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Prise de vue
Que le droit pénal serve à punir, nul n’en doute. La peine est d’abord vengeance
privée : tolérée dans l’ancienne Égypte, à Athènes, à Rome sous l’espèce d’un caractère
collectif, légalement organisée (l’abandon noxal à Rome, le wergeld germanique), elle
connaît une lente intégration dans l’histoire du droit pénal. Le caractère expiatoire et la
dureté des peines de l’ancienne France laissent voir une part de rémunération privée ; de
même, la survivance anecdotique du duel jusqu’à la seconde moitié du XX e siècle et les
décisions d’acquittement rendues en la matière, malgré un arrêt de la Cour de cassation
(France, 1837). Aujourd’hui, la définition de la légitime défense encadre la défense privée,
dont le surcroît délictuel indique son origine. La peine évolue. Selon les « deux lois de
l’évolution pénale » établies par Durkheim, elle croît avec un pouvoir absolu et une société
grégaire, la répression tendant, par ailleurs, vers des peines privatives de la seule liberté et
pour un temps variable selon la gravité des crimes.
Mais le droit pénal ne répond pas à la seule question de la peine. Ses lois
révèlent un principe politique et social. Accarias le dit en jurisconsulte : les Césars ont réuni
entre leurs mains tous les instruments qui font la force du prince. Enfin, le droit pénal est
référence obligée à l’ordre d’une transcendance ; s’il n’est obéissance à l’ordre divin, il
l’est, sous forme laïque, à la nature et à sa loi, toujours à une réalité extérieure à l’existence
humaine, dont Cesare Beccaria dissipera l’ombre portée (Des délits et des peines, 1764).
Beccaria laisse au théologien la détermination du juste et de l’injuste « quant au for
intérieur, eu égard à la méchanceté ou à la bonté de l’acte en lui-même ». Le publiciste est
compétent pour établir le rapport du juste et de l’injuste quant à la politique. À la
conception, religieuse ou psychologique et athée, du bien moral apprécié dans l’intériorité
de l’âme s’oppose celle, légaliste, qui définit en droit l’acte interdit et non le sentiment ou
la tendance. L’évolution de la société est décrite non plus à partir d’une origine, mais dans
l’ordre logique d’une évolution de l’esprit qui voit le passage de la passion à la raison vers
le seul but de « la plus grande félicité du plus grand nombre ». Ce progrès du pacte social
d’hommes plus libres et des lois est celui des « vrais rapports du prince et des sujets ». Le
droit pénal se trouve alors placé dans le champ des relations du souverain – nous dirions
aujourd’hui de l’État, après avoir dit de la nation – et des sujets – les citoyens. Le droit
pénal n’était-il pas seulement le droit des punitions applicables aux criminels, à des non-
citoyens en d’autres termes ? Après Hobbes et Spinoza, qui ont vu la question politique des
relations des sujets entre eux, Beccaria décrit le droit pénal, applicable à tous, comme le
règlement public des relations de conflit des sujets entre eux nées sous l’espèce de la
violence. Nous retrouvons ainsi les principes et la division usuels du droit pénal. Définir
l’acte interdit et la peine applicable relève du droit pénal général. Le droit pénal spécial
étudie chaque infraction pour elle-même. La procédure pénale édicte les règles suivant
lesquelles on juge l’auteur.
L’infraction punissable
Toutes les difficultés résident, suivant Faustin Hélie, dans l’« incrimination qui
juge et apprécie la moralité des faits, qui pose les différents degrés de leur moralité, qui
recherche et analyse les nuances qui les séparent ».
La définition de l’interdit
Dans les traditions de droit écrit issues des droits romain et germanique, la loi
est la seule source des incriminations et des peines, ce qui exclut la création d’infractions
ou de peines par un juge. Cependant, l’opposition de ces traditions et du droit anglo-saxon
n’est pas absolue. La définition de l’acte interdit, de la règle violée, et de la peine
applicable, afin d’éviter l’arbitraire, apparaît dans chaque système comme l’opération
essentielle.
