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a s p i r i t d i t é s vivantes H
SÉRIE HINDOUISME
Lu collection u Spiritualités vivantes a
est dirigée par Jean Herbert
SHRI AUROBINDO
La Vie divine
*
Traduction sous la direction de
JEANHERBERT
rieurs joue un rôle capital dans le yoga, car c’est elle qui
donne u le saint, le sage, le voyant n - même si le stade
atteinl par eux n’esf pas celui que Shrî Aurobindo considbre
comme le siade final.
C’est cetle u âme D qui, comme l’admet kz tradition
hindoue mullimillénaire, s’incarne successivement dans
des corps différents. u Nos corps périssent, mais les âmes
avanceiit de naissance en naissance a u long des dges n,
notre (( personnaliié superficielle construite n n’étant
qu’ u line expression temporuire de notre être (ensoi, une
forme changeante de lui ».
Pour compléter ce fableau déjà si complexe, il faut
encore ajouter ce que Shrî Aurobino appelle en nous,
d’un terme général, le (( subliminal »,dans lequel nous
avons u n menial intérieur, un vital intérieur, un i f r e
((
...
l’instrument divin de même qu’il a détrôné toutes les
autres existences terrestres ... un autre devra le remplacer
et assumer sa succession ».
M a i s cela est possible à l’homme, car si le Supramental
(( nous semble situé sur des sommets bien au-dessus de
L’aspiration de l’homme
1. LE DÉNI MATÉHIALISTE
(1) -
a Padbhyûm prithivl D (Mundaka Upanishad, II, 1-4).
(I Prithivî pâjasyam D (BnhadPanyaka Upanishad, I, I, 1).
Les deux négations : le déni matërialisie 31
leurs vitales et sensorielles, valeurs intellectuelles, idé-
ales et spirituelles. Plus Cela devient pour nous réel, plus
nous voyons qu’Il est toujours au-delà de la pensée qui
définit, au-delà de l’expression qui formule. (( Le mental
n’y atteint pas, ni la parole (l). )) E t cependant, de même
qu’il est possible d’exagérer, avec les illusionnistes, la
non-réalité de l’apparence, de même il est possible d’exa-
gérer l’inconnaissabilité de l’Inconnaissable. Quand
nous disons qu’Il est inconnaissable, nous entendons,
en réalité, qu’Il ne saurait être saisi par notre pensée e t
notre parole, instruments qui procèdent toujours par
le sens de la différence e t qui expriment par voie de
définition ;mais s’Il n’est pas connaissable par la pensée,
Il est accessible par un suprême effort de conscience. Ii
y a même une sorte de Connaissance qui est une avec
l’Identité e t par laquelle, en un sens, I1 peut être connu.
Certes, cette Connaissance ne peut être reproduite de
façon satisfaisante en termes de pensée et de parole ;
mais, quand nous y avons atteint, le résultat est une
réévaluation de Cela dans les symbole de notre cons-
cience cosmique, non pas dans l’un d’eux seulement,
mais dans toutes les gammes de symboles - ce qui
provoque une révolution de notre être intérieur et, par
la vie intérieure, de notre vie extérieure. En outre, il y a
une sorte de Connaissance par laquelle Cela Se révèle,
en vérité, en tous ces noms e t toutes ces formes d’exis-
tence phénoménale qui, à l’intelligence ordinaire, ne
font que le cacher. C’est à ce processus de Connaissance,
supérieur, mais non suprême, que nous pouvons atteindre
en dépassant les limites de la formule matérialiste et en
scrutant la Vie, le Mental e t le Supramental dans les
phénomènes qui en sont caractéristiques et non point
seulement dans les mouvements subsidiaires par les-
quels ils se relient à la Matière.
L’Inconnu n’est pas l’Inconnaissable (“) ;il ne doit pas
nécessairement demeurer pour nous l’inconnu, à moins
(1)Kena Upanishad, I, 3.
(2)Car Il est autre que le Connu, et il est au-dessus et au-delà de
pûjasyam D (Brihadâranyaka Upanishad, I, I.).
32 La Vie divine
que nous ne choisissions l’ignorance ou ne persistions
dans nos limitations premières, car, à toutes choses qui
ne sont point inconnaissables, à toutes choses dans
l’univers, correspondent, dans cet univers, des facultés
capables d’en prendre connaissance ; e t en l’homme, le
microcosme, ces facultés sont toujours existantes et, à
un certain stade, susceptibles de développement. Nous
pouvons décider de ne pas les développer ; là oii elles
sont partiellement développées, nous pouvons nous y
montrer opposés e t les soumettre à une sorte d’atrophie.
Mais fondamentalenient, toute connaissance possible
est une connaissance à la portée del’humanité. Et puisque
existe en l’homme l’élan inaliénable de la Nature vers la
réalisation de soi, l’effort de l’intellect pour limiter
l’action de nos facultés dans un domaine déterminé ne
saurait prévaloir toujours. Quand nous avons appris à
connaître la Matière e t compris ses possibilités secrétes,
cette même connaissance à qui la limitation temporaire
offrait les facilités nécessaires se doit de nous crier,
comme les borneurs védiques : (( Allez de l’avant, e t
passez au-delà vers d’autres domaines aussi (l). n
Si le Matérialisme moderne n’était qu’un acquiesce-
ment inintelligent à la vie matérielle, le progrès pourrait
être indéfiniment retardé. Mais puisque son essence
même est la recherche de la Connaissance, il ne saurait
décider de s’arrêter ; dès qu’il atteindra les bornes de la
connaissance sensorielle e t du raisonnement basé sur la
connaissance sensorielle, son élan même le portera au-
delà, et la rapidité, la sûreté avec lesquelles il a embrassé
l’univers visible, ne sont qu’un gage de l’énergie e t du
succès que nous pouvons espérer voir se répéter dans la
conquête de ce qui est par-delà l’univers visible, une fois
le pas fait et la barrière franchie. Déjà, nous pouvons
voir cette marche en avant, en ses obscurs débuts.
Ce n’est pas seulement dans sa conception finale
unique, mais encore dans les grandes lignes de ses résul-
tats d’ensemble, que la Connaissance - quelle que soit
la voie par laquelle on la cherche - tend à devenir une.
La destinée de l’individu
Les méthodes
de la conimissanoe v2dântiqu.e
La Force consciente
y c ~ u \ ~ par
r e uii jeu varié de sa propre force pour un
jeu varié de sa propre formation.
Ce qu’elle produit est elle-niéme et ne peut dtre rien
autre qu’elle-inême ; elle élabore un jeu, un rythme,
un développenieiit de sa propre existence, force dc cons-
cience, dklice d‘être. C’est poiirquoi tout ce qui entre
dans le rnoiide ne cherche rien autre que cela : être,
parvenir à la forme voulue, auqinenter sa propre exis-
tence en cette forin?, développer, manifester, accrnîlre,
réaliser infiniment la conscience e t la puissance qui son1
en elle, goûter la fklicité de venir à la miinifestation,
la féliciti: de la forme d’être, la félicité du ryth7ie de
conscience, la félicité du jeu de la force, e t a u p e n t e r
e t parfaire cette félicité par n’importe qucl moyen pas-
sible, en n’importe quelle direction, à travers n’importe
quelle idée de soi que puisse lui suq$rer l’Existence,
la Force-consciente, la Félicité active au-dedans de
son Ctre le plus profoiid.
Et s’il est un but, uile plénitlide vers quoi tendent
lec c!ioscs, cc ni. peut être qiie la plhitude -- dans l’in-
dividu et daiis l’cnscmble qiie coiistitucnt les individus-
de sa propre existence, de sa puissance e t de sa cons-
cience, de sa fClicitC d’être. Mais une t c l k plénitude n’est
La Mâyâ divine 157
pas possible dans la conscience individuelle concentrée
dans les limites de la formation individuelle; la plé-
nitude absolue n’est pas réalisable dans le fini parce
qu’elle est étrangère à la conception de soi du fini. Le
seul but final possible est donc l’émergence dans l’indi-
vidu de la conscience infinie ; c’est sa redécouverte de
la vérité de lui-mêqe par la connaissance de soi et la réa-
lisation de soi ; c’est la vérité de l’Infini en être, de l’In-
fini en conscience, de l’Infini en félicité re-possédé
comme son Moi propre et sa réalité propre, dont le
fini n’est qu’un masque et un instrument pour son
expression diversifiée.
Ainsi, de par la nature même du jeu du monde tel
qu’il a été réalisé par Sachchiddnanda dans l’immensité
de Son existence étendue comme Espace et comme
Temps, il nous faut concevoir d’abord une involution
et une auto-absorption de l’être conscient dans la den-
sité e t la divisibilité infinie de la substance - car sans
cela il ne peut y avoir de variation finie ; puis, une émer-
gence en l’être formel, en l’être vivant, en l’être pensant
formé qui se réalise librement comme l’Un et l’Infini
jouant dans le monde, et, par cette délivrance, sa re-
conquête de l’existence-conscience-félicité illimitée
que dès maintenant il est déjà secrètement, réellement,
éternellement. Ce mouvement triple est toute la clé
de l’éngime du monde.
