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Amerika

Mémoires, identités, territoires


10 | 2014
Le Brésil de Jorge Amado: perspectives
interculturelles

L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro de


Chico Buarque de Hollanda

André Luiz Ramalho Aguiar

Éditeur
LIRA-Université de Rennes 2

Édition électronique
URL : http://amerika.revues.org/5067 Ce document vous est offert par
DOI : 10.4000/amerika.5067 Bibliothèque Sainte-Barbe
ISSN : 2107-0806

Référence électronique
André Luiz Ramalho Aguiar, « L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro de Chico Buarque de
Hollanda », Amerika [En ligne], 10 | 2014, mis en ligne le 22 juin 2014, consulté le 10 juillet 2017. URL :
http://amerika.revues.org/5067 ; DOI : 10.4000/amerika.5067

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L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro de Chico Buarque de Hollanda 1

L’univers sociologique de l’Ópera do


Malandro de Chico Buarque de
Hollanda
André Luiz Ramalho Aguiar

L’Ópera do Malandro : une synopsis de la pièce


1 Rendant hommage au caractère social typiquement brésilien du malandro, l’Ópera do
Malandro fait référence au genre musical américain transposé dans le Rio de Janeiro
imaginaire de la Deuxième Guerre Mondiale.
2 Le texte de L’Ópera do Malandro va présenter une histoire où les exploiteurs et les exploités
vont vivre en pleine harmonie dans un univers capitaliste du Brésil des années 40.
3 D’abord, la pièce est présentée au spectateur par son auteur, le malandro João Alegre.
Habillé d’un costume blanc, un chapeau blanc et la cravate enluminée, João Alegre va
inviter Mme Vitória, pour lui dire qu’il offrira au nom de la compagnie théâtrale le
guichet intégral de la soirée à la maison de la « Morada da Mãe Solteira ».
4 Administré par Fernandes Duran, la « Morada da Mãe Solteira » est l’un des bordels gérés
par la famille Duran, qui est composée aussi de Vitória Régia et Teresinha - leur fille qui
devait trouver un mariage avantageux dans la haute société de Rio de Janeiro.
5 La surprise viendra de l’amour naissant de Teresinha Duran pour Max Overseas, un
malandro typique d’un quartier bohème de la ville (Lapa), et responsable d’un réseau de
contrebande. Cependant Teresinha s’éprend du contrebandier et décide, sans l’accord de
ses parents, de se marier avec le malandro.
6 Quand Fernandes Duran se rend compte de ce qu’a fait sa fille, il prend la décision de
séparer le couple. Aussi, Duran utilise Chaves pour tenter de prendre Max et de l’éliminer
par la suite.

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7 Le commissaire Chaves - responsable de maintenir la morale et l’ordre public, est habitué


à recevoir de petits cadeaux venant de Duran ; c'est pourquoi il devra faire exécuter ses
ordres.
8 Teresinha prend connaissance du piège de son père, et demande à Max de partir de la
ville jusqu’à ce que la situation se stabilise. A ce moment-là, Teresinha transformera
l’activité de contrebande en une firme d’importation, avec un registre juridique, des
impôts à jour, etc. ; de cette façon, Max adhérera au capitalisme moderne et sortira de
l’illégalité. À la fin de la pièce, João Alegre revient sur la scène pour inviter tous les
spectateurs à participer au « happy end », en disant que dans l’Ópera do Malandro, ils ont
tous le droit à une fin heureuse, qu’ils soient exploiteurs ou exploités.

L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro


9 D'abord nous nous interrogeons sur les raisons qui, à certains moments historiques, ont
motivé l’utilisation du malandro1 comme étant le symbole d’une culture propre au carioca,
le symbole d’une nation, et comment il devient le représentant de couches sociales
opprimées et exclues. Ce que nous pouvons remarquer, c’est que l’abord exclusivement
symbolique de la malandragem2, n’arrive pas à trouver sa place dans notre imaginaire, sans
qu’il n’y ait une remise en question des prémisses.

Genèse du personnage malandro


10 L’origine du personnage malandro, tel qu’il est perçu dans la pièce en question, est à
chercher dans les années 20 comme une expression du danseur de samba ou « sambista »
pendant la saison du carnaval. Ensuite les écoles de samba sont le résultat d’une
récupération de l’État de cette catégorie d’« artistes » considérés comme des exclus
puisqu’ils n’arrivaient pas à travailler de façon régulière. En ce sens, une tentative de
définition de cette catégorie sociale n’est pas tellement aisée car il s’agit d’une
personnalité qui combine des traits antagoniques revendiquant à la fois son caractère
d’exclusion et l’envie de se surpasser. C’est ainsi que nous arriverons à cerner ce
personnage, icône d’une certaine idée d’identité brésilienne trouvant ses sources
littéraires dans l’œuvre Mémoires d’un Sergent de la Milice de Manuel Antonio de Almeida,
analysée par Candido selon ce qu’il appelle la dialectique de la malandragem.
11 Symbole, oui, mais dans quelle intention ? À quoi cela répond-il ? Quels sont ses
constituants ? De quelle couche de la population le malandro est-il vraiment le
représentant ? Et quelle liaison peut-on faire avec la musique ? Toutes ces réponses
peuvent se trouver dans la genèse de l’image du malandro et comment cela est représenté
dans une pièce comme Ópera do malandro déjà représentative de cette catégorie littéraire.

La musique populaire brésilienne et la voix malandra


12 La musique populaire brésilienne est l'objet d’études dans plusieurs secteurs académiques
depuis quelques années, principalement en sciences sociales et en littérature3. Cela est lié
à l’influence de la musique dans la construction de l’identité brésilienne. Le choix de
l’étude de la samba et du malandro comme catégorie d’analyse dans l’œuvre de Chico
Buarque de Hollanda est associé à la manière dont il construit sa poésie.

