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Développer le renseignement en matière de sécurité

publique dans les forces de sécurité intérieure 2


Thierry Delpeuch, Jacqueline Ross

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Thierry Delpeuch, Jacqueline Ross. Développer le renseignement en matière de sécurité publique dans
les forces de sécurité intérieure 2 : L’intelligence-led policing aux Etats-Unis : enseignements pour la
France. 2010. �halshs-00532840�

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Rapport pour la
Délégation à la Prospective et à la Stratégie

DEVELOPPER LE RENSEIGNEMENT EN MATIERE DE


SECURITE PUBLIQUE DANS LES FORCES DE SECURITE
INTERIEURE 2
L’intelligence-led policing aux Etats-Unis : enseignements pour
la France

Thierry Delpeuch
CNRS, Ecole Normale Supérieure de Cachan
et
Jacqueline Ross
University of Illinois College of Law

Projet INTERSECTS de l’Agence Nationale de la Recherche


(INTelligence des Risques touchant à la SECurité dans les Territoires Sensibles)
Août 2010

1
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 3

1 LE DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE-LED POLICING AUX ETATS-


UNIS : LE TOURNANT DU 11 SEPTEMBRE 2001 6

1.1 L’essor de l’intelligence-led policing, conséquence des attentats du 11 septembre 2001 6

1.2 La conception américaine de l’ILP, produit de plusieurs décennies d’évolution au bilan mitigé 8

2 LES STANDARDS AMERICAINS EN MATIERE D’INTELLIGENCE-LED


POLICING, RESULTAT D’UNE DECENNIE DE REFLEXIONS EN VUE
D’AMELIORER LES DOCTRINES D’ACTION DE LA POLICE 9

2.1 Placer l’intelligence au cœur du pilotage de l’action de la police 9


2.1.1 Un effort de diagnostic et de compréhension des problèmes de sécurité comme fondement de l’activité policière 9
2.1.2 La fonction d’intelligence conçue comme une fonction transversale, jouant un rôle d’intégration des différentes parties de
l’organisation 12
2.1.3 L’approche partenariale considérée comme une nécessité pour améliorer l’intelligence de sécurité publique 12
2.1.4 La structuration de la fonction d’intelligence dans les forces de police locales : un poste de responsable, une unité
d’intelligence 13
2.1.4- L’accent placé sur la professionnalisation des porteurs de la fonction d’intelligence 14

2.2 L’intelligence-led policing : continuités et ruptures avec les doctrines antérieures 14


2.2.1- La parenté avec le community policing : exploiter l’insertion locale du Community Oriented Policing Officer 15
2.2.2- La fonction d’intelligence, chaînon manquant de la démarche de problem solving 18
2.2.3- Introduire une dimension qualitative dans les systèmes de compstat 19

3 L’INTELLIGENCE-LED POLICING EN ACTION : LES BONNES PRATIQUES


OBSERVEES DANS QUATRE VILLES AMERICAINES 19

3.1 La plus-value informationnelle apportée par l’intégration entre intelligence-led policing et community
oriented policing : le travail de renseignement des COP officers à Aurora, Illinois 19

3.2 La fonction d’intelligence au service de la réduction de la délinquance : la lutte contre les gangs à
Chicago, Illinois 23

3.3 Les avantages d’une gestion intégrée des différents types d’information : les réunions d’intelligence à
Tampa, Floride 27

3.4 L’organisation et le fonctionnement de l’unité d’intelligence à Norfolk et à Newport News, la


démarche de problem-solving dans ces villes 30

ANNEXE 1 : LES COMPETENCES REQUISES DE LA PART DES PERSONNELS


PARTICIPANT A LA FONCTION D’INTELLIGENCE 35

Les analystes 35

Les responsables de la fonction d’intelligence 38

La formation à l’intelligence des autres personnels des FPL 38

Les institutions délivrant une formation à l’exercice de la fonction d’intelligence 39

ANNEXE 2 : BIBLIOGRAPHIE 40

2
INTRODUCTION
Le présent rapport constitue la deuxième étape du travail de recherche INTERSECTS
portant sur l’INtelligence Territoriale des Risques concernant la SECurité dans les Territoires
Sensibles.
Cette recherche, entamée au début de 2007, a été réalisée en partenariat avec l’Agence
Nationale de la Recherche (programme Concepts, systèmes et outils pour la sécurité globale),
le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), la Délégation à la Prospective et à la
Stratégie (DPS) du Ministère de l’Intérieur, la faculté de droit de l’Université de l’Illinois aux
Etats-Unis (University of Illinois College of Law) et le Groupement d’Intérêt Public Mission
de recherche Droit et Justice.
La recherche a pour objet d’analyser la façon dont les autorités responsables de la sécurité
et de l’ordre public en France1 et aux Etats-Unis se munissent d’informations et de
connaissances relatives aux différents types de risques et de problèmes relatifs à la sécurité, la
tranquillité et l’ordre publics dans les territoires considérés comme sensibles. Elle vise aussi à
étudier les modalités de gestion, de partage inter-organisationnel et d’exploitation
opérationnelle de ces renseignements, informations et connaissances.
Le présent rapport expose les résultats du volet américain de la recherche. Il a pour
but de préparer un séminaire franco-américain qui se tiendra à l’Ecole Nationale Supérieure
de la Police les 29 et 30 septembre 2010.
Plus de 150 entretiens ont été réalisés aux Etats-Unis, au cours de l’année 2010, par
Jacqueline Ross, Professeur de droit pénal à l’Université de l’Illinois et Thierry Delpeuch,
Chargé de recherche en sociologie au CNRS (ISP, École Normale Supérieure de Cachan),
dans 4 sites : Chicago Illinois (2 900 000 hab.), Aurora Illinois (157 000 hab.), Tampa Floride
(342 000 hab.) et Norfolk Virginie (241 000 hab.). Ces villes ont été sélectionnées en raison
des initiatives novatrices qu’elles ont menées à bien dans le domaine de l’ILP. Ce travail
d’enquête sociologique a permis une observation approfondie des pratiques de collecte,
échange et usage des informations au niveau local. Les chercheurs ont ainsi pu identifier et
analyser les stratégies qui permettent aux acteurs américains de la sécurité publique de mieux
comprendre les problèmes auxquels ils sont confrontés afin de concevoir des réponses
efficientes.
Le rapport poursuit un double objectif :
- Rendre compte de l’état des réflexions menées aux Etats-Unis sur la doctrine de
police dite intelligence-led policing (police guidée par la fonction d’ « intelligence » de
sécurité publique, ILP), qui est désormais l’axe de progrès soutenu par les autorités
fédérales.
- Présenter une série de bonnes pratiques en matière d’intelligence de sécurité
publique développées dans les villes américaines où les chercheurs ont effectué un travail
de terrain.

1
Les conclusions de la partie française d’INTERSECTS ont été présentées dans le rapport intitulé :
« Développer le renseignement en matière de sécurité publique dans les forces de sécurité intérieure. Etude des
besoins dans le domaine du renseignement et de son analyse », diffusé par la DPS en 2009.

3
Définition de l’intelligence-led policing : une nouvelle doctrine d’action pour la police
dans les pays anglo-saxons

Les travaux consacrés à l’ILP connaissent actuellement un essor considérable dans les
pays anglo-saxons mais sont pratiquement inconnus en France. Apparue en Grande-Bretagne
au milieu des années 1990, l’ILP a abouti, dans ce pays, à la mise en place d’un National
Intelligence Model en 2004, dotant le système policier britannique d’une fonction
d’intelligence de sécurité publique particulièrement développée. Elle ne s’est diffusée aux
Etats-Unis que dans un second temps, suite à la prise de conscience suscitée par les attentats
du 11 septembre 2001.
Ces travaux visent à promouvoir le développement des activités de renseignement et
d’analyse dans le pilotage de l’activité policière et la conduite des politiques locales de
sécurité mobilisant par les réseaux et dispositifs partenariaux.
Ces travaux mettent en lumière les bénéfices que les forces de police – et, au-delà,
l’ensemble des acteurs locaux de la sécurité – peuvent retirer des réformes visant à
renforcer la place et le rôle des outils et systèmes d’intelligence de sécurité publique. Ils
apportent aux décideurs des solutions pour les aider à mettre en place de tels changements.
Le modèle de la « police guidée par l’intelligence » s’inscrit dans la suite des trois grandes
doctrines de réforme de l’activité policière qui ont été développées dans les pays anglo-saxons
au cours des deux dernières décennies : le community policing, le problem-solving policing et
l’intelligence-led policing.
L’émergence de ces nouveaux modèles de police est la conséquence de la prise de
conscience, au cours des années 1980, de l’efficacité insuffisante des méthodes
traditionnelles de lutte contre la délinquance.
Dans le même temps, des recherches criminologiques ont montré qu’une proportion
importante du volume de la délinquance est le fait d’un nombre réduit d’auteurs d’infractions
particulièrement actifs. De nombreux travaux ont estimé que la neutralisation de ces
« délinquants prolifiques », ainsi que la surveillance accrue des « points chauds » où leur
activité se concentre, constituent la seule manière, pour les forces de police, de faire baisser
significativement les taux de criminalité.
Il en a été conclu que renforcer les moyens d’intelligence des forces de police pouvait
permettre à celles-ci de repérer et de sélectionner les meilleures cibles, c’est-à-dire celles
offrant les meilleures perspectives de « rentabiliser » les ressources investies dans la mise en
œuvre de contre-mesures.
En outre, les technologies de l’information et de la communication ont pris une place
grandissante dans l’arsenal des moyens d’action de la police, accroissant considérablement les
possibilités de stockage, de traitement et de dissémination des renseignements portant sur les
activités répréhensibles et sur les conditions sociales qui les favorisent. Les responsables des
services de police sont désormais confrontés à une surcharge d’informations, ce qui
accroît l’importance des activités de hiérarchisation, d’analyse et de restitution sous une
forme exploitable des données et des connaissances relatives aux infractions et aux
désordres, tant actuels que potentiels.
L’ILP se propose désormais d’amener les organisations policières à rationaliser
l’usage de leurs ressources limitées, dans un contexte marqué tout à la fois par
l’explosion de la demande de sécurité et les restrictions budgétaires, en concentrant leur
attention et leurs moyens d’intervention sur les personnes, les catégories de population, les

4
lieux géographiques et les moments de la vie sociale identifiés comme présentant un niveau
de risque suffisamment élevé pour mériter une attention prioritaire.
Les acteurs de la sécurité sont appelés à évoluer vers une gestion managériale et
stratégique de l’insécurité, caractérisée par la recherche active de renseignements et le souci
d’analyser scientifiquement les problèmes et les risques, ainsi que par la recherche du
meilleur rapport coûts-avantages des mesures opérationnelles mises en œuvre pour y
répondre.
L’ILP vise à instituer un usage plus large et plus diversifié du renseignement de
sécurité publique, traditionnellement cantonné au cadre des enquêtes criminelles, de la
surveillance des populations à risque et de la détection des menaces contre les institutions
publiques. Les systèmes d’intelligence doivent également servir à planifier et à
coordonner les opérations des forces de police, à en évaluer les résultats, à déterminer
les priorités d’action et l’affectation des ressources dans les appareils policiers, ainsi
qu’à alimenter en données tout un ensemble d’acteurs non policiers de la sphère de la
sécurité (autorités politiques nationales, collectivités locales, appareil judiciaire, services
sociaux, compagnies d’assurance, gestionnaires de centres commerciaux…).
L’interprétation et l’exploitation des données et des analyses produites par les systèmes
d’intelligence de sécurité publique sont orientées vers une finalité bien précise : offrir aux
unités opérationnelles et aux gestionnaires une compréhension pragmatique d’une
situation ou d’un problème criminel qui doit être transposable en moyens d’action.
L’observation des expériences en matière d’ILP dans plusieurs villes américaines :
une source d’enseignements pour les acteurs de la sécurité intérieure français ?

Ces bonnes pratiques observées aux Etats-Unis ont-elles un intérêt autre qu’intellectuel
pour les FSI françaises ? Peut-on en tirer certains enseignements utiles en dépit des
importantes différences institutionnelles et organisationnelles qui séparent les systèmes
policiers, judiciaires et administratifs des deux pays ?
Les Etats-Unis se distinguent notamment de la France par leur mode communautaire
d’organisation sociale et spatiale, la tutelle locale sur les forces de police en charge de la
tranquillité et de la sécurité publiques, la répartition très différente des tâches et des
compétences entre les agences de renseignement et les corps de police.
Aux Etats-Unis, l’exercice des missions de maintien de l’ordre, de la sécurité et de la
tranquillité publiques est éclaté entre 18 000 agences policières placées sous la tutelle de
différents niveaux de gouvernement : les villes (police department) et comtés (sheriff office),
les Etats fédérés (state police) et le gouvernement fédéral (agences fédérales telles que le
Federal Bureau of Investigation, FBI, la Drug Enforcement Administration, DEA, le Bureau
of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives, ATF, l’Immigration and Customs
Enforcement, ICE, la Transportation Security Administration, TSA).
En conséquence de cette fragmentation du système policier américain, la coordination tant
verticale – entre les agences locales, étatiques et fédérales – qu’horizontale – entre juridictions
territoriales proches ou éloignées – est nécessairement problématique. C’est pourquoi une
grande partie des réflexions américaines sur le développement de la fonction d’intelligence
dans les forces de sécurité intérieure est consacrée à l’amélioration du partage des
renseignements entre les agences policières. Ce débat ne présente qu’un intérêt mineur pour
les FSI françaises, dans lesquelles le problème de la circulation des informations se pose avec
une acuité moindre.

5
En revanche, les forces de police locales américaines doivent faire face à des
problèmes de désordres et de délinquance qui sont très similaires à ceux rencontrés par
la police et la gendarmerie françaises.
Pour y répondre, les policiers américains mobilisent des savoirs, savoir-faire et outils
professionnels qui sont pratiquement les mêmes que ceux employés par leurs homologues
français. Si l’on s’intéresse d’abord aux aspects stratégiques, tactiques et opérationnels de
l’action policière, on est bien obligé de constater que les expériences américaines n’ont rien
d’exotique par rapport aux expériences françaises et que certaines solutions ou innovations
valables dans le contexte américain pourraient l’être tout autant dans le contexte français à
condition, bien évidemment, de ne reprendre que les éléments pertinents et de procéder aux
adaptations nécessaires.
Tel est l’esprit qui a animé les rédacteurs du présent rapport : l’accent a délibérément été
placé sur les standards et pratiques professionnels qui, parce qu’ils sont comparables,
peuvent éventuellement constituer une source d’inspiration dans les réflexions
françaises sur l’amélioration de l’intelligence de sécurité publique.

