Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
L’archéologie sur le
chantier de ...
Archéopages
Archéologie et société
Hors-série 6 | 2022
Archéologie nationale. Recherche Expertise Patrimoine Français
3 - Enrichissement du patrimoine national
Portail de ressources électroniques
en sciences humaines et sociales
OpenEdition Freemium
Résumés
Français English Español
Par leur situation sur l’île de la Cité, la cathédrale Notre-Dame de Paris et ses abords
immédiats constituent en eux-mêmes un site archéologique majeur, au sujet duquel se pose
encore un certain nombre de questions. Dès lors, l’incendie du 15 avril 2019 a provoqué dans la
communauté scientifique, et plus particulièrement parmi les archéologues, beaucoup
d’interrogations, mais surtout d’attentes quant à la prise en compte du sujet archéologique
dans le cadre du chantier de sécurisation et de restauration. En effet, si la chronologie de la
construction de la cathédrale — dans son état gothique — est relativement bien connue dans
ses grandes lignes, on ne peut pas en dire autant des états antérieurs. Le chantier de
sécurisation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, hors norme à tous points de vue, a eu cette
vertu de démontrer, s’il en était besoin, la possible et parfaite intégration de la question
archéologique dans la bonne marche d’un chantier de restauration de monument historique
lorsque tous les interlocuteurs travaillent en toute confiance. Les découvertes constituent
autant d’éléments, qui après leur étude, permettront non seulement d’enrichir la connaissance
de la construction de Notre-Dame et de ses restaurations et la compréhension de ce lieu
d’inhumation privilégiée qu’est la croisée de transept, mais aussi de documenter de manière
inédite le jubé médiéval. Elles ouvrent de nouvelles perspectives sur les aspects urbains
antérieurs à l’édifice gothique.
Due to their location on the Ile de la Cité, Notre-Dame de Paris and its immediate
surroundings make up a single major archaeological site, about which many questions are still
being asked. As a consequence, the fire on 15 April 2019 resulted in many new questions for
the scientific community, in particular for archaeologists. Indeed, although the chronology of
the cathedral’s construction — in its Gothic state — is, broadly speaking, well known, one
cannot say likewise of earlier stages. The building site meant to secure Notre-Dame de Paris,
exceptional from every possible viewpoint, is proof (if indeed such proof is required) of the
CATALOGUE
possible and perfect integration of archaeological issues in the good working order of a Tout
historical monument restoration site, when all players and interlocutors work fully trusting
one another. The manifold discoveries are elements that, when OPENEDITION
studied, will not only allow
SEARCH
ACCUEIL DES 622 OpenEdition
deeper insight on Notre-Dame’s construction and restorations, as well understanding of this
privileged location for inhumations at the transept’s intersection, but also provide new data on
REVUES on the urban aspects preceding Gothic
the medieval rood screen. They open new perspectives
construction.
Entrées d’index
Mots-clés : cathédrale, restauration, monument historique, prescription archéologique,
coactivité
Keywords: Île-de-France (region), Middle Ages, Antiquity, cathedral, restoration, historical
monument, archaeological prescription, coactivity
Index géographique : Paris, Île-de-France
Index chronologique : Moyen Âge, Antiquité
Palabras claves: París, Edad Media, Antigüedad, cathedral, restauración, monumento
histórico, prescripción arqueológica, coactividad, Isla de Francia (región)
Texte intégral
1 Par leur situation sur l’île de la Cité, la cathédrale Notre-Dame de Paris et ses abords
immédiats constituent en eux-mêmes un site archéologique majeur, au sujet duquel se
posent encore un certain nombre de questions. Dès lors, l’incendie du 15 avril 2019 a
provoqué dans la communauté scientifique, et plus particulièrement parmi les
archéologues, beaucoup d’interrogations mais surtout d’attentes quant à la prise en
compte du sujet archéologique dans le cadre du chantier de sécurisation et de
restauration. En effet, si la chronologie de la construction de la cathédrale – dans son
état gothique – est relativement bien connue dans ses grandes lignes, on ne peut pas en
dire autant des états antérieurs, seulement documentés par quelques découvertes
réalisées depuis le XVIIIe siècle à l’intérieur du monument et aux abords de celui-ci, et
par la documentation écrite. En-dehors des édifices stricto sensu, la question des
aménagements de berges pour les périodes plus anciennes ainsi que celle du tracé du
rempart du Bas-Empire suscitent toujours un certain nombre d’interrogations. Associé
dès les lendemains de l’incendie au chantier qui se mettait en œuvre sous maîtrise
d’ouvrage de la Drac d’Île-de-France1, le service régional de l’archéologie (SRA), par sa
présence quasi quotidienne sur site, par sa participation aux très nombreuses réunions,
par son implication concrète sur le terrain2, a réussi progressivement à faire prendre en
compte le sujet archéologique (et en premier lieu le sujet « vestiges ») par tous ses
interlocuteurs.