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13 Nous chercherons la samba et le malandro comme catégories représentatives dans la


musique populaire brésilienne car elle est un locus privilégié de l’expression des valeurs,
de l’idéologie et des sentiments nationaux. Par ailleurs la musique joue un rôle
fondamental dans la culture brésilienne. Non sans raison, l’écrivain et critique littéraire
Silviano Santiago affirme que « o Brasil é um país musical e sua música tem uma função
importante na construção da identidade da nação, semelhante ao que acontece com a
literatura na França »4. Elle fait partie de la vie sociale brésilienne, elle est donc présente
dans les plus divers moments historiques. Et l´ensemble avec le football et les beautés
naturelles servent d’image au niveau international.
14 Selon les données historiques, l’État Nouveau (1937-1945) avait un intérêt particulier à
transformer le sambista en allié plutôt que de le réprimer. On peut comprendre ainsi la
logique du DIP5 : plus que réprimer le mouvement des sambistes, l’objectif était de
promouvoir une propagande au profit de l’État, et il fallait gagner l’appui des sambistes
en cherchant à les rapprocher du gouvernement. Transformer l’ennemi en allié était
mieux que de s’en délivrer. De cette manière l’État cherchait à avoir un maximum de
secteurs dans la musique de variété à ses côtés, comme auxiliaires pour sa propre
idéologie.
15 La création de droits d’auteur a constitué une des mesures qui a rapproché le milieu
artistique à l’État. Tout comme les lois concernant les travailleurs rapprochaient de
Vargas la classe ouvrière, la loi sur les droits d’auteur a créé une image favorable de
Vargas dans le milieu artistique. Malgré la censure, le gouvernement favorisait les
musiciens, créait une forme alternative d’expression, attelée au gouvernement et au
profit du pays. C’est dans cette perspective que l’État va rechercher une voie directe pour
essayer d’insérer complètement les malandros dans le scénario national, comme des
individus régénérés de la société brésilienne. La proposition du DIP n’était pas seulement
de censurer mais aussi de proposer une autre voie à ces malandros, les transformant en
individus en faveur de l’État, auxiliaires du développement du pays6.
16 L’image du malandro s’est formée dans les années 20, à Rio de Janeiro, et elle était liée à
celle du « sambista ». On trouve la samba et le carnaval carioca comme des célébrations
« spontanées », « naturelles », qui traduisent l’esprit de fête et d’amitié du Brésilien,
spécialement le carioca. Le carnaval, tel qu’on le connaît actuellement, est un événement
né dans les années 20 et 30. Au moment où la samba carioca devient chanson officielle du
carnaval, les écoles de samba commencent à apparaître, recevant ainsi l’appui officiel de
l’État et des médias. Pour l’instant, il serait judicieux de se focaliser sur la formation de la
samba carioca comme étant une « tradition inventée » : une rencontre entre des
communautés qui souhaitaient établir des identités distinctes, et la formation d’un idéal
national de fond populaire, qui à l’époque était représenté par le gouvernement de
Getúlio Vargas7.
17 En 1928, apparaît à Rio de Janeiro, plus précisément dans un quartier du centre de la ville
appelé Estácio de Sá, proche du terrain du Mangue et de la Cidade Nova, la première École
de Samba : « A Deixa Falar ». Fondée par les compositeurs Alcebíades Barbosa (Bide),
Ismael Silva, Heitor dos Prazeres et Nilton Barros entre autres, l’école est très vite
devenue un sujet de discorde. « É que quando começei, o samba da época não dava para os
grupos os grupos carnavalescos andarem na rua… O estilo não dava pra andar » 8. La
liaison qui aujourd’hui nous semble évidente - la samba est faite pour danser ‑, était
synonyme de rupture radicale avec les premiers exécutants du genre musical. Le nom
« Deixa Falar », comme nous relate Ismael Silva, apporte implicitement cette division

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entre les nouveaux « sambistas » de l’Estácio et la tradition musicale des maisons des
« baianas » de la Cidade Nova, avec leurs « sambas de terreiro ».
Bem, fundei, no Estácio, com os bambas de lá, a primeira escola de samba, a Deixa
Falar. Era costume, no carnaval, a disputa, que sempre degenera em briga ; a polícia
batia, nós revidávamos – não era bom para ninguém, não é ? A Deixa Falar nasce do
desejo de não apanhar da polícia. Alguns dizem que o samba se modifica, se adapta
ao mundo social por isso. E podia ser diferente ? Samba não é folclore, tem de se
modificar. É a parte viva da nação. O sambista interrage, anda nas brechas do
permitido e vai vai se afirmando, se aprimorando....
Deixa Falar, porque éramos atacados. Como fizemos modificações no modo de
desfilar, para a segurança do grupo, os tradicionalistas disseram-se não. Por outro
lado, as mudanças promovidas ao longo dos tempos trouxe uma dinâmica de desfile,
onde liberdade e salvo-conduto para brincar o carnaval, sem apanhar, resultou
numa maior socialização das camadas populares. A coisa é bem bolada. Tivemos
relações contrárias de um e outro lado.9
18 Le carnaval étant promu fête « officielle », les écoles de samba seront sa représentation
centrale. Étant donné son caractère démocratique, l’école absorbe les classes populaires
et s’est transformée de façon pragmatique en fonction des règles préétablies. La politique
permettra aux écoles de samba d’avoir une organisation officielle, elles seront donc
contrôlées par l’État.
19 La clarté du discours d’Ismaël Silva nous permet de voir combien il était conscient de la
place sociale et culturelle que la samba occupait auprès des communautés. Faire face à la
police n’améliorerait en rien la condition du « sambista » ou celle du danseur populaire,
d’où la nécessité d’être un habile malandro. Passer à travers les fentes et marcher sur les
frontières - selon l’expression de Cláudia Matos - et de cette façon s’affirmer socialement
et culturellement. En réalité, l’école de samba a été un acte pragmatique qui allait servir
d’impulsion sociale à l’intégration noire. À partir de la fondation de « Deixa Falar »,
comme l’affirme Ismael Silva, « o malandro pôde brincar seu carnaval, sem ser
incomodado, como os brancos »10.
20 Le malandro apparemment intégré aux normes « comme les Blancs », pouvait-il alors
avoir des perspectives d’ascension sociale ? Obéir aux normes du Blanc ne signifie pas
seulement qu’elle devait se soumettre aux Blancs, mais que la samba pouvait jouir d’une
certaine mobilité au sein de la société. Et c’est cette samba composée par les gens de l
´Estácio, loin de cette fête en plein air, plus proche de la ville moderne et urbaine, qui sera
considérée comme la samba officielle de Rio de Janeiro et se répandra partout dans le
pays pour devenir le symbole d’une nation métisse et démocratique.
21 Si les années 30 et 40 forment le scénario de la popularisation de la « samba malandro »,
les années 70 sont un espace pour une réflexion sur l’importance de ce personnage et de
ses stratégies dans la construction de l’imaginaire national. Ainsi, le malandro va
apparaître comme un représentant presque officiel des classes populaires en réaction à
l’exploitation du prolétariat. Comme soutient Márcia Ciscati:
o que sustenta o pressuposto de que não se trata de uma questão de estilos, moda
ou disciplina, mais uma problemática sócio-histórica, gerada pelo funcionamento
de um sistema excludente, que beneficia minorias privilegiadas em sociedade cuja
« ordem » e « coerência » são abstrações retóricas.11

