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TAGADA TSOIN TSOIN

1. EXT. CIMETIERRE. JOUR

Devant le portail monumental d’un cimetière parisien. Une


famille semble prendre la pose. Il y a le père avec une
urne dans les bras. La mère avec un masque sur le visage.
Le fils âgé d’une vingtaine d’années et la fille qui semble
un peu plus jeune. Elle aussi porte un masque en forme de
bonnet de soutien-gorge en dentelle noire.

2. INT. VOITURE. JOUR

Sur la banquette arrière d’une voiture l’urne est posée


entre le frère et la sœur. Le père conduit.

Le fils - On va le mettre où ?

La fille - Sur le balcon avec les plantes de


maman.

La mère - Ah non ! Je ne le veux pas à la maison.

Le père - On va le mettre chez lui. En attendant.

Un policier arrête la voiture.

Le père ouvrant sa vitre - Bonjour Monsieur, mon père est


décédé, on vient de récupérer ses cendres.

Le policier - Désolé. Toutes mes condoléances. Papier du


véhicule, permis de conduire, attestation de
déplacement. Vous savez que vous êtes en sens interdit ?

3. INT. APPARTEMENT DU DEFUNT. JOUR

L’urne est posée sur une table. Au mur une grande affiche
ancienne « course à La capelle 1949 » représente un
trotteur.

La mère relisant la contravention - Même mort il


nous coûte encore cher.

Derrière elle, ses enfants regardent un bibelot, défont


des cadres photo. On aperçoit de vielles photos
d’arrivées de courses avec le nom des vainqueurs :
Ourasi, Bellino Deux, Jamin…

La mère - Et puis arrêtez de toucher à tout.


Désinfectez- vous les mains. Ou mettez des gants.
La fille - Maman il a été emmené à l’hôpital y’a
quatre semaines. Le virus meurt au bout de quelques
heures sur les objets.
La mère - Oui mais vaut mieux être prudent. Ton grand
père aurait dit la même chose.

Le fils (ironique) - Contaminé au pmu du coin pour


avoir été faire son tiercé. Super prudent papy.

La fille prend dans ses mains une grosse coupe qui ressemble
à une urne. Sur la coupe-urne, une cartouche en laiton sur
laquelle est inscrite : « Pepito D’Avinet ».

La mère – Touche pas à ça.

La fille (ne l’écoutant pas) – Il était vraiment était


barjo papi. Garder les cendres d’un cheval de course.

Elle lit les inscriptions gravées au dos de la coupe.

La fille – Deuxième à Neuillè Pont Pierre, troisième à


ecommoy.

Le fils – Un trotteur… Qui préférait galoper. Jamais


gagnant. Pepito c’était pas un « chocolat ».

La mère – Il a ruiné papi. Que fais ton père ? On y va ?

À l’écart dans une autre pièce le père semble perdu dans ses
souvenirs. Dans le tiroir d’un meuble, il regarde une
vieille pince à tiercé, des photos d’arrivée de courses
découpées dans des journaux sur lesquelles sont inscrits des
dates et des sommes sans doute gagnées et là encore le nom
des chevaux : Ready Cash, Une de Mai… La mère arrivant
derrière lui, caresse d’un geste tendre la joue de son mari.

La mère - Chéri on y va. On verra ça plus tard.

Le père et la mère reviennent dans la pièce principale. Le père


aperçoit l’urne du grand-père sur la table.

Le père – Il est mort tout seul. J’aimerais mieux l’amener


chez nous.

La mère – Fais comme tu veux

La fille (toujours avec la coupe dans les mains) – On


prend Pepito pour lui tenir compagnie ? Puisqu’il y tenait
tant.

4. EXT. RUE – VOITURE. JOUR


Dans la rue. La voiture ne veut plus redémarrer. Après
plusieurs tentatives infructueuses le père laisse la place à
son fils qui se met au volant. La mère et la fille sont sur
le trottoir. Elles tiennent chacune une urne. Mais rien n’y
fait la voiture ne démarre pas.

Le fils - Allez-y poussez !

La fille tend l’urne à sa mère. Puis avec son père s’exécute


poussant la voiture qui se met d’un seul coup à brouter et à
avancer lentement. Ils se précipitent à l’intérieur.

La fille - On a oublié maman.

La voiture continue d’avancer lentement. La mère court


derrière eux, les deux urnes dans les bras, essayant de
rattraper la voiture en marche, sans les faire tomber.

La mère (en courant) - Quelle journée. Mais


quelle journée !

