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QUE SAIS-JE ?

La méthode en histoire
GUY T H U I L L I E R
Directeur d'études à l'Ecole pratique
des Hautes Etudes (IV section)

JEAN TULARD
Professeur à l'Université de Paris-Sorbonne
Directeur d'études à l'Ecole pratique
des Hautes Etudes (IV section)

Troisième édition corrigée


16e mille
DES MÊMES AUTEURS
dans la même collection

Histoire de l'administration française, 1984, 2 éd. 1993 (n° 2137).


Les écoles historiques, 1990, 2 éd. 1993 (n° 2506).
Le métier d'historien, 1991 (n° 2615).
Histoire locale et régionale, 1992 (n° 2682).
Le marché de l'histoire (sous presse).

ISBN 2 13 045809 2

Dépôt légal — 1 édition : 1986


3 édition corrigée : 1993, août
© Presses Universitaires de France, 1986
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
PRÉFACE

I. — « Ce que je reproche à l'histoire, déclarait


Valéry (1), c'est le peu de conscience qu'elle a de ce
qu'elle est, du métier qu'elle fait, de ce à quoi elle
répond (...) et ce qu'elle produit. » L'historien ne
s'intéresse pas assez au faire de l'histoire, il n'enseigne
guère comment travailler, il n'aime guère donner des
conseils techniques sur le métier d'historien : Marc
Bloch avait, certes, ressenti ce besoin dans Apologie
pour l'histoire, mais son exemple n'a pas été imité et
l'on ne peut mettre aux mains des débutants les ouvrages
complexes d'un Raymond Aron ou d'un Paul Veyne :
aucun livre comparable au Travail intellectuel (1951)
de Jean Guitton n'existe actuellement en ce domaine
— ce qui entraîne sans doute un grand gaspillage de
temps et d' efforts : on reste fidèle à une conception
purement artisanale, on considère que chacun doit se
débrouiller, inventer ses propres méthodes de travail.

II. — On comprend bien la gêne des historiens : Il


n'est pas aisé de donner des conseils pratiques, chaque
secteur d'histoire ayant ses règles propres, ses exi-
gences : histoire économique, sociale, politique, diplo-
matique... Nous essaierons cependant, en restant à ras
de terre, de donner des conseils très généraux et

(1) Cahiers, XXVI, p. 42.


d'aider les chercheurs à bien gérer leur temps ; ce petit
livre repose sur certains principes :
1. Nous nous limitons à l'histoire proprement « con-
temporaine », au sens universitaire du terme, c 'est-à-dire
à partir des années 1780, et aux types de travaux les
plus courants.
2. Nous nous adressons à deux catégories de cher-
cheurs : l'étudiant ou le professeur qui a en vue une
épreuve universitaire, mémoire ou thèse, et l'historien
« non professionnel », qui fait des recherches « pour
son plaisir », qu'il soit professeur de lycée, notaire ou
ingénieur à la retraite.
3. Nous ne décrirons pas ici les multiples querelles
de chapelle ou d'école, les débats pour ou contre
l'histoire « événementielle » (ou l'histoire-batailles),
pour ou contre la « longue durée », les polémiques sur
le sens de l'histoire ou la priorité de l'économie ; il
s'agit là de débats pour partie dépassés, qui mérite-
raient un autre volume.
4. Nous cherchons à donner des orientations, des
conseils pratiques, en descendant au niveau de la fiche
ou de la rédaction : il s'agit non d'édicter des règles
(ce qui serait absurde), mais de faire prendre cons-
cience au néophyte d'un certain nombre de problèmes
d'organisation de son travail.
5. Nous restons fidèles à une conception positive,
assez restrictive de l'histoire : pas d'histoire sans
document ni critique du document (infra, p. 78), un
jugement non appuyé sur un document vérifié n'est
le plus souvent qu 'une opinion « littéraire » ou « philo-
sophique », et ne relève pas de l'histoire proprement
dite (il ne faut pas confondre les genres) (2).

(2) L'histoire aujourd'hui tend à se confondre — aux yeux du public —


avec l'essai philosophique, le roman (la biographie romancée), l'enquête
du journaliste : elle n'est plus liée aux documents, elle est nulle part et
partout.
6. Enfin cet ouvrage ne s'adresse qu'au chercheur
individuel et ne concerne pas le travail d'équipe où les
missions sont distribuées d'avance par le responsable
et la méthode de recherche définie par ce dernier.

