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/ Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM4


Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018

CM4 - Les régimes coloniaux dans le Nord de l’Afrique


Remarques introductives
CM3 : Conquête longue et tâtonnante, qui suscite des résistances.
Attention à la chronologie : 80 ans entre la prise d’Alger et la conquête de la Libye. Au
Maroc, la période coloniale est bien plus courte qu’en Algérie ou même en Tunisie. Au
moment de l’indépendance, de vieux Marocains se souviennent des temps antérieurs à la
colonisation.
Mais la colonisation ne se réduit pas à la conquête par une armée. C’est le maillage du
territoire par une administration efficace qui permet à la puissance coloniale de contrôler à
la fois le territoire et les populations qui y vivent. Le droit joue alors un rôle important.

La colonisation se traduit au Maghreb :


1- par l’imposition de l’autorité d’un État étranger sur un territoire :
- appropriation physique du territoire, par la force (interventions militaires, CM3),
- puis établissement d’une nouvelle administration (CM4.I), grâce à la venue de
fonctionnaires métropolitains et au recrutement d’adjoints locaux du pouvoir colonial.
2- par l’installation de populations venant de cet État étranger, les colons, et
l’occupation par eux des terres agricoles (CM4.II.b)
3- enfin, la colonisation s’impose par la soumission des populations locales (CM4, III),
encadrées dans de nombreuses dimensions de leur vie sociale.

I. L’imposition d’un régime administratif, colonie et protectorat

A- L’Algérie, une colonie française


Région où la domination coloniale est la plus longue et la plus intense. En 1834 : la sujétion
ottomane est officiellement abolie et l’Algérie est annexée à la France.

Les Français ne dénomment pas d’emblée un territoire appelé Algérie (1ère occurrence en
1839). Les documents officiels parlent de « possession française dans le nord de l’Afrique ».
À cette époque, seul le littoral est contrôlé.
Il y a aussi des difficultés à fixer un mode de gouvernement précis. En 1834, après bien des
débats, est décidée, une « occupation restreinte » du pays d’Alger et des enclaves de Bône,
Bougie et Oran.

Mais jusqu’à la fin du XIXe siècle, on continue de s’interroger sur la forme de la colonie
autour de trois questions :
1) quelles relations entre l’administration à Alger et le gouvernement à Paris ?
2) quelles relations entre les militaires présents en Algérie et les civils qui viennent
s’installer dans le pays ?
3) quelles relations entre les colonisateurs et les musulmans et juifs qui étaient déjà
présents au moment de la conquête française ?

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L’Algérie est commandée à partir d’Alger, par un gouverneur général.
Le territoire est rapidement divisé entre des territoires civils (restreints au nord, organisés
suivant le modèle métropolitain) et des territoires militaires.
Les territoires militaires sont à cette époque beaucoup plus étendus (vers le sud, région des
hauts plateaux). Ils sont administrés par des bureaux arabes, où les militaires surveillent les
populations locales. Certains militaires apprennent l’arabe ou le berbère et encadrent les
chefs « indigènes ». Ils ont souvent une réelle connaissance des populations locales.

En 1848, le territoire algérien est divisé en trois départements, d’Oran, Alger et Constantine.
Sous la IIIe république, les pouvoirs des civils sont renforcés et le territoire civil est étendu à
l’ensemble du Tell. Les services administratifs d’Algérie sont de plus en plus calqués sur ceux
de la métropole (décrets de rattachement 1881).
Les militaires exercent alors uniquement leur autorité dans les territoires du Sud.
Avec la victoire de l’administration civile, les pouvoirs des populations citoyennes (colons)
ne cessent de se renforcer au détriment des autochtones, musulmans et juifs.

Trans. : La seconde forme de colonisation du Maghreb est le régime du protectorat établi,
en Tunisie par le traité du Bardo en 1881 ; puis au Maroc par le traité de Fès de 1912.

B- Le protectorat, une formule élastique


Le régime du protectorat en théorie
Statut colonial qui autorise un État ou un territoire placé sous la tutelle d’un autre à
conserver un gouvernement et une administration. S’il y a abandon d’une partie de la
souveraineté, ce statut respecte théoriquement la « personnalité » autochtone et la
structure de gouvernement de l’État « protégé ».

