Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
RFDC 065 0037
RFDC 065 0037
LIBERTÉ INDIVIDUELLE ?
Gilles Armand
2006/1 n° 65 | pages 37 à 72
ISSN 1151-2385
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
ISBN 9782130556084
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2006-1-page-37.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
GILLES ARMAND
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
Que reste-t-il de la protection constitutionnelle de la liberté indivi-
duelle ? La question pourrait surprendre, voire paraître incongrue à ceux
qui se représentent et présentent le Conseil constitutionnel comme le
garant ultime de l’État de droit, parvenu en France à assurer une protec-
tion efficace et complète des libertés constitutionnellement garanties.
L’affaiblissement de la « contrainte de constitutionnalité »1 pesant
sur le législateur est pourtant difficilement contestable et prend forme
principalement dans trois décisions rendues au cours des années 2003 et
2004 : la décision du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité inté-
rieure2, celle du 20 novembre 2003 portant sur la loi relative à la maîtrise
de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité3, et enfin
la décision du 2 mars 2004 intéressant la loi portant adaptation de la jus-
tice aux évolutions de la criminalité4. En effet, ces jurisprudences enseignent
que le Conseil constitutionnel n’exerce plus qu’un contrôle restreint,
limité à la censure des disproportions ou erreurs manifestes commises
par le législateur dans la conciliation qu’il lui appartient d’opérer entre
la préservation de l’ordre public et l’exercice des droits et libertés. La
décision 467 DC ouvre le bal de manière significative puisque le Conseil
relève successivement que la « conciliation assurée par (les dispositions
législatives) entre les principes constitutionnels (…) n’est entachée d’au-
cune erreur manifeste »5, puis que la loi a apporté un ensemble de garan-
ties « de nature à assurer, entre le respect de la vie privée et la sauve-
garde de l’ordre public, une conciliation qui n’est pas manifestement
déséquilibrée »6, et enfin que « le législateur n’a pas entaché d’erreur
manifeste la conciliation qu’il lui appartenait d’opérer en l’espèce entre,
d’une part, la protection de la propriété et la sauvegarde de l’ordre
public et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement pro-
tégées »7. Les décisions 484 et 492 DC confirment l’évolution8, tandis
que celle rendue le 29 juillet 2004 atteste qu’elle concerne aussi bien la
conciliation entre l’ordre public et les droits et libertés qu’entre ces der-
niers lorsqu’ils sont divergents9.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
Même si des traces du passé sont encore présentes10, la nouvelle juris-
prudence est riche d’enseignements. D’une part, elle récuse l’assimila-
tion généralement faite entre contrôle de proportionnalité et contrôle
maximum. En effet, le contentieux constitutionnel atteste que le soi-
disant plein contrôle de proportionnalité peut fort bien être restreint,
lorsqu’il confine à la censure des erreurs, des disproportions manifestes,
ou encore des atteintes manifestement excessives portées par le législa-
teur aux droits et libertés. D’autre part et dans le même temps, cette
limitation révèle un certain échec de la « démocratie constitution-
nelle »11 dans la garantie de l’État de droit, que le Haut Conseil s’avère
impuissant à prémunir contre les assauts répétés et la volonté clairement
exprimée des représentants de la Nation.
Quiconque connaît bien le fonctionnement de la « démocratie conti-
nue »12 n’en sera guère surpris. En effet, en tant qu’acteur d’un « régime
d’énonciation concurrentiel de la volonté générale », le Conseil constitu-
5. CC 2003-467 DC, précitée, considérant 12. Les principes dont il est question sont ceux
visés au considérant 8 de la décision, à savoir « d’une part, la prévention des atteintes à
l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauve-
garde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des
libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d’aller et
venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l’article 66 de la
Constitution place sous la surveillance de l’autorité judiciaire ».
6. Considérant 27.
7. Considérant 71.
8. CC 2003-484 DC, considérant 23 ; CC 2004-492 DC, considérant 87.
9. CC 2004-499 DC, 29 juillet 2004, Loi relative à la protection des personnes physiques à
l’égard des traitements de données à caractère personnel, JORF, 7 août 2004, p. 14087, considérant
13 : « la disposition contestée est de nature à assurer, entre le respect de la vie privée, et les
autres droits et libertés, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée ».
10. En effet, la décision du 2 mars 2004 entretient encore le doute (mais pour combien
de temps ?), en relevant à plusieurs reprises (voir notamment les considérants 27, 52, 56 et
88) que la loi n’a pas porté d’atteinte « excessive » à divers droits et libertés sans reprendre
l’adverbe « manifestement ».
11. D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Domat Droit public,
2001, 6e édition, p. 461 et s.
12. D. Rousseau, « De la démocratie continue », in La démocratie continue, LGDJ, Bruylant,
1995, p. 5.
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 39
tionnel ne rend jamais de décisions qui sont le fruit d’un « choix totale-
ment libre ou arbitraire »13, mais au contraire le produit des contraintes
exercées par les différents acteurs du système. Or, dans ce nouveau
régime de checks and balances, le contexte actuel fait indiscutablement
pencher la balance en faveur des exigences de l’ordre public au détriment
de la protection des droits et libertés. C’est ainsi que soutenu par sa
majorité parlementaire, le gouvernement pèse de tout son poids dans la
promotion de la logique sécuritaire. Fort d’une connaissance précise de la
jurisprudence constitutionnelle, il dépose des textes complexes, opérant
un savant mélange entre des procédures déjà examinées par le Haut
Conseil, et qui tout en étant borderline, ont une constitutionnalité diffici-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
lement discutable car ils reprennent une bonne partie des exigences for-
mulées par celui-ci. En face, aucun des autres acteurs du système n’agit
véritablement en contrepoids efficace, apte à assurer la défense des liber-
tés proclamées par la Constitution : ni l’opposition parlementaire qui,
peut-être parce qu’au moins inconsciemment elle adhère à la logique
sécuritaire14, offre des saisines du juge constitutionnel peu convaincantes,
manquant de rigueur dans le choix des vices d’inconstitutionnalité invo-
qués et qui s’apparentent finalement assez souvent à des coups d’épée
dans l’eau ; ni l’opinion publique, dont la parole relayée par les médias15
semble réclamer plus de rigueur contre ceux qui bafouent la sécurité et
la tranquillité publiques ; ni encore les professeurs de droit, lesquels
éprouvent les plus grandes difficultés à livrer « leur » interprétation de
la jurisprudence constitutionnelle face à la parole, officielle diront cer-
tains de manière critique16, que le secrétaire général du Conseil diffuse
lui-même dans les revues…
Il résulte de la combinaison de ces facteurs convergents une véritable
crise de la justice constitutionnelle française se traduisant par des sen-
tences de facture quelque peu surréaliste : des décisions longues17 mais
dans lesquelles le Conseil n’ajoute finalement que peu de choses aux
textes législatifs qui lui rappellent précisément sa propre jurisprudence,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
nécessaire à la réalisation de cet objectif. Il s’agit des « principes essen-
tiels sur lesquels repose la protection de la liberté individuelle »21, dont
le Conseil constitutionnel interdit à la loi la mise en cause. Mais la sau-
vegarde constitutionnelle de la liberté individuelle passe aussi par une
garantie qui cette fois-ci lui est propre : la garantie judiciaire consacrée
par l’article 66 de la Constitution22, qui implique que toute atteinte por-
tée à cette liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire et
contribue à faire d’elle « beaucoup plus qu’une liberté parmi d’autres » :
« le bouclier de toutes les autres libertés »23.
C’est ce régime constitutionnel spécifique que le Conseil a entendu
maintenir en consacrant l’autonomie des deux garanties. Il en va de la
sauvegarde aussi bien de la garantie judiciaire que des principes essen-
tiels. Ainsi, l’autonomie assure à la liberté individuelle de ne pouvoir
être atteinte sans l’intervention des magistrats de l’ordre judiciaire, de
sorte que le respect par le législateur des principes essentiels ne permet
pas d’excuser la méconnaissance de la garantie judiciaire24. Pour autant
18. Ainsi qu’en témoigne notamment la décision 2003-467 DC relative à la loi pour la
sécurité intérieure qui applique le contrôle restreint, aussi bien au droit de propriété qui n’a
jamais fait partie de la liberté individuelle, qu’à ses ex-nouvelles composantes que sont la
liberté d’aller et venir et le respect de la vie privée. Pour plus de détails sur la notion de
liberté individuelle, voir infra II-A.
19. Sur cette question, voir G. Armand, L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté indivi-
duelle, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, thèse dactylographiée, Caen, 2000.
20. Ratione materiae, ratione temporis et ratione loci.
21. CC 76-75 DC, 12 janvier 1977, « Fouilles des véhicules », RJC I, p. 45.
22. Article 66 : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne
de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la
loi ».
23. J. Rivero, « Liberté individuelle et fouille des véhicules, note sous la décision du
12 janvier 1977 », in Le Conseil constitutionnel et les libertés, Economica-PUAM, 1982, collec-
tion Droit public positif, 2e édition, p. 74.