1 LE DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE-LED POLICING AUX ETATS-


UNIS : LE TOURNANT DU 11 SEPTEMBRE 2001

1.1 L’essor de l’intelligence-led policing, conséquence des attentats du 11


septembre 2001

Le choc provoqué par les attentats du 11 septembre 2001 a placé le renforcement des
capacités d’intelligence des forces de police au sommet des priorités de la politique
nationale de sécurité. Les explications les plus courantes qui ont été avancées pour expliquer
l’impuissance des agences de police et de renseignement américaines à prévenir l’attaque
renvoient au déficit de circulation des informations entre les acteurs de la sécurité, ainsi qu’à
leur inaptitude à interpréter correctement les signaux captés.
Les commissions d’enquête mises en place pour tirer les leçons de la catastrophe ont
estimé que les forces de police locales auraient du, du fait de leur proximité avec la
population, jouer un rôle beaucoup plus important dans la détection et le contrôle des formes
graves de criminalité.
Ainsi, depuis le 11 septembre, il est considéré comme essentiel d’accroître l’aptitude des
agences policières étatiques et municipales à recueillir des renseignements, à les partager avec
les autres forces de police, ainsi qu’à en produire une analyse exploitable.
Toutefois, les forces de police locales (FPL) américaines ont affirmé leur opposition à une
réforme du renseignement dont le contenu serait entièrement déterminé par l’agenda
sécuritaire du gouvernement fédéral, focalisé sur la lutte contre le terrorisme et la criminalité
transnationale, ainsi que sur l’endiguement de l’immigration illégale. Elles ont refusé de
mettre en place des changements ayant pour seul objectif d’améliorer la capacité
d’intelligence des agences fédérales. Les FPL ont réclamé que la transformation des
systèmes d’intelligence soit aussi mise au service du traitement des problèmes
prioritaires pour les populations et les autorités locales : les formes les plus inquiétantes
ou répandues de délinquances, telles que les violences impliquant les gangs, les agressions,
les cambriolages, les vols de voitures …

6
Un mode de pilotage susceptible d’améliorer les performances policières quel que
soit le type de missions a ainsi été introduit dans les forces de police américaines depuis
2002, l’intelligence-led policing :
- Pour la première fois, la généralisation des dispositifs d’intelligence, leur
uniformisation et leur interconnexion sont officiellement reconnues comme des
conditions nécessaires à l’accroissement des performances des forces de police et à
l’amélioration de la sécurité des citoyens (IACP, 2002, p.i).
- Un effort de standardisation, à l’échelle du pays, des équipements, règles,
procédures, méthodes de travail et cadres d’analyse est jugé indispensable.
- Cet effort national cherche toutefois à composer avec la volonté des FPL de
préserver leur autonomie vis-à-vis des gouvernements étatiques et fédéral : il est
conçu comme devant être « nationally coordinated but locally driven » (IACP,
2002, p.ii).
En 2003, un plan pour le partage de l’intelligence criminelle (National Criminal
Information Sharing Plan, NCISP) a reçu l’approbation des principales autorités américaines
dans le domaine de la sécurité : US Department of Justice, Department of Homeland
Security… Un Criminal Intelligence Coordinating Council a été mis en place par le Procureur
Général des Etats-Unis (U.S. Attorney General) pour assurer le suivi de la mise en œuvre du
NCISP et poursuivre l’élaboration de normes de qualité.
Le NCISP propose aux forces de police locales un ensemble de recommandations portant
sur le développement de leurs dispositifs et pratiques en matière de renseignement et
d’analyse. Il vise à impulser une convergence des modes d’organisation et de fonctionnement
de la fonction d’intelligence, ainsi qu’une mise en compatibilité des technologies employées :
modernisation des équipements, amélioration de la formation professionnelle, généralisation
des bonnes pratiques, partage d’informations à grande échelle entre les agences policières de
différents niveaux.
Plusieurs organisations professionnelles2 ont, dans le prolongement du NCISP, élaboré des
guides d’action destinés aux responsables locaux pour les aider à développer la fonction
d’intelligence au sein de leur organisation.
Les principaux bailleurs de fonds fédéraux dédiés au développement des forces de police
locales (US Department of Justice, US Department of Homeland Security…) disposent d’un
levier pour assurer la promotion des nouvelles organisations : ils exigent, comme condition à
l’attribution de subventions d’aide à la modernisation, que le demandeur fasse état d’un projet
de développement de sa fonction d’intelligence.
Le renforcement de leur dispositif de renseignement est également, pour les dirigeants
d’agence policière locale, un enjeu de réputation professionnelle : la très influente
International Association of Police Chiefs a fait de la diffusion de l’intelligence-led policing
l’un de ses principaux chevaux de bataille.

2
Parmi lesquelles l’International Association of Police Chiefs (IACP, principale organisation professionnelle des
commissaires de police américains), le Police Executive Research Forum, la International Association of Law
Enforcement Intelligence Analysts, le Global Intelligence Working Group, l’Office of Community Oriented
Policing Services (COPS) et le Bureau of Justice Assistance (BJA) du US Department of Justice (Ministère
fédéral de la Justice).

7
En conséquence de cet effort national, l’intelligence-led policing s’est imposé comme un
référentiel d’action très largement reconnu par les polices d’Etat et les départements de police
des grandes villes, même si le niveau réel de mise en œuvre reste variable selon les territoires.

1.2 La conception américaine de l’ILP, produit de plusieurs décennies


d’évolution au bilan mitigé

Les premières initiatives nationales visant à pousser les forces de police locales (FPL) à se
doter de dispositifs spécifiquement dévolus à l’intelligence de sécurité publique ont vu le jour
à la fin des années 1970 dans le but de combattre les formes organisées de criminalité telles
que les mafias.
Cette volonté nouvelle d’améliorer la qualité des informations et des analyses servant au
pilotage de l’action policière apparaît dans le contexte de très forte hausse de la
délinquance à partir début des années 1960 : l’insécurité grandissante provoque une prise
de conscience des limites du modèle traditionnel de police réactive, dans lequel l’essentiel de
l’action policière consiste à enquêter sur les crimes et délits déjà commis, à répondre aux
appels d’urgence émanant de la population, à déployer des patrouilles en uniforme dans les
rues et à mettre en place des dispositifs de maintien de l’ordre.
Dès cette époque, il est affirmé que la police doit rationnaliser son activité : apprendre
à hiérarchiser les problèmes selon leur degré d’urgence et de gravité ; prendre l’habitude de
concentrer ses moyens d’intervention sur les menaces prioritaires afin de maximiser l’impact
des opérations ; s’attaquer proactivement aux causes des problèmes plutôt que traiter
réactivement, au coup par coup, les symptômes. Ces nouvelles approches avaient déjà en
commun de nécessiter un renforcement du renseignement de sécurité publique.
Dans l’ensemble, ces recommandations n’ont guère été appliquées par les FPL. Le
souvenir des scandales provoqués par les abus du maccarthisme a dissuadé de très
nombreuses forces de créer des unités pouvant être apparentées à une police politique. Ce en
dépit de l’adoption, à partir de 1976, de normes de plus en plus contraignantes visant à obliger
les systèmes d’intelligence à respecter la vie privée et les libertés civiles des citoyens, et
limitant la collecte et la conservation des informations portant sur un individu à celles ayant
un lien avec une infraction avérée (criminal predicate).3
Avant les années 2000, le rôle des unités d’intelligence dans la plupart des FPL, à
l’exception des services de police de certaines grandes villes, se limitait à gérer la
compilation, le stockage et la diffusion interne de renseignements bruts, ainsi qu’à
s’occuper de l’accès aux bases de données régionales, étatiques et nationales, voire en était
réduit à la compilation de chiffres destinés à illustrer les bilans d’activité.
Ces unités s’apparentaient davantage à des services d’identité judiciaire français qu’à des
unités d’intelligence au véritable sens du terme. Dans leur très grande majorité, les personnels
d’encadrement ne voyaient pas l’utilité de renforcer la fonction d’intelligence. Les savoir-
faires des rares analystes y travaillant étaient généralement rudimentaires.

3
Le principal règlement en la matière, le « 28 CFR Part 23 » (Code of Federal Regulation), a été édicté en 1980
pour accompagner le mouvement de création, dans plusieurs Etats, de Regional Information Sharing System
centers (RISS centers, ancêtres des actuels Fusion Centers, instaurés par le Congrès américain en 1974 pour
donner la possibilité aux FPL d’échanger les informations nécessaires à la lutte contre les formes itinérantes de
délinquance) et de Regional Information Sharing System secure intranet (ou RISSnet, l’équivalent des fichiers
de casier judiciaire français.

8
Au niveau des services opérationnels, la collecte des renseignements était effectuée en
fonction des besoins immédiats, liés aux enquêtes en cours. Aucune planification à moyen
terme du recueil d’information en fonction des problèmes jugés prioritaires n’était envisagée.
Les informations recueillies n’étaient guère exploitées pour suivre l’évolution des modes
d’action des délinquants ou pour appréhender les causes des problèmes de sécurité et, partant
de là, pour produire des connaissances nécessaires à la conception de stratégies proactives
d’anticipation, prévention ou réduction des risques (Carter, 2007, p.234).
Néanmoins, à partir des années 1970, une doctrine en matière d’intelligence de
sécurité publique (le terme employé aux Etats-Unis est law enforcement intelligence) est
progressivement constituée, grâce aux criminologues universitaires, à certaines initiatives
fédérales et à l’action d’organisations professionnelles.
Des instruments, techniques et méthodes de plus en plus sophistiqués sont développés
dans les domaines du traitement et de l’analyse de l’information policière, en particulier les
dispositifs de CompStat (analyse des statistiques de la délinquance à des fins de pilotage de
l’action policière).
Enfin, on a assisté, au cours des années 1990, à un mouvement de
professionnalisation des personnels spécialisés dans la fonction d’intelligence. Plusieurs
programmes et centres fédéraux dédiés au renforcement du renseignement ont été créés pour
renforcer la lutte contre certaines formes graves de criminalité, dans le contexte de la politique
de « guerre contre les drogues » entamée au milieu des années 19804. Ces initiatives ont
contribué à propager progressivement l’idée selon laquelle il est préférable de procéder à un
examen approfondi de la menace (threat assessment) avant de mettre au point une stratégie de
réponse (Loyka et alii, 2005, p.22).

2 LES STANDARDS AMERICAINS EN MATIERE D’INTELLIGENCE-LED


POLICING, RESULTAT D’UNE DECENNIE DE REFLEXIONS EN VUE D’AMELIORER
LES DOCTRINES D’ACTION DE LA POLICE

2.1 Placer l’intelligence au cœur du pilotage de l’action de la police

2.1.1 Un effort de diagnostic et de compréhension des problèmes de sécurité comme


fondement de l’activité policière

La finalité assignée à la fonction d’intelligence est de conférer aux forces de police des
capacités d’anticipation des crises, délits et désordres, afin quelles soient en mesure de mettre
au point des stratégies préventives ou proactives visant à éliminer les menaces et à réduire les
risques.
La fonction d’intelligence doit assurer la détection et le suivi de tous les facteurs
d’insécurité présents sur le territoire, afin d’empêcher que la police ne focalise son attention
sur un nombre limité de problèmes au détriment d’autres difficultés tout aussi préjudiciables à
la population (IACP, 2010, p.5).

4
National Drug Intelligence Center (NDIC), Financial Crime Enforcement Network (FinCEN), High Intensity
Drud Trafficking Areas system (HIDTAs), Law Enforcement Online (un site Internet de partage de
renseignements criminels créée par le FBI en 1995).

9
Les agences policières sont poussées à faire un usage plus efficient de leurs ressources, à
inventer des stratégies d’action permettant une meilleure prise en charge des problèmes et une
adaptation plus rapide à leur évolution, à contrôler de façon plus ciblée les individus
(délinquants prolifiques), groupes et lieux à risques (hot spots), ainsi qu’à accroître leurs
capacités de prévention et d’élucidation des crimes et délits (IALEIA, 2005, p.3, USDOJ,
2009, p.4).
Le développement d’une fonction d’intelligence n’est pas présenté comme entraînant des
coûts supplémentaires pour l’organisation, mais au contraire comme un moyen d’accroître les
performances de réduction de l’insécurité tout en économisant les ressources disponibles.
(USDOJ, 2009, p.15).
Comme le souligne Jerry Ratcliffe, la doctrine de l’ILP invite les forces de police à
dépasser une conception étroite et réactive du renseignement de sécurité publique,
caractérisée par la prédominance des informations judiciaires récoltées après la commission
des infractions. Elle propose une conception globale et proactive, qui vise à traiter le plus
large éventail possible de sources d’informations afin de permettre à la police d’avoir
une action préventive et stratégique (2008, p.8).
L’ILP a non seulement pour ambition d’accroître la qualité des informations mises à la
disposition des décideurs, mais aussi d’augmenter l’aptitude de ceux-ci à utiliser les analyses
élaborées à leur intention. Il s’agit de faire émerger une culture de l’exploitation des produits
de la fonction d’intelligence au sein du personnel d’encadrement (USDOJ, 2009, p.9). Il est
aussi préconisé aux FPL de développer une culture de programme dans la durée en consignant
par écrit les orientations de leurs politiques et stratégies, ainsi que de concevoir des plans
d’action en vue de moderniser leur dispositif.

10
La définition américaine de l’intelligence de sécurité publique

Dans la littérature américaine consacrée à l’ILP, l’ « intelligence de sécurité publique » (law


enforcement intelligence) est définie comme un processus qui consiste :
- à vérifier, corroborer et évaluer des informations de diverses natures, recueillies auprès
de différentes sources,
- puis à mettre en œuvre une méthode d’analyse en vue de déceler et d’interpréter les
liens existant entre certaines de ces informations,
- pour produire des constats et des explications permettant aux acteurs de la sécurité
d’avoir une meilleure compréhension des problèmes qu’ils ont à traiter.
Il s’agit de porter à la connaissance des personnes chargées de concevoir ou de mettre en
œuvre les politiques locales de sécurité les éléments dont ils ont besoin pour appréhender un
phénomène ou une situation dans sa globalité et sa complexité : éclaircissements sur les causes
du problème, ses conséquences actuelles et potentielles, son évolution probable dans le futur,
l’éventail des solutions possibles, ce que l’on peut raisonnablement attendre de chacune d’entre
elles.
- Le fonctionnement du système de law enforcement intelligence dans la police est décrit
comme un processus à six étapes :
- le management et la planification de la fonction d’intelligence : définition des priorités et
des procédures de travail, consultation des managers et des utilisateurs finaux pour
déterminer leurs besoins en renseignement ;
- le recueil des renseignements auprès de sources fermées et ouvertes ;
- la sélection, le traitement et la compilation des informations, au cours de laquelle les
niveaux de qualité et de sensibilité de chacune d’entre elles font l’objet d’une estimation ;
- l’analyse, qui repère les déficits informationnels et confère une signification aux
informations brutes en les transformant en « produits de la fonction d’intelligence »
(intelligence products) ;
- la diffusion des renseignements ;
- le recueil de feedback de la part des utilisateurs finaux des renseignements et
l’évaluation des résultats des activités d’intelligence.
L’analyse est la composante centrale de la fonction d’intelligence. Elle doit guider
l’ensemble des processus organisationnels relatifs au cycle du renseignement : orientation, pilotage
de la collecte des informations.

