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Archéopages

Archéologie et société

42 | 04-07/2015
Construire en terre crue
Build in raw clay
Construir con tierra cruda

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/archeopages/1102
DOI : 10.4000/archeopages.1102
ISSN : ​2269-9872

Éditeur
INRAP - Institut national de recherches archéologiques préventives

Édition imprimée
Date de publication : 1 mars 2016
ISSN : 1622-8545

Référence électronique
Archéopages, 42 | 04-07/2015, « Construire en terre crue » [En ligne], mis en ligne le 01 mars 2018,
consulté le 30 juin 2021. URL : https://journals.openedition.org/archeopages/1102 ; DOI : https://
doi.org/10.4000/archeopages.1102

Description de couverture
Construit en 1669 à Saint-Germain-en-Laye afin de servir de camp d'entrainement aux troupes royales.
Fouille 2012 ; responsable d'opération : Séverine Hurard, Inrap.
Légende de couverture
L'escarpe maçonnée en terre crue du Fort Saint-Sébastien.
Crédits de couverture
Séverine Hurard, Inrap

Ce document a été généré automatiquement le 30 juin 2021.

© Inrap
1

Quel est le statut de la terre crue comme matériau de construction ? Son utilisation est-
elle liée à des fonctions spécifiques du bâti ? Au statut social de l’habitant ? À des
situations économiques et politiques ? À des milieux naturels particuliers ? À quels
autres matériaux est-il associé et dans quels contextes ? Quelles évolutions et
inventions techniques a-t-il permis ?
What is the status of this building material compared to others? Is its use linked to
specific functions of construction? To the social status of the resident? To economic
and political situations? To particular natural environments? To what other materials
is it associated to and in which contexts? What developments and technical inventions
did it promote?
¿Cuál es la situación de la tierra cruda como material de construcción? ¿Está su uso
vinculado a funciones específicas del edificio? ¿A la condición social del habitante? ¿A
las situaciones económicas y políticas? ¿A entornos naturales concretos? ¿Con qué
otros materiales se asocia y en qué contextos? ¿Qué avances técnicos e inventos ha
permitido?

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SOMMAIRE

Éditorial
Dominique Garcia

Dossier

La construction en terre crue au Néolithique


Un état de la question en France
Ingrid Sénépart, Julia Wattez, Luc Jallot, Tony Hamon et Marylise Onfray

Constructions néolithiques en terre dans le Bassin parisien


Tony Hamon

Constructions en terre du Néolithique moyen près des rives de la Manche


Catherine Bizien-Jaglin, Luc Laporte, Jean-Noël Guyodo et Julia Wattez

L’utilisation de la terre architecturale à Pascale et Bérange


Muriel Gandelin

L’habitat stratifié de Prasville (IIIe millénaire)


Annette Bailleux, Grégoire Bailleux, Tony Hamon, Céline Coussot et Julia Wattez

Construction en terre crue au Néolithique moyen I


Le tertre du monument 29 de Fleury-sur-Orne
Emmanuel Ghesquière, David Giazzon et Julia Wattez

Constructions mixtes en terre et bois


Un village du ve siècle avant notre ère en Bourgogne
Régis Labeaune, Christophe Gaston et Dominique Sordoillet

Terre et peinture à l’époque romaine


Pratiques architecturales et décoratives en Gaule romaine mises en évidence par l’analyse toichographologique
Julien Boislève

La construction en terre crue de l’âge du Fer à nos jours


L’apport de la micromorphologie à la compréhension des techniques
Cécilia Cammas

Étude des matériaux de construction en terre crue des sites antiques de Rirha (Maroc)
Cécilia Cammas et Jean-Claude Roux

Briques crues et « terre massive » dans le nord de la France


Deux celliers gallo-romains de la Plaine de France
Gaëlle Bruley-Chabot

La brique crue, matériau par défaut ou choix éclairé ?


Le cas des fours de tuilier antiques de Mours (Val-d'Oise)
Aurélia Alligri et Pascal Raymond

Les enduits de terre crue de deux fosses antiques


Recherches pluridisciplinaires et hypothèses de fonctionnement
Tanguy Wibaut, Jean-Emmanuel Aubert, Jérôme Ros , Jérôme Kotarba et Pascal Verdin

Habitats antiques en terre à Lons-le-Saunier


Variété et évolution des techniques
Valérie Viscusi

Constructions médiévales en torchis


Étude de fragments issus de la démolition d’un bourg de la plaine du Doubs
Christophe Meloche et Dominique Sordoillet

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Fortifier en terre crue au XVIIe siècle


L’escarpe maçonnée du Fort Saint-Sébastien de Saint-Germain-en-Laye
Séverine Hurard et Gwenaël Mercé

La terre crue, matériau universel


Claire-Anne de Chazelles, Hubert Guillaud et Catherine Chauveau

Pratiques

Le projet ALeRT
Des sites archéologiques en danger sur le littoral de la Manche et de l’Atlantique
Marie-Yvane Daire, Pau Olmos et Elías López-Romero

Actualités

Sépultures d’individus entravés à Saintes


Frédéric Méténier et Pauline Duneufjardin

Des carrières-refuges pendant la Bataille de Normandie


Laurent Dujardin et Cyril Marcigny

Thèse soutenues

Typochronologie de la céramique bas-normande de la fin du XIIe siècle au milieu du


XIVe siècle. Étude des lots des châteaux de Caen, Falaise et de l’hôpital de Sées.
Stéphanie Dervin

Société, économie et territoires à l’âge du Fer dans le Centre-Est de la France. Analyse des
corpus céramiques des habitats du Hallstatt D – La Tène A ( VIIe-Ve siècle av. J.-C.)
David Bardel

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Éditorial
Dominique Garcia

1 La 21e Conférence des Nations Unies pour le climat (Cop) qui s’est récemment tenue à
Paris a été l’occasion d’un large débat mondial sur les relations humains/milieu naturel
et a contribué à reconnaitre officiellement le dérèglement climatique et la
responsabilité humaine dans ce phénomène. Elle pose notamment pour objectif la
réduction des émissions de gaz à effet de serre en cause dans le réchauffement
climatique. Il s’agit là d’une des mesures réparatrices que doivent accompagner des
mesures protectrices nécessaires, à court ou moyen terme, pour nous protéger des
aléas climatiques. Dans ce cadre, l’architecture constitue un point de discussion
essentiel. Depuis le XIXe siècle en effet, on a assisté dans ce domaine à un
développement des innovations techniques et à leur mondialisation, jusqu’à couper
l’architecture du contexte bioclimatique local. Reprendre en compte les conditions du
milieu et les qualités des matériaux paraît aujourd’hui une urgence. Dans ce cadre, la
terre crue suscite un réel regain d’intérêt : il s’agit d’une ressource abondante (peu ou
pas de transport), recyclable (sans déchets), qui ne nécessite pas de cuisson (économie
d’énergie) et qui, sans être à « énergie positive », possède des qualités d’isolation
remarquables.
2 Ainsi l’usage de la terre crue pourrait-il sembler novateur pour l’architecture si ce
matériau n’était d’un usage quasi universel depuis les origines de l’urbanisation tant
dans l’architecture domestique (les premières villes du Proche-Orient étaient édifiées
en terre crue) que dans l’architecture publique où son utilisation, parfois oubliée, est
illustrée par des monuments importants dont des portions de la Grande muraille en
Chine ou certaines pyramides d’Égypte. En fait, ce sont les ingénieurs qui, à toutes
périodes, ont prêté peu d’attention – ou un regard dédaigneux – à ce matériau et à sa
mise en œuvre. Dès la période augustéenne, Vitruve s’étonnait (De architectura, II, 1, 5)
que les toits de Marseille soient en terre pétrie. Par la suite, les exemples de ce type
sont nombreux et, dans ce cadre, les ouvrages tels que celui de François Cointeraux
(1740-1830) consacrés à la rationalisation des procédés architecturaux traditionnels
font figures d’exception. En France, pour l’archéologie, ce sont les fouilles en domaine
urbain à Lyon, Nîmes ou Marseille qui ont révélé la richesse et l’intérêt du corpus dont
le colloque de Lyon en 1983 a souligné la portée heuristique (Les architectures de terre et

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de bois, DAF, 2, 1985, 195 p.). Tant lors de fouilles préventives que lors d’opérations
programmées (en particulier à Lattes), la collaboration entre les archéologues, les
pédologues et les géomorphologues a été déterminante et les mises en perspective des
découvertes de plus en plus en plus nombreuses.
3 Ce numéro d’Archéopages souligne bien la richesse des termes de ce débat et la diversité
de ses acteurs, parfois même d’une façon qui pourrait paraître paradoxale. Par
exemple, on note avec attention une plus grande prise en compte de la terre façonnée
(jusqu’à proposer la présence de briques) pour le Néolithique, y compris pour un usage
dans l’élévation de murs porteurs. Ceci implique, dans certains cas, l’existence d’une
production standardisée d’adobes, ce qui ne laisse pas de surprendre pour une période
si haute. De même, pour la Protohistoire ou l’Antiquité, est-on en mesure d’observer
des cas de plus en plus nombreux de murs en bauge. Difficiles à déceler sur le terrain,
ces constructions en terre massive paraissent d’un usage courant et reflètent l’usage de
pratiques architecturales rudimentaires. Inversement, le pisé − terme souvent utilisé à
tort dans la littérature archéologique − n’est pas attesté avant la période gallo-
romaine où l’usage des parois en terre banchée est fréquent. Enfin, facile à mettre en
œuvre et d’une efficacité remarquée depuis l’Antiquité classique, la terre crue est un
matériau bien analysé dans l’architecture militaire médiévale. En parallèle, une
meilleure caractérisation du matériau « terre crue » a, toutes périodes confondues,
enrichi les études des aménagements domestiques (silos…) ou artisanaux (fours…).
4 C’est dire qu’il a fallu une cinquantaine d’années pour que les archéologues considèrent
la terre non plus seulement comme la matrice d’artefacts mais comme un objet
archéologique polysémique : matériau de construction essentiel dont la dégradation
naturelle ou anthropique constitue la majeure partie des sédiments explorés.

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Plusieurs bâtiments de terre crue datés entre les IVe et IIIe millénaires avant notre ère ont été
identifiés lors de diagnostics réalisés en septembre 2015 à Beauvilliers en Eure-et-Loire sous la
responsabilité de Tony Hamon, Inrap. Ici, un mur en terre massive, édifié en pains de terre modelés,
quadrangulaires, et sa couche d'effondrement vers l'est (à gauche sur la photo).

© T. Hamon, Inrap

AUTEUR
DOMINIQUE GARCIA
Président de l’Inrap

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Dossier

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La construction en terre crue au


Néolithique
Un état de la question en France
Building with earth in the Neolithic in France: an overview
La construcción en barro durante el Neolítico: en Francia

Ingrid Sénépart, Julia Wattez, Luc Jallot, Tony Hamon et Marylise Onfray

1 En France, pendant longtemps, l’usage de la terre dans l’architecture néolithique a été


uniquement attesté par des débris de torchis. Ces fragments, souvent brûlés, incrustés
d’empreintes de clayonnage, signalent, dès le Néolithique ancien, la présence de
bâtiments à ossature de bois, remplie par un mélange de terre et de végétaux. Or,
depuis une vingtaine d’années, les recherches menées dans le cadre d’opérations
préventives et programmées dans le sud de la France, puis dans le nord, ont conduit à
réviser ce constat. Elles ont montré en effet que la terre crue est aussi employée dans la
construction de murs où elle assume un rôle porteur, et dans l’aménagement de sols
d’habitat, dès le Néolithique ancien (Jallot, 2003 ; Sénépart, 2000 et 2009 ; Wattez, 2003).
À partir du Néolithique moyen, son usage est récurrent, des rives de la Méditerranée au
littoral de la Manche. Les premières découvertes en Provence et en Languedoc, dès les
années 1990, ont ainsi modifié le schéma d’apparition des techniques constructives en
terre crue, jusque-là attribuées au Bronze final (Billaud, 2005 ; Chazelles, 2007 ; Jallot,
2003 ; Wattez, 2003).
2 Néanmoins, la détection et la fouille de ces vestiges ne vont pas de soi. Même dans les
tells proche-orientaux où la construction en terre crue est pourtant un fait, son
dégagement reste un exercice difficile (Goldberg et Macphail, 2006). Les recherches
menées à partir des années 1980 sur les sites protohistoriques et antiques méridionaux
et sur le tell néolithique de Kovačevo, en Bulgarie, montrent que les difficultés de
détection dépendent de plusieurs facteurs : la nature des matériaux employés dans la
construction, le plus souvent extraits des formations sédimentaires et pédologiques du
site ou des sols d’occupation, la méconnaissance des caractéristiques des techniques de
construction, la fragilité du matériau terre, dont l’érosion au cours de l’occupation puis
après son abandon conduit à la formation de couches « anonymes », souvent analogues

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à des formations d’origine naturelle ou à des remblais (Chazelles et Poupet, 1985 ;


Brochier, 1994).
3 Suivant une trame diachronique, cet article propose un état de la recherche sur les
types de structures de terre crue et sur les techniques constructives du Néolithique
français. Le propos s’appuie pour cela sur un partage d’expériences acquises à partir
des problèmes soulevés par leur détection et les solutions adoptées pour y remédier.

L’identification et l’interprétation des structures de


terre crue néolithiques : une lecture interdisciplinaire
4 Des vestiges de constructions en terre ont été identifiés dans des sites dont la
stratification est parfois indigente ou peu différenciée ou encore dans des structures en
creux. Les formes reconnues sont variables, depuis les structures évidentes, comme des
segments de murs ou des sols construits, jusqu’aux témoins plus fugaces comme des
agrégats, mottes ou boulettes de sédiments distribués dans les couches massives ou non
différenciées, dites « anonymes ». Leur identification et leur interprétation sont le fruit
d’une réflexion interdisciplinaire, élaborée dès la mise au jour des premières structures
dans le Midi et consolidée au fur et à mesure de la découverte de nouveaux vestiges
dans le nord de la France. Elle conjugue les méthodes de l’archéologie et de la
géoarchéologie, en particulier la micromorphologie des sols.
5 Au cours de la fouille, la détection repose sur le repérage, en plan et en coupe,
d’anomalies sédimentaires (sédiments issus de formations plus anciennes, substrat,
concentrations d’éléments grossiers ou plus fins, compaction, cimentation ou couleur
limitée dans l’espace, effets de parois). Elle relève de la méthode des ethno-faciès
élaborée pour la lecture des stratifications complexes du tell de Kovačevo (Brochier,
1994). Elle propose une cartographie des anomalies, qui conduit à délimiter des
structures latentes, au sens de Leroi-Gourhan et Brézillon (Leroi-Gourhan et Brézillon,
1972), et à établir les relations stratigraphiques entre les structures évidentes, les sols
qui leurs sont associés et leurs couches d’effondrement. L’application de cette méthode
a ainsi remarquablement fait ses preuves sur le site de Laprade (Lamotte-du-Rhône,
Vaucluse)1, où plusieurs bâtiments en terre du Bronze final ont pu être mis en évidence
(Billaud, 2005). Pour caractériser la nature des structures latentes et déterminer
l’identité des couches « anonymes », l’étude est prolongée par une analyse
microstratigraphique, selon les méthodes de détermination de la micromorphologie
des sols (Wattez, 2009).
6 Par la suite, la compréhension des procédés constructifs repose sur les méthodes
conventionnelles de l’archéologie du bâti (relevés, description architecturale, étude du
format et de l’assemblage des éléments) puis sur une étude technologique pour préciser
la nature et l’origine des matériaux employés, leur mode de préparation, de façonnage
et de mise en œuvre. Cette approche s’appuie sur les modèles micromorphologiques
établis pour les structures protohistoriques et historiques (Cammas, 2003 ; Roux et
Cammas, 2010). Elle est également alimentée par les référentiels proche-orientaux
(Stordeur et Wattez, 1998).
7 Les recherches fondées sur cette lecture interdisciplinaire montrent que le façonnage
direct, relevant le plus souvent de la terre massive comme la bauge, était le procédé
constructif communément employé au cours du Néolithique (Wattez, 2009 ; Gutherz et

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al., 2010 ; Chazelles, 2007). Les matériaux, prélevés sur le site, sont parfois amendés par
des ajouts végétaux, par de petits fragments de roche concassée ou par du mobilier. Les
études soulignent également qu’à l’instar des tells de milieux arides ou plus tempérés,
la stratification, même peu dilatée, résulte très souvent de l’usage de la terre crue
(Wattez, 2009 ; Wattez et Onfray, 2014).

