rapports entre les hommes, la pratique judiciaire du Prophète n’étant probablement pas quotidienne, ni
faite devant autant de témoins réguliers, ni portant d’une fois à l’autre sur la même question. La masse
considérable des ẖadîth-s et l’ampleur des divergences en matière de culte, comparée aux autres
matières, indique bien la multitude des témoins. Enfin l’originalité de la prière canonique musulmane, si
on la compare aux rites païens, juifs et chrétiens, est évidente, et plaide encore pour qu’on en rapporte
l’origine à Muẖammad.
26Nous décrivons ici la prière canonique telle qu’elle a été fixée plus tard par le droit musulman
malékite.
27311 — Obligation, tenue, lieu et direction de la prière canonique. La prière est obligatoire pour tout

musulman, homme ou femme, majeur somatiquement (pubère) et sain d’esprit.


28Les vêtements de l’orant doivent être purs. L’homme doit être couvert au minimum de la taille aux

genoux, mais il est recommandé qu’il ait aussi les épaules couvertes, et blâmable de rester torse nu, ce
qui pourtant n’annule pas la prière. La femme sera entièrement couverte, sauf pour le visage et les mains.
29Le lieu de prière canonique doit être pur lui aussi. On ne peut prier dans les zones susceptibles d’avoir

été souillées par les défécations d’animaux, sur les routes, les tas d’immondices, etc. Il est en outre
interdit de prier dans les églises et les synagogues 18 , les cimetières d’infidèles, sur le sommet de la
Ka’ba. Tout autre lieu est possible, chez soi, dans un oratoire en plein air (musalla), et, bien sûr, dans une
mosquée (masjid), ou une mosquée principale (jâmi‘)(qui est traduit aussi par mosquée-cathédrale). On
peut se servir, en outre, d’un petit tapis de prière (sajjâda). Comme la prière n’est pas valide si un animal
impur (ou une femme, ou un infidèle, il y a des divergences) est passé devant l’orant, il se préserve en se
plaçant devant un mur ou en installant devant lui un obstacle (sutra).
30La prière canonique se fait en direction de la Mecque (qibla), depuis 624, date à laquelle le Prophète

Muhammad abandonna la direction de Jérusalem, à la suite du verset coranique 2, 138 sq. C’est plus
précisément la Ka’ba, la maison carrée qui aurait été élevée par Abraham, qui sert de point central (c’est
pourquoi prier sur son toit est absurde et interdit). Il s’ensuit que la détermination de la direction de la
Mecque est le souci principal du musulman pieux en voyage et qu’elle a fait l’objet de maintes études de
géographes et de savants. Mais dans la pratique l’intention et une direction approximative suffisent. Il
demeure que l’espace a un sens sacré pour le musulman. Les mosquées, les tombes sont orientées vers la
qibla. A l’inverse, par respect, le croyant évite de déféquer face à la Mecque ou en lui tournant le dos.
31312 — Moments de la prière canonique ; l’appel à la prière. Il existe cinq prières canoniques par
jour ; elles doivent être accomplies dans des espaces de temps précis de la journée (awqât), qui ont
donné leurs noms aux cinq prières. La première (salât as-subẖ)(ou salât aḻ-fajr) doit être faite après
l’aube (fajr) et avant l’aurore (subẖ). La seconde (salât adh-ẕuhr) après le milieu du jour (ẕuhr) où
l’ombre d’un objet est la plus courte, et avant le moment qu’on repère quand l’ombre d’un objet est égale
à l’objet. C’est le milieu de l’après-midi (‘asr). La troisième (salât al-’asr) se fait entre le milieu de
l’après midi, et le moment repéré par l’ombre qui atteint alors le double de la longueur de l’objet. La
quatrième (salât al-maghrib) se fait au coucher du soleil : son temps est court. La cinquième et dernière
(salât al-‘ichâ’), est celle du soir (‘ichâ’) et doit être faite à la nuit tombée, moment repéré par la
disparition du rouge (chafaq) à l’horizon, et avant que le tiers de la nuit ne soit passé. Près des pôles,
cette détermination des heures est évidemment épineuse.
32Il est préférable que le croyant fasse sa prière dès que le moment commence. Ce moment est marqué par

l’appel à la prière (‘adhân) lancé par le muezzin (mu’adhdhin) du haut du minaret de la mosquée. Cet
appel comprend d’abord deux takbîr-s, qui sont suivis de deux chahâda-s, exactement : deux fois la
formule “Je témoigne qu’il n’y a de dieu que Dieu” et deux fois “Je témoigne que Muhammad est son
Prophète”. Suit l’appel proprement dit : “Venez à la prière “(2 fois) et “Venez à la félicité” (2 fois). Puis
on termine avec deux takbîr-s et la première partie de la chahâda (1 fois). Le matin on ajoute avant les
formules finales : “La prière vaut mieux que le sommeil (2 fois)”. L’appel est répété deux fois à
l’intérieur de la mosquée, avant que commence la prière proprement dite. Quand la prière est faite
individuellement, l’adhân peut ne pas se faire, l’iqâma, une prière semblable, en tient lieu.
33Deux prières peuvent être dites à la suite. Il est même possible de les réunir en une seule fois (jam’) à
la suite de la prière du soir, ce qui est pratique pour le voyageur ou le travailleur. Elles peuvent aussi être
reportées à plus tard en cas de maladie. La femme ne peut prier en état d’indisposition ou pendant ses
couches et elle n’a pas à compenser par la suite (contrairement au jeûne du mois de ramaḏân).
34313 —Déroulement de la prière canonique. La prière canonique individuelle (salât) comprend
d’abord une introduction où le fidèle se tient debout et élève les mains en signe d’admiration en disant la
formule du takbîr. 11 est à partir de ce moment en état de consécration (iẖrâm). Il formule son intention
d’accomplir telle prière canonique en particulier. Puis il récite la prière dite de l’iqâma. C’est un adhân
sans la répétition de la chahâda et ajoutant avant le finale “La prière commence” (2 fois). Elle est
obligatoire pour les hommes.
35La prière comprend un certain nombre de rak‘ât, variable selon les heures et la nature de la prière. Une

rak‘a (au sens large) est une série d’actes et de formules de prières bien déterminées formant un tout. La
prière du matin en a deux, celle du maghrib trois et les autres quatre. On peut ajouter des rak‘ât
surérogatoires.
36Chaque rak‘a se commence debout et se termine debout avant la suivante. 1. Le croyant, debout donc,

commence par dire la fatiẖa (première sourate du Coran) et si possible un fragment de sourate (deux
versets au moins) tirée de la fin du Coran. 2. Ensuite il procède, en prononçant le takbîr, à une inclination
(rak‘a proprement dite), les mains sur les genoux. Dans cette position, il pourra dire une formule de
louange (tasbîẖ) comme “Subẖâna Llâh”, Louange à Dieu. 3. Puis il relève la tête et se remet debout en
exprimant le souhait que Dieu entende sa louange. 4. L’acte suivant, exécuté avec un takbîr, est une
prosternation (sujûd), genoux au sol, front et mains à terre. Dans cette position, le croyant pourra dire une
formule de repentance. 5. Il redresse ensuite le buste en prononçant le takbîr. Il est à ce moment placé
genoux au sol, fesses reposant sur les talons, mains sur les cuisses. 6. Il procède de nouveau à une
prosternation en redisant la formule de repentance. 7. Il se remet debout pour la rak‘a suivante, s’il y en a
une, avec un takbîr. Pendant la rak‘a suivante, après la récitation du Coran, il prononcera une formule de
repentance (dite qunût). 8. Ou bien, à la rak‘a finale (c’est-à-dire la deuxième le matin, la troisième au
maghrib et la quatrième les autres fois), il se place de nouveau assis sur les talons pour prononcer une
profession de foi (tachahhud, invocation de la présence) selon une formule courte ou longue. Il reste dans
cette position pour le rite de conclusion.
37Dans le rite de conclusion, le fidèle se tourne à droite en prononçant un salut (taslîm) à son ange de
droite (ou aux croyants, il y a hésitation sur ce point). Son état de sacralisation cesse à ce moment-là. Il
lui est recommandé d’ajouter des formules pieuses avant son départ, en particulier le dhikr, répétition
litaniques de takbîr-s et de tasbîh-s.
38Quand la prière est collective, le fidèle ne prononce pas en même temps que l’imâm les prières et la

récitation qu’il dit à voix haute. En revanche il dit à voix basse celles que l’imâm dit lui-même à voix
basse. Le salut final est triplé : un pour la droite, un pour l’imâm et une réponse au fidèle de gauche s’il y
en a un.
39Les traités détaillent bien sûr tout cela : contenu des prières, élévation de la voix, description précise

des positions, rajouts surérogatoires, conséquences des divers oublis, rajouts ou incidents, etc. Dans les
traités anciens ou contemporains, comme dans les divers manuels pour enfants, il y a des variations sur
les formules et leur simultanéité avec les gestes. Elles proviennent du fait que des éléments recommandés
ou surérogatoires sont ajoutés ou omis. Chaque région ou même chaque imâm a ses habitudes.
40314— L’imâm et le personnel de la mosquée. Il est recommandé de faire la prière canonique en

commun. La prière est alors dirigée par un imâm qui se place devant les autres croyants, lesquels se
mettent en rangs (saff) et se règlent sur lui.
41Le choix de l’imâm de tous les croyants, c’est-à-dire du calife, sera traité dans le chapitre suivant. Le

choix de l’imâm de chaque mosquée est du ressort de l’imâm général. Pour les prières en commun, faites
en d’autres circonstances, on choisit l’imâm parmi ceux qui sont les plus pieux et les plus versés dans le
fiqh. La femme ne peut être imâm, ni pour les hommes ni pour les femmes, ni pour les prières canoniques,
ni pour les surérogatoires.
42L’imâm, le muezzin, et les personnages qui gravitent autour de la mosquée comme les enseignants

(muddaris), jurisconsultes (muftî), lecteurs (ẖazzâb) ne sont pas des prêtres, ne recoivent aucune
ordination, et ne sont recrutés qu’en fonction de leur compétence. Ils sont payés grâce au produit des
fondations pieuses (waqf ou ẖubûs) (t. III). La plupart des traités n’en parlent pas. Ni non plus de
beaucoup d’autres traditions, comme celle d’enlever les chaussures à l’entrée d’une mosquée, de purifier
celle-ci, etc.
43315— La prière du vendredi. La prière en commun le vendredi, dans la mosquée principale, est

obligatoire. Les participants doivent être au moins douze chez les malékites. Les impubères, les
voyageurs, les malades, ceux qui sont éloignés de la mosquée principale en sont dispensés. Les fidèles,
en état de pureté et parfumés, se prosternent deux fois à leur arrivée. Tous font face au mirhab, petite
niche décorée qui indique la qibla. Les femmes sont généralement en arrière, dans un emplacement
délimité. La décoration de la mosquée exclut les représentations d’êtres animés, ce qui est interdit par la
loi islamique (avec divergences), et affectionne un décor végétal stylisé avec la calligraphie de versets
coraniques.
44L’appel à la prière retentit trois fois, puis le muezzin à son retour incite les fidèles au silence en citant

deux ẖadîth. L’imâm prononce, du haut de sa chaire (minbar), un prêche (khutba), en deux parties. Il
termine en évoquant le chef de la communauté musulmane, le calife, sur lequel il attire la bénédiction de
Dieu. Depuis la suppression du califat en 1924, il y a un certain flottement : on dit la prière en faveur du
chef de l’État s’il est musulman, ou on évoque les quatre premiers califes. La prière canonique du
vendredi ne comporte que deux rak‘ât, on considère que le sermon en deux parties remplace les deux
autres. L’iqâma est dit par le muezzin au nom de tous. La conclusion de la prière canonique est enrichie
d’invocations supplémentaires, en particulier de la citation des versets du trône (Coran *2, 255), des
versets *285-286 du Coran et d’un dhikr, c’est-à-dire d’une répétition litanique (33 fois) d’une triple
louange à Dieu. Les croyants se retirent ; certains d’entre eux s’isolent pour réciter la sourate de la
Caverne (Cor. * 18).
45Actuellement le vendredi est devenu un jour de repos pour les musulmans. Le droit classique ne

comporte que l’interdiction du commerce à l’heure de la prière commune.


46316 — Les prières canoniques surérogatoires et spéciales. Aux prières canoniques obligatoires
s’ajoutent des prières surérogatoires (nâfila, pl. nawâfil) : la prière de l’aube (salât al-fajr) qui a deux
rak‘ât, les deux prières de nuit, la prière du nombre pair (salât ach-chaf’) qui a des rak‘ât en nombre pair
et la prière du nombre impair (salât al-witr) qui en a un nombre impair. Les prières canoniques
obligatoires peuvent recevoir des rak‘ât suppémentaires, portant le total à huit rak‘ât pour la prière de
midi et celle de l’après midi et à 5 rak‘ât pour celle du maghrib.
47Deux fêtes ont une prière spéciale. La première fête est la grande fête (‘îd al-kabîr) ou la fête du
sacrifice (‘îd al-adẖâ), la seconde est la petite fête (‘îd as-saghîr) ou la fête de la rupture du jeûne (‘îd al-
fitr). La prière des deux fêtes canoniques est obligatoire et doit être faite le matin. Elle n’est précédée
d’aucun appel. Des récitations coraniques particulières sont recommandées (sourate *87 et *91) et
certains takbîr-s sont répétés sept ou cinq fois.
48On désigne sous le nom de prière du voyage (salât as-safar) l’autorisation donnée au voyageur de
ramener à deux rak‘ât les prières du midi et du soir, les autres demeurant sans changement.
49La prière du danger (salât al-khawf) est une prière réduite à deux rak‘a et organisée en deux groupes :

l’un prie pendant que l’autre fait face à l’ennemi, l’imâm faisant la moitié de sa prière avec le premier
groupe et l’autre moitié avec le second (Coran 4, 101-102). Elle est devenue théorique.
50La prière de l’éclipse se fait en cas d’éclipse, de soleil ou de lune. Elle n’est pas obligatoire pour

l’éclipse de lune, obligatoire pour celle du soleil. Elle comporte nombre de récitations coraniques
supplémentaires, mais pas d’appel. Elle est peu pratiquée.
51La prière pour demander la pluie (salât lil-istisqâ) ne comporte pas d’appel et seulement deux rak‘ât.

Elle se fait le matin, en plein air de préférence (dans un musalla, oratoire) et chez les chaféites avec les
troupeaux. Elle comporte des prêches et un rite de retournement du manteau. D’autres pratiques sont
recommandées en même temps, un jeûne de trois jours, des aumônes. On sollicite même les Juifs et les
Chrétiens à procéder à des rites de rogations correspondants Bousquet.

D - Le jeûne du mois de ramadân et autres pratiques

52317 — Le jeûne. Le jeûne (siyâm) du mois de ramaḏân consiste, durant tous les jours dudit mois

(lunaire), en l’abstention de nourriture, de boissons et de relations sexuelles.


53Le jour commence au moment de l’aube où l’on peut “distinguer un fil blanc d’un fil noir”, et dure
jusqu’au coucher du soleil, moment qui est souvent marqué, dans les pays musulmans, par un coup de
canon.
54La détermination du début et de la fin du mois ne se fait pas, d’après la tradition, suivant des calculs

astronomiques, mais à l’apparition de la nouvelle lune. Si la lune est invisible, on compte trente jours
pour cha‘bân et trente pour ramaḏân. Cette question a été continuellement une source de difficultés et de
controverses pour les musulmans, et il arrive que les uns jeûnent déjà (ou encore à la fin du mois) pendant
que d’autres mangent encore (ou déjà à la fin du mois). Les malékites interdisent de jeûner le “jour du
doute” (le jour qui peut être le trentième de cha‘bân ou le premier de ramaḏân), et même s’il s’avère être
le premier de ramaḏân, le doute l’a annulé et il devra être rattrapé. Même des savants de tendance
réformiste, comme le chaykh Hamza Boubakeur, tiennent beaucoup à la fixation traditionnelle du début du
mois de ramaḏân.
55C’est le Coran qui fixe les règles du jeûne (Cor *2, 179-187), la Sunna et les traités de fiqh ayant

développé la matière. Il est obligatoire pour la personne musulmane, pubère, saine d’esprit et capable
physiquement de le faire. Elle devra formuler son intention de l’accomplir, une fois pour tout le mois
selon les malékites, tous les jours selon les autres. Outre les aliments et les boissons, sont également
interdits la fumée et les parfums, de vomir volontairement, de pratiquer un lavement... Les relations
sexuelles interdites sont celles qui comprennent une émission de sperme ou de liquide prostatique, mais
toute caresse, baiser, pensée érotique est seulement blâmable. Quand l’heure de la rupture est arrivée, il
est recommandé de manger tout de suite, et, avant le début du jour suivant, de prendre un dernier repas.
56318 — Le jeûne, situations particulières. Celui qui rompt le jeûne pour une raison valable ou par oubli

devra rattraper le jour ainsi perdu. La femme menstruée ou jeune accouchée ne jeûnera pas mais devra
rattraper les jours de jeûne qu’elle n’a pas pu faire avant le prochain mois de ramaḏân. Ce rattrapage
(qaḏâ, accomplissement) est facultatif pour les voyageurs et les malades, mais actuellement on met en
doute les facilités offertes aux voyageurs, car les voyages ne sont plus ce qu’ils étaient. Les impubères,
les malades chroniques et les vieillards sont dispensés des jeûnes. Les vieillards qui le peuvent
compenseront par une aumône chez les malékites.
57La femme enceinte peut rompre le jeûne si elle craint pour son enfant, sans devoir une expiation

(kaffâra) selon certains ulémas, elle la devra pour d’autres, à raison d’un jour de nourriture pour un
pauvre par jour non jeûné. Mais la nourrice qui rompt le jeûne pour pouvoir allaiter devra cette expiation.
La même expiation est duc quand le rattrapage n’a pas été fait avant la venue du mois de ramaḏân suivant.
58Celui qui rompt volontairement le jeûne devra rattraper le ou les jours perdus, et accomplira, en plus

une expiation (kaffâra) plus importante, consistant à nourrir soixante pauvres, ou affranchir un esclave ou
jeûner deux mois de suite. Pour les chaféites et hanbalites, cette kaffâra n’est duc qu’en cas de rupture du
jeûne par relations sexuelles : la ruse consiste alors à rompre d’abord le jeûne en mangeant et à coïter
ensuite...
59Les traités analysent aussi les cas de doute sur l’heure, de survenue de maladie, de menstrues, de départ
en voyage, d’évanouissement prolongé, etc. Le principe général est qu’un doute ne saurait annuler une
certitude. La plupart des auteurs évoquent aussi le devoir de tenir sa langue et d’être vertueux et pieux.
L’accomplissement du jeûne obtient du mérite auprès de Dieu et le pardon des petits péchés.
60319— Pratique. La fête de la rupture du jeûne. Le jeûne du mois de ramaḏân est très pratiqué (sauf en

Indonésie selon Bousquet) et ce fait a une grande importance sociologique dans les pays musulmans. En
Afrique du Nord, il est respecté avec rigueur en public, dans tous les milieux. Le mois tout entier a une
importance religieuse marquée par des prières surérogatoires dans les mosquées, par des causeries
religieuses à la télévision, par des rencontres et fêtes familiales. La vingt-septième nuit du mois (laylat
al-qadar, la nuit du destin), est particulièrement célébrée par des prières surérogatoires, car selon la
tradition, c’est en cette nuit que le Prophète entendit pour la première fois l’ange Gabriel lui révéler le
Coran.
61Le premier jour du mois de chawwâl est celui de la fête de la rupture du jeûne (‘îd al-fitr) ou la petite
fête (‘îd as-saghîr). La communauté doit dire la prière du matin correspondant à cette fête (cf. n° 316). Le
croyant doit verser l’aumône de la rupture du jeûne (zakât al-fitr), distincte de l’aumône de purification
(zakât, cf. n° 321). Elle est à la charge du chef de chaque famille et consiste en nourriture à donner aux
pauvres. C’est un jour de congratulations, de réconciliations, de réjouissances, de bons repas. On offre
aussi des gâteaux aux amis chrétiens et juifs et des aumônes aux pauvres.
62320— Pratiques autour du jeûne. Les jeûnes surérogatoires ne sont pas possibles tous les jours : ils

sont interdits les jours de fête, et, par exemple au moment de la pleine lune, probablement pour empêcher
une compromission avec un culte lunaire. D’autres jours sont recommandés, comme le 10 du mois de
muẖarram ou le jour dit d’Arafa, en rapport avec le pèlerinage, le 9 du mois de dhû l-ẖijja.
63Une pratique que les traités rattachent au jeûne est celle de la retraite spirituelle (i’tikâf). Le croyant se

retire du monde pour se livrer à la prière, au jeûne et à des exercices spirituels divers. Il est recommandé
de la pratiquer pendant le mois de ramaḏân. Elle peut se faire dans une mosquée, obligatoirement selon
les malékites et chaféites ; seulement pour les hommes chez les hanbalites. Le retraitant ne sortira de la
mosquée que pour ses besoins naturels. Celui qui interrompt sa retraite volontairement perd le mérite de
ce qui a été fait. Si cette interruption est involontaire (maladie, menstrues), le mérite n’en est pas perdu,
mais le retraitant devra l’achever par la suite.
64Une pratique coutumière voisine, l’istikhâra, que l’on pourrait traduire par “l’élection”, consiste à

demander conseil à Dieu quand on a à faire un choix difficile au moyen d’une prière à deux rak‘ât.
Souvent le croyant se place près du tombeau d’un saint et y passe la nuit : la réponse de Dieu lui vient
alors en songe. Cette pratique remonte à la plus haute antiquité. Selon Bousquet, elle est toujours vivace
en Afrique du Nord.
65A côté du jeûne du mois de ramaḏân, il existe des jeûnes imposés à la suite de certaines fautes du
croyant, ce sont donc des jeûnes expiatoires. Nous les évoquerons en même temps que ces fautes, dans le
droit pénal. De même, le croyant peut aussi s’imposer des jeûnes à la suite d’un vœu. Les jeûnes
excessifs sont déconseillés. Ils sont interdits quand ils nuisent à l’activité normale, ruinent la santé,
empêchent la prière. Le Coran conseille de ne pas exagérer en religion (*4, 171).
66Les traités décrivent comment procéder à la récitation du Coran, les moments où il faut se prosterner

dans la récitation. Les onze endroits sont indiqués par un signe spécial dans les éditions modernes du
Coran. Cette prosternation ne se fait qu’en état de pureté, mais normalement on ne lit le Coran qu’en cet
état.

E - L’aumône de purification

67321— L ‘aumône de purification. Cette aumône (zakât) est un impôt versé par le croyant à l’État. Elle

est comptée parmi les piliers de l’islam et son étude est placée traditionnellement dans la partie cultuelle
des traités. Son revenu ne va pourtant pas au culte (cf. Cor. 9, 60). Le mot zakât vient d’une racine à sens
multiples, où l’on trouve les idées de croissance, de purification, de vertu et d’aumône - en tout cas pas
de légalité, c’est pourquoi on a renoncé à la traduction traditionnelle aumône légale. Le mot est devenu
synonyme de sadaqa, aumône, et la zakât a été comprise comme l’acte de se purifier ou de purifier ses
gains en en donnant une partie à la communauté. C’est cette idée seule qui la rattache au culte proprement
dit. Mais ce n’est pas en fait un acte de culte et nous l’étudierons dans le tome III, à propos des impôts
(droit de la propriété). Cela dit d’ailleurs avec réserves, car en un autre sens, tout ce qui est prescrit par
la loi islamique constitue un acte de culte.

F - Le pèlerinage et les pèlerinages

68322— Institution du pèlerinage à la Mecque. Si presque toutes les religions ont des pèlerinages, dans
nulle autre religion ils n’ont atteint l’importance que le pèlerinage à la Mecque (ẖajj) a dans la religion
islamique. Comme on le verra, ce pèlerinage n’est pas unique et on en trouve d’autres en Islam.
69Contrairement aux autres pèlerinages dans l’islam et dans les autres religions, qui se sont formés au

cours des siècles, le pèlerinage à la Mecque a été institué directement par le Prophète à la suite de la
bataille de Badr. C’est l’époque ou il rompt avec les Juifs et met l’accent sur Abraham, père du
monothéisme, fondateur du pèlerinage selon le Coran (2, 196-203 ; 3, 97 ; *9, 37 ; 22, 27-31). L’intérêt
des musulmans se tourna alors vers la Mecque où la Ka’ba aurait été construite par le patriarche. Certes,
on a souvent fait remarquer que le pèlerinage musulman prenait la suite du pèlerinage païen. On sait aussi
que la famille du Prophète, avait, avant la prédication de celui-ci, un droit de monopole sur la source de
Zamzam qui abreuvait les pèlerins, et qu’elle en tirait sa subsistance. Ce pèlerinage païen, mal connu
d’ailleurs, n’avait probablement pas un caractère religieux bien marqué, le Coran ne l’attaque pas. Il est
certain que l’institution islamique du pèlerinage ouvrit au Prophète une stratégie pour conquérir la
Mecque. Il en résulta une fusion des anciens rites et des nouveaux. Tels qu’ils ont été fixés à l’époque
abbasside, les rites du pèlerinage se présentent ainsi en droit malékite :
70323— Les conditions ; le voyage à la Mecque. Le pèlerinage est obligatoire la première fois pour les

musulmans qui peuvent le faire. Le musulman (ou la musulmane) doit être libre, majeur(e), et capable
physiquement et financièrement d’accomplir le voyage par une route sûre. La femme doit être
accompagnée de son mari ou d’un proche parent. Le pèlerin doit laisser aux siens de quoi subsister
convenablement pendant son absence. Mais si ces conditions ne peuvent être remplies, il peut se faire
remplacer par un mandataire selon certains docteurs. Il semble que cette possibilité ne soit pas très suivie
et que le nombre de musulmans qui n’ont pas accompli le pèlerinage soit très important. Comme on peut
le faire donc pour le compte d’un autre, il est permis d’accomplir plusieurs fois le pèlerinage et certains
musulmans multiplient les voyages.
71324— L’état de sacralisation et l’intention. En arrivant près de la Mecque, le pèlerin doit se mettre en

état de sacralisation (iẖrâm). Cette opération se fait en des endroits précis, dits stations (mawâqit). Il se
dépouille de tout vêtement cousu, accomplit une grande ablution, se coupe les ongles et se rase la tête
(facultatif), prend le vêtement spécial (dit aussi iẖrâm) composé d’un pagne et d’un manteau blancs et
d’une paire de sandales. Il doit avoir l’épaule et le bras droit non couverts. Désormais il lui est interdit
d’avoir des relations sexuelles, de se couper les ongles, de se raser et de se couper les cheveux. La
femme reste en principe dévoilée, mais pendant longtemps elle portait un masque en osier en sorte que le
voile ne lui touchait pas le visage. Actuellement elle n’a que le visage et les mains découverts. Une fois
entré dans le territoire sacré, le pèlerin ne peut plus chasser, ni cueillir des plantes, ni emporter de la
terre sacrée au retour, car telles sont les règles du ẖaram (zone interdite, tabou) des lieux saints de
l’islam. Le non musulman y est en outre interdit.
72En général le pèlerin est pris en charge par un guide (dalîl, chaykh ou muṯawwif) qui connaît bien les
rites et les formules de prière, sert d’intermédiaire avec la population locale et rend plus d’un service au
pèlerin.
73Le pèlerin doit formuler ensuite son intention. Comme le pèlerinage se compose de deux parties, d’une

part la ‘umra, ou petit pèlerinage (à la Ka’ba), qui peut se faire à n’importe quel moment de l’année, et
d’autre part le ẖajj, ou grand pèlerinage (à Arafat), qui doit impérativement de dérouler du 8 au 12 du
mois de dhû l-ẖijja, son intention peut se présenter de trois manières. Elle peut être l’intention de séparer
le hajj et la ‘umra, intention dite ifrâd, qui implique que le pèlerin ne fera qu’un pèlerinage. L’intention
exprimée peut être aussi d’accomplir les deux pèlerinages en même temps, mais avec l’intention réelle de
n’accomplir que le ẖajj. Cette intention est dite qirân (combinaison). Selon al-Ghazzâlî
l’accomplissement du premier avec la double intention vaut pour les deux, de la même manière que la
grande ablution vaut pour la grande et la petite ablution. L’intention peut être enfin celle dite tamattu‘
(utilisation), où le pèlerin quittera l’état de sacralisation après la ‘umra et devra se remettre en état de
sacralisation avant le hajj. Cette option est utilisée quand le pèlerin effectue la ‘umra longtemps avant
l’époque du ẖajj. Mais il devra effectuer des expiations, des sacrifices d’animaux ou des jeûnes.
74Le pèlerin prononce ensuite la talbiya, c’est-à-dire la formule “Me voici à toi, ô mon Dieu !” (labayka

Allâhumma !) et prend le chemin que lui indique son guide. La formule sera souvent répétée au cours du
pèlerinage.
75325 — Le petit pèlerinage (‘umra). C’est un rite qui peut se faire à n’importe quelle période de

l’année, contrairement au hajj. Il n’est pas obligatoire, mais recommandé pour les malékites et les
hanéfites, obligatoire pour les hanbalites et les chiites, les chaféites étant divisés sur la question. On peut
l’accomplir seul, mais en général le pèlerin commence par la ‘umra, qu’il accomplit juste avant le
moment du hajj, c’est-à-dire au début du mois de dhû l-ẖijja.
76Le pèlerin se rend à la mosquée sacrée qui contient la Ka’ba. Cette dernière aurait été construite par
Abraham à l’emplacement de la maison d’Adam. Arrivé dans le parallélogramme délimité par des
colonnades, où se dresse la Ka’ba, il baise, s’il le peut, car la foule est considérable, la pierre noire qui
se trouve à l’angle sud de l’édifice. Puis il accomplit sept circumambulations (ṯawâf) tout autour, les trois
premières fois rapidement. S’il le peut il baise la pierre noire à chaque tour. Il peut se contenter de la
toucher d’un bâton ou de la main qu’il baisera après. Il fait ensuite une prière à deux rak‘ât au lieu-dit
maqâm Ibrahim, station d’où Abraham aurait appelé pour la première fois l’humanité à accomplir ce
pèlerinage.
77Le pèlerin se dirige ensuite vers le parcours qui s’étend entre les monticules d’as-Safâ (au sud) et d’al-

Marwa (au nord), pour faire sept fois la course (environ 400 m) entre ces deux points. Il n’y a pas très
longtemps encore le parcours se situait en dehors de la mosquée sainte et on la contournait par l’est. Les
pèlerins devaient se hâter aux abords de la mosquée. Cette course (sa‘y) est faite en souvenir d’Agar à la
recherche de l’eau, eau qu’elle trouva ensuite à Zamzam. Actuellement le parcours est inclus dans le
périmètre de la mosquée et il est couvert par une galerie à deux étages avec des voies aménagées pour les
handicapés.
78Le pèlerin s’il ne compte pas faire le hajj tout de suite (intention ifrâd ou tamattu‘), se fait raser à l’une

des nombreuses échoppes de barbier et quitte l’état de sacralisation. Il peut aussi retourner près de la
Ka’ba pour boire l’eau de Zamzam et accomplir quelques ṯawâf-s surérogatoires.
79A chaque station, à chaque démarche correspondent des prières spéciales et la talbiya est souvent
répétée. Chaque pèlerin accomplit ces rites pour son compte. Gestes et prières ne sont pas
obligatoirement faits ensemble, mais en fait, chaque muṯawwif dirige un groupe plus ou moins important.
Chaque erreur, omission, transgression d’un interdit entraîne des expiations à accomplir sous forme de
sacrifices ou de jeûnes.
80326 — Le pèlerinage proprement dit (ẖajj). Ce pèlerinage doit se faire du 8 au 12 du mois de dhû l-

ẖijja. Il commence en fait le 7 au soir par l’écoute d’un prêche à la mosquée de la Mecque. Les pèlerins
partent ensuite dans la vallée de Minâ, à 3 km de la Mecque, qui en car, qui à pied. Là se situent des
campements où tout le monde est logé sous des tentes. Les pèlerins doivent séjourner à Minâ de la prière
de midi le 8 à la prière de l’aube le 9.
81Le 9, les pèlerins doivent partir pour le mont Arafat distant de 27 km. Selon la légende, Adam aurait

connu Eve au mont Arafat. Le trajet se fait actuellement en car, jadis à pied ou à dos de monture. De midi,
jusqu’au coucher du soleil, les pèlerins doivent être à Arafat. Cette station (wuqûf) est l’essentiel du
pèlerinage, l’omettre le rend invalide. Ils assistent à la prière de midi. Puis, groupés par paquets de 200 à
300 personnes derrière un imâm, ils restent debout pour multiplier les prières rythmées par les “labayka”
et les “amîn” (Amen) jusqu’à la prière de l’après-midi. Ensuite ils écoutent les deux prêches organisés
par les autorités saoudiennes.
82Au coucher du soleil le 9, les pèlerins retournent en direction de la Mecque pour se rendre dans la
vallée de Muzdalifa distant de 20 km d’Arafat, sans hâter le pas en principe. Autrefois les pèlerins se
mettaient à courir, peut-être à cause d’un rite préislamique, actuellement on se presse autour des cars. Les
prières du maghrib et de ‘ichâ’ sont dites en même temps à Muzdalifa. Les malékites ne sont pas tenus de
passer la nuit à Muzdalifa : les cars les conduisent directement à Minâ avec un arrêt à Muzdalifa où les
pèlerins doivent ramasser les 49 cailloux qui leur seront nécessaires les jours suivants. Le 10, après la
prière de l’aube, les autres pèlerins les rejoignent à Minâ, distante de 7 km. Une nouvelle course avait
lieu, autrefois, contrairement au conseil de la loi islamique. A Minâ les pèlerins doivent lapider une des
trois stèles symbolisant Satan, celle dite jamrat al-‘aqaba, au moyen de sept cailloux et en prononçant
sept fois le takbîr. Ainsi jadis Abraham aurait-il repoussé Satan.
83Puis chaque pèlerin achète aux abattoirs qui sont là, un animal (un mouton généralement, mais ce peut

être un bœuf ou un chameau) et le sacrifie selon les règles du sacrifice de l-‘îd al-kabîr, ce que fait toute
la communauté musulmane ce jour-là (cf. n° 330). La chair en est mangée sur place, le reste donné aux
pauvres. Mais souvent elle est abandonnée et les autorités saoudiennes doivent procéder à la fin du
pèlerinage à un grand ramassage de carcasses.
84Les pèlerins quittent ensuite l’état d’iẖrâm en se faisant raser chez l’un des nombreux barbiers qui

tiennent là une boutique. Il est obligatoire de retourner à la Ka’ba pour une ‘umra. L’édifice revêt ce jour
le nouveau manteau noir régulièrement offert par l’Egypte et qu’il gardera jusqu’au début du pèlerinage
prochain.
85Les pèlerins doivent cependant retourner à Minâ les 11, 12 et 13 du mois pour lapider les trois stèles de

Satan chacune avec sept cailloux, cela une fois chaque jour. Ils peuvent effectuer de nouveaux sacrifices
au mont Thabîr où Abraham avait préparé le sacrifice de son fils. Il faut enfin terminer le pèlerinage par
un retour près de la Ka’ba pour y accomplir une ‘umra d’adieu.
86Ces rites sont souvent fort pénibles en raison de la foule et de la chaleur. Les embouteillages sont

indescriptibles. Beaucoup de pèlerins sont victimes de malaises et chaque année un certain nombre y
laisse la vie. Les jugements des pèlerins sont très contrastes, certains sont satisfaits, les Saoudiens leur
apparaissent comme les meilleurs des hommes, les avantages spirituels leur ayant fait oublier tout le reste
(cf. A. Turki et R. Souami). D’autres n’ont pas de mots assez durs contre cette “foire anarchique” et ces
“pourceaux saoudiens” (cf. le texte p. 316-324, dans le Traité de Hamza Boubakcur). Mais en général,
passé quelques moments d’indignation, le pèlerin en tire un sentiment de fierté et de confiance dans la
force et l’unité de l’islam.
87327 — Les pèlerinages à Médine et à Jérusalem. Ces pèlerinages ne sont pas évoqués par le droit
islamique : ils sont seulement d’usage.
88Médine a aussi un ẖaram où les infidèles ne peuvent pénétrer. Jusqu’à l’époque de Harûn ar-Rachîd la

maison du Prophète n’était pas un lieu de pèlerinage. Actuellement une belle mosquée (masjid ar-rasûl)
englobe un mausolée lequel contient la maison et le tombeau du Prophète, ainsi que les tombeaux d’Abû
Bakr et de ‘Umar. Un ẖadîth dit que celui qui aura accompli quarante prières sans interruption entre la
chaire (minbar) et la tombe du Prophète aura droit à l’intercession de Muẖammad à la fin du monde. Tout
le monde se précipite à l’ouverture de la mosquée pour prier à cet endroit, dit le jardin du paradis.
89La ville et la région de Médine offrent au pèlerin divers lieux de souvenir des origines de l’islam : la

mosquée de Qubâ‘ où le Prophète pria pour la première fois à Médine ; le cimetière al-Baqî’ où sont
enterrés les membres de la famille et certains compagnons du Prophète ; la mosquée des deux qibla ; le
champ de bataille d’Uẖud et son cimetière... Les wahhabites ont détruit de nombreux tombeaux de saints
personnages qui se trouvaient aux alentours. La plupart des pèlerins ne tarissent pas d’éloges sur Médine
et les Médinois.
90Un pèlerin termine souvent son périple par une visite à la troisième ville sainte de l’islam, Jérusalem

(al-Quds). Là se trouve la mosquée dite de ‘Umar, construite près du rocher sacré (sakhra), et coiffée
d’un dôme magnifique. C’est de ce rocher que le Prophète aurait accompli son ascension nocturne
(mi‘râj). Le pèlerin doit faire un ṯawâf, mais cette fois-ci dans le sens des aiguilles d’une montre. La
tradition islamique a accumulé les légendes autour de ce rocher. C’est en réalité l’ummayade ‘Abd al-
Mâlik Bn. Marwân qui fit construire ce sanctuaire en 72/688 et qui a ordonné à ses sujets d’y accomplir
le pèlerinage (pour les empêcher de subir l’influence de son rival maître de la Mecque). Selon un ẖadîth,
une prière faite à la mosquée sainte de la Mecque en vaut mille ordinaires, et une prière faite à Jérusalem
en vaut sept cent.
91De retour dans son pays, le pèlerin est fêté par sa famille et son voisinage. Il fait désormais précéder
son nom du mot ẖâjj, c’est-à-dire pèlerin. Il peut jouir d’une estime accrue de la part de ses
coreligionnaires.
92328 — Autres pèlerinages. L’usage de se rendre auprès des tombeaux des saints musulmans (de
renommée variable) n’est pas prévu par la loi islamique. Pour beaucoup de musulmans ce sont les seuls
pèlerinages pratiqués, et selon Bousquet, il est probable que nombreux sont ceux qui pensent ainsi
suppléer à une obligation qu’ils ne peuvent accomplir. Cet auteur rappelle aussi que deux califes ont
essayé de détourner le flot des pèlerins vers d’autres lieux saints, Jérusalem sous l’ummayade ‘Abd al-
Mâlik et Samara sous l’abbasside Mutawwakil.
93Les wahhabites et réformistes ont été très hostiles au culte des saints, pratique dans laquelle ils ont vu

une innovation blâmable ou de la superstition.


94Les chiites font un pèlerinage à Kerbala, en Irak, sur les lieux de la mort de Husayn, fils cadet de ‘Alî,
mort en 680, à la suite d’un affrontement contre les troupes du calife Yazid. De même sur les tombeaux
des premiers imams du chiisme.
§ 2 - Autres prescriptions et coutumes

95329— La circoncision. La circoncision des garçons (ṯahâra ou khitân) est traditionnelle et non
obligatoire pour la majorité des docteurs, obligatoire pour les chaféites. Le Coran n’en parle pas et les
traités de fiqh à peine. Aucune valeur théologique ou mystique particulière ne s’y rattache, si ce n’est le
souvenir d’Abraham. Mais la pratique a dépassé le droit, et la circoncision est devenue un signe très
pratiqué d’appartenance à l’islam.
96Elle consiste en l’ablation du prépuce. Elle peut se faire assez longtemps après la naissance,
jusqu’avant la puberté. Elle s’accompagne d’un sacrifice (cf. plus loin), d’aumônes et d’une fête
familiale.
97L’excision chez les filles (khifâdh) consiste en l’ablation symbolique de la peau du clitoris (excision

traditionnelle). Elle n’est pas pratiquée au Maghreb, mais seulement en Orient ou dans certaines parties
de l’Afrique noire (Mali, Soudan). En Afrique notamment l’opération peut atteindre profondément les
parties génitales de la fille et provoquer des troubles graves (excision dite pharaonique). Ce type
d’intervention grave est de plus en plus réprouvé par l’opinion musulmane qui en conteste la légitimité
religieuse (voir Bleuchot, Les Cultures, et la bibliographie pour le Soudan).
98330— Les sacrifices. Le principal sacrifice est celui qui se fait le jour du 10 dhû l-ẖajj, jour de la

grande fête (‘îd al-kabîr) ou de la fête du sacrifice (‘îd al-aḏẖa). Elle est marquée par une prière spéciale
qui précède immédiatement le sacrifice d’un animal. Celui-ci est égorgé d’un seul coup au nom de Dieu
(bi-smi Llâh). La bête doit être de préférence un mouton (malékites). Dès qu’elle a été destinée au
sacrifice on ne peut en tirer profit (vendre sa laine ou tirer son lait). C’est le chef de famille qui pratique
l’égorgement au nom de tous les siens, mais il peut se faire remplacer par un autre plus expérimenté. La
viande est en principe mangée par la famille, mais souvent elle est distribuée aux pauvres ou aux voisins,
même non musulmans.
99Sur le sens de ce sacrifice, du fait que l’animal vit quelque temps au sein de la famille, Bel a pensé
qu’il se chargeait de ses péchés et qu’ainsi son sacrifice était une sorte de purification, suivi d’une sorte
de communion. Mais cette théorie ne concorde pas avec la théologie musulmane qui ne comporte pas
l’idée de sacrifice. Selon Hamza Boubakeur, il s’agit d’un simple commémoration du sacrifice
d’Abraham. La loi islamique n’oblige pas à cesser le travail ce jour-là. Les réjouissances sont aussi de
coutume. Dans certaines régions du Maghreb on conserve, contrairement au droit, une partie de cette
viande jusqu’à la fête de l’Achura (‘âchûrâ’) qui se tient le 10 du mois suivant (muẖaram), le premier
mois de l’année lunaire 19 . On a vu, dans cette coutume, un rite de passage d’une année à l’autre.
100La ‘aqîqa est un sacrifice recommandé après la naissance d’un enfant. Il n’est pas totalement tombé en
désuétude. Il consiste en l’égorgement d’un ovin le huitième jour de la naissance. La viande en est mangée
ou donnée en aumône. Il est recommandé de raser les cheveux de l’enfant à cette occasion.
101331 — Interdits alimentaires. L’alimentation humaine fait partie de la religion et n’est pas libre dans

l’islam. Elle est réglementée cependant de manière moins stricte que dans le judaïsme. On a vu que
certains animaux et matières organiques (comme le sang) sont considérés comme impurs et polluants (cf.
n° 309). Ils sont interdits à la consommation.
102Le Coran permet le gibier de la mer (5, 96), tous les végétaux (6, 141) ; il interdit la bête morte, soit

trouvée telle, soit morte d’une chute, d’un coup de corne, ou par l’attaque d’un fauve. Le sang est interdit
ainsi que la bête étouffée car elle conserve son sang. Sont interdits également l’animal qui a été sacrifié
aux idoles et la viande de porc. Le Coran permet néanmoins la consommation des animaux interdits en
cas de famine, ainsi que la chasse au moyen d’animaux dressés (chiens, faucons) (5, 3-4). La permission
de manger tout ce qui est permis aux gens du livre (5, 5) est considérée comme abrogée par les versets 6,
1 18 et 121 qui posent l’obligation d’abattre une bête au nom de Dieu.
103Les juristes se sont par la suite référés à la Sunna et aux habitudes arabes préislamiques pour préciser

les cas litigieux. Furent donc écartés comme impurs les oiseaux sauvages, les bêtes de proie, les animaux
rampants (reptiles, vers). Comme il était interdit de tuer certains animaux (huppes, ânes et mules
domestiques), il fut donc interdit de les manger. Tout le reste est en principe permis, notamment les
sauterelles et les éléphants. Toutefois les divergences entre les rites sont très nombreuses sur ces
questions. Par exemple, ach-Châfi‘î, qui a vécu parmi les Arabes, permet la consommation des renards et
hyènes ainsi que du cheval domestique. Les malékites et hanéfites au contraire interdisent la
consommation du cheval et de l’âne domestique. Les malékites autorisent la viande d’oiseaux de proie.
104Le rite musulman de l’abattage est très simple. Il consiste à orienter la tête de la bête vers la Mecque,

puis à l’égorger rapidement au nom de Dieu (bi-smi Llâh). On la fait saigner ensuite sans se soucier du
sang qui reste dans la chair et qui ne coule plus : il est considéré comme pur. Le poisson, les sauterelles
n’ont pas besoin d’être abattus rituellement.
105L’interdiction de la consommation de la viande de porc est très unanimement pratiquée, comme un

signe de l’appartenance à l’islam, quoique les traités n’en parlent guère. L’alcool est formellement
interdit par la loi islamique et elle fait l’objet d’un ẖadd (peine fixée par Dieu) sur lequel on reviendra
dans la partie pénale.
106Les usages de la table sont aussi évoqués dans les traités. Manger dans la rue est blâmable. Un repas

doit commencer par l’invocation du nom de Dieu (“Bi-smi Llâh”) et se terminer de même (“al-Hamdu li-
Llâh). Les femmes mangent à part, entre elles. Au cours du repas, on doit parler modérément, se servir
seulement de trois doigts (pouce, index, majeur) de la main droite pour prendre la nourriture. Quand on
mange dans le même plat, on ne prend que ce qui est placé devant soi, sans choisir. On ne doit pas utiliser
de la vaisselle d’or et d’argent.
107Actuellement les usages occidentaux tendent à se substituer aux usages anciens, dans les villes surtout,
notamment le repas avec les femmes, l’usage des couverts, etc.
108332 — Rites mortuaires. On récite au mourant la profession de foi, et, en lui fermant les yeux, la
sourate Ya-Sin (Cor *36) (recommandée). On procède ensuite au lavage de sa dépouille, voire à ses
ablutions rituelles. Le laveur doit être une personne du même sexe ou un parent au degré prohibé. On vêt
le mort de ses derniers habits, en nombre impair. On ne lave pas, on ne change pas le martyr et on ne prie
pas sur lui : son sang est sa meilleure parure et la prière est inutile. Le convoi des parents et amis précède
la dépouille mortelle. L’école malékite interdit absolument toute cérémonie avec le mort dans une
mosquée.
109Avant l’ensevelissement plusieurs prières implorant la clémence divine sont prononcées. La prière ne
comporte pas de rak‘ât, et peut se faire par des invocations improvisées, ou à l’aide de textes préparés.
La dépouille est placée ensuite dans la fosse, sur le côté droit, le visage tourné vers la Mecque. Le
tombeau, doit être, chez les malékites, sans édifice, marqué par de simples pierres, deux pour les
hommes, trois pour les femmes. La pierre disposée près de la tête porte le nom, les dates de naissance et
de décès, une courte invocation à Dieu. La seconde pierre est à l’emplacement des pieds. La troisième
pierre, pour les femmes, au milieu.
110La prière pour le mort est très pratiquée, elle n’est jamais omise. On organise aussi des prières pour

les disparus. On procède aussi souvent à des aumônes après l’enterrement.


111L’autopsie, l’incinération, la dissection, le don d’organe sont en principe interdits. Le don d’organes

non vitaux (autres que le cœur, le foie et le cerveau) sont tolérés (Hamza Boubaker).
112333 — Vêtements. Les prescriptions vestimentaires pour les hommes ne sont pas contraignantes. La

pudeur impose de couvrir la partie du corps comprise entre les genoux et la taille. Pour la prière, il est
recommandé de se couvrir un peu plus, au moins la poitrine. Le Prophète affectionnant le blanc, le port de
vêtements blancs fait partie des usages des musulmans pieux. La soie est interdite, ainsi que le port des
bijoux, mais il n’y a pas d’inconvénient à embellir les sabres et les exemplaires du Coran.
113Selon Abû Zayd al-Qayrawânî le port du voile est obligatoire pour les femmes, qui ne doivent sortir de

chez elles que pour un motif impérieux. Elles ne doivent pas porter de perruque, ni se tatouer. La question
du voile féminin a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Nous reviendrons sur cette question qui doit
être traitée globalement avec le statut de la femme (voir tome III). Disons tout de suite ici que les
interprétations traditionnelles ont été vivement combattues par les réformistes et modernistes qui
soutiennent que le voilement de la femme n’est pas d’obligation.
114334 — Vœux et serments. Divers. Le droit identifie souvent le vœu (nadhr, pl. nudhûr) et les serments

(yamîn, pl. aymân ou qasam). On a reporté dans le chapitre de la procédure, ce qui avait trait aux
serments judiciaires et autres.
115Les vœux n’engagent que si l’acte promis est conforme à la loi. Un tel vœu, s’il n’est pas accompli,

oblige à une expiation. S’il est accompagné d’un serment, l’expiation sera double, une pour le vœu, une
pour le serment. Mais si le vœu illégal est accompagné d’un serment, une seule expiation est duc, à cause
du serment. Les traités détaillent les formules, les cas particuliers. Ainsi celui qui a fait vœu de donner
toute sa fortune en œuvres pics ne doit que le tiers, les deux tiers restants devant revenir à ses héritiers.
116Donnons ici quelques autres prescriptions, d’après Abû Zayd al-Qayrawânî, pour compléter la
description du droit du culte musulman. Comme on le constatera, ces prescriptions débordent largement
sur la morale.
117Parmi les pratiques obligatoires, il cite celles-ci. Respecter absolument ses parents, leur obéir, prier

pour eux. Baisser les yeux en présence des femmes avec qui le mariage est interdit ; ne pas avoir de tête à
tête avec les femmes avec qui le mariage est permis. Etre amical et généreux envers tous les croyants, ce
qui implique de les saluer, de les visiter quand ils sont malades, de leur pardonner leurs manquements,
d’assister à leur enterrement. Il faut éviter de se mêler des affaires d’autrui ; la brouille entre croyants ne
doit pas durer plus de trois jours et elle cesse avec un salut (toutefois, il est permis de rompre avec un
innovateur ou avec celui qui commet de grands péchés, et de le dénoncer). De manière générale le
croyant doit ordonner le bien et interdire le mal, par les actes s’il le peut, ou par la parole si c’est
possible, ou au moins dans son cœur (cf. n° 452 ce qui concerne la hisba). Se repentir de toute faute est
d’obligation ; on doit avoir le ferme désir de ne plus recommencer et de réparer.
118Parmi les interdictions, le même auteur évoque : mentir, proférer des paroles obscènes, écouter de
telles paroles ; faire et écouter de la musique profane ; mettre en musique le Coran ; jouer aux échecs, aux
jeux de hasard ; saluer les Juifs et Chrétiens le premier. Ce dernier point est même rapporté par des
auteurs contemporains (Abu Bakr Djaber al-Djaziri, La voie du musulman, p. 129-131), mais la pratique
de l’écrasante majorité des musulmans est amicale et ils sont bien mieux dans l’esprit du Coran qui
interdit l’orgueil (*16, 23).
119Parmi les recommandations, Abû Zayd al-Qayrawânî indique : se rapprocher de Dieu par la prière et
des pratiques surérogatoires ; se réfugier mentalement en Dieu dans les difficultés ; méditer sur la mort,
sur la miséricorde de Dieu, sur ses bienfaits ; prononcer de courtes oraisons (oraisons jaculatoires) dans
les divers actes de la vie courante... A partir de là, de nombreuses pratiques sont inspirées par l’esprit de
piété et débordent le droit musulman. Elles sont recommandées sans plus. Par exemple, selon un ẖadîth le
Prophète aurait aimé imposer l’usage du siwâq 20 avant la prière, mais il y renonça pour ne pas charger
les musulmans d’une obligation supplémentaire. Les musulmans les plus pieux se font une obligation du
siwâq, et on en trouve en vente dans tous les pays où les musulmans sont nombreux.
120D’autres pratiques sont blâmables : se teindre les cheveux en noir ; travailler, manger, soigner son

corps ou tuer poux et puces dans une mosquée ; avoir des chiens en ville ; avoir des représentations
figurées sur les murs ; faire des apartés dans la conversation ; faire du commerce en pays ennemi, etc.
121Bien sûr, pour toutes ces questions les divergences sont nombreuses, et beaucoup des pratiques
impliquées sont tombées en désuétude.
122335— Conclusion. Culte et coutumes. La plupart des traités sont très détaillés sur ces questions de

culte. Les divergences entre les rites sont nombreuses. Ibn Ruchd y consacre la moitié de sa Bidâya. Pour
le détail, on se reportera aux textes cités dans la bibliographie précédente. Tous ces rites et ces cultes ont
fait l’objet d’études ethnologiques plus ou moins intéressantes et plus ou moins hypothétiques. Il est
probable que la plupart d’entre eux ont une origine qui remonte loin dans le temps et que l’on trouve chez
les Arabes d’avant l’islam en particulier. On rapporte souvent l’origine des rites de la prière au
judaïsme, celle du jeûne au judaïsme et au christianisme, celle du pèlerinage au paganisme arabe. L’idée
que le culte islamique puisse être rapporté à ces religions antérieures choque parfois les musulmans.
Pourtant elle n’a rien d’inadmissible dans le système théologique islamique : Dieu s’est bien servi de la
voix du Prophète pour répandre sa parole, pourquoi ne se serait-il pas servi d’un milieu social aux
coutumes proches de sa loi pour en faciliter la réception ?
123D’autres rites, populaires, plus ou moins orthodoxes, ont existé et existent encore dans les pays
islamiques, dans les villes comme dans les campagnes. On ne peut que renvoyer encore aux études
ethnologiques régionales. Toutes font ressortir que l’islam est pluriel et n’a pas ce monolithisme que le
droit affirme (Ferchiou). Ce pluralisme est même un des caractères essentiel de l’islam concret. Il lui a
permis d’islamiser, au moins superficiellement au début, les milieux les plus divers, autant que les
individus les plus personnels, se réservant de déployer la rigueur du droit orthodoxe sur les générations à
venir.
124336— Les justifications du culte musulman. Le point de vue hygiéniste est souvent évoqué par les
auteurs contemporains pour justifier rationnellement le culte. Par exemple la prière musulmane aurait
pour motif une bonne gymnastique du corps. Ce genre de considération est très critiquable historiquement
et rationnellement.
125Historiquement on doit observer que ces justifications n’apparaissent que très tardivement, à la suite
du contact avec l’Occident moderne, et par manière d’apologétique. Elles ne constituent certainement pas
la motivation originelle des prescriptions cultuelles.
126Rationnellement on doit nier que le culte musulman soit une médecine, une pharmacopée et une hygiène

(comme certains cultes asiatiques), ce qui ne veut pas dire que le culte musulman soit contraire à la
médecine ou à l’hygiène, loin de là, mais il n’est pas cela. Sans compter que le point de vue hygiéniste
pousserait le droit musulman dans des polémiques oiseuses et sans issues : pourquoi l’islam interdit-il le
porc pour raison d’hygiène et n’a-t-il pas prévu la vache folle ? Pourquoi a-t-il institué le pèlerinage,
diffuseur d’épidémies ? Etc. L’acharisme coupe court à toutes ces problématiques, comme on l’a vu. Dieu
sait, pas l’homme. Pour les questions de culte, les mutazilites ne sont pas loin non plus de cette position.
Le culte est ce qu’il est et la raison doit s’arrêter devant lui.
SECTION 2 - FILIATIONS ET COMPARAISONS
127Pour bien saisir l’originalité de l’islam, il est essentiel selon nous de procéder à diverses
comparaisons historiques, théologiques et juridiques. On se bornera ici à une mise en perspective globale
(§ 1) et à une comparaison un peu plus précise pour le culte (§ 2). Ce faisant, nous prenons un risque
certain, mais nous avons songé surtout aux étudiants qui ont besoin de telles perspectives. Ils peuvent déjà
lire notre mise en garde (n° 343).
§ 1 - Les filiations théologiques principales

128L’islam est une religion monothéiste, la dernière des trois. Il convient de bien la situer par rapport au

judaïsme et au christianisme.
129337 — Le judaïsme. Il est né dans un milieu païen polythéiste et en réaction contre lui. Le judaïsme
n’est peut-être pas la première religion monothéiste (il y a eu des monothéismes en Orient, ne serait-ce
que la religion d’Akhnaton), mais c’est la première religion à dépasser le stade mythologique. En effet, le
judaïsme n’a pas de mythologie, ou du moins pas de mythologie comparable à celle des autres religions
de l’époque. Il est essentiellement historique : la révélation s’est faite dans l’histoire, à Abraham, à
Moïse au Sinaï, par des prophètes, et non à l’origine des temps. Le récit d’Adam et Eve, qui est le récit le
plus mythologique de la Bible, tardivement composé et probablement adapté de récits moyen-orientaux,
est étrangement dépouillé si on le compare à ses modèles correspondants : pas de théomachie, pas de
dieux cruels, pas de panthéon, etc. L’essentiel du judaïsme, la loi de Moïse, donc la structure de la
religion juive, était déjà fixée à l’époque où fut composé ce récit : Dieu unique révélant sa loi par la
prophétie. D’ailleurs la théologie juive n’exploite pas le récit de la chute comme le fera la théologie
chrétienne.
130En réaction avec le milieu païen, le judaïsme adopte une loi qui le met à part des peuples. Tout ce qui
pourrait rappeler ou signifier la moindre compromission avec le polythéisme est fermement condamné ;
pour les transgresseurs c’est souvent la peine de mort. Le culte, le dogme, la morale se manifestent
essentiellement sous la forme d’une loi, et la Torah, dans la théologie juive postérieure, est coéternelle à
Dieu, elle est la sagesse même. Tous ces caractères seront conservés dans l’islam, à l’exception peut-être
de la conception de la loi comme sagesse personnifiée, encore qu’on a vu la ẖikma, la sagesse, être le
motif réel de la loi.
131Pourtant, dans le judaïsme, une autre tendance théologique va naître, celle qui est représentée par les

prophètes, au cours de la révolution universelle du VIe siècle avant Jésus-Christ. Le prophétisme de cette
époque pourrait être défini comme un effort de dépasser la loi, de la rendre plus intérieure, plus morale.
Il introduit un conflit dans le judaïsme, conflit entre la lettre et l’esprit, entre le légalisme des prêtres et la
spiritualité des prophètes, conflit entre la morgue des puissants et la misère du peuple. La conception de
la prophétie elle-même s’en trouva changée : Moïse était un chef de guerre, un législateur, un libérateur.
Ses ennemis sont vaincus car Dieu ne les appuie pas et la victoire est le signe de la faveur de Dieu.
Jérémie est au contraire une sorte de Cassandre haï, persécuté, qui rate sa vie, mais qui est en fait le
véritable ami de Dieu. Les vainqueurs de Jérémie sont les méchants et leur victoire ne signifie rien. Isaïe,
Ézéchiel et les autres vont dans le même sens. L’islam ne reprendra pas vraiment ce versant du judaïsme.
132338 — Le christianisme. On comprend que c’est le versant mystique et prophétique du judaïsme qui

donne le christianisme. Il fait passer l’esprit avant la lettre, la conscience avant la loi. Jésus-Christ est
vaincu par le monde, mais sa défaite terrestre elle-même signifie sa victoire sur le monde et son intimité
avec Dieu. La structure religieuse est très différente, clic est fondée sur la Trinité et la divinité du Christ,
vrai homme et vrai Dieu, ainsi que sur la chute (le péché d’Adam) et la rédemption par la grâce libre de
Dieu, moyennent la foi, presque indépendamment de la loi.
133On pourrait expliquer l’étonnante réception du christianisme en milieu grec et romain et au contraire

son manque d’enracinement en milieu africain ou moyen-oriental. Comme l’a montré Jacqueline de
Romilly (Pourquoi la Grèce ?), en Grèce, la conception du héros est celle du héros malheureux. Ce qui
intéresse les poètes, c’est Achille ou Hercule malheureux, le héros déchu, ou encore Antigone face au
pouvoir. C’est lui ou elle qui porte la véritable morale et le sens véritable du monde, de la politique, des
dieux. Ainsi le Christ, comme Socrate, scellant de sa mort la véracité de ses dires, a une affinité certaine
avec l’esprit grec.
134Mais aucune religion ne peut vivre sans ses deux aspects, mystique et juridique. Aussi le christianisme,

après avoir exploré toutes les implications dogmatiques de la venue du Fils de Dieu, en utilisant les
concepts grecs, empruntera vite du droit au droit romain, nécessaire pour discipliner des adeptes trop
libres par ailleurs. De même le judaïsme, après avoir exploré de fond en comble la Loi dans le Talmud,
recréera son versant mystique avec la Kabbale ou le hassidisme. Dans le christianisme la théologie est
première, dans le judaïsme, c’est la loi qui est première.
135339 — L’ islam. Il part avec la même structure religieuse que le judaïsme, mais un judaïsme ancien,

juridique, et non déchiré par une problématique de la lettre et de l’esprit. L’islam ne reprend à peu près
rien du christianisme, mis à part le monothéisme et la reconnaissance de Jésus comme prophète (et non
comme Fils de Dieu). L’islam aussi, après avoir développé tous les aspects de la loi, dut se rééquilibrer
en créant une théologie et une mystique quelque temps après sa fondation. Mais la loi est première.
136Le prophète Muẖammad est comme Moïse, un prophète législateur et vainqueur, et la victoire est le

signe de la faveur de Dieu. Élément de théologie capital : toute défaite ou victoire militaire a pour les
musulmans une dimension métaphysique. Ce qui explique que les défaites devant Israël ou devant les
Occidentaux chrétiens sont si vivement ressenties, car elles sont vécues comme des signes (au sens fort)
contre l’islam.
137L’islam se considère comme la religion qui rectifie les deux autres, qu’il considère comme déviées.

Les textes de la Bible, ancien et nouveau testament, sont refusés comme falsifiés. Il reconnaît que les Juifs
ont eu de véritables prophètes, il admet que le Christ est aussi un prophète, mais il réécrit leur histoire et
met dans leur bouche des paroles très musulmanes. Tout cela se conforme à sa vision de la prophétie :
ainsi David n’a jamais péché, car il est impossible qu’un ami de Dieu soit un pécheur ; le Christ n’est pas
mort en croix, car il est impossible que Dieu l’abandonne. Ainsi l’islam ne se place qu’en apparence
dans le prolongement du christianisme et du judaïsme, en détournant à son profit les noms propres et “le
petit cinéma” 21 attaché à chaque personnage prophétique. Une bonne partie du Coran est consacrée à
cette réécriture de la Bible et non à une réinterprétation de l’ancien testament, comme le fait le
christianisme vis-à-vis du judaïsme. D’où cette source permanente de malentendus avec les musulmans
qui disent croire en tous les prophètes, mais qui, en fait, n’en reconnaissent qu’un seul. Ou qui s’étonnent
qu’on se refuse à croire en Muẖammad qui pour eux dit la même chose que les autres, etc. En même
temps, chaque fois qu’on insulte Moïse, Marie ou Jésus, ils se sentent solidaires des juifs et des chrétiens,
car défendre l’honneur des prophètes est pour eux un devoir sacré.
138Le rapport de l’islam aux religions précédentes n’est donc pas du tout le même que celui du
christianisme avec le judaïsme. Le prophète Muẖammad n’était pas chrétien, alors que Jésus était
pleinement juif. Les premiers chrétiens, tous juifs au départ, ont vécu avec l’ancien testament seul, avant
d’écrire le nouveau qui a réinterprété l’ancien mais ne l’a jamais rejeté. En revanche, les premiers
musulmans étaient païens, et le Coran seul fut Écriture sacrée et même parole de Dieu dictée
textuellement. Sociolo-giquement, Muẖammad peut être bien comparé à Moïse : il fait passer un peuple
païen du polythéisme au monothéisme, pose une législation en partie nouvelle mais qui conserve certains
rites et coutumes arabes.
139340 — La religion comme système de pensée. Dans les comparaisons théologiques ou juridiques, il
faut surtout se méfier des transpositions hâtives (cf. n° 343). Chaque religion forme un système, et ce qui
est choquant pour les uns ne l’est pas pour les autres. L’exemple éclairant est ici celui du rapport aux
Écritures et au temps. Dans le système musulman, le temps n’apporte que corruption (fasâd) et les
Écritures ne sauraient évoluer, sous peine d’être considérées comme falsifiées. Sa problématique est
celle de la révélation/corruption dans une conception du temps quasi cyclique : chaque prophète rappelle
le même message qu’ont reçu Adam, Abraham, Moïse et Jésus. Dans le judaïsme, le temps change le
rapport entre l’homme et Dieu, en sorte que les Écritures se bâtissent avec les siècles pendant l’époque
du premier Temple, que les Sages d’Israël les mettent en forme génération après génération en attendant
celle qui les fixera (les Massorètes), celle qui écrira le Talmud, celle qui simplifiera la Loi, etc.
Actuellement la théologie et la philosophie judaïques tendent même à sortir d’une conception du “livre-
idole” 22 . Dans le christianisme c’est la Tradition qui écrit l’Ecriture (le Nouveau Testament), c’est elle
qui, sous l’action de l’Esprit Saint les interprète, pose les dogmes à travers les conciles, etc. Dans les
religions juive et chrétienne la communauté est comme un prophète sans cesse en action et on peut
considérer la Bible comme un empilement d’exégèses, et la Tradition comme créatrice de formes
religieuses nouvelles. Cela est évidemment inadmissible pour l’islam.
§ 2 - Comparaisons

140341 — Islam et judaïsme. On a souvent tendu à rapprocher islam et judaïsme en particulier en ce qui

concerne le culte. S’il y a des concepts communs, les différences restent considérables. Selon Lazarus-
Yafed, les plus importantes en ce qui concerne le culte sont les suivantes :
141La différence fondamentale est que les lois de l’islam sont des lois faites pour des marchands, et sont
difficiles à observer par les agriculteurs. En effet on ne trouve pas de littérature agricole dans le fiqh :
elle est réduite à peu de choses (zakât, contrats agricoles) tandis qu’elle est développée dans le Talmud
de Jérusalem qui lui consacre tout un ordre (Ordre Zeraïm). Le calendrier lunaire musulman n’est pas
adapté à l’agriculture qui est nécessairement solaire dans son rythme. Le calendrier des fêtes juives est
stable, ses fêtes sont des fêtes agricoles, c’est un aspect essentiel de l’unité de la communauté juive. Les
fêtes islamiques ne sont pas agricoles, il n’y a pas d’insistance sur leur nécessité et leur déroulement. Le
jeûne du mois de ramadan, errant dans l’année, rend le travail agricole pénible, voire impossible pendant
les mois d’été. Dans l’islam, le travail est permis pendant le jeûne. Dans le judaïsme, le jeûne est réduit à
un jour à date fixe, au cours duquel tout travail est interdit. Le pèlerinage annuel à la Mecque suppose
qu’on abandonne les récoltes pendant de longs mois, ce qui est difficile à un agriculteur 23 . Les lois sur
les héritages, montrent encore cette différence : les lois juives sont des lois agricoles, les lois islamiques
de succession morcèlent la propriété et sont inadéquates à l’agriculture. Les impôts religieux font l’objet
de développements considérables (prémices, dîme, dons aux prêtres, etc.) dans le judaïsme, tandis que
dans le fiqh islamique, la zakât est une taxe dont le produit est destiné à l’aumône et non au culte.
142Les lois concernant la pureté sont plus douces en islam, elles sont secondaires et ne jouent un rôle que

pour la prière, le jeûne, et le divorce. 11 ne faut pas se presser de parler d’influence juive en ce
domaine : on a repéré des lois semblables en Arabie préislamique (au sud) (Ryckmans ; AION, XXXV,
1975, p. 454-457) et chez les Samaritains. Ainsi sont sources d’impureté en islam, les excrétions
humaines, le sang, le porc, les animaux morts sans avoir été tués rituellement (sauf le poisson, le gibier,
certains insectes comme les sauterelles) et l’alcool. Tandis que dans le judaïsme les sources d’impureté
sont très nombreuses : cadavre, sang, nombreux animaux, etc. Les sources de pureté pour l’islam sont
l’eau courante, et éventuellement le sable (en cas de manque d’eau). Dans le judaïsme, ce sont les mêmes
plus l’huile, le sang des victimes et les offrandes (Lev. 14). Dans les deux religions on observe des
discussions parallèles sur les bains, les récipients les objets impurs, etc. Le cadavre humain ne souille
pas selon l’islam comme c’est le cas dans le judaïsme et il est possible de bâtir une mosquée sur une
tombe, encore qu’il ne faille pas la placer face à la Mecque pour éviter que les fidèles ne prient comme
s’ils adoraient le mort ; le cimetière n’est pas impur, la visite du tombeau du Prophète à Médine est
recommandée. La lèpre est impure dans le judaïsme, pas dans l’islam, toutefois elle est un cas
d’annulation du mariage. Dans le code ottoman les lépreux étaient bannis (Heyd, p. 303).
143La femme accouchée est impure pendant 40 jours en islam, tandis que dans le judaïsme, la femme est

impure pendant 7 jours si elle a eu un garçon. Elle doit ensuite, après 33 jours offrir un holocauste
(agneau d’un an ou tourterelle) plus un sacrifice (tourterelle) pour le péché. Si elle a eu une fille
l’impureté est de 14 jours et elle doit attendre 66 jours avant d’offrir les mêmes offrandes sacrificielles.
L’impureté de la femme menstruée ne se communique pas selon l’islam ; elle se communique au toucher
dans le judaïsme (Lcv 15, 20). Dans les deux religions, elle est impure. En islam, elle ne peut prier, ni
entrer dans une mosquée, ni ne peut jeûner (elle doit rattraper ses jours), ni toucher le Coran. Toutefois
elle peut participer au pèlerinage sauf pour la circumambulation. Dans le judaïsme elle doit prier et
jeûner. Nombre de prescriptions du judaïsme ne s’appliquent plus après la chute du second Temple. L’état
de sacralité pendant le pèlerinage islamique (ne pas se couper les cheveux, les ongles, ne pas avoir de
relations sexuelles, porter un vêtement blanc sans coutures) rappelle les lois du nazirat et celle du
pèlerinage à Jérusalem, mais il y a de nombreuses différences.
144Le Temple de Jérusalem et la Ka’ba de la Mecque n’ont rien de commun. La terre sainte et le Hedjaz

sont de nature juridique différente. Les prêtres n’existent pas en islam. Dans le judaïsme, les prêtres, puis
les rabbins après la chute du Temple jouent un grand rôle. Pour l’islam, il n’y a pas de sacrifices au sens
judaïque, et la fête de l-‘îd al-kabîr n’est qu’un repas familial commémoratif d’Abraham et dont la
majeure partie doit finir en aumône. Le Sabbat ne correspond pas au vendredi. Pour l’islam Dieu ne se
repose pas le septième jour, il n’est pas fatigué (Cor *50, 38).
145Pour l’islam, l’idolâtre est impur, en principe, et on est impur à son contact (Coran *9, 28) ; de même,

selon certains auteurs, sont impurs les hypocrites et les Gens du livre. L’incroyant ne peut entrer à la
Mecque, ni s’établir dans le Hedjaz. Étant impur, il ne doit pas toucher le Coran. Dans le judaïsme,
l’incroyant est impur, mais les lois de pureté ne s’imposent pas à lui, et dans certains cas son cadavre ne
contamine pas.
146Bien d’autres différences pourraient être relevées. Remarquons surtout que les mêmes actes ou les

mêmes concepts renvoient à des réalités différentes, car ils sont insérés dans un cadre de pensée
différent. La connaissance du cadre est donc toujours essentielle à la compréhension d’un élément.
147342 — Islam et christianisme. Pour le culte les comparaisons avec le christianisme sont encore plus

superficielles.
148Les différences sont considérables : il n’y a pas de sacrements en islam et donc pas de théologie
correspondante. La théorie catholique du sacrement conférant la grâce ex opere operato, c’est-à-dire par
l’opération de ce qui a été opéré, quelle que soit l’indignité du prêtre (mais pas du récipiendaire), est
inconnue en islam.
149En revanche, le protestantisme ayant minimisé les sacrements jusqu’à en faire des actes symboliques,

peut être rapproché de l’islam : le sacrifice de l-‘îd al-kabîr est une commémoration pour l’islam comme
la Cène dans le protestantisme.
150Il n’y a pas de clergé selon l’islam pour distribuer les sacrements, donc pas de classe d’intermédiaires

entre Dieu et l’homme. Il y a dès lors un rapprochement possible avec le protestantisme, du fait qu’il
minimise le rôle des pasteurs et que le libre examen de la Bible par le fidèle le place seul devant Dieu.
Les pasteurs, comme les rabbins et les imâm-s ne sont les ordonnateurs des cérémonies religieuses que
pour des raisons d’organisation et de compétence, des raisons disciplinaires en quelque sorte. Le
judaïsme avant la chute du Temple exigeait au contraire une ordination spéciale du prêtre, et le
catholicisme l’exige toujours.
151La prière musulmane ne peut pas être valablement comparée à la messe catholique. Dans la première il

n’y a “rien à voir” si ce n’est le dos de l’imâm, et que des prières à entendre. Dans la messe, c’est tout
autre chose : vêtements somptueux des prêtres, déplacements collectifs ou non, musique d’orgues, chants,
statues, vitraux, objets d’or, cierges, encens, etc. (Bousquet d’après Will). En revanche le culte protestant
ou le culte judaïque après la chute du Temple souffrent comparaison : ce ne sont que de simples réunions
de prière. Dans le judaïsme de l’époque du Temple, la cérémonie religieuse principale est un véritable
sacrifice : des êtres vivants sont tués et brûlés (holocaustes) pour obtenir un rapprochement avec Dieu.
Mais dans le catholicisme le sacrifice de la messe n’est pas exactement le même, il n’est pas sanglant, il
est la réactivation pour les fidèles du sacrifice parfait et définitif constitué par la mort de Jésus-Christ
(voir l’épître aux Hébreux). Bousquet parle pourtant de sacrifice non sanglant dans l’islam à propos de la
zakât, aumône de purification. Pour notre part, nous avons pu observer qu’une sorte de raisonnement
sacrificiel existe en Islam à propos du droit pénal : on lit chez les réformistes ou les islamistes que si les
musulmans ne sont pas puissants c’est que le droit pénal n’a pas été observé, comme si le sacrifice des
mains des voleurs était nécessaire aux bons rapports avec Dieu. La notion de sacrifice n’est
probablement pas univoque ici et là et des recherches en ce domaine seraient bienvenues. Il demeure que
l’islam n’a pas vraiment de théologie sacrificielle, la victime de l-‘îd al-kabîr est mangée et distribuée
aux pauvres, c’est cette aumône qui constitue la vraie perte du croyant qui effectue une kaffâra. Comme le
dit justement Bousquet, même si le rite musulman comprend des rites sacrificiels ou magiques, donc
d’origine juive ou païenne, sa théologie n’en a pour ainsi dire rien conservé.
152Bousquet souligne ensuite le côté individuel du culte musulman, malgré les apparences. Le judaïsme
insiste sur les cérémonies familiales (Sabbat, Pâques), le christianisme sur le culte collectif (messe,
communion) ou nécessitant un représentant de la collectivité ecclésiale (prêtre), culminant dans une
théologie de la communion des saints. Tous les actes du musulman pourront se faire dans la solitude,
même s’il est recommandé de faire la prière en commun, mais cela n’est obligatoire que le vendredi, si
un quorum de douze ou même quarante selon les divers docteurs est atteint. De même pour le pèlerinage,
chacun le fait pour son compte, il n’y a pas de rite à faire en commun. Bousquet écrit : “s’il n’y avait
qu’un seul croyant ou croyante au monde, il ne serait, en tant que musulman, nullement gêné pour se livrer
aux pratiques de son culte, et en particulier pour faire la prière et le jeûne et pour accomplir le
pèlerinage ; le protestant et le juif seraient assez gênés ; le catholique, même prêtre, serait frappé presque
de paralysie : pas de confession, pas de messe sans desservant...” (p. 118). De plus l’idée de la continuité
de la transmission apostolique est capitale dans le catholicisme, avec tout ce que cela implique dans la
pensée de la communion ecclésiale ; du rôle des évêques, ainsi que de l’organisation des paroisses, des
diocèses, du Vatican, des conciles, du Pape. La théologie catholique met aussi fortement l’accent sur la
communion des saints, c’est-à-dire sur le caractère collectif du salut : le catholique ne se sauve pas seul,
il profite des mérites des autres, et les autres des siens. Jésus-Christ porte les péchés de tous les hommes,
et il les sauve tous. Les saints (en particulier la Vierge Marie) sont des intercesseurs. Tout cela est
étranger à l’islam, chacun portera sa faute et l’idée de Muhammad intercesseur, admise par l’orthodoxie,
a été longtemps contestée.
153L’idée de pureté intérieure existe en l’islam et le Coran l’évoque souvent. L’aumône en particulier

purifie comme on l’a vu. Mais l’islam y adjoint toute une doctrine et une pratique de pureté rituelle.
L’impureté rituelle interdit la prière canonique et de toucher un Coran. L’impureté peut être involontaire
(un vent, une incontinence). Dans le christianisme, la pureté (ou l’état de grâce) est purement spirituelle et
sa perte résulte toujours d’une volonté de faire le mal. Quant au péché grave, s’il interdit la participation
aux sacrements, il n’empêche pas la prière, ni la participation à la messe, ni la lecture de la Bible, etc.
154En observant ce qui peut être encore rapproché, il faut remarquer tout d’abord qu’il n’y a pas de

pèlerinage obligatoire dans le christianisme, donc que les pèlerinages ne peuvent être que surérogatoires.
Au moyen âge ils ont pu avoir une importance assez grande, et ils constituent le motif religieux des
croisades. Ils étaient le plus souvent conçus comme des pénitences publiques. Le jeûne de 40 jours
pendant le carême est laissé à l’appréciation de chacun, et ses pratiques obligatoires (abstinence de
viande par exemple) peuvent être modifiées par le Pape. Dans le christianisme, toutes les nourritures sont
permises, sauf la chair humaine.
155On voit donc que les comparaisons avec le christianisme sont toujours difficiles et que les
rapprochements entre le christianisme et l’islam restent toujours superficiels.
156343 — Mise en garde. Terminons par une mise en garde : ces indications historiques ou théologiques

ne sont que des vues rapides, fort critiquables, destinées surtout à poser quelques grands repères, à
montrer la cohérence des systèmes et à souligner l’intérêt de recherches transversales. Elles ont une
fonction pédagogique et ne constituent pas “le jugement de la science”. On a voulu souligner l’intérêt des
comparaisons, la nécessité d’élargir les cadres de références, l’importance de la culture historique et
sociologique. On s’est accordé une facilité d’écriture en parlant de judaïsme, de christianisme et d’islam.
Que sont en fait le judaïsme, le christianisme, l’islam ? Des essences ? Des forces ? Des acteurs ? Il
n’existe bien sûr que des gens qui se disent juifs, chrétiens ou musulmans, des pratiques plus ou moins
observables, des livres plus ou moins clairs, des théories datées et localisées... Le risque en matière de
comparaisons est permanent, on peut toujours prendre une idée personnelle pour de la science, une
déformation tendancieuse pour la pensée des autres, une consolation apologétique pour une vérité établie.
Personne n’est certain d’être objectif, ni le croyant, ni l’incroyant. Personne ne peut prétendre bien
connaître une religion, ni celui qui y croit, ni celui qui n’y croit pas. Il convient surtout de s’astreindre à
bien repérer “qui dit quoi, où, et à quelle époque, dans quel contexte”. Quand on aura bien daté, localisé,
et rapporté à son auteur l’idée qui apparaît, on aura moins de chances de se fourvoyer. On sera dans des
balises bien claires, séparant la pensée de chaque auteur, ce qui contraindra à éviter les généralisations et
les raccourcis déformants ... ou consolants.
Notes
16 C’est-à-dire dans la proposition “il n’y a d’autre divinité qu’Allah” (note de Bercher).
17 Cet acte sexuel est par ailleurs un fait juridique important : outre l’obligation mentionnée, il entache de nullité le pèlerinage ou le jeûne ; il a
pour conséquence l’obligation du paiement du don nuptial si les relations sont légales ou l’application de la peine fixe (ẖadd) si les relations sont
illégales, etc.
18 En revanche il n’est nullement interdit, ni même déconseillé, à un musulman d’entrer dans une église ou une synagogue pour la visiter en
touriste ou en amateur d’art si l’on en croit la fatwâ du Conseil supérieur islamique d’Alger, en novembre 1988, Islamochristiana, n° 15, p.
180-181.
19 A l’origine semble-t-il le 10 muẖaram est un jour de jeûne juif qui a été observé par le Prophète et, après l’institution du jeûne du mois de
ramaḏân, par les musulmans pieux, mais le 9. Pour les chiites, c’est l’anniversaire de la mort de Husayn à Kerbala, jour de deuil et de
pénitences.
20 Le siwâq est un bâtonnet fait à partir de l’arâk, une plante épineuse dont se nourrissent les chameaux. Il sert à se nettoyer les dents et à se
parfumer la bouche.
21 L’expression est de Michel Lelong. Il veut dire l’ensemble des traits distinctifs que l’on rapporte à chaque prophète, Noé et son arche,
Moïse et la révélation du Sinaï, David et les psaumes, Jonas et le poisson, etc.
22 Voir les ouvrages de Ouaknin et ses références philosophiques (notamment Lévinas).
23 En islam on peut cependant, en cas de maladie grave, le faire faire par quelqu’un d’autre (déjà hâjj) dont on assume les frais.
Tome II. Fondements, culte, droit public et mixte
Le droit public
Généralités

1344 — Droit musulman, État et société. Le droit musulman, droit religieux, est un droit qui doit

s’appliquer à l’État et à la totalité de tous les croyants qu’il gouverne, dans tous leurs actes, cultuels ou
non, et souvent aux incroyants. Ce n’est pas, comme le droit canonique romain, un droit qui ne s’applique
qu’à l’Église, à son clergé et à ses biens, et ne s’applique aux laïcs catholiques que dans la mesure où ils
ont un rapport avec cette Église. Le droit canonique chrétien est le droit d’une association privée en vue
d’un but commun, si l’on peut dire, et qui n’a de règlements que dans la mesure ou ledit but est concerné.
2A l’inverse le droit musulman est le droit que doit appliquer le souverain, le calife, successeur du

Prophète, droit qu’en principe les ulémas lui rappellent. La communauté tout entière doit vivre dans ses
institutions sacrées. L’umma islamîya est “une communauté qui prend en charge en un seul et
indissociable élan les relations de chaque croyant avec Dieu et les relations des croyants les uns avec les
autres sur un plan moral, social, politique” (Gardet, La cité, p. 273). La vie du musulman est entièrement
sacralisée, et la communauté a le devoir de maintenir cette sacralisation.
3Il s’ensuit qu’il n’y a pas de zone laïque qui se distinguerait d’une zone cléricale. Ces deux mots, laïc 1

et clérical, n’ont pas de sens en islam. En théorie, et bien souvent en pratique, tout musulman a le devoir
de maintenir l’islam, de l’enseigner, de le défendre, etc. S’il n’y a pas de clergé en islam, c’est que tous
ont des fonctions cléricales, tous jouent ou peuvent jouer le rôle de prêtre (conduire la prière par
exemple). Tout le droit est un droit sacré, et l’on devrait parler, pour chaque chapitre, de mariage saint,
de contrat saint, de procédure sainte, de guerre sainte, de royauté sainte aussi bien que de prière sainte ou
jeûne saint. Mais à l’inverse on pourrait dire aussi que tout le monde est laïc, parce que personne n’a un
statut de prêtrise, et que les ulémas ne sont en rien des prêtres. C’est cette situation qu’ont voulu traduire
Massignon puis Laoust en utilisant l’expression contradictoire de “théocratie laïque” (Laoust, Schismes,
conclusion).
4Il faut donc se méfier des analogies entre islam et christianisme, comme l’analogie entre le calife et le

pape, les ulémas et les évêques, les imams et les prêtres, etc. Elles sont totalement malvenues ainsi que
les traductions qui leur correspondent, par exemple imamat traduit par pontificat (chez Lucciani,
traduisant Juwaynî).
5345 — Les ulémas et le pouvoir. Les ulémas par exemple ne constituent pas un clergé de droit canonique

et ne sont pas, institués par des actes sacramentels comme les évêques et les prêtres. Seul leur savoir les
désigne et les limites de leur ensemble sont toujours floues. Leur position tant sur le plan religieux que
sur le plan politique est faible. Ils se constituent comme un clergé de fait, mais manquent de légitimité sur
ces deux plans. Ils furent soumis dans toute l’histoire de l’islam à des pressions et à des marchandages,
pouvant aller jusqu’à la persécution quand ils refusaient d’obéir au prince. Mais leur emprise sur les
musulmans est forte, car ils viennent du peuple et vivent avec lui. Les circonstances aidant, ils peuvent
déstabiliser le pouvoir, surtout si un prince concurrent fait mine d’être mieux disposé envers la religion et
à leur égard. Ils sont aussi souvent au service du souverain, soit que ce dernier suive effectivement la loi
islamique, soit qu’il ait réussi à persuader les saints hommes que, dans l’intérêt général, il convenait de
donner des fatâwâ conformes à son désir. Mais cette situation peut être renversée, soit par d’autres
ulémas mécontents qui sont prêts à suivre un prince concurrent, soit par le peuple pressuré, toujours prêt à
écouter les sirènes subversives d’agitateurs hétérodoxes aussi bien qu’orthodoxes, qui se posent toujours
plus ou moins en restaurateurs de la volonté de Dieu (Laoust, Schismes, passim).
6Ce type de légitimité donne une situation très instable, politiquement et juridiquement. Il découle du
caractère religieux de l’umma islamîya, la communauté islamique.
7346 — L’umma. D’après l’Encyclopédie de l’islam, le mot umma (pl. umam) ne doit pas être dérivé de

la racine ‘, m, m (d’où vient la mère, ‘umm). Il existe en hébreu (‘umm) et appartient au fond sémitique. Il
a le même sens : peuple, communauté, nation. On trouve aussi d’autres sens : période, génération (Coran
* 11, 8 2 ; *12, 45) ou conduite (*43, 22), ce qui ne nous apporte rien. Dans l’optique du Coran, umma
renvoie à un peuple, un groupe ethnique, ou linguistique qui fait l’objet du plan divin de salut, quoique
dans certaines références ce sens religieux soit discuté (*7, 164 ; *28, 21). Le mot s’applique aussi aux
jinns (*7, 38 ; *41, 25 ; *46, 18) et à toute créature vivante (*6, 38), et exceptionnellement à Abraham tout
seul (*16, 120) avec probablement le sens d’imâm, ou en prévision de l’umma juive.
8D’après le Coran, Dieu a envoyé à chaque communauté (umma) un messager (10, 47, par exemple) pour

la guider, et chaque umma passera en jugement (*6, 108, etc.). Mais dans une communauté donnée, il peut
y avoir d’autres communautés, en particulier d’hommes pieux (*3, 115 sq. ; *7, 159 ; etc.). Le Coran
discute aussi la raison de la pluralité des communautés (umam), et renvoie finalement au fait que c’est la
volonté de Dieu (*10, 19 ; *10, 48 ; *11, 118 ; *16, 93 ; *42, 5).
9Il s’ensuit que le mot umma doit toujours être précisé par un adjectif ou un complément. On doit dire par

exemple ummat n-nabî Muhammad, la communauté du prophète Muhammad, ou al-ummat l-islamîya, la


communauté islamique. Néanmoins l’usage a fait qu’on emploie umma tout court pour désigner l’umma
islamique. Quelques expressions synonymes existent comme al-jamâ’at al-mu’minîn, l’ensemble des
croyants, qui est un concept plus sociologique, mais faisant référence à la tradition. Dâr al-islârn est plus
juridique et s’oppose au dâr al-harb, nous y reviendrons dans le chapitre sur le jihâd. Est juridique aussi,
l’expression dâr al-’adl, la maison de la justice, celle où l’on applique la loi islamique.
10347 — Caractères de l’umma islamique. Comment se dessine cette ummat n-nabî ? Au début, semble-t-

il, le Prophète ne pensait qu’à l’umma ‘arabîya. Il se pensait comme le messager envoyé, comme cela
avait été le cas pour les autres, à une communauté particulière, les Arabes, jusqu’ici négligés (13, 30).
Mais à Medine la perspective changea. La “Constitution de Médine” (le texte semble tout à fait
authentique et se trouve dans la Sîra d’Ibn Hishâm) signale que les gens de Médine, y compris les juifs
forment une seule communauté. Ici umma signifierait “nation”. Mais les choses ne durèrent pas, car après
l’élimination des Juifs, les gens de Méine étaient tous musulmans. Par la suite, avec la conquête de la
Mecque, l’umma désigna seulement les musulmans.
11L’umma islamîya est particulière, selon le Coran. Elle doit avoir certaines qualités, ses membres
appellent au bien, à ce qui est convenable et interdisent le mal (3, 104). Cette communauté est la
meilleure de toutes pour cela même (3, 110). Elle ne se divise pas (3, 103). Elle est éloignée des
extrêmes (2, 143). Selon un hadîth elle “ne tombera pas dans l’erreur” (texte qui fonde l’ijmâ’).
12L’umma prend sa consistance unitaire par son représentant suprême, le calife, qui applique la loi
islamique et au nom de qui on dit la prière (chapitre VII). Du point de vue juridique, cette unité est
marquée dans la théorie par l’idée du dâr al-islâm, qui s’oppose au dâr al-ẖarb. En principe ces deux
mondes sont perpétuellement en guerre et la théorie de cette guerre, le jihâd, constitue ce qu’on pourrait
appeler le droit international. Au califat, on pourrait aussi rattacher les bribes d’un droit fiscal, mais en
avons rejeté l’étude dans le chapitre de la propriété avec le statut des terres (chapitre 12, in tome III).

