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archéologie,

patrimoine culturel et
datation par le carbone 14

par spectrométrie de masse par accélérateur

CENTRE DE RECHERCHE ET DE RESTAURATION DES M USEES DE FRANCE


M ISSION DE LA RECHERCHE ET DE LA TECHNOLOGIE
SOUS- DIRECTION DE L’ARCHEOLOGIE
CENTRE DE DATATION PAR LE RADIO CARBONE

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Le Ministère de la culture et de la communication et le Centre national de la recherche scientifique,
représentés par la Mission de la recherche et de la technologie, la sous-direction de l’archéologie, le Centre de
recherche et de restauration des musées de France et le Centre de datation par le radiocarbone, ont organisé une
journée d’information sur le projet national de spectrométrie de masse par accélérateur (SMA) pour la mesure du
carbone 14.
Cette journée a eu pour but de présenter les possibilités offertes par le nouveau laboratoire dans le domaine
de l’archéologie et du patrimoine culturel ainsi que de rechercher les grands thèmes pour lancer un programme
national de datation par le radiocarbone.
L’ensemble des archéologues, des conservateurs, des historiens de l’art, et plus généralement des
chercheurs des sciences de l’homme fossile et moderne impliqués dans les problèmes de datation et intéressés par
la méthode de datation par le carbone 14 par SMA ont été invités à participer aux exposés et aux tables rondes
programmés.

La journée d’information sur la datation par le carbone 14 par SMA a eu lieu le vendredi 22 mars 2002 au
Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF, UMR 171 CNRS) à Paris.

Contact : Maria Filomena Guerra


C2RMF
6, rue des Pyramides
75041 Paris cedex
e-mail: maria.guerra@culture.fr
tel : 01 40 20 24 58
fax : 01 47 03 32 46

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PROGRAMME

§ ACCUEIL DES PARTICIPANTS


J EAN-FRANÇOIS T EXIER et J EAN-PIERRE MOHEN

§ COMMUNICATIONS
Exemples de datations par la technique du carbone 14, d’objets ethnographiques et artistiques
J EAN-PIERRE M OHEN
Présentation du nouveau spectromètre de masse par accélérateur pour la mesure du 14C
PHILIPPE J EAN-BAPTISTE
Apports de la datation SMA à l’archéologie
J ACQUES E VIN
Apport des datations par le carbone-14 en Archéologie préhistorique
FRANÇOISE DELPECH
Des dates conventionnelles isolées aux séries par SMA : exemples d’un emploi raisonné pour une chronologie assistée par
le radiocarbone durant les VIe, Ve et IVe millénaires en Armorique
SERGE CASSEN
Utilisation du carbone-14 pour la datation de sépultures et architectures médiévales
FABRICE H ENRION
L’utilisation du 14C dans la chronologie du Néolithique proche oriental
O LIVIER A URENCHE
Analyse et datation au sein de l’INRAP bilan et perspectives »
J EAN-PIERRE G IRAUD
Eléments pour une contribution intégrée des datations par le radiocarbone aux problématiques de l’archéologie
paléolithique
J EAN-M ICHEL G ENESTE
Datation des bois – Avantages et inconvénients des techniques C14 et dendrochronologie pour la datation des bois de
structure ou d’œuvres d’art
E MMANUEL M AURIN «

§ TABLES RONDES
modérées par A STRID BRANDT -GRAU et J EAN-PIERRE DAUGAS
PALEOLITHIQUE
Animée par FRANÇOISE AUDOUZE, J ACQUES J AUBERT , BORIS VALENTIN , H ELENE V ALLADAS
N EOLITHIQUE/PROTOHISTOIRE
Animée par DIDIER BINDER , A NNIE CAUBET , SERGE CLEUZIOU
A NTIQUITE/MEDIEVAL
Animée par J OËLLE BURNOUF, CHRISTIAN PEYRE
CONCLUSION DES TABLES RONDES
J EAN-PIERRE DAUGAS
§ CLOTURE
J EAN-PIERRE DALBERA

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ACCUEIL

Accueil des participants


Jean-François TEXIER
Sous-directeur de l’archéologie
direction de l'architecture et du patrimoine
4 rue d' Aboukir - 75002 PARIS

Cette journée de réflexion méthodologique et programmatique concernant les prochaines orientations à


donner aux datations par le radiocarbone dans les domaines de l’archéologie et du patrimoine intervient à un
moment où les cadres de la recherche connaissent une évolution sans précédent. La loi du 17 janvier 2001 relative
à l’archéologie préventive inscrit celle-ci comme partie intégrante de la recherche et établit l’unité épistémologique
de la discipline. Elle détermine une relance de la coopération inter-institutionnelle entre le CNRS, les universités,
l’institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), nouvellement créé, et le ministère de la culture
et de la communication comme en témoigne, entre autres, le récent lancement des actions collectives de recherche
(ACR) co-financées par l’ensemble de ces partenaires.
C’est dans ce contexte qu’aboutit un projet initié, dès 1998, par le Centre de recherche et de restauration
des musées de France (C2RMF) et la Mission de la recherche et de la technologie (MRT) du ministère de la culture.
Sur la base du constat que le Tandétron, accélérateur installé voici une quinzaine d’années au laboratoire mixte
CNRS/CEA de Gif-sur-Yvette, ne parvient à traiter que 10% des 1000 demandes de datation issues chaque année du
domaine large de l’archéologie française, un appel d’offre a été lancé en 2001 en vue de l’acquisition d’un second
appareillage qui sera installé dans les mêmes lieux, fin 2002. Une convention de partenariat entre le Commissariat à
l’énergie atomique, le CNRS (INSU, Chimie), le ministère de la culture, l’Institut de recherche pour le développement
(ex ORSTOM) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire fixe à 40 % du temps-machine la part de
l’archéologie et de l’histoire de l’art. Ainsi peut-on estimer que les deux spécialités disposeront d’un créneau
commun de 2000 dates par an à partir de 2003. Il est évident que l’utilisation de ce contingent devra être assorti
d’une rigueur renouvelée dans le choix des échantillons et d’une définition argumentée des problématiques
scientifiques.
En matière d’archéologie programmée la Sous-direction de l’archéologie développe, depuis 1987, une
politique volontariste de soutien aux analyses de laboratoire à hauteur moyenne de 0,30 millions d’Euros et dont
17% environ sont consacrés aux datations par le radiocarbone : 150 mesures d’âge sont ainsi réalisées chaque
année, soit en moyenne une par fouille programmée, toutes périodes confondues. En revanche, dans le domaine de
l’archéologie préventive la demande est au moins quintuplée et recourt, pour environ 150 à 200 dates par SMA, à
des laboratoires étrangers essentiellement américains. Cependant, l’examen des résultats divulgués sur le tracé du

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TGV Méditerranée, par exemple, révèle une trop grande dispersion des problématiques, de nombreux doublons et
l’absence fréquente d’un questionnement archéologique précis : sans véritable dialogue avec les physiciens, souvent
relégués au rôle de prestataires de service, ces datations ne contribuent que mal à constituer des référentiels
chronostratigraphiques, chrontypologiques ou chronoculturels à valeur générale ou régionale.
Le nouvel accélérateur prochainement mis à la disposition des archéologues suppose donc une nouvelle
politique, avant tout fondée sur une meilleure coordination scientifique dans un cadre interdisciplinaire affirmé. Dès
la fin 2002, l’appel d’offres des ACR se veut notamment l’occasion d’un approfondissement méthodologique entre
les archéologues, les paléoenvironnementalistes et les archéomètres. Il favorise également l’établissement de
nouveaux référentiels établis sur une révision critique des échantillonnages et sur une sélection des méthodes en
fonction du choix des supports, des périodes traitées et d’une plus juste appréciation des perturbations biologiques
et anthropiques.
La Sous-direction de l’archéologie sera attentive à faire converger des flux financiers réguliers vers ce
nouvel équipement. Cette politique volontariste sera fondée sur une évaluation scientifique rigoureuse des demandes
et la définition d’une programmation incitative de haut niveau développée avec l’ensemble des partenaires
intervenant sur le territoire national.

Accueil des participants


Et
Exemples de datations par la technique du carbone 14, d’objets ethnographiques
et artistiques
Jean-Pierre MOHEN
Directeur du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France
Palais du Louvre – 6, rue des Pyramides – 75 041 Paris cedex 01

L’époque pionnière du C14 en France a été dans les années 1960 une période très stimulante qui réunissait
à Gif-sur-Yvette, Mme Délibrias responsable des mesures et P.R. Giot, l’archéologue qui savait orienter les
recherches dans les domaines les plus justes. Celui des mégalithes reste célèbre. Quarante ans plus tard, les
besoins d’un approfondissement des sciences chronologiques sont plus pressants encore, comme le démontre par
exemple S.W. Manning (1999) à propos de l’explosion du volcan de Santorin, qui pourrait être située en 1628 avant
J.C. et avoir eu des conséquences dans l’ensemble du monde méditerranéen, appréhendées différemment par les
archéologues, les historiens, et les spécialistes des sciences de la terre. Les synthèses chronologiques sont
indispensables. Le nouveau programme national des datations du radiocarbone, doit relancer ce dialogue sur la
mesure du temps, indispensable pour toute approche historique, technique, archéologique… L’archéologie est en

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effet concernée au premier plan par ces investigations dont les thèmes sont multiples, mais l’historien des
techniques ethnologiques, architecturales, ou artistiques sait aussi exploiter les résultats d’analyse d’échantillons de
carbone. L’objectif de ce préambule est de rappeler que dans le rapprochement des sciences de la nature et des
sciences de l’homme, aucune demande ne reçoit une réponse automatique, en d’autres termes, la démarche n’est
pas seulement celle d’un technicien mais celle de chercheurs qui au-delà des résultats qu’ils obtiennent, amorcent
un début de compréhension de l’événement dont ils deviennent les témoins. Le programme national de datation par
le radiocarbone doit être envisagé comme un engagement scientifique et je formule tout le succès à cette première
réunion de concertation sur les thèmes majeurs de cette recherche.
Je salue en particulier l’intérêt pluridisciplinaire pour ce programme national de datation du radiocarbone, qui
réunit les archéologues qui travaillent en France et à l’étranger, les préhistoriens aussi bien que les historiens, qu’ils
soient de l’université, du CNRS, de la sous-direction de l’archéologie, des musées ou des collectivités territoriales. La
variété des champs concernés par la datation du 14C apparaîtra lors des différentes interventions et débats de cette
journée. Dans cette perspective, je puis vous donner quelques indications sur ce qu’attendent mes collègues des
musées du programme national de 14C.

Musées et 14C quelques acquis et propositions

La plupart des thèmes énumérés sont dépendants des collections des musées mais les problématiques sont à
définir et à interpréter plus largement lors de rencontres de spécialistes. Voici quelques exemples d’études de
datation rendues possible du fait de l’échelle microscopique de l’échantillon.

1 – en préhistoire
§ Les restes anthropologiques du paléolithique supérieur en France conservés dans les musées d’archéologie
et dans les muséums d’histoire naturelle. Dans cette catégorie rentrent des fossiles humains des anciens
Homo Sapiens Sapiens et ceux des derniers Homo Sapiens neanderthalensis. Les contextes de ces fossiles
osseux, ou charbonneux apporteraient des confirmations et des indications précises sur l’environnement de
ces deux espèces d’hommes modernes dont l’un va rapidement disparaître. Musées de Saint-Germain-en-
Laye, Musée de l’Homme, Musée des Eyzies.
§ Les fragments d’art mobilier du paléolithique supérieur en France, qui se comptent par centaines dans les
musées n’ont sauf exception jamais été datés. Leur appréhension chronologique comparée à celle des
grottes ornées poursuivie par Gif-sur-Yvette (Hélène Valadas) devrait renouveler notre perception et
compréhension de ces objets ornés qui apparaissent en nombre au paléolithique supérieur et dont on ne
connaît pas la fonction. Musée de Saint-Germain-en-Laye, Musée des Eyzies)
§ La technique mise au point pour extraire le carbone des tessons de poterie, pourrait être utilisée pour dater
les offrandes déposées dans les mégalithiques encore trop mal datés surtout dans des zones où le sol

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acide a détruit les os humains. Les collections de plusieurs musées possèdent des tessons des mégalithes
bretons dont on pourrait ainsi affiner les différentes étapes d’utilisation des chambres funéraires
mégalithiques. Selon la même technique, on pourrait dater les tessons recueillis au pied des menhirs.
Quelques tests en thermoluminescence recouperaient les résultats du 14C. Musée de Saint-Germain-en-
Laye, Musée de Penmarch, Musée de Carnac, Musée de Bougon

2 – en histoire
§ Les textiles trouvés dans les tombes, plus ou moins minéralisés, peuvent faire maintenant l’objet d’études
approfondies au microscope ; un minuscule échantillon peut-être réservé à la datation. Ces évaluations
concernent des populations anonymes ou parfois de grands personnages pour lesquels, il est souvent
nécessaire d’avoir des vérifications de datation des os du squelette. Etude faite au Restaura à Rome.
§ Bien des objets en cuir, en bois ou en os se retrouvent dans les sites d’habitat ; le recours au carbone 14,
parmi d’autres méthodes de datation, comme la dendrochronologie, a donné de bons résultats sur la
reconstitution du village de l’an mil, fouillé à Paladru (Isère). Musée provisoire de Paladru.
§ Les contenus de certains récipients, en matière organique, sont de nos jours étudiés : l’exemple type est
l’amphore italique mais bien des vaisselles d’épaves médiévales se prêtent à ces études qui permettent de
situer le contexte du drame du naufrage mais aussi d’esquisser une histoire de la vie quotidienne. Musée
des docks de Marseille.

3 – en histoire de l’art
Des applications pourraient être multipliées à la lumière de ces trois exemples :
§ Un Christ en croix dit «Vieux Bon Dieu », bois polychrome sculpté dans un atelier mosan vers 1000, exposé
dans la Chapelle de Tancrémont en Belgique, a été étudié à l’Institut royal du patrimoine artistique à
Bruxelles. En tilleul pour lequel, il n’y a pas encore de courbe dendrochronologique, la sculpture du Christ a
été datée par le 14C entre 799 et 946 ; ce qui la rend bien antérieure au bois de la croix qui se place entre
1308 et 1412 et qui a sans doute remplacé une première croix. De même on a pu retrouver, les mains du
Christ, en bouleau qui avaient été éliminées et remplacées par des mains en chêne, en 1932. L’histoire de
la polychromie de la sculpture a pu être corrélée à ces transformations structurales.
§ Pour les tableaux peints, la dendrochronologie depuis quelques années est capitale pour dater les
panneaux des primitifs flamands. L’un des grands spécialistes, de ces études se trouve à Hambourg. Les
investigations sont poussées sur les châssis.
§ Pour les tableaux peints sur toile, quelques fibres suffisent pour les dater avec la méthode AMS. Souvent les
dates des historiens d’art sont suffisamment précises pour ne pas avoir besoin des datations radiocarbone.
Mais dans de nombreux cas, les vérifications sont nécessaires ; le Getty Museum pratique aussi ces
datations, à partir du carbone récupéré sur un petit échantillon de la préparation du tableau.

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4 – Objets d’ethnologie et arts exotiques
Dans ces deux domaines on a eu trop souvent tendance à considérer que la dimension temporelle n’avait que
peu d’importance, sous prétexte que ces collections avaient été recueillies par l’ethnologue ou le collectionneur dans
un contexte fonctionnel. En réalité, la durée fonctionnelle peut être longue et ne donne pas d’indication sur le
moment initial de la production de ces œuvres, qui peut remonter à plusieurs siècles. Il y a un enjeu important de
construire une véritable histoire évènementielle et artistique de nombreuses contrées à partir des vestiges et des
objets recueillis au XXe siècle. Cette information enrichie peut provenir des datations par le carbone 14, de charbons
de bois, de bois ou de croûtes provenant des sacrifices. Ces investigations sont commencées dans les grands
musées, en relation avec les archéologues et les ethnologues. Musée du Quai Branly à Paris, Musée d’Angoulême.

Ces quelques orientations de l’utilisation du radiocarbone pour dater des objets de musée, ne représentent
qu’un début de l’intérêt des responsables de musées pour cette méthode qui s’inscrit bien dans la mission
scientifique de ces établissements.

