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Les ressources humaines à risque dans le secteur bancaire : une


application de la gestion des risques opérationnels

FERRARY, Michel

Reference
FERRARY, Michel. Les ressources humaines à risque dans le secteur bancaire : une application
de la gestion des risques opérationnels. Gestion 2000, 2009, no. 2, p. 85-102

Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41643

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Michel Ferrary,
Professeur de Management des Ressources Humaines
CERAM, Sophia Antipolis,
France

Les ressources humaines à


risque dans le secteur bancaire.
Une application de la gestion
des risques opérationnels
L
a création de valeur par les entreprises suppose la mobilisation de différentes res-
sources (Penrose, 1959; Wernerfelt, 1984; Barney, 1991). A ce titre, les res-
sources humaines sont l’une des composantes de la combinaison productive de la
firme. Cependant, la mobilisation de ressources humaines fait courir un risque spé-
cifique à l’entreprise. Le risque humain peut être défini comme l’incertitude que font
peser les ressources humaines sur la compétitivité et la pérennité de l’entreprise qui
les mobilisent. A cet égard, il convient pour l’entreprise d’identifier, d’évaluer, de
suivre et de maîtriser ce risque.

Les risques humains sont spécifiques employeur. Au-delà, de cette intention


dans la mesure où ils sont liés à l’usage stratégique qui caractérise les res-
d’une ressource douée d’une volonté sources humaines, ces dernières s’ins-
propre, dotée d’une stratégie personnel- crivent dans une perspective systé-
le qui peut diverger de celle de son mique qui les conduit à initier des
employeur (Crozier & Friedberg, 1977). risques d’un autre ordre. Ainsi, une
erreur humaine dans les prises de
Cette intention stratégique propre aux garanties lors d’un prêt accroît le
individus amène ces derniers à risque de crédit, de même une erreur
d’abord optimiser leurs intérêts. Pour humaine de programmation d’un logi-
cela, les salariés peuvent mettre en ciel peut engendrer un risque opéra-
concurrence les employeurs pour obte- tionnel lié au système informatique.
nir des rémunérations plus élevées, ils
peuvent également entrer en conflit Dans tous les cas, les employeurs
avec eux, voire escroquer leur encourent un risque humain dont il

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convient de se prémunir. La gestion du les pertes induites sont historiquement


risque humain suppose, d’une part, de mesurables rendant possible des cal-
diagnostiquer la probabilité d’occur- culs de probabilité alors que les risques
rence de ce risque et, d’autre part, à occurrence faible (attentats, grèves,
d’évaluer le degré de sinistralité liée à incendies, …) relève du hasard sauva-
ce risque (Perrequin, 2004). Pour ge et sont imprévisibles. Les premiers
reprendre la distinction faite par peuvent faire l’objet d’un plan d’action
Mandelbrot (1998) entre «hasard mesurable de réduction de l’occurrence
bénin» et «hasard sauvage», les et les seconds relèvent plus de la défi-
risques a occurrence fréquente consti- nition de scénario de gestion de crise.
tuent des risques dont la survenance et

Matrice de classement des événements de risques1

Situation
de crise

Certains secteurs d’activité sont plus concerné par l’analyse et la prévention


exposés que d’autres au risque humain. du risque humain. D’une part, le capital
Plus une activité est intense en capital humain constitue la principale ressource
humain et en connaissance, plus les sala- de création de valeur des banques. La
riés représentent un facteur de risque. A masse salariale représente plus de 50%
cet égard, deux éléments font du secteur des coûts de production des établisse-
bancaire un secteur particulièrement ments bancaires (en 2005, ces coûts

86 1 D’après Perrequin (2004).


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étaient de 59,28% à la BNP Paribas, rationnelles sur la période 2001 à


57,38% à la Société Générale et 2004.
53,98% au Crédit Agricole).
A partir de l’exemple du secteur ban-
Au-delà de cette dimension quantitati- caire, il convient d’approfondir la
ve, les banques sont des entreprises de notion de risque humain et de définir
connaissance, notamment pour les des pratiques de gestion des diffé-
activités à forte valeur ajoutée de rentes natures de risque qu’il peut
banque d’investissement et de finance- recouvrir. Cinq risques humains vont
ment, qui emploient des salariés hau- être exposés : risque stratégique,
tement qualifiés. risque de disparition, risque d’erreur,
risque de malversation et risque de
D’autre part, les accords de Bâle II, conflit. Des pistes de gestion de ces
définis par la Banque des Règlements risques humains seront explorées pour
Internationaux, qui doivent s’appliquer montrer en quoi la gestion des risques
dans tous les établissements financiers opérationnels et les pratiques de ges-
à compter de la fin de l’année 2006, tion des ressources humaines (rémuné-
prévoient que les banques se couvrent ration, formation, gestion prévisionnel-
contre le risque opérationnel définit le de l’emploi et des compétences)
comme «le risque de pertes provenant peuvent s’articuler.
de processus internes inadéquats ou
défaillants, de personnes et systèmes
ou d’évènements externes ». Le fac-
teur humain peut être directement
Le risque de perte de
impliqué dans le risque opérationnel ressources humaines
du fait de fraudes, de malveillances et stratégiques
de problèmes liés à la gestion du per-
sonnel. Il l’est également indirectement
La nature du risque
du fait d’erreurs humaines de manque
de respect des procédures ou de mau-
stratégique
vaises saisies de données dans les sys-
tèmes d’informations. La théorie des compétences straté-
giques (Prahalad & Hamel, 1991) a
Les études menées par le Comité de Bâle montré que l’avantage concurrentiel
ont montré qu’en 2001, 89 banques ont de l’entreprise était déterminé par la
subi plus de 8 milliards d’euros de pertes qualité de sa combinaison de res-
au titre des risques opérationnels et que sources. Dans cette perspective, cer-
23 banques américaines ont déclaré taines ressources humaines constituent
23,9 milliards de dollars de pertes opé- des ressources stratégiques dont la