C’est ainsi que la vérité ancienne et éternelle du Vé-
dànta accueille en elle-même et illumine, justifie et
nous montre toute la signification de la vérité moderne
et phénoménale de l’évolution dans l’univers. Et
c’est seulement ainsi que cette vérité moderne de
l’évolution, qui est l’antique vérité de l’Universel
se développant successivement dans le temps, vue à
travers l’étude opaque de la force et de la matière,
pari. trouver la plénitude de son propre sens, sa propre
justification - en s’illuminant ainsi avec la Lumière de
l’antique et éternelle vkrité conservée pour nous dans les
Écritures védantiques. C’est vers cette mutuelle décou-
verte de soi, cette mutuelle illumination de soi par la fu-
sion de l’ancienne connaissance d’Orient et de la récente
1% La Vie divine
connaissalice d’occident que dCji se tourne la pensée du
monde.
E t cependant, quand nous avons découvert que toil tc
chose est Sachchiddnaiida, tout n’a pas encore été expli-
qué. Nous connaissons la Réalité de l’univers, nous ne
connaissons pas encore le processus par quoi cette Réalité-
là s’est transformée en ce phénomène-ci. Nous avonsla clé
de l’énigme, il nous reste à trouver la serrure où elle doit
tourner. Car cette Existence, cetle Force-consciente,
cette Félicité, n’œuvre pas directement ou avec une irrcs-
ponsabilité souveraine comme un magicien qui érige mon-
des et univers par la seule verlu de sa parole. Nous per-
cevoiis un processus, nous prenons conscience d’une Loi.
11 est vrai que cette Loi, quand nous l’analysons,
semble se résoudre en un équilibre du jeu des forms
et une détermination de ce jeu en des lignes prkcises
de fonctionnement due à l’accident du développement
e t à l’habitude de l’énergie réalisée dans le passé. Mais
cette vérité apparente et secondaire n’est pour nous
finale qu’autant que nous concevons seulement la Force.
Quand nous percevons que la Force est une expression
de soi de l’Existence, nous devons nécessaireinen t pcr-
cevoir aussi que cette direction qu’a prise la. Force cor-
respond à une vérité intrinsèque de cette Existence
qui gouverne e t détermine sa courbe et sa destination
constantes. Et puisque la conscience est la nature de
l’Existence originelle et l’essence de sa Force, w t t e
vérité doit être une auto-conception dans l’Être cons-
cient, et cette délermination de la direction prise par
la Force doit résulter d’un pouvoir de connaissance
auto-direclrice inhérent à la Co:iscience, e t qui la rend
capable de guider inkvitab1e:nerit sa propre Force selon
la direction logique de son auto-perception origiiwlie.
C’est doiic dans la conscience universelle, une puissance
se déterminant soi-même, une capacitk dans la cons-
cience de l’infinie existence de percwoir une certairie
Vérité en soi e t de diriger sa forcc de création sclon la
ligne de cette Vérité, qui a prksidé à la manifestation
cosmique.
Mais pourquoi interposer une puissance ou faciiltti
La Mâyâ divine 159
spéciale entre la Conscience infinie elle-même et le résul-
t a t de son jeu? Cette conscience de soi de l’Infini ne
peut-elle librement errer et projeter des €ormes qui
demeurent ensuite en jeu tant que l’ordre ne leur est
donné de s’arrêter - comme il est dit dans l’ancienne
Révélation sémitique : Dieu dit : Que la 1uinii.re soit »,
(( ((
(1) Prqinriria.
Chapitre seizième
(1) Parâfpara.
(z) Suarcipa.
206 La Vie divine
forme d’auto-connaissance variable ; en chacun de ses
états ou actes de puissance, de volonté ou de force, elle
aurait conscience de la Transcendance se possédant par
une forme de puissance consciente d’être e t de connais-
sance; en chacun de ses ktats ou actes de délice, de joie
ou d‘amour, elle aurait conscience de la Transcendance
s’étreignant soi-même par une forme de consciente
jouissance de soi. Cette présence de l’Absolu ne serait
pas pour elle comme une expérience entrevue par éclairs,
ou atteinte enfin et gardée avec difficulté, ni comme un
accroissement, une acquisition ou une culmination
surimposée à sa condition ordinaire ; elle serait la base
même de son être à la fois dans l’unité et la différencia
tion ; elle serait présente à cette âme en tout ce que
celle-ci connaît, veut, fait, goûte ;elle ne serait absente
ni de son moi hors du temps ni d’aucun moment du
temps, ni de son être hors de l’espace ni d‘aucune déter-
mination de son existence étendue, ni de sa pureté sans
réserve par-delà toute cause e t toute circonstance, ni
d‘aucun rapport de circonstance, de condition, de causa-
lité. Cette présence constante de l’Absolu serait la base
de sa liberté et de son délice infinis, assurerait sa sécurité
dans le jeu et fournirait la racine, la sève et i’essence de
son être divin.
De plus, une telle âme divine vivrait simiiltanément
dans les deux termes de l’existence éternelle de Sach-
chidânanda, les deux pôles inséparables de l’auto-déploie
ment de l’Absolu que nous appelons l’Un et le Riultiple.
En vérité, tout être vit réelleinent de la sorte, mais pour
notre (( conscience de soi D divisée, il y a entre les deux une
incompatibilité, un abîme qui nous force à choisir :
demeurer dans la multiplicité, exilés de la concience
directe et entiére de l’Un, ou bien dans l’unité qui r e
pousse la conscience du Multiple. Mais l’hie divine ne
serait pas asservie à ce divorce, à cette diialité. Elle
prendrait conscience en soi-même, à la fois de sa propre
infinie concentration et de son infinie extension e t diffu-
sion. Elle aurait conscience, simultanément, de l’Un en
sa conscience unitaire contenant en soi l’iiinoriibrable
multiplicité comme potentielle, non espriinke, e t par
L'&ne divine 207
conséquent non existante pour notre expérience mentale
de cet état, e t de l'Un en sa conscience étendue conte-
nant la multiplicité extériorisée et active comme le jeu
de son propre être, de sa volonté e t de son délice cons-
cients. Elle aurait conscience, également, du Multiple
faisant descendre constamment en lui l'Un qui est la
source e t la réalité éternelles de son existence, et du
Multiple toujours montant attiré par l'Un qui est l'éter-
nelle culmination e t la justification bienheureuse de tout
son jeu de différence. Cette vaste vision des choses est le
moule de la Vérité Consciente, la base de ce Vaste, Vrai
e t Juste chanté par les rishis védiques ; cette unité de
tous ces termes d'opposition est le réel adouita, formule
suprême, totale, de la connaissance de l'Inconnaissable.
L'âme divine prendra conscience de toute variation
d'être, de Conscience, de volonté e t de délice comme du
déversement, de l'extension, de la diffusion de cette
Unité concentrée se développant, non en la différence et
la division, mais en une autre forme, étendue, d'unité
infinie. Elle sera elle-même toujours concentrée en unité
dans l'essence de son être, toujours manifestée en varia-
tion dans l'extension de son être. Tout ce qui en elle
prend forme sera les potentialités manifestées de l'Un,
le Verbe, le Nom vibrant hors du Silence sans nom, la
Forme réalisant l'essence sans forme, la Volonté ou
Puissance actives émanant de la Force tranquille, la
lueur d'auto-cognition rayonnant du soleil de la cons-
cience de soi hors du temps, la vague de devenir se sou-
levant en forme consciente de soi hors de l'Être éter-
nellement conscient de soi, la joie et l'amour ruisselant à
jamais de l'immobile Délice éternel. Ce sera l'Absolu duel
en son déploiement de soi, e t chaque relativité en lui
sera pour l'âme divine un absolu parce que consciente
d'être l'Absolu manifesté, mais sans cette ignorance
qui exclut les autres relativités comme étrangères à
son être ou moins complètes qu'elle.
Dans l'extension, l'âme divine aura conscience des
trois degrés de l'existence supramentale, non point
comme notre mental nous force à les considérer, non
point comme des degrés, mais comme un fait triple de
208 La Vie divine
l’auto-manifestation de Sachchidânunda. Elle pourra les
embrasser en une seule et même réalisation totale - car
une vaste compréhension est la base du supramental
conscient de la vérité. Elle pourra, divinement, conce-
voir, percevoir et sentir toutes choses comme le Moi, son
propre moi, le moi unique de tous, le Moi qui est le Moi
q ‘ devient, mais non pas divisé en ses devenirs, qui
n’ont point d’existence isolément de sa propre conscience
de soi. Elle pourra, divinement, concevoir, percevoir et
sentir toutes les existences comme les (( formes d’âme ))
de l’Un, dont chacune a son être propre dans l’Un, son
propre point d’appui dans l’Un, ses propres relations
avec toutes les autres existences qui peuplent l’unité
infinie, mais qui toutes dépendent de l’Un, - forme
consciente de Lui en Sa propre infinitude. Elle pourra,
divinement, concevoir, percevoir et sentir toutes ces
existences en leur individualité, en leur position séparée,
vivant comme le Divin individuel, chacune recelant en
soi l’Un et Suprême, chacune étant par conséquent, non
point une forme, un ~%Gwhnv, non point réellement une
partie illusoire d’un tout réel, une simple vague écu-
mante à la surface d’un immobile océan -car ce ne sont
la qu’images mentales, en somme, et inadéquates -
mais un tout dans le tout, une vérité qui reproduit
l’infinie Vérité, une vague qui est toute la mer, un
relatif que nous découvrons être l’Absolu lui-même
quand nous regardons derrière la forme et que nous le
voyons eii son intégralité.
