Vous êtes sur la page 1sur 5

H él en e Rioux

Dialogues intimes
récit

: /'í éditeur
La publication de cet ouvrage a été rendue possible gráce á l'aide
financiére du ministére du Patrimoine canadien par l'entremise du
Programme d'aide au développement de ['industrie á l'édition (PADIÉ),
du Conseil des Arts du Canadá (CAC), du ministére de la Culture et des
Communications du Québec (MCCQ) et de la Société de dévelop-
pement des entreprises culturelles (SODEC).

© XYZ éditeur 1
1781, rué Saint-Hubert
Montréal (Québec)
H2L 3Z1 Les vacances
Téléphone: 514.525.21.70
Télécopieur: 514.525.75.37
Courriel: xyzed@mlink.net
Site Internet: www.xyzedit.com

et

Héléne Rioux
E n aoüt, ils sont assis sur le balcón, chacun
dans son fauteuil d'osier, un verre de pastis á
la main. Elle soupire que l'été en ville, avec la
poussiére, le vacarme et les rúes défoncées, c'est
Dépót legal: 3e trimestre 2002 vraiment invivable.
Bibliothéque nationale du Canadá En septembre, il lui dit que ce qui lui plairait,
Bibliothéque nationale du Québec á lui, l'été prochain, ce serait d'aller faire de la
ISBN 2-89261-348-5
planche á voile dans une íle des Antilles. Elle
admet que c'est une excellente idee, quoiqu'elle
Distribution en librairie: aurait plutót envié d'essayer la plongée. Dans la
Canadá: Europe:
Dimedia inc. D.E.Q.
mer des Cara'ibes, on peut voir, parait-il, des
539, boulevard Lebeau 30, rué Gay-Lussac poissons d'une beauté ou d'une laideur impres-
Ville Saint-Laurent (Québec) 75005 Paris, France sionnantes. «Mais l'été, c'est la saison des pluies
H4N 1S2 Téléphone: 1.43.54.49.02 dans le Sud, non? se souvient-elle tout á coup.
Téléphone: 514.336.39.41 Télécopieur: 1.43.54.39.15
Télécopieur: 514.331.39.16 Courriel: liquebec@noos.fr
Dédé et Pablito ont passé deux semaines á la
Courriel: general@dimedia.qc.ca Guadeloupe en juillet dernier, et ils ont vécu une
invasión de tarentules ou de scarabées géants.
Conceptíon typographique et montage: Édiscript enr.
Dédé s'est méme fait mordre et on a dü le con-
Maquette de la couverture: Zirval Design duire á l'hópital. Je te laisse imaginer la qualité
niustration de la couverture: Georges Minangoy, Nourriture terrestre, 2002
Photographie de l'auteure: Kéro
Dialogues intimes Dialogues intimes