Notes
1 Attention au fait que le sens du mot laïc a lui-même évolué. Au moyen âge il désignait le chrétien non-prêtre par opposition au prêtre mais
aussi au non chrétien. Après les luttes du xixe siècle le terme laïc perd sa consistance chrétienne et prend des sens voisins de “non chrétien”
ou “anticlérical”.
2 Rappelons que les références au Coran précédées d’un astérisque (*) ne figurent pas dans l’annexe 1 du tome 1. Celles qui n’en possèdent
pas y figurent.
Chapitre VII. Le califat

1348 — Khalîfa et imâm. Le terme khalîfa a donné en français calife et le mot français califat traduit

l’arabe khilâfa. La même racine kh, l, f, signifie “succéder, suivre”. Le terme khalîfa est employé dans le
Coran pour désigner Adam, successeur des Anges et de Dieu, pour David, roi d’Israël, etc., il n’a pas le
sens technique de chef de la communauté islamique qui ne fut adopté qu’à la mort du Prophète.
2Dès 657, dans une élégie sur ‘Uthmân, le troisième calife, le poète Hasân Bn Thâbit employa
l’expression : khalîfatu-Llâh, c’est-à-dire “successeur de Dieu”. Or selon un ẖadîth, Abû Bakr avait
corrigé quelqu’un qui l’appelait ainsi. Selon ce ẖadîth, pour Abû Bakr, le terme khalîfa signifie khalîfat
Rasûli Llâh, c’est-à-dire, “successeur du Prophète de Dieu”. Pour les musulmans de l’époque, il était
bien entendu que les prérogatives prophétiques de Muẖammad ne donnaient pas lieu à succession.
L’expression fut donc récusée par l’orthodoxie islamique. Mais en pratique elle fut employée avec toute
une série d’autres termes dithyrambiques. Un autre terme était employé pour Abû Bakr, celui de amîr
almu’minîn, “prince des croyants”, ce qui soulignait bien la fonction temporelle, militaire même, du
premier calife.
3Il faut noter que le terme khalîfa n’a pas un emploi restreint à cet usage politique dans la langue arabe.
On le trouve comme prénom. On le trouve employé dans les confréries religieuses (ṯarîqa) pour désigner
le successeur, le second, le dauphin du chaykh qui lui est le chef de la confrérie. Par exemple on parla du
khalîfa ’Abd Allâh dans le mahdisme, ce qui signifiait successeur du Mahdî Muẖammad. ‘Abd Allâh
garda ce titre d’ailleurs, même après la mort du Mahdî, conformément à l’idéologie mahdiste qui faisait
de lui l’équivalent d’Abû Bakr. On trouve encore le terme khalîfa comme désignant des fonctions
administratives en Turquie et au Maroc. On le trouve employé en Inde pour désigner certains artisans,
tailleurs, barbiers, cuisiniers. On le trouve employé au Togo pour désigner des maîtres d’écoles au début,
puis pour désigner tout musulman, etc.
4Dans les textes (juridiques ou théologiques) on emploie plutôt le terme imâm, chef, car le calife est bien

le chef de la communauté au nom de qui la prière va être dite. Le califat est donc l’imamat, en termes
francisés. Chaque imâm de mosquée préside un groupe par délégation de l’imâm général qui est lui-même
le successeur (khalîfa) du Prophète. Chaque musulman qui prie se présente en quelque sorte derrière le
prophète Muẖammad. Donc, dans l’usage, khalîfa, calife, désigne plutôt l’imam général, mais ses
délégués (à la prière, à la guerre, etc.) sont aussi appelés imams. Enfin chez les non sunnites, on préfère
éviter le mot khalîfa, pour lui préférer celui d’imam.
5349 — Khalîfa, mâlik et suḻtân. Un autre terme a été employé, celui de mâlik, pl. muluk, qui signifie roi.

Dans un ẖadîth, le Prophète oppose les deux termes : “Le califat après moi sera de trente ans, puis ce sera
la royauté (mulk).” De là on ne s’est pas fait faute de déduire que, de la mort du Prophète jusqu’à celle de
‘Alî (661) (ou jusqu’à l’abdication de Hasan, fils de ‘Alî, en 662 ?), c’était la période des califes “bien
conduits”, les Râchidûn, donc du califat parfait, régulier. Ensuite, avec Mu‘âwiya et les Umayyades,
commençait celle du califat imparfait, irrégulier, voire illégitime. Le calife des premiers temps accède au
pouvoir par l’élection, et se fait obéir par sa piété et celle de ses sujets ; il est modeste, frugal, honnête,
respectueux de la loi islamique ; il prend conseil de ses proches, il ne désigne pas son fils comme
successeur... Le mâlik au contraire accède au pouvoir par la force et use de la force contre ses sujets ; il
s’entoure de pompe orientale, il est orgueilleux, il écarte tout conseil ; il néglige ses devoirs religieux ; il
désigne son fils comme successeur... Bref, tous les malheurs de l’islâm, écrira le réformiste Rachîd Ridâ
viennent de ce régime (Tyan, Institutions, p. 668-678).
6Mais cette distinction n’existe pas dans les textes les plus anciens où le mâlik ne se distingue pas du

khalîfa ni d’un terme voisin, sulṯân, que l’on peut traduire comme détenteur du pouvoir. Les Umayyades,
Abbassides, Fatimides, Ottomans et bien d’autres se sont toujours fait appeler califes. Le Coran lui-même
emploie les termes mulk, mâlik, pour désigner la royauté de Dieu (3, 189 et passim) aussi bien que la
royauté qu’il confère aux hommes (donc légitime)(3, 26). Les hommes de lettres ne feront pas la
distinction. L’historien aṯ -Tabarî parle de la royauté du Prophète, des Râchidûn ; le polygraphe Jâhiz
parle des “rois étrangers” et “des rois arabes” pour désigner les califes (ibid.).
7Il semble seulement que les termes mâlik et sulṯân soient des termes génériques qui peuvent s’appliquer
à toute sorte de détenteur du pouvoir, musulman ou non. Ils désignèrent en particulier les pouvoirs
indépendants qui se sont détachés du pouvoir central de Baghdad. En revanche les termes khalîfa ou imâm
sont un peu plus marques par la doctrine islamique et sont réservés aux musulmans (Tyan, Institutions,
p. 684-689).
8350 — Le silence des sources du droit sur le califat. Le silence des sources religieuses sur la
succession du Prophète, sur la nature de son pouvoir et celui de ses successeurs a probablement été un
facteur non négligeable dans la division de la communauté musulmane au moins après la bataille de Siffin
(cf. tome 1).
9Le Coran ne dit que peu de choses rapportables au khalîfa ou à l’imâm. D’abord c’est la communauté

musulmane qui semble recevoir la terre (24, 55 et *57, 7). On est contraint religieusement d’obéir au
Prophète et aux autorités (4, 59). De là il semble qu’on puisse en déduire que l’obéissance est duc à son
successeur (le calife) puisque c’est le représentant de l’umma islamique qui commande le bien et interdit
le mal. Son autorité viendrait alors de Dieu, via l’umma. Mais Dieu peut le dépouiller de son pouvoir (3,
26). Les bons musulmans en outre se consultent sur leurs affaires (3, 159 ; 42, 38).
10A cet ensemble s’ajoutent de rares ẖadîth, l’un notamment affirmant que le calife doit être de la tribu de

Quraych. Mais un autre groupe de ẖadîth rapporte abondamment les faits et gestes des premiers califes et
des compagnons du Prophète. Nécessairement, les juristes devaient s’appuyer surtout sur ces derniers,
comme on le verra, pour fonder un droit du califat.
11En fait, la “grande querelle” (al-fitnat al-‘uẕma) fut la source événementielle première (cf. tome I, n° 42,
46 sq.). Le ẖadîth n’était pas encore été fixé quand elle éclata, et il ne fut fixé qu’après, bien souvent pour
servir les besoins des divers partis.
12351 — Plan du chapitre. La question du califat est abordée principalement dans des traités de
théologie et d’hérésiologie, car ils sont les premiers à traiter de cette douloureuse division de la
communauté. La source théologique est donc essentiellement polémique. Les doctrines kharidjite, ibadite,
chiite et zaydite furent fixées les premières, et elles sont indispensables à connaître, même pour les
sunnites, car la théorie sunnite s’est formée en réaction aux premières. Nous leur consacrerons notre
première section.
13La doctrine sunnite est plus tardive et elle ne fut vraiment fixée qu’à l’époque du triomphe de
l’acharismc, vers le 5e/xie siècle, à la fin de l’époque buwayhide et au début de l’époque saljouqide. La
seconde section traitera de la doctrine théologico-juridique classique du califat sunnite telle qu’on peut la
saisir à travers les textes des théologiens et juristes de cette époque.
14Dans une troisième section nous aborderons les questions actuelles. A vrai dire celles-ci s’enracinent

dans les anciennes, en particulier dans des doctrines plus tardives. En effet, des penseurs de l’époque
mongole et mamlouke ont tenté de frayer des voies nouvelles, et dans une certaine mesure, ils sont les
fondateurs de la pensée actuelle. Il faudra donc compléter l’exposé de la doctrine classique par ces
points de vue, avant de traiter de la situation de la question de nos jours.
SECTION 1 - LES THÉORIES CLASSIQUES DU CALIFAT
CHEZ LES NON-SUNNITES
15C’est sur l’histoire qu’il faut tout d’abord réfléchir pour saisir la problématique du califat (§ 1). Car les
positions prises au cours de la grande querelle ont déterminé les grandes théories non sunnites, celles des
kharidjites (§ 2), des ibadites (§ 3), des chiites imamites et ismaéliens (§ 4) et des chiites zaydites (§ 5).
§ 1 - La problématique du califat

16352 — Les problèmes classiques. Nous avons classé ici les problèmes historiques fondamentaux en

cinq groupes de problèmes. Ils se posent à la conscience musulmane dès la mort du Prophète mais
deviennent aigus à l’époque de ‘Alî (voir tome I, n° 39 à 42).
17Le premier groupe de problèmes est celui de la création du califat par les Râchidûn, les califes “bien
conduits”. Le califat est-il nécessaire religieusement ? Selon la tradition sunnite, il est nécessaire et
l’unanimité des Compagnons fonde l’institution et ses traits propres. Pour les chiites le calife est plus
encore, c’est un pilier de la religion. Le problème de la nature métaphysique du califat doit donc s’y
rattacher.
18Le second groupe de problèmes est celui de savoir si les sources religieuses et légales de l’islâm ont

explicitement ou implicitement désigne qui serait l’imâm de la communauté. Tout le monde est d’accord
pour dire que la désignation par un texte (nass) ou des textes du Coran et de la Sunna l’emporterait alors
sur tout autre mode. Mais de tels textes existent-ils ? Oui répondront les chiites, et ils sont en faveur de
‘Alî. Non diront les sunnites, ou, s’ils existent, ils sont en faveur d’Abû Bakr, de ‘Umar, de ‘Uthmân et de
‘Alî, dans cet ordre. Il y a donc une première bataille, exégétique, sur les mérites des premiers califes et
des Compagnons.
19Le troisième groupe de problèmes tourne autour de la théorie kharidjite et sunnite qui soutient que le

mode légitime d’accession au pouvoir de l’imâm est, comme à l’époque des Râchidûn, l’élection
(ikhtiyâr, choix). Les chiites récusent l’élection. En fait les quatre successions se sont faites dans des
conditions chaque fois bien particulières, dans une atmosphère de deuil et de passion. Lesdites élections,
si on peut bien les appeler ainsi et si elles ont bien eu lieu, n’ont concerné de toute façon qu’un groupe
restreint de Compagnons. Le problème comporte alors de multiples aspects. Qui sont ces électeurs ?
Quelles conditions doivent-ils remplir ? Sur quelle base vont-ils choisir l’imâm ? Quelles conditions doit
remplir ce dernier ? Quelle est la nature de l’engagement entre l’imâm et la communauté ? Quelle est la
procédure de l’élection ? Faut-il un “serment d’allégeance” et quelle est sa nature juridique ?
20Le quatrième groupe de problèmes est celui de la transmission de l’imâmat. Certaines élections ayant

été manifestement douteuses, la doctrine sunnite les a parfois justifiées par une théorie du contrat, mais
elle a fini par admettre la transmission par désignation (wasîya, recommandation, testament), ce qui
ouvrait la porte au principe héréditaire. Avec les Umayyades et des Abbassides, il est certain qu’on n’a
plus affaire à un califat électif, mais à des pouvoirs et à des souverains de fait qui transmettent leur
charge par voie héréditaire, ou qui se la disputent par la force pure. Ces types de transmission sont-ils
légitimes du point de vue religieux ? Les sunnites finiront par admettre l’un et l’autre, ne serait-ce que par
nécessité (ḏarûra) et pour éviter les dissensions les plus dommageables. La doctrine chiite ne reconnaît
que la transmission par testament, mais pour des raisons métaphysiques, et rejette absolument la
transmission par la force.
21Le sixième groupe de problèmes se posa au cours de la grande querelle. A la racine de la controverse

se pose la question du statut de l’imâm qui a commis une lourde faute : est-il encore musulman ? Est-il
encore digne de gouverner ? Comme le devoir du musulman est de “commander le bien et d’interdire le
mal”, la question est d’importance. Peut-on alors destituer l’imâm ? Ou même, est-il légitime de le tuer ?
Est-ce une obligation ? Peut-on encore obéir à l’imâm corrompu (fâsiq) ? Ou pire, mécréant (kâfir) ?
22On peut rattacher à cette problématique de la fin du califat plusieurs autres questions. Il y a celle, chiite,
de la disparition de l’imâm, ou de son occultation. Une autre question rattachable est celle de la légitimité
du kitmân (ou taqîya) pour le musulman, c’est-à-dire de la dissimulation de sa fidélité à un imâm qui ne
règne pas.
23Le septième groupe de problèmes, relatif à l’unité du califat, se posa déjà lors de l’accession de Abû
Bakr au pouvoir. Les Ansâr avaient proposé un califat bicéphale, ce que refusèrent les Muhâjirûn. La
question se posa aussi lors de la grande querelle : ‘Alî et Mu‘âwiya pouvaient-ils être califes ensemble ?
La multiplicité des califes est-elle conforme à la religion ? La question se posa encore au moment de
l’éclatement de l’Empire abbasside : les États indépendants reconnaissent, pour certains, la prééminence
religieuse du calife. D’autres se posent en califats rivaux, comme celui de l’Espagne umayyade, ou ceux
du Maghreb, ou celui des Fatimides chiites. Ces pouvoirs sont-ils légitimes ? Le calife peut-il déléguer
ses pouvoirs et dans quelle mesure ? Le calife peut-il légitimer des pouvoirs de fait ?
24Nous reprenons dans la fin de cette section les doctrines des non sunnites pour savoir plus en détail

comment elles ont répondu à ces questions. Nous omettons ce qui concerne les devoirs de l’imam, ou le
fonctionnement du califat, qui sera traité dans la section suivante consacrée aux sunnites : les trois
doctrines ne se distinguent pour ainsi dire pas à propos de ces devoirs.
§ 2 - Les théories kharidjites

25353 — Les kharidjites. Les kharidjites (khawârij, sg. khârijî) ont constitué la première des sectes

islamiques. Les kharidjites furent les opposants les plus résolus des chiites, ils constituent leur antithèse.
Ils se sont séparés de ‘Ali sur le refus de l’arbitrage de Siffin en criant leur premier slogan : “lâ ẖukma
illâ li-Llâh”, “pas de jugement si ce n’est de Dieu”. Tous ceux qui ne pensaient pas comme eux étaient
tenus pour des mécréants (kuffâr). Ils rallièrent bon nombre de fidèles en raison de leur esprit antiraciste
et égalitaire dit-on ; mais il semble que ce ne fut que des Arabes qui les rallièrent. Leur conduite
terroriste contre tous les autres, chiites et futurs sunnites, musulmans ou non, suscita en réaction une
véritable guerre d’extermination. Nous avons parlé de tout cela longuement dans le tome I (n° 42, 46-48,
56-57, 64 et Annexe p. 352)
26Les kharidjites se sont divisés en de nombreuses sectes et sous-sectes, toutes disparues. Leur pensée
n’est connue que par des sources sunnites, peu objectives, souvent imprécises et contradictoires.
27Le groupe qui subsiste actuellement est celui des ‘ibaḏites (‘ibâḏîya), mais ils ne se considèrent pas

comme kharidjites, quoique issus au départ des premiers groupes kharidjites. Nous les traiterons à part,
dans le paragraphe suivant.
28Les thèmes communs de la pensée kharidjite sur l’imâmat (ils récusent le terme de calife), sont les

suivants, dans l’ordre exposé dans le n° précédent.


29354 — La nécessité de l’imâm. La pensée kharidjite des débuts est mal connue. A. Amîn a interprété le
fameux slogan : “Pas de ẖukm si ce n’est de Dieu !” comme un refus de toute autorité, comme une sorte
d’anarchisme. Mais le fait est que les kharidjites se mettaient peu après sous la direction d’un imâm.
Cette interprétation ne semble donc pas juste, et il vaut mieux penser que le slogan visait l’objet même du
débat, c’est-à-dire la vengeance de Mu‘âwiya contre les assassins de ‘Uthmân. Le slogan signifierait
donc : il faut remettre la question à qui jugera selon la parole de Dieu, selon le Coran et la Sunna
(opinion de Tyan, Institutions, p. 891). Or cela ne tient pas non plus, car c’est justement ce que voulait
les partisans de Mu‘âwiya, en mettant des feuillets du Coran au bout de leurs lances pour interrompre la
bataille de Siffin. Selon nous, le sens du slogan est celui-ci : il faut continuer la bataille, qui seule
révèlera le jugement de Dieu. En effet, à la tête des kharidjites, il y avait les assassins de ‘Uthmân, et ce
sont eux qui auraient fait les frais d’un accord entre Mu‘âwiya et ‘Alî. Ils préféraient les armes et la suite
le montra bien.
30Les kharidjites sont divisés sur la question de la nécessité du califat. Selon Tyan et contrairement à

Arnold, il semble que la majorité pensait que l’imâm était d’obligation. Pour la minorité il n’est pas
obligatoire d’avoir un imâm : quand il n’y a pas d’imâm, la communauté est en état de kitmân, quand il y
en a un, elle est en état de ẕuhûr (proclamation), tout dépend donc des circonstances.
31Il ne fait pas de doute aussi que pour les kharidjites l’imâm est un homme ordinaire. Même très pieux,

même nécessaire à la communauté, il n’a pas la dimension métaphysique que lui prêtent les chiites.
32355 — Mérites et démérites des premiers califes. Les kharidjites rejettent les prétentions chiites en ce
qui concerne les textes instituant ‘Alî. Parmi les quatre premiers califes, ils reconnaissent Abû Bakr ; puis
‘Umar, qu’ils ont en grande vénération. ‘Uthmân est reconnu pendant les six premières années de son
règne, tant qu’il n’a pas nommé ses cousins gouverneurs. A partir de là, il fut indigne et donc les
kharidjites justifient son assassinat. ‘Ali lui aussi est reconnu avant sa faute, l’arbitrage de Siffin. Après
elle, et surtout après avoir combattu les kharidjites, il était légitime de le tuer, et ‘Alî succomba sous le
fer empoisonné d’un kharidjite en 661.
33356 — L’élection de l’imâm. Ce sont les gens qui “lient et délient”, c’est-à-dire en gros les ‘ulama’,

qui doivent choisir l’imâm. C’est au plus pieux que doit revenir l’imamat. Pour celui-ci, aucune condition
d’origine n’était posée. N’importe qui pouvait être imâm, “fût-il un esclave noir”. Mais n’importe qui
n’était pas membre de la communauté : celui qui avait commis un grand péché était considéré comme
murtadd (apostat) et devait être mis à mort. Avec sa femme et ses enfants ajoutaient les extrémistes
azraqî. C’est la doctrine de l’isti‘râḏ (extermination, meurtre politique).
34357 — Autres modes de transmission de l’imamat. En théorie, les kharidjites rejetaient le principe

dynastique ou héréditaire et admettaient seulement l’élection. Mais en pratique, le mode de succession


par testament ou désignation fut admis.
35358 — La destitution de l’imâm. Les kharidjites mettaient en valeur le devoir de commander le bien et

d’interdire le mal, c’était pour eux une obligation individuelle même. Aussi l’imâm devait s’attendre à
être surveillé par ses coreligionnaires, y compris dans sa vie privée. Selon les kharidjites, si l’imâm sort
de la voie droite, il doit être destitué et il peut être mis à mort.
36Les kharidjites les plus extrémistes n’admettaient pas le kitmâm, et la révolte était ainsi obligatoire, car

il n’était pas question de feindre la soumission à un imâm corrompu ou mécréant. Ils considéraient même
les attentistes ou les modérés parmi les leurs comme des mécréants. Mais la majorité des kharidjites
admettait le kitmân, du moins tant que la communauté n’était pas en état de ẕuhûr, en état de manifestation
ouverte.
37359 — La multiplicité des imams. Elle est admise ou pas suivant les sectes et sous-sectes du
kharidjisme. La majorité était en faveur de la multiplicité des imams.
§ 3 - Les théories ibadites

38360 — Les ibadites. Le terme ibâdîya (ibadisme, ibadites), vient de ‘Abd Allâh Bn Ibâḏ, qui est le

second imam de la communauté. Nous avons parlé des ibadites dans le tome 1, aux n° 65-66, 100, 125, et
dans les Annexes p. 351 (Abû ch-Cha‘tha’), 352, 355, 369, 374, 378 et 381. Il est certain qu’ils se sont
démarqués très tôt des kharidjites.
39361 — Nécessité de l’imâm. Les ibadites ont soutenu plusieurs doctrines, dont celle des kharidjites qui
distingue l’état de ẕuhur (manifestation, où l’imâm est visible) de l’état de kitmân (secret)(Lewicki, E.I.2).
Selon Cuperly (p. 289-310) et Mu‘ammar (p. 25-27), la doctrine des ibadites est de dire qu’un imâm est
nécessaire religieusement, ce que prouvent le Coran, la Sunna et l’unanimité. C’est une obligation
communautaire (farḏ kifâya).
40Il n’est pas nécessaire qu’il soit ibadite selon Mu‘ammar. Dans ce cas cela n’empêche pas la
communauté de vivre en suivant son rite juridique. Les ibadites n’ont plus désigné d’imâm, au Mzab
(Algérie) par exemple, se soumettant à l’imâm des sunnites. Ils se sont gouvernés par des assemblées
d’ulémas et d’hommes du commun (‘awâmm) ou “laïcs”, et payèrent tribut aux Ottomans qu’ils
reconnaissaient comme califes.
41362 — Mérites et démérites des califes. Les ibadites sont proches des sunnites. Ils admettent la

légitimité des quatre premiers califes.


42363 — Conditions de l’imamat et élection. Pour les ibadites l’imâm doit être de sexe masculin, pieux,
juste, savant, de rang honorable (donc non esclave), sain physiquement, courageux... Cela de manière tout
à fait parallèle aux sunnites, mais sans mentionner l’origine quraychite. Mu‘ammar ajoute toutefois qu’à
piété égale, on préférera l’Arabe au non Arabe, et le membre de la tribu des Quraych aux autres Arabes.
Les ibadites ne récusent pas le ẖadîth selon lequel n’importe qui peut être imâm, “fût-il un esclave noir”,
mais il importe de l’affranchir avant son élection. C’est surtout la connaissance de la loi islamique qui est
pour eux la condition essentielle : tous les imams de Tâhart furent des savants.
43Le principe de l’élection constitue la règle principale. Ce sont “les gens qui lient et délient” qui sont les
électeurs. Il s’agit d’un conseil de cinq ou six notables désignés par l’imam précédent, mais ce nombre
peut être réduit. En pratique la consultation est plus large et tient compte de l’avis des chefs de tribus, ou
bien au contraire, il arrive qu’un cadi prenne de l’influence et fasse et défasse les imams (Cuperly,
p. 298).
44La nature du lien qui unit la communauté et l’imâm est un contrat. Le futur imam et celui qui donne
l’investiture (cadi ou notable) se frappent dans la main (safaqa) comme dans un contrat commercial. Les
autres notables, parmi “ceux qui lient et délient” prêtent serment d’allégeance. Le peuple assiste à la
cérémonie. L’imâm s’engage à gouverner selon la loi islamique et à consulter les notables, les sujets à
obéir (Cuperly, p. 292). Le lieu de l’élection n’est pas indifférent : elle doit se dérouler dans la capitale.
45Si n’importe qui n’est pas membre de la communauté ibadite, les autres musulmans sont considérés

comme musulmans et il faut vivre en paix avec eux. Le murtadd (apostat) doit être mis à mort,
conformément à la loi sunnite, mais jamais avec sa femme et ses enfants comme disent les kharidjites
azraqî (doctrine de l‘isti‘râḏ).
46364 — Transmission de l’imamat. La transmission par héritage n’est pas valide, c’est une conséquence

logique de la position précédente. Mais en pratique, en dépit de la théorie, la succession se fit par voie
héréditaire à Tâhart, (Tyan, Institutions, p. 900). En revanche il semble que les imams du ‘Umân furent
régulièrement élus dans la capitale, Nazwa. Dans l’un ou l’autre État cité, ou dans d’autres (Djebel
Nefusa, Djerba, Zanzibar), les conflits contestant l’élection de l’imam, ou les rivalités engendrant des
guerres, n’ont pas manqué. Les ibadites se sont résignés et ont rallié le vainqueur, comme les sunnites.
47365 — Destitution de l’imâm. Selon la théologie ibadite, toute personne qui a commis un grave péché
(le principal étant l’innovation), est considéré comme quelqu’un qui a perdu la foi, donc comme un kâfir,
un mécréant, tant qu’il ne s’est pas repenti. Mais il reste indigne de l’imamat. De même tout imam atteint
d’une infirmité physique grave est inapte.
48Les ibadites ne considèrent pas la révolte comme une obligation, ni comme une interdiction absolue.

Elle n’est légitime que si elle a des chances de réussir sans trop de dommages. Dans le cas contraire elle
est interdite. Il faut qu’un consensus se dégage parmi les notables pour qu’on en vienne à la déposition.
Selon Mu‘ammar, les ibadites commencent par interdire absolument la révolte contre l’imâm juste, qu’il
soit ibadite ou non. Contre l’imâm injuste, il faut lui demander d’abord de changer son comportement ;
puis s’il refuse, il faut lui demander de partir ; puis s’il refuse encore, on peut passer à sa destitution par
la violence. S’il résiste et prend les armes, on peut le tuer. Dans le cas contraire l’imam déposé n’est pas
maltraité et il reste tout à fait libre de vivre parmi les siens ou de partir (Mu‘ammar, p. 23).
49En attendant l’élection d’un nouvel imam, un wakîl (régent) traite les affaires courantes et organise

l’élection d’un nouvel imam.


50366 — Multiplicité des imams. Les ibadites l’admettent, en particulier si le territoire musulman est

vaste, s’il est coupé par le territoire ennemi, ou simplement si l’intérêt commun est mieux favorisé par la
division que par l’union. En pratique il y eut des rivalités et des dissidences (parfois appuyées sur des
divergences religieuses).
§ 4 - Les théories des chiites imamites et ismaéliens

51367 - Fondement des théories chiites. Le terme chî‘a, chiisme ; chi‘î, pl. chî‘îyûn, chiite, est d’abord

un terme de sens général : parti, faction, groupe ; mais il a fini par désigner au cours du 2e/viiie siècle les
partisans de ‘Alî. Les chiites eurent une histoire mouvementée et se sont divisés en de nombreuses sectes
(voir tome 1, n° 47, 49, 67/72, 87, 117/119, 121, 135/137, 153, 164/166, 184/185, 209/210, 235/236, et
Annexe p. 353, 356, 359, 364/365, 369, 375, 379, 381, 382/384). Nous traiterons ensemble les chiites
imamites (ou duodécimains qui reconnaissent douze imams descendants de ‘Alî ; ils sont dits encore
rawâfiḏ, ceux qui refusent, i. e. le septième imam) et les chiites ismaéliens ou septimaniens (qui n’en
reconnaissent que sept ; ils sont dits encore les bâtinîya, les partisans du sens caché).
52La pensée chiite distingue deux cycles dans l’histoire divino-humaine : le cycle de la loi prophétique

(exotérique), clos avec Muẖammad, et le cycle des imams (ésotérique) ouvert par ‘Alî et comprenant
l’enseignement des douze (ou sept) imams, enseignement qui est considéré comme étant une Sunna
révélée (cf. Corbin p. 53 sq.). Du point de vue juridique, les prescriptions ésotériques du second cycle ne
peuvent supprimer les prescriptions de la charî‘a selon l’imamisme, pour qui le sommet de la révélation
est Muẖammad. A l’inverse les ismaéliens pensent que le sommet de l’histoire est ‘Alî et posent les
imams comme créateurs de droit ou rejettent la nécessité de la loi dans les versions les plus extrémistes
de la mystique Ismaélienne.
53En reprenant les principaux problèmes de l’imamat (cf. n° 352), les positions chiites sont les suivantes :

54368 — L’imâm absolument nécessaire. Selon la conception chiite, l’imâm est nécessaire
religieusement. Cette proposition est appuyée par la raison (cf. n° 386). L’homme n’étant pas infaillible,
il a besoin d’un imam infaillible pour le guider. De plus, il ne peut obtenir son salut s’il ne connaît pas le
véritable imâm. Il doit le confesser en même temps que Dieu et que le prophète Muẖammad. Connaître
l’imâm est même la seule connaissance possible de Dieu et de la prophétie. L’imamat est un des piliers
de la religion, et sans imams, il n’y a pas de religion. Et celui qui ne reconnaît pas l’imâm du temps (celui
qui doit revenir, cf. plus bas) ou qui ne l’aime pas est considéré par les chiites comme un mécréant
(kâfir). Les divergences entre les sectes chiites furent moins causées par le fond du dogme que par le
choix des successeurs de ‘Alî.
55L’immamologie chiite se pose parfois, selon les sectes et tendances, des problèmes comparables à ceux

de la christologie chrétienne, selon Corbin ou Tyan. La mort de Husayn à Kerbala a été vue comme un
sacrifice de rédemption de l’humanité parallèle au mystère chrétien. Le croyant chiite doit faire son salut
dans la souffrance, en imitant celles de Husayn. Les imams sont capables de miracles, et selon certaines
sectes chiites, ils ont reçu la nature divine (dogme dit du ẖulûl, infusion), ce qui n’est pas sans faire
penser au christianisme encore. On trouve aussi dans les doctrines chiites des traces de gnosticisme et
même de manichéisme. Pour l’ismaélisme, l’imam est inclus dans une grandiose vision du cosmos : il est
nécessaire pour le maintien du monde (voir Corbin, p. 136 sq, 149 sq).
56369 — Transmission de l’imamat du Prophète à ‘Ali par un texte. Pour les chiites, étant donné

l’importance de l’imam pour l’homme, il est impossible que le prophète Muhammad ait omis de désigner
son successeur. Il existe donc un texte (nass) ou plusieurs textes par lesquels le Prophète avait transmis
l’imamat à ‘Alî.
57Dans le Coran d’abord, mais ‘Uthmân, selon eux, les a éliminés du texte reçu. Les chiites furent

incapables de s’entendre pour produire le ou les textes disparus. Dans le texte reçu, disent pourtant les
chiites, on peut encore retrouver la trace de cette dévolution. Ils citent le verset 33, 36 ; *49, 1 ; *28, 68 ;
42, 23. Selon les sunnites ces textes ne concernent pas l’imamat.
58Les chiites citent aussi des ẖadîth, notamment celui du lieudit Ghadir Khumm où le Prophète aurait
déclaré : “Quiconque dont je suis le patron (wâlî), ‘Alî est également son patron”. Les chiites
commémorent la révélation de ce ẖadîth le 18 du mois de dhû 1-ẖijja (Tyan, Institutions, p. 817 sq. et az-
Zuhaylî, Al-fiqh, VI, p. 673-679). La wilâya envers ‘Alî est donc pour les chiites le critère de la vraie
foi. Les sunnites n’admettent pas l’authenticité du texte, qui pour eux reste ambigu puisque la wilâya n’est
pas l’imamat. D’autres ẖadîth sont invoques. Dans l’un le Prophète aurait dit que ‘Alî était par rapport à
lui comme Aaron par rapport à Moïse. Dans un autre le Prophète désigna ‘Alî comme son porte-bannière.
Les sunnites leur opposent d’autres ẖadîth où tel ou tel Compagnon reçoit des honneurs semblables.
59Pour les chiites imamites et ismaéliens les trois premiers califes sont donc des usurpateurs. La
soumission de ‘Alî ne fait pas preuve, il a été contraint de faire usage de la dissimulation (kitmân ou
taqîya). Plus tard, Ja‘far as-Sâdiq (tome 1, n° 87) affirmera qu’il n’est pas nécessaire que l’imam
détienne le pouvoir réel.
60370 — Conditions de l’imâmat. L’impeccabilité de l’imam. On dit que chez les chiites l’imâm doit
être de la tribu de Quraych et de la famille de ‘Alî, descendant par Hasan ou Husayn, mais ce n’est pas la
condition essentielle. Car chaque imâm choisit son successeur parce qu’il reconnaît en lui une dimension
eschatologique, une sorte de préexistence métaphysique : l’imâm est dans l’ordre des faits choisi par
Dieu et seulement reconnu par l’imâm qui le précède. Dans cette optique l’élection de l’imam par les
“gens qui lient et délient” n’a pas de sens pour les chiites.
61L’imâm reçoit de Dieu des qualités (khisât, vertus) extraordinaires, surnaturelles, pour qu’il puisse

assumer son rôle cosmique, et cela par une grâce cachée (lutf ghâ’ib) qui est aussi une “grâce obligée”
(luṯf wâjib), une grâce que Dieu ne peut pas ne pas accorder aux prophètes qu’il envoie. L’imam est donc
infaillible et impeccable (ma‘sûm). Cette infaillibilité et impeccabilité (‘isma) est fondée sur une
interprétation large des versets *33, 33, visant les “gens de la maison” et *2, 124, visant Abraham.
L’imâm a donc la connaissance totale de la science (juridique) 26 , le pouvoir d’interpréter exactement le
Coran et le ẖadîth, de connaître et d’enseigner (de manière ésotériquc) son sens caché, notamment à son
successeur.
62371 — L’imamat se transmet par testament. La transmission de l’imamat, ou plutôt sa reconnaissance,

se fait par une wasîya (ordre, testament). L’imam en fonction doit désigner un descendant mâle de la
maison du Prophète (ahl al-bayt), c’est-à-dire un descendant de ‘Alî et de Fatima, quel que soit son âge.
Le testament est le seul mode valide de transmission pour les imamites et ismaéliens. Aucun conseil,
aucune élection, aucun croyant ne doit intervenir dans cette opération. La communauté n’est pas partie
prenante dans un pacte qui la lierait à l’imam. Si elle lui jure une bay‘a (serment d’allégeance), c’est la
reconnaissance d’un état de fait qui lui préexiste, et non une investiture qu’elle conférerait.
63Pour les chiites, il faut continuer à obéir à l’imâm mort ou disparu. L’imâm caché (ghâ’ib), l’Attendu

(al-muntazar), le “maître du temps” (sâẖib az-zamân), continue à gouverner le monde. Il doit revenir à la
fin des temps (théorie du retour, raj‘a, traduit aussi parousie) pour inaugurer une ère de bonheur. Le
monde actuel est déjà sous sa juridiction et il ne tient que par lui. C’est, pour les imamites, Muẖammad
al-Mahdî (le Bien-guidé), le douzième imam chiite, le fils cadet de al-Hasan al-‘Askarî. Pour les
ismaéliens, c’est Ismâ‘îl, le septième imam, fils aîné de Ja‘far as-Sâdiq, le sixième imam commun. Ja‘far
avait fait une wasîya en faveur de l’aîné, mais il s’était repris et avait désigne ensuite le cadet. Les
partisans d’Ismâ‘îl qui mourut en 143/760, avant son père et son frère, soutinrent qu’une wasîya ne
pouvait être annulée.
64372 — Une destitution impossible. L’imâm étant infaillible, sa destitution est impossible. Il fallait donc
obéir à ‘Ali quelles que soient les apparences de faute. Les kharidjites autant que les partisans de
Mu‘âwîya sont des rebelles. Le pouvoir de l’imâm est un pouvoir théocratique absolu. L’imâm est le
vicaire de Dieu au sens fort. Aucune autorité humaine ne saurait le limiter ou le contrôler, il commande à
tous et tout lui appartient (Tyan, Institutions, p. 785 sq.).
65373 — L’unicité de l’imamat. La multiplicité des imams n’est donc pas légitime. L’imâm lui-même ne

peut céder sa dignité à un tiers, ni même une partie du territoire de l’islam. C’est la seule limitation à son
absolutisme, mais c’est une limitation qui vise à le renforcer. Et quand on cite les cas de renonciation au
pouvoir faits par les imams (‘Alî acceptant l’arbitrage, Hasan cédant à Mu‘awîya...), les chiites
répondent qu’il ne s’agissait que de taqîya (dissimulation).
66L’unicité de l’imâm entraîne son universalité. Elle est fortement marquée dans le chiisme, l’imâm étant

“maître de la terre” (mâlik al-arḏ), comme du temps.


67374 — Théorie et pratique chiite. Les chiites furent longtemps soumis aux sunnites et durent pratiquer

la dissimulation. Repliés sur eux-mêmes, ils se sentirent moins concernés par les réalités, d’où la
prolifération des doctrines. Cependant on peut dire avec Tyan (Institutions, p. 753 sq.) que quand le
chiisme eut le pouvoir (en Égypte fatimide ou en Perse), le décalage entre la théorie et la pratique fut bien
moindre que dans le sunnisme.
68Ainsi pour les Fatimides, on a vu dans le t. 1 qu’ils se prétendaient descendants de ‘Alî par Ismâ‘îl, fils

aîné de Ja‘far as-Sâdiq et qu’ils fondèrent, en Tunisie puis en Egypte, une théocratie soucieuse de
propager leur version du chiisme. Le calife-imâm fatimide était conçu comme infaillible et impeccable,
comme le connaisseur de la science divine, comme l’interprète par excellence de la loi. Il était la “porte
du ciel”, le soutien de l’univers, on devait l’aimer, il communiquait sa baraka (bénédiction) quand on le
voyait, la visite à sa maison équivalait au pèlerinage à la Mecque... Tout cela était conforme à la doctrine
chiite fatimide. Le pouvoir du calife était sans limites sur les hommes, leur vie et leurs biens, et on a vu
comment al-Hakim en avait abusé. La transmission du califat se faisait régulièrement par testament parmi
les héritiers mâles, quel soit l’âge du wâlî al-‘ahd (le prince désigné), ou du moins on prétendait que la
règle avait été observée. Mais, par la suite, la dynastie subit le même processus de décadence que la
dynastie abbasside : accaparement du pouvoir par les ministres qui firent et défirent les califes à leur gré,
révoltes militaires, décadence économique, etc.
69Le chiisme, sous sa forme imamite cette fois, se réalisa aussi en Perse. On l’a aussi longuement évoquée
dans le t. 1. Le nouveau régime se situe après la disparition du douzième imâm et la grande occultation. Il
échappa de ce fait aux contradictions entre la théorie et la pratique. Les mujtahids (c’est le nom employé
de préférence à ‘ulamâ’) forment une sorte “d’aristocratie ecclésiastique” et restent mystérieusement en
relation avec l’imam caché (Strothmann, cité par Gardet, La cité, p. 163). Les princes de Perse ont dû
donc affronter ce clergé et il s’est développé en Perse une tradition de séparation des pouvoirs spirituel
et temporel qui s’est longtemps maintenue avant l’installation du régime actuel fondé par l’imâm
Khumaynî.
§ 5 - Les théories zaydites

70375 — Les zaydites. Les zaydites se trouvent surtout au Yémen. Nous en avons parlé au tome I (n

° 68/70, 88 et Annexe p. p. 353, 355, 359, 364, 369, 374). Ils sont, comme les ibadites, très proches des
sunnites. Ils sont divisés en trois sous-sectes principales : les jarûdîya, les baṯrîya et les sulaymanîya. La
première a disparu. Mais on devrait plutôt dire des tendances, car elles coexistent pacifiquement et se
retrouvent ensemble souvent dans les guerres et les révoltes. Les zaydites sont en général mutazilites pour
la théologie dont ils reprennent les cinq thèses et suivent un rite presque identique au rite hanéfite pour le
reste, sauf pour le califat où ils leurs thèses propres.
71376 — Nécessité et nature de l’imamat. L’imamat est pour les zaydites une obligation imposée par les

textes de la religion et non une déduction rationnelle (même si l’on peut trouver des raisons à cette
institution). Se fondant sur le Coran (*33, 33, sur la pureté des membres de la maison du Prophète), ils
soutiennent que tout descendant de ‘Alî et de Faṯîma peut être imâm. C’est pourquoi on les rattache aux
chiites, à tort d’ailleurs.
72L’imâm n’est pas infaillible et impeccable chez la majorité des zaydites à l’inverse des autres chiites. Il
n’est pas omniscient et ne détient pas un enseignement ésotérique. La passion de Husayn n’est pas
célébrée. Les visites aux tombes des saints et des imams ne sont pas d’usage, mutazilisme oblige. Bref le
zaydisme est bien éloigné du chiisme. Toutefois la conception de l’imâm caché et du Mahdî attendu est
admise par les jarûdîya, non sans divergences internes sur le nom du Mahdî.
73377 — Mérites et démérites des premiers califes. La majorité des zaydites admet d’abord que la

collation de l’imamat est légitime quand elle se fait par un texte, mais qu’il n’y a pas eu de transmission
par texte entre Muẖammad et ‘Alî. Mais les deux premiers califes ne sont pourtant pas illégitimes. Selon
les zaydites, les musulmans ont choisi, avec Abû Bakr, quelqu’un qui était parmi les meilleurs et la
communauté n’était pas obligée de choisir le meilleur, ‘Alî. De même pour ‘Umar. Mais le choix de
‘Uthmân fut mauvais et injuste envers ‘Alî. C’est cette admission des deux premiers califes, on s’en
souvient (tome 1, n° 68), qui avait nui au mouvement de Zayd Bn ‘Alî et déterminé sa défaite en 740. La
sous-secte des jarûdîya ne reconnaissait pas les deux premiers califes, tandis que, celle des batrîya au
contraire, refuse de se prononcer sur les mérites respectifs de ‘Alî et de ‘Uthmân. (Laoust, Schismes,
p. 136-140 et Gardet, Dieu. p. 466 et index). Tous pensent en revanche que des wasîyât (testaments) ont
bien existé entre ‘Ali, Hasan, Husayn... jusqu’à Zayd Bn ‘Alî.
74378 — Conditions de l’imamat et élection. Les conditions requises pour être imam sont proches de

celles fixées par les sunnites : il faut être de sexe masculin, pubère, non esclave, pieux et courageux,
mujtahid 27 , mais surtout, comme on l’a dit, il faut descendre de ‘Alî et de Faṯîma.
75Contrairement aux sunnites, la majorité des zaydites ne fixe pas de procédé pour la nomination des
imams, si ce n’est la “sélection naturelle” (Renaud, p. 59), en d’autres termes, c’est le plus fort qui est
l’imam légitime. En pratique, ils furent toujours de la classe des sayyids, celle des descendants
hachémites de ‘Alî, qui formaient une véritable caste (Chelhod, p. 27).
76Chez les sâlihîya, le principe de succession peut être aussi l’élection, comme chez les sunnites, mais les
électeurs doivent être zaydites.
77379 — Autres modes de transmission. L’unanimité des zaydites se fait pour admettre que “l’appel à

l’islam” (da‘wa), c’est-à-dire la prise de pouvoir par la force, est légitime pour un Alide. Tout
descendant de ‘Alî et de Fatîma, s’il est savant et ascète, peut se manifester ainsi, dès que le nombre de
ses partisans atteint le nombre des combattants de Badr. Les zaydites auront alors le devoir de le suivre.
78Le calife n’a pas le droit de désigner son successeur, mais il y a des divergences entre zaydites sur cette
question.
79380 — Destitution de l’imâm. L’imâm n’étant pas infaillible et impeccable chez les zaydites, on peut
donc le déposer en cas de faute grave par “appel à l’islam” d’un autre Alide.
80381 — Multiplicité des imams. La multiplicité des califes est généralement admise, puisque plusieurs

Alides peuvent s’emparer de territoires différents et éloignés. Il y eut ainsi deux imams zaydites
contemporains, au Tabaristan (de 913 à 1126) et au Yémen (de 897 jusqu’en 1972).
SECTION 2 - LA THÉORIE DU CALIFAT SUNNITE
81382 — Sources principales : les théologiens. On a pu repérer les positions des imams fondateurs de

rites (cf. tome 1, chap. II), mais la théorie sunnite n’a pas été précisée dans toute son ampleur avant le
4e/xe siècle. Ce sont surtout les théologiens qui ont traité de la question de l’imamat pour réagir contre les
kharidjites et surtout contre les chiites et les mutazilites. Dans cette optique, chez les sunnites, la question
primordiale fut de justifier la légitimité des trois premiers califes que les chiites considéraient comme
des usurpateurs.
82Nous évoquerons quelques-uns des grands théologiens sunnites acharites qui ont écrit sur le califat : al-

Ach‘arî (ob. 324/935) ; Bâqillânî (ob. 403/1012) ; ‘Abd al-Qâhir Al-Baghdâdî (ob. 428/1037) ; al-
Juwaynî (ob. 478/1085) et al-Ghazzâlî (ob. 505/1111). Nous considérons Ibn Ruchd, Ibn Taymîya, Ibn
Khaldûn, comme les fondateurs de la pensée moderne et nous les étudierons dans la section 3 avec as-
Sanhûrî et Rachîd Riḏâ.
83383 — Sources principales : les juristes. Pour ces derniers, nous suivons principalement al-Mâwardî

(ob. 450/1058), incontournable, qui a établi un droit du califat, à partir de la vie des califes Râchidûn.
Dans son ouvrage, al-Ahkâm as-sulṯanîya, (Les Statuts gouvernementaux, trad. Fagnan), de nombreux
développements seraient considérés comme hors sujet dans un traité de droit public. Mis à part les trois
premiers chapitres qui concernent le calife, son ministère et les gouverneurs, le reste relève du jihâd
(chap. 4, 5, 12), de l’organisation judiciaire et de la procédure (chap. 6, 7, 20), du culte (9, 10), des
impôts (11, 13, 18), du statut de la terre et des propriétés (14, 15, 16, 17), du droit pénal (19). Il est vrai
que tout est envisagé du point de vue politique et que certains chapitres traitent de plusieurs questions
(18). Le but d’al-Mâwardî était semble-t-il de faire une sorte de vade-mecum du droit divin à l’usage des
califes.
84Al-Mâwardî eut quelques continuateurs ou plagiaires, mais son approche ne fut pas vraiment poursuivie
et développée en un véritable droit public de dimension comparable à celle qu’atteignait le droit privé ou
même le droit mixte. Les ouvrages de fiqh, qui n’enregistraient ni le fonctionnement réel de la justice, ni
l’état du droit effectivement appliqué, ni les institutions postérieures à la formation du droit abbasside, ne
traitèrent pour ainsi dire pas le droit du califat. Cela tient probablement à la stratégie qu’avaient les
ulémas (cf. n° 511) et à la faiblesse de leur position vis-à-vis des pouvoirs. Aussi n’aura-t-on guère à
faire mention des divergences entre rites. Des divergences existent mais elles sont à situer au niveau des
théologiens.
85Les fuqahâ’ se bornèrent donc à reproduire un résumé de la doctrine classique idéale commune, laissant
les détails et les péripéties du monde corrompu aux historiens et chroniqueurs. Ces derniers constituent la
source principale de notre connaissance des situations réelles. Mais eux aussi passent parfois sous
silence ce qui n’est pas conforme à la loi et l’avouent (cf. Tyan, Institutions, p. xvii). Dans la mesure du
possible nous ferons allusion aux contextes pour permettre au lecteur de bien saisir le lien de ces
doctrines avec l’histoire.
86384 — Plan de la section. Nous commencerons par un exposé sur la nature même du califat selon les
sunnites (§ 1). Ensuite nous distinguerons, comme nous le suggère la tradition islamique, entre deux types
de califat, le califat idéal, c’est-à-dire conforme au droit musulman classique, et le califat concret, celui
des califes qui ont pris la suite des premiers, que le ẖadîth cité appelle rois. As-Sanhûrî, dans son livre,
Le califat (1926), utilise cette distinction et oppose le califat régulier au califat irrégulier. A sa suite,
nous consacrerons donc le § 2 à l’étude du califat régulier, et le § 3 au califat irrégulier.
§ 1 - La nature du califat

87385 — La légitimité des premiers califes. Les auteurs commencent toujours par discuter cette question,

car elle fonde l’attitude sunnite, au cours des premiers siècles de l’hégire, préalablement à toute
théorisation. Les premières professions de foi réduisaient même la position sunnite à cette question de la
légitimité des quatre premiers califes. Elles soutenaient que l’ordre de succession des califes fut
conforme à l’ordre de leurs mérites. A leur suite, al-Ach‘arî, dans les Maqâlât al-islâmîyîn et dans
l’Ibâna, affirme que les musulmans furent unanimes sur la légitimité d’Abû Bakr, parce que le Prophète
l’avait choisi pour présider la prière pendant sa maladie. Dans son Kitâb al-Luma‘, il cherche à déduire
de propositions générales du Coran la prééminence du premier calife (Gardet, Dieu, p. 415-417).
88Les chiites produisant des ẖadîth en faveur de ‘Alî, les sunnites furent conduits à en produire en faveur

d’Abû Bakr, de ‘Umar, de ‘Uthmân (Bâqillânî dans l’Insâf par exemple). Comme ils risquaient d’être tout
aussi faibles et peu probants que les autres, les auteurs en sont arrivés à discuter, dans le chapitre de
l’imâmat, de la valeur des traditions (Bâqillânî dans le Tamhîd, Juwaynî dans l’Irchâd), et à rejeter les
ẖadîth uniques, pour préférer la théorie du libre choix (ikhtiyâr, traduit aussi élection) qui s’appuie sur
celle de l’ijmâ‘ des Compagnons. Al-Juwaynî le dit clairement : la légitimité du libre choix (ikhtiyâr)
s’impose, car c’est la seule voie qui reste (al-Irchâd, p. 355).
89L’excellence des Compagnons doit alors être mise en vedette. Dans son mémento de théologie, al-Insâf,

Bâqillânî consacre une grande place à l’attitude qu’on doit avoir envers eux : les Compagnons sont les
meilleurs connaisseurs de la religion, il faut taire leurs dissensions, les considérer tous comme pieux,
même s’ils se sont trompés. Le ẖadîth des mérites du mujtahid vient à la rescousse de cette position :
“Quand un chef (ẖâkim) pratique l’ijtihâd et qu’il tombe juste, il a deux récompenses, s’il se trompe, il
n’en a qu’une” (p. 66-69).
90On voit donc à quel point toute la théorie sunnite est dépendante des faits et polémiques de l’époque,

comme la théorie kharidjite et, dans une moindre mesure, la théorie chiite. Elle s’interdit plus que les
autres la réflexion sur la vérité des faits advenus, ce qui ne sera pas sans engendrer une tendance
permanente au refus de la réalité et à l’idéalisation du passé, et cela jusqu’à nos jours.
91386 — Définition et nécessité religieuse du califat. On a vu au début du chapitre ce qui concernait les
questions de vocabulaire (n° 348-349). Pour la définition du califat, les sunnites divergent peu quant au
fond : c’est la succession du Prophète pour la sauvegarde de la religion et la gestion du monde d’ici-bas
(al-Mâwardî, al-Ahkâm, p. 29 ; Fagnan, p. 5).
92Selon les sunnites, le califat est nécessaire. Mais un débat assez curieux intervient ici : cette nécessité

est-elle connue par révélation seule ou par raisonnement ? Les partisans de la révélation (la majorité)
évoquent le Coran, par exemple le verset *38, 26, où Dieu institue David “calife sur la terre”. Al-
Mâwardî cite le fameux verset des émirs (4, 59). Un ẖadîth (controversé) existe où le Prophète affirme :
“Celui qui meurt sans imâm, meurt de la mort du paganisme (jâhilîya)”. Al-Ghazzâlî soutient surtout
l’autre argument en faveur de cette thèse : la loi islamique contient des dispositions qui ne peuvent être
appliquées qu’au moyen d’une force publique (peines fixes, conduite des guerres, partage du butin, etc.).
En vertu du principe que ce qui est nécessaire à l’exécution d’une obligation est à son tour obligatoire, il
est donc nécessaire d’avoir un calife. Mais la plupart des sunnites insistent sur l’unanimité (ijmâ‘) des
Compagnons, car c’est elle qui fonde, à la mort du Prophète, l’institution du califat. Al-Îjî dira que les
Compagnons n’ont pas voulu vivre un instant sans imam, au point de faire passer l’affaire avant
l’ensevelissement du Prophète (Gardet, Dieu, p. 428-430).
93Pour une minorité de sunnites mutazilites, les arguments tirés de la révélation ne sont pas probants et
seul le raisonnement impose la nécessité du califat. Ils rejoignent ainsi les chiites. Le débat n’a de sens en
fait que dans la philosophie acharite qui ne veut se fier qu’à l’exégèse sacrée. Il est bien évident que les
preuves scripturaires sont mêlées de raisonnement. L’unanimité des Compagnons venait de la nécessité,
nous dit Az-Zuhaylî (t. 6, p. 664-65). Mais reconnaître la nécessité est un raisonnement. Quand al-
Mâwardî cite le verset des émirs (4, 59), il en déduit l’implicite : il n’y a pas d’obéissance possible sans
autorités préexistantes.
94387 — Califat et dogme religieux. La question du califat fait-elle partie du dogme ? Les théologiens

sont divisés sur la question. Quand ils répondent positivement, ils sont encore divisés pour savoir si c’est
un dogme fondamental ou secondaire. Ce qui est certain c’est que l’importance du calife-imam est
moindre pour les sunnites que pour les chiites : le calife est pour les premiers un homme ordinaire, sans
dimension cosmique. En plaçant le plus souvent à la fin des traités de théologie la question de l’imamat,
les sunnites ont voulu souligner son caractère mineur. Peut-être aussi ont-ils été sensibles à l’argument
chiite : si la question est d’importance, il doit exister un texte sur la succession du Prophète. Partant de
l’absence de texte, les sunnites ne pouvaient que trouver la question d’importance secondaire. Pour al-
Juwaynî, la question ne fait pas partie du dogme et l’ignorer vaut mieux que de se tromper, en particulier
en faisant passer pour certain ce qui n’est qu’admissible (al-Irchâd, p. 344). Bâjûrî dira que nier
l’obligation de l’imamat n’est pas une infidélité (Hâchîya, p. 117, cité par Gardet, Dieu, p. 425).
95Alors que pour les chiites l’imamat est un des fondements primordiaux de la religion, il n’est religieux

pour les sunnites que par conséquence de l’existence de la religion, donc de manière accessoire ou
extérieure (Tyan, Institutions, p. 756). Pour les sunnites, la nécessité d’un calife est un devoir
communautaire (fard al-kifâya), au même titre que la nécessité des cadis ou des muezzins. Le calife doit
être bien réel et bien vivant, il n’y a pas de théorie de l’imâm caché. Et si les sunnites admettent que le
califat doit durer jusqu’à la fin des temps, c’est du fait de la pérennité de l’islam 28 , et non parce que
l’imâm serait “le maître du temps” comme chez les chiites.
96388 — Conception théocratique et conception démocratique. Il existe tout de même deux conceptions

du statut du calife (Tyan, Institutions, p. 706 sq.). La première est théocratique : le calife reçoit
délégation de Dieu, il est le successeur du Prophète dont il a le même statut, sauf qu’il ne reçoit pas de
révélation. Même investi par Dieu et par la loi islamique, il reste un homme ordinaire, comme le
Prophète lui-même. Il n’est pas le représentant de la communauté. Son élection par la communauté ne lui
confère pas l’investiture, elle est purement déclaratoire.
97La seconde opinion est pourrait-on dire, démocratique. C’est surtout dans les ouvrages de fiqh que l’on
rencontrera cette idée 29 , où elle est peu développée, mais on la trouve d’abord chez Bâqilânî. Pour
cette opinion, c’est la communauté qui est la lieutenante de Dieu et le calife reçoit une véritable
investiture de l’umma : “Dans tout ce qu’il gouverne, il est le mandataire de la communauté (umma) et son
délégué (nâ’ib).” (Tamhîd, p. 184, cité par Tyan, p. 710)
98Mais les deux opinions s’accordent sur le principe monarchique : le calife est comme le Prophète,
institué à vie. Il possède tous les pouvoirs de la puissance publique (qui ne peut cependant modifier la loi
islamique avérée). Toutes les fonctions de la cité islamique émanent de lui par délégation. Si le calife
doit prendre conseil selon les injonctions du Coran (3, 159 ; 42, 38), les auteurs n’ont jamais développé
un système permanent d’assemblée consultative : le calife est un monarque absolu. S’il existe un contrôle
du calife, il se fait surtout a priori selon les docteurs sunnites, par des conditions sévères que doivent
remplir les candidats. A posteriori le contrôle n’est que marginal, il se fait essentiellement par la
consultation que doit pratiquer le calife et le devoir d’ordonner le bien et d’interdire le mal que doivent
accomplir tous les musulmans. L’idée de déchéance du calife existe bien, mais l’absence de procédures et
d’institutions lui enlève toute sa force. Voyons comment se présente tout cela d’abord dans le califat
régulier.
§ 2 - Le califat régulier

99Nous étudierons l’investiture du calife (A), ses pouvoirs (B) et la fin du califat (C).

A - L’investiture du calife

100La doctrine sunnite dominante est fondée sur les exemples des premiers califes, exemples
d’interprétation difficile. Elle a engendré plusieurs théories du califat, plus ou moins conciliables les
unes avec les autres : théorie du califat électif, théorie du contrat de califat, théorie de transmission du
califat par nomination. L’établissement d’un calife par la force ressort plutôt du califat irrégulier.
101Dans l’exposé, nous suivons la doctrine du califat électif, qui semble être dominante, en montrant
comment on passe de cette doctrine aux autres, ce que fait al-Mâwardî lui-même.
102389 — Les électeurs. Les électeurs sont désignés dans la tradition musulmane par l’expression ahi al-

ẖall wal-‘aqd, les gens qui délient et qui lient. Il y a trois catégories de musulmans, selon al-Mâwardî
(al-Aẖkâm, p. 31, Fagnan p. 7) : ceux qui sont inaptes à l’imamat et inaptes à choisir l’imam ; ceux qui
sont inaptes à l’imamat, mais sont capables de choisir l’imâm ; ceux qui sont aptes à l’imamat et capables
de choisir l’imâm. Pour appartenir à la deuxième catégorie, celle des électeurs, il faut posséder trois
qualités selon notre auteur :
1. “l’honorabilité (‘adâla), avec toutes ses exigences ;
2. la science qui permette de reconnaître l’existence chez un individu des qualités requises pour
mériter l’imamat ;
3. le jugement (ra’y) et l’esprit de sagesse nécessaire pour aboutir au choix de celui qui est le plus
propre à revêtir l’imamat, le plus qualifié et le mieux au courant pour administrer les affaires
communes”...
103La première condition doit probablement se comprendre d’abord dans le sens procédural comme la

condition de celui qui n’a pas été frappe par une condamnation antérieure ; plus largement aussi, dans le
sens où l’homme juste est aussi orthodoxe, non hérétique. Pour la seconde condition, il faut noter que
l’électeur d’al-Mâwardî n’est pas nécessairement un mujtahid.
104Al-Mâwardî ajoute que l’usage de prendre ces électeurs dans la capitale n’est qu’un simple usage et ne

ressort pas de la loi.


105Les sunnites ajouteront les conditions de capacité sous-entendues : majorité somatique, liberté (non-

esclave), masculinité, islamite, qui sont les mêmes que pour le calife.
106390 — Conditions de l’imâm selon al-Mâwardî. Pour les sunnites, l’imâm est un homme ordinaire qui
doit remplir certaines conditions avant d’être élu ou nommé.
107Al-Mâwardî distingue sept conditions au total dans un texte célèbre (al-Aẖkâm, p. 31-32, Fagnan p. 7-

8) :
1. “ l’honorabilité avec toutes ses exigences ;
2. la science qui permette de se livrer à un examen personnel (ijtihâd) des questions qui se présentent
(nawâzil) et de rendre des jugements ;
3. l’intégrité de l’ouïe, de la vue, et de l’usage de la langue, de manière qu’il puisse traiter en pleine
connaissance de cause ce qui n’est qu’ainsi perceptible ;
4. un fonctionnement des membres tel qu’il y ait parfaite possibilité de se mouvoir et de se mettre
rapidement debout ;
5. le jugement nécessaire pour administrer le peuple et expédier les affaires ;
6. la bravoure et l’énergie nécessaire pour faire respecter le territoire musulman et pour combattre
l’ennemi ;
7. le lignage, c’est-à-dire qu’il doit descendre de Quraych, ainsi que l’exigent un texte formel et
l’accord unanime...”
108Ici aussi les théologiens ajouteront les conditions implicites au texte d’al-Mâwardî :

1. la masculinité. Les femmes sont exclues au dire des théologiens du fait de leur incapacité, en
particulier à la guerre. Un ẖadîth, que l’on trouve dans les recueils de Bukharî, Ibn Hanbal, an-
Nasâ’î et at-Tirmidhî selon az-Zuẖaylî, énonce que “Un peuple ne réussira pas si ses affaires sont
dirigées par une femme”.
2. la liberté. L’esclave ne peut être qu’au service de son maître, donc il ne peut être au service de la
communauté.
3. la majorité somatique. L’exclusion des mineurs est un indice du refus de la monarchie héréditaire.
4. la santé de l’esprit.
5. l’islamité. Les autorités en islam ne peuvent être que musulmanes selon le Coran (*4, 141 ; 5, 51,
55-56).
109391 — La qualité de mujtahid. Un certain nombre des conditions d’al-Mâwardî sont contestées.
D’abord la science de l’ijtihâd pour pouvoir juger. A quelle catégorie de mujtahid doit appartenir le
calife ? Les classifications en catégories n’existaient pas du temps d’al-Mâwardî, mais il ne fait pas de
doute qu’al-Mâwardî souhaitait le plus haut degré chez le calife, c’est-à-dire un niveau de fondateur
d’école. C’est bien ce qu’exigeaient les premiers docteurs de l’islam : pour Bâqillânî dans l’Insâf :
l’imâm doit être “mujtahid, capable de fatwâ, parce que le cadi, qui tient son pouvoir de lui, a besoin de
cela” (al-Insâf, p. 69).
110Par la suite les docteurs qui ont abordé la doctrine du califat ont été moins exigeants sur ce point. Les

hanéfites (qui suivent le théologien al-Mâturîdî) disent qu’il suffit que le calife puisse consulter un
mujtahid (voir aussi Hallaq sur l’ijtihâd). Al-Ghazzâli a considérablement baissé le niveau des
conditions du califat, cela tient évidemment à une tentative d’accorder l’idéal et le fait (Rosenthal p. 40-
42) : que ce soit pour le courage ou la science religieuse, il suffit que le calife ait avec lui des hommes
qui détiennent ces qualités. Ainsi un calife faible pourra se faire aider d’un chef de guerre, et s’il ignore
le droit, il pourra consulter un savant mujtahid ; en revanche il devra être pieux et étudier tout de même le
droit et la théologie de l’islam. Comme on le verra avec Ibn Taymîya, les hanbalites ont aussi abaissé le
niveau des conditions à l’imamat.
111392 — L’origine quraychite. Al-Mâwardî cite après son texte deux ẖadîth : “Les imams sont de la

race de Quraych” et “Donnez la primauté aux Quraychites et ne la prenez pas sur eux”, puis il souligne
qu’ils n’ont pas été contestés à cette époque. Cette thèse fait la quasi-unanimité chez les juristes et
théologiens sunnites. Même les traités qui ne consacrent que quelques lignes à la question du califat citent
cette condition, par exemple le malékite ad-Dasûqî (Charẖ al-kabîr, 4, p. 298).
112Pourtant, déjà pour al-Juwaynî, la condition d’appartenir à la tribu de Quraych est controversée et

incertaine (al-Irchâd, p. 358). Mais si son disciple, al-Ghazzâlî, ne l’a pas suivi, d’autres comme les
hanbalites, penseront de même que cette condition n’est pas nécessaire.
113393 — De l’élection au contrat. La commission nommée par ‘Umar mourant comprenait six membres

et ils choisirent ‘Uthmân (644). Mais on ne sut pas le nombre de présents lors de la réunion de la Saqîfa
(au moins cinq), ni lors de la proclamation de ‘Alî (656). ‘Umar fut simplement nommé par Abû Bakr. Le
nombre des électeurs ne fut donc pas fixé par la tradition sunnite.
114De cette situation est née la théorie du contrat. Al-Ach‘arî a défendu le point de vue qu’un seul homme
pieux, s’il est capable d’ijtihâd, passant contrat avec un autre, remplissant les conditions du califat, suffit
à faire un calife légal. Il faut aussi deux témoins. Il est manifeste qu’al-Ach‘arî voulait justifier
l’intronisation d’Abû Bakr par ‘Umar qui a entraîné le ralliement général à l’issue de la discussion entre
les Muhâjirûn et les Ansâr en 632 (réunion de la Saqîfa), aussi bien que celle de ‘Umar par Abû Bakr en
634, par nomination. Al-Ach‘arî poursuit avec des hypothèses d’école : si deux contrats se font, le
premier est seul valable ; si on ne sait lequel est le premier, les deux califes doivent se désister et un
nouveau contrat doit être passé avec l’un des deux ou un troisième.
115Al-Juwaynî, analysant l’arrivée au pouvoir d’Abû Bakr, constate qu’il n’y a pas eu d’ijmâ‘ (dans un

premier temps), donc que l’unanimité n’est pas requise. Il n’y eut pas un nombre déterminé d’électeurs,
donc un seul suffit (p. 356). Le califat d’Abû Bakr est néanmoins légitime car, dans un second temps, tout
le monde lui a obéi, ce qui démontre l’existence d’une unanimité (p. 359). Le second temps, le ralliement
de tous, formalisé par le serment d’allégeance, est donc essentiel pour al-Juwaynî (n° 403).
116Al-Mâwardî rappelle les divergences relatives au nombre des électeurs et se rallie à la théorie du

contrat. Il précise que l’acceptation du nouveau calife est nécessaire, comme dans un contrat. Mais tout ce
qui concerne le contrat ne peut s’appliquer à l’imamat. Comme il le précisera à propos de la pluralité des
candidats, l’aveu, le serment et le tirage au sort ne peuvent intervenir en matière d’imamat, car l’imamat
n’engage pas que des intérêts personnels comme le contrat, mais l’intérêt de tous les musulmans.
117394 — Pluralité des candidats. Al-Mâwardî envisage ensuite ce qui doit guider le choix des électeurs
et les cas de contestations (al-Aẖkâm, p. 35-38 ; Fagnan p. 10-15).
118Entre deux candidats valables, il faut choisir les plus âgé, mais la règle n’a rien d’absolu. Ou celui
dont les aptitudes correspondent le mieux aux exigences de l’heure.
119Que faire s’il se trouve un meilleur calife que celui qui a été désigne ? Le problème se distingue de

celui de la multiplicité des imâm (n° 405), c’est le problème du préféré effectivement (mafḏûl) et du
préférable en soi ou du meilleur (afḏal). Al-Mâwardî se place dans la perspective que le califat doit être
unique. Il distingue les situations (qui sont des hypothèses d’école) et se rallie à la majorité des docteurs :
le candidat considéré comme le meilleur à un moment donné et élu régulièrement doit rester le seul calife
légitime. En filigrane, il y a une réponse aux chiites : quand bien même ’Alî aurait été meilleur qu’Abû
Bakr, ce dernier reste le calife légitime.
120Un problème voisin, mais important, celui de la nécessité de l’investiture. Al-Mâwardî le pose ainsi :

si quelqu’un est le seul à jouir des qualités nécessaires, est-il calife de ce fait ou bien l’investiture est-
elle nécessaire ? Notre auteur rappelle les opinions opposées, mais il ne tranche pas. Quelques pages
plus loin, le problème réapparaît à propos de la nomination.
121395 — De la nomination à la monarchie héréditaire. Al Mâwardî a donné le détail théorique de la

nomination du calife (al-Aẖkâm, p. 43-46 ; Fagnan p. 16-20). L’accession de ‘Umar au pouvoir s’est faite
directement par nomination (et sans bay‘a semble-t-il, Tyan, Institutions, p. 149-150). Il fallait donc que
la nomination (tafwîḏ) soit légitime et rattachée à la théorie de l’élection. En même temps la désignation
de la commission par ‘Umar pouvait être rattachée à la nomination.
122Pour procéder à une nomination, il faut bien sûr que le calife disposant soit légitime et qu’il cherche

l’intérêt de la communauté en choisissant le plus digne. Deux cas se présentent selon al-Mâwardî :
1. Si le bénéficiaire choisi n’est pas le père ou le fils du calife régnant, ce dernier est dès lors dispensé
de consulter “ceux qui délient et qui lient”, parce que la nomination est parfaite du fait du droit
supérieur de l’imam régnant. L’agrément de ‘Umar n’a pas dépendu de l’approbation des électeurs.
2. Si le bénéficiaire est le fils ou le père, les docteurs sont divisés. Pour certains, le calife ne peut
nommer ni son fils ni son père, car il est assimilé à un témoin et à un juge et son acte serait nul,
parce qu’on ne peut cumuler les deux fonctions. Il doit alors laisser l’affaire à “ceux qui lient et
délient.” Mais ceux-ci ne jouent que le rôle de témoins d’honorabilité et l’investiture est conférée
par le calife en place comme une décision de justice. Pour d’autres docteurs, l’imam a le droit de le
faire sans consultation parce qu’il est l’imam et que ses ordres sont exécutoires.
123Le bénéficiaire doit manifester son acceptation, la fonction de calife étant assimilée à un contrat. Le

calife présomptif devient alors le wâlî al-‘ahd, le “maître de la promesse”. La nomination une fois
acceptée, elle devient irrévocable pour l’une ou l’autre partie. Toutefois les deux peuvent se mettre
d’accord pour choisir un meilleur candidat. A la fin du califat du disposant, l’umma islamique doit obéir
au calife nommé, selon la doctrine qui a prévalu.
124Il est admis en outre que le calife disposant peut désigner les successeurs de son successeur, mais le

premier successeur a le droit d’infirmer ou de confirmer la décision de son prédécesseur en la matière ;


s’il ne fait rien, l’ordre de succession restera celui fixé par le calife disposant. La situation n’est pas
théorique, et, plus d’une fois les califes ont cherché à fixer l’ordre de leurs successeurs (al-Aẖkâm, p. 48-
50 ; Fagnan p. 24-28).
125Cette admission de la nomination par les sunnites a donc permis aux califes umayyades et abbassides

de transformer le califat en monarchie héréditaire. Si la doctrine sunnite affirme avec constance que
l’imamat ne peut passer par héritage, c’est pour répondre aux chiites : si l’héritage avait été admis, le
califat aurait dû revenir à ‘Alî et le règne d’Abû Bakr aurait été illégal. La théorie de la nomination
servait donc parfaitement les dynasties califales, tout en sauvant la fiction d’un califat électif. La seule
contrainte que la théorie imposait aux princes était de les obliger à pourvoir à leur succession de leur
vivant.
126396 — Le serment d’allégeance. Au niveau du vocabulaire il y a une nuance dans les mots qui

traduisent le concept de serment d’allégeance. Tous dérivent de la racine b, y, ‘ dont le sens fondamental
signifie vendre, passer un contrat de vente. Les deux mots bay‘a et mubâya‘a ont tous les deux les deux
mêmes sens : contrat commercial et serment d’allégeance. Mais le mot mubâya’a est issu de la troisième
forme dérivée du verbe, forme qui a une connotation de réciprocité : il a donc la préférence des partisans
de la théorie démocratique du califat. Le mot bay‘a au contraire a la préférence de ceux qui ont une
conception théocratique du califat. '
127Le serment d’allégeance est le serment que prêtent, en premier, “ceux qui délient et qui lient” d’obéir

au calife qu’ils viennent de choisir, et, en second, tous ceux des notables restants et du peuple qui le
peuvent (bay‘a ‘âmma, bay‘a publique). Quelle est la valeur juridique des deux serments ? A quel
moment l’imamat est-il parfait ? Ces serments sont-ils des actes d’investiture ou seulement des signes
(ichârât) qui manifestent le nouveau statut de l’imam ?
128La valeur du second serment fut vite réglée : selon la tradition unanime, il n’était que le signe de la
validité du premier 30 . Cette bay‘a générale n’est d’ailleurs pas énoncée par al-Baghdâdî, sauf comme
preuve de la validité du contrat de califat, en particulier dans l’accession au pouvoir d’Abû Bakr.
129Mais la première bay‘a ? Elle est dite bay‘a khâssa, bay‘a privée, par opposition à l’autre. L’exemple

du Prophète (les bay‘a d’Aqaba) tendrait à montrer que les jureurs ne sont que des témoins, que le
Prophète n’est prophète qu’en vertu de l’élection de Dieu. Il n’y a aucune idée d’élection, ni même de
contrat réciproque. C’est un acte de soumission (islâm), de reconnaissance, un acte déclaratoire. En est-il
de même pour le califat ? Dans ce cas la bay‘a ne signifierait rien d’autre que la reconnaissance du calife
comme étant le meilleur, cette excellence lui conférant par elle-même (ou plutôt par la grâce de Dieu) le
califat. Il en est bien ainsi pour les partisans de l’imamat théocratique, la bay‘a ne fait que manifester le
choix de Dieu. Pour les partisans du califat démocratique, la mubâya‘a est un engagement réciproque :
pour le calife celui d’obéir à la loi islamique ; pour les électeurs, représentants de l’umma, celui d’obéir
au calife, et c’est cet engagement réciproque qui confère l’investiture.
130En pratique la bay‘a fut souvent achetée contre divers avantages, ou extorquée par la force au point de
n’être qu’une fiction, mais une fiction nécessaire, car elle conférait un caractère légal, religieux, à la
victoire du nouveau prince. Même contrainte, elle engageait ceux qui la prononçaient, et la sanction en
cas de parjure était la peine de mort (Tyan, Institutions, p. 267-273).
131397 — Unité du califat. La multiplicité des imâms n’est pas légitime selon les sunnites, il ne peut

exister qu’un calife légitime et les autres ne peuvent être que des rebelles. Cette position se fonde sur la
décision de l’assemblée de la Saqîfa, quand fut repoussée la proposition des Ansâr de diviser le califat.
Ni Abû Bakr, ni ‘Alî n’ont admis la légitimité des pouvoirs qui s’étaient dressés contre eux, et le
consensus des Compagnons va dans le même sens. La communauté devant rester unie (Cor. 3, 103), cette
conséquence était logique. Un ẖadîth aurait même ordonne “Si deux califes sont proclamés, tuez le dernier
d’entre eux” (Abû Hanîfa, al-Fiqh al-akbar, cité par Tyan, Institutions, p. 690). On a vu que al-Mâwardî
s’appuyait sur cette idée pour trancher la question de la pluralité des candidats au califat (n° 395-396).
132Mais la question de l’unité ne fait pas l’unanimité. ‘Abd al-Qâhir al-Baghdâdî concède que plusieurs
imâms peuvent être légitimes s’ils sont séparés par une mer (allusion à l’Espagne umayyade). Al-Juwaynî
hésite, mais pense que c’est admissible sans en être certain (p. 357). Les mutazilites admettent au
contraire la pluralité des califes. La pensée sunnite (al-Ghazzâlî, Jurjânî) a fini par admettre la position
d’al-Baghdâdî.
133La réalité étant pressante, al-Mâwârdî reconnaît les gouvernements de fait dès l’instant où le calife, en

échange de la reconnaissance formelle de sa dignité (sur les monnaies, pour la prière), donne à ses
concurrents, par délégation, une reconnaissance de wilâya (souveraineté), souvent même héréditaire. La
théorie de la délégation qu’il développe est évidemment une justification de la situation de fait existante à
l’époque buwayhide, où le calife abbasside perdait tout pouvoir et devait reconnaître les monarques
indépendants qui se partageaient l’Empire et se contentait d’être reconnu comme calife en échange.
134L’unicité de l’imâm entraîne son universalité. Elle n’est pas fortement marquée dans le sunnisme, mais

la théorie du jihâd montre bien que la wilâya (compétence, autorité) du calife est générale quant aux
lieux, elle couvre l’étendue du dâr al-islâm et elle a vocation à s’étendre sur le dâr al-ẖarb, donc à
l’anéantir en tant que tel.
135La wilâya du calife est aussi générale quant aux personnes. Elle s’exerce sur les musulmans qui
doivent lui obéir et l’assister. Mais le calife doit respecter leur liberté et leurs biens. Un ẖadîth de ‘Umar
dit : “N’asservisscz pas les hommes, leurs mères les mettent libres au monde”. Il ne s’agit pas, bien
évidemment, de la liberté politique conçue à la manière des philosophes du xviiie siècle, comme le laisse
sous-entendre as-Sanhûrî (p. 131), mais de l’interdiction d’asservir des hommes nés libres, par rapt ou
violence, règle corrélative à l’institution de l’esclavage et bien connue dans l’antiquité. La wilâya du
calife s’exerce aussi sur les non-musulmans liés par le pacte de dhimma ou par amân (voir chapitre
suivant) et elle est régie par les termes mêmes de ces pactes.

Β - Les pouvoirs du calife

136398 — Les pouvoirs politico-religieux du calife. Une fois le calife régulièrement institué, les
musulmans doivent lui obéir (Coran 4, 59) et l’aider à lutter contre les récalcitrants. Pour les sunnites en
général, il n’est pas nécessaire que les sujets ordinaires le connaissent par son nom : c’est une réponse à
la théologie chiite.
137Dans un autre texte célèbre, al-Mâwardî a donné la liste des devoirs du calife (al-Ahkâm, p. 51-53 ;

Fagnan p. 30-32). Voici ce texte, avec quelques gloses entre parenthèses :


1. “ Maintenir la religion selon les principes fixés et ce qu’a établi l’accord des plus anciens
musulmans. Si donc un novateur (mubtadi‘) apparaît ou quelqu’un qui s’écarte des vrais principes en
émettant une opinion suspecte, il doit lui exposer clairement les preuves de la religion, lui expliquer
ce qui est juste et lui appliquer les droits et les peines écrites (ẖudûd, peines fixes, allusion à la
peine contre les apostats, voir chap, pénal) auxquelles il est soumis, à l’effet de préserver la religion
de toute atteinte et de mettre le peuple à l’abri de toute occasion de chute (zilal) ;
2. Exécuter les décisions rendues entre plaideurs et mettre fin aux procès des litigants, de façon à faire
partout régner la justice et à ce qu’il n’y ait ni méfait de l’oppresseur (ẕâlim), ni écrasement de
l’opprimé (maẕlûm) ;
3. Protéger les pays d’islam (al-bayḏa) et en faire respecter les abords, pour que la population puisse
gagner son pain et faire librement les déplacements qui lui sont nécessaires sans exposer ni sa vie, ni
ses biens ;
4. Appliquer les peines légales (ẖudûd, peines fixes) pour mettre les prohibitions édictées par Allâh à
l’abri de toute atteinte et empêcher que les droits de ses serviteurs ne soient violés ou anéantis ;
5. Approvisionner les places frontières (thughûr) et y mettre des garnisons suffisantes pour que
l’ennemi ne puisse, profitant d’une négligence, y commettre de méfait ou verser le sang soit d’un
musulman, soit d’un allié (muhâhid, ceux qui ont conclu un pacte, catégorie plus large que celle des
dhimmî) ;
6. Combattre (jihâd) ceux qui, après y avoir été invités, se refusent à embrasser l’islam, jusqu’à ce
qu’ils se convertissent ou deviennent tributaires (dhimmî, protégés), à cette fin d’établir les droits
d’Allâh en leur donnant la supériorité sur toute autre religion ;
7. Prélever le fay’ (butin obtenu sans combat) et les dîmes aumônières (sadaqât, aumônes)
conformément au texte des prescriptions sacrées et à leur consciencieuse interprétation, et cela sans
crainte ni injustice ;
8. Déterminer les traitements et les charges du Trésor (bayt al-mâl) sans prodigalité ni parcimonie, et
en opérer le paiement au temps voulu sans avance ni retard ;
9. Rechercher des gens de confiance et nommer des hommes loyaux au double point de vue des postes
dont il les investit et des sommes dont il leur remet le soin, pour que les fonctions soient entre les
mains d’hommes capables et l’argent confié à des mains sûres ;
10. S’occuper personnellement de la surveillance des affaires et étudier les circonstances diverses, à
l’effet de pourvoir à l’administration de la nation et à la défense de la religion (milla), sans trop se
fier à des délégations d’autorité grâce auxquelles il pourrait se livrer lui-même au plaisir ou à la
dévotion, car un homme de confiance n’est pas toujours sûr, un conseiller sincère peut devenir
fourbe...”
138Toutes ces tâches, sauf peut-être les deux dernières relatives à la délégation, sont de nature politico-

religieuse dans ce sens où il s’agit principalement d’appliquer et de faire appliquer la loi islamique.
Elles n’ont pas posé de problèmes aux auteurs classiques qui n’en ont pas contesté la nature religieuse, au
contraire de ce que diront les réformateurs et modernistes contemporains.
139399 — La consultation. Le calife concentre tous les pouvoirs qu’a évoqués al-Mâwardî. Toutefois le
calife est tenu de consulter (Coran 3, 159 ; 42, 38). Qui ? Les “hommes qui lient et délient” répond en
général la tradition sunnite. Ce devoir de consultation (chûrâ) a été souvent pratique par le Prophète,
comme en témoigne sa biographie. Les premiers califes agirent de même. Mais cette consultation (chûrâ)
fut toujours informelle. Très rapidement les califes ont fait passer le devoir de consultation aux oubliettes.
Al-Mâwardî n’inscrit pas la consultation au nombre des devoirs du calife : c’est une omission
significative du fonctionnement réel du califat à son époque.
140Plus largement, c’est l’umma islamique qui détient, par les “gens qui lient ou délient” le droit et le

devoir de donner des conseils non sollicites au calife qui sort de la voie droite, et même, en principe, le
droit de le destituer. Mais le droit classique ne fixe pas de procédure que ce soit pour la consultation ou
pour le conseil (ni non plus pour la déchéance du calife, voir n° 413).
141400 — La délégation. Le calife peut déléguer (tafwîḏ, délégation) ses pouvoirs à d’autres, ministres
ou vizîrs (wâzir, pl. wuzarâ’) ou gouverneurs (wâlî, pl. awliya) ou autres (juges etc.). Al-Mâwardî
distingue ceux dont la délégation est générale, tant du point de vue de l’espace que de la matière (le grand
vizir) ; ceux dont la délégation est générale du point de vue de l’espace, mais restreinte à un domaine (les
ministres) ; ceux dont la délégation est générale quant au domaine, mais particulière quant à l’espace (les
gouverneurs) ; enfin ceux dont la matière est restreinte quant à l’espace et à la matière (juges). Tous ces
fonctionnaires ont à leur tour le pouvoir de déléguer. Le calife est ainsi le sommet d’une pyramide de
délégations, mais lui-même tient son pouvoir de la communauté, comme on l’a vu, selon la théorie
démocratique. Le calife est un mandataire, l’objet du mandat donné s’analyse en tutelle de droit public.
142En principe la mort du calife n’entraîne pas la mort du mandat des ministres et gouverneurs (comme en

droit des contrats), car en fin de compte ils sont les mandataires de la communauté, ce qu’affirment les
juristes, le plus souvent partisans de la théorie démocratique, à propos des cadis. C’est pourquoi rien ne
s’oppose à ce qu’un calife soit jugé par un juge qu’il a lui-même nommé : ils sont en fait mandataires de
la communauté.
143401 — Le vizirat. Les revenus publics. Le terme de vizir s’est répandu à partir des Umayyades. Le

premier ministre, le grand vizir, a pris une importance immense sous les Abbassides. Al-Mâwardî
distingue le vizir d’exécution, qui ne fait qu’exécuter les ordres du calife et le vizir de délégation qui
décide par lui-même. En réalité cette distinction justifie un état de fait où des vizirs tout puissants
supplantent des califes soumis. De même al-Mâwardî admet “le gouvernorat par usurpation”, et ce n’est
rien d’autre que la justification des sécessions ou rébellions quand elles consentent à reconnaître
formellement la suzeraineté du calife. On est là dans la logique du califat irrégulier. Un autre personnage
fit son apparition dans certains contextes, le ẖâjib, le grand chambellan, dont la fonction de portier lui
permit de supplanter le premier ministre (cf. al-Ansari, Protocole).
144Les revenus publics sont constitués essentiellement par la zakât (l’impôt de purification), par l’impôt
de capitation (jizya) et le kharâj, ces deux derniers prélevés sur les dhimmis. On verra dans le chapitre
consacré à la propriété le statut des terres et l’assiette de ces impôts. Le bayt al-mâl, le trésor public,
reçoit aussi le butin du jihâd (voir chapitre suivant).
145402 — Le pouvoir judiciaire. Le calife jouit d’une autorité (wilâya, parfois compétence) générale en
matière judiciaire, comme en matière exécutive. Le grand vizir et les gouverneurs ont aussi cette
prérogative. Depuis les Abbassides, un chaykh al-islâm, sorte de ministre de la justice, nommé par le
calife ou le grand vizir, nomme les juges de province (qâḏî, pl. quḏâ’), lesquels peuvent à leur tour
déléguer à des nâ’ib (substitut) leurs fonctions pour les localités éloignées de leur circonscription. On a
dit que la doctrine admettait que ces juges sont tels en vertu d’une délégation de la communauté. Nous
reviendrons sur le juge et la justice dans le chapitre de la procédure. Rappelons simplement ici que la
délégation générale en faveur des gouverneurs a donné lieu, le plus souvent, à une justice parallèle, ou
“administrative”, de caractère “laïc”, et occupée surtout de répression pénale. Les deux hiérarchies
judiciaires aboutissent toutes deux au calife.
146403 — Le pouvoir législatif. Si le calife jouit d’une autorité (wilâya) générale en matière exécutive et

judiciaire, il n’en est pas de même en matière législative. Le pouvoir législatif en effet n’appartient qu’à
Dieu, ce que prouvent maintes citations du Coran (2, 107 par exemple). C’est Lui qui a fixé la loi et ce
n’est que de manière métaphorique que le Coran dit que ce pouvoir a été remis à l’umma islamique (24,
55), car elle doit continuer d’obéir à Dieu (4, 59), son pouvoir n’étant qu’une lieutenance. Les sources de
la législation ne peuvent être que celles que précisent les usûl al-fiqh, de même que les conditions et les
modes opératoires de tout ijtihâd. Il s’ensuit que le pouvoir de fixer la loi islamique ne peut être remis
qu’à un corps de savants choisis pour leur compétence et leur piété. Ce seront les législateurs, mais
seulement par voie métaphorique, étant bien entendu que le législateur est Dieu et qu’ils ne légifèrent que
pour les questions qui font l’objet de divergences ou d’hésitations.
147Le chef de la communauté islamique, le calife ou l’imâm, n’a de pouvoir législatif qu’en sa qualité de

mujtahid et de juge suprême, au même titre que les autres savants et cadis. Si des cas nouveaux se
présentent à lui (en tant que juge), il doit suivre l’avis majoritaire des ‘ulamâ’, s’il s’en dégage un. Sinon,
en accord avec le plus éminent juriste de l’empire (le chaykh al-islâm), il doit choisir une opinion
minoritaire. A fortiori le calife ne peut-il modifier le culte, et le fait de présider la prière, ou le fait
qu’elle soit dite en son nom dans les centres éloignés de sa personne, ne lui donne aucun pouvoir
particulier.
148Cependant, en toute matière non régie par le droit islamique, il peut prendre des ordonnances (qânûn).
En cas de nécessité ou pour défendre un intérêt général évident, ces ordonnances peuvent contredire la loi
islamique. Mais ce n’est qu’en apparence : il est admis que le statut originel de la loi islamique, soit
renversé au profit du statut relationnel (n° 266) du fait des circonstances. La loi islamique constitue une
limite du pouvoir califal très efficace si le calife est pieux : elle reconnaît en effet aux musulmans
l’égalité devant la loi, la liberté individuelle, l’inviolabilité de la personne (sauf en cas d’infractions),
l’inviolabilité du domicile et de la propriété, bref un bon nombre de droits publics fondamentaux. Mais la
pratique est bien différente.
149404 — L’arbitraire califal et son autolimitation par l’amân. En pratique presque tous les califes ont

usé et abusé d’un pouvoir sans limites sur les fonctionnaires et les personnes privées, leur statut
personnel, leurs déplacements, leurs vies, leurs biens, etc. La chronique regorge d’actes arbitaires de
toutes sortes, d’exécutions, de tortures, de confiscations, etc. (Voir Abû Chaljî, Mawsû‘a, et Tyan,
Institutions, p. 325-355 (Umayyadcs et Abbassides), p. 486-491 (sultans sous les Abbassides), p. 594-
606 (Mamlouks)).
150Les califes ont même créé une sorte d’institution, l’amân, qui est normalement le sauf-conduit des
étrangers (cf. n° 445). Le calife accordait donc un aman à tel ou tel de ses sujets qui le demandait (par un
intermédiaire) pour se prémunir contre son propre courroux. Le Prophète l’avait fait (mais dans le
contexte du jihâd). Les Umayyadcs et surtout les Abbassides en usèrent largement. L’attribution d’une
telle sauvegarde s’accompagna même d’actes écrits et d’une robe d’honneur. Mais il arriva que l’amân ne
soit qu’une ruse du calife pour attirer le sujet dont il méditait la mort dans un guet-apens, comme le fit
l’abbasside al-Mansûr envers le révolté Abû Muslim, (voit Tyan, Institutions, p. 356-357, 595).
151Mais bien sûr, la doctrine ne tient pas compte de tous ces faits ou les rapporte au califat irrégulier.

C - Fin du califat

152405 — Maladie, mort ou abdication du calife. La maladie, même grave, ne met pas fin au califat,

mais si le calife est manifestement perdu, les électeurs peuvent anticiper l’élection d’un candidat parmi
ceux désignes par le calife.
153La mort du calife met fin au contrat et ouvre sa succession selon les procédures que nous avons vues.

Les exemples de la succession du Prophète et des premiers califes incitent à ne pas perdre de temps.
Aucun délai n’est fixé, mais tous succédèrent à leur prédécesseur dans les trois jours.
154Du fait que le califat est un contrat, chaque partie devrait pouvoir le révoquer. Pour al-Mâwardî,
l’umma islamique ne peut le faire tant que le calife remplit toujours les conditions exigées à sa
nomination. En revanche, selon lui, le calife peut abdiquer. En pratique l’abdication (khal‘ al-nafs) a été
souvent utilisée. A l’époque de la décadence abbasside, les intrigants et chefs de guerre contraignaient les
califes à se défaire du pouvoir solennellement.
155406 — Déchéance (‘azl) du calife. Si le calife ne remplit plus les conditions exigées par sa fonction,

il doit être déchu (ou destitué). C’est une solution déduite des conditions du califat. Selon Bâqilânî, du
fait que la communauté investit le calife, elle a non seulement le droit de remontrance, mais le droit de
destitution : “l’umma est toujours derrière le calife pour le guider, le redresser, l’admonester, le forcer à
rendre ce qui est de droit, et le destituer et le remplacer s’il a commis un acte qui exige cette destitution.”
(Tamhîd, p. 184, cité par Tyan, trad. revue). Il ne peut, bien sûr, perdre que les qualités qui ne sont pas
permanentes. Ces conditions temporaires sont soit physiques, soit morales.
156Pour les conditions physiques, la folie permanente, la perte de la vue, l’infirmité physique grave, sont

des causes de déchéance évoquées traditionnellement. Al-Mâwardî y rattache le défaut de la liberté


d’action. Ce peut être du fait de l’influence étrangère. Pour la domination d’un subordonne la question se
discute : si l’usurpateur agit conformément à la religion et à l’intérêt général, l’affaire peut s’analyser
comme une délégation générale. Dans le cas contraire, le calife doit se libérer de son subordonné.
Dernier cas, celui de la captivité du calife : le calife reste calife tant qu’il y a espoir de le délivrer par la
guerre ou en payant rançon. Si l’espoir est perdu, il ne perd sa dignité de calife que s’il est aux mains de
non-musulmans.
157Pour les conditions morales, l’islamité est fondamentale. Le calife devenu mécréant (kâfir) ou
hérétique est déchu par le droit même, sans jugement. S’il devient corrompu (fâsiq), c’est-à-dire s’il
commet certaines actions défendues, ou blâmables, ou s’il outrepasse ses droits, la solution est la même.
Pour ach-Châfi’î cette déchéance se produit de plein droit. Pour d’autres docteurs, il doit être déposé
officiellement. D’autres encore n’admettent pas que la corruption puisse entraîner la déchéance, c’est ce
que pensent la plupart des auteurs tardifs.
158Pour les sunnites l’imâm ne peut devenir invisible, c’est un homme ordinaire, et s’il disparaît, il doit
être remplacé par un successeur.
159En pratique, la déchéance du calife ne fut prononcée que contre les califes qui avaient perdu tout

pouvoir. “Cette mesure est le fait exclusif des intrigants ou chefs prétoriens” écrit Tyan, mais il souligne
que “la liberté même de ceux-là reste toujours limitée par le principe dynastique et légitimiste : il n’a
jamais paru possible à aucun d’eux de désigner un calife pris en dehors de la famille régnante”
(Institutions, p. 269 et 297 sq.).
160La mentalité des sunnites, en réaction contre les excès des kharidjites, souligne souvent le devoir

d’obéir au calife quelles que soient ses fautes. Une maxime se répandit très tôt sous forme de ẖadîth :
“Soixante ans de tyrannie valent mieux qu’une heure de dissensions”. Cette passivité ouvrit la porte au
califat irrégulier.
§ 3 - Le califat irrégulier

161407 — Évolution de la doctrine classique. Déjà al-Mâwardî avait fait maintes concessions à la

situation réelle. Le mouvement ne cessa pas avec ses successeurs. Al-Ghazzâlî écrivit dans son Kitâb al-
Iqtisâd que “les nécessités rendent permis même ce qui est interdit” (p. 107, cité par Gibb in Khadduri-
Liebesny, p. 19). Il admet le principe des reconnaissances formelles mutuelles, par lesquelles un calife
impuissant se résigne à la division de l’État musulman dépecé par des coups de force. Il n’envisage pas
non plus la déchéance du sultan (du délégué) par le calife. La situation est toute théorique à son époque.
Pourquoi l’aurait-il fait ? Il y avait longtemps que les sultans faisaient et défaisaient les califes et al-
Ghazzâlî leur avait même donné le droit de les nommer (Rosenthal p. 42). Il écrit dans son grand traité de
théologie mystique, l’Iẖyâ’ ‘ulûm ad-dîn, (tome II, p. 140-141, trad. Morelon, p. 135).
“De toute façon, le prince injuste, ignorant de ses devoirs religieux, est soutenu par la force, il est difficile de le destituer ; pour le
renverser, il faudrait provoquer une guerre civile violente, perspective insoutenable à laquelle il faut renoncer. On doit lui obéir, de
même qu’on doit obéir aux chefs : en effet on cite des traditions du Prophète sur l’obéissance aux chefs et sur l’interdiction de
refuser de les soutenir lorsqu’ils prescrivent ou proscrivent... Si nous déclarions qu’il faut annuler leurs fonctions actuelles, on
annulerait du même coup les intérêts supérieurs d’ordre général : or ils jouent le rôle du capital, alors est-il possible de sacrifier le
capital au revenu ?”.