III. — Force est bien de constater l'attrait actuel de


l'histoire contemporaine : la Bibliographie de l'his-
toire de France pour 1991 comporte 15 467 références
à des livres et des articles ; plus de la moitié concerne
la période 1800-1958, dont 18 % pour la seule
période de 1870-1940 (3) : on s'intéresse de plus en plus
au XXe siècle. Or plus des quatre cinquièmes de ces
travaux sur le XIXe et le XXe siècle sont le fait dhis-
toriens « non professionnels », dérudits locaux, de
médecins, d'ingénieurs, de professeurs, d'ecclésias-
tiques : jamais /'histoire non professionnelle ne s'est
mieux portée ; or si les historiens universitaires connais-
sent en principe, par la force des choses, les règles du
jeu du métier historique, il n'en est pas de même
toujours de ces historiens non professionnels, qui
doivent chacun constituer leurs méthodes de travail.

IV. — Il est évident que nous serons amenés à forcer


le trait pour des raisons pédagogiques, à énoncer des
choses évidentes, banales, qui vont de soi : c'est la
règle de l'exercice ; il ne s'agit nullement d'établir un
code, mais d'expliquer quelques règles d'ordre comme
dans la prière de saint Thomas (3) : Ingressum ins-
truas — Progressum custodias — Egressum impleas
(veille sur les préparations, surveille les progrès,
accomplis les fruits).

(3) La Bibliographie donne pour les années 1870-1940 4 220 références,


en 1991, contre 3 000 en 1986 : on voit la progression.
(4) Citée par J. Guitton, Le travail intellectuel, 1951, p. 30.
Nous voulons simplement répondre à certaines inter-
rogations que se posent souvent l'étudiant et l'érudit :
— Comment choisir un sujet? (1re partie) ;
— Comment organiser son travail? (2e partie) ;
— Comment rédiger? (3e partie).

Mais il convient de rappeler auparavant comment


la méthode historique s'est peu à peu dégagée, tel sera
le thème de notre introduction.
INTRODUCTION

Avant de se lancer dans la recherche historique,


l'étudiant ou l'amateur éclairé doivent prendre cons-
cience qu'ils ont eu des prédécesseurs. Ils ne peuvent
entièrement faire table rase des ouvrages qui les ont
précédés, ce qui les exposerait à des redites ou les
condamnerait à croire qu'ils innovent alors qu'ils ne
font que reprendre des lieux communs. Une culture
historique est indispensable et les problèmes histo-
riographiques doivent être parfaitement assimilés.

I. — L'histoire de l'histoire

Pierre Chaunu le rappelle : l'histoire de l'histoire,


comme d'ailleurs l'histoire de toute discipline, est
essentielle ; elle nous aide à prendre conscience de
« cet ensemble de procédés techniques éprouvés qui
constituent la méthode historique » (1).
Longtemps l'histoire a hésité entre la compilation
sans esprit critique de documents et la défense de
légendes comme la fondation de Paris par le fils de
Priam. Les bénédictins de Saint-Maur ouvrent la
voie à Voltaire. C'est au XIX siècle que la recherche
historique s'organise en rapport avec deux facteurs
déterminants : la puissance renforcée de l'Etat et la
montée des nationalismes.
En France l'Académie des Inscriptions et Belles-

(1) P. Chaunu, Histoire, science sociale, p. 21.