La puissance protectrice, ici la France, prend en main :
- les affaires financières, militaires et la diplomatie,
- et elle peut aussi protéger ses propres ressortissants.
La puissance française est représentée en Tunisie puis au Maroc, par le Résident général qui
a autorité sur les troupes françaises et préside le conseil des ministres.
De son côté, le pouvoir protégé, ou colonisé, continue en théorie à encadrer l’administration
intérieure. Le souverain local reste en place, il garde la main sur les questions religieuses, les
questions juridiques liées au statut personnel, etc.

Le bey de Tunis comme le sultan du Maroc sont maintenus au pouvoir. Les résidents
généraux français doivent respecter cette primauté des souverains locaux, notamment
dans le protocole. Par exemple, Lyautey tient l’étrier du sultan à sa descente de cheval.
Ces souverains continuent à être à l’origine de la loi. Ils disposent d’un gouvernement et
commandent l’administration locale notamment les caïds.

Une formule élastique
Par rapport à la colonisation directe exercée sur l’Algérie, le régime du protectorat présente
des avantages pour le pays colonisateur:
- le protectorat est économique : l’administration locale reste en place ; le personnel
français se contente de la diriger et de l’encadrer.

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- le protectorat est souple, ce qui permet d’englober sous ce statut des réalités diverses en
fonction de la diversité des ambitions des administrateurs français :

1. Certains pensent que la marge d’autonomie du pays « protégé » est réelle. Le premier
résident général du Maroc, Lyautey, veut maintenir les traditions du royaume marocain et il
envisage même à terme la fin du protectorat :
« Il est à prévoir – et je le crois comme une vérité historique – que dans un temps plus ou
moins lointain, l’Afrique du Nord, évoluée, civilisée, vivant de sa vie propre, autonome se
détachera de la métropole ».
2. D’autres sont favorables à une colonisation plus intense : le protectorat est pour eux une
façade, la marge d’autonomie du pouvoir local doit rester fictive. Certains fonctionnaires
venus de l’Algérie française utilisent le protectorat comme un stratagème pour transformer
la Tunisie et le Maroc en satellites de l’Algérie.
Peu à peu d’ailleurs, l’administration française ne se contente plus d’encadrer
l’administration locale : en Tunisie, en 1914, on compte 3800 fonctionnaires français contre
3100 fonctionnaires tunisiens.
En 1920, Lyautey déplore qu’« on en arrive de plus en plus à l’administration directe » et
s’inquiète de la « mise à l’écart des Marocains des affaires publiques ».

>> Pour résumer, on peut dire que le régime du protectorat établi en Tunisie puis au Maroc
est à l’origine différent du régime de colonie imposé en Algérie. Les traités du Bardo et de
Fès prévoient seulement de protéger et de réformer la Tunisie et le Maroc. Mais les
protectorats sont suffisamment souples pour être transformés de l’intérieur en colonie.

C- Égypte-Libye, des formules hybrides qui ne disent pas leur nom

En Égypte, un protectorat voilé (1882-1914)


Entrés pour rétablir l’ordre en 1881, les Britanniques devaient se retirer lorsque la situation
financière et politique se serait stabilisée. La présence britannique – notamment militaire –
dure pourtant jusqu’en 1956.
Officiellement, l’Égypte est toujours une province de l’Empire ottoman et la lignée de
Mehmet Ali reste sur le trône. Lord Cromer garde le titre de consul et agent diplomatique,
mais c’est lui qui, dans les faits, dirige la politique égyptienne pendant plus de 20 ans (1883-
1907)1. Cette domination est justifiée par le fait que les Égyptiens seraient incapables de se
gouverner ou de redresser le pays.
Cette situation provisoire se maintient jusqu’en 1914.
Pendant la première guerre mondiale, l’Empire ottoman devient l’ennemi des Britanniques
et ces derniers instaurent officiellement leur protectorat sur l’Égypte (décembre 1914) : le
khédive abdique 2 , la monnaie égyptienne est rattachée à la livre sterling, un haut-
commissaire britannique détient le pouvoir.


1
Il rétablit la situation financière, rééquilibre le budget. Il voit les Orientaux comme des hommes à l’esprit
confus et chaotique, manquant d’initiative et d’énergie.
2
Remplacé par un sultan (de la famille des khédives).