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COMMUNICATIONS

Présentation du nouveau spectromètre de masse par accélérateur pour la


mesure du carbone-14
Philippe JEAN -BAPTISTE
CEA, Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement, U nité Mixte de Recherche CEA-CNRS
C.E.Saclay - F-91191 GIF/YVETTE Cedex

Le carbone-14 est un outil indispensable à de nombreuses disciplines des Sciences de la Terre, de l'Homme
et de la Société :
§ la datation au C-14 des archives du Quaternaire récent donne accès à une chronologie précise de
l'enchaînement des événements climatiques, indispensable à la compréhension de la dynamique du
système.
§ la datation des fossiles pélagiques et benthiques permet de reconstruire les grands traits de la
paléocirculation océanique et de la ventilation des eaux profondes, en relation avec les grands cycles
climatiques.
§ la datation des eaux souterraines est nécessaire à l'établissement de modèles hydrogéologiques.
§ la datation au carbone-14 permet d'étudier la fréquence des évènements volcaniques ou sismiques et une
application à la prévention des risques.
§ le C-14 est aussi un traceur du cycle biogéochimique du carbone, élément clé du système climatique et
acteur central dans la problématique actuelle de l'effet de serre : son dosage dans les différents composés
carbonés présents dans l'atmosphère, l'océan ou sur les continents apporte une contrainte isotopique
irremplaçable sur les flux échangés entre les différents grands réservoirs et sur les temps de résidence du
carbone à l'intérieur de ces mêmes réservoirs.
§ Enfin, bien évidemment, le carbone-14 est également l'un des outils privilégiés de l'archéologie moderne et
de l’histoire de l’Art.
Il s'agit donc là d'un instrument majeur, absolument indispensable à un large spectre de disciplines des
Sciences de l'Homme et de son Environnement.
Sa popularité et son succès doivent beaucoup à l’avènement de la Spectrométrie de Masse par Accélérateur
(SMA). Cette révolution technique des années 80 a permis un gain d'un facteur 1000 sur la taille des échantillons
par rapport à la technique classique du comptage radioactif, ouvrant ainsi une large gamme de nouvelles
applications.
Actuellement, la France ne possède qu'une seule machine de type SMA, le Tandétron de Gif-sur-Yvette, mis en
œuvre depuis le début des années 80 conjointement par le CEA et le CNRS au sein d'un GDR. Cette machine, à

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caractère expérimental, est consacrée pour moitié à la mesure du carbone-14, et à d'autres radioisotopes (10Be,
26Al et 129I) pour l'autre moitié. Ce partage du temps d’analyse, et le caractère de prototype expérimental de la

machine, limitent de fait son débit d'analyses C-14 à un maximum de 900 analyses/an les meilleures années, c'est-
à-dire à un nombre très inférieur aux besoins actuels de la communauté nationale. Or, depuis 20 ans, la technologie
des SMA a progressé pour atteindre un stade de maturité technologique. Les machines de nouvelle génération, qui
équipent déjà nombre de pays scientifiquement développés, ne sont plus des prototypes mais des produits
commerciaux caractérisés par des performances analytiques améliorées (gain d’un facteur 2 sur la précision de la
mesure) et une plus grande fiabilité. Grâce à une automatisation poussée, une plus grande facilité de réglage et des
temps de maintenance plus courts, ces machines sont aussi plus performantes en terme de débit d'analyses. Elles
permettent en outre une nouvelle réduction de la taille des échantillons (jusqu'à un facteur 10) autorisant de
nouvelles applications.
Cette situation a conduit le CNRS, le CEA, le Ministère de la Culture et de la Communication, l'IRSN et l'IRD à se
concerter en vue de l'acquisition en commun d'une machine de nouvelle génération. En effet, la taille de
l'investissement plaide à l'évidence pour une machine à vocation nationale, s'appuyant sur les principales équipes
consommatrices d'analyses C-14 dans les différentes disciplines des Sciences de l'Homme et des Sciences de
l'Univers, et ouverte largement sur l'ensemble de la communauté nationale. Le haut débit des analyses que permet
le choix d'un double injecteur (4000 à 5000 analyses/an, non compris les blancs et standards) rend cette ouverture
tout à fait réaliste.
Une convention, permettant l'acquisition en commun de la machine et son installation dans un bâtiment
adapté, a été signée entre les partenaires du projet le 27 Février 2001. Les participations financières HT se
répartissent de la manière suivante :
- 13.6 MF pour le CNRS, dont :
§ 10,928 MF pour l’INSU,
§ 1 MF de contribution du Département des Sciences Chimiques au titre de son
§ association avec le C2RMF,
§ 1,672 MF de contribution du Ministère de la Culture et de la Communication,
- 8 MF pour le CEA, dont :
§ 6 MF pour la Direction des Sciences de la Matière du CEA et son laboratoire des Sciences du Climat
et de l’Environnement,
§ 2 MF pour l’IPSN, devenu récemment l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN),
établissement désormais totalement distinct du CEA.
- 2 MF pour l’IRD (Institut de Recherche en Développement, ex-ORSTOM)
- auxquels il convient d'ajouter 3 MF de subventions du Conseil Régional d'Ile de France, au titre de son
soutien aux grands équipements (programme SESAME).

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La nouvelle machine, entièrement dédiée au 14C, sera installée au CEA/Saclay dans un bâtiment de 1000 m2
actuellement en cours de ré-aménagement. Ce bâtiment abritera le hall de l'accélérateur et l'ensemble des locaux
annexes nécessaires à son fonctionnement : salle de commande, ateliers de maintenance, laboratoire de fabrication
des cibles, bureaux, etc... Un effectif de 7 personnes, ingénieurs et techniciens, sera affecté à la machine par les
différents organismes partenaires, pour en assurer le bon fonctionnement.
La structure du laboratoire de SMA sera calquée sur celle des UMS (Unités Mixtes de Service) du CNRS. Une
convention de création et de fonctionnement de cette UMS est en cours de rédaction.
Toutes les cibles destinées à être mesurées sur l’accélérateur seront préparées à Saclay dans le laboratoire
de graphitisation de l’UMS (la graphitisation est la transformation en graphite de l’échantillon initialement sous forme
de 14CO2).
L’étape amont de préparation des échantillons (transformation de l’échantillon en 14CO2) restera proche des
équipes de recherche : c'est en effet à ce niveau que l'innovation scientifique se manifeste le plus naturellement. Les
laboratoires ayant une maîtrise avérée de la préparation des échantillons pourront donc envoyer directement leurs
ampoules de CO2 à l'UMS. Ceci permettra en outre d’éviter les redondances, et donc de limiter les coûts, en
s'appuyant en priorité sur les capacités existantes dans les différents organismes partenaires du projet. Pour les
besoins non-couverts par cette procédure, les partenaires ont identifiés des équipes de chimistes chargées
d’assurer le service de préparation des échantillons pour l’UMS. Ainsi,
§ l’INSU, le CEA, l’IRD et l'IRSN mettent en place une équipe de préparation, rattachée à l'UMS mais localisée
géographiquement au LSCE de Gif/Yvette, afin de bénéficier de l’expertise de l'équipe Radiocarbone de ce
laboratoire.
§ les secteurs de l'archéologie et des musées s'appuient sur les capacités du Centre du Radiocarbone de
Lyon (laboratoire J. Evin) et du C2RMF.

Les travaux d'aménagement du bâtiment d'accueil sont en cours et seront achevés fin Juillet 2002.
L'accélérateur a été commandé chez National Electrostatic Corporation (USA) en mars 2001 pour une somme
avoisinant les 2 millions de dollars. La recette en usine est prévue pour Septembre 2002. Le remontage sur le site
de Saclay prendra place en novembre/décembre 2002, avec une réception sur site prévue fin 2002.
L'année 2003 sera donc celle du démarrage et de la montée en puissance de cette nouvelle installation, pour
le plus grand bénéfice de l’ensemble de la communauté scientifique nationale.

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L’archéologie et la datation par spectromètre de masse avec accélération (S.M.A.)
Jacques EVIN
Ingénieur au CNRS
Centre de Datation par le Radiocarbone – Université Claude Bernard – Lyon 1
40, Bd Niels Bohr – 69622 Villeurbanne Cedex

I – Des idées toutes faites à réviser

La proposition d’obtenir les datations radiocarbone avec des accélérateurs, est apparue tout de suite comme
une possibilité de progrès considérable. On a même attribué à cette toute nouvelle technologie des avantages
qu’elle n’a pas.

§ C’est une méthode moderne donc “elle est meilleure que l’ancienne”
Tout d’abord , certains ont pensé que les datations obtenues de cette manière étaient plus fiables que celles
jusqu’alors données par les compteurs de radioactivité 14C. On sait maintenant, après 20 ans d’utilisation conjointe
de ces deux procédures d’analyses que les résultats de l’une ou de l’autre sont tout-à fait comparables, que leurs
précisions sont généralement les mêmes et que lorsque d’anciennes analyses correctement effectuées dans le
passé ont été reprises, les nouveaux résultats les confirment.

§ “Comme les mesures sont faites par accélérateur, on a les résultats plus rapidement”
Le principal inconvénient du comptage de la radioactivité est le temps passé à la mesure (plusieurs jours)
alors que l’accélérateur permet un dosage en quelques heures. Il est donc naturel que l’utilisateur pense pouvoir
avoir ses résultats dans un délai plus court. Il s’avère en fait que les grosses machines ne sont pas d’un emploi très
souple et qu’en pratique les délais d’obtention des résultats en routine sont tout aussi longs qu’avec les compteurs.
§ “Comme la mesure est automatique, elle va être moins chère”
Les coûts d’analyse prennent en compte l’investissement et le fonctionnement des appareillages. On constate
que le prix de revient d’un gros appareillage est souvent plus important que celui d’un petit matériel même si celui-là
peut fournir par an un nombre plus grand de résultats.

§ “Comme il faut peu de matériel, on peut multiplier les analyses”


Oubliant qu’une analyse de radiocarbone donne un résultat fiable surtout si le matériel est correctement
prélevé et nettoyé, certains pensent que, comme cela est l’usage pour d’autres techniques d’archéométrie, il est
préférable de multiplier les analyses sur un même échantillonnage. C’est une assertion bien inutile car on a

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abondamment démontré la reproductibilité des résultats de ce type d’analyses qu’il n’est donc pas nécessaire de
multiplier sur un même échantillon.

II – Ce que la SMA n’améliore pas, sauf exception

§ La précision des analyses


Après vingt ans de pratique de la SMA, on s’aperçoit que la précision des dates, par cette technologie
d’analyse, demeure la même que celle que l’on obtient avec les compteurs de radioactivité les plus performants.
Rappelons ici que l’on obtient maintenant, par compteur ou par SMA, une marge statistique des dates BP de ± 30 à
± 50 ans pour les dix derniers millénaires, ± 200 ans vers 20000 BP et ± 400 ans vers 30000 BP.

§ La portée de la méthode
On sait que, en raison des fluctuations du radiocarbone dans l’atmosphère, la limite de la méthode pour les
âges les plus récents reste la fin du moyen âge. La SMA en ce domaine n’apporte évidemment aucune modification.
En ce qui concerne les âges les plus anciens, des datations aux environs de 50 à 60000 ans, ont
exceptionnellement été obtenus par les compteurs mais on admet généralement que ceux-ci ne permettent pas, en
routine, de détecter des âges antérieurs à 40 ou 45000. Cette limite de détection est en fait due aux possibilités
d’élimination des pollutions par le carbone récent. La SMA permet d’améliorer celle-ci et donc, théoriquement de
pouvoir purifier, dans de meilleures conditions, les matériaux les plus anciens. Donc, si théoriquement les deux
technologies conduisent à une limite de datations équivalentes, dans la pratique, la SMA paraît tout de même plus
fiable pour les âges les plus anciens.

§ Le traitement de nettoyage des échantillons


Comme cela vient d’être souligné, un des points les plus importants dans la procédure de datation est
l’élimination des pollutions. Les procédures qui se sont avérées efficaces, dès les années 1960, pour les nettoyages
des matières végétales (bois, charbon de bois, tourbe, etc…) ou pour les carbonates, restent appliquées de la
même manière en SMA. Par contre, c’est dans le domaine du nettoyage des ossements que la réduction de la taille
de l’échantillon peut conduire à une amélioration des techniques de purification. En effet, si les os relativement
récents (Holocène) contiennent le plus souvent suffisamment de collagène pour que celui-ci soit extrait dans de
bonnes conditions, en quantités suffisantes, par contre, les os plus anciens, à faible teneur en carbone organique,
nécessitent une préparation plus élaborée qui peut seulement être mise en œuvre pour la SMA.

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III – Quels progrès apportent la SMA en Archéologie ?

Il est incontestable que l’avantage majeur de la SMA est la réduction drastique du poids d’échantillons
nécessaire pour une analyse. La réduction d’un facteur de 1000 de celui-ci est évidemment considérable et entraîne
les avantages ci-dessous :

1) Meilleur nettoyage de certains matériaux


On a vu ci-dessus que si les techniques de nettoyage restent les mêmes dans leur principe, la réduction du
poids fait que on peut utiliser des réactifs plus puissants et ne pas hésiter à perdre une bonne proportion de la
matière carbonée pour être bien sûr de ne dater que le carbone originel.

2) Meilleure précision de l’année de formation des échantillons


Comme la précision des analyses approche maintenant la dizaine d’années, il est intéressant de dater du
matériel qui ne s’est formé qu’en une seule année. C’est pourquoi, il est utile de pouvoir appliquer la datation à une
graine , une feuille, une brindille de bois, un cerne de croissance d’arbre, un os de micro mammifères ou de jeunes
mammifères. En effet, tous ces matériaux ne se sont formés qu’en une, deux ou trois années.

3) Utilisation d’échantillons obligatoirement très petits


Tant que la mise en oeuvre de la méthode a nécessité plusieurs grammes de carbone, elle était exclue pour
tous les objets précieux et, d’une façon générale pour les expertises d’œuvre d’art. Il est maintenant possible de
faire de très petits prélèvements sur des tissus anciens, des parchemins, des peintures pariétales, des objets d’art
en bois ou en os ou même les très fins encroûtements noirs de tessons de poterie.

4) Extraction d’échantillons carbonés dans les milieux minéraux


Certains matériaux ne contiennent que peu de carbone (poterie) ou leur carbone d’origine est très complexe
(mortier, concrétion calcaire). Des extractions sélectives de leur carbone ont été tentés pour une datation par les
compteurs mais comme ceux-ci exigeaient trop de matériel, on a dû abandonner ces préparations trop difficiles. La
SMA permet une nouvelle approche de celle-ci est c’est ainsi que sont en cours d’étude des technologies de
préparation en routine pour extraire le carbone des poteries et des mortiers, deux matériaux dont l’intérêt pour
l’archéologie n’est pas à démontrer.

5) Meilleure représentativité archéologique des échantillons


En archéologie, tout l’intérêt d’une datation repose sur la représentativité de l’échantillon analysé. Plus cet
échantillon est petit, plus il peut être recherché par une stratigraphie très fine. Les couches archéologiques sont

14
souvent constituées de la juxtaposition de matériaux qui ne se sont pas forcément formés en même temps. Il est
donc intéressant de prélever et de dater séparément des éléments très petits pour pouvoir mieux distinguer les
évènements archéologiques distincts. C’est dans cette voie que s’oriente maintenant la reprise de certaines chrono-
stratigraphies qui n’avaient pu être datées qu’approximativement lorsqu’il fallait trouver dans les couches une
quantité importante de matière carbonée. C’est par exemple sur le même principe que sont maintenant sélectionnés
des fragments d’os limités à une seule espèce animale ou des charbons de bois limités à une seule espèce végétale.

6) Détection de perturbations ou d’intrusions dans un site


Les possibilités de prélèvements de petits échantillons permettent aussi parfois de façon involontaire de
détecter des perturbations dans les stratigraphies. Celles-ci peuvent être dues à des micro-failles, à des terriers de
rongeurs ou de vers, à des micro glissements de terrains ou à tout autre accident de stratigraphie qui font que des
éléments nettement plus récents ou nettement plus anciens se trouvent inclus dans une couche archéologique. Ces
accidents ne peuvent pas forcément être vus lors de la fouille et nombre d’entre eux ont rendu inexplicables des
datations qui avaient été faites sur du matériel carboné, non trié.

Conclusion
L’emploi de la SMA a donc surtout, pour l’archéologie, l’intérêt de permettre la datation de très petits
échantillons. Ceux-ci peuvent être mieux sélectionnés pour être plus représentatifs des évènements archéologiques
que l’on cherche à dater. Ils peuvent être mieux prélevés dans des stratigraphies examinées plus en détail. Pour
certains d’entre eux, ils peuvent être mieux nettoyés et leur datation a généralement la même précision que celle
des gros échantillons.
L’Archéologie peut envisager, avec la SMA, de nouvelles séries d’analyses, soit sur du matériel qui ne pouvait
être préparé en grandes quantités, soit sur des échantillons sur lesquels sont seulement possibles de micro
prélèvements, soit enfin sur des matériaux plus homogènes.
Les avantages de la SMA par rapport au compteur, concernent toutes les époques de l’histoire et de la
préhistoire. Toutefois, ce sont tout de même les périodes el s plus anciennes pour lesquelles la chronologie pourra
être mieux étudiée puisque, pour les périodes les plus récentes, bien souvent les quantités de matériaux disponibles
dans les sites sont relativement importants. Ceci signifie donc que les deux technologies continueront certainement
de coexister tant que les capacités d’analyses des accélérateurs seront, comme actuellement, saturées.

_________

15
Apports des datations en Archéologie préhistorique
Françoise DELPECH
UMR 5808 du CNRS, Institut de Préhistoire et Géologie du Quaternaire
Université Bordeaux I, 33405 Talence Cedex

Cette intervention reprend, dans une large mesure, le résultat de réflexions et de travaux qui ont été menés
l'un avec Jean-Philippe Rigaud, l'autre avec Donald K. Grayson, Jean-Philippe Rigaud et Jan Simek, et publiés
(Delpech et Rigaud, 2001 ; Grayson et al., 2001).
Les documents sur lesquels se fonde l'acquisition des connaissances en archéologie préhistorique
proviennent essentiellement et en premier lieu des archives du sol. C'est par la fouille que nous mettons au jour les
données qui servent à caractériser les environnements et les activités et comportements successifs des hommes et
des sociétés du passé. Les fouilles sont donc destinées à recueillir des informations et des données relevant de
différents champs disciplinaires réunis en ensembles cohérents d'un point de vue chronologique : principe
fondamental de la stratigraphie, l'organisation superposée des strates (qu'il s'agisse des archéostrates, des
lithostrates ou des biostrates) est censée nous offrir des enregistrements successifs mais non systématiquement
continus des ensembles archéologiques, lithologiques et biologiques. Il est évident qu'en termes de témoignages
des activités humaines, le contenu d'une archéostrate réunit des vestiges d'activités diverses menées au cours
d'une période qui est celle du temps de formation de l'archéostrate (du niveau archéologique). Il est donc
nécessaire de connaître le plus précisément possible les limites d'âge de ce niveau ainsi que sa position
chronologique relativement aux autres archéostrates définies dans des sites différents. En outre, les niveaux
archéologiques peuvent représenter de véritables sols d'occupation en position primaire ("living floors" des auteurs
de langue anglaise), des sols d'occupation partiellement ou même totalement perturbés après leur dépôt, voire des
mélanges de plusieurs sols d'occupation. Il est donc aussi nécessaire de vérifier le degré d'homogénéité
chronologique du contenu de l'archéostrate ainsi que les relations chronologiques entre archéostrates d'un même
site. L'archéologue préhistorien dispose de différents moyens pour contrôler la cohérence chronologique d'une
archéostrate ainsi que les relations chronologiques entre archéostrates d'un même site et de sites différents. Il ne
peut cependant se passer des datations radiométriques, en particulier, des datations carbone 14 par SMA pour la fin
de la grande période paléolithique. Sur la base d'exemples, il a été montré que, outre l'établissement d'un cadre
chronologique, les datations radiométriques, notamment les datations C-14 par SMA, aident à définir et à évaluer la
cohérence chronologique des assemblages archéologiques
§ en fixant les limites temporelles des archéostrates ( exemple pris dans le site paléolithique supérieur du
Flageolet I en Dordogne) ;
§ en infirmant ou confirmant la synchronie des formations lenticulaires ( exemple pris dans le site
paléolithique du grand abri de La Ferrassie en Dordogne) ;

16
§ en aidant à définir la maille chronologique dans laquelle il convient d'analyser un assemblage archéologique
( exemple pris dans le grand abri de Laugerie-Haute en Dordogne).