11
2.1.2 La fonction d’intelligence conçue comme une fonction transversale, jouant un
rôle d’intégration des différentes parties de l’organisation

Selon l’approche américaine en matière d’ILP, la fonction d’intelligence doit intégrer tous
les types d’informations nécessaires au pilotage des diverses missions de la police : les
renseignements recueillis par les policiers, de nature judiciaire, de sécurité publique ou
d’ordre public, les informations produites par d’autres institutions, telles que les données
démographiques, économiques et sociales, les informations contenues dans les médias, les
renseignements transmis par les partenaires (Loyka et alii, 2005, p.20).
Les séparations étanches entre ces différentes formes de renseignement sont
présentées comme contreproductives : les forces de police sont exhortées à mettre en place
un système unifié de law enforcement intelligence auquel toutes les composantes de
l’organisation doivent participer à un titre ou à un autre (Carter, 2004, p.2, p.95).
La production d’intelligence, placée sous l’autorité directe du chef de la force de police
et faisant l’objet d’un pilotage spécifique, doit être l’affaire de toute l’organisation et pas
seulement d’un service ou de certaines unités spécialisées en son sein.
L’accélération des flux de circulation d’informations est jugée primordiale dans la mesure
où la valeur opérationnelle des renseignements et des analyses a tendance à diminuer
rapidement au cours du temps.
La mise en place d’une démarche d’ILP dans une force de police doit être fondée sur une
évaluation préalable des besoins propres de la police locale et de ceux de ses partenaires
locaux en matière d’informations à travers notamment des consultations et des concertations
avec les utilisateurs de renseignements. Elle doit aussi être précédée par le recensement des
diverses sources d’informations auxquelles la force de police a effectivement accès. Un tel
diagnostic préalable a pour but d’indiquer aux responsables quels nouveaux moyens
d’obtention des renseignements ils doivent développer (connexion à de nouvelles bases de
données, inclusion de nouveaux partenaires dans le réseau d’échange de connaissances, mise
en œuvre de nouvelles techniques de recueil…).
2.1.3 L’approche partenariale considérée comme une nécessité pour améliorer
l’intelligence de sécurité publique

Les forces de police sont encouragées à développer des politiques externes de partage
des informations et des analyses avec les institutions tierces dont l’action participe au
maintien de la sécurité et de l’ordre publics. Ces échanges partenariaux sont présentés comme
une condition d’efficience et d’efficacité des politiques locales de sécurité.
La définition et la mise en œuvre de la stratégie de renseignement doivent, dans la
mesure du possible, associer les autres agences policières et les acteurs locaux non
policiers avec lesquels il est utile de partager des informations : pompiers, hôpitaux,
services sanitaires et sociaux, établissements d’enseignement, transports en commun,
gestionnaires de réseaux urbains, commerçants, entreprises privées, sociétés de sécurité privée
(USDOJ, 2009, p.10) mais aussi associations de quartier, mouvements citoyens, organisations
religieuses, anciens agents publics, enseignants et élèves, couches de la population les plus
affectées par le sentiment d’insécurité.
Cette politique de partenariat informationnel doit préciser, dans un document écrit, le
contenu et les modalités des échanges de renseignements et d’analyses : fréquence,
restrictions, exigences de confidentialité, degré de détail, points de contact, outils de
communication, format, etc.

12
Il est recommandé de mettre en place des unités chargées de conduire des actions de
communication adaptées aux spécificités, attentes et intérêts de chaque groupe, afin de
convaincre le plus d’habitants possible de contribuer au recueil d’informations. De telles
opérations de sensibilisation doivent être l’occasion, pour la police, d’expliquer aux citoyens
qui manifestent l’intention de la soutenir comment les renseignements sont traités et utilisés
par l’organisation, ainsi que les précautions qui sont prises pour garantir le respect des libertés
fondamentales et celui de la déontologie policière.
L’éclairage de la police sur les problèmes et la démonstration du bien fondé des solutions
proposées par elle visent aussi à renforcer l’influence de la police dans les arènes
d’élaboration des politiques locales de sécurité.
Chaque partenaire doit disposer d’un référent au sein de la police, auquel il puisse faire
part de ses besoins d’informations, signalement de faits suspects, plaintes et demandes
d’intervention. Les organisations qui collaborent avec la police au niveau local doivent
connaître l’unité d’intelligence. Celle-ci ne doit pas opérer dans l’ombre, mais au contraire
être identifiée comme l’orchestratrice de la circulation des renseignements au sein des
partenariats locaux.
Certaines FPL ont mis en place une adresse électronique, un site Internet ou encore un
numéro de téléphone que les habitants peuvent contacter quand ils veulent donner un
renseignement ou rapporter un événement suspect à la police.
Le rôle d’aide aux partenaires extérieurs implique, de la part des unités d’intelligence, de
s’équiper d’outils, procédures et savoir-faire spécifiques pour être en mesure de communiquer
des messages tout à la fois compréhensibles, véritablement utiles (principe du need to know)
et ne constituant pas des atteintes aux libertés fondamentales des citoyens (principe du right to
know) (Loyka et alii, 2005, p.29, p.34).
2.1.4 La structuration de la fonction d’intelligence dans les forces de police locales :
un poste de responsable, une unité d’intelligence

Il est recommandé à chaque FPL de désigner en son sein un responsable de la gestion,


animation et coordination de la fonction d’intelligence, placé sous l’autorité directe du
chef de la FPL et faisant partie de l’état-major. Il supervise le traitement, la diffusion et
l’analyse des renseignements à l’intérieur de la police. Il assure lui-même l’analyse
stratégique - c’est-à-dire l’analyse à des fins de conception des politiques locales de sécurité -
et être reconnu comme l’un des principaux conseillers du chef dans ce domaine. Il est le relais
des doctrines et standards nationaux.
Le responsable de la fonction d’intelligence doit être assisté, si les ressources de la FPL
le permettent, par une unité spécialisée ou, dans le cas des organisations de petite taille
(moins de 75 policiers selon l’IALEIA), par un ou plusieurs personnels qualifiés. L’IALEIA
estime qu’une FPL doit disposer au minimum d’un analyste pour 12 enquêteurs.
L’unité d’intelligence doit être un véritable outil d’aide à la décision pour les
personnels exerçant une autorité managériale et stratégique (dirigeants), tactique (chefs de
service) ou opérationnelle (responsables d’enquêtes criminelles), ce qui implique la présence
et l’emploi effectif de personnels d’analyse (USDOJ, 2005, p.4). L’unité d’intelligence ne doit
pas être conçue comme une simple plateforme de traitement et d’échange d’informations, ni
comme un bureau de traitement des données sur l’activité des services de police.
Cette unité doit avoir la capacité d’effectuer ou de coordonner toutes les opérations qui
composent le cycle du renseignement : planification et recueil ; traitement, analyse et
dissémination interne et externe ; suivi de l’exploitation par les utilisateurs finaux. Elle

13
rappelle constamment aux différents services opérationnels qu’ils doivent contribuer à la mise
en œuvre des priorités et plans d’action en matière de renseignement tels que ceux-ci ont été
définis par le chef et son état-major. Cette unité doit également relayer auprès du sommet de
l’organisation les besoins de renseignement manifestés par les différentes composantes de
l’organisation. Elle élabore des plans internes et externes de diffusion des informations
(IALEIA, 2004, p.25). Elle édite un bulletin d’information interne.
Dans la mesure où l’une des missions de l’unité d’intelligence consiste à mettre en
évidence l’apparition de nouveaux problèmes et de nouvelles formes de criminalité, celle-ci
contribue à l’évaluation des besoins de formation des personnels opérationnels, ainsi qu’à
l’élaboration des demandes de moyens et des projets d’investissement.
L’unité d’intelligence et ses membres doivent faire l’objet d’évaluations régulières en
fonction de critères spécifiques, tels que la qualité des informations, des interprétations et
des recommandations contenues dans les bulletins et rapports produits par l’unité. La doctrine
est favorable à une évaluation interne fondée en partie sur le jugement par les pairs et sur la
satisfaction des utilisateurs finaux plutôt qu’à une évaluation strictement hiérarchique, afin de
limiter l’influence des idées prévalant au sommet de l’organisation sur les réflexions
conduites par les analystes.
2.1.4 L’accent placé sur la professionnalisation des porteurs de la fonction
d’intelligence

Les rapports consacrés au développement de l’ILP aux Etats-Unis font le constat d’un
déficit de formation tant chez les analystes que chez les cadres chargés de superviser la mise
en œuvre de la fonction d’intelligence.
La dimension humaine des processus de la fonction d’intelligence est vue comme
primordiale, même si des instruments technologiques de plus en plus sophistiqués sont mis à
disposition des personnels :
• Le perfectionnement des pratiques de collecte de renseignements par le biais des
contacts directs avec les destinataires de l’action policière, ainsi que la
professionnalisation des analystes, sont présentés comme la première condition
pour améliorer l’intelligence dans les forces de police.
• Les investissements technologiques ne sauraient, dans l’esprit des promoteurs de
l’ILP, tenir lieu de substitut à l’accroissement des capacités humaines de recueil
et d’analyse des informations (USDOJ, 2005, p.3).
En 2007, le US Department of Justice a publié des standards minimaux en matière de
formation des policiers aux différents aspects de la fonction d’intelligence, à savoir les
analystes (intelligence analysts), les superviseurs de la fonction d’intelligence (intelligence
manager), les dirigeants de force de police et, enfin, les personnels des services
opérationnels, dont l’une des tâches consiste à collecter et faire remonter des renseignements,
et qui doivent également exploiter les résultats du travail effectué par les analystes. Ces
normes professionnelles sont présentées en détail en annexe du présent rapport.

2.2 L’intelligence-led policing : continuités et ruptures avec les doctrines


antérieures

Les changements actuellement prônés pour renforcer le renseignement de sécurité


publique reprennent à leur compte un certain nombre d’acquis des approches développées

14
depuis les années 1980, en particulier les initiatives en matière de community policing, de
problem-solving policing et de compstat (IACP, 2002, p.1).
Cette nouvelle doctrine s’inscrit dans le prolongement des réformes précédentes,
mais a l’ambition de tirer les leçons des écueils rencontrés par ces politiques (USDOJ,
2009, p.7) :
- la perte de vue du cœur de métier de la police et la dispersion des moyens dans la prise
en charge d’une gamme trop large de problèmes dans le cas du community policing ;
- la confiance excessive dans la capacité des personnels de base à concevoir, impulser et
coordonner les stratégies de réponse aux problèmes locaux dans le cas du problem-solving
policing
- et les effets pervers d’une évaluation uniquement quantitative de l’action policière dans
le cas des systèmes de compstat.

2.2.1 La parenté avec le community policing : exploiter l’insertion locale du


Community Oriented Policing Officer

Du modèle de community policing, de nombreux principes sont conservés :


Tout d’abord, l’ILP admet l’importance de restaurer des relations de proximité et de
confiance entre la police et les populations des territoires où elle est le plus souvent
appelée à intervenir. L’acquisition, par les policiers dont le travail implique des contacts
fréquents avec habitants des quartiers sensibles, d’un capital élevé de légitimité sociale, est
vue comme une condition pour collecter davantage de renseignements ayant une valeur
opérationnelle (IACP, 2002, p.2, Loyka et alii, 2005, p.18, USDOJ, 2009, p.10).
Ensuite, l’ILP conserve du community policing la volonté de conférer une plus grande
autonomie de décision, en même temps qu’une plus grande responsabilité, aux échelons
inférieurs de l’organisation policière (décentralisation organisationnelle).
Toutefois, l’ILP place l’accent sur le rôle de la hiérarchie intermédiaire
contrairement au community policing, qui veut faire du patrouilleur en uniforme l’acteur
central de la lutte contre l’insécurité au niveau micro-local. L’ILP reconnaît que la fonction
d’intelligence ne saurait se passer de patrouilleurs ayant une connaissance intime des
territoires sensibles et de leurs résidents. Mais elle admet en même temps que ces agents de
base ne sont pas, faute d’autorité hiérarchique, les mieux placés pour animer les échanges
d’informations entre acteurs locaux et pour coordonner la mise en œuvre des stratégies de
réponse aux problèmes identifiés (voir Braga et Weisburd, 2006). Une telle contribution au
pilotage des partenariats locaux de sécurité doit incomber aux cadres intermédiaires et
supérieurs des organisations policières, notamment les chefs de secteur (lieutenants et
capitaines).
Ainsi la conception top-down de l’action policière est réhabilitée, alors que le
community policing visait à instaurer un mode de fonctionnement complètement bottom-
up. L’idée selon laquelle les échelons locaux doivent avoir la possibilité d’expérimenter de
nouvelles stratégies et tactiques n’est toutefois pas abandonnée, à condition que ces processus
d’innovation soient fermement contrôlés par les cadres intermédiaires et la fonction
d’intelligence.
L’ILP se démarque également du community policing en replaçant le travail répressif
au cœur de l’action policière.

15
La police renonce à l’ambition de prendre en charge tous les problèmes générateurs
d’insécurité dans les quartiers et à faire de la satisfaction des attentes des habitants la finalité
première de son action : le recentrage de la police sur la répression des délinquants est prôné,
quand bien même l’interventionnisme accru des forces de police dans certains lieux ou
franges de la population est susceptible d’engendrer des mécontentements et de faire surgir
des tensions (Ratcliffe, 2008, p.69).
Concrètement, une grande partie du travail de recueil de renseignements est confiée
à des policiers de contact avec la population, en uniforme, territorialisés dans les
quartiers : les community oriented policing officers (COP officers).