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perte peut remettre en cause la com- L’incapacité de certains établissements


pétitivité de l’entreprise. La gestion de financiers à retenir leurs ressources
ce risque stratégique constitue un humaines stratégiques explique l’éro-
enjeu central des entreprises de la sion de leur compétitivité sur certains
connaissance dont l’essentiel de l’acti- marchés. Ainsi, la banque allemande
vité repose sur du capital humain. Les Deutsche Bank a échoué dans sa ten-
banques d’affaires illustrent cette situa- tative d’implantation dans la banque
tion. Leur modèle économique repose d’investissement malgré le rachat de la
pour l’essentiel sur des ressources banque anglaise Morgan Grenfell puis
humaines hautement qualifiées et forte- de la banque américaine Bankers Trust
ment rémunérées. en 1998. Les raisons de cet échec sont
liées à l’incapacité de la banque à
Ainsi en 2005, Goldman Sachs, la garder les salariés des établissements
première banque d’affaires au monde, acquis. Ainsi, dès 1999, F. Newman,
employait 22.500 salariés dont le coût le PDG de Bankers Trust, R. Daniel,
salarial moyen était de 520.000 dol- son Directeur Financier et une dizaine
lars et dont la masse salariale repré- d’autres cadres supérieurs de Bankers
sentait 70,8% des dépenses liées à Trust (analystes, responsables de salle
l’activité de la banque. Dans ce sec- de marché, banquiers d’affaires)
teur d’activité, l’avantage concurrentiel avaient démissionné pour rejoindre la
est lié à la capacité de l’entreprise à concurrence2.
attirer et à garder les meilleurs talents
(Cappelli, 2000). Le taux de démission, notamment celui
des cadres, est un indicateur de l’évo-
La perte de ces ressources humaines lution du risque stratégique et constitue
qui pourraient démissionner pour aller une alerte à surveiller. Plus il augmen-
travailler chez des concurrents est clai- te et plus l’entreprise est exposée à des
rement identifié comme un risque par pertes de connaissances stratégiques.
ces entreprises. Le risque stratégique
est d’autant plus grand lorsqu’il Ainsi, si l’on compare la BNP Paribas
concerne des connaissances tacites et et la Société Générale3, il apparaît
des compétences informelles (Nonaka, que cette dernière est plus exposé au
1994). Les savoirs-faires des ban- risque de perte de compétences straté-
quiers, leur capital social et leurs giques du fait du taux important de
réseaux sociaux sont autant de com- démission de cadres (2,47% en 2005)
pétences idiosyncrasiques indispen- et que la BNP Paribas à le plus réduit
sables dans les activités de banque son exposition à ce risque entre 2000
d’investissement (Eccles & Crane,
2
1988). Les Echos, 30 juin 1999.
3 Les données concernant la BNP Paribas et la
Société Générale sont issues des bilans sociaux
88 de ces deux banques.
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Une application de la gestion des risques opérationnels

et 2005 en passant d’un taux de des effectifs cadres) et 1604 de la


4,28% en 2000 à 1,54% en 2005. En BNP Paribas (soit 9,3% des effectifs
six ans, 1803 cadres ont démissionné cadres).
de la Société Générale (soit 12,7%

Taux de démission des cadres

2000 2001 2002 2003 2004 2005


Société Générale 3,80% 2,88% 2,02% 1,32% 2,11% 2,47%
BNP Paribas 4,28% 2,64% 1,18% 0,96% 1,27% 1,54%

Une politique de rémunération compé- Dans la banque d’investissement, les


titive constitue le principal instrument établissements financiers vont déployer
de couverture de ce risque en garan- des politiques de rémunération per-
tissant la rétention à moyen terme des mettant d’attirer et de garder les
salariés détenteurs des connaissances meilleurs talents. Se prémunir du risque
stratégiques. stratégique passe avant tout par une
politique salariale attractive notam-
ment en recourant à la distribution de
Le management du risque stock-options.
stratégique par la politique
de rémunération A cet égard, les banques cotées en
bourse ont un avantage concurrentiel
pour attirer les ressources humaines
Les activités de banque d’affaires sont
stratégiques. C’est pour cette raison
particulièrement concernées par le
que des banques initialement privées
risque stratégique de départ des com-
ont été introduites sur les marchés
pétences clés. A ce titre, dans leurs
financiers. Ce fut le cas de Bear
bilans financiers, les banques d’af-
Stearns en 1985, Morgan Stanley en
faires identifient formellement le départ
1986, Lehman Brothers en 1994 ou
de certaines personnes comme un
Goldman Sachs en 1997.
risque. Ainsi, dans le rapport annuel
de la banque d’affaires américaine
Plus récemment, la banque Lazard,
Greenhill & Co, la première phrase du
illustre la mise en place d’une politique
chapitre consacré aux risques encourus
de rémunération fondée sur l’actionna-
par la banque est : «Notre capacité
riat des salariés. Cette banque fut pen-
à retenir nos cadres dirigeants est cru-
dant longtemps un acteur dominant
cial pour le succès de notre activité»4.
des activités de fusions et acquisitions
tant en Europe qu’aux Etats-Unis.
4 «Our ability to retain our managing direc-
tors is critical to the success of our business». 89
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Cependant, dans les années 90, elle a opérationnel (COO) et Thomas Russo,
chuté dans les classements. La princi- le directeur juridique5.
pale explication était que son statut
juridique de société en commandite De même Morgan Stanley qui, en
simple non-cotée qui ne lui permettait 2005 a connu une vague importante
pas de garder et d’attirer les meilleurs de démissions, a mis en place l’un des
talents face à des concurrents comme systèmes de rémunération les plus
Goldman Sachs, Lehman Brothers ou avantageux de Wall Street pour gar-
Morgan Stanley qui eux pouvaient dis- der ses talents en leur permettant de
tribuer des stock-options et des actions spéculer à titre personnel avec des
à leurs salariés. fonds prêtés par la banque6.