Ainsi, lors des travaux de recherche en préhistoire, les datations par carbone 14 par MSA apparaissent
comme une aide incontournable pour contrôler l'homogénéité chronologique de l'ensemble archéologique et pour
replacer chacun d'eux dans un cadre chronologique cohérent (Delpech et Rigaud, op. cit.).
Elles sont aussi très utiles, voire déterminantes pour contrôler les interprétations proposées lors de
recherches sur la variabilité des ensembles nécessitant des comparaisons entre documents de même nature (
lithique, osseuse,…). Ces recherches utilisent toutes les datations disponibles et les hypothèses interprétatives
proposées peuvent souvent être testées par l'établissement de nouvelles datations. Pour illustrer ce point, nous
avons présenté un exemple de justification par le carbone 14 d'interprétations relatives à un grand thème de la
recherche préhistorique : la spécialisation de la chasse au Paléolithique supérieur.
Depuis Lartet et de Mortillet, le Magdalénien du sud-ouest de la France est réputé notamment pour la
fréquence des sites dominés par le Renne. A la Grotte XVI (Dordogne, France ), il en est bien ainsi : 94 % des restes
d'ongulés du niveau magdalénien se rapportent à cette espèce. Cependant, dans ce gisement, cette dominance est
l'aboutissement d'une augmentation quasi-régulière du Renne de la base au sommet de la séquence. Ce
développement du Renne va de pair et explique la baisse de l'équitabilité, qui est un indice de diversité ( utilisé en
écologie des populations) et qui peut donc être quantifié. Nous avons testé les facteurs qui peuvent influer sur la
valeur de cet indice mais aucun facteur intrinsèque aux assemblages fauniques (taille des échantillons, variables
taphonomiques) ne peuvent rendre compte de la diminution de l'équitabilité ( et donc de l'augmentation quasi
régulière du Renne). Aussi nous avons supposé que l'augmentation du Renne reflétait l'augmentation de
l'abondance relative de ce gibier dans la faune locale ( et donc que les taux de rencontre rennes-hommes
s'élevaient plus vite que les taux de rencontre hommes-autres ongulés). Ainsi, ces changements de taux de
rencontre auraient été causés par des changements climatiques soit plus favorables au Renne, soit moins favorables
aux autres ongulés, soit les deux à la fois. C'est grâce aux datations C-14 (par MSA) obtenues à partir d'ossements
de divers ensembles de la grotte XVI qu'il est apparu que le Renne augmente alors que la température moyenne de
juillet diminue. Si l'on définit la spécialisation de la chasse en fonction du taux élevé du nombre de restes d'une
espèce dans un assemblage, alors la spécialisation de la chasse au Renne au Magdalénien est la conséquence de
"contraintes environnementales" et non d'un choix délibéré des paléolithiques de cette période. Sans datation C-14,
cette hypothèse n'aurait pu être émise. Elle pourra être testée grâce à de nouvelles datations par le carbone 14 par
MSA (Grayson et al., op. cit.).
Dans le champ chronologique qu'elles couvrent, les datations C-14 par MSA se placent à tous les niveaux des
travaux de recherche préhistorique : lors de la constitution et de la définition de l'échantillon, lors de l'analyse des
données, lors de l'établissement d'hypothèses interprétatives et lors du contrôle de ces hypothèses. La place des
datations 14-C par MSA dans tout travail de recherche doit être à l'avenir mieux définie. Les datations doivent non
seulement servir la recherche mais doivent aussi y participer.

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Bibliographie sommaire :
DELPECH Fr. et RIGAUD J.-Ph., 2001- Nouveaux apports des datations en Archéologie préhistorique. In Barrandon J.-N., Guibert
P., Michel V. (Eds) Datation. XXIe Rencontres internationales d’Archéologie et d’histoire d’Antibes. Editions APDCA, p. 315-
331, 7 fig.
G RAYSON D. K., DELPECH Fr., RIGAUD J.-Ph. et SIMEK J. F., 2001. Explaining the Development of Dietary Dominance by a Single
Ungulate Taxon at Grotte XVI, Dordogne, France. Journal of Archaeological Science, 18, p. 115-125, 8 fig., 4 tabl.

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Des dates conventionnelles isolées aux séries par SMA. Un emploi raisonné pour
une chronologie assistée par le radiocarbone du VIe au IIIe millénaire en
Armorique.

Serge CASSEN
UMR 6566 du CNRS, Civilisations atlantiques et Archéosciences, Laboratoire de Préhistoire, Université de
Nantes, B.P. 81227, 44312 NANTES cedex 3
serge.cassen@humana.univ-nantes.fr

1 - A la fin des années 1950 et au début des années soixante, la fouille des structures funéraires
monumentales, menées dans un cadre professionnel, permet d’accompagner et d’enrichir leur étude par les toutes
premières mesures effectuées sur le taux de 14C des charbons qu’elles contiennent (Barnenez, etc.). La Bretagne
est en cela une région exemplaire pour la connaissance de la Préhistoire récente, et l’introduction rapide de la
méthode doit beaucoup à l’initiative de P.R. Giot qui vient de créer le Laboratoire d’Anthropologie sur le campus
Sciences de l’université de Rennes 1. Les résultats sont spectaculaires, l’engouement immédiat, mais en partie dû,
reconnaissons-le, au complexe de scientificité inhérent à notre discipline. Les monographies descriptives des
opérations de terrain attendront malheureusement 30 ans avant de paraître, permettant (ou non) les contrôles qui
s’imposent. D’une manière générale, l’introduction de la méthode ne participe pas vraiment de la résolution d’une
intrigue historique.

2 - Une des premières conséquences de cette nouvelle approche sera l’abandon des modèles antérieurs ou
en cours d’élaboration, comme celui établi en 1935 en Angleterre par S. Piggott, lequel plaçait la catégorie des
coffres sous tertres avant celle des passage graves. G. Bailloud verra lui aussi la résolution retardée des problèmes

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qu’il soulève. Cependant et fort logiquement, les points de vues diffusionnistes de G. Daniel et J. Arnal, alors
souverains, sont avec raison progressivement éliminés sous l’effet novateur du 14C.

3 - Une grande part de la construction de la connaissance archéologique “ suit ” alors la direction tracée,
sans vision particulièrement critique ; en tout cas, il ne s’agit pas d’un modèle de remplacement, car les signes
céramiques aussi bien que lithiques, tout comme les relations stratigraphiques ou la typologie des tombes mises en
cause ne sont en rien sollicitées.
Les régions limitrophes (Poitou-Charentes pour l’essentiel) imitent sans discussion et revendiquent à leur tour
une grande ancienneté d’invention, sur la foi de quelques résultats tout aussi spectaculaires réalisés sur de
semblables architectures. Des ossements humains sont cette fois datés mais l’éventualité qu’ils aient pu être
introduits depuis une structure funéraire plus ancienne dans des caveaux aux accès justement aménagés pour le
retour des descendants, n’est pas imaginé alors que l’hypothèse reliquaire est émise dès 1825 pour les dolmens du
Morbihan ; plus grave, l’effet “ réservoir ” qui renvoi à la question du “ carbone marin ” dans les ossements
humains n’est pas envisagé, tandis que l’on sait désormais qu’un même effet de vieillissement de 3 à 5 siècles
affecte tout autant les populations consommatrices de produits d’eau douce (poissons, mollusques) comme il vient
précisément de l’être démontré sur les sites des Portes de Fer, en bordure du Danube, après que l’on ait fort
judicieusement daté à la fois les flèches en os d’ongulés et les vertèbres humaines dans lesquelles elles étaient
fichées…

4 - A la fin des années 1980, une discussion critique est engagée de manière indépendante, dans les îles
anglo-normandes avec I. Kinnes, en Armorique-sud par C. Boujot et nous-mêmes, pour aboutir à la fabrication d’un
nouvel horizon chronologique précédent celui des tombes à couloir qui avaient bénéficié jusqu’alors de ces analyses
par comptage. Ces dernières sont confrontées a posteriori au croisement des autres données archéologiques, et
sont traitées dans une perspective statistique et par le truchement de nouveaux modes de représentation.

5 - Du sévère mouvement réactionnel qui s’ensuivit, on retiendra la pertinente initiative menée par P.R. Giot,
qui introduira cette fois les analyses SMA sur les fragments d’ossements humains justement contenus dans les
premiers monuments datés (Barnenez). Les résultats sont cette fois 5 siècles plus récents que es l anciennes dates
sur charbons. La méthode dite par SMA montre-là tout son intérêt dès sa première application réfléchie.

6 - A partir de 1994, les datations par SMA sont annoncées comme un choix instrumental au sein du thème
de recherche sur le commencement du Néolithique en Bretagne. Les multiples demandes spécifiques de financement
échouent malheureusement, mais un programme sur le paléoenvironnement dirigé à Besançon par H. Richard
permet de faire analyser par SMA une dent d’ovi-capridé et un fragment de cheville osseuse de petit bovin, tous
deux issus d’un amas coquillier mésolithique : les dates renvoient sans discussion à l’Age du Fer et autorisent de

19
tirer un trait sur une question en suspens depuis des décennies (statut des animaux domestiques en contexte de
chasseurs-cueilleurs).
Dans le même temps et grâce à des moyens incomparables, R . Schulting mène à bien une série de dates
SMA sur les célèbres nécropoles morbihannaises (Teviec et Hoëdic), puis sur d’autres sites bretons.

7 - Trois études de cas ici rapidement exposés reflètent désormais l’usage régional des dates AMS en séries
appliquées aux problématiques sous-entendues par ce résumé.

§ Le tertre funéraire de Lannec er Gadouer bénéficie d’une série sur échantillons sélectionnés (coquilles,
semences, brindilles, etc.) pour des contextes spécifiques (caveau sans accès, structures de combustion
piégée par une construction, etc.), excluant les fossés ou fosses non protégées, ou encore les échantillons
instables dans la lithostratigraphie. Le cadre chrono-culturel est préalablement établi ; les relations
stratigraphiques, même les plus infimes, sont valorisées ; les restitutions graphiques jouent sur un mode
simultané de représentation des faits et des contextes ; enfin, une approche statistique bayésienne des
datations SMA (coll. P. Lanos) permet le traitement conjoint de l’ensemble des informations archéologiques,
en appliquant des contraintes, des densités de probabilités de dates (début et fin de phase) et de durée.
Le gain scientifique est indéniable, il conforte et améliore le modèle.
§ Les ossements humains de Teviec laissent entrevoir une série bien plus cohérente qu’à Hoëdic pour des
gestes funéraires et des viatiques curieusement identiques, série récemment étoffée par de nouvelles dates
renforçant un pic à 5400 av. J.-C. Contrairement à l’opinion soutenue par nos collègues anglais, la très
grande dispersion des dates des squelettes à Hoëdic (de 6100 à 3800) empêche d’utiliser un tel spectre
pour arguer d’une contemporanéité entre populations de chasseurs, installés sur le rivage, et constructeurs
de dolmens évoluant sur un même espace physique ; les distorsions se comprennent mieux par un retour
aux sources, c’est-à-dire le terrain des années 1930. L’utilisation de dates SMA isolées et déviantes pour
asseoir une construction historique nous fait décidément retomber dans les mêmes travers dénoncés à
l’encontre d’un usage forcé du radiocarbone dit conventionnel.
§ La tombe à couloir de Roc’h Avel offre enfin une autre illustration sur le sujet, exemplaire là encore pour
une catégorie de sépulcres à l’origine du discours critique qu’il a fallu construire pour mieux comprendre
cette période de transition entre Mésolithique et Néolithique. Roc’h Avel est en effet une tombe à couloir
“ intacte ”, contenant un mobilier fort homogène, en tout point identique à celui défini en Armorique dans
la fourchette 4200-3500 ; elle est construite suivant le même type architectural que celui daté à Barnenez ;
le caractère insulaire du site ajoute d’ailleurs à la notion d’espace limité et “ confiné ” particulièrement
favorable à la détection des apports exogènes. Une date sur charbons provenant de la chambre affiche
5800 BP ; une analyse AMS sur fragment d’os humain (pour un très faible nombre d’inhumés) livre 5260
BP. L’écart observé quant à l’échantillon et quant à la méthode résume bien les forces et les résultats en
présence.

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Bref, il subsiste un effet de croyance partagée qui met d’emblée hors discussion des thèses tout à fait
discutables. Trop de notions sont des concept-obstacles. On doit alors créer une échelle polémique suffisante pour
localiser les divers débats, et de là proposer un appareil épistémologique propre à gouverner les nouvelles
interrogations, par exemple sur les sujets obscurs de la Préhistoire récente. Les analyses SMA peuvent y contribuer.
On insistera sur l’exigence d’un traitement non désinvolte de la question du radiocarbone, au risque d’empoisonner
le débat et/ou de retarder la compréhension d’une intrigue historique, loin de cette valorisation des origines et du
syndrome du plus vieux fossile. Hier les plus anciennes architectures, aujourd’hui les plus anciens massifs forestiers
défrichés, les plus anciennes surfaces cultivées…

Bibliographie
CASSEN S., 2000. La séquence radiocarbone de Lannec er Gadouer. p. 313-330. In : Cassen (Dir.). Eléments d’architecture
(Exploration d'un tertre funéraire à Lannec er Gadouer,Erdeven, Morbihan. Constructions et reconstructions dans le
Néolithique morbihannais. Propositions pour une lecture symbolique). Chauvigny : Editions chauvinoises, Mémoire 19,
815 p.
COOK G.T., BONSALL C., H EDGES R.E.M., MCSWEENEY K., BORONEANT V., BARTOSIEWICZ L., PETTITT P.B., 2002. Problems of dating
human bones from the Iron Gates. Antiquity 76, p. 77-85.
SCHULTING R.J., 1999. Nouvelles dates AMS à Téviec et Hoëdic (Quiberon, Morbihan). Rapport préliminaire. Bull. Soc. Préhist.
Franç., 96, 2, 1999, p. 203-207.

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Sépultures et architectures médiévales

Christian SAPIN
Directeur de recherche CNRS, UMR 5594. Auxerre – Dijon.
Université de Bourgogne – 3, Bd Gabriel 21000 Dijon

Fabrice HENRION
Chercheur associé UMR 5594. Centre d’études médiévales – 3, place du Coche-d’Eau 89000 Auxerre.

L’utilisation de datations par le carbone 14 par des archéologues travaillant sur el s périodes historiques, et
plus particulièrement sur le Moyen Âge, est relativement récente, remontant tout au plus à une vingtaine d’années,
avec toutefois un développement plus important au cours des années 1990.

21
A l’occasion du colloque « 14C et archéologie », tenu à Lyon en 1998, un premier bilan mettait l’accent sur ce
développement, déterminant grâce aux progrès des méthodes d’analyse, et surtout sur l’apport de telles datations
dans les domaines de l’archéologie funéraire, de l’étude du bâti, des structures artisanales, des paysages ou encore
du paléo-environnement (Colardell et al 1999). Cette ouverture vers les périodes historiques a en outre permis de
redéfinir l’ensemble des problématiques de recherche, entraînant l’apparition de nouvelles interrogations.
Pour notre part, nos attentes, partagées par les collègues médiévistes avec qui nous échangeons
régulièrement, se sont orientées dans deux directions : l’archéologie funéraire et l’archéologie du bâti.

§ L’utilisation du carbone 14 pour la datation des sépultures :


Au cours des dix siècles que couvre le Moyen Âge, on assiste à de profondes transformations des pratiques
sociales, à de lentes évolutions des traditions funéraires, que l’on tente de saisir en étudiant les restes matériels de
l’inhumation, qui joue par ailleurs un rôle essentiel dans la datation des édifices, bâtiments ou constructions qui
l’accueillent. Jusqu’il y a peu, quelques décennies tout au plus, cette recherche s’appuyait essentiellement sur
l’analyse des contenants, lorsque ceux-ci étaient facilement reconnaissables (sarcophages, coffrages en matériaux
imputrescibles etc.), et du mobilier associé à l’individu et à la tombe considérés comme fossile directeur. Les progrès
réalisés dans les techniques de fouille et d’analyse stratigraphique, ainsi que dans la perception de l’individu inhumé
et de son environnement immédiat grâce au développement de l’anthropologie de terrain, permettent aujourd’hui de
mieux comprendre l’ensemble des gestes précédant, accompagnant, scellant l’inhumation, et sa place dans la
nécropole ou le cimetière. Ces progrès ont en outre provoqué une redéfinition des approches archéologiques.
Les types de sépultures délaissés par les chercheurs, parce que ne présentant pas d’architecture lisible a
priori ou difficilement datable du fait de l’absence de mobilier (c’est globalement le cas à partir des VIIe-VIIIe siècles
et au moins jusqu’au XIVe siècle), ont pu dès lors participer pleinement à l’étude archéologique du gisement,
précisant ainsi l’analyse globale du site.
C’est le cas, entre autres, des inhumations restituées en coffrage de bois (avec ou sans couvercle) qui, à
l’inverse du cercueil, est monté directement dans la fosse, ne permettant pas l’occultation et le transport du corps
jusqu’à la mise en terre. L’utilisation de ce type de contenant a longtemps été limitée par les archéologues aux
premières décennies du VIe siècle, jusqu’à ce que les progrès précédemment évoqués remettent cause ce postulat
et obligent à une définition plus précise de sa chronologie. Les bois étant rarement suffisamment conservés pour
permettre une datation dendrochronologique (le coffrage de bois mis au jour à Cluny est un cas tout à fait
exceptionnel, Baud 2000), seules les datations par le carbone 14 des ossements de l’individu inhumé, confrontées à
la stratigraphie, pouvaient aider à en déterminer la chronologie. Aujourd’hui, il apparaît clairement (cf. Tableau) que
le choix du coffrage de bois comme contenant funéraire, loin de ce limiter à l’Antiquité et au début du haut Moyen
Âge, perdure jusqu’au XIe siècle, avec de probables continuités jusqu’au XIIIe siècle, avant que le cercueil ne se
généralise.

22
Si pour la plupart des cas d’inhumations restituées en coffrage de bois présentés ici, la datation par le
carbone 14 a pu être effectuée par les méthodes classiques (parce que l’os était bien conservé), nous sommes
régulièrement confrontés à des états de conservation médiocre de l’os nécessitant pour la datation de l’échantillon
l’utilisation de l’accélérateur. C’est le cas des inhumations en sarcophage où aucun sédiment ne s’est infiltré au
cours de l’évolution du cadavre, tant que le couvercle a pu conservé son intégrité et sa fonction hermétique ; l’os se
décompose alors plus rapidement et l’extraction du collagène est plus difficile. Pour les inhumations en sarcophage
mises au jour sur le site de l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre (Yonne), Henrion 2000, l’utilisation de datations par
accélérateur a permis, non seulement de confirmer la validité des hypothèses archéologiquement fondées, mais
également de relancer et de préciser l’analyse typochronologique des sarcophages.
Quant au fait qu’il ne faille qu’un prélèvement réduit pour une datation par accélérateur, il a l’avantage de
limiter le nombre d’ossements « sacrifiés » ou encore de respecter l’intégrité de la sépulture d’un saint personnage,
d’un évêque ou d’un corps vénéré, ce à quoi l’archéologue médiéviste est souvent confronté.