Des vestiges ténus mais tangibles au Néolithique


ancien en Provence et en Languedoc
8 En l’état des connaissances, l’usage de la terre crue apparaît dès le Néolithique ancien,
au vie millénaire avant notre ère. Il est attesté dans le Midi de la France, où les rares
habitats de plein air connus ont livré des restes d’élévations et des sols construits.
9 La matérialité des murs est déduite des anomalies sédimentaires repérées par la fouille
en planimétrie. Cette démarche, employée au milieu des années 1990 sur le site du
Baratin (Courthézon, Vaucluse), a permis la mise au jour d’un bâtiment à plan semi-
absidial délimité par un cordon de fragments de molasse et de micro-galets, pouvant
correspondre à une arase de mur (Sénépart, 2009). Cet établissement demeure, à
l’heure actuelle, l’un des rares habitats structurés par des bâtiments associés à des sols
d’occupation et à des aménagements domestiques (fosses, foyers, fours). Il doit sa
notoriété à une grande structure constituée par des galets chauffés, bordée de trous de
piquet. Cet empierrement a longtemps été assimilé à un dispositif de combustion.
Remanié à deux occasions, il est interprété aujourd’hui comme le vestige d’un bâtiment
circulaire, dont la fonction n’est pas déterminée. Le bâtiment semi-absidial, aux murs
arasés, se situe à proximité immédiate de cette structure, mais leur contemporanéité
n’est pas encore assurée (Sénépart, 2009) [ill. 1]. C’est également à partir de cette
méthode que des arases d’une paroi interne d’un bâtiment ellipsoïdal du Néolithique
impressa ont été identifiées sur le site de Peiro Signado (Portiragnes, Hérault) (Briois et
Manen, 2009). Elles se présentaient sous la forme d’un linéament de petits galets de
quartz. De grandes fosses, en partie sous-jacentes au bâtiment, témoignent d’une
acquisition de la terre in situ.

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1. Le Baratin à Courthézon (Vaucluse).

a. Zone sud – vue générale de la structure d’habitat ; b. les foyers (ST 8) et leur sol blanc carbonaté
associé ; c. la dalle de molasse aménagée et ses sols blancs ; d. détails des trous de piquets et des
placages et revêtements carbonatés.
© I. Sénépart – CEPAM-UMR 7264

10 Les sols construits restent les manifestations les plus évidentes de l’emploi de la terre.
L’espace interne du bâtiment ellipsoïdal du Baratin se distingue par une succession de
trois sols, de couleur blanche, fortement cimentés. Couleur et cimentation résultent ici
de l’aménagement de la surface des sols par un enduit composé de fines boues calcaires,
épandues à l’état humide. Le petit bâtiment néolithique cardial, de forme absidiale,
reconnu sur le site de Bernard du Bois2 (colline Saint-Charles – Marseille, Bouches-du-
Rhône) présente également un sol blanc et induré (Sénépart, 2008) [ill. 2]. Ce sol a été
préparé à partir de limons calcaires légèrement argileux, finement mélangés et déposés
à l’état pâteux. Plusieurs réfections ont été reconnues. Les vestiges de murs sont
cependant fugaces, sans doute en raison des conditions taphonomiques, et rien ne
permet de reconnaître les techniques constructives mises en œuvre. En revanche, les
modes d’aménagement des sols témoignent d’une sélection et d’une préparation
particulière des matériaux. La fonction de ces bâtiments reste encore indéterminée,
bien que le caractère domestique de celui du Baratin soit attesté par les foyers qui
occupent sa partie nord (Sénépart, 2009).

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2. Le site de la rue Bernard-du-Bois à Marseille (Bouches-du-Rhône).

a. Relevé du niveau du Néolithique ancien ; © relevé I. Sénépart, DAO Nicolas Weydert, Inrap ; b. Le sol
blanc associé au niveau du Néolithique ancien ; c. Microstratigraphie du sol construit : alternance de
sols faits de limons argileux avec enduit de boue calcaire (lentilles claires).
© I. Sénépart, DA-SMPH-VDM ; J. Wattez, Inrap

11 C’est sur le site des Petites Bâties3 (Lamotte-du-Rhône, Vaucluse), que les premiers
témoignages de la construction par façonnage direct ont été identifiés. Situé dans la
vallée du Rhône, cet établissement du Néolithique ancien a livré de grandes excavations
quadrangulaires, creusées dans une épaisse croûte carbonatée qui colmate en partie
des paléochenaux tardiglaciaires (Binder et al., 2002). Dans l’une de ces structures, la
base d’un pilier et un muret, édifiés par un mélange de sédiments et de petits blocs de
carbonates, constituent les restes d’une construction en terre crue (Jallot, 2003). La
terre à bâtir était composée de limons extraits des paléochenaux, lors du creusement
des excavations. La nature des aménagements n’est pas déterminée, mais dans ce cas,
l’hypothèse d’un grand bâtiment a été posée. Ces vestiges témoignent d’un concept
architectural différent, qui n’a pas encore trouvé d’homologue à ce jour.

La construction par façonnage direct au Néolithique


moyen : une mise en œuvre pour des fonctions
différentes ?
12 C’est au Néolithique moyen que sont attestés les premiers murs en bauge. Ils sont
construits par façonnage direct, au moyen d’éléments préformés, directement entassés
à l’état humide (Chazelles, 2010). Ces restes architecturaux ont d’abord été identifiés
dans le Midi (en Languedoc, puis en Provence) et, plus récemment, dans le centre et
l’ouest de la France.

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13 En Languedoc, l’habitat chasséen de Jacques Cœur II à Montpellier 4 (Hérault) est établi


sur les bords du Lez. Il a livré un segment de mur, de trois mètres de long et de
cinquante à soixante centimètres de large, conservé sur une hauteur de 30 cm. Il se
compose de petits éléments quadrangulaires emboîtés, similaires à des briquettes,
d’une quinzaine de centimètres de long et d’environ cinq centimètres d’épaisseur. Ces
éléments ont été élaborés principalement à partir de limons carbonatés issus du
substrat alluvial, finement mélangés, puis pétris. La microstructure, en agrégats
travaillés imbriqués, montre que la mise en forme a été réalisée par modelage,
rappelant la technique du colombin. Les rides de compression développées sur les
bords des éléments résultent d’un dépôt à l’état humide, compatible avec le façonnage
direct [ill. 3]. La couleur des matériaux tranchait assez nettement avec la couche
d’occupation de teinte plus sombre. Situé près de la limite d’emprise de la fouille, ce
mur n’a pu être suivi en totalité. La forme du bâtiment qu’il composait demeure
inconnue. Néanmoins, d’autres vestiges attestant de constructions en terre
caractérisent cet habitat : débris comblant une structure de combustion et pains de
terre fabriqués à partir de limons et de sables alluviaux empilés dans une fosse (Jallot et
al., 2000).

3. Le site de Jacques Cœur 2 à Montpellier (Hérault).

a. Plan des fouilles et localisation du mur en terre crue (ST4) ; b. Coupe transversale d’une briquette
façonnée par modelage, fines rides de compression au contact d’un autre élément pré-formé ; c. Vue
du mur en terre crue en cours de fouille à partir de l’ouest ; d. Mur en terre crue, plan et coupe
longitudinale.
© d’après Jallot et al. 2000

14 En Provence, le site de Nédélec, à Marseille5 (Bouches-du-Rhône), est installé sur le


versant de la colline Saint-Charles où il s’étage sur plusieurs replats (Sénépart, 2010). Il
s’agit d’un site stratifié où une succession d’occupations, courant du Néolithique moyen

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final au Néolithique récent, ont été reconnues. Les vestiges architecturaux sont établis
sur deux des replats de cet établissement. Il s’agit de petits tronçons de murs, de 50 à
150 cm de long sur 30 à 40 cm de large, conservés sur deux à trois assises, relevant d’un
procédé constructif similaire à celui du site de Jacques Cœur. Cependant, les éléments
sont de morphologie différente et se présentent sous la forme de boules de terre, de
taille et de forme variables [ill. 4]. Ils sont également façonnés par modelage, comme le
montre leur organisation structurale. La terre à bâtir est préparée à partir d’un
mélange de limons argileux et de sables issus du substrat géologique (marne), d’un
horizon colluvial antérieur à l’occupation néolithique, et de sols d’occupation
chasséens. Les tronçons de murs sont composés d’un entassement de ces modules, sur
plusieurs assises. Ils ont été tronqués par les aménagements historiques urbains et la
forme des bâtiments qu’ils composaient reste donc inconnue. Néanmoins, les sols
d’occupation auxquels ils sont associés appartiennent à un espace extérieur et
témoignent d’un environnement construit (Wattez et Onfray, 2014).

4. Le site de Nédélec à Marseille (Bouches-du-Rhône).

a : vue du mur de la zone B ; b : détail du mur au moment du prélèvement des pains de terre ; c : coupe
transversale d’un pain de terre façonné par modelage ; d : vue du mur de la zone D ; e : un pain de terre
du mur de la zone D ; f : coupe transversale d’un pain de terre façonné par modelage, avec inclusion de
galet.
© I. Sénépart, DA-SMPH-VDM ; J. Wattez Inrap ; F. Parent, Inrap

15 En Beauce, les murs reconnus sur le site de Villeneuve-sur-Conie (Loiret) sont édifiés en
modules quadrangulaires limoneux, dont la teinte jaune contraste fortement avec les
sédiments encaissants [cf. encadré 1, p. 20].
16 La forme des architectures, pour ces sites, nous échappe principalement en raison des
limites d’observation. Ce n’est pas le cas du site de Lillemer (Ille-et-Vilaine), localisé

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dans la baie du Mont-Saint-Michel, où les bâtiments en bauge (briques) présentent un


plan aggloméré [cf. encadré 2, p. 22].
17 À côté de ces constructions qui reflètent peut-être la maison ou les dépendances
d’unités familiales, des vestiges, mis au jour sur le site de Château Percin à Seilh 6
(Haute-Garonne), attestent d’un dispositif architectural d’une autre dimension, pour
une autre destination (Pons et Gandelin, 2011). Les restes brûlés d’un rempart
comblent, sur une quarantaine de mètres de long, l’un des fossés d’enceinte. Il s’agit de
moellons de terre brûlés, sphériques ou ovoïdes, modelés à partir de limons argileux,
légèrement sableux, provenant d’un horizon supérieur de sol brun lessivé (Pons et
Gandelin, 2011). Ils peuvent atteindre une trentaine de centimètres de section. Le
principe constructif s’avère particulier, associant bauge massive et structure de bois,
les boules de terre présentant pour certaines des empreintes de poteaux (Gandelin et
al., 2011). En l’occurrence les boules de bauge pourraient n’être que le remplissage de
l’ossature en bois et ne pas être porteuses.
18 Ces différents exemples éclairent sur les solutions adoptées, au Néolithique moyen,
pour la construction en terre porteuse. Mais, si l’essentiel des informations provient du
sud de la France, les vestiges identifiés en Bretagne et en Beauce montrent que l’usage
de la terre crue ne relève pas de particularités locales, que ce soit en termes de
conservation, de trait culturel ou encore d’environnement. Néanmoins, les données
restent encore lacunaires pour cette phase du Néolithique. Peu de sites ont, à ce jour,
livré des restes de construction en relation avec les sols d’occupation. Si la base
documentaire est encore faible, elle laisse cependant entrevoir une grande diversité des
procédés, tant pour édifier l’habitat commun, que pour matérialiser les limites de
l’espace villageois.

L’extension de l’usage de la terre crue au Néolithique


final
19 Le nombre de structures en terre crue mises au jour, toutes régions confondues et en
particulier au cours d’opérations préventives, atteste l’ampleur du phénomène à partir
du Néolithique final. Les formes identifiées sont pour la plupart éloquentes, depuis les
bâtiments jusqu’aux aménagements des enceintes. Elles dessinent, dans certains cas, la
trame villageoise [ill. 5].

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5. L’utilisation de la terre crue dans les habitats du Néolithique final en Languedoc oriental.

a. Le Jas del Biau (Millau, Aveyron), briquette ; b. Stade Richter (Montpellier, Hérault), fosse de
préparation de mottes de terre ; c. Le Terruge (Collias, Gard), bouchon de terre crue de silo ; d.
Peirouse Ouest (Marguerittes, Gard), trace d’enduit sur mur de pierres sèches ; e. Capoulière 4
(Mauguio, Hérault), base de four à dôme en cloche ; f. Capoulière 4 (Mauguio, Hérault), colmatage de
briques de terre crue ; g. Capoulière 4 (Mauguio, Hérault), épandage de torchis (sole ?).
© L. Jallot, Univ. Montpellier 3, UMR 5140 ASM

20 En Languedoc, c’est surtout au moment où se développent les grands habitats de


plaines à réseaux de fossés de la culture de Fontbouisse que les témoignages de
l’utilisation de la terre crue se multiplient. Les premiers éléments probants furent
d’abord repérés sur la seule base des observations archéologiques. Entre 1992 et 1999,
les fouilles préventives des établissements fontbuxiens du Stade Richter (Montpellier,
Hérault) et de Peirouse-ouest (Marguerittes, Gard) livrèrent des traces, alors discutées,
de matériaux en terre crue. Pour le premier, des boules de terre malaxée étaient
regroupées au sommet d’une très grande fosse d’extraction. Pour le second, des briques
de terre soigneusement ajustées s’alignaient sur le pourtour d’une structure de cuisson.
Leurs dimensions, d’une douzaine de centimètres de long pour la moitié de large,
semblaient standardisées. Le site se signalait aussi par des murs de dallettes calcaires
liées à la terre ainsi que par des éléments de placage de terre interprétés comme des
restes d’enduits (Jallot, 2003).
21 D’autres témoignages d’architecture en terre ont été révélés à l’occasion de la fouille du
site du Jas del Biau7 (Millau, Aveyron). Ce site comprend un grand bâtiment allongé bâti
en dalles et dallettes calcaires et un ensemble de terrasses aménagées limitées par des
murs en pierres sèches (Jallot et Marsac, 1998). Sur l’une des terrasses couvertes d’un
pavement de dallettes, de petites unités domestiques à vocation probablement
artisanale étaient construites au moyen de briquettes de terre crue. De plus petit
calibre que celles du mur de Jacques Cœur II, elles relèvent cependant du même mode

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de façonnage (Wattez, 2003). Les matériaux employés ont été extraits des marnes
calcaires locales et des sols d’occupation. Dans le grand bâtiment, des traces de placages
de terre et d’enduits fins sur les murs soulignaient de nouveau l’utilisation conjointe de
la terre crue et de la pierre durant une phase précoce du Néolithique final.
22 Dans la plaine littorale, à Mauguio (Hérault), les fouilles de la Capoulière 8 ont apporté
des éléments concluants sur la présence et la nature de l’architecture en terre
néolithique. Les premières opérations, en 2000 et 2001, ont mis au jour différents
vestiges attribués au groupe de Fontbouisse. Plusieurs bâtiment édifiés en moellons de
terre crue modelés ont été identifiés (Jallot, 2003 ; Wattez, 2009) [ill. 6]. Les murs sont
conservés sur une largeur de 0,20 à 0,50 m, une longueur de 2 à 7 m et une hauteur
comprise entre 0,10 et 0,40 m. Ils se caractérisent par un empilement de pains de terre,
de forme et de modules très variés, pris dans un liant limono-argileux. La terre à bâtir a
été préparée à partir de limons carbonatés de teinte jaune ou orangée, issus du substrat
local, extraits lors du creusement des fossés. Les matériaux mis œuvre sont loin d’être
homogènes et sont souvent mélangés à des sédiments anthropisés, à des restes de
nattes ou de fumiers ou à des débris de matériaux façonnés, parfois brûlés, ces derniers
témoignant du remploi d’éléments issus d’autres structures démantelées. Sur l’une des
façades, un enduit épais composé de limons argileux et de restes végétaux (amas de
phytolithes) a pu être identifié par l’étude micromorphologique (Wattez, 2009). Les
informations, très riches, recueillies au cours des fouilles extensives menées de 2004 à
2008 ont permis d’approfondir nos connaissances sur la forme des bâtiments, leur
implantation ainsi que sur les modalités de préparation et de mise en œuvre de la terre
à bâtir, dans sa fonction porteuse (Gutherz et al., 2010). Elles confirment notamment le
creusement des fossés pour l’installation de bâtiments encavés, une autre
caractéristique de cet habitat. Ce lien entre bâtiment de plain-pied et aménagement
souterrain renvoie également aux traditions architecturales des villages fontbuxiens en
pierres sèches de l’arrière-pays.