Pour cette raison, en 2004, sous la Certaines banques ont renoncé aux
direction de son nouveau dirigeant, activités de banque d’investissement
Bruce Wassertein, Lazard a été intro- faute de pouvoir attirer et garder les
duite en bourse à New York, permet- meilleurs banquiers. Ainsi, en 2003
tant à la banque d’attirer des talents, HSBC décida d’investir 800 millions
notamment venant de Morgan Stanley de dollars pour se constituer une com-
(Orange, 2006). pétence dans cette activité financière.
Elle recruta John Studzinski, un des
Dans la mesure où l’essentiel des dirigeants européens de Morgan
banques d’affaires sont désormais Stanley pour développer cette activité.
cotées en bourse, elles doivent mainte-
nant faire preuve d’innovations sala- Ce dernier débaucha notamment des
riales pour garder les individus déten- collaborateurs de CSFB, Goldman
teurs de compétences stratégiques ou Sachs et Lazard. En un an, près de
bien renoncer à ce type d’activité. 2000 personnes furent recrutées, aug-
mentant les coûts de 32%. En 2005, la
Ainsi, Lehman Brothers a octroyé à Direction de HSBC décida d’arrêter
Richard Fuld, le Directeur Général de ses investissements dans ce type d’ac-
la banque (CEO), un plan de stock- tivité, provoquant le départ de J.
options sur 10 ans (2007-2016) d’une Studzinski (pour le fond de private
valeur de 186 millions de dollars qui equity Blackstone) et de nombre de ses
ne seront exerçables qu’à la condition collaborateurs7.
qu’il reste à la direction de l’entreprise
jusqu’à cette date. Un contrat similaire
a été offert à deux dirigeants de la
banque : Joseph Gregory, Directeur
5 Wall Street Journal, 7 décembre 2006.
6 Les Echos, 5 octobre 2006.
90 7 Wall Street Journal, 5 octobre 2006.
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Les ressources humaines à risque dans le secteur bancaire.


Une application de la gestion des risques opérationnels

Le risque de disparition cier sur l’évaluation des risques dans


un secteur industriel complexe particu-
de ressources humaines
lier. L’accumulation de connaissances
spécifiques spécifiques suppose un processus
d’apprentissage internalisé dans l’en-
La nature du risque de treprise (Ferrary & Pesqueux, 2006).
disparition
La disparition d’une ressource humai-
ne spécifique peut prendre plusieurs
Au-delà du risque de démission d’un
formes. L’une d’entre elles est le décès
salarié détenteur d’une compétence
d’un salarié détenteur de cette experti-
stratégique, il existe le risque de dispa-
se. Ce phénomène n’est pas négli-
rition d’un salarié possédant une exper-
geable et fortement imprévisible. Entre
tise rare et spécifique qui peut remettre
2003 et 2005, en France, 238 sala-
en cause la continuité de l’activité
riés de la Société Générale et
d’une entreprise. La notion de spécifici-
131 salariés de la BNPParibas sont
té met en évidence une autre nature de
décès8. Une autre forme de disparition
risque qui est liée à l’impossibilité de
est liée aux départs à la retraite. Les
recourir au marché du travail pour se
entreprises font régulièrement l’expé-
doter à brève échéance d’une compé-
rience de dysfonctionnements liés à
tence donnée. Selon Becker (1962), le
des pertes de connaissances induites
capital humain est spécifique dès lors
par des départs à la retraite de per-
que les compétences qu’il représente
sonnes qui étaient les seules déten-
sont accumulées et utilisées uniquement
trices de compétences spécifiques. Les
dans l’entreprise qui les emploie.
banques françaises sont particulière-
ment concernées par ce risque en rai-
A court terme, ces compétences ne
son de la structure de leur pyramide
peuvent pas être acquises ni par des
des âges qui induit actuellement de
recrutements dans une autre entreprise
nombreux départs à la retraite. Ainsi,
ni par le biais d’une formation. Dans
entre 2003 et 2005, 1660 personnes
ce cas, il y a une imperfection du mar-
sont parties en retraite (ou préretraite)
ché du travail pour fournir à court
à la Société Générale et 2042 à la
terme cette compétence. Ces compé-
BNPParibas. L’identification des déten-
tences peuvent correspondre à celles
teurs de compétences spécifiques, de
d’un informaticien qui a développé un
la probabilité de leur disparition et la
programme informatique particulier
définition d’un plan d’action de réduc-
pour une activité de l’entreprise. Cela
tion de ce risque constituent une
peut également correspondre à l’ex-
démarche nécessaire pour préserver la
pertise détenue par un analyste finan-
continuité de l’activité.