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Le malandro et la Malandragem
22 Sachant que notre réflexion concerne l’univers représenté par le malandro et la
malandragem à partir des années 20 au Brésil, l’image du malandro carioca n’est plus à
identifier dans cette œuvre car comme son auteur l’a exprimé à l’époque de sa première
représentation « é malandro o narrador, é malandro o produtor e săo malandros todos os
personagens que compõem a peça na decadente Lapa dos anos 40, reduto da eterna
malandragem »12.
23 D’une manière générale, il existe une dévotion particulière à la fierté du carioca. Être
carioca est synonyme de ruse, de modernité, de créativité, d’« adresse ». Ainsi l’affirme
Marcos Gonçalves :
A cidade do Rio de Janeiro sempre deveu parte de seu magnetismo ao jeito singular
de seus habitantes. Plantados à beira-mar, num cenário de real grandeza, os
cariocas têm uma conhecida inclinação para o “easy going”. Um modo fresco de
viver, de contornar problemas, de filtrar a vida, de contornar a vida através de
humor. Inimigo do mundo da produção, amante da música, do jogo, da boêmia, ele
levava a vida na esperteza, aplicando pequenos golpes, cometendo contravenções,
como o “barão da ralé”. A malandragem, de fato, constituiu uma espécie de
aristocracia do lúmpen. Teve seus fumos de dandismo, seus dias de glória, e virou
uma referência nacional. Mas fortemente enraizada no Rio, onde transformou-se
em um valor.13
24 Cette représentation du carioca est présente partout au Brésil, faisant de ce stéréotype
une référence à la malandragem.
25 La malandragem n’est pas considérée comme un problème de formation d’un pays mais
plutôt comme une circonstance fortuite de certaines classes sociales, affectées par le
manque de considération séculaire de l’État. La malandragem est vue de manière presque
« positive », une voie créative, ludique, intelligente, échappant ainsi au contrôle social.
D’un autre côté, si les ressources stratégiques de la malandragem se dérobent au territoire
des classes populaires, elles deviennent immédiatement négatives. À la place d’une telle
« malandragem que não existe mais », on s’est institué le « o malandro regular, oficial », si
on paraphrase Chico Buarque de Hollanda lui-même.
26 Le malandro qui n’appartient pas aux classes exploitées, est une figure combattue. Il
devient synonyme de corruption institutionnalisée, de gain abusif et de la certitude que
les travailleurs vont continuer à être exploités. Dans l’analyse de ces malandros officiels,
possesseurs de tout l’équipage à leurs côtés, on perd la nostalgie de l’individu marginal et
on a la certitude que les malandragens au Brésil sont restreintes à certaines couches
sociales.
27 Cette ambivalence passionnée dans l’analyse de la malandragem finit par construire un
sentiment dialectique entre un malandro marginalisé et celui incorporé au système. Selon
certains intellectuels, artistes et écrivains, le malandro marginalisé - celui des « beaux
jours » - s’est lié aux « sambistas » et est issu des classes populaires. Le second type
représenterait certainement la malandragem née de la victoire du capitalisme, faisant
ainsi de l’ombre à la classe populaire. Entre ces deux extrêmes, il y a des moments où la
malandragem reçoit un statut positif. Tandis qu’elle acquiert les contours d’une corruption
officielle, ceux qui sont obéissants aux lois et aux règles ne risquent pas d’être considérés
comme des sots.

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28 Les définitions usuelles du malandro carioca le montrent donc comme quelqu’un qui vit de
façon déplacée en dehors des règles formelles de la société, fatalement exclu du marché
du travail – même totalement réfractaire au travail – et fortement individualisé par sa
manière de marcher, de parler ou de s’habiller14 » ou encore comme un individu qui
« vive do jogo, das mulheres que o sustentam e dos golpes que aplica nos otários » 15. Ce
sont des éléments qui apparaissent déjà totalement incorporées à nos imaginaires.
29 Selon la conception de Da Matta, le malandro va acquérir des contours archétypiques,
semblable à celui d’un « tricsker »16. Quand il utilise Pedro Malasartes comme « le
paradigme du malandro »17, l’anthropologue Da Matta fait de manière évidente l’option du
modèle correspondant à ceux qui arrivent seulement à voir un malandro comme un Noir
en costume blanc.
30 C’est donc créer un paradoxe comme le souligne Da Matta : ce qui caractérise le malandro
c’est son habileté à demeurer « dans les interstices du domaine social ». Comment peut-
on l’insérer dans un modèle paradigmatique ? Renato Queiroz affirme à propos du
« trickster » : « não é nada fácil, para um ocidental, admitir a combinação de traços
absolutamente antagônicos na feitura de um único personagem »18.
31 Ainsi, le malandro brésilien glisse parmi des conditions antagoniques, restreint le regard
académique traditionnel, désireux presque toujours, indépendamment du domaine de
recherche, d’établir des concepts précis et paradigmatiques.
32 Cependant, nous pouvons remarquer qu’à partir des années 70 le terme malandro va faire
l’objet de recherches académiques dans plusieurs domaines – anthropologique, recherche
musicale, littéraire, etc. – « o malandro surge como um caminho de leitura da nação »19.
33 Chaque auteur, à sa manière et dans sa spécialité, va créer un pont entre le passé d’une
dictature civile comme celle des années 1937-1945 et le présent d’une dictature militaire
comme celle des années 1964-1984. Pour un pays qui revivait un régime anti-
démocratique, où la censure régnait, la reconstruction du malandro constitue la voix d’un
peuple, un élément capable de dribbler l’autoritarisme de l’État. Et c’est pour ça que nous
pouvons donner comme exemple direct l’œuvre analysée dans ce travail.
Tivemos uma série de motivos para situar o texto em 40. Achamos que há uma
coincidência entre o momento em que agente está vivendo a aquela época. Entre 43,
quando se vislumbrava o fim do Estado Novo, e 78 há muitas semelhanças. Um
outro motivo foram os problemas que gente ia ter de enfrentar com a censura se
nos fixássemos nos dias de hoje. Ao colocarmos um chefe de polícia ou policiais em
cena, em plena década de 70, alguém poderia se sentir ofendido. 20
34 Ainsi, suivant la même ligne du discours ci-dessus, nous pouvons citer Silviano Santiago
dont la préface du livre Acertei no Milhar, de Cláudia Matos, indique clairement l’intention
politique de l’analyse du discours malandro :
O samba, é um tema apaixonante para melhor determinação da reação das classes
populares às ideologias do progresso : a malandragem em Samba & Malandragem,
vistos em perspectivas históricas, isto é, no próprio contexto sócio-político e
econômico que indiretamente os gerou, e na perspectiva de geração de Cláudia
Matos, geração que se viu tolida pelos processos de governo autoritário,
responsáveis pelo desenvolvimento à partir de 64.21

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La vision dialectique de Candido