Car ce sont trois aspects de l’unique Existence. Le
premier est fondé sur cette connaissance de soi que, en
notre réalisation humaine du Divin, l’Upanishad décrit
comme le Moi en nous devenant toutes les existences ;
le second, sur celle décrite comme voyant toutes les
existences dans le Moi; À; troisième, sur celle décrite
comme voyant le Moi en toutes les existences. Le Moi
devenant toutes les existences est la base de notre unité
avec tout ; le Moi contenant toutes les existences est la
base de notre unité dans la différence ; le Moi habitant
tout est la base de notre individualité dans l’universel.
Si le défaut de notre mentalité, si son besoin de concen-
L‘âme divine 20 9
tration exclusive l’oblige à insister sur l’un de ces aspects
de connaissance de soi à l’exclusion des autres, si une
réalisation imparfaite aussi bien qu’exclusive nous pousse
toujours à introduire un élément humain d’erreur dans
la Vérité mgme, un élément de conflit et de négation
mutuelle dans l’unité qui embrasse tout, néanmoins,
pour un être divin supramental, de par le caractère
essentiel du supramental qui est une unité comprenant
tout et une totalité infinie, les trois aspects doivent se
présenter comme une réalisation triple et même (( une
en trois H.
Si nous supposons que cette âme trouve son équilibre,
son centre dans la conscience du Divin individuel vivant
et agissant en rapport distinct avec a autrui H, elle aura
cependant, dans la base de sa conscience, l’entiére unité
d’oh tout émerge, et elle aura dans l’arrière-plan de cette
conscience l’unité étendue et l’unité mitigée, et elle sera
capable de retourner à l’une quelconque d’entre elles, et
de contempler de là son individualité. Dans le Veda, tous
ces équilibres sont affirmés des dieux. En essence, les
dieux sont une existence unique que les sages appellent
de noms différents ;mais en leur action, ils ont pour base
le Vaste, Vrai et Juste et en émanent. Agni ou un autre
dieu est dit être tous les autres dieux ; il est l’Un qui
devient tout ; en même temps il est dit contenir en lui
tous les dieux comme le moyeu d’une roue contient les
rayons, il est l’Un qui contient tout ; et cependant, de
même qu’Agni est décrit comme une divinité séparée,
celle qui aide tous les autres dieux, les dépasse en force et
en connaissance, et cependant leur est inférieure en posi-
tion cosmique et leur sert de messager, de prêtre ou d’ou-
vrier - créateur du monde et père du monde, il est
cependant le fils né de nos muvres, c’est-à-dire qu’il est
le Moi ou Divin originel, habitant intérieur manifesté,
l’Un qui demeure en tout.
Tous les rapports de l’Arne divine avec Dieu, avec son
Moi suprême et avec ses autres moi en d’autres formes
seront déterminés par cette connaissance totale de soi.
Ces rapports seront des relations d’être, de conscience e t
de connaissance, de volonté et de force, d’amour et de
210 La Vie divine
délice. Infinis en leur potentialité de varialion, ils n’ont
besoin d’exiger l’exclusion d’aucun rapport d’âme A
âme qui soit compatible avec la conservation du sens
inaliénable d’unité en dépit de chaque pliénomène de
différence. Ainsi en ses rapports de jouissance, l’âme
divine aura le délice de toute sa propre expérience en
elle-iiihe ;elle aura le délice de toutee son expérience de
rapports avec autrui coninie coiiiiiiunion avec d’autres
moi en d’autres formes créees poiir un jeu varié dans
l‘univers ;elle aura aussi le délice des expériences de ses
autres moi comme s’ils étaient les siens -ce qu’en vérité
ils soiit réellement. E t toute cette capacité sera sienne
parce qu’elle prendra conscience de ses propres e x p b
riences, de ses rapports avec autrui, des experiences des
autres et de leurs rapports avec elle, comme étant t o u k
la joie, l’ânanda de l’Un, le Moi suprême, son propre moi,
dilïcrencié parce qu’il demeure séparément en toutes ces
formes comprises en son propre être, mais malgré tout
un dans la différence. Parce que cette unité est la base de
toute son expérience, l’âme divine sera libre des discordes
de notre conscience clivisée - divisée par l’ignorance el
par un égoïsme séparateur ; tous ces moi et leurs rapports
joueront conscieinment au service l’un de l’autre ;ils se
sépareront e t se fondront l‘un dans l’autre cornine les
notes innoinbrables d’une éternelle harmonie.
Et la même règle s’appliquera aux rapports de son
être, de sa connaissance, de sa volonté avec l’être, la
connaissance et la volonté d’autrui. Car toute son expé-
rience e t tout son délice seront le jeu d’une force d‘être
consciente trouvant en soi sa félicité, e t en quoi,
par obéissance à cette vérité d’unité, la volonté ne peut
être en lutle avec la connaissance ni aucune des deux avec
le délice. Ida connaissance, la volonté e t le dblice d‘une
âme n’entiwont pas non plus en conflit avec la connais-
sance la volonté et le délice d’une autre, parce que, en
raison de la conscience qu’elles ont de leur unite, ce qui
est conflit e t lutte et discorde en notre être divisé sera
alors le jeu mutuel des notes différentes, se joignant. et
s’entrelaqnt, d‘une seule harmonie infinie.
En ses rapports avec son Moi suprême, avec Dieu.
L’&ne divine 21 1
l’âme divine aura ce sens de l’unité du Divin transcen-
dan1 et universel avec son propre &re. me goûtera cette
unité de Dieu avec elle-même en sa propre individualité
et avec ses autres moi dans l’universalité. Ses rapports
de connaissance seront le jeu de l’omniscience divine,
car llieu est Connaissance, et ce qui chez nous est igno-
rance ne sera alors que la corinaissance retenue dans le
repos de la conscience de soi afin que certaines formes de
cette conscience de soi puissent ètre mises en avant dans
l’activitk de la Lumière. Ses rapports de volonte seront
alors le jeu de la divine oniriipotence, car Dieu est Force,
Volonté et Puissance, et ce qui chez nous est faiblesse et
incapacité sera la volonté retenue en tranquille force
concentrée afin que certaines formes de Force-consciente
divine puissent se réaliser, mises en avant sous forme de
Puissance. Ses relations d’amour et de délice seront le
jeu de la divine extase, car Dieu est Amour et Délice, et
ce qui chez nous serait le déni de l‘amour et du délice
sera la joie retenue dans la nier tranquille de la Béatitude
afin que certaines formes d’union divine et de jouissance
divine piiisseiit être mises en avant, actives, en un sur-
gissement actif de vagues de la Béatitude. De mème
tout son devenir sera la forme revêtue par 1’Stre divin
en réponse à ces activités, e t ce qui est chez nous cessa-
tion, mort, annihilation, ne sera que repos, variation ou
retenue de la joyeuse hlâyâ créatrice daiis l’étre éternel
de Snchchidànanda. En même tcinps, cette unité n’exclut
pas les rapports de l’àme divine avec Ilieu, avec son Moi
supreme, fondés sur la joie de la différence se séparaiit
de l’unité pour jouir d’une autre faron dc cette unité;
elle n’aniiiilera la possibilité d’aiicunc di: ces formes
exquises dc jouissance de Dieu qui solit le plus fiaut
ra\isseniciit de l’amant de Ilicii CII son élreiiite du Divin.