Lettres reprend les grandes collections : ordonnances
des rois de France et recueil des historiens des Gaules
et de la France. On assiste à la création de l'école des
chartes en 1821, et à la fondation du comité des
Travaux historiques en 1834 en vue de la publication
de « documents inédits de l'histoire de France » (2).
Suivra l'établissement de la Société de l'Histoire de
France en 1835.
Une génération d'historiens apparaît : Guizot,
Thiers, Michelet, Augustin Thierry, Barante... Le
goût va vers la fresque : Histoire de la Révolution de
Michelet, Histoire du Consulat et de l'Empire de
Thiers, Histoire de la Révolution d'Angleterre de
Guizot, Histoire des ducs de Bourgogne de Barante.
C'est le triomphe d'une histoire narrative dont se
distingue Tocqueville (L'Ancien Régime et la Révo-
lution, De la démocratie en Amérique) ou encore
Taine (Les origines de la France contemporaine) dont
les idées suscitent de vives discussions.
Sur la couverture de la Revue historique, Gabriel
Monod place une formule du De oratore de Cicéron :
« La première loi de l'histoire est de ne rien oser dire
de faux, la seconde d'oser dire tout ce qui est vrai. »
Telle est la méthode que nous lègue le XIX siècle.
Quant au but, Michelet l'a défini comme « la résur-
rection intégrale de la vie ».
Au départ la méthode est simple et l'objectif clair,
mais très vite les querelles des écoles vont tout
brouiller. Si l'on s'en tient à un schéma très orienté
mais fort commode, on serait parti de l'histoire-
bataille pour aboutir à l'histoire non événementielle.
(2) Il s'agissait aussi d'orienter les activités des sociétés savantes, notam-
ment par un congrès national annuel qui se tient régulièrement de-
puis 1861. Le Comité a été réorganisé en 1983 au sein du ministère de
l'Education nationale. Ses rapports avec l'Université sont évidents puisque
le siège de chaque congrès est obligatoirement dans une ville universitaire.
Les actes sont publiés et constituent une mine précieuse de renseignements.
A l'origine une histoire traditionnelle privilégiant
l'événement politique, peu soucieuse d'expliquer, pré-
férant décrire, hostile à la longue durée qui interdit
tout approfondissement, refusant l'histoire immédiate,
comme trop contemporaine, manquant de recul et
assimilée au journalisme. Ce sont les conceptions
attribuées à la Sorbonne, à Lavisse et à Seignobos (3).
Dans son introduction aux Historiens français du
XIXe siècle (4), Camille Jullian définit les règles de ce
qu'on appellera par la suite, avec une nuance péjo-
rative, « l'histoire positiviste ». « Le premier devoir
de l'historien est de se mettre au travail sans préjugé,
sans colère, sans idée ni passion préconçues. » Faire
abstraction de soi-même ; ne pas transposer dans le
passé les pensées de son temps. Déjà Fustel de Cou-
langes : « Transporter dans des siècles reculés les
idées du siècle où l'on vit, c'est, des sources de
l'erreur, celle qui est la plus féconde. » Et Jullian :
« Soyez Gaulois avec les Gaulois et Franc avec les
Francs. »
La première base du travail historique est, aux
yeux de Jullian, la lecture du document. Sans do-
cuments, pas d'histoire. Il faut les lire tous, et sinon
ne lire qu'eux, du moins n'accorder qu'à eux une
entière confiance. Le document date de l'époque
étudiée : il peut être une pièce imprimée ou un monu-
ment, une monnaie ou un tableau.
Lire ne suffit pas. « Il faut apprécier et juger. »
Jullian se fait explicite : « Pour faire la critique d'un
texte, on aura soin de s'informer des manuscrits qui
l'ont transmis, de manière à n'avoir d'abord aucun