24. Voir par exemple CC 92-307 DC, 25 février 1992, « Zones de transit », RJC I, p. 493,
considérant 16, affirmant que « quelles que soient les garanties dont les dispositions (légis-
latives) entourent le maintien en zone de transit des étrangers, ces dispositions ne prévoient
pas l’intervention de l’autorité judiciaire en vue d’autoriser, s’il y a lieu, la prolongation du
maintien, et en lui permettant ainsi d’apprécier, de façon concrète, la nécessité d’une telle
mesure » (c’est nous qui soulignons).
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 41
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
quée à la fois (et ce n’est pas pur hasard) par un relâchement du Conseil
constitutionnel dans le contrôle exercé respectivement sur chacune des
deux garanties et par un assouplissement de la séparation entre celles-ci.
C’est ainsi que le nouveau contentieux semble accorder une confiance
exagérée à la garantie judiciaire et dépareille avec l’ancien qui traduisait
plutôt un sentiment de défiance. Le risque est alors pour la protection
des principes essentiels. En effet, s’il est de jurisprudence constante qu’il
appartient aux magistrats de l’ordre judiciaire de garantir concrètement
ces principes en s’assurant que les conditions de fond et de forme défi-
nies par la loi sont pleinement respectées26, encore faut-il que le législa-
teur ait accompli au préalable son travail, car faute de « prédétermina-
tion législative »27, l’autorité judiciaire deviendrait la gardienne d’une
coquille vide. Le danger est donc bien présent que la garantie judiciaire,
censée améliorer la protection de la liberté individuelle, ne se retourne
finalement contre ses principes essentiels. C’est l’orientation apparem-
ment suivie par le Conseil constitutionnel, pour qui il semble que la
garantie judiciaire soit devenue aujourd’hui « l’alpha et l’oméga »28 de la
liberté individuelle, au détriment de ses principes essentiels (I). Or, dans
le même temps, le champ d’application de l’article 66 de la Constitution
et les conditions d’intervention de l’autorité judiciaire font l’objet d’une
25. Ainsi, dans les décisions des 3 septembre 1986 (CC 86-216 DC, « Entrée et séjour des
étrangers », RJC I, p. 281, considérant 22) et 13 août 1993 (CC 93-325 DC, « Maîtrise de
l’immigration », RJC I, p. 539, considérant 100), les juges de la rue de Montpensier consi-
dèrent que la mesure de rétention administrative, « même placée sous le contrôle du juge,
ne saurait être prolongée (au-delà de 7 jours), sauf urgence absolue et menace de particulière
gravité pour l’ordre public, sans porter atteinte à la liberté individuelle garantie par la
Constitution » (toujours souligné par nous).
26. CC 93-323 DC, 5 août 1993, « Contrôles d’identité », RJC I, p. 535, considérant 5 :
« qu’il incombe à l’autorité judiciaire, conformément à l’article 66 de la Constitution,
d’exercer un contrôle effectif sur le respect des conditions de forme et de fond sur lesquelles
le législateur a entendu assurer » la conciliation entre la liberté individuelle et des objectifs
de valeur constitutionnelle.
27. G. Timsit, Les noms de la loi, PUF, 1991, collection Les voies du droit.
28. E. Picard, « Les contrôles d’identité au regard des droits fondamentaux : des régimes
inutilement hétéroclites », RFDA, 1994, p. 969.
42 Gilles Armand
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
Comme son nom l’indique, la notion de principes essentiels postule
l’existence d’une substance de la liberté individuelle, prenant la forme
d’un certain nombre de principes qui considérés comme essentiels ne
pourraient en aucun cas être mis en cause par le législateur. Or on peut
aujourd’hui raisonnablement douter de l’existence de ce seuil de consti-
tutionnalité, dans la mesure où le contentieux constitutionnel est mar-
qué par le développement d’un droit dérogatoire qui vient dénaturer le
régime général de la liberté individuelle (A).
Il faut dire que cette opération de « grignotage » des principes pro-
tecteurs a été facilitée par l’expérience que le législateur a acquise dans le
droit des étrangers. En effet, de par son caractère spécifique, ce conten-
tieux a constitué un laboratoire qui a permis aux pouvoirs publics d’ex-
périmenter des règles particulières et de donner les premiers coups de
canif aux principes essentiels de la liberté individuelle. Rien d’étonnant
alors à ce que ce soit dans ce domaine que l’on ait pu déceler les signes,
au départ discrets, d’un affaiblissement de la contrainte de constitutionna-
lité, affaiblissement qui peut aujourd’hui déployer tous ses effets puisque
la boîte de Pandore a été ouverte en ce qui concerne le régime général (B).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
citoyens, ce texte a été frappé de plein fouet par les attentats du 11 sep-
tembre qui l’ont défiguré en le transformant en loi anti-terroriste, une
sorte de Patriot Act, version soft à la française. Ainsi, le chapitre V de la
loi comporte des dispositions qui portent atteinte à certains principes
essentiels de la liberté individuelle mais qui, d’une part, sont spécifiques
à la lutte contre le terrorisme et les infractions qui l’alimentent (trafic de
stupéfiant et trafics d’armes)34, d’autre part, sont présentées comme
ayant une durée d’application limitée au 31 décembre 200335. Or, dans
une pièce qui se joue en deux actes, le Parlement fait sauter ces verrous
et généralise, aussi bien dans le temps que quant aux infractions concer-
nées, l’application du droit dérogatoire.
31. Ainsi, Emmanuel Aubin souligne que la loi pour la sécurité intérieure « confère une
certaine actualité à la conception schmitienne de la démocratie reposant sur la notion d’en-
nemi qu’il faut surveiller et punir afin d’amoindrir le sentiment de peur que ressentirait
l’électeur imprévisible du 21 avril 2002 » : E. Aubin, « La loi sur la sécurité intérieure, la
liberté d’aller et venir et les limites du contrôle de constitutionnalité », RDP, 2003, p. 375.
32. Ch. Lazerges, « Le Conseil constitutionnel acteur de la politique criminelle », Rev. Sc.
Crim., 2004-3, p. 730. Ce risque a été perçu par la Cour européenne des droits de l’homme
qui, « consciente du danger (…) de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la
défendre, (…) affirme (que les États) ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre l’es-
pionnage et le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée » : Cour EDH,
6 septembre 1978, Klass et autres, Série A, n° 28, § 49.
33. Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, JORF,
16 novembre 2001, p. 18215.
34. Selon l’article 22.
35. Date avant laquelle le Parlement doit être saisi par le gouvernement d’un rapport
d’évaluation sur l’application de l’ensemble de ces mesures.
36. Article 11 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, JORF,
19 mars 2003, p. 4761.
44 Gilles Armand
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
l’occurrence du parquet, le soin de définir aussi bien les infractions dont
la recherche et la poursuite justifient les contrôles, que les lieux et la
période de temps de leur exercice. Ainsi la liberté individuelle voit ses
conditions d’exercice livrées au pouvoir discrétionnaire (arbitraire ?) de
l’autorité judiciaire, par un législateur dont il est étonnant que l’incom-
pétence négative n’ait pas été censurée par le Conseil constitutionnel
dans la décision du 5 août 199337.
Ne l’ayant pas fait, il devenait difficile au Haut Conseil de censurer
la loi pour la sécurité intérieure dans la décision du 13 mars 2003, d’autant
plus que la nouvelle législation donne l’image, apparente, d’une plus
grande protection des principes essentiels de la liberté individuelle. En
effet, si les lieux d’exercice des opérations de visites des véhicules conti-
nuent à être précisés discrétionnairement par le procureur de la Répu-
blique, la prédétermination législative est en revanche renforcée à un
double point de vue, puisque le législateur limite à 24 heures le délai
des opérations et définit lui-même les infractions qui justifient leur
déroulement.
Mais il ne s’agit en fait que de barrières de papier. D’une part, la
limite temporelle se trouve affectée par la précision selon laquelle les
opérations de visite peuvent être renouvelées, dans les mêmes conditions
et pour la même durée, sur décision expresse et motivée du procureur de
la République, renouvellement dont il n’est en aucun cas dit, ni par le
législateur ni par le Conseil constitutionnel, qu’il soit limité, si bien que
l’autorité judiciaire continue de définir à sa guise la période de mise en
œuvre des opérations.
En ce qui concerne d’autre part le domaine infractionnel, on peut
d’ores et déjà remarquer que la loi Sarkozy n’est pas si restrictive qu’il y
paraît dans la mesure où elle allonge la liste des infractions définie par la
loi pour la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001. En effet, ce ne sont
plus simplement les infractions de terrorisme, ainsi que celles de trafic
de stupéfiants et de trafics d’armes l’alimentant qui sont visées, mais
37. CC 93-323 DC, 5 août 1993, « Contrôles d’identité », RJC I, p. 535.
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 45
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
infractions soient ainsi découvertes et leurs auteurs alors poursuivis selon
les règles de droit commun. Les pouvoirs spéciaux constituent ainsi un
outil mis au service des pouvoirs généraux détenus par les autorités de
police, et sans qu’aucune autre garantie ne soit finalement prévue que
celle résidant dans l’intervention d’un magistrat de l’ordre judiciaire.