§ L’utilisation du carbone 14 pour la datation du bâti :


Si cette démarche est relativement récente, plusieurs d’entre nous (outre les auteurs, on citera Pringent et
Hunot 1998), ont déjà eu l’occasion de faire dater des prélèvements de charbons de bois issus de mortiers de
construction. Ces inclusions sont fréquentes dans les mortiers médiévaux et peuvent témoigner, si elles sont en
grandes quantités, d’ajouts volontaires donnant au mortier des qualités particulières, mais elles sont le plus souvent
anecdotiques et résultent de pollutions lors de la calcination de la pierre à chaux, Büttner 2000.
Le faible poids de charbons de bois que l’on parvient, dans la plupart des cas, à recueillir permet une datation
par accélérateur puisque 50 mg de matière sont alors suffisant.
Ce type de datation apporte un jalon chronologique complémentaire à l’étude archéologique de la mise en
œuvre des maçonneries et à la chronologie relative déterminée par la stratigraphie.
Sur le site de l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre, de telles datations ont permis de resserrer la chronologie
d’un état du site que ni la stratigraphie, ni le mobilier ne permettait de positionner clairement entre le VIe et le IXe
siècle, Sapin 2000.
Un autre exemple, le prieuré Saint-Sauveur de Melun (Seine-et-Marne) avec sa crypte romane est lui aussi
intéressant. Le site a été en partie fouillé, il y a quelques années, sans que les niveaux médiévaux aient été
clairement pris en compte, et il ne subsiste aujourd’hui que les maçonneries isolées de leur environnement
stratigraphique, en dehors de leurs relations intrinsèques. A l’occasion d’une reprise de l’étude du site, Henrion
2001, nous avons pu rétablir une chronologie relative des maçonneries de la nef, sans pouvoir déterminer leur lien
avec la crypte datée du tout début du XIe siècle, mais la datation par le carbone 14 de charbons de bois prélevés
dans les mortiers des maçonneries de la nef a montré que celle-ci était bien antérieure à la crypte, attestant en
outre de la présence d’une première église au Xe siècle.

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Avec ceux de la dendrochronologie, les apports des datations 14C ont ouvert, ces 15 dernières années, de
nouvelles perspectives dans la recherche sur les constructions médiévales et leurs occupations, pour lesquelles nous
avons évoqué rapidement quelques exemples. Cependant, l’expérience nous a appris que, dans tous les cas, seule
la confrontation entre archéologues travaillant sur le site et archéométres pouvait donner une véritable base
scientifique à la démonstration, dans ses développements et ses limites.

Datations sur sépultures (os) restituées en coffrages de bois


Code Labo Site Responsable N° Age 14C Intervalle 95 % Dates les plus
de confiance probables
Ly-8632 Auxerre St-Germain C. Sapin 96-16 1125 +-40 BP 825 à 997 897-910-958

Ly-8036 Auxerre St-Germain C. Sapin 96-45 1240 +-40 BP 691 à 855 730-783-810-
850
Ly-8636 Auxerre St-Germain S. Venault 97-14 1090 +-40 BP 887 à 1015 900-979
(ADY)
Ly-11167 Auxerre St-Germain S. Riou 01-févr 1025 +- 30 BP 979 à 1033 905-965-1006-
(ADY) 1017-1145
Cluny* A. Baud 19 900-930
Ly-6557 Mâcon St-Clément C. Sapin 372 1085 +-40 BP 867 à 1010 867-1010

Ly-6681 Mâcon St-Clément C. Sapin 415 1295 +-50 BP 658 à 854 684-750

Ly-10981 St-Germain-lès-Senailly F. Henrion 99-02 660 +-40 BP 1279 à 1398 1299-1355-


1375
Ly-10980 St-Germain-lès-Senailly F. Henrion 99-03 790 +-40 BP 1190 à 1284 1165-1195-
1225-1259
Ly-10982 St-Germain-lès-Senailly F. Henrion 99-04 850 +-25 BP 1160 à 1255 1165-1195-
1212-1235

* dendrochronologie des planches de bois: 790- 813- 8 5 0 .

Bibliographie
BAUD A. : « La place des morts dans l’abbaye de Cluny, état de la question », dans Archéologie Médiévale, tome XXIX, CNRS
Editions, 2000, p. 99-114.
BÜTTNER S. : « Les matériaux de construction. Les datations radiocarbones des charbons de bois contenus dans les mortiers »,
dans Archéologie et architecture d’un site monastique. 10 ans de recherche à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre, éd. sous
la direction de Christian Sapin, Auxerre – Centre d’études médiévales et Paris – Ed. du CTHS, 2000, p. 410-411.
COLARDELLE R., DEMIANS D’A RCHIMBAUD G., LEVEAU PH., MANGIN M., O BERLIN CH., T HIRIOT J. et ZADORA-RIO E. : « Rapport du groupe de
travail sur les périodes historiques. L’utilisation du 14C pour les périodes historiques », dans 14C et Archéologie, 3ème
Congrès international, Lyon 6-10 avril 1998, 1999, p. 449-451.
H ENRION F. : « Inhumer à Saint-Germain. Typochronologie des sépultures », dans Archéologie et architecture d’un site
monastique. 10 ans de recherche à l’abbaye Saint -Germain d’Auxerre, éd. sous la direction de Christian Sapin, Auxerre –
Centre d’études médiévales et Paris – Ed. du CTHS, 2000, p. 358-363.

24
H ENRION F. : Melun (77). Ancien prieuré Saint-Sauveur, Document Final de Synthèse, DRAC-SRA Ile-de-France, SMA de Melun,
CEM-Saint-Germain Auxerre, 2001.
PRINGENT D. et H UNOT J.-Y. : « Les édifices religieux antérieurs à l’an mil en Anjou », dans Actes du colloque La construction en
Anjou au Moyen Âge, Angers, 1998, p. 33-54.
SAPIN Ch. : Archéologie et architecture d’un site monastique. 10 ans de recherche à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre, éd. sous
la direction de Christian Sapin, Auxerre – Centre d’études médiévales et Paris – Ed. du CTHS, 2000, 493 p.

_________

Le rôle du 14C dans la datation du processus de néolithisation au Proche-Orient

Olivier AURENCHE
Maison de l'orient méditerranéen – MOM - Jean Pouilloux FR538
7, rue Raullin - 69007 Lyon

La multiplication des mesures de datations par le 14C a permis d’obtenir depuis une trentaine d’années une
vision plus exacte des étapes de la néolithisation, processus qui, dans le Proche-Orient plus tôt que partout ailleurs,
a permis aux sociétés de passer du statut de chasseur-cueilleur à celui d’agriculteur et d’éleveur (Cauvin J., 1997 ;
Aurenche O. et Kozlowski S. K., 1999). Une première tentative en 1987 portait sur un corpus de 317 dates (sur 598
dates disponibles) considérées, après un double examen critique portant sur la fiabilité archéologique (conditions de
récolte et valeur de représentativité de l’échantillon) et scientifique (conditions d’analyse et qualité du laboratoire),
comme utilisables (Aurenche O., Evin J. et Gasco J., 1987 ; Evin J., Aurenche O. et Gasco J., 1990). La tentative a été
renouvelée quinze ans après, principalement, pour deux raisons : le doublement du nombre de dates disponibles,
notamment grâce à l’accélérateur (731 dates « fiables » sur 1300 disponibles) et l’élargissement de la «plage de
temps » calibrée qui, en 1987, ne concernait que les périodes les plus récentes (périodes 5 à 9, cf. tableau 1 et 2).
Les principaux résultats sont les suivants (Aurenche O. et alii, 2001). Le processus de néolithisation a été
plus long qu’on ne l’imaginait (environ quatre millénaires et demi entre les débuts du Protonéolithique et
l’achèvement du processus), soit entre 12 500 et 8 000 av. J.-C. en années sidérales. De ce fait, d’importantes
plages de recouvrement chronologique invitent à reconsidérer en partie le découpage « théorique » proposé par les
préhistoriens. Il serait souhaitable que des programmes spécifiques engagés par l’ensemble des partenaires
archéologiques et des laboratoires concernés à travers le monde portent sur ces plages de recouvrement afin
« d’affiner » ce premier cadre chronologique.
Dans l’état actuel des connaissances, les principaux points de repère sont les suivants : dans le Proche-
Orient, l’achèvement du processus de néolithisation c’est-à-dire la présence de plantes (céréales) et d’animaux

25
(chèvres, moutons, bœufs) morphologiquement domestiques en quantité significative se situe entre 8 300 et 8 300
av. J.-C. L’apparition de la véritable céramique d’usage daterait d’environ 7 000 av. J.-C. et le point de départ des
« grandes » cultures mésopotamiennes qui sont à l’origine du phénomène urbain se situe autour de 6 000 av. J.-C. Il
conviendrait maintenant, à l’aide de programmes de datation concertés à l’échelle internationale (réseau de
laboratoires) de tester la validité de ces hypothèses, soit en «redatant » des sites anciennement fouillés à partir de
matériaux encore disponibles, qui n’étaient pas datables au moment de la découverte sans le secours de
l’accélérateur, soit en sélectionnant des sites nouveaux jugés comme particulièrement représentatifs et en y
pratiquant de manière systématique des séries de datation. L’une ou l’autre des deux solutions suppose la mise en
route de véritables campagnes organisées.
Il ne faudra cependant pas perdre de vue la présence de « bonnes » et des «mauvaises » périodes due aux
irrégularités de la courbe de calibration. C’est ainsi, par exemple que les « tranches de temps » comprises (en
années sidérales) entre 9 800 et 9 400 ou entre 9 100 et 8 800, ou encore entre 8 200 et 7 600 av. J.-C. sont
considérées comme particulièrement défavorables (Evin et alii, 1995). On a vu, en particulier, l’importance de la
dernière dans la mise en place du Néolithique…
Nous plaidons donc pour la mise en place de véritables programmes cohérents de datation (souhait exprimé,
notamment, par Didier Binder lors de cette journée d’étude). Puisse la mise en service du nouvel accélérateur
français permettre le démarrage de tels programmes.

Période 0 14 000-12 000 Kébarien Période 5 8 000-7 600 DFBW


14 800-12 000 Kébarien à géométriques 6 900-6 400 Çatal Hüyük
Moschabien – Zarzien Umm Dabaghiah
Sotto - Obeid 0

Période 1 12 000-10 300 Natoufien Période 6 7 600-7 000 Hassouna


12 000-10 200 Zarzien final 6 400-5 800 Samarra - Halaf
Obeid 1

Période 2 10 300-9 600 Protonéolithique Période 7 7 000-6 500 PNA - Halaf final
10 200-8 800 PPNA - Khiamien 5 800-5 400 Obeid 2
Sultanien – Harifien

Période 3 9 600-8 600 PPNB ancien Période 8 6 500-6 100 PNB


8 800-7 600 et moyen 5 400-5 000 Obeid 3

Période 4 8 600-8 000 PPNB récent Période 9 6 100-5700 Obeid 4


7 600-6 900 5 000-4 500
Tabl. 1. Les étapes du processus de néolithisation dans le Proche-Orient. Liste des périodes avec leurs limites
chronologiques ; les dates BP sont en italique et les dates calibrées en caractères romain. On indique en outre les principales
cultures correspondant à chaque période.

26
Année P1 P2 P3 P4 P5 P6 P7 P8 P9
1986 25 41 87 55 36 24 23 4 22
2000 88 128 172 116 67 49 36 49 26
Tabl. 2. Nombre de dates fiables disponibles par périodes en 1986 et 2000.

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Analyse et datation au sein de l’INRAP, bilan et perspectives

Jean-Pierre GIRAUD
Directeur scientifique et technique de l’INRAP
7, rue de Madrid - 75008 Paris

Marc TALON
Directeur interrégional de la Région Nord-Pas-de-Calais de l’INRAP
518, rue Saint-Fuscien - 80000 Amiens

La loi 2001-44 du 17 janvier 2001 a affirmé que l’archéologie préventive, partie intégrante de l’archéologie,
est un service public national d’intérêt général et de recherche, placé sous le contrôle direct de l’Etat. Ce service
public a deux acteurs : les services régionaux de l’archéologie (SRA) du ministère de la culture (sous-direction de
l’archéologie) qui prescrivent et contrôlent les fouilles, et nomment les responsables scientifiques de chaque
intervention et un établissement public administratif (EPA) de recherche, l’Institut national de recherches
archéologiques préventives (INRAP), placé sous la double tutelle du ministère de la culture et du ministère de la
recherche, chargé de la réalisation des fouilles. Ces dispositions changent de façon importante la répartition des
rôles qui jusque là prévalait dans le domaine de l’archéologie préventive. La mission de l’établissement, définie par
la loi, est bien une mission de recherche. L’INRAP a en effet la responsabilité de la totalité de la chaîne opératoire de
l'archéologie préventive qui de la prescription par les services de l’Etat d'un diagnostic puis d’une fouille, mène du
terrain au laboratoire pour aboutir à l’étude scientifique puis à la diffusion des résultats à la communauté scientifique
voire d’un plus vaste public.
Jusqu’à la création de l’INRAP, c’est une association, l’Association pour les fouilles archéologiques nationales
(AFAN), qui, à partir du milieu des années 1970, fut chargée de réaliser les opérations préventives, constituant de
fait une agence de moyens placée auprès des services archéologiques régionaux, mais dépourvue de toute
autonomie scientifique et de politique de recherche.
A la veille de la création de l’INRAP, l’AFAN dans le cadre de la Mission de préfiguration de l’INRAP a chargé
l’un d’entre nous (Marc Talon) d’un bilan sur la politique d’analyse de l’AFAN. Ce bilan était destiné à aider à définir

27
les grandes lignes de la politique d’analyse du futur établissement public, en l’attente de la mise en place de la
direction scientifique et technique et du conseil scientifique.
Ce bilan a été bâti autour d’une analyse des masses budgétaires engagées par les sept antennes
interrégionales de l’AFAN (Centre Ile-de-France, Grand-Est, Grand-Ouest, Grand-Sud-Ouest, Méditerranée, Nord Pas-
de-Calais et Rhône-Alpes Auvergne) au cours des années 1999 et 2000. Ce budget total qui recouvre aussi bien les
datations, les analyses dans le domaine des sciences de la terre et le paléoenvironnement, la restauration-
conservation, l’anthropologie et l’archéozoologie, s’est élevé ces années à près de 3 MF.
A l’analyse des répartitions interrégionales, on peut mesurer la diversité des pratiques : les datations
représentent prés du tiers des analyses dans le Grand Est et à peine 3% dans le Nord-Pas-de-Calais. On peut noter
de faibles prestations externes dans les domaines où l’AFAN, et maintenant l’INRAP, dispose de compétences en
interne (paléoenvironnement, sciences de la terre, anthropologie, archéozoologie) : les dépenses annuelles ne
dépassent pas dans ces domaines 15%. Les analyses par des laboratoires externes ne représentent alors qu'une
partie et nous intervenons dans de très nombreuses occasions directement avec les différents spécialistes
appartenant à l’INRAP.
Les plus grosses dépenses concernent des analyses que nous n'assurons pas (ou peu) en interne : les
datations et les actions de conservation-stabilisation sur le matériel essentiellement métallique qui représentent plus
de 50%, et les analyses de sédiment et de matériaux.
De ce constat, il ressort que les antennes interrégionales de l’AFAN n'avaient aucune politique en la matière –
ce qui n’était pas leur rôle -, mais se contentaient de réaliser ce qui était commandé par d'autres : les services
régionaux de l’archéologie de l’Etat et les responsables scientifiques des opérations. C’est cette pratique qui
explique la multiplicité des laboratoires d’analyses sollicités : jusqu’à 12 laboratoires de datation.
Il apparaît aussi à travers ces disparités qu’une partie des prestations effectuées dans ces domaines ont pu
être pris en charge directement par les services de l’Etat, en effet, une enveloppe importante existe sur crédits Etat.
Il sera intéressant de confronter ce travail avec les résultats de la commission ad hoc mise en place par le
CNRA sur ce sujet et avec ceux du bilan dressé par Jean-Pierre Daugas, Inspecteur général de l’archéologie
(Direction de l’architecture et du patrimoine) sur l’emploi des crédits d’analyse dans les services régionaux de
l’archéologie.
Pour pallier cet état de fait, l'établissement public s’est doté d’une direction scientifique et technique, chargée
notamment de définir et mettre en place une politique d’ensemble dans les domaines méthodologiques, voire
théoriques, et techniques en accord avec le conseil scientifique, et assurer en continu, au niveau national, le suivi
scientifique et technique des opérations. Elle sera ainsi l'outil de pilotage, scientifique et technique, qui faisait
jusque-là défaut au dispositif. Il sera dans son rôle d’étude et de conseil sur les moyens à mettre en œuvre pour la
réalisation de ses missions scientifiques de développer une véritable politique d’analyses. Elle devra aussi veiller à
développer les compétences propres de l’établissement dans certains domaines, notamment en les adossant à
d’autres institutions scientifiques.

28
Il convient en effet de passer d’une attitude où les analyses étaient considérées comme des prestations de
service à une politique de réelle coopération scientifique avec les différents laboratoires afin de pouvoir s’engager
dans de véritables programmes de recherche, aussi bien dans le domaine des datations que dans celui, par exemple
du paléoenvironnement, dépassant le caractère opportuniste des interventions d’archéologie préventive.

