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Pierre Loubier
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ISBN 9782130530756
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https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2001-1-page-141.htm
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LE FLÂNEUR FLOTTANT
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flottements dans sa définition : au contraire, les multiples visa-
ges qu’il prend dans La Comédie humaine le dotent d’une exis-
tence plurielle – polymorphe et polysémique – telle que la
figure nous semble parfois étrangement contradictoire et
fuyante. Ce caractère flottant (jusque dans les origines et les
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profondément romanesque. Notre définition est donc elle aussi
plurivoque et volontairement fluctuante : d’abord référen-
tielle (historiquement, sociologiquement, géographiquement,
le Flâneur est un homme oisif qui marche en solitaire, d’un
pas généralement lent, qui a du temps à perdre, qui observe
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Quelle que soit la définition exacte du Flâneur, il apparaît
certain que l’écriture romanesque de la ville doit s’adapter à la
réalité de l’espace, à son caractère fragmenté, discontinu,
fugace, mais aussi à son énormité, à son aspect massif et
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Description et flânerie
torique [...]en créant des types on montre ces éléments à leur plus haut degré
de développement dans le déploiement extrême des extrêmes qui concrétise en
même temps le sommet et les limites de la totalité de l’homme et de la
période » (Balzac et le réalisme français, cité par les auteurs de l’article ci-dessus
mentionné, p. 250, n. 2).
8. Pl., t. II, p. 1142.
Balzac et le Flâneur 145
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nes, la rue du Fouarre dans L’Interdiction, la rue et l’impasse du
Doyenné dans La Cousine Bette, la rue du Tourniquet-Saint-
Jean dans Une double famille, une maison dans La Maison du
chat-qui-pelote, etc.). Cette limitation de la largeur, de la lon-
gueur et de la profondeur a pour corollaire une concentra-
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vers le croquis de peintre, de mœurs, vers l’exposé didactique,
vers des considérations sociologico-politico-philosophiques,
vers d’autres écritures, celle du journaliste en particulier).
C’est parfois la description elle-même, comme unité
sécable du texte romanesque, qui vient s’imposer, s’incruster
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bribes de savoir sur la ville.
Le personnage du Flâneur intervient même nommément
chaque fois que le descripteur a besoin de son aide ou de son
alibi pour introduire une description, voire une tartine, selon le
terme même de Balzac. Un exemple simple viendra illustrer
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sa légitimité réaliste. Le Flâneur entre alors pleinement au ser-
vice du pacte de lecture. Malheur donc au lecteur qui n’est
pas Parisien : « À Bourg-la-Reine, à peine serait-on com-
pris »18, des « observations » peuvent être « incompréhensibles
au-delà de Paris », écrit même Balzac19.
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Narration et flânerie
cite »22. L’espace se lit comme un texte, une partition, avec ses
silences et ses accents : « Toute capitale a son poëme où elle
s’exprime, où elle se résume, où elle est plus particulièrement
elle-même. »23 La ville accède au statut de texte : surface cou-
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verte de sens, tissu de fables, partition à interpréter.
Mais le Flâneur n’établit pas forcément de hiérarchie, il
collecte sans collationner. Il semble capter et se limiter à cette
fonction de relais visuel. Le romancier, lui, prélève des bribes
de signes au fil de la marche et les investit d’une charge roma-
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Fenêtres et visages
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immédiatement comme le couperet d’une guillotine, annonce
de la destruction du portrait et de la mort de son modèle à la fin
du roman. Reste, cependant, que l’amour trouve sa naissance
dans la vision furtive d’une femme (Augustine) par un passant
(le peintre Sommervieux) : « À la nuit tombante, un jeune
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sance de l’amour entre M. de Granville et Caroline « à travers
la fenêtre ». Le « monsieur à l’habit marron » remarque la jeune
couturière que sa mère expose littéralement à la fenêtre, et son
regard change alors de registre : comme celui de Sommer-
vieux, il atteint une sorte d’intensité électrique quand l’ « œil
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28. Pl., t. I, p. 18 et 22. Le racolage aux fenêtres avec ses gracieux retrous-
sis de rideaux est sans doute plus tardif (voir les travaux d’Alain Corbin), mais il
n’est pas douteux qu’une fenêtre au rez-de-chaussée est source de tentation
insurmontable : elle « excite la curiosité », écrit Balzac (ibid., p. 22). Cette
curiosité confine même au voyeurisme. Ainsi la Caroline des Petites misères de la
vie conjugale se met-elle à épier ses voisins d’en face : « Elle se met à l’affût
comme un chasseur », car, à Paris, « chacun plonge à volonté ses regards chez le
voisin » (Pl., t. XII, p. 93-94).