Par conséquent, on peut être surpris, même si cela lui aurait
demandé l’effort de revenir sur sa jurisprudence de 1993, que le Conseil
constitutionnel n’ait pas censuré ce défaut de garanties légales de la
liberté individuelle dans la décision du 13 mars 2003. Mais il est vrai
qu’en se contentant de reprendre dans des considérants laconiques les
termes de la loi, le Conseil pouvait difficilement conclure autrement
qu’à l’absence d’atteinte à l’inviolabilité des véhicules, élément pourtant
fondateur de la liberté individuelle depuis la décision du 12 janvier
1977 et qui jusque-là avait fait l’objet d’une protection jurisprudentielle
scrupuleuse.
Le premier acte de la généralisation des pouvoirs dérogatoires de la
loi du 15 novembre 2001 était donc joué ; il restait à entamer le second
avec la loi Perben II, à laquelle comparée la loi Sarkozy fait finalement
bien pâle figure.
38. Dans la décision du 13 mars 2003, le Conseil constitutionnel n’apporte rien en rele-
vant « que la liste des infractions figurant au premier alinéa du nouvel article 78-2-2 du
Code de procédure pénale n’est pas manifestement excessive au regard de l’intérêt public qui
s’attache à la recherche des auteurs de ces infractions » (considérant 12).
46 Gilles Armand
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
ciaire, gardienne de la liberté individuelle, ne saurait dès lors autoriser
leur utilisation que dans la mesure nécessaire à la recherche des auteurs
d’infractions particulièrement graves et complexes » que constituent les
infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées41.
Compte tenu de cette affirmation prometteuse pour la protection consti-
tutionnelle de la liberté individuelle, on peut être interloqué et quelque
peu déçu de voir le Conseil « se défausser plus que de raison sur l’auto-
rité judiciaire »42 et ne parvenir à limiter, au grand dam des principes
essentiels, ni le domaine (a), ni la portée des pouvoirs parallèles (b).
a) Des pouvoirs parallèles extensibles
La méthode utilisée par le législateur pour instituer la criminalité et
la délinquance organisées ressemble à s’y méprendre à celle qu’avait rete-
nue la loi du 9 septembre 1986 pour la définition des infractions ter-
roristes. En effet, comme pour celles-ci, la loi Perben II n’a pas créé de
nouvelles infractions mais une catégorie nouvelle d’infractions. Plus pré-
cisément, l’article 706-73 du Code de procédure pénale dresse une liste
d’infractions relevant, par leur nature43 ou en raison des conditions de
leur commission44, de la criminalité et de la délinquance organisées, cir-
constance aggravante qui permet la mise en œuvre de règles spéciales de
procédure pénale. Or le Conseil constitutionnel, tout en considérant que
c’est le caractère particulier de ces infractions, tenant à leur gravité et à
39. Ch. Lazerges, « Le Conseil constitutionnel acteur de la politique criminelle », précité,
p. 726.
40. Ch. Lazerges, « Les dérives de la procédure pénale », Rev. Sc. Crim., 2003, p. 651.
41. CC 2004-492 DC, 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité, précitée, considérant 69.
42. Ch. Lazerges, « Le Conseil constitutionnel acteur de la politique criminelle », précité,
p. 730, qui ajoute que face au « risque d’État d’exception permanent, (…) le Conseil consti-
tutionnel a baissé les yeux, s’en remettant à la sagesse de l’autorité judiciaire » (ibid., p. 736).
43. Crimes et délits de trafic de stupéfiants, crimes et délits constituant des actes de ter-
rorisme, crimes et délits aggravés de traite des êtres humains, de proxénétisme…
44. Crimes de meurtre, de tortures et d’actes de barbarie commis en bande organisée ;
délits en matière d’armes et d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers commis
en bande organisée…
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 47
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
vité. Ainsi, la notion de criminalité et de délinquance apparaît élastique
et se prête à d’infinies extensions, au bon vouloir du législateur et sans
que le Conseil constitutionnel ne puisse trouver grand-chose à y redire.
La décision du 2 mars 2004 en atteste. En effet, si le juge peut affirmer
de manière péremptoire que la plupart des infractions visées par l’article
706-73 sont susceptibles de « porter une atteinte grave à la sécurité, à la
dignité ou à la vie des personnes »47, il éprouve les plus grandes difficul-
tés à démontrer que tel est le cas pour d’autres. Ainsi, en est-il des
infractions aux biens comme le vol, dont l’appréciation des éléments de
gravité justifiant l’application du régime dérogatoire est laissée, une fois
encore, à l’appréciation de l’autorité judiciaire48, et surtout du délit
d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en
France. On se souvient que dans la décision du 16 juillet 1996, le Haut
Conseil s’était opposé à ce que la qualification de terrorisme soit appli-
quée à cette infraction49, évitant ainsi un mélange des genres très malsain
entre les étrangers et les terroristes et stoppant « net toute tentative sup-
plémentaire d’extension, de terrorisme d’amont ou si l’on préfère de ter-
rorisme par assimilation »50. Or, avec la loi portant adaptation de la jus-
tice aux évolutions de la criminalité, le législateur parvient à surmonter
l’obstacle en appliquant le régime, non moins dérogatoire, de la crimi-
nalité et de la délinquance organisées à l’aide à l’entrée et au séjour irré-
45. Dans la décision 2004-492 DC, le Conseil considère en effet qu’en « adoptant l’article
706-73 nouveau du Code de procédure pénale, le législateur a établi une liste limitative des
crimes et délits appelant, selon lui, eu égard à la gravité comme aux difficultés que présente
la poursuite de leurs auteurs, lesquels agissent dans un cadre organisé, des règles de procé-
dure pénale spéciales » (considérant 12). Et le juge constitutionnel d’ajouter « que la diffi-
culté d’appréhender les auteurs » de ces infractions « tient à l’existence d’un groupement ou
d’un réseau dont l’identification, la connaissance et le démantèlement posent des problèmes
complexes » (considérant 15).
46. Mais cela peut être le cas de toute infraction.
47. Considérant 16.
48. Considérant 17.
49. CC 96-377 DC, 16 juillet 1996, « Perquisitions de nuit », RJC I, p. 671, considérant 9,
qui estime que « le législateur a entaché son appréciation d’une disproportion manifeste ».
50. Th. Renoux, Note sous CC 96-377 DC, 16 juillet 1996, cette Revue, 1996, p. 813.
48 Gilles Armand
guliers des étrangers, étant simplement précisé que cette infraction est
inapplicable aux organismes humanitaires d’aide aux étrangers51. Et on
voit mal en quoi la précision ultime émise par le Conseil, selon laquelle
« s’applique à la qualification d’une telle infraction le principe énoncé à
l’article 121-3 (du Code pénal52) selon lequel il n’y a point de délit sans
intention de le commettre »53, pourra empêcher la liste des 17 infrac-
tions de l’article 706-73 du Code de procédure pénale de s’allonger.
Pas plus d’ailleurs qu’on peut être certain que les règles parallèles
prévues pour la criminalité et la délinquance organisées ne seront pas
appliquées à d’autres infractions étrangères à cette catégorie. Pourtant, la
décision du 2 mars 2004 semble animée par la volonté du juge consti-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
tutionnel d’endiguer toute tentative d’extension, cette fois en aval, de la
criminalité et de la délinquance organisées. Cette considération explique
la censure du régime d’exonération de nullité établi par le législateur54
et, à l’inverse, justifie que les mesures d’investigation spéciales affectant
l’inviolabilité du domicile55 ne puissent, à peine de nullité, avoir un
autre objet que les infractions visées dans la décision du juge des liber-
tés et de la détention ou du juge d’instruction56. Mais cette règle est aus-
sitôt vidée de sa substance par celle, reprise de la législation sur les
« opérations coup de poing », prévoyant dans le même temps que
lorsque ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées par
l’autorité judiciaire, cette circonstance ne constitue pas une cause de nul-
lité des procédures incidentes57. Ainsi, s’il est interdit aux autorités de
police judiciaire d’utiliser les pouvoirs spéciaux qui leur sont reconnus
par la législation dérogatoire relative à la criminalité et à la délinquance
organisées aux fins de recherche et de constatation d’autres infractions,
elles peuvent en revanche, à cette occasion et par le plus grand des
hasards, découvrir celles-ci pour pouvoir ensuite en poursuivre les
auteurs selon les règles générales de la procédure pénale. Par conséquent,
la législation dérogatoire est à nouveau mise au service de l’application
des pouvoirs généraux détenus par les autorités de police, grâce à un
détournement potentiel de procédure sur lequel le Conseil constitution-
nel ferme curieusement les yeux.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
des personnes sans leur consentement, prolongation supplémentaire de la
garde à vue jusqu’à quatre jours, écoutes téléphoniques durant l’enquête
préliminaire… : la liste est bien trop longue pour que soit étudié l’en-
semble des mesures spécifiques prévues par le titre XXV du Code de
procédure pénale en matière de criminalité et de délinquance organisées.