8 Données du Bilan Social. 91


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Le management du risque Le plan de succession


de disparition
Une autre pratique de GRH permet de
L’assurance homme-clé se couvrir contre le risque de dispari-
tion. Elle consiste à établir un plan de
succession pour tous les salariés déten-
La gestion du risque de disparition de
teurs de compétences spécifiques.
compétences spécifiques suppose préa-
L’entreprise qui a constitué ces plans
lablement un travail d’identification de
est mieux protégée contre le risque de
ces compétences et de leurs détenteurs.
disparition de compétences spéci-
Plus les compétences stratégiques sont
fiques. A partir de l’identification des
nombreuses et leurs détenteurs rares et
compétences spécifiques et de leurs
plus le risque de perte est important. A
détenteurs, la mise en place de plan
cet égard, la cartographie des compé-
de succession influence la politique de
tences qui sert d’outils de GRH peut
recrutement et de formation. L’objectif
être un support utile à la cartographie
étant de démultiplier le nombre de
des risques humains.
leurs détenteurs afin de réduire les
risques. La définition d’une liste de suc-
Les contrats d’assurance peuvent per-
cession permet de rapidement rempla-
mettre une couverture du risque opéra-
cer la personne disparue. La vitesse de
tionnel que représente la disparition
remplacement influence les consé-
accidentelle d’un homme-clé. Plusieurs
quences de l’occurrence du risque.
sociétés d’assurance offrent des contrats
Cette pratique peut s’articuler avec la
d’assurance homme-clé. L’objectif est de
gestion des hauts potentiels pour les
permettre aux entreprises de se proté-
managers et avec la gestion de carriè-
ger du risque de remise en cause de
re des experts. Au-delà de la couvertu-
leur fonctionnement, voire de leur
re de risques opérationnels, le plan de
pérennité, que peut entraîner la dispari-
succession constitue un facteur de moti-
tion temporaire ou définitive de certains
vation pour les salariés.
salariés. La garantie homme-clé vise,
d’une part, à couvrir la perte d’exploi-
tation induite par la disparition du sala- La gestion prévisionnelle des emplois
rié et, d’autre part, à couvrir les frais et des compétences
induits par son remplacement (frais de
recherche d’un cadre de remplacement, La gestion prévisionnelle de l’emploi et
formation du remplaçant, surcoût lié à des compétences permet de pallier au
l’intervention d’une société extérieure et risque de disparition de compétences
frais de personnel intérimaire en rem- liée aux départs en retraite. Le secteur
placement de l’homme clé). bancaire est particulièrement concerné

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Une application de la gestion des risques opérationnels

par ce risque en raison des départs respect des procédures formalisant les
massifs en retraite dans les années à processus de l’entreprise constitue un
venir. Par une articulation de la forma- risque opérationnel qui accroît d’autres
tion et de la gestion de carrière, elle types de risques. Ainsi, un conseil ban-
permet de démultiplier les compé- caire qui ne respecte pas les procé-
tences et de préparer le remplacement dures de prises de garanties prévues
des individus détenteurs de compé- lors de l’octroi d’un crédit, fait courir
tences critiques. Plusieurs banques ont des risques importants en cas de ces-
signé des accords de gestion prévi- sation de paiement du client. Dans ce
sionnelle de l’emploi et des compé- cas, le risque opérationnel démultiplie
tences dans l’objectif explicite de se le risque de crédit.
prémunir contre ce type de risque.
L’occurrence de ces incidents peut
avoir des impacts variés. Si certaines
Le risque d’erreur humaine erreurs administratives peuvent être
corrigées sans entraîner de pertes
importantes, d’autres en revanche peu-
La nature du risque d’erreur vent induire de graves préjudices.
Ainsi, un conseiller bancaire qui, par
Le comité de Bâle (2003, p. 2) identifie erreur, garantit par écrit à ses clients
un risque opérationnel lié à l’exécution une rentabilité des placements, enga-
des opérations, des livraisons et des ge la responsabilité de la banque et lui
processus bancaires. Les possibilités fait encourir un risque légal important.
d’erreurs sont nombreuses. On retrouve D’autres erreurs peuvent nuire à la
dans cette catégorie des situations aussi réputation de la banque. Par exemple,
diverses que les erreurs d’enregistre- aux Etats-Unis, la Chase Manhattan a
ment des données, les défaillances crédité par erreur de plus de
dans la gestion des sûretés, les erreurs 700.000 dollars le compte bancaire
d’accès aux comptes de la clientèle, les d’une mère célibataire. Cette dernière
erreurs de montage dans les opérations les a dépensé. Certes, la banque a
de financement ou la gestion déficiente récupéré une partie des fonds et la
des garanties des dossiers. personne a été lourdement condam-
née. Cependant, cette erreur a occa-
Les dysfonctionnements liés aux proces- sionné un procès fortement médiatisé
sus des activités de crédit (instruction qui n’a pu que nuire à l’image de la
des dossiers, réalisation, suivi du Chase Manhattan.
risque, recouvrement) sont susceptibles
d’aggraver le niveau de risque intrin- La GRH, et notamment la formation,
sèque des portefeuilles. Le manque de influence le risque d’erreur car ce der-

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Gestion 2000 2 mars - avril 2009

nier est bien souvent non-intentionnel Enfin, d’autres facteurs RH peuvent


et résulte d’une méconnaissance des aggraver le risque d’erreur. Le comité
règles et des procédures par les sala- de Bâle a explicitement identifié l’ab-
riés. L’incompétence des salariés est sentéisme comme un risque dans la
régulièrement à l’origine de dysfonc- mesure où pour une charge de travail
tionnements. La qualité de la formation identique le risque d’erreur est plus
des opérateurs influence le risque d’er- grand quand elle doit être exécutée
reur. De même, les risques liés aux sys- par un nombre réduit de salariés du
tèmes d’information sont moins liés fait de l’absentéisme. La Société
aux systèmes informatiques en tant que Générale et la BNP Paribas semblent
tel qu’à l’utilisation de ces systèmes autant exposées aux risques induits
par les individus. Réduire le risque par l’absentéisme puisque leurs
informatique passe également par une moyennes sont proches. De plus, ce
meilleure formation des utilisateurs afin chiffre a peu évolué récemment, reflé-
de réduire le risque d’erreur. tant une stabilité de ce risque.