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Eléments pour une contribution intégrée des datations par le radiocarbone aux
problématiques de l'archéologie paléolithique

Jean-Michel GENESTE
Service Régional de l’Archéologie d’Aquitaine
54 rue Magendie - 33074 Bordeaux cedex
UMR 7055 du CNRS, Nanterre

1. Les apports récents de la méthode du radiocarbone par SMA.

Les apports les plus significatifs de la méthode de datation par le radiocarbone par SMA tiennent aux
possibilités offertes par la très faible masse du prélèvement et en second lieu par l'accès progressif à des âges
situés au-delà de 30Ka.
Ces avantages pratiques ont eu deux types de conséquences. En premier lieu, la très faible masse du
prélèvement présente de grands avantages conservatoires en s'avérant très peu destructrice sur les objets
archéologiques eux-mêmes. Ainsi, en lieu et place de résidus d'activités humaines se sont désormais des produits
techniques et/ou artistiques qui peuvent être directement datés. En corollaire à cet avantage primordial figure aussi
la possibilité de multiplier les prélèvements sur un objet, un site, un niveau archéologique.
En second lieu, la méthode a autorisé l'accès à des périodes du début du Paléolithique supérieur jusqu'à
présent peu datées, à savoir le Chatelperronien et l'Aurignacien et dans une moindre mesure, les dernières
occupations du Moustérien. En France et plus généralement en Europe occidentale, se sont ces périodes
chronologiques et culturelles comprises entre 30 et 40 Ka qui ont le plus largement bénéficié des apports récents
de la méthode ainsi qu'en témoigne une bibliographie abondante et une série ininterrompue de colloques.
Ce sont par conséquent les domaines du début du Paléolithique supérieur, de la transition Paléolithique
supérieur – Paléolithique moyen, de l'art pariétal des grottes et abris et de l'art mobilier en mat ières osseuses qui
s'observent les avancées actuelles les plus significatives ainsi que les perspectives les plus séduisantes.

29
2. Un état de la pratique des datations par la méthode du radiocarbone par SMA.

Un bilan des analyses par la méthode réalisé entre 1993 et 2001 sur la base des bilans scientifiques
régionaux du SRA de la DRAC d'Aquitaine a permis de mettre en évidence quelques pratiques pratiques dans une
communauté d'archéologues paléolithiciens.

2.1. Les laboratoires

En Aquitaine, les besoins en datations sont en majorité satisfaits depuis plusieurs années, par un recours à
des laboratoires étrangers.
Dans un précédent bilan portant sur les années antérieures à 1993, la situation était différente en ce sens
qu'une grande majorité de datations était réalisée par les laboratoires français (Gif-sur-Yvette et Lyon). Mais depuis
1998 la relative indisponibilité du laboratoire d'Oxford a reporté la demande sur les laboratoires américains. On
n'observe pratiquement pas de demandes en direction d'autres laboratoires européens tels que Gröningen qui est
par contre plus sollicité par les environnementalistes.
Les raisons de cette pratique sont, d'après l'enquête sur les exigences des archéologues en Aquitaine,
attribuables aux facteurs suivants présentés par ordre d'importance décroissante :
- La disponibilité du laboratoire et surtout la prise en compte du délai de remise des résultats (critère qui
exprime bien la réactivité du laboratoire). Ce délai peut en effet varier de 1 mois à 2 ans environ.
- Le coût de l'analyse n'intervient qu'en second lieu. Une relative homogénéité des coûts est observée en
Europe.
- La comparaison entre la diversité des services, l'assistance en cours d'analyse, la forme de restitution des
analyses, commentaires scientifiques et de la calibration accompagnant la remise des résultats n'intervient qu'en
troisième position.
- Les modalités d'association des chercheurs des laboratoires de datation à la publication des résultats est
un élément qui intervient semble-t-il séparément des autres af cteurs dans un certain nombre de cas. Il est vrai qu'en
la matière on constate une étonnante diversité de comportements.

2.2. Datations par la méthode du radiocarbone par SMA et problématiques archéologiques.

D'une manière générale, la plupart des datations concourent à organiser des successions d'événements et à
définir des séquences locales et/ou régionales. La perspective diachronique domine donc largement en accord avec
une exploitation la plus rationnelle et la plus adaptée aux potentialités de la méthode. Il s'agit essentiellement
d'établir les cadres chronologiques et chronostratigraphiques de sites en cours de fouille. La méthode est utilisée
surtout pour le Paléolithique supérieur.

30
Les sites déjà fouillés et les séries anciennes, malgré leur importance et leur intérêt scientifique, ne génèrent
que peu de projets de datation. Les difficultés méthodologiques de mise en oeuvre de telles analyses a posteriori
c'est à dire en dehors d'un rigoureux contrôle stratigraphique justifie en partie une telle situation. L'autre partie tient
au risque conservatoire encouru par le matériel relictuel des fouilles anciennes.
Une part importante des analyses est toujours destinée à des études environnementales.
L'application à des problématiques développées dans la dimension synchronique demeure très rare du fait
des limites inhérentes à la méthode de calcul des âges. Des positions divergentes sont observées quant aux
possibilités d'exploitation de la méthode en dehors des mises en perspectives diachroniques relativement étendues
telles qu'elles sont utilisées en archéologie paléolithique.
Toutes les périodes culturelles du Paléolithique supérieur sont l'objet de datations régulières même si une
nette prédominance s'observe sur le début du paléolithique supérieur et le paléolithique supérieur ancien. La fin du
Paléolithique supérieur et le Tardiglaciaire sont aussi largement étudiés sous leurs aspects archéologiques et
environnementaux.
Les matériaux datés sont assez peu diversifiés en dehors de l'os qui prédomine et du charbon de bois qui est
souvent moins bien conservé et surtout plus rare sinon inexistant dans de nombreux sites et certaines région. Le
bois de cervidé qui constitue la matière première privilégiée de l'industrie osseuse et de l'art mobilier au
Paléolithique supérieur ainsi que les coquilles ont fait l'objet de datations fructueuses. Les restes humains peuvent,
grâce aux avantages conservatoires de la méthode être datés directement, renouvelant par là même l'attribution
chronologique, et par voie de conséquence culturelle, de squelette de référence issus de recherches classiques.

3. Conséquences méthodologiques de la réduction de masse de l'échantillon daté.

Du fait d'un prélèvement discret, la plupart du temps de très faible volume, les possibilités d'échantillonnage
et donc de datations ont largement augmenté et enrichi le corpus des catégories d'objets datés et surtout permis de
dater directement des vestiges particulièrement rares et précieux dont l'intégrité doit être préservée.
Cependant le second volet de cette facilité d'échantillonnage a été la multiplication des échantillons. Le
phénomène n'est pas perceptible dans la datation d'objets isolés mais plutôt dans celle d'ensembles
archéologiques, industries, séquences stratigraphiques, formations sédimentaires. Dans ce cas, la multiplication
d'échantillons pose, à terme, des difficultés nouvelles au moment de la comparaison des résultats entre la méthode
dite traditionnelle et la méthode par SMA.
Une date traditionnelle peut correspondre soit à un seul objet volumineux soit à une multitude d'objets réunis
lors de l'échantillonnage et dont la représentativité spatiale est celle d'un nuage de points. Dans le cas de la
méthode SMA chaque objet daté correspond à un objet de très petite taille. On comprend ainsi la difficulté qu'il y a à
comparer des dates issues de processus d'échantillonnage aussi différents qui s'appliquent à des objets dont la
mobilité peut varier selon leur dimension et le contexte pédosédimentaire et anthropique. Les processus
taphonomiques de contrôle de la représentativité de l'échantillonnage au sein du contexte archéologique doivent

31
être particulièrement rigoureux du fait de la dimension souvent très petite des objets dans le cas de la méthode par
SMA.
Malgré sa précision, une date SMA isolée sur un très petit échantillon est justifiée dans le cas de la datation
directe d'un objet représentatif, mais s'avère insuffisante dans le cas d'un ensemble archéologique hétérogène et
volumineux tel qu'un niveau archéologique. La dispersion des dates SMA dans les sites archéologiques de grottes et
d'abris notamment, est significative à cet égard. La multiplication des échantillons et le contrôle de leur position
stratigraphique et spatiale permet alors de mieux apprécier l’homogénéité des ensembles archéologiques et même
de préciser les conditions de leur formation et de leur histoire post dépositionnelle. Dans maints cas de stratification
complexe due à des environnements particuliers, à des interactions anthropiques, à des bioturbations post
dépositionnelles intenses, la multiplication stratégique des échantillons datés par la méthode SMA devient un outil
d’ évaluation des conditions de dépôt des vestiges et de l’évolution post dépositionnelle des ensembles
archéologiques. C’est aussi un instrument de définition de l’enveloppe des ensembles archéologiques d’un point de
vue strictement stratigraphique.
Le croisement de cette méthode de datation avec d’autres méthodes applicables soit aux mêmes échantillons
soit à des catégories différentes d’objets archéologiques représente un avantage certain en archéologie
paléolithique de la même manière que pour des périodes plus récentes mais sans doute dans une plus grande
mesure.

4. Les problématiques et les domaines prioritaires de la recherche en archéologie paléolithique.

4.1. Les datations directes des catégories les plus signifiantes.

La diversité des résidus de matériaux organiques utilisables et la discrétion des échantillons permettent de
déterminer des catégories de vestiges qui malgré leur importance scientifique n’ont jusqu’à ce jour pas pu bénéficier
de datation. Il s’agit donc essentiellement de l’art pariétal et mobilier ainsi que des productions techniques en
matières organiques (industries osseuses) et des restes humains, et ce, pour la période couvrant la fin du
Paléolithique moyen et la transition Paléolithique moyen - Paléolithique supérieur jusqu’au Mésolithique.
Les résidus de combustion charbonneux permettent de dater des foyers, des lampes, des brûloirs et des mouchages
de torches sur des parois de grottes par exemple.
Bien qu'exceptionnelle à ces périodes, toute découverte de macrorestes végétaux (bois, graines, instruments)
méritent d’être soumis à datation dès que le contexte de leur découverte le justifie.
Les perspectives conservatoires qui découlent de cette méthode de datation peu destructrice doivent être
rapidement intégrées au développement de la recherche paléolithique. Des protocoles et techniques de prélèvement
sur des objets fragiles, rares et particulièrement importants conservés dans les musées et les laboratoires
mériteraient d’être développés et largement communiqués. Il importe aussi de prélever à des fins de datation avant
d’appliquer certains protocoles de restauration et de conservation des matériaux organiques.

32
Des programmes de datations systématiques des éléments des industries osseuses et de l’art mobilier du
Paléolithique supérieur français et européen pourraient être envisagés afin de requalifier scientifiquement des
productions et des chefs d’œuvre qui souffrent encore trop fréquemment des conditions incertaines de leur
découverte.

4.2. Sélectionner des problématiques.

Compte tenu de ce qui précède et des limites chronologiques d’efficacité de la méthode des champs
thématiques pourraient largement bénéficier de programmes concertés de datation par SMA.
Des séquences culturelles, environnementales et stratigraphiques les plus représentatives pour des périodes
particulières et notamment les périodes de transition culturelle et/ou de changement rapide du milieu mériteraient
d'être relevés.
Parmi celles-ci, la transition Paléolithique moyen – Paléolithique supérieur au sens le plus large est un
domaine de recherche privilégié en Europe occidentale. Elle inclut la fin du Paléolithique moyen et le Chatelperronien,
le début du Paléolithique supérieur avec les aurignaciens "archaïques" et anciens, le croisement des méthodes et les
datations directes de fossiles directeurs de ces périodes (restes humains, art pariétal et mobilier, parure, industrie
osseuse).
L'art mobilier et pariétal, la parure, l'industrie osseuse du Paléolithique supérieur doivent indépendemment et
période par période bénéficier de programmes thématiques. Enfin, cette méthode précise, fiable et avantageuse sur
le plan conservatoire malgré les limites inhérentes à l'épaisseur temporelle qui affecte les écarts-types associés aux
dates calculées, est un élément indispensable à l'approche des problématiques relatives à des échelles de temps
plus courtes et à la synchronie (approches spatiales et territoriales, diffusion des idées, recherche de
contemporanéité …).

5. Organiser une programmation des datations.

A côté d'un nombre constant de datations dont le besoin demeure lié au développement de la recherche en
cours, deux axes de développement méritent attention.
D'une part, favoriser l'accès à cette méthode de datation pour l'archéologie préventive qui opère bien
souvent dans l'urgence. L'idée n'étant pas ici de réaliser des datations extemporanées au cours des interventions
bien que cela soit souvent utile, mais de disposer d'une réserve potentielle d'analyses pour ce type d'opérations
archéologiques.
D'autre part, privilégier une programmation qui serait une réelle prise en compte des objectifs des datations
et le traitement des problématiques avec des moyens appropriés, ce qui veut dire avec une participation effective
des laboratoires de datation. Plusieurs éléments apparaissent alors comme indispensables à un tel projet. Pour

33
répondre aux besoins d'une communauté scientifique et satisfaire à son développement, il convient au préalable
d'identifier des actions prioritaires.
Les protocoles d'échantillonnage archéologique et d'interprétation des résultats bénéficieront toujours d'une
association étroite entre archéologues et spécialistes des datations. Ils contribueront à améliorer ce dispositif de
critique scientifique en sollicitant des sécurités méthodologiques.
Une concentration de moyens et un accroissement des résultats sur des thèmes prioritaires de l'archéologie
européenne devrait assurer à moyen terme un rééquilibrage de la recherche archéologique nationale par rapport à
des programmations internationales trop globales. Une programmation aurait aussi pour effets d'harmoniser une
complémentarité entre les diverses méthodes de datations utilisables en contexte paléolithique, de la rendre visible à
l'échelle nationale sinon européenne, et de contrôler la calibration pour les périodes concernées.
Dans ce champ de spécialité fondamental pour l'archéologie paléolithique, un dispositif de programmation
doit permettre une meilleure prise en compte des problématiques d'actualité pour le développement d'une
archéologie compétitive.

_________

Avantages et inconvénients des techniques dendrochronologiques et carbone 14


pour la datation de bois de structure ou d'œuvre d'art

Emmanuel MAURIN
Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH)
29, rue de Paris - 77420 Champs-sur-Marne

Il existe aujourd’hui deux méthodes de datation du bois : la dendrochronologie et le dosage du carbone 14


(14C). Après une succincte présentation de la structure du matériau et des méthodes, les avantages et inconvénients
des deux techniques de datation sont présentés.
Un morceau de bois est décrit par trois plans :
§ le plan transversal, perpendiculaire au sens de la fibre,
§ le plan radial, contient un axe longitudinal et un rayon,
§ le plan tangentiel, contient un axe longitudinal et perpendiculaire au rayon.

Ces trois plans correspondent à différents débits, et les techniciens parlent respectivement de bois de bout,
coupe sur quartier et coupe sur dosse. Les cernes les plus proches de l’écorce sont des cernes de bois d’aubier. Ils

34
se distinguent en particulier par leur couleur pour les bois qui duraménisent : cas du chêne par exemple, qui
comporte 15 à 25 cernes d’aubier (photo1).
× Photo 1 : coupe transversale de Quercus (chêne)

Dans les pays tempérés, la croissance de l’arbre suit un rythme saisonnier. Très forte au printemps, faible en
été, elle est quasiment nulle en automne et hiver. L’observation macroscopique de cette croissance se fait sur la
section transversale, par l’observation des cernes annuels : chaque cerne comporte une zone de faible densité (bois
de printemps) et une zone plus dense (bois d’été). Les années où le climat est favorable, le cerne annuel est
particulièrement large. Inversement, si le climat est défavorable, le cerne est étroit. Pour un bois de résineux la
transition entre deux cernes est bien marquée. En revanche, pour certains bois feuillus (par exemple certains feuillus
à pores diffus), cette transition est difficilement repérable même au microscope, et il sera impossible de mesurer
précisément (au centième de millimètre) une largeur de cerne.
La dendrochronologie est une méthode de datation qui repose directement sur l’observation de cette
croissance de l’arbre. Les avantages et limites de cette méthode sont très souvent directement liés à la structure du
bois.
Le principe de la dendrochronologie s’appuie sur le constat suivant : pour une même année, dans la même
région, 2 cernes de 2 arbres d’essence identique ont la même largeur. Partant de cette observation, une courbe de
référence, « largeur de cerne » en fonction de « l’année », a été établie pour différentes essences.. Sur ces courbes,
des années caractéristiques (signatures) sont repérées. Pour un bois comportant n cernes à dater, la courbe
« largeur de cerne » en fonction de « année 1 à n» est tracée. Par analogie avec la courbe de référence, il est
possible de dater les cernes constitutives du morceau de bois. La lecture des largeurs de cerne se fait sur un plan
transversal et dans une direction radiale : dans le cas d’une planche, il est nécessaire qu’elle soit débitée sur
quartier (photo 2).
× Photo 2 : Quercus (chêne), plan transversal (x 20).

35
Après ce bref aperçu du principe de la mesure, nous évoquons les points forts de la méthode. La technique
permet de dater les cernes du morceau de bois à l’année près. C’est une méthode non destructive si la section
transversale est directement accessible sur l’œuvre ; un léger nettoyage, puis une photo, permettent d’effectuer la
mesure. La valeur de la date donnée à l’issue de l’analyse dendrochronologique est une valeur statistique qu’il est
possible de corriger par l’apport de résultats ultérieurs. Par ailleurs, dans certains cas, sans même fournir une date
exacte, la méthode peut permettre une datation relative : l’historique de la constitution d’un site peut être retrouvé.
Enfin, par l’observation et le recoupement des mesures, la dendrochronologie apporte d’autres informations que la
date. Par exemple, il est possible d’avoir une idée sur l’éventuelle sylviculture à laquelle l’arbre a été soumis, ou
encore, dans certains cas, l’analyse peut permettre de situer l’origine géographique de l’arbre.
Les limites de la dendrochronologie proviennent aussi bien du matériel que de la méthode. Ainsi, seules les
essences de bois produisant un cerne par an peuvent être datées. Ce qui n’est pas le cas pour la majorité des bois
tropicaux, ni pour certains résineux tempérés. Ces courbes de référence qui existent sont plus ou moins complètes
pour les chêne, châtaigner, noyer, peuplier et mélèze. Ces courbes de référence sont d’autant mieux renseignées
que la durabilité naturelle (résistance aux attaques biologiques) de ce bois est bonne. Le chêne est un des bois
européens les plus durables : un séquençage jusqu'en 6000 av. J.-C. a pu être établi.
Par ailleurs, il est généralement reconnu, mais cela dépend des périodes, lieux et essences, qu’une bonne
probabilité de résultat est obtenue sur un échantillon comportant 50 cernes consécutifs.
La date donnée par l’analyse est « l’année après laquelle s’est passé l’événement ». Dans le cas des
structures bois (charpente, pan de bois) il a été démontré qu’en général le bois est posé vert, c’est à dire l’année
de son débit. De plus, il comporte encore souvent des traces d’aubier. Ces deux éléments permettent une datation
de l’œuvre relativement précise. En revanche, la datation des objets mobiliers par dendrochronologie doit être prise
avec plus de précaution : les bois sont en général purgés d’aubier, les bois sont séchés longtemps ou proviennent
de réemplois.
L ’incertitude de la mesure dépend aussi d’autres facteurs moins contrôlables, comme le nombre de
« signatures » sur l’échantillon par rapport à la courbe de référence, la richesse de la courbe de référence, le
laboratoire d’analyse.
La méthode de datation par le dosage du 14C repose sur une théorie selon laquelle le pourcentage relatif du
14C par rapport aux autres isotopes évolue dans le temps. Cette évolution étant connue, le pourcentage de 14C
présent dans un matériau permet de déterminer sa date.
L’un des principaux avantages de la méthode est son application beaucoup plus générale à tous les matériaux
organiques : au contraire de la dendrochronologie, il n’y a donc pas de contrainte sur l’espèce ni sur le débit. La
période de datation possible est beaucoup plus étendue (45 000 ans). C’est une méthode peu destructive : la taille
minimum de l’échantillon est de 10 à 20 mg (soit, pour du chêne, un cube d’environ 0,3 mm de côté).
Cependant, la technique comporte quelques limites. En particulier, la méthode repose sur l’hypothèse d’une
production constante de 14C, ce qui n’est pas totalement exact. Des comparaisons avec les résultats obtenus par
dendrochronologie ont apporté quelques facteurs de correction sur la période 0-6000av. J.-C. (au delà, pas de

36
résultat en dendrochronologie). Ainsi, c’est aujourd’hui sur cette période que la méthode est la plus fiable. De part
et d’autre de cette période, la datation souffre d’un degré d’incertitude relativement élevé, en particulier pour la
période la plus récente.

