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LA DGSI, UN MONDE EN MUTATION

Jean-François Clair

Association Après-demain | « Après-demain »

2016/1 N ° 37, NF | pages 24 à 26


ISSN 0003-7176
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LE RENSEIGNEMENT N° 37 (NF) • Janvier 2016

Jean-François CLAIR

LA DGSI, UN MONDE EN MUTATION

La Direction générale de la sécurité intérieure certains ont été impliqués à leur retour dans des ac-
(DGSI) a été créée en 2014. Elle succède à la Direction tivités ou projets terroristes. La DST avec sa double
centrale du renseignement intérieur (DCRI) qui elle compétence « renseignement et judiciaire  » s’est
même avait remplacé en 2008 la Direction de la sur- alors investie dans ce domaine.
veillance du territoire (DST) et la partie des Rensei-
gnements généraux (RG) traitant des problèmes de
sécurité nationale (extrémisme, terrorisme interne..). … À LA CONCURRENCE NÉFASTE
Enfin la France dispose, à l’instar de la plupart de ses CONDUISANT À LEUR FUSION
voisins européens, d’un véritable organe de sécurité
intérieure bénéficiant d’une autonomie qui lui per- Les Renseignements généraux, bien implantés sur
met de bénéficier des ressources nécessaires à la l’ensemble du territoire et chargés entre autres de
réalisation de ses missions. suivre les populations à risque, se sont naturelle-
ment intéressés aussi à ces problèmes.
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DE LA CRÉATION EN 1944 DE LA DST Ce qui aurait du être un partage des compétences est
devenu une concurrence néfaste qui aurait pu occa-
AUX FINS DE COLLABORATION sionner des résultats fâcheux.
AVEC LES RG… Un directeur général de la police a du admettre à
l’époque qu’il ne voyait pas comment régler le pro-
Mais revenons à la réforme de 2008 qui a créé un ser- blème de partage des missions dans ce domaine.
vice de sécurité intérieure unique.
La DST et notamment deux de ses directeurs, anciens
La DST a été créée en novembre 1944, après la responsables des RG, ont préconisé très tôt la fusion
Libération, comme service de contre-espionnage. des deux structures, pour des missions exclusive-
ment consacrées à la sécurité nationale.
Disposant d’effectifs assez limités, elle a su s’adap-
ter aux événements. C’est ainsi qu’elle a du mobiliser Cette réforme avait pour ambition de mettre en com-
70% de ses personnels pendant la durée de la guer- mun les points forts des deux services : une bonne
re d’Algérie et n’a pu véritablement se consacrer à sa implantation territoriale et une plus grande souples-
mission de contre-espionnage qu’à partir de 1962. se pour les RG, et pour ce qui concerne la DST, ses
capacités techniques, son tissu de relations interna-
L’apparition et la montée en puissance du terrorisme tionales, sa rigueur, ses capacités judiciaires et sa
international au début des années soixante-dix mais centralisation.
surtout quatre-vingt l’a de nouveau obligée à s’adap-
ter, à effectifs constants, en raison de la poursuite de Le reliquat des RG a été affecté à la Direction centra-
la Guerre froide qui nécessitait de ne pas baisser la le de la sécurité publique de la police (DCSP) pour
garde sur l’espionnage du « Bloc de l’Est ». constituer une sous direction de l’information géné-
rale (SDIG), implantée, comme les RG auparavant,
Le développement du djihad dans les années quatre- dans chaque département et chargée du renseigne-
vingt-dix, qui s’est matérialisé d’abord en Algérie, a ment territorial. Cela aurait été une bonne idée si la
fini par déborder sur le sol national avec principale- SDIG avait reçu des missions précises et si la Sécurité
ment les attentats du Groupe islamique armé (GIA) publique s’était davantage impliquée. Au contraire
en 1995, mais aussi la participation de jeunes fran- les personnels se sont sentis laissés pour compte et
çais à des formations en Afghanistan et ailleurs dont certains prônaient même une re-création des RG.