3. Équipe de l’Inrap à l’œuvre dans le seul puits blindé ayant réellement fait l’objet d’une
fouille préalablement à l’installation de la grue.
Sur les quatre puits, deux ont dû être arrêtés à 1,5 m de profondeur, dans des remblais du début du
XXe siècle, et le troisième a été interrompu à 2,5 m de profondeur, dans des remblais modernes. Dans
le seul puits restant, la fouille des niveaux médiévaux, la datation du mur de quai et le relevé
stratigraphique ont été réalisés en urgence, à la toute fin du chantier. La base du mur a été reconnue à
plus de 6 mètres de profondeur, mais le blindage (en panneaux métalliques) s’arrêtant à 4,5 m, la base
de la stratigraphie n’a malheureusement pas pu être correctement appréhendée.
Inrap.
12 Dans le cadre strict du chantier de sécurisation, l’intérieur de la cathédrale n’a pas été
directement concerné par la mise en œuvre de travaux pouvant avoir un impact sur la
conservation de niveaux et/ou de vestiges. Néanmoins, le souhait de la maîtrise
d’œuvre d’échafauder de fond en comble l’ensemble de l’édifice nécessitait de maîtriser
a minima l’état du sol et du sous-sol. Dans ce cadre, le SRA a plaidé dès les débuts du
chantier, puis de manière récurrente à chaque réunion de coordination, pour l’intérêt
commun de mener à bien une campagne de prospection géophysique dans une
cathédrale vide de tout ameublement. Ces efforts ont fini par porter leurs fruits, et une
demande anticipée de prescription a été rédigée par le maître d’ouvrage. L’opération
devait néanmoins tenir compte d’un certain nombre de contraintes : coactivité avec les
entreprises, présence d’échafaudages dans le bras sud du transept et dans les deux
« chapelles-test », pollution au plomb des sols, recours à des engins téléguidés pour y
fixer le matériel de prospection et, comme depuis le début du chantier, calendrier
extrêmement fluctuant et contraint… Là encore, la souplesse dont ont fait part le
responsable et son équipe, le travail de pédagogie entrepris avec les entreprises
partenaires (notamment l’entreprise SGLM aux manettes des engins téléguidés), ont
garanti le succès de l’opération15.
13 La prospection avait pour objectif de reconnaître l’état actuel du sous-sol afin de
déterminer l’existence d’édifices ou d’états antérieurs à la cathédrale gothique, de
préciser le système de fondations du dernier état, et de mettre en évidence d’éventuelles
anomalies topographiques (ossuaires, caveaux…). Si les travaux récents menés dans le
cadre de la Topographie chrétienne des cités de Gaule, à partir de l’analyse des sources
écrites et archéologiques, permettent de proposer l’existence de plusieurs états avant
l’édifice gothique (Barbier et al. 2012), on en connaît finalement encore peu d’éléments
tangibles, à l’exception de quelques maçonneries mises en évidence depuis le
XVIIIe siècle à l’intérieur de l’édifice (deux maçonneries dans le chœur en 1711, dont une
utilisait en remploi des blocs appartenant au pilier des Nautes ; maçonneries et
sépultures mises au jour en 1982-1983 lors d’une fouille de sauvetage par la
commission du Vieux Paris).