Absentéisme moyen

2000 2001 2002 2003 2004 2005


Société Générale 10,89 8,34 9,93 10,04 9,46 9,31
BNP Paribas 9,19 11,49 10,86 11,01 10,11 9,81

Le management du risque ou externe dans ces processus. Il y a


d’erreur une dimension systémique du risque
d’erreur car la défaillance potentielle
d’un processus dans un secteur de l’or-
Les procédures
ganisation peut avoir des répercus-
sions sur un autre. Cette perspective
Les établissements financiers établis- systémique contribue à identifier les
sent une cartographie des risques, responsabilités indirectes en matière
notamment par l’identification des pro- de mise en œuvre de plan de réduc-
cessus clés susceptibles de générer des tion des risques (Deniau & Renoux,
risques opérationnels avec pour objec- 2006)
tif de renforcer la gestion de ces
risques et la fiabilité des processus. Il La réduction du risque d’erreur passe
est important de répertorier les proces- par la formalisation de procédures
sus liés à chaque activité et de définir relatives aux processus fondamentaux
avec précision les rôles et les respon- de la banque. La définition des procé-
sabilités de chaque intervenant interne dures en tant que telle est insuffisante.

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Les ressources humaines à risque dans le secteur bancaire.


Une application de la gestion des risques opérationnels

Elle doit s’articuler avec la formation La dématérialisation des


des individus en charge de ces pro- compétences humaines
cessus afin de prévenir le risque d’er-
reur. D’autre part, le contrôle des pro- La dématérialisation des activités
cédures doit s’articuler avec un systè- humaines permet de réduire les risques
me de sanctions afin d’inciter les indi- induits par la mobilisation de res-
vidus à les respecter. La Direction des sources humaines, notamment le
Ressources Humaines est impliquée risque d’erreur. La dématérialisation
dans la formation et la Direction de des titres financiers (obligations,
l’Inspection ou le Responsable de actions, …) a permis de réduire le
Conformité des Services d’Investisse- nombre d’incidents dans le traitement
ment (RCSI) dans la seconde. des titres. Cette dématérialisation a
mis à jour de nombreuses erreurs qui
La qualité des ressources humaines avaient été commises lorsque la ges-
influence le risque d’erreur. Dans cette tion de ces titres se réalisait manuelle-
perspective, il convient d’établir un ment. Ainsi, par mégarde, de nom-
diagnostic des compétences sur les breux coupons d’obligations n’avaient
processus critiques pour ensuite définir pas été amenés au paiement. La déma-
un plan de formation permettant de térialisation des titres permet désor-
réduire les risques. En raison de la mais de les gérer automatiquement et
complexité des règles déontologiques d’éviter toute intervention humaine. De
des marchés financiers, un individu même, la gestion informatisée des dos-
peut involontairement se rendre cou- siers de crédit diminue le risque d’er-
pable d’un délit d’initié ou violer son reur humaine, par exemple en refusant
devoir de réserve. C’est le rôle du le déblocage de fonds en cas d’ab-
RCSI de mener des actions de préven- sence d’un document administratif
tion en s’assurant de la mise en place (garantie, traite, …).
d’une politique de formation adaptée
des opérateurs. La transcription des
textes réglementaires, notamment ceux Le risque de malversation
de l’Autorité des Marchés Financiers,
dans les procédures internes doit s’ac-
compagner d’une communication et La nature du risque de
d’une formation auprès des opérateurs malversation
afin de réduire le risque d’erreur.
Le Comité de Bâle (2003, p. 2) identifie
un risque opérationnel lié à la fraude
interne comme, par exemple, «des infor-
mations inexactes sur les positions, un

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Gestion 2000 2 mars - avril 2009

vol commis par un employé et un délit Lorsque l’institution financière est


d’initié d’un employé opérant pour son cotée, l’impact d’une perte opération-
propre compte ». nelle sur la capitalisation boursière est
très important, la baisse de celle-ci
En 1995, l’industrie bancaire a été mar- étant en moyenne estimée à cinq fois
quée par la faillite de la Barings, l’un le montant de la perte constatée
des plus anciens et plus prestigieux éta- (Mahieddine, Feghali & Marquer,
blissement financier britannique, du fait 2006). La gestion de ces effets collaté-
des malversations d’un trader de son raux des malversations constitue un
bureau de Singapour qui a réussi à dis- enjeu important pour les banques dont
simuler des pertes de 860 millions de la réputation est un actif important.
livres sterling (deux fois le capital de la
banque) sur les marchés de dérivés. Ainsi, fin 2002, pour ne pas subir le
Cette dissimulation fut rendue possible sort du cabinet d’audit Arthur
par des manipulations comptables frau- Andersen, qui certifiait les comptes
duleuses et la création de faux docu- financiers d’Enron, et qui a disparu du
ments. fait de son implication dans ce scan-
dale, trois banques : CSFB, Merrill
La révélation publique de malversation Lynch et Citigroup ont accepté de
n’entraîne pas uniquement des pertes payer 1,5 milliards de dollars pour ne
financières, elle peut également entraî- pas être poursuivies par la justice amé-
ner une atteinte à la réputation et corol- ricaine pour avoir publié des études
lairement une dégradation de l’image abusivement élogieuses sur un certain
de la banque, particulièrement lorsque nombre de titres, dont Enron, dans le
les pertes sont significatives. Ainsi, le but d’obtenir des mandats dans des
gérant de fonds américain Putnam, opérations de fusion-acquisition. Ce
après avoir été sanctionné par la SEC règlement rapide leur a permis de ne
pour des pratiques interdites, a perdu plus voir leurs noms publiquement
plusieurs de ses clients et plus de associés à l’affaire.
140 milliards de dollars d’encours.
Au-delà de ces exemples extrêmes
De même, la réputation du CSFB, a été illustrant le risque de malversation
ternie quand l’un de ses plus célèbres induit par la mobilisation de res-
banquiers, F. Quattrone, en charge des sources humaines, les établissements
entreprises de hautes technologies bancaires sont régulièrement victimes
dans la Silicon Valley, a été soupçonné de fraudes internes.
par la SEC d’entrave à la justice.