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N° 37 (NF) • Janvier 2016 LE RENSEIGNEMENT

À Paris et dans les départements limitrophes les an- sein de cette dernière entre la direction et ses struc-
ciens RG de la préfecture de police devenaient la tures de province.
Direction du renseignement de la préfecture de poli-
Mais toujours pas de renforts, en terme quantitatif et
ce (DRPP).
qualitatif, (la DCRI avait besoin de spécialistes dont
elle ne possédait qu’un tout petit nombre) et une in-
2008 : LA CRÉATION suffisance croissante des moyens techniques au
D’UNE VÉRITABLE COMMUNAUTÉ regard de l’évolution exponentielle de ce domaine.
DU RENSEIGNEMENT
LE RENFORCEMENT DES SERVICES
L’un des principaux défis qui s’est posé à la DCRI à sa
création était d’allier dans un temps optimum les
FACE À LA RÉALISATION
deux cultures : les 1 800 personnes de la DST surtout DU RISQUE TERRORISTE
basées à Paris et 1 500 des RG, en majorité en poste
en province. Ce n’était pas un objectif facile. C’est la création de la DGSI en mai 2014 qui lui per-
Pourtant, malgré les difficultés rencontrées et plu- met de recruter 430 personnels supplémentaires
sieurs mises en cause du service, le processus paraît dont 60% de non policiers (ingénieurs, techniciens,
à présent bien engagé. analystes, traducteurs..). La SDIG qui reste rattachée
à la sécurité publique devient le SCRT (service central
Le Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité du renseignement territorial) avec des missions
nationale a créé enfin une véritable communauté du fixées avec précision et la participation de la gendar-
renseignement pilotée depuis la présidence de la merie tandis que la DRPP demeure. Ces deux
République, constituée de 6 services dont la DCRI services seront renforcés.
(devenue depuis DGSI). Ses relations avec la DGSE
se sont de ce fait régularisées. Des plates-formes Le terrorisme djihadiste continue à croître dans le
communes ont été constituées et des échanges de monde, favorisé par le « printemps arabe » et les
responsables, toutefois encore très limités en guerres civiles qu’il a engendrées (Syrie) ou aggra-
vées (Irak), avec un afflux croissant de volontaires
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nombre, ont été effectués.
étrangers, dont plusieurs centaines venues de France.
L’avènement de l’État islamique (Daech) et sa prise
L’INSUFFISANCE CROISSANTE de contrôle en 2014 de pans entiers de la Syrie et de
DES MOYENS l’Irak ont créé une situation nouvelle. Pour ce qui
MALGRÉ L’AUGMENTATION concerne la menace terroriste, il est clair que ses di-
rigeants ne cessent d’annoncer aux pays européens,
DE LA MENACE TERRORISTE et principalement à la France, des actions spectacu-
Pour faire face à l’augmentation de la menace djiha- laires.
diste sur notre sol, qui se manifestait déjà depuis Les attentats empêchés ou réalisés sur notre sol, y
plusieurs années et qui était de plus en plus le fait compris ceux de janvier contre Charlie Hebdo et une
d’individus ou de groupuscules issus de la popula- épicerie casher de Saint-Mandé, ont été des initia-
tion, il aurait fallu dès 2008 doter la DCRI et la SDIG tives de «  locaux », même si les auteurs se sont
d’effectifs supplémentaires. Or le Livre blanc, s’il au- revendiqués, les uns de Daech, l’autre d’Al-Qaïda.
torisait la DGSE à recruter 900 personnes sur 5 ans,
Depuis janvier il apparaît bien que tous les attentats
n’a rien prévu pour les services intérieurs.
empêchés, commis ou tentés en France (Thalys, pro-
Si de 1996 à 2012 aucun attentat « djihadiste » ne jet contre une église de Villejuif…) et en tous cas ceux
s’est produit sur notre sol, c’est grâce à l’action des du 13 novembre à Paris et au Stade de France ont été
services et singulièrement de la DST puis de la DCRI. organisés par Daech en utilisant des francophones.
L’affaire Merah en mars 2012 a montré les limites des
Le nombre d’individus à surveiller a donc cru de ma-
capacités de riposte devant la croissance de la popu-
nière spectaculaire au cours des trois dernières
lation à risques. La DCRI a été mise en cause pour ne
années, pour atteindre un chiffre de quelques mil-
pas l’avoir empêché d’agir, alors que la Justice, après
liers.
15 ans sans attentats commis, se montrait réticente à
se saisir de ce genre de cas « faute d’éléments tan- Il est clair que les moyens à disposition étaient notoi-
gibles ». rement insuffisants.
Des mesures ont cependant été prises, pour mieux Après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo,
coordonner l’action entre la SDIG et la DCRI et au la DGSI a été accusée de ne pas les avoir empêchés