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6. La Capoulière 2 et 4 à Mauguio (Hérault). Néolithique final (culture de Fontbouisse).

a. Plan de la zone centrale et emplacement des constructions en terre crue (fouilles L. Jallot,
2000-2008) ; b. Mur en mottes de terre crue et enduit (fouilles C. Georjon) ; c. Lame mince
micromorphologique : pain de terre façonné par imbrication de deux mottes modelées (analyse J.
Wattez) ; d. Murs en briques de terre et interprétation d’un bâtiment (fouille L. Jallot).
© L. Jallot, J. Wattez, C. Georjon, Inrap et Université Paul Valéry-Montpellier/ UMR 5140/ Labex
Archimède

23 Entre temps, en 2001, la fouille extensive du site du Mas de Vignoles 4 (Nîmes, Gard)
confirma la présence d’aménagements en terre comme des sols construits ou des
segments de mur édifiés par façonnage direct (Jallot, 2004). Ils étaient également
installés dans des structures en creux. Des couches massives colmataient par endroits le
remplissage de ces structures (fosses, fossés). Leur mode de formation a permis de
préciser leur identité : certaines résultaient de l’érosion progressive, au fil de
l’occupation, de structures de terre crue, adjacentes mais non conservées, d’autres
correspondaient à des couches de démolition destinées à remblayer les fosses. La
microstratigraphie des remplissages a ainsi révélé plusieurs phases d’aménagement et
de réfection de l’espace. Ces couches massives, déjà définies pour les périodes récentes
(Cammas, 2003), apparaissent essentielles pour aborder la structuration et l’évolution
de l’habitat néolithique (Wattez, 2009). Depuis 2010, la plupart des fouilles conduites
sur des sites du Néolithique Final en Languedoc oriental confirment la présence de
constructions en bauge. On peut aujourd’hui citer d’autres exemples comme l’habitat
de la Caunelle à Juvignac (Hérault)9, celui préfontbuxien de la Cavalade à Montpellier
(Hérault)10 ou encore celui de la Colline Saint-Michel à Montpellier (Hérault) 11 (Jallot,
2014).
24 La documentation s’est enrichie récemment avec la découverte de dispositifs
architecturaux associés aux enceintes : ceux des sites de Mitra à Nîmes (Gard) 12 ou de

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Pascale et Bérange à Saint-Brès (Hérault) sont édifiés en boules de terre [cf. encadré 3,
p. 24].
25 Les établissements de plaine du Néolithique final languedocien sont étendus. Leur
configuration, particulière, est qualifiée de « fossoyée », car matérialisée par des
ensembles de fosses et de fossés dans lesquels les vestiges architecturaux sont
préservés. La compréhension de l’organisation villageoise pâtit de l’absence de sols
d’occupation extérieurs. La situation apparaît différente dans le nord de la France, où
l’architecture en terre est conservée dans des sites stratifiés. Très récemment, deux
sites exceptionnels ont été découverts à l’occasion d’opérations d’archéologie
préventive.
26 En Touraine, le site du Bois d’Adrien à Maillé (Indre-et-Loire) 13 est localisé sur une
haute terrasse alluviale, en rive gauche de la vallée de la Vienne, en amont de la
confluence avec la Creuse. La détection des structures de terre crue, dès le début de
l’opération, a orienté la stratégie de fouille vers un décapage extensif pour délimiter
l'étendue du bâti et son organisation. Un plan d’agglomération a ainsi été mis au jour
sur la totalité de l’emprise explorée. Il se caractérise par plus d’une vingtaine de
bâtiments. Plusieurs phases relevant d’une occupation continue ont été reconnues, en
plan et en coupe. Bien que les données soient encore partielles, deux phases
architecturales attestent une variation dans la forme des bâtiments, ovale dans la
phase 7 et quadrangulaire dans la phase 6 [ill. 7]. Pour les autres phases, les plans ne
sont pas encore connus. Les maisons mesurent quatre à cinq mètres de largeur pour
une dizaine de mètres de longueur. Les murs ne sont pas fondés et sont construits selon
une technique originale comme le montre l’analyse micromorphologique. Les
matériaux sont préparés à partir de sédiments sablo-limoneux grossiers, issus des sols
alluviaux locaux, mêlés à du mobilier céramique et lithique. Celui-ci, très présent,
semble être recyclé dans la construction. Les murs (de 50 à 70 cm de large pour 30 à
100 cm de hauteur) sont façonnés avec ces matériaux, déposés par apports successifs,
tandis que leurs parements, d’une épaisseur de 5 à 10 cm, sont confectionnés à partir
d’un mélange plus homogène et de texture plus fine, monté par lits successifs
fortement compactés. Seuls les murs de la dernière phase comportent un radier de
pierre d’origine alluviale (phase 7). Les sols des bâtiments sont construits et, dans la
plupart des cas, ancrés sur un radier ou un remblai d’installation. L’étude
micromorphologique montre une certaine diversité dans leurs procédés de
construction. La terre à bâtir est préparée à partir de sédiments d’origine alluviale. Elle
est déposée, soit sous forme de couche continue, de texture limono-sableuse, soit sous
forme de pavés quadrangulaires (8 à 10 cm de côté) façonnés à l’aide de matériaux
légèrement plus grossiers (sablo-limoneux), additionnés de concrétions ferrugineuses
extraites de formations marécageuses pour la phase 3, entraînant des motifs différents
d’une maison à l’autre [ill. 7]. Ces concrétions sont à l’origine de la couleur rouge
observée au cours de la fouille. L’hypothèse d’un ajout pour teinter les sols mérite
d’être posée. Ce mode d’aménagement des surfaces est quant à lui tout à fait original
pour le Néolithique. Les différentes phases de construction sont stratigraphiquement
délimitées par des couches massives, décimétriques, composées d’un entassement
dense de débris de matériaux de construction en terre. Ces faciès sédimentaires
intermédiaires, interprétés comme des remblais, correspondraient aux phases de
démolition préalables à l’implantation de nouveaux bâtiments. Entre les bâtiments, la
stratification, constituée d’une séquence de sols développés sur des remblais,
matérialise des voies de passage [ill. 7]. L’exemple du site du Bois d’Adrien élargit la

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perspective sur les façons de construire en terre des murs et des sols. Là encore,
l’emploi de sédiments issus du contexte alluvial sur lequel est implanté l’habitat peut
introduire un biais dans la détection de constructions en terre. Cependant, les
anomalies résultant de la mise en œuvre de la terre à bâtir constituent des pistes.

7. Le site du Bois d’Adrien à Maillé (Indre-et-Loire).

a. Sondage 9, coupe de deux murs en terre crue - sur celui de droite, distinction entre la partie interne
du mur et le parement ; b. Scan de lame mince. À gauche, parement du mur et à droite, partie interne
du mur ; c. Fouille en planimétrie d’un sol constitué de pavés (limites) (Transect 1) ; d. Scan de lame
mince d’un sol pavé - limite entre deux pavés posés sur un radier de terre préparé. À gauche, le pavé
est constitué de concrétions ferrugineuses lui conférant une couleur rouge.
© T. Hamon, Inrap ; M. Onfray, UMR Trajectoires

27 Le second exemple est celui de la Fosse Blanche (Prasville, Eure-et-Loir). Les diagnostics
réalisés sur plus de 5 ha ont mis en évidence plusieurs ensembles de bâtiments édifiés
en bauge [cf. encadré 4, p. 26].
28 La construction en terre n’est cependant pas une découverte récente dans le nord de la
France. Ainsi, en Mayenne, les vestiges d’un mur de terre conservé sur près de 5 m et
préservé sur 25 à 30 cm de hauteur sont signalés sur le site du Plantis à Oisseau en
1985-1986 (Letterlé, 1986). À l’époque, il n’a pas été observé de traces d’armatures en
bois et la nature des éléments de construction (terre massive tassée ou éléments
modulaires de terre) n’est pas précisée.
29 L’habitat en terre crue peut laisser des traces plus fugaces. En plateau de Beauce, sur le
site stratifié des Friches de Flotville (Sours, Eure-et-Loir), la répartition du matériel au
sol a mis en évidence trois plans d’habitation du Néolithique récent, de tradition
Horgen (Hamon et al., 2014). Ces bâtiments ne sont pas signalés par des éléments
porteurs de type poteaux mais par des anomalies sédimentaires. Celles-ci dessinent des
fantômes de murs qui délimitent des plans cohérents et répétitifs. Il pourrait s’agir de

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sablières de bois disposées dans des tranchées peu profondes. Le sol est en partie
conservé. Deux niveaux de construction sont possibles. L’étude micromorphologique
des sols d’occupation et des anomalies sédimentaires confirme les observations de
terrain : l’usage de la terre dans la construction est identifiée de manière indirecte, soit
en position d’effondrement, soit dans des zones de rejets comportant d’abondants
débris de matériaux façonnés. Ces résultats restent préliminaires, l’étude étant en
cours. Le site des Grands Noyers (Gas, Eure-et-Loir)14 a livré un bâtiment seulement
matérialisé par des trous de poteaux et par des concentrations de mobilier, mais qui
s’est révélé être au moins en partie édifié en terre crue. En effet, l’étude
micromorphologique menée sur les zones de mobiliers a permis d’identifier la base
d’une élévation en bauge et des sols aménagés en terre massive (Noël et Onfray, sous
presse). La terre à bâtir provenait essentiellement de la partie supérieure d’un sol brun
lessivé dont les caractères sont similaires à ceux des couches d’occupation.

30 Nombre de questions sur la construction en terre néolithique en milieu tempéré


restent encore en suspens. Néanmoins, quelques éléments de réponses et pistes de
réflexion peuvent être proposées.
31 Premièrement, la construction en bauge est avérée sur l’ensemble du territoire dès le
Néolithique ancien. Les indices recueillis témoignent de la généralisation de cette
technique pendant tout le Néolithique. Il est donc certain que l’emploi du matériau
terre, encore peu ou mal détecté, constitue une grande partie des architectures
néolithiques.
32 Deuxièmement, la terre peut être associée à d’autres matériaux comme le bois ou la
pierre. Qu’elle soit utilisée seule ou non, son emploi peut relever de différentes
contraintes : culturelles, techniques, esthétiques, etc., qu’il est encore difficile de
percevoir mais que l’on doit garder à l’esprit… Par exemple, les constructions en terre
peuvent aussi reproduire des schémas d’organisation spatiale et des mises en œuvre
obtenus ailleurs à partir d’autres techniques (cf. supra, site de la Capoulière).
33 Troisièmement, l’usage de la terre crue ne semble pas lié à des fonctions spécifiques du
bâti. Elle est utilisée dans les petits édifices (habitations, greniers) et dans les
architectures monumentales (enceintes), relevant plutôt de l’espace collectif comme
dans le cas de Château-Perçin. Ce constat appelle un certain nombre de questions
touchant à l’origine des pratiques constructives en terre, à la transmission des savoirs
et au caractère vernaculaire des architectures néolithiques.
34 Enfin, les vestiges en terre crue sont préservés dans des contextes topographiques,
géomorphologiques et pédologiques variés. Les conditions climatiques locales
postérieures aux occupations n’ont pas joué un rôle significatif sur leur conservation.
L’artificialisation des sols, au cours des périodes historiques et contemporaines, est
davantage en cause. La construction en terre a laissé des traces encore discernables
dans le paysage, comme le montre la topographie des champs cultivés de la Fosse
Blanche à Prasville ou de Villeneuve-sur-Conie [encadrés 1 et 4]. Ainsi, la mise au jour
de bâtiments dont les plans sont partiellement dégagés, mais aussi de segments de
murs qui peuvent être des limites d’autres espaces, apporte un nouvel éclairage sur la
trame villageoise et sur l’organisation des habitats au sein de leur territoire durant le
Néolithique.

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néolithiques du sud de la France : le cas des sites du Néolithique Final de La Capoulière 2 et du
Mas de Vignoles IV », in BEECHING A. ET SÉNÉPART I. (DIR.), De la maison au village : l’habitat néolithique
dans le Sud de la France et le Nord-Ouest méditerranéen, Actes de la table ronde des 23 et 24 mai 2003
(Marseille, Musée d’histoire de la ville de Marseille), Mémoire de la SPF n° 48, Paris, Société
Préhistorique Française, p. 199-218.

WATTEZ J., ONFRAY M., 2014, « La question des sols d’occupation néolithiques : apports de la
géoarchéologie à leur identification et à leur interprétation », in SÉNÉPART I., BILLARD C., BOSTYN F.,
PRAUD I., THIRAULT É. (DIR.), Méthodologie des recherches de terrain sur la Préhistoire récente en France,
Nouveaux acquis, nouveaux outils, 1987-2012, Actes des premières rencontres de Préhistoire récente
Nord-Sud (Marseille, 23-25 mai 2012), Toulouse, Éditions Archives d’Écologie Préhistorique,
p. 317-348.

NOTES
1. Fouille de Laprade, à La Motte-du-Rhône (Vaucluse), menée en 1996 sous la direction d’Yves
Billaud DRASSM.
2. Fouille de la rue Bernard-du-Bois à Marseille menée en 2005 sous la direction d’ Ingrid
Sénépart, Service archéologique de Marseille/Inrap.
3. Fouille des Petites Bâties à Lamotte-du-Rhône (Vaucluse), menée en 1996 sous la direction de
Didier Binder (CNRS), Luc Jallot (Afan) et Stéphanie Thiébaud (CNRS).

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4. Fouille du site de Jacques Cœur II, Port Mariane, à Montpellier menée en 1998 sous la direction
de Luc Jallot (Afan).
5. Fouille du site de l’avenue Charles-Nédélec à Marseille menée en 2006-2007 sous la direction
d'Ingrid Sénépart (Ville de Marseille).
6. Fouille du site de Château Percin à Seihl (Haute-Garonne) menée en 2007-2008 sous la direction
de Fabrice Pons (Inrap).
7. Fouilles de l’A75, menées en 1997 et 1998 sous la direction de Luc Jallot (Afan).
8. Fouille de la Capoulière, menées en 2000 (fouilles Luc Jallot, Afan), 2001 (fouilles Cathy Georjon,
Afan), de 2004 à 2008 (fouilles programmées, Xavier Gutherz, université de Montpellier, et Luc
Jallot, Inrap).
9. Fouilles menées en 2011 sous la direction de Fabien Convertini, Inrap.
10. Fouilles menées en 2013 sous la direction de Fabien Convertini, Inrap.
11. Diagnostic mené en 2007 sous la direction de Luc Jallot, Inrap.
12. Fouilles menées en 2012 sous la direction de Benoît Sendra.
13. Fouilles menées en 2013 sous la direction de Tony Hamon, Inrap.
14. Fouilles menées sous la direction de J.-Y. Noël.

RÉSUMÉS
Depuis une vingtaine d’années, plusieurs découvertes d’architectures en terre crue datées du
Néolithique ou de l’âge du Bronze et effectuées dans le cadre d’opérations préventives et
programmées en France amènent au constat suivant : la terre massive ou bauge est employée
dans la construction de murs où elle assume un rôle porteur et dans l’aménagement de sols
d’habitat dès le Néolithique ancien. À partir du Néolithique moyen, son usage est récurrent, des
rives de la Méditerranée au littoral de la Manche et jusque dans le Centre de la France. Les
premières découvertes en Provence et en Languedoc, dès les années 1990, puis dans le reste de
l’Hexagone, ont ainsi modifié le schéma d’apparition des techniques constructives en terre crue
jusque-là attribuées au Bronze final. Ces faits contribuent à faire évoluer notre conception de
l’habitat durant la Préhistoire récente. L’article se propose de faire un bilan des dernières
découvertes en la matière et d’ouvrir quelques perspectives de recherche sur le sujet.

Over the last two decades several examples of structures built of mud and dated to the Neolithic
and Bronze Age, identified during preventive and research excavations in France, have led to the
realisation that massive cob (bauge) constructions, used for load-bearing walls and floors, have
been in existence since the Early Neolithic. Cob was used regularly from the Middle Neolithic
onwards and its occurrence is attested from the Mediterranean to the Channel as well as in
central France. The first discoveries were made in Provence and Languedoc in the 1990s; further
examples then began to appear in the rest of the French territory, thus transforming our
understanding or earthen building techniques whose first appearance had up to then been
attributed to the Late Bronze Age. Such insights contribute to modify our perspective on the
development of settlements in later prehistory. Our article presents an overview of the latest
discoveries and hopes to set the agenda for research on the matter.