Ces policiers reçoivent une formation spécifique pour être en mesure de mener à bien leurs
tâches de collecte d’informations : ils sont, par exemple, entraînés aux techniques d’interview
et de communication et apprennent les procédures de remontée d’information vers l’état-
major et les services d’enquête et d’analyse.
Les flux d’informations entre COP officer et unité d’intelligence doivent circuler
dans les deux sens : cette dernière doit fournir au COP officer des renseignements et des
rapports d’analyse qui lui permettent d’orienter et d’organiser plus efficacement son travail de
surveillance et de suivi des problèmes. L’unité d’intelligence est encouragée à consulter les
COP officers quand elle étudie un problème de sécurité : ces derniers sont souvent capables
de nommer et de localiser les individus qui sont à l’origine des incidents (IACP, 2002, p.11).
Enfin, le travail de renseignement accompli par les COP officers doit faire l’objet
d’une évaluation spécifique de la part du responsable de la fonction d’intelligence selon
des critères tels que l’utilité opérationnelle des informations récoltées par le COP officer, la
satisfaction des habitants du quartier et des partenaires locaux à son égard, la qualité des
rapports périodiques (toutes les 2 à 4 semaines) qu’il doit rédiger pour rendre compte de la
situation sécuritaire dans son territoire d’intervention.

16
Les missions des COP officers
Depuis une quinzaine d’années, les départements de police ralliés à la doctrine de l’ILP ont
tendance à considérer le travail de contact avec les habitants, les associations et les entreprises
comme une spécialité professionnelle à part entière confiée à un policier en uniforme, de
préférence expérimenté et doué pour les relations publiques : le community oriented policing
officer.
Le renseignement tient une place primordiale dans les tâches assignées au COP officer.
Celui-ci doit :
- connaître les mentalités, modes de vie et habitudes de déplacement des différentes
catégories de population,
- identifier les personnes susceptibles commettre des délits ou de provoquer des troubles,
en particulier les membres des gangs, les sortants de prison, les élèves exclus de leur
école,
- repérer les groupes, les endroits et les moments de la vie du quartier présentant des
risques,
- servir d’interface entre la police et les résidents : diffusion de messages de prévention,
rencontre de certaines victimes pour les rassurer et essayer d’avoir un supplément
d’informations, représentation de la police dans les réunions, les neighborhood watch et
les fêtes organisées par les associations de quartier,
- s’efforcer de donner de la police une image avenante, éventuellement à travers la
participation à des œuvres sociales.
Le COP officer doit aussi jouer un rôle d’activateur et d’animateur de la vigilance
citoyenne à l’égard des facteurs d’insécurité et ne pas se contenter d’accumuler des informations
sur tout ce qui menace la sécurité, la tranquillité et la paix sociale dans le quartier.
Il doit, pour cela :
- savoir reconnaître et mobiliser les résidents désireux d’informer la police, les motiver
dans la durée, faire en sorte que les renseignements récoltés par eux viennent alimenter
la fonction d’intelligence,
- apprendre à ses informateurs à quels faits et comportements ceux-ci doivent prêter
attention, quels sont les événements qui doivent être tenus pour suspects et méritent
d’être signalés, par quels canaux et sous quelle forme les renseignements doivent être
rapportés.
- faire part à l’unité d’intelligence des informations qu’il capte dans les réunions de quartier
auxquelles il participe.
Mener à bien sa mission de renseignement demande que le COP officer reste autant que
possible maître de l’organisation de son travail et de son emploi du temps en:
- évitant d’être constamment interrompu dans ses activités de recueil d’informations (ou de
construction de son réseau d’informateurs) par l’assignation d’autres missions, telles que
les interventions de police secours ou la participation aux dispositifs de maintien de
l’ordre,
- disposant d’une marge d’autonomie suffisante pour procéder, de sa propre initiative, à
l’examen d’une situation risquée touchant à la sécurité (ainsi, certains COP officers
effectuent de leur propre chef le diagnostic des vulnérabilités d’un site ayant été la cible
d’actes de délinquance).

17
2.2.2 La fonction d’intelligence, chaînon manquant de la démarche de problem solving
L’ILP s’inscrit aussi dans la continuité des démarches de problem solving, qui
consistent à identifier les causes des problèmes de sécurité à l’aide d’outils et de méthodes
d’analyse, afin de mettre au point des réponses s’attaquant à la source des délits et désordres.
L’échec relatif des stratégies de problem-oriented policing (POP) s’explique par la
faiblesse, dans ces organisations, de la fonction d’intelligence, maillon pourtant essentiel du
processus de résolution de problème.

La Problem oriented policing repose sur une méthode SARA comprenant :


1. une phase d’exploration des différents aspects du problème (Scanning), qui nécessite un
travail de recueil d’informations, suivie par une étape d’analyse des éléments rassemblés
(Analysing),
2. les deux phases ultérieures étant la mise en place d’une solution taillée sur mesure
(Responding) et l’évaluation de son efficacité (Assessing).

Les partisans de l’ILP affirment que les difficultés rencontrées proviennent de la faiblesse
ou de l’absence des mécanismes de Scanning, Analysing et Assessing , déficience que
l’introduction d’un système d’intelligence a précisément pour but de combler (USDOJ, 2005,
p.10-11, voir aussi Eck et Spelman, 1989).
De la POP sont retenus :
• Le principe selon lequel la police doit définir des priorités d’action sur la base
d’un diagnostic rigoureux (problem profiling) et d’une analyse stratégique
(strategic assessment) des problèmes.
• L’intérêt de prévenir les problèmes plutôt que de les guérir, en repérant et en éliminant
les causes sous-jacentes d’incidents ou de délits récurrents afin d’éviter une surcharge
de requêtes et d’économiser des ressources sur le long terme (Ratcliffe, 2008, p.71).
• L’importance pour les analystes de se tenir informés des innovations techniques,
bonnes pratiques et stratégies efficaces mises au point dans les autres agences
policières, afin d’être en mesure de suggérer aux décideurs locaux le plus large
éventail possible de solutions.
• La nécessité d’évaluer régulièrement les effets des stratégies menées, afin que la police
soit capable d’adapter rapidement son action en fonction de l’évolution des problèmes.
• Enfin, le recours aux capacités analytiques pour jouer un rôle moteur dans
l’action des partenariats locaux de sécurité. Lorsque les analyses réalisées par la
fonction d’intelligence indiquent que certains aspects de la solution au problème ne
sont pas du ressort de la police, cette dernière doit s’efforcer de convaincre les acteurs
compétents d’apporter leur contribution à une stratégie de réponse coordonnée. Dans
ce type de situations, les analyses effectuées par la police doivent être portées à la
connaissance des partenaires locaux et faire l’objet d’une discussion avec les acteurs
potentiellement concernés (USDOJ, 2005, p.10).
La qualité des rapports d’analyse diffusés par la police détermine donc en partie son
pouvoir de négociation dans les instances partenariales : si elle parvient à rallier les

18
autres acteurs à sa propre interprétation du problème, elle a de plus grandes chances de
tirer profit de la coopération engagée pour y faire face.
2.2.3 Introduire une dimension qualitative dans les systèmes de compstat

L’ILP reprend à son compte plusieurs idées fondatrices des systèmes de compstat (dont le
premier a été mis en place au sein du New York Police Department en 1994) :
• Les chefs des subdivisions territoriales de la circonscription de police jouent un
rôle de premier plan dans l’impulsion et la coordination des initiatives policières et
partenariales de réduction des problèmes d’insécurité : ils doivent disposer des
ressources indispensables pour trouver une réponse rapide, adaptée et efficace aux
problèmes détectés ; avoir accès à des informations statistiques et à des analyses qui
leur procurent une mesure objective de la nature, la localisation, la temporalité et la
gravité des problèmes.
• Les dispositifs de compstat doivent être mis à contribution pour satisfaire ce
besoin de données chiffrées. Diverses méthodes d’analyse, telles que la cartographie
de la délinquance et les tableaux de bord mensuels, ont été développées pour
interpréter les informations quantitatives générées par les systèmes de compstat. L’ILP
en reconnaît l’utilité et considère qu’elles doivent être quotidiennement mises en
œuvre par l’unité d’intelligence.
• La culture de la performance que les systèmes de compstat ont pour but d’instaurer
dans les rangs de la police est réaffirmée. Mais il est précisé que les FPL doivent
mettre à profit le renforcement de leurs capacités d’analyse pour passer à un stade plus
évolué dans l’évaluation des performances, combinant mesures quantitatives et
jugement qualitatif de l’efficience, de l’efficacité et de l’impact de l’action policière.
A cet égard, l’une des missions de l’unité d’intelligence doit être d’expliquer les raisons
du succès ou de l’échec des initiatives menées par les responsables opérationnels, en
distinguant les processus sur lesquels la police avait des prises de ceux sur lesquels elle n’en
avait aucune.

3 L’INTELLIGENCE-LED POLICING EN ACTION : LES BONNES PRATIQUES


OBSERVEES DANS QUATRE VILLES AMERICAINES

Les bonnes pratiques observées par un travail de terrain aux Etats-Unis présentées ci-après
ont été sélectionnées par nous parce qu’elles pourraient, selon nous, constituer une source
d’inspiration pour les forces de sécurité intérieure françaises. Nous avons choisis de placer
l’accent sur les éléments qui nous semblent transposables.

3.1 La plus-value informationnelle apportée par l’intégration entre intelligence-


led policing et community oriented policing : le travail de renseignement des
COP officers à Aurora, Illinois

Aurora est une ville de 157 000 habitants, située à 70 km à l’Ouest de Chicago, dans
laquelle les latinos et les afro-américains constituent la majorité de la population. Le Aurora
Police Department (APD) compte 300 policiers (sworn officers) et 100 employés civils et
couvre un territoire d’une centaine de km².
Les COP officers sont considérés comme le cœur du système de renseignement du
APD. Plusieurs missions ont été confiés aux COP officers, dont le point commun est

19
d’impliquer l’établissement de relations personnalisées et l’échange d’informations avec
différents types de publics : le recueil de renseignements auprès de la population, la
représentation de la police dans divers comités locaux, la détection et l’analyse des problèmes
de sécurité, la prévention de la délinquance à travers la diffusion de messages éducatifs.
Un COP officer est affecté à chaque quartier de la ville. Chaque COP officer est
responsable de son quartier, mais travaille en équipe avec l’un de ses collègues en charge d’un
quartier adjacent. Selon le type d’activités qui est mené et son degré de dangerosité, les COP
officers peuvent opérer seuls ou en binôme. Les COP officers d’un même secteur de police
(police area, regroupement de plusieurs quartiers, la ville en compte 3), sont placés sous la
supervision d’une hiérarchie spécifique, qui contrôle également les équipages de patrouilleurs
affectés aux missions de police générale, formant le Bureau of Neighborhood Policing,
composée de sergents, de lieutenants (chef de secteur) et d’un commandant (chef du Bureau).
Les sergents doivent effectuer un maximum de tâches administratives afin que les COP
officers puissent passer le plus de temps possible sur la voie publique.
La principale mission des COP officers est la prise de contact avec différentes
catégories d’individus afin de collecter des renseignements.
Les COP officers rencontrent régulièrement les commerçants, les travailleurs sociaux, les
animateurs de programmes destinés aux jeunes, les représentants des associations de quartier
(urban leagues et neighborhood groups), les anciens membres de la Citizen Police Academy,
les chefs d’établissement scolaire, les policiers (school ressource officer) et les agents de
sécurité en poste dans les écoles, les syndics de copropriété et gardiens d’immeubles.
Les COP officers ont également pour mission d’approcher, de leur propre initiative, les
personnes ayant été impliquées dans des délits, qu’il s’agisse des victimes, de témoins ou des
suspects, pour essayer d’obtenir des informations supplémentaires en discutant avec elles
(c’est pourquoi ils consultent chaque jour la liste des plaintes et des appels d’urgence émanant
de leur quartier).
Dans certains cas, c’est le détective chargé de l’enquête qui demande au COP officer de
procéder à des interviews, espérant que le capital de sympathie dont bénéficie ce dernier
permettra de délier les langues. Cette méthode est décrite comme très efficace par les
détectives que nous avons interviewés.
Il est d’usage que les COP officers gardent un œil sur les sortants de prison, dont certains
(en particulier ceux qui sont suivis par les services de probation) constituent d’excellents
indicateurs.
Les COP officers cherchent à tisser un réseau d’informateurs dans leur quartier.
Pour les aider dans cette tâche, le APD a mis en place une Citizen Police Academy. Celle-
ci consiste en un stage de dix journées d’enseignement gratuit auquel participent chaque
année une vingtaine de citoyens volontaires. Les cours ont pour but d’expliquer l’action de la
police en matière de réduction de la délinquance : les thèmes abordés sont l’organisation des
patrouilles, la réponse aux appels d’urgence, l’usage de la force, le droit pénal, la lutte contre
les stupéfiants, la police des mineurs, la lutte contre les gangs, les enquêtes policières,
l’administration de la preuve devant un tribunal, les démarches de prévention et de problem
solving.
Il est attendu des anciens auditeurs du stage, dont l’intérêt pour la chose policière est
entretenu par le biais d’une association d’anciens élèves (Citizen Police Academy Alumni
Association) soutenue par le APD, qu’ils deviennent une source d’informations privilégiée
pour le COP officer de leur quartier. Ils reçoivent, à cette fin, un entraînement régulier au