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LE RENSEIGNEMENT N° 37 (NF) • Janvier 2016

alors que « les auteurs avaient déjà attiré l’attention ... POUR UNE COMMUNAUTÉ
dans le passé et que certains avaient même été sur-
veillés ». En fait, faute d’éléments concrets recueillis DU RENSEIGNEMENT EFFICACE
au cours des enquêtes réalisées, le service était passé
logiquement à d’autres cibles. La DGSI doit tenir le rôle principal dans la lutte contre
le terrorisme mais ne doit pas tout faire. La complé-
Après janvier la DGSI a été autorisée à recruter 500 mentarité avec les autres services concernés doit
personnels de plus et le SCRT autant... être optimale tant au plan national (services territo-
riaux mais aussi DGSE…) qu’international.
Après les attentats de novembre, pour lesquels en
l’état actuel de l’enquête tout a été organisé à partir Certaines voix appellent à la re-création des RG. Ce
de la Belgique avec aucune complicité préalable en serait à mon avis une grave erreur et c’est inutile si le
France, d’autres recrutements ont été autorisés. SCRT renforcé joue son rôle… Car de quoi s’agit il ?
Travailler au niveau du terrain ? Or la Sécurité pu-
blique en est désormais convaincue pour l’ensemble
AU DELÀ DES BESOINS MATÉRIELS, des menaces qu’elle traite et elle dispose d’impor-
DES AMÉLIORATIONS tants effectifs. Recréer une direction des RG c’est
OPÉRATIONNELLES… revenir en arrière, car elle pourrait être tentée de re-
venir à certaines « habitudes ».
Comment procéder quand il existe une longue liste Certains voudraient que la police judiciaire traite de
d’individus suspects, puisque seule une petite partie l’ensemble de l’aspect judiciaire du problème. Or on
peut être surveillée ? a vu dans le passé que la DGSI et les services qui
Il faut d’abord une répartition du travail entre les ser- l’ont précédée étaient souvent plus motivés.
vices de renseignement intérieur et une coordination D’autres préconisent que la DGSI prenne en charge
quotidienne. C’est la raison pour laquelle une autori- toutes les procédures. Ce n’est pas son cœur de mé-
té opérationnelle a été créée avant l’été auprès du tier et cela demande beaucoup de personnels plus
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ministre de l’Intérieur qui se décline sur tout le terri- utiles ailleurs.
toire avec la participation de l’ensemble des préfets.
La formule actuelle d’un partage de compétence et
L’idéal serait par ailleurs de traiter judiciairement de co-saisines privilégiée par les magistrats paraît la
tous les individus suspects ou ayant attiré l’attention meilleure formule.
mais ce n’était pas juridiquement possible. C’est ce
que l’état d’urgence a permis au moyen de perquisi- Il y a lieu d’insister encore sur l’importance des coor-
tions administratives dinations tant au plan de la lutte contre le terrorisme
que de la communauté du renseignement. Elles ne
Quant aux « fameuses » fiches d’attention S qui ont doivent pas cesser de s’exercer avec autorité et fer-
tant nourri les critiques, encore faut-il que les titu- meté par les autorités responsables. La communauté
laires soient contrôlés… dans un contexte de libre du renseignement doit à mon avis demeurer dans sa
circulation !! configuration actuelle et en aucun cas intégrer, com-
me certains le demandent, les services territoriaux.
Il faut à présent regarder l’avenir : la menace subsis- Elle y perdrait de sa force et de sa cohérence.
te et ne va pas cesser de sitôt. Il faut s’attendre à de
nouvelles actions. La DGSI, si elle consacre, et va continuer probable-
ment encore longtemps à consacrer, une part pré-
Le dispositif doit donc être le plus complet possible pondérante de ses ressources au contre-terrorisme,
avec des ressources suffisantes. doit pouvoir en même temps assumer l’essentiel de
D’ores et déjà un grand nombre de mesures d’ordre ses autres missions, contre-espionnage, contre-pro-
lifération, défense économique… car le monde est
divers ont été mises en place au cours des derniers
ainsi fait que les autres menaces contre les intérêts
mois par les autorités qui sont désormais en œuvre
nationaux subsistent.
ou en voie de l’ être.
Adoptée avant l’été, une loi sur le renseignement, an-
noncée par le livre blanc en 2008, donne des moyens Jean-François Clair
d’investigations réclamés depuis plusieurs années Inspecteur général honoraire de la Police nationale
par les services et en organise le contrôle. Ancien directeur adjoint de la DST

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