162Badr ad-Dîn Bn Jamâ‘a, un chaféite qui mourut en 528/1333, reconnut purement et simplement que le

calife légitime était le plus fort et que cela valait mieux que la guerre civile (Taẖrîr al-aẖkâm). On doit
lui obéir, même s’il ne remplit pas les conditions légales, même s’il est barbare et pécheur. Si un autre
plus fort le remplace, c’est au second que doit aller l’obéissance des musulmans pour la même raison
(Rosenthal, p. 43-51).
163Le système du califat irrégulier ne fut pas étudié en tant que tel par les docteurs classiques qui

suivirent. Ils continuèrent à exposer la doctrine du califat régulier. Mais un moderne, as-Sanhûrî (cf. n
° 421) a tenté “de créer de toutes pièces les grandes lignes d’une théorie du califat irrégulier” (Le califat,
p. 207-245). As-Sanhûrî ne fait pas dans ce texte une analyse descriptive ni anthropologique. Il s’efforce
de dire le droit musulman “tel qu’il devrait être”, c’est-à-dire de faire œuvre de faqîh. Suivons-le quand
même dans son intéressante synthèse.
164408 — La légitimité du califat irrégulier. Selon as-Sanhûrî, le califat irrégulier est fondé sur la

nécessité. Cela entraîne deux principes : 1/ La nécessité rend permis ce qui est défendu, donc rend
légitime le califat irrégulier. Il faut ainsi dissocier régularité et légitimité 31 . 2/ La nécessité porte en
elle-même sa propre limite : chaque fois que les règles du califat régulier seront applicables, elles
devront être adoptées.
165La légitimité du califat irrégulier se fonde d’abord sur sa capacité à maintenir la paix et la sécurité. Un

élément de droit intervient aussi : la reconnaissance de ce nouveau pouvoir par les “gens qui délient et
lient”. Mais ce nouvel hommage est, le plus souvent, entaché de complaisance ou de crainte, et il se
donne à un homme qui ne remplit pas les conditions légales. Cet hommage n’en fait pas un calife régulier,
il ne fait que le rendre légitime.
166409 — Établissement du califat irrégulier. Le califat irrégulier s’établit soit par la force, soit du fait

que les règles régulières sont impraticables.


167Dans le premier cas, un usurpateur s’étant emparé du pouvoir, s’il n’y pas d’espoir raisonnable de le

renverser facilement, si les troubles et les guerres seraient insupportables, il faut accepter le régime
établi. Pour as-Sanhûrî, depuis Mu‘âwiya, les califes sont irréguliers car établis par la force visiblement
ou de manière latente. Le soulèvement contre un tel calife n’est donc légitime que si l’espoir de lui
substituer un calife régulier est solide. A l’inverse, un calife régulier qui n’a aucun espoir de se maintenir
doit céder au rebelle, dans l’intérêt de tous, comme le fit Hasan Bn ‘Alî. Il pourrait reconnaître le
pouvoir du rebelle, mais dans ce cas, ils deviennent califes légitimes mais irréguliers tous les deux. En
effet, le calife régulier est tenu de combattre le rebelle et de ne pas accepter un fractionnement du
territoire musulman, sous peine de devenir irrégulier.
168Quand les règles du califat régulier sont impraticables, un “califat d’opportunité” s’établit. As-Sanhûrî
distingue quatre cas. Ce peut être, premièrement, du fait que le calife ne remplit pas les conditions
exigées et qu’il ne s’en trouve pas qui les satisfasse. C’est un califat légitime, mais irrégulier, comme le
califat ottoman. Le deuxième cas est celui du maintien du calife qui ne réunit plus les conditions
nécessaires, parce qu’il ne s’en trouve point de meilleur. Le troisième cas est celui de l’investiture d’un
calife qui ne remplit pas les trois “traits” essentiels du califat (unité du dâr al-islâm, application de la loi
islamique, réunion des attributions politiques et religieuses). Pour le premier trait as-Sanhûrî donne
l’exemple des Abbassides et des Umayyades d’Espagne. Pour le second trait, l’exemple des États
modernes appliquant le droit moderne. Pour le troisième trait, les Abbassides du Caire ou le dernier
sultan turc, ‘Abd al-Majid, dépouille de ses pouvoirs politiques. Le quatrième cas est celui du maintien
d’un calife qui ne remplit pas les traits essentiels ci-dessus. D’autres cas sont possibles par combinaison
32 .

169Pour as-Sanhûrî, toutes ces formes de califat irrégulier sont légitimes. Et, dans la mesure où elles

proviennent de la nécessité et où l’effort vers l’établissement d’un califat régulier reste l’objectif, ces
régimes irréguliers sont obligatoires (p. 226).
170410 — Fonctionnement du califat irrégulier. Le principe est que, chaque fois qu’il est possible, les
règles du califat régulier s’appliquent. Le calife irrégulier peut ainsi nommer des délégués, des
fonctionnaires, juges, gouverneurs, etc. Il peut agir dans le domaine politique comme dans le domaine
religieux, mais il doit rester dans les limites de la loi : “au cas contraire, elles (ses décisions) sont
nulles” (p. 229). Toutefois, “les musulmans doivent se résigner” à obéir. Les décisions n’en deviennent
pas valables de ce fait, et il faut rétablir le droit dès que possible (p. 233).
171Le califat d’opportunité étant plus proche du califat régulier que le califat de force, en cas de rébellion,

les musulmans doivent assistance au premier, mais pas au second. Si la rébellion est conduite par
quelqu’un qui a des chances de rétablir le califat régulier, on doit au contraire le soutenir contre le califat
de force.
172As-Sanhûrî souligne que la multiplicité des califats étant contraire à la doctrine du califat régulier, les

docteurs n’ont pas fait de droit international intra-islamique pour régler les rapports entre les califes
irréguliers (mais légitimes) (p. 234). S’y essayant, notre auteur en déduit l’interdiction de la guerre entre
musulmans, sauf dans le cas où un calife irrégulier serait en passe de rétablir le califat régulier et
universel ; mais il préfère la négociation pour atteindre ce but. D’ailleurs l’amitié est obligatoire entre les
différents califes irréguliers et l’arbitrage la seule voie en cas de conflit entre eux. Contre un ennemi
commun non musulman, l’alliance est aussi obligatoire pour défendre le calife musulman attaque. Si au
contraire, c’est un pays musulman qui attaque illégalement un pays non musulman, les autres musulmans
doivent faire cesser la guerre (p. 237), mais semble-t-il pas par la guerre 33 .
173411 — Fin du califat irrégulier. As-Sanhûrî envisage la fin du califat de force par la perte de la force
elle-même. Dans ce cas la Nation (l’umma islamique) peut rétablir le calife affaibli s’il remplit les
conditions de capacité et est capable d’assurer les traits essentiels du califat régulier (unité du dâr al-
islâm, application de la loi islamique, réunion des attributions politiques et religieuses).
174En fait le consentement de la Nation semble suffire à en faire un calife régulier, comme ce fut le cas

pour ‘Umar Bn ‘Abd al-‘Azîz. Le calife de force peut ne pas réaliser les traits essentiels, notamment
l’unité du monde musulman. On a alors affaire à un califat d’opportunité, comme ce fut le cas avec
certains Abbassides (Harûn ar-Rachîd). Ou à l’inverse, les traits essentiels sont assurés, mais pas les
conditions de capacité, comme sous les Umayyades à la piété douteuse : on a affaire encore à un califat
d’opportunité. Même solution encore dans le cas où aucune des conditions ni traits ne sont réalisés.
175La fin du califat d’opportunité présente des situations similaires (hormis le cas où un calife de force

s’empare du pouvoir). S’il parvient à remplir les conditions de l’imamat et à réaliser les traits essentiels
du califat, il devient régulier, sans cela il reste irrégulier d’opportunité.
176412 — Transition. Telle est la théorie du califat irrégulier d’as-Sanhûrî. On la comparera utilement à

l’histoire juridique du califat effectif, telle que Tyan en a donné détail (Institutions, première partie). Ce
dernier s’est efforcé de distinguer les grandes périodes de l’histoire de l’islam et de déduire les règles du
fonctionnement réel des différents califats. La méthode fait surtout ressortir le rôle important des
circonstances, mais aussi la permanence de certaines institutions, comme celle de la ba‘ya.
177Parallèlement à cette histoire du califat on trouve des penseurs qui suivent la doctrine classique. A la

suite d’al-Mâwardî, ils furent nombreux à reprendre la même théorie sans changement notable, sans
vraiment tenir compte des nouvelles situations (al-Îjî, al-Bajûrî, as-Sanûsî, etc.). Mais un événement très
important, la chute du califat abbasside en 1258, sous la poussée mongole, allait déterminer de nouvelles
doctrines, moins idéalistes. D’elles principalement sont issues les théories modernes. Ces dernières
eurent en outre à affronter la nouvelle situation engendrée par un autre événement important, la
suppression du califat ottoman en 1924.
SECTION 3 - LES DOCTRINES POST CLASSIQUES ET LA
SITUATION ACTUELLE
178Nous évoquerons quelques auteurs post classiques sunnites avant le tournant que fut la suppression du
califat en 1924 (§ 1), puis après cette suppression, les réactions et la situation actuelle (§ 2).
§ 1 - Avant la suppression du califat

179Selon Gibb, la théorie classique du califat ne satisfaisait plus les penseurs à l’époque mongole, d’où

une recherche de voies nouvelles (in Khadduri-Liebesny, p. 26). Nous évoquerons trois juristes
importants : le premier, Ibn Ruchd (qui appartient en fait à l’époque précédente), est aussi philosophe ; le
second, Ibn Taymîya, est aussi théologien ; le troisième Ibn Khaldûn est aussi historien. Comme si toutes
les ressources des disciplines islamiques avaient été mobilisées pour sortir la question du califat de
l’impasse.
180413 — Moralistes et philosophes. Ihn Ruchd (Averroès). Les juristes et théologiens ne furent pas les
seuls à traiter de politique. Divers courants de moralistes, certains puisant dans le ẖadîth, d’autres dans la
littérature persane, proposèrent, par le biais d’anecdotes et d’apologues, divers conseils aux souverains.
Ibn al-Muqaffa‘, Ibn Qutayba, Jâẖiz... s’illustrèrent dans ce genre. On a rencontre dans le t. I Niẕâm al-
Mulk, aux côtés de Mâlik Chah (n° 128), mais il en est d’autres. La littérature des “miroirs du prince”, se
continua jusqu’à l’époque ottomane. Concentrée sur la personne du calife, elle apporta peu au droit et à la
réflexion politique.
181Al-Mâwardî, le grand juriste que nous n’avons pas cessé de citer était aussi un moraliste et son Adah

ad-dunyâ wad-dîn sert toujours dans les classes du monde arabe pour enseigner la morale. Son livre,
comme celui d’un autre grand moraliste, Ibn Miskawayẖ (ob. 421/1030, cf. Arkoun), synthétisait divers
courants intellectuels, et en particulier l’apport des philosophes musulmans.
182Ces derniers s’efforçaient surtout de concilier la pensée grecque avec les enseignements de l’islam. Ils

étaient musulmans avant d’être philosophes. La théorie du califat fut leur point de départ : le calife, voire
le Prophète, fut habillé de philosophie, et toute la réflexion se concentra sur sa personne, sur les qualités
qu’il doit avoir et manifester pour que la cité soit une cité idéale. Seul Avempace (Ibn Bajja, ob.
533/1138) ramena la réflexion sur l’individu-philosophe qui devait, lui et les jeunes (les jeunes pousses,
nawâbit), refonder la cité (De Libera, p. 149-153). Comme tous les moralistes, les philosophes ne
remirent jamais en cause la prééminence de la loi islamique (Rosenthal, p. 4, 6 et passim).
183Ibn Ruchd (Averroès, cf. t. I, n° 143), dont on citera souvent la Bidâyat l-mujtahid, remarquable

synthèse de fiqh comparé, est un grand philosophe, peut-être le plus grand des philosophes musulmans.
Mais c’est un juriste qui croit fermement en l’excellence de la loi islamique, plus nettement que les autres
philosophes. Deux ouvrages (au moins) sont importants du point de vue juridique. Dans le premier Fasl
al-maqâl (le discours décisif), il justifie la philosophie par la loi, et considère que le philosophe est le
plus apte à comprendre le sens de cette loi, grâce à sa maîtrise du raisonnement déductif, au contraire des
théologiens qui utilisent la dialectique. Théologiens et philosophes doivent d’ailleurs se taire et ne pas
troubler le peuple par des polémiques. La raison est toutefois incapable d’atteindre une connaissance de
la liberté de Dieu, comment il récompense ou punit, ou le sens de certaines lois, comme celles qui
concernent le culte.
184Le second est le commentaire de la République de Platon, conservé dans une version en hébreu et

retraduite en arabe sous le titre Aḏ-ḏarûrî fî-s-siyàsa (Le nécessaire en politique). La loi islamique y
devient l’équivalent de la constitution parfaite de la cité idéale. Dans un va-et-vient constant entre Platon,
la loi islamique, les grandes dynasties arabes et celles du Maghreb, Ibn Ruchd procède à une réflexion
critique sur la situation politique de l’Islam. L’idéal du roi-philosophe, gouvernant une cité idéale avec
de bonnes lois, est identifié à l’État musulman des Râchidûn appliquant la loi islamique. La
transformation de l’idéal en régimes concrets plus ou moins corrompus et injustes est analysée à l’aide
des catégories grecques (celles de Platon, d’Aristote, d’al-Fârâbî...). Ibn Ruchd n’introduit les catégories
rationnelles des Grecs que quand elles lui apparaissent comme solidement déduites et utilisables dans le
contexte arabo-islamique.
185La pensée politique d’Averroès fut ignorée par le moyen âge musulman. Elle eut une fortune
extraordinaire en Occident par ses traductions latines ou hébraïques, souvent d’ailleurs au prix
d’interprétations fausses. Elle ne fut reprise en considération dans le monde musulman que par les
modernes.
186414 — Ibn Taymîya. A l’inverse, Ibn Taymîya (t. I, n° 157) ne fut pas négligé par les anciens. Il ouvrit

lui aussi la voie à des théories contemporaines. Voyons ses positions sur la doctrine classique du califat.
187Pour Ibn Taymîya, le Prophète a toutes les qualités de l’imam chiite, c’est l’archétype de l’humanité,
l’intermédiaire entre l’homme et Dieu dont il transmet la loi, l’intercesseur par excellence 34 . Il est aussi
le roi-philosophe d’al-Fârâbî, le cadi idéal, le mujtahid suprême et un législateur autonome, mais il
n’exerce sa mission que dans le domaine religieux : il y a chez Ibn Taymîya un certain degré de laïcisme.
Le Prophète n’a pas laissé de testament sur le califat, mais un legs moral que doivent assumer, bien avant
les émirs, les ulémas - qu’Ibn Taymîya ne désigne jamais sous l’appellation de “gens qui délient et qui
lient” tant il se refuse à les considérer comme un clergé (Laoust, Essai, p. 179-203).
188Les Compagnons appartiennent à la meilleure des générations de l’humanité. Leur unanimité est
infaillible et ne saurait contredire le Coran et la Sunna. Les califes se sont succédés dans l’ordre de leur
mérite. Abû Bakr a été nommé par le Prophète et cette nomination, insuffisante en soi, a été confirmée par
la bay‘a des Compagnons. ‘Umar fut lui aussi désigné, et reçut lui aussi la bay‘a. Une commission des
meilleurs Compagnons désignée par ‘Umar désigna à son tour ‘Uthmân qui reçut aussi la bay‘a. Quant à
‘Alî, il a été élu par ses partisans irakiens, mais nombreux sont ceux des Compagnons qui lui ont refusé la
bay‘a. Ibn Taymîya critique les exagérations chiites et ramène le règne de ‘Ali à celui d’un dévot timide
incapable de maintenir l’unité de l’umma. En rapport, Mu‘âwiya, malgré sa rébellion initiale, a rendu de
meilleurs services à l’islam (Laoust, Essai, p. 204-225).
189Sur la théorie classique du califat, Ibn Taymîya utilise le ẖadîth fameux (cité au n° 349) et affirme que
le califat est une institution temporaire, limitée aux quatre Râchidûn. Par la suite, il n’y a plus de califes,
mais des rois. Le califat n’est plus obligatoire comme le prouve le silence du Coran, les imams peuvent
donc être multiples. L’unanimité des Compagnons ne s’est jamais faite sur la question de l’unité du
califat, ni sur une forme de gouvernement particulière. Vouloir restaurer le califat du temps des Râchidûn
est une tâche au-dessus des forces humaines et l’on ne saurait se contenter hypocritement des fictions de
la délégation (Laoust, Essai, p. 278-317 ainsi que pour la suite).
190Hypocrite aussi est la fiction de l’élection du calife pour l’historien qu’était Ibn Taymîya. L’accession
au pouvoir s’est toujours faite en dehors de formes précises. En revanche pour lui la mubâya‘a, comme
engagement réciproque, est nécessaire pour donner un minimum de légalité à un pouvoir qui est toujours
un pouvoir de fait. D’un côté le calife s’engage à respecter la loi islamique, de l’autre les sujets
(représentés par des notables, sans limitation de nombre ou de compétence) s’engagent à lui obéir.
191Sur la question des qualités du calife, Ibn Taymîya s’éloigne encore de la doctrine classique. Dans son

Minhâj as-sunna, il critique longuement la position chiite, mais la position sunnite lui apparaît aussi trop
irréaliste. C’est pour lui “commettre une faute contre Dieu” que de croire que la loi islamique exige du
calife de telles qualités impossibles. Le chef imparfait d’une communauté islamique n’est rien sans la
coopération de ses sujets, en particulier celle des ulémas et des notables (émirs). Quant à l’origine
quraychite, elle n’est plus de mise après la mort de ‘Alî, et ce sont les kharidjites qui ont raison. Ibn
Taymîya ne répugne pas d’ailleurs à se référer aux recueils de ẖadîth kharidjites. Aussi il rabat les
conditions du califat à la personne dont le témoignage est susceptible d’être reçu devant un tribunal, ce
qui implique que même une femme, ou un esclave, ou un enfant peut être à la tête d’un État islamique
(Laoust, Essai, p. 296).
192Le but (maqsûd) de toute autorité (wilâya) est d’ordonner le bien et d’interdire le mal. Toute wilâya,
même la plus profane, est un sacerdoce, une œuvre pie. L’imam, berger de la communauté, devra donc
avant tout suivre et faire suivre la loi islamique. Il devra être effectivement puissant pour cela. Il devra se
faire aider par des fonctionnaires délégués et compétents 35 , sans contrainte sur leur nombre ou leurs
fonctions. Il devra consulter effectivement et largement (pas seulement les ulémas). Il pourra aussi
légiférer en accord avec le muftì ou le chaykh al-islâm, pour parer à toute nécessité, dans l’optique du
concept de siyâsa char‘îya (voir ici n° 278 et dans le tome I le n° 145). Tout son traité as-Siyâsa
achchar‘îya est consacré à développer ces idées.
193Ibn Taymîya focalise son attention plus sur la communauté et sur la loi islamique que sur l’imam.

L’umma islâmîya est une communauté du juste milieu (umma wasaṯ), ou mieux une communauté de justice
(Rosenthal p. 51-61). Les sujets doivent obéissance à l’imam, mais surtout coopérer avec lui. Chacun a sa
sphère de responsabilité, l’imam à la tête de l’État, le cadi dans son tribunal, le commerçant dans son
commerce, le mari dans sa maison, mais tous coopèrent au même but, ordonner le bien et interdire le mal.
On ne peut désobéir à l’imam que si ses actes constituent une infraction grave et clairement fixée par le
Coran et la Sunna et dommageable à la communauté. Ibn Taymîya est d’un loyalisme politique sunnite très
fort et il n’envisage pas la question de la destitution de l’imam. C’est par le bon conseil que le musulman
exerce son contrôle sur l’imam, c’est pour lui un devoir, vis-à-vis de l’imam autant que vis-à-vis de tous
les responsables.
194La vision d’Ibn Taymîya, forte et cohérente, exercera une profonde influence en dehors du hanbalismc
et en particulier sur les modernistes.
195415 — Ibn Khaldûn. La réflexion sur la réalité historique n’était pas totalement négligée par des

penseurs musulmans. Plus d’un moraliste y avait songé et Ibn at-Tiqtaqa (Muhammad Bn ‘Alî Bn
Ṯabâṯaba, 7e-8e / xiiie-xive s.) a pu être comparé à Machiavel (Rosenthal, p. 66 sq.). On vient de voir
aussi le réalisme d’Ibn Taymîya. Mais avec Ibn Khaldûn (t. I, n° 158), on atteint une puissance et une
modernité inégalées dans la pensée musulmane. Sa Muqqadima (Introduction) constitue la découverte
géniale de presque tous les domaines qui seront ceux des sciences humaines : sociologie, économie,
science politique, psychologie sociale, etc.
196On ne peut résumer un tel auteur, et l’étudiant a intérêt à lire et à relire la Muqqadima. Ici on attirera

l’attention sur un seul exemple, mais qui semble poser une nouvelle exégèse, anticipation de ce que
pourrait être une exégèse de la loi islamique fondée sur les sciences humaines.
197Selon Ibn Khaldûn, les pouvoirs naissent dans l’austérité du désert, s’emparent des villes à la seconde
génération, atteignent leur apogée à la troisième, mais perdent alors leur esprit de corps (‘asabîya), ce qui
conduit à la décadence dans les générations suivantes, amollies par le luxe, abandonnées par les forces
vives de la tribu, prêtes à être renversées par un nouveau pouvoir fort venu du désert. Si l’on songe au
califat, la condition réaliste pour le candidat calife est d’être le maître d’une bonne tribu, bien décidée à
guerroyer et à prendre le pouvoir. La religion n’apparaît que comme un renfort à cet esprit de corps, et
sans lui elle est impuissante. La succession au califat est de même une affaire de force tribale.
198Cette vision conduit Ibn Khaldûn à réfléchir sur la loi qui pose l’origine quraychite comme condition

du califat. Pour notre auteur, la loi n’a fixé cette condition que parce que la tribu de Quraych était la tribu
dominante en Arabie. C’est son vrai motif. Cela semble impliquer que la loi devienne caduque quand
tombera la force des Quraychites. Mais pour Ibn Khaldûn la loi est éternelle, c’est donc qu’on n’a pas vu
que la loi posait comme condition, non pas telle ou telle origine tribale, mais l’existence d’un esprit de
corps capable de soutenir le futur calife (Muqqadima, p. 194, Monteil, tome 1, p. 384). Il aboutit donc à
une transformation de la lettre de la loi, mais qui en conserve le motif essentiel, laissant tomber les
circonstances de l’époque arabe. En cela Ibn Khaldûn raisonne bien comme un malékite, faisant ressortir
l’intérêt général et les buts de la loi.
199Ibn Khaldûn souligna fortement, par comparaison avec l’État séculier, fondé sur la raison, mais qui n’a

pour objectif que le bien-être d’ici-bas, ce qui fait “le vrai sens du califat” : il est fondé sur les lois de
Dieu et son objectif est d’assurer le bonheur du peuple dans ce monde et dans l’autre. Ibn Khaldûn est et
reste persuadé de l’excellence de la loi islamique.
200416 — Absence d’une véritable pensée politique. Cette insistance sur la loi islamique que l’on trouve

chez tous les auteurs, y compris chez ceux qui ont tenté de renouveler la problématique du califat, permet
de comprendre pourquoi une véritable pensée politique ne pouvait naître à l’ombre du calife. La
contestation politique, la désobéissance n’a pas de fondement pour les sunnites, tant que la loi islamique
est appliquée, puisqu’elle suffit à leur donner un double bonheur. On comprend aussi que les citoyens ne
peuvent réclamer un droit de participer aux affaires de l’État, droit inutile si la loi islamique est
appliquée, impie s’il est question de la remplacer. Ils ne peuvent contester le calife que si la religion de
tous est en péril. Le seul mode de participation possible est la délégation du calife à ses fonctionnaires.
En fait la loyauté fondamentale n’est pas donnée au calife, mais à la loi islamique.
201Il n’y a jamais eu de tentatives à l’époque classique d’échafauder de quelconques “chartes de libertés”
ou de “droits communaux” comme cela se faisait en Occident à partir du xiie siècle, ni non plus de bâtir
des théories sur les droits politiques du musulman-citoyen, ou une théorie constitutionnelle démocratique
sur la base de l’élection. Ces questions n’apparurent en Islam qu’au xixe siècle, à la suite du contact avec
l’Occident.
202417 — Les doctrines à la veille de la chute du califat. On a vu que ce n’est qu’à partir du xviiie

siècle que les Ottomans songèrent à justifier religieusement leur pouvoir par la fiction de la transmission
du califat en 1517. Le sultan Abdül-Hamid II (1876-1905) joua à fond la carte panislamique, et cela au
point que même les rééditions d’Al-Mâwârdî furent interdites parce qu’il soutenait la nécessité pour le
calife d’appartenir aux Quraychites.
203L’auteur à signaler, à cette époque, est paradoxalement un anglais, W. S. Blunt, qui dans The future of
islam (1882) soutint l’idée d’un calife arabe et surtout réformiste, assisté par un concile annuel de
docteurs de l’islam (et par l’Angleterre). Ses idées pourraient lui venir de Muẖammad ‘Abduh, en tout
cas on y trouvait l’esquisse d’une séparation du spirituel et du temporel (Delanoue, Les ‘ulamâ’
d’Egypte).
204C’est l’hostilité aux Turcs qui frappe chez Blunt et les Arabes. Abd ar-Raẖmân al-Kawâkibî reprit ces

idées anti-turques. Dans ses ouvrages (La nature du despotisme, La Mère des cités) il prône la
restauration d’un calife arabe (quraychite et élu), ayant un pouvoir temporel sur le Hedjaz et un pouvoir
spirituel sur tous les musulmans. Il serait assisté d’un conseil consultatif (majlis ach-chûra) pour
accomplir sa première fonction, et d’une association islamique internationale siégeant à la Mecque pour
la seconde. Al-Kawâkibî se déclare en faveur d’une réouverture de l’ijtihâd, d’une réforme du droit
musulman, etc. (cf. Tapiéro). Beaucoup d’auteurs, (Ismaïl Gasprinski, Abd Al-‘Azîz Gawish, Chckib
Arslan...) ou d’hommes politiques et journalistes (en particulier des partis égyptiens Umma et Wafd)
continuèrent dans cette voie réformiste.
§ 2 - Après la suppression du califat

205418 — La suppression du califat. Le Manifeste d’Ankara. La situation du dernier calife ottoman,

Abdûl-Mejid, de novembre 1922 à mars 1924, qui, selon la loi turque, n’avait plus qu’un pouvoir
spirituel, n’est pas comparable à celle des califes déléguant leur pouvoir à des sultans ou princes. Il n’y
eut pas de délégation de pouvoir, mais une division des fonctions, imposée par un État qui se voulait laïc.
206Au récit que nous avons donné dans le tome 1 de toute l’affaire (n° 216-217), il faut ajouter que les
nationalistes de cette époque prenaient leurs distances vis-à-vis de l’islam car les élites religieuses
étaient jugées comme favorables aux colonisateurs. Si Mustafa Kemal a pu destituer le calife c’est parce
que ce dernier était considéré par la majorité écrasante des Turcs et bon nombre de musulmans
modernistes comme un agent de la réaction, compromis avec les Anglais. Ulémas et confréries (sauf la
Sanûsîya et la Mahdîya à leurs débuts) ont toujours été considérés peu ou prou comme les complices
actifs ou passifs des colonisateurs.
207Mais les Turcs justifièrent aussi leur action par un texte que l’on a appelé le Manifeste d’Ankara.

Commandé par la Grande Assemblée nationale turque, il porte le titre Le califat et le pouvoir du peuple.
Rédigé en turc, il fut traduit en arabe et publié seulement en 1924, après l’abolition définitive du califat.
Ce texte prend en compte les réflexions des penseurs tardifs (cf. n° 407, 413-415) et taxe les ulémas
d’ignorants : il est certain que toute une tradition classique continua de raisonner sur le califat sans un
regard sur les problèmes et pratiques effectives. Le manifeste soutient deux idées fondamentales. La
première est qu’il est nécessaire de séparer le culte, immuable, des réalités profanes que les hommes
doivent affronter et auxquelles ils doivent s’adapter. La seconde idée est que l’umma est la dépositaire de
la souveraineté, comme le prouve la théorie du contrat de califat. Elle peut donc reprendre au calife ses
attributions temporelles pour établir un système plus adapté aux réalités contemporaines, à la démocratie,
etc. Le texte ne justifiait pas la disparition totale du califat. Il laissait subsister le calife avec ses pouvoirs
spirituels (Filali-Ansary, Introduction, p. 16-20).
208419 — Les premières réactions : Mustafa Sabri et Rachîd Riḏâ. Le premier à réagir à la supression

partielle du califat fut le Chaykh al-islâm destitué par la république turque et réfugié en Égypte, Mustafa
Sabri. Il défendit le point de vue traditionnel contre Atatürk, maniant l’amalgame, dénonçant les complots
juifs, chrétiens, athées, et la trahison des musulmans (Abdou Filali-Ansary, Introduction, p. 15). C’était
une manière de refuser la réalité.
209Rachîd Riḏâ, le disciple de Muẖammad ‘Abduh, chercha à provoquer la restauration du “califat
spirituel”. Pour lui le calife a pour fonction essentielle d’appliquer la loi islamique. Il doit être un grand
mujtahid, car la loi islamique, la charî‘a, doit être réformée à partir du Coran et de la Sunna seulement. Il
doit posséder une science profane étendue en matière politique et diplomatique. Si sa désignation se fait
conformément aux exigences de la loi islamique (y compris la condition d’appartenir à la tribu de
Quraych), ce calife ne pourra pas ne pas être reconnu comme guide suprême de la communauté
musulmane. Il doit être élu par ceux “qui lient et qui délient” (ahl al-ẖall wa-l-‘aqd, c’est-à-dire les
‘ulamâ’), et il faut donc, dans un premier temps, travailler à leur formation, à leur désignation, à leur
réunion. Quant aux gouvernants musulmans, la conduite des Râchidûn doit leur servir de modèle en
attendant. Ils doivent surtout rejeter le despotisme, le nationalisme, l’injustice, etc., et rien ne manque à la
loi islamique pour atteindre ces buts.
210Mais le travail de Rachîd Riḏâ fut vite dépassé. En mars 1924, même le “califat spirituel” fut aboli par
Kemal Atatürk. Aucune fiction juridique ne venait masquer le fait massif que les musulmans n’avaient
plus de calife. C’est dans ce contexte que parut l’ouvrage de ‘Alî ‘Abd ar-Râziq.
211420 — La théorie moderniste de ‘Alî ‘Abd ar-Râziq. Chaykh d’al-Azhar, ‘Alî ‘Abd ar-Râziq écrivit

un livret en arabe intitulé Al-islâm wa usûl al-ẖukm (L’islam et les bases du pouvoir, 1925). L’auteur,
après avoir rappelé la position traditionnelle sur l’obligation religieuse du califat, montre qu’elle n’est
fondée sur aucun verset du Coran, ni sur aucun ẖadîth, ni même sur l’ijmâ‘ des Compagnons, car l’histoire
montre de toute évidence qu’il n’y a pas eu unanimité. Bien au contraire le califat s’est fondé sur la force
et la répression et ne s’est maintenu que par les mêmes moyens, empêchant d’ailleurs les musulmans de
faire le moindre progrès dans l’étude de la science politique. Le serment d’allégeance n’a jamais signifié
le moindre pouvoir des ulémas sur l’institution. Le califat a été “une calamité pour l’islam et les
musulmans, une source constante de mal et de corruption” (p. 85, ed. Abdou-Filali-Ansary).
212L’auteur poursuit en montrant que le Prophète n’a jamais nommé de juges, ni de gouverneurs et qu’il
n’y avait pas d’État au sens plein du terme à l’époque de Muẖammad, mais une situation “proche de l’état
de nature” (p. 110, 112). Si ce dernier a pu donner l’impression d’être un roi, c’est que la mission
prophétique englobait le commandement (dont le jihâd), mais ne constituait pas pour autant la fondation
d’une monarchie. ‘Alî ‘Abd ar-Râziq soutient avec force citations coraniques qu’il n’y a rien de commun
entre la mission du Prophète et un pouvoir politique : “l’islam est... une religion et non un État” (p. 114,
titre, et sq.). Un hadîth du Prophète dit explicitement “je ne suis ni un roi, ni un tyran”. Au contraire, l’État
arabe qui prit la suite est un État non-religieux, conquérant, colonisateur, exploiteur (p. 144 sq.). Dès Abû
Bakr, exploitant l’ambiguïté du terme khalîfa (celui qui vient après, celui qui succède au Prophète), cet
État a mis la religion au service de ses propres fins, comme on le vit lors de la “guerre de l’apostasie” où
les tribus qui refusaient le pouvoir du calife Abû Bakr, mais non l’islam, furent traitées en apostates. La
véritable rupture dans l’histoire du califat n’est pas pour lui “la grande querelle” du règne de ‘Alî, mais
la mort du Prophète et la prise de pouvoir d’Abû Bakr. Le “califat légitime” des quatre premiers califes
est superbement ignoré, ainsi que l’œuvre d’al-Mâwardî. La conclusion de l’auteur vaut d’être citée :
“Aucun principe religieux n’interdit aux musulmans de concurrencer les autres nations dans toutes les
sciences sociales et politiques. Rien ne leur interdit de détruire ce système désuet qui les a avilis et les a
endormis sous sa poigne. Rien ne les empêche d’édifier leur État et leur système de gouvernement sur la
base des dernières créations de la raison humaine et sur la base des systèmes dont la solidité a été
prouvée, ceux que l’expérience des nations a désignés comme étant parmi les meilleurs.” (trad. Filali-
Ansary, p. 156).
213L’ouvrage souleva une émotion considérable. Son impact était d’autant plus redoutable que son auteur

appartenait au sérail d’al-Azhar, qu’il employait une solide méthode de théologien ne devant rien à
l’orientalisme, que son travail était dûment conforté de citations coraniques, ses adversaires ne disposant
pas apparemment des mêmes preuves. Une procédure fut engagée contre ‘Alî ‘Abd ar-Râziq et il fut
destitué d’al-Azhar. Il est probable que les conservateurs l’auraient taxé d’apostasie s’ils n’avaient pas
voulu trop visiblement se mettre à la remorque du monarque égyptien de l’époque, le roi Fu’âd, qui
essayait de récupérer les ruines du califat à son profit (Abou Filali-Ansary, Introduction, p. 26 sq.). De
multiples réfutations furent lancées contre L’islam et les Fondements du pouvoir, et il s’en public encore
régulièrement, tant l’ouvrage continue d’avoir un retentissement énorme. Par la suite ‘Alî ‘Abd ar-Râziq
se fit discret, mais le mouvement moderniste était lancé ou plutôt relancé.
214421 — As-Sanhûrî. Si l’opposant le plus acharné à ‘Alî ‘Abd ar-Râziq fut Rachîd Riḏâ qui en appela
même à la condamnation pour apostasie, le plus solide fut un autre penseur important, l’égyptien ‘Abd ar-
Razzâq As-Sanhûrî (ob. 1971). Il publia une thèse en français, Le Califat, à Lyon, en 1926. Il commençait
par mettre en valeur le consensus dans lequel il voyait “une source de droit (qui) renferme l’essentiel de
l’esprit démocratique” (p. 6-7) et même “la véritable source fondamentale du droit musulman... en dépit
de sa subordination apparente aux deux premières sources”. En réponse à ‘Alî ‘Abd ar-Râziq, il
soulignait que les oppositions à Abû Bakr visaient la personne et non le principe même du califat (p. 38).
De plus il remarquait que les mots n’avaient pas le même sens à l’époque et aujourd’hui, et qu’en
particulier une distinction entre le religieux et le non-religieux ne pouvait pas intervenir. Enfin l’État des
Râchidûn ne fut pas moins frustre que l’État du Prophète, il s’agit du même type d’État où les registres
spirituels et temporels étaient confondus (p. 46-48).
215Puis as-Sanhûry décrivait le “califat régulier”, et le “califat irrégulier” (cf. n° 405-411). Il n’était pas

partisan de la restauration du califat à la manière de Rachîd Riḏâ. S’il admettait que l’on devait se
rapprocher chaque fois qu’il est possible de l’idéal, son idée fondamentale était celle d’une société des
nations islamiques pour redonner vie au consensus. C’était probablement l’idée réformiste la plus réaliste
puisqu’elle semble recevoir un semblant d’application à l’heure actuelle avec l’organisation de la
conférence islamique.
216Toutefois, selon as-Sanhûrî, en dépit de l’absence de précédent, rien n’empêche l’umma islamique de

nommer le calife pour un temps. Pour as-Sanhûrî, à la manière d’Ibn Khaldûn, le motif du choix de
l’origine quraychite est la capacité à défendre l’islam, donc toute latitude doit être donnée actuellement
pour remettre le califat à la nation la plus apte (p. 72-73). La forme monarchique n’est pas exigée par les
principes du droit musulman (p. 191). Le calife peut nommer un ministère responsable devant lui, mais la
nation ayant un pouvoir de contrôle sur le calife, le calife peut très bien rendre le ministère responsable
devant la nation. Ce faisant “il ne fait que se conformer fort exactement à l’esprit du droit musulman”.
217422 — Discussion sur les attributions religieuses. On trouve souvent parmi les travaux
d’orientalistes des années trente, le mot califat traduit par pontificat, le mot commission (d’élection)
traduit par conclave, etc. Peut-on légitimement comparer califat et papauté ? Comme le fait justement
remarquer as-Sanhûrî, le calife n’a nullement un pouvoir spirituel comparable à celui du Pape, il ne peut
absoudre les péchés, il ne peut imposer des dogmes, il n’est pas infaillible... Ses attributions religieuses
sont celles d’un “agent d’exécution”. Mais as-Sanhûrî va plus loin : en Islam, la séparation du temporel et
du spirituel s’est faite dès le début, dès la mort du Prophète. Ce sont les despotes qui ont joué sur la
fausse croyance de la non-séparation pour assurer leur pouvoir. As-Sanhûrî reprend ici les thèses de ‘Alî
‘Abd ar-Râziq.
218Mais les attributions religieuses d’exécution qu’as-Sanhûrî reconnaît au calife le laissent agir dans le
champ religieux, et cela suffit pour douter de sa thèse. Il ne voit pas que le Pape lui-même se présente
comme un “agent d’exécution” : il absout les péchés par délégation, il n’impose pas de dogmes, il ne fait
que les proclamer après avoir reconnu leur existence implicite dans la Bible, et son infaillibilité n’existe
qu’en union avec toute l’Église. Mis à part le pardon des péchés (plus largement il s’agit du pouvoir
sacramentel), la situation n’est pas très éloignée dans l’islam. Le mujtahid lui-même cherche et reconnaît
les dogmes implicites, et l’umma islamique elle-même est infaillible en union avec son calife. Les califes
abbassides produisirent ainsi des professions de foi au xiiie siècle.
219La tradition musulmane unanime énonce que le calife a le devoir de veiller au dogme, al-Mâwardî
comme as-Sanhûrî citent ce devoir en premier. Si l’orthodoxie a contesté les califes mutazilites, ce n’est
pas du fait qu’ils entraient dans le champ religieux (comme le suggère as-Sanhûrî, p. 141, note 5) mais du
fait du contenu de leur doctrine. Tous les États musulmans ont eu une doctrine religieuse officielle,
sunnite, chiite, hanbalite, malékite, et, à l’heure actuelle islamiste ou kadhafiste ou modérée, etc. De
même, as-Sanhûrî dit que le calife n’a pas le droit “d’instaurer des procédures d’inquisition contre les
hérétiques. L’inquisition n’est pas une institution musulmane. Chacun est libre de professer les dogmes
qu’il estime exacts”. Mais, ajoute-t-il, “dans les limites de la religion, sans troubler l’ordre public. C’est
seulement dans ces deux cas... que le calife peut intervenir pour frapper le coupable” Du coup, on ne voit
plus la différence. Les inquisiteurs admettaient parfaitement qu’on soit augustinien, thomiste ou autre,
pourvu qu’on reste dans les limites de la religion et qu’on ne trouble pas l’ordre public. Nous sommes
dans le système antique de pensée et l’attitude des deux religions ne peut se distinguer sur le plan des
principes (Bleuchot, L’alternative... et Le système antique).
220As-Sanhûrî est pourtant un des rares auteurs modernistes à ne pas commettre la même erreur à propos

du jihâd, autre devoir du calife, puisqu’il ramène la pensée ancienne du jihâd offensif à son contexte,
celui du système antique, où tout le monde (dans les deux civilisations, avec des nuances pour Byzance,
cf. Canard) trouvait normal de faire la guerre pour sa religion. Il n’essaie pas de faire croire que le jihâd
a toujours été défensif, dans la doctrine et dans les faits. Il relève avec finesse que le jihâd n’est qu’un
moyen qui peut être inopportun et que son but est la propagation de la religion (voir aussi Bleuchot, Les
buts du jihâd...).
221423 — Les frères musulmans. Du côté des traditionalistes, Hassan al-Banna (ob. 1949), fonda
l’association des Frères musulmans en 1929, donc en plein débat sur le califat. Ses disciples principaux
furent ‘Abd al-Qâdir ‘Awda (ob. 1954) et Muẖammad Qutb (ob. 1966). Ils voulaient d’abord libérer
l’État musulman de l’influence de l’Occident, et en cela ils se séparaient des musulmans traditionnels qui
s’accommodaient toujours plus ou moins de la colonisation. Selon les frères musulmans, le Coran doit
être la constitution de l’État musulman. Le calife doit être choisi (pas élu) et pas nécessairement de la
tribu de Quraych. Il devra pratiquer la consultation (chûrâ). La théorie a été diversement contaminée par
les socialismes après la seconde guerre mondiale. Elle a surtout été à l’origine de nombre de mouvements
islamistes, souvent très différents les uns des autres (sur les islamistes, voir l’annexe).
222424 — Le droit constitutionnel des États nouveaux. Il y eut tout de suite après la suppression du

califat des tentatives de restauration au cours des assemblées d’ulémas au Caire en 1926, à Jérusalem en
1931, à la Mecque en 1936. Elles échouèrent toutes sur la question dynastique.
223Entre-temps ceux qui comptaient dans les élites musulmanes, les nationalistes, se préoccupaient peu du

califat. Plus sérieusement ils luttaient pour obtenir l’indépendance de leurs pays alors colonisés. Les
objectifs furent atteints dans les deux décades qui suivirent la seconde guerre mondiale. En général les
nationalistes qui arrivèrent au pouvoir écartèrent les options islamiques. Ces dernières n’auraient pas été
admises par l’opinion internationale qui les avait soutenus dans leur lutte, et ils avaient encore
grandement besoin de l’appui de cette opinion. L’autre raison de cette mise à l’écart des options
islamiques, à vrai dire la principale, est que le droit public musulman était incapable de proposer
quelque chose d’utilisable (Ben Achour, L’État nouveau, p. 323-24). Les nouvelles élites furent donc
obligées de puiser dans l’arsenal juridique occidental.
224Pourtant, il fallait donner droit au souhait d’une population musulmane, vivant toujours dans un esprit

traditionnel, peu sécularisée et qui n’aurait pas compris l’option laïque. II y avait aussi les ulémas et la
frange d’opinion qui réagissait contre la sécularisation qui se généralisait. Aussi toutes les nouvelles
Constitutions firent une place à l’islam, et les gouvernants invoquèrent l’islam pour les justifier. On
inscrivit dans ces textes que “l’islam est la religion de l’État”. Ce fut et c’est encore le cas dans la
plupart des pays musulmans (sauf la Turquie, le Liban, la Syrie, mais la constitution de Syrie oblige le
chef de l’État à être musulman). On n’a pas d’exemple du chef d’un État musulman qui ne soit pas
musulman (Liban excepté). Tous dirigent occasionnellement la prière publique (voir Flory-Mantran,
Etienne, Rycx-Blanchi, Camau, Amor, Ben Achour, etc.).
225Ces constitutions sont fondées sur un compromis idéologique. L’ouvrage réformiste d’az-Zuẖaylî est

assez révélateur de ces bases théoriques.


226425 — Une vision réformiste. Az-Zuhaylî traite l’ensemble du droit public, qui regroupe le califat, le
jihâd, et ce que nous préférons appeler le droit mixte, le droit pénal et la procédure. La partie consacrée
au califat (p 649 sq.) est intitulée “le pouvoir (ẖukm) en islam”. Elle est subdivisée en trois parties : le
pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Évidemment cette distinction vient de
Montesquieu, et la matière est ainsi sélectionnée et reclassée en fonction des conceptions actuelles. Le
fait que les pouvoirs ne soient pas séparés en islam n’effraie pas notre auteur. La séparation existe en
islam, c’est celle de la séparation des fonctions et non de la séparation des personnes, dit-il. Une même
personne, le calife, par exemple, peut agir en tant que mujtahid (législatif), en tant que gouverneur
(exécutif) et en tant que juge (judiciaire). Pour az-Zuẖaylî, l’islam a donc dépassé Montesquieu puisque à
la notion de séparation des pouvoirs il a substitué celle de coopération des pouvoirs 36 .
227Ce même auteur, suivant en cela une opinion d’al-Ghazzâlî, énonce que l’ijtihâd collectif, qui tient lieu

de pouvoir législatif, ne doit pas être remis aux ulémas seuls, mais à tous ceux qui ont une compétence
politique, et qui peuvent être élus. En revanche, l’organisme qui tiendrait lieu de conseil constitutionnel,
pour trancher en cas de divergences, devrait n’être composé que d’ulémas (p. 652 sq.). Toutefois il
admet, en ce qui concerne la forme du gouvernement, que l’umma islamique a toute liberté d’agir
conformément aux exigences de l’époque (p. 689). Par exemple, l’exigence de prendre un calife parmi les
Quraych lui semble dépassée. Mais, en énonçant cette condition, le but de la loi islamique était d’assurer
le ralliement du plus grand nombre. Aussi on lui substituera l’exigence que le candidat ait obtenu la
majorité électorale.
228C’est donc à une sorte de compromis qu’aboutit notre auteur, à un régime parlementaire dominé par les
ulémas, où religion et politique ne seraient pas distinguées. On voit bien ici les limites de la vision
réformiste.
229426 — Glissements islamistes. Dans les années 1970, les tendances islamistes réussirent à faire
oublier aux peuples musulmans la longue compromission des religieux avec les puissances coloniales.
Elles réussirent à déborder les nationalistes en perte de prestige après leurs défaites devant Israël. Après
l’incendie de la mosquée Al-Aqsâ (août 1969), les chefs d’État musulmans fondèrent les jalons de la
future organisation de la conférence islamique (OCI), qui existe toujours et que l’on peut considérer
comme le substitut moderne du califat.
230A partir de cette époque, se produisit un vaste mouvement de remise en cause des institutions issues

des indépendances. Les symptômes en sont évidents dès la révolution libyenne (1969), mais ils ne prirent
toute leur ampleur qu’avec la révolution iranienne et les affaires extrêmes orientales (Afghanistan,
Pakistan, Indonésie), comme on l’a esquissé dans la partie historique.
231Des Constitutions islamiques très différentes les unes des autres ont été adoptées en Libye, dans la

péninsule arabique, en Iran (voir tome 1, n° 236), au Soudan et au Pakistan. Les tendances qu’elles
manifestent sont difficiles à déceler pour l’instant. Chacune de ces constitutions mériterait un examen
approfondi, mais cette recherche ne concernerait que marginalement le droit musulman.
232Le mouvement a aussi atteint les autres constitutions. La plupart ont été aménagées et plus ou moins

islamisées dans le but de donner satisfaction aux franges islamisantes modérées ou extrémistes de
l’opinion. Ce mouvement “théocratique” engendre des réactions très hostiles chez les modernistes.
233427 — Les modernistes : al-‘Ichmâwî et Charfi. Les modernistes ne croient pas comme les
réformistes que l’islam, surtout s’il est pris dans sa lettre abbasside, puisse être le fondement d’une
société moderne, non pas parce qu’il est l’islam, mais parce que toute religion, si elle ne s’émancipe pas
du politique, devient le paravent de la stagnation et de la tyrannie.
234Muẖammad Sa’îd al-‘Ichmâwî publia récemment Al-islâm as-siyâsî (L’islam politique). Il soutient des

thèses proches de ‘Alî ‘Abd ar-Râziq. Certes, du point de vue historique, aucune religion n’a été aussi
étroitement liée à la politique que l’islam, mais sur le plan normatif, la question demeure : l’islam doit-il
être essentiellement une politique et le fiqh doit-il être un droit étatique ? ou doit-il être essentiellement
une religion et le fiqh une morale ?
235Dans un autre livre, al-Khilâfa al-islâmî, Le califat islamique, édité en 1990, al-‘Ichmâwî soutient que

les musulmans sont victimes d’une schizophrénie (fusâm ach-chakhsîya) qui ne leur fait voir que les
beaux côtés de leur histoire et perdre le sens des réalités. Ils identifient cette histoire tronquée et le
dogme. Ainsi mettre le droit islamique à la remorque d’une histoire mythique ne peut être que fallacieux.
Pour lui l’essentiel est de comprendre qu’il n’y a pas de droit islamique du pouvoir. Son argument clef est
que “rien n’est omis dans le Livre” (Coran 6, 38) et donc si le califat ou un quelconque régime politique
avait eu la moindre importance religieuse, le Coran n’aurait pas manqué de le dire et la Sunna du
Prophète de l’expliciter. C’est l’argument fondamental de ‘Alî ‘Abd ar-Râziq.
236Mohammed Charfi défend la même idée dans Islam et Liberté : “l’État et la politique ne font pas
partie de la religion” (p. 162). C’est une démarche erronée de faire de la consultation une injonction
coranique à la démocratie (p. 161). Tout essai de modernisation de la doctrine classique ou de
conciliation entre celle-ci et la démocratie relève de la démarche du talfiq (mélange), et ne peut donner
que des résultats ambigus. Les versets coraniques sur la liberté religieuse (cf. index du tome 1) montrent
surtout “qu’on n’a pas le droit de gouverner au nom de l’islam” (p. 168). Le Prophète n’a pas fondé
d’État, ce fut l’œuvre de ses successeurs. La meilleure preuve en est qu’il n’a pas désigné de successeur.
La suite de l’histoire du califat est celle de tyrannies successives, utilisant la religion à des fins
politiques. Les penseurs musulmans n’ont pu développer une théorie politique parce que la liberté de
plume, nécessaire à sa création n’a jamais existé. Le droit public musulman est inexistant, parce que des
contre-pouvoirs n’ont jamais existé non plus. “Le gouvernement au nom de Dieu - ou de la charî‘a,
variante qui ne change rien au fond -, est fondé sur une confusion, réelle ou artificielle, du politique et du
religieux, qui entraîne inévitablement la dictature” (p. 178). “L’incompatibilité entre la charî‘a et la
liberté est incontestable” (p. 177). Il faut donc “libérer l’État de l’islam et l’islam de l’État” (p. 192). Le
problème principal devient alors celui de l’éducation, tant celle des masses que des ulémas (modérés ou
extrémistes) lesquels propagent toujours la même doctrine erronée de la confusion nécessaire de la
religion et de la politique (p. 197 sq.).
237428 — Conclusion. Même développé par de grands juristes comme al-Mâwardî ou as-Sanhûrî, ce qui

saute aux yeux, c’est la faiblesse de ce droit du califat. Elle vient surtout de la quasi-inexistence de
sources islamiques (Coran, Sunna) sur la question. L’œuvre d’al-Mâwardî et de ses successeurs ne
propose que des déductions de bon sens, faites à partir du comportement des Râchidûn. Ce comportement,
ou plutôt ces comportements, ne furent pas formels ni institutionnalisés, et sont toujours difficiles à
interpréter. Ils posent aussi le problème de leur légitimité faible en regard de l’autorité du Coran ou de la
Sunna du Prophète. Les auteurs en sont souvent réduits à n’évoquer que des hypothèses d’écoles, sans
intérêt pratique, et as-Sanhûrî n’a pu faire que comme eux. Qui plus est, comme le montreront bien les
partisans de la siyâsa char‘îya, essentiellement les hanbalites, al-Mâwardî a sélectionné les faits sur
lesquels il se fonde. Il a notamment passé sous silence les actes politiques des califes, ce qui pourrait
fonder la théorie d’un califat encore plus autocratique, ce que ne sont pas privé de faire les hanbalites au
moyen âge et les islamistes en notre siècle.
238Cette faiblesse du droit classique donne à la position des modernistes une force incontestable pour

prôner un État démocratique, la notion de chûrâ assurant de la compatibilité de l’islam avec cette idée.
Mais il leur sera plus difficile à faire admettre l’idée de laïcité, même si elle est de toute évidence le
fondement pratique de la démocratie. Le slogan islamiste “al-islâm dîn wa dawla”, l’islam est religion et
État, s’impose encore largement dans les esprits 37 . Peut être faut-il attendre la création et le
développement d’organismes islamiques indépendants des États, afin que les rôles soient mieux
délimites...
239Si les fondements du droit classique du califat sont fort mal assurés, il n’en est pas de même pour

l’autre versant du droit public, le droit du jihâd.

Notes
26 Pour les chiites le prophète Muẖammad ne fut pas un illettré (ummî), contrairement à ce que pensent les sunnites. Pour les orientalistes, le
terme ummî voudrait plutôt dire à l’origine “païen, non juif ni chrétien”. (Tyan, Institutions, p. 775 sq.)
27 Pour les zaydites, les portes de l’ijtihâd n’ont jamais été fermées (Renaud, p. 62).
28 Il existe plusieurs ẖadith où le Prophète affirme qu’à la fin des temps le dernier calife (umayyade, ou abbasside, suivant les sources)
remettrait son pouvoir au Mahdî qui pourrait être Jésus, fils de Marie. Voir Tyan, Institutions, p. 700 et 799-809.
29 En particulier dans les passages traitant du mariage de la femme sans wâlî et de la permanence du pouvoir des cadis à la mort de ceux qui
les ont nommés (grand cadi ou calife).
30 Dans l’élection de ‘Alî, il y eut même une troisième bay‘a, la bay‘a des provinces : ‘Alî, après la bataille du chameau demanda aux
gouverneurs de provinces de faire procéder à des serments d’allégeance chez les musulmans. Elle n’a évidemment qu’une valeur déclaratoire,
de soumission.
31 En termes d’usûl on pourrait dire qu’est régulier le califat qui correspond aux statuts originels et est légitime le califat qui correspond aux
statuts relationnels (cf. n° 265-266). Ils sont donc en fait tous les deux réguliers (char‘î).
32 Les exemples donnes relèvent d’ailleurs de plusieurs catégories à la fois. Dès lors, ces distinctions perdent beaucoup de leur intérêt.
33 As-Sanhûrî ne traite pas le cas le plus fréquent dans la pratique, celui des coalitions. Les coalitions antagonistes regroupent chacune des
États ou des peuples musulmans et non-musulmans. La guerre de 1914-1918 en est un bon exemple.
34 Selon notre auteur, cette intercession peut même s’exercer en faveur des non-musulmans justes qui ne sont donc pas exclus du salut
(Laoust, Essai, p. 185).
35 Le réalisme d’Ibn Taymîya le porte à préférer l’homme capable à l’homme pieux : “Le premier sera seul à souffrir de son impiété ; il
mettra par contre son talent au service de la communauté. Le second conservera le bénéfice personnel de sa propre vertu, mais il fera
retomber sur toute la communauté les conséquences fâcheuses de son incapacité” (Laoust, Essai, p. 306).
36 Mais à ce compte-là, tous les peuples ayant des lois, des lois et des juges ont dépassé Montesquieu ! Évidemment l’intérêt de la théorie de
Montesquieu est de garantir une séparation réelle des fonctions par une séparation physique des personnes et des institutions.
37 Slogan qui a probablement une origine classique. Il serait bienvenu d’en retracer l’histoire.
Chapitre VIII. Le jihâd

1429 — Siyar et jihâd. Ce quʼon peut appeler le droit international musulman est abordé dans les traités

dans les chapitres consacrés aux siyar ou au jihâd.


2Le mot siyar est le pluriel de sîra. Dans le Coran, le mot nʼapparaît quʼune fois dans le sens de forme,
état (*20, 21). La racine signifie se mouvoir, voyager, passer, et elle est employée plusieurs fois dans ces
sens dans le Coran. Puis le mot sîra a signifié comportement habituel, ou voie, ou conduite (Jurjânî), et,
par la suite, vie ou biographie. Le sens juridique ne se trouve pas dans les dictionnaires ordinaires. Dans
les livres de hadîth, on indique par le mot siyar les récits et paroles du Prophète durant ses expéditions de
guerre. Le mot au pluriel signifia par la suite expéditions. Un synonyme est employé parfois : maghâzî,
campagnes ou razzias, pluriel de maghzâ. Dans le fiqh, le mot siyar est surtout employé par les hanéfites.
Sarakhsî définira le contenu de son livre commentant le Kitâb siyar al-kabîr de ach-Chaybânî, comme
traitant de la “conduite des croyants dans leur relations avec les incroyants” (cité par Khadduri,
Translatorʼs, p. 40).
3Le mot jihâd a plusieurs sens qui se sont agglutinés au cours de lʼhistoire, et sa traduction est matière à

controverse. Dans son sens premier il signifie lʼeffort, sous-entendu en vue dʼun but difficile. Cʼest un
nom verbal de la troisième forme, et il inclut ainsi des idées de rivalité, de concurrence. Le Coran
emploie jihâd en même temps que dʼautres termes avec lesquels il ne se distingue pas toujours,
notamment ceux formés sur la racine q, t, 1, tuer, combattre, qui sont les plus fréquents ou sur la racine h,
r, b, guerroyer. On a indiqué dans le tome 1, annexe 1, les principales références. Morabia constate que,
sur les 35 versets où apparaît le mot jihâd, 22 sʼappliquent à un effort dʼordre général, 10 à la guerre et 3
ont une tonalité spirituelle (p. 119 sq., p. 140 sq.). Cette généralité du sens du mot explique probablement
pourquoi, dans lʼusage, il a supplanté les autres pour désigner lʼactivité du Prophète et de ses
Compagnons, avec lʼatmosphère de lutte et dʼexaltation pieuse et tout son environnement (prières, dons
dʼarmes et de chevaux aux combattants, appels à la conversion, départs en campagne, etc.) dans laquelle
ils vivaient.
4Mais le sens du mot jihâd offre des difficultés en raison des gloses et des interprétations postérieures. À

lʼinterprétation des fuqahâʼ de lʼépoque classique, pour qui jihâd signifie guerre sainte offensive,
sʼoppose celle des réformistes pour qui jihâd signifie guerre défensive ou guerre juste. Le sens de jihâd
comme guerre sainte offensive a dominé la tradition juridique 38 et la qualification de jihâd a fini par
sʼétendre même aux diverses répressions contre les hérétiques, les rebelles et les brigands, cela à une
époque tardive toutefois chez les sunnites. A ce sens guerrier on oppose un sens spirituel, suivant le
hadîth bien connu évoquant le petit et le grand jihâd 39 . Ce sens spirituel a été explicité surtout par al-
Muhâsibî et les Ikhwân as-safâʼ, comme on le verra plus loin. Morabia a souligné que la distinction entre
les sens du jihâd tendait à sʼeffacer dans lʼesprit musulman : le véritable mystique, soucieux de combattre
les passions qui sont en lui, finit toujours, en raison du devoir de commander le bien et dʼinterdire le mal,
par combattre le mal en dehors de lui, dans son entourage. Cette curatelle du prochain, cette hisba, en
direction des musulmans, débouche naturellement sur la guerre, soit contre les rebelles, les brigands et
les hérétiques, soit contre les infidèles. Le murâbit, ascète, prédicateur et guerrier incarne ainsi la totalité
des sens du mot jihâd (Morabia, chap. IX).
5430 — Jihâd dans le sens juridique : guerre sainte. Dans les traités classiques de droit musulman, le
jihâd est bien une guerre faite avec des armes contre des mécréants bien concrets, et non une lutte
spirituelle. Lʼexpression jihâd al-asghar nʼest pas employée à ma connaissance dans ces textes, on y
emploie jihâd tout court. Le jihâd est de plus un devoir obligatoire qui est donc nécessairement bon et
saint. Nombreux sont les hadîth qui placent le jihâd très haut dans la hiérarchie des devoirs religieux,
avant le pèlerinage ou la prière. Dʼoù la traduction de “guerre sainte” que lʼon utilise souvent.
6Cette traduction indispose les réformistes et modernistes qui y voient une réduction injuste des sens du
mot jihâd. Mais il y a toujours un décalage entre le sens des mots dans le droit et leur sens par ailleurs.
Du point de vue de la sociologie religieuse cette traduction est aussi légitime, car on distingue
généralement trois positions fondamentales dans les rapports religion/violence : la guerre sainte (où sont
placés le jihâd classique et la croisade), la guerre juste (guerre défensive) et la non-violence (voir pour
la discussion sur ces sujets Kelsay-Johnson).
7A la traduction de jihâd par guerre sainte on pourrait objecter que toutes les prescriptions de la loi
islamique sont sacrées (ou légales ou canoniques), et donc quʼil faudrait dire aussi “le mariage saint, le
contrat saint, la vente sainte”, etc. cʼest-à-dire mettre lʼadjectif “saint” partout ou le supprimer partout.
Pourtant la nécessité de lʼadjectif apparaît dans la floraison des traductions de substitution, y compris
chez les auteurs réformistes, comme “guerre légale”, ou “guerre canonique”, ou “saint combat”, etc.
Pourquoi ? Cʼest que le jihâd est la seule activité de nature profane qui est classée dans les devoirs
religieux, surtout dans le hadîth. Le malékisme a toujours placé le jihâd tout de suite après le culte. Les
morts musulmans sont des martyrs (chuhadâʼ) morts sur la voie de Dieu (fî sabîli Llâh). Ils sont assurés
dʼaller au paradis (Coran 9, 111, 169b-170), et dʼy avoir des privilèges sur les autres bienheureux. Toute
une littérature existe exaltant le mérite du jihâd (voir Ibn Hudayl, ou Marînî, un ouvrage très récent). Le
but religieux du jihâd est aussi spécialement mis en valeur dans les ouvrages juridiques même modernes.
Az-Zuhaylî par exemple éprouve le besoin de renforcer le mot jihâd par lʼadjectif muqaddas, saint,
comme si le mot jihâd nʼétait pas assez fort (Al fïqh, t. 6. p. 10 ; voir aussi p. 314-316, sur les mérites du
jihâd). Rien de tout cela nʼexiste à un tel degré à propos des autres activités conformes à la loi.
8431 —Sources et division du chapitre. La doctrine du jihâd 40 a été formée tardivement, en se fondant
sur la pratique du Prophète, des premiers califes et des Umayyades, mais dès le 2e/viiie s., cette doctrine
offensive fut en décalage vis-à-vis de la pratique abbasside qui était devenue, selon Morabia, défensive,
après les défaites en Gaule, en Inde et devant Constantinople. Il vaudrait dʼailleurs mieux parler dʼune
pratique de guerre de position sous les Abbassides, car lʼinitiative nʼa cessé de passer dʼun camp à
lʼautre. Ce nʼest quʼà lʼépoque coloniale quʼon peut dire, en général, que le monde musulman se borne à
une pratique défensive.
9A lʼinverse du droit du califat, le jihâd ou siyar est étudié dans presque tous les traités de droit
musulman. Il a été aussi souvent abordé dans les ouvrages consacrés au califat ou à des problèmes
politiques généraux, comme ceux dʼAbû Yûsuf, dʼal-Mâwardî, dʼIbn Taymîya ou dʼIbn Khaldûn. La
matière a fait aussi lʼobjet de traités spécialisés, comme ceux dʼach-Chaybânî et de Sarakhsî. Ce dernier
notamment a commenté le Kitâb as-siyar al-kabîr de ach-Chaybânî, mais il est impossible de distinguer
le commentaire du texte de base, en sorte quʼil convient de considérer lʼœuvre de Sarakhsî comme une
œuvre du 5e/χie siècle (Khadduri, Translatorʼs, p. 45). Mais la doctrine dʼach-Chaybânî, du début du
3e/ixe siècle nʼest pas perdue et se retrouve dans le chapitre de la compilation hanéfite dite Kitâb al-asl
ou Kitâb al Mabsût, ou encor Zâhir ar-riwâya. M. Khaddurî a donné une traduction anglaise de ce texte.
10Dans notre première section nous étudierons la vision classique qui fait du jihâd une guerre sainte
offensive contre le monde non musulman et dont lʼobjectif est de le soumettre à lʼautorité islamique. Les
visions différentes (guerre entre musulmans, sens mystique, sens défensif...), ainsi que la pratique et les
conceptions modernes feront lʼobjet de la section 2.
SECTION 1 - LA CONCEPTION CLASSIQUE
11Nous analyserons les conceptions fondamentales de la vie internationale qui sous-tendent les chapitres

du jihâd dans les traités classiques (§ 1), puis nous traiterons des buts du jihâd (§ 2), des règles durant les
opérations (§ 3), des trêves et des pactes permis par la loi islamique (§ 4), enfin du statut des populations
soumises (§ 5).
12Dans lʼexposé nous suivons principalement le droit hanéfite, que nous complèterons par lʼévocation des

divergences les plus notables. Chaque rite ayant son propre catalogue de questions et de réponses, une
certaine incohérence est inévitable et normale dans la synthèse : la cohérence du droit musulman nʼétant
forte quʼau niveau de chaque rite.
§ 1 - Conceptions fondamentales

13432 — Dâr al-islâm et dâr al-harb. Selon la conception islamique classique le monde se divise en

deux sphères politico-religieuses, le dâr al islâm, le domaine de lʼislam ; et le dâr al-harb, le domaine de
la guerre. Un troisième domaine, celui de la neutralité (dâr as-sulh) a été distingué par certains docteurs
chaféites, mais il nʼa pas fait lʼunanimité. La majorité soutient que les États qui ont fait un pacte de
neutralité avec les musulmans sont désormais sous leur protection et font donc partie du dâr al-islâm.
14Sur les définitions réciproques du dâr al-islâm et du dâr al-harb, il y eut des divergences. Il y a

unanimité sur la position minimale : ne peut être considéré que comme dâr al-harb le pays où un
musulman ne peut être en sécurité quand il pratique sa religion. Sʼil peut pratiquer sa religion en sécurité,
on a affaire au dâr al-islâm pour un certain nombre de docteurs (ach-Chawkânî par exemple, et en général
pour les réformistes et modernistes). Plus strictement, pour la majorité des docteurs anciens, le dâr al-
islâm est le territoire où la loi islamique sʼapplique. Souvent les auteurs rajoutent la nécessité des cadis
pour faire appliquer la loi, ou celle dʼun représentant du calife pour diriger la prière, ou encore que les
non-musulmans soient soumis aux musulmans, etc.
15Le dâr al-islâm est en guerre permanente contre le dâr al-harb. En termes modernes on dirait que lʼÉtat

islamique ne reconnaît pas la légitimité des États non musulmans, il ne les reconnaît pas de jure.
Transformer le domaine de la guerre en domaine de lʼislam est une obligation qui ne sʼachèvera que par
la soumission complète de la terre à lʼislam.
16Le dâr al-harb est objet et non sujet dans la loi islamique, il est considéré comme à lʼétat de nature

(Khadduri, Translatorʼs, p. 12). Si les musulmans sʼimposent un minimum de règles à observer à son
égard, tant à lʼégard des combattants que des civils, ou sʼils peuvent signer un traité de paix, cela
nʼimplique pas la reconnaissance de jure des États non musulmans. Ceux-ci sont considérés comme
procédant de la nécessité quʼa lʼhumanité de vivre sous une autorité, sans plus. Pour M. Khadduri lʼétat
des rapports est comparable, en termes modernes, à celui de la reconnaissance de lʼétat de rébellion
(Translatorʼs, p. 14).
17Lʼhabitant du dâr al-harb est le harbî, le belligérant, souvent aussi désigné par le terme ‘aduw,
lʼennemi. On pense à lʼhostis romain, à la fois étranger et ennemi.
18433 — Un droit inégal. Le droit musulman relatif aux relations internationales est un droit inégal,

comme tous les droits de la même époque. Il appartient à ce que nous avons appelé le système antique des
relations État/religion. Ces droits, qui sont à proprement parler des extensions de droits internes, ne
consacrent pas les principes essentiels du droit international moderne, lʼégalité des nations et la
réciprocité des droits et devoirs entre elles. Ils sont fondés sur une religion. Ils sont provisoires : la
religion de référence a vocation à conquérir le monde, et une fois cette chose faite, le droit des nations
disparaîtra. M. Khadduri écrit sur la loi islamique : “cette loi est faite en vue dʼobjectifs temporaires, et
fondée sur lʼhypothèse que lʼÉtat islamique est capable dʼabsorber la totalité de lʼhumanité ; et si lʼidéal
de lʼislam est un jour achevé, la raison dʼêtre de la loi de la guerre, au moins en ce qui concerne les
relations de lʼislam avec les États non islamiques, nʼexistera plus” (Translatorʼs, p. 5). Des comparaisons
peuvent être faites avec la conception communiste soviétique (Khadduri, War and Peace, chap. III).
19434 — Principes généraux. Deux principes semblent dominer la matière. Le premier explique le détail

des prescriptions : est légal ce qui coïncide avec lʼintérêt de lʼÉtat islamique, ce qui augmente sa force et
diminue celle des États non-musulmans ; est illégal ce qui va en sens contraire, cʼest-à-dire ce qui
augmente la force de lʼennemi ou diminue celle de lʼÉtat musulman.
20Toutefois, ce principe nʼest pas dʼapplication automatique, et on a pu montrer que ces écarts révèlent

souvent, surtout chez les malékites, un sens moral universaliste (Bleuchot, Le jihâd et les valeurs).
21Un autre principe existe, dʼapplication plus restreinte. Cʼest celui selon lequel on doit tenir ses
engagements, pacta sunt servanda. Il est nettement affirmé dans le Coran (5, 1 ; 8, 72 ; 9, 4, 7 ; 16, 91 ;
17 34). Il peut sʼappliquer à tous les traités, trêves et pactes divers contractés par les musulmans.
§ 2 - Buts du jihâd

22435 — But de lʼÉtat islamique dans le jihâd. Il nous faut distinguer les buts collectifs, ceux que prend

en charge lʼÉtat islamique, des buts individuels (n° 437).


23Le Coran assigne comme but au jihâd la conversion des infidèles (8, 39 ; 9, 5) ou leur soumission (9,
29), mais ce but peut nʼêtre aussi que leur demande de cessation des combats (2, 192, 193 ; 4, 91 ; 8, 39,
61). Le hadîth nʼaborde la question que sous lʼangle individuel.
24Pour les juristes il ne fait aucun doute que les buts du jihâd sont la conquête du monde, sa soumission à
la loi islamique, sa conversion. Ces buts ne sont pas nécessairement atteints par la guerre. Le jihâd se fait
autant par la propagande, la persuasion, le prestige, que par le défi ou la guerre.
25Il sʼensuit, pour M. Khadduri, que “lʼÉtat islamique devient nécessairement un État impérial et
expansionniste sʼefforçant de vaincre les autres peuples par conversion” (Khadduri, Translatorʼs, p. 5).
Cette nécessité est bien sûr imposée par le statut obligatoire du jihâd.
26436 — Lʼobligation du jihâd. Cette obligation s’impose à la communauté, c’est plus exactement un fard
‘alâ l-kifâya, une obligation sur la compétence. Cela signifie que si un nombre suffisant de guerriers rallie
l’armée musulmane, les autres personnes capables en sont dispensées. Dans le cas contraire, la faute
tombe sur tous. Il y a une large majorité sur cette question, en vertu des versets coraniques 2, 216 et 9,
122.
27Pour les kharidjites, le jihâd constitue un pilier de l’Islam et il est d’obligation individuelle. Pour les
chiites, du fait que le jihâd ne sera victorieux quʼau retour de l’imam caché, il doit être remis à cette date
(Khadduri, War and Peace, chap. V).
28Le combattant doit remplir un certain nombre de conditions. Il doit être de sexe masculin, musulman,

pubère, sain d’esprit, libre (non-esclave), exempt de défauts (non-handicapé, non-malade), enfin capable
de subvenir à ses dépenses d’entretien en campagne (Coran 9, 91). Cette dernière condition est omise
chez les hanéfites qui insistent sur une autre : le combattant ne doit pas laisser de dettes exigibles sans la
permission de son créancier, ce que les autres rites ne considèrent pas comme obligatoire, mais seulement
recommandé. Les jeunes gens doivent avoir lʼautorisation de leurs parents, mais il y a des divergences
quand les parents ne sont pas musulmans. Les non-combattants doivent assister les guerriers, par leur
argent notamment (Coran 4, 95 ; 9, 41). Le Coran, en rappelant que tous ne doivent pas combattre,
souligne en outre que le devoir dʼenseigner la religion demeure (9, 122).
29Les fuqahâʼ sont unanimes pour dire que lʼobligation du jihâd peut devenir individuelle en cas dʼattaque

surprise de lʼennemi et sʼimposer même à la femme sans lʼautorisation du mari, à lʼesclave sans
lʼautorisation de son maître et à lʼenfant sans lʼautorisation de son père.
30437 — Buts du jihâd et intention dans le Coran et la Sîra. Tous les combattants doivent avoir une
intention droite, celle de combattre lʼinfidèle et non pas celle de faire du butin ou obtenir la gloire.
Comme on lʼa dit cette obligation est religieuse et les morts musulmans sont des martyrs assurés dʼaller
au paradis.
31Le Coran manifeste une hostilité évidente envers lʼavarice et lʼorgueil en général (*57, 23 b et *57, 24
a = *4, 36 b et *37 a). Défendre la vérité religieuse doit passer avant la soif du butin (8, 7-8 qui fait
allusion à la bataille de Badr), soif qui est cause de défaite (*3,152 faisant allusion à la bataille dʼUhud).
Et les avides sont écartés des vrais combattants du jihâd (*48, 15, à propos des Bédouins voulant
sʼassocier à la prise, prometteuse, de Khaybar, alors quʼils avaient reculé pour lʼexpédition de la
Mecque). Voir aussi 8, 67-68 ; *9, 83...
32Le plus ancien recueil de hadîth, celui de lʼimâm Mâlik, Al-Muwattaʼ ne comporte rien dʼexplicite sur

les buts du jihâd. On y trouve cependant la formule “jihâd fî sabîli Llâh” qui est fréquente, et, une fois
lʼordre “Razziez au nom de Dieu...” (t. 1, p. 298). Lʼatmosphère de lʼensemble est très pieuse. Le martyre
semble le motif quasi unique des combattants. Les musulmans les plus pieux, les plus désireux de
combattre sont valorisés. La fraude dans le butin est plusieurs fois condamnée : le jihâd est donc bien une
question de piété, et non une bonne affaire. Un hadîth oppose le jihâd et le mépris des biens de ce monde
(quelques dattes !) 41 . Il est immédiatement suivi dʼun dire dʼun des Compagnons qui distingue les
bonnes et mauvaises expéditions 42 , mais malgré le contexte, il est difficile dʼy voir la condamnation des
guerres offensives ou des guerres de profit (voir Hintati et Bleuchot, Le but du jihâd).
33Dans la Sîra dʼIbn Hichâm, on trouve nettement établie la doctrine du jihâd offensif. La vision des
conquêtes qui est rapportée (au moment où le Prophète frappe le rocher en creusant la tranchée avant la
bataille du même nom), montre que la Sîra est postérieure aux conquêtes et quʼelle cherche à les justifier
43 , ainsi dʼailleurs que la plupart des dispositions du droit musulman classique (Morabia, p. 147-157).

34Les hadîth aussi, comme le Coran, insistent sur le désintéressement du combattant 44 . La continuité de
ce thème se remarque surtout dans le droit malékite.
35438 — But du jihâd en droit malékite. Dans la Mudawwana de Sahnûn (ob. 854) le thème de la

nécessité de la daʼwa (appel à la conversion / reddition) apparaît (t. 3, p. 2). Selon Abd ar-Rahmân Bn
al-Qâsim, Mâlik aurait dit : “Je nʼai pas vu quʼon ait combattu les associateurs sans quʼon les ait invités à
lʼislam.” A la question de Sahnûn de savoir sʼil en est de même soit que les musulmans attaquent soit
quʼils soient attaqués, Al-Qâsim répond “Je nʼai pas posé la question à Mâlik, mais pour moi les deux
situations sont identiques”. La raison de cet appel est de faire savoir aux ennemis “ce à quoi on les invite
(lʼislam), leur état de haine et dʼinimitié à lʼégard de la religion (lʼislam) et de ses adeptes, leur longue
opposition aux armées (musulmanes) et leur combat (contre elles)...” Cʼest presque une esquisse de
justification par la défensive. Lʼappel “enlève le doute et justifie le jihâd” précise plus loin le texte. Une
déclaration très nette se trouve p. 31 : “On ne combat les gens que pour quʼils quittent la mécréanec pour
entrer dans lʼislam”. Selon Sahnûn, le but du jihâd est donc la conversion des mécréants.
36Ibn Ruchd le jeune (Averroès) a consacré un paragraphe spécial à la question “Pourquoi ils sont
combattus” (Bidâya, livre du jihâd, 1ère section, § 7). Il constate lʼunanimité des docteurs sur le but
poursuivi relativement aux gens du Livre : la conversion ou le paiement de la jizya (cf. plus loin dans
cette section). Le Coran (9, 29) ne permet pas de divergences à ce sujet. Les divergences existent quant
aux polythéistes, mais elles ne portent pas sur la nature du but du jihâd, mais sur la question de savoir
sʼils peuvent être admis au statut de protégés (dhimmî). Ibn Ruchd signale que Mâlik était dʼavis quʼils le
pouvaient : pour lui la mécréance, fut-elle polythéiste, nʼétait pas un motif de mort. Dans la Bidâya, le but
du jihâd est aussi évoqué à propos des promesses de gratification (nafal). Mâlik est présenté comme
détestant cette pratique au nom du but du jihâd : “On ne vise dans lʼattaque que la face de Dieu Très Haut
et lʼexaltation de sa Parole. Si lʼimâm promet une gratification avant la guerre, il est à craindre que le
sang ne soit versé pour un droit dʼun autre que Dieu”. Ce texte confirme la réticence des juristes
malékites envers les opérations ne visant que le profit et donne une définition du jihâd très proche de
celle qui deviendra celle de lʼécole.
37Cʼest Ibn ‘Arafa qui établira cette définition, dans ses Hudûd : “Le jihâd est le combat dʼun musulman
contre un infidèle qui nʼest pas lʼobjet dʼun pacte, pour promouvoir la parole de Dieu (li-ʼi‘lâʼi kalimati-
Llâh)...” Le commentaire dʼAr-Rasâʼ (ob. 1489) souligne que combattre un musulman nʼest pas du jihâd,
et, dit le chaykh (Ibn ʼArafa), il en est de même pour (le combat contre) le dhimmî qui rompt son contrat ;
ce qui est dit de ce contrat se généralise aux autres contrats, comme lʼamân. Sur le but du jihâd : “si lʼon
combat pour ce monde, pour lʼargent ou par impétuosité (ẖimîya), il ne sʼagit pas dʼun jihâd canonique
(char‘î), comme il est dit dans le ẖadîth” 45 Il existe donc des guerres menées contre lʼinfidèle et non
légales en droit malékite.
38Avec la Tuẖfat al-anfus dʼIbn Hudhayl (mort après 1399 à Grenade), traduite par Mercier, nous avons
un texte de tendance mystique, qui insiste sur la pureté dʼintention dans le jihâd (Mercier, p. 128) et dont
lʼabsence expliquerait les défaites (p. 170). Bien sûr Ibn Hudhayl réprouve lʼavidité, et il cite un ẖadîth
(quʼon ne trouve pas ailleurs) où le Prophète, critiquant un homme avide de sʼemparer dʼun âne comme
butin, aurait dit : “il a combattu dans la voie de lʼâne !” (p. 130).
39Ibn Khaldûn (ob. 1406), dans un texte souvent cite, dit que les musulmans ont, contrairement aux adeptes

des autres religions, “lʼobligation de convertir le monde de gré ou de force” (Monteil, p. 459-460). Dans
ses analyses sur la guerre, il distingue bien les guerres profanes et les guerres saintes (Monteil, p. 555).
40Lʼensemble dit Le grand commentaire, Ach-charẖ al-kabîr, écrit par ad-Dardîr (ob. 1786) et ad-
Dasûqî (ob. 1815) sur Khalîl (ob. 1365) nʼest pas prolixe sur les buts du jihâd. Ils apparaissent à propos
du combat singulier (t. 2, p. 182). Pour les commentateurs le but du champion musulman doit être de
porter haut la Parole de Dieu, et seulement si lʼon estime que cela aura un effet sur les mécréants. Mais
lʼeffet escompté est-il dʼagir sur le moral des troupes, doit-il être religieux, et préparer à la conversion ?
A propos de la promesse de gratification, ad-Dusûqî parle du risque de “corrompre lʼintention” (tome 2,
p. 191). Mais Khalîl et Le grand commentaire justifient “le maraudeur”, cʼest-à-dire la troupe isolée qui
fait du butin en territoire ennemi : elle ne doit que le quint, et même pas lʼallié dhimmî. La niyya nʼest pas
évoquée à ce sujet (tome 2, p. 194).
41Les textes ont bien explicité le but du jihâd, la conversion de lʼinfidèle, ce que pourraient confirmer
dʼautres éclairages (cf. Blcuchot, Les buts du jihâd), mais ils ne sont pas allés jusquʼau bout du
raisonnement et nʼont pas explicité le statut des guerres de profit.
§ 3 - Les opérations de guerre et le butin

42439 — La déclaration de guerre. La guerre sainte doit être décidée et dirigée par lʼimâm, seul
responsable devant Dieu de la légitimité de lʼentreprise. Le jihâd doit se faire au moins une fois par an
(règle déduite du Coran *9, 126), sauf en cas de faiblesse des musulmans. Il nʼest pas nécessaire que
lʼennemi attaque le premier pour quʼelle soit légitime.
43Elle doit être précédée dʼune invitation (da‘wa) à rallier lʼislam. Sur cette question on trouve des
divergences. Pour les hanbalites, cette invitation ne doit pas se faire. Ils sʼappuient sur la vie du
Prophète, lequel aurait attaqué par surprise les Bani Mustaliq et les Bani Kahbali de Palestine. Pour les
malékites et les zaydites, se fiant à tous les autres exemples du Prophète elle est obligatoire. La majorité
pense quʼelle nʼest que recommandée.
44440 — Les opérations. La bataille sʼengage au cri de “Allâhu akbar” (Dieu est le plus grand). Les
combattants doivent obéir à leurs chefs (Coran, 4, 59), même corrompus, ne pas déserter, ne pas fuir. La
fermeté au combat est de règle. Les musulmans doivent combattre tant que lʼennemi nʼa pas dépassé le
double de leur nombre (Coran *8, 65-66), et dans ce cas, ils peuvent éviter le combat. La tactique de la
fausse fuite est aussi permise.
45Les destructions nécessitées par la stratégie militaire sont permises, mais il existe des divergences à ce

sujet.
46On peut, pour la majorité, bombarder une citadelle ennemie (avec des balistes et des mangonneaux), ou
y mettre le feu, au risque de tuer des musulmans prisonniers chez lʼadversaire. Les malékites, chaféites et
chiites ajoutent que cela ne peut se faire quʼen cas de nécessité absolue et que si les musulmans ne sont
pas trop nombreux. On ne doit en ce cas aux victimes musulmanes aucun dédommagement, sauf pour les
chaféites et hanbalites. Une minorité nʼaccepte pas ce point de vue sur les bombardements en arguant du
verset *48, 25, où Dieu épargne la Mecque en raison de la présence de croyants.
47Le meurtre des non-combattants, vieillards, femmes, enfants, malades, moines est interdit au cours des

opérations pour la majorité. Pour certains auteurs (Ibn Taymîya) la notion de non-combattant est large,
incluant les paysans dans leurs champs, les artisans et travailleurs divers. Mais sʼils participent à la
guerre par leur conseil ou tout autre moyen, ils peuvent être tués. Toutefois lʼhumanisme de certains
fuqahâʼ nʼest pas exempt de rouerie. Pour le malékite ad-Dasûqî, les femmes ne pouvant donner que de
mauvais conseils, on ne doit jamais les tuer. Mais si on les tue, le repentir seul est dû, pas la
compensation pour meurtre. A la suite de Mâlik, le rite précise que lʼon doit laisser de quoi vivre aux
non-combattants, au besoin en prenant sur les biens des musulmans. Pour la majorité des chaféites et les
chiites imamites et zaydites, on peut tuer les moines et les vieillards : leur incroyance est un motif
suffisant de mise à mort, point de vue que nʼacceptent pas les autres rites, pour qui le seul motif autorisant
la mort est dʼavoir combattu lʼislam.
48Le suicide nʼest pas permis, sauf sʼil sʼagit de changer son genre de mort ou dʼaugmenter ses chances de

survie : le combattant peut par exemple sauter dʼun navire en flammes et se jeter à la mer (unanimité).
Mais les islamistes ont admis les “opérations-suicides, selon eux des “opérations-martyres” dans le
contexte palestinien et les sunnites sont en passe de les suivre.
49Le défi, le combat singulier sur le devant des troupes est soumis à lʼautorisation de lʼimam. Ce ne peut

être pour étaler sa valeur guerrière : le but doit rester celui de glorifier Dieu selon les malékites.
50Les mutilations sont interdites pendant le combat, mais certains hanéfites disent quʼelles sont permises

avant le combat pour effrayer lʼennemi.


51Les actes de traîtrise contre lʼennemi sont interdits, mais permis chez les hanbalites. Lʼemploi de
flèches empoisonnées est interdit selon les malékites, car elles peuvent être renvoyées sur les musulmans.
52En principe lʼalliance avec les mécréants (kuffâr) est interdite, car “lʼhostilité religieuse incline à la
trahison” (az-Zuhayli, p. 424). Cela à lʼexemple du Prophète, qui, le jour de la bataille de Badr, avait
écarté un volontaire non musulman. Mais bon nombre de docteurs lʼautorisent, car le Prophète en aurait
utilisé par la suite. Elle ne peut se faire quʼen cas de besoin.
53441 — Le butin. Il y a plusieurs catégories de butin. Le butin pris par force (ghanîma) comprend aussi

les dépouilles (salab) dʼun soldat ennemi mort (ses armes, son cheval, sa selle). Pour les chaféites
seulement, les dépouilles dʼun ennemi appartiennent de droit à celui qui le tue.
54Le butin pris par force (ghanîma) se partage entre tous les guerriers (y compris les guetteurs, les
renforts, etc.) sauf le cinquième qui revient à lʼimâm (Coran 8, 41, même coutume en Arabie
préislamiquc). Les cavaliers reçoivent double part (hanéfites) ou triple part (autres rites).
55Les règles de répartition du cinquième étatique, selon les catégories indiquées par le verset coranique
8, 41 (Dieu, le Prophète et ses proches, les orphelins, les pauvres, les voyageurs) ont donné lieu à
maintes divergences (voir az-Zuẖaylî, p. 459 sq.). Les malékites disent quʼaucune règle ne tient lʼimam,
sauf lʼintérêt général quʼil apprécie lui-même.
56Pour les hanéfites la propriété dʼune part de butin nʼest acquise par un combattant quʼaprès le partage

qui doit se faire en terre dʼislam. Lʼimam nʼa pas le droit de vendre une partie du butin, ni dʼeffectuer le
partage en territoire ennemi. Si quelquʼun meurt dans le dâr al-ẖarb, ses héritiers perdent tout droit sur sa
part. Si des troupes de secours arrivent après la bataille, elles ont droit au butin qui nʼa pas encore été
partagé. Pour les autres rites, la propriété du combattant est assurée dès la prise, et les solutions sont à
lʼinverse : le partage peut se faire en territoire ennemi, les héritiers ont des droits, les troupes de secours
nʼen ont pas.
57Les biens acquis sans combat (fayʼ) appartiennent à lʼÉtat, depuis une décision de ‘Umar dʼaprès le

verset 59, 7. Cʼest le cas de tous les biens immobiliers. Lʼimam peut les remettre aux populations
conquises moyennent un impôt spécial (le kharâj) ou le partager entre les soldats, ce que ne permettent
pas les malékites et chaféites.
58Cʼest une faute grave pour un soldat de voler une part du butin avant le partage, sauf en cas de nécessité,

sʼil sʼagit dʼarmes ou de vivres par exemple. 11 ne peut anticiper le partage, ni vendre quoi que ce soit.
59Lʼimam peut, en territoire ennemi, accorder aux combattants qui feront telle ou telle prouesse, une
gratification (nafal) prise sur le butin, ou permettre que les dépouilles dʼun ennemi aillent à celui qui le
tuera. Au retour dans le pays dʼislam, lʼimam ne peut accorder de gratification que sur la part revenant au
bayt al-mâl (hanéfites).
60Lʼesclave, la femme, lʼenfant, le dhimmî nʼont pas droit au butin, même sʼils ont combattu avec les

musulmans. En revanche lʼimam pourra leur donner des gratifications sur le butin, avant partage, mais la
part de chacun doit rester inférieure à la part dʼun musulman adulte et libre.
61442 — Maraudeurs et corsaires. Le maraudeur (mutalassis) est celui qui agit sans la permission de
lʼimam et qui rapine en pays ennemi en temps de guerre. Il ne paye pas le quint selon les hanéfites : il est
considéré comme un voleur qui vole certes des biens non protégés par la loi islamique, mais son
acquisition est réprouvable (makrûh) et il vaut mieux quʼil en fasse des aumônes. Il existe donc pour les
hanéfites aussi des opérations de guerre contre lʼinfidèle qui ne sont pas jihâd, un jihâd nʼest tel que par
lʼautorisation de lʼimam. Mais si le maraudeur conduit une forte troupe, il devra payer le quint : la bande
est alors considérée comme ayant reçu lʼaval de lʼimam. La course (qarsana) est ainsi permise moyennant
le quint. Les mots piraterie/pirates sont impropres.
62Pour les malékites et chaféites, le quint est dû dans tous les cas par le musulman par analogie avec les

opérations normales. Mais les malékites ne considèrent pas ces opérations comme du jihâd en raison de
leur but profane (voir n° 438). Enfin une opinion minoritaire pense que le butin doit être considéré
comme fayʼ, prise de guerre, revenant au bayt al-mâl en entier et cela dans tous les cas (Mughnî, tome 9,
p. 294).
63443 — Les prisonniers. Le sort des prisonniers dépend de leur attitude pendant la guerre et du choix de

lʼimâm après celle-ci. Les populations qui se sont soumises avant la guerre, si elles sont à compter parmi
les gens du Livre 46 (chrétiens, juifs, zoroastriens) entrent tout de suite dans le pacte de protection (cf. §
5) qui sera allégé du fait de cet accord préalable.
64Après la guerre, selon le Coran, lʼimam peut exécuter les prisonniers, les réduire en esclavage, ou les

échanger contre rançon ou contre des prisonniers musulmans (47, 4).