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En Libye, alternance d’un régime de colonie et de protectorat.
1) À partir de 1911, deux composantes de la Libye, la Tripolitaine et la Cyrénaïque sont
considérées comme « parties intégrantes du royaume d’Italie », ce qui les place dans une
situation proche du modèle de la colonie.
2) Après la 1GM, une série de révoltes en Libye mettent en difficulté les Italiens, qui doivent
concéder une autonomie aux territoires libyens. Deux républiques sont fondées, celle de
Cyrénaïque et celle de Tripolitaine. La forme se rapproche du protectorat puisque seules
l’armée, la justice et la diplomatie restent entre les mains de l’Italie.
3) Puis, sous le régime fasciste de Mussolini (à partir de 1922), la Libye est reprise en main.
C’est le prélude au retour à une colonisation beaucoup plus directe.

Remarque : plasticité de ces régimes, avec tendance au durcissement, en Algérie, en
Tunisie, en Égypte, au Maroc et en Libye.

Transition : Outre l’établissement d’une administration coloniale, l’appropriation des
territoires passe par l’installation de populations européennes et l’exploitation de terres
agricoles auparavant possédées par des autochtones.

II. Les moyens de la colonisation

A. L’arrivée de colons européens au Nord de l’Afrique


Au Maghreb, les autorités coloniales favorisent l’installation durable de populations
européennes. On reviendra au CM10 sur la complexité de ces sociétés coloniales, mais
d’emblée, la présence de colons favorise l’appropriation des terres.
Remarque : Au sens strict, le terme de « colon » devrait être réservé aux populations
européennes qui exploitent réellement des terres agricoles. Mais la population européenne
est bien plus nombreuse et diverse. Le commerçant d’Alger ou de Rabat, le médecin, le
pêcheur maltais, l’ouvrier espagnol employé sur les docks d’Oran, le fonctionnaire envoyé de
métropole, etc. ne sont pas des « colons » au sens strict, même s’ils font partie de la
population colonisatrice.

En Algérie, l’installation des colons a d’abord été encouragée par l’État français. Cette
politique étatique est soutenue dès les années 1840 par le gouverneur général Bugeaud
(gouverneur général de 1840 à 1847) - « Il faut les [les colons] placer sans s’informer à qui
appartiennent les terres, il faut distribuer celles-ci en toute propriété ».

Se dessine un double mouvement : une entreprise de colonisation officielle, impulsée par
l’État français, et un mouvement plus spontané (non encadré par l’État). Les premiers colons
n’étaient pas des ruraux mais plutôt des Parisiens, des gens des villes, également des
opposants politiques qu’on éloigne de la capitale3.
La colonisation officielle progresse beaucoup dans les premières années de la IIIe
République, mais dans le dernier quart du XIXe s., les « Européens » (citoyens français +
étrangers) représentent moins de 15% de la population totale.


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Après le coup d’État du 2/12/1851 qui met en place le Second Empire, envoi de plus de 6000 opposants.

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En Tunisie et au Maroc, l’arrivée de colons est moins facile à justifier. Car, dans les deux
protectorats, il n’était pas prévu au départ d’installer des colons pour exploiter la terre. Ce
ne sont pas des colonies dites de peuplement, et pourtant, le nombre de colons n’a cessé de
croître.
Au Maroc, la progression est plus forte après la Première Guerre mondiale. De 1911 à 1926,
la population européenne est multipliée par 10 (passe de 9 890 à 96 377).
En Tunisie, en 1911, on recense 200 000 Européens et 1 700 000 Tunisiens. À cette date, les
Italiens sont encore 2 fois plus nombreux que les Français4 et les colonisateurs représentent
environ 10% de la population.
En Libye, en 1934, 44 000 Italiens sur une population totale de 700 000 hab.

En Égypte, les Britanniques sont présents d’abord dans les secteurs des Finances, travaux
publics, Justice et Intérieur 5 . Ils prennent très progressivement le contrôle de
l’administration. L’Égypte reste ottomane et le maintien de la présence britannique en
Égypte demeure incertain jusque dans les années 1895.
En revanche, les étrangers sont très nombreux, parce qu’ils bénéficient, comme dans le
reste de l’EO, d’un statut d’extra-territorialité, en vertu d’accords, les Capitulations6. La
nature du système juridique de l’Empire ottoman, qui repose sur le principe de la
personnalité des lois et non sur celui de la territorialité, donne au sultan la possibilité de
soustraire certains résidents de l’empire aux obligations communes. Le régime capitulaire
confère toute une série d’immunités7.
En un siècle, Alexandrie a multiplié par 40 le nombre de ses habitants : 403 000 hab. en 1907
dont 10 à 15 % sont nés hors d’Égypte ; il y a près de 9000 Britanniques sur 62 000
« étrangers ». La ville est devenue en quelques décennies le 4ème port de la Méditerranée.