14 Compte-tenu de la présence d’un dallage sur l’intégralité de la surface à couvrir, deux
méthodes d’intervention ont été mises en œuvre de manière complémentaire : la
méthode radar, avec un maillage permettant une mesure de profil tous les 50 cm au
maximum, et la méthode électrostatique, avec un maillage permettant une mesure de
profil tous les 2 mètres au maximum16. Réalisée par la cellule détection de l’Inrap à
l’automne 2020, cette opération a permis de révéler, outre les anomalies liées au réseau
de carneaux du XIXe siècle, de nombreuses anomalies archéologiques, à partir de 50-
60 cm de profondeur [ill. 4].
La croisée a été préalablement déblayée et nettoyée afin d’enlever tous les éléments pouvant dégrader
le contact entre les antennes/pôles et le sol. En son centre, les fragments du dallage brisé encore en
place ont rendu plus délicate l’intervention. La zone étant encore inaccessible pour des raisons de
sécurité (instabilité des voûtes), le matériel de prospection a dû être adapté aux engins de la société
SGLM ayant servi aux opérations de prélèvement immédiatement après l’incendie. Dans le secteur de
la croisée, la forte teneur en argile et la présence de nombreux réseaux des XIXe et XXe siècles ont
malheureusement fortement perturbé la lecture des données géophysiques.
Inrap.
15 Si aujourd’hui le chantier de sécurisation a officiellement laissé place au chantier de
restauration à proprement parler, plusieurs opérations d’archéologie préventive sont
encore à prévoir. Au printemps 2021, lors de sondages géotechniques à la croisée, ont
été identifiés et relevés un certain nombre de vestiges : claveaux de la voûte du
XVIIIe siècle massifs de maçonnerie, radiers de fondation, caveaux funéraires liés au
plâtre (Puaux 2021). Le souhait de la maîtrise d’œuvre de pouvoir effectuer dans ce
secteur un terrassement sur une épaisseur de 35 à 40 cm, en amont du coulage d’une
chape de répartition (préalablement au montage du futur échafaudage de la flèche), a
donné lieu à une nouvelle demande anticipée de prescription de la part de
l’établissement public, à laquelle le SRA a répondu par une prescription de fouille
directe : bien que concernant une très faible épaisseur, l’objectif de cette opération17 est
la mise en évidence et la caractérisation des éléments antérieurs au niveau de dallage de
Viollet-le-Duc, et notamment les niveaux de chantier du XIXe siècle, d’éventuels
éléments appartenant aux états antérieurs de la cathédrale gothique ou aux différentes
étapes de construction de l’édifice, ainsi que de possibles éléments funéraires.
16 Enfin, à l’extérieur de la cathédrale, en amont de la réalisation de locaux techniques
entre le presbytère et la sacristie, a été prescrit un diagnostic dont le démarrage est
envisagé courant 2022. Sa localisation à l’emplacement supposé du palais épiscopal
dans son état des XIe-XIIe siècles laisse espérer des résultats prometteurs.
17 Le chantier de sécurisation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, hors norme à tous
points de vue, a eu cette vertu de démontrer, s’il en était besoin, la possible et parfaite
intégration de la question archéologique dans la bonne marche d’un chantier de
restauration de monument historique lorsque tous les interlocuteurs travaillent en
toute confiance.
18 Dans le cas précis de Notre-Dame, malgré un calendrier sous pression politique,
malgré des conditions de travail rendues complexes par la présence du plomb, le bilan
de trois années de chantier de sécurisation se révèle positif sur de très nombreux
points : excellente collaboration avec l’ensemble des interlocuteurs (maîtrise d’œuvre,
maîtrise d’ouvrage, compagnons, différents services du ministère, opérateur), mise en
place d’un protocole inédit pour le tri et le prélèvement des vestiges, avancées
scientifiques rendues possibles grâce aux opérations d’archéologie préventive, travaux
déjà initiés et à venir sur les matériaux, et aventure humaine sans précédent.