Parmi celles-ci, méritent une attention particulière les dispositions
qui autorisent les autorités de police à procéder à des perquisitions,
visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction en dehors des heures
légales définies par l’article 59 du Code de procédure pénale60. L’étude de
ces perquisitions nocturnes met en valeur le mouvement de généralisa-
tion des pouvoirs exceptionnels mené par le législateur lors du vote de la
loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. En
effet, alors que ces opérations n’étaient autorisées par la loi pour la sécu-
rité quotidienne du 15 novembre 2001 qu’en matière de terrorisme, de
trafic de stupéfiants et de trafics d’armes et pour une période limitée au
31 décembre 200361, la loi du 9 mars 2004 s’affranchit de ces barrières
en transposant le régime des perquisitions de nuit à l’ensemble des
infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées, et
en accentuant de surcroît le caractère dérogatoire de ce régime. Or, si
dans la décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel confirme
que les perquisitions nocturnes ne sont pas dans leur principe contraires
à la Constitution62, la motivation retenue en l’espèce diffère sensiblement
de celle exposée dans la décision du 16 juillet 199663.
En effet, autant dans cette dernière décision le Conseil faisait preuve
d’une méfiance certaine à l’égard de l’autorité judiciaire, qui le condui-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
que ces modalités d’exercice des perquisitions de nuit étaient contraires
à la Constitution, relevant d’une part que n’étaient pas exclus les locaux
d’habitation, d’autre part que les conditions d’intervention de l’autorité
judiciaire étaient sujettes à caution : le déroulement et les modalités de
l’enquête préliminaire étant laissés à la discrétion du procureur de la
République ; dans l’instruction préparatoire, l’autorité déjà investie de la
charge de celle-ci se voyant en outre attribuer les pouvoirs d’autoriser, de
diriger et de contrôler les opérations en cause, cumul de fonctions consi-
déré comme de nature à entraîner des atteintes excessives à la liberté
individuelle65.
A partir de là, on peut être étonné de voir le Conseil constitutionnel
déclarer conforme à la Constitution l’article 706-90 du Code de procé-
dure pénale qui, certes en excluant les locaux d’habitation, autorise mal-
gré tout les perquisitions nocturnes au cours de l’enquête préliminaire et
dans des conditions analogues à celles qui étaient prévues en matière de
terrorisme en 1996. En effet, si c’est le juge des libertés et de la déten-
tion, « magistrat du siège » comme le précise le Conseil66, qui autorise
ces opérations, il reste que c’est toujours le procureur de la République,
simple magistrat du parquet67, qui maîtrise l’enquête préliminaire, de
sorte que la crainte, émise à l’époque de manière légitime, que le magis-
trat du siège perde le contrôle des opérations de perquisitions nocturnes
qu’il a autorisées, reste aujourd’hui largement fondée s’agissant de la cri-
minalité et de la délinquance organisées.
64. Dans la décision du 16 juillet 1996, considérant 17, le Conseil constitutionnel a en
effet considéré qu’en autorisant ces perquisitions nocturnes, « le législateur n’a pas apporté
une atteinte excessive au principe d’inviolabilité du domicile, eu égard aux nécessités de
l’enquête en cas de flagrance ». Notons cependant que le domaine de ces perquisitions est
aujourd’hui étendu par la règle prévue par la loi du 9 mars 2004 permettant de prolonger
l’enquête de flagrance de 8 à 16 jours lorsque des investigations nécessaires à la manifesta-
tion de la vérité pour un crime ou un délit puni d’une peine supérieure ou égale à cinq ans
d’emprisonnement ne peuvent être différées : article 53 alinéa 3 nouveau du Code de procé-
dure pénale.
65. CC 96-377 DC, considérant 18.
66. CC 2004-492 DC, considérant 51.
67. Sur la portée de la distinction entre les deux catégories de magistrats, voir infra II-B.
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 51
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
dence, il aurait dû déclarer inconstitutionnelles ces dispositions
méconnaissant les principes essentiels de la liberté individuelle, mécon-
naissance que le respect de la garantie judiciaire ne pouvait excuser.
Les nationaux, comme les étrangers d’ailleurs auxquels les procédures
décrites sont applicables, ont de quoi craindre pour le respect des prin-
cipes essentiels de leur liberté individuelle. Mais ces derniers, cette fois-
ci de manière spécifique, peuvent nourrir des inquiétudes encore plus
grandes en imaginant les effets potentiellement dévastateurs produits
par la nouvelle jurisprudence constitutionnelle dans le régime particulier
qui est le leur.
68. Pour reprendre l’expression de Jean Rivero dans sa note précitée sous la décision du
12 janvier 1977.
69. L’insistance émise par le Conseil sur cette autorisation montre qu’il s’agit désormais
d’une garantie : voir le considérant 55 de la décision.
70. Selon l’article 706-91 du Code de procédure pénale, les perquisitions nocturnes pour-
ront concerner les locaux d’habitation dans trois hypothèses : « 1° Lorsqu’il s’agit d’un
crime ou d’un délit flagrant ; 2° Lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des
preuves ou des indices matériels ; 3° Lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de
soupçonner qu’une ou plusieurs personnes se trouvant dans les locaux où la perquisition doit
avoir lieu sont en train de commettre des crimes ou des délits entrant dans le champ d’ap-
plication de l’article 706-73 ».
71. Article 706-24-1 du Code de procédure pénale.
72. CC 93-325 DC, 13 août 1993, « Maîtrise de l’immigration », RJC I, p. 539, considé-
rant 2 : « Considérant qu’aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitution-
nelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur
52 Gilles Armand
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
effet un affaiblissement de la contrainte de constitutionnalité exercée
pour la sauvegarde de la liberté individuelle des non-nationaux, lequel
atteint son apogée dans la décision du 20 novembre 2003 portant sur la
loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à
la nationalité74. Il s’agit d’une décision que l’on peut à juste titre quali-
fier de « minimale », tant elle apparaît « peu exigeante quant au
contenu et à la garantie des droits des étrangers »75 et donne « l’impres-
sion (…) d’appauvrir la dimension constitutionnelle de la matière en
laissant une plus grande marge de manœuvre au législateur »76.
Cette impression est confirmée par le traitement jurisprudentiel nou-
veau qui est réservé à la mesure de placement en rétention administrative
des étrangers, régie par l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre
194577. En effet, comme c’est le cas du régime général de la liberté indi-
viduelle, le Conseil s’était par le passé montré intransigeant, en refusant
que cette privation administrative de liberté soit prolongée pour une
durée excessive et en limitant les motifs de cette prolongation. C’est ainsi
que deux règles semblaient ressortir d’une jurisprudence constitution-
nelle constante : la restriction du délai de la rétention administrative à
dix jours ; l’impossibilité de prolonger cette rétention au-delà de sept
jours sauf « urgence absolue et menace d’une particulière gravité pour
l’ordre public »78. Or, en acceptant en bloc dans la décision du 20 novem-
le territoire national ; que les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être res-
treintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pou-
voirs étendus et reposant sur des règles spécifiques ».
73. Pour plus de détails, voir G. Armand, L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté indi-
viduelle, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, thèse précitée.
74. CC 2003-484 DC, 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour
des étrangers en France et à la nationalité, précitée.
75. F. Julien-Laferrière, « Une modification d’ampleur de l’ordonnance du 2 novembre
1945 », AJDA, 9 février 2004, p. 261.
76. O. Lecucq, « L’examen par le Conseil constitutionnel de la nouvelle législation sur
l’immigration », AJDA, 22 mars 2004, p. 599.
77. Dont les dispositions sont depuis reproduites au titre V du Code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile.
78. CC 86-216 DC, 3 septembre 1986, « Entrée et séjour des étrangers », RJC I, p. 281,
considérant 22, confirmée par CC 93-325 DC, précitée, considérant 100.
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 53
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
ment la durée. Si le placement en rétention est comme par le passé
décidé par le Préfet pour 48 heures, il peut désormais faire l’objet de
deux prolongations successives de 15 jours sur décision du juge des
libertés et de la détention, si bien que l’administration a potentiellement
la faculté de maintenir l’étranger à sa disposition pendant un délai total
de 32 jours. Or, on peut être surpris de constater que les requérants
n’ont pas, ou presque79, contesté cet allongement, de sorte que dans la
décision du 20 novembre 2003 le Conseil constitutionnel n’a pas eu
besoin, faute de l’avoir soulevé d’office, d’examiner le moyen. Comme les
députés et sénateurs l’y invitaient, il a au contraire focalisé son attention
sur les conditions d’intervention de l’autorité judiciaire et a pu relever
que la nouvelle législation ne contrariait pas le contrôle que cette auto-
rité doit exercer conformément à l’article 66 de la Constitution, ne la
privant pas notamment de la possibilité d’interrompre, à tout moment,
la rétention80. Ainsi, les principes essentiels de la liberté individuelle qui
imposent, s’il est besoin de le rappeler, une limitation de la durée des
atteintes, apparaissent comme les grands oubliés de la décision portant
sur la loi Sarkozy II, laquelle au prix d’un recentrage sur la garantie judi-
ciaire, semble considérer que la protection « de la liberté individuelle ne
tient plus dorénavant, pour l’essentiel, qu’à la place reconnue au juge des
libertés et de la détention »81.