65Pour les hanéfites, lʼennemi prisonnier ne peut être tué que sʼil est permis de le tuer pendant le combat

et pour des raisons graves, ce qui exclut donc en principe les femmes, les vieillards, les moines, etc.
Mais cette exécution est conçue comme une sanction pénale, en sorte que le fou qui aurait combattu ne
sera pas puni, faute de responsabilité pénale. Pour les hanéfites toujours, il nʼest pas permis de libérer
des prisonniers gratuitement, ni même contre rançon, car cet acte est assimilé à une vente dʼarmes à
lʼennemi (unanimement interdite), toutefois selon ach-Chaybânî, en cas de besoin dʼargent, on peut le
faire. Les avis hanéfites divergent aussi sur lʼéchange des prisonniers : interdit selon Abû Hanîfa, il est
permis selon dʼautres hanéfites, mais lʼopinion dʼAbû Hanîfa a prévalu dans le rite.
66Les chaféites, malékites et hanbalites permettent tout ce que permet le Coran, et ajoutent la possibilité
de libération gratuite. Dans ce dernier cas, lʼimâm qui a choisi dʼêtre libéral, doit compenser la perte de
butin : les prisonniers auraient pu être vendus comme esclaves ou rapporter des rançons.
67Le prisonnier, sʼil se convertit à lʼislam, échappe toujours à la mort, mais pas à coup sûr à lʼesclavage

et il ne récupère pas ses biens. Sʼil sʼest converti avant dʼêtre pris, il conserve sa liberté et ses biens. Les
traités sont très détaillés diverses questions touchant les conversions et ses conséquences sur le mariage,
sur les biens, sur le statut des enfants...
68Selon les hanéfites, chaféites et hanbalites, les Arabes dʼArabie, gens du Livre ou polythéistes, ne
peuvent être quʼexécutés à moins quʼils ne se convertissent à lʼislam. Les polythéistes non arabes, de
même ont le choix entre la mort ou la conversion à lʼislam, mais les hanéfites les admettent au statut de
gens du Livre. En fait de telles exécutions en masse nʼont jamais eu lieu dans les zones chaféites et on a
toujours fini par considérer que de telles populations faisaient partie des gens du Livre, ou bien a-t​on
oublié de se poser de tels problèmes, comme ce fut le cas en Inde ou en Indonésie. Le malékisme
admettant que les polythéistes, arabes ou non, soient admis au pacte de protection, la coexistence fut donc
conforme à la théorie, en Afrique noire notamment.
§ 4 -Trèves et pactes temporaires

69444 — Les trêves. Du fait de la conception fondamentale des rapports entre lʼÉtat islamique et les

autres, le jihâd ne peut cesser quʼavec la victoire finale de lʼislam et la soumission du monde non-
musulman. On a pu dire que la guerre est lʼétat normal des relations entre lʼÉtat islamique et les autres
(Khadduri, Translatorʼs, p. 19 ; voir Mercier, Introduction), et que cʼest la paix qui est problématique.
Mais les modernes, comme on peut sʼy attendre, récusent cette conception. Ainsi Sayyid Sâbiq écrit “Les
relations des musulmans avec les non-musulmans sont des relations de reconnaissance, de coopération,
dʼéquité et de justice” (tome III, p. 13) (voir aussi Hamidullah, Muslim, p. 292 sq. cité par Khadduri,
Translatorʼs, p. 19).
70Des traités peuvent être signés, comme le permet le Coran (9, 7) et lʼexemple du Prophète, mais ce ne

sont, à proprement parler, que des trêves (hudna) selon la conception classique. En principe lʼimam seul
en décide.
71De manière générale, les traités avec lʼennemi sont possibles à condition quʼils ne nuisent pas à lʼÉtat

islamique. Il en est de même pour la diplomatie et les relations commerciales. Il nʼest pas permis de
signer une trêve tant que lʼÉtat islamique est le plus fort (Coran 47, 35). Elle devient nécessaire sʼil est le
plus faible. Mais chaque fois que lʼÉtat islamique est en position de force, il doit reprendre la guerre à la
fin du délai fixé.
72Les traités doivent être respectés, cʼest une obligation, et le Coran y insiste (cf. n° 434), même si les

musulmans sont devenus les plus forts. Le corollaire du principe, lʼinterdiction de toute traîtrise en temps
de paix, est fermement établi.
73Les traités ne peuvent être permanents, excepté le pacte de protection (cf. § 5). Il y a des divergences

sur la durée permise de la trêve. Selon les chaféites, si les musulmans sont forts, elle ne peut dépasser un
an, elle est assimilée au pacte dʼamân. Pour une durée plus longue, lʼennemi doit alors se soumettre et
payer la jizya. Quand les musulmans sont faibles, les juristes chaféites disent quʼelle ne doit pas dépasser
dix ans, à lʼimage du traité de Hudabîya conclu par le Prophète, le traité étant renouvelable. Les chiites
imamites et les hanbalites pensent de même. Les hanéfites, malékites et zaydites estiment quʼil nʼy a pas
de date limite dans les cas de faiblesse. Mais il y a unanimité pour dire quʼun traité de paix permanent est
invalide, car il signifierait la fin de lʼobligation du jihâd, ce qui équivaudrait à abolir une partie de la loi
islamique, chose impossible.
74Ces traités peuvent être inégaux, lʼessentiel est que les deux parties les acceptent. Ils peuvent comporter

des tributs à payer par les uns ou les autres. Aucune forme particulière (signature, témoins...) nʼest
requise par la loi islamique. Toutefois, sʼil craint une attaque surprise, lʼimâm a le droit de dénoncer un
traité, mais il doit en avertir lʼennemi (Coran 8,58).
75445 — La protection temporaire. Un type de pacte temporaire très usité est celui de la protection

temporaire (amân, sauvegarde). En principe le sang et les biens dʼun habitant dʼun pays non-islamique
(harbî) est libre, on peut le tuer et le dépouiller (de même pour lʼapostat), encore que, comme on lʼa vu
chez les malékites et hanéfites, la question ne soit pas aussi évidente. En cas de traité, la vie et les biens
des ennemis sont protégés et ils peuvent circuler en pays dʼislam, pour y faire du commerce par exemple.
En cas de guerre, le pacte spécial dit amân doit intervenir.
76Pour les besoins du commerce et de la diplomatie, le harbî peut donc obtenir un sauf-conduit, une
protection (amân) qui garantit sa vie, ses biens, ses droits durant ses déplacements à lʼintérieur du dâr al-
islâm pendant un an au maximum (Coran 9, 6). Sʼil veut rester plus longtemps, il doit adopter le statut de
protégé permanent (dhimmî), payer lʼimpôt correspondant, et renoncer à retourner dans son pays
dʼorigine. Pour les hanbalites un amân peut durer dix ans.
77Nʼimporte quel musulman peut donner un amân, mais il y a des divergences en ce qui concerne la

femme et lʼenfant. Un dhimmî ne peut accorder un amân, ni un converti récent, ni un musulman prisonnier.
Lʼamân se donne sans formalités, une simple déclaration suffit. Un amân général, concernant toute une
population, ne peut être donné quʼavec lʼaccord de lʼimâm. Mais lʼimam peut dénoncer tout amân qui
nuirait aux intérêts de tous : lʼespion est mis à mort en dépit de lʼamân.
78Le protégé temporaire (mustaʼmîn) doit respecter lʼislam et sa loi pénale (divergences), ne pas
espionner (sous peine de mort, unanimité). Il peut se déplacer partout, sauf au Hedjaz (divergences),
pratiquer sa religion (non polythéiste), commercer (mais il ne peut acheter des armes ou des matières
stratégiques à exporter), se marier (avec une protégée). Il ne peut épouser une musulmane, ni avoir de
rapports sexuels avec elle. Il peut agir en justice si on a commis un tort à son égard, et réclamer à son
profit lʼapplication du droit musulman. Sʼil meurt en pays dʼislam, ses biens doivent être rendus à ses
héritiers. Sʼil meurt en pays de guerre, ses biens laissés en pays dʼislam reviennent à lʼÉtat musulman
(fayʼ butin acquis sans combat).
79446 — Le musulman dans le dâr al-ẖarb. De même un musulman dans le dâr al ẖarb doit se soumettre

aux lois de son hôte, sinon il commet une traîtrise ce qui est ẖarâm (interdit). Même captif, même en
temps de guerre, sʼil jouit de la confiance des ennemis, sʼil nʼa pas été contraint à un serment, il doit
respecter cette règle, ne pas voler, ne pas agresser ou tuer son hôte. Cʼest un cas où la loi islamique
reconnaît la validité de la loi étrangère sur le musulman lui-même. Cela découle simplement du fait que
les pactes consentis librement avec lʼennemi doivent être respectés.
80Dans le dâr al-ẖarb, le musulman doit suivre la loi islamique (prière, nourriture, etc.) dans la mesure du

possible. Il ne peut commettre un acte qui renforce lʼennemi : sʼengager dans son armée, donner des
enfants à une harbîya, etc. Il ne peut donner un amân qui permettrait à un harbî de se rendre dans le dâr al-
islâm selon les malékites, il le peut selon les hanbalites et chaféites.
81Les malékites, chaféites hanbalites et zahirites sont hostiles à lʼinstallation des musulmans dans le dâr

al-harb, car ils sont exposés aux tentations de lʼincroyance. Ils considèrent que lʼémigration (hijra), cʼest-
à-dire le retour dans le dâr al-islâm, est obligatoire si on ne peut pratiquer sa religion (au moins les cinq
piliers) dans le territoire ennemi. Ils se réclament du Coran (*4, 97-100) et dʼun hadîth où le Prophète
aurait dit : “Je nʼai rien à faire avec aucun musulman qui réside au milieu des polythéistes”. Le Prophète
exigeait à lʼépoque que les Musulmans quittent comme lui la Mecque pour Médine. Les hanéfites arguent
dʼun autre hadîth où le Prophète aurait dit : “Pas dʼhijra après la prise de la Mecque” et autorisent donc
le musulman à rester dans le dâr al-harb, même si lʼon ne peut y pratiquer sa religion. Mais les premiers
leur répondent que cʼest mal comprendre le second hadîth qui signifie que lʼobligation de lʼhijra cesse
quand le dâr al-ẖarb est devenu dâr al-islâm, comme ce fut le cas après la prise de la Mecque par le
Prophète.
§ 5 - Le pacte de protection permanente

82447 — Le pacte de protection. La jizya. Il sʼagit du statut de dhimmî (pl. dhimmîyûn), ceux qui sont

compris dans le pacte de protection, ‘ahd adh-dhimma. Le mot dhimma signifie à la fois protection,
responsabilité et conscience. Les protégés sont placés sous la protection de la conscience musulmane.
83Deux pactes anciens sont souvent invoqués comme fondement traditionnel du droit des dhimmîyûn : le
pacte de Najrân, conclu par le Prophète, et celui qui lʼa en fait remplacé, le pacte de ‘Umar, plus dur. Il
en existe dʼautres, mais tous posent de difficiles problèmes dʼauthenticité. On trouvera dans lʼouvrage de
Fattal une discussion sur ces questions et les textes.
84Pour la doctrine juridique musulmane développée par la suite, les gens du Livre sont ceux qui ont reçu
de Dieu un Livre reconnu authentique, quoique dépassé par le Coran. Ce sont les juifs, les chrétiens, les
sabéens (définis comme incluant les zoroastriens). Les Arabes polythéistes nʼont pas droit au pacte de
protection, mais pas chez la majorité des malékites qui acceptent la jizya dans tous les cas (az-Zuhaylî,
t. 6, p. 443). Les non-Arabes polythéistes y ont droit chez les hanéfites. Tous les juristes excluent les
apostats de lʼislam.
85Les protégés (dhimmî pl. dhimmîyûn) doivent dʼabord payer un impôt spécial, la jizya. Le mot signifiait

à lʼorigine tribut. Seuls les combattants le payent selon les hanéfites et malékites, cʼest dʼabord la rançon
de la vie sauve alors que la mort est méritée pour avoir combattu lʼislam.
86Il y a deux sortes de jizya : celle qui est fixée dʼun commun accord, parce que gens du Livre se sont
rendus sans combattre ; lʼautre est fixée par lʼimâm parce quʼils ont combattu. La jizya est
proportionnelle à la fortune : 48 dirham ou 24 ou 12 ou rien pour les très pauvres, les femmes, les
enfants, les aveugles, les malades chroniques, les moines (car ils nʼont pas combattu). Les terres prises
après combat payent en outre un impôt (kharâj) qui reste attaché à la terre quel que soit par la suite son
propriétaire (voir tome III, les statuts de la terre).
87La conversion fait tomber la jizya : cette taxe est conçue généralement comme une punition (al-Maydânî,

Al Lubâb, 4, p. 146) qui doit être levée à la conversion.


88Celui qui refuse de payer la jizya, ou tue un musulman ou insulte le Prophète, ou fornique avec une

musulmane, ne verra pas son pacte brisé : on lui prendra lʼimpôt de force, on lui appliquera le qisâs ou le
ẖadd, sauf sʼil rejoint le dâr al-ẖarb, auquel cas il sera combattu. Cʼest du moins la position hanéfite, car
il y a des divergences.
89448 — Liberté du culte. Concept de tolérance antique. Le culte des gens du Livre est autorisé dès lors

quʼils ont payé la jizya. Chez certains auteurs on trouve des restrictions diverses au culte : interdiction de
faire sonner des cloches, de faire des processions, etc. Il y a une quasi-unanimité des docteurs pour dire
quʼil est interdit de créer une nouvelle église ou synagogue dans le dâr al-islâm, et quʼil est seulement
permis de réparer les anciens lieux de culte.
90Cette disposition est à relier à bien dʼautres, concernant le mariage (interdiction à un protégé dʼépouser

une musulmane), la garde des enfants (en cas de divorce la protégée se voit retirer son enfant plus tôt que
la musulmane afin quʼelle ne puisse pas lui enseigner sa religion), lʼapostasie (lʼapostat est condamné à
mort, en sorte que les religions non islamiques ne puissent sʼaccroître), le blasphème (impossible donc
de critiquer lʼislam pour mettre en valeur le christianisme ou le judaïsme), etc. Ces dispositions sont très
révélatrices du concept de tolérance dans la conception antique des rapports religion/État (détails dans
Fattal).
91Dans cette conception, il nʼy a donc pas à proprement parler de liberté religieuse, ni de démocratie

religieuse, car les docteurs anciens nʼacceptent pas de mettre leur religion au même rang que les autres
religions. Le mot tolérance exprime bien la situation : il implique une religion dominante et des religions
dominées. Cela sous-entend aussi que les dominés sont tels car ils ont commis une faute. En français on
tolère des débordements, quelque chose dʼanormal. En arabe le mot sumâẖa (tolérance) est tiré dʼune
racine signifiant être indulgent, libéral, excuser, pardonner... De plus, la tolérance dans cette conception
classique est une tolérance provisoire. Quand le monde sera entièrement fait dʼadeptes de la religion
dominante, lʼintolérance sera totale (en raison de lʼinterdiction de lʼapostasie) envers toute déviation ou
religion ancienne ou nouvelle. Ce système est le système commun de la fin de lʼAntiquité. Il nʼest pas
particulier à lʼislam. Il était considéré comme normal par tout le monde civilisé de lʼépoque. On trouvera
dans lʼouvrage de Fattal de multiples rapprochements entre les législations du monde juif, romain et
byzantin et musulman.
92449 — Autres obligations des protégés. Comme le protégé temporaire, le dhimmî doit avant tout

respecter lʼislam, le Prophète, le Coran. Il ne doit pas lʼattaquer, ni chercher à faire des conversions
(sous peine de mort). Il ne peut donner lʼamân à un harbî, il ne doit pas aider le dâr al-harb en aucune
manière (espionnage, exportation de produits stratégiques, etc.). Il ne peut épouser une musulmane, ni
avoir de rapports sexuels avec elle. Il peut boire du vin et manger du porc, mais pas en public. Le
commerce de ces denrées donne lieu à des divergences.
93Les auteurs admettent le plus souvent lʼhumiliation des gens du Livre en interprétant comme un ordre la

fin du verset 9, 29 “wa hum sâghirûn”. Cʼest une phrase nominale (sans verbe) signifiant mot à mot “et
eux humiliés”. Faut-il traduire “ils sont (ou seront) humiliés” (constatation) ou comme un ordre “quʼils se
fassent petits” (traduction dʼHamidullah) ?
94Cette humiliation intervient dʼabord au moment où ils payent la jizaya. Ensuite, les gens du Livre

doivent se distinguer des musulmans par leurs costumes, leurs montures, leurs selles, leurs coiffures. Ils
devront monter des mules ou des ânes, porter des vêtements distinctifs (bleus pour les chrétiens, jaunes
pour les juifs), ne pas porter dʼarmes, ne pas avoir des maisons plus hautes que celles des musulmans. Ils
devront respecter les musulmans, leur céder le passage, ne pas imiter ce qui est “spécial aux gens de
science et dʼhonneur”. Pour les réformistes et modernistes Dieu ne saurait imposer un devoir dʼorgueil
aux musulmans car il nʼaime pas les orgueilleux (Coran, *57, 23 b = *4, 36 b).
SECTION 2 - LES CONCEPTIONS NON CLASSIQUES DU
JIHÂD
95On évoquera les conceptions non classiques du jihâd au moyen âge (§ 1), puis lʼévolution de la pratique
(§ 2), enfin les visions contemporaines (§ 3)
§ 1 - Les conceptions non classiques au moyen âge

96450 — Guerre sainte et rébellion. La multiplication des rébellions, même avant la mort du Prophète et

surtout à lʼépoque ummayade et abbasside a amené les juristes à inclure dans la guerre sainte la lutte
contre les rebelles. La conception de lʼÉtat musulman, qui devait être dirigé par un seul chef (le calife) et
ne posséder quʼune seule doctrine, a été adoptée très rapidement : le refus du pluralisme doctrinal ou
même “liturgique” sʼest imposé très tôt : le Prophète en avait donné lʼexemple dans lʼaffaire de la
mosquée de la nuisance (Cor *9, 81-120). Les kharidjites nʼavaient pas hésité à qualifier de jihâd leur
propre révolte contre le calife ‘Alî. Les chiites en firent autant pour leur propre compte.
97En opposition, les docteurs sunnites légitimèrent la répression. Depuis longtemps, le droit musulman

sunnite sʼétait ajouté des développements contre la rébellion (voir droit pénal). Ach-Chaybânî écrit :
“Allah donna à son envoyé quatre sabres : le premier contre les polythéistes et Muhammad sʼen servit ; le
second contre les apostats, et Abû Bakr sʼen servit ; le troisième contre les gens du Livre et ‘Umar sʼen
servit ; et le quatrième contre les dissidents, et ‘Alî sʼen servit.” (cité par Morabia, p. 303). Les docteurs
sunnites tendront à légitimer le pouvoir quel quʼil soit (voir califat), et, à la fin du moyen âge, au moment
où le sunnisme se durcit, ils qualifièrent de jihâd la guerre contre les divisions internes (Khalîl, Ibn
Taymîya...), guerres que lʼon qualifiait jusquʼici chez les sunnites de harb, guerre ordinaire. Nous
reviendrons sur Ibn Taymîya un peu plus loin.
98451 — Le jihâd moral et spirituel. Relativement tôt, des sens nouveaux, plus spirituels vinrent enrichir

la vision du jihâd. Cʼest dʼabord lʼijtihâd, la recherche de la loi religieuse, qui peut être considérée
comme une forme de jihâd moral. Les deux mots sont tirés de la même racine. Le Coran met en relation
lʼétude de la religion et la guerre proprement dite (9, 122). Des hadîth sont venus à la rescousse
(“Lʼencre du savant est plus précieuse que le sang des martyrs” ou “Quiconque part en quête de savoir est
sur la voie dʼAllah jusquʼà son retour”)(Morabia, p. 309).
99Cʼest au milieu du ixe siècle, cʼest-à-dire au début du 3e siècle de lʼhégire, que dans le milieu basrien

on commença de donner au jihâd un sens moral et spirituel de lutte contre les passions de lʼâme : Al-
Muhâsibî, un des premiers théoriciens de la vie mystique, Jâhiz, le fameux homme de lettres, citèrent pour
la première fois le hadîth du grand jihâd de lʼâme (cf. n° 429, note). On rapporta aussi une parole de
Mâlik bn Dinar : “Je suis moi-même en jihâd contre mon âme”. Satan est de toute évidence le premier
ennemi du croyant. Les recueils de hadîth composés à la même époque, ceux de Tirmidhî, Ibn Hanbal,
Abû Dâwûd, Ibn Mâjâ eurent tendance à spiritualiser le donné traditionnel. Ces ẖadîth ne se trouvent pas
dans le recueil dʼal-Bukhârî ni dans celui de Muslim. Mais il ne semble pas impossible quʼune tradition
pieuse ait existé depuis longtemps : elle est responsable indirectement de la mise par écrit du droit
musulman, comme on lʼa vu au tome I. Le Coran nʼaffirmait-il pas que le plus noble des croyants est le
plus pieux (49, 13) ? Un peu plus tard on interpréta spirituellement les passages guerriers du Coran. Les
Rasâʼil, lʼencyclopédie des Ikhwân as-Safâ, mystiques ismaéliens du ive/xe siècle, sont caractéristiques à
ce sujet : ils distinguent nettement deux sortes de jihâd, tous deux légitimes, contre les infidèles et contre
les démons intérieurs (Morabia, p. 312). La postérité des Frères de la pureté est représentée par les
confréries religieuses où sʼallient le mysticisme du chercheur de Dieu, le moralisme de lʼhomme pieux,
lʼesprit interventionniste du censeur des mœurs et lʼascétisme du guerrier dans son ribât (poste-frontière).
100452 — Le devoir dʼordonner le bien et dʼinterdire le mal. En effet ce jihâd intérieur ou mystique

débouche sur une action sociale, sur la “curatelle” des autres. Certes, la tradition pieuse sunnite mettait
surtout en valeur la patience (sabr) qui pouvait aller jusquʼà la résignation et ce sera toujours une
tendance sunnite essentielle que dʼadmettre lʼordre établi. Mais elle nʼexcluait pas le devoir dʼapostolat
moral, “al-amr bi-l-maʼrûf wa an-nahî ‘an-al-munkar” (commander le bien et interdire le mal), car il est
souvent rappelé par le Coran (3, 104 ; 3, 110 ; *3, 114 ; *5, 78 ; *9, 71 ; 22, 41 ; *31, 17). Cʼest une vertu
essentielle (dite hjsba) et qui culmine dans la remontrance aux autorités (Tyan, Histoire, p. 618). Le
théologien al-Ghazzâlî en a fait la doctrine, en gommant ce qui pouvait favoriser la subversion. Le devoir
de “correction fraternelle” nʼest pas chez lui une obligation individuelle, mais une obligation collective
(comme chez Al-Mâwardî, p. 391, Fagnan, p. 513 sq.). Il le place pourtant au-dessus du jihâd guerrier.
Dans lʼislam sunnite, les autorités se chargèrent de ce devoir et il devint de la compétence du muhtasib, le
contrôleur des marchés (Gardet, La cité musulmane, p. 184-188, Ibn Khaldûn, Muqaddima, Monteil, t. 1,
p. 448 sq.). Ne restait au musulman pieux que le devoir de conseil, dʼexhortation et de remontrance, ou
celui de se taire dans la réprobation intérieure.
101Ce sont pourtant les dissidents qui mirent en valeur le, précepte comme devoir individuel : kharidjites,
chiites, mutazilites, zahirites et même les sunnites hanbalites. Mais les deux derniers groupes récusent
lʼeffusion de sang. Ce devoir est à la source de toutes les rébellions, intolérances et persécutions de
lʼhistoire des schismes de lʼislam (cf. Laoust, Schismes, passim ; Morabia, p. 319). On mit en valeur le
régicide au nom de la religion et la répression au nom de la même religion. Le souci de répandre lʼislam
en dirigeant les autres rejoignait inévitablement le jihâd guerrier.
102Ainsi, le jihâd moral et spirituel se répand en curatelle du prochain et en lutte physique dans un seul et

même élan. Lʼascète dans le ribât (poste-frontière), le moine-soldat en quelque sorte, incarne le mieux le
sens du jihâd dans sa totalité (Morabia, p. 316, 330).
103453 — Le durcissement sunnite. Ibn Taymîya. On a signalé le durcissement sunnite dans notre tome I,

à la fin de la période saljouqide. Quand le monde islamique est entré en décadence politique, cela même
avant les croisades, la restauration du sunnisme avec les Saljouqides se fit en même temps quʼun
durcissement des doctrines. Les croisades, puis les invasions mongoles, où les chrétiens et les chiites
prirent souvent une part active dans la victoire des envahisseurs, perpétua cette hostilité envers les
étrangers et les minorités religieuses vivant au sein de lʼIslam.
104Si Ibn Taymîya se montra original en bien des points dans sa doctrine théologique et juridique, il

manifesta dès son jeune âge une hostilité évidente aux minoritaires (cf. t. I, n° 157). Laoust a décrit la
conception “totalitaire de la communauté” dʼIbn Taymîya (Laoust, Essai, p. 265-277). Lʼauteur hanbalite
prône surtout une mise à lʼécart systématique des minoritaires dans le but dʼempêcher la naissance et le
maintien dʼamitiés solides. Il reprend toutes les dispositions du pacte de ‘Umar sans atténuation et en
proposant les interprétations les plus strictes : exclusion de la fonction publique, interdiction de
construire de nouvelles églises, humiliations diverses... Même quand le Coran admet le mariage dʼun
musulman avec une chrétienne, il le déconseille. De même les contrats de commerce, pourtant autorisés
par le droit sont aussi déconseillés. La séparation doit être générale et on empêchera même les enfants de
jouer ensemble... Pour Laoust le but est clairement de parvenir à éliminer toute minorité, et Ibn Taymîya
conseille très clairement le bannissement des minoritaires dès quʼon nʼaura plus besoin dʼeux. Cʼest bien
la conception antique de la tolérance provisoire et poussée à ses extrémités (Bleuchot, Minorités).
105Pourtant sa conception de la guerre est plus nuancée. Il est vrai quʼil a écrit que toute lutte contre un
mécréant devient automatiquement jihâd, (exactement le combattant est un mujâhid fi sabîli Llâh, Siyâsa,
p. 74 ; Laoust, Traité, p. 82), ce qui élimine lʼintention et remet lʼœuvre pie à la discrétion de lʼennemi :
cʼest sa religion qui définit ou non lʼexistence dʼun jihâd, pas lʼintention du musulman. Il faut comprendre
cette citation dans son contexte, celui du brigandage : celui qui combat les brigands non musulmans,
devient mujâhid, de la même manière que sʼil combattait des brigands musulmans. Pour Ibn Taymîya, la
lutte contre le brigandage est un jihâd.
106En revanche il rejette lʼopinion de certains fuqahâʼ pour qui la mécréance est un motif suffisant de mise

à mort (Siyâsa, p. 106-107 ; Laoust, Traité, p. 128-129). Il écrit : “Nous devons combattre uniquement
ceux qui nous combattent, car nous voulons faire triompher la religion de Dieu. Dieu a dit “Combattez
pour la cause de Dieu contre ceux qui vous font la guerre. Ne commettez point dʼinjustice en les attaquant
les premiers, car Dieu nʼaime point les agresseurs” (2, 186). (...) “Dieu ne permet en effet de mettre à
mort certaines créatures quʼen vue du bien public (salaẖ al-ẖalq). Il a dit : “La discorde est plus
redoutable que la mort” (2, 214). Autrement dit : tuer est source de mal (charr) et de désordre (fasâd)...”
107Ibn Taymîya ne souligne pas toujours lʼaspect défensif du jihâd. Il admet le jihâd offensif, et même des

opérations aux fins de “jeter lʼépouvante dans les rangs de lʼennemi” (irhâb, terrorisme). Mais il ne faut
pas pousser trop loin la formule qui est traditionnelle et vise les stratégies dʼintimidation des armées
avant la bataille. Lʼexemple du Prophète cité en justification, lʼexpédition de Tabûk, nʼa rien non plus
dʼune opération terroriste : il sʼagit de lʼoccupation sans combat dʼune oasis (cf. Siyâsa, p. 111 ; Laoust,
Traité, p. 133, 134). Les réformistes et modernistes mettront plus encore lʼaccent sur le côté défensif du
jihâd.
§ 2 - Évolution de la pratique

108454 — La pratique jusquʼau xvie siècle. La théorie juridique du jihâd ne fut jamais strictement

appliquée. La pratique réelle des relations entre nations chrétiennes et nations musulmanes fut très
complexe. Nombre de traités de paix, traités de commerce, et dʼalliance ont été signés et honorés. On
trouve très souvent des situations paradoxales, en particulier des alliances chevauchant les divisions
religieuses : des musulmans contre des musulmans, chaque camp ayant ses alliés chrétiens (en Espagne,
pendant les croisades ou les invasions mongoles, etc.). En Occident comme en Orient le droit est loin
dʼêtre le reflet de la vie des hommes, et ceux-ci sont souvent plus intelligents que les règles quʼils se
donnent. Aussi, une bonne compréhension du jihâd doit effectuer une plongée dans lʼhistoire et dans la
sociologie de la guerre. Renvoyons simplement aux ouvrages de Charnay, LʼIslam ; Morabia ; Peters,
Islam, etc.
109En revanche, le statut des dhimmîyûn fut appliqué assez largement (voir Bat Yeʼor, Lewis, Watt). Mais

en Espagne, en Sicile, en Syrie et Palestine, les musulmans se trouvèrent placés sous des pouvoirs non
islamiques, dans la position des dhimmîyûn. On peut retrouver des fatâwâ de cette époque qui enjoignent
aux musulmans de vivre en bonne intelligence avec les autorités chrétiennes (voir Mercier, p. 60-62). Les
travaux juridiques sur cette question manquent.
110Pour M. Khadduri un tournant important dans lʼhistoire du jihâd doit être remarqué. Il sʼagit de la
signature, entre François Ier et Soliman le Magnifique, du traité connu sous le nom des Capitulations (litt.
les chapitres, 1547). Pour la première fois le représentant de lʼIslam signait un traité dʼégal à égal,
approuvait une paix à durée indéterminée (la vie des souverains), donnait des droits à son partenaire sur
la base de la réciprocité, et envisageait même de conclure des traités similaires avec dʼautres puissances
(ce quʼil fit) (Translatorʼs, p. 62-65).
111455 — La colonisation. La colonisation est aussi un autre grand tournant. Les musulmans se trouvaient

de nouveau, sous des pouvoirs non islamiques, dans la position des dhimmîyûn. Ici aussi des fatâwâ
furent suscitées pour enjoindre aux musulmans de vivre en bonne intelligence avec les autorités
chrétiennes. Pour obéir au précepte de hijra signalé plus haut (n° 446), il y eut des mouvements
dʼémigration dʼAlgérie en Orient ou dʼInde vers lʼAfghanistan.
112En ce qui concerne la guerre proprement dite, Peters a analysé lʼintéressante correspondance de lʼémir

‘Abd al-Qâdir avec les ulémas dʼEgypte (p. 53-63). Le résistant algérien cherchait à contraindre les
musulmans dʼAlgérie et le sultan du Maroc à obéir à la loi islamique : devant lʼenvahisseur, le jihâd était
le devoir de tous.
113Toutes les puissances musulmanes subissaient à lʼépoque une forte pression et étaient contraintes au
jihâd défensif. On trouvera dans Peters des analyses et des références sur les différents appels au jihâd
dans ces situations : contre les Anglais en Inde, au Soudan, en Egypte, en Palestine ; contre les Français
en Algérie ; contre les Italiens en Libye ; contre ces trois puissances coloniales en 1914, du fait de
lʼentrée en guerre de lʼEmpire ottoman aux côtés de lʼAllemagne et de lʼAutriche. Ce dernier épisode
montre bien que ces situations sont toujours restées ce quʼelles étaient au moyen âge : paradoxales, eu
égard à la théorie du droit du jihâd, parce que chaque camp de guerre, presque toujours, sʼest assuré des
alliés dans lʼune ou lʼautre religion. Et le fait demeure, que ce soit pour la guerre du golfe (1991) ou celle
dʼAfghanistan (2001).
114456 — Les protégés au xixe et xxe siècle. Au cours du xixe siècle, les dispositions concernant les
dhimmîyûn furent abandonnées dans lʼEmpire ottoman. Le Khatti chérif de Gulhané (1839) (cf. tome I, n
° 190) proclama lʼégalité de tous, musulmans ou non devant la loi. En Egypte Muhammad ‘Alî et ses
successeurs répugnèrent à la discrimination entre chrétiens et musulmans, ce nʼest pas dire quʼen pratique
la discrimination disparut du jour au lendemain. Même après les réformes, dans lʼEmpire ottoman, vers
1870, la jizya était toujours prélevée sur les minoritaires ; ils étaient soumis au service militaire par
tirage au sort, mais, à lʼinverse des musulmans, ils pouvaient sʼen libérer moyennant une taxe, le bedel
(loi de 1869) ; ce bedel rapportait près dʼun septième des revenus fiscaux de lʼEmpire ottoman.
115Les colonisateurs éliminèrent évidemment cette taxe dans leurs colonies, et tout le droit du jihâd. Les

États indépendants musulmans ont suivi, et nombre dʼentre eux ont signé les conventions de lʼONU sur la
non-discrimination, dʼautant plus quʼils se trouvaient souvent, dans les mouvements anti-colonialistes ou
tiers-mondistes, aux côtés de polythéistes (hindous, africains...) ou des athées (communistes) contre des
croyants (chrétiens). Les restaurations du droit islamique essaient de minimiser et de restreindre les cas
où la discrimination religieuse doit intervenir, pour les mêmes raisons internationales. Une opinion
réformiste a prévalu à lʼépoque contemporaine. Elle fait de la jizya une compensation à lʼexemption du
service militaire dont jouissent les dhimmîyûn. On cite à lʼappui le cas dʼune tribu arabe (les Jarajima)
qui ne payaient pas la jizya et qui furent appelés au jihâd (Khadduri, War, chap. 17).
§ 3 - Visions contemporaines

116457 — Évolution de la doctrine : les réformistes. Pendant le xixe siècle et sous la colonisation la

situation idéologique devint totalement nouvelle. Le droit musulman fut lʼobjet de maintes études et le
droit du jihâd nʼy échappa pas. Les critiques tombèrent de toute part sur la doctrine du jihâd qui devenait
une arme contre lʼislam lui-même. Ces critiques provenaient dʼune conception décléricalisée,
déconfessionnalisée du monde. Depuis le xiiie siècle un processus de laïcisation avait marqué lʼOccident
et depuis le xviiie une véritable “sortie de la religion” sʼétait produite avec lʼère des Lumières (Gauchet).
Des valeurs philosophiques, la raison, la justice, la paix, la tolérance, la liberté, lʼégalité... dessinaient
une nouvelle conception du monde et les religions, toutes les religions, étaient sommées de se justifier
devant le tribunal des Lumières.
117Les réformistes le comprirent à la fin du xixe siècle et au début du siècle suivant. Leurs efforts
portèrent notamment sur la doctrine du jihâd offensif pour en faire une doctrine du jihâd défensif, en
sʼappuyant essentiellement sur les versets du Coran qui allaient dans ce sens. Lʼidée fut semble-t-il
dʼabord défendue en Inde (Peters, Islam, p. 125). En Égypte, Muhammad ‘Abduh et Rachîd Riḏâ, par
exemple, adoptèrent la théorie de la guerre défensive (Tafsîr al-Manâr, 3, 36-37, cité par Jomier p. 270-
271). On trouve dans ce tafsîr (commentaire du Coran) la condamnation de la guerre de pillage et de
conquête (Tafsîr al-Manâr, 2, 103), aussi bien que celle du fanatisme, du racisme religieux, et même
celle de la mise à mort de lʼapostat (Jomier, p. 284 sq., p. 290). Mais, selon Rachîd Riḏâ, la guerre
offensive est possible quand il sʼagit de défendre la liberté de prêcher (Tafsîr al-Manâr, 11, 279-280,
Jomier, p. 272).
118Le petit texte de Maẖmûd Chaltût, ancien recteur dʼal-Azhar, mort en 1963, texte publié par R. Peters
(Jihad) constitue un exemple très significatif de la position réformiste. Les premiers mots de Chaltût sont
pour récuser la doctrine de lʼabrogé et de lʼabrogeant et les écoles juridiques (p. 26), mettant en cause un
élément essentiel des usûl al-fiqh. Muhammad ‘Abduh avait aussi réduit au maximum la portée de la
doctrine de lʼabrogé et de lʼabrogeant (Jomier, p. 196-197). Rachîd Riḏa avait lui aussi des idées
originales en matière dʼusûl (Jomicr p. 200 sq.). La position quʼadopte M. Chaltût lui permet de mettre en
valeur les versets de tolérance et de liberté religieuse. Les versets de combat sont tous ramenés au
principe de la légitime défense, nettement affirmé en Cor. 2, 190-194 47 . Le verset 9, 29 (sur la jizya) est
interprété à lʼaide du passage 9, 7 et 9, 13, et se trouve lui aussi ramené à la légitime défense. Selon
Chaltût les descriptions des croyances des uns et des autres quʼon trouve dans cette sourate ne constituent
pas le motif de la guerre, mais servent uniquement à identifier les adversaires. Il interprète aussi “wa hum
sâghirûn” (“et ils seront humiliés”, 9, 29) comme une simple constatation et non comme une obligation
dʼorgueil imposée aux musulmans. Le verset coranique 9, 123, qui parle de dureté, est interprété comme
un conseil tactique : il faut lutter énergiquement contre les ennemis les plus menaçants (les plus proches).
Ainsi M. Chaltût peut soutenir quʼil nʼy a rien dans le Coran qui indique que le but de la guerre est la
conversion ; quʼil nʼy a donc que trois raisons de combattre : arrêter lʼagression, protéger la mission et
défendre la liberté religieuse (p. 50-51).
119Ces deux derniers points font admettre une sorte de jihâd offensif : il serait permis alors dʼattaquer les
États qui empêchent lʼislam de progresser par les moyens normaux de la prédication et de la discussion.
Ou bien ceux qui persécutent les musulmans. M. Chaltût réinterprète ainsi toute la vie du Prophète et
conclut que “le Messager nʼa combattu que ceux qui lʼavaient combattu”. De même, les premiers califes
furent contraints à la guerre étant donné le refus des Byzantins et des Perses dʼadmettre la prédication
islamique (p. 75-79). Du point de vue de la sociologie religieuse, la position de Chaltût serait celle de la
juste guerre. On a vu que Ridâ avait la même.
120458 — Discussion. Somme toute lʼONU permet les interventions au nom des droits de lʼhomme, et on
est en passe de consacrer “le droit dʼingérence” pour cause humanitaire. Mais le droit dʼingérence est un
droit à double tranchant. Si on se lʼaccorde, il faut aussi lʼaccorder aux autres. Et donc il faut commencer
par admettre la liberté religieuse chez soi et la prédication des autres religions qui va avec. Le vrai débat
nʼest donc pas celui du jihâd offensif contre le jihâd défensif, mais bien celui de la réciprocité.
121Faut-il croire, comme le dit M. Chaltût, que le droit du jihâd ne vise pas la conversion ? Une remarque

quʼil fait p. 31 va nous aider à voir plus clair. Il écrit, après avoir cité le verset 49,10 du Coran
“Établissez donc la paix entre vos frères”, que le Coran a précédé de treize siècles les SDN et ONU.
Affirmation surprenante dʼabord parce quʼil sʼagit dʼune discussion sur le jihâd interne. Mais cette
affirmation est à relier avec les milliers dʼautres que lʼon trouve chez les réformistes où lʼon déclare que
lʼislam a inventé la démocratie, les droits de lʼhomme, le principe de légalité en droit pénal, etc. Certes
on pourrait interpréter ces remarques apologétiques comme autant de ruses pour faire admettre aux
traditionalistes les idées occidentales. Mais parce que, sur le plan historique, elles sont souvent très
discutables 48 , lʼintérêt des rapprochements quʼelles opèrent, qui pourraient servir à montrer la
compatibilité entre lʼislam et les idées modernes, sʼen trouve amoindri.
122Si lʼon replace ce type dʼaffirmation dans lʼévolution du droit du jihâd, elles ne peuvent quʼavoir une

fonction : restaurer lʼimage du droit du jihâd, bien mise à mal par le jugement sévère de la philosophie
des Lumières qui reste dominante. Et on peut dire que le but du jihâd, faire des conversions en portant au
plus haut la Parole de Dieu, est maintenu, dans la mesure où lʼislam, ayant précédé les Lumières, se
retrouve de nouveau au plus haut dans la bataille idéologique. Le jihâd militaire a disparu au profit dʼune
apologétique. Lʼantériorité affirmée de la loi islamique lui redonne le lustre que lui avaient fait perdre les
Lumières. Le jihâd militaire disparaît au profit dʼune apologétique fondée sur lʼhistoire des idées en droit
international (cf. n° suivant).
123Les modernistes ont adopté le point de vue réformiste, celui du jihâd défensif (Charfi, p. 167). Ils ont

particulièrement insisté sur le sens large du mot jihâd. A vrai dire on lʼemploie maintenant pour qualifier
tout effort national. En donnant la coloration religieuse du jihâd à certaines opérations, on entend
accroître leur efficacité. Le président tunisien Habib Bourguiba a ainsi parlé de jihâd à propos de la lutte
contre le sous-développement et a même autorisé les Tunisiens à manger le jour pendant le mois de
Ramadan, comme cela est permis pour les combattants. On a entendu aussi parler de jihâd à propos de
lʼéducation, de la culture, etc. Le sens du mot se dissout. Lʼemploi qui est fait à propos de la daʼwa
(appel à lʼislam, prosélytisme) est le plus légitime, car il reste bien centré sur lʼessentiel de ce quʼest le
jihâd : répandre lʼislam (voir Sanhûrî, Califat, p. 148-149).
124A ma connaissance aucune doctrine se réclamant de lʼislam nʼa soutenu le point de vue de la non-

violence.
125459 — Jihâd et droit international. Dans certains traités de droit contemporain, de tendance
réformiste, la théorie du jihâd est présentée comme ayant fondé le droit international. On a même dit que
ach-Chaybânî était le “Grotius des musulmans”. Il est tout à fait vrai que les musulmans ont les premiers
organisé la matière des relations internationales en un ensemble cohérent. Mais cʼest un ensemble de
règles que sʼimpose lʼÉtat musulman, et qui sont faites selon son point de vue. Cʼest un droit inégal,
comme le droit romain, le droit chrétien du moyen âge ou le droit soviétique. Magid Khadduri a bien
souligné la différence (Translatorʼs, p. 1-7) : le droit musulman ne résulte pas dʼune concertation
internationale, dʼun “concert” de nations égales, souveraines, qui sʼentendent pour fonder un droit qui
dépasse leurs clivages religieux (en Europe le clivage entre catholiques et protestants). Le droit
international est fondé sur lʼégalité des nations et sur le principe de réciprocité, alors que le droit
musulman ne reconnaît pas les autres nations et nʼadmet la réciprocité que marginalement, et dans la
même mesure que les plus anciens droits (égyptien, babylonien, grec, romain). Les relations
internationales entre États musulmans nʼont jamais été organisées sur le modèle des relations entre États
chrétiens, car en principe il ne peut y avoir quʼun calife, quʼune religion, et pas de guerre entre
musulmans. On le voit bien quand les Ottomans luttaient contre les Perses : à chaque victoire de lʼun ou
lʼautre succédaient des persécutions, qui contre les chiites, qui contre les sunnites (voir tome I, n° 164).
Le droit musulman nʼadmet pas dʼautorité supérieure à celle du calife, alors que les nations se soumettent
à lʼautorité collective des nations membres. Le droit international moderne a toujours admis sa faillibilité
et la nécessité de son perfectionnement, alors que le droit musulman est réputé immuable, etc. On ne
saurait donc considérer ach-Chaybânî comme le prédécesseur de Grotius. Ach-Chaybânî nʼa pas, en droit
international, la même dimension quʼIbn Khaldûn en sociologie et en science politique.
126Certes, dans leur théorie juridique, les États chrétiens nʼadmettaient pas la Turquie comme nation au

même titre que les autres — pas dans la pratique, puisque la plupart des puissances avaient signé des
Capitulations à lʼexemple de celle de François Ier et de Soliman le Magnifique. Le droit international
européen nʼétait fait que pour les “États policés”. Le premier à vouloir inclure la Turquie dans le concert
des nations fut lʼabbé de Saint-Pierre (Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, 1715). La date
de lʼouvrage est significative : cʼest lʼépoque où la mentalité de lʼOccident sort de la religion. Mais le
droit international a, de soi, tendance à sʼélargir et à se perfectionner (Khadduri, Translatorʼs, p. 2).
Lʼopposition russe a retardé longtemps lʼadmission de lʼEmpire ottoman dans le concert des nations, cela
pour dʼévidentes raisons politiques : tant que lʼEmpire resterait exclu par principe on pourrait lui voler
des provinces au mépris du droit. En 1856, au Traité de Paris, cette position nʼétait plus tenable. En
contrepartie lʼEmpire ottoman acceptait de supprimer le statut des dhimmîyûn et de lui substituer le
principe de lʼégalité de tous les citoyens. Les puissances obtinrent alors divers droits de protection sur
les sujets chrétiens de la Porte, en sus de ceux quʼils détenaient par les Capitulations.
127On trouvera aussi dans Peters (Islam, p. 135-150) une discussion plus approfondie que la nôtre et des
références plus complètes sur ces doctrines relatives au droit du jihâd conçu comme droit international.
128460 — Points de vue islamistes. Si la doctrine moderne du jihâd défensif est très répandue et constitue

la doctrine officielle de la plupart des États musulmans, pour Morabia, clic nʼocculte absolument pas
lʼautre, toujours vivante dans la conscience islamique, et qui peut être reprise à tout moment favorable
(p. 342-343).
129On en a un exemple avec les positions des Frères musulmans et des islamistes. En général, les Frères
musulmans sont partisans du jihâd conçu de manière classique, avec diverses nuances selon les auteurs.
Le fondateur, Hasan al-Banna, avait des positions très légalistes. Mais il critiquait le point de vue
réformiste : pour lui lʼidée défensive sapait la combativité de lʼislam. Il considérait le hadîth sur le grand
et le petit jihâd comme inauthentique (al-Banna, Majmuʼa rasâʼil, p. 58, cité par Peters, Islam, p. 120).
Sʼil sʼest opposé longtemps à la formation de groupes paramilitaires, il a finalement cédé à ses
lieutenants quand il sʼest agi dʼaller combattre en Palestine.
130Le continuateur le plus important des Frères musulmans fut Sayyid Qutb. De lui se sont réclamés les
islamistes et ils ont remis en honneur le “devoir oublié”, celui du jihâd (cʼest le titre du livret de ‘Abd
as-Salam Faraj). Les premiers dʼentre eux comme Mawdûdî, cherchaient surtout à répondre, comme les
réformistes, à lʼattaque idéologique de lʼOccident, en montrant que lʼislam nʼétait pas guerrier, ni contre
la liberté religieuse, quʼil respectait les traités, quʼon pouvait vivre en paix avec lui, etc. Cela dans un
premier temps. Mais dans un second temps les doctrines islamistes remirent en honneur le jihâd sous tous
ses aspects, en particulier à travers une critique de lʼorientalisme : ce dernier ne serait que la face
idéologique de la colonisation et de lʼimpérialisme, sous un masque scientifique, et son but, en sapant la
doctrine du jihâd, serait de briser les résistances aux entreprises occidentales (cf. ‘Alî ‘Alî Mansour, az-
Zuhaylî...). La thèse se répandit très vite dans les autres courants de lʼislam, dʼautant plus vite quʼelle
était consolante et évitait des remises en cause douloureuses (Peters, Islam, p. 110​112).
131La différence fondamentale entre les réformistes et les islamistes dans la conception du jihâd doit être

rapportée à une vision plus large. Les premiers se satisfont finalement du monde dans lequel ils vivent et
ils ont adapté la doctrine du jihâd à la politique des États dont ils sont les citoyens et à la nouvelle
mentalité internationale. On le remarque bien dans certaines fatâwâ. En 1948, le muftî dʼÉgypte, avant
lʼintervention des États arabes contre Israël, déclarait “obligatoire... de se soumettre aux règles des États
de la Ligue arabe”. Cela visait de toute évidence les Frères musulmans volontaires pour combattre en
Palestine. En 1977, la déclaration du Congrès de lʼAcadémie des recherches islamiques adoptait les buts
de guerre que sʼétait fixés lʼÉgypte sous Anuar as-Sadate, avant tout la reconquête du Sinaï. Le recteur
dʼal-Azhar, en 1973, alla même jusquʼà imposer lʼobligation du jihâd à tous les Égyptiens, coptes
compris, mais pour la défense de la patrie. Cela en échange du paradis, “ce que confirment toutes les
législations divines révélées au Gens du Livre” (Peters, Islam, p. 105-106, et p. 134-135).
132Les islamistes ont une vision différente. Ils se sentent les citoyens dʼun État à venir, lʼÉtat islamique.

Ils nʼadmettent pas la situation présente, dénient souvent toute légitimité aux gouvernements arabes et
musulmans, refusent les subtilités juridiques des madhâhib (rites juridiques), lʼinfluence lénifiante de
lʼopinion internationale. Du point de vue juridique, leurs positions sont difficiles à cerner, car, rejetant
les bases du droit islamique classique, ils utilisent la matière juridique (Coran et hadîth principalement) à
la diable, cʼest-à-dire en fin de compte suivant une idéologie préconçue. Certes, cette idéologie se veut
au service de lʼislam, mais elle nʼest plus analysable avec les cadres classiques. La cohérence de leur
pensée ne se situe pas au niveau juridique, mais au niveau politique. Cʼest pourquoi nous avons ajouté à
ce tome II une annexe où nous tentons de faire un point sur ce que lʼon sait dʼeux, leur origine, leur
histoire, leur vision du monde, et sur les débats quʼils ont suscités parmi les chercheurs.
133461 — Conclusion. Selon nous le droit musulman classique est un droit religieux visant des objectifs

religieux : le politique est asservi, autant que le social, le fiscal, le pénal, etc. à un but religieux
prioritaire. Le jihâd doit être un instrument, un moyen, comme lʼÉtat ou le mariage, pour parvenir aux fins
du droit musulman : obtenir des musulmans nombreux dʼabord, puis de bons musulmans dans un second
temps. Les réformistes, dans leur mise à jour du droit du jihâd nʼont fait quʼobéir à lʼobjectif fondamental
du droit musulman. Si, dans un contexte quelconque, la pratique aussi bien que la doctrine trahissent ces
objectifs, pratique et doctrine doivent être abandonnées. La mise en veilleuse du jihâd offensif répond
donc bien à une époque où la force nʼest plus exaltée, où lʼon ne croit plus que la victoire est une faveur
de Dieu, et où lʼon se penche sur le faible pour lui donner raison. Le contexte international et idéologique
pourra encore changer, et la doctrine du jihâd varier, mais il est fort probable que lʼobjectif restera
toujours le même : porter haut la Parole de Dieu.
134Toutes les religions ont une stratégie dʼexpansion. Pour toutes, le prosélytisme est un devoir, car on ne

saurait manquer de dire aux autres la vérité que lʼon croit. La première charité envers lʼhumanité est de
lui donner la vérité qui conduit au salut, au paradis. Il serait malvenu et stupide de reprocher à lʼislam
dʼavoir une stratégie de prosélytisme. Tout ce quʼon peut souhaiter, dʼun point de vue extérieur, cʼest
quʼune plus grande place soit accordée à lʼidée de réciprocité, pour aider au respect des minorités sur les
deux rives, pour promouvoir le dialogue et pour renforcer la paix entre les peuples et les religions. La
multitude de colloques et de rencontres qui se tiennent sur ces thèmes, dans les villes occidentales certes,
mais aussi à Rabat, à Tunis, à Beyrouth, à Jérusalem même, et cela depuis près dʼun demi-siècle, et en
nombre grandissant chaque année, montre que les esprits se rapprochent chaque année un peu plus de ces
idéaux, en dépit des drames de lʼactualité.

Notes
38 La théorie du jihâd défensif ne fut pas ignorée à lʼépoque classique. On cite par exemple Sufyân ath-Thawrî (mort en 778), at-Tahâwî
(hanéfite, mort en 933) quoique pour eux la guerre offensive reste recommandable. Mais cette théorie ne triompha pas. Au contraire, la
conception classique fait de la guerre offensive lʼétat normal des relations avec les incroyants.
39 Le prophète Muhammad, au retour dʼune expédition, déposa les armes, et, sʼadressant à ses Compagnons, leur dit : “Nous voici de retour
du jihâd mineur (al-asghar). Il nous reste à livrer le jihâd majeur (al-akbar), celui des âmes”. Cité par Morabia, p. 257. Jihâd a bien dans ce
hadîth un sens général, élargissant celui de guerre sainte sans le nier.
40 Ne voulant pas sans cesse indisposer le lecteur en lui imposant la traduction quʼon croit juste, on a utilisé systématiquement le mot arabe.
41 Le Prophète “incitait au jihâd et mentionnait le paradis, et un Ansâr était en train de manger les dattes quʼil tenait dans la main. Il dit : “Je
serais avide (des biens) de ce monde si je restais assis pour les finir”. Et il jeta ce quʼil avait dans la main, prit son sabre, combattit et fut tué”.
(Al-Muwatja’, 1, p. 309-310).
42 Muʼâdh bn Jabal a dit “ Il y a deux types dʼexpéditions. Celle où lʼon dépense des biens précieux, où lʼon est obligeant envers le
compagnon, où lʼon obéit à ceux qui détiennent lʼautorité et où lʼon évite la corruption : cette expédition est tout entière bonne. Et il y a
lʼexpédition où lʼon ne dépense pas des biens précieux, où lʼon nʼest pas obligeant envers le compagnon, où lʼon nʼobéit pas à ceux qui
détiennent lʼautorité et où lʼon nʼévite pas la corruption : celui qui participe à cette expédition nʼobtient pas sa suffisance.” (l, p. 310)
43 Une vision des conquêtes se trouve aussi dans Al-Muwattaʼ p. 308-309.
44 Celui-ci se trouve dans presque tous les recueils classiques : “Ô Envoyé dʼAllah ! Les hommes peuvent combattre par attrait du butin, par
désir de notoriété ou dʼostentation, quel est celui qui combat réellement dans la voie de Dieu ? - Lʼhomme qui combat pour que la Parole de
Dieu soit la plus haute, celui-là combat dans la voie de Dieu” (Morabia, p. 166).
45 Ar-Rasâʼ 1, p. 220 cite un hadîth parallèle à celui de la note précédente.
46 Lʼexpression “gens du Livre” est une projection sur le christianisme de la structure de lʼislam, qui est une religion dʼun Livre, de même que
lʼexpression “religion mohammedienne” ou “mahométane” est une projection chrétienne, car le christianisme est la religion dʼun homme-Dieu
Jésus-Christ.
47 Et il nʼadmet pas que dans le même passage les versets puissent sʼabroger dʼune ligne à lʼautre. On dit en effet dans la doctrine classique
que le verset 2, 1 9 1 abroge 2, 190.
48 En droit international par exemple, on a soutenu quʼune influence de lʼislam sur lʼOccident sʼest exercée au moyen âge (Boisard). Le fait
semble nettement prouvé à propos du recueil dit Las Siete Partidas dʼAlphonse X (et non IX comme lʼécrit Boisard) : on a manifestement
puisé dans le droit musulman. Pour le reste la démonstration est plus floue. Il est probable que ce qui passe dʼune rive à lʼautre est surtout ce
qui est conforme au droit naturel : interdiction de tuer les femmes, respect des ambassades, etc. Sur ces questions voir Khadduri, The islamic
law of nations, Introduction.
Tome II. Fondements, culte, droit public et mixte
Le droit mixte
Introduction

1Sous l’appellation commode de droit mixte, nous regroupons deux chapitres, le premier traitant de

l’organisation judiciaire et de la procédure, le second du droit pénal. Il est en effet difficile de considérer
ces matières comme relevant pleinement du droit public ou du droit privé. Leur vocation est de toute
façon de se présenter à la suite du droit public et avant le droit privé.
Chapitre IX. Organisation judiciaire et procédure

1Nous étudierons le cadi et lʼorganisation judiciaire dans la section 1 et la procédure dans la section 2.

La section 3 donnera quelques éclairages historiques sur la procédure et son application et évoquera
quelques débats actuels.
SECTION 1 - LʼORGANISATION JUDICIAIRE
2462 — Introduction. La justice ordinaire est assurée par le cadi (al-qâḏî). Cʼest un juge à compétence

universelle qui juge sans appel en premier et dernier ressort selon les manuels de fiqh. Autour de lui
gravitent un certain nombre dʼauxiliaires, notaires, aides, portiers. A côté de lui, on trouve le muftî
(jurisconsulte), qui est souvent un futur cadi. Mais les historiens ont toujours indiqué lʼexistence dʼautres
juridictions, variables suivant les époques et les régions, qui ont restreint la compétence du cadi : celles
de la police (churtâ), de la justice militaire (qâḏî l-askar), de la police des marchés et des mœurs (hisba),
du redressement des abus (maẖâkim al-maẕâlim), des tribunaux coutumiers, des tribunaux des
gouverneurs, pacha, qâʼid...
3Il est probablement exagéré de dire que le cadi serait “comme un pontife” et que la justice musulmane

serait une justice religieuse (Milliot, p. 685). Mais il est vrai que la compétence du cadi en matière de
statut personnel (la partie de la loi la plus détaillée dans le Coran) nʼayant été que rarement contestée, le
côté religieux de sa compétence lui donnait toujours plus de prestige quʼaux autres magistrats. Il sʼen est
ensuivi une sorte de division permanente entre une justice ressentie comme religieuse, celle du cadi, et
une justice ressentie comme laïque, cela dit avec les réserves que lʼon va voir. Nous étudierons donc la
justice du cadi suivant le droit classique (§ 1), puis son entourage (§ 2), enfin les autres juridictions (§ 3).
§ 1 - Le cadi

4463 — Une obligation collective. Juger, selon une définition malékite et chaféite, cʼest dire le statut

(ẖukm) posé par la loi islamique (char‘) dans un cas dʼespèce pour trancher un procès (khusûma). La
légalité du jugement est assurée par le Coran (4, 105 ; 5, 50...), lʼexemple du Prophète, divers textes de la
Sunna et lʼunanimité des Compagnons. Tout naturellement le jugement, ou la sentence, est désigné par le
même mot, ẖukm.
5La charge de juger est un fard kifâya, une obligation collective, et le calife doit veiller à ce quʼelle soit

assurée par lui ou par ses délégués. Un musulman ne peut refuser cette charge sʼil nʼexiste pas de
personne plus compétente que lui. Sʼil en existe, il est préférable pour lui de sʼabstenir. Toute nomination
obtenue par corruption est invalide.
6Lʼacte de juger est une œuvre pieuse puisquʼelle continue celle du Prophète. Elle sʼexerce dans la
mosquée, du moins à ses débuts. Elle ne doit pas en principe donner lieu à rémunération. Cʼest pourquoi
cette rémunération ne doit pas être stipulée, mais il est admis que le juge soit payé par lʼÉtat. Les
justiciables ne le payent pas et les frais de justice sont quasi inexistants.
7Le juge musulman nʼest pas indépendant : en effet, la justice émane du calife, cʼest une justice retenue.

Le calife lui-même nʼa pas de pouvoir législatif, comme on lʼa vu en étudiant le califat. Le juge nʼest que
son représentant (naʼib), direct ou indirect. Il peut à son tour nommer des représentants.
8464 — Les conditions pour être juge. Les traités détaillent les conditions que doit remplir le juge avant
sa nomination. Il doit être musulman, pubère, sain dʼesprit, libre (cʼest-à-dire non-esclave), de sexe
masculin. Il doit jouir de la vue, de lʼouïe et de la parole. Il doit savoir lire et écrire en arabe et avoir
lʼesprit vif. Il doit connaître le Coran et ses commentaires, la Sunna, les opinions des docteurs
concordantes et discordantes, les usûl al-fiqh. Mais surtout une condition morale est fixée, celle de la
‘adâla, de la droiture qui implique au minimum, à lʼunanimité, de nʼêtre pas flétri par une condamnation
pour fausse imputation de fornication (qadhf).
9Les principales divergences sont celles-ci. Relativement à la capacité technique, les chaféites pensent
que le cadi doit être capable dʼijtihâd. De même certains hanéfites comme al-Qudûri. Les hanéfites en
général soutiennent que le juge peut être illettré puisque le Prophète lʼétait. Les malékites estiment que la
fonction doit être interdite à lʼignorant, quʼun mujtahid est préférable, mais quʼun muqallid peut faire
lʼaffaire faute de mieux et quʼil doit alors consulter les plus savants que lui.
10Pour la majorité des juristes, la ‘adâla implique que le juge soit pieux, cʼest-à-dire quʼil pratique le
culte et ses recommandations, quʼil évite les grandes fautes (kabâʼir) et aussi les actes blâmables. Les
hanéfites disent que le fâsiq (corrompu) peut être juge en cas de nécessité. Les malékites recommandent
que le juge évite habituellement les petites fautes et la fréquentation des gens louches, quʼil soit riche
(pour éviter la corruption), quʼil nʼait pas lʼesprit de complication (Khalîl)...
11Tous les rites principaux écartent la femme de la fonction, par analogie avec le calife, sauf les hanéfites

qui admettent quʼune femme puisse être juge en matière de biens, puisque le rite admet son témoignage
dans ce cas. Dans le rite éteint dʼat-Tabarî il était admis quʼune femme pouvait être juge en toute matière.
12465— Lʼexercice pratique de lʼactivité du juge. Le lieu dʼexercice de lʼactivité judiciaire doit être

ouvert au public, convenable suivant le climat, de préférence situé au centre de la ville. Il ne doit pas y
avoir de bawwâb (huissier) qui empêcherait les gens dʼassister à lʼaudience. Selon les chaféites, il faut
exclure la mosquée, parce quʼau tribunal on amène toutes sortes de gens, mécréants, corrompus, impurs,
quʼon y élève la voix, quʼon y rapporte des paroles impies... Les autres rites admettent que la mosquée
soit le siège du tribunal, à lʼexemple du Prophète et des Compagnons.
13Dans son comportement, le juge ne doit pas favoriser une des parties, quant à la place quʼil donne aux
uns ou aux autres, aux paroles quʼil leur adresse, aux regards quʼil leur lance.
14Le cadi ne doit pas juger en certaines circonstances : sʼil est malade, ou en colère, ou trop triste ou trop

joyeux, ou pressé par des besoins naturels, ou “en état de libidinosité accentué” (Abû Chuja‘) ; ou sʼil a
très faim, ou très soif, ou très sommeil, ou très chaud, ou très froid...
15Le juge doit rester honorable, il ne doit pas accepter de cadeaux, ni les invitations trop intéressées ou

soupçonnables, etc.
16466— Nomination et révocation du juge. Le cadi doit être nommé par lʼautorité supérieure, il nʼy a
pas de divergences à ce sujet. Cette autorité supérieure peut être le gouverneur nommé par le calife,
comme à lʼépoque umayyade, ou, à partir de lʼépoque abbasside, un autre cadi, le grand cadi (qâdî l-
qudâ, juge des juges ou chaykh al-islâm, le chef de lʼislam, ou encore en Occident musulman qâdî al-
jamâʼa, juge de lʼassemblée des juges), le calife sʼétant borné à nommer ce dernier.
17Le consentement du cadi nʼest pas nécessaire. Sa nomination est comme un ordre et, au besoin, il peut

être mis à lʼamende, emprisonné et battu jusquʼà ce quʼil obéisse.


18Le rite dʼappartenance du grand cadi a joué un rôle décisif dans lʼhistoire des rites : il ne nomme en

général que des cadis ayant le même rite que lui. La division politique de lʼIslam a amené lʼexistence de
plusieurs grands cadis : cadi de la communauté en Espagne musulmane, grand cadi fatimide, grand cadi à
Tunis, Fès, etc. A lʼépoque ottomane et de nos jours le grand cadi a cédé la prééminence au ministre
(wâzir) de la justice.
19Le cadi est révocable à tout moment, sans formalité, par lʼautorité qui lʼa nommé. Parfois même on

considérait que ses jugements étaient en même temps annulés. Cette révocation se fait notamment quand
les conditions pour être juge ne sont plus remplies, mais les motifs politiques jouent souvent. Il nʼy a pas
en fait de séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire et le cadi fut souvent lʼobjet de
pressions non seulement de la part du calife, mais aussi des gouverneurs. Si lʼimam (le calife) meurt ou
est destitué, le juge nʼest pas destitué, car son mandat vient de la communauté musulmane par
lʼintermédiaire de lʼimam. Si le cadi meurt, ses délégués ne sont pas non plus destitués, car ils sont les
délégués de lʼimâm (Az-Zuhaylî, t. 6, 507).
20467 — Compétences judiciaires du juge. Le cadi a dʼabord des compétences judiciaires : rendre la
justice entre les particuliers, faire exécuter ses jugements, appliquer les hudûd (cf. chapitre pénal),
contrôler lʼactivité de ses délégués (témoins-notaires par exemple) ou des muftis. Plus largement il doit
protéger le faible, il est “le tuteur de ceux qui nʼont pas de tuteur” : il sert de wâlî à la femme sans famille
ou il peut autoriser lʼépouse à faire des emprunts en lʼabsence de son mari.
21Souvent, à sa nomination, le cadi reçoit une sorte de brevet qui délimite sa compétence (wilâya)

territoriale et sa compétence matérielle. Il arrive que les affaires pénales lui soient explicitement retirées.
Le cadi reçoit en même temps que son brevet des signes distinctifs (une robe dʼhonneur, un turban, etc.)
variables suivants les pays et les époques. Il est investi solennellement et conserve toujours du fait de sa
position une influence religieuse considérable.
22Selon le fiqh, le cadi, juge unique, est à la fois le procureur, le juge dʼinstruction, le juge de jugement et
le juge dʼapplication des peines. Si plusieurs juges sont nommés, cʼest quʼils nʼont pas la même
juridiction territoriale, ni la même compétence quant aux matières à juger, ou bien quʼils jugent
alternativement.
23La collégialité est inconnue du droit classique (sauf dans les tribunaux mazâlim, que lʼon verra plus

loin), de même lʼidée démocratique du jury. Toutefois le cadi peut sʼentourer dʼun conseil consultatif
(chûrâ ou machûra), qui peut être constitué de ses notaires ou de fuqahâʼ divers. Il peut aussi consulter un
muftî sur les questions de droit. Mais il prend toujours sa décision seul. Parfois lʼautorité politique
lʼoblige à avoir ce conseil, comme ce fut le cas à lʼépoque fatimide ou en Espagne.
24468— La délégation de compétence. Le cadi nommé peut à son tour nommer des délégués pour le
représenter dans la totalité de ses charges ou partiellement. On verra au paragraphe suivant, que cette
possibilité a permis la nomination de tout un personnel spécialisé autour du cadi, par délégation partielle
de compétence. Quand le cadi délègue la totalité de ses charges à un représentant (nâʼib), il se dédouble
en quelque sorte, ce qui permet dʼassurer la justice dans les parties éloignées de sa juridiction. Mais ce
type de délégation, que ce soit du fait du grand cadi ou des cadis de province, nʼentraîne pas la
constitution de différents degrés de juridiction : chaque délégué a la plénitude de la fonction et il nʼy a
pas dʼappel dʼun délégué à son supérieur, du moins en principe. Souvent, en pratique, le système de
délégation a permis lʼabsentéisme et les abus qui sʼensuivent.
25Les cadis nʼont jamais pu former une justice de robe inamovible, mais à partir du milieu du moyen âge
(5e/χie siècle) le concept de délégation se modifia, et les juges se considéraient bien plus comme les
mandataires de la communauté que comme ceux des sultans ou de tel ou tel grand cadi. Le fait est
remarquable pour les naʼib (cadis nommés par un autre cadi) qui ne se considéraient plus destitués à la
mort du cadi qui les avait nommés (Tyan, Judicial, 239-240). Dʼailleurs il était admis quʼun juge puisse
juger le calife qui lʼavait nommé, ce qui indique bien que lʼun et lʼautre se considéraient nommés par la
communauté. Le fait que, en théorie du moins, il nʼexiste pas de catégories de justiciables, tous les
musulmans étant soumis au même juge, a grandement facilité ce glissement (voir § 3).
26469— Autres compétences du juge. Outres ses compétences judiciaires, le cadi a aussi des fonctions
administratives. La conception large de la compétence judiciaire du juge, défenseur du faible, explique
cette extension. Ainsi le juge doit exercer, ou du moins surveiller, la gestion des awqâf (sg. waqf, ou
hubûs, bien de mainmorte), celle des biens des divers incapables et interdits (orphelins, malades
mentaux, faillis, absents...). Il procède à lʼexécution des testaments et successions, et contrôle même la
conservation des objets trouvés. Les notaires (‘udûl) lʼaident dans ces tâches et tiennent les registres des
jugements, des awqâf, des biens des orphelins, etc.
27Plus largement encore, le cadi a des fonctions dʼordre public. En cas de nécessité il peut obliger les
spéculateurs à vendre. En lʼabsence du muẖtasib (voir § 3), il contrôle la voie publique et lʼurbanisme.
Dans certaines périodes, au moment où les pouvoirs politiques étaient inconsistants, il est arrivé que les
cadis prennent en charge lʼadministration publique et même le jihâd (en Syrie, à lʼépoque des croisades
par exemple). Vis-à-vis du pouvoir politique, ils sont en quelque sorte le dépositaire de la légitimité, et
tout nouveau calife ou prince sʼempresse de convoquer les cadis (et les ulémas) pour leur demander leur
bay‘a.
28Le cadi a encore des fonctions religieuses. Outre la gestion des awqâf, qui sont considérés comme biens

de la religion, il surveille lʼadministration des mosquées. Dans la mosquée il lui est permis dʼinfliger des
peines à ceux qui troubleraient le culte, mais il ne peut appliquer les ẖudûd dans lʼenceinte. Il peut
présider la prière du vendredi, prêcher, conduire diverses prières (enterrements, prière pour la pluie,
etc.). Cʼest lui qui annonce la nouvelle lune et le début du moins de Ramadan. Cʼest devant lui quʼun
nouveau converti à lʼislam vient prononcer la chahâda qui lʼadmet dans sa nouvelle communauté.
§ 2 - Lʼentourage du cadi

29Le cadi peut nommer des substituts, des greffiers, des notaires, des portiers. On a vu comment les

auxiliaires de justice ont été mis en place au fur et à mesure des besoins (tome I, passim). Les traités ne
parlent pas de cette évolution. La machinerie de la justice créa ainsi autour dʼelle une sorte de rempart de
compétences limitant lʼintervention des califes et gouverneurs. Le muftî est un personnage à part, mais
proche du cadi en fait, car il a vocation à être cadi lui-même.
30470 — Les auxiliaires de justice. Les ‘udûl sont les témoins justes (chuhadâʼ ‘udûl). On a vu leur

origine sous Harûn ar-Rachîd : les cadis finirent par donner les listes de ceux quʼils considèreraient
dorénavant comme justes. Les plaideurs durent donc passer par eux pour enregistrer leurs actes ou
présenter leurs preuves. Chaque jugement était enregistré en leur présence. Ils devinrent en pratique de
véritables notaires, attestant de la véracité des actes quʼils avaient souvent eux-mêmes écrits. Les
témoins-notaires furent en fait les indispensables auxiliaires de la justice en assurant le greffe, les tâches
administratives diverses dont le juge avait la responsabilité. Suivant leur fonction, ils ont porté des noms
divers, secrétaires (amîn), greffier (kâtib), partageur successoral (qâsim), vérificateur de la probité des
témoins (muzakkî), archivistes (khâzin), etc. Bien sûr ils participèrent aux intrigues pour la nomination
des cadis, chacun ayant intérêt à tel juge plutôt quʼà tel autre. Eux aussi se recrutent parmi les ulémas.
31Les bawwâb sont les portiers-huissiers, qui placent les plaideurs, introduisent les témoins, maintiennent

lʼordre. On les a appelés aussi hâjib (chambellans).


32Les a‘wân (sg. ‘awn, aide, assistant) sont les huissiers de justice qui procèdent aux notifications et

significations, et peuvent contraindre les plaideurs à comparaître.


33Les wukalâʼ (sg. wakîl, représentant, mandataire), ne font pas partie du système de la justice (voir

chapitre sur les contrats, tome III). Ce ne sont que des mandataires privés, désignés par les parties, si
elles le souhaitent. Ils ont pu jouer le rôle dʼavocats, mais leur intervention nʼest pas prévue ni nécessaire
dans le procès. Pour certains fuqahâʼ hanéfites et malékites, le wakîl doit être agréé par la partie adverse,
mais cette doctrine nʼa pas prévalu. Le juge peut refuser la représentation, sʼil pense que la vérité
éclatera plus facilement, le plaideur étant seul. Il peut aussi lʼexiger, sʼil pense que le plaideur se défend
mal, ou au contraire trop bien : ainsi les femmes trop belles seront écartées du prétoire. Le juge, ainsi que
le muẖtasib (voir § 3), ont sur les wukalâʼ de véritables pouvoirs disciplinaires.
34471 — Le muftî. Cʼest un savant, capable de répondre à des questions de droit et de religion, un

jurisconsulte. La fonction était libre au début. Elle a joué un grand rôle dans la formation du droit
musulman et dans son évolution : les grands juristes préféraient être muftî plutôt que juges. Par la suite, il
y eut des muftis fonctionnaires (les premières nominations sont rapportées à ‘Umar II Ibn ‘Abd al-‘Azîz),
mais les muftis libres ont toujours existé parallèlement et existent toujours.
35Les conditions de nomination à un poste officiel sont semblables à celles du juge. Il nʼy a pas de

conditions pour être un muftî libre, encore faut-il que sa science le fasse admettre par lʼopinion publique
et surtout par le cadi, qui a un pouvoir de contrôle sur lui : le juge agit alors au nom du calife,
responsable de lʼorthodoxie. Le mufti provient du corps des ulémas, cʼest-à-dire du même moule éducatif
et social que les juges. Généralement le muftî finit sa carrière comme juge. En tant que muftî, il donne
parfois des audiences dans les mosquées, mais généralement on lui adresse des questions. Ses avis, quʼil
soit libre ou fonctionnaire, nʼont quʼune valeur consultative.
36Le muftî délivre des fatâwâ (sg. fatwâ). Son activité est désignée par le terme iftâʼ (consultation
juridique). Les fatâwâ sont dites encore ajwiba (réponses) ou nawâzil (cas dʼespèce réellement advenus,
sg. nâzila). Les recueils de fatâwâ ou de nawâzil constituent une importante source pour la connaissance
de lʼhistoire du droit et plus généralement des mentalités de chaque époque. Les questions les plus
fréquentes portent sur le culte et le statut personnel.
37472— Les ulémas. Ce sont les savants (‘âlim, pl. ‘ulamâʼ). Cʼest un corps social, aux limites floues,

qui sʼest reproduit depuis les origines par lʼenseignement et lʼétude du Coran et de la tradition du
Prophète. Ainsi les Compagnons, les Suivants, tous ces traditionnistes, juristes et muftis dont nous avons
retracé lʼhistoire dans le tome I, sont des ulémas, des savants. Un terme équivalent est celui de faqîh, pl.
fuqahâʼ, le savant en religion, mais il désigna plus spécialement les juristes à partit du 3e/ixe s. Les
ulémas sʼattribuent une sorte de noblesse, puisque le plus noble dʼentre les musulmans est le plus pieux
selon le Coran. Et il est vrai que leur prestige nʼa cessé dʼêtre grand. Ils constituent le vivier principal
dans lequel on puise aussi bien les ministres que les juges, les muhtasib, les notaires, etc., cela surtout à
l'époque de la décadence où la classe intellectuelle se réduisait à ses ulémas.
38La formation des ulémas sʼest faite au début à lʼombre des mosquées et de manière assez spontanée.
Puis lʼenseignement des sciences religieuses a été organisé et systématisé par la création des madrasa
(collèges), à partir de lʼépoque ayyoubide. École coranique, madrasa, université de prestige (comme al-
Azhâr au Caire, la Zitûna de Tunis, la Qarawiyyine de Fès..., tel était le cycle de formation des ulémas.
Au xixe et xxe siècle, ce système dʼenseignement fut profondément transformé, mais le prestige de certains
centres dʼenseignement traditionnel comme al-Azhâr sʼest maintenu (Botiveau, in Bleuchot, Les
institutions).
39473 — Jugement dʼensemble. Les poètes arabes, les historiens et chroniqueurs, relevèrent fréquemment

lʼincompétence et la corruption des juges et de leurs auxiliaires. Même les juristes, et cela depuis une
époque reculée, se plaignirent toujours de lʼétat de la justice. Les juges intègres nʼen curent que plus de
mérite. Mais il faut faire la part, bien sûr, du regret du “bon vieux temps” récurrent dans toute littérature
de ce genre.
40Le système avait-il un vice fondamental qui expliquerait ces lamentations récurrentes ? Par
comparaison avec lʼévolution de la justice en Occident, il semble que le caractère religieux de la
fonction en Islam ait empêché que la corruption nʼamène ses correctifs naturels, la vénalité et lʼhérédité
des charges. Celles-ci permettent de constituer une noblesse de robe inamovible, dʼune part moins
dépendante du pouvoir, mais capable de sʼallier avec lui, et dʼautre part capable de créer un droit propre,
évolutif, qui puisse même servir les souverains contre le clergé.
41Toutes ces voies étaient fermées par la doctrine musulmane. Au contraire, en Islam, le souverain

conserva son pouvoir sur les juges quʼil nommait et destituait selon son bon plaisir. La fonction était
instable, mal payée, et les juges, pour toutes sortes de motifs, durent pratiquer un système de dépouilles :
chaque nouveau juge destituait les témoins officiels et les auxiliaires de son prédécesseur et nommait les
siens moyennant finances, etc. Comment pouvait-il par la suite résister à un personnage puissant désireux
de sʼemparer des biens dont il avait la garde ? Cʼest la raison pour laquelle les traités sʼintéressent
beaucoup aux conditions qui rendent possible le refus de la charge ou sa fuite. Les biographies de juristes
racontent souvent que tel ou tel a été battu pour refus de la charge de juge. Parmi les gens pieux, on
considérait la nomination à une fonction judiciaire comme une catastrophe, un “assassinat sans couteau”
Cette attitude avait lʼinconvénient de laisser la judicature aux moins scrupuleux.
§ 3 - Les autres juridictions

42On a dit quʼil nʼexiste pas de catégories de justiciables, tous les musulmans étant soumis au même juge.

En pratique, les justiciables ont relevé de diverses sortes de tribunaux. Ces autres juridictions sont mal
connues et les traités nʼen parlent pas ou peu. Cʼest déjà dire quʼelles ont manqué de légitimité religieuse,
ce qui explique leur variété et leur instabilité. Les sources témoignant de lʼexistence de ces institutions
sont les ouvrages historiques ou les travaux de droit public (al-Mâwardî) ou de sociologie (Ibn Khaldûn).
43474 — La hiérarchie administrative. On sait que le calife est à la tête de la hiérarchie des cadis qui

émanent de lui. Une seconde hiérarchie émane du calife, cʼest celle des gouverneurs. Ces derniers
représentent le calife dans les provinces, et ils ont une délégation de pouvoir complète quant aux
compétences (administrative, militaire, judiciaire), mais limitée quant au territoire (telle province). Il en
résulte que les gouverneurs ont des fonctions judiciaires. Les délégués des gouverneurs dans les
subdivisions administratives de la province ont aussi ces fonctions, pour la même raison. Il existe donc
une autre hiérarchie judiciaire, parallèle à celle des cadis. Variable et instable, elle est mal connue, des
recherches précises manquent. Sa compétence est surtout pénale, car les gouverneurs sont avant tout des
militaires chargés du contrôle politico-policier dʼune région. On lʼa appelé la “justice laïque” mais il
vaut mieux lʼappeler la “justice administrative” Évidement lʼopposition “justice judiciaire / justice
administrative” nʼa pas le même sens quʼen droit français.
44A cette hiérarchie administrative, il faut rattacher diverses institutions, dont trois sont importantes. Il y a

dʼabord celle du tribunal des abus (maẖkama al-maẕâlim), qui, au moins au début, était une sorte de
tribunal suprême, présidé par le calife. Par la suite ces tribunaux furent réduits à des bureaux enregistrant
les plaintes. Il y a ensuite la police, émanation de lʼarmée ou des gouverneurs. Il y a enfin le contrôleur
des marchés, le muhtasib, dont la position dans la hiérarchie a varié : cʼest en général un subalterne, mais
il est arrivé, sous les Fatimides par exemple, que le muhtasib fut parmi les premiers personnages de
lʼÉtat. Il existe aussi dʼautres personnages chargés de la justice, dans lʼarmée, dans les corporations, dans
les confréries religieuses, parmi les populations protégées, etc.
45475 — Le redressement des abus. La création du tribunal des abus (mazâlîm) remonte aux Abbassides

(aux Umayyades selon al-Mâwardî). Cʼétait un tribunal supérieur, compétent en toute matière, en premier
et en dernier ressort. Il est préside par le calife, car cʼest un tribunal collégial. Il est constitué de juristes,
mais aussi et surtout dʼhommes puissants, gouverneurs, ministres, responsables de police, etc. Son
pouvoir de décision est considérable et il peut sʼaffranchir du droit musulman : cʼest en quelque sorte un
tribunal dʼéquité.
46Dans la pratique, la justice des abus a eu surtout affaire à des procès concernant les exactions des

fonctionnaires et des soldats, et dʼune manière générale on peut dire quʼil contrôlait les services publics.
Il servit aussi de tribunal dʼappel contre tout acte (judiciaire ou administratif ou même privé) des cadis. Il
se révéla aussi utile quand le cadi était incapable de se faire obéir dʼun personnage puissant.
47Ces tribunaux furent étroitement liés à la puissance du souverain. Quand celui-ci perdait sa puissance,

ils disparaissaient. Quand au contraire un nouveau maître sʼemparait du pouvoir, il manifestait sa


légitimité en rétablissant les tribunaux des maẕâlim. Les califes, princes et gouverneurs ont toujours eu la
possibilité de juger, puisque, en droit, ils sont les premiers dépositaires de la justice et que les cadis
agissent comme leurs délégués. Aussi, il ne semble pas que ces tribunaux aient été vraiment ressentis
comme différents des tribunaux ordinaires (du cadi) par nature, même sʼil est certain que leur pouvoir de
décision ait été considérable et dépassait le strict cadre de la loi islamique.
48Cela explique peut être la facilité avec laquelle les cadis en récupérèrent les fonctions. Dans lʼécole

malékite, dans lʼOccident musulman, les cadis purent exercer une justice extraordinaire, sous le nom de
siyâsa char‘îya (voir n° 278). Les tribunaux des maẕâlim ne se développèrent pas en Occident sous cette
appellation. Leurs véritables successeurs sont les tribunaux de “justice laïque” en Tunisie (voir
Brunschvig, Études, Justice religieuse, p. 219-220, et la remarquable histoire de Largèche), et les
tribunaux de pachas et qâʼids au Maroc (voir El Yaâgoubi, p. 83 sq. et la discussion sur le wazîr ach-
chikâyât, le ministre des plaintes, p. 62). En Orient, après leur décadence, les pouvoirs de la fin de la
période classique avaient réduit ces tribunaux des abus à nʼêtre plus quʼun rouage de leur administration,
une sorte de bureau des plaintes, tandis quʼune partie de la compétence de ces tribunaux était reprise par
les cadis. A noter que les Ottomans firent aussi appel au concept de siyâsa char‘îya pour justifier leur
politique législative (Heyd, à lʼindex).
49476 — La police. Selon les historiens anciens al-Ya‘qubî et Balâdhurî, la police (chuṟtâ, parfois

maʼûna) a été créée sous les Umayyades. Selon aṯ-Ṯabarî, as-Suyûṯî, al-Maqrîzî, elle existait déjà sous
les Râchidûn (Tyan, Histoire, p. 577). Quoiquʼil en soit, cʼest un corps dʼélite provenant de lʼarmée,
dʼailleurs souvent mal distingué de lʼescorte du calife ou du gouverneur, ce qui expliquerait le flottement
sur sa date dʼapparition. Mais dès lʼépoque umayyade elle est stationnée en postes aux différents points
stratégiques des villes et de lʼEmpire. Par la suite son organisation sʼest complexifiée et les appellations
ont varié.
50La police effectue le guet (rondes de jour et de nuit) et maintient lʼordre. Elle se charge de la recherche

et de la répression des crimes. Elle peut se saisir dʼoffice ou agir sur plainte ou abandonner son action.
Elle juge, la churṯâ étant plus quʼune police, elle constitue une juridiction de jugement. En Égypte, au xixe
siècle, un partage des tâches sʼeffectuait : si lʼaffaire était simple et que la preuve de la culpabilité du
suspect était administrée, la peine était exécutée séance tenante, sans renvoi au cadi. Seules les affaires
complexes étaient renvoyées au magistrat (Lane, An Account, p. 109-118).
51La police nʼest tenue à aucune règle de procédure. Elle peut même procéder à la torture (Tyan, Judicial,

p. 277 ; Tyan, Histoire, p. 605, citant Ibn Khaldûn, 2, p. 515 ; Tyan, Institutions, p. 343-349, 599-606).
Mais, ajoute Tyan, certaines formes de procédure ont été fréquemment observées en pratique. Les textes
rapportent à la police des termes quʼon croirait réservés au cadi : le préfet ou lʼofficier de police a
souvent été appelé ẖâkim, arbitre ; ou “juge de la police” (par exemple al-Khurchî, cité par Tyan,
Histoire, p. 606). La procédure cadiale servait donc de modèle à toute justice. En Espagne la carrière de
certains officiers finissait dans la magistrature ordinaire. En Égypte le cadi cumulait les deux fonctions.
Tyan note aussi que la police jugeait parfois des affaires civiles sous les Umayyades et sous les
Fatimides (Histoire, p. 608). On voit donc quʼil nʼy avait pas de cloisons étanches entre la police et la
justice ordinaire du cadi, ni non plus dʼailleurs entre la justice administrative et les tribunaux des
maẕâlim.
52La loi appliquée par la police est la loi islamique, hudûd, qisâs et taʼzîr compris (voir chapitre pénal).
Mais en pratique, on obéit aux ordres des officiers et des califes, et toutes sortes de pénalités, anciennes
ou nouvelles, furent appliquées (Tyan, Judicial, p. 276 ; Tyan, Histoire, p. 598, 610).
53La police peut aussi intervenir pour aider le cadi à faire appliquer ses décisions ou à maintenir lʼordre

dans les tribunaux. Elle a aussi en charge les prisons.