Mais quelles seront les conditions en lesquelles et
par lcsr~uellessc réaliscra celle iiatiire de la vie de I’ânie
divine 7 ïoiile expérience dans les rapports procéde
à travers certaines forces d’élre se traduisant par un
appareil instrumental à quoi nous donnons Ics noms
dc propriéti.i, qualités, activités, faculth. De même
que, par exemple, le Mriital se projette en des formes
212 La Vie divine
variées de puissance mentale, telles que jugement, obser-
vation, mémoire, sympathie propre à son être, de même
la Vérité-Consciente ou Supramental doit effectuer
les rapports d’iime à âme par des forces, des facultés,
des fonctionnements propres à l’être supramental ; sinon
il n’y aurait point de jeu de différenciation, Ce que
son1 ces fonctionnements, nous le verrons quand nous
en viendrons à considérer les conditions psychologiques
de la Vie divine ; pour le moment, nous ne considérons
que ses bases métaphysiques, sa nature et ses principes
essrntiels. Qu’il nous suffise d’observer que l’absence
ou l’abolition, dans la conscience, de i’égoïsme sépa-
rateur et de la division effective est l’unique condition
essentielle de la Vie divine, et que, par conséquent,
c’est leur prksence en nous qui constitue notre mortalité,
notre déchéance du Divin. C’est là notre (( pkché )) ori-
ginel 1) - ou plutat, pour employer un langage plus
philosophique, le fait que nous nous sommes écartés
du Vaste, Vrai e t Juste de l’Esprit, de son unité, de son
intégralité, de son harmonie, éloignement qui fut la
condition nécessaire à la grande plongée dans 1’Igno-
rance qui est l’aventure de l’âme dans le monde et d‘où
est née notre humanité qui souffre et qui aspire.
Chapitre: dis-huitième
Mental et Sitprtinzeizirrl
ter qu’une tclle vie çlisinv soil possilk avt’c nos iiriii-
fnlioiis dc fornic cnil)orclle c l iios lirnitaiioiis ti(&~ l e r i i ; i l
214 La Vie divine
emprisonné dans la forme, de force embarrassée dans
la forme, qui correspondent à ce que nous appelons
présen lemen t existence.
En fait, nous nous sommes efforcés d’arriver à une
conception de cet être infiiii suprême, force consciente
et fitlicit6 de soi dont notre monde est une création e t
notre iiieiitalilé une image pervertie ; nous avons essayé
de nolis faire une idée de ce que peut être cette Mâyâ
divine, cctte Vérité-Consciente, cette Idée-rCelle, par
quoi la force-consciente propre à l’Existence trans-
cendante et universelle conçoit, forme e t gouverne l’uni-
vers, l’ordre, le cosmos, de sa félicité d’existence mani-
festée. rilais nous n’avons pas étudié les rapports de
ces quatre grands tcrines divins avec les trois autres,
les seuls avec lesquels notre expérience humaine soit
familière - le Mental, la \rie et le Corps. Nous n’avons
pas scruté cette Mâyâ autre ct en apparence non divine,
qui est la racine de tout notre effort, de toute notre
souffrance, nous n’avons pas vu avec précision comment
elle sort de la réalité divine, ou de la divine Mâyâ. Et
jusqu’à ce que nous rayons fait, jusqu’à ce que nous
ayons tissé les liens qui manquent, notre monde nous
demeure inexpliqué e t nous avons encore quelque rai-
son de douter qu’une unification soit possible entre
cette existence supérieure e t cette vie inférieure. Nous
savons que notre monde est sorti de Sachchidânanda
e t subsiste en Son être ; nous concevons qu’Il demeure
en Lui comme Celui qui jouit e t qui connait, le Sei-
gneur, ie Moi; nous avons vu que nos termes duels
de sensation, mental, force, être, ne peuvent être que
des reprbsentations de Sa félicité, de Sa force consciente,
de Sa divine existence. Mais il semble qu’en fait ces
termes soient si complètement les opposés de ce qu’Il
est réellement e t divinement que tant que nous demeu-
rons dans la cause de ces opposés, tant que nous sommes
contenus daiis le triple terme inférieur de l’existence,
nous ne pouvons alteindre à la vie divine. I1 nous faut
ou bim exalter cet être inférieur jusqu’en cette condition
supérieure, ou bien échanger le corps contre cette pure
existence, la vie contre cette pure condition de f orm
Mental d Suprammid 21 5
consciente, la sensation e t la mentalité contre cette
connaissance e t ce délice purs qui vivent dans la vérité
de la réalité spirituelle. Cela ne signifiet-il pas néces-
sairement que nous abandonnons toute existence terres-
tre ou mentalement limitée pour quelque chose qui est
son opposé - soit pour quelque état pur de l’Esprit,
soit pour quelque monde de la Vérité des choses, s’il en
existe un, ou d’autres mondes, s’il en existe, de Béati-
tude divine, d’Énergie divine, d’Être divin? En ce cas,
la perfection de l’humanité est ailleurs qu’en l’humanité
elle-même; le sommet de son évolution terrestre ne
peut être qu’une extrême et fine pointe de mentalité
allant s’amenuisant, d’où elle fait le grand saut dans
l’être sans forme ou en des formes qui dépassent la portée
du Mental incarné,
Mais en réalité tout ce que nous appelons non-divin ne
peut être qu’une action des quatre principes divins eux-
mêmes, l’action qui était requise d‘euxpourla création de
cet univers de formes. Ces formes ont été créées, non pas
en dehors, mais au dedans de Ia divine existence-force
consciente-béatitude, non pas en dehors mais au dedans
de la divine Idée-réelle et comme une partie de son jeu.
Il n’y a donc aucune raison de supposer qu’il ne puisse
pas y avoir de jeu réel de la conscience divine supérieure
dans un monde de formes, ou que les formes et leurs sup-
ports immédiats, conscience mentale, énergie de force
vitale, de substance formelle, déforment nécessaire-
ment ce qu’ils représentent. il est possible, e t même
probable, que le mental, le corps e t la vie se trouvent
en leurs formes pures dans la Vérité divine elle-même,
s’y trouvent, en fait comme activités subordonnees de
sa conscience, comme partie de ïappareil complet par
lequel la Force suprême est toujours à l’ceuvre. Mental,
Vie et Corps doivent donc être capables de divinitii; leur
forme et leur jeu en cette courte période de ce qui n’est
peut-être qu’un cycle de l’évolution terrestre révélée
à nous par la science, ne représentent pas nécessairement
toutes les activités potentielles de ces trois principes
dans le corps vivant. Leur fonctionnement est ce qu’il
est parce qu’ils sont, de quelque faqon, séparés en
216 La I’ie divine
coiiscieiicc de la Vérité divine d’où ils sont Issus. Que
cette séparation soit abrogée par l’éiiergie du Divin en
expansion dans l’humanité, leur fonctioniiement actuel
poiirrüit hien être converti, serait en \.@riténatiirellemerit
coiivcrl i, par iiiie évolution, une progression suprêmes,
en ce jcu pliis pur qui cst le leur dans la Vérité-Corisciente.
13n ce cas, non seulement il serait possible de niaiiifes-
ter tlt de rnaiiileiiir la conscieiice diviiie dans le Mental et
le Corps liiiinains, mais, même, cette conscience divine
pourrait, A la fin, accroissant ses conquCtes, re-mouler
le incntal, la vie et le corps eus-iii8mes en une image plus
parfaite de sa Yérité éternelle, e t réaliser son royaume
des cieiis sur la terre, non seulement dans l’âme mais
encore dans la substance. Ida première de ces victoires,
l’intc?rieure, a ét6 reniport6e sur terre, certes, à un degré
plus ou moins clevé, par plusieurs, par beaucoup pciit-
être ; l’autre, l’extérieure, m h e si elle n’a jamais été
plus ou moins réalisée dans les âges révolus comme un
premier modèle offert aux cycles futurs et conservés dans
la mémoire subconsciente de la nature terrestre, peut
cependant devoir être une future réalisation victorieuse
de Dieu en l’humanité. Cette vie terrestre ne doit pas
être nécessaireineiit et à jamais une roue d’effort mi-
joyeiix mi-angoissé ; le succès aussi peut être dans le
dessein divin, et la gloire et la joie de Dieu peuvent être
rendues manifestes sur la terre.
Ce que sont le Mental, la Vie et le Corps en leurs
sources suprêines, et ce que par conséquent ils doivent
être en la plénitude intégrale de la manifestation divine
une fois inspirés par la verité et lion point retrancliés
d’elle par la séparation et l’ignorance où présentement
nous vivons - tel est donc le problème qu’il nous faut
maintenant examiner. Car ils doivent déjà avoir là
leur periection, cette perfeclion vers laquelle ici nous
nous haussons - nous qui ne sommes que le premier
mouvement du Mental en évolution dans la Matière
qui ne sommes pas encore libérés des conditions et des
effets de cette involution de l’esprit en la forme, de cette
plongée de la lumière dans sa propre ombre par quoi fut
créée la conscience matCrielle obscurcie de la Nature
Meniul ei Suprairienid 217
physique. Le type de toute perfection, vers lequel iious
croissons, les termes de notre évolution suprême sont
nécessairement contenus déjà en l’Idée-réelle divine ; il
faut qu’ils aient là forme et conscience pour que nous
croissions vers eux et en eux ; car cette prk-existence
dans la connaissance divine est ce que notre mentalité
humaine clierclic sous le nom d’Idéal. L’Idéal est une
Réalité éteriidle que nous n’avons pas encore réalisée
dans les condilions de notre étre propre, et non pas un
non-existant don1 l’Éternel, le Divin, ne s’est pas
encore saisi et que nous seuls, êtres imparfaits, aurions
entrevu et enleridrions créer.