On peut se demander si cet oubli des principes essentiels ne tient pas
finalement au doute que les requérants ont pu nourrir quant à l’existence
d’une limitation temporelle en matière de rétention administrative. Le
doute est en effet permis depuis les décisions Certificats d’hébergement du
22 avril 1997 et RESEDA du 5 mai 199882. Dans la première, le Conseil
79. Il n’y a que dans une ligne de leur saisine que députés et sénateurs arguent de ce qu’il
« n’y a pas de nécessité particulière au regard du maintien de l’ordre public justifiant que
l’on allonge dans de telles proportions la durée de placement en rétention ».
80. Voir les considérants 62 à 67 de la décision 2003-484 DC.
81. O. Lecucq, note précitée, p. 605.
82. CC 97-389 DC, 22 avril 1997, « Certificats d’hébergement », RJC I, p. 707 ; CC 98-
399 DC, 5 mai 1998, Loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile,
dite RESEDA, RJC I, p. 745.
54 Gilles Armand
accepte que les étrangers n’ayant pas déféré dans un délai de 7 jours à la
mesure d’éloignement les concernant fassent l’objet, sur le fondement de
cette même mesure, d’un nouveau placement en rétention, la durée,
certes fractionnée, du maintien étant portée à 20 jours83. Dans la
seconde, le Haut Conseil surprend en ne soulevant pas d’office, comme il
l’avait fait dans la décision du 3 septembre 198684, le moyen tiré de la
violation des principes essentiels de la liberté individuelle, alors que la
loi RESEDA fait passer le délai de la rétention de 10 à 12 jours85.
Par conséquent, on pourrait considérer que la décision du 20 novem-
bre 2003 ne fait que confirmer une évolution bien entamée et qui, même
si elle est ici plus marquée, confine la rétention administrative dans des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
délais acceptables comparés à la législation des États étrangers86. Mais
s’il n’existe alors aucun « seuil temporel de constitutionnalité » en
matière de rétention87, si bien que celle-ci peut fort bien être indéfini-
ment prolongée, on aimerait néanmoins que le Conseil constitutionnel
soit cohérent avec sa propre jurisprudence et ne donne son aval à cet
allongement que s’il est justifié par des circonstances exceptionnelles.
Telle était la signification de la jurisprudence antérieure. Mais à cela
aussi le Conseil a renoncé.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
maintien qu’en cas de non-présentation par l’intéressé des documents de
voyage permettant son éloignement90.
Mais la suite des évènements allait montrer à quel point il est diffi-
cile pour un juge, si important soit-il, de « s’opposer à la volonté tenace
et somme toute consensuelle »91 des représentants de la nation de garan-
tir la mise à disposition des non-nationaux afin de faciliter leur éloigne-
ment. La décision du 22 avril 1997 constitue à cet égard un tournant92.
En effet, le Conseil ne profite pas de l’occasion donnée par le législateur
pour revenir a posteriori sur les dispositions de la loi du 30 décembre
199393. Or si cette loi a ajouté au texte censuré dans la décision du
13 août94, elle demeurait d’une constitutionnalité douteuse, du moins
jusqu’à ce que la décision Certificats d’hébergement surprenne en lui déli-
vrant un brevet de constitutionnalité. Et en le décernant également à la
disposition législative qui autorise un nouveau placement en rétention
de l’étranger n’ayant pas déféré dans un délai de 7 jours à la mesure
d’éloignement le concernant, la décision du 22 avril 1997 innove aussi,
car pour la première fois elle admet qu’un élément subjectif, tiré de la
mauvaise volonté de l’étranger, constitue un motif légitime à la pour-
suite de la privation de liberté95. Il semble alors logique que dans la déci-
89. CC 86-216 DC, précitée, considérant 22, qui relève que le législateur ne saurait, « sans
porter atteinte à la liberté individuelle garantie par la Constitution, (étendre) indistincte-
ment à tous les étrangers qui ont fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une mesure de
reconduite à la frontière la possibilité de les retenir pendant trois jours supplémentaires dans
des locaux non pénitentiaires ».
90. CC 93-325 DC, précitée, considérant 100.
91. O. Lecucq, note précitée, p. 604.
92. CC 97-389 DC, précitée.
93. Ainsi que lui permettait sa jurisprudence État d’urgence en Nouvelle-Calédonie du
25 janvier 1985.
94. Puisqu’elle précise que des éléments de fait doivent permettre de présumer que le
délai supplémentaire de rétention sera utile à la présentation par l’étranger des documents
de voyage nécessaires à son éloignement.
95. Le Conseil constitutionnel accentue d’ailleurs ce caractère subjectif en affirmant que
le législateur n’a autorisé la réitération du maintien en rétention que « dans les seuls cas où
l’intéressé s’est refusé à déférer à la mesure d’éloignement prise à son encontre » (CC 97-
389 DC, considérant 53).
56 Gilles Armand
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
effet, si le Conseil constitutionnel fait preuve de cohérence en déclarant
conforme à la Constitution les motifs de prolongation de la rétention
jusqu’à 32 jours qui reprennent ceux définis par la loi du 11 mai 1998,
il commet un illogisme en ne censurant pas la rétention de 22 jours
motivée par des éléments, ô combien objectifs, que sont le défaut de
délivrance des documents de voyage par le consulat ou l’absence de
moyens de transport. Certes, il est exact que ces motifs « ne sont impu-
tables ni à la volonté, ni à un manque de diligence de l’administra-
tion »99. Mais il reste que lesdites circonstances sont, aussi et avant tout,
« totalement extérieures à l’intéressé et donc de nature à conduire à la
privation de liberté d’une personne pour des faits auxquels elle est étran-
gère »100. On aimerait croire avec le secrétaire général du Conseil qu’il ne
s’agit pas là d’une révolution mais simplement d’un infléchissement
limité du contentieux constitutionnel. Mais le revirement jurispruden-
tiel est trop évident car on s’aperçoit que le Haut Conseil a laissé passer
en 2003 ce qu’il avait filtré en 1993101.
La décision du 20 novembre 2003 laisse le sentiment désagréable que
rien ou presque102 ne limite plus aujourd’hui la rétention administrative,
et de manière plus générale, donne l’impression que le Conseil constitu-
tionnel a sacrifié les principes essentiels de la liberté individuelle des
étrangers sur l’autel de la garantie judiciaire. Reste à savoir si celle-ci
mérite encore la considération qui lui est ainsi portée.
96. CC 98-399 DC, précitée.
97. L’hypothèse visée par la loi RESEDA est celle où « l’impossibilité d’exécuter la
mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de
l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l’obstruction volontaire
faire à son éloignement ».
98. Par exemple, la perte du document de voyage peut très bien être involontaire.
99. CC 2003-484 DC, considérant 69.
100. Argument des requérants reproduit au considérant 68 de la décision.
101. A savoir que la rétention soit prolongée en raison de l’absence de présentation des
documents de voyage permettant l’éloignement.
102. En effet, selon la loi, la délivrance des documents de voyage ou la présence d’un
moyen de transport doit intervenir « à bref délai », de telle sorte selon le Conseil que « les
conditions nécessaires à l’exécution de la mesure d’éloignement puissent être réunies dans le
délai de prolongation de cinq jours » (considérant 70).
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 57
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
gue, semblé donner raison au père fondateur de la Constitution.
Conscient que la liberté individuelle ne pourrait être correctement pro-
tégée que grâce à une garantie judiciaire de qualité, le Conseil constitu-
tionnel s’évertuait à forger des principes assurant à l’autorité judiciaire
des conditions d’intervention appropriées. Mais au fil du temps, ces
principes se sont effrités, au point que s’il ne reste plus aujourd’hui de la
protection constitutionnelle de la liberté individuelle que la garantie
judiciaire, c’est d’une garantie à l’étendue (A) et à la portée (B) limitées
dont il est question.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
droit de mener une vie familiale normale et liberté du mariage108), sans
que le domaine d’intervention de l’autorité judiciaire s’en trouve affecté.
La liberté individuelle perd alors de sa spécificité car elle n’est plus auto-
matiquement placée sous la sauvegarde de l’autorité judiciaire. Pour cette
raison, le juge constitutionnel procède à un nouveau réaménagement de
ses principes d’interprétation. C’est l’ouverture du troisième chapitre dans
lequel la liberté individuelle n’est plus « appréhendée comme un ensem-
ble de libertés mais comme le point de rencontre de certaines d’entre
elles »109. Ainsi, si les ex-nouvelles composantes de la liberté individuelle
la quittent pour trouver un nouvel ancrage constitutionnel dans le prin-
cipe général de liberté consacré par la Déclaration de 1789, ceci n’em-
pêche pas qu’elles basculent à tout moment dans le champ de l’article 66
lorsqu’elles subissent un degré de contrainte qui rend nécessaire le
contrôle de l’autorité judiciaire110.