54Le “préfet de police”, le sâẖib ach-churṯâ ou sâẖib al-madîna peut être un personnage important, un futur
ministre. Ce nʼest pas nécessairement un soldat. Il arrive aussi que ses fonctions le rapprochent du cadi
ou du préfet de la ville (sâẖib al-madîna), les charges des uns et des autres pouvant se cumuler ou se
confondre.
55477— La ẖisba. Dans le sens religieux le plus courant, la hisba est une vertu par laquelle on ordonne le

bien et on interdit le mal. Lʼexercice de cette vertu est une obligation pour tout musulman (Cor. 3, 104).
Cet apostolat consiste aussi bien à enseigner lʼislam aux mécréants quʼà intervenir contre un croyant qui
se laisse aller à des actes illicites, que ce soit par la remontrance ou la contrainte ou la mort. Ce devoir
pouvait être source de troubles de toutes sortes, de surenchère religieuse, de violences, et plus dʼun
hérétique sʼen est réclamé. Les fuqahâʼ le rangèrent assez vite parmi les obligations communautaires (farḏ
kifâya) comme al-Mâwardî (Fagnan, p. 513-553) ou al-Ghazzâlî (Iẖyâʼ, t. 2, 306). Les souverains
abbassides (avant 800) en firent la spécialité de lʼαγορανομοs, le contrôleur des marchés, qui devint le
muẖtasib, le contrôleur (des mœurs). Lʼinstitution se répandit dans tout le monde musulman. Le muẖtasib
eut une destinée variable : tantôt personnage important (sous les Fatimides), tantôt subalterne et placé
sous lʼautorité du cadi (en Espagne). Souvent le muẖtasib se confond avec le préfet de police ou avec le
cadi. Il dirige parfois toute une administration car il peut lui aussi déléguer. Il a en particulier des agents
dans les différentes corporations. Comme le cadi et le mufti, il provient du corps des ulémas et sa
fonction a un caractère religieux. En Occident les théoriciens ne lièrent pas le muẖtasib à cette notion de
ẖisba, et nʼévoquent que son objet pratique et immédiat, restreint le plus souvent au contrôle des marchés
et de la voirie (Tyan, Histoire, p. 621 ).
56478— Autres tribunaux. Il a existé de nombreuses autres appellations et formes juridictionnelles. Elles

peuvent se rattacher aux types précédents dont elles se distinguent souvent mal.
57Ainsi le qâḏî l-askar, le juge des soldats, nʼest pas fondamentalement différent du cadi ordinaire. On
peut même dire que les premiers cadis ordinaires, ceux de lʼépoque umayyade furent des juges aux
armées. Le qâḏî 1-askar ne porte ce titre que lorsque la distinction entre la société civile et la société
militaire est bien claire, cʼest-à-dire à la fin de lʼépoque umayyade. Mais il nʼest quʼun juge ordinaire,
jugeant selon le droit musulman, et intégré dans le corps des juges ordinaires quʼil regagne une fois les
campagnes terminées. Tout au plus peut-on noter quʼen certaines circonstances, quand lʼarmée joue un
rôle politique considérable, le corps des cadis de lʼarmée tendent à former une catégorie de juges à part.
Cʼest le cas dans lʼÉgypte mamelouke.
58Le tribunal du chambellan (ẖâjib) se développa aussi en Égypte mamlouke. Il jugeait les soldats, mais

ceux de haut rang, et particulièrement en matière de concessions foncières (iqtâʼ). Il était chargé en outre
des tribunaux des maẕâlim. Il revendiqua aussi une compétence sur les matières qui relevaient de la
justice ordinaire du cadi. Il jugeait en équité, mais lʼinstitution disparut avec les Mamlouks (Tyan,
Judicial, 271 sq.).
59La doctrine islamique admet la limitation de compétence des cadis par lʼautorité, donc la formation de

juridictions spécialisées relevant chacune dʼun juge spécialisé. Aussi ne peut-on considérer ces cadis
comme extraordinaires. La justice émanant du souverain, et de ses délégués, toute forme de justice qui en
émane est de ce fait légitime, dès lʼinstant où le droit musulman reste la base du droit applicable. Quant à
lʼéquité, elle est aussi admise pour des raisons de nécessité ou de politique ou dʼintérêt commun. De
manière générale les interventions des princes en manière dʼorganisation judiciaire ont parfaitement été
tolérées, même si la doctrine les ignore et ne propose que lʼidéal du tribunal du cadi. Mais on peut se
demander dans quelle mesure ces autres tribunaux étaient ressentis comme différents.
SECTION 2 - LA PROCÉDURE
60En général la procédure musulmane nʼest pas formaliste, elle est simple et expéditive, du moins selon la

loi islamique la plus ancienne, car elle sʼest complexifiée avec le temps. Nous verrons le procès (§ 1),
les modes de preuves (§ 2), le jugement (§ 3) et son autorité (§ 4).
§ 1 - Le procès

61479 — La saisine. Si le maître des maẕâlim peut se saisir lui-même dans tous les cas, si le muẖtasib

peut aussi le faire dans de nombreux cas, le juge ordinaire, le cadi, ne peut se saisir lui-même. Aucune
action judiciaire nʼest engagée sans une plainte (chakwâ), plus exactement sans une action en justice
(da‘wâ), en particulier au pénal. Nous sommes donc dans une situation intermédiaire entre la justice
privée et lʼaction publique. Toutefois, lʼintérêt à agir des particuliers est admis assez largement,
notamment pour ce qui concerne lʼordre public (voirie, urbanisme), et, au pénal pour lʼaction dite de
ẖisba ou relative aux “droits de Dieu” (voir le chapitre suivant). La police, aussi bien que le muẖtasib,
jouent en fait le rôle de procureur public. Le recours au cadi nʼest pas non plus obligatoire pour les
parties, en sorte que toutes les formes dʼaccord ou de transaction à lʼamiable (sulẖ) sont possibles. Ce
système favorise lʼautonomie juridique de certains groupes (confréries, corporations...).
62480— Lʼaction. Pour être valide (saẖîẖ), elle doit satisfaire à un certain nombre de conditions. Le

demandeur doit être capable, mais le mummayyiz (lʼenfant capable de discernement) peut ester en justice
par lʼintermédiaire de son représentant légal. De même pour le défendeur, il doit être connu et représenté
à lʼaudience. Lʼaction doit être portée devant le juge. Lʼobjet de la demande (mudda‘a bihi) doit être
suffisamment déterminé, connu du défendeur et des témoins. Il faut quʼil soit possible, légal et
correspondant à ses obligations. On ne peut demander être reconnu pour père dʼun prétendu fils plus
vieux, ni réclamer du vin dʼun musulman, ni exiger une aumône volontaire... Dans ces cas lʼaction est
rejetée comme nulle. Dans dʼautres cas, elle nʼest recevable quʼaprès une certaine mise en conformité
avec les conditions, par exemple en exigeant du demandeur des précisions sur lʼobjet en litige, ou sur
lʼidentité du demandeur...
63481— Le demandeur et le défendeur. Les parties (khasm, pl. khusûm) peuvent se faire représenter au
procès (khusûma) par un wakîl (représentant), ou par leurs représentants légaux, wasî ou wâlî (tuteur et
tuteur matrimonial).
64La détermination du demandeur (mudda‘î ou ṯâlib chez les malékites) et du défendeur (mudda‘â alayhi

ou maṯlûb chez les malékites) est importante, elle va présider à tout le déroulement du procès, et, le cas
échéant, déterminer en faveur de qui joueront les présomptions. Selon Khalîl par exemple, est demandeur
celui qui allègue un fait sans en apporter la preuve. Ou encore, le défendeur est celui dont le dire est
conforme à lʼétat normal ou actuel des choses, dans une contestation de propriété par exemple, cʼest le
possesseur. Pour les hanéfites, le demandeur est celui qui nʼest pas contraint au procès, sʼil abandonne, à
lʼinverse du défendeur qui ne peut abandonner (al-Qudûrî, 4, p. 26).
65Le tribunal compétent est en principe celui du défendeur. Mais pour les malékites, en matière
dʼimmeubles, on admet la compétence du tribunal du lieu de lʼimmeuble. En cas de pluralité de juges (de
rites différents par exemple), on pose aussi que le tribunal compétent est au choix du défendeur. Mais les
parties peuvent se mettre dʼaccord pour en décider autrement. (Tyan, E.I.2)
66482 — Le procès. La procédure est contradictoire et le cadi ne peut passer jugement contre une partie

absente ou non représentée, on verra plus loin comment on procède alors (n° 500).
67La procédure est orale et libre. Le juge doit favoriser un règlement à lʼamiable, une transaction (sulẖ).

On cite un ẖadîth de ‘Umar : “poussez les adversaires à faire la paix, car si le jugement tranche, il reste
des rancœurs.”
68Si les plaideurs sont présents, le cadi peut juger immédiatement. Le demandeur expose dʼabord ses
prétentions, et le défendeur doit répliquer. Sʼil admet les prétentions du demandeur, lʼaffaire est terminée
en faveur du demandeur.
69Si le défendeur nʼadmet pas les prétentions portées contre lui, le procès se poursuit par lʼexposé des
preuves (bayyina) du demandeur, cʼest-à-dire des témoins, la preuve par excellence. Sʼil nʼa quʼun seul
témoin, le demandeur peut compléter par un serment (les hanéfites refusent cette solution). Le défendeur
peut demander un délai pour réunir ses propres preuves. Sinon, après une admonestation finale, du juge
au défendeur, le procès se termine en faveur du demandeur. Le jugement est alors un jugement par preuves
(qaḏâʼ istiẖqâq).
70Si le demandeur nʼa pas de preuves, le juge demande au défendeur de prêter serment (serment déféré).

Si le défendeur accepte de prêter serment, le procès est terminé en sa faveur. Ce jugement équivaut au
débouté de lʼaction. Cʼest un jugement qui laisse les choses en lʼétat (qaḏâʼ tark) et qui ne préjuge en rien
dʼune nouvelle action à introduire par le demandeur qui aurait réussi à réunir des témoignages. Le
principe non bis in idem (on ne recommence pas le même procès) nʼest pas dʼusage en droit musulman.
71Si le défendeur refuse de prêter serment, et le fait nʼest pas rare chez des musulmans scrupuleux, le

procès est clos en faveur du demandeur chez les hanéfites et les hanbalites. Ce désistement, fondé sur le
nukûl (refus du serment) est considéré comme un aveu. Le juge doit prévenir par trois fois le défendeur
des conséquences de son refus de prêter serment (hanéfites). Pour les malékites, chaféites et chiites, le
juge doit alors demander au demandeur de prêter serment (serment référé). Pour les hanéfites et chaféites
cʼest seulement une partie qui peut exiger le serment de lʼautre partie. Le jugement sur le fondement dʼun
refus de serment ne peut pas être prononcé en toutes matières. Avec quelques divergences de détail, on
peut dire quʼen général les fuqahâʼ admettent ce type de jugement pour les procès concernant les biens,
mais quʼils ont des réticences pour ce qui concerne “les droits de Dieu” : la filiation et le mariage, et,
encore plus quand il sʼagit de questions pénales, comme les ẖudûd, ou de questions relatives au culte.
Pour eux, le refus de serment est un badhl (comme un don, un sacrifice, un acte de générosité) qui ne peut
avoir dʼeffet quʼen matière de biens. Ou encore, en matière pénale, parce quʼil y a doute (puisque
lʼaccusateur nʼa pas de preuves) et que le doute écarte les ẖudûd.
72Le juge nʼest contraint quʼà lʼinterpellation finale (i‘dhâr) de la partie qui visiblement a le dessous. Il

doit lui demander “Te reste-t-il un argument ?”.Après avoir estimé le poids des preuves suivant des
règles précises (voir plus loin), le juge rend alors sa sentence. Les adûl sont témoins et lʼinscrivent sur un
registre (sijill), mais ce nʼest pas obligatoire.
73Comme la production de témoins nʼest pas chose facile, il est souvent essentiel de savoir qui est le

défendeur et qui est le demandeur, dʼautant plus que les présomptions jouent en faveur du défendeur.
Aussi, souvent les parties portent-elles plainte lʼune contre lʼautre et le juge les contraint toutes les deux
au serment (serment réciproque : tahâluf). Examinons de plus près ces modes de preuves.
§ 2 - Les modes de preuves

74483 — Le témoignage : conditions générales. Le témoignage (chahâda) est une information (ikhbâr)

pour confirmer un droit dans une audience. Le Coran confirme sa légitimité (2, 282 ; 65, 2, etc.) aussi
bien que le ẖadîth.
75Le témoignage est une obligation des témoins et ils ne peuvent se dérober si le plaignant leur demande
de se présenter devant le cadi. En matière de ẖudûd, le silence est préférable, mais la question est
controversée.
76Les conditions légales pour témoigner sont fixées par les traités de fiqh. Elles sont dédoublées en deux

séries de règles. La première concerne les conditions exigées pour constater valablement un fait
(taẖammul). Il faut être sain dʼesprit, au moins mumayyiz (ayant la capacité de discernement), non aveugle
(mais il y a des divergences), et avoir vu la chose de ses propres yeux (divergences à propos du
témoignage par ouï-dire). La seconde série pose des conditions supplémentaires pour déposer (adâʼ,
déposition) : le témoin doit être pubère, libre, (mais pas chez les hanbalites), capable de sʼexprimer,
musulman (en général le témoignage dʼun protégé ne joue pas contre un musulman), et surtout honorable
(‘adl) (cf. n° 464 à propos du juge).
77Pourquoi ce luxe de précautions ? Cʼest que dans la conception musulmane le témoignage est une

wilâya, une fonction de la cité musulmane, ou un pouvoir si lʼon veut. Il sʼimpose au juge (voir les
preuves légales, n° 496), car il constitue la “preuve manifeste” (bayyina), alors que les autres moyens de
preuve ne sont que des ẖujaj, des preuves simples pourrait-on dire.
78484— Le témoignage : cas particuliers. Le témoignage dʼun protégé contre un musulman nʼest pas
admis par la majorité des rites, mais les hanéfites lʼadmettent dans un cas très précis sur la base du verset
coranique relatif au testament fait en voyage (5, 106). Celui des protégés contre les protégés est admis
pour toute matière par les hanéfites, mais pas par les autres rites. Le refus de ces derniers se fonde sur le
refus de la wilâya dʼun non musulman ou de lʼabsence de ‘adâla chez un kâfir (mécréant). Mais Az-
Zuẖaylî fait remarquer que les arguments hanéfites sont les plus forts : le cadi nʼest pas soumis au chrétien
ou au juif, mais au droit ; et le “mensonge” des protégés ne porte quʼen matière de religion...
79Lʼappartenance à un sexe ou à un autre donne lieu à des divergences. Dans certains cas deux femmes

peuvent remplacer un homme, mais en règle générale, quatre femmes ne peuvent remplacer deux hommes.
Tous les rites récusent les femmes en matière pénale, sauf les zahirites qui admettent que deux femmes
peuvent remplacer un homme (Coran 2, 282). En matière patrimoniale, tous les rites admettent le
remplacement de deux femmes pour un homme. En matière familiale, tous les rites écartent les femmes,
sauf les hanéfites qui admettent ici, comme les zahirites, que deux femmes peuvent remplacer un homme.
Toutefois dans certaines matières (accouchement, menstrues) tous les rites admettent le témoignage des
femmes, cʼest lʼexception à la règle générale mentionnée plus haut où quatre femmes ne peuvent
remplacer deux hommes. Les divergences portent sur le nombre nécessaire et suffisant pour faire preuve
dans ce cas : une pour les hanéfites ; deux pour Mâlik ; quatre pour les chaféites. Quand elle dépose, la
femme doit être dévoilée (Mâlik).
80485— Témoignage : causes de récusation. Les causes de récusation possibles sont tout dʼabord la

parenté. En général le témoignage à charge des parents en filiation directe est admis ; il ne lʼest pas à
décharge. En filiation collatérale ou quand il sʼagit de conjoints ou dʼamis, la question est controversée.
Les cas dʼinimitié connue, ou dʼintérêt à lʼaffaire, disqualifient le témoignage. Le juge peut aussi récuser
le témoin sʼil le connaît, notamment sʼil connaît par ailleurs la vérité du cas qui lui est soumis. En règle
habituelle deux témoins doivent témoigner de lʼhonorabilité dʼun témoin à examiner.
81Cette vérification de lʼhonorabilité dʼun témoin est faite par des spécialistes qui doivent être eux-
mêmes ‘adl. Une mécanique très intéressante du point de vue juridique est mise en marche. Si les deux
témoins se contredisent à propos de lʼhonorabilité de lʼexamine, on prend un troisième témoin, et la
majorité lʼemporte. Si deux témoins sont contredits par deux autres, lʼavis contre la ‘adâla lʼemporte,
même si les témoins pour la ‘adâla de lʼexaminé sont trois ou plus. Car en la matière il faut distinguer
lʼapparent (que peuvent attester plusieurs en grand nombre) et le caché (qui est difficile à établir). Aussi
deux témoins se prononçant contre la ‘adâla suffisent à emporter un jugement de récusation, même contre
un grand nombre qui ne peuvent être que témoins de lʼapparent. (Az-Zuẖaylî, 6, p. 505, dʼaprès le rite
hanéfite).
82486 — Témoignage : formes, effets. Le témoignage doit commencer par lʼexpression “Je témoigne...”,

au présent, pas au passé. Le contenu du témoignage ne peut être quʼaffirmatif de fait ou négatif de
connaissance (‘ilm). On peut donc dire : “Je témoigne quʼUntel a vendu telle chose”, mais on ne peut pas
dire : “ Je témoigne quʼil nʼa pas vendu...”. Position très logique, car un tel témoignage suppose que le
témoin ait exercé une surveillance continuelle sur celui en faveur de qui il témoigne, chose impossible. Il
ne peut donc que dire : “A ma connaissance, je nʼai pas su que Untel a vendu”. Cʼest aussi la raison pour
laquelle la seule défense possible du défendeur réside dans le serment de dénégation.
83Les témoignages doivent aussi concorder avec le fond de lʼaction. Ils doivent aussi concorder entre eux,

sinon lʼaction du demandeur qui les produit sʼeffondre. Leur concordance doit porter sur la matière
juridique (vente, dépôt, filiation...), la mesure (montant des sommes ducs), sur le temps et le lieu. Les
traités détaillent les modes de conciliation des témoignages divergents.
84Les témoins ne prêtent pas serment (majorité). Le jurement préconisé par le Coran dans le cas du

testament (5, 106-108), est considéré comme une prescription spéciale abrogée par la règle générale des
deux serments (Brunschvig, Études, p. 204)
85En général il faut deux témoins pour faire preuve (ou trois si deux sont des femmes) ; pour la fornication
il faut quatre hommes (pas de femmes, sauf pour les zâhirites). La multiplication des témoins ne produit
pas nécessairement une preuve plus forte : deux suffisent pleinement. Toutefois, chez les malékites, on a
admis, par nécessité, étant donné la rareté des témoins honorables, la possibilité de multiplier les témoins
non honorables : cʼest le témoignage multiple, lafîf, ou “par turbe” selon Milliot.
86Le témoignage peut être oculaire ou rapporté (par ouï-dire). Dans ce dernier cas, il faut que la personne

dont on rapporte les paroles ait autorisé les témoins à rapporter et ne se soit pas rétractée. Le témoin
originel doit avoir une excuse reconnue valable de ne pas venir en personne. Deux personnes peuvent
ainsi rapporter les paroles dʼun témoin et valoir un témoin. Ils peuvent aussi rapporter pour deux et valoir
deux.
87Le témoignage par commune renommée (istifâda, tawâtur) est discuté. Il sʼagit dʼun témoignage attestant
quʼun fait passe pour admis par beaucoup de gens honorables. Khalîl ne lʼadmet quʼémanant de deux
témoins, pour prouver un fait ancien, et sʼil nʼy a pas de présomptions contraires ; il doit être en outre
corroboré par le serment de celui qui lʼinvoque. La Majalla lui donne une force très grande (art. 1733).
88487— Lʼaveu : conditions. Lʼaveu (iqrâr) consiste en ce que le défendeur confesse que le demandeur a
dit vrai. Cʼest une information (ikhbâr) sur la validité (thubût) du droit dʼun autre contre soi-même. Le
Coran lʼautorise (*3, 81 ; 4, 135), comme le ẖadîth.
89Lʼaveu doit être, comme le témoignage, clair et net (batt). Il peut être écrit ou fait par signe, à quelques
divergences près. Il peut être judiciaire (exprimé en justice) ou non.
90Lʼavouant doit être libre, pubère, sain dʼesprit, capable de sʼobliger. Toutefois lʼaveu de lʼesclave est

largement admis ; celle du prodigue (safîh) ne lʼest pas en matière de dettes. Lʼaveu de dettes dʼun
homme dans sa dernière maladie 49 peut être reconnu ou non. Pour les malékites, hanéfites et hanbalites
il faut que le bénéficiaire de lʼaveu soit étranger à la succession, sinon lʼaveu nʼest reconnu que si les co-
héritiers de lʼavouant y consentent. Les chaféites reconnaissent toute dette avouée en cet état.
91Lʼaveu doit être libre. La majorité des fuqahâʼ interdit lʼusage de la torture par le cadi, mais elle

lʼadmet pour la justice administrative (voir n° 506 à 521). Certaines situations peuvent être considérées
comme autorisant la contrainte : ainsi la fustigation de la femme ou de lʼenfant pour leur faire renoncer à
leur apostasie, ou lʼemprisonnement du débiteur solvable de mauvaise volonté, ou encore, lʼaveu surpris
par une mise en scène (les témoins se cachent alors, et leur témoignage est dit chahâdat as-sirr ou
chahâdat al-istighfâl), licite selon certains auteurs. Mais dans tous ces cas, il ne sʼagit pas exactement
dʼaveu extorqué par la torture. Au contraire, toute pression, même émanant du juge, ou simplement la peur
du défendeur, entraîne la non-validité de lʼaveu.
92488— Lʼaveu : effets. En pratique lʼaveu se produit rarement. Si le droit ne pose pas de multiples

conditions de validité (lʼislam, la ‘adâla ne sont pas exigés), cʼest que lʼaveu nʼa quʼune validité
restreinte (ẖujja qâsira) : il ne sʼimpose pas au juge, ni aux tiers, mais seulement à lʼavouant. Cʼest
pourquoi le juge peut nʼen pas tenir compte si lʼaveu lui semble absurde, contradictoire avec les faits,
illicite dans sa cause (vente de vin) ou dans ses effets (libéralité à un héritier), ou contraint, etc. Dans un
aveu libre, il y a toujours une part de doute, comme dans le refus de serment. La preuve parfaite, le
double témoignage, lui est supérieur, en théorie du moins. Dès lors lʼaveu ne peut faire preuve en toute
matière. Au pénal, il fait preuve, mais le plus souvent il peut être rétracté (voir chapitre pénal). En
revanche, au civil, il ne peut être rétracté.
93Les traités détaillent les formules dʼaveu et évaluent leur validité. Quelques exemples. Quand un
avouant ne reconnaît quʼune partie de la demande, il devra prêter serment pour la part quʼil nie. Sʼil
introduit une exception immédiatement après lʼaveu, et si la dette ainsi reconnue après déduction est
inférieure au montant de la dette primitivement avouée, lʼexception est admise et déduite. Si elle est
supérieure, elle rend lʼaveu nul parce quʼimpossible. Si elle est égale, elle nʼest pas admise, car la
rétractation nʼest pas admise ici, et la totalité est due. La formule “Si Dieu veut” (in chaʼa Llâh) annule
lʼaveu.
94489— Le serment : conditions. Le serment (yamîn) est une affirmation qui prend Dieu à témoin et
expose à des peines dans lʼau-delà en cas de mensonge. Il est légitime en vertu des versets coraniques *3,
77 ; 5, 89 ; *2, 225, etc., et de nombreux hadîth, notamment “La preuve au demandeur, le serment au
défendeur”.
95Les conditions du serment sont dʼabord dʼêtre pubère et sain dʼesprit. On ne peut se faire représenter

pour un serment. Si cʼest un mineur qui est défendeur, on attend sa majorité ; si cʼest un fou, on attend sa
guérison. Autant de cas où lʼaction a peu de chances dʼaboutir à bref délai. Il faut ensuite que celui qui
prête serment le fasse dans le moment légal du procès. Il faut enfin que le serment soit proféré dans les
mêmes affaires où lʼaveu est admis, en général dans les matières où le badhl (la générosité, le sacrifice
de son bien) est permis, donc pas en matière pénale ou en matière non financière de statut personnel.
Aucune condition de sexe, de religion, dʼhonorabilité nʼexiste. Toutefois Mâlik exige que le demandeur
prouve ce quʼil appelle la khulṯa (le mélange, la société), qui est semble-t-il une condition prouvant quʼil
y a bien relation entre le demandeur et le défendeur ; cela pour éviter des procès contre les gens de bien
de la part dʼun bas peuple voulant exploiter les scrupules dʼun homme pieux et riche (Az-Zuẖaylî, 6,
p. 598).
96490— Le serment : formes et effets. Le serment se prête sur Dieu. Un ẖadîth, présent dans les quatre

recueils canoniques, dit “ Celui qui prête serment, prête serment sur Dieu ou se taît”. Cette tradition tend
à écarter ce quʼon appelle le taghlîz, mot traduit par aggravation (Bousquet, Brunschvig), mais qui
indique tantôt une solennisation du serment (selon le lieu, selon la forme), ou une inflation qui tend à
brouiller les cartes (donc interdite), ou des serments de non musulmans qui tendraient à devenir des
professions de foi, etc. Cʼest encore un lieu de divergences. Les hanéfites admettent le serment par le
Coran, lʼÉvangile, la Torah, les Psaumes. Le serment par le divorce, ou par affranchissement, cʼest-à-dire
promettant le divorce ou un affranchissement en cas de mensonge, qui étaient au début interdits, ont fini,
au cours des âges, par être admis, “en raison de la corruption des temps.”
97Le contenu du serment (maẖlûl ‘alayhi) doit être net (batt). Cʼest en principe une négation. On ne peut

porter serment sur lʼacte dʼun autre chez les hanéfites, mais affirmer seulement une négation de savoir,
comme pour le témoignage. Les autres rites admettent le serment affirmatif sur lʼacte dʼun autre.
98Il doit être fait selon lʼintention du cadi, et non selon lʼintention du jureur. Ni avec des “Si Dieu veut”

ou des conditions et exceptions. Si le cadi exige un serment contrairement au droit, la dissimulation est
permise. Le serment fait en dehors des cas judiciaires, cʼest-à-dire pour consentir à la demande de
quelquʼun qui nʼa pas le droit de déférer le serment, peut se faire comme le veut le jureur, avec
dissimulation éventuellement. Mais il reste valable en conscience et selon lʼintention de celui qui a juré.
Trahir ce serment exige une kaffâra, expiation. Les serments faits à la légère nʼengagent pas (Coran, 5,
89).
99On a vu au cours du procès les règles qui fixent quels justiciables prêtent serment et quand : le

demandeur qui nʼa quʼun seul témoin complète avec un serment supplétif (mais pas chez les hanéfites) ; le
serment déféré fait preuve pour le défendeur si le demandeur nʼa pas de preuves. Le défendeur (ou le
juge, selon les rites), peut lʼexiger du demandeur : ce serment référé au demandeur fait alors preuve
complète pour lui. Le serment réciproque (taẖâluf) nʼest possible que si les deux parties ont engagé une
action lʼune contre lʼautre. Cʼest surtout le refus de prêter serment (nukûl) qui a une grande valeur,
puisque cʼest une renonciation libre.
100En droit malékite et zaydite, on trouve le serment de suspicion (yamîn at-tuhma). Le but de ce serment,

prêté par le demandeur est dʼobliger le défendeur à écarter le soupçon par un serment ou des preuves.
101491 — Le serment cinquantenaire en droit malékite. Le serment cinquantenaire (qasâma) est une
procédure ancienne en matière criminelle, pour laquelle il faut distinguer les rites. Pour les malékites
quand un meurtre intentionnel a été commis et que le meurtrier est connu, mais que les preuves sont
insuffisantes (un seul témoin, dénonciation de la victime mourante...), on utilise cette procédure de la
qasâma. Le juge exige cinquante serments des demandeurs (famille de la victime en général), ce qui leur
ouvre le droit au talion. Cʼest donc un moyen de confirmer la culpabilité du meurtrier présumé lorsque les
preuves sont insuffisantes. Mais il fallait des présomptions suffisantes (n° 499) et Mâlik nʼen
reconnaissant que deux : le mourant avait désigné son assassin, ou bien il nʼy avait quʼun seul témoin (ce
second cas est dit présomption, lawth). Les malékites admirent par la suite sous lʼinfluence du chaféisme,
dʼautres présomptions, mais pas lʼexistence dʼune haine entre lʼaccusé et la victime.
102Si les demandeurs refusent de jurer, si le meurtrier est inconnu, si le crime nʼest apparemment pas
intentionnel, les cinquante serments sont déférés à la défense, cʼest-à-dire à ceux que soupçonne la
famille de la victime : voisins ou habitants du village où le cadavre a été trouvé, ou équipage si le crime
a été commis sur un bateau, etc. Chaque personne doit jurer quʼil nʼest pas le meurtrier et quʼil ne le
connaît pas, mais elle devra participer au paiement de la diya.
103492— Le serment cinquantenaire dans les autres rites sunnites. Les chaféites suivent Mâlik, mais
définissent plus largement la présomption, toute circonstance tendant à désigner le coupable : on avait
trouvé le cadavre près de lʼaccusé qui avait du sang sur lui ; on savait que lʼaccusé haïssait la victime,
etc. Pourtant, ils nʼadmettent pas comme présomption la désignation par le mourant.
104Les hanéfites nʼadmettent pas le serment cinquantenaire comme une procédure aidant lʼaccusation,

mais au contraire la défense. Cinquante serments permettent à ceux qui habitent près de lʼendroit où on a
trouvé un cadavre de rejeter lʼinculpation dʼun des leurs.
105Les hanbalites suivent le malékisme mais nʼadmettent quʼune présomption, lʼinimitié antérieure de

lʼaccusé envers la victime.


106493— L’ordalie. Contrairement aux droits du moyen âge et au droit préislamique, le droit musulman ne

fait pas de place à lʼordalie. Peut-être aurait-il pu le faire sur la base dʼun fait de la sîra du Prophète. On
se souvient en effet que le Prophète avait proposé une ordalie aux Chrétiens et que ceux-ci la refusèrent -
événement auquel ferait allusion le verset *3, 61 -. Mais rien ne fut retenu dans le droit musulman. La
procédure du liʼan (double serment dʼanathème) peut sʼy rattacher selon Brunschvig (Études, t. 2, p. 208),
mais elle nʼest en rien une épreuve physique (voir t. III).
107494— Lʼexpertise et les preuves matérielles. Pour lʼexpertise judiciaire, on trouve un exemple dans
le Coran, qui, selon Brunschvig pourrait servir de base à son admission. Cʼest le passage *12, 26-27, où
une parente de la femme de Putiphar évoque la tunique de Joseph : selon quʼelle sera déchirée par-devant
ou par-derrière, il sera coupable ou innocent. Pour Brunschvig lʼexpertise se développa avec le temps et
les experts furent considérés comme témoins, avec certaines facilités de procédure (ibid., p. 214).
108Selon A. E. Majzoub, le droit malékite et hanbalite a toujours reconnu le témoignage de lʼexpert (Ibn

Farẖûn est cité). Il va même plus loin en reconnaissant lʼinférence et la déduction faites par le témoin non
expert si elles sont inséparables des faits constatés par un des cinq sens. Les chaféites et les hanéfites
pour lesquels le fondement du témoignage doit rester la vue, nʼadmettent pas cela. Cependant tous les
rites ont admis, de tout temps, le témoignage des femmes (sans hommes) en des matières connues dʼelles
seules, et en particulier le témoignage des sages-femmes, ce qui constitue bien en fait la reconnaissance
de lʼexpertise. En pratique toutefois, il ne semble pas que le recours aux experts ait fait partie des
habitudes judiciaires anciennes.
109Le recours aux preuves matérielles sous forme dʼenquête de police, constatations matérielles du juge,

perquisitions... nʼa jamais été systématique non plus dans le monde musulman. En tout cas les traités de
droit musulman sont muets sur la question.
110Le recours à lʼexpertise ou aux preuves matérielles reste exceptionnel dans les civilisations pré-

modernes. Ces modes de preuves sont liés à la généralisation dʼune mentalité scientifique dans un
contexte de civilisation nouveau.
111495 — La preuve écrite. On a longtemps admis (Schacht en particulier) que lʼécrit (khatt) nʼavait pas
de valeur aux yeux du cadi et quʼil ne pouvait constituer quʼun simple aide-mémoire pour les témoins.
Pour M. Charfi, lʼabandon du précepte coranique (2, 282) par les ulémas se justifie par la rareté des
hommes instruits à lʼépoque du Prophète et au début du califat. Tyan (cité par B. Johansen, Formes,
p. 334) et Brunschvig (Études, p. 215) affirment que lʼécrit sʼest imposé peu à peu, mais tardivement, en
même temps que le recours aux témoins-scribes, notaires et greffiers.
112Mais ce sont des vues trop rapides. B. Johansen, dans un long et important article, reprit la question

totalement. Il pense que cette reconnaissance de lʼécrit nʼest pas tardive et quʼelle fonctionnait au 5e/xie
siècle. Les textes religieux eux-mêmes avaient acquis une valeur probatoire à cette époque,
indépendamment de leur transmission orale ultérieure. Les greffes et archives des tribunaux avaient atteint
en même temps une grande complexité. Les règles déterminant la validité de ces actes étaient bien
précises, la plus importante étant que leur validité comme preuve ne dépassait pas la période dʼoffice du
cadi et lʼespace de sa juridiction. Hors de cela il fallait que lʼécrit soit confirmé par des témoins. Cʼest le
cas notamment quand un acte émanant dʼun autre cadi était évoqué à lʼaudience. Toutefois la doctrine et la
pratique nʼont jamais été uniformes. En Transoxiane en particulier on a eu tendance à élargir la validité
des documents écrits en forme stéréotypée devant cadi (voir B. Johansen, Formes, pour le détail et la
discussion).
113En Occident chrétien on a eu tendance aussi à minimiser lʼécrit au haut moyen âge. La procédure fut

ensuite fortement influencée par les procédures de lʼInquisition, fondées sur lʼécrit, et la procédure royale
évolua dans le même sens. Dans lʼEmpire ottoman, il est certain aussi que ce nʼest quʼau xixe siècle que
la reconnaissance de lʼécrit devient officielle (avec la Majalla) ou avec les réformes des tribunaux de
cadis dans les pays colonisés, notamment en Égypte.
§ 3 - Le jugement

114496— Fondement du jugement. Le jugement du juge est un jugement selon lʼapparence (zâhir), au for

externe. On cite un hadîth (Ibn Ruchd, Bidâya, 2, 450) où le Prophète dit : “Vous avez recours à moi dans
vos disputes. Peut être certains dʼentre vous sont plus habiles avec leurs preuves que dʼautres. Moi, je
juge dʼaprès ce que jʼentends. A celui en faveur de qui jʼai jugé, lui attribuant le bien qui devait revenir à
son frère, je dis : quʼil ne le prenne pas ! Car ce nʼest quʼune part de lʼenfer !”.
115Le jugement nʼest pas fondé sur lʼintime conviction, mais sur le système des preuves légales. La loi

fixe elle-même le poids des différentes preuves et le juge doit sʼy conformer. Le système a lʼavantage (ou
lʼinconvénient) de dégager totalement la responsabilité du juge. Il peut aboutir à des solutions curieuses :
par exemple, si, dans une contestation de propriété, le demandeur et le défendeur apportent chacun en leur
faveur deux témoignages irréprochables (procès double), le juge partagera la propriété également (ou
tirera au sort selon dʼautres auteurs) (Tyan, Ε. I. 2).
116497— Le savoir extrajudiciaire du juge. Le juge, sʼil connaît par ailleurs certains faits qui nʼont pas

été évoqués à lʼaudience, peut-il en tenir compte ? Non répondent les malékites et hanbalites, sʼappuyant
sur le hadîth précité, où la formule “ce que jʼentends” ne peut inclure “ce que je sais”. Oui concluent les
chaféites, mais sauf pour quatre hudûd (vol, brigandage, fornication, consommation dʼalcool). Les
hanéfites ont longtemps distingué le savoir du juge acquis hors de sa période et hors de son territoire de
compétence, qui ne peut être utilisé, du savoir acquis pendant sa période de fonction et dans les limites de
sa compétence qui peut être utilisé sauf pour les quatre ẖudûd cités. Ils se rallièrent tardivement à la
solution malékite et hanbalite, en raison de la corruption des temps. Ce savoir toutefois peut permettre au
juge de récuser un témoin. Il nʼest donc pas strictement soumis au système des preuves légales.
117498— Hiérarchie des preuves. Mais quand le juge a affaire à un double procès, il est devient
nécessaire de hiérarchiser les preuves. Lʼaveu ou le serment déféré ou référé (qui sont en fait des aveux)
priment les autres modes de preuves. II ne peut y avoir conflit quʼentre témoins, la preuve écrite étant
ramenée à la preuve par témoins dans les conditions quʼon a vues. Cʼest la loi qui fixe cette hiérarchie.
Elle établit la primauté du témoignage double ou multiple (tawâtur) sur le témoignage unique ; du
témoignage dʼun homme de qualité sur lʼhomme ordinaire ; du témoignage de lʼhomme sur celui de la
femme ; du musulman sur le protégé ; du libre sur lʼesclave, etc.
118Le juge retrouve toute son initiative dans ce genre de procès : il peut imposer un double serment,

récuser des témoins, faire intervenir son appréciation personnelle (hjss), mais surtout il va sʼaider des
présomptions légales.
119499— Les présomptions. Si les preuves manquent, le juge sʼaide de présomptions (qarâʼin). La
présomption est définie comme lʼindice apparent dʼune chose cachée. Cʼest une conséquence, tirée par le
juge, dʼun fait connu à un fait inconnu, grâce à un certain nombre de principes ou de raisonnements.
Lʼétude des présomptions est une matière subtile où pullulent les divergences, et on ne pourra donner ici
que quelques exemples.
120Il y a dʼabord les présomptions tirées de probabilités objectives : La Majalla par exemple retient que
lʼhomme qui sort dʼune maison, un couteau à la main et plein de sang, alors quʼil y a un cadavre égorgé
dans la maison, est probablement lʼassassin. Dans une contestation à propos dʼune dette entre un riche et
un pauvre, il est improbable que le pauvre ait prêté au riche (Az-Zuẖaylî, 6, p. 644).
121Il y a des présomptions tirées de la coutume : dans une contestation après divorce relative aux objets
de la maison, il est probable que le cheval et le fusil appartiennent à lʼhomme et que les bijoux, miroirs et
parures appartiennent à la femme.
122Il y a des présomptions fondées sur la commodité, ou lʼintérêt. Si un musulman dit que lʼenfant trouvé
est son esclave et le protégé que cʼest son fils libre, on remettra lʼenfant au protégé, car il est plus facile
de se convertir que de se libérer (Schacht Introduction, p. 159).
123Dʼautres sont fondées sur le principe de continuité (istiẖsâb), qui présume la continuité dʼun ordre de
choses normal, et, sauf preuve du contraire, le juge le tient pour établi. La plupart du temps les
contestations de propriété font prévaloir le possesseur actuel contre le demandeur, à preuves égales ou
sans preuves pour lʼun et lʼautre (voir Az-Zuẖaylî, 6, p. 528-554).
124En fait le système des présomptions est inséparable de lʼensemble du procès et il vient moduler la

procédure elle-même. Il y a donc des procédures fixées selon les cas dʼespèces et les traités y consacrent
maintes pages. Ici les divergences se sont multipliées selon les rites et les auteurs. On donnera des
exemples sur le cas relativement simple de la contestation de propriété (tome III). Mais dans les traités
on trouve des cas relatifs au mariage, au divorce, à la filiation, à lʼesclavage, à la vente, au droit pénal...
125500— Les jugements par défaut. Une difficulté qui peut bloquer totalement le procès est le refus de
comparaître du défendeur. Pas chez les chiites et chaféites, puisque la procédure se poursuit sans en tenir
compte. Dans les autres rites, le juge envoie un de ses assistants pour le contraindre à venir, au besoin en
posant les scellés sur son domicile. En cas dʼéchec de cette procédure, un avocat-représentant (wâkîl) est
nommé et la procédure est réputée contradictoire.
126En cas de disparition au cours de lʼaudience, le juge passe outre. Mais il cite le défendeur à
comparaître à nouveau si celui-ci disparaît avant lʼexposé complet de toute lʼaffaire.
127Le juge peut prononcer une peine contre le défendeur pour lʼobliger à parler (défaut faute de conclure),

ensuite il passera outre.


128501— Lʼexécution des jugements. Cʼest le cadi lui-même qui doit faire exécuter les jugements (nafâdh

al-ẖukm). Il peut se faire aider par un mandataire, qui agit au nom du cadi et sous sa responsabilité.
129Dans le cas de dette, le refus dʼexécuter la sentence entraîne la contrainte par corps (emprisonnement)

si le débiteur est solvable. Un ẖadîth rapporté dans tous les recueils dit que “le retard (délai) du riche est
une oppression (ẕulm)”. Selon Abû Hanîfa le débiteur riche restera en prison jusquʼà ce quʼil paye. Les
deux Compagnons (Abû Yûsuf et ach-Chaybânî) disent quʼau bout dʼun mois ou deux, le juge peut opérer
une saisie, qui sera alors un gage (rahniya). Cette opinion a prévalu dans le rite hanéfite et les autres rites.
Mais la vente du rahn (gage) fut exceptionnelle. Si le débiteur est insolvable, il est relâché pour quʼil
puisse travailler, sʼenrichir et payer sa dette. Là dessus tous les rites sont dʼaccord.
130A lʼépoque du Prophète, il nʼy avait pas de prison. Le détenu et ses gardiens étaient placés à la

mosquée, ou chez un particulier, ou encore chez son adversaire. ‘Umar acheta une maison pour en faire
une prison. La majorité des fuqahâʼ admet la légitimité de lʼemprisonnement comme peine discrétionnaire
(n° 570).
§ 4 - Lʼautorité de la chose jugée

131Lʼexpression nʼest pas connue en droit musulman, mais la question de la révocabilité des jugements est

bien traitée, comme un cas particulier relatif à lʼexécution des jugements. Lʼidée, longtemps admise, que
les jugements en droit musulman sont définitifs est fausse. Les plaideurs ont de multiples moyens de
mettre en cause un jugement. Cinq situations se présentent : lʼerreur de droit, lʼerreur de fait, la
rétractation des témoins, le faux témoignage, lʼappel à lʼéquité.
132502 — Lʼerreur de droit. Les juristes musulmans sont unanimes pour admettre lʼobligation de déclarer

nul le jugement fondé sur une erreur de droit (khataʼ). Tout magistrat peut y procéder, y compris celui qui
a commis lʼerreur. Mais lʼaction en révocation dʼun tel jugement doit intervenir comme accessoire dʼune
action introduite par la partie perdante et visant au rétablissement de son droit. Il nʼy a donc pas dʼaction
publique “ dans lʼintérêt de la loi”. Tout jugement est attaquable de cette manière, y compris les
jugements en révocation eux-mêmes : le même juge peut donc changer dʼavis plusieurs fois. Les malékites
ajoutent que le juge qui a procédé à un jugement peut même le révoquer pour prononcer un meilleur
jugement, ce que ne peuvent pas faire ses collègues à lʼégard de son jugement.
133Cette possibilité ouverte vient du caractère religieux de la loi : “le cadi ne peut rendre licite ce qui est

illicite” dit un adage (Tyan, Autorité). Le cadi juge sur le zâhir, le for externe, et non sur le bâtin, le for
interne. Il est conscient de ce que son jugement nʼexprime pas la vérité, contrairement à lʼadage de droit
français res judicata pro veritate habetur : la chose jugée est tenue pour vérité. Dès lors le jugement est
révisable en droit musulman, il correspond à une intrusion du bâṯin contre le zâhir, et la vérité religieuse
lʼemporte, encore que ce bâṯin, en se manifestant, est devenu zâhir, et quʼil peut de nouveau être contesté.
134La question est en fait encore plus complexe, puisque seuls les jugements violant les règles unanimes

peuvent être révoqués. Donc les jugements conformes à des règles tirées dʼopinions controversées sont
irrévocables. Ces règles sont appelées mujtahadât cʼest-à-dire tirées dʼun ijtihâd, lequel est la recherche
de la loi en lʼabsence de texte clair. La question se complique encore du fait que les divergences sont
multiples sur la définition des mujtahadât, quʼon y distingue plusieurs catégories avec des règles
particulières, que les divergences se sont modifiées avec le temps... Autant dʼoccasions de procès (voir
Tyan, Autorité).
135503— Lʼerreur de fait. En général, les fuqahâʼ (sauf les malékites) écartent la remise en cause des

jugements pour erreur de fait. Toutefois les parties perdantes ont la possibilité dʼobtenir certains
jugements qui annulent des jugements antérieurs. B. Johansen (Preuve, p. 16) évoque le “témoignage
perçant” en droit hanéfite. Par exemple une personne sʼest fait reconnaître par jugement, héritière dʼun
bien quelconque. Le témoignage perçant, qui annulera ce jugement, sera celui qui prouvera que le défunt
avait vendu ledit bien avant sa mort et quʼil ne saurait être compris dans lʼhéritage. Selon Tyan, les
hanéfites, à une époque tardive, ont pris lʼhabitude de prononcer des jugements en lʼétat. Le juge déclare
dans son jugement que les droits du perdant sont préservés, sʼil parvient à fournir les témoignages qui lui
manquent. Les autres rites ont admis aussi ce principe.
136Les malékites se distinguent en ouvrant plus largement la porte aux considérations morales et en

refoulant la mécanique strictement juridique des autres rites. Ils posent en principe quʼil existe trois
sortes de juges : 1/ le juge savant et juste, qui ne commet pas dʼerreur de droit, mais peut commettre des
erreurs de fait, et ses jugements sont révocables pour erreur de fait. 2/ le juge ignorant et juste, qui
commet des erreurs de droit et dont les jugements peuvent être révoqués pour erreur de droit, ce qui en
principe ne devrait pas exclure les révocations pour erreur de fait, comme dans le premier cas, ainsi que
le fait remarquer Tyan. 3/ le juge inique, dont les jugements sont révocables pour iniquité, partialité, etc.
137504— La rétractation des témoins et le faux témoignage. Si la rétractation se produit pendant le

procès, elle conserve tous ses effets. Lʼaction peut être déboutée faute de preuves suffisantes : le premier
témoignage étant rejeté parce que rétracté, le second devient unique, insuffisant, et entaché de doute.
138Si la rétractation se produit après le procès, ses effets sont limites. En effet le témoignage (même

erroné) a été corroboré par le jugement, et il a acquis une valeur supérieure à la rétractation ultérieure,
faite même dans une enceinte judiciaire. Le jugement nʼest pas annulé et conserve ses effets jusquʼà un
autre jugement. Un hadîth dit : “Le secret par le secret, le public, par le public”, ce qui sʼest fait en secret
se répare en secret, ce qui sʼest fait officiellement se répare officiellement.
139Le principe est unanimement admis que les témoins qui se rétractent sont responsables des dommages

quʼils ont causés par leur témoignage et dans la mesure où ce témoignage a pesé dans la décision. On voit
dans les traités une curieuse arithmétique, souvent très détaillée. Par exemple une dette a été prouvée par
deux témoins et le perdant a dû payer conformément à un premier jugement. Puis, lʼun des témoins se
rétracte. Le perdant lui réclame des dommages-intérêts. Le juge condamnera le témoin qui se rétracte à
payer la moitié de la dette au perdant du premier procès. Mais lʼautre témoin ne sera pas inquiété. Si le
premier procès a été décidé sur le témoignage dʼun homme et de deux femmes et que ce soit une des
femmes qui se rétracte, elle ne paiera que le quart. Mais dans le cas de lʼadultère, si un des témoignages
est invalidé, les trois autres témoins encourent la peine de qadhf. Sʼil y a eu mort (par lapidation), le
témoin qui se rétracte ne payera que le quart de la diya...
140Les faux témoins (châhid az-zûr) doivent être punis comme calomniateurs (cf. droit pénal). Selon al-

Halabî, doivent être punis comme calomniateurs ceux qui ne réunissent pas les conditions légales pour
témoigner cʼest-à-dire les aveugles, les hommes flétris par une précédente peine de qadhf (fausse
accusation de fornication), les esclaves, les non-musulmans (sʼils témoignent contre des musulmans). Le
calife ‘Umar leur appliqua lui-même 40 coups de fouet pour calomnie. En général les fuqahâʼ ne
retiennent que le paiement des dommages, une exposition publique (tachhîr) pour discréditer le faux-
témoin si cʼest en matière civile, mais en matière pénale les 40 coups de fouet lui sont appliqués.
141DʼOhsson (Tableau) écrit que le faux témoignage est très fréquent : il y a des gens qui font profession

dʼêtre témoins contre salaire. Peut-être a-t-il mal compris le rôle des ‘udûl. Le juge peut écarter leur
témoignage en leur posant des questions sur la religion ; les questions sont faciles ou difficiles suivant
que le juge veut admettre ou récuser les témoins. Mais cʼest alors le juge qui a un rôle exorbitant.
142505 — Lʼappel à lʼéquité. Il y a unanimité pour admettre que le prince est dépositaire du droit de

juger. Il peut donc juger en équité, en observant le droit musulman, mais en exploitant toutes les voies
quʼil ouvre pour la justice : cʼest la raison pour laquelle bien des juristes qui ont traité du califat exigent
que le calife soit mujtahid.
143Le prince peut donc être saisi par la plainte dʼun particulier, qui sʼadresse alors au tribunal des

injustices (maẖkama al-maẕâlim), en première ou en deuxième instance peu importe. On a évoqué ces
tribunaux et leur transformation progressive en administration spéciale (voir tome I, n° 58, 107, 126, 146,
172, et tome II, n° 475).
144Le prince peut aussi se saisir lui-même dʼune affaire en cours, avant ou pendant le procès. Il peut
casser un jugement prononcé, et même révoquer le juge qui en est à lʼorigine. Les malékites lui imposent
de consulter les juristes compétents, mais la consultation des ulémas fait partie des habitudes des divers
sultans dans la gestion de ces affaires.
SECTION 3 - PROBLÈMES ANCIENS ET NOUVEAUX
145Pour donner une idée de lʼévolution de la procédure dans lʼhistoire de la justice islamique, nous

reproduisons, avec des coupures, un de nos articles consacré à lʼaveu forcé en droit musulman (§ 1). Puis
nous évoquerons la situation actuelle (§ 2).
§ 1- Lʼévolution de la procédure classique à travers la question de lʼaveu
forcé

146Les traités de droit musulman parlent rarement de la torture mais les plus souvent de lʼaveu forcé.

Cette question est généralement examinée dans le chapitre du droit pénal consacré aux modes de preuves
concernant le vol, mais la doctrine quʼils y développent peu sʼappliquer aux autres questions pénales.
147506 — Lʼaveu forcé chez les hanéfites. La doctrine dans les débuts du droit musulman était hostile à
tout forme de contrainte ou de torture qui aurait pu sʼexercer sur lʼaccusé. Un des premiers ouvrages de
droit, le Kitâb al-kharâj de Abû Yûsuf le montre bien en deux passages. Lʼauteur écrit à la demande du
calife Harûn ar-Rachîd (786-809).
148Le premier passage est relatif aux prisonniers (p. 151). Abû Yûsuf soutient quʼil faut nourrir et habiller
les prisonniers, et que, une fois la peine décidée, on ne doit pas leur infliger plus que de droit. Dʼaprès
ses renseignements, la pratique dans les prisons du calife est différente. On frappe les prisonniers, sur
simple soupçon ou après le prononcé de la peine jusquʼà 200 ou 300 coups de fouet, alors que le
maximum légal est de 100 coups. Il rappelle que le premier calife, Abû Bakr, avait déjà interdit de
dépasser la peine prononcée, ce qui tend à prouver que, même au tout début du califat la pratique était
plus dure que la doctrine, si tant est quʼon puisse parler de doctrine à cette époque.
149Lʼautre passage (p. 175) est relatif au vol. Abû Yûsuf écrit :
“Quant à celui dont on pense ou quʼon soupçonne de vol ou autre (délit), il ne convient pas de lui infliger une peine discrétionnaire
(ou arbitraire : taʼzîr), coups, menaces, paroles dures. Lʼaveu de celui qui avoue dans ces conditions, soit un vol soit un crime puni
dʼune peine fixe (ẖadd), soit un meurtre, est un aveu qui ne vaut rien, et il nʼest pas licite de procéder à la peine dʼamputation ni de
le rendre débiteur de quoi que ce soit. Ach-Chaybânî mʼa raconté, dʼaprès ‘Alî bn Hanẕala ( ?), que le calife ‘Umar a dit : “Un
homme nʼest pas crédible sur lui-même si tu lʼas affamé ou effrayé ou emprisonné pour quʼil avoue contre lui-même.” Muẖammad
Bn Isẖaq mʼa aussi raconté ce quʼil tenait de Zuhrî ceci : “Je voyageais en Syrie avec un homme qui fut accusé de vol sur un
soupçon. Il fut frappé et il avoua. On lʼenvoya au fils de ‘Umar, ‘Abd Allâh, qui lʼinterrogea et déclara : “On nʼampute pas, parce
quʼil nʼa avoué que sous les coups”.
150La doctrine est bien attestée pour le rite hanéfite. B. Johansen (Vérité et torture, p. 161) cite
longuement as-Sarakhsî (Mabsût, t. 24, p. 70) qui écrit :
“Si un cadi menace un homme de coups, dʼemprisonnement ou de mise aux fers jusquʼà ce quʼil avoue avoir commis un délit
passible dʼune peine fixe (ẖadd) ou de talion, lʼaveu est nul et non avenu. Il en est ainsi parce que lʼaveu se situe entre sincérité et
mensonge. Il sera accepté comme preuve seulement si lʼaspect sincère lʼemporte (tarajjaẖa) sur lʼaspect mensonger. Mais le fait
de menacer une personne de coups ou dʼemprisonnement exclut que lʼaspect sincère et crédible soit prépondérant, selon une
déclaration du calife ‘Umar, qui dit : “Un être humain nʼest pas maître de lui-même si sa personne est battue ou enchaînée” (On a
retouché la traduction).

151Néanmoins, il y a ici une faille : la torture, peut, dans certains cas, aboutir à la vérité. Sarakhsî cite

(p. 70) ce quʼon dit de Hasan bn Ziyâd (le fondateur de lʼÉtat chiite zaydite au Tabaristan). Ce Hasan bn
Ziyâd avait déclaré à un émir que battre un accusé pour obtenir un aveu ne devait se faire que si la chair
nʼétait pas entamée ni lʼos apparent. Puis, changeant dʼavis, il se rendit chez lʼémir qui était déjà en train
de battre le voleur. Celui-ci avoua et donna la cachette de son butin. De nouveau, Hasan changea dʼavis et
déclara : “Je nʼai jamais vu une injustice qui ressemble plus à la justice que celle-là !”.En dépit de ce
texte, le rite hanéfite soutient que seul un second aveu, fait sans contrainte, est valable. Sarakhsî discute
cette situation assez longuement, jusquʼà dire, quʼun homme qui a avoué sous la contrainte, même si on lʼa
relâché, même si on lui promet de ne plus le battre, avouera quand même une seconde fois par crainte
(ibid., p. 71).
152Notre auteur ajoute que lʼexécution dʼune peine de mort sur un aveu forcé entraîne la responsabilité du
juge, qui devra être puni de mort. Il faut toutefois que la personne ainsi injustement torturée ne soit pas
parmi les personnes soupçonnables, cʼest-à-dire les personnes de mauvaise réputation. Car dans ce cas,
un doute subsiste : lʼaccusé torturé a peut être dit vrai, puisquʼil est du genre à commettre des crimes. Si
on ne doit pas le condamner sur cette base, le doute profitera aussi au cadi qui lʼa condamné : il ne devra
que le prix du sang. Hors les crimes, le cadi restera responsable des dégâts matériels ou physiques dus à
son jugement non fondé, car le doute nʼenlève pas lʼobligation monétaire. Néanmoins la distinction entre
les personnes de bonne ou de mauvaise réputation introduit une seconde faille : les gens de mauvaise
réputation sont probablement coupables et les torturer est moins grave...
153507— Lʼaveu forcé chez les malékites. Il nʼy a pas dans le Muwaṯṯaʼ de Mâlik, de doctrine
équivalente. Dans la Mudawwana de Sanẖûn, on trouve, coincé entre les aveux des impubères et la
dispense de peine par grand froid, un passage au tome 9, § 2779 (ou tome 6, p. 293, selon lʼédition
libanaise) sur les aveux obtenus par menaces, coups et emprisonnement.
154On sait que le livre de Saẖnûn est le compte-rendu de ses discussions avec Ibn al-Qâsim, élève de

Mâlik, que Saẖnûn nʼa pas connu. Sur la question de lʼaveu forcé, Ibn al-Qâsim affirme seulement que
Mâlik considérait celui qui a avoué après avoir été intimidé devait être déchargé (uqîla). Pour Ibn al-
Qâsim, toutes les autres situations, menaces, emprisonnements, coups, sont à ramener à lʼintimidation.
Mais Saẖnûn presse Ibn al-Qâsim de questions : “Mais sʼil avoue une seconde fois, hors de toute
pression ?” Ibn al-Qâsim ne répond que par une opinion personnelle, le second aveu doit entraîner la
peine. Sur la nécessité de ce second aveu, Ibn al-Qâsim énonce une incise assez ambiguë : “à moins quʼil
ait rapporté, lors de son premier aveu, quelque chose quʼil savait sincèrement ou quʼil a désigné”. Saẖnûn
revient à la charge, mais Ibn al-Qâsim se dérobe : “pas de peine, sʼil nʼa pas avoué en sûreté, sans
crainte” et à de nouvelles questions, Ibn al-Qâsim exempte lʼavouant de toute responsabilité,
dédommagement ou diya (prix du sang pour meurtre).
155La doctrine malékite était donc assez claire : lʼaveu contraint nʼest pas valable, ni pour fonder le prix

du sang, ni la responsabilité des dégâts. Mais lʼincise de Ibn al-Qâsim pouvait donner lieu à
interprétation.
156508— Lʼaveu contraint dans les autres rites. Les chaféites et hanbalites ne se distinguaient pas sur
cette question à lʼépoque des hanéfites et malékites. On peut dire que la majorité des docteurs
nʼenvisageait pas le problème, ou, quand ils le faisaient, ils prenaient un parti hostile à lʼaveu contraint.
Lʼouvrage dʼIbn Ruchd, le petit-fils (Averroès), la Bidâya, ne signale aucune divergence entre les
doctrines sunnites sur le mode dʼétablissement de la preuve pour vol : “(les ulémas) sont unanimes pour
dire que le vol est établi par le témoignage de deux témoins intègres, ou par lʼaveu de lʼhomme libre.” (t.
2, p. 340).
157Toutefois, certains admettaient lʼaveu contraint si les dires de lʼavouant étaient corroborés par la
découverte de lʼobjet volé. Cet aspect de la question était embarrassant, et on voit Ibn Hazm écarter cette
preuve, tout en admettant quʼune véritable preuve, obtenue par la torture puisse conduire à la peine
dʼamputation (al-Muẖalla, vol. 13, p. 373-374). On voit aussi chez Saẖnûn une hésitation comparable.
Dès les débuts du droit musulman donc, la doctrine présentait des failles, tantôt parce que la torture
pouvait aboutir à une certitude de culpabilité, tantôt parce quʼil sʼagissait de personnes de mauvaise
réputation.
158Ces mêmes docteurs ne parlaient pas non plus de la justice du calife et de ses subordonnés dans le
système administratif et militaire. À lʼexception dʼun seul, le chaféite al-Mâwardî.
159509 — La justice administrative et la torture selon al Mâwardî. Seul le chaféite al-Mâwardî a fait la

doctrine de la justice administrative. Lʼabsence de toute référence à cette justice dans la plupart des
traités de droit montre bien le peu dʼestime dans laquelle on la tenait, mais aussi la prudence dont il
fallait faire preuve pour en parler. Dʼailleurs le livre dʼal-Mâwardî ne fut publié quʼaprès sa mort selon
son désir.
160Al-Mâwardî, dans al-Aẖkâm as-sulṯânîya, (p. 361-362), trad. Fagnan Les statuts gouvernementaux,

(p. 469-473) fait la comparaison entre les deux procédures :


“Quand il y a soupçon de lʼexistence dʼun acte coupable, mais quʼelle nʼest pas régulièrement établie, il faut tenir compte de ce
quʼest celui qui sʼen occupe. Si cʼest un juge (cadi) à qui est déféré un individu soupçonné de vol ou de relations sexuelles illicites,
ce soupçon nʼest pas de nature à lʼinfluencer, il ne lui est pas permis dʼemprisonner le coupable présumé pour enquêter ou pour
attendre quʼil soit innocenté ou pour arriver par le fait de ses propres aveux”.
161Le juge doit rester dans le cadre strict de la procédure fixée pour chaque infraction. Sʼil sʼagit dʼun

vol, par exemple, il faut que le propriétaire porte plainte, et lʼaveu de quelquʼun est insuffisant pour
ouvrir la procédure contre lui.
“Si celui à lʼexamen de qui est déféré ce prévenu est un chef militaire (émir) ou quelque directeur des aẖdâth et des ma‘âwîn [des
fonctionnaires de police, Fagnan], il dispose, comme moyens de recherche et dʼélucidation complète, de procédés que ne peuvent
employer les cadis, ni les chefs civils (ẖukkâm) ; cela constitue neuf points de différence entre les deux juridictions.

162“ En voici le résumé :

1631/ lʼémir peut procéder à une enquête par ouï-dire (auprès de ses huissiers) contrairement au cadi, et
emprisonner ou relâcher le prévenu dès cet instant.
1642/ lʼémir tient compte des présomptions tirées des circonstances (sur la manière dʼêtre du prévenu, sur

son apparence, les objets quʼil transporte). Elles permettent de fonder une accusation ou non. Les cadis ne
peuvent tenir compte des circonstances.
1653/ Lʼémir peut emprisonner sur-le-champ celui sur lequel portent ses soupçons ; il fait alors une
enquête ; le cadi ne peut emprisonner que sur lʼinjonction de la loi. La durée de la prévention est illimitée
pour la majorité des auteurs, pour une minorité, elle est limitée à un mois.
1664/ “Lʼémir peut, quand il existe de graves soupçons, infliger au prévenu des coups à titre de peine

discrétionnaire (ta‘zîran), non à titre de peine légale (haddan), à lʼeffet de le lier par lʼaveu quʼil peut
faire de la vérité au sujet de ce qui lui est imputé et dont il est soupçonné. Quand il avoue au cours de
lʼexécution [des coups, au cours de la bastonnade, HB], il faut tenir compte de ce quʼil peut être par
rapport au fait que lui vaut ces coups :
lorsque les coups ont pour but de lui arracher un aveu, celui-ci fait à ce moment nʼest pas décisif [et
a besoin dʼautres preuves, Fagnan] ;
si le but des coups était de lui arracher la vérité sur ce qui le concerne, il vient à avouer au cours de
lʼexécution, il est mis fin à celle-ci, et il lui est demandé de renouveler son aveu ; et sʼil le fait, ce
sera ce second aveu qui le lie, non le premier. [HΒ : le premier aveu est fait “en passant”, à propos
dʼautre chose ; il en faut donc un second]. Mais sʼil se borne au premier et que la répétition nʼen soit
pas exigée, on ne pousse pas contre lui la sévérité jusquʼà lui en appliquer les conséquences.
Cependant nous goûtons peu cette solution.”
1675/ Lʼémir peut emprisonner à vie un récidiviste, pas le cadi.

1686/ Il peut exiger de lui des serments, pas le cadi.

1697/ Lʼémir peut menacer les coupables, mais pas de mort.

1708/ Lʼémir peut écouter des témoignages nombreux de gens qui ne sont pas admis à témoigner auprès du
cadi [cʼest-à-dire des gens non intègres, non musulmans, non adultes, etc. HB]
1719/ Lʼémir est compétent en matière dʼagression, même sans peine prévue ni sans charge pécuniaire. Il

peut procéder à une criée publique des méfaits ...


172On a peu de choses dʼautre sur la justice administrative, sinon ce quʼon trouve parmi les historiens, où

il est clair que les califes et gouverneurs ne se sont pas privé de pratiquer la torture. La doctrine de la
séparation des deux juridictions avec deux procédures a été admise dans tous les rites.
173510 — Les raisons de cette double doctrine. Le contexte. Pour rendre compte cette double doctrine,

nous risquerons trois séries dʼidées explicatives. La première est relative au contexte politico-religieux
qui existait au moment de la formation du droit à lʼépoque abbasside ; la seconde met en évidence la
stratégie des juristes pour préserver le fond du droit de la contamination du politique ; la troisième
souligne le rôle mineur du concept de vérité dans le procès, ce qui permet de préserver le droit de la
contamination du quotidien.
174La doctrine du refus de la torture est née bien après une pratique constante de tous les pouvoirs

politiques, qui ont usé et abusé de la torture sans retenue. La torture qui a laissé le plus de traces dans
lʼhistoire sʼest exercée surtout contre les vizirs, généraux et notables, juristes et traditionnistes compris.
Elle avait deux motifs, le premier, proprement politique, était la suppression de rivaux politiques réels ou
potentiels ; le second, le besoin dʼargent : on torturait pour obtenir la cache de lʼor. Mais les petites gens
tombaient aussi aux mains des agents de lʼadministration, en particulier des percepteurs, qui torturaient
constamment les contribuables (voir Encyclopédie de la torture ; Johansen, Vérité et torture, p. 144-146 ;
Redjala).
175Cʼest dans ce contexte que prend forme le droit musulman, à la fin du 2e/viiie siècle. Il est le produit

final de plusieurs générations de gens pieux, traditionnistes, souvent de convertis sincères, en opposition
avec les monarques arabes umayyades passablement mécréants. La piété, telle quʼelle sʼest manifestée au
cours des deux premiers siècles de lʼhégire a donné naissance à deux attitudes : la révolte ou la fuite
résignée. Les multiples sectes chiites et kharidjites sont lʼexpression de cette révolte des gens pieux, et
elles ont été sans cesse combattues par les Umayyades, puis par les Abbassides. Les gens pieux passifs
ont souvent eu des sympathies pour telle ou telle révolte, ce qui leur valait aussi souvent le fouet. Ces
gens pieux ont appuyé la révolution abbasside (750), révolution anti-arabe et qui faisait appel à des
slogans religieux, mais ils ne sont pas vraiment ralliés au nouveau régime qui sʼest vite révélé aussi cruel
que son prédécesseur.
176Pendant toute cette époque, cette dichotomie dans lʼélite de lʼEmpire musulman présida à la formation

du droit. Ceux qui se consacraient au droit et à la religion sʼopposaient aux politiques et aux militaires au
pouvoir. Presque tous les grands juristes de lʼépoque ont été fouettés par quelque calife ou gouverneur.
On fuyait le poste terrible de cadi, car cʼest entrer dans lʼarène, se mettre aux ordres du calife, se
compromettre, “un assassinat sans couteau” dit Saẖnûn, reprenant dʼailleurs textuellement une tradition.
Aussi lʼhomme pieux cherchait-il à se protéger du politique, lui-même et ses collègues, et, dans le même
mouvement, à protéger le droit quʼil élaborait, aussi bien que la fonction de cadi quʼil devait bien
accepter.
177511— Les raisons de cette double doctrine. La stratégie des juristes. Ce qui est remarquable dans la

constitution du droit abbasside est que la doctrine sʼest refusée à enregistrer comme porteurs de
signification normative, certains exemples du Prophète et des Compagnons. On voit en effet le prophète
Muẖammad faire torturer le juif Kinânah Bn Rabi‘ après la prise de Khaybar pour quʼil avoue où était
caché son or (Sîra dʼIbn Hichâm, t. 3, p. 366 ; Tabari, Mohammed, le Sceau des Prophètes, trad.
Zotenberg, p. 256 ; At-Turuq, p. 8-10, etc.). Les Compagnons nʼont pas oublié non plus de faire battre tel
ou tel récalcitrant (voir à ce sujet lʼEncyclopédie de la torture qui compile tous les exemples connus). Le
Muwaṯṯaʼ de lʼimâm Mâlik montre ‘Umar jouant facilement de sa badine : il frappa même un juif qui
avait gagné son procès et avait osé lui dire quʼil avait jugé justement (chap. des jugements, 2e hadîth).
178Pour B. Johansen (La légalisation, p. 177 sq.) les juristes qui ont construit le droit musulman à cette

époque avaient “une stratégie dʼimmunisation des normes du fiqh” : ils distinguaient dans la pratique des
“personnages charismatiques” (le Prophète et ses Compagnons), entre ce qui était normatif et obligatoire,
et ce qui était privilège individuel ou pratique “politique” (siyâsa), cʼest-à-dire dépendant des
circonstances, et sans valeur normative pour les musulmans. On ne peut sʼexpliquer autrement lʼabsence
de toute doctrine de lʼÉtat ou du pouvoir, ce silence sur des fonctions essentielles (calife, gouverneur,
police) dans la plupart des traités de droit, cette indifférence à lʼefficacité de la lutte contre le crime.
179Recevoir comme norme de base les pratiques de ces personnages, compilées postérieurement par les
traditionnistes, aurait mis en péril le système de normes établi par les juristes. Selon Schacht, ce système
de normes sʼest même bâti indépendamment de la religion et avec force influences étrangères. Les normes
de base du fiqh étaient déjà posées (à la fin du 2e/viiie s.) quand les traditionnistes se mirent à compiler
les traditions biographiques de la Sunna (au cours du 3e/ixe s.). Cʼest pourquoi les traditionnistes nʼont
jamais été considérés comme faisant partie des spécialistes du droit. Le droit musulman est ainsi lʼaffaire
dʼun corps spécialisé qui préserve son instrument de travail, tant du calife très proche, et qui ne cesse de
perturber le jeu normal de la justice par ses interventions, que des autres savants qui nʼont pas idée de la
position incertaine du cadi. Mais le droit doit être aussi préservé des aléas du procès.
180512— Les raisons de cette double doctrine. Le rôle mineur de la recherche de la vérité dans le
procès. Dans le système quʼont créé les juristes, le juge judiciaire nʼa pas un pouvoir considérable (il ne
peut se saisir lui-même. Cʼest une situation qui préserve bien la fonction de juge : il attend les affaires,
reste arbitre et favorise la paix entre les particuliers. Il doit certes accéder aux désirs des plus forts
(calife, gouverneurs) qui ont besoin (parfois) de faire conforter leurs sentences. De toute façon la
recherche des criminels sera surtout lʼaffaire des policiers et soldats.
181En créant le droit procédural, les juristes, à lʼépoque de la formation du droit musulman, ont retenu de

la saga du Prophète et de ses Compagnons tout ce qui pouvait conforter la pratique suivie par les
professionnels, comme le ẖadîth du Prophète énonçant que le juge doit juger suivant le for externe (cf. n
° 496), ou celui de ‘Umar reconnaissant quʼun homme malmené perd la tête (n° 506). Ainsi le juge ne
saurait faire mieux que le Prophète : il juge au for externe, le for interne appartenant à Dieu. Lʼaveu, le
témoignage ne sont que des dires, dont on ne sait pas le rapport avec la vérité. Mais comme le Coran et la
Sunna imposent ces modes de preuves, il faut les utiliser, mais poser que lʼaveu forcé ne vaut rien.
182Le système procédural ainsi construit est hautement formalisé : les témoins doivent être reconnus

comme intègres par le cadi. Les rôles du demandeur et du défendeur sont strictement délimités. Les
modes de preuve sont dʼabord lʼaveu volontaire sʼil se produit dʼentrée de procès, puis le témoignage
des gens intègres, puis le serment. Ce dernier ne saurait être produit sʼil y a eu témoignage de gens
intègres, pour éviter que le serment mette en cause lʼintégrité des témoins ou que lʼintégrité des témoins
mette en cause la sincérité du serment, situations qui conduiraient aussi à jeter des doutes sur la valeur de
la procédure légale, et sur la loi en général, voire sur lʼislam.
183513 — Paradoxe de la justice musulmane classique. Il semble alors que pour ces juristes, le plus
important à préserver est la vérité de la loi, non la vérité des faits, ni la justice du jugement. Le hadîth du
Prophète est très clair : si la sentence est injuste, ce nʼest pas la faute de la loi, mais celle dʼune des
parties. La loi, la religion, se protège du procès, comme le droit de la politique, comme les cadis des
califes. La vérité de la loi doit être inaccessible aux manœuvres des parties, et si le jugement dʼaprès
lʼapparence est injuste, la faute en incombe aux parties (qui mentent), aux policiers (qui torturent), à la
politique (qui impose certains jugements), mais pas à la religion, ni au droit, ni au juge. Le cadi est en
quelque sorte lʼexpression dʼun monde à part, religieux, éternel.
184On aboutit ainsi à un paradoxe. En théorie, lʼislam ne sépare pas le religieux du politique et on
constate comme une sorte de désintérêt des hommes de religion envers le quotidien des hommes
ordinaires, envers la criminalité, envers la conduite de lʼEtat. Pour ce type de musulman pieux, la seule
vérité accessible est celle du
185Coran et de la Sunna, le reste est ẕann, doute, kadhb, mensonge, jahl, ignorance, siyâsa, politique. La

torture est donc totalement exclue de lʼoptique du cadi musulman et de ses collègues juristes, mais un peu
comme sʼils se désintéressaient de la lutte contre la criminalité, de la justice entre les parties, comme ils
se sont désintéressés de la structure de lʼÉtat et du droit public (sauf le jihâd, en grande partie théorique).
186514— Le tournant de lʼépoque mongole. La siyâsa char‘îya. Il est frappant de constater que cʼest à
partir de la fin du xie siècle, donc au moment des croisades, que les situations politiques et les mentalités
changent dans le monde chrétien comme dans le monde musulman, et que ces changements vont avoir un
impact sur le droit qui va aboutir à lʼadmission de la torture au xiiie -xive siècle et cela sur les deux rives
de la Méditerranée. Une étude dʼensemble serait nécessaire, incluant lʼEmpire byzantin et le monde juif.
Nous ne pouvons poursuivre la question que pour le monde musulman. Commençons par examiner la
doctrine, avant de chercher les causes du changement.
187Au point de départ des nouvelles conceptions du droit musulman, on trouve le concept qui apparut vers
le xiie siècle, celui de siyâsa char‘îya (voir n° 278)(politique conforme aux buts généraux de la charî‘a).
Il ne sʼagit pas seulement dʼappliquer la charî‘a, mais de prendre toutes les mesures qui tendent à rendre
cette application possible : la siyâsa char‘îya déborde la charî‘a. Elle est juste tant quʼelle est en
cohérence avec la loi islamique, elle permet beaucoup de choses dans lʼintérêt commun, et cela
“siyâsatan”, en vertu du devoir politique de préserver les conditions dʼapplication de la loi islamique.
188Les hanéfites et chaféites tendaient à réserver ces pouvoirs étendus aux politiques. Chez les malékites,

du fait dʼun large emploi du concept de maslaẖa (intérêt commun), on a tendu à ne pas faire la distinction
entre les pouvoirs des deux juridictions. Les hanbalites (Ibn Qayyim) sont plus éclectiques et admettent
que ce sont les circonstances qui décident pour lʼun ou lʼautre système (Tyan, 1959, p. 106). En fait ce
sont eux les premiers à changer leur doctrine, et on commencera par eux.
189515— Les nouveaux hanbalites. Ces hanbalites admirent la doctrine de la siyâsa char‘îya qui
impliquait lʼadmission de la torture judiciaire et la confusion des rôles politiques et judiciaires. Ibn
Qayyim al-Jawzîya, le disciple dʼIbn Taymîya écrit : (la siyâsa char‘îya est) “une pratique qui rapproche
les êtres humains du salut et les éloigne de la corruption, même si le Prophète ne lʼa pas statué et si
aucune révélation nʼest descendue à son égard”. Iʼlam al-muwaqqa‘in ‘an rabb al-ʼâlâmîn (vol. 4,
p. 283, cité par B. Johansen).
190A la suite dʼIbn Taymîya ces hanbalites ont renoncé à la théorie de lʼÉtat dʼal-Mâwardî : pour eux, peu
importe le régime, il suffit que la loi islamique soit appliquée. On nʼexige plus que le calife soit élu, quʼil
soit de la tribu des Quraych. Que les plus forts (les émirs) et les plus pieux (les ulémas) tiennent lʼÉtat est
suffisant. “Quand ces deux classes sont saines, le peuple lʼest aussi” (Ibn Taymîya, Siyâsa, p. 136 ;
Laoust, p. 169).
191Il faut donc donner aux cadis, comme aux militaires, des armes pour établir la loi islamique et la faire

respecter, sans craindre dʼaller à lʼencontre de la charî‘a : “Quelle que soit la voie, si elle produit la
justice et lʼéquité, alors elle appartient à la religion et nʼest pas contre elle” (Ibn Qayyim, Ṯuruq, p. 16).
192Il ne saurait être question de continuer à séparer les justices, de protéger le monde du cadi de la

réalité, etc. Dire que le wâlî (gouverneur) a des droits qui lui permettent de lutter contre la corruption,
cʼest dire que ces droits sont conformes à la charî‘a. La séparation des fonctions nʼest alors quʼune
question de circonstances (Ṯuruq, p. 115). Même doctrine chez Ibn Taymîya, dans al-Hisba fî l-islâm,
(trad. Laoust, p. 31).
193516 — Critiques contre la procédure classique. Ibn Qayyim insiste sur le fait que le formalisme
irréaliste du droit musulman de lʼépoque abbasside est inefficace pour lutter contre les criminels :
“Ils ont aboli les ẖudûd, ils ont perdu les droits [des plaignants], ils ont encouragé les gens mauvais à la corruption. Ils ont diminué la
charî‘a au point quʼelle est incapable de servir les intérêts humains, et quʼelle a besoin dʼautre chose. Ils ont fermé les voies saines
qui conduisent à la connaissance de la vérité et à son application, ils lʼont rendue vaine, alors quʼils savaient absolument et dʼautres
avec eux, que la vérité (ẖaqq) est conforme à la réalité (wâqiʼ)... Ce qui les a obligés à cela, cʼest une sorte dʼinsuffisance dans la
connaissance de la charî‘a, et dʼinsuffisance dans la connaissance de la réalité, et [des conditions nécessaires] à lʼapplication de
lʼune sur lʼautre”. (Ṯuruq, p. 15)
“Le Prophète a emprisonné sur un soupçon, il a puni sur des indices... Celui qui relâche quelquʼun des gens soupçonnables après
un simple serment, alors quʼil sait quʼil va répandre la corruption sur la terre, quʼil va multiplier les vols et qui dit : “Je ne peux le
punir que si jʼai deux témoins intègres” son dire est contraire à la politique conforme aux buts de la loi islamique (siyâsa char‘îya)”
(ibid., p. 16).

194Il sʼensuit que, dans la procédure, il ne faut pas identifier le témoignage et la preuve claire (bayyina).
La preuve claire englobetout ce qui fait connaître la vérité des faits : indices, signes, présomptions
(ressemblances), etc. Le juge devient un interprète des signes et si les signes manquent, il doit les trouver
grâce à sa perspicacité (firâsa), la physionomie des personnes, leur psychologie, les relations entre elles
(B. Johansen, Légalisation, p. 195-196). Le livre dʼIbn Qayyim, (Ṯuruq), accorde une large place à la
firâsa (p. 3-59).
195Dès lors les témoins intègres ne sont plus les seuls à être sollicités. Le juge peut utiliser des
informateurs (mukhbir) même non pieux, même non musulmans, même des enfants. Il peut se fier à
lʼistifâda (ce qui est de notoriété publique). Jusquʼici cette notoriété ne servait que dans les procès civils
pour défendre le défendeur honorable dans les contestations de propriété. La présomption de propriété
jouait en sa faveur. Avec les hanbalites du xiiie siècle, elle entre dans le procès pénal : on pourra donc
condamner à mort le musulman fornicateur, en lʼabsence des quatre témoins. Le juge (cadi ou autre) devra
faire attention à la situation sociale des personnes. Certes la doctrine antérieure y a toujours fait
attention : par exemple chez les malékites, la différence de statut rend improbable lʼexistence de dettes, et
permet de débouter la revendication dʼun pauvre créancier contre un riche si le demandeur ne prouve pas
quʼil y a eu des relations entre eux.
196Pour les nouveaux hanbalites il faut retourner à la pratique des salaf-s (pieux ancêtres), qui, du
Prophète aux Abbassides, nʼont pas hésité à torturer :
Ibn Qayyim cite Ibn ‘Aqil, Ṯuruq, p. 14-15 : “les califes Râchidûn ont tellement tué et mutilé quʼaucun connaisseur des Sunnas ne
peut le nier ; et quand il nʼy aurait que lʼexemple de ‘Uthmân qui a fait brûler les Corans [dont les versions étaient contraires à
celle quʼil avait fait établir], cʼest un point de vue personnel (ra’y) sur lequel on sʼest fondé au nom de lʼintérêt de lʼumma”..

197La torture nʼest pas facultative, mais vu lʼexemple des ancêtres, elle est obligatoire. Dʼailleurs les

ulémas lʼont admise pour certaines matières civiles (cf. n° 487) et pour le wâlî (Ṯuruq, p. 114 et 116).
198Les procès en suspicion (da‘wâ at-tuhma) deviennent légitimes. Le riche honorable nʼa pas à se

défendre, à prêter serment : le demandeur, sʼil ne peut fournir des témoins intègres, donc sans preuve,
sera débouté et même puni sʼil a mauvaise mine. Si lʼhomme de mauvaise réputation est accusé, on ne lui
demandera pas le serment, on lʼemprisonnera et on le battra jusquʼà ce quʼil avoue. Sont suspects par
définition : les bédouins, les Turkmènes, les Arabes dʼArabie, les artisans (vendeurs sur balance
faussée), les paysans (plus ou moins brigands), les débauchés des villes, les hérétiques, les soldats de
bas étage, etc.
199Ibn Qayyim dans ses Ṯuruq, p. 10, écrit : “Ce nʼest pas une exécution de la peine fixe, à cause de
lʼaveu auquel il a été forcé, mais à cause de lʼexistence des biens volés auxquels on a eu accès par son
aveu” (cité par B. Johansen, Légalisation, p. 198). Les peines “siyâsatan” ou “taʼzîran” se substitueront
donc aux peines fixes (hudûd) (cf. chap. suivant).
200Le caractère soupçonnable est un signe qui, par la torture, conduit à dʼautres signes qui font preuve et

fondent la peine. Lʼenquête matérielle est à ce moment admise, ce qui nʼétait pas le cas dans la doctrine
classique.
201517 — Causes et conséquences. Cʼest au contexte du χιιie siècle quʼil faudrait plutôt rapporter les

causes de ce changement de doctrine : invasions mongoles et brutalité des nouveaux pouvoirs, banditisme
(notamment des troupes de Khawârizmiens qui pillent Jérusalem), domination des militaires (Mamelouks)
en Égypte, etc. On le voit bien dans la Siyâsa char‘îya de Ibn Taymîya, qui ne cesse de dénoncer
lʼabandon des hudûd, la complicité des autorités avec certaines bandes, la corruption, etc. (trad. Laoust,
Le traité de droit public dʼIbn Taymîya, notamment p. 65-68, 84-85, 90-91, 96). Le fait quʼen Occident
chrétien ce soit aussi à la même époque que lʼon admet la torture (décrétale de 1252 du pape Innocent IV,
qui institue la torture des hérétiques) laisse penser que des causes plus générales encore ont joué. Encore
une fois, une étude dʼensemble serait nécessaire.
202En Occident musulman, la situation est tout aussi troublée à partir du xiie siècle, au moins. La
décadence est patente comme en Orient. Redjala, dans son article sur Ibn Khaldûn, nous rappelle que la
crainte de la disgrâce (nakba, coup du sort) terrorisait les vizirs les mieux en cour, à plus forte raison les
autres, gouverneurs et juges, muftis, etc. La richesse était souvent la cause de la disgrâce, et il fallait
cacher ses biens sous les apparences de la pauvreté pour ne pas exciter les jalousies. La torture servait en
particulier à faire avouer où le disgracié cachait son or. La confiscation (musâdara) était le but de
lʼopération surprise... Cʼétait une pratique permanente. Redjala semble dire que cʼest une spécialité
islamique : “En Occident médiéval, la torture faisait partie de lʼarsenal de la justice. Tel nʼétait pas le
cas au Maghreb et en Espagne. La vérité, obtenue sous la torture ou non, nʼintéressait pas...” (p. 158). Ce
rapport à la vérité est bien vu et confirmé par B. Johansen.
203Lʼépoque était donc devenue plus soucieuse de lʼordre public. De nouvelles peines de mort furent

admises pour les homosexuels, les espions, les hérétiques, les fonctionnaires corrompus, les délinquants
récidivistes, notamment les buveurs de vin. Le principe est que lʼintérêt commun (maslaẖa, siyâsa) passe
désormais avant lʼintérêt individuel ou le respect strict des procédures. Cʼétait aussi la porte ouverte aux
qawânîn (loi du prince, non issue du droit musulman, mais pas nécessairement en contradiction avec lui).
204Toute la stratégie dʼimmunisation du droit musulman abbasside contre la politique fut abandonnée. Le

rôle des ulémas dans la fabrication de la doctrine du droit musulman sʼen trouva fortement réduit
(Johansen, p. 193 sq., 199-200).
205518 — Influence sur les autres rites. La doctrine des nouveaux hanbalites allait faire école chez

certains malékites et hanéfites au cours des siècles qui suivirent.


206Cʼest seulement avec le malékite Ibn Farẖûn, dans sa Tabsirat al-hukkâm fî usûl al-aqdiya wa-
manâhij al-aẖkâm que fut reprise la doctrine de la siyâsa char‘îya. Le livre dʼIbn Farẖûn comprend trois
parties : les deux premières sont consacrées à la loi islamique “normale”relative aux règles de la
judicature, lʼautre à la siyâsa char‘îya. Ibn Farhûn décalque presque systématiquement Ibn Qayyim quʼil
cite. Il reprend notamment lʼaffirmation que la siyâsa char‘îya nʼest que lʼaspect implicite de la charî‘a.
Les justifications prises dans la vie du Prophète et des Compagnons sont les mêmes (Tabsirat t. 2, p. 142,
146-150). Toutefois le cadi doit se limiter à des coups, menaces et emprisonnements.
207Ibn Farẖûn écrit sous lʼinfluence des hanbalites, à Médine. On est sous lʼEmpire mamelouk, qui
applique la justice des maẕâlim de manière brutale, la torture étant généralisée (Esperonnier, Nielsen). La
doctrine hanbalite dʼIbn Farẖûn fut aussi admise en Espagne et en Afrique du Nord, puis chez les
hanéfîtes. Ce nʼest quʼau xve s., que le hanéfite ʼAlî bn Khalîl aṯ-Ṯarâbulsî (ob. 1440), cadi de Jérusalem,
auteur du Mu ʼin al-ẖukkâm fîmâ yataddadu bayna l-khasmayn mina l-aẖkâm, la plagie sur Ibn Farẖûn
(ou sur Ibn Qayyim ?) : il accorde au calife et aux gouverneurs les pouvoirs nécessaires pour lutter contre
la criminalité (p. 171-176, 179). Il sʼappuie sur lʼexemple du Prophète (p. 171). Mais cette procédure est
justifiée par la corruption des temps (p. 177-178) (cité par B. Johansen, Vérité et torture, p. 166-167)
208Sur le plan juridique on assiste à une sorte de renversement de méthodologie. Pour justifier le
revirement de doctrine, les hanbalites, on lʼa vu considèrent comme porteurs de significations juridiques
tous les actes du Prophète, des Compagnons et des anciens de manière plus générale. Il est difficile
dʼaffirmer que ce renversement soit la cause du changement de doctrine, et on doit le considérer comme
une conséquence. Le droit suit lʼétat social : rien ne pousse vraiment, du strict point de vue logique, à
changer de doctrine. La logique générale du droit musulman reste la même cependant, le droit doit se
déduire des exemples anciens et non de la raison. En effet les thèmes de la siyâsa char‘îya nʼont pas pour
objectif de poser lʼautonomie de la raison juridique (par rapport à la loi islamique), mais seulement de
rendre la répression plus large et plus efficace. Cette optique est aussi celle des Ottomans.
209519— Les Ottomans et les hanéfites. On a longuement parlé des Ottomans dans le tome I et de leur
politique législative (tome I, n° 172, 173, 175).
210Les codes quʼils adoptèrent admettent que la police utilise la torture (dite ʼurf, coutume, par
euphémisme), mais seulement sur les personnes soupçonnables. Il faut des indices corroborant que le
prévenu appartient à la catégorie des gens soupçonnable, ou bien que les circonstances rendent
vraisemblables son crime. Les cadis devaient être mis au courant et contrôler les officiers de police. En
cas de décès du prévenu sous la torture, aucun dédommagement nʼétait dû. En pratique, les officiers
torturaient dʼabord, et, si lʼaffaire était simple, appliquaient immédiatement la peine. Quand lʼaffaire était
plus complexe, ils faisaient appel au cadi (voir Heyd. p. 252-53, et aussi Lane, sur lʼEgypte). Les
personnes déjà condamnées étaient sûres dʼêtre immédiatement torturées. Aussi le nombre des aveux
spontanés fut-il considérable, même chez les primo-délinquants par crainte de la torture (Heyd, p. 244,
249).
211Cette justice était expéditive (peu de renvois, peu dʼappels) et efficace (le niveau de la criminalité

était bas, semble-t-il). Elle impressionna les voyageurs européens, souvent dégoûtés des procédures
interminables dans leurs pays dʼorigine. Mais cela nʼallait pas sans un certain mépris de la vie humaine.
Un voyageur, Blunt, écrit en 1634 : “(la justice ottomane) préfère couper la tête à deux innocents plutôt
que de laisser échapper un criminel ; pour lʼexécution dʼun innocent, ils pensent que, sʼil est cru
coupable, lʼexemple est aussi efficace que sʼil lʼavait été réellement.” (Heyd, p. 313, y compris la
citation).
212Par la suite les mentions marginales se multiplièrent dans les codes, signalant que telle ou telle
disposition était contraire à la charî‘a (voir par exemple Heyd, p. 106). Des muftis jugèrent que le décès
dʼun homme sous la torture impliquait le paiement du prix du sang, contrairement à la loi codifiée (Hcyd,
p. 253). Au cours du xviie siècle les codes tombèrent en désuétude. Ils furent abandonnés officiellement
en 1696 par le sultan Mustafa II (Hcyd, p. 154). La loi islamique nʼavait plus de loi concurrente au xviiie
siècle. Mais la doctrine musulmane hanéfite, du moins une partie dʼentre elle, avait accepté lʼessentiel de
ce dont avait besoin les souverains ottomans.
213520— Divergences dans la doctrine. La doctrine des nouveaux hanbalites ne fit pourtant jamais

lʼunanimité dans aucun rite.


214La doctrine tardive des malékites est exprimée par ad-Dardîr dans ses trois textes : ach-Charẖ as-
saghîr (Le petit commentaire), sur le texte de base Aqrab al-masâlik (La plus accessible des voies)
composé par lui-même, 2 vol. et lʼouvrage dit ach-Charẖ al-kabîr (Le grand commentaire) sur le texte de
base de Khalîl, avec un supercommentaire dʼad-Dasûqî, 4 vol. On lit dans le petit commentaire :
“Le vol est établi par le témoignage de deux témoins honorables ou par lʼaveu volontaire fait par le voleur. Sans cela, cʼest-à-dire
sʼil a été contraint, soit à lʼaveu, éventuellement par des coups, soit à la commission du vol - ce qui nʼest pas permis, même en cas
de menace de mort selon lʼopinion la plus probable - il nʼy a pas dʼamputation ni de garantie (dédommagement). Cela est valide
même sʼil fait découvrir [par son aveu contraint] lʼobjet volé, car on peut supposer que quelquʼun dʼautre a placé là [ledit objet].
Cʼest la même chose quand un meurtrier présumé fait découvrir [par son aveu contraint] le cadavre de la victime. [Dans les deux
cas] on ne lʼampute pas, ni on ne le condamne à mort, sauf sʼil avoue une deuxième fois, étant en état de sécurité [cʼest-à-dire
librement]. Toutefois, [selon une opinion], il y a exception pour les gens soupçonnables, où on prend en compte leur aveu sous la
contrainte, en sʼappuyant sur Saẖnûn, et on juge dʼaprès cela ; il faut prouver auprès du ẖâkim [juge, cadi ou autre] que cʼest
quelquʼun de soupçonnable. Cependant la solution la plus connue est celle dʼal-Qâsim : lʼhomme contraint nʼest tenu à rien, même
sʼil est soupçonnable, et cʼest ce qui est conforme aux règles du char‘ [loi divine].”