Remarque : Selon l’anthropologue Georges Balandier 8 , la « situation coloniale » est un
système complexe qui met en relation une population colonisée démographiquement
majoritaire et le groupe des colonisateurs, qui constitue une minorité sur le plan numérique
mais en position de force dans les domaines politiques, économiques et culturels. Situation
de domination, inégalitaire, et potentiellement conflictuelle et instable, comme on le verra
au CM11.


4
46000 Français ; 88000 Italiens ; 11000 Maltais en 1911.
5
Les Britanniques ne sont encore que 355 en 1898 dans l’administration égyptienne.
6
Capitulations signifie ici accord diplomatique, convention. Les premières sont signées en 1535 entre François
Ier et Soliman le Magnifique au bénéfice des commerçants français, des pèlerins (Jérusalem), ou des
représentants diplomatiques qui résidaient dans l’Empire ottoman, puis les différents États européens ont
obtenu à leur tour des conventions équivalentes.
7
immunité personnelle qui comporte l’inviolabilité du domicile et le droit de libre établissement, une
immunité fiscale, qui dispense les étrangers du paiement des impôts, une immunité de législation, qui
empêche l’application des lois locales à un étranger si celles-ci n’ont pas été validées préalablement par le
consul, enfin une immunité de juridiction par laquelle les bénéficiaires relèvent exclusivement des cours
consulaires, qui appliquent les lois de leur pays dans tous les litiges où ils sont impliqués. Ce dernier privilège
explique l’existence, dans l’Égypte des années 1860, de 17 tribunaux consulaires appliquant 17 législations
différentes à leurs nationaux installés en Égypte et à tous ceux qui sont parvenus à se faire enregistrer sur les
listes des différents consulats.
8
Georges BALANDIER, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de Sociologie, XI,
1951, p. 44-79.

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Trans. : D’autant que cette arrivée massive de colons entraîne l’appropriation et
l’exploitation de terres auparavant mises en valeur par les populations locales.

B- L’appropriation et l’exploitation des terres agricoles
Là encore, c’est en Algérie, que ce mouvement est poussé le plus loin.
Plusieurs techniques d’appropriations du foncier (= des terres agricoles) sont utilisées. On ne
peut pas les détailler toutes ici, mais ça peut être par exemple :
- appropriation des domaines du dey (pouvoir ottoman) avant 1830.
- expropriation « pour cause d’utilité publique » par les autorités françaises (pour aménager
des voies publiques par exemple).
- expropriation pour cause d’« inculture », etc.
Diverses procédures d’enregistrement et de requalification permettent d’aller vers le
modèle de propriété pleine, entière et cessible.
La loi Warnier de 1873 transforme les terres collectives des tribus (qui ne pouvaient pas être
divisées) en propriétés privées soumises à la vente. Accélération du transfert des terres.

Ce rappel doit conduire à éfléchir à la violence du droit, comme outil de la colonisation.

Au total, entre 1830 et 1895, les Algériens perdent 5M d’hectares, soit 40 % des superficies
qu’ils possédaient ; généralement les meilleures terres.
Cependant, dans le même temps, à partir de la fin du XIXe siècle, le projet de colonisation
agricole est en passe d’échouer :
- un grand nombre d’Européens quittent la campagne, pour s’installer en ville. À
contre-courant du mythe du colon ancré dans le bled.
- les terres continuent à être possédées par les Européens mais ce sont des métayers
(khammes) ou des salariés agricoles qui les exploitent.

En Tunisie et au Maroc, l’appropriation des terres passe par des procédures similaires.
En Tunisie, en 1914, 700 000 hectares appartiennent aux Français : beaucoup moins qu’en
Algérie. Au Maroc, la colonisation met à la disposition des colons 500 000 hectares en 1925.

En Libye, dans un premier temps, l’État favorise la constitution de grands domaines. Au
total, entre 1914 et 1929, 90 000 hectares de terres agricoles sont utilisés pour installer des
Italiens.
Des terres non cultivées sont intégrées au domaine de l’État et les terres de zaouïas et des
tribus rebelles sont confisquées en Cyrénaïque.