20
« recueil d’informations pour l’intelligence de sécurité publique » (gathering of information
for police intelligence) et participent à des exercices pratiques avec la police (par exemple des
simulations de gestion des situations de crise). Ces informateurs ont le numéro de téléphone
portable et l’adresse de courrier électronique du COP officers et peuvent le contacter à tout
moment.
Selon les policiers interviewés, les informateurs issus de la Citizen Police Academy ont, à
de nombreuses reprises, apporté des renseignements décisifs qui ont permis d’élucider des
délits, y compris des homicides. Certains résidents acceptent de surveiller les allées et venues
de personnes suspectes à la demande du COP officer.
Pour permettre aux citoyens de signaler très rapidement à la police des événements
suspects observés par eux ou des informations parvenues à leurs oreilles, le APD collabore
avec un site internet (www.citizenobserver.com) spécialisé dans la diffusion de bulletins
d’alertes en direction des habitants et dans la transmission à la police de courriers
électroniques anonymes. Les citoyens qui envoient des renseignements utiles, par exemple
une information permettant une arrestation, peuvent recevoir une récompense dont le montant
peut atteindre 1000 dollars.
Les COP officers doivent mentionner sur une fiche spécifique (field contact form) les
personnes rencontrées à des fins de recueil d’informations et, le cas échéant, écrire un
message de renseignement (tip report) qui est transmis à leur supérieur hiérarchique. Afin de
faciliter l’archivage et l’exploitation de ces rapports par les responsables opérationnels, un
format unique a été défini et il a été demandé aux COP officers d’utiliser un vocabulaire
homogène.
Outre les contacts individuels, les COP officers doivent mettre à profit les multiples
réunions partenariales au sein desquelles ils représentent le APD pour recueillir des
renseignements.
Les COP officers se rendent aux assemblées de locataires et de copropriétaires, aux
neighborhood watchs et à la réunion mensuelle du comité de quartier (community meeting).
Cette dernière regroupe, autour de l’élu représentant les habitants du quartier au conseil
municipal (alderman), les employés municipaux affectés dans le quartier – street maintenance
(service d’entretien des rues), Department of Neighborhood Standards (service chargé de
faire respecter les règlements municipaux en matière de qualité de vie), Department of Parks
and Recreation - et les membres de l’association de quartier (neighborhood group). Quand
aux neighborhood watchs, il s’agit de visites à pied organisées chaque mois par le
neighborhood group pour passer en revue les problèmes nuisant à la qualité de vie des
résidents du quartier.
Au cours de ces réunions, les questions relatives à la sécurité, la tranquillité, la salubrité et
l’ordre publics sont discutées, ainsi que les difficultés liées à la circulation et au stationnement
automobile. De nombreux renseignements à valeur opérationnelle sont récoltés à l’occasion
de ces discussions : description de véhicules suspects, présence d’activités inhabituelles… Les
COP officers rédigent à l’intention de leur hiérarchie des comptes-rendus synthétiques des
problèmes abordés.
Les COP officers ne se contentent pas de rapporter l’existence de problèmes à leurs
supérieurs. Ils procèdent eux-mêmes à l’étude et à l’analyse des situations générant des
doléances. Ils en assurent le suivi de ces problèmes dans la durée. Ils peuvent, en outre,
préconiser à leur hiérarchie certaines stratégies ou tactiques (par exemple une action
coordonnée de plusieurs services du APD) qu’ils jugent appropriée pour résoudre le
problème.

21
Pour ce faire, ils ont été formés au diagnostic de sécurité et aux techniques d’interview. Ils
rédigent des rapports réguliers (en principe toutes les deux semaines) sur l’évolution du
problème, à partir des observations qu’ils ont réalisées sur les lieux et des propos qu’ils ont
recueillis auprès des habitants concernés. Ils peuvent aussi s’appuyer sur l’unité compstat du
département de police, qui leur fournit, à la demande, des données chiffrées et des cartes.
Il est courant que la hiérarchie envoie un COP officer enquêter sur les causes expliquant le
surgissement d’un nombre inhabituel d’incidents dans un lieu particulier, constaté à travers
l’augmentation des appels téléphoniques, les lettres de plainte envoyées par les habitants à la
mairie, ou encore l’analyse des statistiques de la délinquance.
Une autre mission des COP officers est de faire passer des messages de prévention.
Ils doivent utiliser les réunions partenariales comme tribune pour sensibiliser les habitants
aux précautions à prendre pour éviter d’être victimes de délits (cambriolages, vols de voiture,
vols à la roulotte, agressions…). Ils doivent promouvoir la prévention situationnelle dans leur
quartier en dispensant des conseils aux commerçants, managers d’entreprise et gestionnaires
de lieux publics, éventuellement sous forme de diagnostic de sécurité écrit (rapport de
plusieurs pages comportant une présentation détaillée des risques, illustrée par des
photographies, plans et cartes en couleur, ainsi que des suggestions de solutions techniques).
La stratégie de lutte contre les gangs conduite par le APD accorde une grande place
aux interventions préventives des COP officers en direction des jeunes (le nombre de
jeunes concernés est estimé à 500 ou 600 par la police).
Ils doivent repérer les jeunes qui commencent à fréquenter les membres d’un gang, avant
que leur identification au groupe ne se consolide et qu’ils ne s’impliquent sérieusement dans
les activités délinquantes du gang. Les COP officers doivent prendre contact avec ces jeunes
pour tenter de les dissuader de s’engager plus avant dans cette voie. Des outils éducatifs sur
les dangers de l’association avec les gangs (dépliants, film vidéo) ont été conçus pour faciliter
ce travail de sensibilisation.
Les COP officers peuvent aussi aller à la rencontre des parents ou effectuer des
interventions pédagogiques dans les écoles. L’avis des COP officers a un poids important
dans le choix des dix membres de gang devant faire l’objet d’une surveillance prioritaire du
fait de leur dangerosité (top 10 list).
En cas de recrudescence de la violence entre les gangs, ils doivent contacter leurs
informateurs et indicateurs pour essayer de prévoir les actions de représailles que pourraient
entreprendre tel ou tel gang. Il peut aussi leur être demandé d’intervenir en tant que médiateur
pour essayer d’apaiser les conflits.
A Aurora, les informations recueillies par les COP officers n’ont pas pour but
d’alimenter une unité d’intelligence, mais sont directement exploitées par les chefs de
secteur, qui ont reçu une formation à l’analyse.
Ces derniers tiennent un « classeur d’intelligence » dans lequel ils conservent toutes les
informations qui leur sont utiles pour comprendre les problèmes en cours de traitement :
diagnostics et rapports de suivi des problèmes réalisés par les COP officers, notes de
renseignement (tip reports) établies par eux ou par d’autres personnels opérationnels (surtout
la brigade des stupéfiants et de la brigade antigang), tableaux de statistiques de la délinquance
produits par l’unité compstat, messages d’alerte émanant d’autres agences policières, rapports
d’intervention de patrouille et relevés d’appel d’urgence en relation avec les problèmes
prioritaires, synthèse des événements au cours des deux semaines passées, rapports rédigés

22
par les crime analysts des unités d’enquête en vue de stopper les agissements de délinquants
réitérants.
A partir des informations contenues dans son classeur, le chef de secteur dresse sa propre
liste de problèmes prioritaires et établit un tableau de bord et un plan d’action pour les deux
semaines à venir.
Les COP officers bénéficient d’une très grande marge d’appréciation et de
manœuvre dans la définition et l’organisation de leurs activités au quotidien.
Ils peuvent savoir à tout moment, grâce à la radio et à l’ordinateur installé dans leur
véhicule, les opérations de police en cours dans leur quartier, mais contrairement aux
patrouilles ordinaires, qui sont guidées par le centre de commandement, ils décident
discrétionnairement de se rendre ou non sur les lieux où se déroule un événement.
Le département de police d’Aurora considère que la police secours et les contacts avec la
population sont deux activités distinctes, et que les COP officers ne doivent pas être détournés
de leur mission première, qui est la collecte d’informations.
En contrepartie de cette liberté d’action, les COP officers doivent rendre des comptes
très précis sur ce qu’ils ont entrepris de faire et sur les raisons qui ont motivé leurs choix.
Tous les quinze jours, un rapport d’activités fait le point sur leur travail de collecte de
renseignements. Les performances des COP officers sont évaluées essentiellement sur la base
de la qualité des informations qu’ils récoltent et des diagnostics de problème qu’ils réalisent :
les taux d’élucidation et de délinquance n’entrent absolument pas en ligne de compte dans
l’appréciation de leurs résultats, ainsi que cela nous a été précisé à plusieurs reprises.
Les policiers destinés à devenir COP officer sont sélectionnés parmi les patrouilleurs et les
détectives ayant plusieurs années d’expérience, dont les compétences relationnelles sont
avérées et dont la hiérarchie estime qu’ils ont la capacité d’accéder à des fonctions
d’encadrement. La réussite dans le poste de COP officer (la durée d’affectation à cette
fonction est généralement de quatre années) est la condition pour devenir sergent.

3.2 La fonction d’intelligence au service de la réduction de la délinquance : la


lutte contre les gangs à Chicago, Illinois

La ville de Chicago est peuplée de 2,9 millions d’habitants et s’étend sur plus de 600 km2.
Le Chicago Police Department (CPD) compte 13 400 policiers et 1 850 employés civils. Le
territoire de la ville est divisé en 25 secteurs de sécurité publique – les police districts, qui
dépendent du Bureau of Patrol (la direction de la sécurité publique du CPD) – qui sont eux-
mêmes fractionnés en zones de quartier (police beats, 280 au total).
La lutte contre les gangs et les violences qu’ils engendrent (homicides, usage d’armes
à feu, agressions…) constitue la grande priorité du CPD.
En effet, le taux d’homicides à Chicago figure parmi les plus élevés aux Etats-Unis : un
sommet a été atteint en 1992 avec 943 meurtres, soit 34 pour 100 000 habitants. Les stratégies
développées par le CPD à partir de cette époque, d’abord en matière de community policing,
puis d’intelligence-led policing depuis 2002, ont contribué à faire diminuer de moitié le
nombre d’homicides, qui s’est stabilisé autour de 450 par an depuis 2004 (16 pour 100 000
habitants environ). La violence des gangs compte pour une part importante dans le nombre de
meurtres, puisque 30% des homicides perpétrés à Chicago ont pour cause les affrontements
entre gangs, et 10 autres % correspondent aux homicides commis à l’occasion de vols, dans
lesquels les gangs sont fréquemment impliqués. Pour comparaison, il y a eu, en 2009, 36

23
homicides à Paris, ville de 2 215 000 habitants, soit un taux de 1,6 pour 100 000 habitants,
dont 3 seulement étaient crapuleux.
La volonté de faire baisser le nombre de morts causés par les conflits entre gangs a amené
le CPD à mettre en place, en 2002-2003, un système d’intelligence dédié à la lutte antigang,
rattaché au Bureau of Investigative Services (police judiciaire) dont le centre névralgique est
le Deployement Operations Center (DOC).
Le DOC produit des rapports d’informations sur les gangs, qui comportent leur
organigramme, les identités et photographies des membres (gangbangers), les profils et
carrières criminels des leaders, les identités de leurs proches et des personnes avec lesquelles
ils ont des relations à l’extérieur du gang, les différentes factions à l’intérieur du gang, les
luttes de pouvoir entre anciens et nouveaux membres, les sujets de tension avec les gangs
voisins, les associations avec d’autres gangs et les lieux de rencontre, les emplacements (à
l’échelle du bloc d’immeubles) où la probabilité de survenance d’incidents violents est la plus
élevée, ainsi que les jours et les heures durant lesquels les gangs sont les plus actifs et qui sont
propices à des affrontements.
Les entrées et sorties de prison des gangbangers font l’objet d’un suivi rigoureux, dans la
mesure où elles peuvent être à l’origine de règlements de comptes internes. Une carte des
territoires des gangs est régulièrement actualisée. Ces rapports indiquent les membres de gang
considérés comme les plus dangereux et ceux qui doivent faire l’objet d’une surveillance de la
part des patrouilles de police.
Le DOC a constitué un fichier électronique des gangs (Gang Information Exchange
Database) dans lequel sont archivées toutes les informations servant à élaborer les bulletins et
rapports. Ces données peuvent être consultées directement par les unités opérationnelles afin
de leur permettre de prendre rapidement des décisions adéquates quand elles ont à traiter des
incidents impliquant des gangs.
En 2007, le DOC a été équipé d’un centre d’information, le Crime Prevention Information
Center (CPID), qui envoie des rapports d’intelligence aux personnels de terrain dès le
moment où ceux-ci sont appelés à effectuer une opération impliquant les gangs. Ainsi, les
patrouilleurs et les enquêteurs reçoivent, en temps réel, sur les terminaux embarqués dans
leurs véhicules et sur leurs Blackberry, des informations utiles qui leur permettent de préparer
leur intervention dans un délai extrêmement court. Ces renseignements concernent les causes
de l’incident, le contexte dans lequel il s’est produit (délits et appels d’urgence localisés au
même endroit au cours des semaines passées, identités des anciens détenus suivis par les
services de probation dans le secteur…) et les personnes impliquées.
Plusieurs catégories de personnels contribuent à alimenter le DOC en informations
sur les gangs.
Certains détectives de la Organized Crime Division du Bureau of Investigative Services (la
direction de la police judiciaire du CPD), qui comporte une Gang Investigations Section et
une Gang Enforcement Section ont spécifiquement pour rôle de rechercher des
renseignements sur les gangbangers et leurs activités, notamment en matière de trafic de
drogue et d’approvisionnement en armes (d’où le triptyque des priorités actuelles du CPD :
« gangs, drugs and guns »). Ces enquêteurs peuvent bénéficier de l’appui des membres de la
Intelligence Section (qui dépend d’une autre division du Bureau of Investigative Services, la
Counterterrorism and Intelligence Division) et d’équipes spécialisées dans le renseignement
sur la détention illégale d’armes à feu (les Area Gun Teams).
Comme à Aurora, les CAPS et les school ressource officers font remonter de très
nombreux renseignements sur les gangs, dont beaucoup de membres sont en même temps

24
élèves dans des collèges (middle schools) ou lycées (high schools) et commettent des délits
dans les enceintes scolaires.
Des listes de questions concernant les gangs sont remises aux CAPS officers et aux
patrouilleurs afin d’orienter leur travail de recueil d’informations. Les réponses doivent être
rédigées sur des fiches standardisées, afin d’en faciliter la remontée vers le DOC et le
traitement par les analystes. Ces questions portent notamment sur les voitures susceptibles
d’être utilisés par les membres des gangs, afin de permettre aux patrouilles effectuant des
contrôles routiers de cibler les trafic stops.
Chaque semaine, les chefs des 25 districts participent à une réunion avec le DOC afin de
faire le point sur les agissements des gangs et d’échanger les informations collectées par les
policiers en uniforme placés sous leur commandement. Les analyses communiquées par le
DOC aux chefs de secteur sont reprises dans les « bulletins d’intelligence » des commissariats
de districts, qui sont diffusés à l’ensemble des personnels travaillant sur la voie publique.
Les responsables opérationnels des districts que nous avons interrogés nous ont affirmé
que les rapports d’analyse du DOC leur sont très utiles pour définir leur stratégie d’action.
D’autres informations parviennent au DOC par le biais d’une initiative partenariale
dédiée au repérage et à la surveillance des « immeubles à problèmes » (troubled
buildings).
Ce Troubled Housing Program associe au CPD et à trois autres services de la mairie – le
Buildings Department, chargé de faire respecter les règlements municipaux en matière
d’urbanisme et de construction, le Fire Department, responsable du contrôle des normes de
sécurité incendie dans les bâtiments, et le Department of Law – le bailleur social public
(Chicago Housing Authority) et les associations de quartier et de résidents.
Les personnels municipaux et les citoyens participant à cette initiative partagent avec la
police leurs informations concernant les immeubles servant de refuge aux trafics des gangs.
Ils contribuent à l’identification des locataires et des propriétaires qui tolèrent la présence des
gangs. Enfin, ils interviennent pour accélérer les procédures d’expulsion, afin d’éloigner de la
ville les gangbangers et ceux qui les abritent.
Sur la base des informations qui leur parviennent, les analystes du DOC s’efforcent de
repérer les conflits entre gangs, d’en comprendre les raisons et de prévoir les prochaines
actions des protagonistes. Une fois les emplacements probables de futurs affrontements
déterminés, la police s’efforce d’empêcher la violence en déployant une grande quantité
d’effectifs sur le territoire concerné, qui devient une « zones de déploiement prioritaire de
niveau 1 ».
Pour assurer la « saturation policière » de ces zones, le CPD a créé une Targeted Response
Unit et une Mobile Strike Force qui peuvent être déployés n’importe où dans la ville en
renfort des effectifs des districts. Il s’agit d’accroître très sensiblement la visibilité de la police
dans la zone, sur le court terme, en multipliant les contrôles de véhicules (trafic stops), les
interviews de membres des gangs, les arrestations (quand il existe un motif le permettant, tel
que le port d’arme à feu, interdit en Illinois) et en mettant en place des dispositifs de
surveillance des individus dangereux.
Les chefs de secteur peuvent définir des périmètres plus vastes que les zones de niveau 1,
qui vont bénéficier d’une présence policière renforcée sur le moyen terme, dits « zones de
déploiement prioritaire de niveau 2 ».