29. Voir l’incipit du Cousin Pons, Pl., t. VII, p. 484.
30. Ferragus, Pl., t. V, p. 798. Les épaules d’Henriette de Mortsauf, dans
Le Lys dans la vallée (Pl., t. IX, p. 984), jouent sensiblement le même rôle :
comme la chute de reins, comme la cheville entr’aperçue, elles constituent un
objet partiel, une parcelle de la surface corporelle sur laquelle le désir se
concentre.
152 Pierre Loubier
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vables »31, note Balzac. Lorsque la scène de première vue a
lieu dans le cadre de la rue, elle semble trouver une intensité
nouvelle, que son statut de topos avait quelque peu émoussée.
Ainsi de Nucingen (il est vrai, au Bois de Vincennes) voyant
Esther : « À la vue de cet ange, le baron de Nucingen fut
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Statut du romancier
31. Voir la pièce XCIII des Fleurs du mal, et Ferragus, Pl., t. V, p. 797.
32. Splendeurs et misères des courtisanes, Pl., t. VI, p. 493.
33. La Fille aux yeux d’or, Pl., t. V, p. 1063.
34. Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, dans Œuvres complètes, éd. citée,
t. II, p. 692.
Balzac et le Flâneur 153
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techniques d’exposition35. Les premières pages de Facino Cane
nous éclairent sur ce caractère inépuisable de la réserve de fic-
tions qu’est la ville :
« Vous ne sauriez imaginer combien d’aventures perdues, com-
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théorie de la volonté. Le Flâneur est une énergie latente, qui
ne s’éveille que par intermittence. Balzac et ses doubles sont
des énergies agissantes, par nécessité. Le rapport très ambiva-
lent que Balzac entretient avec le Flâneur reproduit donc le
rapport lui-même très ambivalent qu’il entretient avec la
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L’espace de la flânerie est donc l’espace de la projec-
tion, comme « perception placée sous le signe du désir »39.
À l’horizon du parcours se dessine peut-être un Flâneur heu-
reux, ou plus précisément qui a su utiliser son savoir pour
s’incorporer la ville et jouir d’elle. D’où cette définition qui
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nomie érotique de l’expérience urbaine.
Cette euphorie diffuse emprunte trois canaux : l’œil, la
bouche, le cerveau. Le regard, l’ingestion, la pensée, autant
d’activités qui transforment le quantitatif de la ville en qualita-
tif, et qui sont des laboratoires du créateur, chimie et alchimie
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Œil
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et le plus blasé qui se soit développé chez l’homme depuis la
société romaine, et dont l’exigence est devenue sans bornes,
grâce aux efforts de la civilisation la plus raffinée », « cet
œil qui consomme des feux d’artifice de cent mille
francs », qui « lampe pour quinze mille francs de gaz tous les
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soirs »45.
Malgré l’énormité de cet œil, cette orgie du regard est en
quelque sorte bridée, chez Balzac, par l’activité intellectuelle.
L’ogre se double d’un savant. L’antiquaire de La Peau de cha-
grin déclare : « Voir n’est-ce pas savoir ? Oh ! savoir, jeune
homme, n’est-ce pas jouir intuitivement ? », tandis que pour
Louis Lambert, « penser, c’est voir ! [...] Toute science
humaine repose sur la déduction, qui est une vision lente par
laquelle on descend de la cause à l’effet, par laquelle on
remonte de l’effet à la cause ; ou, dans une plus large expres-
sion, toute poésie comme toute œuvre d’art procède d’une
rapide vision des choses »46.
Le « travail » du Flâneur nous paraît réunir une grande
partie des caractéristiques de ce regard : lenteur et rapidité,
nonchalance et acuité, consommation et intuition, matéria-
lisme et spiritualisme, science et poésie... Cette double postu-
lation définit très précisément un art de jouir de la ville. On la
retrouve dans la dimension orale de la perception, sous la
forme de la gastronomie.
Gastronomie
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esprit »49, tendrait à prouver cette nécessité ressentie de subli-
mer l’activité manducatoire et digestive en activité créatrice,
voire génésique, selon son propre mot. La flânerie, comme
science et gastronomie de l’œil, relève de cette démarche de
déplacement et de sublimation, selon le processus suivant :
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Science
48. Voir, sur cette question, Robert Courtine, Balzac à table, Laffont,
1976 ; M.-C. Aubin, « Balzac et la gastronomie européenne », AB 1992,
p. 245 ; et P.-G. Castex, « Balzac et Brillat-Savarin », AB 1979, p. 7.
49. Physiologie gastronomique, II, « Le mangeur et le glouton », La Silhouette,
octobre 1830 (voir BO, t. 25, p. 380). Dans Balzac journaliste. Le Tournant
de 1830 (Klincksieck, 1983, p. 404), R. Chollet juge incertaine l’attribution de
ce texte à Balzac.
50. Voir l’excès du tabac, dans le Traité des excitants modernes, Pl., t. XII,
p. 325.