5. Vue prise depuis les échafaudages après la dépose du dallage qui montre l’impact du
réseau de chauffage (conduits en briques) sur le sous-sol de la croisée de transept et
notamment sur le radier empierré.
Le chœur est à droite de la photo.
D. Gliksman, Inrap.
D. Gliksman, Inrap.
7. Éléments sculptés appartenant au jubé médiéval, dont on voit ici quelques blocs
parmi les plus imposants, reposant sur une fondation plus ancienne.
Au premier plan, on aperçoit la succession de différents niveaux de sol sous le radier empierré.
Ch. Besnier, Inrap.
Bibliographie
Pour les opérations archéologiques citées dans cet article, les références, notices et documents
liés des rapports sont consultables sur le catalogue des fonds documentaires de l’Inrap :
https://dolia.inrap.fr ou dans les SRA.
BARBIER J., BUSSON D., SOULAY V. 2012 : Avant la cathédrale gothique, in Vingt-Trois A. (dir.),
Notre-Dame de Paris, Strasbourg - Paris, La Nuée bleue - Place des Victoires (coll. La grâce
d’une cathédrale), 2012, p. 17-28.
CHAOUI-DERIEUX D., BOUET B., PUAUX O. 2021 : Les opérations d’archéologie menées dans le
cadre du chantier de sécurisation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, in Patrimoines, La
revue de l’Institut national du patrimoine, 16, p. 121-129.
Notes
1 La Drac a été maître d’ouvrage du projet jusqu’à son remplacement par l’établissement public
Notre-Dame au 1er décembre 2019.
2 Et par l’application du dispositif réglementaire, bien sûr.
3 Drac Île-de-France : conservation régionale des monuments historiques, SRA ; Laboratoire
de recherche des monuments historiques.
4 Cet amas n’est en effet pas situé en « zone police ».
5 Arrêté n° 2019-332 du 14 mai 2019 portant décision d’une fouille archéologique d’office :
opération réalisée entre juillet et novembre 2019, sous la responsabilité de Nicolas Warmé,
Inrap.
6 Modèles et simulations pour l’architecture et le patrimoine.
7 Plus de 10 000 morceaux de bois, 650 palettes de pierre, 350 palettes de métal, sans compter
tous les petits objets isolés (clous forgés, éléments d’horloge, cloches, verre…).
8 Selon les termes de la convention de dépôt pour étude signée entre la Drac et le CNRS le
30 octobre 2020.
9 Diagnostic réalisé en novembre 2019 sous la responsabilité de Xavier Peixoto, Inrap.
10 Diagnostic réalisé en novembre 2019 et mars 2020 sous la responsabilité de Xavier Peixoto,
Inrap.
11 Diagnostic réalisé en janvier 2020 sous la responsabilité de Nicolas Warmé, Inrap.
12 Fouille réalisée en octobre-novembre 2019 sous la responsabilité de Xavier Peixoto, Inrap.
13 Procès-verbal de la commission du Vieux Paris du 31 mai 1919, rapport du docteur Capitan,
p. 102-105 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5745923f/f6.item.
14 Blindage réalisé par une entreprise intervenant déjà sur le chantier, mais non spécialisée
dans ce type de travaux.
15 Diagnostic réalisé en octobre-novembre 2020 sous la responsabilité de Guillaume Hulin,
Inrap.
16 En collaboration avec des membres de l’UMR 7619 « Metis », auteurs d’un prototype.
17 Fouille réalisée en février-mars 2022, sous la direction de Christophe Besnier, Inrap.
18 Décor en bandes rouges régulières.
19 Rayures laissées par des outils.
Référence électronique
Dorothée Chaoui-Derieux, « L’archéologie sur le chantier de sécurisation de Notre-Dame de
Paris », Archéopages [En ligne], Hors-série 6 | 2022, mis en ligne le 03 août 2023, consulté le
29 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/archeopages/14785 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/archeopages.14785
Auteur
Dorothée Chaoui-Derieux
Collaborateur
Christophe Besnier
Inrap
Droits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits
réservés », sauf mention contraire.