Et d’abord, le Mental, souverain enchaîné et cntrûvS
de notre vie humaine. Le Rlental est, en son essence, une
conscience qui mesure, liniite, découpe des formes de
choses dans le tout indivisible et les contient comme si
chacune était une entité séparée. Même avec ce qui
n’existe évidemment que comme partie et fraction, le
Mental, à sa rnani&reordinaire, établit cettc fiction que
ce sont des choses qu’il peut considérer séparément et
non pas seulement comme des aspects d’un tout. Car,
même quand il sait que ce ne sont pas des choses en soi,
il est obligé de les traiter comme si elles étaient des
choses eii soi ;sinon il ne pourrait les soumettre à sa propre
activitk caractéristique. C’est ce caractére essentiel du
Mental qui conditionne le jeu de toutes ses puissances
exécutives, conception, perception, sensa tion, activités
de la pensée créatrice. il conçoit, perçoit, sent les choses
comme si elles étaient découpées rigidement d’un
arriere-plan ou d’une masse, et il les emploie coniine
des unités établies d’un matériel à lui doriné pour sa
création ou sa possession. Toute son action et sa joiiis-
sance s’appliquent ainsi des touts qui font partie d’un
tout plus vaste, et ces touts second~ires, à leur tour
eux aussi, sont fragmentés en parties qui sont égalment
traitées coinme des toutsenvuede leur desseinparticulier.
Le Merital a beau diviser, multiplier, additionner, sous-
traire, il ne peut dépasser les limites de cette inathéma-
tique. S’il passe au-delà et essaie de concevoir un tout
réel, il se perd dans un élément étranger ; de son propre
218 La Vie divine
terrain solide, il tombe dans l’océan de l’intangible,
dans les abîmes de l’infini où il ne peut ni percevoir, ni
concevoir, ni sentir son sujet, ni l’employer pour créer e t
jouir. Car si le Mental semble parfois concevoir, perce-
voir, sentir ou goûter avec possession l’infini, c’est
seulement en apparence e t c’est toujours une représen-
tation de l’infiiii. Ce qu’il possède ainsi vaguement n’est
qu’un vaste sans-forme e t non point le réel infini non-
spatial. Dès qu‘il essaie de saisir celui-ci , de le posséder,
aussilOL iiilervicnt son inaliénable tendance à la délimi-
tation, et le Mental se retrouve maniant des images,
des forines et des mots. Le Mental ne peut posséder
l’ilifini, il ne peut que le subir ou être possédé par lui ;
il ne peut que rester, bienheureusement impuissant, sous
l’ombre lumineuse du Réel projetée sur lui de plans
d’existence qui sont hors de sa portée. La possession de
l’Infini ne peut venir que d’une ascension vers ces plans
supramentaux ;la connaissance de l’Infini, par une sou-
mission passive du Mental aux messages qui clescendent
de la Réalité de la Vérité-Consciente.
Cette faculté essentielle e t la limitation essentielle qui
l’accompagne sont la vérité du Mental e t fixent sa nature
e t son actioii réelles, svabhâva e t svadharma; c’est la
marque du (( fiat )) lui assignant son rôle dans l’appareil
complet de la suprême Nâyâ - rôle déterminé par ce
qu’il est en sa naissance même depuis l’auto-conception
éternelle de l’Existant en soi. Ce rô1e est de toujours
traduire l’infinité en termes de fini, de mesurer, de limi-
.ter, de morceler. I1 agit ainsi, effectivement, dans notre
conscience, à l’exclusion de tout vrai sens de l’Infini ; par
conséquent, le Mental est le noyau de la grande Igno-
rance parce qu’il est ce qui originellement divise e t dis-
tribue, et il a mêiiie été pris à tort pour la cause de
l’univers et pour la totalité de ia Mâyâ divine. Mais la
hfâyà divine comprend viùyâ aussi bien qu’avidyâ,
la Connaissance aussi bien que l’Ignorance. Car il est
évident que, puisque le fini est seulement une appa-
rence de l’Infini, un résultat de son action, uni jeu de sa
Conception, e t qu’il ne peut exister que par lui, en lui,
avec lui coinxnc arriére-plan, forme de Sa substance e t
Mental et Supramental 219
action de Sa force, il y a nécessairement une conscience,
originelle qui contient et voit les deux en même temps
qui est intimement consciente de tous les rapports de
l’un avec l’autre. En cette conscience il n’est point d’igno-
rance, parce que I’infini est connu et le fini n’en est pas
séparé comme une réalité indépendante ; niais cepen-
dant il y a un processus secondaire de délimitation -
sinon aucun monde ne pourrait exister - un processus
par quoi la conscience toujours divisante et réunissante
du Mental, l’action toujours divergente et convergente
de la Vie, et la substance de la Matiere se divisant et
s’agrégeant à l’infini - toutes, par un seul principe et
acte originel, viennent à l’existence pliériornénale. Ce
processus secondaire de l’éternel Voyant et Penseur,
parfaitement lumineux, parfaitenien t conscient de Soi
et de tout, sachant bien ce qu’Il fait, conscient de
I’infini dans le fini qu’Il crée, peut être appelé le Mental
divin. Et il est clair qu’il doit être un jeu secondaire,
mais non pas réellement soparé, de l’Idée-réelle, du
Supramental, et qu’il doit opérer à travers ce que nous
avons décrit comme le mouvement d’appréhension de
la Vérité-Consciente.
Comme nous l’avons vu, cette conscience appréhen-
a , le jeu du Tout indivisible, actif et
sive, p ~ ~ j n û nmet
formateur comme processus e t objet de connaissance
créatrice, devant la conscience de ce même Tout, ori-
ginateiir et cognitif comme possesseur et témoin de son
propre jeu - un peu comnie un poète regarde les créa-
tions de sa propre conscience placées devant lui en elle
comme si c’était autre chose que le créateur et sa force
créatrice, alors que ces créations ne sont en vérité rien
autre que le jeu de son propre être se donnant forme en
soi-même, là où elles sont inséparables de leur créateur.
Ainsi ~ F U ~ ~ C ~opére
M Y la division fontlamenlale qui
m h e à tout le reste, la division entre le I’urwha, &ne
Consciente qui connaît et voit, et par sa vision crée
et ordonne, et la Prakriti, Ame-lhrce ou Arne-Nature,
qui est sa connaissance et sa vision, sa crSation et sa
puissance universellement régente. Les deux ne sont
qu’un seul &re, une seule existence, et les formes vues
220 La Vie divine
et créées sont des forincs multiples de cet Lhre qui sont
placées par Lui, connaissance, devant lui-même, sujet
connaissant, par Lui, force, devant Lui-meme, créa-
teur. La deriiierc action de cette conscierice appré-
heiisive s’effrctiie quand le Piirusha qui impregne
l’extension conscieiite (le son être, présent eii chaque
point de 1iii-i;itiiic aussi bien qu’en sa totalité, habitant
chaque foriiic, regarde l‘riiscmble coniine scparhent,
de chacun des points de vue qu’il a choisis ; il considère
et goiiverne IPS rapports de cliaciine cies fornies (l’âme de
lui-niêiiie avec d’autres fornies d‘âme, du point de vue
de volonté et de connaissance appropriC à clinque forme
part iculiére.
Ainsi sont apparus les éléments de division. D’abord
l’infinité de l’Un s’est traduite en une extension dans le
temps et l’espace conceptuels ; deuxiémement, l’omni-
présence de l‘Un en cette extension consciente de soi
se traduil en une miiltiplicité de l’âme consciente, les
Purushas multiples de Sânikhya; troisiémemcnt, la mul-
tipliciti. des formes d’Am, s’est traduite en une habi-
tation divisee de l’unité en extension. Cette habitation
divisCe est iiiCvilal>le dCs que ces Pii riishas multiples
n’habitent pas chacun son monde distinct, son nionde
à soi, ne poss6derit pas chacun une Prakriti séparée
construisant un univers séparé, mais bien plutôt jouis-
sent tous de la même Pralcriti - comme ils doivent
nécessairement le faire n’étant que des formes d’âme
de l’Un siegeant au-dessus des multiples créations de
Sa puissance - et cependant son1 en rapporls mutuels
dans l’unique monde d’être créé par l’unique Prakriti.
Le Purusha en chaque forme s’identifie activement
avec chacune ; il s’y délimite et en sa conscience place
en face de celle-là ses autres formes coniine contenant
ses autres moi qui sont identiques à lui en être, mais
dilférents cn rapports, diflérents en leur éleiiduc varia-
ble, en le cliainp variable de leiir moiiveiiient, en la
kisioii variable de l’unique substance, force, coliscience,
délice que chacun d’eux déploie en fait à tout moment
du temps, en tout domaine de l’espace. Si l’on admet
que dans la divine Existence parfaiteiiirnt consciente
Mental et Supramental 221
de soi, ce n’est pas une limitation qui enchaîne, ni une
identification qui asservit l’âme et que l’âme est inca-
pable de franchir, comme nous sommes assenis à notre
identification de nous-même avec le corps et incapables
de franchir la limitation de notre ego conscient, incapa-
bles d’échapper à un mouvement particulier de notre
conscience dans le temps, déterminant notre champ
particulier dans l’espace - si l’on admet tout cela, il y
a encore une libre identification d’instant en instant que
seule l’inaliénable connaissance de soi qu’a l’âme divine
empêche de se fixer en une chaîne apparemment rigide
de séparation et de succession dans le temps analogue
à celle en quoi notre conscience semble établie et encliaî-
née.