215La doctrine de Dardîr est claire. Tout en reconnaissant lʼexistence dʼune opinion minoritaire contraire
dans le rite, il soutient lʼopinion qui refuse lʼaveu contraint. Il en souligne la contradiction avec les règles
générales de la loi islamique, dʼabord en rappelant que lʼhomme contraint à la commission du vol est
exempt de responsabilité pénale ou civile, ensuite très explicitement en affirmant que la solution dʼIbn al-
Qâsim est la plus cohérente avec les règles générales de la loi musulmane. Rappelons au passage que
lʼépoque ottomane voit apparaître le souci de poser des règles générales : cʼest à cette époque que
paraissent les Achbâh wa-Naẕâʼir dʼIbn Nujaym et ceux dʼas-Suyûtî.
216Le grand commentaire de Dardîr donne la même doctrine. Le commentaire dʼad-Dasûqî (ob. 1815) ne
revient pas sur la question. Un commentaire dʼas-Sâwî (xviiie s.) sur le petit commentaire sʼexprime
ainsi :
“[sur la contrainte] “Sache que la peine dʼamputation tombe absolument en cas de contrainte [à lʼaveu], que ce soit par les coups
ou lʼemprisonnement, parce quʼil y a doute, et que le doute écarte lʼapplication des peines ẖadd”.
217Les chaféites non plus ne furent pas favorables à la nouvelle doctrine hanbalite. Le manuel chaféite

Minhâj aṯ-ṯâlibîn dʼan-Nawâwî, commenté par al-Maẖallî considère lʼaveu forcé comme nul (t. 4,
p. 196-197).
218Même doctrine chez certains hanéfites, comme en témoigne le manuel qui faisait autorité au xviie-xviiie

siècle, écrit par le chaykh Zadeh, le Majma‘ al-anhur qui est un commentaire de celui dʼal-Halabî, dit
Multaqâ al-abẖur (t. 1, p. 614-615).
219Chez les hanbalites, lʼouvrage de référence resta toujours le Mughnî dʼIbn Qudâma, qui ne retient pas
la doctrine dʼIbn Taymîya, simplement parce que lʼouvrage est antérieur.
220Mais il ne faut pas perdre de vue que tous ces auteurs admettent que la torture puisse être utilisée par

la justice administrative. Ce nʼest quʼavec les réformes du xixe siècle que cette doctrine disparaîtra,
entraînant à son tour une mise à jour de la doctrine du droit musulman qui deviendra unanimement hostile
à la torture.
221521 — La question de la torture aux xixe et xxe siècles. La grande innovation du xixe siècle est
lʼadoption de codes pénaux dʼinspiration française dans le monde ottoman. Au xixe et xxe siècle, la
procédure nʼa cessé de se complexifier et de se formaliser à la suite du contact avec les droits
occidentaux. La Majalla (1870-1877) par exemple, introduisit, sans opposition à notre connaissance, la
reconnaissance de la valeur de lʼécrit (art. 1736), le principe de lʼautorité de la chose jugée (art. 1837),
la procédure de défaut (art. 1833), etc. La justice administrative fut transformée en justice moderne, et par
voie de conséquence on refusa dʼofficialiser la torture. Au xxe siècle on chercha à unifier les tribunaux
modernes et tribunaux de cadis (détails et références au tome I).
222Sous lʼinfluence du droit moderne, les auteurs de droit musulman de la fin du xixe siècle et du xxe

siècle ont abandonné le point de vue favorable à lʼaveu contraint. À lʼuniversité dʼal-Azhar, pour
lʼenseignement, on a choisi les auteurs qui refusent lʼaveu contraint (Dardîr pour les malékites,
Marghînânî pour les hanéfites, Ibn Qudâma pour les hanbalites, an-Nawâwî pour les chaféites).
223Les ouvrages modernes de droit pénal (‘Abd al-Qâdir ‘Awda, Abû Zuhra) ne se posent plus la question

en général : la nullité de lʼaveu contraint va de soi. Toutefois, comme on lʼa vu, les doctrines favorables à
lʼaveu contraint ne sont pas des erreurs dues au hasard, mais des infléchissements doctrinaux que les
circonstances expliquent et qui sʼappuient sur les exemples du Prophète et des Compagnons.
224Comme des situations comparables sont fréquentes dans les diverses matières du droit musulman, on

pourrait croire quʼune certaine amnésie frappe les auteurs modernes. On en a vu maints exemples à
propos du jihâd dans dʼautres travaux. On dirait quʼils cherchent à faire croire que leur doctrine a
toujours été celle du refus de la torture (ou du jihâd défensif). En fait il sʼagit moins dʼamnésie que dʼune
démarche différente : ils cherchent à dire quel est le droit éternel, et négligent ceux des auteurs qui ne le
disent pas car ils pensent quʼils se sont trompés, dès lors que la vraie doctrine a toujours été hostile à la
torture, etc. Ils ont raison en partie : comme on lʼa montré, il existe une continuité remarquable dans le
refus de la torture pratiquée par le cadi, même si cette doctrine nʼa pas fait lʼunanimité à partir du xiiie
siècle. Mais il existe aussi une continuité remarquable pour admettre la torture pratiquée par la justice
administrative et il nʼest pas exclu que des groupes islamistes, grands lecteurs dʼIbn Taymîya et de Ibn
Qayyim, soient prêts à continuer cette tradition.
§ 2 - Problèmes contemporains

225522 — Situation de la procédure musulmane. B. Johansen observe que le droit procédural musulman

est “un effort soutenu... vers une rationalisation et une structuration de la procédure”. On comprend dès
lors que le droit moderne ait été facilement accepté au cours du xixe et xxe siècles : il correspondait à une
dynamique interne. Cela confirme encore le fait que lʼemprunt qui réussit à passer dʼune civilisation à
lʼautre nʼest jamais une intrusion totale (sinon il ne passerait pas), il passe parce quʼil est presque
découvert, en tout cas parce que le milieu dʼaccueil est apte à le recevoir.
226Ce passage sʼest fait dʼautant plus facilement pour lʼorganisation judiciaire et la procédure que le droit
musulman reconnaît facilement la prééminence du pouvoir étatique. Cette facilité conduisit même à
introduire des réformes au fond du droit musulman grâce à des astuces de procédure. On a évoqué dans la
partie historique des lois de ce genre. En Egypte par exemple, dans le but de relever lʼâge minimum du
mariage, on décida que les mariages conclus avec une jeune fille de moins de 15 ans ne pourraient plus
être évoqués devant un tribunal, ce qui ôtait aux parents ou au mari tout recours devant la justice et
équivalait à une annulation de tous ces mariages (tome I, n° 219, voir aussi Linant de Bellefonds,
Immutabilité) Cette stratégie réformiste nʼa pas cessé dʼêtre pratiquée en Egypte ou ailleurs.
227Le lecteur se reportera au tome I dans lequel on a essayé de retracer pour chaque pays musulman les
étapes de lʼadoption du droit positif (chapitre IV). A lʼheure actuelle, à lʼexception des pays de la
péninsule arabique et de lʼAfghanistan, tous les pays musulmans ont un droit procédural codifié largement
inspiré des techniques modernes.
228523— Un débat actuel : la profession dʼavocat. Suscité par les islamistes, un débat remet en question

la profession dʼavocat, issue des transformations modernes des droits des pays musulmans. Cʼest mal
comprendre le fonctionnement du tribunal classique musulman. Comme on lʼa dit les témoins exercent un
pouvoir sur le juge. La Tabsira dʼIbn Farẖûn cite ce mot dʼun ancien cadi : “Je ne vous ai pas appelés, je
ne vous repousse pas, vous êtes les vrais juges, par vous je me préserve du châtiment divin, préservez
vos propres personnes” (Brunschvig, Études, p. 207). Les témoins sont comme des juges, ce sont des
professionnels, ils participent à la machinerie judiciaire. Dʼune certaine manière, ils témoignent aussi à
décharge, comme les anciens dans les sociétés traditionnelles. Dans une société tribale, ou urbaine
ancienne, villageoise, peut-on dire, tout le monde se connaît, et on sait qui est qui. On comprend quʼil ne
soit pas nécessaire de faire appel à des avocats professionnels.
229Cet état dʼesprit, est bien loin du nôtre à lʼaube du xxie siècle. La sociabilité a totalement changé,

lʼesprit de solidarité a disparu, lʼanonymat est la règle, le droit est complexe, les témoins ne jouent plus
le même rôle... Supprimer lʼavocat est alors laisser les plaideurs sans défense. Mais les partisans de la
suppression de la profession dʼavocat suivent un dogme, que la “charî‘a” est valable pour tout temps et
tout lieu. Ce à quoi les réformistes ne peuvent que répondre que le fiqh abbasside nʼest pas la charî‘a,
que les temps ont changé, que les nécessités actuelles ne sont plus les mêmes, quʼil faut faire un nouveau
fiqh...
230524— Conclusion. Le fond du débat est que la société traditionnelle sʼen est allée et que certains nʼont

pas tout à fait saisi ce que cela impliquait. Un retour sur lʼexemple de la torture fera mieux comprendre
comment un droit qui peut être valable pour un type de société, ne lʼest plus pour une autre.
231La mécanique du système traditionnel doit être replacée dans son contexte, celui de cette société

traditionnelle, où lʼon nʼavait pas les moyens de connaître la vérité des faits, mais où la croyance
religieuse était forte, même chez les gens indélicats. Dans ce contexte, les sociétés les plus primitives
(comme lʼOccident au haut moyen âge) ont fait appel à lʼordalie ou au duel judiciaire : Dieu allait
indiquer qui était le coupable grâce à ces épreuves où il serait obligé de se prononcer.
232Dans les sociétés plus raffinées théologiquement, on comprit quʼil était indécent de mettre Dieu à
lʼépreuve. Les tribunaux se rabattirent sur le serment et le témoignage : la peur de lʼenfer chez les
justiciables devait faire ressortir la vérité. La procédure musulmane atteint en ce domaine une sorte de
perfection, mais elle est fondée sur la foi : le menteur éhonté et le faux témoin ont beau jeu.
233Il a fallu alors se fonder sur la peur du châtiment, donc augmenter les peines. Cette aggravation des

peines était dʼautant plus nécessaire que la police était inapte le plus souvent à trouver les coupables : la
société traditionnelle est une société où lʼon peut facilement fuir, changer dʼidentité, échapper à la police.
Il fallut donc torturer les rares malfaiteurs que lʼon pouvait prendre pour obtenir leurs aveux et terroriser
ceux quʼon ne pouvait pas prendre par des peines horribles sur les premiers. En Islam cette époque
correspond au durcissement répressif que manifeste le concept de siyâsa char‘îya.
234Or les hommes perdent encore plus la foi avec la société industrielle, mais celle-ci fournit aussi le

remède, lʼenquête scientifique, fondées sur lʼexpertise et les preuves matérielles. Les casiers judiciaires,
les empreintes digitales, les tests ADN remplacent désormais le serment et les témoins. Rétablir la
procédure classique dans un monde où lʼon ne croit guère, ou pire, un monde où nʼimporte quel gourou
manipule sans vergogne les signes et les religions, serait une erreur. Ibn Taymîya et Ibn Qayyim
considéraient déjà la procédure classique comme inadaptée. Si lʼon écarte les solutions quʼils
proposaient (torture, etc.), il ne reste quʼà se résigner à la société industrielle et à ses procédures.

Notes
49 Est en état de dernière maladie lʼhomme qui remplit trois conditions : 1/ son entourage craint pour sa vie, 2/ il est incapable de vaquer à ses
occupations, 3/ il décède de cette maladie. Si lʼune de ces trois conditions nʼest pas remplie, le malade est réputé en bonne santé et tous ses
actes sont valables.
Chapitre X. Le droit pénal

1525 — Un droit à une charnière. Plan. Dans les manuels courants de droit français, on situe le droit

pénal musulman à la charnière entre le stade historique de la justice privée et celui de la justice publique,
les religions de type universel constituant le facteur du passage de l’un à l’autre. Le droit musulman est
bien à une charnière, puisque le système de la vengeance n’a pas disparu et qu’il est contrôlé par des
institutions et règles publiques instaurées dans le sillage de la religion islamique.
2Cette mise en perspective de l’histoire du droit est pourtant un peu simpliste, les choses étant plus
complexes quand on entre dans le détail. Le droit romain par exemple avait dépassé la justice privée
avant l’apparition du christianisme, religion universelle. Un bon connaisseur des droits anciens comme
Ellul le faisait remarquer à propos du droit romain : tous les droits antiques mélangent des aspects
archaïques et des aspects étonnament modernes (Ellul, t. l, p. 277). Le droit musulman n’échappe pas à la
règle. C’est d’ailleurs les concepts mêmes de modernité et d’archaïsme qui font problème, comme toute
vision évolutionniste.
3Nous présenterons le droit pénal classique musulman (section 1) et nous nous interrogerons ensuite sur

son application et les grandes lignes de son évolution jusqu’à l’heure actuelle (section 2). Rappelons
aussi que la procédure pénale est en principe la même que la procédure civile, sauf que des dispositions
spéciales doivent être observées pour certaines infractions. Nous les rappellerons en même temps que
l’étude de ces infractions.
Section 1 - Le droit pénal musulman
4Nous dirons quelques généralités et ferons droit au travail des juristes contemporains en droit pénal

général (sous-section 1), puis nous évoquerons le droit pénal spécial (sous-section 2).
Sous-section 1 - Le droit pénal général

5526 — Divisions du droit pénal musulman. La division tripartite du droit pénal musulman classique,

produit de l’histoire, a été rendue logique par les fuqahâ’ et cette logique n’a pas été toujours aperçue.
Elle est fondée sur le mode de fixation de la peine, mode procédural en fin de compte, mais qui est lui-
même déterminé par la nature de l’infraction. Ainsi les peines punissant les atteintes physiques aux
personnes privées sont déterminées selon un mode particulier, le talion, al-qisâs, et forme le chapitre des
jinâyât (voir sous-section 2, § 1). Un autre groupe d’infractions, les ẖudûd, est puni suivant un barême fixé
par la loi de Dieu (sous-section 2, § 2). Un troisième et dernier groupe d’infractions, regroupées sous le
titre de ta‘zîr (blâme, correction) donne lieu à des peines variables, fixées par le juge. Ces peines sont
dites discrétionnaires, puisqu’elles sont à la discrétion du juge, ou arbitraires, car dépendantes du libre-
arbitre du juge (sous-section 2, § 3).
6Cette logique du classement n’apparaît clairement qu’en droit hanbalite, les malékites et les chaféites

incluant les jinâyât dans les ẖudûd, tandis que les hanéfites laissent l’apostasie et la rébellion dans le
chapitre du jihâd. Le droit pénal général (au sens moderne) n’apparaît pas dans cette division ni dans
celles que nous verrons un peu plus loin.
7527 — Les idées générales en droit classique. Le repentir et l’expiation. Les adages. Il est donc
généralement admis qu’en droit pénal musulman classique, on ne trouve pas de droit pénal général dans le
sens où nous l’entendons actuellement, donc pas de théorie de la tentative, ni de la récidive, ni des
circonstances atténuantes, ni du sursis, etc. (Bousquet, Précis, p. 87). Cela ne veut pas dire, même selon
Bousquet, que ces idées étaient ignorées. Par exemple, l’aggravation de la peine pour récidive existait
pour le vol, ou pour certaines infractions de type ta‘zîr, mais ne fonctionnait pas comme une idée générale
applicable à toutes les infractions qu’elles soient de type ẖudûd ou de type jinâyât.
8Toutefois, la question n’est pas si simple. D’abord le droit musulman a des concepts généraux qui ont

une incidence sur le pénal. Nous avons vu la division générale des droits en droits humains et droits de
Dieu dans les usûl al-fiqh (n° 264). Elle a de nombreuses conséquences et notamment sur la théorie du
repentir.
9Cette idée du repentir (tawba) est bien aussi une idée générale qui a son application dans les trois
parties du droit pénal musulman. Le repentir fait tomber la peine pour le crime de brigandage selon le
Coran (5, 34), et tous les fuqahâ’ l’ont admis dans ce cas, mais en précisant que le repentir ne peut
amener la remise de la peine que pour les droits de Dieu. Le brigand repenti (avant d’être pris par les
autorités), s’il se voit bien remettre la peine de ẖadd pour brigandage, reste responsable pour tous les
droits humains qu’il a violés : talion, restitutions, responsabilité civile, etc. Pour les autres infractions,
les auteurs ont divergé. Pour certains chaféites et hanbalites, le repentir fait tomber toutes les peines : le
brigandage étant le crime le plus grave, on doit l’admettre a fortiori pour les moins graves. Ils s’appuient
aussi sur le verset 4, 17. Mais la majorité est d’avis contraire : le brigandage, en raison de la difficulté de
se saisir des délinquants, est un cas à part. Le Prophète a d’ailleurs maintes fois condammné à la peine de
ẖadd des délinquants divers, pourtant repentis et avouants.
10Une autre théorie que l’on peut considérer comme générale, est celle de la kaffâra (expiation). C’est
l’obligation de libérer un esclave, ou de nourrir un certain nombre de pauvres, ou de jeûner pendant un
certain nombre de jours. Elle est duc en certaines circonstances où Dieu a été offensé, volontairement ou
involontairement, comme en cas de faux-serment, de rupture du jeûne et spécialement dans certaines
infractions pénales où l’intention fait partiellement défaut. Il y a bien sûr des divergences sur le nombre
de pauvres et de jours en fonction des différentes situations. Nous y reviendrons dans la sous-section
consacrée au droit pénal spécial.
11De plus, quand on lit attentivement les traités et leurs commentaires, divers adages apparaissent, (par
exemple celui-ci : “pas de témoignage de femmes en matière de ẖudûd”), qui laissent voir que les auteurs
n’ignoraient pas ce qu’était un principe général. Ces adages ne sont applicables que dans l’une des trois
parties du droit pénal musulman, jinâyât, ẖudûd, ta‘zîr. À partir de tous ces éléments trouvés dans la
tradition juridique, les auteurs contemporains se sont efforcés de créer un droit pénal général au sens
moderne.
12528 — Méthode des contemporains en droit pénal. On a déjà évoqué la méthode de ces auteurs avec
des exemples tirés du droit pénal (n° 300). Les livres de ‘Abd al-Qâdir ‘Awda ou d’Abû Zahra sont les
classiques du genre. Toutefois les auteurs modernes qui ont travaillé sur le droit pénal islamique
n’éprouvent pas tous le besoin de poser un droit pénal général. Ainsi dans le traité de ‘Abd ar-Raẖmân
al-Jazayrî, il est inexistant, comme dans le traité d’az-Zuẖaylî qui refuse explicitement l’influence de
l’Occident (tome 6, p. 11) en la matière (mais qui a esquissé une théorie des contrats).
13Ce qu’il y a d’erroné dans les reconstructions du droit pénal général, c’est que les auteurs tendent à

faire croire que le droit pénal musulman a toujours fonctionné ainsi (par exemple Bassiouni).
Probablement parce qu’inconsciemment ou non ils sont toujours à la recherche du “vrai droit musulman”
et ne se résignent pas à décrire ce qui a été effectivement soutenu pas les auteurs classiques. Or le droit
classique ne se développait pas autour d’une théorie de l’infraction (avec ses éléments constitutifs :
élément légal, élément matériel, élément moral, élément injuste) et d’une théorie de la peine (étudiée sous
l’angle de sa mesure, de sa suspension et de son extinction). Comme pour le reste du droit musulman, sa
logique est d’ordre théologique, il s’agit de savoir ce que Dieu veut et ce que l’homme doit faire dans
chaque cas précis, en prenant bien garde de ne pas emprisonner la volonté divine dans une logique
rationaliste humaine, ce qui serait adopter un point de vue mutazilite hérétique.
14Les modernes au contraire ne craignent plus de généraliser. Si une idée (par exemple la récidive)

apparaît à propos d’une infraction (par exemple à propos du vol), il n’hésitent pas. Cela n’est pas
toujours possible, car, par exemple, on ne peut soumettre les ẖudûd aux règles des circonstances
atténuantes. Les auteurs se heurtent là aux difficultés issues de la triple logique du droit pénal musulman
que nous avons traitée ailleurs (cf. Bleuchot, La peine). Rappelons la conclusion de cette étude : le droit
musulman doit concilier trois philosophies pénales. La première, celle des atteintes aux personnes,
d’esprit civiliste et dont la clef est l’équivalence des dommages, apporte le “sens de la victime” qui
faisait défaut aux droits les plus modernes, mais véhicule un système de vengeance trop lié à la société
traditionnelle segmentaire et en soi dangereux (Bleuchot, Les cultures, p. 228 sq.). De plus cette
philosophie manque du “sens de la peine” et elle doit être complétée. La seconde philosophie, celle des
peines fixes, reconnaît bien le principe de légalité et d’égalité devant la loi, mais elle constitue plutôt une
théologie pénale d’esprit intimidant et expiatoire, au service d’un système de valeurs battu en brèche de
nos jours, même dans les pays musulmans (Surûr). Elle ne comporte plus l’équivalence entre la gravité de
l’infraction et la peine, sauf à s’exagérer ou à minimiser la dangerosité de certaines infractions, pour
justifier leur présence ou leur absence dans cette partie exorbitante du droit commun. Cette philosophie
ne permet pas non plus une prise en considération du délinquant, une personnalisation de la peine. Enfin
la troisième, celle issue du ta‘zîr, plus souple, plus politique, ne peut que se prêter à toutes les évolutions,
à tous les emprunts, à toutes les rationalisations, mais il convient de la soustraire à la fantaisie du prince
par des mécanismes appropriés. Elle pose elle aussi le problème du rôle de la religion dans la société, et
de la place que cette dernière entend laisser au pouvoir, et par lui, à la raison et à l’expérience humaine.
15De plus, souvent, les auteurs modernes affirment que telle ou telle idée a été découverte par l’islam

avant l’Occident (ou même empruntée par celui-ci à l’islam). Voyons cela sur un exemple.
16529 — L’exemple du principe de légalité : perspective historique. Le principe de la légalité des délits
et des peines a été proclamé par la Révolution française dans la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen en 1789. Il visait à poser le principe contraire à celui de l’arbitraire des juges et des parlements
dont on se méfiait. Le mot “arbitraire” n’a probablement pris son sens péjoratif (équivalent de
“tyrannique”) qu’à cette époque. Il signifie à l’origine, remis au libre arbitre (ou à la discrétion) des
juges, d’où les appellations de “peines discrétionnaires” ou “peines arbitraires”.
17Le conflit entre l’arbitraire et la codification, ou entre le droit proclamé et le droit secret est très

ancien. Chaque fois qu’une codification apparaît, chaque fois qu’elle est inscrite sur la pierre ou autre
(code de Dracon, Loi des XII tables), elle est présentée comme un progrès de la justice, un recul de
l’arbitraire des juges et des interprètes de la volonté divine. Tous les droits antiques, moyenâgeux et
modernes ont vu se dérouler cette lutte pour la transparence du droit, et la proclamation révolutionnaire
n’en est qu’un épisode. Le principe fut d’ailleurs remis en cause au xxe siècle au profit de celui de la
personnalité des peines, pour le corriger au nom de l’équité.
18Le droit pénal musulman a, comme les droits antiques, une partie fixée et une partie arbitraire.
L’arbitraire peut déborder sur le fixé car il est toujours possible, même quand une peine ẖadd a été
appliquée (‘Awda, 1, p. 130-131). Le droit musulman concilie assez heureusement “le principe de
légalité”, disons plutôt le principe de la certitude et de la stabilité de la loi (qui n’est jamais proclamé en
tant que tel, à la manière révolutionnaire, mais à travers l’idée d’immutabilité des préceptes religieux) et
la liberté nécessaire des juges (l’équité en dépend) par le jeu des rites, des divergences, des coutumes,
etc. (cf. Bleuchot, Les voies de l’équité). Il partage avec le droit romain cette qualité, que n’a pas le droit
révolutionnaire, celle d’être un droit jurisprudentiel, où l’adage est issu de la jurisprudence (des premiers
siècles de l’hégire seulement). Comme le droit romain tardif, le droit musulman tardif a tendu vers une
rationalisation de plus en plus poussée (cf. Ibn Nujaym et as-Suyûtî). C’est ce qui explique, je pense, sa
réceptivité envers les droits occidentaux au xixe et xxe siècle (voir tome I, n° 258).
19530 — Critique de l’affirmation de ‘Awda. On voit mieux, après ces sommaires mises en perspective
historiques, tout ce que peut avoir de naïf l’affirmation de ‘Abd al-Qâdir ‘Awda selon laquelle le Coran a
précédé de treize siècles la Révolution française, affirmation consolante et inlassablement répétée par
d’autres.
20Si l’on conserve l’a priori évolutionniste qui est postulée par cette idée, le démenti viendra du rappel
des droits antérieurs qui sont toujours passés sous silence dans ce genre d’apologétique. La plupart des
citations coraniques que ‘Awda évoque comme le commencement absolu des principes modernes, se
retrouvent peu ou prou dans les droits antérieurs (mésopotamien, hindou, juif, grec ou romain), ou sont
des idées banales dans les textes, sacrés ou non, par exemple chez les historiens ou philosophes antiques.
Pour le principe de légalité, l’idée du prophète annonçant le châtiment divin court tout le long de l’Ancien
Testament. Le livre de la Sagesse (chap. 11 et 12) commente même longuement cette pédagogie divine de
l’avertissement doublé du châtiment. Le Talmud utilise une citation d’Amos (3, 7) pour en faire une
application juridique qui ne peut ressortir qu’au principe de légalité (Sanhédrin, trad. Salzer, p. 436).
21Si l’on abandonne cette querelle évolutionniste, on peut dire que la formule de ‘Awda ne rend pas
vraiment justice au droit musulman ancien, qui est d’esprit jurisprudentiel comme le droit romain. Son
sens véritable, sa cohérence par rapport aux conditions mentales et sociales des sociétés musulmanes
anciennes, est passé sous silence. Cette formule le réduit en fin de compte à n’être qu’une ébauche, un
droit français embryonnaire qu’il faut remettre en ordre logique. Elle n’a pas de sens pour peu qu’on se
remémore les contextes si différents de l’Arabie et de la Révolution. Enfin et surtout, il faut lui opposer la
notion de système juridique : le même mot, la même phrase ont des sens souvent très différents dans des
systèmes sociaux et juridiques différents. Le principe de légalité, pour rester dans l’exemple, ne fait pas
sens de la même manière pour toutes les philosophies juridiques et religieuses. Nombreuses sont celles
qui pensent que la loi de Dieu est inscrite dans les coeurs, dans la conscience (Lois de Manou,
philosophie grecque, christianisme) et le principe de légalité est en quelque sorte inutile. Dans le
judaïsme le concept d’alliance librement consentie joue le même rôle que le principe de légalité. Le
principe a déjà bien plus de sens dans un monde où l’on pense que l’homme ne sait pas où est le bien et le
mal, par exemple dans la vision religieuse acharite. Mais il n’acquiert son sens plein que dans la vision
qu’avaient les révolutionnaires français, vision déchristianisée, hostile au pouvoir royal et aux juristes
professionnels des tribunaux royaux ou écclésiastiques.
22Tout le livre de ‘Awda est écrit avec le même objectif apologétique, et il est justiciable de mises en

perspectives similaires. Nous n’y aurions pas consacré un passage si le procédé n’avait pas connu un
succès extraordinaire, en particulier dans les mémoires et thèses des étudiants. Il faut surtout en conclure,
même si l’on n’est pas d’accord avec telle ou telle de nos affirmations, que l’esprit militant perturbe
toujours l’appréciation juste de l’histoire du droit qu’il faut toujours s’efforcer d’atteindre.
23En revanche, la démonstration de la compatibilité de l’islam avec le droit pénal général moderne est le

point solide méritant qu’on s’y arrête. On évoquera les principales références à propos de l’infraction et
de la peine dans les numéros suivants.
24531 — L’infraction. Le mot al-jarîma (crime) a un sens général, comme en criminologie, et signifie

l’infraction en droit pénal. Al-Mâwardî en donne une définition très positiviste, puisque pour lui le crime
c’est ce qui est interdit par la loi. Dans la conception islamique, le crime, le péché, la faute, se
confondent sous le terme de rébellion (‘usyân ou mu’siya) contre les ordres de Dieu. Dans un sens
juridique plus spécial, le crime (jarîma) ne vise que les actes interdits visibles, au for externe, les seuls
qui sont à punir ici-bas (Abû Zahra, t. 1, § 20-21, 24). Le mot jinâya a aussi le même sens général de
crime ou d’infraction. Il possède un sens spécial, que nous avons déjà vu, celui d’infraction contre les
personnes (az-Zuẖaylî, t. 6, p. 215-216).
25Le fondement de l’incrimination n’est pas seulement l’ordre divin. Pour les contemporains, il y a

coïncidence entre les ordres de Dieu et les intérêts bien compris de toute société, idée ancienne et
notamment reprise par Ibn Taymîya. Les auteurs actuels développent généralement la théorie des cinq
intérêts que nous avons déjà évoquée dans le chapitre consacré aux usûl al-fiqh (n° 278).
26532 — Élément légal, non-rétroactivité, interprétation stricte. Le principe de légalité peut se déduire

de Cor. 17, 15 ou *4, 165. Mais il faut remarquer qu’il est bien à la racine du droit musulman et
correspond bien à la philosophie acharite. Si l’homme ignore où est le bien et le mal que Dieu a décidé
dans sa liberté, il faut un texte pour établir une loi quelconque. C’est ce que répètent les malékites et
hanbalites. Les hanéfites et chaféites disent la même chose : que tout acte est permis tant qu’il n’est pas
interdit : al-asl al-ibâha, le fondement, c’est l’autorisation.
27On peut aussi invoquer les versets 2, 275 et *2, 279 pour le principe de la non-rétroactivité de la loi
pénale, quoique ces références ne visent que l’usure.
28L’interprétation stricte de la loi pénale est bien connue en matière de ẖudûd (peines fixes). Al-Maydani

par exemple, cite l’adage “pas d’analogie dans les ẖudûd” (cf. al-Lubâb. 3, 198). Le doute doit profiter à
l’accusé et la peine fixe doit être levée. Un adage (qui vient d’un ẖadîth du Prophète rapporté par
‘Â’icha) l’affirme : “Repoussez les ẖudûd par les doutes.”
29533 — Élément matériel : tentative, complicité. L’intention mauvaise (à bien distinguer de la tentative)

n’est pas punissable, et il existe un ẖadîth qui le dit clairement (‘Awda, 1, 347). On trouve une formule
similaire en droit romain (Ulpien, Digeste, 48, 19, 18).
30Il n’y a pas de théorie de la tentative en droit musulman, mais les auteurs n’ignorent pas que, pour
qu’une infraction existe, il est nécessaire que soient réunis tous les éléments qui la constituent. Dans le
cas où l’infraction n’est pas constituée, le ta‘zîr peut s’appliquer, quand cette tentative est en soi
répréhensible. Ainsi des attouchements sexuels ne constituent pas le crime de zinâ, mais le cadi imposera
le nombre de coups de fouet qu’il jugera utile au maintien de l’ordre moral. Nombreuses sont les
tentatives qui sont punissables en soi, comme la violation de domicile pour un vol inachevé, ou la
blessure pour un meurtre raté, etc. En fin de compte rien ne s’oppose à l’adoption d’une théorie moderne
de la tentative.
31La complicité est étudiée par les auteurs classiques à propos du meurtre. Ils distinguent le “donneur

d’ordre” (‘âmir) et l’exécutant (mubâchir) et différencient bien les cas de contrainte et les cas ou le
donneur d’ordre a un pouvoir officiel (sultan), situation sur laquelle ils divergent. Les autres cas de
complicité (aide, incitation) sont généralement renvoyés au ta‘azîr. Ici encore aucun principe religieux ne
s’oppose aux règles modernes.
32534 — Elément moral, responsabilité pénale, intention et mobile. Le principe de la responsabilité
individuelle, bien connu dans l’antiquité grecque et romaine, peut être confirmé par Cor. *6, 164 ou *52,
21. La responsabilité collective demeure en droit musulman, mais elle est marginalisée au payement du
prix du sang, ou au serment cinquantenaire.
33La nécessité de prouver l’intention criminelle se déduit des excuses admises en droit musulman : erreur,
contrainte, légitime défense, parties développées généralement par les usulistes. Le droit musulman a
adopté une théorie objectiviste pour prouver l’intention dans le cas de l’homicide : l’intention est révélée
par l’objet ayant servi à tuer. Mais on admet actuellement que la théorie objectiviste puisse être tempérée
par une analyse subjectiviste des intentions (az-Zuẖaylî, t. 6, p. 224).
34Pour le délinquant non-majeur, qui n’est donc susceptible que d’une peine ta‘zîr, l’idée a été maintes

fois exprimée que le juge devait se borner à des réprimandes ou à des mesures éducatives quand le
coupable était un mineur. De même l’imbécile ou l’aliéné ne peuvent être tenus pour totalement
responsables. Abû Yûsuf, à propos de l’aveu, donnait au juge la possibilité d’écarter une confession
émanant d’une personne à l’esprit manifestement troublé. La règle est demeurée que l’aveu doit être
vraisemblable.
35On trouve en droit musulman le jeu complet des excuses, subjectives (démence, contrainte, erreur) ou
objectives (ordre de la loi, de l’autorité, légitime défense, nécessité).
36535 — Classifications. Le droit musulman a lui aussi divers systèmes de classifications des infractions.
Il peut les classer selon la personne atteinte, Dieu ou l’homme et on obtient une classification à quatre
cases, infractions portant atteinte aux droits de Dieu (apostasie), aux droits des hommes (homicides,
blessures), infractions mixtes portant atteinte majoritairement aux droits de Dieu (vol) et majoritairement
aux droits des hommes (fausse accusation de fornication). Selon un autre critère, celui des cinq intérêts
protégés (voir n° 278), on obtient une classification à cinq entrées : préservation de l’islam (apostasie,
rébellion), de la vie (talion et diya), de la famille (fornication, fausse accusation de fornication), de la
raison (interdiction du vin), des biens (vol, brigandage). En pratique, les traités classent leur matières
selon la procédure de détermination de la peine, c’est-à-dire en jinâ’îyât, ẖudûd et ta‘zîr comme on l’a
vu.
37Les différentes distinctions du droit moderne (infractions intentionnelles/non intentionnelles, infractions

de flagrant délit ou non, infractions par action ou par omission, infractions simples ou d’habitude,
infractions instantanées ou continues, etc.) sont reprises sans problèmes : certaines se retrouvent dans les
traités, les autres ne contredisent en rien la loi islamique.
38536 — Échelle des peines. Les peines sont les suivantes en droit musulman :

la peine de mort (par lapidation, ou par décapitation au sabre, ou par un coup de lance sur un
condamné attaché à une croix).
la mutilation (amputation des mains et des pieds, les autres, comme l’ésorillage, étant discutées, et
généralement pas admises en théorie). Les coutumes berbères excluent absolument les mutilations.
la peine de fouet ou de flagellation : du point de vue de la violence des coups, la peine la plus forte
est celle de ta‘zîr, car on ne répartit pas les coups sur le corps nu ; puis celle de zinâ, car le coups
sont répartis ; vient ensuite celle qui punit la consommation de boissons interdites et la fausse
accusation de fornication, où le corps est habillé et les coups sont répartis (al-Maydânî, t. 3, p. 198).
les peines infamantes (exposition, blâme, qui sont des peines classiques dans le ta‘zîr)
la limitation de liberté (exil, prison). La prison n’est pas une peine courante en droit musulman. Sa
légalité a été discutée dans certains cas, sur lesquels on reviendra à propos du ta‘zîr (n° 570).
les amendes : elles ne sont pas courantes non plus en droit musulman. La compensation (diya) est
générale, mais elle n’est pas pénale, à proprement parler, puisqu’elle est versée à la victime. A
l’époque ottomane, les auteurs admettront la licéité des peines pécuniaires dans le ta‘zîr (cf. n° 572).
la consfiscation des biens fut admise très tôt dans le cas de l’apostasie.
la mort civile (dans le cas de l’apostasie).
les déchéances (en particulier celle du droit de témoigner, après une condamnation pour fausse
accusation d’adultère).
39Des peines sont interdites en principe, comme la privation du boire et du manger, le rasage de la barbe,
les mutilations.
40La question de la dureté des peines du droit pénal islamique est abordée par les auteurs contemporains.
On y reviendra dans la section 3.
41537 — Détermination et exécution de la peine. Les idées d’atténuation ou d’aggravation de la peine en

fonction des circonstances sont admises dans les chapitres sur le ta‘zîr, mais posent des difficultés pour
leur généralisation. Si on ne trouve pas une pénologie ou une criminologie véritable en droit musulman,
on peut trouver parfois certaines idées intéressantes. Ibn Taymîya, par exemple, justifie la nécessité des
mutilations en s’efforçant d’entrer dans la psychologie du criminel (Laoust, p. 79).
42Pour le cumul d’infraction, l’idée que la mort absorbe les autres peines (sauf la confiscation des biens

dans le cas de l’apostasie) est connue ; de même celle que la mutilation absorbe la fustigation. Sur ces
questions il existe de nombreuses divergences, mais le principe est admis par les auteurs musulmans.
43La grâce ou l’amnistie sont admises de la part de la victime ou de ses parents pour les atteintes aux

personnes, ou du juge et du souverain en ce qui concerne les peines ta‘zîr. Leur généralisation aux ẖudûd
n’est en principe pas possible.
44Comme on le voit, la difficulté n’est pas tant de trouver ou de ne pas trouver telle ou telle idée dans les

sources classiques, que de pouvoir les généraliser et de faire un ensemble cohérent. Pour les modernistes,
le principe de base d’une telle opération, le respect strict des principes qui fondent la tripartition, qisâs,
hudûd et ta‘zîr, doit être abandonné. Nous reviendrons en fin de chapitre sur les modernistes.
Sous-section 2 - Le droit pénal spécial

45Dans l’exposé de ce droit nous suivrons la tripartition classique jinâyât, ẖudûd, ta‘zîr (§ 1 à 3). Nous

compterons les ẖudûd comme les hanbalites. Pour le contenu, nous suivrons surtout le hanéfite al-Qudûrî
commenté par al-Maydânî. Les principales divergences seront évoquées à la suite de chaque question.

§ 1 - Les atteintes physiques aux personnes (jinâyât)

46538 — Un droit d’esprit civiliste. Cette partie du droit pénal forme le chapitre du talion (qisâs) chez
les hanéfites et les hanbalites. Les malékites l’incluent dans le chapitre des ẖudûd sous le sous-titre (al-
jinâyât ‘alâ n-nafs) et les chaféites font de même en rétablissant le terme qisâs. Historiquement ce type de
droit est rattachable à la société tribale traditionnelle (Bleuchot, La peine). Sa caractéristique essentielle
est son esprit civiliste, qui fait que la compensation (diya) en faveur de la victime n’est jamais oubliée.
En revanche, l’aspect pénal risque de faire défaut, surtout quand la société tribale n’a pas de structure
politique.
47Le fiqh a repris le droit préislamique sans négliger les modifications apportées par le Prophète. On a vu
que le droit préislamique ne reconnaissait que la compensation pour les blessures, mais qu’en revanche il
était impuissant devant la vengeance illimitée pour un meurtre intertribal. Le Prophète rétablit comme
principe le système du talion (qisâs), limité aux actes intentionnels (bi l-‘amd), pour lutter contre les
excès de la vengeance privée, ce qui rendait légal aussi le talion pour blessures. Mais les compensations
(ou compositions) en argent ou en bétail furent systématiquement favorisées et obligatoires dans les cas
de blessures ou d’homicides non-intentionnels (cf. Coran 2, 178-179 et 194 ; 4, 92 ; 5, 45 ; 16, 126 ; 17,
33 ; *22, 60). Par la suite le fiqh continua la réforme du système tribal en permettant au juge d’infliger au
coupable une peine discrétionnaire, s’il considérait que, par le jeu du pardon ou de la transaction, le
coupable s’en tirait à trop bon compte.

A - L’homicide

48539 — Le talion, la victime et le meurtrier. Le talion (qisâs ou qawâd) est exigible pour tout homicide
d’un sujet dont le sang est réservé “pour l’éternité” (‘alâ t-ta’bîd). C’est le cas du musulman et du dhimmî
(protégé), mais pas celui de l’apostat de l’islam, ni celui du harbî (non-musulman du dâr al-harb), ni
d’une personne condamnée à mort, car leur sang est “libre”. Si un harbî qui a obtenu l’amân est tué, son
meurtre n’ouvre pas droit au talion du fait que sa protection (‘isma) n’est que temporaire, mais dans ce
dernier cas le ta‘zîr s’applique et il peut aller jusqu’à la peine de mort si l’imâm le veut. Le droit hanéfite
exige l’égalité entre le coupable et sa victime pour permettre une exécution par talion mais c’est une
égalité de protection, qui doit être définitive. Elle n’est donc pas exigée sur le fondement de la religion,
du sexe, de la condition sociale, ou de la capacité : le musulman riche sera exécuté pour le meurtre d’un
esclave, ou d’un dhimmî ou d’une femme, ou d’un pauvre, ou d’un fou, ou d’un infirme. Autre chose est
l’égalité pour le versement de la diya (compensation).
49Chez les malékites, chaféites et hanbalites, l’égalité entre les conditions est exigée, ce qui entraîne

qu’on n’exécute pas un musulman pour le meurtre d’un dhimmî, ni un libre pour un esclave, ni un homme
pour une femme, sauf chez les hanbalites où une femme vaut un homme en la matière.
50Le meurtrier, pour être responsable (damîn), doit être capable (mukallaf), c’est-à-dire pubère (balîgh),

sain d’esprit (‘âqil) et capable de choisir (mukhtâr).


51540 — Catégories d’homicides. Le droit hanéfite détaille ainsi les cas d’homicide (Al-Qudûrî, Al-
Halabi) :
l’homicide intentionnel (bi ‘amd), prémédité, ou assassinat proprement dit. La détermination de
l’intention se fait par des preuves objectives : transport et utilisation d’une arme (qui peut être une
grosse pierre ou un bâton taillé, un épieu), incendie volontaire, étranglement, empoisonnement, etc.
Cela est à l’inverse du point de vue subjectif qui va chercher à prouver la préméditation de
l’homicide par d’autres voies : déclarations antérieures, lettres, etc. Le meurtre intentionnel ouvre le
droit au talion pour la parenté de la victime. Le wâlî ad-dam peut exiger la condamnation à mort de
l’assassin : elle se fera alors au sabre. Ou de recevoir le paiement du prix du sang (diya) et
l’assassin ne sera pas exécuté. Le prix du sang est payable par la parenté du coupable : il se monte à
cent chameaux de bonne qualité, ou leur équivalent monétaire. L’assassin est exclu de la succession
du décédé. Il ne devra pas accomplir une kaffâra (expiation), car chez les hanéfites, l’expiation est
liée à un acte où se mélange l’involontaire et le volontaire et que ce n’est pas le cas ici.
l’homicide quasi intentionnel (chibh al-‘amd), ce serait le meurtre proprement dit (sans
préméditation) et en même temps l’homicide praeterintentionnel dans lequel le résultat a dépassé
l’intention. Ce dernier, en droit français a été dit longtemps “coups et blessures ayant entraîné la
mort sans intention de la donner”. En droit musulman l’absence de préméditation est prouvée par
l’emploi d’un instrument impropre à tuer : fouet, bâton non taillé, petite pierre. La condamnation à
mort du talion (qisâs) est automatiquement écartée, mais le prix du sang (diya) est exigé. La kaffâra
(expiation : libérer un esclave, ou nourrir un pauvre pendant 60 jours, ou jeûner deux mois) est duc,
car il y a une part d’involontaire. Le meurtrier est exclu de la succession du décédé : il reste tout de
même des doutes sur son intention.
l’homicide par erreur (bi l-khata’), homicide involontaire, ou mieux, sans intention. Par exemple un
accident de chasse, ou, pendant le sommeil étouffer un enfant en se retournant dessus, ou, pour un
cavalier, renverser et tuer un piéton. La condamnation à mort est aussi écartée, le prix du sang
normal (chameaux de qualité moyenne) est exigé et la kaffâra est due. Le meurtrier est exclu de la
succession du décédé : il reste toujours un doute sur son intention.
l’homicide indirect (bi-sabab), ou occasionnel, proche de l’homicide par négligence. Par exemple,
quelqu’un tombe dans un puits qui n’avait pas à être creusé sur une voie de passage. Un mur
s’écroule en tuant un passant alors que le propriétaire avait été averti du danger. Il s’agit donc d’une
faute par négligence. Le prix du sang normal seul est exigé. Le meurtrier n’est pas exclu de la
succession du décédé. La kaffâra n’est pas duc. On y assimile la punition du faux témoin qui se
rétracte.
52On distingue trois catégories de meurtres en droit chaféite et hanbalite, car ils réunissent les deux
dernières des catégories hanéfites. Chez les malékites on n’en distingue que deux, les seules invoquées
dans le Coran, le meurtre intentionnel (qui réunit les deux premières catégories hanéfites) et l’homicide
par erreur (qui réunit les deux dernières). Tous les rites admettent le point de vue objectif avec des
variations dues à la variété des catégories. Les malékites ajoutent une peine discrétionnaire de 100 coups
de fouet dans le cas du meurtre intentionnel qui a abouti au versement d’une compensation. C’est alors
une peine proprement pénale, d’ordre public. Dans les autres rites cette peine est admise, mais son
montant n’est pas fixé.
53541 — Cas particuliers. Ils sont extrêment nombreux et souvent intéressants et détaillés dans les

traités, mais on ne peut songer ici qu’à donner quelques indications.


54La légitime défense est admise dans tous les rites et n’ouvre aucun droit au talion ni à la diya. De même
la proportionnalité de la défense à l’attaque, si elle se produit en ville et de jour, mais pas à la campagne
ni pour repousser une attaque nocturne, cas où on admet que la défense dépasse l’attaque. Toutefois la
diya est duc par celui qui tue l’attaquant aliéné, ou mineur. Dans le cas d’un meurtre ayant donné lieu à un
serment cinquantenaire (voir procédure), les jureurs doivent payer la diya (ils sont responsables de la
sécurité du village).
55Le meurtre de l’épouse adultère (ou de la fille) ou de son amant, ou des deux, prise ou pris sur le fait,
ne donne pas lieu à poursuite, c’est “le crime d’honneur” (‘irḏ, honneur), dont la pratique est fort
répandue et incontrôlée, même à l’heure actuelle : on peut dire que dans certaines régions (Afghanistan,
Pakistan) le meurtre des femmes par sa parenté est pratiquement impuni, et trop largement toléré ailleurs.
56L’avortement (ijhâḏ), c’est-à-dire la chute du fœtus (jinîn), soit provoquée par le meurtre de la mère,
soit par une agression contre elle, est considéré comme un meurtre praeterintentionnel. Il entraîne une
compensation qui se nomme ghurra. Elle est d’un dixième de la valeur de la mère soit 5 chameaux,
payable dans l’année. Elle est reçue par les héritiers de l’enfant, mais le parent (la mère elle-même par
exemple) qui a provoqué la fausse couche est exclu(e) de l’héritage. Si la mère meurt après l’avortement,
le responsable devra la dîya pour elle (50 chameaux) en sus ; mais si clic meurt avant l’expulsion du
fœtus, il ne devra que la diya de la mère. Si l’avortement donne naissance à un enfant vivant, et qu’il
meurt des suites de sa naissance malheureuse, le responsable devra payer une diya complète, et non une
ghurra. Les autres rites divergent dans le détail. Les malékites, qui n’ont pas la catégorie de meurtre
praeterintentionnel doivent distinguer l’avortement intentionnel de l’avortement par erreur. Dans le
premier cas la ghurra doit être payée immédiatement en or et en argent par le responsable seul. Dans le
second cas, il peut payer dans un délai d’un an avec l’aide de sa parenté.
57542 — Procédure. Vengeur, juge, victime, meurtrier. Selon le hanéfisme, le droit de poursuivre un

homicide devant le cadi appartient au wâlî ad-dam (vengeur du sang), c’est-à-dire au plus proche parent
mâle, ou aux autres héritiers légitimes du mort, ou à leur tuteur s’ils sont mineurs, ou à l’exécuteur
testamentaire. Un héritier du sang qui se fait justice doit à ses cohéritiers la partie de la diya qu’ils n’ont
pu percevoir par son fait. On ne lui appliquera pas le talion, puisque la victime était passible de mort
devant la loi.
58Le walî ad-dam est libre de demander l’exécution de la loi du talion (qisâs) ou d’accepter une
compensation pécuniaire (diya), de transiger (sulh, transaction, généralement à un prix supérieur à la
diya) ou encore de pardonner totalement (‘awf). Il ne peut changer d’avis une fois qu’il a renoncé au
talion. Si les témoins se contredisent, si les héritiers ne sont pas d’accord ou s’il y a un absent au moment
de l’exécution, le talion est automatiquement écarté.
59Le juge contrôle l’application de la loi à propos de toutes les parties. On a vu qu’il peut en outre

infliger au coupable une peine discrétionnaire, s’il lui semble qu’il s’en tire à trop bon compte, et qu’il
est encore dangereux pour la société. C’est notamment le cas quand la parenté du meurtrier est puissante
et donc que la transaction ou le pardon a été accordé sous l’empire de la peur.
60On ne peut réclamer l’exécution du père pour le meurtre de son fils. De même à l’égard de la mère, du
grand père ou de la grand mère, car ils ont donné la vie au fils. Mais le fils pourra être exécuté pour le
meurtre de son père. Celui qui hérite du talion contre son père (par exemple si celui-ci a tué le beau-père
et que le fils en est le seul héritier) ne peut l’exercer. Un homme ne pourra être exécuté pour le meurtre de
son esclave, de son affranchi contractuel sans héritiers, ou de l’esclave de son fils, car il ne peut être
wâlî ad-dâm contre lui-même.

Β - Blessures et mutilations

61543 — Blessures et mutilations. Les blessures sont punies du talion (qisâs) pour les blessures
provoquées intentionnellement, ou de la compensation (diya) pour les blessures par erreur. Les autres
catégories de responsabilité (praterintentionncl ou par causalité) disparaissent, car elles sont quasi
impossible à distinguer des autres. Si quelqu’un meurt des suites de ses blessures, le coupable, s’il a
blessé la victime intentionnellement, doit être punie selon les règles du meurtre.
62Le talion est donc appliqué si les blessures ont été faites intentionnellement et que la victime refuse la

compensation, toujours possible. Ainsi on coupera donc la main pour la main, le nez pour le nez, l’oreille
pour l’oreille ; ou crèvera un oeil pour un oeil creuvé, etc. Si l’équivalence (mumâthala) des blessures ne
peut être assurée, la loi islamique oblige alors le plaignant à accepter la diya. Par exemple, un oeil
arraché ne peut donner lieu à un arrachement judiciaire, car on n’est pas sûr de provoquer la même
blessure. La victime doit alors accepter la diya. Une dent cassée doit donner lieu au limage de la même
dent chez l’agresseur, et si elle n’existe pas, la victime doit accepter la diya. Ici les différences sociales
et sexuelles interviennent pour imposer la diya : si la victime et le coupable ne sont pas de la même
catégorie, la diya est obligatoire. Mais la différence religieuse n’intervient pas : pour les hanéfites, sous
le rapport du sang, un musulman vaut un non musulman.
63La diya est calculée par fraction du prix du sang complet (100 chameaux). Ainsi les parties uniques du
corps (nez, langue, verge...) valent la diya complète. Les parties doubles (oeil, oreille, main...) en valent
la moitié. Un doigt en vaut le dizième, une dent le vingtième, etc. Les traités consacrent une large place à
détailler ces questions, les différentes blessures, le montant des diyas correspondantes, les cas de
complicité, etc.

§ 2 - Les peines fixes

64Après diverses généralités (A), nous décrirons le droit classique des différentes peines fixes :
fornication (B), fausse accusation de fornication (C), vol (D), brigandage (E), consommation de vin (F),
apostasie (G), rébellion (H).

A - Généralités

65544 — Introduction. Décompte des peines fixes. La société tribale traditionnelle connaissait les peines

pour atteinte à la religion, mais elles ne jouaient qu’un rôle marginal (Bleuchot, La peine). C’est
seulement quand s’affirme l’existence d’un État s’appuyant sur une religion pour conforter sa légitimité
que des peines de type religieux se multiplient, car la maintenance de la religion devient pour l’État la
défense de sa propre survie, du moins dans le cadre mental du système antique.
66Pour les hanéfites, il y a cinq ẖudûd (pl. de ẖadd, peine fixée par la loi islamique). Ce sont : la

fornication, le vol, la consommation d’alcool, le brigandage et la fausse accusation de fornication. Mais


deux autres infractions graves sont placées dans le traité du jihâd, l’apostasie et la rébellion. Les
hanbalites comptent sept ẖudûd, incluant l’apostasie et la rébellion très logiquement. Les malékites en
comptent huit, les sept cités plus les jinâyât ‘ala nafs, comme on l’a dit. Les chaféites n’en comptent que
sept : ils reprennent la liste malékite, mais ils réunissent le brigandage et le vol en un seul ẖadd. Ces
indications ne sont pas absolues, et il y a des variations au sein de la même école suivant les auteurs.
Comme on l’a dit, nous suivrons dans notre plan la liste hanbalite, la plus logique, mais le droit hanéfite
pour le contenu, tout en donnant une idée des divergences à la suite de chaque question.
67545 — Définition du ẖadd. Principes généraux. Al-Halabi définit ainsi le ẖadd (t. 1, p. 584 sq) : “Le

ẖadd est une peine déterminée, obligatoire, constituant un droit de Dieu, et qui ne s’appelle ni ta‘zîr, ni
talion”. On voit bien que le sens du mot se déduit du sens des deux autres, donc qu’il faut le traduire
“peine fixée par Dieu” ou plus simplement “peine fixe” et non pas “peine légale”. Cette dernière
expression qui veut dire “peine fixée par la loi de Dieu” est ambiguë, parce que les autres peines sont
aussi légales (en un sens certes différent, portant sur la légalité). Ce n’est pas le rapport à la loi qui donne
le sens du mot, mais le mode de fixation de la peine. Donc les expressions “peines déterminées, fixes,
définies”, doivent figurer prioritairement dans la traduction du mot ẖadd.
68Un jeu de principes généraux se trouve rappelé dans les textes des fuqahâ’ au moment où il s’agit de

justifier tel ou tel point de doctrine, quand les écritures sources font défaut. D’ailleurs le plus souvent ces
principes généraux sont énoncés sous forme de ẖadîth. En voici les principaux.
69Un ẖadîth du Prophète, par ‘Aïcha, rapporté par at-Tirmidhî, affirme : “Repoussez les ẖudûd loin des

musulmans tant que vous le pouvez. S’il y a une issue (pour le coupable), laissez-le. 11 vaut mieux que
l’imâm se trompe en pardonnant qu’en punissant” (Khudarî, p. 85). Ce texte, rapporté aussi sous une
forme abrégée, signale bien les réticences qui ont toujours existé vis-à-vis des ẖudûd, chez les
traditionnistes comme chez les fuqahâ’. Ce sont les hanéfites surtout qui ont cherché à limiter
l’application des ẖudûd, Abû Hanîfa en particulier. Certains des principes qui suivent n’ont pour fonction
que de limiter encore plus l’application des ẖudûd.
70Le témoignage des femmes est exclu, c’est un principe général aux peines fixes : “pas de témoignage de
femmes dans les ẖudûd.” (Al- Lubâb, p. 194, à propos du vin),
71Le ẖadd a un caractère religieux, c’est en effet un ẖaqq l-Llâh, un droit de Dieu. Dès lors le repentir

(tawba) ou la restitution (radd) pourront empêcher l’application de la peine fixe dans certains cas, mais il
y a des divergences selon les écoles et les auteurs.
72Si le ẖadd ne peut s’appliquer, puisque l’infraction n’est pas constituée, une autre peine intervient. Elle

est déterminée par le juge, arbitrairement ou discrétionnairement, ou définie par le souverain (cf. § 3).

Β - Fornication

73546 — Définition, peine. En français, le mot fornication désigne tout rapport sexuel hors mariage ;
c’est celui qui traduit le mieux le concept de zinâ, encore qu’en droit musulman le rapport sexuel du
maître avec ses concubines esclaves soit légal. Pour les auteurs, à la suite d’Al-Ghazâlî, le crime de
fornication porte atteinte à un intérêt fondamental de la société : la filiation (al-nasal). Dans une société
patriarcale, il est très important de contrôler la filiation et donc les biens. Ce contrôle ne peut
s’accommoder de la liberté sexuelle de l’homme et de la femme.
74La fornication est punie de mort par lapidation pour le muẖsân ou la muẖsana, c’est-à-dire celui ou celle

qui est libre, majeur(e), sain(e) d’esprit, musulman(e) et marié(e) dans un mariage légitime et consommé.
Il s’agit alors d’un adultère, cas particulier de la fornication. La source de cette peine de lapidation est un
dire de ‘Umar (cf. n° 268, note)
75Si le ou la coupable n’est pas muẖsân, la peine est de 100 coups de fouet, conformément au Coran (24,

2). Elle peut être assortie d’une peine d’exil ou d’une peine discrétionnaire supplémentaire. L’esclave ne
reçoit que 50 coups (Coran 4, 25).
76Il existe un cas d’aggravation : si l’acte a été commis pendant le mois du Ramadan, même les non

muẖsan sont condamnés à mort (Al-Halabi).


77Mais les cas où la peine est supprimée ou réduite sont nombreux ; c’est notamment le cas dans certaines

situations de mariages nuls, de rapports avec les esclaves de la parenté, de relations d’un homme avec
une prostituée ou avec une étrangère au dâr al-islâm, ou encore si l’affaire se produit dans un pays
musulman en insurrection contre le souverain légitime. La peine discrétionnaire (ta‘zîr) est cependant
encourue.
78Une série de divergences portent sur les cas où il existe un doute sur la propriété de la concubine

esclave : esclave en copropriété, esclave du fils, de la femme, esclave du butin non partagé. Les
malékites admettent la levée de la peine dans tous les cas où il y a ce doute, mais les autres rites sont
moins systématiques. On trouve aussi des divergences sur la qualité du muẖsan, les chaféites n’exigeant
pas l’islam, ce qui fait que pour eux la peine de lapidation s’applique aussi aux protégés (dhimmîyûn).
Pour les esclaves, le verset 4, 25 ne concernant que les femmes esclaves mariées, on a des divergences
sur le cas des non mariées, sur le cas des hommes, etc. Mais l’opinion hanéfite est celle de la majorité.
79547 — Preuve et procédure. La preuve ne s’acquiert que par deux moyens, l’aveu ou le témoignage. En
droit hanéfite, l’aveu doit être réitéré quatre fois en quatre séances différentes ; une seule rétractation
détruit les quatre aveux, car le doute est établi. Ce quadruple aveu se déduit par analogie de la nécessité
d’un quadruple témoignage, mais surtout d’un ẖadîth où le Prophète repoussa trois fois une personne
venue lui avouer son crime, et ne la condamna qu’à la quatrième fois. L’aveu, une fois admis, doit être
suivi d’un interrogatoire du juge pour vérifier s’il n’existe pas une des nombreuses circonstances qui
rende la peine non-applicable. Il est recommandé au juge de pousser l’avouant à se rétracter ou à fuir (ce
qui équivaut à une rétractation). Les hanbalites veulent aussi quatre aveux, tandis que les chaféites et
malékites n’en exigent qu’un.
80Le témoignage doit émaner de quatre témoins oculaires (Coran 24, 4), unanimes, vertueux (dans leur for

intérieur autant que publiquement) et dignes de foi. Ils doivent témoigner avec précision sur la qualité des
actants, sur la nature de l’acte, sur le lieu de l’acte et sur l’introduction (“comme la plume dans l’encrier”
ou “comme le seau dans le puits”). Si les témoins sont moins de quatre, s’ils se contredisent, notamment
sur le degré de consentement de la femme, si l’un d’entre eux se retracte, le crime de zinâ n’est pas
constitué et entraîne pour tous les témoins la peine de qadhf (voir plus loin, C).
81Si le juge a été saisi auparavant de la même affaire par des témoins auriculaires et qu’il a rejeté leur

témoignage, il devra aussi rejeter le témoignage des témoins oculaires (Al-Halabî). La déposition doit
être faite en présence du fornicateur, et immédiatement après le délit. Un mois après l’affaire, aucune
déposition ne peut être reçue. Mais il y a des divergences entre hanéfites sur la durée de la prescription.
La déposition autant que la non-déposition sont considérées comme louables, mais les auteurs divergent
ici aussi.
82Le juge doit procéder à l’interrogatoire des témoins pour vérifier s’il ne se trouve pas dans un des

nombreux cas où la peine n’est pas applicable à l’accusé. Si l’accusation porte contre une jeune fille, la
déclaration de deux matrones attestant que la fille est vierge, l’emporte contre eux, et ils sont passibles du
qadhf, fussent-ils quatre (Al Halabi).
83Les autres rites suivent en général les hanéfites. Cependant pour les malékites l’aveu unique fait preuve

(mais la rétractation et la fuite sont admises), ainsi que la grossesse manifeste. La femme enceinte qui
prétend avoir avoir été violée doit le prouver (selon al-Qayrawânî, mais pas chez Khalîl). Les témoins ne
sont pas tenus de commencer la lapidation. Le maître peut flageller son esclave, à condition que les
preuves soient établies indépendamment de lui.
84548 — Application de la peine. La peine consiste en une fustigation (ou flagellation) (jald) en cas de

fornication pour les mukallaf non muẖsan. Cent coups pour les libres et cinquante pour les esclaves.
L’homme doit être fouetté en chemise et debout. La femme assise et habillée, mais elle ne peut porter des
fourrures ou une robe capitonnée. Le fouet ne doit pas comporter de noeuds, ni de scorpions. Les coups
doivent être répartis sur le corps et ne jamais atteindre la tête, ni le sexe. La rétractation de l’aveu
entraîne l’arrêt du supplice. L’imâm peut choisir de remplacer cette peine par l’exil (nafyu), mais il y a
des divergences entre hanéfites sur ce sujet. Les malékites et hanbalites cumulent les deux peines.
85En cas d’adultère pour les muẖsan, la peine est la lapidation à mort (rajm). Des divergences existent sur
la question de savoir s’il faut cumuler la flagellation et la lapidation, la majorité répond non avec les
hanéfites. La lapidation s’effectue ainsi : l’homme doit se trouver dans un champ mais pas attaché ; la
femme peut être enfouie jusqu’aux seins à l’exemple de ce qu’ont pratiqué le Prophète et le calife ‘Alî
mais ce n’est pas obligatoire. Les témoins doivent lancer les premières pierres. S’ils s’y refusent, s’ils
s’absentent, si l’un vient à mourir la peine est supprimée. Si la condamnation vient de l’aveu, le juge
lance la première pierre. Il doit encourager encore le condamné à rétracter son aveu. Le peuple lance
ensuite les autres pierres : les gens doivent être en rang, comme pour la prière. En droit hanéfite, le défunt
est ensuite lavé, enseveli et on doit prier sur lui : il a payé sa dette à Dieu et il est pur. Mais il existe des
discussions théologiques sur le point de savoir si la peine d’ici-bas dispense des peines de l’au-delà.
86La femme enceinte subira la peine après ses couches ; si la condamnation est encourue à cause de son

aveu, son supplice sera remis jusqu’à ce que l’enfant puisse se passer d’elle.
87549 — Sodomisation, homosexualité et bestialité. Les auteurs hanéfites sont hésitants sur la peine à

appliquer à la sodomisation et l’homosexualité. Abû Yûsuf et ach-Chaybanî disent que c’est à punir
comme le zinâ. Abû Hanîfa pense que cela relève du ta‘zîr. D’autres se fondant sur les hésitations des
Compagnons du Prophète prononcent des peines différentes : mort par le feu, par écroulement d’un mur,
ou par chute dans un précipice. Le rite a suivi Abû Hanîfa, en soulignant le fait qu’il n’y a pas d’atteinte à
la descendance, donc pas de zinâ proprement dit. Il en est de même pour la bestialité, qui est punie par
ta‘zîr dans le rite hanéfite ; l’animal doit être tué de préférence, pour éviter tout rejeton monstrueux.
88Pour les malékites, la sodomisation sur un mâle pubère et consentant, entraîne la lapidation des deux

coupables, même non muẖsân (al-Qayrawânî). Mais les femmes ne sont punies que de ta‘zîr ; de même la
bestialité n’entraîne que le ta‘zîr.
89Les chaféites punissent l’homosexualité et la bestialité comme la fornication, mais la sodomisation est

soumise au ta‘zîr.
90Les hanbalitcs punissent de lapidation l’homosexualité de deux femmes déflorées légalement, mais si

elles sont vierges (non muẖsan), la peine est seulement le fouet (Ibn Qudâma).

C - Fausse accusation de fornication

91550 — Définition, peine. Selon al-Qudûrî, la fausse accusation de fornication (qadhf) est toute
accusation mensongère d’adultère ou de fornication portée contre une personne mariée dite muẖsan bi-l-
qadhf c’est-à-dire libre, majeure, saine d’esprit, musulmane, de réputation intacte de chasteté. L’offense
doit comporter des mots comme “adultère” ou à propos de l’enfant “bâtard”, etc. La personne offensée
peut réclamer alors la peine légale (80 coups de fouet pour l’homme libre, 40 pour l’esclave) à
l’encontre de celui qui profère cette accusation (Coran, 24,4 et 4, 25). L’insulteur doit être majeur et sain
d’esprit pour être puni. Il peut donc être homme ou femme, libre ou esclave, musulman ou non.
92La fonction de cette punition semble bien d’abord de protéger les généalogies qui étaient toutes orales

les premiers temps. Mais elle est aussi d’empêcher l’application du ẖadd de zinâ en décourageant les
témoignages.
93Si l’accusateur rapporte l’enfant de la femme à l’oncle paternel, ou maternel ou à un autre mari de la

femme, il n’y a pas d’accusation de fornication, car le Coran les appelle père, pour les deux premiers (2,
133) et le troisième est en quelque sorte un père en raison de l’éducation. Si l’acte dont il est fait
accusation est un flirt ou une relation sexuelle sans introduction, personne n’est puni. Si les faits se
révèlent exacts (trois autres témoins ou aveu), la peine encourrue par l’accusateur tombe (exceptio
veritatis) et c’est l’accusé qui encourt le peine de zinâ.
94551 — Procédure. Cas d’insultes. La poursuite est déclenchée par l’insulté. 11 peut faire grâce avant le

prononcé du juge, mais plus après. S’il meurt avant la condamnation, la poursuite est abandonnée et les
héritiers ne peuvent la continuer. Si l’insulte a été faite contre un mort, la poursuite peut être engagée par
les héritiers qui ont intérêt à ce que leur filiation ne soit pas mise en doute. Le fils insulté par le père et
l’esclave insulté par son maître ne peuvent poursuivre.
95La preuve est établie par l’aveu ou par deux témoignages masculins. L’aveu ne peut être rétracté : car il
a ouvert un droit humain, et ce dernier ne peut être repris.
96Entre mari et femme la procédure est spéciale (li‘ân) et peut entraîner le divorce. Tout désaveu de
paternité (sauf s’il est de droit) entraîne le déclenchement de la procédure de li‘an (voir au tome III).
97L’infraction de fausse accusation de fornication, quand elle n’est pas exactement constituée, permet de

punir l’insulte. Certaines insultes, faisant référence à une grave faute du point de vue islamique, ouvrent
le droit de se plaindre. Ainsi “païen, infidèle” est comme une accusation d’apostasie. “Voleur” renvoie au
ẖadd du vol, “ivrogne” à celui de l’ivrognerie, “usurier” au péché de ribâ, etc. La peine est une peine
ta‘zîr. Mais les injures moindres “cochon” (et tous les animaux) ou les injures ordinaires “bouffon,
ignorant, démon,” ou encore “fils du ciel, fils de la pluie”... n’ouvrent pas le droit de poursuivre.
98L’infraction n’est pas constituée non plus si l’insulté n’est pas majeur, ni musulman, ni libre, ni muẖsan.

Il peut cependant réclamer l’application d’une peine ta‘zîr pour insulte grave.
99Deux personnes qui s’injurient sont passibles toutes les deux de cette peine ta‘zîr.

100Les divergences entre les rites ne sont pas très nombreuses. Les auteurs divergent sur l’effet du pardon.

Ils sont unanimes pour dire que le témoignage du condamné à la peine de qadhf n’est pas valable, mais ils
divergent sur l’effet du repentir. La cause en est l’ambiguïté de la phrase coranique (24, 4-5). Les
hanéfites disent que le témoignage des condamnés ne sera jamais (abadan) reçu et que, à l’exception des
repentis, ils sont tous pervers. Les chaféites et malékites disent que le témoignage de ces pervers ne sera
pas reçu, sauf s’ils se repentent.

D - Vol

101552 — Définition. Les éléments constitutifs du vol sont très nombreux chez les hanéfites et chaque
précision dans la définition, dans la procédure, dans la peine introduit des exceptions qui font échapper à
la terrible peine d’amputation. Le voleur qui a bénéficié d’une de ces exceptions est alors puni de ta‘zîr.
102Le vol (sariqa) est d’abord distingué d’autres formes de soustraction de biens en vertu d’un ẖadîth que

l’on trouve dans les quatre recueils canoniques : “Pas d’amputation pour l’escroc (khâ’in), ni pour le
chapardeur (mukhtalis)”. Des variantes de ce ẖadîth ajoutent “ni pour le pilleur (muntahib)”. Les fuqahâ’
expliquent que ces actes sont commis ouvertement, loyalement en quelque sorte, et que le volé a la
possibilité de se défendre, à l’inverse du vol à l’insu (khufiatan). Pour B. Atallah, il y a là, manifestement
la trace d’une mentalité arabe ancienne qui considère la razzia comme un acte loyal.
103Le vol (sariqa) est défini chez les hanéfites comme la soustraction clandestine d’un bien d’un minimum
de 10 dirham frappés, hors d’un hirz, sans droit ni doute quant à la propriété de cette chose (al-Halabî,
t. 2, p. 613). La soustration non clandestine n’est donc pas un vol, mais un brigandage (passible d’un autre
ẖadd), ou bien une usurpation (ghasb)(ouvrant seulement une procédure civile). La soustraction d’un objet
de moins de 10 dirhams ou d’une quantité d’or ou d’argent de 10 dirham mais non frappés (c’est-à-dire
n’étant pas une monnaie officielle) n’est pas vol. Il faut en outre que l’objet soit sorti de son ẖirz, c’est-à-
dire d’un lieu fermé adéquat à la chose. Si le voleur prétend récupérer son bien, il ne saurait non plus y
avoir de vol.
104553 — Peine, récidive, restitution ou dédommagement. Le vol qui réunit toutes ces conditions est
alors sanctionné par l’ablation de la main droite.
105La peine est unique si le voleur est pris après avoir commis plusieurs vols. Mais s’il a déjà été
condamné, on se trouve dans un cas de récidive (‘awd). Selon les malékites et les chaféites, en cas de
récidive, on doit amputer le pied gauche du voleur, puis à la seconde récidive sa main gauche, puis à la
troisième le pied droit, enfin à la quatrième on doit l’emprisonner. Mais les hanbalites et les hanéfites ne
permettent que deux amputations. Si le voleur est un esclave, il reçoit la même peine d’amputation,
puisqu’on ne peut dire ce qu’est une demi-amputation, et qu’il faut protéger les biens. De même les
dhimmîyûn.
106Si le voleur a déjà la main gauche sèche ou coupée par une cause naturelle, on ne lui coupe pas la

droite. On coupe la main au niveau de l’articulation du poignet et le pied à la cheville, mais il y a des
divergences : une minorité de fuqahâ’ ne veulent couper que les doigts. On enduit la blessure d’huile
chaude pour arrêter le sang. Le prix de l’huile et le paiement du bourreau sont à la charge du condamné. Il
est de tradition (sunna) de suspendre le membre coupé autour du cou du condamné pendant une heure (az-
Zuẖaylî, t. 6, p. 99).
107Le voleur est tenu de restituer l’objet volé. Si le produit du vol est gâté, ou perdu, ou mangé, il doit en
payer la valeur. Cette question donne lieu à divergences : Les hanéfites soutiennent que les dommages
(gharam, qui est aussi l’amende) ne sont pas dus : s’il y a ẖadd de vol, c’est en raison de l’appropriation
par le voleur, donc pas de garantie (ḏaman, ou dommages à payer) en faveur du volé qui n’est plus
propriétaire. Si au contraire il y a garantie, c’est que l’objet appartient toujours à son propriétaire, donc
pas de ẖadd. Les autres rites n’ont pas suivi cette argumentation spécieuse. Les malékites distinguent le
riche et le pauvre : le pauvre ne payera pas, car on soupçonne que sa pauvreté est à l’origine du vol et
même, si c’est la faim qui l’a poussé, il sera dispensé du ẖadd. Le riche sera amputé et paiera la garantie,
ce qui aggravera sa peine. Les chaféites et hanbalites cumulent : la peine d’amputation est un droit de
Dieu, le dédommagement un droit de l’homme, l’un n’empêche pas l’autre.
108554 — Détail des éléments constitutifs du vol chez les hanéfites. Ils sont bien plus nombreux que ne
le dit la définition du vol, car les juristes hanéfites ont cherché à empêcher l’application de ce ẖadd.
109Chez Al Qudûrî commenté par Al Maydanî (al-Lubâb, t. 3, p. 200 sq.), on trouve les conditions

suivantes :
quant au voleur : il doit être majeur, sain d’esprit, non muet (“parce que le doute est dans ses
dires”), non-aveugle (“parce que le doute en en lui”).
quant à la valeur de l’objet volé : il doit être en bon état, d’un montant minimum (nisâb) de 10
dirhams frappés ; il ne doit pas être susceptible de pourrir : le vol de fruits frais, lait, viande,
pastèques... ne peut donner lieu à amputation. Dans le cas d’une bande de voleurs, si la part de
chacun n’atteint pas 10 dirhams, il n’y a pas d’amputation.
quant à la nature de l’objet : il ne doit pas être un objet sans valeur en pays d’islam, comme le bois
(sauf bois précieux, portes, récipients), les roseaux, l’herbe, le poisson, le gibier (le commentaire
ajoute la chaux, l’arsenic.) ; sont aussi sans valeur au regard de l’islam les boissons alcooliques, les
instruments de musique, les jeux d’échecs, les jeux de tricktrack, dont la destruction est permise. De
même sont exclus les bijoux révélant une religion autre que l’islam, une croix, une idole, même d’or,
parce qu’il est permis de les détruire.
pour les livres, le vol d’un exemplaire du Coran ne donne pas lieu à amputation, on suppose qu’il a
été pris pour être seulement lu. Les livres de fiqh ou de théologie suivent la même règle. S’il s’agit
d’autres livres, ils suivent le sort des instruments de musique ; toutefois les cahiers de compte sont
retenus (ils représentent des dettes).
quant à l’acte de vol : il doit être fait en une fois, à l’insu du propriétaire : le vol sous la menace
(par force ou le pillage, intihâb) n’est pas passible d’amputation, de même le vol à la tire (ikhtilâs,
ou chapardage) parce que fait en public.
l’objet doit être dans un ẖirz (sous garde). Ainsi le vol des fruits d’un jardin, de récoltes non
récoltées, des animaux au champ, si ces biens ne sont pas enclos. Il existe deux sortes de ẖirz,
matériel ou humain. Le ẖirz matériel doit être adéquat à la chose (ẖirz mithlahu) : des bijoux doivent
être dans un coffret dans une pièce d’habitation et non dans une jarre dans la reserre à provisions. Le
ẖirz doit être unique : si le voleur tire moins du minimum de chaque hirz, il échappe au ẖadd. Il faut
que l’objet soit sorti du ẖirzpar le voleur : s’il le lance à un complice à l’extérieur, pas de peine
légale, du moins pour Abû Hanîfa ; mais s’il utilise un âne, s’il lance l’objet et qu’il le récupère
après... on applique la peine. Un lieu public ne peut constituer un hirz. Pour le ẖirzhumain, il s’agit
simplement du gardien de la chose. Une chose sans gardien, dans un lieu où l’on a le droit de
circuler, peut être volée sans amputation.
110Ces conditions, dont l’objectif est de limiter le champ d’application de la loi conduisent à des
conséquences absurdes que B. Atallah a relevé à propose de la loi libyenne : le vol dans un lieu ouvert,
public, ou commis par un membre de la famille ou un domestique (qui a l’entrée libre), ou portant sur un
objet de propriété publique ou sociale, ou par hold-up ou chantage n’entraîne pas la peine légale. Le vol
d’un objet par effraction (un transistor dans une voiture après bris de vitre) entraîne la peine, mais le vol
de la voiture avec tout ce qu’elle contient n’entraîne pas la peine. D’énormes détournements de fonds
publics ou des escroqueries monumentales ne peuvent donner lieu à une peine légale... Le vol d’enfants
esclaves et des animaux est puni (car on peut estimer leur valeur), mais celui des enfants libres n’entraîne
pas la peine légale.
111Mais ces absurdités sont voulues par esprit humaniste. Manifestement les fuqahâ’ hanéfites, à la suite

de leur imam, ne voulaient pas de cette peine. Aussi, comme ils ne pouvaient attaquer de front le Coran et
la Sunna, ils ont multiplié les subtilités : dans le cas d’un Coran orné de pierreries, on décrète que l’objet
volé est le Coran, mais que les pierreries sont l’accessoire, et comme l’accessoire suit le principal, pas
d’amputation. De même une coupe d’or pleine de vin : le principal est le vin dont le vol n’est pas
punissable.
112555 — Divergences sur les éléments constitutifs. Les autres rites sont (un peu) moins indulgents. Le

nisâb (minimum) est plus bas, trois dirhams d’argent. Les divergences entre hanéfites se sont portées
beaucoup sur les cas particuliers où des complices s’entraident pour sortir l’objet volé du ẖirz. Les trois
autres rites punissent systématiquement celui qui est entré dans le ẖirz : il est considéré comme l’acteur
principal. Le coupeur de bourse (aṯ-ṯarrâr) est amputé, à la quasi unanimité (des hanéfites s’étant rallié
aux autres, en suivant généralement Abû Yûsuf, plus sévère). De même le pilleur de tombes (nabbâch).
113La grande différence est que les malékites, chaféites et hanbalites et les hanéfites qui suivent Abû
Yûsuf refusent de considérer le vol d’objet périssables ou “sans valeur en pays d’Islam” comme donnant
lieu à une dispense d’amputation. Pour eux, le vol de tout objet faisant l’objet d’un commerce, s’il atteint
le nisâb, entraîne l’amputation. Ils n’admettent pas la théorie que l’essentiel suit l’accessoire en matière
ce vol : celui qui vole une coupe d’or pour son contenu est réputé avoir volé la coupe pour le contenant.
114En revanche ils admettent avec les hanéfites tous les doutes qui peuvent laisser soupçonner que le
voleur a un droit sur la chose. En procédure aussi l’accord est très large.
115556 — Procédure ; preuve. Selon les hanéfites, le propriétaire de l’objet volé a le droit seul de

poursuivre le criminel ; la preuve est à sa charge. Il faut qu’il ait “les mains propres” pourrait-on traduire
l’expression yad saẖîẖa (main correcte), c’est-à-dire qu’il ait la propriété de la chose ou le droit de la
détenir (créancier gagiste, locataire, dépositaire, etc.). Le voleur d’un voleur n’est donc pas amputé.
Autre condition admise unanimement : le vol doit avoir lieu dans le dâr al-islam : les vols dans le
territoire de la guerre ne sont pas sanctionnés de la peine d’amputation.
116L’action peut être engagée par un témoin, exceptionnellement : le voleur est mis en prison préventive,

en attendant que le propriétaire se manifeste. La preuve est obtenue par l’aveu unique ou le témoignage de
deux témoins oculaires, intègres, de sexe masculin. On n’accepte pas le témoignage sur un témoignage. Le
refus de prêter serment (nukûl) de la part du voleur ne fait pas preuve. Ni non plus le savoir extra-
judiciaire du juge. L’aveu est admis et il fait preuve, à condition d’être volontaire et non forcé (cf.
procédure, section 3). Pour les hanbalites et Abû Yûsuf, l’aveu doit être dit deux fois, par analogie avec
les deux témoins.
117Ici aussi l’ingéniosité des fuqahâ’ a cherché à limiter les cas d’application de l’amputation. Ainsi,

avant la condamnation, la peine peut-être supprimée si, avant d’être pris, le voleur restitue l’objet volé,
ou réussit à l’acheter à son propriétaire : il n’encourt alors aucune poursuite. L’acte est considéré comme
un cas de repentir. Le propriétaire peut aussi déclarer que l’objet volé n’atteint pas le minimum, ou qu’il
l’a donné ou vendu au voleur ; dans ce cas, on n’applique pas la peine fixe (même après le prononcé de la
sentence, car il y a doute) mais il y a des divergences sur ce point.
118Cependant il est de règle, comme pour tous les ẖudûd, que l’imam ne puisse faire grâce. La transaction

(sulh) n’est pas non plus acceptée, sauf dans les cas cités plus haut.

E - Brigandage

119557 — Définition. Conditions en droit hanéfite. Le brigandage est désigné par plusieurs mots ou

expressions : as-sirqa al-kubrâ, le grand vol (par opposition au petit vol qu’on vient de voir) ; qaṯ‘u ṯ-
ṯuruq, le fait de couper les routes ; ẖirâba, sur une racine signifiant guerre, qu’on traduit par brigandage ;
sa‘y al-fasâd fi l-arḏ, le fait de semer la corruption sur la terre. Le Coran (5, 33) utilise les deux
dernières expressions et énonce une série de peines : “ils seront tués, ou crucifiés, ou amputés de manière
croisée, ou bannis de la terre”.
120Les fuqahâ’ disent que les brigands sont ceux qui barrent les routes, volent en utilisant la force et

parfois tuent.
121En droit hanéfite, le brigand passible du ẖadd pour brigandage doit être adulte, sain d’esprit et de sexe

masculin, musulman ou dhimmî. Les complices sont punis comme les acteurs principaux. Pour Abû Hanîfa
et ach-Chaybânî, la présence d’une femme, d’un malade mental ou d’un enfant dans la bande fait que le
ẖadd ne s’appliquera à aucun des participants, nonobstant les peines de qisâs, les restitutions ou
dommages. Abû Yûsuf n’est pas d’accord en ce qui concerne la femme : elle est responsable (mukallafa)
et elle doit être punie du ẖadd, donc toute la bande avec.
122Les victimes sont ceux dont le sang est protégé, musulman ou dhimmî. Mais le doute intervient à
propos du musta’min (protégé temporaire) : le brigand peut avoir pensé que son sang était libre, donc le
ẖadd ne s’appliquera pas, ce qui n’exclut pas le qisâs et les restitutions ou dédommagements. Les
victimes doivent avoir “les mains propres” (yad saẖîẖa), le voleur du voleur n’est pas puni du ẖadd.
123La parenté interdisant le mariage, entre le brigand et sa victime, exclut aussi l’application du ẖadd.
124Le brigandage doit avoir été effectué en pays d’islam, donc les opérations faites à l’encontre des
ẖarbîyûn n’entrent pas dans la catégorie du brigandage. Une autre condition de lieu intervient pour Abû
Hanîfa et ach-Chaybânî : le brigandage doit avoir lieu en dehors des villes (misr), là où les victimes ne
peuvent appeler à l’aide, mais le rite n’a pas suivi cette opinion.
125558 — Types de brigandage et leurs peines en droit hanéfite. Un premier stade de l’infraction est la

constitution de bandes dont l’intention est manifestement de faire du brigandage. Lorsque ces gens sont
saisis par la police et qu’on n’a rien de précis à leur reprocher, le juge les emprisonne quand môme et ne
les relâche que s’il a l’assurance qu’ils ne constituent plus une bande de voleurs.
126S’ils sont pris après avoir commis un vol avec violence, ils sont condamnés à l’amputation de la main

droite et du pied gauche (amputation croisée, min khilâf). Il faut que la part de chacun atteigne dix
dirhams, c’est-à-dire le minimum (nisâb) du vol. Les conditions relatives à l’objet volé sont les mêmes
que pour le petit vol.
127S’il y a eu meurtre, ils sont condamnés à mort, ẖaddan wa lâ qisâsan, c’est-à-dire par peine fixe, et non

par la procédure du talion. Personne ne peut leur faire grâce, ni le ẖâkim, ni le parent de la victime.
L’exécution se fait au sabre.
128S’il y a eu à la fois meurtre et vol, l’imam a le choix : il pourra leur appliquer les trois peines
coraniques les plus graves (amputation croisée, exécution, crucifixion 50 ) ; ou la crucifixion suivie de
mort sur la croix au moyen d’une lance ; ou seulement la mort, qui absorbe les autres peines.
129Si la bande échappe au ẖadd du fait de la présence d’un enfant, d’un simple d’esprit ou d’une femme,
on ramène l’affaire au qisâs : les meurtriers adultes et sains d’esprit sont alors passibles de la peine de
mort, sauf si le wâlî d-dam préfère la diya ou leur faire grâce complètement.
130Les brigands qui se livrent volontairement sont considérés comme repentants et ils échappent au ẖadd
(Coran 5, 34), mais ils restent responsables des meurtres par qisâs, et des restitutions ou
dédommagements pour vol : le repentir fait tomber le droit de Dieu, mais pas celui des hommes.
131La procédure, les preuves et les cas de dispense de peine dues au repentir sont les mêmes que pour le

vol.
132559 — Divergences. Les trois autres rites n’admettent pas l’exception de la femme que font certains

hanéfites. La présence d’un simple d’esprit, d’une femme ou d’un enfant ne dispense de la peine de ẖadd
que pour la personne concernée, pas pour les autres, tout le monde restant soumis aux peines éventuelles
de qisâs, aux restitutions et dédommagements. Pour les chaféites les complices ne doivent pas être punis
du ẖadd, mais seulement de peines discrétionnaires.
133À propos du lieu de brigandage, après l’abandon de la position d’Abû Hanîfa par les hanéfites, les

quatre rites sont d’accord pour admettre que le brigandage doit être puni aussi dans les villes, de nuit
comme de jour, avec armes ou sans armes.
134Pour les peines, les rites sont d’accord pour punir de bannissement (interprété comme un
emprisonnement en général), les brigands qui n’ont pas ni tué ni volé au point de mériter le ẖadd du
vol. Avec des nuances, les chaféites et hanbalites sont d’accord sur le reste de l’échelle hanéfite des
peines. Les malékites font plus nettement intervenir des considérations d’intérêt général, voire
criminologiques dans le premier cas (pas de vol, pas de meurtre). S’il s’agit d’un homme intelligent, fort,
ayant du tadbîr (une capacité d’administrateur, c’est-à-dire s’il s’agit d’un meneur d’hommes), l’imam
pourra le faire exécuter car c’est un personnage dangereux. S’il s’agit d’une forte brute, l’amputation
croisée l’empêchera de nuire. Quant à l’homme ni fort, ni intelligent, une volée de coups de fouet suffira.
Pour les autres cas l’imam devra consulter, faire de l’ijtihâd, tenir compte de l’intérêt général, etc.
135Pour les malékites en majorité et une partie des chaféites et des hanéfites, la crucifixion doit se faire en
suspendant par des liens l’homme vivant, car les morts ne sont pas justiciables de peines. Le condamné
sera ensuite exécuté à la lance, descendu et remis à sa famille. Pour les chaféites, les hanbalites et une
minorité de malékites et de hanéfites, on ne crucifie qu’après la mort, sinon ce serait un châtiment
exemplaire interdit (muthla, ou mutilation). De plus l’ordre des mots dans le texte coranique de référence
(5, 33) incite à cela. Il s’agit donc d’une exposition de cadavre qui servira d’avertissement aux autres
brigands. Elle ne doit durer que trois jours.

F - Consommation de vin

136560 — La consommation de vin dans le rite hanéfite. La consommation de vin a été interdite par le

Coran. Cette interdiction a été révélée par étapes successives c’est-à-dire par les versets suivants : 16,
67 ; 2, 219 ; 4, 43 et 5, 90-91. Ce dernier verset constitue la base de l’interdiction. De nombreux ẖadîth la
confirment et la détaillent.
137Selon al-Qudûrî, le musulman qui boit du vin (khamr), volontairement, ne serait-ce qu’une goutte, ou

qui s’enivre en buvant du nabîdh, est puni de 80 coups de fouet s’il est un homme libre et de 40 coups si
c’est un esclave. Chez les hanéfites, se pose donc la question de distinguer les boissons alcooliques
interdites absolument, de celles, autorisées en deça de l’ivresse (sukr).
138Le nabîdh est l’eau où ont macéré des raisins secs ou des dattes. Aïcha a rapporté que le Prophète

aimait à boire du nabîdh frais et qu’il le jettait quand il devenait fort. D’autres boissons, faites de miel ou
d’orge, ou de mélanges sont aussi permises, à condition de respecter tel ou tel mode de macération, ou de
procéder à des cuissons, ou de ne pas boire la dernière tasse... Les traités hanéfites y consacrent un
chapitre spécial.
139La preuve s’obtient d’abord par le flagrant délit d’ivresse. Mais on n’applique pas tout de suite la

peine, car il faut savoir si l’ivresse est volontaire ou non (la contrainte est un cas de dispense), si clic est
due au vin ou au nabîdh. De plus il faut que l’homme puisse ressentir les coups de fouet. Pour Abû Hanîfa
l’ivresse doit être telle que l’homme ne puisse plus distinguer le ciel de la terre et un homme d’une
femme. Etant donné le principe énoncé par le ẖadîth : “Repoussez les ẖudûd par le doute”, Abû Hanîfa
pose le point extrême de l’ivresse comme constituant l’infraction. Mais ses deux disciples disent que
l’ivresse est constituée quand l’homme balbutie ou quand il confond ses vêtements (ou ses sandales) avec
ceux ou celles d’un autre. Le rite a suivi cette opinion.
140La présence de l’odeur d’alcool est proche du flagrant délit. Pour Abû Hanîfa et Abû Yûsuf, quand

l’odeur disparaît, il y a prescription. Pour ach-Chaybanî le délai est d’un mois, et il faut deux témoins,
mais le rite a suivi la première opinion. Toutefois, pour tous, si on a eu de la peine à joindre l’autorité de
justice, le témoignage des deux témoins sur l’odeur est admis et la peine est applicable. On n’accepte pas
que deux femmes puissent remplacer un homme dans le témoignage sur les ẖudûd.
141Pour l’aveu, il y a divergence sur le fait de savoir si l’avouant doit encore sentir le vin ou non, les

auteurs hanéfites admettant la même théorie générale selon laquelle le témoignage n’est pas admissible
pour un fait ancien à l’inverse de l’aveu. Mais ils divergent sur l’estimation du délai. La rétractation de
l’aveu supprime la peine, puisque c’est un pur droit de Dieu.
142Si l’acte a été commis pendant le mois de Ramadan, le coupable sera condamné à mort selon al-

Halabî.
143561 — Dans les autres rites. Les autres rites n’admettent pas la distinction hanéfitc entre le nabîdh et
les autres boissons alcooliques : toute boissson enivrante (musakkira) est interdite. Ils s’appuient sur un
ẖadîth rapporté par 74 Compagnons et que l’on trouve dans tous les recueils : “ Toute boisson enivrante
est du vin et tout vin est interdit.”
144Pour la peine, il existe d’importantes divergences. Dans un ẖadîth ‘Alî les a rapportées : “Le Prophète

de Dieu a frappé 40 coups ; Abû Bakr 40 coups ; ’Umar 80 coups ; tout est tradition (sunna), mais je
préfère cette dernière”. L’opinion hanéfite est fondée sur les décisions de ’Umar qui a établi le tarif par
analogie avec la peine de qadhf. Un ẖadîth lui fait dire : “Quand il boit, il est ivre ; quand il est ivre, il
divague ; quand il divague, il calomnie, et la calomnie est punie de 80 coups”. D’autres ẖadîth mettent ces
mots dans la bouche de ‘Alî. Les malékites et hanbalites se sont ralliés au point de vue hanéfite et
constituent donc la majorité.
145Les chaféites et les zahirites toutefois disent que la peine est de 40 coups pour l’homme libre. Ils se

fondent sur une tradition du Prophète qui aurait donné une volée d’environ 40 coups de sandale à un
homme pour ce motif. Mais ils divergent entre eux pour l’esclave, 20 coups pour les chaféites, toujours
40 pour les zahirites, qui n’admettent pas la division par deux des peines pour l’esclave (principe qui est
établi par analogie).
146Dans tous les rites, le coupable est déclaré fâsiq (corrompu), que ce soit avant ou après sa
condamnation, sauf repentir (Ibn Ruchd). Les malékites admettent plus largement le mode de preuve par
le témoignage sur l’odeur d’alcool, tandis que les hanbalites et les chaféites le refusent car les odeurs
peuvent se confondre et qu’il y a doute.
147562 — Autres règles autour de l’interdiction du vin. Le vin (donc toute boisson alcoolisée par

analogie) est considéré par le Coran comme un liquide impur (rajis) (5, 90-91). Le vin qui trempe un
vêtement empêche la prière. Les ustensiles (verres, plats...) utilisés par un protégé doivent être lavés (une
seule fois) avant leur réutilisation par un musulman. Toutefois un animal qui a bu du vin peut être mangé
immédiatement. De même le blé qui a trempé dans du vin peut être mangé dès que l’odeur d’alcool a
disparu, (az-Zuẖaylî, t. 6, p. 159). Le vinaigre est parfaitement licite, pur et purifiant.
148Il est interdit aussi de prendre de l’alcool à titre de remède. Un ẖadîth dit : “Dieu n’a pas mis votre

guérison dans ce qui est interdit”. En revanche, en cas de danger de mort du fait de la soif, on peut boire
un liquide alcoolique ou alcoolisé, mais seulement en quantité nécessaire pour écarter le danger.
149Il est aussi interdit de fabriquer, de vendre, de transporter, de posséder, de servir ces boissons. Si un

adulte musulman donne à boire à un impubère la faute retombe sur lui. On inclut même l’interdiction d’en
offrir à un chrétien ou un juif : c’est une manière de tirer profit de l’interdit. Toutefois ces protégés
(dhimmîyûn) peuvent en fabriquer, en vendre, en transporter, en consommer, mais dans la discrétion. En
cas de vol ou de destruction, les boissons alcoolisées ne donnent pas lieu à garantie (ḏaman) en général,
mais il existe des divergences sur la question.
150L’extention de l’interdiction aux stupéfiants et drogues diverses est faite par analogie, au motif qu’ils

font disparaître la raison. Le ẖadd ne s’applique pourtant pas, seule une peine de ta‘zîr est possible. Les
justifications données par az-Zuẖaylî à ce traitement différent (pas de plaisir, pas d’accoutumance) sont
manifestement fausses (p. 166).