Transition : l’arrivée des colons, l’appropriation des terres et surtout, les nouvelles règles
imposées par l’administration coloniale déstabilisent les sociétés maghrébines. Le pouvoir
colonial cherche en effet à encadrer et contrôler les populations locales.





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III. Désorganisation et contrôle des populations colonisées

Les effets de la colonisation sont d’abord visibles dans les sociétés rurales ; et notamment
dans les tribus (= ensemble d’hommes et de femmes regroupés par une même parenté)9.

A. Déstabilisation des sociétés rurales : fin des solidarités, appauvrissement et
sédentarisation
- L’exploitation individuelle des terres porte atteinte à l’organisation de la tribu, à l’esprit de
corps et à la solidarité qui existaient auparavant au sein des villages.
Réduction des terres collectives a plusieurs conséquences : moins de terrains de parcours
pour le bétail ; modification de l’équilibre traditionnel entre pratiques agricoles et
pastorales.
- Les autorités coloniales tentent de sédentariser les tribus nomades. L’idée sous-jacente est
de fixer ces populations colonisées mouvantes pour mieux les contrôler.
- La réorganisation des impôts appauvrit les sociétés rurales : les fellahs doivent parfois
emprunter de l’argent, s’endetter ; la suppression des silos de réserve traditionnels.

En Libye aussi, le système agro-pastoral traditionnel est détruit. La Cyrénaïque est ruinée et
en partie dépeuplée. Disparition de près de 9/10e du cheptel (ovins, chameaux, chevaux
confondus). Dans le Fezzan, la conquête entraîne de fortes migrations vers l’Égypte, le Tchad
ou le reste du Maghreb. Entre 1911 et 1931, la population a même baissé.

Trans. : Les autorités coloniales encadrent les populations colonisées dans de nombreux
aspects de leur vie quotidienne.

B. Réorganiser pour mieux contrôler
On peut percevoir cela à travers 3 cas :
- l’état civil,
- le contrôle de l’islam,
- et le déni des droits de citoyens.

1) Renommer : La mise en place d’un état-civil par l’administration coloniale (pour établir les
actes de naissance, de mariage et de décès) aboutit à transformer la forme des noms des
personnes.
Avant cela, les populations n’étaient pas enregistrées, ni dénombrées. L’état civil impose
d’adopter un nom de famille et d’abandonner les autres composantes de son nom (les
marques de connexion avec un lieu, l’appartenance à une lignée (ould, ben, aït, bou, etc.).
La violence symbolique est donc très forte.

2) Contrôler les pratiques musulmanes


1. Les autorités coloniales contrôlent strictement l’organisation des pèlerinages : les
mouvements vers l’Orient sont perçus comme des sources de danger. Certaines années, le
hajj est interdit.


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En 1911, seulement 7% des Algériens vivent dans les villes.

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2. Elles contrôlent et réduisent le financement des cultes10.
3. Les administrations coloniales limitent le domaine de compétence des tribunaux religieux,
musulmans ou juifs.
En Tunisie, les tribunaux français sont créés dès 1883. Ils ont toute compétence si une des
parties impliquées est française.

3) Réduire ou nier la citoyenneté


Il y a en Algérie une disjonction entre citoyenneté et nationalité.
Un texte de 1865 (sénatus-consulte) affirme que tous les « indigènes » - juifs et musulmans –
sont de nationalité française, mais pas citoyens, au motif qu’ils ont conservé leur statut
personnel confessionnel. L’« indigène » n’est ni pleinement français, ni complètement
étranger.
À partir de cette date, les musulmans et les juifs d’Algérie ne peuvent accéder à la
citoyenneté, à tous les emplois publics dans l’administration, à la hiérarchie militaire et aux
élections locales qu’à condition de renoncer à leur statut personnel religieux (sharia et loi
mosaïque11). On appelle ça – un peu abusivement – une procédure de « naturalisation ».

Musulmans et juifs se méfient de ces mesures, qui seraient mal acceptées par leur famille.
Forte rupture avec le milieu d’origine qui explique le nombre restreint de naturalisation : ça
concerne à peu près 6000 musulmans (entre 1865 et 1944, L. Blévis).

La situation des juifs se distingue de celle des musulmans en Algérie à partir du décret
Crémieux de 1870, qui en Algérie, octroie la citoyenneté française à près de 30 000 juifs. De
façon collective et obligatoire, les juifs sont ainsi placés sous le « droit civil français »12.