(3) L'Histoire de France de Lavisse. malgré le vieillissement de certains


volumes, est restée jusqu'à nos jours comme un modèle inégalé. Seignobos,
qui y collabora, avait écrit, avec Langlois, une Introduction aux études
historiques.
(4) C. Jullian, Extraits des historiens français du XIX siècle (1896 plu-
sieurs rééditions).
doute sur l'authenticité et la constitution de la phrase
même. Puis il convient de définir chacune des expres-
sions dont elle se compose et d'en arrêter le sens,
non pas d'une manière générale, mais à l'époque pré-
cise où ces textes ont été écrits. Enfin on ne sépa-
rera jamais le texte du contexte, c'est-à-dire de ce
qui précède et de ce qui suit : on le replacera dans
la pensée de l'auteur, et on ne lui fera dire que ce que
l'auteur a exactement voulu lui faire dire. »
Rigueur et probité fondées sur le culte du do-
cument et de lui seul. Ecoutons encore Jullian :
« L'étude du document est le commencement et la
fin de la vraie science. Il est utile de lire les ouvrages
écrits par les modernes ; il est nécessaire de leur
rendre hommage quand ils ont trouvé avant nous la
vérité. Les consulter est un devoir d'historien ; les
citer quand on les utilise est un devoir d'honnête
homme. Mais la conviction ne doit pas se former
par leur lecture mais par celle des documents. »
Hypercritique, telle apparaît l'histoire dite positi-
viste dans sa première démarche. « La lecture et la
critique des textes forment la première partie du travail
historique : c'est l'analyse. Les grouper et tirer de
leur concordance une conclusion en est la seconde
partie : c'est la synthèse. Avant de conclure, il faut
hésiter longtemps, voir et revoir encore les textes :
des années d'analyse avant une heure de synthèse. »
Le propre de l'historien : le scrupule. Il faut éviter
de trop embrasser ou de s'avancer sans preuves. Les
pièces justificatives à la fin du volume ont un rôle
essentiel au temps de Jullian.
De ce souci de précision et d'exactitude, on a conclu
que l'école positiviste ne voyait les problèmes que par
le petit bout de la lorgnette et ne s'attachait qu'à
l'histoire politique. Erreur totale. Jullian est formel :
« Pour dresser le tableau d'une époque ou décrire la
vie d'un pays, il ne suffit pas de parler des institutions
ou de raconter les événements. Une nation est un
être complexe dont il faut retrouver tous les éléments
d'action. » Jullian cite Michelet : « Tout influe sur
tout. A l'histoire politique, conclut-il, doit se joindre
celle des arts, de la religion, des mœurs et du sol
même du pays (comprenons de la géographie). » Re-
tour à Fustel de Coulanges : « L'histoire n'est pas
l'accumulation des événements de toute nature qui se
sont produits. Elle est la science des sociétés hu-
maines. » Il s'agit de reconstituer le passé et de lui
rendre sa forme authentique.
On le voit, d'emblée l'historien revendique son
bien un peu partout. Il est impérialiste. Rien ne lui
échappe.
Quant à la présentation des faits, la forme est impor-
tante. « Autant que possible, note Jullian, l'historien
sera simple et précis dans son style. Il s'effacera devant
ses documents ; il laissera parler ses auteurs. L'his-
toire la plus séduisante sera peut-être celle où l'écri-
vain apparaîtra le moins et où le lecteur sera plus
directement frappé par l'expression de la vérité. »
Un style clair et dépouillé, sans apprêts ni artifices,
objectif comme celui d'un procès-verbal, ce qui
n'exclut pas d'être agréable à la lecture. Mais tout
doit être subordonné à l'exactitude. « La vérité est
dans une œuvre la source même de toute vie. L'his-
toire est un art à la condition d'être d'abord une
science. »
Sans cesse sur le métier remettre son ouvrage ;
un siège n'est jamais fait : « L'obligation de l'his-
torien, son œuvre achevée, est de la revoir et de la
refaire encore. Il se souviendra toujours que, selon
le mot de Renan, sa science est une science conjec-
turale. Le propre de sa tâche est de douter. Il cherchera
— soit donner des orientations de lecture, une biblio-
graphie sommaire, sélective, ce qui comporte tou-
jours beaucoup d'arbitraire ;
— soit établir une bibliographie exhaustive (comme
dans les travaux universitaires) : il existe plusieurs
méthodes, mais, à notre avis, il vaut mieux éviter
de fragmenter cette bibliographie en chapitres (ce
qui introduit beaucoup d'arbitraire), et donner une
bibliographie par ordre alphabétique (en histoire
de l'art, l'habitude est prise de l'établir par ordre
chronologique des ouvrages, ce qui permet de
dresser ainsi une « fortune critique » du sujet (2) ;
cette méthode peut s'appliquer notamment aux
biographies). Un certain nombre de précautions
doivent être prises :
1) il faut que les descriptions des livres et articles
soient homogènes; la présentation doit être
identique dans les notes et dans la bibliogra-
phie... (supra, p. 113) ;
2) il faut indiquer (si possible) le chiffre des pages
des articles (ce qu'on oublie souvent) et le
nombre de pages d'un livre, car ce sont là des
indications utiles pour les historiens qui tra-
vailleront sur le même sujet ;
3) il faut limiter strictement la bibliographie au
sujet traité, et ne pas chercher à la gonfler
inutilement ;
4) quand un livre est fort rare, il faut indiquer le
dépôt (et la cote), si on ne l'a pas signalé pré-
cédemment dans une note de l'ouvrage.
Il faut préparer avec le plus grand soin la biblio-
graphie, car c'est la partie souvent la plus lue ; fré-
quemment il faut aller vérifier à nouveau les titres