25
Des études quantitatives menées par l’unité de recherche et développement du Bureau of
Professional Standards, en partenariat avec des chercheurs universitaires, ont été conduites
afin d’optimiser l’impact de cette stratégie de quadrillage policier des zones à risques.
Cette stratégie de lutte antigang guidée par l’intelligence, entamée en 2002, a contribué à
faire baisser le nombre d’homicides de 650 par an environ durant la période 1999-2002 à 450
par an depuis 2004, soit une baisse de plus de 30%. D’autres initiatives du CPD ont également
concouru à ce résultat :
• Le déploiement de centaines de caméras de vidéosurveillance extrêmement
perfectionnées dans les territoires sensibles. Ces équipements sont mobiles,
orientables à partir des terminaux informatiques servant à visionner les images,
munis d’un zoom, d’un système de vision nocturne, d’un logiciel de surveillance
automatique et d’un détecteur de coups de feu. Les personnels travaillant au centre
d’informations du DOC, le Crime Prevention Information Center, ont accès aux
images transmises par les caméras et utilisent celles-ci pour envoyer les patrouilles
de police sur les lieux où les membres de gang se livrent à des trafics (ou,
simplement, traînent dans la rue sans motif, ce qui est interdit par des règlements
municipaux contre le loitering adoptés en 2002 – la Gang Loitering Ordinance).
• La poursuite de la politique de community policing. Un COP officer est affecté à
chaque quartier. A Chicago, ces policiers en charge des relations avec la
population sont appelés CAPS officers, CAPS étant l’acronyme de Chicago
Alternative Policing Strategy, la politique de police de proximité mise en place en
1993. Le CAPS Implementation Office du CPD organise dans chaque police beat
une réunion mensuelle d’échange d’informations et de débat à propos de l’action
policière, à laquelle participent le CAPS officer, le Department of Streets and
Sanitation et le Department of Buildings de la mairie, ainsi que les citoyens ayant
choisi de militer dans le CAPS program et les habitants intéressés.

Evolution du nombre d'homicides à Chicago, 1990-1999


Source: FBI, Uniform Crime Reporting Program
1000

900

800

700

600

500

400

300

200

100

0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008

26
3.3 Les avantages d’une gestion intégrée des différents types d’information :
les réunions d’intelligence à Tampa, Floride

La population de Tampa s’élève à 342 000 habitants répartis sur 300 km2. Le Tampa
Police Department (TPD) compte 984 policiers et 331 employés civils.
Depuis 2003, le TPD a mis en place une stratégie proactive de réduction de la
criminalité de masse fondée sur le pilotage coordonné des différents types d’unités
opérationnelles (en uniforme et en civil) au moyen de la fonction d’intelligence, leur
fidélisation dans un secteur de la ville et la priorité donnée à la rapidité d’intervention sur la
spécialisation fonctionnelle (n’importe quel personnel doit être capable d’accomplir une
grande variété de tâches afin de réduire au minimum les délais de réponse).
Cette stratégie a contribué à une baisse très sensible de la délinquance : - 44% pour les
cambriolages entre 2002 et 2009, - 61% pour les vols, - 60% pour les vols à la roulotte, - 80%
pour les vols de véhicules. La lutte contre ces quatre types de délits, qualifiés de « big four »,
constitue la priorité de toutes les composantes du TPD : il est supposé que leur diminution
entraînera celles d’autres catégories d’infractions, en particulier le trafic de stupéfiants et les
violences. La réduction de la délinquance, toutes infractions confondues, a été de 56% en sept
ans, soit 20 000 crimes et délits en moins.
Dans le cadre de cette stratégie dite « Focus on Four Plan », le territoire de la ville a été
divisé an trois patrol districts, dotés chacun d’un commissariat.
Chaque district a été divisé en deux secteurs placés sous la responsabilité d’un tactical
lieutenant, qui est chargé de coordonner l’action des unités de police judiciaire (ROC Squads,
Investigation Squads), de sécurité publique (Uniformed Patrol) et de police communautaire
(School Ressource Officers, Crime Prevention) dans son secteur.
Un crime analyst rattaché à l’unité d’analyse du commissariat central (Intelligence
Analysis Unit du Criminal Intelligence Bureau situé au Police Headquarter) a été affecté à
chaque commissariat de district.
Il a pour mission de rassembler, traiter et interpréter, en temps réel, l’ensemble des
informations recueillies dans le district, quel qu’en soit le type. Cet analyste rédige un
bulletin d’intelligence quotidien, dont le but est de porter à la connaissance des unités
opérationnelles, le plus tôt possible après que les faits ont été signalés – de préférence le jour
même ou le lendemain – l’existence de patterns, leurs caractéristiques (localisation des
événements sur une carte, description des modes opératoires) et une liste de suspects pouvant
éventuellement être à l’origine de la série de faits.
Les analystes ont une connaissance remarquable des délinquants réitérants qui sévissent
dans leur district, si bien que leurs suppositions quant à l’identité des auteurs de délits
s’avèrent fréquemment exactes (les unités opérationnelles vérifient les alibis des suspects
désignés).
Pour permettre aux analystes d’accéder à la totalité des informations récoltées et produites
par le TPD, une base de données unique (data warehouse) a été mise en place. Les analystes
élaborent également des tableaux de bord statistiques et des cartes hebdomadaires et
mensuelles de la délinquance. Ils ont un rôle de conseil des responsables opérationnels
concernant les stratégies et tactiques pouvant être employées pour s’attaquer aux problèmes
qui ont été détectés.
Des unités de réponse rapide, composées d’officiers de police judiciaire généralistes
en civil, ont été mises à la disposition des chefs de district (district majors) et des tactical

27
lieutenants pour traiter chaque nouveau crime pattern dès qu’il a été détecté par l’unité
d’intelligence.
Ces Rapid Offender Control (ROC) Squads ont été créées en prélevant des personnels sur
les unités d’enquête spécialisées basées au commissariat central (brigade des cambriolages,
brigade des stupéfiants, brigade des vols de véhicules, brigade des délits économiques...).
Désormais, la Criminal Investigation Division du Police Headquarter ne s’occupe plus
que des crimes graves (homicides, agressions sexuelles, grand trafic de drogue, trafic
d’armes…). Les ROC Squads sont territorialisés dans les quartiers sensibles (high crime
areas) et ont le même devoir de connaissance des résidents que les COP officers dans
d’autres villes. Ils doivent opérer une surveillance très serrée de tous les individus connus
pour être des délinquants prolifiques sur leur territoire d’intervention (dit Offender Control
Zone), afin de pouvoir identifier et localiser très rapidement les suspects pointés par
l’analyste. C’est pourquoi on peut parler de décentralisation, territorialisation et
déspécialisation de la police judiciaire à Tampa.
Les ROC Squads sont assez similaires aux BAC françaises.
Ils étaient d’ailleurs dénommés Street Anti Crime Squads au début de la réforme, avant
leur fusion avec des unités en uniforme dédiée à la lutte contre le trafic de rue des stupéfiants
(les QUAD, Quick Uniform Attack on Drugs). Les ROC Squads sont fréquemment appelés à
se rendre immédiatement sur les lieux du délit à la suite d’un appel d’urgence, afin de
commencer les investigations (celles-ci seront éventuellement poursuivies par un détective,
dans un deuxième temps) et de transmettre aussitôt à l’analyste les informations dont celui-ci
a besoin pour mettre en évidence un crime pattern et émettre des hypothèses concernant les
auteurs probables. Cette stratégie permet d’élucider certains délits le jour même de leur
commission et d’arrêter le responsable dans la foulée, ce qui était très rare avant la mise en
place du « Focus on Four Plan ».
Contrairement aux cas de Chicago et d’Aurora, à Tampa, ce ne sont pas les COP officers
(ils étaient une quarantaine avant la réforme, qui les a supprimés et remplacés par un petit
nombre d’employés civils, 1 par secteur, ayant surtout une fonction de relations publiques),
mais les ROC Squads qui possèdent les réseaux d’informateurs les plus développés et qui
constituent le principal outil de collecte des renseignements au service de la fonction
d’intelligence.
Il faut ici rappeler que, dans la nouvelle configuration, presque toutes les unités
opérationnelles sont territorialisées au niveau du secteur ou du quartier et doivent participer à
des actions partenariales, la proximité n’a donc pas été affaiblie, mais a été au contraire
renforcée et axée sur le judiciaire.
Chaque semaine, une réunion d’intelligence est organisée dans les commissariats de
districts.
Celle-ci rassemble les sergents chargés de superviser les patrouilleurs dans chaque
quartier, les unités d’enquête du district (Detective District Squads), la brigade antigang (qui a
un rôle d’intelligence plus que de répression), les chefs des ROC Squads et l’analyste (une
cinquantaine de personnels au total).
Les dirigeants du commissariat n’assistent pas à cette réunion afin que les participants se
sentent libre d’échanger des informations et des idées sans avoir à s’inquiéter d’être évalués
par leurs supérieurs hiérarchiques. Ces réunions, animées par un tactical lieutenant, ont pour
but de confronter les informations judiciaires, de sécurité publique (émanant des
patrouilleurs) et d’ordre public. Les cartes éditées par l’analyste pour illustrer les patterns

28
servent de point de départ aux discussions. Chaque affaire digne d’intérêt est exposée dans le
détail par le détective en charge du dossier et fait éventuellement l’objet d’une analyse
collective. Les participants se donnent mutuellement des conseils. Des photographies, des
descriptions de suspects et de véhicules sont échangées. Les sorties de prison sont annoncées.
Des stratégies de résolution de problèmes sont débattues en commun. Un point est fait sur les
résultats des différents plans d’action en cours de réalisation.
Cette stratégie s’est révélée particulièrement efficace pour faire baisser le nombre de
vols de véhicules, passé de 6 720 en 2002 à 1 361 en 2009.
Dans le cadre d’une action baptisée « Reduce Auto Theft Program », les analystes des
commissariats ont recensé et étudié tous les individus connus pour s’adonner au vol de
voiture, puis ont cartographié tous les emplacements où des véhicules avaient été volés ou
retrouvés à proximité de leur domicile. Chaque voiture récupérée après un vol a été passée au
crible par la police scientifique afin de relever des traces et de déterminer le mode opératoire
du voleur. Un bulletin d’intelligence spécifique a été communiqué chaque semaine aux unités
de patrouille et d’enquête, qui comportait des photos de suspects à surveiller, des
emplacements de hot spots, les patterns dégagés par les analystes, ainsi que des directives en
matière de recherche de renseignements.
Les Street Anti Crime Squads devaient sillonner la ville en voiture banalisée pour essayer
de repérer des véhicules volés et de les prendre en filature. Un système de couvre-feu et
d’assignation à domicile pour les mineurs impliqués dans des vols de voiture a été mis en
place, qui permet aux ROC Squads et aux patrouilles de contrôler très étroitement leurs
moindres mouvements (ils vérifient plusieurs fois par semaine la présence de ces jeunes à leur
domicile, leur présence à l’école est contrôlée par les school ressource officers).
Des plans d’action similaires ont été mis en place pour réduire les vols à l’étalage commis
par les mineurs en dehors des périodes scolaires, ainsi que pour démanteler les petits trafics de
drogue dans les rues.
Ces stratégies plutôt axées sur la répression sont allées de pair avec la transformation
du système de community oriented policing, aujourd’hui animé à Tampa par des
employés civils (Neighborhood Affairs Liaisons, composant les Crime Prevention Units)
affectés dans les commissariats de district.
Un site Internet a été créé pour faciliter la communication entre le TPD, les membres des
neighborhood watchs, ceux des associations de quartier (civic association groups), les
organisations de commerçants et, plus largement, les résidents souhaitant signaler des faits
suspects. Un effort considérable de diffusion de conseils de prévention en direction des
habitants, par l’intermédiaire des Neighborhood Affairs Liaisons, a été réalisé par le TPD, qui
constitue sans doute un autre facteur important à l’origine de la diminution de la délinquance.
En conclusion, le département de police de la ville de Tampa a mis en place une stratégie
de traitement et d’analyse intégrée des différents types d’information policière :
l’intelligence dédiée à la répression reste connectée à l’intelligence vouée à la prévention pour
associer actions réactives et actions proactives, neutralisation des délinquants prolifiques et
réduction des facteurs déclenchant ou favorisant leurs agissements (community policing,
problem-oriented tactics).
Site Internet du TPD : liens permettant aux citoyens de signaler à la police différents types d’événements
suspects ou de problèmes

29
3.4 L’organisation et le fonctionnement de l’unité d’intelligence à Norfolk,
Virginie

La ville de Norfolk compte 241 000 habitants répartis sur 171 km². Le Norfolk Police
Department emploie 780 policiers et 120 employés civils.
Le NPD s’est engagé en 2007 dans une politique de développement de la fonction
d’intelligence alignée sur les standards nationaux en la matière. Deux notes de service très
étoffées, datées de janvier 2007 (16 pages) et mars 2008 (28 pages), définissent dans le détail
les principes, objectifs et modalités d’organisation de la démarche d’ILP adoptée par le
département. Il est affirmé que l’ensemble des personnels du NPD ont désormais le devoir
de contribuer à l’amélioration du renseignement de sécurité publique. Le principal
objectif fixé à l’unité d’intelligence instaurée par la réforme, la Criminal Intelligence Unit
(CIU), est de mettre fin aux habitudes de cloisonnement des informations qui caractérisent le
fonctionnement des différents services du NPD.
Le but assigné à la fonction d’intelligence est de procurer des analyses stratégiques,
tactiques et opérationnelles au chef du département et à son état-major, afin d’aider
ceux-ci à concevoir des stratégies d’action sur le court, le moyen et le long terme, en
accordant la priorité à la prévention de la délinquance et des troubles à l’ordre public,
ainsi qu’à la résolution des problèmes sous-jacents. Ces textes stipulent que le NPD doit
suivre les normes et bonnes pratiques reconnues au niveau national en matière d’ILP,
s’affilier à différentes organisations professionnelles actives dans ce domaine5 et aux réseaux
et plateformes régionales d’échanges d’informations6.