Le contentieux constitutionnel 2003-2004 ne fait pas que parachever
cette évolution, il la renforce encore. En effet, alors qu’on assiste à un
nouveau rétrécissement de la notion de liberté individuelle (1), l’article
66 fait l’objet d’une interprétation si restrictive qu’on se demande où
peut bien se produire la rencontre des libertés avec la garantie judiciaire
(2). C’est ainsi, peut-être, qu’un nouveau (ultime ?) chapitre s’esquisse,
celui qui réduira à néant le principe de l’autorité judiciaire gardienne de
la liberté individuelle.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
décision Bioéthique du 27 juillet 1994112, où il identifiait à tort la liberté
individuelle au principe général de liberté : « Considérant qu’au nombre
des libertés constitutionnellement garanties figurent la liberté d’aller et
venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que la
liberté individuelle, que l’article 66 de la Constitution place sous la sur-
veillance de l’autorité judiciaire »113. Il semble donc que le Conseil ait
enfin trouvé un socle constitutionnel adéquat à la constitutionnalisation
de la liberté d’aller et venir et du droit au respect de la vie privée en la
présence de la liberté proclamée par la Déclaration de 1789, laquelle
présente le grand avantage par rapport à la liberté individuelle de ne pas
relever nécessairement de la compétence judiciaire.
C’est ainsi qu’après avoir été consacrée comme principe constitution-
nel autonome114, la liberté d’aller et venir quitte, peut-être définitive-
ment, la liberté individuelle115. Mais c’est surtout pour le respect de la
vie privée que l’évolution est la plus nette. En effet, les décisions rendues
en 2003 et 2004 sont unanimes pour confirmer que ce droit constitue
une implication de la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen116, ce qui clôt le débat de la confor-
111. Appelé, selon les professeurs Lazerges et Rousseau, « à se substituer à celui de 1977
avec lequel il est en rupture radicale » : Ch. Lazerges, D. Rousseau, commentaire précité,
p. 1152.
112. CC 93-343-344 DC, 27 juillet 1994, « Bioéthique », RJC I, p. 592, considérant 3
selon lequel « la liberté individuelle est proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclara-
tion des droits de l’homme et du citoyen ».
113. CC 2003-467 DC, précitée, considérant 8.
114. CC 79-107 DC, 12 juillet 1979, « Ponts à péage », RJC I, p. 73, considérant 3.
115. La décision du 13 mars 2003 confirme ainsi une évolution que l’on pouvait pres-
sentir à la lecture de la décision du 16 juin 1999 relevant qu’au « nombre des libertés
publiques constitutionnellement garanties figurent la liberté individuelle et la liberté d’al-
ler et venir » (c’est nous qui soulignons) : CC 99-411 DC, JORF, 19 juin 1999, p. 9018,
considérant 2.
116. Voir notamment CC 2003-467 DC, 13 mars 2003, considérant 19 ; CC 2003-484 DC,
20 novembre 2003, considérant 22 ; CC 2004-492 DC, 2 mars 2004, considérant 75 ; et
encore CC 2004-499 DC, 29 juillet 2004, considérant 2 ; décisions précitées qui confirment
l’évolution enregistrée à partir de CC 99-416 DC, 23 juillet 1999, « Loi portant création
d’une couverture maladie universelle », JORF, 29 juillet 1999, p. 11250, considérant 44.
60 Gilles Armand
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
assurer le respect de la vie privée sans faire référence à la liberté indivi-
duelle120. Or si à une époque, on avait pu prédire la disparition de ce
concept prétorien du fait de son absorption par la « nouvelle » liberté
individuelle, le contentieux constitutionnel atteste aujourd’hui de la
réapparition de la liberté personnelle, devenue principe constitutionnel
écrit car identifiée à la liberté proclamée par les articles 2 et 4 de la
Déclaration de 1789. Si le juge constitutionnel n’a pas besoin d’y référer
pour garantir le droit de mener une vie familiale qui bénéficie d’un fon-
dement constitutionnel explicite121, la référence est en revanche bienve-
nue pour assurer « le respect de la liberté du mariage », laquelle en tant
que « composante de la liberté personnelle (et non plus individuelle)
protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, s’oppose à ce
que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-
même, au mariage de l’intéressé »122.
Même si des incertitudes demeurent123, les décisions récentes confir-
ment par conséquent que la liberté proclamée par la Déclaration de 1789
est une notion fourre-tout, capable à elle seule et en raison de son carac-
tère indéterminé de constituer l’assise constitutionnelle de la plupart des
117. CC 92-316 DC, 20 janvier 1993, « Prévention de la corruption », RJC I, p. 516,
considérant 14.
118. CC 98-405 DC, 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1998, JORF, 31 décem-
bre 1998, p. 20138, considérant 59.
119. Voir les décisions 467, 484 et 492 DC.
120. Voir CC 88-244 DC, 20 juillet 1988, « Loi d’amnistie », RJC I, p. 334 ; CC 89-
257 DC, 25 juillet 1989, « Prévention des licenciements économiques », RJC I, p. 358 ;
CC 91-294 DC, 25 juillet 1991, « Accords de Schengen », RJC I, p. 455 ; CC 92-316 DC,
20 janvier 1993, « Prévention de la corruption », RJC I, p. 516.
121. CC 2003-484 DC, 20 novembre 2003, précitée, considérant 29, qui confirme que le
droit de mener une vie familiale trouve son fondement unique dans le 10e alinéa du Préam-
bule de la Constitution de 1946.
122. Ibid., considérant 94. Pour une nouvelle référence à la liberté personnelle, voir
CC 2003-487 DC, 18 décembre 2003, Loi portant décentralisation en matière de revenu minimum
d’insertion et créant un revenu minimum d’activité, JORF, 19 décembre 2003, p. 21686, consi-
dérants 27 et 28.
123. La liberté personnelle est-elle assimilée ou découle-t-elle de la liberté proclamée par
la Déclaration des droits ? Pourquoi le Conseil se réfère-t-il parfois au seul article 2 de la
Déclaration, parfois aux articles 2 et 4 combinés ?…
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 61
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
secret des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les
articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté indivi-
duelle, que l’article 66 de la Constitution place sous la surveillance de
l’autorité judiciaire »124. C’est ainsi que par rapport à la décision portant
sur la loi pour la sécurité intérieure, l’inviolabilité du domicile et le secret
des correspondances viennent enrichir la liste des droits et libertés ratta-
chés au principe général de liberté et soustraits au champ de la liberté
individuelle.
Cette évolution est fondamentale car le Conseil constitutionnel s’at-
taque ici au noyau dur de la liberté individuelle, représenté par un
régime d’inviolabilité qui, sous ses différentes facettes, forme avec l’in-
terdiction des détentions et arrestations arbitraires le droit à la sûreté
personnelle, entendu lato sensu comme « la protection contre les mesures
de police arbitraires »125. C’est notamment le cas de l’inviolabilité du
domicile, qui constitue une composante historique de la liberté indivi-
duelle placée sous la compétence exclusive de l’autorité judiciaire126. On
comprend alors que dans un considérant de principe de la décision Per-
quisitions fiscales du 29 décembre 1983, le Conseil n’ait éprouvé aucune
hésitation à placer cette inviolabilité sous le régime protecteur de la
liberté individuelle dont l’article 66 de la Constitution confie la garde à
l’autorité judiciaire127. Cette insertion était d’ailleurs logique puisque
quelques années plus tôt, c’est un autre aspect de l’inviolabilité, celle des
véhicules, qui avait hérité de ladite protection128. A une époque, on
s’était alors autorisé à penser qu’une autre manifestation de l’inviolabi-
lité, celle des correspondances, suivrait un chemin identique. Mais
124. CC 2004-492 DC, précitée, considérant 4.
125. B. Mathieu, note sous CC 98-411 DC, LPA, 21 septembre 1999, n° 188, p. 14.
126. Pour plus de détails, voir G. Armand, L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté indi-
viduelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, thèse précitée.
127. CC 83-164 DC, 29 décembre 1983, « Perquisitions fiscales », RJC I, p. 166, consi-
dérant 28 : « l’article 66 de la Constitution (…) confie à l’autorité judiciaire la sauvegarde
de la liberté individuelle sous tous ses aspects et notamment celui de l’inviolabilité du
domicile ».
128. Voir la décision Fouille des véhicules du 12 janvier 1977.
62 Gilles Armand
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
logique du point de rencontre, considérait qu’à un moment donné le
degré de contrainte subi par les libertés les fait entrer en contact avec le
régime protecteur de l’article 66 de la Constitution. Ainsi, les libertés
protégées sur le fondement des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789
recevraient l’assurance d’être placées sous la garantie judiciaire lorsque la
loi les met en cause au sens de l’article 66. Or, on peut se demander si le
Haut Conseil suit véritablement ce schéma logique.
Le contentieux constitutionnel des années 2003-2004 est en effet
marqué par une raréfaction des références à l’article 66 de la Constitu-
tion, soit que le Conseil considère que les mesures législatives ne met-
tent pas en cause la liberté individuelle au sens de cette disposition, soit
qu’il constate que les pouvoirs coercitifs établis par la loi rendent néces-
saire l’intervention de l’autorité judiciaire mais alors sans affirmer claire-
ment que cette intervention constitue une exigence découlant de l’ar-
ticle 66.