Dans un autre esprit, le droit anglo-saxon tient son identité de la common law et
lui doit son caractère. Son origine est dans les coutumes du XII e siècle, unifiées à partir de
la conquête normande. Depuis l’habeas corpus de 1215 en Grande-Bretagne, la Déclaration
des droits de 1776 et la Constitution de 1789 aux États-Unis d’Amérique, les deux parents
du droit anglo-saxon ont confié au juge la protection des individus contre l’arbitraire du
pouvoir exécutif. Le précédent fait certes au magistrat obligation de statuer en application
des principes qui ont été dégagés par les décisions antérieures. Mais il peut rechercher dans
les cas d’espèces celles des circonstances particulières qui lui permettront de justifier une
décision nouvelle. En donnant au juge le pouvoir de vérifier toute mesure de détention
prise, non par le roi mais par ses suzerains, l’habeas corpus lui a confié le contrôle de la
légalité des décisions de justice. Aux États-Unis, le 14 e amendement (due process of law,
1868) interdit de refuser à qui que ce soit le droit « à la vie, à la liberté ou à la propriété
sans une procédure régulière », et le 4e amendement proclame le « droit des individus à
disposer de leur personne en toute sécurité, de leur maison, de leurs papiers et effets, contre
des perquisitions et saisies abusives ». Le juge contrôle les conditions dans lesquelles la
preuve a été obtenue (régularité des moyens ; existence préalable d’une probabilité
d’infraction). Le juge britannique ne dispose pas du contrôle des lois. Aux États-Unis, le
contrôle de constitutionnalité, conquis par la Cour suprême, s’est heurté, dans l’histoire
(New Deal), aux lois économiques fédérales.
La variété des sources externes n’est pas non plus sans effets sur les législations
et les juridictions nationales. Le droit européen entre dans les droits nationaux en raison de
la hiérarchie des normes, et, quoique les traités (Rome, 1957 ; Maastricht, 1992) ne
confèrent pas aux autorités communautaires de compétence directe en matière criminelle,
une politique criminelle européenne se développe. Une première difficulté est liée à la
quantité de textes réglementaires produite en droit économique, en droit des douanes et en
droit fiscal. Une seconde tient à la diversité des autorités et des normes, et à la légitimité de
leurs sources. Certes, l’esprit de la prééminence du droit dans les règles pénales de fond
prévaut : légalité de l’incrimination, proportionnalité des sanctions, non-discrimination
entre les justiciables ou encore, en procédure, protection de la vie privée et droit à un procès
équitable. La Cour de justice des Communautés européennes et la Cour européenne des
droits de l’homme produisent une jurisprudence de référence. Mais la question est posée de
savoir quel est, au regard de la légitimité du texte pénal, le procédé d’élaboration de la
norme.
Un acte punissable est un acte défini comme tel par la loi. La pensée n’est pas
punissable. Il faut qu’elle s’extériorise dans l’attitude, l’acte, la parole. En ce sens, il n’y a
pas de pur délit d’intention. La règle cependant admet des nuances. Le régime des crimes et
délits contre la nation apporte une exception non négligeable à l’exigence d’un élément
matériel, avec en particulier la notion d’intelligence dont la seule existence compte
indépendamment d’un mobile, d’un but poursuivi ou d’un préjudice réel. La difficulté
réside dans le risque d’arbitraire qui pèse sur la preuve de l’intention. La préméditation, qui
peut, sans manifestation, rester dans le secret de la pensée non punissable, devient, avec le
passage à l’acte conduisant à l’infraction, une circonstance aggravante de celle-ci. L’acte
matériel exigé peut aussi être incomplet, ce qui conduit à examiner la question de la
tentative.
L’omission est fautive lorsque la loi édicte une obligation d’agir (être juré, ne
pas porter secours à une personne en péril). Une évolution tend à développer ce type
d’infraction, même si tous les Codes n’en ont pas fait des délits distincts ; citons les risques
causés à autrui et la circonstance aggravante de mise en danger délibéré (Code pénal
français de 1992). Une question difficile est posée par les infractions qui peuvent résulter
d’une commission ou d’une omission. Tel est le cas du meurtre. Il s’agit de savoir s’il
existe un délit de commission par omission : au lieu de tirer une balle de revolver,
l’individu prive quelqu’un d’aliments ou ne lui porte pas secours à l’occasion d’une
noyade. La règle est qu’il faut un texte spécial.
L’intention délictueuse
La faute pénale. Pour engager sa responsabilité, il faut avoir commis une faute
(culpa), intentionnelle ou d’imprudence ; involontaire, en la matière, signifie non pas sans
volonté, mais sans volonté spéciale des conséquences. La culpabilité est subordonnée à la
question de savoir si l’infraction peut être reprochée à l’agent (imputabilité). Tel n’est pas
le cas lorsque certains états peuvent altérer sa conscience et la volonté libre avec laquelle il
se détermine à l’action (causes subjectives de non-culpabilité). La minorité exclut la
responsabilité, avec des degrés : présomption d’irresponsabilité entre treize et dix-huit ans,
non-imputabilité de principe jusqu’à treize ans. La démence est également retenue comme
cause subjective de non-culpabilité, mais semble souffrir d’une difficulté d’adaptation des
concepts médicaux au texte légal. En France, le Code pénal de 1992 reprend finalement la
position du Code de 1810 et distingue l’aliénation mentale totale (irresponsabilité pénale) et
partielle (responsabilité atténuée). La contrainte est une troisième cause dans ses aspects
physique (force d’origine physique, humaine, animale, ou maladie supprimant toute
volonté) et moral (menaces).