5
La Law Enforcement Intelligence Unit ; la Virginia Association of Law Enforcement Intelligence
Documentation (VALID) qui réunit chaque mois, en présence des analystes du Fusion Center de Virginie, des
représentants des fonctions d’intelligence des principales agences policières de l’Etat (cette organisation produit
un bulletin mensuel d’intelligence criminelle, le VALIDATOR) ; le 7 Cities Intel Group, qui rassemble chaque
semaine les analystes des départements de police de la communauté d’agglomération de la baie de Chesapeake
(Chesapeake, Hampton, Newport News, Norfolk, Portsmouth, Suffolk et Virginia Beach, sept villes de taille
comparable), afin de discuter des activités criminelles touchant plusieurs juridictions.
6
Le réseau national RISSNET ; le fichier régional des gangs (HIDTA GangNet), le fichier d’informations
judiciaires de la police d’Etat de Virginie (Virginia State Police Tactical Intelligence System - TIPS), la

30
L’organisation et le fonctionnement de la fonction d’intelligence sont contrôlés et évalués
par un Criminal Intelligence Committee, présidé par le chef de la CIU, et composé de
représentants des services qui sont les principaux utilisateurs de renseignements : la division
de police judiciaire (Detective Division), la division des mœurs et des stupéfiants (Vice and
Narcotics Division), l’unité d’analyse criminelle (Crime Analysis Unit). Le comité doit veiller
à ce que la démarche d’ILP soit effectivement et convenablement mise en œuvre au sein du
NPD. Il doit procéder à un audit annuel de la fonction d’intelligence, qui doit être notamment
attentif au bon usage des systèmes techniques servant de support à la circulation des
renseignements, au bon fonctionnement de la CIU et à la qualité de ses produits, ainsi qu’au
bon déroulement des échanges d’informations avec les partenaires extérieurs du département.
La CIU est placée sous l’autorité directe du chef du NPD. Elle est composée de 4
policiers : un lieutenant (le chef), un sergent (son adjoint) et deux détectives. Les analystes
criminels (certains sont des policiers, d’autres des employés civils) ne sont pas affectés
directement à la CIU, mais aux divisions de police judiciaire. Ils travaillent néanmoins en
étroite coordination avec la CIU
Les missions de la CIU du NPD sont :
• Collecter, archiver, analyser et diffuser les informations relatives aux activités
criminelles touchant le territoire de la ville. Elle doit produire, à partir de ces
renseignements, non seulement des conseils stratégiques et tactiques à destination
des décideurs, mais aussi, dans la mesure du possible, des éléments de preuve
exploitables dans le cadre des procédures judiciaires.
• Répercuter dans le NPD les informations contenues dans les bulletins
d’intelligence diffusés par le Fusion Center de Virginie.
• Faire des briefings réguliers au chef du département.
• Servir de point de contact pour les échanges d’informations et de messages d’alerte
dans le cadre des partenariats de sécurité.
• Assurer la liaison avec les organisateurs de manifestations de rue afin de préparer
les dispositifs de maintien de l’ordre, en coordination avec le service culturel (qui
délivre les autorisations de défiler) et le service juridique de la ville.
• Former à la fonction d’intelligence tous les personnels du NPD.
• Promouvoir et mettre en œuvre la formation des citoyens au signalement des
événements suspects. Un effort particulier de sensibilisation et de coopération doit
être mené en direction des entreprises du secteur des télécommunications, des
sociétés de transport, des banques, des restaurants, des petits commerçants et des
services d’inspection sanitaire.
• Participer à la protection des hautes personnalités qui visitent Norfolk, en
coordination avec les agences fédérales compétentes (US Secret Service, US
Department of State Bureau of Diplomatic Security…).
• Rechercher des renseignements sur les personnes qui demandent une licence pour
posséder des armes automatiques.

plateforme régionale de partage des renseignements sur le crime organisé (Regional Organized Crime
Information center – ROCIC) et le réseau national de partage d’informations confidentielles sur le terrorisme et
le crime organisé animé par la Law Enforcement Intelligence Unit.

31
• Faire des études de vulnérabilité des sites sensibles et des établissements scolaires.
• En outre, la CIU est le service d’investigations judiciaires chargé d’enquêter sur les
crimes et délits les plus sensibles : terrorisme (dans le cadre de la Joint Terrorism
Task Force animée par le FBI), crime organisé (dont le trafic d’êtres humains, les
gangs de motocyclistes, la contrebande, la grande délinquance économique),
crimes racistes (en coordination avec la Detective Division du NPD), les menaces
contre les hauts fonctionnaires et les juges, la corruption des agents publics (dont
les policiers). La CIU doit, en outre, prendre en charge le pilotage des enquêtes
judiciaires longues et complexes, les divisions de police judiciaire ayant plutôt
vocation à mener des investigations de courte durée.
• Les membres de la CIU sont encouragés à développer leur propre réseau
d’indicateurs et d’informateurs. La CIU est responsable de l’enregistrement et de
la rémunération des indicateurs (confidential informants) qui œuvrent au service
du NPD, ainsi que de la protection de leur identité.
La CIU essaie d’avoir une vision d’ensemble des phénomènes de délinquance et de
désordre dans la ville de Norfolk et ses environs, afin d’appréhender les logiques
d’organisation et de fonctionnement des entreprises et marchés illégaux implantés dans la
région (des drogues, des marchandises volées, de la prostitution, de la contrebande…). Cette
compréhension des tenants et des aboutissants des activités illégales permet de cibler
davantage les actions de répression afin de déstabiliser au maximum les réseaux et
circuits de l’économie criminelle. En particulier, il est attendu de la CIU qu’elle repère les
individus occupant des positions clé dans les réseaux s’adonnant aux trafics de stupéfiants et
de marchandises volées, afin d’amener les enquêteurs à focaliser leur attention sur eux.
Contrairement aux divisions de police judiciaire et à leurs cellules d’analyse criminelle, qui
travaillent exclusivement à partir d’informations judiciaires, la CIU croise différents types
de renseignements (statistiques, informations émanant des partenaires locaux,
connaissances générales diffusées par les agences étatiques et fédérales…).
Pour exploiter les données sur la délinquance, la CIU peut s’appuyer sur les nombreux
analystes du Fusion Center de Virginie, qui effectuent des études à la demande et produisent
des bulletins et rapports d’intelligence à un rythme très soutenu (hebdomadaire ou mensuel
pour les informations opérationnelles et les rapprochements, trimestriel ou annuel pour les
analyses stratégiques). Ces analystes sont hautement qualifiés et spécialisés par type de
délinquance.
La CIU dispose d’un relai dans chaque division de police judiciaire, en la personne
d’un cadre de ce service chargé de superviser la mise en œuvre de l’ILP au sein de celui-
ci. Ce superviseur divisionnaire de la fonction d’intelligence s’assure que les renseignements
recueillis par les personnels opérationnels de la division sont effectivement transmis, en temps
et en heure, à la CIU, et veille à ce que les cadres et les enquêteurs de sa division reçoivent, en
retour, les analyses tactiques et stratégiques dont ils ont besoin (il doit, en particulier, faire en
sorte que les membres de la CIU connaissent suffisamment bien les matières sur lesquelles
travaille sa division, et, si tel n’est pas le cas, il doit mettre en place pour eux une formation
adéquate). Les deux divisions de police judiciaire possèdent chacune leur propre cellule
d’analyse criminelle, qui est également un interlocuteur privilégié de la CIU. Grâce à ces
relais, les membres de la CIU ont une très bonne connaissance des besoins en
informations, mais aussi des capacités de collecte des renseignements, des différents
services opérationnels du département. Une partie de leur activité consiste à mettre en
relation des policiers qui disposent d’informations complémentaires. Ainsi, la CIU joue un
rôle de facilitateur dans la création de relations informelles au sein du NPD, entre les policiers

32
des différents services, et entre les policiers du NPD et leurs homologues des départements de
police des villes voisines (par le biais du 7 Cities Intelligence Group).
En somme, la CIU joue un triple rôle de centralisation des renseignements, de
mémoire organisationnelle et de passerelle d’informations entre les différents services.
La CIU peut travailler en soutien des équipes d’enquête des divisions de police
judiciaire, en recherchant des compléments d’information, par exemple sur les proches et les
complices présumés des suspects, ou encore en vérifiant certaines informations douteuses
obtenues par les enquêteurs. Le rôle de la CIU peut consister à prolonger et approfondir
l’enquête, s’il apparaît qu’il est possible, au-delà de l’élucidation d’un délit, de démanteler un
réseau criminel. Dans ce cas, la CIU mobilise ses propres sources d’information pour tenter
de frapper le sommet des organisations criminelles. La CIU s’efforce de convaincre les autres
services de lui communiquer un maximum de renseignements en échange d’analyses qui
permettent d’envisager un surcroît d’élucidations, d’arrestations et de mises en cause. La CIU
incite à la rationalisation des activités de police judiciaire au sein du NPD : elle
encourage à mettre en perspective et en contexte les éléments récoltés dans le cadre des
affaires qui leur sont confiées, à prendre du recul par rapport à leur domaine de spécialisation
pour voir les connexions entre différents types de délinquance, à planifier leur travail de
recherche de renseignements, à sélectionner les cibles de surveillance
A Norfolk comme dans les autres villes étudiées, le système de police communautaire
est mis à contribution par la fonction d’intelligence. La CIU donne des directives aux COP
officers (appelés Community Ressource Officers à Norfolk) en matière de recueil des
renseignements : aller interroger certains individus à leur domicile, obtenir des
renseignements de la part des partenaires locaux tels que les travailleurs sociaux, les agents
des offices HLM, ou les militants dans les associations de quartier…).
Les enquêteurs affectés à la CIU doivent être des policiers expérimentés : ils doivent
avoir un minimum de 5 ans d’ancienneté au sein du NPD, dont 2 ans au moins dans un
service d’investigation judiciaire. Ils doivent avoir des compétences avérées dans les
domaines de l’interrogatoire, la procédure judiciaire, la collaboration entre agences policières,
la communication avec les partenaires extérieurs non policiers. Ils ont l’obligation de suivre
une formation de 40h à l’intelligence de sécurité publique au cours de l’année qui suit leur
affectation. Les membres de la CIU ont suivi les formations les plus en pointe en matière
d’ILP.
Chaque renseignement recueilli au sein du département doit être retranscrit sur un
formulaire spécifique, le Criminal Intelligence Report, qui est transmis à la CIU. La CIU
dispose alors de 30 jours pour vérifier la nature criminelle du renseignement (il doit exister
une présomption raisonnable de lien avec un acte de délinquance), la fiabilité de la source et
la validité des informations. Si la qualité du renseignement est jugée suffisante, les
informations contenues dans le formulaire sont entrées dans la base de données informatique
du NPD, le CrimeNtel system. En revanche, si la CIU n’a pas été en mesure d’évaluer
positivement la qualité de l’information avant la fin du délai de 30 jours, seule la version
papier du formulaire est conservée, pour une durée maximale de deux ans, dans un fichier qui
ne peut être consulté que par les membres de la CIU. La CIU gère également une base de
données dédiée aux modes opératoires des crimes et délits non élucidés.
Les informations contenues dans les fichiers et bases de données gérées par la CIU sont
passées en revue chaque année afin de supprimer les renseignements devenus inutiles, ceux
qui sont périmés (le délai de conservation a été fixé à 5 ans, il peut être prolongé si l’individu
concerné est toujours impliqué dans des activités criminelles) et de réviser le niveau de
classification de ceux qui sont conservés.