Los hallazgos de distintas arquitecturas en barro del período Neolítico o de la Edad del Bronce,
efectuados en Francia desde hace unos veinte años dentro del marco de operaciones

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programadas y de rescate, han llevado a la siguiente conclusión: la tierra maciza o tierra amasada
se empleaba en la construcción de muros portadores y en la organización de los suelos de los
hábitats durante el Neolítico antiguo. A partir del Neolítico Medio, su uso fue habitual desde las
riberas del Mediterráneo hasta el litoral de la Mancha, e incluso en el Centro de Francia. Los
primeros descubrimientos en Provenza y Languedoc, en los años 1990, y luego en el resto del
país, modificaron el esquema de aparición de las técnicas de construcción en barro, hasta
entonces atribuidas al Bronce Final. Estos hechos contribuyeron a mejorar la comprensión del
hábitat durante la Prehistoria reciente. El presente artículo propone hacer un balance de los
últimos descubrimientos en este ámbito y abrir algunas perspectivas de investigación sobre el
tema.

INDEX
Keywords : Neolithic, Bronze Age, France, earthen constructions, rammed earth, cob (bauge)
constructions, settlements
Mots-clés : Néolithique, âge du Bronze, France, construction en terre, terre massive, bauge,
habitat
Palabras claves : Neolítico, Edad del Bronce, Francia, construcción en barro, tierra maciza,
tierra amasada, vivienda

AUTEURS
INGRID SÉNÉPART
Ville de Marseille, UMR 7264, « CEPAM »

JULIA WATTEZ
Inrap, UMR 5140, « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes »

LUC JALLOT
université Montpellier 3, UMR 5140, « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes »

TONY HAMON
Inrap, UMR 8215, « Trajectoires »

MARYLISE ONFRAY
UMR 8215, « Trajectoires »

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Constructions néolithiques en terre


dans le Bassin parisien
Tony Hamon

1 Le site du Petit Perollet, découvert lors d’un diagnostic mené par l’Inrap sur la
commune de Villeneuve-sur-Conie (Loiret)1 (Gay, 2013), est implanté sur une crê te
située à l’interfluve de deux vallées sèches d’environ cinq mètres de profondeur pour
cinquante à cent mètres de largeur. Il est surtout localisé sur la crête et le versant sud
d’une des deux vallées. Il se signale dans le paysage par une butte de moins de 1,5 m de
hauteur et s’étend sur une surface estimée de près d'un hectare [ill. 1] ; il semble qu’il
soit entièrement compris dans l’emprise. D’après le mobilier récolté lors du diagnostic,
il s’agit d’un site du Néolithique moyen (IVe millénaire avant notre ère).

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1. Bombement matérialisant la stratification du site.

© J.-P. Gay, Inrap

2 La visite du site au moment de l’intervention, les relevés de terrain en plan et les


clichés photographiques des coupes ont permis d’identifier deux phases de
constructions en terre. Le niveau le plus ancien paraît avoir entièrement brûlé – c’est
ce que laisse supposer la paroi externe rubéfiée sur une épaisseur d’environ 1 cm des
bâtiments qui ont été reconnus. Identifiés dans un premier temps comme de la
céramique dispersée sur le terrain, ces éléments ont été relevés en plan. Un sondage
manuel réalisé dans une tranchée [ill. 2] a permis de reconnaître les murs de deux
bâtiments. Il s’agit de murs pignons (abside) prolongés chacun par un mur gouttereau.
Lors du sondage manuel, les murs gouttereaux ont été fouillés par moitié depuis
l’intérieur, tandis que les pignons ont seulement été sondés. Le sol intérieur n’a pas pu
être atteint. Par ailleurs, trois assises de pains de terre massive au matériau épuré ont
pu être observées en coupe [ill. 2]. Un autre bâtiment a également été identifié par des
restes de murs visibles en décapage, à l’arrière de ces premiers éléments. En l’état, trois
bâtiments au moins ont été reconnus pour la phase ancienne.

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2. Tranchée 1 - F1, vue en plongée du sud, de deux bâtiments en terre partiellement dégagés et
sondés manuellement. Les parements extérieurs ont semble-il brûlé, ce qui expliquerait la présence
de ces éléments rubéfiés. Les deux bâtiments semblent séparés par une rigole. Au second plan, un
troisième bâtiment en coupe.

© C. Villenave, Inrap

3 Le niveau le plus récent présente des informations plus liminaires. En coupe, des pains
de terre massive non brûlés ont été identifiés. Ce second niveau d’occupation a été en
partie érodé par les labours modernes [ill. 3].

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3. Tranchée 7, détail de la stratigraphie dans ce secteur du site. Au moins trois niveaux de pains de
terre sont visibles dans la coupe. De forme quadrangulaire, les modules sont variés. L’inclinaison
de l’ensemble pourrait correspondre à l’effondrement d’un mur de terre à l’intérieur d’un bâtiment.
Le substrat n’ayant pas été atteint à cet endroit, il n’est pas possible de dire si le site est installé sur
le substrat calcaire.

© C. Villenave, Inrap

4 D’après l’étude céramique (Gay, 2013), le mobilier, homogène, est attribué à la période 3
du Néolithique moyen entre 3900 et 3600 avant notre ère. Il s’agit donc actuellement
d’une des plus anciennes traces de construction en terre massive néolithique dans le
Bassin parisien. Par ailleurs, le niveau le plus ancien a livré des éléments sur
l’architecture des bâtiments. Ainsi, suivant le sondage réalisé dans une des tranchées,
les bâtiments comporteraient des croupes tandis que, sur d’autres relevés, des angles
droits semblent se dessiner. Il se pourrait donc que, comme sur le site du Néolithique
moyen de Lillemer (Ille-et-Vilaine) [encadré 2, p. 22], les bâtiments de Villeneuve-sur-
Conie comportent un pignon droit et une croupe. Cependant, à la différence de
Lillemer, il ne s’agit pas d’un site de hauteur et il n’a pas été reconnu lors du diagnostic
de limite matérialisant la périphérie du site. D’un point de vue méthodologique, enfin,
le niveau incendié a offert la possibilité de dégager des éléments de bâtiments dans de
bonnes conditions de visibilité, ce qui est rare.
5 On peut donc regretter que le diagnostic n’ait pas été suivi d’une prescription de fouille
qui aurait permis d’approfondir nos connaissances sur ce site. À l’exemple de celui de
Prasville, on ne peut que souhaiter que des interventions d’équipes pluridisciplinaires
au fait du sujet se multiplient et que ces découvertes s’accroissant, cela conduise à la
reconnaissance de ce type de sites dès le diagnostic.

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BIBLIOGRAPHIE
GAY J.-P. (dir.), 2013, Loiret (45), Villeneuve-sur-Conie, « le Muid de Pérollet », Rapport d’opération,
Inrap-SRA Centre, 118 p.

NOTES
1. Fouilles du Muid de Pérollet menées sous la direction de J.-P. Gay, Inrap.

AUTEUR
TONY HAMON
Inrap, UMR 8215 « Trajectoires »

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Constructions en terre du
Néolithique moyen près des rives de
la Manche
Catherine Bizien-Jaglin, Luc Laporte, Jean-Noël Guyodo et Julia Wattez

1 À Lillemer (Ille-et-Vilaine), au fond de la baie du Mont-Saint-Michel, les vestiges d’une


architecture en terre néolithique ont dernièrement été mis en évidence (Laporte et al.,
2015) [ill. 1]. Il s’agit de bâtiments aux murs construits à base de terre crue, sans
armature de bois, préludant aux aménagements d’une vaste enceinte du Néolithique
moyen, au cours de la seconde moitié du Ve millénaire avant notre ère. Celle-ci cerne
l’ensemble d’une butte rocheuse qui émerge des marais environnants, riches également
de vestiges appartenant à cette période. La mise en évidence de constructions en terre
est d’abord passée par l’identification de fragments isolés de pains de terre cuite par un
incendie, puis d’autres en terre crue. Un parement de mur a été rendu identifiable par
son contact vertical avec des niveaux incendiés et effondrés. Un autre niveau de lecture
correspond à la prise en compte d’épais bourrelets d’argile, lors de la recherche des
murs. Une étude micromorphologique a permis d’identifier la terre massive comme
technique constructive, notamment sous la forme d’éléments modulaires mis en place
par façonnage direct et préparés à partir de limons et de graviers issus des sols
environnants ou des formations palustres [ill. 2]. La fouille des vestiges de murs
conservés en élévation et le dégagement des sols se sont effectués au détriment des
masses argileuses intercalées (murs effondrés, recharges successives de sol et/ou
possibles éléments construits), tant la lecture de ce sédiment à première vue très
homogène s’est avérée complexe.

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1. Des niveaux de sols étagés et des vestiges de constructions en terre, conservés en élévation, ont
été mis au jour à Lillemer sous la masse du talus du Néolithique moyen.

© L. Laporte

2. Micromorphologie mur ST 78, emboîtement de mottes façonnées, scan de lame mince.

© J. Wattez, Inrap

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2 L’une des constructions mises au jour, large de 2,50 m à l’intérieur et longue d’au moins
9 m, est délimitée par deux murs latéraux – nord et sud – larges de 1,20 m, un mur de
refend à l’est apparemment de moindre puissance, un sol et quatre fosses
d’implantation de poteaux suivant un axe décentré. Le mobilier y est particulièrement
rare. On note l’absence de foyer. Des poutres de bois rubéfiées et des dalles de schiste
brûlées témoignent, en lien avec les trous de poteau, d’une couverture – sans doute
végétale – maintenue avec des dalles et soutenue par une charpente en bois. Au sud et
légèrement en contrebas, un deuxième niveau de sol conservé sur une plus faible
superficie a été percé par les aménagements nécessaires à la mise en place, postérieure,
d’une forte palissade. Ce sol ne porte pas les altérations propres à un espace ouvert.
également constitué de pains de terre, c’est-à-dire bâti, il présente les mêmes qualités
que celui, interne, du bâtiment précédemment décrit. Plus au sud encore, un massif de
2,5 m de largeur est parallèle aux deux murs déjà mentionnés. Différentes natures de
sédiments mis en œuvre, de même que les témoins de murs antérieurs repris, ou arasés,
montrent l’existence de plusieurs états successifs. Le plan de ces constructions se
rapproche de celui, aggloméré, d’un village plutôt que de celui des grands bâtiments
sur poteaux porteurs habituellement connus pour cette période dans cette région.
3 Rétrospectivement, les témoins d’aménagements similaires utilisant la terre crue
avaient déjà été observés en différents points de la butte de Lillemer lors de sondages et
fouilles, tant programmées que préventives (Bizien-Jaglin et al., 2010 ; Laporte et al.,
2014). Sur le flanc sud de la butte, une épaisse couche argileuse contenant des artefacts
néolithiques a été dégagée, avant la mise en évidence de fronts de taille résultant de la
construction de terrasses étagées. L’épaisseur de cet horizon et la restitution des reliefs
rocheux originaux orientent vers des apports anthropiques importants. Cette
hypothèse a également été confirmée par les analyses micromorphologiques. Un peu
plus bas sur cette pente, une coupe montrait une forme rectangulaire évoquant une
possible élévation de terre construite. Au nord de la butte, le rempart observé en coupe
est entièrement constitué de ces mêmes matériaux, recouvrant là aussi des reliefs
antérieurs en argile. L’ensemble de ces observations montre que les constructions
étudiées dans la parcelle 733 (qui recoupe le tracé du talus), sur une superficie de
seulement 150 m², ne constituent pas des éléments isolés. Elles résultent d’énormes
investissements humains, à l’image de ce que suggérait déjà l’aménagement de
terrasses sur les flancs de la butte ou, plus tard encore, l’édification d’un talus
périphérique ceinturant l’ensemble de la butte rocheuse sur plus d’un kilomètre
linéaire. Ces fouilles ont aussi contribué à attirer l’attention – jusque sur les rives de la
Manche et pour une période aussi ancienne que le Néolithique moyen – sur une matière
omniprésente sur les chantiers de fouilles, l’argile, que tout le monde sait
implicitement avoir été largement utilisée pendant les périodes anciennes, sans
toujours penser à mettre en évidence son usage comme matériau de construction.

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BIBLIOGRAPHIE
BIZIEN-JAGLIN C., GUYODO J.-N., LAPORTE L., 2010, « Occupation du Néolithique moyen autour de la butte
de Lillemer (Ille-et-Vilaine) », Archéo-Théma, 101, septembre 2010, p. 26-34.

LAPORTE L., BIZIEN-JAGLIN C., GUYODO J.-N., 2014, « Enceintes néolithiques de l’ouest de la France : une
archéologie des fossés ? », in JOUSSAUME R., LARGE J.-M. (ÉD.), Enceintes néolithiques de l'ouest de la France,
de la Seine à la Gironde, Actes du Colloque CrabeNéo, sept. 2012, Quimper, Association des
Publications Chauvinoises, p. 455-488.

LAPORTE L., BIZIEN-JAGLIN C., WATTEZ J. et al., 2015, « Another brick in the wall: fifth millennium BC
earthen-walled architecture on the Channel shores », Antiquity, 89, 346, p. 800-817.

AUTEURS
CATHERINE BIZIEN-JAGLIN
Centre régional d’archéologie d’Alet

LUC LAPORTE
CNRS, UMR 6566 « CReAAH »

JEAN-NOËL GUYODO
Université de Nantes, UMR 6566 « CReAAH »

JULIA WATTEZ
Inrap, UMR 5140, « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes »

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L’utilisation de la terre
architecturale à Pascale et Bérange
Muriel Gandelin

1 Des fouilles menées sur une vaste zone de 16 000 m², située aux lieux-dits Pascale et
Bérange, à cheval sur les communes de Saint-Brès et Mudaison 1 (Hérault), ont révélé
des vestiges se rapportant à une occupation du Néolithique final (culture de
Fontbouisse) assez dense, située en bordure de cours d’eau. Les niveaux de sol de cette
époque ont été détruits par les travaux agricoles et l’essentiel des découvertes consiste
en un réseau de structures fossoyées qui marquent la succession d’occupations
retranchées [ill. 1]. La surface totale ceinturée peut être estimée entre un hectare et
demi et deux hectares. Au final, les vestiges mis au jour correspondent à plusieurs
enceintes successives, matérialisées au sol par des fossés au développement curviligne –
dont la forme suggère l’existence de bastions – et par de profondes tranchées de
palissades dont certaines aménagent des entrées en pince de crabe. La variété et la
nature des vestiges mobiliers découverts sur l’ensemble du site – abondante céramique
et industrie lithique en silex, industrie en os ou en cuivre, macro-outillage et rejets
alimentaires – évoquent les vestiges habituellement découverts en contexte d’habitat et
laissent penser que ces différentes occupations correspondent à autant d’installations
villageoises successives.

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1. Plan du site de Pascale et Bérange (Hérault). Entre la moitié et les deux tiers du réseau principal
de fossés ont été impactés par l’opération archéologique et le plan du site a pu être complété, dans
sa partie orientale, par une prospection électrique et magnétique.