37
TABLES - RONDES

Une séance de trois tables rondes concernant les divers problèmes de datation par le radiocarbone ont eu
lieu par ordre chronologique. Cette séance a été animée par

Astrid BRANDT-GRAU Jean -Pierre DAUGAS


Adjointe au chef de la Inspecteur général de l'archéologie
Mission de la Recherche et de la Technologie Direction de l’Architecture et du Patrimoine
Ministère de la Culture et de la Communication Inspection Générale de l’Archéologie
3, rue de Valois - 75042 Paris cedex 01 4, rue d'Aboukir - 75002 Paris

PALEOLITHIQUE

Table ronde animée par


Françoise Audouze, Jacques Jaubert, Boris Valentin, Hélène Valladas

Séries de dates décalées et plateau C14


Françoise AUDOUZE
CNRS, UMR 7041 ArScAn, Maison René Ginouvès
21, allée de l'Université – 92190 Nanterre cedex

Mon intervention concerne deux questions posées aux dateurs : l'une se réfère à un problème
d'interprétation, l'autre à la stratégie à adopter. Et j'utiliserai les dates obtenues pour le Magdalénien supérieur du
Bassin Parisien et de Suisse pour illustrer mon propos.
Tout d'abord, comment doit-on interpréter des séries de dates décalées l'une par rapport à l'autre lorsqu'il
s'agit de sites de la même culture qu'on peut considérer comme archéologiquement contemporains (à l'échelle du
quart de siècle par exemple) ? Je prendrai comme exemple les sites suisses de Champréveyre et Moruz, sur les rives
du lac de Neuchâtel en Suisse dont de nombreux foyers ont été datés (D. Leech, p.21). Dans chacun des deux sites,
ces foyers appartiennent tous au niveau archéologique du Magdalénien supérieur. En outre, fait inhabituel, il a été

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possible d'effectuer des remontages de silex qui établissent la contemporanéité réelle des deux occupations
magdaléniennes peu distantes l'une de l'autre (quelques kilomètres seulement). Le fait que les deux séries de
datations aient été réalisées par deux laboratoires différents suffit-il à expliquer ces divergences ?
Ces divergences se retrouvent à plus grande échelle entre les sites du Magdalénien supérieur du Bassin
Parisien et les deux sites suisses déjà cités ainsi que les sites du Nord de la France, archéologiquement
contemporains. Il est curieux que le décalage concerne tous les sites du Bassin Parisien dont les dates sont
cohérentes, surtout depuis qu'elle sont faites en AMS. Certes une bonne partie de ces dates tombent dans le
plateau C14 du début du 13ème millénaire, mais ne devrait-on pas de ce fait avoir une répartition aléatoire de ces
dates ? Comment se fait-il que la succession des dates des sites du centre du Bassin Parisien corresponde à ce que
nous en apprend la typologie lithique qui place dans l'ordre Etiolles puis Picenvent et Verberie, tout à fait similaires
dans leur industrie lithique comme dans leur organisation, et enfin Marsangy. La faune conduit aussi à placer Etiolles
plus tôt que les autres en raison des restes de mammouth et Marsangy plus tard en raison des quelques restes de
cerf. Les datations n'ont pas toutes été réalisées par le même laboratoire puisque certaines viennent du laboratoire
d'Oxford, d'autres de Gif et enfin quelques unes d’autre laboratoires. Devons-nous conclure que le pouvoir
discriminant des datations C14 atteint ici ses limites ? Où devons-nous considérer que le problème est
archéologique ou plutôt, culturel et que le Magdalénien du bassin Parisien est en retard de quelques siècles sur les
autres, ce qui pose d'autant plus de problème que l'Azilien ou le Federmeeesser qui lui succèdent comme ailleurs ne
présentent pas ce décalage temporel ?
Cette question en amène une autre plus pratique : quelle stratégie adopter quand les premières dates d'une
couche archéologique ou d'un site se situent à l'intérieur d'un des plateaux du C14 ? Devons-nous arrêter de faire
procéder à des datations C14 pour cette couche ou peut-on espérer que les progrès atteints par les nouveaux
équipements en matière de précision feront sortir un certain nombre de dates du plateau et feront rétrécir les plages
d'incertitude ? Devons-nous, dans cette éventualité conserver des échantillons à dater plus tard ?

Bibliographie

BOWMAN, S. S. (1990). Radiocarbon dating (Interpreting the past). London, British Museum publications.
LEECH, D. (1997). Hauterive-Champréveyres 10. Un campement magdalénien au bord du lac de Neuchâtel, cadre chronologique
et culturel, , mobilier et structures, analyse spatiale (secteur 1), Neuchâtel, Musée cantonal d’archéologie (Archéologie
neuchâteloise, 19).
O LIVE, M., A UDOUZE, F. et J ULIEN, M. (2000). Nouvelles données concernant les campements magdaléniens du Bassin Parisien in
P. Bodu; M. Kristiansen et B. Valentin éd., L’Europe centrale et septentrionale au Tardiglaciaire Actes de la Table Ronde de
Nemours 13-16 mai1997, pp. 289-304, (Mémoires du Musée de Préhistoire d’Ile de France, 7).
V ALLADAS, H. (1994). Chronologie des sites du Magdalénien final. In Taborin, Y. éd. Environnements et habitats magdaléniens
dans le centre du Bassin parisien, Edit. MSH, Paris, 167-172.(DAF n°43).

39
V ALENTIN, B. et PIGEOT, N. (2000) Eléments pour une chronologie des occupations magdaléniennes dans le bassin Parisien, in
P. Bodu; M. Kristiansen et B. Valentin éd., L’Europe centrale et septentrionale au Tardiglaciaire Actes de la Table Ronde de
Nemours 13-16 mai1997, pp. 289-304, (Mémoires du Musée de Préhistoire d’Ile de France, 7).

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Jacques JAUBERT
DRAC Midi-Pyrénées
SRA Service Régional de l’Archéologie
7, rue Chabanon - 31200 Toulouse

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Quelles contributions pour la datation SMA ? Quelques suggestions pour le


Paléolithique récent et ses prolongements mésolithiques
Boris VALENTIN
UMR 7041 - Centre de Recherche Préhistorique - Université Paris 1
3 rue Michelet, 75006 Paris
valentin@univ-paris1.fr

Pour préciser mes attentes, je voudrais d’abord rappeler l’usage que je fais du C14. Mes recherches
personnelles portent sur les dernières sociétés de chasseurs attestées en Europe et au Proche-Orient à l’extrême fin
du Pléistocène et au début de l’Holocène, c’est-à-dire sur des groupes qu’il est convenu de rapporter à la fin du
Paléolithique récent, au Mésolithique, voire au tout début du Néolithique. Mes enquêtes concernent principalement
l’histoire des idées techniques en ces temps de profondes mutations économiques et sociologiques [1].

Apports et limites du C14 dans le champ couvert par mes recherches


Pour les périodes auxquelles je m’intéresse, nous disposons de beaucoup de dates C14, plus ou moins
précises à mesure que s’affinent les estimations, plus ou moins exactes comme le révèlent les plateaux d’âges

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constants récemment détectés. C’est le C14 qui permet de tracer dans ses grandes lignes une chronologie du temps
long et de fonder toute enquête paléohistorique. Pour ces périodes, les évènements peuvent être sériés, en gros,
par tranches de temps de cinq siècles environ : la précision ne va pas au-delà et c’est le principal handicap pour nos
études. Il existe ainsi des échelles de temps qui nous échappent entièrement, parce qu’elles se situent entre le
temps long évalué par les méthodes radiométriques et le temps court approché par les études palethnographiques
[2]. Il est donc possible de dater approximativement un campement préhistorique, de restituer dans le détail les
activités qui s’y déroulèrent mais nous restons incapables de situer ce campement par rapport à d’autres, datés
dans la même tranche de temps. Autrement dit, la reconstitution des cycles d’activités saisonnières reste toujours
hypothétique pour le Tardiglaciaire comme pour le début de l’Holocène et, a fortiori, pour les périodes qui les
précèdent.
Pour préciser nos reconstitutions paléohistoriques, l’établissement des chronologies relatives est plus que
jamais indispensable et suppose que l’on exploite l’information que recèlent les gisements multistratifiés. C’est à ces
enquêtes que contribuent aujourd’hui activement de nouvelles méthodes d’étude de la culture matérielle
développées depuis une trentaine d’années. Grâce à elles, les confrontations portent, au-delà des objets, sur les
idées techniques qu’ils matérialisent ainsi que sur les choix économiques et les valeurs qui ont inspiré ces idées.
Cette histoire des idées débute et n’est encore que très partielle. Le C14, même avec son imprécision, peut
donc encore apporter sur ce thème des contributions décisives. Je voudrais maintenant évoquer ces apports dans
une perspective plus large.

§ Plaidoyer pour une datation systématique des innovations attestées parmi les armes et les outils en
matière osseuse
Parmi les investigations qui pourraient bénéficier du développement de la SMA, j’insisterai particulièrement sur
la datation systématique de certaines idées techniques reconnues comme marqueurs culturels pour le Paléolithique
récent, voire pour le Mésolithique. À ce titre, il conviendrait d’entreprendre la datation programmée de certains
véritables “ fossiles directeurs ” que révèle l’industrie osseuse. Voilà de quoi concevoir autant de petits programmes
ad hoc. Je me permets d’en évoquer quelques exemples, bien entendu non limitatifs.
Dans cet esprit, il serait particulièrement utile d’envisager la datation systématique des pointes de projectile
osseuses de l’Aurignacien. Beaucoup d’autres que moi le préconisent car ces objets, fabriqués de manière très
répétitive [3], forment un des traits fédérateurs de la civilisation aurignacienne lors de sa pleine expansion. En bref,
en datant ces pointes, on peut être sûr, sinon d’identifier le “ plus vieil ” Aurignacien, du moins de caler des
innovations qui marquent une des principales ruptures avec le monde des Néandertaliens. À ce titre d’ailleurs, un
autre effort pourrait être consacré à la datation des perles en ivoire, connues sous diverses variantes régionales, à
chaque fois très stéréotypées par leur forme et leur méthode de fabrication [4]. Pour ces inventions aurignaciennes,
c’est un programme européen qu’il serait bon de concevoir même si le territoire métropolitain constitue un point
d’appui très solide.

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Les spécialistes du Gravettien, du Solutréen ou du Badegoulien auront sans doute à proposer des enquêtes
analogues sur d’autres fossiles-directeurs en matière osseuse. Plutôt que de les détailler, je préfère m’arrêter un
instant sur la richesse et l’inventivité par lesquelles les Magdaléniens se signalent dans le domaine des armes de
chasse. Sérier cette diversité des formes éclairerait en partie l’évolution des pratiques cynégétiques. De plus,
certaines de ces armes correspondent à des idées techniques originales, parfois limitées dans le temps et dans
l’espace (voir notamment certaines baguettes demi-rondes, les crochets de propulseurs, les sagaies à base
fourchue [5] etc…). Ce sont les fondements mêmes de la chronologie magdalénienne que l’on pourrait ainsi
préciser ou nuancer, comme le révèlent quelques premiers résultats sur les pointes barbelées, qui vieillissent un peu
l’émergence du Magdalénien dit “ récent ” [6]. Ces pointes barbelées méritent sans doute un programme spécifique
car elles concrétisent une idée qui s’est largement répandue en Europe. Leurs homologues aziliens devraient
également retenir l’attention car leur apparition est encore mal calée alors que l’on dispose par ailleurs de sériations
de plus en plus détaillées pour d’autres innovations qui scandent l’azilianisation. Quelques calages seraient
également utiles pour l’industrie osseuse mésolithique : pauvre dans nos contrées, elle livre tout de même quelques
formes particulières.
Je ne m’accorderai qu’une brève incursion sur un terrain qui suscite depuis peu ma gourmandise, celui de la
néolithisation proche-orientale. Plusieurs spécialistes ont souligné combien l’industrie osseuse constituait au cours
de ce processus un domaine plutôt “inerte et conservateur ”, par ses formes au moins [7]. Si changements il y eut,
c’est peut-être alors dans la discrétion des modes de sélection et de transformation des matériaux qu’il faut les
chercher [8]. Gageons que le C14 pourra utilement alimenter la sériation fine de ces changements.
En somme, il y aurait dans ces divers programmes de quoi nourrir activement bien des enquêtes
paléohistoriques. Bien entendu, ces enquêtes méritent d’être soutenues continuellement par des investigations
complémentaires sur l’évolution du climat et des milieux naturels. Dans ce domaine, la contribution du radiocarbone
est permanente et il va de soi qu’il convient d’encourager tous les programmes, en cours ou à venir, à visée
paléoenvironnementale.

§ Plaidoyer pour la datation systématique des ressources animales


Parmi ces programmes environnementaux, je trouve, comme anthropologue, un intérêt particulier à tous ceux
qui se fixent comme objectif l’appréciation fine des évolutions de la biomasse animale, et donc des ressources
alimentaires. Il y a encore beaucoup à apprendre sur l’histoire démographique des grands ongulés depuis le stade
isotopique 3, une histoire ponctuée d’adaptations, d’expansions, de reflux et de disparitions [9]. Mesurer l’impact
de ces crises sur les sociétés de chasseurs nécessite évidemment de solides corrélations chronologiques.
Plusieurs enquêtes de ce genre sont en cours et pourraient être utilement soutenues : démographie de
l’antilope saïga à la fin du deuxième Pléniglaciaire weichsélien, réactions des faunes du début holocène à la
fermeture progressive du milieu etc… L’une d’entre elles est sur le point d’aboutir : celle sur la disparition des
rennes de l’espace français au Tardiglaciaire. Amorcée avec succès dans les Alpes septentrionales et le Jura [10],
cette enquête mérite surtout, à mon sens, d’être étendue vers l’Aquitaine, là où une survivance tardive et un peu

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paradoxale est encore parfois évoquée. Pour ces axes de recherche, je pense qu’il faudrait envisager un couplage
du C14 et des analyses sur les isotopes stables (carbone-13 et azote-15) qui visent, à travers la reconstitution des
diètes animales, une restitution précise des écosystèmes [11].
Voici donc quelques suggestions autour de deux axes forts et complémentaires que j’ai sélectionnés parce
qu’ils se rejoignent en un projet mobilisateur : l’appréciation des réponses culturelles très diverses conçues par les
communautés de chasseurs pour faire face aux mutations écologiques du Pléistocène supérieur et du début de
l’Holocène. Il va de soi que ce projet engendre bien d’autres programmes : ceux qu’ont notamment évoqués mes
collègues présents à cette table-ronde et bien d’autres que devrait susciter le dynamisme actuel des études
préhistoriques.

Bibliographie
[1] V ALENTIN B., 1999 - Techniques et cultures : les chasseurs-cueilleurs de la fin du Tardiglaciaire au sud du Bassin Parisien.
In : Bintz P. et Thévenin A. (éds) — L’Europe des derniers chasseurs. Epipaléolithique et Mésolithique. Actes du Vè
Congrès UISPP, commission XII, Grenoble (18-23 septembre 1995), Paris, CTHS, p. 201-212.
[2] PIGEOT N. et V ALENTIN B., sous presse - Les chronologies de la préhistoire humaine dans le Bassin parisien au tardiglaciaire
: acquis récents, questions et bilan. Actes du Colloque international de Ravello (3-8 mai 1994) : Chronologies
géophysiques et archéologiques du Paléolithique supérieur.
[3] K NECHT H., 1991 - The role of innovation in changing Early Upper Palaeolithic organic projectile points. Techniques et
culture, n°17/18, p. 115-144.
[4] WHITE R., 1993 - Technological and social dimensions of “ Aurignacian-age ” body ornaments across Europe. In : Knecht
H., Pike-Tay et White R. (eds) - Before Lascaux. The complex record of the Early Upper Palaeolithic, CRC Press, p. 277-
300.
[5] PETILLON J.-M., sous presse - Situation chronoculturelle des pointes à base fourchue. Archéo-Situla
[6] WELTE A.-C., 2000 – Le Magdalénien supérieur et les propulseurs dans la vallée de l’Aveyron : révision chronologiques. In :
Pion G. (éd.), Le Paléolithique supérieur récent : nouvelles données sur le peuplement et l’environnement . Actes de la
Table-ronde de Chambéry (12-13 mars 1999), Mémoires de la Société Préhistorique Française, T. 28, Paris, SPF, p. 201-
212.
[7] STORDEUR D., 1999 – Néolithisation et outillage osseux. La révolution a-t-elle eu lieu ? In Préhistoire d’Os. Publications de
l’Université de Provence, p. 261-272.
[8] LE DOSSEUR G., thèse en cours à l’Université Paris 1.
[9] Delpech F., 1999 – Biomasse d’Ongulés au Paléolithique et inférences sur la démographie. Paléo, n°11, p. 19-42.
[10] BRIDAULT A. et al., 2000 – Position chronologique du renne (Rangifer tarandus L.) à la fin du Tardiglaciaire dans les Alpes
du Nord françaises et le Jura méridional. In : Pion G. (éd.), Le Paléolithique supérieur récent : nouvelles données sur le
peuplement et l’environnement. Actes de la Table-ronde de Chambéry (12-13 mars 1999), Mémoires de la Société
Préhistorique Française, T. 28, Paris, SPF, p. 47-58.
[11] DRUCKER D. et CELERIER G., 2001 – Teneurs en carbone-13 du collagène de grands mammifères du site de Pont-d’Ambon
(Dordogne, France) : implications pour l’environnement et son exploitation au Tardiglaciaire dans le sud-ouest de la
France. Paléo, n°13, p. 145-158.