35 Considéré comme l’une des premières études littéraires véritablement dialectiques au
Brésil, Antonio Candido présente dans son essai Dialética da Malandragem22 « uma
perspectiva diferente sobre nossa cultura e literatura, que permitia de identificar, batizar
e colocar em análise uma linha de força inédita até então para a teoria, a linha da
malandragem »23.
36 Pour Roberto Schwarcz, la dialectique chez Candido devient la base de lecture dans la
formation de la nation brésilienne. L’avantage de la dialectique en tant que méthode est
qu’elle signale une issue à la paralysie conceptuelle à laquelle était soumis le Brésil, en
particulier dans le domaine littéraire, qui était vu comme une imitation de l’Europe. En
ressortent les oppositions : ordre et désordre, progrès et retard, l’autochtone et
l’universel. L’article de Candido ouvre le champ d’exploration du monde des frontières
entre les pôles cités.
37 C’est Candido lui-même qui suggère cette lecture dialectique du moment qu’il choisit
comme personnage de ce mouvement pendulaire entre l’ordre et le désordre la
représentation du malandro chez Almeida. La flexibilité du personnage du malandro fait
qu’on lui donne une préférence comme référentiel d’analyse. Et choisir la dialectique
comme méthode permet de faire apparaître des individus contradictoires au sein de la
culture et de la littérature brésilienne ; cela fait ressurgir la dualité avec laquelle Candido,
tout autant que Shwarcz lisent le Brésil à partir de la formation littéraire nationale.
38 Sous cette perception du processus dialectique sous-jacent dans le roman d’Almeida,
l’évidence ne semble pas s’appuyer sur une vision d’exclusion mais d’assimilation dans la
mesure où ce personnage est proche du Brésilien moyen. On trouve des domaines
d’interférence entre deux univers apparemment opposés – un monde supposé d’ordre qui
se trouve parfois dans un univers du désordre. Et l’on va prendre le point de vue
d’Antonio Candido pour observer dans Ópera do Malandro le personnage de Duran au profil
contradictoire tout à fait caractéristique.
39 Fernandes Duran, un « commerçant » très connu dans le quartier Lapa, fait partie du pôle
d’ordre dans la société d’Ópera do Malandro, un homme travailleur, qui paye ses impôts
correctement. Même si son commerce consiste à exploiter des femmes dans les bordels
qu’il gère, c’est considéré selon la logique de la pièce comme quelque chose de normal.
Mais ne voulant pas accepter le mariage de sa fille Teresinha avec le contrebandier Max,
Duran exige de la part du commissaire Chaves qu’on donne un ordre d'emprisonnement
aux hors-la-loi. Et si ses ordres ne sont pas exécutés, Duran menacera le commissaire de
le dénoncer pour corruption publique. En effet, Duran sortira d’un pôle d’ordre positif à
un négatif, sans altérer cependant son image devant les autres personnages. Duran n’est
pas le seul personnage à être caractérisé par son changement d’attitude. Teresinha, par
exemple, est considérée comme une fille très bien élevée, charmante et avec un futur
prometteur. Mais Teresinha tombe profondément amoureuse du contrebandier Max, avec
lequel elle prend la décision de se marier sans l’accord de ses parents. À partir du moment
où elle devient la femme d’un « transgresseur », Teresinha abandonne le pôle positif de
l’ordre pour le pôle négatif du désordre. Cela est vrai non seulement pour des
personnages comme Duran et Teresinha, mais pour presque tous les autres car ils vont
transiter entre ces deux pôles, dont les extrêmes se rapprochent. L’ordre et le désordre ne
seront plus une référence pour les valeurs morales.

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40 Quand Candido affirme que Manuel Antonio de Almeida n’émet aucun jugement de valeur
sur le comportement de ses personnages, il attire l’attention sur le fait que son article
met en place « um Mundo sem culpas »24 dans le Romantisme brésilien. Les opposés
disparaissent et, à la place, apparaît un univers qui ressemble à un paradis, loin de
l’erreur et de tous les péchés. Un univers sans culpabilité morale comme peut l’être
« A Brasileira », le bordel de Duran dans lequel les prostituées vivent à coté du monde du
pouvoir, à coté d’une société qui vit de l’exploitation des uns sur les autres, où seule
compte la richesse individuelle. Elles sont conscientes de la façon dont Duran les exploite,
ce qui n’empêche qu’elles puissent faire de leurs corps un instrument de plaisir, plein
d’amour et de sentiments, tout en recherchant leurs propres satisfactions. Et dans cet
univers, l’existence d’un Mal ou d’un Bien absolu paraît impossible.
41 Cette oscillation des personnages d’un pôle à un autre, qu’Antonio Candido nous relate,
peut être extrapolée dans Ópera do Malandro comme conséquence de l’absence de
jugement moral de la part de Chico Buarque de Hollanda par rapport à sa construction
poétique, en utilisant un mélange d'ironie, de satire et de cynisme pour présenter au
spectateur une relative équivalence entre l’univers de l’ordre et du désordre, entre ce
qu’on appelle conventionnellement le Bien et le Mal. Ópera do Malandro échappe à cette
règle idéologique de la société dont la valeur est définie par rapport à la nécessité de
choisir entre le licite ou l’illicite, le vrai ou le faux, le moral ou l’immoral, etc.

Série archétypique et série sociologique


42 Dans l’essai de Candido, il y a une unité empirique qui lie la première étape de la
caractérisation « roman Malandro » à la deuxième étape « roman representativo ». Selon
Candido, Mémoires d’un Sergent de la Milice va présenter deux directions narratives qui vont
s’influencer l’une et l’autre, de façon dynamique. Cette dynamique nous permettra d’un
coté la « série archétypique » qui nous conduira à la représentation de ce qu’il y a de plus
universel concernant la culture : la fable et l’irréel, l’imaginaire et le folklorique. D’un
autre coté, celle de la « série sociologique » qui à l'inverse, nous amènera à la
représentation d’une société concrète, historiquement délimitée, au travers d’un réalisme
qui intervient à partir d’un regard social.
43 La première perspective, la « série archétypique », se réfère à la « typification » des
personnages selon les paramètres du folklorique et de la littérature comique et satirique
du Brésil de la première moitié du XXème siècle. La deuxième perspective ou « série
sociologique » va se centrer sur une dynamique sociale de l’époque, qu’on peut
comprendre à partir du résultat de cette « tension », la construction d’une liaison pour
établir le concept de malandragem. Ce qu’il y a de commun entre « le premier grand
malandro qui pénètre dans le romanesque brésilien »25 et la dialectique de l’ordre et du
désordre, constitue un « continuum » sentencieux où l’idée de malandragem passe d’un
plan individuel à un plan social.
44 Ce qui est intéressant dans cette analyse, c’est qu’avec le discours que tient Candido, on
verra que la construction de l’imaginaire de la malandragem carioca demeure répétitive.
C'est quelque chose qu’on connaît, on devine ses personnages et jusqu’où ils peuvent
aller. Ainsi, le malandro est fondé sur quelque chose de fictif, pour aboutir à une forme
proche du réel. Bref, l’intellectuel utilise des éléments fictifs dans l’élaboration de son
apparence afin d’avoir un résultat final de réalité. On part du malandro imaginaire et on