© A. Bolo, Inrap

2 Parmi les autres structures découvertes, plusieurs chapelets de creusements allongés,


parfois coalescents, semblent suivre le développement des fossés. Ces éléments
correspondent à des fosses d’extraction et de préparation de la terre à bâtir destinée à
l’édification des élévations des enceintes dont il est difficile de préciser l’architecture.
Une partie de la terre utilisée pour ces constructions se trouve remobilisée dans le
comblement des fossés, au sein de niveaux pouvant dépasser plusieurs centimètres
d’amplitude. Ces vestiges, qui sont les seuls témoins des élévations, se présentent sous
plusieurs formes qui peuvent se définir en fonction de leur degré d’ustion. Deux
grandes catégories peuvent ainsi être distinguées : la terre crue non chauffée et la terre
crue ayant subi l’action du feu à des degrés divers. Dans le cas des éléments ayant subi
l’action du feu, le caractère souvent fortuit de la chauffe explique la variabilité
observée dans la couleur, la plasticité et l’état de conservation des différents produits
découverts [ill. 2, a.]. La préparation du matériau (l’homogénéisation par malaxage et/
ou la présence naturelle ou l’adjonction volontaire d’éléments non plastiques,
minéraux ou organiques, à l’argile) a également une influence directe sur les
caractéristiques physico-chimiques des produits obtenus et ces éléments ajoutés
peuvent agir comme fondant et/ou comme dégraissant. Dans certains cas, la structure
du matériau n’a pas été durablement modifiée par la chauffe ; l’eau interstitielle n’a pas
été éliminée des feuillets d’argile : les produits sont fragiles et peuvent reprendre leur
plasticité après humidification. Dans d’autre cas, la chauffe a été suffisamment
importante pour que l’eau de constitution de l’argile ait été éliminée et que sa structure
ait été irrémédiablement détruite : les éléments qui en résultent s’apparentent alors à
de la céramique [ill. 2, b.]. Ces fragments accidentellement cuits sont souvent les seuls à
conserver des surfaces portant des empreintes interprétables [ill. 2, c.]. Il a ainsi été
possible de préciser que la terre était, à Pascale et Bérange, souvent plaquée contre des
végétaux souples dont le diamètre excède rarement 1,5 cm. Quelques branches de petit
module (5 à 10 cm) participaient également à l’armature des constructions. Enfin, en
cas de chauffe extrême, les grains de silice présents dans la terre à bâtir ont atteint leur

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point de fusion et le matériau a eu tendance à se vitrifier à des degrés divers, il


présente alors un aspect scoriacé, plus ou moins bulleux [ill. 2, d.].

2. Variété des éléments en terre architecturale.

a. et b. terre chauffée ; c. terre cuite portant l’empreinte de végétaux ; d. terre cuite à l’aspect scoriacé ;
e. niveau de terre crue en position secondaire dans le comblement d’un fossé ; f. base toujours en
place d’une construction associant éléments modulaires de terre crue et pierres.
© E. Capo, Inrap ; Y. Brossard, Inrap

3 Dans le cas de la terre à bâtir non chauffée, l’altération subie par le matériau est
principalement d’ordre taphonomique et sa conservation est plus aléatoire. La
reconnaissance à l’œil nu en est aussi plus difficile. Sur le site de Pascale et Bérange,
l’identification de niveaux massifs de terre malaxée, d’une couleur proche du substrat
encaissant mais d’une texture fortement homogénéisée, n’a toutefois pas posé de
problème [ill. 2, e.]. Dans de rares cas, la forme du matériau initial a pu être retrouvée.
Il peut s’agit de pain ou de boule de terre crue de modules variés ; l’utilisation de bauge
est également probable mais est plus difficile à identifier.
4 Une des spécificités du site réside dans la dernière forme architecturale documentée,
qui est matérialisée par plusieurs bases de murs. Ces vestiges sont postérieurs au réseau
de fossés et palissades et sont installés au sommet de leur comblement. Ils paraissent
correspondre aux soubassements massifs et soignés de constructions fortement arasées
mais dont le développement semble reprendre, au moins en partie, celui des systèmes
fossoyés. Un des éléments les plus remarquables consiste en l’association de la terre et
de la pierre dans ces constructions. La terre peut être employée à la façon d’un mortier,
pour combler les joints ou bien dans des organisations plus complexes, à l’image de
cette base d’architecture constituée d’un premier niveau aménagé par des pains de
terre de gros module sur lesquels a été soigneusement installée une assise de pierres
[ill. 2, f]. La contemporanéité des deux niveaux semble confortée par la présence d’un

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unique trou de poteau qui traverse la construction sur toute son épaisseur. Cet
exemple, remarquablement conservé, reste un témoin exceptionnel de ce type
d’architecture mixte.

NOTES
1. Fouille menée de juillet 2013 à février 2014 sous la direction de Muriel Gandelin, Inrap.

AUTEUR
MURIEL GANDELIN
Inrap, UMR 5608 « Traces »

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L’habitat stratifié de Prasville


(IIIe millénaire)
Annette Bailleux, Grégoire Bailleux, Tony Hamon, Céline Coussot et Julia
Wattez

1 Le site de « la Fosse Blanche » à Prasville (Eure-et-Loir) a été repéré lors d’un


diagnostic1 (Bailleux et al., 2014 ; Bailleux et al., 2015). Il est localisé sur un léger éperon
marqué par la confluence de deux vallées sèches. Les premiers indices ont été la
présence de mobilier céramique et silex organisé en nappes localisées, situées à environ
cinquante centimètres de profondeur sous la surface. Différentes anomalies
stratigraphiques ont été observées : modules de sédiments jaunes, anguleux, formant
des alignements, en plan, dans le fond des tranchées de diagnostic, segments de mur,
faits de pains de terre hétérogènes ou constituées de petits éléments quadrangulaires,
en forme de « pavés ».
2 Un sondage jusqu’au substrat calcaire, réalisé sur toute la longueur de la tranchée 13
située au centre du site, a permis d’observer la totalité de la stratification
archéologique (profondeur et extension spatiale) et de mettre en évidence des
variations latérales dans la forme des structures de terre crue.
3 La stratigraphie révèle trois phases de construction en terre. La phase la plus ancienne
semble appartenir au groupe de Suèvre qui est du Néolithique récent (Irribarria,
Hamon, 2006). La deuxième est du Néolithique final et la dernière appartient au
Campaniforme. Des bâtiments ont été reconnus pour chacune de ces phases. Ils sont
tous élevés en terre massive. Les investigations n’ont permis de caractériser que les
phases 1 et 2 au centre du site, qui couvre environ 5 hectares. Les matériaux sont
distincts selon chacune des phases ou même peut-être selon le secteur géographique du
site. En effet, dans le premier secteur diagnostiqué, la terre employée est jaune clair et
pourrait se rapporter au Néolithique récent ; dans le second secteur, les matériaux
employés sont bruns au centre du site et dans certains cas, brun gris foncé. Pour la
phase attribuée au Campaniforme, un seul bâtiment a été observé. Il était perturbé par
les labours. Des pierres, extraites du substrat calcaire (du sous-sol), sont employées
dans la construction des murs durant cette phase.

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4 Suivant les observations faites en stratigraphie, le sol est décapé jusqu’au substrat
calcaire ; les méplats sont bouchés avec des blocs de terre et un radier de terre afin
d’aplanir le substrat décapé. Les murs sont construits en terre massive, soit à l’aide de
boules de terre, soit à l’aide de modules en forme de pavés, de tailles différentes,
souvent non calibrés et de nature composite. Ils sont façonnés par modelage, à partir de
sédiments limono-argileux [ill. 1]. Le cœur du mur peut atteindre plus d’1 m de largeur.
Les sols intérieurs sont matérialisés par un niveau de blocs de terre quadrangulaires de
4 cm de côté. Ils sont construits en alternance avec le rechapage interne des murs.
Quatre phases de réfection ou de reconstruction ont été perçues. Les bâtiments sont
comblés par la démolition des murs, ces derniers étant conservés sur un peu plus de
50 cm de hauteur.

1.a. Tranchée 13, détail de la tranchée et du contexte du prélèvement. b. Emboîtement de mottes


quadrangulaires ou subarrondies, malaxées (mélange de limons et d’argiles issus d’horizons
lessivés et de Bt). c. Dégagement partiel de l’extrémité interne d’un bâtiment avec en dessous un
mur d’un état plus ancien (tranchée 41, F38). d. Transect orienté nord-sud matérialisant un remblai
considéré, avant la fouille, comme une formation naturelle.

© G. Bailleux, Inrap ; M. Onfray ; relevé Céline Coussot, Inrap

5 Un second niveau de bâtiments recouvre ce premier état du site, il est arasé par les
labours.
6 Ce site a été identifié comme une séquence d’occupation caractérisée par des
constructions en terre des IVe et IIIe millénaires. On doit en grande partie leur
identification à la détection d’anomalies stratigraphiques pouvant correspondre à des
restes d’architecture en terre crue, qui a conduit à renforcer l’équipe de diagnostic,
notamment au cours de la seconde tranche, avec des archéologues et géoarchéologues
sensibilisés à la reconnaissance des vestiges de la construction en terre néolithiques
(Bailleux et al., 2015). Ainsi, il a été possible de préciser l’extension spatiale des
occupations et les phases architecturales et d’évaluer la diversité des techniques
constructives.

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BIBLIOGRAPHIE
BAILLEUX A., BAILLEUX G., COUSSOT C., CREUSILLET M.-F., HAMON T., VAILLE V., WATTEZ J., WEDAJO B., 2014, Eure-
et-Loir (28), Prasville, « la Fosse Blanche », Rapport d’opération, Inrap-SRA Centre-Val de Loire, 193 p.

BAILLEUX, G., BAILLEUX A., COUSSOT C., HAMON T., LETHROSNE H., WATTEZ J., 2015, Prasville (Eure-et-Loir), la
Fosse Blanche - tranche 3. Habitat stratifié en terre crue au Néolithique final en Beauce, Rapport
d’opération, Inrap, SRA Centre Centre-Val de Loire, 277 p.

IRRIBARRIA R., HAMON T., 2006, « Un nouveau groupe du IIIe millénaire en Loire moyenne à Suèvres
“les Sables” (Loir-et-Cher) », Internéo, 7, p. 131-141.

NOTES
1. Diagnostic réalisé en deux tranches, en 2013 et en 2014, sous la direction d’Annette Bailleux,
Inrap.

AUTEURS
ANNETTE BAILLEUX
Inrap

GRÉGOIRE BAILLEUX
Inrap

TONY HAMON
Inrap, UMR 8215 « Trajectoires »

CÉLINE COUSSOT
Inrap, UMR 8591 « Laboratoire de Géographie Physique »

JULIA WATTEZ
Inrap, UMR 5140 « Archéologie des sociétés méditerranéennes »

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Construction en terre crue au


Néolithique moyen I
Le tertre du monument 29 de Fleury-sur-Orne
Building with earth in the Middle Neolithic I. The mound of Monument 29 at
Fleury-sur Orne (Calvados)
Construcción de barro en el Neolítico Medio I. El túmulo del monumento 29 de
Fleury-sur-Orne (Calvados)

Emmanuel Ghesquière, David Giazzon et Julia Wattez

1 La nécropole de Fleury a été découverte par photographie aérienne aux débuts des
années 1990. Plusieurs diagnostics et sondages ont alors été réalisés, mais l’importance
du site a pendant 20 ans repoussé l’aménagement d’une zone pourtant située dans un
environnement périurbain dense. Ce n’est qu’en 2012 qu’un projet ambitieux de
l’agglomération a permis de faire réaliser un diagnostic complet (Flotté, 2013), suivi par
une fouille en 20141. Cette dernière a concerné essentiellement les vestiges funéraires
néolithiques et, de façon anecdotique, ceux de la seconde guerre mondiale. La
nécropole néolithique est installée dans un large vallon plan (moins de 1 % de pente),
avec actuellement un faible recouvrement terreux (0,25 m) qui surmonte la plaquette
calcaire désagrégée par les alternances climatiques de la dernière glaciation. On note la
proximité de la vallée de l’Orne (500 m) et du littoral (15 km). La fouille a couvert une
surface triangulaire de 21 hectares d’un seul tenant [ill. 1]. Elle a mis en évidence
26 monuments de type Passy, deux cairns (dont un était connu et déjà fouillé) et trois
alignements destinés à installer des menhirs ou des mégaxyles. Les monuments de type
Passy mesurent, à Fleury-sur-Orne, entre 12 et 372 m de longueur, respectant une
direction générale est-ouest et suivant un tracé légèrement sinueux. Leur profil est
parfois étroit, sous forme de tranchée (palissadée ?), pour les monuments en « épingle à
cheveux », ou ouvert et large pour les monuments trapézoïdaux. Les seuls vestiges
retrouvés dans les fossés sont quelques outils en os (omoplates de bovidés en
particulier) et des pics massifs en grès rouge de provenance locale, utilisés dans le
cadre du creusement des fossés. Ces monuments contiennent en règle générale une
unique sépulture, pas toujours retrouvée lors de la fouille (tombe hors sol ?), rarement

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deux. Les plus caractéristiques du site abritent un archer, les plus riches sont
accompagnés par des offrandes de moutons. L’un des monuments du type Passy
(monument 29), dont le tertre a été préservé par l’installation d’un chemin antique qui
le recouvrait complètement, a particulièrement attiré l’attention. Le présent article
s’attache à comprendre son mode de construction et son évolution chronologique.

1. Plan de la nécropole de Fleury-sur-Orne avec en encadré la zone fouillée en 2014. 2. Plan


simplifié du monument 29, avec ses deux puissants fossés, ses carrières occupant l’espace entre
les fossés à l’ouest et le tertre fossilisé sous un chemin romain à l’est.

© E. Ghesquière, Inrap

La physionomie du monument 29
2 Long de 146 m, le monument 29, orienté est-ouest, est le plus large du site : 14,6 m à
l’extrémité occidentale et 57,5 m à l’extrémité orientale (fossés compris). La partie
inscrite entre les deux fossés mesure entre 9 m à l’ouest et 26,5 m à l’est [ill. 2]. Ces
deux fossés présentent une physionomie comparable, avec un creusement subvertical
vers l’intérieur du monument et en pente douce vers l’extérieur, d’une profondeur
allant de quelques décimètres à l’ouest à 1,5 m à l’est. Leurs dimensions (de l’ordre de
1 000 m3 extraits) sont sans commune mesure avec les autres fossés du site. Deux
datations 14C ont été réalisées sur les ossements ; les deux dates, bien homogènes, 5730
± 30 BP et 5770 ± 30 BP, suggèrent une fourchette combinée entre 4685 et 4540 cal BC
pour la construction du monument.
3 Le tertre, qui présente une forme trapézoïdale très allongée, avec un doublement de la
largeur entre les deux extrémités, est long de 80 m environ (extrémité ouest très
dégradée), en prenant en compte l’extension parementée de 3,5 m de l’extrémité est. Il

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est large de 11 m (estimé) à l’ouest et de 23 m à l’est pour la terminaison en mottes de


gazon. La terminaison parementée, encore plus large, est difficilement estimable en
raison de l’absence des angles ; elle serait de l’ordre de 25 m. Le tertre est conservé sur
une hauteur de 0,8 m, le maximum de conservation correspondant au parement en
mottes de gazon de la façade orientale. La répartition des éboulis de l’extrémité
orientale en pierre (pour partie dans le fossé sud) témoignerait d’une hauteur d’origine
de 2,5 à 3 m à l’est. Le tertre est établi sur un rendosol humifère (horizon ACA de
rendzine de 3 à 7 cm d’épaisseur) qui se développe sur des formations calcaires
(Bathonien) [ill. 3 et 4]. D’autres éléments laissent penser que les autres monuments du
site présentaient le même mode de mise en œuvre.

3. En haut, le dessin d’après photo d’un détail d’une coupe du tertre permet d’individualiser les
couches de tapis de gazon empilées d’après les gravillons calcaires entraînés par les systèmes
racinaires ; en bas, la fouille à plat du tertre permet également d’individualiser les différents tapis
de gazon empilés et croisés.

© E. Ghesquière, Inrap

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4. Microstratigraphie d’une motte de gazon prélevée dans un rendosol (rendzine, sol humifère
développé sur substrat calcaire) : elle présente un profil pédologique inverse avec l’horizon C
d’altération en haut et le reste de couvert vegetal en bas. La structure d’origine du sol est
conservée, légèrement déstructurée par les opérations de mise en œuvre (prélèvement, dépôt et
légère compaction), ce qui atteste de la très bonne cohésion de l’horizon humifère liée au complexe
organo-minéral et au réseau racinaire, les graviers pouvant jouer le rôle d’armature.