(2) Cf. J. Thuillier, art. cité, p. 164-169.


d'ouvrages, les prénoms des auteurs (il n'est pas bon
d'abréger les prénoms comme cela se fait très souvent),
ou la pagination d'un article. Rappelons qu'il convient
d'exclure d'une bibliographie les ouvrages trop géné-
raux : une bibliographie doit être utile.
Revenons à ce problème capital du classement
des titres.
— On peut ranger les ouvrages selon l'ordre alpha-
bétique des auteurs. Cette présentation est commode
à qui veut retrouver un nom.
— On peut aussi les classer par dates de parution.
La chronologie permet de suivre l'évolution d'un
problème : plusieurs livres à un certain moment puis
abandon pendant une décennie et regain d'intérêt en-
suite. L'avantage du classement chronologique est
de permettre de savoir tout de suite quelle est l'étude
la plus récente sur la question.
— On peut également fragmenter (lorsque le sujet
est très vaste) la bibliographie. Ayant à étudier Fer-
dinand de Bertier et l'énigme de la Congrégation,
problème qui concerne l'Empire et la Restauration,
l'histoire religieuse et l'histoire politique, G. de Ber-
tier de Sauvigny regroupe dans sa thèse les titres de sa
bibliographie en diverses rubriques. On dispose ainsi
de bibliographies particulières à l'intérieur d'une
bibliographie générale.
Sixième problème : l ' — Mieux vaut
fournir soi-même l'illustration, mais quelquefois l'édi-
teur la propose. Il convient alors de vérifier avec
soin, au besoin en recourant à des spécialistes, la
valeur historique de ces illustrations ; il faut autant
que possible donner des documents contemporains,
et éviter de mettre une lithographie de 1860 pour
illustrer un livre concernant les années 1780. Il faut,
d'autre part, donner de façon précise la description
du document (noms du dessinateur, du graveur, de
l'éditeur, titre, nature du document, dates), par
exemple : Civeton, Le Boulevard de la Madeleine,
aquarelle, Bibliothèque nationale, Département des
estampes, A 9998.
Enfin, une table des illustrations, donnant ces indi-
cations si elles n'ont pu être fournies en bas du do-
cument, doit être établie à la fin de l'ouvrage (parfois
une note sur les sources iconographiques mérite d'être
rédigée si le sujet s'y prête (3), notamment quand il
existe des fonds privés).
Septième problème : les index. — Un ouvrage
d'érudition suppose qu'on établisse des index qui
facilitent la consultation par les historiens. Or trop
fréquemment on n'élabore pas ces index, ce qui di-
minue la valeur d'utilisation de l'ouvrage. Il faut :
— un index des noms de personne (il doit comprendre
tous les noms cités, sans exceptions) ;
— un index des noms de lieux (il vaut mieux éviter
de fusionner ces deux index) ;
— si le sujet s'y prête, un index thématique (ou index
analytique) ; ce genre d'index est peu pratiqué, à
tort, car il permet de guider le chercheur pressé,
et notamment le chercheur qui ne lira pas l'ou-
vrage page à page (les tables des matières ne reflè-
tent guère, en général, la richesse d'une étude).
L'élaboration d'un index analytique est chose
délicate, il s'agit de regrouper par mots types les
thèmes de l'ouvrage (4), c'est une sorte de table
des matières très détaillée alphabétique ; tout
dépend du style de l'ouvrage : en principe, il faut
essayer d'imaginer ce que le lecteur — et l'his-

(3) Pour un exemple, J. M. Leniaud, Jean-Baptiste Lassus (1807-1857)...,


1980, p. 260-265.
(4) Pour un exemple, J. M. Leniaud, ouvrage cité, p. 277-278.
torien d'autres disciplines — peuvent avoir envie
de rechercher (5). L'absence d'un index analy-
tique abrège souvent la durée de vie (c'est-à-dire
d'utilisation) d'un ouvrage.

