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Hommes et Migrations

Mehdi Lallaoui : Kabyles du Pacifique


Mustapha Harzoune

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Harzoune Mustapha. Mehdi Lallaoui : Kabyles du Pacifique. In: Hommes et Migrations, n°1183, janvier 1995. Passions franco-
maghrébines. pp. 58-59;

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IVRES

tés créoles d'Amérique latine avec mémoire", comme les nomme devaient pas quitter leur pays : ils
la population pied-noir, même si, l'auteur, ont gardé de leurs origines seront les premiers, dès janvier
théoriquement il est vrai, ce sont algériennes, notamment chez les 1871, à prendre les armes.
des sociétés provoquées par le plus jeunes, un attachement à une L'auteur montre comment, pour
phénomène colonial. Il aurait été, langue - l'arabe - et la pratique de recouvrer leurs prérogatives, cer¬
par contre, intéressant de mettre l'islam. Mais un islam bien éloigné tains militaires auraient, en sous-
en parallèle ce que d'autres histo¬ de la fournaise méditerranéenne, main, encouragé la révolte contre le
riens ont appelé la "cascade où l'observation du jeûne ou de nouveau pouvoir civil. Voilà qui
raciale" dans les colonies d'Afrique l'aumône s'acoquine bien volontiers expliquerait notamment le sens à
du Nord, particulièrement en avec quelques interdits alimentaires donner à cette révolte, à tout le
Algérie, et la hiérarchie sociale et autre breuvage fermenté... moins aux intentions réelles de
déterminée, en Amérique du Sud, Pour reconstituer l'histoire des Mohamed Mokrani. Loin d'être diri¬
par les divers types de métissages rescapés de l'insurrection algé¬ gée contre la présence française,
que l'auteur énumère. rienne de 1871, l'ouvrage, riche en elle semble s'opposer au nouveau
Le livre de Marc Ferro propose, photos et reproductions de docu¬ pouvoir
l'atteste cette
confiécitation
aux civils
de Mokrani
comme:
c'est le plus important, la lecture mentsarchives
aux divers, fait
de notamment
l'administration
appel
d'un champ historique particulier, "Je veux bien me mettre au-
rarement abordé en tant que tel. ainsi qu'aux écrits et témoignages dessous d'un sabre, dût-il me tran¬
Elle en croise d'autres qu'elle sug¬ d'anciens et
Rochefort communards,
Olivier Pain.dont Henri cher la tête, mais au-dessous d'un
gère. Elle est non exclusive et, pour juif ou d'un commerçant jamais, ou
cela, extrêmement féconde et Pourquoi les Kabyles se sont-ils encore cet extrait tiré d'un article
novatrice. Elle offre notamment au soulevés ? Et pourquoi cette famille d'Henri Rochefort paru dans La
lecteur la possibilité de voir les dif¬ Mokrani, qui dès 1838 offre ses Lanterne : "Or il songeait si peu de
férences, très éclairantes, entre les services à la France et permet, un se séparer de la France, que le
expansionnismes ibérique, britan¬ an plus tard, à l'expédition des puissant Mokrani avait équipé à ses
nique, hollandais, français et russe. Portes de fer de réussir, va t-elle en frais cinq cents cavaliers, et se pré¬
février 1871 prendre la tête de ce parait à venir combattre à nos côtés
Seuil, 1994, 538 p. 180
Hédi
F. Dhoukar mouvement ? [contre la Prusse] lorsqu'on le jeta
Comme souvent en histoire, il n'y malgré lui dans l'insurrection".
a guère de cause unique. Mehdi Le 23 janvier 1871 commence la
Lallaoui en rapporte quatre qui, a révolte. En quelques mois, grâce
Mehdi LALLAOUI des degrés divers, expliquent le notamment à l'appel du vieux
Kabyles du Pacifique soulèvement quasi général des tri¬ cheikh de la puissante confrérie
bus kabyles : le terrible hiver de des Rahmaniya, le très populaire
1868-1869 à l'origine des famines Cheikh Aheddad, Mohamed
Enlement
1 871 , après
quarante
l'arrivée
et undes
ansFran¬
seu¬ et de l'appauvrissement des foyers Mokrani se trouve à la tête de
kabyles ; la promulgation du décret 1 20 000 combattants représentant
Crémieux de 1870 qui accordait la
250 tribus
avance le chiffre
(l'armée
de 800 française
000 insur¬
nationalité française aux Euro¬
péens et aux juifs d'Algérie (ce qui, gés pour 200 000 combattants).
pour certains historiens et observa¬ Avec le renfort de troupes débar¬
teurs, sera l'occasion de réduire quées de France fin mai 1871 -
l'insurrection à un soulèvement après avoir réduit la Commune -,
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Com¬
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sur
de
se
au antisémite) ; la substitution du l'armée française, avec ses triste¬
régime civil au régime militaire mar¬ ment fameuses colonnes Lallemand,
quant la fin des bureaux arabes Cérez et Saussier, vient à bout, en
créés par arrêté ministériel le janvier 1 872, des insurgés et notam¬
1er février 1844 ; l'utilisation des ment d'Abou Mezrag El Mokrani, le
spahis dans la guerre contre la frère de Mohamed Mokrani, tué le
Prusse, alors que, par un "contrat 5 mai 1871. Sur les 340 combats
tacite et traditionnel", ces spahis ne livrés, l'armée française engagea