51. Le Cousin Pons, Pl.,. VII, p. 495.
Balzac et le Flâneur 159
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de la finesse de l’observation, de l’acuité du processus déduc-
tif, de la capacité intuitive de « faire converger les phénomè-
nes vers un centre » et de la compétence (imagination et rhé-
torique) de l’écrivain. Ce « génie multiple » est celui qui
parvient à être simultanément « un grand écrivain et
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vent double jeu, mène double vie. W. Benjamin a bien
montré, en étudiant notamment le personnage du conspira-
teur, combien cette duplicité affectait le type du Flâneur
jusque dans la multiplicité pour le moins hétérogène de ses
identités sociales57 : policier, conspirateur, bandit, faussaire,
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LE FLÂNEUR ALLÉGORIQUE
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est une ivresse qui fait « ondoyer » l’identité, qui fait « arriver
insensiblement son organisme aux phénomènes de la flui-
dité »60. Par certains aspects, l’expérience de la flânerie est
donc voisine de l’ « empoisonnement momentané » dont est
victime le fumeur de houka61. Il y aurait donc interaction,
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Moriturus, le Flâneur noir
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loin d’exprimer l’amertume d’une jeunesse sacrifiée, mal du
siècle qu’incarnent, par exemple, Z. Marcas : « Il allait lente-
ment, d’un pas qui peignait une mélancolie profonde, la tête
inclinée en avant et non baissée à la manière de ceux qui se
savent coupables », et encore le Godefroid de L’Envers de
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l’histoire contemporaine :
« En se promenant sur les boulevards, il souffrait [...] en lui-
même [...]. Aussi Godefroid offrait-il ce visage qui se rencontre
chez tant d’hommes, qu’il est devenu le type parisien : on y aperçoit
des ambitions trompées ou mortes, une misère intérieure, une haine
endormie dans l’indolence d’une vie assez occupée par le spectacle
extérieur et journalier de Paris, une inappétence qui cherche des
irritations [...]. »67
Il faut remarquer ce fort jeu de contrastes : haine/indo-
lence, inappétence/irritations. La dérive est un dérivatif. Elle
est une sublimation minimale, molle, accessible somme
toute, d’un sentiment profond d’échec. Elle est un suicide,
mais seulement « moral ».
Parmi ces figures presque anonymes à force, écrit Balzac,
de « ne tenir à aucune forme sociale »68, on voit glisser les for-
mes incertaines d’une foule d’ « êtres bizarres qui ne sont
d’aucun monde » comme dans la rue de Langlade69. Ce pas-
sant flasque et ectoplasmique figure allégoriquement le destin
négatif du Flâneur. Raphaël est un « zéro social ». Il est
l’homme de la rue au superlatif de l’inconsistance. Il n’y est
pour personne, pas même pour lui-même : ainsi traverse-t-il
tout l’incipit de La Peau de chagrin sans être nommé, tout
comme Granville qui, au début d’Une double famille, est seule-
ment désigné comme « l’homme noir ». Il s’oublie, se vide de
sa substance, est régi par la fluidité. Plus que jamais les sonori-
tés « fluantes » du mot Flâneur correspondent et contribuent à
cette fuite, ce flou de l’être. Ainsi du portrait de Poiret, per-
sonnage peu sympathique, si amorphe qu’il en devient
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inquiétant : mécanique « ratatinée » qui s’étend sur les murs
« comme une ombre grise », sa casquette est « flasque », il laisse
« flotter les pans flétris de sa redingote qui cach[e] mal une
culotte presque vide, et des jambes en bas bleus qui
flageol[ent] comme celles d’un homme ivre », si bien que le
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La reconquête du signe
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De sorte que la flânerie est une attitude éminemment
politique en ce qu’elle affiche – comme l’avait noté Benja-
min72 – l’oisiveté en valeur protestataire. Mais elle est donc
aussi matérialisation d’une idée. Pour Louis Lambert, en effet,
il existe une physique, une pesanteur de l’attente73, une
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ainsi une nouvelle aristocratie – celle de la pensée, de la
poésie, de l’intelligence... – réalisée dans le monde réel de la
ville. Le Traité de la vie élégante75 développe cette théorie de la
reconquête des signes ou des insignes perdus. On sent bien
tout de même que Balzac est conscient du caractère artificiel,
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Pierre LOUBIER.
74. Comme l’ont montré Ruth Amossy et Elisheva Rosen : « C’est une
fonction toute différente que la poétique de Balzac assigne à l’art », art. cité,
AB 1975, p. 248. Voir également la conclusion.
75. Traité de la vie élégante, Pl., t. XII, p. 219 notamment.
76. Ferragus, Pl., t. V, p. 795.
77. La Muse du département, Pl., t. IV, p. 733.
78. Illusions perdues, Pl., t. V, p. 317.
79. Traité de la vie élégante, Pl., t. XII, p. 247. Nous soulignons.
80. Ibid., p. 215.