Ces différents index sont établis sur épreuves (une


fois la pagination définitive établie), et c'est souvent
l'occasion de déceler des erreurs (notamment dans
les noms propres).
Vient la dernière phase : la correction des épreuves.
Il faut, pour un ouvrage d'érudition, obtenir de
l'éditeur deux jeux d'épreuves si l'on veut éviter
toute erreur :

— le premier jeu d'épreuves doit être corrigé non


avec la copie dactylographiée, mais avec le ma-
nuscrit (de façon à ne pas prendre en compte les
erreurs de dactylographie) ; il faut faire au moins
deux lectures du texte, séparées par quelques
jours ; on attachera un soin particulier à la véri-
fication des tableaux de chiffres, des légendes des
photographies, de la bibliographie (il faut vérifier
les titres douteux) et des références contenues dans
les notes (notamment des cotes d'archives) (6).
Il est souvent utile de donner les épreuves à lire
à un ami non historien ;
— on vérifiera avec minutie sur les secondes épreuves
les corrections effectuées sur les premières épreuves

(5) Par exemple, dans l'ouvrage précité de J. M. Leniaud sur l'architecte


Lassus, on trouve les rubriques : « Académie des Beaux-Arts ; Antiquité
(voir Art païen) ; Apologétique et gothique ; Architecte : formation, condi-
tion ; Architectes départementaux ; Architectes diocésains : recrutement,
changement de personnel, résidence, condition », etc. On peut utiliser les
subdivisions des rubriques, et les renvois de rubrique à rubrique.
(6) On vérifiera également que les appels de notes sont bien marqués
dans le texte.
(quelquefois pour corriger un mot, le compositeur
peut faire une nouvelle faute à la même ligne), et
on s'attachera à une lecture attentive des index.

Donnons un dernier conseil pratique : quand on a


fini apparemment la rédaction d'un ouvrage (ou d'un
gros article), il convient de reprendre toutes les notes
accumulées et de les reclasser suivant les chapitres du
livre (ce qui permettra d'éviter de longues recherches
lors de la correction des épreuves) ; il faut également
mettre à part les fiches ou dossiers non utilisés, les
notes de réflexion, les pistes de recherche, ce qui peut
amorcer d'autres travaux (on a entr'aperçu un pro-
blème, qu'on cherchera peut-être à reprendre et à
approfondir un jour : la recherche peut rebondir, on
peut affouiller telle période ou avoir envie d'étudier
tel personnage rencontré par hasard).
CONCLUSION

On voit bien à travers ces conseils de méthode les


qualités exigées de l'historien : la persévérance, la
ténacité, la probité, la patience, le courage d'entre-
prendre, le flair, l'imagination, le bon sens. Ce qui
permet d'entrevoir les défauts : le manque d'ordre, la
légèreté, l'absence de rigueur, la passion, l'abstrac-
tion, la sécheresse, l'excès d'idéologie ; il faut que
l'historien — et notamment l'historien « non profes-
sionnel » — soit bien conscient des pièges ainsi
tendus : des travaux d'excellente érudition peuvent
être gâchés par des maladresses, un défaut de mé-
thode, qui entraîne des erreurs de jugement, une
conception abstraite de l'histoire qui élimine les indi-
vidus et conduit à un schématisme exagéré. Sans
doute l'histoire reflète-t-elle des tempéraments, des
valeurs morales, et le pluralisme est à nos yeux chose
nécessaire : il n'y a pas, rappelons-le, une conception
de l'historien, mais de multiples conceptions, qui ont
toutes valeur égale, aucune ne peut être privilégiée
(mais l'historien, de tempérament, est rarement to-
lérant).