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arrive au malandro réel ; comme l’affirme Chico Buarque de Hollanda à travers une fine
ironie : « o que dá de malandro regular, profissional / malandro com aparato de malandro
oficial / malandro candidato a malandro federal / malandro com retrato na coluna
social »26. Finie l’irrégularité du travail, le malandro accède à des statuts officiels et arrive
même à des postes politiques. Il peut même faire partie des classes sociales aisées qui se
font photographier dans les « pages sociales ». En effet, cette « malandragem » peut
appartenir à toutes les couches sociales, et les valeurs positives ou négatives se
confondent et parfois sont complémentaires.
45 Parfois la réalité dépasse la fiction. Lilia Moritz27 en parlant de la malandragen comme
éthos donne cet exemple « Romário, notre plus récent “phénomène” [en tant que
footballeur], lorsque son père a été séquestré (début 1994) ne s’est pas gêné, afin de le
retrouver, pour faire appel à la fois à d’autres gangs et à l’esprit civique et national
(« Sans mon père, pas de Coupe du monde ») ».
46 L’article d’Antonio Candido permet de percevoir cette médiation entre le réel et
l’apparence qui se traduit à travers le discours du malandro. Ce discours n’est ni positif, ni
négatif, ni totalement réel, ni purement fictif. Et nous pouvons apercevoir dans ce jeu
d’ordre et de désordre que les personnages passent d’un pôle à l’autre. Si, par contre, à un
moment donné les personnages décidaient de cesser ce mouvement pendulaire, ce sera au
contexte de la narration d’offrir ce processus transitoire.
47 Roberto Gotto surenchérit :
A malandragem caracteriza o romance em todos os seus níveis : é malandro seu
personagem principal, pelo caráter e modo de agir ; são malandros os personagens
em geral, em seu sistema de relações ; é malandro o narrador, pelo amoralismo e
pela flutuação de seus pontos de vista.28
48 Ainsi c'est au travers des Mémoires d’un Sergent de la Milice que Candido nous amène à la
création du « roman malandro ». Ce genre va établir les nouvelles caractéristiques
consacrées au burlesque et au réalisme, à partir du moment où il y aura une transition
entre le réel et la fiction. En ce sens, le « roman malandro » a pour but non pas de
reproduire les aventures d’un malandro, mais surtout d’exprimer sa propre structure
dialectique : ne pas se limiter à un seul style d’époque, ni produire de stéréotypes.
49 C’est donc à partir des années 30 et associé à la thématique de la samba, que le malandro
va définitivement être incorporé à l’imaginaire national et fera partie de différentes
expressions artistiques. La figure de ce malandro de chapeau blanc, de costume blanc et de
chemise en soie va correspondre à sa représentation carnavalesque. Cette
« carnavalisation », suivant les termes de Da Matta, est capable de se distinguer et de
révéler son vrai visage. Cette distinction va le différencier du groupe social auquel il
appartient et va révéler à partir de son propre inconscient, que son souhait d’ascension
sociale le réduira à la caricature d’un petit bourgeois, dont les avantages se résument à
échapper au contrôle des représentants de la loi et de l’ordre.
50 L’exemple le plus éloquent dans Ópera do Malandro est celui de Max qui, malgré sa capacité
de ruse et les tours qu’il joue à la police, finit par tomber dans son propre piège : il sacrifie
son amour avec Lúcia pour se marier avec la fille du patron des prostituées et faire partie
de la classe dominante, abandonnant de la sorte le seul vrai sentiment qu’il avait
développé. Ce mariage le fait entrer dans le monde de l’ordre, il va rendre légales ses
affaires louches, et pense ainsi cesser d’être un malandro. Le jeu des apparences s’élève à
sa plus haute expression. Max ne fait que reproduire le monde d’illusions que lui impose
sa propre réalité.

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L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro de Chico Buarque de Hollanda 10

Le malandro contemporain de Chico Buarque de


Hollanda
51 Donner de l’importance à l’« être malandro », nous semble beaucoup plus complexe que
d’essayer de comprendre des définitions déterminées et des caractéristiques
paradigmatiques. Qui est finalement ce personnage tellement commun dans les rues et
dans la culture de Rio de Janeiro, et qui arrive à échapper si facilement à un simple
concept ? Pourquoi ce personnage est une référence dans la poésie chez Chico Buarque de
Hollanda ? Dans la mesure où nous essayons de construire un concept pour le malandro,
nous tâcherons d’utiliser ses propres méthodes, notamment son discours, et ses mots
réduits à une fonction métaphorique.
52 Et nous attachant à cet univers rhétorique, nous pouvons faire allusion à la scène où la
femme de Duran, Vitória, discute avec lui sur la perspective du mariage de Teresinha :
Vitória
“Você tá subestimando a cabecinha da tua filha, Dudu. Eu que falo com ela, e muito,
sei que ela não há de aceitar proposta de casamento sem estar muito bem
coberta….”
Duran
“Queria acreditar nisso, Vitória, mas tenho medo. Em nossa família não pode caber
um sanguessuga.”
Acte I, scène 1
53 Que des parents se soucient du mariage de leur fille, on n’y voit rien d’anormal, le
problème c'est qu’ils croient appartenir à la noblesse et qu’un roturier pourrait
déshonorer leur famille.
54 La personnalité du malandro a recours au chantage, à la tromperie, par son pouvoir de
persuasion, et de séduction, à partir du moment où il recherche une stratégie de
négociation pour arriver à son objectif. Comme sur la scène qui se passe au commissariat
entre Max et Lúcia, où notre malandro utilise des tours de parole pour contrer la jalousie
de sa maîtresse, et en même temps, pour échapper à la prison :
Lúcia
“Vai dizer que não casou com ela, vai ? Vai dizer, vai ? ? ?
Max
“Ah, ah, ah, já sei ! Só pode ser arranjo daquele velho safado ! Tá com a filha
encalhada na prateleira, o velho. Daí, só porque eu fui lá vez e outra, tralala, trololo,
coisa e tal, o velho espalha boato de casório pra valorizar o material ”...
Acte II, scène 3
55 Et encore :
Lúcia
“Você tem papel passado em cartório, que eu sei ! (...)”
Max
“Deixa isso, baby, você sabe que eu sou louco por você. Quem já deitou contigo não
esquece, minha pombinha de veludo. Se eu pudesse, comia você agora mesmo, com
grade e tudo. (Agarra Lúcia) Abre a porta, Lúcia. Eu te desejo !”
Acte II, scène 3
56 Ainsi, nous pouvons élargir le discours théâtral à un ensemble qui réunit non seulement
la manière de parler mais aussi celle de marcher, de s’habiller, etc., qui est un aspect sur
lequel nous renseigne Da Matta.