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Les ressources humaines à risque dans le secteur bancaire.


Une application de la gestion des risques opérationnels

Le management du risque patrimoine. A cet égard, la Société


de malversation Générale est mieux couverte contre le
risque de malversation de ses salariés
Le contrat incitatif par l’actionnariat de ces derniers puis-
qu’en 2005, 6,77% du capital de la
banque est détenu par les salariés
La théorie des incitations (Milgrom & grâce au système de participation
Roberts, 1992) montre que le compor- contre 3,94% à la BNP Paribas.
tement d’un individu dépend du systè-
me d’incitation qui lui est offert. Un
salarié a une probabilité d’autant plus Les procédures
grande d’avoir un comportement mal-
honnête que son contrat salarial l’y Au-delà du système incitatif, et de
incite du fait d’une faible sanction en manière plus traditionnelle, la réduc-
cas de malversation et de moindre tion du risque de malversation passe
espérance de gains en cas de com- par la définition de procédures claires
portement honnête. Légalement, le sys- et par un contrôle rigoureux de leur
tème de sanction est défini par le droit. application. Les établissements finan-
ciers ont une longue tradition en la
Ce dernier, considère la malversation matière. Dans les banques, le départe-
comme un délit pouvant donner lieu à ment de l’Inspection exerce un contrô-
un licenciement mais pouvant égale- le strict sur les règles d’attribution de
ment être poursuivi devant les juridic- crédit, de respect des limites d’enga-
tions pénales. En accroissant les sanc- gement sur les marchés et d’applica-
tions, la récente poursuite de la «crimi- tion des procédures administratives. La
nalité en col blanc » modifie la division du travail vient renforcer ce
logique d’optimisation de salariés ban- contrôle. Ainsi, le dossier de demande
caires qui auraient pu être tenté par de de crédit par une entreprise est certes
quelconques malversations. constitué par un conseiller bancaire
mais la décision d’attribution est le fait
L’actionnariat des salariés constitue un soit d’un comité de crédit, soit d’un ser-
contrat incitatif au comportement hon- vice qui ne rencontre jamais le client.
nête dans la mesure où une malversa- Cette étanchéité organisationnelle
tion nuit à la réputation de la banque entre le gestionnaire de la relation
et par contrecoup à la valeur boursiè- client et l’attributeur du crédit réduit les
re de l’action. Un salarié actionnaire risques de malversation. Enfin, les sys-
est, a priori, moins enclin à avoir un tèmes d’information permettent de
comportement malhonnête qui pourrait réduire ce type de risque de deux
à terme nuire à la valorisation de son manières. D’une part, l’automatisation

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Gestion 2000 2 mars - avril 2009

des procédures rend beaucoup plus Les salariés peuvent entrer en conflit
difficile leur violation et, d’autre part, lorsque l’entreprise est dans une situa-
l’analyse des bases de données per- tion délicate. Ainsi, dans une banque,
met d’identifier plus rapidement des pour avoir une augmentation de rému-
comportements suspects et permet nération, le directeur du service d’émis-
d’orienter plus efficacement les mis- sions d’obligations et son adjoint ont
sions d’inspection. choisi de menacer leur employeur de
partir chez un établissement financier
concurrent au moment où la banque
Le risque de conflit qui les employait avait prévu d’émettre
des obligations. Pour ne pas compro-
mettre son financement, la banque a
La nature du risque de conflit été obligée d’accéder à la requête de
ses salariés (Godechot, 2006).
Le risque de conflit est lié au pouvoir
de négociation et de nuisance des Enfin, un salarié mécontent peut déci-
salariés. Au niveau individuel, la der de nuire à la réputation de son
détention de compétences straté- employeur. Ce fut le cas par exemple,
giques et/ou critiques confère à leur lorsqu’un salarié du CIC Paris a préve-
détenteur un pouvoir de négociation nu le Canard Enchainé, journal sati-
important. Les salariés sont des rique, que M. Noriega, dictateur pa-
acteurs stratégiques qui vont utiliser naméen, détenait un compte dans la
leur pouvoir de négociation pour opti- banque. L’établissement financier a
miser leurs intérêts. Ainsi, dans une subi un coût important en terme de
prestigieuse banque de gestion pri- réputation.
vée, un groupe de gestionnaires de
patrimoine a menacé de quitter l’en- Il existe également un risque de conflit
treprise et d’entraîner avec eux plu- au niveau collectif. Ce pouvoir est
sieurs clients fortunés s’ils ne bénéfi- déterminé par l’organisation du travail
ciaient pas du plan d’attribution de et l’existence d’une identité de groupe.
stock-options de la banque. La Le secteur bancaire, en tant qu’activité
banque croyant que le taux d’inertie de co-production de services est très
des clients était important a rejeté la sensible aux mouvements sociaux.
requête de ses salariés. Ces derniers Nombres d’opérations bancaires ne
ont quitté la banque et plusieurs peuvent pas être différées (opérations
clients les ont suivis, représentant plus de marché, traitement de chèques,
de 300 millions d’euros d’actifs. La virements automatiques) et, même
banque avait malheureusement sur- lorsque ceci est possible, cela risque
évalué l’inertie des clients. d’entraîner ultérieurement des dysfonc-

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Les ressources humaines à risque dans le secteur bancaire.