II

De ces quelques pages sur la méthode de travail


peut-on tirer quelques conclusions ?
Première conclusion : Il n'y a pas de métier sans
une certaine morale, et il convient de bien saisir ce
point. On veut bien s'intéresser, à la rigueur, au faire
de l'histoire, mais non à l'être de l'historien : tout le
monde sait bien que l'histoire est une « science »,
ce qui suffit à écarter toute question gênante. Or il
faut poser en termes réels la question de la « déonto-
logie » de l'historien, l'on doit s'interroger sur la
valeur de ce que l'on fait : que vaut, au fond, l'histoire
que j'écris ? A quoi peut-elle servir ? Ai-je été honnête,
scrupuleux, impartial, modéré, consciencieux, coura-
geux dans le faire et dans le conclure ? Ou ai-je été
aventureux, léger, excessif, trop habile, trop docile ou
indécis ? On ne peut écarter de telles interrogations :
chaque historien expérimenté, s'il s'interroge, sait
parfaitement son fort et son faible, en quoi il pèche...
Deuxième conclusion : Il faut bannir l'idée qu'il
n'existe qu'un type d'histoire, qu'une façon d'écrire
l'histoire : certes l'intolérance est considérable — pour
des raisons de pouvoir et de territoire —, mais l'idée de
réduire l'histoire à un modèle unique (ou à une
forme privilégiée d'histoire « noble », qui aurait
seule droit de cité) est absurde ; tel modeste érudit
local peut apporter plus à l'histoire que telle thèse de
doctorat qui répète fidèlement le « modèle » du
« maître » ; « le maître l'a dit » n'incite nullement à
sortir des sentiers battus, à innover, à inventer : on
ne saurait trop mettre en garde contre les formes mul-
tiples, insidieuses de l ' du dogmatisme, qui
menacent de sclérose la production historique.
A qui cherche des maîtres, Clio offre une éton-
nante variété, de l'école positiviste à la nouvelle his-
toire, des tenants du sériel aux champions de l'anec-
dote. Tant de variété pourrait inciter au scepticisme,
à tort. Laissons au vénérable Fustel de Coulanges
la conclusion à partir d'idées qu'il développa dans
Questions historiques : « L'histoire ne résout pas les
questions : elle nous apprend à les examiner. Elle nous
enseigne au moins comment il faut s'y prendre pour
observer les faits humains. Le regard que nous jetons
sur les choses présentes est toujours troublé par
quelque intérêt personnel, quelque préjugé ou quelque
passion. Voir juste est presque impossible. S'il s'agit
au contraire du passé, notre regard est plus calme et
plus sûr. Nous comprenons mieux des événements
dont nous n'avons rien à craindre et rien à espérer. Les
faits accomplis se présentent à nous avec une bien autre
netteté que les faits en voie d'accomplissement. Nous
en voyons le commencement et la fin, la cause et les
effets, les tenants et les aboutissants. Nous y distin-
guons l'essentiel de l'accessoire. Nous en saisissons
la marche, la direction et le vrai sens. »
Avantage de l'historien qui bénéficie du recul du
temps sur le journaliste condamné à l'immédiat. Et
Fustel de Coulanges de poursuivre : « Pendant qu'ils
s'accomplissaient, les hommes ne les comprenaient
pas ; ils étaient troublés, mêlés d'éléments étrangers,
obscurcis par des accidents éphémères. Il y a tou-
jours dans les événements humains une partie qui
n'est qu'extérieure et apparente ; c'est d'ordinaire
cette partie qui frappe le plus les yeux des contem-
porains. Aussi est-il fort rare qu'un grand fait ait été
compris par ceux-là mêmes qui ont travaillé à le
produire. Presque toujours chaque génération s'est
trompée sur ses œuvres. Elle a agi sans savoir nette-
ment ce qu'elle faisait. Elle croyait viser à un but
et c'est à un but tout autre que ses efforts l'ont conduite.
Il semble qu'il soit au-dessus des forces de l'esprit
humain d'avoir l'intuition nette du présent. » Mais
l'histoire, à condition d'être fondée sur une méthode
rigoureuse, qui ne souffre ni l'approximation ni une
trop envahissante subjectivité, permet de saisir une
vue d'ensemble du passé. Ce qui conduit l'auteur de
La cité antique à cette vue optimiste : « L'étude de
l'histoire doit avoir au moins cet avantage de nous
accoutumer à distinguer dans les faits et dans la
marche des sociétés ce qui est apparent de ce qui
est réel, ce qui est illusion des contemporains de ce
qui est vérité. »
BIBLIOGRAPHIE