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L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro de Chico Buarque de Hollanda 11

57 En tant que concept, le malandro est réduit à un objet – limité et prisonnier. Dans son
aspect métaphorique, la multiplicité du discours évoque le caractère d’un personnage
mobile. Et c´est à partir de cette multiplicité que Chico Buarque de Hollanda va s’inspirer
pour créer sa poésie dans l’univers symbolique et magique de la ville de Rio de Janeiro des
années 40.
58 Chico Buarque de Hollanda cherche à rapprocher sa représentation du malandro d’un
personnage allégorique, en considérant les éléments qui produisent cette représentation,
à un moment historique donné et la façon dont cette représentation se réfère aux images
de la nation car « on peut considérer le personnage comme la métonymie et/ou la
métaphore d’un référent, et, plus précisément, d’un référent historico-social »29.
59 De cette manière, on n’aura pas dans cette pièce un malandro type, idéal et exemplaire, à
suivre comme modèle pour ses personnages fictifs, mais des stratégies de malandragem
qui se déplacent, changent d’apparence avec les autres personnages de la même manière
que le malandro se déplace lui-même, se transforme non seulement pour survivre mais
aussi pour maintenir sa différence à l’intérieur de la société.
60 Comme l’affirme Matos :
O malandro é um ser da fronteira, da margem. Seus domínios geográficos não são
nem o morro nem os bairros de classe média, mas os lugares de passagem como a
Lapa e o Estácio. Ele não se pode classificar nem como operário bem comportado
nem como criminoso comum : não é honesto mas também não é ladrão, é malandro.
30

61 Le principe de cette interchangeabilité de classes que nous avons appelée « l’effet de


miroir » permet de montrer comment à la fois des bandits ressemblent à des bourgeois et
les bourgeois sont finalement des bandits. Voici un aspect que nous pouvons identifier
dans la manière que Teresinha a trouvé pour faire échapper Max au contrôle de la
justice :
Teresinha
“Max, enquanto você continuar com esses negócios escuros, tá sujeito a viver
fugindo da justiça”
Max
“Ah, asim năo. Eu năo me casei contigo pra você se meter na minha vida
profissional. Eu vou continuar trabalhando no que sempre me orgulhei de
trabalhar.”
Teresinha
“Mas é claro, querido, é claro. Ninguém ta pedindo pra você mudar de atividade. Só
dar um nome legal à tua organização. Põe um “esse-a” ou um “ele-te-de-a” atrás do
nome e pronto, constitui a firma. Firma de importações por exemplo. É tão digno
quanto contrabando e năo oferece perigo. Você passa a ser pessoa jurídica,
igualzinho ao papai. Pessoa jurídica não vai presa. Pessoa jurídica não apanha da
polícia... Acho até que é imortal, pessoa jurídica.”
Acte II, scène 1
62 Alors que Teresinha le pousse à avoir une certaine légalité dans ses affaires, Max lui
demande de ne pas s’immiscer dans sa vie professionnelle. Teresinha lui explique alors
« ninguém tá pedindo pra você mudar de atividade. Só dar um nome legal à tua
organização ». On voit clairement que ce n’est pas son activité qu’elle met en cause mais
l’absence de nom légal. Ainsi elle voudrait qu’il entre dans la logique de la loi, même s’il
continue à être un bandit, ce qui sous-entend que dans sa classe sociale c’est « la façon de
faire ».

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L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro de Chico Buarque de Hollanda 12

63 La poétique chez Chico Buarque de Hollanda prête une attention toute particulière à la
représentation du malandro et de la musique, en particulier, la samba. Il y a un rapport de
complicité entre les deux éléments. Il y a quelque chose de malandro dans la musique, qui
est toujours capable de construire un personnage séducteur et sympathique comme le
malandro. Et c'est à partir de cette complicité que nous pouvons être d’accord avec
Da Matta, quand il dit que « a música popular, em particular a “música de carnaval”
seriam “leituras” específicas da sociedade brasileira por ela mesma. São manifestações
concretas da sociedade brasileira »31.
64 C’est donc à travers cet univers symbolique et de multiples valeurs propres à la ville de
Rio de Janeiro à partir des années 20 que Chico Buarque de Hollanda fera son
approximation à la réalité pour construire de façon poétique une société avec des
personnages rhétoriques qui vont transcender les contours allégoriques.

Conclusion
65 C’est peut-être grâce à une réalité qui se reproduit dans tout un univers social que cette
histoire de brigands et de prostituées est aujourd’hui encore adaptée et présentée au
public. À travers le texte de Gay, celui de Brecht, et pour la première fois à travers le texte
de Chico Buarque de Hollanda, cette histoire nous touche toujours autant.
66 D’ailleurs, à propos d’une nouvelle adaptation de l’Ópera des Gueux et de l’ Ópera de
quat’sous, Chico Buarque de Hollanda avait écrit :
A magia de uma obra de arte está relacionada a sua eternidade em atravessar o
tempo e de ser vista sempre de uma maneira inovadora, onde nós podemos
descobrir através de suas estruturas os seus próprios caminhos e reflexos. 32
67 Cette longévité et cette source inépuisable d’inspiration et de transformation s’expliquent
par le caractère intemporel des personnages tels que Max et Duran, et des situations
traitées. À n’importe quelle époque, comme dans n’importe quelle ville du monde, il y a
toujours ces luttes de pouvoir, ces trahisons, ces vols et ces complots entre puissants
comme entre miséreux.
68 Mais ce qui explique surtout cette prodigieuse modernité vient probablement du pouvoir
de stimulation que cette œuvre ne cesse de provoquer dans le théâtre. En effet, si Chico
Buarque de Hollanda a réussi à montrer à son public un gouvernement et un système
corrompu au travers d’un pouvoir de travestissement, il est arrivé par-là à un jeu subtil
entre le réel et la représentation, ce qui reste encore aujourd’hui le principe même de
l’acte théâtral. L’auteur va refléter sans complaisance le désordre et la dérive de notre
société au moyen d’une surprenante diversité de langages et de styles musicaux,
recherchant à investir des personnages comme Duran et Chaves de la représentation d’un
système fragile et excluant. Il n’est pas facile de voir dans l’étude des personnages
masculins de l’Ópera do Malandro des caractéristiques positives. Notons à ce propos qu’en
tant que spectateur on est pourtant plus attaché à quelqu’un comme Max et à la façon
dont il articule son art de persuader qu’à un Duran et encore moins à un Chaves.
69 Mais le pouvoir du dramaturge, n’est-il pas d’aller au-delà de ces considérations sociales ?
L’artiste ne doit-il pas, à travers son œuvre, poser le problème essentiel de la création ? Et
sur ce point, il convient de dire à la fin de cette étude que Chico Buarque de Hollanda a
réussi cette mission. En effet, l’Ópera do Malandro est une pièce qui exalte à travers ses
personnages la problématique de la brésilianité sans nous priver de l’illusion inhérente à