43
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La calibration des âges carbone 14 pour le Paléolithique supérieur


Hélène VALLADAS
Laboratoire des Sciences du Climat et de L’environnement, UMR CEA – CNRS
Avenue de la Terrasse, F- 91198 Gif sur Yvette Cedex

Depuis les années 50, on sait que, contrairement à l’hypothèse formulée par Libby (1952), la teneur en
carbone 14 de l’atmosphère a varié au cours du temps et que la méthode du carbone 14 présente donc un biais
qu’il faut corriger (De Vries, 1958). L’évolution de cette teneur est contrôlée par trois phénomènes physiques
principaux : l’impact le plus important est dû aux variations de l’intensité du champ magnétique terrestre, qui sont à
l’origine de la variation à long terme de la production de 14C, puis viennent les fluctuations de l’activité solaire qui
induisent des variations de quelques centaines d’années, et enfin, les échanges entre les différents réservoirs de
carbone (océan, atmosphère et biosphère). Pour dater exactement par le carbone 14, il faut donc connaître les
variations de la teneur en 14C (i.e. du rapport isotopique 14C/12C) de l’atmosphère au cours du temps. La calibration
consiste alors à transcrire l’activité 14C mesurée sur un échantillon, exprimée en âge 14C conventionnel (ans BP), en
âge vrai dit calendaire (cal BP ou cal BC) .
A partir des années 80, les archéologues qui s’intéressent aux périodes protohistoriques et historiques, se
sont accoutumés à utiliser les programmes de calibration des âges C-14 et c’est à partir des dates C-14 corrigées et
exprimées en années réelles qu’ils interprètent les données culturelles pour l’Holocène. Cette démarche est encore
peu fréquente pour la période paléolithique, même si une courbe de calibration «officielle» (INTCAL98 et plusieurs
logiciels dont CALIB4) permet de remonter jusqu’à 24.000 ans cal BP (Stuiver et al., 1998) ; cette attitude
s’explique cependant aisément du fait que cette courbe ne couvre pas encore tout le Paléolithique supérieur et
qu’elle ne permet pas notamment d’aborder la période s’étendant de 25.000 à 40.000 ans avant le présent .
Dans ce qui va suivre, nous passerons en revue les différentes approches utilisées pour établir la courbe de
calibration pour le Paléolithique supérieur, en précisant les limites de chacune d’elles (Bard, 1999, 2001, Fontugne,
1996, à paraître).

La calibration jusqu’à 24.000 ans (cal BP)

44
De l’actuel jusqu’à 11.800 ans cal BP, la courbe de calibration se fonde essentiellement sur les données
dendrochronologiques ; cette approche n’est plus utilisable pour des âges plus anciens, du fait de la rareté des
arbres pendant la dernière période glaciaire. La courbe de calibration utilise alors les données chronologiques
obtenues sur d’autres types d’enregistrement : 1) principalement les coraux tropicaux (Mer des Caraibes et Océan
Pacifique) qui sont datés à la fois par le carbone 14 et la méthode des déséquilibres dans la famille de l’uranium en
spectrométrie de masse par thermo-ionisation – U/Th par TIMS – (Bard et al., 1990) et 2) les varves marines
annuelles qui se sont déposées sur les marges continentales du Bassin de Cariaço au Vénézuela (Hughen et al.,
1998) et pour lesquels les âges carbone 14 sont comparés à ceux déduits du comptage des varves (entre 14.500
et 11.700 ans cal BP).
Pour le Tardiglaciaire, il y a accord entre les nombreuses données dendrochronologiques et marines et la
courbe de calibration est bien définie. L’accord entre les enregistrements marins se maintient jusqu’à 24.000 ans cal
BP. D’après les résultats obtenus sur les coraux, la différence entre âges C-14 et âges réels (calendaires) serait de
ca. 2.000 ans vers 11.000, de ca. 3.000 ans vers 16.000 et de ca. 4.000 ans vers 20.000 ans BP, soit un écart
de 17% d’environ (Bard, 2001). Notons cependant que la calibration n’est pas encore connue de façon détaillée
entre 15.000 et 24.000 ans cal BP, en raison du nombre limité de datations croisées et, compte-tenu du fait que,
contrairement à la dendrochronologie, l’enregistrement fourni par les coraux est discontinu. La courbe construite
par interpolation linéaire entre les dates ne permet donc pas de mettre en évidence des variations rapides dans la
production du carbone 14, ni l’existence de «plateaux » pour lesquelles les dates C-14 restent stationnaires (« âges
plateaux ») en fonction du temps. Cette courbe de calibration encore préliminaire évoluera donc, au fil des années,
en intégrant les nouveaux enregistrements.

Problèmes posés par la calibration au delà de 24.000 ans


De 24.000 à 45.000 ans avant le présent, la courbe de calibration est très délicate à établir. Seulement deux
datations sur coraux ont été publiées car ce type d’échantillon, situé à plus de 100 mètres de profondeur sous la
surface de la mer, est difficile à prélever. Il a donc été nécessaire de faire appel à d’autres types d’enregistrement
qui posent tous un certain nombre de problèmes. Jusqu’à récemment, la connaissance des variations de la teneur
du 14C atmosphérique reposait essentiellement sur les sédiments varvés du lac Suigetsu (Japon), qui couvrent les
derniers 45.000 ans (Kitagawa and Van der Plicht, 1998). Cependant, cet enregistrement présente ses faiblesses
car on s’est aperçu que la sédimentation des varves n’avait pas toujours été continue et qu’elle présentait des
lacunes, d’où la nécessité d’estimer le nombre de varves manquantes et d’en tenir compte pour compléter la
séquence. De plus, pour les niveaux antérieurs à 30.000 ans BP, la datation des varves ne pouvait plus être faite
par comptage direct mais en se fondant sur leur taux de sédimentation estimé à partir des niveaux récents et
supposé constant au cours du temps. Quoiqu’il en soit, dans l’état actuel des connaissances, les analyses du lac
Suigetsu suggèrent que la teneur en carbone 14 de l’atmosphère était supérieure à l’actuel, entre 30.000 et 40.000
ans BP, d’où une sous-estimation des âges 14C de 2.000 à 4.000 ans .

45
Cependant, une étude récente de Beck et al., (2001) a apporté un éclairage nouveau sur cette période. Ces
auteurs ont daté par le 14C et la méthode de l’U/Th par TIMS les lamines annuelles de croissance d’une stalagmite
des Bahamas (Océan Atlantique). Leur étude a révélé une augmentation importante (plus du double par rapport à
l’actuel) et très rapide de la concentration du 14C atmosphérique entre 30.000 et 40.000 ans BP. Ces pics de 14C,
contemporains des excursions magnétiques de Mono Lake et de Laschamp, confirment le rôle primordial des
variations du champ magnétique terrestre dans la production du carbone 14 (Stuiver et al., 1998). Si les données
obtenues par Beck et al., (2001) s’avèrent exactes, la différence entre un âge carbone 14 de 30.000 ans BP et
l’âge réel atteindrait 7.000 ans et elle serait donc beaucoup plus importante que celle déduite du lac Suigetsu.

Conclusion
Compte-tenu de la contradiction actuelle entre les informations fournies par la stalagmite des Bahamas et le
lac japonais, il est conseillé d’être prudent dans l’interprétation des âges 14C obtenus pour le début du Paléolithique
supérieur et la fin du Paléolithique moyen. Toute tentative d’interprétation est d’autant plus délicate que l’on ne sait
pas encore si l’écart entre les âges 14C et les âges réels est resté linéaire pendant cette période ou si la courbe de
calibration présente des âges plateaux ou même des inversions. Il est clair qu’il faudra attendre que cette courbe
soit mieux établie pour retracer de façon détaillée l’évolution culturelle des derniers hommes de Néandertal et des
premiers hommes modernes et qu’il est prudent actuellement de ne pas se fonder uniquement sur les âges 14C
bruts pour interpréter cette période de transition, au plan chronologique. Malgré ces difficultés actuelles, l’effort
pour produire de nouvelles mesures de carbone 14 très précises pour les sites placés entre 45.000 et 30.000 ans
avant le présent ne doit pas être abandonné car ces résultats pourront bénéficier des progrès futurs de la courbe de
calibration.

Bibliographie
BARD, E., La datation au carbone 14 fait peau neuve, La Recherche, 323, 52 – 56, 1999.
BARD, E., Extending the calibrated radiocarbon record, Science, 292, 2443-2444, 2001.
BARD, E. et al., Calibration of the 14C timescale over the 32,000 years using mass spectrometric U-Th from Barbados corals,
Nature, 345, 405 – 409, 1990.
BECK et al., Extremely large variations of atmospheric 14C concentration during the last glacial period, Science, 292, 2453-
2458, 2001.
DE V RIES, H., Variations in concentration of radiocarbon with time and location on earth, Proc. Koninkl. Ned. Akad. Wetenschap.,
94, 1958.
FONTUGNE, M., Progrès de la datation par le carbone 14, Archéologia, 323, 26 –33, 1996.
FONTUGNE, M., La dérive des âges carbone 14 ? La Géologie de la Préhistoire, Edition Géopré, 2002.
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isotope production. Science, 279, 1187 – 1190, 1998.

46
LIBBY, W. E. Radiocarbon dating, University of Chicago Press, 124 pp, 1952.
STUIVER , M., et al., Intcal 98 radiocarbon age calibration, 24,000 – 0 cal BP, Radiocarbon, 40, 3, 1041–1083, 1998.

NEOLITHIQUE - PROTOHISTOIRE

Table ronde animée par


Didier Binder, Annie Caubet et Serge Cleuziou

Didier BINDER
Centre d'Etudes de la Préhistoire, de l'Antiquité et du Moyen-Age (CEPAM - UMR6130)
250, rue Albert Einstein - 06560 Valbonne

Les premières compilations de dates AMS pour les premières étapes du Néolithique en Europe de l’ouest
(Impressa-Cardial), montrent une lisibilité des processus sans commune mesure avec les images produites
antérieurement par les méthodes classiques.
Cela semble dû à plusieurs facteurs :
§ une meilleure reproductibilité des résultats fournis par les méthodes d’accélération, en d’autres termes une
plus grande justesse ;
§ un protocole de prélèvement des matériaux datés forcément plus précis en raison :
§ d’une sélection rigoureuse des contextes de prélèvement : épisodes discrets et, autant que possible,
matériaux prélevés en position fonctionnelle, par exemple dans des structures de combustion ;
§ d’un accompagnement analytique pluridisciplinaire : sélection de matériaux à durée de vie brève, par
exemple des graines, des rameaux terminaux, des bois d’arbustes à faible longévité.

La mise en œuvre de séries de mesures par accélérateur doit donc permettre de gagner à la fois en justesse
et en précision.
On dispose aujourd’hui de nombreux outils d’analyse statistique des séquences radiométriques (ex. calculs de
probabilités combinées, statistiques bayesiennes). La multiplication des mesures pour un même événement et la
mise en œuvre de méthodes statistiques appropriées sont de nature à augmenter la précision des datations ; on ne
peut ni ne doit se contenter d’une mesure par événement comme c’est souvent le cas. Il conviendrait de s’accorder
sur un minimum de trois mesures par fait analysé ?

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Paradoxalement, la chronologie absolue du Néolithique reste en grande partie à construire. Actuellement, et
dans les meilleurs cas, on dispose d’une résolution chronologique de l’ordre de 2 siècles ce qui ne permet
certainement pas d’apprécier les processus de mutation rapide.
L’existence d’un nouvel accélérateur dédié en partie à l’archéologie permettrait de réaliser des séries de
mesures pour l’ensemble du Néolithique.
De tels programmes ne seraient fructueux que dans la mesure où les données analysées procèderaient de
protocoles de prélèvements identiques et contrôlés. On pourrait imaginer que soit publiée, en même temps que le
résultat d’une analyse une double évaluation de sa fiabilité : d’une part d’un point de vue physico-chimique comme
c’est déjà le cas, d’autre part d’un point de vue archéologique en combinant une appréciation contextuelle et une
appréciation de la valeur intrinsèque de l’échantillon analysé (ex. la fiabilité d’une datation de restes humains
provenant d’une sépulture en contexte économique de collecte en milieu marin, contexte générant des
enrichissements des ossements en carbone ancien par voie alimentaire, n’est pas la même que la fiabilité d’un
ensemble de graines de céréales provenant d’un foyer structuré ou d’une fosse silo incendiée).
Dans le domaine de l’archéologie métropolitaine, plusieurs programmes relatifs à la Néolithisation pourraient
être élaborés en priorité :
§ La diffusion rapide du Néolithique ancien à céramique imprimée le long des côtes méditerranéennes à partir
de 5800-5700 cal BC. Cette première étape présente une grande diversité de faciès : Sont-ils
contemporains et d’origines différentes ? Sont-ils successifs ? Comment évoluent-ils au cours du 6ème
millénaire ?
§ La périodisation interne du Néolithique d’origine danubienne à partir de 5400-5300 cal BC. Lesdonnées
actuellement disponibles sont contradictoires. Doit-on envisager une succession comme l’indique la
sériation des styles céramiques ou, au contraire, une évolution parallèle du Rubané et du VSG-Blicquy
comme l’indiqueraient plusieurs séries de datations ?
§ Réalité du gap entre le Mésolithique final à trapèzes (Tardenoisien final, Retzien et Teviécien, Castelnovien)
et les premiers néolithiques ; position chronologique des groupes procédant d’une éventuelle acculturation
des populations mésolithiques par l’un ou l’autre des grands courant de diffusion du Néolithique : La
Hoguette et le Néolithique ancien rhodanien type Grotte du Gardon, le «Roucadourien » type Les Usclades
– Combe Grèze etc.

Des programmes de même ampleur peuvent être développés pour le Néolithique moyen et justifieraient la
mise en œuvre d’un programme de révision de séquences stratigraphiques clé et la reprise d’échantillons. Dans le
Midi de la France par exemple, les données radiométriques disponibles ne permettent pas de séparer clairement les
entités « préchasséennes » des horizons du Protochasséen, du Chasséen ancien et classique.
Il est indispensable d’ajouter à cela des aspects de caractérisation des paléoenvironnements holocènes. Le
nouveau dispositif a vocation, par exemple, à reprendre la convention en cours avec le laboratoire de Gif-sur-Yvette
dans le cadre de l’ACI Paléo-incendies (240 mesures sur 3 ans).

48
Dans les contextes humides, le choix des matériaux à dater doit faire l’objet de protocoles extrêmement
rigoureux en raison des pollutions par les acides humiques et des bioturbations ; la recherche systématiques de
graines dans de tels milieux est souhaitable mais pose par ailleurs la question de la stricte contemporanéité entre
ces matériaux et les sédiments datés (i.e. matériaux hérités par flottage) .En contexte terrestre oxydé, la datation
des lentilles charbonneuses, contrairement à celle des charbons isolés, souvent hérités, donne en revanche des
résultats satisfaisants dans 90% des cas.
Au delà des aspects généraux de caractérisation sur la longue durée des environnements néolithiques,
protohistoriques et historiques et des impacts des économies de production agro-pastorale sur les paysages,une
des problématiques actuelles nécessitant le recours à de nombreuses mesures AMS est celle de la caractérisation
des contextes environnementaux de la Néolithisation (calage radiométrique des séquences antérieures au milieu du
6ème millénaire et livrant des pollens attribués à des céréales : Jura, bassins du Rhône et de la Loire).
Qu’ils intéressent uniquement l’archéologie ou qu’ils se situent à l’interface des sciences de l’homme et de la
société et des sciences de la nature, ces programmes pourraient indéniablement donner matière à plusieurs
centaines de mesures par an.