Une application de la gestion des risques opérationnels

tionnements administratifs et une insa- une prime au titre du passage à l’euro


tisfaction des clients. De plus, des pour éviter les mouvements sociaux.
règles de sécurité imposent un nombre
minimum de salariés pour ouvrir une
agence bancaire. Un nombre limité de
Le management du risque
grévistes peut bloquer l’ouverture d’un de conflit
nombre important d’agences.
La gestion du risque de conflit relève
Le secteur bancaire a connu en 1974 plus de la prévention a priori que de la
une grève importante, notamment au correction a posteriori. Le pouvoir de
Crédit Lyonnais, qui a bloqué les négociation et corollairement le risque
réseaux bancaires pendant plusieurs de conflit et son impact sont liés à l’im-
semaines, occasionnant de ce fait des portance des compétences détenues
pertes importantes pour les banques. par un individu.
Ce mouvement a marqué les directions
bancaires qui sont très sensibles aux A cet égard, la cartographie des com-
impacts liés au risque de conflits et sont pétences stratégiques et spécifiques per-
en général promptes à faire des met d’identifier le pouvoir de négocia-
concessions pour limiter les mouve- tion des individus qui les détiennent et
ments sociaux. Ainsi, en 1999, la rené- de mettre en place des pratiques de
gociation de la convention collective a réduction de ce risque par une politique
donné lieu à une journée de grève qui de rémunération adaptée, une politique
a connu une forte mobilisation le 30 de formation permettant une démultipli-
novembre. Cela a conduit les établisse- cation des compétences et une «déshu-
ments bancaires à accélérer les négo- manisation » des compétences par leur
ciations de la nouvelle convention et à automatisation à travers des systèmes
faire de nombreuses concessions. informatiques. C’est d’ailleurs la réduc-
tion de leur pouvoir de négociation qui
Les syndicats de salariés choisiront des conduit certains salariés à résister à
moments critiques pour les établisse- toute forme de dépossession de leurs
ments bancaires pour faire entendre compétences stratégiques et/ou spéci-
leurs revendications. Ainsi, en décembre fiques induit par l’informatisation des
2001, quelques jours avant le passage activités de gestion de la relation client
à l’euro, les principaux syndicats ont et de fonctionnement de l’entreprise.
revendiqué des augmentations de rému-
nération, accompagné d’un appel à la En matière de conflit collectif, il convient
grève au début de l’année 2002. Fin d’identifier les prémisses signalant la
décembre, de nombreuses banques ont montée de tensions sociales. A cet
accordé des augmentations générales et égard, deux indicateurs sont utiles :

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Gestion 2000 2 mars - avril 2009

Les taux de démission et démotivation par un comportement de


d’absentéisme retrait qui se traduira par un accrois-
sement d’absentéisme.
Les taux de démission et d’absentéis-
me sont des indicateurs du climat A cet égard, l’analyse de la BNP
social dans l’entreprise. L’accroisse- Paribas et la Société Générale montre
ment de ces taux est un indicateur qui que le taux de démission a diminué
signale l’augmentation du risque de entre 2000 et 2003, mais qu’il a
conflit. En effet, un salarié mécontent connu une augmentation lors de ces
peut quitter l’entreprise en démission- deux dernières années, ce qui peut
nant. Cependant, un salarié qui ne être interprété comme une forme de
peut démissionner en raison d’une protestation des salariés, notamment
faible employabilité manifestera sa celui des cadres.

Taux de démission (cadres et techniciens)

2000 2001 2002 2003 2004 2005


Société Générale 1,85% 1,70% 1,45% 1,09% 1,51% 1,75%
BNP Paribas 1,97% 1,88% 1,30% 1,19% 1,30% 1,52%

En revanche, les techniciens qui ont un diminué à la Société Générale, en


niveau d’employabilité plus faible, revanche, il a augmenté à la BNP
exprimeront leur mécontentement par Paribas. Ces tendances peuvent s’in-
un absentéisme important (3 fois plus terpréter comme une diminution du
important que celui des cadres) et mécontentement des salariés de la
moins par la démission. Le nombre de Société Générale et comme un accrois-
jours moyen d’absentéisme tant pour sement de celui des salariés de la BNP
les cadres que pour les techniciens a Paribas.

Absentéisme à la Société Générale (nombre de jours par an)

2000 2001 2002 2003 2004 2005


Absentéisme cadres 5,45 4,03 4,54 4,80 4,93 4,78
Absentéisme Techniciens 13,48 10,50 12,82 13,02 12,15 12,14

Absentéisme à la BNP Paribas (nombre de jours par an)

2000 2001 2002 2003 2004 2005


Absentéisme cadres 4,45 5,00 4,63 5,39 5,14 5,40
Absentéisme Techniciens 11,18 14,64 14,33 14,41 13,39 13,05

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04 Ferrary 2 09 15-04-2009 11:37 Pagina 101

Les ressources humaines à risque dans le secteur bancaire.