Ainsi déjà, voici le morcellement : le rapport de fornie
à forme comme si c’étaient des êtres séparés ; de volontc
d’être à volonté d’être comme si c’étaient des forces
séparées ; de connaissance d’étre à connaissance d’être
comme si c’étaient des consciences séparées, a déjà
...
été établi. Ce n’est encore que (( comme si c’étaient n ;
car l’âme divine ne s’y trompe pas, elle prend conscience
de tout en tant que phénomène d’être et ne lâche pas
son existence dans la réalité de l’être ; elle ne trahit pas
son unité : elle emploie le mental comme une action
secondaire de la connaissance infinie. une définition
des choses subordonnée A sa conscience de l’infinité,
une délimitation dépendant de sa conscience de la tota-
lité essentielle - non pas de cette apparente et plurale
totalité d’addition et d’agrégat collectif qui n’est qu’un
phénomène du mental. Ainsi il n’y a pas réelle limitation :
l’âme emploie son pouvoir de définir à un jeu de formes
et de forces bien distinctes ; elle n’est pas employée par
ce pouvoir.
Un facteur nouveau, une action nouvelle de force
consciente est par conséquent nécessaire pour causer
le fonctionnement d’un men tal limité impuissant, par
opposition à un mental librement liniitateur - c’est-à-
dire d’un mental soumis A son propre jeu et trompé
par lui, par opposition à un mental maître de son pro-
pre jeu et le considérant en sa vérité, du mental créature
222 La Vie divine
par opposition au mental divin. Ce facteur nouveau est
nvidyâ, la faculté d’ignorance de soi qui sépare l’action
du mental de l’action du supramental qui l’a causée
et la gouverne encore de derrière le voile. Ainsi séparé,
le mental ne perçoit que le particulier et non I’univer-
sel, ou ne conçoit que le particulier en un universel
qu’il ne possède pas, e t non plus à la fois le particulier
et l’universel comme des phénomènes de l’infini. Nous
avons ainsi le mental limité qui envisage chaque phé-
nomène comme une chose-en-soi, comme une partie
séparée d’un tout qui à son tour existe séparément dans
un tout plus grand - e t ainsi de suite, toujours élar-
gissant ses agrégats sans re tourner au sens d’une vérita-
ble infinité.
Le Mental, étant une action de l’Infini, morcelle aussi
bien qu’il agrege, ad infinitum. I1 découpe l’être en un
certain nombre d’entiers, en des entiers toujours plus
petits, en atomes, et ces atomes en atomes primaires,
jusqu’à dissoudre, s’il le pouvait, l’atome primaire en
un néant. Mais il ne le peut, parce que derrière cette
action de division est la connaissance salvatrice du supra-
mental qui sait que chaque entier, chaque atome n’est
qu’une concentration de la force totale, de la conscience
totale, de l’être total en des formes phénoménales de
soi. La dissolution de l’agrégat en un néant infini, à
quoi semble parvenir le Mental, n’est pour le Supramen-
tal que la re-concentration de l’être conscient hors de
son phénomène et son retour à son existence infinie.
En quelque direction qiic sa conscience procède, que ce
soit par la division infinie ou par I’agrandissernent infini,
elle n’arrive qu’à elle-mEme, à sa propre unité infinie,
ii son propre Etre élernel. E t quand l’action du Mental
csl conscicriinient su1mdorini.e li cette connaissance du
siipraiiicntal, la vérité du procewis lui es1 aussi connue,
nullement ignorée de lui ; il n’y a pas réellement une
division, mais seulement une concentration, multiple
à l’infini, en des formes d’&ireet en des arrangements
du rapport mutuel de ces formes d’être en quoi la divi-
sion est une apparence subordonnée de l’entier proces-
sus, nécessaire à leur jeu lenipore1 et spatial. Car divi-
Menial et Supramenial 223
sez autant que vous vouIez, descendez à l’atome Ie plus
infinitésimal ou formez le plus monstrueux agrégat de
mondes et de systèmes, aucun de ces processus ne vous
conduit à une chose-en-soi ; toutes ces choses sont des
formes d’une Force qui seule est réelle en soi, alors qu’elles
ne sont réelles que comme des images de soi, des formes
se manifestant de l’éternelle Force-Consciente.
D’où vient donc originellement I’auidyâ limita trice,
la chute du Mental hors du Supramental, avec sa consé-
quence, l’idée d’une division réelle ? De quelle perver-
sion précise du fonctionnement supramental‘? Elle
vient de ce que l’âme individualisée voit tout de son
propre point de vue et exclut tous les autres ;elle vient,
autrement dit, d’une exclusive concentration ùe cons-
cience, d’une exclusive identification de l’âme avec une
action particulière, temporelle et spatiale, qui n’est
qu’une partie de son propre jeu d’être ; elle vient de ce
que l’âme méconnaît ce fait que tous les autres sont aussi
elle-même, toute autre action sa propre action et tous
les autres états d’être et de conscience les siens aussi,
tout comme l’action de l’instant particulier dans le
temps, du point particulier dans l’espace et de la
forme particulière que présentement elle habite. Elle se
concentre sur le moment, le champ, la forme, le mouve-
ment, si bien qu’elle perd le reste ; elle doit alors recou-
vrer le reste en reliant cette succession d’instants, cette
succession de points dans l’espace, cette succession
de formes dans le temps et l’espace, cette succession de
mouvements dans le temps et l’espace. Elle a ainsi
perdu la vérité de l’indivisibilité du temps, de l’indivi-
sibilité de la force et de la substance. Elle a même perdu
de vue le fait évident que tous les mentaux sont un
unique Mental se plaçant à beaucoiip de points de vue
différents, toutes les vies une Vie unique causant plu-
sieurs courants d’activité, tout corps e t toute fornie une
substance unique de Force et de Conscience se concen-
trant en de nombreuses stabilités apnaren tes de force
et de conscience ; mais en vérité toutes ces stabilitbs
ne sont réellement qu’un constant tourbillon de mouve
ment reproduisant une forme en même temps qu’il la
224 La Vie divine
modifie ; rien de plus. Car le Mental, qui autrement ne
saurait agir, essaie d’immobiliser toute chose en des
formes rigidement établies et des facteurs extérieurs en
apparence immuables ou immobiles, et il pense qu’il a
obtenu ce qu’il voulait ; en réalité tout est un flux de
changement et de renouvellement, et il n’y a pas de
forme-en-soi fixe, pas de facteur extérieur immuable.
Seule 1’Idée-réelle éternelle est ferme et maintient dans
le flux des choses une certaine constance ordonnée d’ima-
ges et de rapports, une constance que le Mental tente
vainement d’imiter en attribuant de la fixit6 à ce qui
est toujours inconstant. Ces vérités, le Mental doit les
redécouvrir ; il les connaît toujours, mais seulement
dans l’arriére-plan caché de sa conscience, dans la lumière
secrète de son être ; et cette lumihre lui est obscurité
parce qu’il a créé l’ignorance, parce qu’il est tombé de
la mentalité divisante en la mentalité divisée, parce
qu’il s’est absorbé dans son propre jeu, dans ses propres
créations.
Cette ignorance est encore aggravée pour l’homme
parce qu’il s’est identifié avec le corps. Pour nous le men-
tal semble déterminé par le corps, parce qu’il en est préoo
cupé, parce qu’il s’adonne aux opérations physiques
qu’il emploie pour son action superficielle consciente
en ce monde matériel grossier. Employant constamment
ce mécanisme du cerveau et des nerfs qu’il a fait appa-
raître au cours de son propre développement dans le
corps, il est trop absorbé dans son observation de ce
qu’y ajoute ce mécanisme physique pour s’en détacher
et retourner à ses seuls fonctionnements à l’état pur ;
ceux-ci lui soiit pour la plupart subconscients. Nous
pouvons concevoir cependant un mental-de-vie ou un
être-de-vie qui dans l’évolution ait dépassé le stade néces-
saire de cette absorption, qui soit capable de se voir,
et même de se sentir par expérience revêtant corps après
corps et non point créé séparément en chaque corps
et finissant avec lui ; car c’est seulernenl l’empreinte
physique du mental sur la niatiére qui est créée ainsi,
seuleinent la mentalite corporelle et non I’étre mental
tout entier. Cette mentalité corporelle est seulement la
Menial et Supramental 225
surface de notre mental, seulement la face qu’il présente
à l’expérience physique. Derrière, même en notre être
terrestre, il y a cet autre, pour nous subconscient ou
subliminal, qui sait qu’il est plus que le corps, qu’il est
capable d’une action moins matérialisée. C’est à lui que
nous devons directement la plus grande part de l’action
dynamique plus large, plus profonde et plus vigoureuse
de notre mental de surface; lorsque nous devenons
conscients de lui ou de son empreinte sur nous, il est
notre première idée, notre première réalisation d’une
Arne, d’un être intérieur, du Purusha (I).