5. INT. CABINE DE CAMION. JOUR

Un camionneur sans masque. Il est assez gros et semble


prendre toute la place. Les membres de la famille, eux, ont
cette fois tous un masque. De fabrication maison avec des
tissus et des couleurs improbables. On reconnaît les masques
de la mère et de la fille qu’elles portaient tout à l’heure.
La fille est sur les genoux de son frère. Tout le monde
est serré les uns contre les autres. Le père tient l’urne
du grand père sur ses genoux. Celle du cheval est placé en
équilibre instable sur le tableau de bord du camion.

Le camionneur – Vous avez perdu vos deux parents ?

Le père acquiesce de la tête. Les yeux des enfants semble


sourire de la réponse de leur père.

Le camionneur – Vous avez vraiment pas de chance.

Un silence.

Le camionneur – Faudrait pas se faire arrêter par les


flics en plus.

Le camionneur sourit heureux de sa blague.


Derrière son masque mimique inquiète de la mère.

Le père (à travers son masque, comme à lui-même)


– Déjà fait.

Le camionneur (qui jette un coup d’œil rapide à


la sœur) - Hein..?

Le père - Vous croyez que l’addition va être salée ?

Le camionneur (matant clairement la sœur) - Moi


j’crois c’est la courroie de transmission.

Le camionneur (s’adressant à la sœur en regardant


avec insistance le masque qu’elle porte) – On en
fait des trucs avec un soutien-gorge. On peut même
réparer une courroie.

La fille – J’en porte pas.

Le camionneur (baissant son regard vers la poitrine de la


sœur) - Hein.. !

La mère – Bon on regarde la route… Assez de catastrophe


pour aujourd’hui.

Plan du camion remorqueur avec la voiture familiale sur le


plateau arrière.

6. EXT. TROTTOIR DEVANT UN IMMEUBLE. JOUR

La famille est déposée par la camionneur qui s’en va sans


tarder. Le camion remorqueur, toujours chargé de la
voiture familiale, disparait à l’angle de la rue.

Le fils (qui s’étire) – J’commençais à avoir mal au


jambe.

La mère (regardant la facture de la dépanneuse) – Je m’en


souviendrais de cette journée.

Le père (voyant sa fille les mains vide et son fils


s’étirer) – Il est où Pepito ?

Le fils – Moi, on m’a rien donné.

La mère – Je faisais le chèque pour le dépanneur. Je m’en


suis pas occupé.

La fille (à son frère) – J’croyais que c’était toi.

Le père (qui hausse le ton) – Bordel ! Elle est restée


dans le camion.
Le père (très énervé s’adressant à son fils) – Comment on
fait pour oublier une urne ?

Le fils – Comment on fait pour prendre un sens interdit ?

7. INT. CABINE DU CAMION. JOUR

On retrouve le camionneur qui conduit tranquillement. Il


s’aperçoit d’un coup de la présence de l’urne.

Le camionneur – Merde !

Il ne s’arrête pas et continue sa route. Il jette de temps en


temps un coup d’œil à l’urne. Il semble intrigué par
l’inscription sur la cartouche de l’urne. Il essaye d’attraper
l’urne qui se trouve à l’autre bout du tableau de bord. Au
moment où il va l’attraper, il frêne violement et l’urne tombe.

Le camionneur – Bordel !

Elle se déverse en partie dans la cabine, le couvercle s’étant


ouvert dans la chute.

8. EXT. BORD DE ROUTE. JOUR

Le camion est arrêté. La porte passager est ouverte. Le


camionneur avec une balayette essaie de récupérer les cendres
qui se sont dispersées dans la cabine. Il téléphone en même
temps.

Le camionneur – Oui, monsieur … C’est moi, le dépanneur …


Ah vous vous en êtes rendu compte … Oui elle est là. Tout
va bien

Une partie des cendres tombe sur le trottoir de la rue.

Le camionneur – Le problème c’est que je suis un peu loin.


Vous pouvez passer demain ? … Appelez-moi … Désolé ma
journée n’est pas finie. A demain, excusez-moi.

9. INT. APPARTEMENT FAMILIAL. SOIR

Le soir. Le père, la fille et la mère sont sur le balcon.


Immobiles et silencieux. Des applaudissements et du bruit
d’un seul coup retentissent des autres balcons. La mère se
met alors à taper sur une poêle avec une grande cuillère en
bois. Le père et la fille applaudissent. Le fils arrive sur
le balcon.

Le fils - Ils ne l’ont pas sauvé. Et vous les


applaudissez.
La mère - Ils en sauvent tellement d’autres.
Puis subitement le père se met à crier.