Une application de la gestion des risques opérationnels

Observatoire de climat social sociale important en se mettant en


grève. La généralisation des distribu-
Les démissions et l’absentéisme peu- teurs automatiques et des moyens de
vent parfois être considérés comme paiements électroniques (carte bleue)
des indicateurs imprécis du risque de a réduit le pouvoir de négociation des
conflit. Pour affiner l’évaluation de ce guichetiers en diminuant drastique-
risque, certaines entreprises mettent en ment l’impact d’une grève de leur part.
place un observatoire de climat social.
Un observatoire du climat social vise à
partir d’une série de questions réguliè- Conclusion
rement soumises aux salariés à identi-
fier l’évolution des dispositions des Les préconisations des autorités de régu-
salariés afin de détecter et de localiser lation du secteur bancaire suggèrent
le plus rapidement possible les éven- que la gestion du risque opérationnel
tuels mécontentements et mettre en passe par la création d’une cellule
place une politique préventive des dys- dédiée. Cependant, la composition de
fonctionnements sociaux. cette entité «risque opérationnel » peut
fort utilement comprendre des représen-
De plus, les ressources humaines étant tants de la Direction des Ressources
des acteurs stratégiques, elles se met- Humaines et cela pour deux raisons :
tront en grève (ou menaceront de le
faire) lorsque l’entreprise se trouvera 1. Le risque humain est une des com-
en situation critique, notamment dans posantes du risque opérationnel
des phases de changement, car dans qu’il convient d’identifier et de
ce cas leur pouvoir de négociation gérer. Les outils et les pratiques de
s’en trouve accru. Une manière de GRH constituent moyens d’analyse
réduire ce risque peut consister à pré- et des modalités de couverture de
voir un système de prime en cas de ce risque.
réussite d’un changement.
2. La politique de formation est un
Enfin, l’automatisation réduit fortement levier important de la création
le pouvoir de négociation des salariés. d’une culture du risque opération-
Ainsi, dans les années soixante-dix, les nel. Le Comité de Bâle (2003) insis-
guichetiers des banques avaient un te sur la nécessité de créer une cul-
fort pouvoir de négociation car ils ture du risque dans les banques. Le
étaient le seul canal d’obtention de Comité de Bâle entend «par culture
monnaie scripturale (billets et pièces) interne du risque opérationnel l’en-
pour les clients. Les guichetiers pou- semble des valeurs, attitudes, com-
vaient avoir un impact économique et pétences et comportements indivi-

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Gestion 2000 2 mars - avril 2009

duels et collectifs qui déterminent COMITÉ DE BÂLE, 2003, “Saines pratiques pour
la gestion et la surveillance du risque opération-
l’engagement de l’entreprise envers nel”, Banque des Règlements Internationaux.
la gestion du risque opérationnel et
DENIAU, P., RENOUX, E., 2006, «La cartogra-
la façon dont elle gère ce risque »
phie du risque opérationnel : outil réglementai-
(p.1). Cette culture est d’autant plus re ou outil de pilotage ? », Revue d’Economie
importante que le premier niveau Financière, n° 86, p. 16.

de contrôle des risques opération- ECCLES, R., CRANE, D., 1988, “Doing Deals.
nels est le fait des opérateurs ; la Investment Banks at Work”, Harvard Business
School Press, p. 273.
cellule de contrôle n’intervenant
qu’à un deuxième niveau. La créa- GODECHOT, O., 2006, “Hold-up en finance.
tion d’une culture passe par une Les conditions de possibilité des bonus élevés
dans l’industrie financière”, Revue Française de
politique de communication et de Sociologie, 47-2, pp. 341-371.
formation importante auprès de
MAHIEDDINE, Y., FEGHALI, R., MARQUER, Y.,
l’ensemble du personnel des 2006, «Etat d’avancement des banques fran-
banques. çaises en matière de gestion du risque opéra-
tionnel », Revue d’Economie Financière, n° 86,
p. 21.
Plus généralement, percevoir le capital
humain comme un facteur de risque à MANDELBROT, B.,1998, “Fractales, hasard et
finance”, Flammarion, p. 246.
gérer par l’entreprise offre une pers-
pective nouvelle à la gestion des res- MILGROM, P., ROBERTS, J., 1992, “Economics,
organization and Management”, Prentice Hall,
sources humaines. Le capital humain
p. 621.
est souvent géré comme un coût et par-
fois comme une compétence straté- NONAKA, I., 1994, “A dynamic Theory of
Organizational Knowledge Creation”, Organi-
gique. La dimension «risque » appor- zation science, 5, 1, pp. 14-37.
te un troisième angle d’analyse.
ORANGE, M., 2006, “Ces messieurs de chez
Lazard”, Albin Michel, p. 345.

PENNEQUIN, M., 2004, «Problèmes méthodo-


Bibliographie logiques : le risque opérationnel », Revue
d’Economie Financière, n° 84, pp. 1-13.
BARNEY, J., 1991, «Firm Resources and
PENROSE, E., 1959, “The theory of growth of
Sustained Competitive Advantage », Journal of
the firm”, Blackwell, p. 325.
Management, 17 (1), pp. 99-120.
PRAHALAD, C.K., HAMEL, G., 1990, «The core
BECKER, G., 1962, “Investment in Human
competence of the corporation », Harvard
Capital : A Theoretical Analysis”, Journal of
Business Review, May-June, pp. 79-91.
Political Economics, Vol. 70, N° 5, 1962,
pp. 9-49.
WERNERFELT, B., 1984, “A Resource-Based
View of the Firm”, Strategic Management
CAPPELLI, P., 2000, “A market-driven approach
Journal, Vol. 5, pp. 171-181.
to retaining talent”, Harvard Business Review,
Vol. 78, Issue 1, pp. 103-111.

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