Mais cette mentalité vitale, elle non plus, bien qu’elle
puisse se libérer de l’erreur corporelle, ne nous libère pas
de l’entière erreur du mental ; elle est encore sujette à
l’acte originel d’ignorance par quoi l’âme individualisée
regarde toute chose de son propre point de vue, et peut
voir la vérité des choses seulement comme elles se présen-
tent à elle de l’extérieur, ou encore comme elles surgis-
sent A sa vue hors de sa conscience séparée, temporelle
et spatiale, formes et résultats de son expérience passée
et présente. Elle n’est pas consciente de ses autres moi
sauf par les indications extérieures qu’ils donnent de leur
existence, indications fournies par les communications
de la pensée, de la parole, de l’action, du résultat des
actions ou indications plus subtiles encore - non ressen-
ties directement par l’être physique - de chocs et rap-
ports vitaux. Elle est égalemen t ignorante d’elle-même ;
car elle n’a connaissance de son moi qu’à travers un
mouvement dans le temps et une succession de vies
dans lesquelles elle a employé ses énergies revêtant des
corps divers. De même que notre instrument mental
physique a l’illusion du corps, de même ce mental dyna-
mique subconscient a l’illusion de la vie. C’est en quoi
il est absorbé et concentré, c’est par quoi il est limité,
c’est à quoi il identifie son être. Ce n’est pas encore là
que nous retournons au point OU se rencontrent mental
et supramental, au point originel où ils se sont séparés.
Mais, derrière la mentalité dynamique et vitale, il en
(l) Perçu coninle l’être-de-vie ou être vital, prdnamaya picrusha.
226 La Vie divine
est une autre -miroir plus clair, qui est capable d’échap
per à cette absorption dans la vie, de voir qu’elle assume
vie e t corps afin d’exprimer en une image extérieure de
rapports actifs d’énergie ce qu’elle perçoit en volonté et
en pensée. C’est la source de ce qui en nous est le pur
penseur ; c’est ce qui connaît la mentalité en soi et qui
voit le monde, non pas en termes de vie et de corps,
mais de inental ; c’est ce (I) que nous prenons parfois
tort, quand nous retournons à lui, pour l’esprit pur,
comnie nous prenons à tort le mental dynamique pour
l’âme. Ce Mental supérieur est capable de percevoir
les autres âmes comme d’autres formes de son moi pur,
e t de les traiter comme telles ;il est capable de les sentir
par une communication et un choc purement mentaux,
et non plus seulement par un choc vital et nerveux et
une indication physique ;il conçoit également une image
mentale de l‘unité, e t en son activité e t sa volonté il peut
créer et posséder directement -non pas seulement indi-
rectement comme dans la vie physique ordinaire - et
en d’autres mentaux e t d’autres vies aussi bien que dans
les siens propres. Et pourtant cette mentalité pure
n’échappe pas encore à l’erreur originelle du mental.
Car c’est encore de son moi mental séparé qu’elle fait le
juge, le témoin et le centre de l‘univers, c’est par lui
seul qu’elle s’efforce de parvenir à son propre soi et à
sa propre rkalité supérieurs ; tous les autres sont d’ (( au-
tres », associés à elle e t groupés autour d’elle ; quand
elle veut être libre, il lui faut se retirer de la vie et du
mental afin de disparaître en la réelle unité. Car il y a
encore, entre l’action mentale et l’action supramentale,
le voile créé par auidyâ ; une image de la Ykrité le tra-
verse, non la Vérité elle-même.
Ce n’est que lorsque le voile est déchiré e t le mental
divisé dominé, silencieux et passif sous l’action supra-
mentale, que le mental lui-même retourne à la Vériti.
des choses. Là nous trouvons une mentalité rénectrice,
lumineuse, qui obéit e l sert d’instrurneiit 21 1’ Idée-réelle
divine. La nous percevons ce qu’est réellemeri t le monde ;
Ea montée de la vie
(’) Jadavat.
(z) BNavat.
(3) Unmattavat.
(*I I’isliâcliaïat.
302 La ‘Vie divine
faite unité de Vérité Connaissante et de Vérité Voulante
peut établir l’harmonie de l’Esprit dans l’existence ex-
térieure comme dans l’existence intérieure ;car elle seule
peut transformer entièrement les valeurs de l’Ignorance
en valeurs de Connaissance.
Dans l’accomplissement de notre être psychique
comme dans l’achévement de nos éléments de mental
et de vie, le mouvement indispensable, c’est de le relier
à sa source divine, à la vérité qui lui correspond dans la
suprême Réalité ; et dans l’un et l’autre cas, c’est par
le pouvoir du Supramental que cela peut se faire avec une
intégralité complète, une intimité qui devient une au-
thentique identité ; car c’est le Suprameiital qui relie
l’hémisphère supérieur et l’hémisphère inférieur de
l’unique Existence. Dans le Supramental sont la Lumière
qui intègre, la Force qui achève, l’entrée vaste en
1’Ananda suprême :l’être psychique exalté par cette Lu-
mière et cette Force peut s’unir au Délice originel d’exis-
tence d’où il est venu : franchissant les dualités de dou-
leur et de plaisir, délivrant le mental, la vie et le corps
de toute peur et de toute rétraction, il peut fondre à
nouveau en termes d’Ananda divin les contacts de l’exis-
tence dans le monde.
Chapitre vingt-quatrième
La matière
(1) Le iiiot Mental est employé ici cn son acception la plus large
incl..isnt l’opération d‘une puissaiice Surineiitale qui est tre‘s proche
de la Vérité-Consciente supramentale, e t qui est la preiiiicre îon-
taiiie de création de l’Ignorance.
310 La Vie divine
nous appelons sens, mais c’est nécessairement ici un sens
obscur et extériorisé qui doit s’assurer de la réalité de
ce qu’il rencontre. La descente de la pure substance en
la substance matérielle suit donc, inévitablement, la
descente de Sachchidânanda à travers le supramental
dans le mental, la vie. C’est un résultat nécessaire de la
volonté, qu’elle fasse, de la multiplicité d’être et d’une
conscience des choses partant de centres de conscience
distincts, la première méthode de cette expérience infé-
rieure d’existence. Si nous retournons à la base spiri-
tuelle des choses, la substance en son entière pureté
se résout en pur être conscient, existant en soi, ayant
de soi par identité une conscience inhérente, mais ne
dirigeant pas encore sa conscience sur soi comme objet.
Le Supramental conserve cette conscience de soi par
identité comme sa substance d’autoconnaissance et sa
lumière d’auto-création ; mais, pour cette création, il
présente l’Être à lui-même comme le sujet-objet un e t
multiple de sa propre conscience active. L’Être en tant
qu’objet est pris ici dans une connaissance suprême, qui
peut, par compréhension, le voir comme objet de cogni-
tion au-dedans de lui et subjectivement comme étant
lui, et peut aussi, simultanément, le projeter par appré-
hension comme un objct (ou des objets) de cognition
à l’intérieur de la circonférence de sa conscience, non
pas comme autre que lui, mais comme une partie de
son être, mais une partie (ou des parties) éloignée de
lui-même, c’est-à-dire du centre de vision où l’Être se
concentre comme Connaissant, Témoin ou Purusha.
Nous avons vu que de cette conscience perceptive naît
le mouvement du Mental, le mouvement par lequel le
connaissant individuel considère une forme de son
propre être universel comme si elle était autre que lui-
même ; mais dans le Mental divin, il y a immédiatement,
ou plutôt simultanément, un autre mouvement, ou
l’aspect inverse du mEme mouvement, un acte d’union
en être qui corrige celle division phénoménale et l’ein-
pêche de devenir, méme pour un instant, la seulechose
réelle pour le connaissant. Cet acte d’union conscieiite
est ce que le Mental séparateur représente par ailleurs
La matière 311
de façon obtuse, ignorante et tout à fait extérieure,
comme contact en conscience entre êtres divisés et
objets séparés ; et chez nous, ce contact en conscience
divisée est principalement représenté par le principe
du sens. Sur cette base sensorielle, sur ce contact
d‘union sujette à division, l’action du mental-pensée se
fonde et prépare le retour à un principe supérieur
d’union où la division devient sujette à l’unité et subor-
donnée. La substance telle que nous la connaissons, la
substance matérielle, est alors la forme en laquelle le
Mental agissant par le moyen des sens entre en contact
avec l’Être-Conscient dont il est lui-même un mouvement
de connaissance.