des soins qu'il a regus. Encoré étonnant qu'il s'en est pratiquement impossible, explique-t-il, ils ont
soit tiré. Et il parle espagnol.» Aprés quelques un travail fou au bureau. Par ailleurs, s'ils prennent
minutes, il leve le nez de son journal. «Une leurs vacances en juin, ils devront quand méme
chose me tarabuste, dit-il. Tu peux m'expliquer passer le reste de l'été en ville. Elle n'avait pas
ce que ga change, que Dédé parle espagnol ? La pensé á cet aspect de la question.
Guadeloupe est un département francais.» Elle En décembre, elle propose de louer une mai-
claque la porte de la salle de bains. son en Nouvelle-Angleterre. II y a de ravissants
En octobre, elle lui confie qu'il y a des années villages de pécheurs - son amie Maud lui a mon-
qu'elle revé de faire le circuit des cháteaux de la tré des photos - oü ils pourront s'adonner á toutes
Loire. «On pourrait louer une bagnole, tu sais, sortes d'activités: baignades, randonnées, peche
ees forfaits "achat rachat". Tres avantageux. Un en haute mer, mini croisiéres. Elle a consulté une
mois á sillonner la France, a manger tous les soirs carte: ees villages ont des noms qui finissent tous
dans des reíais gastronomiques, n'est-ce pas que par Cove, Bay ou Harbor, elle trouve ga tellement
ce serait merveilleux ? On dormirait chez l'habi- évocateur, pas lui? II y a des cafés et des bouti-
tant. Je t'assure, mon amour, nous nous ferions ques d'artisanat, de petits théatres. Des musiciens
des tas de relations intéressantes.» II noche la jouent dans la rué des chansons de Dylan et de
tete. Mmmm... dormir chez l'habitant, il n'est pas Leonard Cohén. « Un peu retro, tu vois ? » II ima-
convaincu. C'est toujours tres humide dans ees gine tres bien le paysage et, qui plus est, il n'est
vieilles maisons-lá. D'ailleurs, ont-ils seulement pas contre un brin de nostalgie.
des lits confortables á offrir ? Parce que, s'il s'agit En janvier, il annonce qu'il s'est informé et
de coucher sur une paillasse... Quoi qu'il en soit, que la Nouvelle-Angleterre, c'est absolument
toute cette bouffe riche, ees sauces au beurre, ce hors de prix, surtout maintenant, avec ce taux de
n'est pas tres indiqué pour ses artéres. Le méde- change catastrophique. L'indice machin-truc a
cin, á sa derniére visite, l'a justement mis en garde dégringolé, tente-t-il d'expliquer, le journal ou-
contre l'abus de cholestérol. lis vont y réfiéchir. vert á la section financiére. Quant au taux d'inté-
En novembre, il insinué qu'en aoüt la France rét, inutile d'en parler. Dans une telle conjonc-
est bondée de touristes allemands et américains. Et ture, se serrer la ceinture est la seule solution. Un
japonais. Sur les routes, ce sont des embouteillages chalet dans les Laurentides ne serait-il pas un
á n'en plus finir. «Tu as raison, tres pénible, ce choix plus raisonnable ?
genre de situation, approuve-t-elle. On pourrait En février, elle declare qu'elle a horreur des
peut-étre y aller en juin ? » Mais en juin, s'absenter moustiques et du bruit des bateaux á moteur. Et
II
Dialogues intimes Dialogues intimes

En avril, il a renoncé á l'idée des lies. De


puis, dans le Nord, tous les lacs sont pollués toute facón, la mer y est glaciale et 011 n'est
quand ils ne sont pas infestes de sangsues. On jamáis sur du temps qu'il fera. Elle, elle a fait une
risque d'attraper des maladies affreuses, pustules, razzia á l'agence de voyage. Une douzaine de
gastro-entérite, pied d'athléte, et elle ne lui men- brochures sur la Gréce jonchent la table de la cui-
tionne que les moins déplaisantes. De plus, il la sine. «Oh! Une croisiére en Méditerranée ! Ce
connait, la promiscuité, elle ne supporte pas. «Je serait comme une lune de miel, non ? Imagine-
t'assure, les Laurentides, maintenant, c'est á toi, nous deux, sur le pont d'un bateau, dans nos
peine mieux qu'un camping de roulottes á vétements immaculés, en train de boire de l'ouzo
Venise-en-Québec, si tu vois le genre. II paraít au soleil. En mangeant des olives fraiches
qu'on y féte Noel en plein coeur de juillet, avec la cueillies de l'olivier.» II l'interrompt. « Les olives,
messe de minuit en plein air, les sapins decores. ma poupée, ca se récolte en automne et,
Ca te donne une idee de l'ambiance. lis organi- d'ailleurs, les olives fraiches cueillies, c'est im-
sent méme un souper communautaire de dinde mangeable.» Pour qui la prend-il ? Elle le savait,
aux atocas.» II fait valoir qu'ils ne sont pas obli- rétorque-t-elle en haussant les épaules. C'était
gés d'y assister. Mais... non, dit-elle, non, vrai- juste une facón de parler. Si on ne peut plus faire
ment, elle, ce qu'elle cherche, ce dont elle a de métaphores. II prend toujours tout au pied de
besoin, c'est un dépaysement. la lettre, 9a finit par devenir assommant... « Aux
En mars, la situation économique prend du escales, on visiterait des sites antiques, reprend-
mieux et il suggére les iles de la Madeleine. Un elle aprés un moment. On s'instruirait tout en se
autre monde, tout á fait. Des plages de sable fin reposant.» Sans accepter tout á fait, il laisse sous-
et blanc comme de la farine, des falaises; escar- entendre que s'il re9oit sa prime de rendement...
pées, beaucoup de vent, tres peu d'hótels; par En mai, elle penche pour le Portugal. « C'est
conséquent, peu de tourisme. lis se rempliraient beaucoup moins couru que l'Espagne, tu sais. Et,
les poumons d'air pur. Et les gens parlent avec un pour le billet d'avion, bien moins cher que la
accent vraiment tres dépaysant, vieille France, Gréce. Un pays á découvrir, tout le monde le dit.
pour ainsi diré. Elle leve les yeux: la perspective Retourner sur les traces des grands aventuriers
éveille son intérét. Mais la voiture est-elle en d'antan, en fait, vivre leur aventure á rebrousse-
assez bon état pour faire le trajet? s'inquiéte- poil.» Mais il est d'avis que, avec cette nouvelle
t-elle. «S'il faut prendre l'avion, vu le prix du vague de terrorisme, voyager en avión com-
billet, on ferait aussi bien d'aller en France. Con- porte peut-étre trop de risques. Un ange passe
temporaine.»
Dialogues intimes