G - Apostasie

151563 — Définition. L’apostasie (ridda ou irtidâd) est définie chez les hanéfites comme le rejet
volontaire de l’islam par un musulman capable, que ce soit par la pensée, la parole ou l’action. Est donc
apostasie la perte de foi, même partielle, envers l’islam, aussi bien que la cessation de sa pratique. Sont
considérés comme apostats ceux qui nient la loi islamique totalement ou partiellement, en considérant par
exemple comme licite ce qui est illicite à l’unanimité ou inversement. Bien sûr l’apostasie est constituée
quand il y a conversion à une autre religion, même divine, même protégée. Cela inclut l’approbation des
dogmes d’une autre religion ou la pratique de ses préceptes. Enfin, suivant des listes variables selon les
auteurs, certaines positions hérétiques sont considérées comme apostasie : tenir pour l’éternité du monde,
ou pour toute sorte d’associationnisme ou de dualisme, pour la transmigration des âmes, etc.
152564 — Peines, cas particuliers, divergences. Pour les fuqahâ’ hanéfites, on emprisonnera l’apostat

(murtadd) pendant trois jours. Chaque jour on l’invitera à revenir à l’islam. Si son apostasie résulte de
doutes sur l’islam, on cherchera à les dissiper, ce qui est recommandé et non obligatoire. Si quelqu’un le
tue pendant cette période, son acte, qui est déconseillé, réprouvable (makrûh), n’entraînera pas de
responsabilité. La musulmane apostate sera emprisonnée et recevra trente coups de fouet par jour jusqu’à
sa repentance. Le mineur aussi sera emprisonné, sans recevoir des coups de fouet, mais jusqu’à sa
conversion. Le quatrième jour, pour l’homme apostat, il n’y aura plus de délai. Celui qui ne se sera pas
rallié à l’islam sera alors mis à mort, par le sabre.
153Le Coran ne fixe pas la peine de l’apostasie (3, 86-90). On a vu au tome I qu’elle a été établie par Abû

Bakr. Mais on rapporte aussi uniiadîth, considéré comme faible, qui viendrait du Prophète : “Celui qui
change de religion, tuez-le”. Ce ẖadîth ne s’applique pas d’ailleurs aux non-musulmans, qui peuvent
changer de religion entre eux ou passer à l’islam.
154Tout apostat de l’islam (homme ou femme) doit être poursuivi partout, même dans un pays étranger qui
serait tombé au pouvoir des musulmans. Le zindiq, c’est-à-dire le musulman hypocrite, athée en fait,
n’aura pas droit à ces trois jours de repentir, car ses paroles ne disent pas la vérité de sa foi (az-Zuẖaylî,
p. 184).
155L’apostasie est pour les hanéfites une mort. Après la séquestration de trois jours, les biens de l’apostat
reconnu tel, rentrent dans la catégorie du fay’ (butin pris sans guerre) et sera versé au bayt al-mâl (trésor
public). Il en est de même si l’apostat a réussi à fuir hors du territoire islamique. Les héritiers ne peuvent
hériter que des biens acquis par l’apostat avant son apostasie, mais il y a des divergences chez les
hanéfites. Toutes les dettes de l’apostat sont exigibles sans délai. Chez les hanéfites, la femme apostate
garde ses biens.
156Le mariage de l’apostat est dissout ipso facto. Sa femme garde sa dot et reste héritière, même répudiée,

mais dans ce cas seulement tant que dure sa ‘idda (période de viduité, voir mariage). Les affranchis non-
absolus (par contrat, par testament ou par maternité) sont totalement libres. Les enfants ne perdent aucun
de leurs droits.
157La conversion forcée d’un infidèle est valide. Toutefois, s’il abjure par la suite et s’il se fait chrétien
ou juif, il n’encourt pas la peine de mort pour apostasie. La conversion forcée d’un musulman à une autre
religion ne lui fait par perdre ses droits : il a le droit de cacher sa foi (kitmân) ; son apostasie n’est pas
véritable.
158Les autres rites divergent peu du hanéfisme en ce qui concerne l’infraction et la peine principale. Si

pour les hanéfites la femme devenue mécréante a droit à la vie (c’est une règle du jihâd), les autres rites
admettent l’exécution de l’apostate et le versement de ses biens au trésor public. Les chaféites précisent
que le corps de l’apostat ne sera pas lavé, que la prière ne sera pas dite sur lui et qu’on ne l’enterrera pas
dans un cimetière musulman. Les divergences sont beaucoup plus nombreuses à propos des biens. Les
malékites, chaféites et hanbalites font aussi tomber tous les biens de l’apostat dans le fay’ (prise de
guerre) et ne tiennent pas compte des héritiers. Il existe des divergences sur l’apostat repris dans les
rangs ennemis et qui se convertit alors. De même à propos du sorcier (sahir), de l’homme ivre et de
l’enfant.
159565 — Le blasphème et la négligence de la prière. Le blasphème (kufr, mécréanec) est généralement

rattaché au ridda. Pour les hanéfites, le blasphémateur est mis à mort, sans possibilité de repentir. Il s’agit
de quiconque profère des insultes ou des erreurs contre Dieu, contre ses attributs, contre ses Prophètes
(Moïse, et Jésus compris) et leurs Compagnons, contre le Livre céleste ; etc.
160L’apostat sera mis à mort sans rémission ni délai. C’est aussi la punition du faux-prophète et de ceux
qui les suivent. Les insultes à la religion qui peuvent être considérées comme moins graves sont punies
par le ta‘zîr.
161Il en est de même pour les autres rites. Il y a des divergences sur le degré de gravité de telle ou telle

insulte et sur la posssibilité d’admettre le repentir. Entre autres exemples d’insulte punie de ta‘zîr, le
malékite Khalîl donne celle du percepteur d’impôt qui dit au contribuable “Paye et va te plaindre au
Prophète”.
162Celui qui néglige la prière ne peut s’abstenir parce qu’il pense qu’elle n’est pas obligatoire : il est

alors traité en apostat. S’il s’abstient par paresse, il sera puni de ta‘zîr, mais s’il persiste, il sera mis à
mort. Les chaféites le considèrent alors comme un musulman qui doit être enterré comme un musulman.

H - Rébellion

163566 — Définition et règles de la répression en droit hanéfite. Selon al-Qudûrî la rébellion (baghî) se
produit quand un groupe de musulmans se rend maître d’un pays et se détache de l’obédience de l’imâm.
Le malékite Ibn ‘Arafa la définit comme la cessation d’obéissance au calife dans ses actes non illégaux,
refus d’obéissance exagéré, qui se fait ou non par interprétation (ta’wîl), c’est-à-dire par une
interprétation religieuse de la légitimité des rebelles et de la non-légitimité de l’imâm. Cette
interprétation doit être acceptable (sa’igh), sinon les rebelles ne sont que des brigands. Les autres rites
font aussi cette distinction entre rebelles (bâ’igh pl. bughât) et brigands. L’équivoque (chubha, doute) chez
les hanéfites, est le ta’wîl, interprétation de leur rébellion, dans les autres rites.
164Selon les hanéfites, l’imâm devra discuter avec les rebelles, dissiper l’équivoque, les rappeler à
l’obéissance. Il ne prendra pas l’initiative des hostilités, mais ce n’est pas obligatoire chez les hanéfites.
S’il est attaqué, il les combattra pour les repousser (Coran 49, 9). Si les rebelles forment une troupe
(fi’a) ou se retranchent, l’imâm les combattra, achèvera les blessés et poursuivra les fuyards pour les tuer
ou les emprisonner. S’ils ne forment pas une troupe ni une citadelle, l’imâm les combattra, mais
n’achèvera pas les blessés ni les poursuivra. L’imâm n’emprisonnera pas les familles des rebelles, ni ne
mettra leurs biens au butin, mais les conservera sous séquestre. Cependant, l’usage de leurs armes et de
leurs chevaux est permis pendant la durée de la guerre (al-Qudûrî, t. 4, p. 154). Les loyalistes (ahl
al-‘adl, les gens de la justice) sont des martyrs s’ils tombent au combat ; on ne leur demandera rien pour
les morts et les destructions qu’ils ont faits. Quelqu’un qui a tué son père peut même en hériter, mais tous
les docteurs ne sont pas d’accord. A la fin de la guerre, les biens sous séquestre ne seront pas partagés,
mais rendus. Les femmes, les enfants des rebelles ne seront pas inquiétés. L’impôt qu’ils auront levé ne
sera pas redemandé aux mêmes populations (al-Qudûrî). Les meurtres entre rebelles ne seront pas punis :
le meurtrier a agi comme un loyaliste en tuant un rebelle (al-Halabî, p. 700). Les décisions de justice
passées par les rebelles sont considérées comme valables et ne sont annulées que dans les cas prévus
normalement.
165567 — Divergences. Les autres rites n’admettent pas la mise à mort des rebelles hors du combat.

Selon le malékite Khalîl, l’imâm doit les combattre “comme des infidèles”, même s’ils ont “des
interprétations spécieuses des textes” (Bousquet, traduisant ta’wîl). En fait dans la suite du texte, ils sont
traités comme des musulmans. Dans la Bidâya, Ibn Ruchd examine l’expression de Mâlik selon laquelle
les rebelles sont des “mécréants par la conséquence” (bil-ma’âl). Leur cas est ramené à celui des
innovateurs (p. 343).
166La punition des rebelles et celle des infractions qu’ils ont commises donnent lieu à divergences : la
majorité incline, sur la foi d’un ẖadîth à ne leur imposer ni talion, ni prix du sang, ni même les peines
légales, pour faciliter leur soumisssion. Les exemples des luttes entre les Compagnons ont poussé en
général à l’indulgence. Les chaféites en majorité sont plus exigeants sur la question (voir al-Mâwardî).
167Il semble que la notion de rébellion se soit élargie chez les auteurs tardifs. Chez Ibn Taymîya, la lutte

contre les rebelles est incluse dans le chapitre du jihâd de sa Siyâsa char‘îya (108-111, Laoust, p. 130-
134). Il comprend un passage sur la répression des déviations individuelles, refus de prière, de l’impôt,
etc. Signalons aussi que, souvent, dans les traités, on trouve au chapitre de la rébellion un très court
résumé de droit public : conditions de l’imâm, la bay‘a, légitimation de l’imâm irrégulier...

§ 3 - Les peines discrétionnaires (ta‘zîr)

168568 — Définition, généralités. Les juristes n’ont pas très développé la partie relative aux peines
discrétionnaires. Ce sont plutôt les auteurs politiques, comme Al-Mâwardî, qui leur ont accordé le plus
d’attention. Ce dernier définit ainsi le ta‘zîr (peine discrétionnaire) : “C’est une correction infligée à
raison des fautes pour lesquelles la loi n’a pas édicté de peines écrites. Les règles y sont relatives et
varient avec ce qu’il (le délinquant) est et celui qui l’inflige (le juge)” (Aẖkâm, p. 386 ; Fagnan, p. 504).
Plus loin, Al-Mâwardî écrit : “ le châtiment discrétionnaire est un acte purement gouvernemental et ayant
pour but l’amendement du délinquant” (Aẖkâm, p. 387 ; Fagnan p. 507). 11 introduit le concept de ẖaqq
as-saltana, droit du sultanat, mais ce droit n’intervient qu’après le pardon de la victime et pour des
raisons d’ordre public. Il ne joue pas un rôle fondamental.
169Ibn Taymîya identifiera nettement les droits de Dieu et ceux de la communauté : “Les peines et les
droits qui ne concernent pas une catégorie déterminée de gens, mais qui présentent une utilité commune à
tous les musulmans, ou qui, tout en s’appliquant à certains d’entre eux correspondent à un besoin d’ordre
général, sont les peines et les droits de Dieu.” (Siyâsa, p. 57 ; Laoust p. 59). Il définit les buts du ta‘zîr
comme “à la fois un châtiment et un exemple dans le but de réprimer et de prévenir” (Siyâsa, p. 97 ;
Laoust, p. 115, pour deux mots, tankîlan wa ta’dîban). Chez Ibn Taymîya, l’idée d’amélioration du
coupable n’est pas absente, même à propos des ẖudûd. On y trouve aussi assez nettement exprimée, l’idée
de mesures de prévention, mais notre auteur voit bien le risque d’injustice et demande de ne pas se fier à
la seule mauvaise réputation des gens. Pour le talion, il voit aussi très bien le danger des vengeances
illimitées qu’entraîne le système (Siyâsa, p. 119, 125, Laoust, p. 149, 152).
170Le ta‘zîr ne peut frapper qu’une personne sensée. Les enfants peuvent être corrigés (ta’dîban, par

correction), pas véritablement punis (par ta‘zîr). Les différences de sexe, de religion, d’état de liberté,
n’empêchent par le ta‘zîr.
171Les peines de ta‘zîr doivent tenir compte de l’état des personnes. Comme pour le mariage, le droit
musulman distingue des sortes de classes : émirs, issus de la race du Prophète ; oulémas, fuqahâ’ ;
fonctionnaires publics (ru’ûsa) ; particuliers vivant de leur travail ou de leurs rentes ; gens du peuple
(dhimmîs, esclaves).
172Pour les hanéfites, les droits de créance que possède un homme ne peuvent être supprimés par l’imam,

le créancier seul peut renoncer à ses droits. Pour les droits de Dieu, l’imam apprécie en fonction des
circonstances, de l’intérêt général, du repentir du délinquant. Pour les malékites et hanbalites, les droits
de Dieu ne peuvent être niés.
173569 — Le minimum et le maximum des peines. Les fuqahâs se sont surtout penchés sur la mesure

maximum et minimum de la peine. Chez les hanéfites, Abû Hanîfa et ach-Chaybânî donnent 3 9 coups
comme étant le maximum possible. Ce chiffre est fondé sur une tradition qui affirme que “celui qui atteint
le ẖadd dans un cas où il ne s’applique pas est une aggresseur”, et donc, comme la plus petite peine fixe
est de quarante coups (ẖadd de l’esclave buveur de vin), ils s’arrêtent à 39 coups. Le minimum de 3
coups semble estimé. Abû Yûsuf diverge d’avec eux et fixe 75 coups comme maximum, mais il n’a pas
été suivi par son rite.
174Pour les chaféites et hanbalites le maximum doit être inférieur au ẖadd correspondant à la nature de

l’infraction. Pour les malékites l’imam doit décider lui-même selon son ijtihâd, sans limitation. Ils
s’appuient sur la décision rapportée de ’Umar à l’égard d’un voleur du Trésor public : il fut battu de 100
coups de fouet chaque jour pendant plusieurs jours avant d’être exilé. ‘Alî aussi condamna quelqu’un à 98
coups de fouet pour une affaire de zinâ qui n’entrait pas dans les cas prévus par la loi.
175Tout dépassement rend le juge responsable des conséquences, le principe étant qu’il est irresponsable

pour ce qui est strictement légal.


176570 — Cas où l’emprisonnement est licite. La majorité des fuqahâ’ affirme que la prison est légale
puisque le Prophète a procédé lui-même à des emprisonnements préventifs (ikhtiyâṯî). Les premiers
califes ont utilisé une maison comme prison.
177Le malékite al-Qarafî a dressé le catalogue des cas où l’emprisonnement est légal (az-Zuẖaylî, t. 6,
p. 199). On peut y distinguer des emprisonnements d’ordre procéduraux :
pour le solvable qui refuse de payer une dette alors qu’il l’a reconnue. Il est battu jusqu’au paiement
(n° 501).
pour celui qui n’est pas en règle vis-à-vis de l’islam et tant qu’il ne l’a pas fait : par exemple le
païen converti qui n’a pas répudié sa 5e femme ou sa 6e, 7e, etc.
pour le témoin qui prétend ne pas savoir à propos d’une dette, ou de la propriété d’un bien.
178Dans ces trois cas, on emprisonne quelqu’un parce que son attitude bloque le cours normal de la

justice. D’autres cas sont plutôt des emprisonnements préventifs :


pour celui dont l’affaire est obscure, pour supplément d’information.
pour l’esclave fugitif (âbiq), en attendant que son maître le réclame.
pour un agresseur qui a blessé quelqu’un, en attendant que sa victime puisse comparaître pour
décider de l’application du qisâs ou de la diya.
179D’autres cas d’emprisonnements sont à proprement parler pénaux :

pour celui qui est ainsi puni, dans le but de le corriger.


pour celui qui s’abstient relativement aux droits de Dieu, en négligeant sa prière, le jeûne du mois de
Ramadan, etc. Cela inclut le cas de l’apostat (cf. n° 564).
180571 — La peine de mort. La peine de mort prononcée au titre du ta‘zîr est considérée comme une
peine politique, c’est-à-dire que les expressions ta‘zîran (par peine discrétionnaire) ou siyâsatan (par
peine politique) sont équivalentes.
181Tous les rites ont admis cette peine dans certains cas graves. Les listes divergent, mais ne s’excluent

pas, semble-t-il. Les malékites et hanbalites autorisent la peine de mort siyâsatan dans les cas de
récidives continuelles ou de blasphème, de vol, de meurtre, de pédérastie ou d’espionnage. Les hanéfites
dans les cas de meurtre grave et pour le dhimmî blaphémateur et récidiviste. Les hanbalites et certains
chaféites dans le cas des hérétiques (innovateurs).
182Plusieurs exemples dans la vie du Prophète montrent qu’il a usé de cette prérogative. Des ẖadîth
nombreux l’autorisent, comme celui-ci : “Si deux califes reçoivent la ba’ya, tuez le second”. Ou encore :
“Si quelqu’un vous conduit et que vous soyez tous contre un homme qui veut briser votre force ou diviser
votre assemblée, tuez-le” (az-Zuẖaylî, t. 6, p. 201 sq.).
183572 — Sur la licéité de l’amende. L’amende (akhdh al-mâl, litt. prise de biens) n’est pas permise chez

les imams fondateurs, pour qui il était interdit de prendre l’argent d’un autre sans raison légale. La
séquestration (musâdara) est en principe provisoire. Le mot gharam signifiait, semble-t-il, diya
(compensation) ou dédommagement (ḏaman) dans les textes anciens. Actuellement il traduit amende.
184Ibn Taymîya et Ibn Qayyim se sont efforcés d’établir que cette prise était légale dans les rites malékite,
hanéfite et selon certains dires d’ach-Châft‘î (Hisba, p. 49 ; I‘lâm al-muwaqqi‘în, t. 2, p. 98, cité par az-
Zuẖaylî, t. 6, p. 202-204). Le Prophète avait ordonné de prendre la moitié des biens d’une personne
refusant de payer la zakât (impôt de purification), et ‘Umar avait procédé à des destructions de boutiques
de vin. Ibn Taymîya distingua alors trois peines financières autorisées :
la destruction (itlâf), comme celles, permises, de jeux de hasard, de vin, des marchandises
frauduleuses (lait trempé)...
la transformation (taghyîr), c’est-à-dire la réutilisation d’objets détruits : les idoles peuvent servir
de colonnes, les instruments de musique de bois à brûler, etc.
l’appropriation (tamlîk) par l’État, par le bayt al-mâl, le Trésor public. Le Prophète a en effet donné,
à un voleur, des coups de fouet, assortis du doublement du gharam (compensation ?). ‘Umar, ‘Uthmân
doublèrent la diya. Mais était-ce la victime de l’acte délictueux ou l’état qui recevait l’amende ? Ou
y avait-il un partage ? La question mérite de nouvelle analyses.
185La doctrine tardive resta hésitante. Ibn ‘Abidîn autorisa l’appropriation des confiscations à la
condition qu’on désespère de voir le délinquant s’amender. Les hanbalitcs la considèrent toujours comme
illégale.
186La pratique, quant à elle, n’eut jamais d’hésitations. Les confiscations furent nombreuses. Les
fonctionnaires prévaricateurs furent tenus de rendre gorge, et cette pratique était même systématique, à
chaque changement de fonction, dans l’Empire ottoman, ce que la doctrine accepta en général : il ne
s’agissait que de restitutions.
187573 — Les infractions réprimées par ta‘zîr. Les infractions réprimées par le ta‘zîr ne sont pas
toujours détaillées dans les traités. Elles sont très disparates. En voici un aperçu.
188En dehors de la peine pour apostasie, bien des actes ou des omissions sont punies pour atteinte à

l’islam comme la négligence des pratiques de la religion, la négligence dans les purifications rituelles, la
négligence dans l’accomplissement des prières... La récidive de ces infractions peut devenir grave et
aboutir à une accusation d’apostasie.
189D’autres punitions sont infligées pour des actes plus indirects, comme l’adoption des moeurs
étrangères (porter un costume d’un autre peuple, danser avec des chrétiens, les complimenter à Pâques),
ou, pour les dhimmîyûn, posséder un esclave musulman.
190Les infractions suivantes relèvent de la protection de la famille et des bonnes moeurs : tout manque de

respect à l’égard d’une femme, le mariage avec une parente, le non-respect de l’égalité entre les co-
épouses, la désobéissance de la femme, la fornication avec une mineure, le proxénétisme, etc.
191Les atteintes à la justice sont souvent citées par les auteurs On a vu le faux témoignage (n° 504). Toute
insulte faite aux juges, émirs et ulémas constitue une atteinte à ce qui fonde la société musulmane et elle
est sanctionnée.
192574 — Les infractions économiques. Le ribâ’ (usure) est interdit par le Coran avec insistance (2, 275-
276 ; 2, 278-279 ; 3, 130 ; *23, 8 ; *60, 32). Le mot ribâ qui est employé dans ces textes signifie
“accroissement, excédent, surplus...”. Les juristes musulmans, unanimement, définissent le ribâ comme un
excédent demandé au bout d’un certain temps en sus du capital prêté. Les formes de prêts à intérêts
existaient en Arabie avant l’islam. Ce pouvait être un prêt à intérêt proprement dit, mais aussi une
sanction pour le retard mis à payer une dette. Les jeux de hasard sont aussi interdits par le Coran (5, 90).
193La Sunna rapporte aussi l’interdiction du ribâ : “L’or en échange de l’or, l’argent en échange de

l’argent, le blé en échange du blé, l’avoine en échange de l’avoine, les dattes en échange des dattes et le
sel en échange du sel, ne peuvent s’échanger qu’en quantité équivalentes et de la main à la main. Celui qui
donne plus ou prend plus commet la faute de ribâ.”
194En dehors de l’usure, le juge intervient peu dans les affaires. 11 peut frapper d’interdiction le failli,
punir l’usage de faux poids et mesures, ou le non-paiement des impôts. Pour le reste, il est le plus souvent
dépendant d’une plainte et l’affaire se traite au civil entre deux parties.
195Par ailleurs, on sait que le cadi est souvent concurrencé par d’autres juridictions islamiques. Pour la

fraude sur les poids et mesures, par exemple, le muhtasib (contrôleur des moeurs et des marchés) lui a
enlevé une partie de ses pouvoirs. L’État surtout, et en particulier l’Etat ottoman, par ses codes de lois, a
retiré toute compétence au cadi en matière d’impôt, et cela d’autant plus que nombre d’impôts n’étaient
pas canoniques.
196De nombreux délits ne sont traités qu’au civil comme le rapt d’esclave, certains vols, escroqueries,

abus de confiance, etc. Les restitutions s’accompagnent parfois de suppléments qui ne peuvent être
considérées comme des amendes pénales, car elles sont versées à l’ayant droit, comme des dommages-
intérêts.
Section 2 - Devenir du droit classique et discussions
contemporaines
197575 — Introduction. Le droit pénal touche de près la sphère du politique comme le droit
constitutionnel. Les traités classiques de droit public (Al-Mâwardî, Ibn Taymîya) lui consacrent une
partie non négligeable. 11 se situe dans la partie de la loi islamique qui est abandonnée dès que le
pouvoir du prince est suffisamment fort pour imposer sa propre conception du droit pénal. L’Etat, depuis
les premiers califes, n’a eu de cesse de contrôler le pénal (comme le fiscal d’ailleurs), et a cherché à se
libérer de l’emprise des religieux ou au moins à les domestiquer. Cette lutte entre l’État et la religion
marque l’histoire du droit en islam, mais particulièrement à l’époque moderne. Tombé presque totalement
en désuétude au milieu du xxe siècle, le droit pénal musulman a été restauré à la fin de ce siècle dans un
certain nombre de pays.
198Nous évoquerons donc la trajectoire du droit pénal musulman et de son l’application (§ 1) puis

quelques auteurs et quelques discussions contemporaines (§ 2).


§ 1 - Trajectoire du droit pénal musulman

199576 — Application du droit pénal l’époque classique. Il est difficile de connaître exactement
l’étendue de l’application du droit musulman au moyen âge, du moins avant les Ottomans. Le risque est de
généraliser des faits isolés, que ce soit dans le sens de l’application ou de la non-application. Si un
historien évoque telle ou telle condamnation, cette évocation est toujours d’interprétation difficile : on
n’est pas sûr qu’il rapporte le fait parce qu’il est exceptionnel ni non plus parce qu’il est courant. De
même le silence des auteurs ne signifie pas nécessairement que le droit musulman n’est pas appliqué, car
il peut l’être de manière habituelle, légale et normale, sans attirer l’attention. On peut pourtant affirmer
que le droit pénal musulman n’a jamais été d’application universelle, car aucun droit ne l’est, dans les
sociétés traditionnelles en particulier.
200Toutefois, on peut aussi introduire quelques précisions suivant les infractions. Ainsi pour la peine
d’amputation de la main pour vol, elle fut souvent abandonnée ou remplacée par le droit tribal et ses
coutumes. Ces dernières ont leur logique propre qui favorise le droit de la vengeance au détriment des
ẖudûd et du ta‘zîr. Dans les zones bébouines aux marges de l’islam (comme en Afrique noire), on
n’appliquait que rarement la peine de ẖadd pour vol (pour le Soudan, cf. Bleuchot, Les cultures, passim),
lui préférant la négociation et la compensation. Les témoignages sont fréquents qu’une peine autre que
celle de l’amputation ait été appliquée, peine d’ailleurs pas nécessairement plus douce. Ainsi selon aṯ-
Ṯabarî, le gouverneur d’Irak, Ziyâd Bn Abihi mit à mort les voleurs et les vagabonds (Zotenberg,
Omayyades, p. 21). À l’inverse Ibn Taymîya se plaint du laissez-aller des autorités et plaide pour la
réintroduction de l’amputation (Siyâsa, p. 61 sq. ; Laoust, p. 65 sq.).
201La peine de lapidation pour adultère a été rarissime en raison de la difficulté de la preuve, mais la
répression de l’adultère n’en existait pas moins : elle passait par d’autres voies, extra-judiciaires, comme
le crime d’honneur. Il existait aussi une grande tolérance de fait à l’égard de la pédérastie. Les émirs
avaient des mignons, etc.
202La peine pour apostasie semble d’application plus fréquente et les historiens ont rapporté souvent telle

ou telle condamnation à mort. L’histoire de la philosophie et de la mystique islamique fourmille


d’exemples.
203Cette application du droit musulman reste d’ailleurs soumise à la bonne volonté des monarques et il

n’est pas rare que, par souci religieux, on remette en application le droit officiel. Cela est remarquable à
propos de la lutte contre les boissons alcooliques, tantôt pointilleuse, tantôt inexistante.
204577 — Durcissement sunnite et époque ottomane. À partir de l’époque mongole et à l’époque
ottomane, le droit pénal fut conçu d’une manière plus sévère. On ne reviendra pas sur ce que l’on a dit
dans le tome I à propos de la siyâsa char’îya (n° 145), de la politique des souverains ottomans (tome I, n
° 173), ou dans ce tome II à propos de l’évolution de la procédure (n° 514 à 516). Evoquons seulement
ici Ibn Taymîya, qui est enclin à accorder un rôle appréciable aux autorités, qui sont pour lui nécessaires
(Siyâsa, p. 135 ; Laoust, p. 172), surtout si leur but est de faciliter l’application de la charî‘a et de
maintenir l’ordre public en lui préparant le chemin (Siyâsa, p. 120 ; p. 146). Même en matière de peines
fixes, si les bandes de brigands sont trop puissantes, le prince peut composer avec elles, et oublier que
les ẖudûd doivent absolument s’appliquer (Siyâsa, p. 78 ; Laoust p. 90). Notre auteur laisse au prince le
soin de fixer la peine de consommation d’alcool entre 40 et 80 coups de fouet ou plus (Siyâsa, p. 91 ;
Laoust, p. 108). Mais il accepte que les autorités aient le droit de mort, pour espionnage, sorcellerie,
hérésie, récidive de pédérastie, et ivresse... (Siyâsa, p. 99-100 ; p. 118-120).
205578 — Le témoignage de Mouradgéa d’Ohsson. Sujet ottoman, chrétien, D’Ohsson écrit aux alentours
de 1800 pour défendre l’idée qu’il existe un droit musulman et non un simple “despotisme oriental”
comme le voulaient les philosophes du siècle des Lumières (Bleuchot, La connaissance...). Il est
intéressant comme témoin. Il rapporte que la lapidation de l’adultère est un fait rarissime. Il ne s’est
produit qu’une seule fois dans l’Empire ottoman, en 1680, à Constantinople, au milieu de l’hippodrome et
en présence d’une foule immense. Pour le vol, l’amputation était “très rare” ; dans l’empire ottoman, on
préférait la bastonnade, la prison, la peine de mort. En Turquie, selon d’Ohsson, les voleurs de grands
chemins sont pendus ou empalés.
206D’Ohsson souligne que les magistrats cèdent au “fanatisme populaire” dès qu’il s’agit de religion. Les
officiers de police de même : il observe la pratique qui consiste à faire tomber la hache dès que l’apostat
s’est rétracté alors qu’il a droit à ce moment à la vie. Question de foi : l’exécuteur croit bien faire en
expédiant au paradis un être instable, car tous les convertis, apostats... étaient très mal vus. Plus
largement : “tout propos séditieux, tout acte tendant à troubler l’ordre public, toute contravention aux
ordres légitimes du Souverain, sont des crimes qui méritent la mort. L’officier public qui néglige ses
devoirs, qui trahit la confiance de son maître, qui divertit les deniers publics, qui vexe les sujets confiés à
ses soins, est également digne de mort. Seront aussi punis de la peine capitale les faussaires, les
malfaiteurs, les pirates et les brigands, et quiconque ose publier des libelles calomnieux contre le
Souverain”.
207La torture est appliquée aux riches pour leur faire avouer leurs détournements. Chacun est puni selon

son rang : l’inférieur est pendu, le militaire est dégradé, étranglé et jeté à la mer ; les oulémas sont
étranglés ; les officiers civils et militaires sont décapités et leur tête exposée. Les musulmans sont
couchés sur le dos, la tête sous le bras ; les chrétiens sur le ventre, la tête sur le derrière.
208579 — Le mouvement général des idées et leur impact. Rappelons que les peines sont restées
extrêmement cruelles dans le monde entier, jusqu’à la révolution qu’ont engendrée les idées de Cesare
Beccaria et de J. Bentham. En France, à la veille de la Révolution française les peines comprenaient le
fouet, le carcan, le pilori, l’exposition publique, les galères, la roue, l’écartèlement. La torture (“la
question”) était légale et pouvait s’appliquer aux vieillards, aux mineurs et aux femmes. Le code
Napoléon de 1810 utilisait la peine de carcan et la mutilation du poing (contre les parricides). Le droit
des codes ottomans faisait un usage constant de peines du même genre, avec une prédilection pour
l’empalement et les mutilations, et la police ottomane utilisait la torture tout aussi bien.
209Tout le xixe siècle vit la transformation profonde du droit pénal en Europe, et le droit ottoman
n’échappa pas au mouvement. En France, le carcan et la mutilation du poing furent supprimés en 1832. En
droit anglais, le nombre d’infractions passibles de peines de mort, qui avoisinait le chiffre de 200 au
début du xixe siècle, fut ramené à moins d’une dizaine à la fin du siècle. Dans l’Empire ottoman, les
réformes ne vinrent pas d’un renouvellement du doit musulman, mais par voie de sustitution et d’emprunt,
comme on l’a vu dans le tome I (voir aussi Larguèche pour la Tunisie).
210580 — Les droits coloniaux et post-coloniaux. Le mouvement de remplacement du droit musulman par
le “droit positif fut amplifié par les colonisations dans les pays arabes, il culmina en Egypte et en Turquie
indépendante et il se poursuit toujours après les indépendances des autres pays. Évidemment la
trajectoire de l’histoire du droit est très variée pour chaque pays, l’acculturation à l’Occident ayant été
plus ou moins intense. Tout ce travail législatif fut l’oeuvre du courant de pensée que l’on a qualifié de
moderniste et dont l’objectif était la laïcisation du droit : de Muhammad ‘Alî, souverain égyptien de
l’époque napoléonienne à Gamal ‘Abd an-Nâsir (Nasser), en passant par Kémal Atatürk, il y a une
continuité évidente (Botiveau, 1994).
211Le droit pénal du prince était donc devenu un droit emprunté. Le ta‘zîr en avait même perdu son nom
51 , puisqu’il s’appelait maintenant droit pénal (qânûn jinâ‘î). Il avait totalement éliminé le droit
musulman classique : dans les années 1950, dans la plupart des pays islamiques (sauf l’Arabie Saoudite),
on ne coupait plus la main du voleur. Mais ce mouvement avait entraîné des réactions conservatrices, ou
islamistes, ou fondamentalistes.
212Le droit musulman restait toujours enseigné à Al-Azhâr dans sa forme moyenâgeuse : les fuqahas

refusaient de justifier l’opération d’emprunt. Certains envisageaient de réformer le fiqh lui-même.


D’autres, plus tard, de le restaurer.
§ 2 - Réformes, discussions et restaurations

213581 — Le droit pénal musulman des réformistes. Les premiers réformistes (cf. tome I, n° 200-201)

ont été peu intéressés par la matière pénale. On ne trouve aucun passage important sur ce sujet dans la
biographie de Muhammad ‘Abduh écrite par Rachîd Riḏâ, ni dans les oeuvres choisies qu’il a publiées
de son maître. Dans le Tafsîr al-Manâr, Rachîd Ridâ reste sur les positions traditionnelles et justifie par
exemple le talion ou l’amputation pour vol. Toutefois il met en valeur la tolérance de l’islam, ce qui
l’amène à refuser la mise à mort de l’apostat (tant qu’il ne prend pas les armes), la conception d’une
guerre sainte agressive, les conversions forcées, etc.
214En cela Rachîd Riḏâ reste lié par la méthodologie classique qu’il s’est donnée : un texte clair, non

équivoque, de transmission sûre, échappe à l’ijtihâd et à la discussion, ce qui est le cas de l’amputation
pour vol exigée par le Coran (5, 37). Mais dans son commentaire Rachid Ridâ sent bien la contradiction
de cette prescription avec la bonté de Dieu. En cela la position acharite qu’il évoque (et réprouve) était
plus facile : Dieu sait, pas l’homme. Il croit trouver la solution en mettant en valeur le repentir (at-tawba)
du voleur qui est un cas de non-amputation prévu par le Coran (5, 38) : ainsi Dieu est à la fois le maître
dont la volonté n’est limitée que par sa propre parole, et en même temps un maître bon.
215En revanche, pour l’apostasie, il constate que la Sunna n’offre que des ẖadîth que l’on peut discuter et
surtout rejeter en invoquant le Coran qui donne plusieurs textes manifestement en faveur de la liberté
religieuse, notamment le fameux “pas de contrainte en religion” (2, 256). Dès lors le rejet de la position
des rites est possible, au nom du respect de la source des sources, le Coran. Cette position fut défendue à
l’époque classique par le malékite andalou Muẖammad Ibn al-Farag al-Qurtubî, cité par al-Maẖmasânî,
un auteur réformiste (qu’évoque Abû Salieh, p. 121).
216Ces prises de positions amenèrent diverses réactions et discussions qui se continuent actuellement,

principalement autour de deux problèmes, celui de l’apostasie (A) et celui de la sévérité des peines (B).

A - La punition de l’apostasie

217582 — Les défenseurs de la punition de l’apostasie. Les défenseurs de la doctrine classique sont
nombreux, et forment presque l’unanimité selon Abû Salieh (p. 120), mais ce n’est pas sûr du tout. Il y a
bien sûr les islamistes, comme ‘Abd al-Qâdir ‘Awda. Selon lui tous ceux qui sont pour l’abandon de la
charî‘a, même partiellement, tous ceux qui sont pour son remplacement par le droit positif, ceux qui
disent qu’elle est cause du retard des musulmans..., sont des apostats (at-Tachrî‘, t. 2, p. 708-711). Étant
donné que même les islamistes sont pour la plupart pour l’abandon de l’esclavage, la quasi-totalité des
musulmans serait donc dans l’apostasie.
218Les conservateurs, comme Muẖammad Abû Zahra approuvent. Le raisonnement de ce dernier est le
suivant. La formule “pas de contrainte en religion” (Coran 2, 256) doit s’interpréter “pas de contrainte
pour entrer dans l’islam”. Celui qui y entre sait qu’on ne peut en sortir et donc n’y entrera pas pour des
motifs futiles. Ce qui entraîne alors qu’on ne peut sortir que pour des motifs futiles. L’islam doit donc,
avec la punition de l’apostat, se protéger des conversions faites pour des motifs futiles (argent, ou
polygamie) (al-‘Uqûba, p. 154-168). Le raisonnement ne tient pas d’abord parce qu’il est légal d’acheter
des conversions (“rallier les coeurs”) et qu’il est fréquent qu’on cache au futur converti l’existence de la
peine d’apostasie (ce fut le cas pour Garaudy), mais surtout parce que la quasi totalité des musulmans le
sont par naissance. Az-Zuẖaylî approuve de même la peine d’apostasie, mais en exigeant un procès, et en
promettant une peine discrétionnaire à ceux qui exécuteraient un apostat de leur propre chef (al-Fiqh, t. 6,
p. 188).
219583 — Les adversaires de la punition de l’apostasie. On doit d’abord observer l’existence d’une

large réprobation silencieuse. Dans de nombreux ouvrages modernes de droit musulman, la question de
l’apostasie est passée sous silence. Ainsi en est-il de La morale du Coran de Draz, de l’ouvrage très
répandu dans les années soixante de ‘Ali Aẖmad al-Jurjâwî, Hikma at-tachrî‘ al-islâmî wa falsafatuhu
ou encore de celui de Bahnasî, al-jarâ’im fi l-fiqh al-islâmî. Même si l’on peut interpréter certaines
absences comme relevant d’une stratégie de séduction à l’usage des non-musulmans (ce qui est fréquent
dans des ouvrages d’initiation à l’islam comme celui de Mawdûdî), cette absence signale nettement que
les auteurs sont gênés.
220D’autres ont rallié nettement la doctrine réformiste. Elle inspira le livre du Chaykh ‘Abd al-Mit’al as-

Sa‘idî, al-Hurriya ad-dinîya (La liberté religieuse), mais son auteur s’attira une verte réponse d’al-
Azhar. En sa faveur réagit Gamal al-Banna, le frère du célèbre Hasan al-Banna, fondateur des Frères
musulmans, qui prit une position réformiste remarquée, en qualifiant “d’ignorants, d’idiots et d’ennemis
de l’islam” les auteurs d’un projet azharien extrémiste de restauration de la peine d’apostasie en Egypte.
Muhammad Munir Adilbî, un syrien, mit en garde les pays musulmans contre ce “concept criminel qui
légitime l’assassinat de l’apostat” (Abu Salieh, p. 122)...
221Récemment encore Muhammad aṯ-Ṯâlbi, un éminent historien tunisien, dans son Plaidoyer pour un

islam moderne reprit la question. Il est tout d’abord partisan d’une lecture globale du texte coranique, en
refusant d’admettre qu’il contient des contradictions, donc rejettant la théorie de l’abrogé et de
l’abrogeant, aussi bien que l’analogie servile (p. 67-68). Il admet les lectures multiples du Coran, sans
toutefois les approuver toutes, car nombre d’entre elles sont superficielles ou passéistes. L’islam ne peut
être réduit aux opinions cristallisées au 2e et 3e siècle de l’hégire (p. 79). Le statut du dhimmî est pour lui
“parfaitement obsolète” (p. 81), “inacceptable” et d’ailleurs il ne figure pas dans le Coran (p. 82).
222Mohammed Talbi se déclare surtout contre le châtiment de l’apostasie et le “conservatisme ahurissant”

des ulémas en la matière (p. 112). Il dénonce “l’assassinat politique” de Maẖmûd Ṯaha, réformateur
soudanais hétérodoxe (p. 50), ainsi que la “fatwâ scandaleuse” de Muẖammad al-Ghazzâlî qui a approuvé
l’assassinat de Farag Foda, un écrivain égyptien laïcisant, par les islamistes (p. 112). Il ajoute que “les
intellectuels aujourd’hui doivent se mobiliser pour dire non à ce châtiment”. Surtout, il s’agit pour lui
d’une arme, fabriquée par les théologiens au service du pouvoir politique (p. 113). Muhammad aṯ-Ṯâlbî
n’est pas un laïciste. Il ne récuse pas le projet des islamistes de “régir la société à l’aide du texte sacré”.
Mais il dénonce leur lecture superficielle de la tradition (p. 76). Il faut au contraire relancer les
recherches, les interprétations, les méditations sur le texte sacré, en tenant compte des réalités (passim,
spécialement p. 110-133).
223Evidemment la position moderniste sur l’apostasie est tout aussi nette. Mohammed Charfi y consacre

plusieurs passages (p. 78-89 et 106-107). Il écrit que c’est “la plus grande tare de la charî‘a”. Elle
constitue une des causes du déclin du monde musulman, tuant la réflexion. Il rappelle le meurtre de Farag
Fodah assassiné par les islamistes en 1992 et l’affaire Ruschdie. Pour lui “l’intégrisme est chez nous
l’expression la plus évidente de notre sous-développement”... “Dieu n’est pas fanatique, mais les ulémas
d’hier comme les ulémas et intégristes d’aujourd’hui le sont”. Le passé, dit-il, est “notre prison
collective”. Les arguments de Charfi sont ceux des modernistes : absence de sources coraniques et
faiblesse du ẖadîth “Celui qui change de religion, tuez-le” qui est un ẖadîth aẖad. Au passage il dénonce
l’illogisme de l’ijma‘ sukûtî : si les gens se taisent c’est aussi parce qu’ils ont peur de parler, comme cela
s’est produit sous les Rachîdûn. De plus, vis-à vis des autres, il faut admettre la réciproque (p. 88).
224584 — Les législations et les pratiques autour de l’apostasie. Les législations adoptent en général le
principe de la liberté religieuse, à l’exception des États qui, comme l’Arabie Saoudite n’ont jamais aboli
le droit musulman, ou des États qui ont inscrit la punition de l’apostasie dans leurs codes, comme la
Mauritanie (Abu Salich p. 109) ou le Soudan (cf. Bleuchot, La liberté religieuse au Soudan).
225Mais la pratique est tout autre. Les apostats, ou prétendus tels, sont dénoncés régulièrement par al-
Azhâr. Des listes de noms circulent. Les personnes visées sont mises au ban de la société, même dans des
pays comme la Libye où on a orchestré une “Grande charte verte des droits de l’homme” accompagnée
d’un décret d’application très libéral (Bleuchot, L’alternative). Les volontaires se chargent des
exécutions : il existe en fait une conjonction d’intérêts entre les islamistes, les conservateurs et le
sentiment populaire en la matière. Cette situation est anarchique et dangereuse et elle n’existe pas
seulement en Égypte. On sait, depuis l’affaire Salmân Ruschdie ou Talima Nasreen, qu’un tueur
volontaire peut surgir de n’importe où contre ces écrivains. La situation n’est pas nouvelle, c’est le sens
des passages d’Abû Zahra ou de Zuẖaylî exigeant la comparution de l’apostat devant un juge, donc le
rétablissement dans la législation de la peine d’apostasie, (voir Abû Salieh, p. 108 sq. ; Bleuchot, La
liberté religieuse au Maghreb, Minorités et liberté religieuse).

Β - La sévérité des peines islamiques

226585 — Les défenseurs de la sévérité des peines islamiques. Ici aussi on a des défenseurs du système

traditionnel. Muẖammad Aẖmad Draz, dans son ouvrage, La morale du Coran, utilise des arguments
rationnels pour tenter de justifier la loi islamique (p. 218 sq.). Il souligne l’affaiblissement de la foi, du
sens du sacré de la loi, l’augmentation de la sensiblerie dans le monde contemporain. A propos de la
peine d’amputation pour vol, il écrit que plus la peine est exemplaire, moins son application a lieu, car
elle est intimidante. Il évoque l’Arabie Saoudite où le vol est quasi inconnu : cet exemple est sans cesse
répété par les auteurs défendant la loi islamique. Pour l’adultère il décrit les multiples conditions de
procédure qui rendent l’application de la peine quasi impossible. Il a aussi recours à un argument
curieux, celui de l’indulgence des plaignants et des témoins qui taisent les délits passibles de ẖadd,
toujours pour minimiser l’importance des peines cruelles en islam, sans voir qu’il s’agit aussi d’un signe
de réprobation envers la loi islamique donné par les musulmans eux-mêmes. Ibn Taymîya était résolument
contre cette idée (Laoust, p. 92-97).
227Le raisonnement de Muẖammad Abû Zahra est à la fois classique et moderne. Il commence par affirmer
que la peine est une miséricorde de Dieu (Cor. 21, 107) et non une indulgence de mauvais aloi qui
méprise en fin de compte les victimes et toute la société. Ce type de miséricorde seul est compatible avec
la justice, il est la justice. La société, pour être vertueuse a besoin d’être taillée, comme un arbre fruitier
et l’esprit public doit être eduqué. Le système du talion est le meilleur parce qu’il guérit le coeur des
victimes, parce qu’il applique le principe d’égalité entre le crime et la peine, parce qu’il laisse aussi la
porte ouverte au pardon et au dédommagement de la victime par le prix du sang. Cette dernière rend les
vengeances successives impossibles, éduque la famille et la parenté à la solidarité et à la prévention.
Pour les ẖudûd, ils constituent la protection des cinq biens fondamentaux de la société, sans tenir compte
de la personnalité, de la puissance ou de la richesse de l’accusé, et ils sont intimidants de façon efficace
quoique peu appliqués. Enfin les peines discrétionnaires (ta‘zîr) permettent l’adéquation de la loi à tous
les besoins passagers de la société ainsi que l’adéquation de la peine à la personnalité du délinquant et à
son rang social. Par définition le ta‘zîr est correction et conduit à l’amendement du coupable. D’autant
plus qu’il est recommandé aux musulmans de continuer à accueillir le délinquant (même puni par un
ẖadd), de ne pas l’insulter ou l’accabler. Quant à la loi humaine, elle est sans légitimité, elle ne pénètre
pas dans les consciences comme la loi divine, infailliblement intimidante. La douceur des peines en
Occident les rend inefficaces, et la prison corrompt plus qu’elle n’amende. Le spectacle de l’incapacité
des Occidentaux à contrôler le crime, montre qu’ils devraient appliquer la loi islamique.
228586 — Critique. Tous les arguments tirés de l’application rare ou impossible des ẖudûd ont le défaut

de saper peu ou prou ce qui est dit de leur valeur intimidante, car moins une peine est appliquée, moins
elle intimide. De plus on constate qu’une peine trop sévère entraîne divers dysfonctionnements pour
empêcher son application (Laingui et Lebigre, Histoire du droit pénal, t. 1, p. 118), soit au niveau des
victimes qui ne portent pas plainte, ou des témoins qui disent n’avoir rien vu, soit au niveau de la justice
qui multiplie les procédures et les classements, soit encore par le développement de procédés de
substitution, comme la justice privée. En Islam le cas de l’adultère est en pratique réglé par les crimes
d’honneur qui sont le plus souvent impunis. Quant à l’exemple de l’Arabie Saoudite, il ne résiste pas à
une analyse criminologique sérieuse qui vérifie les modes d’établissement des statistiques ou qui tienne
compte de toutes les catégories de vol (escroqueries, abus de confiance, etc.).
229Bien sûr tous ces textes ont pour but de défendre la loi islamique dans toutes ses dispositions. Cela se

remarque en particulier dans la surestimation de la dangerosité de certaines infractions, celles qui


correspondent aux ẖudûd, et parallèlement à la minimisation du danger représenté par celles qui n’y
prennent pas place. Cette optique apologétique mise à part, les arguments juridiques se carambolent,
parce que la philosophie pénale de chacun des trois groupes d’infractions n’est pas toujours conciliable
avec celle des deux autres. On ne peut défendre le principe de l’adéquation du crime et de la peine à
propos de la vengeance et le nier à propos du vol ou de l’adultère pour raison d’intimidation. On ne peut
défendre l’identité de la loi pour tous, calife ou sujet, à propos de ẖudûd (encore que l’esclave, la femme,
le non musulman n’aient pas toujours exactement le même traitement en droit classique) et admettre à
propos des peines discrétionnaires la prise en considération des rangs sociaux. On ne peut dire que
l’homicide pardonné, même s’il a reçu une peine supplémentaire, n’est plus dangereux pour la société et
dire que l’adultère et l’apostat doivent être éliminés. Ces contradictions ne sont d’ailleurs pas propres au
droit musulman, les droits pénaux contemporains en ont tissé d’aussi belles.
230587 — Les législations néo-islamiques. Les législations pénales néo-islamiques que nous avons
étudiées (Libye, Soudan, projet égyptien)(cf. bibliographie), juxtaposent le plus souvent les trois volets
du droit pénal islamique. La partie la plus développée est toujours celle qui correspond au ta‘zîr et elle
est constituée essentiellement des codes coloniaux ou post coloniaux. Au Soudan, un nouveau code de
1991 a remplacé un code néo-islamique mal fait à l’époque de Numeiri. Une jurisprudence s’est
accumulée et elle attend toujours son analyste. Il serait intéressant de savoir si l’on peut prévoir une mise
à l’écart de ẖudûd ou au contraire leur maintien, ou encore si l’on puise dans les traités classiques ou non,
si la doctrine du précédent est admise, etc. Mais au Soudan le problème est surtout l’existence d’une
“justice” extrajudiciaire. En Libye, l’accumulation des procédures et des conditions (issues du droit
classique) interdit pratiquement l’application des ẖudûd. Et c’est peut-être la meilleure solution : rendre
hommage à la loi islamique en la faisant figurer dans le code, mais de telle sorte que seule la loi positive
soit applicable, parce que jamais toutes les conditions légales classiques ne peuvent être remplies, sauf
par les suicidaires connaissant parfaitement la loi. Plusieurs dires du Prophète vont d’ailleurs dans ce
sens : l’esprit du droit musulman a toujours été de refouler l’application des ẖudûd.
231588 — Critiques d’un criminologue. Le point de vue de la criminologie est défendu par l’ex-doyen de

la Faculté de droit du Caire, Fathî Surûr, dans un ouvrage intitulé Les problèmes contemporains de la
politique criminelle. L’auteur commence par poser le problème général de la politique criminelle. Il
décrit d’abord ce qu’est une politique criminelle, comment elle est liée à un état de la société, à un
pouvoir politique, à une conjoncture économique, à un état de la criminalité. Une politique criminelle
cohérente, valable, doit être scientifique, doit être en relation avec un plan de développement ; elle doit
surtout évoluer et tirer parti des succès et des échecs dans son propre secteur certes, mais aussi dans
d’autres secteurs de la vie sociale. Et notamment en ce qui concerne l’Egypte, de l’échec de la famille, de
l’enseignement, de l’urbanisation, de l’emploi, des migrations (des pauvres ou des riches). Elle doit tenir
compte de l’évolution des valeurs, des moeurs, de la naissance de besoins nouveaux et nombreux... Sans
ce contact avec la société, la politique criminelle est aveugle et peut créer plus de problèmes qu’elle n’en
résout.
232Le doyen montre ensuite qu’il existe des experts, des spécialistes, des juristes, sociologues et autres

qui ont établi un consensus qui s’exprime dans les congrès internationaux, à l’O.N.U. entre autres, et dont
il faudrait tenir compte. Un certain nombre de points sont admis par tous : qu’il faut rechercher la justice
sociale, car elle est la première ligne de défense de la société contre le crime ; qu’il faut prendre en
compte les valeurs sociales réelles dans la législation ; qu’il faut rechercher l’égalité devant la loi ; qu’il
faut donner une chance au criminel pour sa réinsertion...
233Après ces préliminaires, le doyen tire les conséquences :

234Contre les lois extraordinaires, ou extrémistes, des États autoritaires, ou encore contre les législations

de panique dans les sociétés ouvertes, il faut promouvoir les droits de l’homme. Il existe un consensus
pour décriminaliser et pour dépénaliser ou trouver des peines de substitution pour les petits délits en
particulier car le milieu carcéral infantilise, deshumanise, détruit la capacité de l’homme à vivre libre et
responsable. Un équilibre doit être conservé entre la protection de la société et un humanisme excessif :
de toutes façon les législations hâtives et mal étudiées (par le juriste et le sociologue) sont à éviter. Un
bon code est celui qui révèle les vraies valeurs de la société, car la société conforte alors le code. Sinon
le décalage est tel que le code devient totalement inefficace, la loi perd son prestige et le résultat est pire,
car la société est sans lois.
235Le doyen constate enfin que les valeurs islamiques ne sont pas celles de la société égyptienne : outre
l’existence d’une forte minorité chrétienne, la majorité musulmane n’est pas disposée à vivre les valeurs
musulmanes (exemple du vin, du jeu...). D’où un décalage à attendre et à terme un mépris de la loi
islamique qui irait contre l’objectif des partisans du projet. Il souligne que les valeurs d’une société
changent et que la loi islamique ne pourra pas les suivre, d’où l’accentuation du phénomène de décalage.
Il conclut alors que le code pénal égyptien doit être national certes, mais que le droit comparé est une
chose qui existe et qu’il faut profiter des expériences des autres si l’on ne veut pas être condamné à
refaire les mêmes erreurs. Et notamment il convient de respecter les droits de l’homme et de les mettre
dans la Constitution. On doit en particulier rejeter toute discrimination sexuelle, raciale, linguistique,
religieuse, d’opinion, de nationalité, de catégorie sociale.
236Cette dernière critique remet en cause tout le droit musulman comme fondement d’une législation. C’est
un appel à la laïcité. Plus loin le doyen précise “le respect des valeurs humaines est indivisible”. Ainsi,
aux valeurs fondamentales que met en avant le projet de code pénal (islâm et nationalisme), le doyen
Surûr oppose la science et l’humanisme, valeurs dont il s’efforce de montrer l’universalité plus large et
l’efficacité plus grande.
237589 — La position moderniste sur les peines. Le doyen Surûr est évidemment un moderniste. La
pensée moderniste classe radicalement le droit pénal musulman parmi les parties du droit musulman à
abandonner sans remords, comme le code de l’esclavage. S’appuyant sur une vision anthropologique de
la révolution mohammedienne, elle affirme qu’il faut la continuer dans le sens (vecteur) indiqué par le
Prophète (voir à propos des usûl, n° 298).
238Dans Islam et Liberté, Mohammed Charfi (p. 96 sq.) développe d’abord l’idée que les peines édictées
par le Coran et le Prophète pour le vol constituent une atténuation des peines réellement en vigueur dans
la société préislamique, la mort ou du moins la guerre tribale. L’amputation toute atroce qu’elle était
constituait une atténuation dans ces sociétés sans Etat où la prison n’existait pas : c’était la “solution la
moins mauvaise”, toujours valable à l’heure actuelle comme dans la Somalie contemporaine qui est dans
le même état primitif que l’Arabie préislamique (p. 97-98). Dès lors ẖudûd signifie limite maximum (et,
pourrait-on ajouter, le mot ne saurait signifier à la fois limite maximum et limite minimum comme
l’interprètent les fuqahâ’).
239Charfi regrette que les ulémas législateurs du droit néo-islamique, chaque fois qu’ils ont eu le choix,

aient opté pour la peine la plus forte, l’adultère par exemple offrait la possibilité soit de 5 à 100 coups de
fouet, soit le bannissement, soit l’amende ; pour lui ẖudûd veut dire limite maximum (p. 94) et “les
législateurs modernes, en remplaçant les peines corporelles par des peines de prison, ne contreviennent
pas au Coran. Au contraire ils adoptent des solutions conformes à son esprit.”
240Pour la fornication, notre auteur doute des fondements scripturaires relatifs à la lapidation et suggère

de ne punir que la fornication-adultère comme en Tunisie (cinq ans de prison) et de ne pas incriminer les
autres relations sexuelles (p. 93-94). Il pense que les ulémas n’ont pas tiré tout le profit possible de la
notion de repentir dans l’adultère-fornication, dans le vol, le qadhf... Quant aux peines discrétionnaires
(ta‘zîr), il constate que même les codes néo-islamiques iraniens et soudanais ont abandonné le ta‘zîr et
admis le principe de légalité “conquête de l’humanité”, en définissant les infractions (p. 91), ce qui lui
semble encore une preuve que la loi islamique doit être révisée, puisque les plus acharnés à sa
restauration y consentent.
241Soulignons enfin que cette position moderniste a pour objectif paradoxalement de préserver l’islam.

Dans un système laïcisé, si une loi est mauvaise, si son application pose problème, si ses principes sont
inefficaces, il suffira d’en changer sans remettre en cause la foi. La législation échappe ainsi totalement à
des difficultés de type religieux en portant le débat dans le domaine rationnel, criminologique, etc. La
religion jouira de l’avantage symétrique : elle pourra toujours stimuler la moralité générale sans être
constamment attaquée sur des détails.
242590 — Conclusion sur le droit pénal. Les pays arabes et musulmans se sont donc trouvés souvent en
opposition avec les diverses instances internationales (ONU, Amnesty international) à propos de la peine
de mort, ou pour ceux qui ont restauré le droit traditionnel, à propos des châtiments corporels (voir Abû
Salieh, Les Musulmans et les droits de l’homme, p. 66 sq.). Le Soudan est souvent mis sur la sellette. Sa
ligne de défense est de mettre en contradiction les principes de l’ONU : le respect des religions exige
celui des normes religieuses islamiques donc celui des lois soudanaises. Sinon on ne respecte pas
l’islam, donc pas la liberté religieuse. Dans le commentaire du code pénal soudanais, il est même dit que
l’islam étant la seule religion tolérante, il fallait qu’il soit particulièrement protégé, donc que la punition
de l’apostasie fait partie de la défense de la tolérance (Bleuchot, La liberté religieuse au Soudan).
243Pour l’apostasie, il est bien sûr tout aussi difficile de soutenir qu’on ne peut sortir de l’islam que pour

des motifs futiles. Le postulat sous-jacent à cette idée est que l’islam est supérieur à toute religion, donc
que toute sortie est stupide. Mais le postulat vient de la foi en l’islam et ne peut rien justifier pour ceux
qui n’y croient pas. L’analyse des conversions effectuées (Gaudeul) ne confirme pas le manque de sérieux
des apostats. Le même postulat se trouvait aussi dans le christianisme ancien le plus conservateur. Il
conduit au mépris des autres religions, aussi bien qu’à celui de la conscience libre. Par ailleurs
l’argument politique développé par les réformistes et modernistes est fort, et n’a pas reçu, à ma
connaissance, de réfutation.
244Le problème de l’apostasie est donc actuellement au centre des débats dans le monde musulman. Les
affaires se succèdent continuellement : Salmân Rushdie, Talima Nasreen, Negib Mahfuz, etc. La question
est incontestablement liée à celle de la démocratisation. L’histoire de l’Occident, en particulier celle de
l’Angleterre, montre que l’établissement de la démocratie est parallèle à celle de la reconnaissance de la
liberté religieuse. A l’inverse, l’histoire du Bas-Empire romain, montre que le principe de la liberté
religieuse, même s’il est clairement posé comme dans le texte dit Edit de Milan (313), ne peut subsister
sous un régime autoritaire dont la légitimité se fonde sur la religion.
245Il ne faut pas être trop sévère envers la pensée antique et médiévale : le respect des droits de Dieu
était le “seul pensable” ou le “politically correct” de l’époque. Exécuter un mécréant était rendre service
à la société, rapprocher le plus grand nombre du paradis, et même y mettre le mécréant une fois qu’il
avait renoncé à sa mécréance. L’époque avait foi en Dieu, foi en ses livres sacrés, bien plus que
maintenant. On y croyait aussi fort que l’on croit aux droits de l’homme actuellement.
246Mais les mentalités changèrent. On l’a vu à propos de la procédure : la renonciation à l’ordalie, puis

au serment, témoigne déjà de l’affaiblissement de la foi de ces sociétés. Bientôt, on n’eut plus foi en
l’aveu extorqué par la torture : on ne croyait plus les politiques, ni les juges, fussent-ils du clergé,
fussent-ils ulémas ! Le stade actuel, c’est qu’on ne croit plus dans l’interprétation des livres sacrés tels
que proposée par les prêtres et ulémas des anciens temps. Toute la réinterprétation des modernistes se
comprend ainsi : la doctrine classique, avec sa punition de l’apostasie, ses peines corporelles, son jihâd
offensif, ne constitue pas pour eux le “vrai islam”.
247591 - Une nouvelle exégèse. Il est incontestable que le renversement de la hiérarchie des valeurs

religieuses se fait au nom d’un nouvel état d’esprit, moins marqué par la foi, ou du moins marqué par une
foi différente, plus soucieuse de maintenir la religion “dans les limites de la simple raison”, selon
l’expression de Kant. Mais ce qui est certain, c’est que l’exégèse des anciens est contestée de toute part.
248On pourra dire que ces opinions contestant la doctrine traditionnelle ne sont pas orthodoxes. Mais

l’objection se fonde sur une conception de l’orthodoxie qui ne tient pas compte des modes
d’établissement de l’orthodoxie en Islam. Comme on sait, il n’existe pas de Pape ni de conciles pour
réguler la religion islamique comme c’est le cas dans le christianisme catholique, ou dans les autres
versions du christianisme avec des modes à peine différents. En Islam l’orthodoxie s’établit avec le
temps. L’opinion marginale à ses débuts est soit ignorée et oubliée, soit adoptée progressivement par tout
le monde. Tous les auteurs considérés actuellement comme les plus orthodoxes ont eu des difficultés à se
faire admettre. Al-Ach‘arî, par exemple dut batailler contre les hanbalites. Ibn Taymîya fut enfermé
plusieurs fois et mourut en prison. Il y a des centaines d’exemples. Il faut donc en conclure qu’on ne sait
pas aujourd’hui quelle sera l’orthodoxie de demain. Car la communauté islamique prend son temps,
compare, étudie et finit par choisir ce qui lui semble le meilleur. L’ijma‘, le consensus, c’est aussi cela, le
résultat du travail du temps.
249Depuis les réformistes, les États comme les esprits sont sortis du droit musulman traditionnel strict,

avec ses écoles. Même les législations néo-islamiques qui restaurent le droit pénal musulman font un
“patchwork”, un mélange (talfîq) entre les différents rites, écrasant par la codification les divergences
classiques, et ne sont pas dans le droit traditionnel (cf. tome I, n° 232). Ces codifications sont, de plus,
faites sur le modèle occidental. Même les plus conservateurs, comme ‘Abd al-Qâdir ‘Awda, adoptent
largement des idées étrangères.
250De plus, ces tendances n’ont pas assez médité sur l’importance des divergences en droit musulman.
Elles ont une fonction d’adaptation au temps et à l’espace que les modernes saisissent mal, tant ils sont
dominés par une conception codifiée de la légalité, à l’image du droit occidental romano-germanique
(Bleuchot, Les cultures). Plus réalistes les anciens savaient le prix des divergences, la part immense de
l’interprétation humaine dans le droit et savaient mettre en veilleuse telle ou telle disposition dans tel ou
tel contexte. Un adage classique le dit : “les divergences sont une miséricorde de Dieu”. En adoptant le
principe de la codification, les législateurs néo-islamiques, en font des codes fixistes, puisqu’il s’agit de
la “charî‘a”. Ils ne veulent pas voir que toute codification est perfectible. Du coup le droit néo-islamiste
codifié perd toute souplesse, celle des divergences, et celle de la technique occidentale.
251Les tendances modernes, qui cherchent à réinterpréter le Coran, pas tellement à l’aide d’un
bouleversement herméneutique comme le fait le soudanais Maẖmûd Ṯaha (pendu pour apostasie en 1984),
mais plus modestement par une analyse globaliste du Coran (cf. Sâdiq Bela‘îd), nous semblent fortement
ancrées et propres à rallier beaucoup de monde. On assiste d’ailleurs en notre siècle à une radicalisation
des positions, islamisme contre modernisme, comme cela s’était produit au 3e/ixe siècle où le
mutazilisme s’opposait à l’acharisme. Pour les uns, les islamistes, se fiant à une conception idéaliste de
ce qui détermine une société, céder au monde moderne entraînera la chute de l’islam, miné dans sa
doctrine même. Pour les autres, les réformistes et modernistes, se fiant plutôt à une conception
sociologiste des causes et des effets, le refus de l’évolution amènera le désintérêt des jeunes, puis des
masses, chez qui les idées modernes progressent inexorablement, donc la marginalisation de l’islam. On
comprend la passion qui entoure ces problèmes : ils sont essentiels pour la survie d’une grande religion.

Notes
50 La crucifixion ne se fait jamais par des clous, mais par des cordes. Elle doit se faire avant l’exécution ou après (exposition) selon les
auteurs (n° 559).
51 Dans l’esprit musulman, le droit pénal positif était bien identifié au ta’zîr : quand les projets de restauration du droit islamique apparurent
dans les années 1980, toute la partie empruntée prenait naturellement sa place sous l’étiquette ta’zîr. Le projet de code pénal islamique
égyptien (déposé à l’assemblée nationale égyptienne en 1982 mais pas adopté) est éloquent à cet égard, et le code de 1991 au Soudan fait de
même.
Annexe 52 . Les islamismes, histoire et débats

11 — Questions de vocabulaire. En première approximation on peut dire que les mouvements islamistes

sont des mouvements politico-religieux de contestation qui veulent la restauration de la loi islamique et
pour certains celle de l’Etat islamique. Tous sont très actifs et ils se signalent parfois par leurs méthodes
violentes.
2Il y a un flottement dans le vocabulaire pour les désigner. Le terme ’islamisme/islamistes’ est le plus
courant en France, mais il est souvent complété par divers déterminants : ‘islamisme radical’ (B.
Etienne) ; ‘islamisme politique’ (Olivier Roy). Le terme ’intégrisme’ est généralement rejeté par les
orientalistes du fait de son origine chrétienne. Mais il est aussi employé pour désigner ceux des islamistes
qui sont pour la conservation intégrale de la doctrine classique (on dit aussi les ‘fondamentalistes’, mais
le terme se réfère à un type d’attitude en exégèse), car les islamistes sont de genres et d’espèces variés, il
existe notamment parmi eux de nombreux réformistes de l’islam et du droit. Dans le monde arabe on
n’aime pas tellement le terme français ’islamisme’ car il semble salir le terme ’islam’ lui-même. De plus
il se confondrait avec l’adjectif ‘islamique’ (islâmî). On utilise donc ‘al-islâm as-siyâsî’ (l’islam
politique) ; ou encore ‘al-mutatarrifûn’ (les extrémistes).
32 — Situation du chercheur. Plan. Dans tout ce qui concerne l’islam, il y a un grave problème
épistémologique. Il est nécessaire de réfléchir sur notre propre condition d’observateur. Je me bornerai
ici à renvoyer à l’ouvrage de François Burgat, L’islamisme en face, qui comporte un premier chapitre où
l’auteur souligne les déformations graves de notre vision, même et surtout celles de la vision académique.
Trop d’auteurs font de l’islamologie en chambre, ce qui entraîne une trop grande confiance dans les
référents religieux (Coran, droit musulman, textes classiques divers), cela au détriment de l’observation
directe, ou du moins de l’analyse socio-politique. D’autres sont piégés par les attentes de l’opinion, et
force est de dire que les journalistes et le public sont souvent manipulés par ceux qui ont intérêt à le faire,
gouvernements occidentaux, arabes ou autres. Le public a besoin de Satan-s, et, depuis la chute du grand
Satan soviétique, il est en manque. Le chercheur est de toute façon pris dans un réseau de soupçons
contradictoires. Il risque tantôt de se voir accusé d’être “un anthropologue de service”, ou “un turc de
profession”, ou “un complice des égorgeurs”. Ou à l’inverse il peut être traité de “nostalgique de la
colonisation” ou “d’ethnocentriste évolutionniste”, ou de “complice des éradiqueurs”, etc. Toutes ces
gracieusetés ont été offertes à tel ou tel chercheur tour à tour...
4Ici, je me propose de vous parler des islamismes par sept approches successives, cernant de plus en plus

étroitement le coeur du débat actuel. Les trois premières sont surtout informatives et constituent une
première partie propédeutique. La seconde partie sera consacrée aux quatre principaux débats sur
l’islamisme et soulignera la difficulté qu’ont les sciences humaines à apporter une réponse tranchée sur la
nature et l’avenir d’un phénomène politique.
PREMIÈRE PARTIE. ISLAM, HISTOIRE, IDÉOLOGIE
5Je vous propose ici les coups de projecteur de l’islamologie classique (§ 1), de l’histoire immédiate (§

2) et de l’analyse du discours idéologique des grandes figures islamistes (§ 3).


§ 1 – Première approche : l’histoire classique de l’islam

6Cette approche a été très critiquée, parfois à juste titre. Nous y reviendrons. En dépit de ses défauts, elle

est indispensable, ne serait-ce que parce qu’elle introduit à un certain vocabulaire, à des référents, qu’on
ne peut ignorer, même si certains analystes les considèrent comme mythiques. Elle nous permettra de
situer l’islamisme dans l’histoire du droit musulman, puis par rapport aux théories islamiques de l’État et
de la guerre sainte.
73 — Islamisme et histoire du droit musulman. L’islam est une religion du haut moyen âge, la dernière

des trois religions monothéistes. Comme dans le judaïsme, on trouve dans l’islam un texte sacré, le
Coran, et une tradition orale, la Sunna. Le Coran a été énoncé par le Prophète Mahomet (Muẖammad)
(570-632) en Arabie. Contrairement à ce qu’on dit trop souvent, le Coran n’est pas le code du droit
musulman, mais une de ses sources officielles, l’autre étant la tradition orale, la Sunna, elle même
composée des dires du Prophète (ẖadîth) et de sa biographie (sîra).
8Ces sources ont été mises en forme juridique par des imams, formant des écoles ou rites. Cette
systématisation juridique a été faite au début de l’époque abbasside (750-900 environ). Ces écoles ne
sont pas des sectes, quoique certaines d’entre elles, considérées comme hérétiques par la majorité (dite
sunnite), peuvent être appelées sectes (ce sont les kharijismes et les chiismes). Vers le dixième siècle,
après la fixation de la tradition, la doctrine juridique se présenta comme intangible et on dit alors que
“les portes de l’ijtihâd sont fermées”. L’ijtihâd désigne la recherche de la loi islamique. L’expression
veut dire que la majorité sunnite n’admettrait plus dorénavant la création d’un nouveau rite.
9Il faut noter que dans le système islamique, comme dans le judaïque, le droit est la clé de voûte de la

religion. La théologie (et a fortiori la philosophie) ne joue qu’un rôle secondaire, celui d’apologie
défensive, du moins après l’élimination des “théologiens” (al-mutakallimûn), en fait d’une tendance
théologique qui visait à donner à la théologie un statut majeur (théologie des mutazilites). La théologie
dominante en islam est celle de l’acharisme, qui reconnaît son statut subordonné par rapport à l’exégèse
et au droit. Il existe aussi des courants mystiques qui ont été et sont très puissants. Leur vision est
différente, mais ils ont fini, eux aussi, par se soumettre au droit et à la théologie officielles. Évidemment
je simplifie outrageusement.
10Le droit musulman vise à donner un code de conduite complet au croyant. L’idéal du juriste serait de

pouvoir recenser tous les actes possibles et de les qualifier. Les catégories de cette qualification sont :
l’interdit (ẖaram), le déconseillé (makrûh), l’indifférent (mubaẖ), le recommandé (mandûb), et
l’obligatoire (wâjib ou farḏ). La matière traitée par ces corpus est d’abord cultuelle (prière, jeûne,
pèlerinage, etc.). Elle comprend aussi des règles de politesse, de bienséance, ou des conseils d’ordre
mystique. La masse principale des prescriptions correspond à ce que nous appelons droit : statut des
personnes, droit des contrats, procédure, pénalités, etc. Le droit concernant le califat est généralement
examiné à part ou dans les traités d’hérésiologie ou de théologie, cela pour des raisons historiques. Dans
les traités ordinaires de droit musulman on trouve une partie consacrée à la guerre sainte (jihâd).
11Ce droit a été appliqué avec beaucoup de souplesse. Il a toujours coexisté avec des droits concurrents

ou complémentaires : droits coutumiers très nombreux, droits régaliens (codes ottomans), droit des
communautés non musulmanes (droits hébraïques, chrétiens...). Tous ces droits devaient reconnaître la
prééminence du droit musulman, son caractère architectonique.
12Actuellement le droit musulman coexiste avec des droits positifs de type occidental. Ces droits positifs
ont été introduits tout au long du xixe et du xxe siècle, soit à l’initiative des monarques musulmans, soit
sous l’action des colonisateurs. Le droit musulman a été refoulé et réservé au statut personnel (mariage,
divorce, successions). Le droit positif ne reconnaît généralement pas la prééminence du fiqh (droit
musulman). Il prétend au contraire le dominer, le soumettre à la raison, à l’ordre public, à la démocratie,
au progrès, aux droits de l’homme.
13Les indépendances des États musulmans n’ont pas amené l’abandon du droit positif : cela tient au fait

que le droit positif est le seul à pouvoir contrôler les sociétés complexes que sont devenues les sociétés
musulmanes actuelles. Il faut des codes et des lois pour la route et les transports ferroviaires et aériens,
pour la production industrielle, pour la protection du consommateur et de l’environnement, pour les
investissements, les banques, l’urbanisme, etc., autant de problèmes dont on ne saurait trouver les
solutions dans un droit du moyen âge établi pour des sociétés préindustrielles.
14C’est dans ce conflit entre les partisans du droit musulman, soubassement de l’islam, et les hommes

politiques qui mettent en oeuvre des droits positifs, que veut se situer en première approximation les
mouvements islamistes, dans la mesure où le thème principal de leur combat est la restauration de la loi
islamique dans son intégralité.
154 — Islamisme et État islamique classique. C’est le calife, le successeur du prophète Muhammad qui

est spécialement responsable d’une part de l’application de la loi islamique dans l’ordre interne et
d’autre part de la conduite de la guerre sainte dans l’ordre externe.
16Il y a peu de prescriptions concernant le califat dans le droit musulman et la plupart des traités n’en

parlent pas. Mais une théorie du califat n’en existe pas moins, comme on l’a dit, elle est exposée dans des
traités de théologie ou dans certains ouvrages spécialisés, le plus célèbre étant Al-ahkâm as-sulṯânîya
(Les statuts gouvernementaux) d’al-Mâwardî.
17L’essentiel est que le calife est la clé de voûte du système musulman, car il est responsable de l’ordre

juridique interne et de l’expansion de la religion. Il faut bien comprendre l’importance du politique en


islam : il n’y a pas de clergé, ni de concile, ni d’Église, c’est l’État qui joue ces rôles. Saisissons bien
cette différence, et pourquoi le politique est capital dans l’islam, par une comparaison : Jésus-Christ a
fondé une Église, une sorte d’ONG transnationale, pour maintenir la nouvelle foi. Muẖammad, lui, fonde
un État musulman. Le contrôle de l’État est donc aussi important pour un musulman que le contrôle de
l’Église pour un catholique.
18Souvenons-nous aussi du fait que le droit joue en islam le rôle de la théologie dans le christianisme.
Aussi quand on demande aux musulmans de laïciser leur droit, c’est comme si on demandait aux
catholiques de soumettre leur théologie à l’assemblée nationale. Au nom de quoi des laïcs, des athées,
des non-chrétiens pourraient-ils s’arroger le droit de contrôler la théologie chrétienne ? Certes, en islam,
le droit musulman implique les minorités, les libertés fondamentales de tous, l’activité économique en
général, et les musulmans sont sensibles aux arguments d’équité ou d’efficacité. Mais, on comprend
mieux, je pense, les résistances des musulmans en général, et l’ampleur des concessions qu’ils ont le plus
souvent faites.
19Le système musulman impliquerait de par lui même une absence d’autonomie de l’État, et du politique
en général. L’islam étant devenu une religion transnationale, il a vécu en permanence sur cette ambiguïté
dans le rôle de l’État, qui est à la fois État et Église. Les princes ont en fait agi comme ils ont pu,
exploitant cette source de légitimité ou la négligeant, mais toujours embarrassés par ce double rôle qu’on
leur demande de jouer. L’imbrication du politique et du religieux est le plus souvent indiscernable.
20D’où la problématique toute particulière de la légitimité étatique en Islam : n’est légitime que l’État
pieux, qui applique la loi islamique et pratique la guerre sainte. Les islamistes s’inscrivent dans cette
revendication de l’authenticité islamique de la conduite de l’État. Presque toutes les rébellions se sont
faites ou se font au nom de l’islam, d’un islam plus pur, ou pour un prince plus pieux, ou pour une loi plus
conforme au droit sacré, ou pour une résistance plus active envers les ennemis de l’islam, etc. C’est dans
cette logique que s’inscrivent les mouvements kharijites, chiites, mahdistes... et actuellement les
mouvements islamistes.
21Si l’État s’y refuse, il devient impie lui-même, et il importe alors de changer les dirigeants, de
l’islamiser, au besoin par une guerre sainte. C’est du moins ce à quoi est parvenu la doctrine classique
avec Ibn Taymîya (xive s.). En général la doctrine classique n’autorise la révolte que si le prince est
ouvertement mécréant (kâfir). Le plus souvent cette doctrine rejette la discorde (fitna) et prône
l’obéissance au prince qui peut donc être un musulman hypocrite. Les islamismes se situent donc ici dans
un extrême de la doctrine : la révolte contre l’hypocrite est pour eux un devoir.
225 — Islamisme et guerre sainte. Certains de ces mouvements ne se bornent pas à une revendication

dans l’ordre juridique interne. Le droit musulman classique comporte aussi une théorie des relations
internationales, le droit de la guerre sainte (jihâd, le mot a également des sens non juridiques), qui est
aussi le cadre général du droit des minorités religieuses. La restauration de la guerre sainte, “le devoir
oublié”, selon le titre du livre de ‘Abd as-Salam Faraj, fait partie de la thématique des islamistes les plus
extrémistes.
23Selon la conception islamique classique le monde se divise en deux sphères politico-religieuses, le dâr

al-islâm, le domaine de l’islam, où la loi islamique (charî‘a) est appliquée ; et le dâr al-ẖarb, le domaine
de la guerre, où la loi islamique ne l’est pas. Le dâr al-islâm est en guerre permanente contre le dâr al
ẖarb. En termes modernes on dirait que l’islam ne reconnaît pas la légitimité des États non musulmans, il
ne les reconnaît pas de jure. Transformer le domaine de la guerre en domaine de l’islam est une
obligation qui ne s’achèvera que par la soumission complète de la terre à l’islam. Une idée générale
sous-tend les prescriptions des traités de droit consacrés à ce sujet : est légal ce qui coïncide avec
l’intérêt de l’État islamique, ce qui augmente sa force et diminue celle des États non musulmans. Est
illégal ce qui diminue sa force et augmente celle du dâr al-ẖarb. Les traités de paix avec l’ennemi sont
possibles sous certaines conditions, notamment qu’ils ne nuisent pas à l’État islamique. De même la
diplomatie, les relations commerciales, etc. Les traités de paix doivent être respectés, mais ils ne peuvent
être permanents : chaque fois que l’État islamique est en position de force, il doit reprendre la guerre à la
fin du délai fixé. On a pu dire que pour l’islam, l’état normal des relations avec le monde non musulman
est la guerre, et que c’est surtout la paix qui pose le problème de sa légitimité.
24Les gens du Livre (chrétiens, juifs, zoroastriens) peuvent jouir d’un pacte de protection spécial (‘ahd
adh-dhimma) et continuer à pratiquer leur religion. Ceux qui se soumettent avant la guerre, bénéficient de
contraintes allégées du fait de cette soumission préalable. Ceux qui se soumettent après avoir combattu,
ne jouissent que du pacte de protection fixé par la loi islamique. Dans les deux cas, l’exercice de ces
religions tolérées ne permet pas leur expansion aux dépens de l’islam. Les polythéistes ont le choix entre
la mort ou la conversion à l’islam selon certains rites, ou bien sont admis dans le pacte de protection. Les
Arabes d’Arabie toutefois, ne peuvent être qu’expulsés (chrétiens ou juifs), ou exécutés à moins qu’ils ne
se convertissent à l’islam (polythéistes).
25La théorie juridique de la guerre sainte ne fut jamais strictement appliquée, sauf peut-être en ce qui

concernait les protégés. Les islamistes extrêmistes ont une conception tout à fait particulière de la guerre
sainte, celle du takfîr wa-l-hijra, sur laquelle on reviendra dans un moment.
26Il ne faut pas oublier que cette conception du monde n’est pas originale. C’est celle de l’antiquité, celle

qui est sous-jacente aux codes de Théodose et de Justinien. En un mot, dans le système antique, État et
religion dominante sont étroitement liés, voire esclaves l’un de l’autre. Les autres religions sont
dominées, tolérées ou interdites, ce qui est en particulier le cas de toute nouvelle religion. Cette tolérance
envers certaines religions dominées est provisoire, l’idéal sous-jacent au système antique étant de
parvenir à un monde entièrement converti à la religion dominante et où l’intolérance serait la règle
absolue de par l’interdiction de l’apostasie et de toute nouvelle religion. Ce système tout puissant de la
fin de l’antiquité à la fin du moyen âge dans le monde chrétien (tant dans l’Orient byzantin qu’en
Occident) et dans le monde islamique, a commencé à s’effilocher en Occident dès le xiiie siècle.
L’existence de certaines particularités théologiques, mais surtout d’une Église distincte de l’État du point
de vue institutionnel, a permis la délimitation d’un espace laïc. En Occident le prêtre, donc la religion,
est visible, repérable, dénonçable. La puissance des États “très chrétiens”, dirigés par des monarques “de
droit divin”, n’a cessé de croître. Il faut bien voir que c’est parce que le monarque chrétien est dans le
champ religieux, comme “évêque du dehors”, comme jouissant de “l’autorité venant du Père”, qu’il a pu
agir contre l’Église. Le ‘laïc’ au moyen âge c’est le ’non-clerc’ et non pas le ‘non-chrétien’. Par la suite
seulement le sens du mot ‘laïc’ a dérivé vers le sens moderne, après que se soit opérée une véritable
“sortie de la religion” au xviiie siècle qui a abouti à un nouveau système du rapport entre l’Église et
l’État. Le système moderne est bien représenté en France par la loi de 1905. Ailleurs, il véhicule le plus
souvent des survivances antiques (en Grande-Bretagne par exemple, la reine est le chef de l’Église
anglicane).
27En Orient musulman, le système a beaucoup évolué lui aussi, mais la distanciation de l’État et surtout de

la société d’avec la religion est bien moins grande qu’en Occident. En Orient, la “sortie de la religion”
est en train de se faire, avec force drames et résistances. Aussi les survivances du système antique sont
très nombreuses. Les systèmes laïcs sont “honteux d’eux-mêmes”. Les islamistes s’inscrivent donc ici :
ils veulent maintenir ou restaurer le système antique dans sa pureté, empêcher cette sortie de la religion.
28Tout le monde l’a souligné : c’est parce qu’ils se placent dans une problématique classique, autochtone
faut-il dire, que les islamistes trouvent un large écho. Ils sont en “prise directe” avec les bases de la
légitimité politique et avec la conception du monde populaire. C’est de là que vient leur dangerosité pour
les régimes en place, le plus souvent nationalistes, socialistes, arabistes, en tout cas ne se référant pas
essentiellement à l’islam, du moins au moment du succès des Frères musulmans dans les années 1960 et
1970.
§ 2 – Deuxième approche : l’histoire immédiate

296 — Le point de vue des politicologues. Les politicologues et les anthropologues contestent les
approches précédentes par l’islamologie classique des orientalistes. Ils la considèrent comme
“essentialiste”. L’islam n’est pas pour eux une essence éternelle qui voudrait dominer l’État, contrôler la
société civile et le droit. Les bases théoriques que posent l’islam et son droit ne déterminent pas la
société. Il n’existerait en fait que des musulmans, avec des stratégies particulières pour conquérir le
pouvoir ou conserver des acquis symboliques ou économiques, des musulmans qui ont un certain langage
islamique. Cette vision est plus historiciste et politiste. Sa filiation avec la critique marxiste de
l’idéologie est évidente. Elle nous permettra une seconde approche et de situer les courants
contemporains dans l’histoire immédiate.
307 — Les “matrices” de l’islamisme. Les mouvements contemporains sont issus de plusieurs “matrices”
selon les analystes. Les deux principales sont le mouvement des Frères musulmans et le mouvement de
piété pakistanais, la Jama‘at at-tablîgh (association de prosélytisme), d’où le mot ‘tablighis’ (prosélytes).
Il a été fondé par Muhammad Ilyas en 1927. Un autre mouvement pakistanais, la Jam‘iyat al-islâmî
(association islamique), fondé par al-Mawdûdî (ob. 1979), eut aussi beaucoup d’influence. Mais il en est
d’autres, et à vrai dire tout ce qui est islamique peut servir de matrice : confréries (Soudan), wahhabisme
(Arabie Saoudite), etc. Pourtant, c’est l’histoire des Frères musulmans qui nous retiendra, car elle est
exemplaire de la trajectoire politique de ces mouvements. On verra ainsi leur histoire en Égypte, leur
influence à l’extérieur, et la réaction des États.
318 — Les Frères musulmans jusqu’à Nasser. L’association des Frères musulmans fut fondée en 1927 par

Hasan al-Banna, à Isma‘îlîya en Égypte. C’était trois ans après l’abolition du califat par Mustafa Kémal
Atatürk (sous prétexte que le calife avait collaboré avec les Anglais), deux ans après la publication de
l’ouvrage de ‘Alî ‘Abd ar-Râziq qui jetait le doute sur la validité de l’institution califale et qui avait fait
scandale.
32Essayons de nous représenter les conditions psychologiques de l’époque. Dans ces années-là, l’islam

est partout dominé par l’Occident. L’Afrique du Nord, l’Afrique noire, le Moyen Orient, l’Inde et
l’Indonésie sont occupés par des puissances coloniales. L’Égypte n’est que formellement indépendante,
les Anglais tiennent la police, l’armée, le canal, la diplomatie. Partout le droit musulman est refoulé et
réduit au statut personnel. Et voilà qu’un des derniers États musulmans réellement indépendant (avec
l’Arabie Saoudite), la Turquie, pays siège du califat et protecteur de l’islam depuis le xve siècle,
supprime la fonction du responsable suprême de l’islam et se met à laïciser le droit, les moeurs, la
langue... 11 n’y a plus d’islam ! Imaginez ce que pourrait être le sentiment des catholiques si la Papauté
était supprimée et s’ils en étaient réduits, pour leur culte, à se réfugier dans les temples protestants sous
domination non chrétienne – car c’est ainsi que l’on pourrait faire l’analogie avec les islams officiels
subsistant dans les colonies ou dans les États réformateurs dominés comme l’Égypte.
33Les Frères musulmans connurent un succès immense, car ils rejoignaient un sentiment général. Dès 1938

certains Frères musulmans furent tentés par l’activisme islamique, mais il y avait longtemps que les
nationalistes se battaient contre les occupants, au moyen d’actions violentes. Il est clair que la violence
provient de la situation coloniale. Désavoués au début par Hasan al-Banna, les activistes finirent par le
convaincre partiellement et il admit de mettre sur pied une organisation paramilitaire. Légaliste, le maître
ne l’utilisa que contre Israël au cours de la guerre de 1948. Les milices furent par la suite incorporées de
force dans l’armée royale égyptienne. Hassan al-Banna fut tué dans des conditions obscures en 1949,
alors que le régime royal commençait la répression des Frères musulmans.
34Quand Gamal ‘Abd an-Nâsir prit le pouvoir en 1952, la lune de miel avec les Frères musulmans fut de

courte durée. Le malentendu était fondamental. ‘Abd an-Nâsir entendait faire entrer les Frères dans son
parti unique et promouvoir sa politique nationaliste et socialiste. Les Frères voulaient l’islam avant tout
et surtout ne pas prêter serment à un homme. Certains idéologues des Frères musulmans rallièrent pourtant
‘Abd an-Nâsir (Muẖammad al-Ghazâli), mais Sayyid Qutb s’y refusa.
359 — Ruptures et répressions. Les islamistes. La rupture eut lieu en 1954, année très mouvementée. Un

attentat contre le président (probablement monté par la police) donna le signal d’une féroce répression,
qui ne connut qu’une accalmie en 1959-1964. C’est dans les prisons nassériennes que naquit
l’extrémisme. Son idéologue fut Sayyid Qutb, pendu en 1966, comme l’avait été son confrère ‘Abd al-
Qâdir ‘Awda en 1954. Les ouvrages clefs de l’islamisme sont son commentaire du Coran (A l’ombre du
Coran) et Jalons (ou Signes de piste) qui est composé des passages les plus virulents de son
commentaire coranique. En un mot, le monde entier est mécréance (jâhiliyya) et le seul rapport possible
avec lui est la guerre sainte. C’est une idée que prêchait également le pakistanais Mawdûdî, père spirituel
de la Jama’at al-islâmî, lui aussi emprisonné et torturé.
36En 1970, Anwâr as-Sadât (jusqu’en 1981) libéra les Frères musulmans. Il était en lutte contre les
communistes et avait besoin de leur appui. Il les favorisa nettement, en particulier en leur finançant des
camps de formation. Les unions islamiques se mirent à pulluler, et la société égyptienne se plongea dans
l’islam. On abandonna le projet de code de statut personnel laïc, on envisagea de restaurer la peine de
mort pour apostasie (on visait les communistes). Mais les Frères musulmans furent débordés par des
mouvements dissidents, produit des prisons nassériennes. Ils furent contraints de se démarquer d’eux : ils
condamnèrent l’attentat contre l’académie militaire par exemple. Les émeutes de la misère en 1977,
virent la participation d’une jeunesse islamiste agressive contre les boîtes de nuit de la route des
pyramides. Seuls les communistes furent poursuivis : le pouvoir faisait encore confiance aux Frères
musulmans.
37Mais la même année 1977, le groupe Takfîr wa-Hijra de Mustafa Chukri enleva et exécuta un ancien

ministre. Le pouvoir prit peur et commença à essayer de reprendre ce qu’il avait donné : les ligues et
unions islamiques furent dissoutes et les arrestations de Frères musulmans devinrent systématiques
chaque fois que des extrémistes provoquaient un incident. En 1980 tout de même la Constitution fut
révisée et la charî‘a devint “la source principale de la législation” : on espérait “couper l’herbe sous les
pieds” du mouvement islamiste. Les accords de camp David et la signature de la paix avec Israël en 1979
amenèrent une tension nouvelle dans les rapports, les Frères musulmans s’étant prononcés contre. Les
incidents entre la communauté copte et la musulmane commencèrent à se multiplier. En 1981, une
fusillade fit 16 morts. Alors as-Sadât choisit la répression. Plus de 1500 arrestations furent opérées, dont
les deux tiers parmi les Frères musulmans. L’association (qui était toujours officiellement interdite) vit
ses biens confisqués. Le 6 octobre 1981, as-Sadât fut assassiné par un groupe islamiste minuscule, al-
Jihâd, mais la ville d’Asiût se révolta et resta en dissidence pendant quatre jours. Les islamistes
espéraient une révolution populaire à l’iranienne. Ils échouèrent.
38Le président Mubârak a pris le pouvoir en 1981 et le conserve toujours. La même histoire s’est
répétée : une période d’état de grâce, avec un jeu politique complexe entre les islamistes extrémistes, les
modérés, les ralliés au pouvoir (le chaykh Kichk) et l’Université d’al-Azhar. Les partis de gauche furent
tout aussi écrasés et bridés que sous as-Sadât. En 1986 l’option répressive fut définitivement admise
contre les islamistes et elle est plus féroce encore que sous ‘Abd an-Nâsir. Le nombre d’assassinats
extrajudiciaires serait probablement énorme si on pouvait le connaître. Les islamistes au début
continuèrent les attentats contre les représentants du pouvoir (police surtout). A partir de 1991 ils
commencèrent une stratégie anti-touristes, qui est loin de faire l’unanimité dans leurs rangs. En 1992, ils
assassinèrent Farag Foda, un écrivain laïciste qui avait, entre autres, dénoncé la mascarade qu’a
constituée la politique d’islamisation de an-Numayrî, au Soudan. Les Frères musulmans se cantonnent
dans le légalisme et noyautent certains partis reconnus, comme le partie du Travail ou le Wafd. On en est
là : répression et attentats, sans qu’on puisse déceler une issue.
3910 — Influence des Frères musulmans. Le phénomène de l’extrémisme religieux a pris en Islam une

extension nullement comparable dans les autres intégrismes religieux. Si une comparaison peut être faite,
ce serait avec le Front national français : il s’agit de mouvements identitaires qui ont une grande
résonance dans l’opinion de droite en même temps qu’ils engendrent dans l’opinion opposée la tentation
de violer les principes démocratiques pour éradiquer les ennemis de la démocratie. Évidemment tout cela
conduit à la violence de part et d’autre. L’islamisme violent semble n’être que l’écume d’une vague de
fond. Comme on l’a vu, cette violence est surtout réactive. Elle est très faible originellement.
40De manière générale les Frères musulmans se sont implantés au Moyen Orient. En Syrie, ils tentèrent

une révolution à l’iranienne, mais échouèrent : le gouvernement de Damas (Hâfiẕ al-Asad) n’hésita pas à
prendre d’assaut villes et villages et à exécuter en masse (1982). En Palestine, le Hamas (chaykh Yasin)
refuse le processus de paix, qu’il considère comme la capitulation et la domestication de l’OLP. Au
Soudan, malgré l’interdiction officielle des partis, le National Islamic Front est au pouvoir par Hasan at-
Turâbî, éminence grise du général al-Bachîr, avant sa rupture d’avec lui. Il se signale par sa volonté de
régler le problème de la diversité culturelle et ethnique du Soudan par la guerre sainte. En Jordanie, au
Koweït, les Frères musulmans sont dans les allées du pouvoir. Ils appuient le Mouvement de la tendance
islamique de Ghannûchî en Tunisie (devenu En-Nahda), ainsi que l’association Justice et bienfaisance de
‘Abd as-Salâm Yasin au Maroc, et le parti de Nahnah en Algérie. Le FIS était soutenu directement par
l’Arabie Saoudite jusqu’en 1991 (guerre du Golfe). Les Frères musulmans ont aussi formé des Afghans au
Caire, des islamistes russes, malais...
41La guerre du Golfe a tari les ressources des Frères musulmans, sauf pour ceux du Golfe : car chaque

cellule s’est déterminée en fonction de considérations nationales. On voit les limites de l’idéal de l’unité
islamique. Le laïciste Saddam Husayn, quant à lui, a réuni une conférence populaire islamique à Baghdad
(1991) et joue maintenant la carte islamique.
4211 — Islamisme et nationalisme. Cette histoire est exemplaire de la trajectoire croisée du nationalisme
et de l’islamisme. Dans les pays arabes, l’indépendance fut le fruit de l’activité de nationalistes, de
tendance laïcistc, se réclamant d’idéologies diverses, toutes ”allogènes“ (nationalisme, socialisme...)
sauf peut-être l’arabisme, mais on soupçonne cette dernière idéologie d’être un produit arabe chrétien.
Ces élites se sont maintenus au pouvoir sur la base de la légitimité de leur combat anticolonial. Mais
cette légitimité s’est vite usée, car elle ne fut pas relayée par le succès. Au contraire, elle ne cessa de
s’effriter. Les échecs s’accumulèrent : défaite devant Israël, stagnation économique, injustice dans la
répartition de la manne pétrolière et par dessus tout un immense déficit démocratique (euphémisme pour
dire que la dictature est le seul régime politique des pays arabes).
43Les islamistes récupérèrent tous ces thèmes. Surtout ils mirent en évidence le déficit identitaire en

soulignant que les élites laïcistes sont toutes acculturées aux métropoles anciennes (française ou anglaise)
ou nouvelles (américaine). Les nationalistes sont effectivement coupés des masses qu’ils méprisent le
plus souvent. Malgré les efforts indéniables de certains responsables, ils apparaissent comme des
privilégiés, et il est vrai que ce sont eux qui contrôlent l’État et profitent de ses ressources. Les islamistes
sont sur le terrain, mieux, ils appartiennent au terrain. Ils s’occupent des miséreux, fournissent des
bourses à des étudiants pour étudier même en Europe, ils font des prêts sans intérêts, etc. De plus ils sont
martyrisés par un État que tout le monde finit par mépriser...
4412 — La récupération. Outre la répression, les États nationalistes ont tenté la stratégie de ”couper
l’herbe sous les pieds“ des opposants. Certes, presque partout l’islam était religion d’État. Les derniers
pans du laïcisme furent éliminés. On a dit que l’Égypte modifia en 1980 sa constitution et que la charî‘a
devint la source principale de la législation. La Syrie, en principe laïque et baathiste, concéda de même,
dans sa constitution en 1971-73, que le chef de l’État devait être musulman.
45Le droit pénal musulman a été réintroduit en Libye (mais avec des ruses de procédures rendant son
application impossible) en 1972, par un Kadhafi (al-Qaddhâfî) qui se dit nationaliste et opposé à
l’islamisme. Au Soudan, en 1983, an-Numayrî, laïciste au début et même pro-communiste, se déclara
converti à l’islam, et déclencha une islamisation absurde, tricotée par un illuminé dans le plus grand
secret, et dont le clou était le droit pénal avec l’instauration de l’amputation de la main pour peine du
vol. Les Frères musulmans de Hasan at-Turâbî s’y rallièrent, du moins jusqu’à la rupture en 1985, deux
mois avant la révolution populaire qui balaya le régime d’an-Numayrî. Cette rupture permit aux Frères
musulmans d’être partie prenante dans le régime parlementaire qui suivit et de préparer tranquillement le
coup d’État de 1989, que fit pour eux le général al-Bachîr. Un nouveau code pénal fut promulgué en 1991
et tout y est : amputation pour vol, mort pour apostasie, mort pour adultère...
46En droit civil, l’Algérie du FLN et de l’armée populaire s’est doté d’un code de statut personnel aussi

rétrograde que s’il avait été fait par un intégriste islamiste (1984). De même au Yémen (1992) et même en
Inde (1986).
47Partout on multiplie les gestes envers l’islam et les islamistes : on fonde des écoles islamiques
(madrasa), des universités, des bibliothèques. On multiplie les mufti, les hauts conseils islamiques. Le
vendredi devient un peu partout jour férié (alors qu’il n’y a pas de jour férié en islam). La Turquie,
officiellement laïque, réintroduit l’enseignement religieux dans les écoles primaires et secondaires et
rejoint l’Organisation de la conférence islamique en 1972. Partout on donne des postes importants aux
islamistes modérés et on ignore les laïcistes, quand on ne les condamne pas pour apostasie (Maẖmûd
Ṯaha, réformiste, fut pendu au Soudan en 1985) ou pour blasphème (Ala‘a Hamed, 8 ans de prison pour
ce motif en Egypte). Les gauches, les ligues de droits de l’homme sont muselées...
48Les monarchies semblent avoir mieux résisté à la poussée islamiste, car elles n’ont jamais totalement

déserté le champ religieux. Le roi du Maroc est toujours le Commandeur des croyants et il laisse agir
l’islamisme modéré, respectueux du trône. De même en Jordanie où les Frères musulmans sont proches du
pouvoir. Mais toutes les monarchies ont eu affaire à des groupes extrémistes et ont pratiqué la répression.
L’exemple de l’Arabie Saoudite est là : la Mecque a été prise par des islamistes en 1979 et la répression
fut féroce. La situation est parallèle en Libye : malgré les concessions faites, malgré la manipulation du
champ religieux par al-Qaddhâfî, les groupes islamistes sont de plus en plus présents et agressifs.
L’idéologie de la “troisième théorie” et du Livre vert a perdu son impact révolutionnaire.
49Le phénomène est général pour les laïcistes nationalistes. Comment les islamistes ont-ils réussi cette

mobilisation populaire que les premiers ont si souvent (et en vain) cherché à faire naître par leurs
interminables “discours historiques” et leurs partis uniques ?
§ 3 – Troisième approche : les idéologies islamistes

50L’approche idéologique est encore très éclairante sur les raisons du succès des islamistes dans les

différentes couches de la société arabe et musulmane. Examinons la pensée de Hassan al-Banna, le


fondateur, avec les prolongements que lui a donné Sayyid Qutb et ses disciples. Quels sont les points de
départ ? Quel est le projet fondamental ? Quelle est la stratégie de l’islamisme ?
5113— Les points de départ. On trouve d’abord chez Hasan al-Banna le sentiment de “fin du monde
islamique”, très largement partage. La propagande islamiste commence toujours par là. Faire sentir la
mécréance générale est le point de départ obligé. Le problème est évidemment de savoir si les musulmans
au pouvoir sont des mécréants ou pas. Hassan al-Banna répondait qu’ils étaient musulmans, mais qu’il
fallait les éduquer, les convertir. Il n’était pas question de pratiquer la guerre sainte contre eux, seule la
guerre sainte contre l’occupant étranger (les Anglais ou Israël à l’époque) était légitime.
52Sayyid Qutb insistera plus particulièrement sur le geste premier qui est celui de l’anathème (takfîr,

déclarer kâfir, mécréant) et qui inclut tous les mauvais musulmans (à l’époque les tortionnaires
nassériens). Le second geste celui de l’émigration (hijra) sera mis en évidence par ses lecteurs : il faut
quitter ce monde de mécréance physiquement, comme l’a fait le Prophète quittant la Mecque en 622. Puis
il faut entreprendre, après avoir fondé un Etat islamique, la guerre sainte contre le monde impie. Et Dieu,
qui ne change pas, donnera la victoire aux plus pieux, comme il l’a fait pour le prophète Muẖammad.
5314— Les refus islamistes. On trouve ensuite, chez les islamistes, toute une série de refus de ce qui n’est

pas islamique, et en particulier le refus de la laïcité, importée d’Occident. Ils concèdent que la laïcité
était nécessaire en Occident car, selon eux, l’Eglise était un système de pouvoir, hostile à la science et à
la liberté de pensée. Elle est absolument inutile en islam disent-ils, car il n’y a pas de clergé, donc pas de
système de pouvoir religieux, et que la science a toujours été en honneur en islam.
54D’ailleurs tout ce que l’Occident prétend avoir inventé vient de l’islam, la séparation des pouvoirs, les

droits de l’homme, les principes juridiques fondamentaux de légalité, de droits de la défense, etc.
L’Occident n’a fait que copier les pays qu’ils ont ravagés par les croisades, par leur complicité avec les
Mongols, par la colonisation. Le code Napoléon a été copié du droit malékite lors de l’expédition
d’Egypte, etc.
55Ces thèmes et ces falsifications historiques ne sont pas propres aux islamistes et aux Frères musulmans.

