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SCIENCE POLITIQUE :
DES OBJETS CANONIQUES REVISITES *
* Je remercie les membres du Comité de Rédaction pour leur relecture de cette introduction à ce
dossier de Sociétés Contemporaines. Elle est conçue de telle sorte qu’elle puisse introduire le
lecteur à d’autres aspects de la Science Politique que ceux traités dans ce numéro.
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pouvoir, les autres suspectent les premiers d’être aveugles sur leur contribution
propre à la reproduction des rapports sociaux (Baudoin, 1994), ou utopiques.
Elle ne facilite pas en tout cas les échanges nécessaires d’un strict point de vue
scientifique. D’où l’utilité de ce numéro : faire connaître des travaux (ceux des
auteurs mais aussi l’ensemble des recherches auxquelles ils se réfèrent) qui relèvent
de la Science Politique et qui ont toute leur place dans les sciences sociales.
DES OBJETS CANONIQUES REVISITES
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tation de Charonne, dont l’histoire semble toujours à faire et à refaire, comme si son
souvenir ne pouvait « s’imprimer durablement dans les mémoires individuelles, dans
les calendriers de célébration politiques ou encore dans les livres et les manuels
d’histoire », tel est l’objet de l’étude de Brigitte Gaïti qui doit être lue en ayant en
tête les conflits qui ont aujourd’hui pour enjeux la « mémoire » (Vichy par
exemple). La démarche analytique adoptée par l’auteur peut participer à construire
un cadre de compréhension permettant de se déprendre des enjeux actuels incon-
sciemment investis dans la réactivation, la commémoration ou la censure du passé
(Lavabre, 1994).
À l’analyse de cette histoire exemplaire « oubliée », l’étude d’Isabelle Sommier
sur certaines interprétations de « Mai 68 » apporte un utile contrepoint. Étudiant sur
le vif, elle aussi, la mise en intrigue dominante de ces événements de Mai 68 et le
travail de « sélection d’intrigue » qui l’organise, elle suggère tout ce que doit cette
réception aux logiques propres du champ intellectuel, tel qu’il est régi par le travail
de réinterprétation auxquels s’adonnent ceux qui donnent sens aux événements en
tentant de trouver le sens de leurs déplacements et placements propres.
Quant à Johanna Siméant, son étude des mobilisations d’étrangers en situation
irrégulière met en œuvre nombre de schèmes d’analyse issus des travaux anglo-
saxons consacrés aux mobilisations collectives. Le déplacement du questionnement
qu’elle opère ainsi sur la question de l’immigration participe à restituer
intellectuellement aux immigrés leur dimension de sujets actifs et militants, se
mobilisant au prix d’actions souvent « auto-mutilantes » (les grèves de la faim). Elle
évite ainsi que l’analyse scientifique ne reproduise, même au nom d’intentions
généreuses, un point de vue misérabiliste ou populiste.
L’article que Frédéric Sawicki consacre au Parti Socialiste tente, sur le cas précis
du Finistère, de montrer les limites des analyses qui ne prennent pas en compte
l’ensemble des déterminants qui donnent leur forme spécifique à une configuration
partisane locale, à la fois exprimée et masquée par des analyses dont la focale est
réglée sur des catégories trop grossières pour être effectivement explicatives. Ainsi
qu’il le souligne, « un parti est à la fois indissociablement ce qui se passe en
différents sites et le produit de l’interaction entre ces sites ; de même l’identité du
parti est à la fois celle que tentent d’en construire ses dirigeants locaux et fédéraux et
ses dirigeants nationaux à travers des logiques plus ou moins concurrentielles ».
Loin de l’histoire des idées, Yves Déloye montre l’extrême complexité
méthodologique que revêt toute étude d’une question comme celle de l’analyse
socio-historique des définitions sociales de la citoyenneté dès lors qu’on se donne
pour support les manuels scolaires et qu’on s’interroge sur la réception de ces
manuels. Il préconise le détour nécessaire par des études socio-génétiques dont on
peut penser, avec Pierre Bourdieu, qu’elles s’imposent pour restituer
l’historiquement cristallisé dans l’ensemble des possibles qui n’ont pas vu le jour.
Notons enfin que ces études ont aussi le mérite d’intéresser le débat politique,
mais en le prenant à revers. Peut-être est-ce l’apport propre des Sciences Sociales à
la vie politique que de ne pouvoir y participer qu’en imposant un rapport au monde
social qui implique aussi la mise en question de son rapport au monde social.
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BERNARD PUDAL
CNRS – IRESCO – CSU
59 rue Pouchet – 75849 PARIS CEDEX 17
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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