_________
Annie CAUBET
Musée du Louvre, Département des Antiquités Egyptiennes
Palais du Louvre
50, quai du Louvre - 75058 Paris cedex 01

_________

Serge CLEUZI OU
UMR 7041 Archéologies et Sciences de l'Antiquité - Maison René Ginouves
21, allée de l'Université - 92023 Nanterre Cedex

Pour l’Age du Bronze et plus généralement pour la protohistoire, les problèmes liés à l’obtention et à
l’interprétation de dates absolues par le radiocarbone et plus particulièrement par la SMA peuvent considérablement
varier d’une aire culturelle à l’autre. Il est des cas où, ne disposant d’aucun référent historique, ils ne diffèrent pas
fondamentalement de ce qui peut être envisagé pour les périodes précédentes. C’est par exemple le cas de la

49
France métropolitaine. Les anciennes chronologies, fondées à la suite des travaux de Childe sur des comparaisons
de proche en proche depuis le monde égéen, lui même daté à partir de la chronologie historique égyptienne, ont été
profondément révisées à la suite de l’adoption du 14C et de sa calibration. La tradition fait qu’il y a encore de
nombreuses résistances à l’adoption des dates 14C calibrées. Ce dont souffre à l’évidence le domaine c’est, par
manque de moyens financiers, du faible nombre de dates effectuées (par SMA ou non) comparativement aux
besoins.
Dans un autre domaine qui m’est plus familier, celui de la protohistoire de l’Orient ancien, les rapports entre
chronologies historiques et chronologies 14C calibrées sont devenus extrêmement critiques. En Mésopotamie par
exemple, trois chronologies étaient autrefois admises, entre autres fondées sur la conjonction de certains
évènements historiques avec des phénomènes astronomiques à périodicité régulière, et donc calculables, tels qu’ils
ressortaient notamment des textes de présages des astrologues babyloniens. La plus basse de ces trois
chronologies était celle qui semblait correspondre le mieux avec la chronologie historique égyptienne, mais c’est
finalement la chronologie moyenne qui avait prévalu, non sans poser quelques problèmes aux spécialistes du Levant
dans l’étude de civilisations ayant été en relation avec à la fois l’Egypte et la Mésopotamie.
L’usage du 14C est resté très restreint dans ces domaines, mais a rapidement intéressé les spécialistes des
régions situées à l’est de la Mésopotamie (plateau iranien, golfe persique, Asie centrale, vallée de l’Indus) qui se
trouvaient comme les spécialistes de l’Europe contraints d’établir leurs chronologie par comparaisons de proche en
proche avec une Mésopotamie supposée mieux connue. Les dates 14C ont paru valider une chronologie basse – qui
fut généralement ressentie comme trop basse – avant que la calibration soit disponible (sachant qu’on n’y dispose
par ailleurs d’aucune séquence dendrochronologique. A l’inverse, les dates calibrées ont été difficilement acceptées,
et ne le sont toujours pas par certains spécialistes par ailleurs prestigieux. Leur généralisation pour la civilisation de
l’Indus (où elles sont le seul moyen de datation possible) a entraîné une situation difficile en Iran et dans le Golfe
persique, où les deux systèmes se télescopent : des niveaux reconnus comme contemporains par les méthodes
classiques de chronologie relative sont de 200 ans environ plus anciens si l’on utilise le 14C calibré plutôt que la
chronologie « historique mésopotamienne », ce qui favoriserait l’ancienne chronologie « haute », laquelle semblait
tombée en désuétude. A cela est venu récemment s’ajouter une révision de la chronologie courte, fondée sur les
acquis historiques récents, une révision des stratigraphies et une nouvelle étude des coïncidences astronomiques.
Ceci fait l’objet de très vives discussions, que le manque de séries cohérentes de datations 14C dans le cœur des
chronologies historiques (Mésopotamie et bien davantage encore Egypte) ne permet en aucun cas de trancher.
Les datations par SMA ont suscité de ce fait un certain intérêt, dans la mesure où les tenants des dates
anciennes se voyaient systématiquement opposer la possibilité que cette différence soit due à l’utilisation
d’échantillons issus du bois de poutres plus anciennes que les niveaux qu’on prétendait dater (la réutilisation de
bois de charpente ancien étant effectivement une pratique couramment attestée dans ces régions). Nombre de
spécialistes ont donc proposé de ne plus dater que des graines ou des noyaux de dattes puisque ceux-ci seraient
signifiants «à l’année près ». C’est bien entendu oublier qu’avec les marges d’incertitude des mesures, il n’y a guère
de différences entre les dates ainsi obtenues (nécessairement par SMA) et les dates classiques, obtenues par

50
exemple sur du bois de chauffage, à condition de les accompagner de la critique qui devrait normalement
accompagner toute soumission d’un échantillon à un laboratoire – et dont ne sont pas exempts les échantillons de
graines. L’important est très certainement d’augmenter considérablement notre base de données radiométriques
dans les zones où elle existe déjà (et de ce point de vue le recours à la SMA peut être nécessaire), mais surtout
d’entreprendre un programme sérieux dans les régions où la chronologie historique domine, afin d’évaluer les
différences entre les deux systèmes. Il est probable le recours à la SMA s’imposera pour dater des prélèvements de
petite taille sur des objets dont la position dans la chronologie historique est assurée : c’est bien davantage des
obstacles idéologiques que des obstacles techniques qu’il faudra pour cela affronter.

ANTIQUITE - MEDIEVAL

Table ronde animée par


Joëlle Burnouf et Christian Peyre

_________

Joëlle BURNOUF
Archéologies et Sciences de l'Antiquité, UMR 7041 – Maison René Ginouves
21, allée de l'Université - 92023 Nanterre Cedex

_________

51
Christian PEYRE
S/Directeur à l'ENS (Archéologie)
Archéologies d’Orient et d’ Occident – UMR 8546 AOROC
Ecole Normale Supérieure
45, rue d'Ulm - 75230 Paris cedex 05

L'archéologie classique a la chance de bénéficier de repères chronologiques absolus grâce aux témoignages
écrits de l'épigraphie et de l'histoire.
Elle bénéficie également de repères précis tirés de longues séries typologiques, comme les amphores ou les
productions céramiques diverses issues des multiples ateliers de potiers qui entourent le monde méditerranéen.
Il est vraisemblable que ce n'est pas elle qui tirera le plus de profit des avancées spectaculaires réalisées, en
matière de datation, par la SMA. Toutefois il s'en faut de beaucoup que la chronologie issue des textes et des séries
typologiques soit à l'abri de toute remise de cause et de toute discussion. Il faut donc inviter les archéologues
classiques à solliciter de manière plus systématique la contrépreuve de l'analyse chronologique, désormais très fine
et non destructrice, de la SMA.
Il convient évidemment de choisir soigneusement, dans le large éventail de matériel archéologique qui
provient des fouilles, des catégories d'objets qui ont fait l'objet de discussions ou qui apparaissent soit
fréquemment, soit de manière isolée sur des sites. Fréquence ou absence de contexte méritent en effet de retenir
tout particulièrement l'attention. Il convient peut-être aussi de vérifier si les données fournies par la SMA ne sont pas
susceptibles également d'ouvrir des perspectives nouvelles non seulement en matière de chronologie, mais aussi
sur des questions qui concernent le savoir-faire ou la technologie antiques, en d'autres termes, les procédés et les
étapes de fabrication. Une recherche de ce type peut concerner des objets communs ou des objets luxueux qui ont
subi des réparations, des modifications ou des surcharges ornementales. On peut songer plus particulièrement aux
objets métalliques travaillés à chaud, sur foyers de charbon de bois, dont les traces deviennent repérables et
peuvent, le cas échéant, permettre de déterminer la durée ou les phases d'utilisation de certains vases ou de
certaines armes, avant le moment de leur enfouissement volontaire ou fortuit.
Pour la protohistoire, l'intérêt de la SMA est plus important encore en raison de l'absence ou de la rareté des
témoignages écrits, et des décalages qui peuvent perturber régionalement les séries typologiques utilisées comme
repères chronologiques, et qu'il est de bonne méthode de vérifier presque par pétition de principe.
Mais l'abondance des analyses souhaitables ou indispensables, pour une bonne connaissance des sites et de
leur occupation, est telle que l'on devra certainement envisager une programmation des recherches par
regroupement des demandes et par concertation préalable et méthodique entre archéologues et chercheurs mettant
en oeuvre la SMA.
A cet égard il faudrait plus que jamais que l'archéologue accompagne l'étude de ses échantillons dans le
laboratoire, et que le chercheur de laboratoire participe sur le chantier à leur découverte et à leur choix.

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SYNTHESE TABLES -RONDES

Par Jean-Pierre DAUGAS


Inspecteur général de l'archéologie
Direction de l’Architecture et du Patrimoine – Inspection Générale de l’Archéologie
4, rue d'Aboukir - 75002 PARIS

On rappellera que les intervenants étaient conviés à démontrer la nécessité d'une nouvelle chaîne de datation
par SMA dédiée à l'archéologie et à l'histoire de l'art ainsi qu'à illustrer l'exigence méthodologique et la rigueur
scientifique à même de fonder ce programme. La difficulté à séparer la matière des communications individuelles et
des débats développés par chaque table-ronde, la richesse même des discussions conduites, incitent à présenter
ici l'ensemble des points forts abordés dans l'un et l'autre cadre.
En premier lieu, comme l'avait déjà montré le déroulement du troisième congrès international "14C et
archéologie", à Lyon, en 1998, le couple de dateurs archéologue et physicien est devenu une réalité opérationnelle
qui, d'ailleurs, tend fréquemment à s'enrichir d'un troisième partenaire en la personne du naturaliste. Dès lors les
datations répondent elles désormais à des questionnements archéologiques précis et le choix des échantillons à des
exigences méthodologiques fortes.
En conséquence, il apparaît que lorsque la pratique interdisciplinaire est affirmée se développe une réflexion
aboutie en matière de datation numérique : ainsi en va-t-il de l'étude des périodes paléolithiques, stimulée par
l'absence de toute référence à une trame historique et évènementielle. Certes la réponse aux questions posées ne
relève-t-elle pas exclusivement de la technologie SMA mais la réunion d'aujourd'hui a, une fois encore, donné
l'occasion d'ouvrir un débat de fond. Ainsi parait-il désormais acquis par l'ensemble des partenaires que l'obtention
de dates fiables est conditionnée par :
§ la sélection d'échantillons représentatifs, homogènes et rigoureusement choisis;
§ des protocoles de prélèvements communs, répondant aux critères de chaque discipline concernée;
§ des questionnements archéologiques précis en cohérence avec le cadre pétro-
stratigraphique et la dynamique sédimentaire.

De même, pour toutes les périodes concernées par le champ de l'archéologie et de l'histoire de l'art, il
ressort avec force la nécessité d'obtenir des référentiels à valeur chrono-typo-culturelle rapportés à des aires
géographiques pertinentes : échelons régional, interrégional, national, international. Sachant que les corpus de
dates actuellement disponibles pour des périodes comme le Néolithique ou le Tardiglacaire sont déjà anciens aux
plans méthodologique (type et mode de recueil des échantillons) et technologique (type de mesure et mode de
comptage), l'accord se fait sur la nécessité d'actualiser ces bases de données à l'exemple de ce qui a déjà été fait

53
pour la fin des Temps glaciaires dans les Alpes du Nord ou dans le Bassin parisien. A cet égard les outils
conceptuels évoluent : si les Projets collectifs de recherche (PCR) sont performants à l'échelle régionale, il apparaît
que les nouvelles Actions Collectives de Recherche (ACR) seront plus adaptées pour les entreprises interrégionales
ou nationales et ce d'autant plus qu'elles permettront de répondre à une logique de fléchage d'options prioritaires.
L'évaluation par une commission inter-institutionnelle telle que le Conseil National de la Recherche Archéologique
parait, à cet égard, offrir une perspective plus satisfaisante qu'un simple comité spécialisé comme celui qu'avait
connu le premier Tandétron.
En matière de restauration et d'expertise des oeuvres d'art ou des matériaux anciens la demande ressort
également comme très forte, au carrefour des disciplines archéologiques et muséographiques, bénéficiant aussi de
l'interdisciplinarité étendue des pratiques.

Table-ronde "Paléolithique" :
Hélène VALLADAS souligne l'importance de l'apport de la calibration des mesures d'âge par le radiocarbone :
par la dendrochronologie jusqu'à 11400 ans, sur la base, plus rare, des coraux jusqu'à 27000 ans. Même si
l'interprétation exacte des dates obtenues demeure actuellement impossible pour les périodes anciennes (jusqu'à
40/42000 ans), il importe de poursuivre les mesures expérimentales sur des échantillons fiables et représentatifs.
A cet égard Jacques EVIN fait connaître qu'il cherche à intervenir sur des sites de la transition Paléolithique
moyen/supérieur à stratigraphies très contractées, afin de tester l'homogénéité de la distribution du 14C. Pour sa
part, Jacques JAUBERT souligne la carence des données concernant la séquence fin du Pléistocène
moyen/Pléistocène supérieur et propose de profiter du nouvel équipement pour tenter un programme systématique
de croisement méthodologique 14C/ESR/K-Ar/TL à l'exemple de ce qui a été engagé sur le site de Chez Pinaud, à
Jonzac (Charente).
On appelle l'attention sur l'intérêt des démarches croisées en biogéochimie (teneurs isotopiques du carbone
et de l'azote) et des datations par SMA sur un même extrait collagénique (travaux de D. DRUCKER H. BOCHERENS
et A. MARIOTTI) pour la caractérisation des évolutions paléoenvironnementales et paléoalimentaires des herbivores.
F. DELPECH évoque l'appréciation fine de l'évolution de la biomasse animale (exemple du Renne et de ses pseudo
isolats tardifs).
Pour M. FONTUGNE et J. EVIN ces problématiques conduisent à rechercher un équilibre entre travaux de
recherche et prestations de service.
B. VALENTIN insiste sur la nécessité de séquencer, par période de cinq siècles, les quatre millénaires du
Tardiglaciaire : actuellement l'échelle du temps court échappe aux préhistoriens et peut conduire à une confusion
entre cycles temporel et rythmes marqués par la saisonnalité. Il suggère donc la datation systématique, à l'échelle
européenne, d'innovations techniques ayant valeur de marqueur (sagaies aurignaciennes, industries osseuses
magdaléniennes autour de 14000 BP, harpons aziliens,....).

54
F. AUDOUZE souhaite que l'on débouche sur des préconisations précises à destination des archéologues
quant aux matériaux à éviter (coquilles marines par exemple). Elle préconise également la mise en oeuvre de
nouveaux croisements méthodologiques destinés à fiabiliser les mesures d'âge pour les époques correspondant aux
plateaux de la courbe de calibration (calibration du taux d'épimérisation de l'isoleucine jusqu'auxc environs de
25000 BP par exemple).

Table-ronde "Néolithique et Protohistoire"


A l'heure actuelle la sériation de la céramique imprimée du Néolithique ancien en Méditerranée occidentale est
obtenue sur des dates par SMA affectées d'un écart-type inférieur à 100ans et met en évidence un synchronisme
apparent entre l'Italie du sud, la Ligurie et le Languedoc. D. BINDER fait valoir la portée de l'enjeu visant à obtenir
des résolutions plus fines dans un cadre international. Parallèlement le corpus des mesures fondant la périodisation
interne du Danubien devrait être revu. Il conviendrait aussi de revenir sur les datations concernant les interactions
entre les derniers chasseurs et les premiers agriculteurs. Enfin, en Méditerranée orientale, il reste à trancher la
question du synchronisme entre PPNA sud et PPNB nord.
Pour mener à bien ces entreprises dans la plus grande sûreté méthodologique, D. BINDER insiste sur la
nécessaire mise au point de protocoles de prélèvements et sur la critique archéologique des échantillons. Plusieurs
mesures devraient être obtenues sur chaque fait élémentaire de façon à engager des calculs statistiques légitimes.
Une grande attention devra être portée aux impacts anthropiques sur les stratigraphies: les lacunes sédimentaires
devront être décelées et les niveaux à palimpsestes devront être périodisés.
Pour l'aire moyen-orientale, S. CLEUZIOU fait valoir le rejet psychologique d'une partie de la communauté des
protohistoriens vis à vis des datations numériques : les égyptologues, comme les archéologues du Proche-Orient, se
réfèrent aux calendes dynastiques en arguant de la précision de ces successions et de leur convergence avec la
trame historique. On sait cependant que de telles chronologies ne sont pas exemptes de critiques objectives et le
recours à la technologie SMA, par sa commodité d'emploi sur de faibles masses, devrait peu à peu apparaître
comme une alternative. Un préalable semble résider dans la conduite d'une discussion sur la validité des supports et
la représentativité d'échantillons groupés en vue de dates très ciblées.
A. CAUBET conforte cette approche et fait valoir la nécessité du dialogue avec les conservateurs des
collections : la technologie SMA doit permettre de nouveaux échantillonnages peu vulnérants pour les objets. Elle
met également en avant l'intérêt de cadres paléoenvironnementaux bien calés chronologiquement pour des essais
de modélisation de l'occupation du territoire tels que le programme Archéomédès. L'accord se fait également sur les
besoins en datations visant à fixer les termes de la diffusion des espèces animales domestiquées.

Table-ronde "Antiquité et Moyen-Âge "


D'emblée C. PEYRE met en avant l'idée que l'étude de la transition Protohistoire/Histoire fasse l'objet d'un
programme prioritaire : la typologie conduit à des sériations très fines mais souvent divergentes avec les données

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historiographiques. Il y a là un problème irritant susceptible d'être éclairci par des datations directes, sur des
inclusions organiques ou des résidus carbonés prélevés dans les objets mêmes. Les physiciens font toutefois valoir
qu'un tel affinement des mesures ne pourra être recherché qu'en dehors des limites du plateau des VIIème/Vème
siècles BC.
J. BURNOUF insiste sur la responsabilité de l'archéologue dans la diagnose stratigraphique et dans
l'élaboration du questionnement archéologique. A cet égard elle propose l'élaboration d'un protocole
interdisciplinaire de collecte des échantillons (séquençage des logs stratigraphiques des tourbières par exemple) et
le besoin d'une assistance méthodologique de la part des physiciens quant au choix des supports et des méthodes.
Pour la période médiévale il ressort des priorités thématiques : sur les sociétés artisanales ( travaux miniers,
métallurgie, charbonnières,...), les nécropoles, le bâti et les cadres environnementaux. Une place particulière devra
être faite au calage des séquences dendrochronologiques régionales, susceptibles de déboucher sur une meilleure
perception de l'organisation de l'espace.

Conclusion
L'accord se fait donc sur une rationalisation des approches dans un cadre interdisciplinaire. Les besoins sont
clairement exprimés et la technologie des datations par SMA apparaît comme susceptible de faciliter
l'échantillonnage et le renouvellement des référentiels.
Un fait essentiel réside également dans l'émergence d'une politique inter-institutionnelle volontariste, fondée
sur des incitations financières et susceptible de permettre de mener plus rapidement à bien le renouvellement des
données et l'ouverture à de nouvelles thématiques. Le rôle des Actions Collectives de Recherche sera probablement
fondamental en ce domaine durant les prochaines années.

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CLÔTURE

Par Jean -Pierre DALBERA


Chef de la mission de la recherche et de la technologie
direction de l'administration générale - ministère de la culture et de la communication
3 rue de Valois - 75042 Paris cedex 01

Plusieurs enquêtes menées ces dernières années ont mis en évidence une forte demande en datation 14C par
la communauté nationale de recherche dans le domaine de l’environnement et du climat comme dans celui de
l’archéologie et de l’histoire de l’art.
Ce constat a amené les différents acteurs à se regrouper pour proposer la mise en place d’un laboratoire
national de datation en finançant l’acquisition d’un spectromètre de masse par accélérateur destiné à la mesure du
14C. Ce nouvel équipement devrait en outre permettre de maintenir la compétitivité des équipes françaises dans un

contexte européen et international en forte évolution.


En 2001 le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), représentant également le Ministère de la
culture et de la communication, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), l’Institut de radioprotection et de sûreté
nucléaire (IRSN) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) se sont associés pour l’achat et la mise en
place du nouvel équipement dans les locaux du CEA à Saclay. Cet investissement d’un montant de l’ordre de 3,7 M€
a également bénéficié d’une subvention de 0,45 M€ de la part du Conseil régional d’Ile de France.
L’équipement sera installé au CEA au dernier trimestre 2002 et devrait commencer à fonctionner à partir du
premier trimestre 2003. Une convention de fonctionnement entre partenaires ayant participé à l’achat du nouvel
équipement est en cours d’élaboration pour définir les modalités d’accès.
Pour le ministère de la culture et de la communication il s’agit maintenant d’élaborer en concertation avec ses
partenaires institutionnels des programmes de recherche en archéologie et en histoire de l’art donnant lieu à de
futurs appels d’offre.
Le nouvel Institut national de la recherche en archéologie préventive (INRAP) a montré également son intérêt
pour ce nouvel équipement, afin de faire réaliser des campagnes de mesures dans le contexte des fouilles de
sauvetage dont il a la charge.

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