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L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro de Chico Buarque de Hollanda 13

l’univers théâtral. Et c’est peut-être pour cela qu’elle est considérée aujourd’hui comme
une œuvre phare, que de nombreux metteurs en scène se plaisent encore à monter et à
adapter.
70 Dans le parcours de notre recherche, à partir de l’univers riche en éléments référentiels
proposé par Chico Buarque de Hollanda dans son Ópera do Malandro, on a envisagé
d’approfondir l’étude du personnage en tant qu’objet central. En s’attachant à la
dimension réelle de ces personnages et des transformations qu’ils subissent lors d’une
mise en représentation on peut approcher le processus de création en jeu dans Ópera do
Malandro.
71 Dans cette perspective, on peut développer et approfondir ce travail à partir d’une vision
intertextuelle de l’Ópera do Malandro non seulement avec John Gay et Bertolt Brecht mais
aussi dans les ouvrages existant dans la littérature brésilienne. On peut analyser l’œuvre
de Chico Buarque de Hollanda en partant de certains éléments rhétoriques : relations de
co-présence (citation référence, allusion) et relations de dérivation (parodie, satire,
ironie).
72 On peut réfléchir à partir des mécanismes utilisés par l’auteur comme compositeur et
poète pour arriver à la construction de ses personnages : les sources d’inspiration, les
références de création, les outils extratextuels afin d’observer la confrontation entre le
réel et l’imaginaire qui engendre la transformation jusqu’à l’invention du malandro
comme catégorie littéraire.
73 Dans une recherche ultérieure, le choix de l’œuvre de Chico Buarque de Hollanda visera
également à observer le dialogue que l’auteur établit entre la littérature et les autres arts
comme centre de sa poétique de création et de son style d’écriture.

BIBLIOGRAPHIE
Oeuvre du corpus

Buarque de Hollanda, Chico A Ópera du Malandro, São Paulo : Círculo do livro, 1978.

Pièces de théâtre

Brechet, Bertolt, L’Ópera de Quat’sous (trad. De Jean-Claude Hémery), Paris : L’Arche Éditeur, 1977.

Gay, John, L’Ópera des gueux (trad. De Renée Villoteau), Paris : L’Arche Éditeur, 1959.

Articles et ouvrages de synthèse

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Milícias) », in Revista do Instituto de estudos brasileiros, n °8, São Paulo : USP, 1970, p. 67-89.

Gonçalves, Marcos, « Se segura malandro ! », in Domingueira, São Paulo : Folha de São Paulo, 1982 ,
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Paulo : Revista Sociologia da USP, 1991, N° 3, p. 93-107.

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Schwarz, Roberto, « Pressuposto, salvo engano, de ‘Dialética da Malandragem’ », in Esboço de


figura : homenagem a Antonio Candido, Vários autores, São Paulo : Duas Cidades, 1979, p. 133-154.

Travancas, Isabel S., « De Pedro Pedreira ao Barão da ralé – o trabalhador e o malandro na música
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Rio de Janeiro : PPGAS do Museu Nacional, 1999, p. 95-115.

Zeraffa, Michel, « Personnage, théâtre, théâtralité », in Oblique, n° 18/19, (Sartre), 1978,


p. 123-127.

Ouvrages théoriques

Abirached, Robert, La crise du personnage dans le théâtre moderne, Paris : Grasset, 1978.

Ciscati, Márcia Regina, Malandros na terra do trabalho : Malandragem e boemia na cidade de São Paulo
(1930/1950), São Paulo : Editora Annablume/FAPESP, 2001.

Da Matta, Roberto, Carnavals, bandits et héros : Ambiguïtés de la société brésilienne, Paris : Editions
Seuil, 1983. Coll. Esprit (Edition originale, Rocco 1979).

Glaudes, Pierre et Reuter, Yves, Le Personnage, Paris : P.U.F., 1998. Col. « Que sais-je ? ».

Gotto, Roberto, Malandragem revisada : Uma leitura ideológica da dialética da malandragem,


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Hamon, Philippe, « Pour un statut sémiologique du personnage », in Poétique du récit, Paris : Seuil,
1977.

Matos, Cláudia, Acertei no Milhar : Malandragem e samba na terra de Getúlio, Rio de Janeiro : Editora
Paz e Terra, 1982.

Pruner, Michel, L’analyse du texte de théâtre, Paris : Nathan, 2003. Col. « Lettres 128 ».

Ubersfeld, Anne, Lire le théâtre I, Paris : Belin, 1996.

Entretiens

Magazine Isto é : Entrevista com Chico Buarque de Hollanda, 02.08.1978, Rio de Janeiro.

Musée de l’image et du son : Entretien à Ismael da Silva, 29.09.66, Rio de Janeiro.

Cabral, Sergio, As Escolas de Samba do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro : Fontana, 1974.

NOTES
1. Le dictionnaire Aurélio de Hollanda définit le malandro comme un « indivíduo dado à abusar da
confiança dos outros » et encore un « indivíduo esperto, vivo, astúcio ».
2. Le dictionnaire Aurélio Edition « Milênio » va proposer deux significations pour le terme
malandragem: « 1. Súcia de malandro. 2. Qualidade, ato, dito, modos ou vida de malandro ».
3. Nous pouvons consulter utilement : Matos Cláudia op. cit. et Menezes Adélia, Figuras do
feminino na cançăo de Chico Buarque., Săo Paulo : Ateliê Editorial, 2001.
4. Cité par Travancas Isabel, De Pedro Pedreira ao Barão da ralé – o trabalhador e o malandro na música
de Chico Buarque, PPGAS du Musée National de Rio de Janeiro, 1999, p. 102.
5. Le DIP (Departamento de imprensa e propaganda – Département de la Presse et de la publicité)
a été créé en 1938 afin de contrôler la publicité contre le gouvernement de Getúlio Vargas.
6. Soulignons qu’il y avait différentes raisons pour faire adhérer les « sambistas » au projet de
l’État. Il y avait l’adhésion étique et politique au régime pour des raisons idéologiques mais on ne