© J. Wattez, Inrap

Les matériaux de construction

4 Trois matériaux de construction ont été utilisés dans l’élaboration du tertre, parfois
associés entre eux : des mottes de gazon, des plaquettes calcaires et des limons.
5 Les mottes de gazon sont un des matériaux privilégiés : ils consistent en tapis (ou
blocs ?) découpés dans le rendosol qui ont été empilés sur toute la partie ouest du
tertre [ill. 3]. Ils forment des couches régulières, continues ou lenticulaires, formées par
l’alternance de dépôts limono-sableux brun noir (horizon humifère avec son réseau
racinaire), de 3 à 6 cm d’épaisseur, et de dépôts de gravillons et de graviers calcaires de
1 à 4 cm d’épaisseur (horizon C, horizon d’altération du substrat calcaire) [ill. 3 et 4].
L’étude micromorphologique confirme ces observations, avec la mise en évidence en
lame mince d’une motte de gazon inversée, ayant conservé en partie les restes très
dégradés de la base du couvert végétal (litière décomposée) [ill. 4]. La faible épaisseur
des « tapis de gazon » renvoie à celle des horizons humifères de rendosol, souvent peu
profonds, et témoigne d’un environnement de prélèvement identique à celui observé
sous le tertre. Il est donc probable que le prélèvement ait été réalisé autour du
monument.
6 Les plaquettes calcaires correspondent sans doute au matériau le plus utilisé si l’on en
juge par l’extension et le volume des fossés/carrières encadrant le tertre. Ce calcaire,
exploité dans les 1,5 m maximum de profondeur des fossés, est de qualité moyenne,

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fragmenté par les cryoturbations glaciaires, et se présente en plaquettes de 0,1 à 0,3 m


de longueur, rarement plus.
7 Les limons ont fait l’objet d’une utilisation extrêmement restreinte, participant au
remplissage de quelques caissons et de refends internes. Leur provenance est peut-être
un peu plus éloignée du tertre que les calcaires et les tapis de gazon, mais ne dépasse
pas quelques centaines de mètres, vers le sud ou l’ouest.
8 L’association entre les plaquettes calcaires et les mottes de gazon parfois observée
pourrait avoir contribué à armer les tapis de gazon et assurer la stabilité du tertre
[ill. 5]. Toutefois, on observe plutôt une exclusion de ces deux matériaux très différents,
chacun s’appropriant l’est ou l’ouest de l’ouvrage, bien que les tapis de gazon
continuaient vers l’est à tenir le rôle de parement et de refends internes.

5. En haut, le parement externe sud du tertre constitué d’un mur en tapis de gazon limitant une
masse en matériaux calcaires ; en bas, un muret de refend interne en tapis de gazon délimite le
remplissage de deux caissons, l’un majoritairement composé de tapis de gazon empilés, l’autre
dominé par l’empilement de matériaux calcaires, plaquettes et débris, provenant probablement du
creusement des fossés latéraux.

© E. Ghesquière, Inrap

Le mode de construction
9 Les limites extérieures du monument de Fleury sont constituées d’un parement réalisé
en mottes/tapis de gazon. Ces tapis sont empilés de manière à faire adopter un fruit au
parement de l’ordre de 60° vers l’intérieur du monument, destiné à éviter un
effritement trop rapide, d’autant plus que la végétation devait reprendre en surface. Ce
parement en mottes de gazon est surtout visible sur le côté sud du tertre où il est
conservé sur 0,6 m de hauteur. La façade orientale se présente dans un premier temps

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comme un parement en mottes/tapis de gazon convexe, qui devait atteindre une


hauteur estimée à 2 m. Le côté nord, nettement plus érodé et détruit par des carrières
romaines, n’est plus présent que sous forme de lambeaux.
10 La fouille du tertre a permis d’observer la méthode utilisée pour l’élaboration interne
du tertre. Les zones élevées en plaquettes calcaires ont livré les témoins de banquettes
de refend de tapis de gazon utilisées pour marquer au sol l’emprise du monument,
installés directement sur le paléosol.
11 Les murets en tapis de gazon déterminent donc : la paroi externe du monument (de 0,8
à 1 m de largeur), les murets de refend (de 0,3 à 0,4 m de largeur) et un quadrillage
orthogonal ou curviligne (de peu d’épaisseur) qui prend appui sur les murets de refend
[ill. 6]. Le parement extérieur présente un état de conservation optimum sur sa façade
orientale et sur une partie de son côté sud. Il permet d’observer son fruit vers
l’intérieur pour assurer sa stabilité et son épaisseur constante (sur les 0,8 m de hauteur
maximale conservée). Les refends internes pour leur part sont très certainement
partiels. Leur première caractéristique est qu’ils sont plus épais près des parois
extérieures qu’au centre du monument. La seconde caractéristique est qu’ils sont plus
épais à leur base qu’à 0,5 m de hauteur (maximum conservé). Il y a une forte probabilité
pour qu’ils ne soient pas présents sur toute la hauteur du monument, comme le suggère
leur rétrécissement rapide en hauteur. Il est toutefois difficile d’en juger du fait d’une
conservation incomplète du monument. Les derniers murets en mottes de gazon qui
délimitent des espaces carrés ou arrondis entre les refends présentent une hauteur
variable : au moins 0,4 m dans la partie ouest du monument, où ils sont peu fréquents,
mais seulement 0,1 m dans toute la moitié orientale où ils ne semblent constituer que
des marques au sol inutiles lorsque le monument commence à s’élever à quelques
décimètres du sol. Contrairement aux murets de refend, ils ne semblent pas avoir un
rôle dans la cohésion de la structure mais servent plutôt de repères au début de la
construction.

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6. Orthophotographie d’un des murets de refend en tapis de gazon, qui prend appui sur un caisson
interne comblé à ce niveau-là de tapis de gazon.

© E. Gaumé, Inrap

12 Le remplissage des caissons délimités au sol par des murets plus ou moins élevés en
mottes de gazon a permis de comprendre la façon dont la construction a été menée. Les
deux tiers occidentaux sont construits en tapis de gazon. Quelques éléments internes
comme une possible cloison axiale (largement perturbée par une canalisation d’eau
moderne) et des cloisons curvilignes (en limons et éléments calcaires) témoigneraient
éventuellement de marqueurs au sol. Les tapis de gazon sont empilés dans ces caissons
de manière à partiellement se croiser et se recouvrir, pour assurer une stabilité à
l'ensemble et/ou un niveau relativement plan.
13 Le tiers oriental du monument est construit uniquement en plaquettes calcaires
déposées à plat dans les espaces entre les murets de refends en mottes de gazon. Leur
disposition présente un soin particulier, sans doute pour assurer la stabilité de
l’ensemble. Dans l’état de leur découverte (niveaux inférieurs du tertre), ces couches
calcaires sont homogènes et lacunaires.
14 Entre la partie du tertre construite en mottes de gazon et celle construite en pierre, la
distinction très nette au niveau du décapage laissait présager un possible
agrandissement du tertre. Or, la fouille de cette partie et le relevé du remplissage d’une
coupe pratiquée dans ce secteur ont livré une image tout à fait incompatible avec une
extension. En effet, le passage d’un mode de remplissage à l’autre s’opère de part et
d’autre d’un muret de refend monté en mottes de gazon. Le remplissage de chaque côté
est constitué de couches disposées en biais, partie haute contre le muret, qui
témoignent du rétrécissement du muret de sa base vers son sommet (observable par
ailleurs sur tous les murets de refend). Ces couches de part et d’autre du muret ne
montrent pas comme en surface l’homogénéité à laquelle nous aurions pu nous

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attendre (mottes de gazon à l’ouest et pierres à l’est), mais une succession de couches
pierreuses et de tapis de gazon, progressivement plus caillouteuses vers l’est. Ce
passage progressif du gazon à la pierre, de part et d’autre d’un muret de refend,
témoigne bien d’une progression significative du remplissage d’un monument unique
sur toute sa longueur, si l’on excepte la réfection du parement de façade oriental.

Les volumes de matériaux mis en œuvre


15 Les volumes de pierre extraits dans les fossés-carrières et dans les carrières internes du
monument ont pu être appréciés sous forme d’une approximation. Différents facteurs
comme les reprises de carrière à la période antique dans le fossé nord, l’arasement de
toute la partie interne du monument dans sa moitié ouest ou encore l’arasement du
substrat sur les extérieurs du fossé ne permettent pas un calcul précis mais plutôt a
minima. En volume creusé préservé, le prisme allongé du fossé nord est de l’ordre de
500 m3. Celui du fossé sud, un peu plus profond, est de l’ordre de 550 m 3. Les carrières
internes, qui ont entamé le substrat entre les fossés d’au moins 0,5 m sur les 60 m de sa
partie occidentale (un peu plus profondément par endroits également), représentent
un volume approximatif de 550 m3 également. Le total extrait est donc de l’ordre de
1 600 m3. Avec ce volume de plaquettes calcaires, on peut considérer comme
raisonnable leur emploi pour élever le tertre, même si cela reste une hypothèse basée
en premier lieu sur l’identité du matériau et sa proximité. Dans l’état actuel du tertre
(avant la fouille), seuls les 30 m orientaux du tertre sont construits en calcaire, le reste
du tertre est exclusivement constitué d’un empilement de tapis de gazon. À l’origine, la
répartition du matériau pierreux pouvait être beaucoup plus large et reposer sur des
couches même épaisses de tapis de gazon. Sans exclure cette hypothèse, il convient de
calculer la possibilité d’élévation si le matériau pierreux extrait avait été utilisé
uniquement pour l’élévation du tiers oriental du tertre. Un calcul rapide volume
permet de constater que l’extrémité de 30 m de longueur sur 20 m de largeur devrait
s’élever à 2,6 m pour utiliser toute la pierre extraite, éventuellement un peu plus à l’est
si une pente est respectée. En l’état, ce chiffre est tout à fait dans les normes de ce que
l’on peut attendre d’un tel monument (par comparaison avec Colombiers-sur-Seulles
[Calvados] par exemple).
16 Si l’on retient cette hypothèse d’un monument plus haut à l’est qu’à l’ouest, comme
semble également le suggérer l’état de conservation général du tertre, on peut calculer
le cubage de mottes de gazon nécessaire à son élévation. Toute la surface arrière (50 m)
sur une largeur de 15 m en moyenne aurait pu, selon cette hypothèse de travail,
présenter une pente entre 2 m à l’est et 0,10 m à l’ouest, soit un volume de 750 m 3 pour
le tertre et 150 de plus pour le parement et les refends internes de la partie pierreuse.
Par ailleurs, l’observation de l’alternance des tapis de gazon nous apprend que la
hauteur moyenne du tapis de gazon utilisé à Fleury est de l’ordre de 5 cm, ce qui
correspond également à la hauteur moyenne du paléosol sous le tertre. Cette faible
épaisseur se traduit donc par l’empilement nécessaire de 20 couches de gazon pour
obtenir une hauteur d’un mètre (moyenne de hauteur estimée). Les 900 m 3 nécessaires
à la construction du tertre correspondraient donc à un décapage du substrat de l’ordre
de 18 000 m² (1,8 ha). L’extraction du calcaire aurait ainsi contribué, si elle a bien été
réalisée autour du monument, à en réhausser la visibilité. L’utilisation des limons dans
l’élaboration du tertre est impossible à estimer dans l’état actuel de préservation du

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monument, seuls quelques mètres cubes ayant pu être observés dans une petite zone.
Ce matériau a bien sûr pu être plus largement utilisé dans les couches supérieures
arasées du tertre, mais aucun élément ne permet d’en juger. Sa provenance un peu plus
éloignée (400 m ?) pourrait expliquer son utilisation négligeable par rapport aux deux
autres matériaux.

Les deux états du monument


17 L’observation de l’extrémité orientale du tertre nous montre un parement convexe en
mottes de gazon, préservé sur 0,8 m de hauteur, qui présente un renflement vers
l’extérieur, correspondant probablement à la poussée des matériaux. Cette façade
convexe comporte par ailleurs en son milieu et à son aplomb une structure circulaire
profonde interprétée comme le support d’un mégaxyle dont la hauteur devait dépasser
celle du monument [ill. 2]. Ces deux éléments (renflement et mégaxyle) suggèrent qu’il
s’agit de la façade d’origine du tertre. Son obsolescence résulte probablement de la
hauteur du monument à l’est et de l’inévitable poussée du remplissage qui a déstabilisé
le parement. Un renfort a donc pu être nécessaire, élevé sous la forme d’un double
parement plaqué contre cette paroi orientale, de 5 m d’épaisseur et entièrement en
pierre.
18 Si le parement en mottes de gazon s’était partiellement effondré avant sa réfection, il
n’en reste aucune trace sous le double parement de façade. On peut soumettre
l’hypothèse que, malgré un (ou plusieurs renflements) dans la structure de façade, les
populations n’ont pas attendu qu’elle s’effondre avant de la renforcer. Par contre, le
monoxyle fiché dans le trou de poteau a certainement dû être retiré en préalable au
prolongement de la façade, comme en témoigne le remplissage d’un vrac de plaquettes
calcaires qui atteste du rebouchage rapide et volontaire de ce trou qui aurait pu
devenir un point de faiblesse du nouveau parement. Ce parement est réalisé avec des
dalles calcaires plus grandes que celles que l’on peut observer dans le remplissage des
caissons. Même si la matière première est identique (calcaire de Creully), les dalles sont
nettement plus grandes en moyenne, tout particulièrement celles de première assise de
plus d’un mètre de longueur chacune. Leur recherche a dû s’accompagner d’un
approfondissement des fossés-carrières, les dalles étant plus grandes car moins
cryoturbées au fond. La découverte de céramiques du Néolithique moyen I (Cerny)
brisées, au pied du parement de façade, suggère que cette extension a été réalisée peu
de temps après la construction initiale, en tout cas dans la même ambiance culturelle.
19 Bien que les longs tumulus bretons puissent également être élevés en terre (Cassen et
al., 2000), c’est avec les monuments britanniques de type Cotswold-Severn tombs (sud-est
du pays de Galles) que le monument 29 offre les points de comparaison les plus
pertinents. Ainsi, Beckhampton Road, South Street, Giants Hill, Julliberies Grave ou Skendelby
(Scarre, 2006) présentent comme points communs la présence d’un tertre très allongé
encadré par deux puissants fossés-carrières latéraux. Ces monuments peuvent
recouvrir des structures funéraires antérieures (en bois et brûlées) ou simplement ne
comporter aucune structure funéraire (South Street et Beckhampton Road), dans une
configuration alors très proche du monument 29 (Scarre, 2006). La construction en
mottes de gazon de ces monuments britanniques témoigne comme à Fleury de l’emploi
d’un matériau local et abondant. Le principal point d’achoppement reste la datation
tardive des monuments de type Cotswold-Severn tombs, entre 3800 et 3500 cal BC. Cet

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écart de 700 ans à un millénaire (malgré quelques dates plus précoces) ne saurait être
interprété comme une perduration d’un courant monumental dont il manquerait les
jalons intermédiaires.
20

La préservation d’un tertre fossilisé par un chemin antique a permis de mettre en


évidence l’utilisation de la terre crue (associée à l’herbe et son système racinaire) dans
le cadre de la construction d’un monument de très grandes dimensions. La fouille de ce
tertre a également été l’occasion d’observer l’association de la terre crue (sous forme de
tapis de gazon) avec des plaquettes calcaires, la terre constituant des murets
déterminant des caissons et donc l’architecture interne du monument, tandis que la
pierre apparaît dans un premier temps uniquement comme un élément de remplissage,
non visible. Le parement de façade oriental du tertre, à l’origine monté entièrement en
tapis de gazon, n’a probablement pas résisté à la poussée des terres du remplissage. La
pierre a alors à ce moment-là joué un rôle de remplacement de la terre, offrant de
nouvelles possibilités de construction alliant solidité (les monuments mégalithiques qui
n’ont pas été utilisés comme carrières sont encore bien préservés dans le Grand-Ouest)
et effet visuel intéressant. Ce type de construction devient exclusif avec le passage au
Néolithique moyen II, vers 4400-4300 cal BC, pour des sépultures collectives/multiples.
21 La coloration que prend le substrat sous le tertre du monument 29 (grise sous la partie
en mottes de gazon, plus blanche sous les plaquettes) rejoint les observations similaires
réalisées sur les autres monuments (gris sous cinq monuments, clair sous l’ensemble
des autres). Ils permettent de soupçonner la présence d’un tertre en terre et/ou pierre
sur l’ensemble de la surface interne des monuments du site.

BIBLIOGRAPHIE
Cassen S. et al., 2000, Éléments d’architecture, Exploration d’un tertre funéraire à Lannec er Gadouer
(Erdeven, Morbihan), Constructions et reconstructions dans le Néolithique morbihannais, Propositions pour
une lecture symbolique, Chauvigny, Association des publications chauvinoises (Mémoire de la
Société de recherches archéologiques de Chauvigny, XIX), 813 p.

Flotté D., 2013, Fleury-sur-Orne, Calvados « les Hauts de l’Orne », rapport d’opération, Inrap-SRA
Basse-Normandie, 271 p.