Ils semblent essentiels à l’apologétique musulmane, en premier lieu pour sauver la face vis-à-vis de la
domination culturelle occidentale. C’est le côté “consolation infantile” (l’expression est de Muẖammad
Ṯalbi). En second lieu on peut se demander si l’on n’y insiste pas que dans le but de permettre plus
facilement l’emprunt : l’islam ne ferait alors que récupérer son bien. C’est le côté opératoire.
56Le thème qui apparaît parallèlement est celui de la complétude de l’islam (ou son “totalisme” selon
l’expression de H. Djaït). La religion islamique, son droit, son État n’ont pas besoin d’emprunt. Tout est
dans l’islam, “Nous n’avons rien omis dans le livre explicite” dit le Coran. Et par voie de conséquence
tout ce qui n’est pas islamique est inutile ou dangereux. En particulier les idéologies importées qui
répandent la division entre classes (marxisme), entre nations (nationalisme), entre partis (démocratie),
voire entre races (comme l’arabisme). Il s’ensuit aussi diverses positions en faveur de la langue arabe, du
vêtement traditionnel, de la barbe à l’imitation du Prophète, etc.
5715 — Le projet islamiste. Le versant constructif de la pensée islamiste se déploie sur les registres
suivants :
le registre interne, par la restauration de l’État islamique, à vrai dire chaque groupe ayant sa vision
propre. Il en est de démocrates : l’islam a inventé la démocratie avant l’Occident, puisqu’on trouve
deux fois le mot “chûra” dans le Coran. Si on leur parle de la démocratie grecque, ils répondent
qu’elle n’en n’était pas véritablement une, puisqu’elle excluait les étrangers et les esclaves. Cette
position leur impose, pour ne pas être pris par leur propre critique, de renoncer au statut des
dhimmis. D’autres refusent l’idée de démocratie parce qu’importée (Sayyid Qutb).
Cet État est conçu comme transnational, plus exactement il dissoudra les nations, facteur de division.
“L’islam est une patrie et une citoyenneté” dit Hasan al-Banna. Ce qui implique que l’entrée en islam
est en fait l’adoption d’une nouvelle patrie, de la seule patrie légitime, donc qu’il y a incompatibilité
entre l’islam et toute organisation nationale. Il s’ensuit encore que le but politique ultime est l’unité
du monde musulman, et à long terme, l’unification du monde sous l’islam.
Tous les islamistes sont unanimes pour vouloir la mise en oeuvre de la loi islamique. Mais ils se
divisent sur la question de savoir s’il s’agit d’une restauration de l’intégralité du fiqh (droit
musulman) qui comporte un régime patriarcal polygamique pour la famille et des peines physiques
en droit pénal, notamment la peine de mort pour apostasie et blasphème. Ou bien s’il s’agit de
restaurer les principes fondamentaux de la charî‘a que l’on considère alors comme un idéal à
retravailler sans cesse par l’ijtihâd, la recherche. Mais les spécialistes de droit musulman savent
que tant que les principes d’herméneutique fondamentaux (usûl al-fiqh) ne seront pas bouleversés,
les deux tendances de l’islam aboutiront à peu de choses près au même résultat traditionnel.
Pendant longtemps il a été question chez les Frères musulmans de “socialisme islamique”, car
l’islam aurait inventé le socialisme avant l’Occident, grâce à l’établissement de l’impôt de
purification (zakât), dont le produit, selon le Coran, doit être redistribué aux pauvres, et grâce à
l’interdiction de l’usure. Le socialisme islamique se caractériserait par l’impôt progressif et la
redistribution ; par l’encouragement à la propriété privée avec réforme agraire ; par l’existence d’un
secteur nationalisé. Certains Frères ont réagi contre cette idée : “c’est bafouer l’islam que de lui
attribuer le socialisme, ou la démocratie, ou le nationalisme” (As-Sawwâf, Pas de socialisme en
islam, 1961, Jedda). Dans les faits tous les islamistes resteront très sensibles à la question sociale.
Certains comme Hasan Hanafi mélangeront nettement islam et marxisme.
58Après l’échec du socialisme on a cru trouver dans les banques islamiques, c’est-à-dire ne prenant pas

d’intérêt, une panacée. Le projet, qui a marqué les années 1970-80, voulait remplacer une économie
occidentale injuste et instable par une économie islamique juste et stable. L’idée essentielle est la mise en
place d’un système de revenus variables dans l’économie islamique se substituant aux revenus fixes de
l’économie occidentale. Le droit islamique permet en effet les sociétés à risques partagés (commandite)
et interdit les sociétés à part fixes (obligations par exemple). En généralisant le principe, les salaires eux-
mêmes deviendraient variables. Le spectre du chômage serait écarté, puisque qu’il ne serait plus besoin
de licencier pour sauver l’entreprise en difficulté, mais seulement de baisser les salaires. Par suite, les
salariés feraient tout pour augmenter leurs ressources et l’entreprise en sortirait dynamisée... Ainsi on
pourra dire que l’islam a inventé avant l’Occident les solutions qu’il cherche à tâtons à travers la
flexibilité des salaires et des horaires... Encore faut-il que le projet réussisse. En attendant les
déclarations et informations sont devenues fort rares sur ce sujet dans les années 1990.
5916 — La stratégie islamiste. On a distingué deux stratégies chez les islamistes. D’abord celle de

l’islamisation par le bas, c’est-à-dire à partir de la société. Elle se ferait d’une part par l’accumulation
des conversions individuelles, donc par des discussions amicales, par le prêt ou le don de livres, par
l’aide aux plus pauvres, par une présence amicale constante. D’autre part, par de petites batailles contre
les autorités mécréantes, tantôt pour obtenir un lieu de culte, tantôt pour obtenir de la viande ẖallâl (c’est-
à-dire abattue rituellement), tantôt pour faire fermer les débits de boisson, ou faire interdire tel ou tel
livre, etc. Le but de cette stratégie est de faire tomber le pouvoir comme un fruit mûr, par la voie
légaliste, quand les trois quarts de la société seront convertis... A l’opposé serait la stratégie de
l’islamisation par le haut, c’est-à-dire par l’État. Ici, il suffirait de monter un complot, de prendre le
pouvoir, puis d’imposer l’islamisation par des moyens d’État.
60On a surtout crédité Hassan al-Banna de la première stratégie, et elle est demeurée celle des Frères

musulmans, toujours légalistes. Qutb serait l’initiateur de la seconde et le père des groupuscules
islamistes violents. Pour Burgat, cette dichotomie à propos des stratégies n’est pas réellement opératoire,
tous les islamistes pratiquent la première, et la seconde si l’occasion de présente : ainsi les Frères
musulmans ont probablement commandité le coup d’Etat de al-Bachîr au Soudan.
61L’opportunisme, l’improvisation, les circonstances locales semblent aussi jouer un grand rôle dans les

prises de position des islamistes. Leur idéologie, malgré la présence de thèmes communs, n’est pas
uniforme, ni très claire dans ses projets. Les islamistes constituent une nébuleuse, reliée plus par un état
d’esprit que par une doctrine. On comprend l’embarras des analystes et les controverses qui se font jour à
leur propos.
DEUXIÈME PARTIE. LES DÉBATS SUR L’ISLAMISME
6217 — Le débat et les débats. On pourrait dire qu’il n’y a qu’un seul débat à propos de l’islamisme,

celui de savoir ce qu’il faut en faire : le prendre en considération, composer avec lui, parce qu’il
constituerait un mouvement de fond ; ou au contraire l’ignorer et attendre que l’histoire l’enfouisse dans
ses oubliettes, parce qu’il ne serait qu’une bizarrerie éphémère. Et c’est bien la question fondamentale
qui se retrouvera tout au long de cette partie.
63Il fallait pourtant essayer de sérier les problèmes car on ne peut parler de tout en même temps. On a

donc distingué quatre principaux débats : sur les causes de l’islamisme (§ 1), sur sa modernité (§ 2), sur
sa représentativité (§ 3), sur son avenir (§ 4).
64Ces débats s’entrecroisent, se répondent : on l’a dit, ils répondent à la même question fondamentale.

Mais la position que tel chercheur a pris sur une question n’entraîne pas nécessairement telle autre. C’est
pourquoi on a renoncé à opposer deux écoles de pensée sur le débat fondamental, cela aurait été trop
artificiel, les universitaires ne se partageant pas aussi facilement en écoles.
§ 1 – Le débat sur les causes de l’islamisme

65Deux séries causales semblent avoir été privilégiées par les chercheurs pour expliquer l’islamisme : la

religion islamique et la situation économico-politique. Mais on a souvent évoqué d’autres causes chez les
universitaires comme chez les journalistes ou les hommes politiques.
6618 — L’islam comme cause. Privilégier l’islam comme cause de l’islamisme semble être le point fort
de la première école de pensée, celle de l’orientalisme. Cette vision s’enracine dans l’examen de la
doctrine islamique et de celle des islamistes en général. Elle est fondée sur les textes anciens et les
discours idéologiques modernes. Elle tend à faire de l’islam une entité éternelle, spécifique et
déterminante.
67Le présupposé orientaliste consiste à définir une culture islamique intemporelle. Elle expliquerait aussi

bien les traits de la ville arabe, lovée autour de sa mosquée, que la vie quotidienne, déterminée par le
droit islamique, que la contestation de l’État déterminée par un certain type de légitimité. Cette culture
expliquerait la non-émergence du capitalisme (Max Weber) et l’absence d’un espace autonome pour le
politique (B. Badie). Elle a pour corollaire que seul l’Occident a inventé la modernité, l’universalisme et
la laïcité. Cette dernière fonde le politique en le séparant à la fois du religieux et du privé. Elle est la
base indispensable d’un État de droit moderne. La laïcité n’a pas été reçue en Orient parce qu’elle est
venue en même temps que la colonisation. Le refus islamiste n’est donc qu’une réaction passionnelle, un
déchirement nostalgique devant la nécessité de sortir de la religion (Gauchet). En général la pensée
orientaliste soutient l’incompatibilité entre l’islam et la modernité. Pour lutter contre l’islamisme, la
politique qui consiste à favoriser une certaine modernisation de l’islam (qui serait alors réduit à son
aspect privé, cultuel) lui semble impossible.
68La critique de cette vision fait ressortir l’existence de modes différents de présence du politique, par

exemple à travers l’esprit de corps, la ’asabîya (Ibn Khaldûn), c’est-à-dire suivant les modes de la
segmentarité. On met aussi en évidence l’existence de modes de pensée divergents, la pensée mutazilite
par exemple, ou les traditions littéraires et politiques iraniennes musulmanes, ou divers penseurs
humanistes ou non conformistes. On fait remarquer surtout que l’espace politique est tout de môme
délimité par la loi islamique, qui est elle-même cet espace entre le despote, le privé et le religieux. Mais
la meilleure critique est le renvoi aux réalités socio-politiques, entre autres que les États nationaux ont
toujours existé, qu’ils ont produit des lois propres, résisté finalement à la colonisation et même à
l’islamisme. Ce dernier s’est même fragmenté selon les lignes nationales...
69En fait, à notre sens, la pensée orientaliste n’est que la prolongation de la pensée musulmane classique

pour qui l’islam est une entité autonome, déterminante. La pensée orientaliste reprend les thèmes du droit
et de la théologie de l’islam, sans les soumettre à une distanciation suffisante : elle est surtout la
traduction de la vision des acteurs. C’est en cela que l’apport de la pensée orientaliste est indispensable :
il existe bien un “imaginaire islamique” ou des “référents islamiques” ou “une doxa indiscutée”. Même si
on ne veut pas leur accorder un poids en tant que cause, ces référents n’en existent pas moins comme
cadre d’action et de pensée pour les militants : ils s’efforcent d’imiter la conduite du Prophète et l’Etat
égalitaire des premiers califes, ils font tout pour que l’islam soit cause, pour que la politique se réduise à
la vertu, pour effacer les distinctions nationales ou ethniques, etc. Certes les acteurs sont mus par d’autres
causes, mais ce qu’ils veulent faire est prédéterminé en partie (et en partie seulement) dans les livres de
doctrine. On l’a dit, on a ici la continuation d’un vieux débat sur l’efficience faible du “niveau
idéologique”, soutenu en particulier par les tenants de l’efficience supérieure du niveau économique.
7019 — Économie, classes et politique. La ligne explicative économique fait du sous-développement la
cause de l’islamisme. Face aux nantis nationalistes de l’indépendance, un milieu de pauvre de laissés
pour compte d’une modernisation trop rapide, est resté aux abois. Les émeutes de la misère ont éclaté au
Maroc, en Tunisie, en Egypte en même temps que la vague islamiste. Une lumpen-intelligentzia s’est ainsi
développée et son souci du social et du quotidien signale bien son origine. Ainsi une politique sociale
menée vigoureusement serait la meilleure réponse au défi islamiste.
71Les choses sont en fait plus complexes, et il ne manque pas d’islamistes riches et bien nourris. A
l’inverse il ne manque pas de laïcistes pauvres. La plupart des analystes, tirant la conclusion des vieux
débats, préfèrent faire intervenir un faisceau de causes. L’explication est élargie et devient une véritable
sociologie des classes ou catégories sociales, incluant indissolublement économie, politique et même
idéologie. Ainsi on peut souligner l’existence de trois composantes dans l’islamisme (O. Roy, G. Kepel) :
une composante bourgeoise traditionnelle (en Iran, les commerçants du bazar), pieuse par tradition,
mais non liée à l’État national, et exclue du partage de la rente. C’est dans son sein que se recrutent
les ulémas et mollahs, et souvent les Frères musulmans.
des jeunes issus de milieux pauvres, généralement des étudiants des facultés de science, qui
deviennent des “petits entrepreneurs indépendants” de biens spirituels (terminologie de Bruno
Etienne). Musclés dans leur liberté d’expression, souvent venant du marxisme ou du nationalisme,
ils constituent le terrain favori de recrutement des disciples de Sayyid Qutb.
une masse de manoeuvre d’illettrés, pauvres, prêts à se rallier aux mots d’ordres les plus
significatifs pour eux. Et ce ne peut être les divers “ismes” modernes. Les thèmes islamiques
traditionnels, les seuls qu’ils connaissent, sont au contraire en prise directe sur eux.
72Quand les trois courants se rejoignent et s’allient, c’est l’explosion : en Algérie, en Iran, au Soudan. En

Algérie, par la suite, la première catégorie a fait défection, d’où la réduction de l’islamisme au maquis.
De même en Egypte, la première composante a choisi la voie légaliste.
73Selon Burgat la fracture entre pauvre islamiste et riche nationaliste laïciste est fallacieuse. Il vaut mieux

se fier à la proximité du pouvoir : on est dans la nomenklatura ou en dehors. Et en fait on peut être
intégriste et dedans et réformiste ou laïciste et dehors. Il y a donc mille façon d’être islamiste, ajoute-t-il
(p. 38-39), ce qui nous renvoie en fin de compte au faisceau de causes.
7420 — Autres causes. Les autres lignes d’explication ont le tort de privilégier un facteur ou un fait
unique. On a en particulier expliqué l’islamisme par les influences étrangères, par la maladresse de tel ou
tel gouvernant, ou par l’impact de tel ou tel événement particulier. Donnons quelques exemples.
75On a souligné l’influence de la propagande iranienne. Or la révolution iranienne date de 1979 et il y

avait longtemps que l’islamisme était lancé. De plus le chiisme s’exporte mal en pays sunnite. L’action de
l’Iran s’est finalement borné à financer des groupes chiites au Liban, en Irak, en Arabie Saoudite.
76Pour d’autres, ce sont les Anglo-saxons qui ont joué la carte de l’islam contre le communisme, en

appuyant par exemple les Saoudiens, en finançant les Afghans..., le tout s’étant retourné contre eux.
77Pour d’autres encore, les Égyptiens seraient devenus Frères musulmans parce qu’ils ont émigré en

Arabie Saoudite et qu’ils ont été endoctrinés là-bas.


78Si les faits évoqués dans ces exemples sont indéniables, leur poids en tant que cause est discutable. Ils
n’expliquent pas l’islamisme à ses origines, tout au plus ses ressources financières ou certains modes de
diffusion. Il est vrai que l’Arabie Saoudite a financé les Frères musulmans, mais jusqu’en 1991, car après
ils ont pour la plupart pris parti contre Riyad. C’est dire, écrit Burgat, le peu d’autorité de l’Arabie
saoudite, (p. 41). La main de l’étranger fait penser aux théories du complot pour expliquer la révolution
française. Si un complot emporte l’adhésion populaire, ce n’est plus véritablement un complot.
79Ce qu’il y a de plus sérieux dans ce repérage des influences étrangères serait la mise en évidence de

l’impact psychologique de certains faits. Les acteurs eux-mêmes ont souligné que la défaite de 1967
contre Israël a été le choc qui démontrait l’échec du nassérisme, et partant de tous les nationalismes. La
révolution iranienne a montré la possibilité d’agir de manière indépendante de l’Occident... La chute du
mur de Berlin a définitivement enterré les références au “socialisme islamique”.
80On peut aussi écarter la ligne d’explication par les maladresses des gouvernants en place : As-Sadât

aurait eu le tort de s’appuyer sur les islamistes pour contrer les communistes. Les Algériens auraient eu le
tort, pour arabiser, de faire venir des milliers d’instituteurs du Moyen Orient, évidemment Frères
musulmans. Mais comme le dit Burgat, à propos de l’exemple algérien, si au contraire l’Algérie n’avait
pas arabisé, on aurait dit que l’islamisme est né d’un déficit de repères identitaires, qu’il aurait fallu
arabiser plus tôt... De même si As-Sadât s’était appuyé sur les communistes, on aurait vu dans le choc de
l’athéisme la nécessité du recours à l’islam... Dans tout cela ce sont aussi les limites de l’explication en
science humaines qui sont révélées...
§ 2 – Le débat sur la modernité de l’islamisme

81A la question de la modernité de l’islamisme nombreux sont les analystes qui répondent positivement,

mais cela prête à discussion.


8221 —La modernité de l’islamisme. A priori, considérer ces mouvements religieux comme vecteurs de
modernité peut sembler paradoxal. Mais Olivier Roy signale qu’une autre pensée fondamentaliste a été un
puissant vecteur de modernisation politique et économique : la pensée protestante. Donc la question est
de savoir si l’islamisme peut jouer comme le protestantisme un rôle qui le dépasse, et “réconcilier
modernité et islam”.
83Contre la pensée orientaliste qui soutient une incompatibilité entre islam et modernité, les meilleurs
connaisseurs de l’islamisme, François Burgat, et dans une moindre mesure B. Etienne et Olivier Roy,
soutiennent la modernité des islamistes.
84De manière plus générale, Burgat souligne que l’islamisme n’est que le troisième étage de la fusée de la

décolonisation, la première étant la décolonisation politique (les indépendances), la seconde économique


(les nationalisations des compagnies pétrolières), la troisième étant la décolonisation culturelle
(l’islamisme).
85Ces auteurs soulignent d’abord le fait que ces mouvements sont nés au xxe siècle, en réponse à des

situations modernes : chute du califat, sous-développement, dictatures du Tiers Monde. Ces mouvements
sont aussi des mouvements urbains, bien en prise avec les modes de vie modernes : automobiles,
cassettes, haut-parleurs, tracts, et même attentats médiatisés, instrumentalisation des idéologies
concurrentes (droits de l’homme), exploitations du phénomène de mondialisation (un islamiste est souvent
en avion). Olivier Roy souligne même le look américain : jeans, parka, lunettes... Dans l’organisation et
les modes d’action, le modernisme est évident : cellules indépendantes, secret, agit-prop, etc. (influence
léniniste ?).
86Il y a ensuite la modernité véhiculée en dépit de décisions régressives, la modernité portée malgré

l’islamisme si l’on peut dire. En Egypte les islamistes ont fini par imposer que les excursions étudiantes
se fassent en cars séparés pour les garçons et les filles. Résultat : gêne pour certains couples, mais
doublement de la participation féminine aux excursions, car les familles n’y voient plus d’inconvénients.
Dans un autre exemple, celui des mariages par groupes organisés par les islamistes, on souligne qu’ils
permettent plus librement la formation des couples en dehors des stratégies familiales, et aussi de sauter
par dessus l’obstacle du don nuptial (dot). L’autorité des pères et des frères sur la fille est amoindrie, car
elle peut faire jouer ses gourous islamistes contre ses parents, et se permettre ainsi de partir assister aux
réunions, ou de faire de la propagande sur les campus, etc. De même la recherche de nouveaux convertis
à l’islam (Garaudy par exemple) introduit dans les groupes fermés des idées modernes, ouvertes...
87Le point fort de la démonstration du modernisme des islamistes est que souvent les islamistes sont

réformistes. Ils ne se contenteraient pas de répéter les formules enseignées à al-Azhar, mais ils entrent
dans la manipulation du réfèrent islamique. Ce faisant ils le désarticulent et le rendent perméable à toutes
sortes d’idées et d’idées modernes : le Sud changera de terminologie, c’est certain, mais il n’est pas
évident que sa modernité nouvelle sera rétrograde (Burgat). La poussée islamiste c’est au contraire la
recherche de la conciliation entre l’islam et la modernité, le champ de cette dernière se voit ouvrir le
champ religieux imperméable jusqu’ici, faute de langage commun (d’après Burgat p. 228-229). Pour
certains islamistes la colonisation a interrompu un processus de modernisation commencé au milieu du
xviiie siècle, en contraignant les musulmans par réaction à se replier sur des valeurs identitaires à partir
du milieu du xixe s. (Ce qui est faux puisque des mouvements de réactions identitaires commencent dès le
début du xviiie s., déjà en réaction contre l’Occident, vainqueur sur le champ de bataille, les deux mondes
n’ayant jamais cessé de communiquer et d’interagir).
8822 — Discussion. La question est de savoir si les islamistes représentent un vrai mouvement du xxe

siècle ou une simple résurgence archaïque insignifiante pour l’avenir. Elle est d’importance : si
l’islamisme est moderne, il a des chances de durer et de remodeler le visage du monde musulman.
89Pourtant le débat est quelque peu pipé par une arrière-pensée évolutionniste : les islamistes constituent-

ils un recul ou un progrès ? Dans le débat se profile même une inquiétude toute occidentale : les
islamistes feront-ils passer l’esprit moderne dans les moeurs ou tueront-ils le peu qui existe de cet esprit
dans le monde musulman ? En d’autres termes, l’Occident pourra-t-il toujours les influencer ?
90Le débat est pipé, avons-nous dit, en raison du présupposé évolutionniste. Si on l’abandonne, c’est la

notion même de modernité qui se dissout. De même, peut-on déterminer la nature (ancienne ou moderne)
de l’islamisme sans tomber dans diverses apories essentialistes ou autres ? Il faut donc abandonner
l’espoir d’une réponse scientifique à la question.
91Observons toutefois que la plupart des arguments et des exemples évoqués sont à double tranchant. Les
islamistes le disent bien : il ne s’agit pas de moderniser l’islam, mais d’islamiser la modernité. Les
aspects matériels du mouvement islamiste (cassettes, médias, parka) sont superficiels. En quoi expriment-
ils “l’essenceö du mouvement ? En Afghanistan on en est d’ailleurs à détruire ces objets devenus
symboles de l’Occident. Si les jeunes filles sont plus nombreuses à faire des excursions, elles seront plus
nombreuses à être endoctrinées. L’autorité des parents et des frères, qui était de toute manière en voie de
décadence avec les mouvements féministes, est remplacée par une autre, moins accessible aux vertus du
libéralisme. Le mouvement de conversion amène aussi à l’islam des amoureux de l’ancien monde (Du
Pasquier) ou de l’exégèse fondamentaliste (comme cette religieuse convertie pour qui Hamza Boubaker a
écrit son traité de théologie islamique). Le réformisme prétendu des islamistes ne remet pas vraiment en
cause les principes de l’exégèse traditionnelle. L’entrée de l’islam en politique et en droit n’est que la
reconfessionalisation d’une zone laïque de la société musulmane qui a eu toutes les peines du monde à
sortir de la religion au xixe siècle. Le renforcement du système de légitimité islamique refoule encore à
plus tard la légitimité fondée sur l’efficacité économique ou l’esprit démocratique. À moins qu’on ne dise
que cette reconfessionalisation se borne au niveau symbolique et qu’elle cache en fait une sortie de la
religion (J. N. Ferrié). Tout peut s’inverser. Encore une fois nous sommes aux limites de l’explication en
sciences humaines.
§ 3 – Le débat sur la représentativité de l’islamisme

92Le terme “représentatif étant trop général, on a essayé de distinguer plusieurs problèmes : la
représentativité doctrinale, autrement dit l’orthodoxie ; la représentativité politique ; le rapport entre les
islamistes et les modérés.
9323 — La question de l’orthodoxie. Ici aussi le débat est pipé. Car il n’existe pas en Islam d’autorité
qui définisse l’orthodoxie. Il n’y a pas de Pape, ni de concile, ni de clergé en islam. L’orthodoxie se fait
par le temps, par l’oubli des doctrines marginales, par le ralliement des savants des siècles suivants à une
doctrine plutôt qu’à une autre. Ce qui est remarquable c’est que toutes les doctrines juridiques ou
théologiques considérées comme orthodoxes actuellement sont nées dans le soupçon. Donc, dans le jeu
politico-religieux actuel, les accusations d’hétérodoxie sont mutuelles, elles sont le fait des deux camps.
Or on ne peut juger de l’orthodoxie que par rapport à hier car on ne sait évidemment pas où sera
l’orthodoxie de demain.
94Cela dit on peut essayer de jauger l’importance de l’écart aux normes courantes du passé, je dis bien du

passé. Or le fait est patent : les Frères musulmans et la majorité des groupes islamistes sont orthodoxes.
C’est justement cette orthodoxie excessive qui fait problème, au moment où on cherche à faire évoluer
l’islam pour “le réconcilier avec la modernité“. La plupart des États ayant des positions officiellement
modernistes (au moins relativement à la guerre sainte, conçue comme une prérogative d’État et bornée à
la défensive – et relativement au califat, conçu comme consultatif), se voient contestés par les groupes
islamistes, textes classiques à l’appui. Ces textes ne sont pas n’importe lesquels : ce sont surtout ceux
d’Ibn Taymîya, qu’il n’est pas besoin de trop solliciter pour leur donner un sens activiste.
95Mais aussi et surtout, ils sollicitent le Coran. Olivier Carré, dans son analyse du commentaire du Coran

de Sayyid Qutb, qu’il compare au commentaire du réformiste de la fin du xixe siècle, Muẖammad ‘Abduh
(cf. Jomier), conclut que le premier est plus rigoureux que le second. Ce serait donc l’islamisme qui
serrerait de plus près le Coran, comme le kharijisme terroriste d’hier d’ailleurs. Le sunnisme tranquille
des théologiens du passé, et son débat avec le réformisme actuel, masqueraient l’essentiel : ils seraient
tous les deux d’accord pour le respect des pouvoirs musulmans établis, et seraient plus distants de la
source principale de l’islam. On comprend l’importance de la bataille exégétique. Il faudrait parler ici
plutôt de l’opposition entre l’exégèse classique et moderne contre celle du fondamentalisme islamiste,
qui ne s’embarasse pas d’usûl al-fiqh, piochant ça et là dans la Tradition ce qui conforte son idéologie.
Ce qui embrouille encore les cartes est que tous les islamistes ne sont pas fondamentalistes, mais ceux
qui ont une vision réformiste ne se sont guère signalés jusqu’à présent.
96On comprend la dangerosité des islamistes qui révèlent le pot aux roses politique, c’est-à-dire
essentiellement que la civilisation de l’islam classique s’est bâtie sur une exégèse du Coran contrôlée par
la Sunna et les clercs de l’époque abbasside. En ce sens les islamistes ne seraient pas orthodoxes,
puisqu’ils remettraient en question le compromis historique entre le Coran et les pouvoirs. C’est du moins
ce qu’on peut déduire en admettant la démonstration d’Olivier Carré. Pour beaucoup, si le Coran est
islamiste, l’islam devient une religion impossible à vivre. Ils veulent donc l’interpréter autrement : la
bataille exégétique est essentielle.
9724— La représentativité politique. Observons d’abord que la représentativité politique existe toujours

quelque peu, elle n’est jamais nulle. La bande à Baader par exemple est représentative quant à sa doctrine
d’une extrême gauche gauchiste, lassée de l’attentisme communiste et des piètres résultats du camarade
soviétique. Tous les tiers-mondismes, maoïsmes, guévarismes, qui ont existé, comportaient une capacité
de violence considérable. L’idéologie est un multiplicateur de violence soutient Glucksman à juste titre,
grâce à elle la violence devient systématique, industrielle. La bande à Baader est représentative d’une
certaine gauche extrémiste qui peut produire des Pol-Pot.
98On peut dire analogiquement que l’islamisme violent est représentatif d’abord de certains autres
islamismes potentiellement violents s’ils parvenaient au pouvoir. Hasan at-Turâbî appartenait aux Frères
musulmans, censés être légalistes et modérés. Une fois au pouvoir, il a cédé aux sirènes de la politique de
force contre les Soudanais du Sud et peu après contre ceux du Nord. La guerre sainte est l’horizon
politique et religieux des Soudanais et on y massacre même les conscrits musulmans récalcitrants.
99Mais on peut dire aussi que la société islamiste actuelle a porté au paroxysme la violence du régime
dictatorial de Numayrî et que cette violence était dans le territoire plus que dans les idéologies. A ce
compte, l’islamisme serait représentatif d’une violence plus générale, inscrite dans la destinée des pays
arabes et musulmans. Ou plus généralement encore, la violence islamiste exprime la violence naturelle de
l’homme. C’est évidemment dissoudre la question.
10025— Islamistes et modérés. Mais dans quelle mesure l’islamisme est-il représentatif de l’islam
modéré, réformiste ou traditionnel ? Dostoïevski avait-il raison de voir dans les crimes des Possédés le
résultat de l’idéologie libérale ? Contre cette idée d’une filiation directe entre l’islam modéré et
l’islamisme, on fait ressortir que l’islamisme n’est pas représentatif de toute la pensée islamique. Cette
dernière est plus riche, plus variée, plus humaniste, que ce soit dans ses différents aspects religieux,
juridiques, littéraires. Elle exprime le compromis historique de l’islam avec les pouvoirs. Le fait est
pourtant que ce patrimoine humaniste est bien moins sollicité que le patrimoine orthodoxe le plus strict
par les musulmans dits modérés.
101On peut dire aussi qu’aux sources de l’islamisme, il y a un islam décadent qui n’a pas su relever le

défi culturel lancé par l’Occident et qui s’est contenté de répéter inlassablement les mêmes théories
moyenâgeuses. Tout le monde a souligné la responsabilité immense de ceux qui ont écarté les pensées
divergentes de l’acharisme en théologie et qui, en matière juridique, ont déclaré que l’ijtihâd était
terminé.
102La pauvreté théologique de l’islam au xxe siècle est aussi un phénomène étrange. Depuis la Risâla, du

Chaykh ‘Abduh, ouvrage au demeurant assez plat, aucun ouvrage de théologie important n’a vu le jour. Ou
plutôt si. Celui de ‘Alî ‘Abd Ar-Râziq (L’islam et les fondements du pouvoir) et qui a valu à son auteur
une condamnation injustifiée d’al-Azhar. Muẖammad ‘Abduh n’a pu être continué que dans des voies
conservatrices. La différence entre Rachîd Riḏâ, son disciple et Hasan al-Banna n’est pas bien grande. Et
on peut dire aussi que la différence qu’il y a entre les théoriciens les plus lus du droit musulman, comme
Muhammad Abû Zahra ou Wahba az-Zuhayli et les Frères musulmans n’est pas bien grande non plus. Le
renouveau du droit est insignifiant. Force est de dire que le système ancien est formidablement verrouillé
et que la responsabilité des ancêtres est lourde. En disant cela on retombe peut être dans une explication
orientaliste, mais comment penser autrement cette pauvreté théorique ?
103Néanmoins, on n’empêche pas les hommes de penser, surtout au xxe siècle. Mais la stratégie des
conservateurs (aidés en cela par les États prétendus réformistes et par la plupart des islamistes) est de
marginaliser les penseurs originaux. Islamistes fondamentalistes, réformistes et traditionnalistes ayant
souscrit au compromis historique, se réconcilient quand il s’agit de lutter contre les pensées nouvelles.
On préfère vitupérer contre Muẖammad Arkoun plutôt que de le lire. On a fait un procès d’apostasie à
Abû Zid l’égyptien. Farag Foda a été assassiné par des islamistes. Maẖmûd Ṯaha a été pendu par an-
Numayri, etc. Sans compter les gens moins célèbres, qui sont légion, et qui publient des travaux
remarquables, d’un haut niveau scientifique.
104Or il semble qu’en matière de renaissance les islamistes aient échoué, ce qui nous amène au débat sur

l’avenir de l’islamisme.
§ 4 – Le débat sur l’avenir de l’islamisme

105On évoquera les opinions des deux chercheurs qui s’opposent sur cette question (O. Roy et F. Burgat)

avant de donner notre propre sentiment.


10626— L’échec de l’islam politique. Olivier Roy a lancé la formule de “l’échec de l’islam politique”,
c’est le titre de son livre. Il écrit que, malgré son potentiel réformiste, les islamistes n’ont pas tenu leur
promesses et qu’ils n’ont rien réformé du tout, ni dans l’ordre politique, ni dans l’ordre juridique, ni dans
l’ordre religieux : les promesses n’ont pas été tenues. “La révolution islamique est désormais derrière
nous” (p. 10)
107Sur le plan de la pensée religieuse on s’est borné à répéter les mêmes formules apologétiques et
précritiques inlassablement. On vient de le dire : il n’y a pas eu de renouvellement véritable.
108Sur le plan de l’idéologie politique l’islamisme s’est borné à renvoyer le politique à la vertu,
négligeant les institutions proprement politiques, rejoignant le discours le plus traditionnel.
109Le mouvement politique dans son ensemble “n’a pas modifié en profondeur la scène politique du
Moyen Orient” (p. 9) Les régimes honnis sont toujours là, plus vigoureux et despotiques que jamais. Les
islamistes se sont usés, banalisés, “social démocratisés”. Ils ne sont jamais parvenus à s’unir et sur les
différents problèmes, ils réagissent en fonction de leurs appartenances nationales.
110L’économie islamique n’est qu’un paravent masquant de vieilles recettes socialisantes ou libérales.

“Le modèle islamique est pour les riches (l’Arabie Saoudite) la rente plus la charî‘a, et pour les pauvres
(le Pakistan, le Soudan, l’Algérie demain) le chômage plus la charî‘a” (p. 10).
11127— L’islamisme en face. Pour Burgat, l’islamisme est une vague de fond et l’avenir est
inexorablement islamiste, mais cela n’a rien d’effrayant. Il n’est pas évident pour lui que la laïcité soit en
péril (p. 109). Il y a longtemps qu’elle est en péril avec la politique de “couper l’herbe sous les pieds”
que mènent les États nationalistes. Encore moins de péril pour la démocratie, qui n’existe dans aucun
pays musulman, et dont la maintenance dépend plus d’un comportement social que des idéologies ou des
lois. De même d’ailleurs pour le statut de la femme, plus souvent libérée par le militantisme islamiste que
par l’indifférence traditionnelle. Quant aux libertés individuelles, elles ne sont pas plus en péril
maintenant que dans l’avenir islamiste : le vêtement, les barbes et moustaches, sont tout autant contrôlés
par les uns que par les autres...
112Ce qui signalerait bien l’avenir de l’islamisme ce serait le ralliement de plus en plus fréquent des

autres groupes politiques. Les nassériens sont devenus plus islamisants, tandis que les islamistes ont mis
une veilleuse sur l’anti-arabisme. En Egypte, les partis traditionnels leur ouvrent leurs portes (Wafd, Parti
du travail). Des rapprochements sensibles ont été opérés avec les Coptes et les chrétiens et il arrive de
temps en temps que des villages à majorité chrétienne votent pour un islamiste (en Egypte, en Palestine).
Tout l’échiquier politique arabe est bouleversé par ce processus inexorable de remodelage du politique
dans un sens islamiste.
11328— Appréciation. Il ne semble pas que, dans ce débat, les deux chercheurs soient exactement sur le

même plan. Pour O. Roy, le succès politique des islamistes est possible, mais ils n’apporteront rien de
nouveau. “Les islamistes sont condamnés à retrouver les clivages traditionnels, ethniques, politiques,
tribaux, confessionnels et à pratiquer le clientélisme et les guerres civiles de leurs aînés,” écrit-il dans sa
conclusion. Le spectacle des islamistes au pouvoir ne fait que confirmer ce point de vue. Certes les
conditions propres à l’Afghanistan, à l’Iran et au Soudan sont particulières. Mais rien ne permet de
supposer, malgré les promesses, qu’en Algérie, ou en Égypte, si les islamistes parvenaient au pouvoir, la
violence cesserait : les conditions n’en sont pas moins particulières.
114Burgat ne démentirait pas ces affirmations, son objectif est plus de changer le regard occidental,
d’amorcer le dialogue, avec l’espoir que la “modernité” pénétrera l’islam/islamisme à travers son propre
vocabulaire qui perdra nécessairement ses sens anciens, car l’ancien est passé et ne reviendra jamais.
11529— Conclusion. Toutes les religions changent avec le temps, et chaque changement engendre des
résistances et des impatiences. Des exemples relativement récents le montrent. Les Lumières et la
Révolution française ont engendré dans l’Église catholique à la fois des réactions conservatrices (De
Bonald, Lemaistre de Sacy) et des impatiences progressistes (Lamenais, Lacordaire). Le concile de
Vatican II a eu ses conservateurs (Mgr Lefèvre) et ses progressistes (H. Kung et bien d’autres).
116L’islam n’échappe pas à cette règle de la sociologie religieuse. Un hadîth affirme même que chaque

siècle aura son réformateur, l’idée n’est donc pas sacrilège en Islam. Islamistes et modernistes sont les
deux versants idéologiques du changement actuel de la religion islamique. On dira peut être que le
mouvement islamiste est d’une ampleur exceptionnelle, nullement comparable à ce qu’on trouve dans les
autres religions, mais les changements demandés par notre époque sont aussi d’une ampleur
exceptionnelle. Depuis l’aube du xxe siècle jusqu’à aujourd’hui, que de défis à l’islam, mais aussi de
chemin parcouru dans les mentalités musulmanes !
117Quant au regard que les chercheurs portent sur l’islamisme, et plus largement sur l’islam, il s’est
modifié aussi considérablement, dans le sens de l’ouverture et du dialogue. Ce qu’il faut souligner le plus
à mon sens c’est l’approche qui est de plus en plus globale. L’islamisme n’est pas un phénomène dont
l’explication résiderait uniquement dans les problématiques religieuses classiques, mais aussi dans les
contextes politiques, économiques et sociaux. C’est tout le sens et la valeur des analyses faites par les
politologues. Ce qu’il manque peut-être dans ces travaux – mais pas toujours – c’est la prise en compte
plus large des contextes mondiaux. L’islamisme réagit autant, si ce n’est plus, à ces contextes, qu’aux
contextes musulmans. Le monde est devenu un village. Tout est important dans la naissance et le
développement de l’islamisme et en particulier le comportement des puissances occidentales. Citons, en
vrac, à titre d’exemples, les guerres mondiales et leurs conséquences (chute du califat, naissance
d’Israël), les colonisations et les décolonisations, la chute du communisme et l’expansion du capitalisme,
l’instrumentalisation de l’idéologie démocratique et celle des droits de l’homme, etc., etc. Un ouvrage
comme celui de Barber, Djihad versus Mac World, indique bien que l’islamisme n’est pas que le produit
de la seule situation des pays musulmans, mais aussi celui de l’Occident, et de phénomènes plus globaux,
régionalismes, résistances à la mondialisation, etc. Et tout le monde a peur de tout le monde, et l’escalade
de la violence constitue la seule réponse que notre monde si intelligent ou si pieux a trouvé. Ne faudrait-il
donc pas commencer par avoir peur de soi-même ?

Notes
52 Intervention faite au colloque “L’intégrisme, un phénomène transreligieux” (13-14 mai 1998), organisé
à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence par l’Institut de Droit et d’Histoire religieux (Directrice Mme
Blandine Chelini-Pont).
Bibliographie
Tome II : Fondements, culte, droit public et mixte

Pour aider l’étudiant dans ses premières recherches, nous lui indiquons dans le texte suivant quelques pistes de départ avec des références
abrégées (I. Orientation bibliographique). Il trouvera plus loin les références bibliographiques détaillées, classées par ordre alphabétique des
auteurs, en deux listes (II. Références en langues européennes et III. Références en langue arabe).
On a cherché surtout à limiter le nombre de ces références, en indiquant les livres-clefs qui donnent une vue d’ensemble d’une question et qui
comportent une bibliographie pouvant servir de point de départ. On a favorisé les livres de langue française, récents, accessibles et peu
coûteux.
I. ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
Bibliographies

Rappelons d’abord les ouvrages fondamentaux déjà cités dans le t. I : l’Encyclopédie de l’islam, 1èreed., 4 vol, et l’Encyclopédie de l’islam,
2ème édition, en cours, et la Shorter Encyclopaedia of islam (seulement pour la théologie, le droit et la mystique). Puis les bibliographies
détaillées : Index islamicus (Pearson) avec ses suppléments ; Abstracta islamica ; et la récente bibliographie de al-Zwaini / Peters. Enfin les
revues d’islamologie comme Arabica, Studia islamica, la Revue des études islamiques, Muslim World, etc., ou de droit comme Droit et
cultures, Droit et société, la Revue tunisienne de droit, etc. sont à consulter régulièrement.
Fondements du droit musulman
Introductions, traités : En français, l’ouvrage de Pesle, Les fondements du droit musulman, est trop sommaire et complètement dépassé.
Les pages de Milliot concernant les usûl dans son Introduction ne sont pas satisfaisantes. Reste l’ouvrage de Laoust (Contribution) pour
ceux qui parviennent à le trouver. Le lecteur français se rabattra sur les articles que nous évoquerons plus loin. Le débutant arabisant devra
commencer par quelques livres contemporains avant d’aborder les grands classiques. Abû Zahra est semble-t-il le meilleur (Usûl), mais al-
Khudarî (Usûl) ou Khallâf sont aussi très appréciés. Les ouvrages historiques d’Abû Zahra peuvent aussi permettre d’entrer aisément dans la
discipline. Il existe également de nombreux cours édités par les facultés. Le traité le plus récent est celui d’Az-Zuẖaylî (Usûl).
Sources classiques : On ne dispose en français que de quatre textes classiques d’usûl al-fiqh : la Risâla d’ach-Chafî‘î qui vient de paraître
chez Sindbad (mais elle était traduite en anglais par Khadduri) ; le Kitâb al-waraqât d’al-Juwaynî, traduit par Bercher, qui est très sommaire ;
le texte encore plus bref d’Ibn Ruchd (Averroès), traduit par Bousquet ; enfin le Kitâb al-Luma‘ d’ach-Chirâzî dans la traduction d’Eric
Chaumont, qui est actuellement l’ouvrage à recommander. En langue arabe, c’est l’abondance. Nous avons fourni dans le t. I une longue liste
d’auteurs et le titre de leurs œuvres. Abû Zahra donne comme auteurs les plus marquants de la discipline : au 3e s. : ach-Châfi‘î. Au 4e s. : al-
Karkhî. Au 5e s. : al-Basrî, Ibn Hazm, al-Juwaynî, ad-Dabûsî, al-Bazdawî (commenté par al-Bukhari), as-Sarakhsî. Au 6e s. : Ibn Ruchd, al-
Ghazzâlî. Au 7e : ar-Râzî, al-‘Âmadî, al-Qarâfî, as-Sâ‘âtî. Au 8e : Ibn Taymîya, al-Asnawî, Ach-Châṯibî, Sadr ach-Charî‘a ath-Thânî, as-Subkî.
Au 9e : Bn al-Humâm. Il faut pourtant rajouter à cette liste : ach-Chirâzî (5e s.), al-Bazḏâwî (7e s.) (commenté par al-Asnawî et par al-
Badakhchî), qui est un livre de base à al-Azhâr, at-Tûfî (7e-8e s.), en raison de ses positions sur les maqâsid ach-char’îya et Ibn Qayyim al-
Jawzîya (8e), dont l’oeuvre est une référence constante à l’heure actuelle. On se reportera à la traduction de Chaumont pour les références
qui ne figurent pas ici.
Études contemporaines : L’histoire de la discipline a déjà été évoquée dans le t. 1, voir surtout Schacht, The Origins... Pour les grands
auteurs musulmans modernes, il faut d’abord se référer à Kerr sur les positions réformistes, ainsi qu’à Jomier. Faruki peut se lire en anglais,
ainsi que Muhammad Iqbal. Les articles en français sont nombreux et excellents : Bernand (l’ijmâ‘, usûl), Berque (ambiguïté), Charnay
(ikhtilâf, pluralisme), Chaumont, (l’ijtihâd, Bâqillânî), Chehata (Logique juridique, L’équité, L’ikhtilâf...), Linant de Bellefonds (ambivalences),
Talbi (bida‘), Tyan (méthodologie). En anglais, Alî-Karamanli / Dunne (ijtihâd), Vesey-Fitgerald, Hallaq (authenticity), etc. En arabe,
nombreuses sont les études intéressantes : par exemple ar-Raysûlî sur ach-Châṯîbi, ‘Umar al-Qadî sur l’ijtihâd, Riyâḏ sur la fetwâ, Sâdiq
Bel‘aid sur le Coran, le colloque de l’ISESCO sur le rapprochement des rites, Sa‘îd al-Khinn sur l’ikhtilâf.
Élargissement, comparaisons, etc. Les problèmes plus généraux de la théologie et de la philosophie du droit islamiques devront être
médités. Nous suggérons, entre mille autres, le Discours décisif d’Averroès, plusieurs fois traduit, les études de Gimaret sur l’acharisme et
celle de Nader sur le mutazilisme, les travaux d’Arkoun (Essais, Critique) et de Laghmani (Eléments), etc. En arabe : Hassan Hanafî (le
patrimoine), Alî Chalaq (la raison juridique), Mazghânî / Laghmânî (articles), ‘Umar al-Jîdî (législation), Ahmad al-Khamlîchî (points de vue).
Ar-Raysûlî sur ach-Châṯibî, etc.
Ouvrages généraux
Sources classiques en arabe. Pour le malékisme, le Muwaṯṯa’ de Mâlik est un recueil de ẖadîth classés suivant un plan juridique. La
compilation fondamentale de l’école est la Mudawwana de Saẖnûn, 16 tomes, Dâr Sâder, 1906. Le Mukhtasar de Khalîl a fait l’objet de
nombreuses éditions arabes, et d’une traduction par Bousquet. Il sert de base au grand commentaire de ad-Dardîr, glosé par ad-Dasûqî,
l’ensemble étant l’ouvrage de l’enseignement supérieur d’al-Azhar et constitue le dernier état du droit malékite. À al-Azhar on utilise dans
l’enseignement secondaire le petit commentaire de ad-Dardîr sur un texte de base Aqrab al-masâlik (La plus accessible des voies) composé
par lui-même. L’enseignement préparatoire se fonde sur la Risâla d’Ibn Abî Zayd al-Qayrawânî, commentée par ach-Chadhlî. La Risâla a été
traduite par Bercher, réédité en 1975, à Alger, par les Editions populaires de l’Armée. Cet ouvrage bilingue peut servir pour s’initier à l’arabe
juridique. La Bidaya d’Ibn Ruchd (Averroès) indique avec précision les raisons des divergences entres les écoles, traduction partielle par
Laimèche. C’est un ouvrage de droit comparé fort apprécié même en dehors du malékisme. La recherche actuelle s’efforce de sortir de l’état
du droit fixé par le grand commentaire et se réfère de plus en plus à des ouvrages des époques intermédiaires. On a donné dans la
bibliographie arabe les références de Ibn Ruchd l’ancien qui commente al-‘Utbî et de ar-Rassa’ qui commente les ẖudûd (définitions) d’Ibn
Arafa. On attend la publication des Nawâdir d’al-Qayrawânî (Dâr al-gharb al-islâmî). L’ouvrage de Ryâḏ donne d’autres références
courantes du fiqh malékite, en particulier les fatâwâ. Un petit guide du malékisme, par Hamdi ‘Abd al-Mun‘im Chalabî, pourra rendre des
services.
Pour le hanéfisme, la compilation de référence de l’école est le Zâhir Ar-Riwâya (Le meilleur de la tradition), par Muhammad ach-Chaybânî.
La partie concernant le jihâd a été traduite par Khadduri en anglais, et comporte une importante étude en introduction sur la conception
islamique du droit international. À al-Azhar on utilise la Hidâya d’al-Marghinânî pour l’enseignement supérieur, et, pour l’enseignement
préparatoire, Al-lubâb d’al-Maydânî commentant le texte d’al-Qudûrî. On n’a pas pu identifier l’ouvrage de l’enseignement secondaire.
L’abrégé de Qudûrî a été traduit par Bousquet et Bercher pour ce qui concerne le statut personnel. Ce qui concerne le jihâd a été traduit par
Bercher. Le dernier état du droit musulman hanéfite est le Radd al-Muẖtâr d’Ibn ‘Abidîn commentaire d’un texte de Haskafî, lui-même étant
commentaire de Timurtâchî. Le Code du statut personnel, oeuvre en arabe de Qadrî Pacha, jamais promulgué, a été, dans sa traduction
française, utilisé par les tribunaux mixtes en Egypte (647 articles). Cet ouvrage, et le Murchid al -Hayrân du même Qadri Pacha, résument,
sous forme de code, le Radd al-Muẖtâr. Une grande autorité est aussi attachée au Majma‘ al-anhur fi multaqâ al-abẖur. d’al-Halabî et
Chaykh Zâdé. C’est d’après cet ouvrage que Schacht a écrit son Introduction. Il existe une traduction partielle de al-Halabî par Sauvaire, elle
n’est pas mythique, voir les références complètes en III, à Zadé. Citons encore la Majalla, le code des contrats établi dans l’empire ottoman,
dont la première partie s’inspire d’Ibn Nujaym. Il en existe une traduction anglaise. On retourne de plus en plus aux textes plus anciens dans la
recherche. On a donné les références de as-Sarakhsî, d’al-Kasânî et de Ibn al-Himâm.
Pour le chaféisme, Le Kitâb al-Umm composé par les élèves d’ach-Châfi‘î, est l’ensemble de référence de l’école. A al-Azhar, on utilise
pour l’enseignement supérieur le commentaire d’al-Maẖallî sur le Minhâj aṯ Tâlibîn d’an-Nawâwî. Pour le secondaire on enseigne la Kifâya
al-akhyâr de Taqî Ad Dîn al-Hisnî al-Dimachqî sur un texte de base d’Abû Chuja‘. Ce même texte de base, Ghâyat al-ikhtisar d’Abû
Chuja‘, est utilisé dans l’enseignement préparatoire avec son commentaire par Ibn Qâsim ar-Râzî. Ce texte de base a été traduit par Bousquet.
Actuellement on se tourne vers les auteurs plus anciens, comme ach-Chîrâzî. E. Chaumont prépare une traduction partielle de son
Muhadhdhab. Le Majmû‘ d’an-Nawâwî, commentaire de ce Muhadhdhab, fait place au droit comparé. As-Suyûṯî a écrit lui aussi un livre
sur les ressemblances.
Pour le hanbalisme, le Musnad (L’appui) d’Ibn Hanbal est un grand recueil de ẖadîth classés selon les transmetteurs. C’est la compilation de
base du rite. A al-Azhar on utilise dans l’enseignement supérieur Al-Mughnî de Ibn Qudâmâ qui est un commentaire de l’Abrégé de Khiraqî
(12 vol. ). Pour le secondaire on enseigne sur un texte de base de al-Khujawî avec son commentaire Ar-Rawd al-murbi‘. Dans
l’enseignement préparatoire : Nayl al-ma‘arib de Ibn ‘Umar sur un texte de base de Mar’î Bn Yûsuf, mais je n’ai pas trouvé ces ouvrages.
Laoust a traduit un manuel, le Kitâb al-‘umda fî ahkâm al –fiqh d’Ibn Qudâma.
Autres rites. Pour le zahirisme, l’auteur de référence est Ibn Hazm, al-Muẖalla. Pour le chiisme duodécimain (imamite), Tabâtabâ’i, An
introduction to Shî‘î Law, donne toutes les références souhaitables. Le dernier grand auteur est al-Ansârî qui a pratiquement refondé le droit
imamite. Pour le chiisme septimanain (ismaélien) la référence est le cadi Nu‘mân. Pour le zaydisme : Zayd Bn ‘Alî a écrit le plus ancien traité
de fiqh, partiellement traduit par Berque et Bousquet. En arabe, il est édité avec un commentaire. La référence principale du rite est al-
Murtaḏâ. Pour l’ibadisme, il existe, en arabe, plusieurs sommes aux dimensions décourageantes. Celle de ar-Rustâqî est la référence
principale. Ibn Baraka n’a que deux volumes.
Ouvrages modernes, introductions : La plupart des ouvrages modernes en langues européennes font plus ou moins l’impasse sur le culte, les
usûl, le califat, le droit pénal. Souvent les ouvrages de langue arabe font de même, ce qui indique bien a contrario que les parties vivantes du
droit musulman sont le statut personnel et le statut réel. L’école française d’Alger a produit un grand nombre d’introductions au droit musulman
(malékite) en mettant l’accent sur le statut personnel et les successions. Bousquet en a écrit trois, dont le meilleur est chez Armand Colin.
L’Introduction de Schacht suit le droit hanéfite. Goldziher et Khadduri-Liebesny font place au califat. Il existe de nombreuses introductions en
arabe, sourtout des cours. On a utilisé Zaydân qui n’évoque pas le statut personnel ni le califat. On cite souvent dans les textes des ouvrages
que je n’ai pas trouvés, ce sont : Az-Zarqâ, Al-madkhal al-fiqhî al-‘âmm ; Mahmasânî, Falsafa at-tachrî‘ fî l-islâm ; madkhal al-fiqh al-
islâmî ; Baltâjî, (Muhammad), Manâhij at-tachrî‘ al-islâmî fî al-qarn ath-thânî al-hijrî.
Traités : Le traité de Linant de Bellefonds, n’est pas complet, il ne traite que du statut personnel et du statut réel. La Shorter Encyclopaedia
of Islam, Brill est sommaire pour les parties juridiques. Le seul traité complet (sans le culte pourtant) est celui de Milliot dont réédition a été
heureusement corrigée par F.-P. Blanc. Voir aussi le traité de Colomer. En arabe, le traité d’al-Jazîrî (Abd Ar-Rahmân), est clair et détaillé,
mais il ne comporte pas de partie sur le jihâd, et une seule page sur le califat (t. 5, p. 353). Abû Zahra (Muẖammad) a rédigé une série
d’ouvrages dont l’ensemble constitue un véritable traité presque complet. La somme d’Az-Zuẖayli est bien complète, traitant du califat et du
jihâd, mais manque parfois de sérénité dès qu’il s’agit de comparer avec le droit positif. De plus l’ouvrage semble avoir été écrit à la hâte, et
on y trouve des répétitions et des contradictions.
Législations positives : On ne pourra donner ici que des indications sommaires en attirant surtout l’attention sur les revues fondamentales. Il
faudra se référer aux recueils bibliographiques cités au début. Un dictionnaire très récent est bien ouvert sur le monde contemporain est celui
d’Esposito. Sur le droit au Moyen Orient, on verra les travaux d’Amin, Anderson, Botiveau (Égypte, Syrie), Bleuchot (Soudan), Mostafa
(Soudan), Fluer-Lobban (Soudan). L’éditeur Kluwer Law a une série d’ouvrages très importants sur le droit arabe, ainsi qu’une revue Arab
Law quaterly. En français, Maghreb-Machrek reste indispensable. Pour l’Afrique noire voir Journal of African Law et Afrique
contemporaine. Pour le Maghreb c’est l’Annuaire de l’Afrique du Nord (AAN) et Maghreb-Machrek qui sont importants. Les ouvrages
de Etienne (Minorités), Borrmans, Charnay (La vie musulmane) et Collot sont devenus des classiques.
Élargissement : L’environnement théorique du droit musulman peut être connu grâce à Gardet (La cité musulmane). Plus sociologiques sont
les travaux d’Anderson, Ben Achour, Bousquet (Application), Rosen (The anthropology).
Il est indispensable que l’étudiant élargisse sa connaissance des disciplines susceptibles d’éclairer le droit en général. On n’a retenu qu’un
minimum d’ouvrages : en sociologie du droit : Lévy-Bruhl, Carbonnier, Rouland et seulement un article de Bourdieu pour sa problématique. En
histoire du droit : Ellul, Gaudemet, Rouland. En anthropologie : Geertz, Gellner, Gellner/Vatin, Grunebaum, le dictionnaire de Bonté / Izard. En
philosophie du droit : André-Jean Arnaud, Billier/Maryoli, etc. Un bon bagage théorique peut renouveler la matière, et les travaux de Dupret
montrent bien ce que l’on peut en tirer en anthropologie du droit musulman.
Culte
Culte musulman : Les traités classiques comportent tous une partie consacrée au culte, rarement traduite, voir les Ouvrages généraux.
Parmi les travaux contemporains, en français, on consultera la partie juridique du Traité moderne du chaykh Hamza Boubakeur. Il contient
notamment les prières à dire à chaque étape du culte et divers dessins explicatifs. Le Chaykh, comme ses contemporains d’ailleurs, dans le but
d’être proche de la mentalité actuelle, tend à réduire l’aspect ritualiste du culte et à mettre l’accent sur l’intention (nîya), et sur la facilité (Cf.
Cor. 2, 185). Il donne aussi souvent des justifications rationnelles à propos de tel ou tel acte de culte. Des points de vue anti-chrétiens et anti-
juifs se manifestent chez lui comme chez les autres auteurs contemporains, ce qui est normal dans les ouvrages de ce genre. Il faudra le
corriger par des vues comparatives puisées aux sources mêmes de chaque religion. Ce traité n’est pas le seul qu’on trouve. Le livre d’Eldjaziri
(La voie du musulman) est très souvent contesté. Les librairies islamiques ont de nombreuses brochures en français pour expliquer les
éléments du culte. En arabe, les travaux sont innombrables. Les recueils de fatâwâ sont particulièrement intéressants, comme celui de
Charbâsî, professeur à al-Azhâr et celui du chaykh Albânî qui rapporte aussi des fatâwâ classiques. Mais il en est d’autres.
Études diverses sur le culte : En français, le classique en la matière est le petit livre de Bousquet. Plus historique, en anglais : Lane. Sur le
pèlerinage : Gaudefroy-Demombynes, Peter, Turki / Souami. Sur les fêtes : Grunebaum. De nombreux travaux anthropologiques sont
passionnants. On les repèrera grâce à l’Encyclopédie de l’islam, et au livre récent dirigé par Sophie Ferchiou. Sur les cultes comparés :
Lazarus-Yafeh.
Élargissement. Nous avons fait un choix très serré en sociologie religieuse : Eliade et Couliano, Gauchet, Girard, Ikor, Kepel, Menschig,
Meslin, Piette, Puech, De Romilly, Rousseau, Wach, Weber, Willaime. Mais il est indispensable que l’étudiant en droit musulman ait une réelle
connaissance des trois monothéismes, c’est-à-dire puisée aux sources : toute étude comparée des religions qui veut être autre chose que
mythique ou idéologique doit se référer prioritairement à elles. Nous avons donc donné dans les bibliographies qui suivent les sources
fondamentales des trois monothéismes, que nous avons complétées par quelques autres ouvrages qui nous semblent sûrs.
Judaïsme : Pour les sources, on a d’abord La Bible dans la traduction du rabbinat français ; Le Pentateuque en 5 vol. textes et traduction ;
puis Le Talmud dont on trouve des traductions ; en droit, La table servie de Joseph Caro ; Le guide des égarés de Maïmonide et son Livre
des commandements. D’autres ouvrages seront aussi utiles : Abécassis et P. de Vaux (sur la Bible), Cohen et Steinsaltz (Talmud), Chouraqui
et Hayoun (pensée juive) ; Heineman (la loi) ; Schwarzfuchs (communautés juives) ; Lewis, Bat Ye’or et Poliakov (histoire des minorités
juives) ; Bin-Nun (droit d’Israël). Il existe aussi une Encyclopédie du judaïsme en français, par Wigoder.
Christianisme : Sources. D’abord La Bible (ancien et nouveau testament) dans sa traduction oecuménique et dans celle de Jérusalem. Pour
le catholicisme : Les déclarations concilaires compilées par Alberigo, et, pour Vatican II, en édition bilingue à part. Le livre de Dumeige est
une anthologie de ces textes conciliaires, classés dans l’ordre de la théologie catholique. Sont encore des sources officielles Le Catéchisme de
l’Église catholique, et celui des évêques de France. En droit canonique le Code de 1983. Les ouvrages fondamentaux de théologie sont La
Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin (traduite et rééditée) pour le moyen âge, et pour le xxe siècle, L’Encyclopédie de la foi de
Fries. On verra aussi une bonne histoire de l’Église, celle de Rogier / Aubert / Knoles par exemple, et pourquoi pas un texte de Jean-Paul II.
Dans un esprit de bonne vulgarisation l’encyclopédie Théo, est largement ouverte sur l’histoire. Pour les protestantismes on trouve Luther et
Calvin en livre de poche. Emile Léonard a écrit une somme historique importante. Le Livre de Feiner est la meilleure introduction aux
théologies chrétiennes qui y sont décrites avec leurs convergences et divergences. Les livres sur l’Église et l’État, sur la laïcité, etc.,
foisonnent. On a retenu Poulat à cause de la richesse de son information et la profondeur de ses points de vue. Il en est de même en ce qui
concerne les dialogues interreligieux. L’œuvre de H. Kung se signale par son ouverture. Sur le dialogue islamo-chrétien, voir la revue
Islamochristiana, très riche. On dispose d’un colloque fort intéressant avec celui de Kerrou / Noak-Spâth.
Islam : Voir notre tome 1, p. 393-394. Rappelons-en l’essentiel. Les sources. Le Coran d’abord avec ses traductions (Blachère, Berque,
Masson, Hamidullah, Hamza Boubakeur). En théologie, l’ouvrage de référence est celui de al-Îjî commenté par Jurjânî, malheureusement non
traduit. En français on a le traité récent de Hamza Boubakeur, déjà cité. En outre, nous recommandons : Corbin (philosophie), Arkoun (pensée
arabe), Merad (islam contemporain), Charnay (Sociologie religieuse), tout Gardet / Anawati, Laoust (Schismes), Popovic / Veinstein, Chevalier
(soufisme), Sourdel (histoire) ; et bien sûr l’Encyclopédie de l’islam. Pour le droit voir ici, plus haut..
Califat
Sources classiques : Les traités de droit ne comportent pas de grands développements sur le califat, quelques lignes ou une page (avec les
commentaires) que l’on trouve généralement dans la partie pénale, au chapitre de la rébellion. On en a donné la liste plus haut (voir Ouvrages
généraux). Les grands auteurs classiques qui ont traité du califat ou de questions politiques sont les suivants : al-Fârâbî, al-Mâwardî (al-
Aẖkâm), al-Ghazzâlî (al-Iqtisâd), Bâqîllânî (Tamhîd), Ibn Ruchd, Badr ed-Dîn bn Jama‘a (Ch, ob. 1333), an-Nasafi, Ibn Khaldûn, Ibn Taymîya
(Siyâsa, Minhâj), Abû Ya‘lâ, Al-Hillî (Minhâj), Aṯ-Ṯûsî, Îjî et Jurjânî, Fakhr ad-Dîn ar-Râzî, Ibn Hajar (Fatẖ al-Bârî), Taftazânî, al-Baghdâdî,
al-Ach‘arî (Maqallat), Ibn Hazm (Milal, Muẖalla), Chahrastânî (Milal, trad.). Les principaux théoriciens musulmans contemporains sont
traduits et étudiés. On pourra lire en français Rachîd Riḏa (trad. Laoust), ‘Alî ‘Abd ar-Râziq (Irad. Filali-Ansari), ‘Abd ar-Razzâq as-Sanhûrî
(qui écrivit en français, voir Sanhouri en II), Muẖammad Sa‘îd al-‘Ichmawî (trad. Jaquemond). Mais bien des œuvres restent encore à
traduire.
Études contemporaines : Les grands classiques de l’orientalisme sur le califat sont : Arnold (The califate), Laoust (Essai sur... Ibn
Taymîya ; La politique de Ghazzâlî), Tyan (Institutions), et plus largement, sur la philosophie et la théologie politique de l’islam : La Cité
musulmane et Dieu et la destinée de l’homme (p. 411-474) de Gardet, les Schismes de Laoust, Political Thought de Rosenthal, et
l’importante étude de Gimaret sur al-Ach‘arî. On dispose aussi en français de bons articles, signalons entre autres, Delanoue, Mazaheri,
Veinstein et d’autres dans Les Annales de l’autre islam.
Élargissement : La bibliographie est immense dès que l’on sort du problème étroit du califat et que l’on envisage en général les rapports de
l’islam et de la politique ou les problèmes de science politique ou économique. Ces travaux sont à connaître, car on ne peut faire du droit dans
l’abstrait. Mais on comprendra qu’on ne puisse donner ici que quelques points de départs et seulement en langues européennes.
Les thèmes politiques généraux sont actuellement délimités par l’opposition du laïcisme et de l’islamisme, mais le réformisme, le nationalisme,
le socialisme... ont eu leur heure de gloire. Sur le réformisme, Kerr, Tapiéro, Jomier, Delanoue (Moralistes), etc. Sur l’islamisme : Carré
(Mystique et politique, L’islam et l’État) et Carré / Michaud, Kepel (Le prophète, Expansion, etc.), Etienne (L’islamisme radical), Burgat
(L’islamisme en face), O. Roy (L’échec). Les Jalons de Sayyed Qutb ont été traduits en français. Sur l’ensemble des idées : Hourani (Arabic
Thought), Djaït (La personnalité), Laroui (L’idéologie, La crise). Une bonne vue d’ensemble par Mérad (bibliographie).
Les études de science politique, générales ou par régions ou États sont très nombreuses. On n’en citera que quelques unes, pour permettre à
l’étudiant de démarrer. Les ouvrages et L’État nouveau de Yadh Ben Achour, de Badie (Les deux États), sur le plan théorique et Flory-
Mantran (Les régimes politiques arabes) en science politique ont des bibliographies importantes qu’il est inutile de reproduire ici. Voir aussi
Carré (L’islam et l’État) et le n° spécial de la revue Pouvoirs, 1983, Les régimes islamiques. Il faut absolument compléter ces indications par
les bibliographies et études de l’Annuaire de l’Afrique du Nord (AAN, depuis 1962). Pour le Machreq, les études françaises ne sont pas
rares. L’ouvrage excellent de Corm (Le Proche-Orient éclaté, 2000), aisément accessible dans la collection Folio et qui comporte une
importante bibliographie, nous dispense de les citer. On ne dispose pas pour le Moyen-Orient malheureusement d’un instrument comme l’AAN.
Les revues Maghreb-Machreq et Les Cahiers de l’Orient rendront d’immenses services. Au moment où j’écris, j’apprends que ces revues
ont été arrêtées par le ministère. C’est évidemment une décision irresponsable et scandaleuse.
Il ne faut pas oublier que le monde musulman ne se résume pas au monde arabe. La Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Aghanistan, l’Inde,
l’Indonésie constituent des pôles essentiels. Il y a aussi les marges de l’islam en Afrique, en Asie, en Europe. On aura intérêt à fouiller les
revues et bibliographies de langue anglaise qui repèrent assez bien les traductions du persan, de l’urdu et autres langues extrême-orientales.
Jihâd
Sources classiques : Les ouvrages de droit signalés sous le titre Ouvrages généraux comportent tous un chapitre sur le jihâd. De même
presque tous les traités relatifs au califat ont des passages plus ou moins longs consacrés au devoir du calife d’ordonner le jihâd, ou sur
l’organisation de l’armée, son commandement, etc. On y ajoutera les auteurs suivants : Abu Yûsuf (Kharâj), ach-Chaybânî (as-Siyâr al-
kabîr), al-Mâwardî (al-Aẖkâm), aṯ-Ṯabarî (édition Schacht), as-Sarakhsî (Charẖ), Ibn Taymîya (Siyâsa), Ibn Khaldûn (Muqaddima). En
traduction, signalons celles de Bousquet sur al-Qudûrî, de Peters sur Ibn Ruchd, de Khadduri sur ach-Chaybânî, de Hamidullah sur Sarakhsî,
de Mercier sur Ibn Hudayl.
Études : En langues européennes, les études de Mercier et Fagnan sont anciennes mais toujours à lire. Khadduri et Morabia sont les
classiques de la discipline. Charnay (Islam) envisage la question de manière sociologique. Sivan apporte un éclairage sur le jihâd pendant les
croisades et Peters (Islam and Colonialism) sur l’histoire des doctrines contemporaines. Pour une approche comparative, il faut noter Weber
et Reynaud et le petit livre de Ruelland. Sur les tributaires, Fattal est l’ouvrage classique, très complet. Très informés sont les ouvrages plus
récents de Abû Salieh et le collectif dirigé par A. Pacini. Bat Ye’or apporte du nouveau et remet en cause l’idée de l’islam tolérant : c’est
donc à lire si l’on n’est pas d’accord. Très critique aussi (envers toutes les religions d’ailleurs) est Ibn Warrâq. Tous ces ouvrages comportent
des bibliographies abondantes. Une bonne thèse de science politique, celle de Muriel Paradelle, est à lire. Parmi les articles, il ne faut pas
oublier Canard. J’en ai écrit plusieurs sur le sujet.
Ouvrages contemporains en arabe. Ils sont extrêmement nombreux et il s’en publie plusieurs dizaines par an. Il existe notamment une
importante “littérature de mobilisation” à toutes les époques, ainsi que des fatâwâs à chaque grand événement. On repèrera tout cela d’après
Peters (Islam and Colonialism) et d’après les revues comme Maghreb-Machrek, Islamocristiana, etc. Parmi les théoriciens
contemporains, on remarquera : les tradilionnalistes et réformistes : al-Bûṯî, Abû Zahra (‘Alâqât), Chaltût, az-Zuẖaylî (Alhâr), Mansour,
Mawdûdî. Les islamistes et frères musulmans : al-Banna, Quib (Jalons). Ont été traduits : al-Bouti, Chaltût, Qutb.
Justice et procédure
Sources classiques : Tous les traités de droit signalés parmi les Ouvrages généraux comportent plusieurs chapitres sur les questions de
procédure. On ajoutera aux auteurs cités dans le chapitre du califat (al-Mâwardî, Ibn Taymiya, ibn Khaldûn) ceux-ci : Ibn Qayyim al Jawzîya
(Turûq), al-Qarâfî, at-Tarabulsî, Ibn Farhûn.
Études : En langues européennes, le classique est l’ouvrage de Tyan sur l’organisation judiciaire. Celui de Khadduri sur la justice est aussi à lire
comme un classique. Pour les articles, on verra ces deux auteurs, mais aussi Johansen qui apporte toujours du nouveau. En langue arabe, il
existe de nombreuses thèses de qualité. On n’a pu relever que les ouvrages de Ryâd et de Ma‘jûz.
Le droit pénal
Sources classiques : Tous les traités de droit signalés parmi les Ouvrages généraux comportent plusieurs chapitres sur le droit pénal. On
ajoutera aux auteurs cités de la bibliographie du califat (al-Mâwardî, Ibn Taymiya, Ibn Khaldûn) et celle de la procédure (Ibn Qayyim al
Jawzîya, at-Tarabulsî, Ibn Farhûn) les contemporains de langue arabe : ‘Abd al-Qâdir ‘Awdah qui a relancé la préoccupation des musulmans
envers le droit pénal islamique vers 1950, et, sur ses traces, Abû Zahra, az-Zuẖaylî, Draz et bien d’autres. Adh-Dhahabî défend l’efficacité des
ẖudûd.
Études : En langues européennes, il n’existe pas d’ouvrages spécialement consacré au droit pénal musulman. Ceux de Lacheraf et Mostafa
ne portent que sur le droit égyptien et traitent mal du droit islamique. Celui dirigé par Bassiouni est très insatisfaisant. Les ouvrages généraux
de Milliot / Blanc, Schacht, Bousquet, etc. comportent un chapitre consacré au droit pénal. Heyd est le classique du droit ottoman et Heidborn
donne les textes. Le long article de Vassalli (Giuliano), montre la distance qu’il existe entre la le droit pénal islamique et les conceptions
occidentales. Pour lui “reste fondamental et comme immanent dans le droit islamique le danger d’excès dans la répression pénale et de la
facile justification de ces excès”. Nombreux sont les articles de qualité : Atallah, Botiveau, Chelhod, al-Muhaïri, Sorour, Tellenbach, et bien
d’autres. Sur l’application du droit pénal musulman, le livre de Larguèche apportera une vision non mythique des réalités de la Tunisie au xviiie-
xixe siècle. On ne peut que souhaiter la multiplication de travaux de ce genre. En langue arabe, on doit signaler ceux de Bahnasî (tendance
réformiste), du criminologue égyptien Surûr et d’Abû l-‘Aynân.
Élargissement. L’étudiant doit élargir sa culture par l’histoire du droit pénal avec Laingui-Lebigre, et récemment Carbasse. Le droit comparé
offre aussi de larges perspectives de “dépaysement anthropologique”. L’ouvrage de Pradel comble heureusement une lacune dans la série des
traités.
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III. RÉFÉRENCES EN LANGUE ARABE ET TRADUCTIONS
Le lecteur trouvera dans le tome I, annexe 2, des notices sur les principaux juristes arabes classiques et leurs ouvrages, recueil de hadîth,
ouvrages de tabaqât, vies du Prophète, etc. Il trouvera ici seulement les références des ouvrages cités dans le texte et dans l’orientation
bibliographique du tome II. On a traduit la plupart des titres des ouvrages de fiqh classique pour donner une idée de leur étrange poésie, mais
habituellement on n’est pas tenu de le faire.
‘ABD AL-BÂQÎ (Muhammad Fu’ad), al-Mu‘ajam al-mufahras li-alfâz al-Qur’ân al-karîm, (Dictionnaire-index des mots du Coran),
Beyrouth, s. d., Dâr al-fikr, 782 p.
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1994, La découverte-CEDEJ. (bibliographie).
ABÛ CHALJI, Mawsû‘a al-adhâb (Encyclopédie de la torture), Londres et Beyrouth, Dâr al-‘arabîya lil-mawsû‘ât, 7 vol.
ABÛ CHUJA‘, Ghâyat al-ikhtisdr (L’extrême de l’abréviation), traduction Bousquet, Revue algérienne, tunisienne et marocaine de
législation et de jurisprudence, 1935, p. 193-207 et 1936, p. 1-16. Cf. Ibn Qâsim ar-Râzî et al-Hisnî.
ABÛ JÎB (Sa‘dî), Al-qamûs af-fiqhî lughatan wa istilâhan (Dictionnaire juridique, langue et technique), Damas, 1982, Dâr al-fikr, 400 p.
ABÛ L-‘AYNÂN (‘Abd al-Fattâh Muhammad), ‘Uqûbat s-sariqa fi al-fiqh al-islâmî (La peine pour vol dans le droit islamique), Le Caire,
1983, 376 p. (bibliographie)
ABÛ YÛSUF (Yaqûb), Kitâb al-kharâj, in Mawsû‘a al-Kharâj (Encyclopédie de l’impôt foncier), Beyrouth, Dâr al-Ma‘rifa, s. d., p. 1-244.
trad Fagnan, Le livre de l’impôt foncier, Paris 1921.
ABÛ ZAHRA (Muhammad), al-Jarîma (L’infraction), Le Caire, s. d., 480 p.
ABÛ ZAHRA (Muhammad), al-‘Uqûba, (La peine), Le Caire, s. d., 534 p.
ABÛ ZAHRA (Muhammad), Al-‘alâqât d-duwalîya fi zill l-islâm (Les relations internationales à l’ombre de l’islam), Le Caire, Dâr al-fikr
al-‘arabî, s.d.
ABÛ ZAHRA (Muhammad), Usûl al-fiqh (Fondements du droit), Le Caire, Dâr al-fikr al-‘arabî, s.d., 392 p.
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moyenageuse), Le Caire, Sinâ lin-nachr, 112 p.
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celles des ulémas), Beyrouth, 1995, Dâr al-jîl, 644 p.
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chûrûq, 192 p.
BAHNASÎ (Ahmad Fathî), al-Jarâ’im fî l-fiqh al-islâmî, dirâsa fiqhîya muqârana (Les crimes en droit islamique, étude comparée), Le
Caire, Beyrout, 1983, Dâr ach-chûrûq, 268 p.
BAHNASÎ (Ahmad Fathî), Mawqif ach-charî‘a min nazarîyat d-difâ‘ al-ijtimâ‘î (Position de la loi islamique devant la théorie de la défense
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faut pas ignorer), Le Caire, s. d., 3e édition, 208 p.
BÂQILLÂNÎ (Abû Bakr al-), at-Tamhîd fi r-radd ‘alâ l-mulhida... (La facilité pour répondre à l’athéisme...), Le Caire.
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comment le comprendre ? et comment le pratiquer ? Damas, 1996, Dâr al-fikr, 328 p.
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CHAYBÂNÎ, Kitâb as-siyâr al-kahîr, (Le grand livre des expéditions), 4 vol, avec le commentaire de Sarakhsî, Mahad al-makhtûtât bi-
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composé par lui-même, 2 vol. , (ouvrage de l’enseignement secondaire d’Al Azhar)
DARDÎR, Ach-Charh al kabîr (Le grand commentaire) sur le texte de base de Khalîl, et supercomm. d’ad-Dasûqî, 4 vol, (ouvrage de
l’enseignement supérieur malékite d’Al Azhar)
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lui-même un commentaire du Tanwîr al-Absâr (L’illumination des regards) de TIMURTÂCHÎ, plusieurs éditions dont celle en 8 vol chez al-
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IBN ABÎ ZAYD AL-QAYRAWÂNÎ, Ar-Risâla, nombreuses ed. arabes, trad. Bercher (Léon), La risâla, Epitre sur les éléments du
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IBN ‘ARAFA, Hudûd (Les définitions), commenté par AR-RASSÂ’ dans al-Hidâya al-Kâfiya ach-châfîya (La voie droite suffisante et
guérissante), Beyrouth, 1993, Dâr al-gharb al-islâmî, t. 2, p. 659.
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IBN HANBAL, Al-Musnad (L’appui), 8 vol. Beyrouth, s. d., Dâr Sâder.
IBN HAZM (Abû Muhammad ‘Alî), al-Muhalla, (L’embelli), II vol, rééditions nombreuses.
IBN HAZM (Abû Muhammad ‘Alî), Al-ihkâm fi usûl al-ahkâm, (La maîtrise dans les fondements des statuts), 8 vol. Le Caire.
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Couverture
Informations bibliographiques
Sommaire
Avant-propos
Transcription
Introduction générale
Tome premier. Histoire du droit musulman
Périodisations
Chapitre I. Formation des sources du droit musulman
Chapitre II. Formation des principaux rites du droit musulman
Chapitre III. L’époque classique des rites
Chapitre IV. L’époque moderne
Conclusion de la partie historique
Annexes du tome I
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4
Annexe 5
Tome II. Fondements, culte, droit public et mixte
Introduction au tome II
Chapitre V. Les fondements du droit musulman
Les branches du droit musulman
Introduction. Les sources formelles du droit musulman
Chapitre VI. Le culte
Le droit public
Généralités
Chapitre VII. Le califat
Chapitre VIII. Le jihâd
Le droit mixte
Introduction
Chapitre IX. Organisation judiciaire et procédure
Chapitre X. Le droit pénal
Annexe. Les islamismes, histoire et débats
Bibliographie

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