Le père - Allez Pepito d’Avinet...(hurlant au bord


des larmes) – Allez Pepito !

Il crie toute sa rage, sa colère, sa peine, sa douleur.

Le père - Bellino deux... Idéal du Gazeau... Jamin...

Le fils (comprenant la détresse de son père se met à


crier lui aussi) - Ourasi

La fille - Ready...
Ready...

Le père (l’aidant) - Cash

Le père et la fille (ensemble) - Ready


cash...

Le fils - Bold eagle...

Puis faisant une petite tape à sa mère pour


qu’elle participe.

La mère (hésitante) - Allez... Allez ... Tagada


tsoin tsoin (puis hurlant) Tagada tsoin tsoin

Le fils sourit - Tagada tsoin tsoin ? N’importe quoi.

Le père et la fille rient.


La mère rentre dans l’appartement en chantant, tapant sur
sa poêle en rythme.

La mère - Ta-ga-da tsoin tsoin... ta-ga-da tsoin tsoin...

10. EXT. GARAGE AUTOMOBILE. JOUR

Un camion EDF avec une nacelle se trouve dans la cour d’un


garagiste. Parmi toutes les voitures autour, on reconnait la
voiture familiale. Le père est en bleu de travail tout propre.
Le camionneur d’hier l’accueille dans un bleu de travail bien
moins propre.

Le camionneur – Bonjour vous avez trouvé facilement ?

Le camionneur s’approche pour lui serrer la main mais le père


se recule et le salue à distance.
Le père – Oui, avec l’aide du GPS.

Le père aperçoit l’urne qui trône sur un meuble établi entouré


d’un bric-à-brac devant un mur décoré de posters de femmes en
bikini.

Le camionneur - Ça va prendre quelques jours avant d’avoir


la pièce. C’est compliqué en ce moment.

Le père – Je ne viens pas pour ça.

Le camionneur – Ah oui c’est vrai. Elle est là.

Il attrape l’urne qui semble avoir été lustré, plus brillante


que la veille.

Le camionneur (en lui tendant l’urne) – Voilà.

Au moment où il lui tend, un côté de la cartouche se défait.


Elle se met à pendouiller dans le vide.

Le père – Attention !

Le camionneur – J’vais vous mettre un coup de colle.

Le père - Non laissez.

Le camionneur s’est déjà précipité avec l’urne sur son établi


et cherche de la colle.

Le camionneur – Pepito D’Avinet ? Un chien de race ?

Le père (gêné) – Oui. Je suis désolé pour hier.

Le camionneur répare la cartouche avec un point de colle.

Le camionneur – Voilà. Ça ne se voit pas.

Le père récupère l’urne.

Le camionneur – Vous avez dû les faire piquer tous les


deux ? À cause du confinement ? Ça fait de la peine…

Le père ne sait quoi répondre.

Le camionneur (suite) – …les animaux. Moi, Gordon, mon


berger allemand, quand j’l’ai perdu ça m’a fait autant de
peine que quand j’ai dû abandonner ma « Lorette », mon
premier camion. Un camion c’est comme un chien, toujours
fidèle.
Le père l’interrompt.
Le père – Je dois y’aller. Le travail… (montrant du regard
le véhicule).

Le camionneur – Ça c’est du camion ! C’est quoi comme


marque, on dirait un Kamaz.

Le père (s’éclipsant) – Je vous appelle. Merci encore.

11. INT. APPARTEMENT FAMILIAL. JOUR

La fille s’affaire sur une machine à coudre. Bruit de la


machine qui coud. La mère est attablée et remplie une
attestation de déplacement. Le fils arrive dans la salle à
manger, pas coiffé, en teeshirt et caleçon. Il vient de se
lever.

Le fils - Tu vas où ?

La mère - À la banque et faire les


courses.

Le fils - Achète des choco BN.

La mère - Encore !

Le fils - Et des Pim’s !

Le bruit de la machine à coudre s’est arrêté. La mère


se prépare.

La mère - Bon mes gants et mon masque.

La fille s’approche de sa mère.

La fille - Tiens essaye celui-là.

Elle lui tend le masque qu’elle vient de fabriquer. Un


masque en tissu noir imprimé de pistolets couleur argent.
La mère fait une moue sceptique mais s’exécute.

La fille - T’as jamais rêvé de pénétrer dans une


banque avec un masque sur la tête. Bonnie Parker.

La mère enfile et ajuste le masque. Le fils la regarde


avec attention.

Le fils - Non. Bonnie Tagada.