58 HOMMES & MIGRATIONS


Chroniques

Mehdi Laiiooui

Kabyles du Pacifique

leur témoignages
de sont ici consacrés.
ne
En fait, un seul article
paru dans Le Parisien
Illustré, le journal édité
par les communards
en Nouvelle-Calédonie,
traite des déportés
algériens...
Après l'amnistie par¬
tielle du 3 mars 1879,
le 11 juillet 1880, une
amnistie générale
accordée "à tous est
les
condamnés pour faits
relatifs aux insurrections de 1871 et enfin autorisés à rentrer en Algérie.
à tous les condamnés pour crimes Deux hommes, deux personnali¬
ou délits relatifs à des faits poli¬ tés emblématiques et pourtant éloi¬
tiques (...)". gnées émergent : Abou Mezrag el
Entre avril 1879 et septembre Mokrani et Azziz el Haddad, le fils
1880, les déportés parisiens quit¬ du cheikh de la Rahmaniya. Ces
tent l'île. Les déportés algériens deux figures de proue de ce groupe
sont, en contradiction avec la loi, de déportés connaîtront une desti¬
maintenus en résidence en née bien différente. Tandis que
Nouvelle-Calédonie. Aux pre¬ Mokrani
et mêmeaccepte
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de se -soumettre
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nombre de communards - les
l'amnistie
vent d'anciens
(1880-1904),
communards.
se retrou¬
Ils
troupes françaises qui répriment
n'ont pas oubliés ceux avec qui ils en Haddad
el 1878 la -révolte
commecanaque,
Louise Michel
Azziz
ont partagé la terrible épreuve et
dénoncent sans cesse (pétitions, - refuse de cautionner la répres¬
meetings, projets de loi...) l'injus¬ sion. Et, face à l'injustice, après
tice faite à leurs compagnons
d'infortune. l'amnistie de 1880 il n'attend pas.
Pendant que Mokrani ouvre un
En Nouvelle-Calédonie, la situa¬ magasin, l'intrépide Azziz el Had¬
tion juridique est intenable comme dad s'enfuit, en avril 1881, via
l'atteste, dès 1877, un courrier de l'Australie. Il s'éteindra à l'âge de
l'amiral et gouverneur Pritzbuez qui 55 ans, le 22 août 1895, chez son
reconnaît pouvoir "leur refuser la ami et compagnon de déportation,
permission de partir, mais non les le communard Eugène Mourot, au
en empêchei". En effet, " les dépor¬ 45 boulevard de Ménilmontant, en
tés qui ont obtenu remise de peine face du cimetière du Père-
Lachaise. Ce sont les anciens de la
de la condition
sous déportation
de ont
résidence
été graciés
dans
Commune qui se cotisèrent pour
la colonie, la légalité de cette faire rapatrier son corps en Algérie.
mesure sanctiori'.
aucune semble ne s'appuyer sur Tout un symbole ! Un symbole,
semble t-il, bien vivant encore...
L'obligation de résidence sera
finalement levée le 1er février 1895 "Au nom de la mémoire", 180 F,
et c'est seulement en 1904 que boîte postale 82 - Bezons cedex
Mokrani et les derniers chefs seront Mustapha Harzoune

N°1183/ JANVIER 1995 59

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