La peine
Un ordre de gravité
La peine de mort ne figure plus dans la plupart des législations des pays
d’Europe ; et la peine n’est plus la sanction inévitable de l’infraction. En France, le juge
(tribunal correctionnel et tribunal de police) peut prononcer la dispense de peine ou
l’ajournement (depuis 1975). La privation de liberté et l’amende sont deux des principales
peines. Depuis la fin du XIXe siècle en Europe, et à la suite des travaux de l’école
positiviste, les mesures de sûreté fondées sur l’état dangereux se sont ajoutées aux peines.
Aux États-Unis comme en Europe, la pénologie a contribué au développement de mesures
substituables à la peine (travail d’intérêt général, retrait de permis de conduire, interdictions
professionnelles). En France, le Code pénal leur a étendu le terme de peine. Les peines font
l’objet de quatre types de classification : en fonction de leur application (personnes
physiques, personnes morales), de leur définition légale (criminelles, correctionnelles et de
police), de la distinction entre peines principales et complémentaires et du moyen mis en
œuvre (privation de liberté, de droit, jour-amende, etc.).
La fixation par la loi d’une seule peine que le juge doit appliquer n’a plus
prospéré depuis son essai durant la Révolution française. Les législations ont généralement
adopté une peine souple pour l’application de laquelle le juge tient compte des
circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. Ce principe est appelé
personnalisation ou individualisation de la peine. Le juge dispose, à cette fin, de l’échelle
des peines, d’un minimum au maximum qui peut être prononcé (et dont la seule mention est
visée par le Code pénal français de 1992). En outre, les peines peuvent être atténuées ou
aggravées par divers moyens.
Des mesures semblent aller, dans divers États, vers ce que l’on appelle la
dépénalisation (abaissement de l’infraction dans l’échelle pénale) et la décriminalisation
(suppression de l’incrimination). Dans cet esprit, des mesures techniques peuvent aussi être
données au juge afin d’élargir sa latitude en matière de répression : sursis à exécution de la
sanction, ajournement du prononcé de la peine, substituts à la peine d’emprisonnement. À
titre principal, le juge peut choisir de ne prononcer que l’une des peines dont une infraction
est assortie. Si la peine n’est pas comprise dans les limites d’un minimum spécialement
indiqué et d’un maximum (travail d’intérêt général : de 40 à 240 h), il peut descendre au
plus bas (un jour, en matière correctionnelle). En France, le législateur a fixé, en matière
criminelle, un minimum au-dessous duquel le juge ne peut descendre (deux ans, si la
réclusion ou la détention à perpétuité sont encourues ; un an, pour la réclusion ou la
détention à temps). Malgré cette large appréciation du juge, la référence du législateur
français au seul maximum encouru a entraîné la suppression des circonstances atténuantes.
Leur valeur symbolique pouvait être puissante puisqu’elles atteignaient le cœur de la faute,
et leur mécanisme pratique abaissait la peine au-delà du seuil qui ne peut, à défaut de
majorité, être dépassé par le jury criminel.
Des crimes prévus par des traités sont intégrés aux droits nationaux. La
résolution des Nations unies du 13 février 1946, faisant référence à la Charte du Tribunal
international de Nuremberg, a permis à la Cour de cassation d’élaborer une jurisprudence
française sur les crimes contre l’humanité que le Code pénal national intègre (génocide,
déportation, réduction en esclavage ou pratique d’exécutions sommaires, d’enlèvement de
personnes, etc.). Le droit pénal emprunte au droit des gens.
Ces modifications ne sont pas sans conséquences sur l’ordre des incriminations
et des peines : l’augmentation de la peine correctionnelle à dix ans fait passer la peine du
viol – criminelle – à quinze ans, afin de respecter l’ordre de la qualification. Les risques
causés à autrui sont à la fois une circonstance aggravante de la mise en danger délibérée, et
une infraction autonome lorsque cette dernière n’a pas eu de résultat : c’est incriminer un
état dangereux.
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