Puis s’adressant à sa sœur.

Le fils - La prochaine fois essayes de trouver un


tissu avec des fraises.

La mère ne les écoute plus, met son manteau. Passant devant


son fils, elle lui mime le geste d’un doigt qui passe sous
son nez.

La mère (à son fils) - Choco BN. Tsoin tsoin.

12. EXT. BOIS DE VINCENNES. JOUR

Le camion EDF avec sa nacelle élévatrice est arrêté le long


des arbres, sur le bord d’une route pavée. On reconnaît le
père. Il actionne la nacelle qui s’élève dans les airs.
Arrivé à la hauteur d’un câble électrique la nacelle
s’arrête. Par-dessus les arbres, le père contemple le
paysage. Il aperçoit au loin la silhouette de l’hippodrome de
Vincennes. Il la fixe longuement.

13. INT. APPARTEMENT FAMILIAL. SOIR

Le père est devant un écran d’ordinateur. La fille


arrive derrière lui.

La fille - Qu’est-ce que tu fais ?

Le père - Je cherche ton grand père.

Le père regarde des images en noir et blanc de courses


de chevaux. La fille est interloquée.

Le père - Quand j’étais petit, tous les Dimanches mon


père allait à l’hippodrome. Comme ma mère ne voulait pas
qu’il m’emmène trop souvent. Il me disait regarde le
Tiercé à la télé tu verras papa. Alors moi j’étais là
devant l’écran à attendre de le voir. Mais je ne le
voyais jamais. Et puis un jour j’ai aperçu sa silhouette
sur l’écran. « Regarde maman y’a papa à la télé. » Le
temps que ma mère se retourne, l’image avait changé.

La fille - Et tu crois que tu vas la retrouver


cette image.

Le père - Non.

Il éteint son ordinateur.

Le père - On le fait ce Scrabble ?

La fille - J’vais encore te battre.

14. INT - EXT. CAMIONNETTE - RUE DE PARIS. JOUR


Une camionnette EDF. Le collègue du père conduit la
voiture. Le père assis à ses côtés, lui, contemple les rues
de Paris qu’ils traversent, presque désertes. L’ambiance de
la ville est irréelle.

15. INT. IMMEUBLE PARISIEN. JOUR

Le collègue du père s’affaire sur un énorme compteur


électrique. Un homme qui pourrait être le concierge est là
à ses côtés.

L’homme - Manquait plus que ça. Vivement que


l’électricité revienne.

Le père regarde la cour de l’immeuble. Desserte. Silencieuse.


Rien ne s’échappe des fenêtres de l’immeuble. Le ciel est
bleu.

Le père (à lui-même) - Vivement que la vie revienne.

16. INT. APPARTEMENT FAMILIAL. JOUR

Le père et la mère jouent au Scrabble. Les


enfants apparaissent avec l’urne du grand père.

Le père - Qu’est-ce que vous faites avec ça ?

La mère (affolée) - Oh la, la, la, la ! Remettez-


les en place.

Le fils (au père) – Viens, fais nous confiance.

La fille - On va faire plaisir à papy. Et à


toi.

Le père (énervé) - Ça ne me fait pas rire. Qu’est-ce


que vous faites avec ça ?

Le fils – Mais papa fais nous confiance s’il te plait.

La fille (au père) – Viens avec nous.

La mère - Mais vous êtes fous.

17. EXT. ABORDS DE L’HIPPODROME. JOUR

Trois vélos sont appuyés contre la grille longeant l’hippodrome


de Vincennes. Derrière la clôture, à l’intérieur, le père avec
l’urne du grand-père, le fils avec celle du cheval et la fille
sont sur la piste de l’hippodrome. Le fils ouvre son urne qu’il
disperse sur la piste. Peu de cendre s’en échappe.

Le fils – Ton rêve Pepito. Vincennes…

La fille aide son père à ouvrir l’urne et ensemble ils


dispersent les cendres.

La fille – Ton rêve, papi.

Le père (ému) – Je te verrai tout le temps à la télé,


maintenant.

Au loin sur la piste une voiture de l’hippodrome fonce vers eux


à toute allure. En voyant la voiture arriver, ils se dépêchent
et s’entraident pour escalader la clôture, non sans difficulté.

18. EXT. BOIS DE VINCENNES. JOUR

Une rue pavée du bois de Vincennes. Le fils pédale à toute


allure. Derrière lui sa sœur le suit facilement. Plus loin le
père essaye tant bien que mal de les suivre. Il peine. Mais
il semble heureux.

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