L’impulsion vient de métropole pour favoriser leur assimilation juridique. Mais peu de juifs
d’Algérie ont demandé la citoyenneté entre 1865-1870 et ils sont nombreux à être hostiles à
l’abandon du droit hébraïque.

En Tunisie et au Maroc, les « protégés » ne sont pas Français, mais Marocains ou Tunisiens.
En Tunisie, des textes permettent aux protégés musulmans et juifs qui ont rendu des
services exceptionnels à la France d’obtenir la nationalité française (loi de 1899, décret de
1910)13. Ces naturalisations restent faibles avant les années 1920, puis sont combattues par
les mouvements nationalistes.
Ces ouvertures, au compte-goutte, fabriquent de nouveaux clivages.

La manifestation la plus frappante de limitation des libertés est l’imposition d’un régime de
l’indigénat en Algérie. Il ne s’agit pas d’un code unique mais d’une série d’arrêtés pris à


10
En Algérie, un clergé officiel, composé d’imams assermentés, est nommé ; à contre-courant de la loi de
séparation de l’Église et de l’État.
11
Les non-citoyens restent sous la juridiction des cadis ou soumis à la loi mosaïque et ne sont pas soumis au
code civil français dans certains domaines (famille, héritage)
12
Accorde en bloc la citoyenneté française aux Juifs, moyennant une soumission automatique au code civil
français.
13
En Tunisie, les conditions d’accès à la nationalité française sont facilitées en 1910 pour les juifs, par exemple
ceux qui ont épousé une Française et ont des enfants avec elle, les diplômés ou ceux engagés dans l’armée.
Mais on refuse l’idée d’un second décret Crémieux à la vue des difficultés constatées en Algérie.

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partir de 1881 et qui s’appliquent aux « indigènes » (musulmans non-citoyens). Les maires et
les administrateurs ont un droit de sanction pour certaines infractions, comme :
- le fait de ne pas avoir versé l’impôt,
- de s’être réunis sans autorisation,
- d’avoir refusé la corvée,
Les autochtones doivent aussi obtenir un permis pour circuler et une autorisation pour les
réjouissances publiques (mariages, retour du hadj).
Ces infractions sont punissables sans défense ni procès, par des sanctions spéciales
(amendes collectives, séquestres des biens, internement administratif).
Ces dispositions marquent une volonté de contrôle des populations autochtones. Elles
témoignent de la violence du droit, et se retrouvent dans d’autres colonies (Indochine aussi)
et dans le reste du Maghreb.

Au Maroc, l’« état de siège » proclamé en 1912 :
- autorise la surveillance des personnes,
- la répression des mouvements ouvriers et nationaux qualifiés de « subversifs »,
- l’obtention « d’aveux » dans les locaux policiers …

En Libye, en 1927, une citoyenneté libyque est instituée (sous régime fasciste).
Cette citoyenneté est inférieure à la citoyenneté des colons italiens et des Italiens de la
métropole. Elle interdit de se réunir, d’exercer une profession libérale en Italie ; mais aussi
de créer un journal, etc.
Recul par rapport aux promesses de 1919, qui proposait une citoyenneté italo-libyenne.

Au Maghreb, le paiement de l’impôt ne confère pas aux populations colonisées de
représentation politique digne de ce nom (pas plus d’ailleurs le fait de payer l’« impôt du
sang » pour ceux qui seront mobilisés en 1914-1918, cf. CM6).
En Algérie, en 1912, les « indigènes » paient 71 % des impôts directs locaux alors qu’ils ne
détiennent que 38 % de la fortune du pays et que leurs droits politiques sont limités.

Conclusion
Distinction théorique entre colonie / protectorat.
Mais en pratique : on a surtout des variations au sein même du cadre colonial.
Et une tendance à vouloir transformer le protectorat en colonie, comme le montrent les
exemples tunisien et marocain. Protéger, c’est aussi coloniser à moindre frais et s’infiltrer en
maintenant illusion d’un « makhzen » autonome.
La présence des colons est plus forte en Algérie que dans les autres pays du Maghreb …
mais elle s’accroît dans les protectorats.
Et conjuguée à la mise en place d’administrations coloniales, cette présence déstabilise les
sociétés maghrébines. Les organisations collectives sont fragilisées, les populations sont
appauvries et elles sont politiquement sous-représentées.

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