- peut-étre méme un diable aux pieds fourchus.


Une fois Tange malin passé, il lui fait remarquer
que, dans ce cas, « á rebrousse-poil» ne lui paraít
pas étre l'expression adéquate. Voulait-elle diré
«á rebours»? Elle sort de la piéce. Elle en a
marre de se faire rabrouer. Elle voulait diré exac-
tement ce qu'elle a dit.
En juin, il n'a pas eu sa prime de rendement. Le souper au restauran!
S'ils faisaient un jardín dans la cour ? lis pourraient
acheter de nouvelles chaises longues, un parasol, et
méme une balancoire, pourquoi pas... Certaines
gens prétendent que le jardinage est une véritable n ne sort jamáis, se plaint-elle. On pourrait
thérapie. Tomates, fines herbes, fleurs vivaces et bien sortir, des fois. Deja qu'on a raté nos
annuelles, énumére-t-il, les yeux brillants. Le long derniéres vacances. S'il faut encoré qu'on passe
de la facade, des gloires du matin. «On pourrait l'année á se morfondre dans le salón, je ne survi-
pique-niquer en regardant pousser tout ca.» II la vrai pas. Je vais me taper une dépression, je t'as-
trame dans une pépiniére pour acheter une variété sure.»
de semences et de fertilisants. II la regarde par-dessus son épaule. II est ren-
En juillet, tous les voisins rénovent leur mai- tré du bureau depuis une quinzaine de minutes,
son, la cour est envahie de poussiére, ils ont semé courbaturé et vaguement deprime. II doit couver
trop tard, rien ou presque n'a poussé, le bruit des une mauvaise grippe. Et puis, le dossier de la raf-
marteaux, des perceuses et des scies électriques finerie qui ne progresse pas malgré tous ses
enterre le gazouillis des oiseaux. Elle gémit que efforts. Cette satanée récession fait avorter tous
l'été en ville, c'est vraiment invivable. les projets de son groupe de travail.
En aoüt, épuisés, ils décident de tenter l'expé- «Bien sur, ma douce. De quoi as-tu envié ? II
rience du camping sauvage et vont passer une paraít que le dernier Tavernier...
semaine au lac Témiscamingue. II pleut sans - Ah! non! Pas de cinema. On passe deja
arrét. Ils sont couverts de morsures de mouches suffisamment de temps devant la telé... J'avais
noires, leurs sacs de couchage sentent le moisi, pensé qu'on pourrait aller manger quelque
elle attrape une otite, et lui, une crise aigué de part.»
rhumatismes le fait atrocement souffrir.

Vous aimerez peut-être aussi