Ainsi, on aurait aimé que dans la décision du 13 mars 2003 le juge
constitutionnel, tout en constatant que les mesures de palpation de sécu-
rité et de fouille des bagages à main réalisées par des personnels de sécu-
rité privés ne mettent pas en cause la liberté individuelle130, précise que
dans le cas inverse ces mesures devraient faire l’objet d’une autorisation
judiciaire conformément à l’article 66 de la Constitution131. De même, si
les prélèvements externes prévus par la loi Sarkozy132 ne portent atteinte,
ni à l’inviolabilité du corps humain, ni à la liberté individuelle, dans la
mesure où ils ne comportent « aucun procédé douloureux, intrusif ou
attentatoire à la dignité » des personnes, a contrario cela signifie qu’un
129. Il est probable que l’inviolabilité des véhicules connaisse la même évolution.
130. Car à la différence de l’inspection visuelle des bagages à main, elles ne peuvent être
entreprises qu’avec l’accord des personnes intéressées.
131. CC 2003-467 DC, précitée, considérants 92 et s.
132. Qui peuvent être effectués sur toute personne susceptible de fournir des renseigne-
ments sur les faits en cause ou sur toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou
plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre l’infrac-
tion, afin de réaliser des examens techniques et scientifiques de comparaison avec les traces
et indices prélevés pour les nécessités de l’enquête : article 55-1 du Code de procédure pénale.
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 63
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
mesures par « instructions écrites » et disposant « de toute latitude
d’appréciation » pour donner suite ou non aux demandes des victimes137.
Mais de là à déduire que l’inviolabilité du corps humain a, pour la pre-
mière fois, bénéficié de la protection constitutionnelle de la liberté indi-
viduelle, il y a un pas que le commentateur n’ose franchir car à aucun
moment le Conseil ne se fonde sur cette liberté ou sur l’article 66 de la
Constitution pour justifier le contrôle judiciaire exercé en la matière138.
Le doute est également entretenu par le Haut Conseil s’agissant d’as-
pects plus classiques de la liberté individuelle. Ainsi, on peut à première
vue être surpris que dans la décision du 2 mars 2004 relative à la loi por-
tant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le juge consti-
tutionnel n’ait pas analysé le nouveau régime des écoutes télépho-
niques139 sous l’angle de la liberté individuelle garantie par l’article 66.
En effet, ces écoutes mettent en cause l’inviolabilité des correspondances
personnelles qui, comme l’inviolabilité du domicile privé, constitue une
composante historique de la liberté individuelle traditionnellement pla-
cée sous le contrôle exclusif de l’autorité judiciaire140. Or le juge suit en
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
On peut noter que même le noyau dur de la liberté individuelle
n’échappe pas à cette application de la garantie judiciaire détachée de son
fondement constitutionnel. Si la décision du 13 mars 2003 épargne (mais
pour combien de temps ?) l’inviolabilité des véhicules144, l’inviolabilité du
domicile n’échappe pas à la règle. On est en effet frappé par le fait que
lors de l’examen des procédures de perquisitions nocturnes dans la déci-
sion du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel ne vise à aucun moment
l’article 66, et ne se réfère qu’une seule fois au principe de l’autorité judi-
ciaire gardienne de la liberté individuelle145, se contentant de relever que
les dispositions législatives ne portent pas des atteintes non nécessaires ou
excessives au principe de l’inviolabilité du domicile. Dans ce domaine, il
semble néanmoins que le défaut de référence à la liberté individuelle
garantie par l’article 66 de la Constitution n’ait pas pour effet de res-
treindre l’étendue de la garantie judiciaire146, mais simplement d’en atté-
nuer l’effectivité. Ainsi, en continuant d’exiger que l’autorité judiciaire
contrôle toute mesure attentatoire au droit à la sûreté personnelle, le
Conseil pourrait se satisfaire d’un contrôle judiciaire à la portée minorée.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
infléchissement de la contrainte de constitutionnalité censée limiter
cette fluctuation. Ainsi, la variabilité de la garantie judiciaire s’opère au
détriment de son effectivité, ce qui affecte les notions d’autorité (1) et de
contrôle (2) judiciaires.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
A l’origine, la compétence constitutionnelle des magistrats du par-
quet est résiduelle, puisque limitée à la sauvegarde de la liberté d’aller et
venir, ainsi qu’à certains aspects du droit à la sûreté152. Ainsi, le procu-
reur de la République se voit reconnaître le pouvoir de diriger et de sur-
veiller les opérations de contrôle d’identité153, ainsi que de contrôler les
privations de liberté d’une durée limitée154. En revanche, la prolongation
de ces privations au-delà de 48 heures155, ainsi que les atteintes à l’invio-
labilité des lieux privés (domicile et véhicule) ne peuvent être mises en
œuvre que sur autorisation d’un magistrat du siège.
La décision du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure
témoigne cependant de la transformation progressive de la compétence
d’attribution du parquet en compétence de droit commun, en levant les
incertitudes que pouvaient encore entretenir les décisions des 18 jan-
vier 1995 et 22 avril 1997156 quant à la faculté pour les magistrats du
parquet d’autoriser des fouilles de véhicules. Implicite dans la première
décision157, explicite dans la seconde mais limitée à la « visite som-
151. Sur cette hiérarchisation, voir notamment Th. Renoux, « Le statut constitutionnel
des juges du siège et du parquet en France », AIJC, 1995, p. 238.
152. Entendu cette fois-ci stricto sensu comme interdisant les arrestations et détentions
arbitraires.
153. Voir CC 86-211 DC, 26 août 1986, « Contrôles d’identité », RJC I, p. 274, considé-
rant 3 ; CC 93-323 DC, 5 août 1993, « Contrôles d’identité », précitée, considérants 5 et 6.
154. Contrôle de la vérification d’identité faisant suite à un contrôle d’identité infruc-
tueux et impliquant la rétention de la personne dans un local de police pour une durée
maximale de 4 heures (CC 80-127 DC, 19 et 20 janvier 1981, « Sécurité et liberté », RJC I,
p. 91, considérants 57 et 58), prolongation de la garde à vue au-delà de 24 heures (CC 93-
326 DC, 11 août 1993, « Garde à vue », précitée, considérant 5).
155. Prolongation de la garde à vue de 48 à 96 heures, de la rétention administrative au-
delà de 48 heures, du placement en zone d’attente au-delà de 4 jours…
156. CC 94-352 DC, 18 janvier 1995, « Vidéosurveillance » et CC 97-389 DC, 22 avril
1997, « Certificats d’hébergement », précitées.
157. Le Conseil constitutionnel considère en effet qu’en ne prévoyant pas l’intervention
préalable du procureur de la République pour autoriser des fouilles de véhicules mais sim-
plement son information immédiate de la décision prise en la matière par le préfet, le légis-
lateur a violé l’article 66 de la Constitution, ce qui a contrario permet de considérer que le
contrôle préalable du parquet aurait satisfait aux prescriptions constitutionnelles. Voir
notamment les considérants 14 et 20 de la décision.
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 67
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
l’intimité de la vie privée. Au contraire, il semble cohérent que la juris-
prudence constitutionnelle évolue dans le sens de la reconnaissance de la
compétence des magistrats du parquet pour autoriser des perquisitions
et saisies domiciliaires, y compris dans les locaux d’habitation162, ce qui
présenterait l’avantage d’aligner le régime du « siège stable » de la vie
privée que constitue le domicile sur celui du « siège en mouvement »
représenté par le véhicule163, et conduirait à considérer que le parquet
détient une compétence générale pour contrôler les atteintes à la liberté
individuelle.
Il ne resterait plus alors de la réserve de compétence constitutionnelle
des magistrats du siège que le contrôle des atteintes les plus graves à la
liberté individuelle. Se dessinerait ainsi une répartition des attributions
entre les magistrats du siège et du parquet d’une grande simplicité, les
premiers n’intervenant que dans le cadre des régimes dérogatoires, por-
teurs d’atteintes spécifiques à la liberté individuelle, les seconds étant par
principe compétents en ce qui concerne le droit commun. La décision du
2 mars 2004 s’inscrit d’ailleurs dans cette logique en insistant à plusieurs
reprises sur le fait que les pouvoirs exorbitants du droit commun prévus
par la loi Perben II ne peuvent être mis en œuvre que sur autorisation
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
fait partie intégrante de l’autorité judiciaire, ses fonctions ne sont pas
pour autant interchangeables avec celles du siège, de sorte que le pre-
mier ne puisse s’opposer à une décision prise par le second.
L’examen des procédures de « référé-détention »166 et « référé-réten-
tion »167 a constitué l’occasion pour le juge constitutionnel de le rappe-
ler. Ces procédures ont pour point commun de permettre au procureur
de la République, magistrat du parquet, de s’opposer pendant un temps
limité à la décision de mise en liberté prise par son collègue du siège168,
en interjetant appel et en demandant dans le même temps au juge d’ap-
pel de déclarer ce recours suspensif. Or, dans les décisions des 29 août
2002169 et 20 novembre 2003170, le Conseil tout en réaffirmant171 « qu’en
principe, il résulte de l’article 66 de la Constitution que, lorsqu’un
magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère son
rôle de gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juri-
dictionnelle qu’une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait
obstacle à cette décision, fût-ce dans l’attente, le cas échéant, de celle du
juge d’appel »172, n’en tire pas pour autant conséquence que la privation
de liberté doive cesser immédiatement et que le maintien à la disposi-
tion de la justice, à l’initiative du parquet, de la personne incarcérée
méconnaîtrait le rôle de gardien de la liberté individuelle que la Consti-
tution reconnaît au juge du siège173.