Mais le Mental, par sa nature même, tend à connaître
et à percevoir par les sens cette substance d’être-
conscient, non pas en son unité ou en sa totalité, mais
par le principe de division. I1 la voit, en quelque sorte,
en points infinitésimaux qu’il associe entre eux afin
d’arriver à une totalité, et le Mental cosmique se jette
en ces points de vue et ces associations et demeure en
eux. Ainsi logé, créateur par sa force inhérente en tant
qu’agent de l’idée-Réelle, contraint par conséquent par
sa propre nature de convertir toutes ses perceptions en
énergie de vie comme l’Existant-en-tout convertit tous
Ses aspects de Lui-même en l’énergie variée de Sa force
de coiiscience créatrice, le Mental cosmique fait de ces
points de vue multiples de l’existence universelle des
positions de la Vie universelle ;il en fait, dans la Matière,
des formes d’être atomique imprégnées de la vie qui
les forme et gouvernées par le mental et la volonté qui
opèrent la formation. En meme temps, les existemes
atomiques qu’il forme ainsi tendent nécessairement,
de par la loi même de leur êlre, à s’associer, à s‘agréger ;
et de même chacun de ces agrégats, imprégiik de la vie
cachée qui les forme, du mental et de la volonté cachés
qui les mettent en action, porte avec soi la fiction
d’une existence individuelle séparée. Chacun de ces
objets ou existences individuels est soutenu, selon que le
mental en lui est implicite ou explicite, non manifesté
ou manifeste, soit par son ego mécanique de force en
312 La Vie divine
qui la volonté d’être est muette et prisonnière mais
non moins puissante, soit par son ego mental conscient
de soi en quoi la volonté d’être est libérée, consciente,
séparément active.
Ainsi ce n’est pas une loi éternelle et originelle d’une
éternelle et originelle Matière qui est la cause de I’exis-
tence atomique, c’est la nature de l’action du Mental
cosmique. La Matière est line création, et pour sa créa-
tion, il îallait comme base, comme point de départ,
l’infinitésimal, une extrême fragmentation de l’Infini.
L’éther peut exister, et existe effectivement, comme
soutien intangible, presque spirituel, de la Matière ;
mais, en tant que phénomène, il ne semble pas tout au
moins dans l’état actuel de notre connaissance, qu’on
puisse matériellement le déceler. Subdivisez l’agrégat
visible ou l’atome formel en atomes essentiels, frag-
mentez chacun d’eux jusqu’en la poussière d’être la plus
infinitésimale, il y aura encore, de par la nature du
Mental et de la Vie qui les a formés, une existence ato-
mique ultime, instable peut-être mais toujours se recons-
tituant dans le flot éternel de force, phénoménalement,
et non pas simplement une extension non-atomique non
susceptible d’avoir un contenu. Une extension non-
atomique de substance, une extension qui n’est pas une
agrégation, une coexistence réalisée au trenient que par
la répartition dans l’espace, sont des réalités de pure
existence, de pure substance ;elles sont une connaissance
du supramental et un principe de son dynamisme, et
non pas un concept créateur du Mental divisé, bien que
le Mental puisse prendre conscience qu’elles sont der-
rière son jeu. Elles sont la réalité sous-jacente à la
Matière, mais non le pliéiiomène que nous appelons Ma-
tière. Le Mental, la Vie, la Matière elle-même peuvent,
en leur réalité statique, être un avec cette pure exis-
tence e t cette extension consciente, mais ils ne peuvent
agir par cette unité en leur action dynamique, leur
auto-perception et leur auto-formation.
Nous arrivons donc pour la Matière à la vérité sui-
vante : il y a une conceptuelle auto-extension d’être qui
s’dabore dans l’univers comme sihstance ou objet de
L a nidière 313
conscience, et cp9en leur action créatrice le RIerital et
la Vie cosmiques, par le moyen de la division et de
l’agrégation atomiques, représentent comme la chose
que nous appelons Matière. Mais cette Riatière, comme
le Mental et la Vie, n’en est pas moins 1’Etre ou Brahman
en son action auto-créatrice. C’est une forme de la force
de 1’Etre conscient, une forme donnée par le Mental et
réalisée par la Vie ; elle recèle en soi comme sa propre
réalité la conscience ignorée d’elle-mt?me, involuée et
absorbbe dans le résulta1 de sa propre aiito-forination
et par coiiséquent s’oubliaiit elle-inhe ; et, si brute et
si vide de sens qu’elle iious paraisse, elle est pourtant,
dans l’expérience secrète de la conscience recelée en
elle, la felicitk d’être s’offranl à cette Conscience secrète
comme objet de sens?tioii d i n d’attirer hors de sa
retraite ce divin caché. Eire manifeste comme substance,
force d’Être coulée en une forine, en une auto-repr6sen-
tation figurée de la secréte conscience de soi, félicité
s’oîîrant coinnie objet à sa propre conscience -qu’est-ce
sinon Sachchidânanda ? La matière est Sachchiddnanda
représenté à Sa propre expérience mentale coinnie une
base formelle de connaissance, d’action, de fdicitc d’exis-
tence objectives.
Chapitre vingt-cinquième
Le nœud de la matière
Existence Mental
Con science-Force Matière
Béatitude Vie
Supramental Psyché
(I) 1,cs risiils védiques parlciit des sept Rayons niais ils parlent
aussi de huit, iieul, dix et douze Hayons.
(a) Parârdha et aparârdha.
Le sepïuple accord de l’êire 347
individuellement de cette ronde, si la potentialité infinie
de cette créature (qui seule se dresse ici entre l’Es-
prit et la Matière, avec pouvoir de leur servir de média-
teur) signifie autre chose qu’une ultime prise de
conscience (par le désespoir, le dégoût de l’effort cos-
mique et son total rejet) du caractère délusoire de la vie,
alors c’est une transfiguration, une émergence lumineuse
et puissante du Divin en la créature qui doit constituer le
but élevé et la signification suprême de cette évolution.
Mais il nous reste beaucoup de choses à examiner avant
de pouvoir nous occuper des conditions psychologiques
et pratiques dans lesquelles une telle transfiguration
peut, de possibilité essentielle qu’elle était, devenir
une potentialité dynamique. I1 nous faut en effet dis-
cerner non seulement les principes essentiels de la des-
cente de Sachchidânanda dans l’existence cosmique,
ce que nous avons déjà fait, mais aussi le grand plan
qu’a ici son ordre, la nature et l’action de la puissance
manifestée de Force-Consciente qui règne sur les condi-
tions dans lesquelles nous vivons actuellement. Pour
le moment, ce que nous devons voir en premier lieu,
c’est que les sept - ou huit - principes que nous avons
examinés sont essentiels à toute création cosmique
et sont présents en nous, manifestés ou non encore mani-
festés, dans cet (c Enfant d’un an que nous sommes
))
Le Supramental, le Mental
et la MâyO surmentale
P R ~ P A C...................................
E 7
C H A P I T I : ~ 1. - L’asoiratiori de l’horrime ... 17
II. - Les aeux aii.gaLioris : Le dkiii
nia térialiste ............ 23
1II. - Les deux négations : Le refus
de l’ascète .............. 37
IV. - Omniprcseiite réalité ..... 47
V. - La destink de l’individu ... 57
VI. - L’homme dans l’univers .... 67
VLI. - L’ego et les dualités ....... 77
VIII. - Les méthodes de la connais-
sance vcdaiitiqiie ....... 89
I S . - Le pur existant ........... 1O3
X. - La Force consciente ........ 11%
XI.- La félicité d’être : IAe pro-
blème ................... 129
XLI. - Ea félicitk d’être :Ea solutioii 141
X l l i . - La REyâ divine ........... 155
XLV. - Le Suprarnental coinnie crEa-
teur ................... 167
XV. -- La suprême véritk cons-
ciente ................. 181
XVL. - 1.e triple statut du Supra-
rnen tal ................ l!U
XVII. - L’âme divine ............. ZIU
XVIII. - Mental et Supramental .... 21:;
XIX. - 1a. vie .................. 23 1
XX. Mort, ùhir et iiicapacité .... 249
380 Ea Vie diuiiie
CmPxTnE XXI.
- XXII.
. ..
- La mont6e de la vie . .. . ..
- Le probléme de la vie . . ..
261
273
- XXIII. - L’âme double en l’homme .. 287
-
-
XXIV.
XXV.
- La matière . .. .. . . . .. .....
- Le nceud de la matière . .. ..
303
315
- XXVI. - La série ascendante de la sub-
stance .................. 331
- XXVII. - Le septuple accord de l’être. . 343
- XXVIII. - Le Supramental, le Mwtal et
la hlâyâ surmentale ...... 355
COUVERTURE :
* **
Voir également :
JEANHERBERT : L’anaiomie psychologique de I‘homme
seZon Shrt Aurobindo (Derain).
JEANHERBERT : La métaphysique et la psychologie de
Shrî Aurobindo, en preparation (Albin Michel).
(( Spiritualités vivantes ))
au format de poche