Scarre C., 2006, « Tertres funéraires mégalithiques et non-mégalithiques du sud de la Grande-


Bretagne », in Joussaume R., Laporte L. et Scarre C. (dir.), Origine et développement du mégalithisme
de l’ouest de l’Europe, colloque international (Bougon, 26-30 octobre 2002), Bougon, Musée des Tumulus
de Bougon, Niort, conseil général des Deux-Sèvres, p. 187-215.

NOTES
1. Diagnostic réalisé en 2012 sous la direction de David Flotté, Inrap ; fouille des « Hauts de
l’Orne » réalisée de mai à décembre 2014 sous la direction d’Emmanuel Ghesquière, Inrap.

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RÉSUMÉS
La fouille d’une vaste nécropole néolithique de monuments de type Passy en 2014 à Fleury-sur-
Orne (Calvados) a permis la découverte d’un grand tertre fossilisé par un chemin antique. De tels
monuments sont reconnus comme les premières manifestations du monumentalisme au milieu
du Ve millénaire. Ce tertre de 70 m de longueur présente une architecture particulière, utilisant
dans une large part les tapis de gazon dans la construction. Cet article se propose de mettre en
évidence la complexité de ce mode de construction.

The excavation in 2014 of a vast Neolithic monumental burial ground of Passy type at Fleury-sur
Orne (Calvados) has revealed a large mound preserved under an ancient track. Such monuments
are considered to be the earliest manifestation of monumentalisation in the middle of the fifth
millennium BC. The 70 m long mound at Fleury is of a particular build, which made extensive use
of turf. The purpose of our article is to present the complexity of this type of construction.

El año 2014, la excavación de una amplia necrópolis neolítica de monumentos del tipo Passy en
Fleury-sur-Orne (departamento de Calvados) llevó al hallazgo de un gran túmulo funerario
fosilizado por un camino antiguo. Estos monumentos corresponden a las primeras
manifestaciones del monumentalismo a mediados del V milenio. El túmulo funerario, de 70
metros de largo, presenta una arquitectura particular, ya que se utilizó una gran parte de las
alfombras de pasto para su construcción. El objetivo del presente artículo busca mostrar la
complejidad de este modo de construcción.

INDEX
Mots-clés : nécropole, Néolithique moyen I, monument de type Passy, tertre, tapis de gazon,
plaquettes calcaires
Palabras claves : Necrópolis, Neolítico Medio I, monumento de tipo Passy, túmulo funerario,
alfombra de pasto, barras calizas
Keywords : burial ground, Middle Neolithic I, Passy-type monument, mound, turf, calcareous
deposits

AUTEURS
EMMANUEL GHESQUIÈRE
Inrap, UMR 6566, « CReAAH »

DAVID GIAZZON
Inrap

JULIA WATTEZ
Inrap, UMR 5140, « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes »

Archéopages, 42 | 04-07/2015
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Constructions mixtes en terre et


bois
Un village du ve siècle avant notre ère en Bourgogne
Mixed earth and timber structures. A fifth-century BC village in Burgundy
Construcciones mixtas de barro y madera. Una aldea del siglo V antes de nuestra
era en Borgoña

Régis Labeaune, Christophe Gaston et Dominique Sordoillet

1 À l’ouest de Dijon, la fouille de « la Peute Combe » à Talant (Côte-d’Or) a mis au jour


quatorze bâtiments de la fin du premier âge du Fer, pour la plupart à abside 1 (Labeaune,
Alix, 2014). Au centre de cet habitat, un atelier polymétallique, spécialisé dans la
fabrication de petits objets en fer et en bronze, avait conservé ses foyers et ses aires de
travail. Il a donc été possible de restituer un plan et une organisation du village. La
datation du site d’après le mobilier métallique est homogène car la majeure partie des
objets sont datés de la première moitié du ve siècle avant notre ère. Après une
cinquantaine d’années d’occupation, le village est détruit, fort probablement par un
incendie qui a laissé de nombreuses traces dans les couches supérieures de l’habitat. Le
terrain est ensuite nivelé pour construire, à l’époque laténienne, une voie qui traverse
la combe du nord au sud et qui a été utilisée pendant une centaine d’années. Cette
structure a permis de protéger les niveaux archéologiques hallstattiens et nous avons
pu observer la présence de sols en argile conservés au moins dans six bâtiments
appartenant à la première occupation du site.
2 Le site est installé au fond d’un vallon étroit orienté nord-sud, dont les versants sont
abrupts, incisant les plateaux calcaires et débouchant sur la vallée de l’Ouche. Les
pentes sont caractérisées par une végétation arbustive et leur exposition ensoleillée
donne à la vallée un aspect de paysage méditerranéen. L’érosion des pentes et le
ruissellement constituent les facteurs principaux de l’accumulation de sédiments qui a
permis une préservation exceptionnelle du site, ainsi protégé des labours ou de toute
autre destruction des vestiges. Cette sédimentation atteint une épaisseur moyenne de
1,50 m entre les niveaux du ve siècle avant notre ère et le sol actuel.

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La typologie des constructions


3 L’organisation du village a été fortement conditionnée par le cadre topographique : la
combe ne mesurant qu’une quarantaine de mètres de large, les constructions se sont
installées dans sa longueur, formant ainsi un « village rue ». Quatorze maisons ont été
identifiées lors de la fouille [ill. 1]. Leurs plans sont difficiles à observer car, même si la
majorité des trous de poteaux porteurs subsistent grâce à leur profondeur, les
cloisonnements internes et les murs périphériques restent lacunaires. Trois catégories
de construction, qui se distinguent les unes des autres par leurs dimensions et la nature
de leurs sols, ont pu être identifiées [ill. 2].

1. Sur ce plan général du site sont distingués, en jaune, les bâtiments dont le sol est en terre
battue. On observe que, le terrain naturel formant une cuvette, les constructeurs ont creusé la
partie est des bâtiments dans les flancs de la colline tandis que la partie ouest a été surélevée pour
obtenir un niveau de sol plat. Cette partie ouest a subi une érosion importante.

© C. Gaston, Inrap

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2. La fouille a mis en évidence trois types de bâtiments en fonction de leurs plans et de leurs
dimensions.

© C. Gaston, Inrap

4 Les bâtiments les plus grands mesurent environ 12 à 14 mètres de long pour 6 mètres
de large. L’espace y est divisé en trois travées inégales. La travée centrale, abritant un
foyer placé sur l’axe de symétrie, forme le châssis de base de toute la structure. Quatre
poteaux en assurent l’ossature à portique, contre laquelle s’appuient deux poteaux
faîtiers. Une abside, toujours située au nord, ferme le bâtiment, tandis qu’au sud une
travée d’une largeur égale à la moitié de celle de la travée centrale pourrait soit
recevoir une toiture en pavillon, soit former un « porche » couvert. La structure de
construction est mixte, c’est-à-dire qu’elle associe des sablières porteuses pour les
parois avec un encadrement de poteaux porteurs pour l’ossature interne. Les sols sont
aménagés en argile damée.
5 Une deuxième catégorie de bâtiments est constituée de bâtiments de taille moyenne,
qui présentent les mêmes proportions que les grands bâtiments, mais leur longueur est
d’une dizaine de mètres environ et leur sol est aménagé avec des planchers dont il ne
subsiste que les traces de lambourdes. Leur plan est plus lacunaire que ceux décrits
précédemment, ce qui rend leur restitution difficile à interpréter.
6 Enfin, les bâtiments dont le plan rectangulaire est centré ; ils présentent un sol en
« cuvette » de type fond de cabane. Un plancher est envisageable, en raison de la
présence d’une couche charbonneuse sur toute la surface et, sous cette couche, d’une
tranchée qui peut correspondre aux restes d’une lambourde. La structure de ce type de
construction reste hypothétique : un poteau axial subsiste, décalé vers le nord, sans
doute pour laisser l’espace nécessaire à un foyer central. Il est tentant de restituer un
autre poteau axial, l’association des deux formant un portique qui aurait soutenu une

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faîtière centrale ; le bâtiment aurait ainsi été couvert par une toiture à quatre pans
reposant sur les parois porteuses.
7 Ces différents bâtiments ont fait l’objet de plusieurs réfections ou de reconstructions
successives et nous avons pu mettre en évidence trois états bien distincts pour au
moins la moitié d’entre eux. Ces observations permettent de proposer l’idée que le
village a été occupé pendant une bonne cinquantaine d’années avant d’être détruit par
un incendie comme l’atteste la couche charbonneuse qui recouvre toutes les structures.
Pour six de ces quatorze bâtiments, le sol était constitué d’une couche d’argile jaune.

Le bâtiment 3
8 Le plan du bâtiment 3 est très lacunaire mais deux états de construction sont
déterminables [ill. 3]. Le plan rectangulaire du premier état est divisé en trois travées.
Le sol en argile est construit sur un substrat qui a été épierré de ses plus gros éléments.
La structure de l’ensemble est mixte, des sablières sur solins constitués de petits blocs,
dont certains chauffés par un incendie, sont clairement identifiables pour la paroi est,
limitant le sol en argile. Le foyer, positionné au centre de la deuxième travée du
bâtiment, est disposé sur un léger relief constitué de gravier et de terre argileuse qui
repose sur le sol du bâtiment. Le plan du second état est encore plus approximatif. Il
pourrait correspondre à une reconstruction. Légèrement décalée vers l’est, une
nouvelle couche d’argile « déborde » de l’axe de la sablière primitive et ne se prolonge
pas au-delà du trou de poteau 2273. Son plan se divise en deux travées avec un foyer
dans l’espace ouest. Les coupes stratigraphiques montrent clairement une
superposition des sols et des foyers de ces deux états avec, entre les deux sols, une
couche de limon grisâtre [ill. 4]. Les analyses micromorphologiques ont montré que le
sol de la première occupation hallstattienne est composé d’un revêtement gris-jaune,
assez dense, d’argile et de micrite, avec des inclusions de sables et de cailloux calcaires.
Dans le second état, un nouveau sol argilo-limoneux semble résulter de la dégradation
de constructions en « terre ». Le matériel observé est assez différent des torchis
souvent utilisés comme matériaux de construction (Sordoillet, 2009). L’absence de
phytolithe d’herbacées dans les lames étudiées tend à exclure l’utilisation de paille et
donc de torchis, et plaide plutôt pour la confection de murs à l’aide des nombreuses
pierres présentes sur le site, liées entre elles par un mortier calcaire.

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3. Plan général des deux premiers états du bâtiment 3.

La limite occidentale du premier état n’a pas été observée en plan mais uniquement en coupe
géomorphologique.
© C. Gaston, Inrap

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4. Stratigraphie des deux états du bâtiment 3.

Les analyses micromorphologiques effectuées sur la coupe B ont révélé qu'un décapage de la terre
végétale a été réalisé avant la première occupation hallstattienne. Sur ce sol dénudé, la couche 2185
consiste en un revêtement gris-jaune, assez dense, d’argile et de micrite, emballant des sables et des
cailloux calcaires. Au-dessus, la couche 2184 (mélange biologique d’agrégats issus de l’érosion
de 2185 et d’agrégats argilo-humiques de sol) pourrait correspondre à un abandon du bâtiment. La
couche 2183, repérée dans le second état, comprend des agrégats argilo-limoneux micritiques brun-
rose, denses, parfois étroitement plaqués à des cailloux et des graviers calcaires.
© C. Gaston, Inrap

Le bâtiment 4
9 Le bâtiment 4 n’est conservé que sur une petite moitié est ; la fouille a montré qu’il a
connu deux états successifs [ill. 5]. On aurait ici une architecture mixte associant des
parois porteuses sur des sablières enterrées ou sur des murets et des supports verticaux
internes. Cette technique, qui associe les sablières basses et les poteaux verticaux et
porte le nom de Ständerbau, a été observée dans de nombreux bâtiments de l’époque,
notamment celui de Pont-Rémy (18,40 m x 6,50 m) dans la Somme, daté de La Tène
ancienne (Buchez, 2005). Les dimensions totales de ce bâtiment seraient d’environ 7 m
x 12 m pour le premier état, et de 7 m x 13,5 m pour le deuxième. Ces dimensions sont
proches de celles du bâtiment hallstattien (12 m x 6,50 m) d’Ennemain dans la Somme
(Buchez, 2005), ou de celles du bâtiment hallstattien (14 m x 7,50 m) de Barbey en
Seine-et-Marne (Gouge, 2005).

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5. Plan et photographies des différents états du bâtiment 4.

a. État 3 : US 2359 ; b. Superposition des états : US 2359 et US 2360 (sol jaune) ; c et d. États 1 et 2 :
US 2357, 2360 et rangées de piquets et de poteaux.
© C. Gaston, Inrap

10 Le premier bâtiment édifié offre un espace divisé en trois travées inégales. La travée
centrale abrite un foyer placé sur son axe de symétrie. Le foyer, même s’il peut aussi se
rencontrer adossé à une paroi, est souvent placé au centre du bâtiment (Curdy, 1993).
Cette travée de plan carré (5 m x 5 m) forme le châssis de base de toute la structure :
quatre poteaux en assurent l’ossature à portique, contre laquelle deux poteaux faîtiers
viennent s’appuyer, comme semble l’indiquer le léger décalage de ceux-ci. Ces
constructions à faîtière porteuse impliquent que ce type d’ossature supporte une
construction élaborée selon les axes longitudinaux : on dresse d’abord les alignements
de poteaux porteurs coiffés de la faîtière et des sablières, puis les chevrons disposés
librement viennent réunir les trois ou cinq lignes de supports (Buchsenschutz, 2005).
Cependant, il est préférable de relier en premier les têtes de poteaux par l’entrait avant
de mettre en place les chevrons. Un prolongement d’un mètre vers l’est de ces deux
tierces structurelles nord et sud est matérialisé par deux poteaux supplémentaires. Le
pendant de ce prolongement à l’ouest n’est pas attesté, sauf par un seul trou de poteau
dans l’axe du portique nord, mais qui semble un peu trop éloigné. Au nord de cette
travée, une abside ferme le bâtiment, comme dans la plupart des édifices mis au jour
sur le site, tandis qu’au sud une travée égale à la moitié de la travée centrale pourrait
soit constituer une toiture en pavillon, soit former un « porche » couvert. La façade de
cette travée sud est matérialisée plus particulièrement, au sud-ouest, par le reste d’un
angle de muret en pierre sèche : il s’agirait là du vestige ténu d’un aménagement lié au
terrassement de nivellement du bâtiment, le sol en argile nécessitant d’être légèrement
surélevé à l’ouest et au sud-ouest, tout comme sa mise en place nécessitait d’entailler la
pente de la combe à l’est. Il est difficile d’établir un phasage entre les différents

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éléments clôturant l’espace interne de l’édifice : une succession de parois est visible à
l’est. Le premier mur est matérialisé par une tranchée d’une vingtaine de centimètres
de largeur, limitant le sol en argile : ponctionnée de petits trous de piquets sur son côté
ouest, elle montre aussi des traces de bois sur solin en cailloutis dans sa partie nord. On
peut envisager l’hypothèse d’une première paroi sur sablière basse calée par les piquets
dont la présence sur le côté ouest serait peut-être liée aux problèmes de stabilisation du
terrain (Buchsenschutz, 2005). La seconde séparation, située à une cinquantaine de
centimètres à l’ouest de la précédente, est constituée d’une ligne irrégulière de petits
trous de piquets, servant sans doute de support à un clayonnage : il n’est pas exclu qu’il
s’agisse là d’un élément non structurel (comme une banquette, par exemple, ce qui est
proposé notamment à Sorgenti della Nova en Italie, pour des bâtiments datés du Bronze
final/début de l’âge du Fer, Domanico, 2005). Enfin, une série de poteaux s’alignent
entre les poteaux latéraux des tierces nord et sud, avec des vestiges d’empreintes de
bois les reliant : s’agit-il là encore de parois sur sablières ? Ces parois sont-elles toutes
contemporaines, ou participent-elles de différents remaniements, peut-être en relation
avec des problèmes successifs de poussée, de ruissellement et de colluvionnement liés à
la pente du terrain ? Qu’elles fonctionnent en même temps reste cependant une
hypothèse envisageable. À Antran dans la Vienne, une hypothèse a été proposée pour
les trois parois successives : poteaux internes supportant la charpente, puis piquets de
soutien d’un clayonnage formant la paroi du bâtiment, puis poteaux de support de la
rive de toiture débordante. Cette configuration pourrait s’appliquer au bâtiment 4
(Pautreau, 1988). On sait cependant qu’un deuxième état du bâtiment existe, puisque
les tranchées et le sol en argile sont dans un deuxième temps recouverts à l’est par une
sablière posée contre un muret de pierre sèche, lequel sert de soutènement (et de
drainage ?) à l’entaille du substrat.
11 Trois échantillons micromorphologiques ont été prélevés dans les dépôts liés à cette
occupation hallstattienne. Deux d’entre eux recoupent le revêtement de sol argileux et
la couche qui le recouvre. Leur étude a mis en évidence la présence de nombreux
témoins de combustion (charbons, os et fragments de sol brûlés) dans la couche
surmontant le placage d’argile. Ce dernier correspond plus précisément à un amalgame
d’argile gris-jaune comparable à celui du revêtement de sol du bâtiment 3. Il repose sur
un horizon pédologique défriché par brûlis. Le sol du bâtiment semble avoir été refait à
plusieurs reprises, par l’apport de nouvelles chapes argilo-carbonatées piégeant des
résidus d’occupation tels que cendres, charbons ou fragments de poterie. Dans la
couche sus-jacente (2114), l’abondance des charbons, des agrégats argilo-humiques
carbonisés et des fragments de mortier argilo-micritique suggère la destruction par le
feu d’une structure en bois et en terre.