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peut exclure l’intérêt économique, car le DIP payait très bien celui qui acceptait de coopérer avec
le régime.
7. On a suivi les pas de Cláudia Matos avec Acertei no Milhar – Samba e Malandragen no Tempo de
Getúlio Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1982. Pour une discussion sur l’invention ou non de la samba,
voir C. Sandroni, Feitiço Descente-Transformações do samba do Rio de Janeiro (1917-1933). Rio de
Janeiro : Zahar, 2001.
8. Cabral Sérgio, As Escolas de Samba do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro : Fontana, 1974, p. 28.
9. Interview d’Ismael Silva au Musée de l’image et du Son à Rio de Janeiro, le 29/09/66.
10. Interview d’Ismael Silva au Musée de l’image et du Son à Rio de Janeiro, le 29/09/66.
11. Ciscati Márcia, Malandros da terra do trabalho: Malandragem e boêmia na cidade de São Paulo, São
Paulo : Annablume editora, 2001, p. 100
12. Interview de Chico Buarque avec la journaliste Maria Amélia. Magazine Isto é. 02/08/1978.
13. Gonçalvez Marcos, « Se segura malandro! », in Folha de São Paulo, Domingueira, s.d. p. 107.
14. Da Matta Roberto, Carnavals, Bandits et Héros, Paris : Seuil, 1983, p. 263.
15. Ciscati Márcia, op. cit., p. 21.
16. En général, le trickster est un héros dupeur, rusé, comique, protagoniste d’exploits et
dépendant du récit où il se trouve : dans un passé mystique ou dans le temps présent.
17. Da Matta Roberto, op. Cit. p. 264.
18. Queiroz Renato, « O herói trapaceiro - reflexões sobre a figura do trickster » in Tempo Social,
Rev. Sociologia da USP, São Paulo: 1991. N°3. p. 93-107
19. On peut citer comme exemple Antonio Camdodo, « Dialética da Malandragem » (1970),
Roberto Da Matta Carnavais, Malandros e Heróis (1979) et Cláudia Matos (1982), op cit.
20. Interview à Chico Buarque. Magazine Isto é. 02/08/1978.
21. Santiago Silvano, Préface in Claudia Matos, op. cit., 1982.
22. « Dialética da Malandragem » est un article paru en 1970 qui a comme objectif d’analyser le
roman de Manuel Antonio de Almeida Mémoire d’un Sergent de la milice et de trouver sa
caractérisation en tant que genre littéraire.
23. Schwarcz Roberto, Pressuposto, salvo engano da dialética da malandragem in Esboço de figura
– homenagem a Antonio Candido, São Paulo : Duas Cidades, 1979, p. 133.
24. Candido Antônio, « Dialética da malandragem », in Revista do Instituto de Estudos Brasileiros. N
° 8. São Paulo : USP, 1970, p. 83.
25. Gotto Roberto, Malandragem revisada, uma leitura ideológica da « Dialética da Malandragem »,
Campinas : Pontes, 1988, p. 29.
26. Buarque de Hollanda Chico, op.cit., p. 85.
27. Moritz Lilia, « Le complexe de Zé Carioca. Notes sur une certaine identité métisse et malandra », in
Lusotopie, Karthala, 1997, p. 260.
28. Gotto Roberto, op.cit., p. 29-30.
29. Ubersfeld Anne, op.cit., p. 99.
30. Matos Cláudia, op.cit., p. 54.
31. Da Matta Roberto, Conta de Mentiroso, Rio de Janeiro Rocco, 1993, p. 36.
32. Interview de Chico Buarque avec la journaliste Maria Amélia. Magazine Isto é. 02/08/1978.

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RÉSUMÉS
Cet article propose de faire une étude du personnage masculin dans l’œuvre théâtrale Ópera do
Malandro de Chico Buarque de Hollanda, dramaturge, romancier et musicien brésilien. Pour
développer une analyse à partir des figures référentielles de Max et Duran comme représentants
centraux de l'intrigue, il nous faut d’abord essayer d’esquisser une typologie du malandro, de
notre point de vue, élément catalyseur dans cette pièce. En ce sens, nous allons nous concentrer
sur l’univers sociologique de l’Ópera do Malandro. Les signes, les rapports sociaux et la genèse du
personnage malandro sont focalisés de telle façon que nous pouvons avoir une perception de sa
représentation comme élément allégorique. Pour conclure, nous allons présenter au lecteur
quelques pistes pour de futures recherches en études intertextuelles et rhétoriques au travers de
cette magnifique œuvre de Chico Buarque de Hollanda.

This article aims to propose a study of the masculine character in the play Ópera do Malandro by
Chico Buarque de Hollanda, the Brazilian playwright, novelist, and musician. In order to carry
out an analysis based on Max and Duran’s referential figures as main representatives of our
drama, we will write an essay to outline a malandro’s typology, who is, from our point of view, the
catalysing element of this play. For this reason, we will concentrate on the sociological universe
of Ópera do Malandro. The symbolic elements, the social references and the genesis of the Malandro
character are portrayed in such a way that we can reach a perception of this representation as an
allegorical element. To conclude, we will present to the reader any hints that will contribute to
future works on the intertextual and rhetorical studies of this magnificent Chico Buarque de
Hollanda's play.

Este artigo se propõe fazer um estudo do personagem masculino da peça teatral Ópera do Malandro
de Chico Buarque de Hollanda, dramaturgo, romancista e músico brasileiro. Para desenvolver
uma análise a partir das figuras referenciais de Max e Duran como representantes centrais do
nosso drama, faremos um ensaio para esboçar uma tipologia do malandro, do nosso ponto de
vista, elemento catalisador desta peça. Neste sentido, vamos nos concentrar no universo
sociológico da Ópera do Malandro. Os elementos simbólicos, as referências sociais e a gênese do
personagem malandro são focalizados de modo que nós possamos ter uma percepção desta
representação como elemento alegórico. Para concluir, vamos apresentar ao leitor quaisquer
pistas que contribuirão para as futuras pesquisas sobre os estudos intertextuais e retóricos desta
magnífica obra de Chico Buarque de Hollanda.

INDEX
Index géographique : Rio de Janeiro, Brésil
Mots-clés : Ópera do Malandro, interdisciplinarité, intertextualité, théorie du personnage,
théâtre, théâtralité
Keywords : interdisciplinarity, intertextuality, character theory, theatricality
Palavras-chave : interdisciplinaridade, intertextualidade, teoria do personagem, teatro,
teatralidade

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AUTEUR
ANDRÉ LUIZ RAMALHO AGUIAR
Université Nationale de Asunción (UNA)
aramalho2011@gmail.com

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