I. — Sur la doctrine en ce domaine, on utilisera :


Marc Bloch, Apologie pour l'histoire ou métier d'historien, Colin, 1952
(qui demeure très actuel).
Paul Veyne, Comment on écrit l'histoire, essai d'épistémologie, Le Seuil,
1971 (souvent provocateur).
Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire, Essai sur les
limites de l'objectivité historique, Gallimard, 1938, rééd. 1981 (thèse
d'accès difficile).
En n'oubliant pas le célèbre livre de Charles-V. Langlois et Charles Sei-
gnobos, Introduction aux études historiques, Paris, 1896 (manifeste de
l'école positiviste).
II. — Pour une vue générale des problèmes de méthode, on dispose de
L'Histoire et ses méthodes, sous la direction de Charles Samaran (Encyclo-
pédie de la Pléiade, NRF, 1961, 1 771 p.), qui malheureusement concerne
peu le contemporanéiste. Dans l'optique de la nouvelle histoire : Jacques
Le Goff et Pierre Nora, Faire de l'histoire, 3 vol. (1974), et Jacques Le Goff,
Histoire et mémoire (1988, avec une importante bibliographie). A propos de
cette école, on consultera Hervé Coutau-Bégarie, Le phénomène nouvelle his-
toire ( 2 éd., 1989, Economica).

III. — Sur des points particuliers, on peut lire :

Guy Thuillier, Pour une réflexion sur l'innovation en histoire : comment


développer un secteur de recherche en histoire contemporaine, Mouvement
social, janvier 1988, p. 31-43.
— L'innovation en histoire, Bulletin d'histoire de l'électricité, n° 12, 1988,
p. 5-13.
— De la nécessité pour un historien de tenir un journal de recherche, ibid.,
n° 18, 1991, p. 71-78.
— A propos des recueils de documents, dans Histoire économique et finan-
cière de la France, Etudes et documents, t. I, 1989, p. 405-411.
— Qu'est-ce qu'une note de méthode ?, ibid., t. III, 1991, p. 467-470.
— La rêverie en histoire, ibid., t. V, 1993.
Jean Tulard, De l'obsolescence des œuvres historiques, Année sociologique,
1991, p. 193-201.
Florence Descamps, Les archives orales d u Comité pour l'histoire écono-
m i q u e e t f i n a n c i è r e , o u la f a b r i c a t i o n d ' u n e s o u r c e , d a n s H i s t o i r e é c o n o -
m i q u e e t f i n a n c i è r e d e l a F r a n c e , E t u d e s e t d o c u m e n t s , t. I I I , 1 9 9 1 , p . 5 1 1 -
538.
J a c q u e s C a r i t e y , M é m o i r e d e la n a t i o n e t m é m o i r e l o c a l e : c o m m e n t d é v e l o p -
p e r les a r c h i v e s o r a l e s d a n s u n e ville, R e v u e a d m i n i s t r a t i v e , 1992, p. 2 6 9 -
272.

IV. — P o u r les a s p e c t s p r a t i q u e s :

J a c q u e s Thuillier, C o n s e i l s p o u r la r é d a c t i o n des m é m o i r e s de maîtrise et


thèses de I I I cycle en histoire d e l'art m o d e r n e et c o n t e m p o r a i n e , I n f o r m a -
t i o n d ' h i s t o i r e d e l'art, Baillière, 1976, p. 151-177.
A n d r é C o r v i s i e r , S o u r c e s e t m é t h o d e s e n h i s t o i r e s o c i a l e , SEDES, 1 9 8 0 , 2 5 7 p .
( c o n c e r n e s u r t o u t l e s h i s t o r i e n s d u XVII e t d u XVIII siècle).
P. G u i r a l , R . Pillorget, M . A g u l h o n , G u i d e de l ' é t u d i a n t en histoire m o d e r n e
e t c o n t e m p o r a i n e , PUF, 1 9 7 1 .

V. — E n ce q u i c o n c e r n e les a r c h i v e s e t les b i b l i o t h è q u e s , o n u t i l i s e r a le
p e t i t m a n u e l d e C h a u l e u r , B i b l i o t h è q u e e t a r c h i v e s . C o m m e n t se d o c u m e n t e r ,
g u i d e p r a t i q u e ( 2 é d . , E c o n o m i c a , 1980).

VI. — A p r o p o s de l'histoire locale et d e la p s y c h o l o g i e de l'historien local,


on lira de Paul Leuilliot, Défense et illustration de l'histoire locale,
A n n a l e s ESC, 1967, p. 154-177, et H i s t o i r e locale et p o l i t i q u e d e l'histoire,
A n n a l e s ESC, 1974, p. 139-150. Nous avons donné un certain nombre de
c o n s e i l s d e m é t h o d e d a n s H i s t o i r e l o c a l e e t r é g i o n a l e , PUF, 1 9 9 2 .

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