33
34
ANNEXE 1 : LES COMPETENCES REQUISES DE LA PART DES PERSONNELS
PARTICIPANT A LA FONCTION D’INTELLIGENCE

Les analystes

La doctrine insiste sur le principe selon lequel la mission première des analystes doit
être l’interprétation des informations à des fins d’aide à la décision stratégique, tactique
et opérationnelle, et non pas la simple transmission d’informations ou la confection de bilans
d’activité chiffrés, comme c’est le cas dans beaucoup de FPL (IACP, 2002, p.vi).
Les analystes ne doivent pas être confondus avec les data entry specialists. L’analyse est
considérée davantage comme un art que comme une technique : pour être capable de produire
des analyses de qualité, l’analyste doit développer une forme d’esprit, des modes de
raisonnement et des savoirs experts bien spécifiques, dont l’apprentissage requiert à la fois
une formation théorique relativement poussée et une expérience pratique de l’étude des
informations (Loyka et alii, 2005, p.32).
Les promoteurs de l’ILP pensent que les analystes doivent lire la littérature scientifique
dans le domaine de la criminologie et des études policières, voire nouer des coopérations avec
les institutions académiques, afin de suivre les progrès des cadres d’analyse et des techniques
de réduction de l’insécurité (ou d’y contribuer en participant à des recherches).
La doctrine de l’ILP estime – bien qu’il y ait encore des débats à ce sujet – qu’il est
préférable que les analystes soient des policiers plutôt que des employés civils. En effet, il
est généralement considéré qu’un analyste doit avoir accumulé une certaine expérience du
travail policier sur le terrain pour être en mesure de conseiller utilement les services
opérationnels. Ils doivent, en particulier, connaître les ficelles du métier d’enquêteur pour
produire des analyses criminelles de qualité. D’autre part, il est jugé préférable que les
analystes aient une connaissance à la fois concrète et approfondie du territoire dont ils
étudient les problèmes de sécurité : habitudes de vie des différentes catégories d’habitants,
activités économiques légales et illégales, tissu administratif et associatif, figures centrales et
périphériques du milieu délinquant…
En revanche, les postes d’analyste doivent être confiés à des policiers ayant fait des
études supérieures (au moins quatre années selon l’IALEIA, de préférence dans un
cursus de science sociale) et qui sont véritablement intéressés, motivés et qualifiés pour
effectuer un travail intellectuel exigeant. Des policiers disposés à consacrer une partie de
leur carrière à la réflexion plutôt qu’à l’action ou au management. Les rapports consacrés à la
promotion de l’ILP admettent généralement que de tels profils sont excessivement rares dans
un métier orienté vers l’action (Carter, 2007, p.253). C’est pourquoi il est jugé nécessaire de
définir des parcours professionnels dédiés au renseignement. Ces schémas de carrière doivent
être conçus pour être attractifs tant du point de vue de la rémunération que de la possibilité
d’accéder à des échelons élevés dans la hiérarchie (IACP, 2010, p.4)
Les compétences que doivent posséder les analystes sont :
- des savoirs de base en criminologie, la connaissance des principales menaces au
niveau national et international,
- des connaissances doctrinales concernant le cycle du renseignement, l’intelligence-
led policing et la politique nationale en matière de partage des informations touchant
à la sécurité nationale, aux formes graves de criminalité, à la sécurité publique et à
l’ordre public (US Department of Justice, 2007, p.3)

35
- tout un ensemble de savoirs et savoir-faire relatifs au recueil des renseignements :
l’analyste doit non seulement être capable de réaliser une étude à partir de diverses
sources ouvertes, mais aussi maîtriser suffisamment les techniques d’enquête
policière (interrogatoire, interview, surveillance électronique, informateurs et
indicateurs…) pour être en mesure, le cas échéant, de collecter lui-même des
éléments nécessaires à ses analyses (Carter, 2004, p.110, IALEIA, 2004, p.17),
- la connaissance des techniques de compilation, mise en forme (codage
informatique), manipulation, stockage, classement et protection (selon le niveau de
confidentialité) des différents types d’informations policières,
- la capacité à évaluer l’intérêt, la fiabilité, la validité, la pertinence, le caractère plus
ou moins sensible et le degré de confidentialité requis d’une information,
- des aptitudes à la pensée analytique : approche critique des informations et de leurs
sources, capacité à ne pas se laisser influencer par des idées préconçues (en
particulier les préjugés ayant cours dans l’organisation et les croyances non fondées
des managers), raisonnement logique, capacité à fabriquer des inférences et des
hypothèses multiples, à déterminer celles qui sont les plus probables, mais aussi à
s’en départir lorsqu’elles ne sont pas confirmées par les données, capacité à
concevoir des recommandations acceptables et applicables à partir des conclusions
des analyses (IALEIA, 2004, p.21-22).
- la connaissance des techniques et méthodes d’analyse criminelle, afin d’être en
mesure de fournir des pistes aux enquêteurs engagés dans des investigations
complexes, par exemple en leur apportant des éléments concernant la structure et le
mode de fonctionnement de groupes ou réseaux criminels, les carrières délinquantes
et les mobiles de leurs membres, les soutiens extérieurs dont ils bénéficient, la
manière dont ils obtiennent leurs moyens d’action (ressources financières, armes…),
leurs modes opératoires et leurs cibles probables, l’évolution de leur niveau de
dangerosité. Pour ce faire, les analystes doivent être capables d’opérer des
rapprochements entre des indices et de mettre en évidence des séries de faits
(pattern analysis), d’analyser des enregistrements téléphoniques et des comptes-
rendus d’audition, de procéder à des analyses de réseau (link charts), biographiques,
financières…
- la connaissance des techniques et méthodes d’analyse des menaces (threat
assesment) et d’analyse des vulnérabilités : diagnostics de sécurité de lieux ou
d’événements, études des risques encourus par des groupes ou des populations,
- des notions en matière de traitement et d’exploitation des informations statistiques et
des compétences dans le domaine de l’analyse de la délinquance, afin d’être aptes à
repérer, sur la base de grandes masses de données, les changements de la situation
sécuritaire. Le savoir-faire dans le domaine des statistiques est également utile pour
mettre en évidence l’effet préventif de l’action policière (c’est-à-dire les délits qui
ne se produisent pas en raison de la dissuasion exercée par la police) qui est plus
difficilement démontrable que l’effet répressif,
- la maîtrise de divers outils informatiques, tels que les logiciels de cartographie de la
délinquance, les tableurs, les packages d’aide à l’analyse policière, les logiciels de
text mining et de data mining, les dispositifs de compstat ou encore les systèmes
d’information et de communication interne,
- une connaissance générale des différents acteurs de la sécurité et du renseignement
intérieur au niveau national (domaine de compétences, missions, priorités…), afin

36
d’être capable d’alerter les bons interlocuteurs quand une information pouvant les
intéresser est récoltée,
- la connaissance du cadre juridique et déontologique régissant les activités
d’intelligence et de partage externe des informations : questions relatives à la
préservation des libertés publiques, au droit à la vie privée, à la diffusion et à l’usage
des informations en fonction de leur niveau de confidentialité, à la gestion des
indicateurs et informateurs…
- des aptitudes à l’expression écrite et orale, afin d’être capable d’élaborer des
« produits de la fonction d’intelligence » (rapports, briefings, bulletins…) facilement
compréhensibles, assimilables et utilisables par les managers et les services
opérationnels (Carter, 2004, p.80-81). Les rapports d’analyse doivent être rédigés
dans un style conjuguant brièveté, neutralité, objectivité et clarté de l’argumentation.
Les faits doivent y être nettement distingués des opinions de l’analyste et le degré de
fiabilité des renseignements doit être chaque fois précisé (IALEIA, 2004, p.25-26).
Les analystes doivent avoir la capacité de produire trois types d’intelligence,
opérationnelle, tactique et stratégique. Le poids relatif de chacune d’entre elle dans leur
activité doit être ajusté en fonction de la conjoncture sécuritaire (niveau de vigilance
concernant tel ou tel type de problème) et du calendrier des politiques locales de sécurité
(durant les phases de conception et d’évaluation, les dirigeants de la FPL ont un besoin accru
d’analyses stratégiques).
Selon l’IALEIA, les tâches d’analyse stratégique doivent être confiées aux analystes les
plus expérimentés tandis que les novices doivent faire leurs armes en réalisant des analyses
opérationnelles pour le compte des unités d’enquête criminelle. Il est jugé souhaitable que les
analystes développent des spécialisations dans l’étude de certains types de délits (trafic de
drogue, délinquance financière…), d’organisations criminelles (cartels mexicains, crime
organisé russe…) ou de problèmes (IALEIA, 2005, p.6).
Les rapports rédigés par les analystes doivent mentionner les services susceptibles d’en
exploiter le contenu, indiquer une estimation du délai de péremption des renseignements,
mettre en valeur les informations cruciales et, surtout, contenir des recommandations
susceptibles d’aider les utilisateurs finaux à répondre au problème soulevé.
En d’autres termes, les rapports d’analyse doivent suggérer des solutions possibles,
indiquer des pistes pour l’action en vue de parvenir à des résultats soit en matière de
répression (élucider des délits, appréhender des auteurs d’infraction), soit en matière de
prévention (durcir les cibles potentielles d’actes de délinquance, déployer plus efficacement
les effectifs, améliorer les relations avec les habitants ou les partenaires extérieurs).
Pour Jerry Ratcliffe, l’une des raisons qui explique la sous-utilisation des dispositifs
d’analyse dans les FPL est l’insuffisance du savoir doctrinal chez les destinataires des
rapports d’analyse : lorsqu’un problème auquel ils n’ont jamais été confronté est porté à leur
attention par les analystes, ils peuvent n’avoir qu’une vague idée des répertoires de solutions
possibles et être incapables de déterminer les chances de succès de telle ou telle réponse, donc
considérer que l’analyse est davantage une source de problèmes insolubles qu’une aide à la
décision (2007, p.27).
C’est pourquoi les analystes ne doivent pas se contenter d’exposer les problèmes,
mais doivent aussi fournir aux décideurs des répertoires d’action appropriés, ce qui
implique de leur part une bonne connaissance des doctrines d’action policière, ainsi que
la capacité d’imaginer une gamme d’options entre lesquelles le décideur va pouvoir
choisir (IALEIA, 2004, p.24).

37
Les analystes sont encouragés à faire un usage extensif des sources ouvertes
d’information : médias, bases de données publiques, littérature et colloques scientifiques,
textes produits par des experts ou contacts directs avec eux, rapports officiels produits par les
administrations, discussions sur les forums Internet, moteurs de recherche sur la Toile, etc. La
valeur des informations en libre accès est aujourd’hui largement reconnue par la communauté
de l’intelligence aux Etats-Unis (Carter, 2004, p.74).

Les responsables de la fonction d’intelligence

Les superviseurs de la fonction d’intelligence doivent non seulement maîtriser les


mêmes compétences de bases que les analystes, mais doivent également posséder des
aptitudes liées à leur rôle d’encadrement (US Department of Justice, 2007, p.7-11) :
- être capable d’élaborer une stratégie de développement de l’ILP à l’intérieur de leur
organisation et vis-à-vis des partenaires extérieurs,
- être apte à tirer les conséquences des changements législatifs, réglementaires et des
politiques publiques sur l’organisation et le fonctionnement du système
d’intelligence,
- connaître les méthodes d’évaluation des besoins en renseignement et les techniques
de planification des activités d’intelligence,
- savoir évaluer et justifier les apports de la fonction d’intelligence en termes de
performances des activités policières et partenariales,
- savoir comment sélectionner et former les analystes, ainsi que mesurer leurs
performances professionnelles en fonction de critères spécifiques,
- savoir évaluer l’efficience d’une unité d’intelligence, en termes de pertinence et
d’utilité des informations et analyses produites, d’aptitude à toucher, concerner et
satisfaire les utilisateurs finaux, d’accélération de la circulation des renseignements
dans l’organisation, de retour d’information en direction des services opérationnels,
de respect des standards nationaux…
- connaître les précautions à prendre quand des informations sensibles sont échangées
avec des acteurs extérieurs (autorités politiques, partenaires, médias…) : protection
des sources, règles de confidentialité…

La formation à l’intelligence des autres personnels des FPL

Le US Department of Justice préconise de prodiguer des formations courtes (quelques


heures) à l’intention des cadres dirigeants et de certains personnels des échelons
intermédiaires (notamment les COP officers) et de base concernant la philosophie générale de
l’ILP, sa complémentarité avec le community policing, le rôle et le fonctionnement de la
fonction d’intelligence dans la police, la plus-value que les analystes peuvent apporter aux
différents services et la façon d’exploiter leur production, les questions relatives au caractère
sensible ou secret de certaines informations.
Ces formations doivent avoir pour but de convaincre les policiers du bien fondé d’un
partage aussi intensif et extensif que possible des renseignements, moyennant certaines
précautions et une organisation appropriée des circuits d’échanges d’informations.

38
Les institutions délivrant une formation à l’exercice de la fonction
d’intelligence

Par exemple, le Federal Bureau of Investigation College of Analytic Studies, créé en 2002,
propose un stage d’analyse criminelle de 7 semaines axé sur la lutte antiterroriste. Le FBI
dispose également de moyens de formation à distance (Virtual Academy).
La Drug Enforcement Administration (DEA) a créé un stage de 10 semaines à l’intention
des policiers souhaitant devenir Basic Intelligence Research Specialist, qui peut être complété
par des formations avancées.
Le Federal Law Enforcement Training Center (FLETC) délivre un certificat de
Intelligence Analyst qui peut être obtenu à l’issue de 4 à 6 semaines de formation (Federal
Law Enforcement Analytic Training), ainsi que des stages de sensibilisation à la fonction
d’intelligence d’une durée de deux jours.
La Foundation of Intelligence Analysis Training de (IALEIA, LEIU, National White
Collar Crime Center) propose, quant à elle, un stage de 5 jours.
La New Jersey Division of Criminal Justice a mis en place des cours d’analyse assistée par
ordinateur, d’analyse pour les investigations financières et d’analyse stratégique.
La communauté américaine du renseignement admet que les pays les plus avancés dans le
domaine de l’ILP, à savoir la Grande-Bretagne et le Canada, sont aussi ceux où existent les
meilleures formations au renseignement. Par exemple, le Royal Canadian Mounted
Police/Canadian Police College est réputé pour ses enseignements dédiés à l’analyse
stratégique.
Très peu d’universités ont mis en place des enseignements traitant la fonction
d’intelligence. Par exemple, le cursus de criminologie de la Michigan State University
comprend un cours de Law Enforcement Intelligence Operations.
Une autre modalité récente de professionnalisation des analystes est la création de forums
d’échange d’idées, d’expériences et de bonnes pratiques sur Internet. Ces chat rooms
réservées aux spécialistes font partie intégrante de certains systèmes régionaux ou nationaux
de partage d’informations criminelles, tel que les Regional Information Sharing Systems
(RISS) et Regional Intelligence Centers (dits aussi Fusion Centers), le Joint Regional
Information Exchange System (JRIES) du Department of Homeland Security (DHS), le Law
Enforcement Information Sharing Program (LEISP) du US Department of Justice et les
plateformes d’accès aux bases de données fédérales.
Ainsi, le portail Law Enforcement Online, géré par le FBI, héberge des forums de
discussion et des news groups thématiques, des bulletins d’alerte et des rapports d’analyse
rédigés par le FBI, une bibliothèque virtuelle contenant des extraits de la presse
professionnelle, des rapports d’étude, des publications scientifiques, des documents
techniques et juridiques, un calendrier des stages de formation et des symposiums
susceptibles d’intéresser les membres de la communauté de l’intelligence, des ressources de
formation à distance et des outils d’analyse de l’information.
Un système de certification professionnelle des analystes a été mis en place par l’IALEIA,
afin de permettre aux FPL de recruter et de promouvoir des analystes ayant les qualifications
requises. Il existe quatre niveaux de certification, le passage au degré supérieur étant
conditionné par l’ancienneté dans une fonction d’analyse, l’accomplissement de stages de
formation continue, la participation aux activités de l’IALEIA et, pour les deux échelons les

39
plus hauts, la réalisation d’innovations ou de publications professionnelles (voir IALEIA,
2010).

ANNEXE 2 : BIBLIOGRAPHIE

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