164. CC 2004-492 DC, précitée, considérants 23 à 27 pour la prolongation de la garde à vue
jusqu’à 4 jours, et 41 à 56 pour les perquisitions nocturnes.
165. Pour l’ensemble des implications, voir G. Armand, L’autorité judiciaire, gardienne de
la liberté individuelle, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, thèse précitée.
166. Applicable à la détention provisoire.
167. Applicable en matière de rétention administrative.
168. Ordonnance de mise en liberté dans le cadre de la détention provisoire, ordonnance
de libération ou d’assignation à résidence pour la rétention administrative.
169. CC 20002-461 DC, 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice,
JORF, 10 septembre 2002, p. 14953.
170. CC 2003-484 DC, 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au
séjour des étrangers en France et à la nationalité, précitée.
171. Le principe est consacré dans la décision du 22 avril 1997, précitée, considérant 60.
172. CC 2002-461 DC, considérant 73 ; CC 2003-484 DC, considérant 74.
173. C’était l’argumentation développée par les requérants.
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 69
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
autre nouveauté apportée par la loi du 26 novembre 2003, c’est pendant
4 heures minimum175 suivant la notification au parquet de l’ordonnance
ordonnant sa libération ou son assignation à résidence que l’étranger doit
attendre pour savoir si le recours sera déclaré suspensif. Mais ceci n’est
rien comparé au régime du « référé-détention », qui permet au procu-
reur de la République de suspendre la décision de mise en liberté durant
un délai de deux jours ouvrables176, et que le Conseil déclare pourtant
conforme à la Constitution dans la décision du 29 août 2002.
Avec de telles procédures dérogatoires, dont on peut de surcroît noter
qu’avec la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 sep-
tembre 2002, elles ne sont plus réservées aux étrangers, ne peut-on pas
légitimement se demander ce qu’il advient du principe de séparation des
fonctions du siège et du parquet ? Ne doit-on pas considérer que ce der-
nier est devenu le véritable gardien de la liberté individuelle, au terme
d’une évolution qui témoigne d’un appauvrissement de la garantie judi-
ciaire et que l’on retrouve s’agissant du contrôle exercé par les magistrats
de l’ordre judiciaire ?
174. Le « référé-rétention » institué par cette loi avait été abrogé par la loi RESEDA du
11 mai 1998.
175. Le délai de 4 heures est celui laissé au procureur de la République pour décider s’il
demandera à ce que l’appel soit déclaré suspensif. Ensuite, il reste au premier président de
la cour d’appel à se prononcer « sans délai » sur la demande, expression qui selon le Conseil
constitutionnel « implique une décision qui, si elle ne peut être immédiate pour des raisons
tenant à l’exercice des droits de la défense, doit être rendue dans le plus bref délai » :
CC 2003-484 DC, considérant 77.
176. C’est le délai accordé au premier président de la cour d’appel pour statuer sur la
demande de suspension.
70 Gilles Armand
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
ment un assouplissement de cette exigence. Sur le principe, il n’est en
effet plus question de contrôle effectif mais simplement de « sur-
veillance » de l’autorité judiciaire sur la liberté individuelle178. Or, du
point de vue des modalités d’exercice de la garantie judiciaire, la déci-
sion du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure atteste de
ce que l’autorité judiciaire peut fort bien surveiller les atteintes à la
liberté individuelle sans pour autant les contrôler de manière effective.
L’inviolabilité des véhicules est la première victime de l’assouplisse-
ment. La jurisprudence antérieure avait aligné le régime de ce lieu privé
sur celui du domicile, considérant dans les deux cas que l’intervention
préalable de l’autorité judiciaire constituait une exigence découlant de
l’article 66 de la Constitution179. Ainsi, le contrôle judiciaire était dis-
tinct selon la composante de la liberté individuelle affectée par le légis-
lateur : intervention a priori pour autoriser les atteintes (perquisitions et
fouilles) à l’inviolabilité des lieux privés (domicile et véhicule) ; inter-
vention a posteriori dans la garantie du droit à la sûreté, uniquement pour
autoriser la prolongation des privations de liberté180. Or le principe du
contrôle judiciaire préalable aux opérations de fouille des véhicules appa-
raît relativisé à la lumière du double tempérament que lui apporte la
décision du 13 mars 2003. Le Conseil constitutionnel considère en effet
« qu’en dehors des cas où ils agissent sur réquisitions de l’autorité judi-
ciaire, les agents habilités ne peuvent disposer d’une personne que lors-
177. Voir notamment CC 84-184 DC, 29 décembre 1984, RJC I, p. 212, considérant 35 ;
CC 93-323 DC, 5 août 1993, « Contrôles d’identité », précitée, considérant 5 ; CC 93-326 DC,
11 août 1993, « Garde à vue », précitée, considérant 3.
178. CC 2003-467 DC, 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, précitée, considérant 8 et
10, confirmée par CC 2004-492 DC, 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évo-
lutions de la criminalité, précitée, considérant 4.
179. Pour le domicile, voir CC 83-164 DC, 29 décembre 1983, « Perquisitions fiscales »,
précitée et CC 96-377 DC, 16 juillet 1996, « Perquisitions de nuit », précitée, considérant 17 ;
pour les véhicules, voir CC 94-352 DC, 18 janvier 1995, « Vidéosurveillance », précitée, consi-
dérant 20.
180. CC 79-109 DC, 9 janvier 1980, « Prévention de l’immigration clandestine », RJC I,
p. 74, considérant 3 et CC 92-307 DC, 25 février 1992, « Zones de transit », précitée, consi-
dérant 15.
La protection constitutionnelle de la liberté individuelle 71
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
dans les lieux accessibles au public lorsqu’il existe à l’égard du conduc-
teur ou d’un passager une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner
qu’il a commis, comme auteur ou comme complice, un crime ou délit
flagrant ». Dans la mesure où il s’agit en procédure pénale d’une déro-
gation classique à l’intervention judiciaire préalable182, il n’est pas éton-
nant que le Haut Conseil ait jugé que la flagrance était conforme à la
Constitution. On peut en revanche être surpris par la vacuité de la juris-
prudence constitutionnelle, qui délivre un blanc-seing au législateur en
considérant que ces dispositions législatives « sont conformes aux exi-
gences constitutionnelles ci-dessus rappelées en raison de la condition à
laquelle elles subordonnent les visites ; qu’elles ne méconnaissent pas
l’article 66 de la Constitution »183. Ce considérant laisse le sentiment que
la loi est conforme à la Constitution parce qu’elle est conforme à elle-
même et a pour effet de constitutionnaliser, sans aucune réserve, une
exception notable à l’intervention a priori de l’autorité judiciaire pour
autoriser des opérations de fouille des véhicules. Si l’on se rappelle l’in-
terprétation extensive que la Cour de cassation a pu donner de la fla-
grance184 et lorsqu’on sait que cette enquête peut aujourd’hui se pour-
suivre pendant 16 jours185, on comprend à quel point il eut été nécessaire
que le Conseil constitutionnel encadre la procédure nouvelle introduite
par la loi.
Le juge ne se montre guère plus prolixe pour statuer sur la constitu-
tionnalité des opérations de visites administratives des véhicules, desti-
nées à « prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.237.37.222 - 04/08/2020 17:27 - © Presses Universitaires de France
s’écarte de sa jurisprudence de 1997 dans laquelle il exigeait une « auto-
risation précise et individualisée » du procureur de la République de
procéder à la visite des véhicules187, et se rapproche à petits pas de
l’hypothèse, pourtant censurée en 1995, dans laquelle l’autorité judi-
ciaire n’exerçait qu’un contrôle a posteriori après qu’elle ait été informée
sans délai du déclenchement des opérations188. Mais cet affaiblissement
suit finalement la logique d’une décision qui affirme que les visites de
véhicules peuvent être menées hors réquisition de l’autorité judiciaire, à
partir du moment où celle-ci en est au plus tôt informée et le reste de la
procédure placée sous sa surveillance.
Mise en cause des principes essentiels, dont l’avenir dira si elle est
plus marquée pour les étrangers que pour les nationaux ; réduction
significative du champ d’application de l’article 66 de la Constitution,
dont il n’est pas même certain que le droit à la sûreté sorte épargné ;
affadissement du contrôle judiciaire enfin, symbolisé aujourd’hui par une
surveillance générale et formelle de simples magistrats du parquet : le
recul des principes protecteurs de la liberté individuelle apparaît diffici-
lement contestable. Ce recul traduit probablement un échec de la démo-
cratie juridique et constitutionnelle dans la sauvegarde des droits et
libertés, du moins lorsque le climat social n’y est pas favorable et que le
pouvoir politique œuvre au contraire, avec le soutien apparent de la
population, en faveur de la logique sécuritaire. A partir de ce constat, on
peut craindre que le statut protecteur de la liberté individuelle continue
de se réduire telle une peau de chagrin. Que reste-t-il de la protection
constitutionnelle de la liberté individuelle ? Assurément pas rien, mais
certainement moins qu’hier et peut-être plus que demain…