Le bâtiment 5
12 Au centre du village, un bâtiment avait une structure et une fonction particulière
[ill. 6]. Cet édifice, identifiable comme un atelier, est très difficilement restituable en
détail. Une bipartition en deux travées proche du carré apparaît nettement : la moitié
sud, caractérisée par les murets de pierres sèches et par deux poteaux, serait en grande
partie abritée par des parois pleines, alors que la moitié nord, plus légère, pourrait être
ouverte sur les côtés. Dans chaque espace se trouve un foyer. Au sud, le foyer, non
aménagé, est posé sur une couche cendreuse et charbonneuse, tandis que le foyer situé

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au nord est bordé par trois pierres sur chant au milieu desquelles passait une tuyère.
Son aire de chauffe est constituée d’un radier de petites pierres sur lesquelles est
plaquée une couche d’argile cuite formant la sole qui repose sur un sol en argile jaune.
Lors de la fouille, de nombreuses battitures et coulées de bronze ont été recueillies à
proximité de ce dernier, démontrant qu’à cet endroit étaient travaillés aussi bien le fer
que les alliages cuivreux.

6. Plan de l’atelier poly-métallique.

Les découvertes concernant les ateliers dont l’activité est liée au travail du métal sont très rares pour
cette période, car elles sont difficilement identifiables et, dans la plupart des cas, il ne subsiste que la
structure légèrement enterrée qui, sur le site de « la Peute Combe », correspond à la moitié sud du
bâtiment.
© C. Gaston, Inrap

Le bâtiment 6
13 Le bâtiment 6 n’est conservé que sur un tiers de sa surface, vers l’est [ill. 7]. Il présente
un plan à abside au nord. Un solin en cailloutis et des traces de bois, sur une largeur de
15 cm à 20 cm, délimitent le sol en argile. Au sud de l’édifice, l’angle est de sa façade est
marqué par trois poteaux. Deux d’entre eux forment à l’évidence des poteaux corniers,
le troisième, plus à l’ouest, pourrait constituer le montant de la porte axiale (largeur de
passage de l’ordre de 80 cm) du bâtiment, si l’on applique un principe simple de
symétrie. On peut d’ailleurs tenter de restituer l’emplacement de la paroi ouest par
symétrie. La structure porteuse interne pourrait être matérialisée par une paroi au
nord (large saignée dans le sol en argile [US 2434], trous de poteaux à l’est complétés
éventuellement par un poteau symétrique à l’ouest assurant la présence d’un portique),
un portique à deux poteaux au sud, et entre les deux, un poteau central soulageant
peut-être la faîtière. Le plan et la structure rappellent ceux de Nola (Livadie, 2005,

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maison 4) car nous avons en effet ici un bâtiment à abside, de 5,50 m de large pour
12,5 m de long. Les trois divisions internes se retrouvent dans la maison de Nola, avec
notamment un cloisonnement plus « épais » juste avant l’abside, comme on pourrait
l’envisager ici. Il n’est pas exclu par ailleurs que, comme à Nola, les rares poteaux
internes n’aient joué qu’un rôle mineur « d’accompagnement » de la structure
porteuse, le mur périphérique assurant la stabilité de l’ensemble (Livadie, 2005).

7. Plan du bâtiment 6.

Une étroite tranchée curviligne (US 2247), visible sur le sol en argile, pourrait correspondre à un
aménagement interne, ou à un deuxième état de construction. Dans l’hypothèse de ce deuxième état,
le nouveau bâtiment serait plus petit.
© C. Gaston, Inrap

Le bâtiment 7
14 Le bâtiment 7, de 7 m x 13,5 m, présente sans doute deux états [ill. 8]. Le premier voit la
mise en place d’un sol en argile, délimité par des parois dont la nature reste
indéterminée : aucune trace de celles-ci n’ayant été retrouvée, leur restitution s’appuie
sur des effets de parois le long du sol en argile et de l’empierrement (muret de
soutènement ?) à l’est, ainsi que sur la présence de pierres de calage et d’un
cloisonnement interne. Une abside, marquée par un alignement ténu de pierres,
fermerait ce premier bâtiment au nord. On voit que la plupart des bâtiments du site
présentent au moins une abside. La structure de celui-ci est un châssis de bois à trois
travées, la travée centrale, elle-même subdivisée en deux dans sa moitié est, abritant le
foyer. Une paire de poteaux plus rapprochés semble constituer un renforcement de la
faîtière au nord, avant le passage à l’abside supposée. La mise en place d’un nouveau sol

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en argile, visible au nord-est de l’abside, marque un réaménagement, peut-être limité à


l’abside, de l’espace interne du bâtiment.

8. Plan du bâtiment 7.

Une série de trous de piquets et de poteaux ainsi qu’une tranchée transversale (US 2639) percent le
sol, matérialisant une structure à abside.
© C. Gaston, Inrap

Les autres traces de sols en argile sur le site


15 Plusieurs sols en argile ont été observés à divers endroits sur le site, mais, comme ils
sont très altérés, ils n’apportent que peu de renseignements sur les structures
auxquelles ils sont liés.
16 Le bâtiment 8 n’est délimité que par son creusement dans le substrat à l’est. Le plan
ovalaire est donc très hypothétique, tout comme la dimension en largeur de l’édifice. Ce
qui est assuré, c’est la présence de deux états de sol : d’abord un sol en argile, puis la
mise en place d’un plancher, comme l’indiquent les encastrements de lambourdes, ce
qui est exceptionnel, puisque la présence de planchers dans les bâtiments reste rare
pour cette période.
17 Le bâtiment 12 n’est conservé que sur le quart nord-est de sa surface. En effet, il
pourrait être bâti selon un plan circulaire ou ovalaire, comme le suggère le tracé
curviligne du lambeau de sol argileux conservé, et la position centrale du foyer mis en
évidence : dans ce cas de figure, ses dimensions seraient de l’ordre de 5 m de large pour
6 m de long. Sa fonction reste imprécise, mais il pourrait être lié au bâtiment 4 dans la
deuxième phase de celui-ci.

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18 Dans le bâtiment 13, fortement détruit par un puits gallo-romain, la seule trace d’un sol
en argile jaune a été mise en évidence près de la seconde plaque foyère dont l’activité
était liée à la métallurgie et la forme rappelait celle découverte dans la partie nord de la
forge.
19

Les découvertes de sol en argile sur les sites protohistoriques sont très rares et le plus
souvent peu décrites ou peu publiées, ce qui rend les comparaisons difficiles. Les
analyses des lames minces déjà réalisées nous renseignent sur la nature et la mise en
place de ces sols et montrent une uniformité dans la fabrication de ces chapes
argileuses et dans la manière de les poser sur un sol défriché et épierré. La présence
d’interruptions correspondant à des sablières basses démontre que la réalisation du sol
est effectuée en fin de construction, lorsque l’armature principale du bâtiment est en
place. Des rechapages sont effectués à plusieurs reprises, au moins dans le bâtiment 4.
La présence de piquets ou de poteaux secondaires traversant le sol indique en revanche
qu’il est antérieur à l’aménagement interne des cloisons. Par manque de comparaisons
avec d’autres sites de la même période, ces premières interprétations restent limitées.
Les analyses complémentaires sur les lames minces non encore étudiées devraient
apporter des renseignements sur les constructions mixtes associant terre crue et bois.
L’absence de phytolithes qui amène à écarter l’hypothèse de cloisons en torchis et de
toits de chaume sera peut-être remise en question.

BIBLIOGRAPHIE
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Somme », in Buchsenschutz O., Mordant C., Architectures protohistoriques en Europe occidentale du
Néolithique final à l’âge du Fer, Actes du 127e congrès de Nancy (15-20 avril 2002), Paris, éditions du
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Buchsenschutz O., 2005, « Du comparatisme à la théorie architecturale », in Buchsenschutz O.,


Mordant C., Architectures protohistoriques en Europe occidentale du Néolithique final à l’âge du Fer,
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Curdy P. et al., 1993, « Brig-Glis/Waldmatte, un habitat alpin de l’âge du Fer, fouilles


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Domanico L., 2005, « Tradition et innovation dans l’architecture de l’âge du Bronze final et du
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Gouge P., 2005, « L’architecture des habitats protohistoriques dans la région du confluent Seine-
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Labeaune R., Alix S. (dir.), 2014, Talant, Plombières-les-Dijon, Côte-d’Or, Bourgogne, Peute Combe, les
Vaux Bruns. Découvertes d’un établissement rural gallo-romain et d’un hameau à vocation artisanale du
ve siècle avant J.-C., rapport d’opération, Inrap-SRA Bourgogne, 6 vol. (418, 482, 29, 186, 519, 374 p.).

Livadie C.-A. et al., 2005, « Sur l’architecture des cabanes du Bronze ancien final de Nola (Naples-
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CTHS, p. 487-512.

Pautreau J.-P., 1988, « La Croix-Verte à Antran (Vienne) », in Audouze F., Buchsenschutz O.,
Architecture des âges des métaux : fouilles récentes, Paris, Errance, « Archéologie Aujourd’hui,
Dossiers de protohistoire n° 2 », p. 47-53.

Sordoillet D., 2009, Géoarchéologie de sites préhistoriques. Le Gardon (Ain), Montou (Pyrénées orientales),
et Saint-Alban (Isère), Paris, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, « Documents d’archéologie
française, 103 », 188 p.

NOTES
1. Fouille réalisée sur une surface de 8 000 m² en 2009, sous la direction de Régis Labeaune, Inrap.

RÉSUMÉS
Lors des travaux concernant le contournement routier nord de Dijon, un habitat stratifié du
Ve siècle avant notre ère a été mis au jour sur près de 8000 m² dans une combe bordant la vallée
de l’Ouche. L’exceptionnelle conservation des vestiges (niveaux de sols en terre battue, foyers,
seuils des maisons…) s’explique par l’érosion des pentes qui a recouvert rapidement le site sous
presque 1,50 m de colluvions, le préservant des labours et de toute autre destruction. Au centre
de ce petit village, constitué de quatorze maisons à absides réparties régulièrement dans la
combe, se trouvait une forge dans laquelle étaient fabriqués des fibules, des agrafes de ceinture et
du mobilier de toilettes (pince à épiler, scalptorium…).

A stratified settlement dated to the fifth century BC was uncovered over an area of nearly
8000 m² in a coomb on the edge of the valley of the Ouche during excavations undertaken in
advance of roadworks on the northern Dijon ringroad. The exceptional state of preservation of
the remains (rammed earth floors, hearths, sills) is owed to the erosion of the valley slopes which
rapidly covered the site with almost 1.50 m of colluvium, thus sparing it from being destroyed by
ploughing or other disturbances. In the middle of this little village, consisting of fourteen houses
with rounded ends spread regularly over the coomb, there was a forge which produced fibulae,
belt hooks, and toiletry implements (tweezers, scalptorium, etc.).

Durante obras en la circunvalación carretera norte de la ciudad de Dijon se encontró un hábitat


estratificado del siglo V antes de nuestra era, el cual estaba situado sobre una superficie de cerca
de 8 000 m², en una cañada que bordea el valle del río Ouche. La conservación excepcional de los
vestigios (niveles de suelo de tierra batida, fogones, umbrales de las viviendas, etc.) se explica por
la erosión de las pendientes que recubrió rápidamente el sitio con 1,5 m de coluviones,

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protegiéndolo así de las labranzas y de cualquier otro tipo de destrucción. Al centro de esta
pequeña aldea de catorce casas con ábsides, repartidas regularmente en la cañada, se encontraba
una herrería donde se fabricaban fíbulas, ganchos de cinturón y mobiliario de aseo (pinza de
depilación, scalptorium, etc.).

INDEX
Mots-clés : Habitat stratifié, Ha D3, construction en terre cuite, métallurgie du bronze et du fer,
Bourgogne
Keywords : stratified settlement, Hallstatt D3, fired earth structures, bronze and iron
metalworking, Burgundy
Palabras claves : Hábitat estratificado, Ha D3, construcción de barro cocido, metalurgia del
Bronce y del Hierro, Borgoña

AUTEURS
RÉGIS LABEAUNE
Inrap, UMR 6298, « ARTeHIS »

CHRISTOPHE GASTON
Inrap, UMR 6249, « Chrono-environnement »

DOMINIQUE SORDOILLET
Inrap, UMR 6249, « Chrono-environnement »

Archéopages, 42 | 04-07/2015
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Terre et peinture à l’époque


romaine
Pratiques architecturales et décoratives en Gaule romaine mises en
évidence par l’analyse toichographologique
Earth and paint in the Roman period. Architectural and decorative practices in
Roman Gaul revealed by the analysis of painted plaster
Barro y pintura en la época romana. Prácticas arquitectónicas y decorativas en
la Galia romana reveladas gracias al análisis de grafología mural

Julien Boislève

1 Appréhender l’usage architectural du matériau de construction que constitue la terre


sous l’angle de l’enduit mural d’époque romaine peut sembler une gageure tant la
technique même du décor à fresque découle de la mise en œuvre de la chaux sous la
forme de mortier. Néanmoins, l’évolution des méthodes de fouille et d’enregistrement
des données, parallèlement à celle des analyses, et l’attention croissante portée aux
enduits peints et à leur étude permettent un dialogue plus précis entre sources
antiques, vestiges d’architectures en terre abordés par l’archéologie, restitution des
élévations et indices des modes de construction enregistrés par l’étude
toichographologique. Concernant l’usage de la terre en lien avec le décor peint, trois
aspects peuvent être ici approchés : l’emploi même de ce matériau comme peinture,
celui mis en évidence dans la réalisation de son support, c’est-à-dire l’enduit et ses
techniques de pose, et, de manière plus indirecte, l’architecture de terre révélée par
l’étude de ce mobilier archéologique, notamment par l’observation des revers.

La terre comme pigment


2 Le mot même de terre reste relativement imprécis du point de vue géologique,
désignant de manière large une formation meuble à granulométrie fine (Foucault,
Raoult, 2005). De par leurs composants constitutifs, ces sédiments présentent une vaste
gamme de coloration, le plus souvent naturelle, qui a très tôt intéressé l’art et

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l’artisanat décoratif pour la réalisation de peinture. La terre, ou plutôt les terres,


fournissent donc une bonne part des pigments employés à fresque sur les peintures
murales de l’époque romaine, d’autant que les minéraux, comme le souligne déjà Pline
dans son Histoire Naturelle, résistent beaucoup mieux à ce qu’il appelle l’amertume de la
chaux qui corrompt toutes les couleurs végétales, et présentent donc un avantage
technique en plus de l’intérêt de leur coloration.
3 Les textes antiques, notamment ceux de Vitruve et de Pline, constituent justement une
source non négligeable sur l’emploi, la provenance, l’extraction et la mise en œuvre de
ces terres colorantes. Ils ont été maintes fois commentés mais demeurent une
documentation assez précise qui peut désormais être plus facilement mise en parallèle
avec les découvertes archéologiques, à la faveur notamment du développement des
analyses. Ainsi, les ocres, terres rouges, brunes ou jaunes colorées par la présence
d’oxydes de fer (hématite et goethite principalement) sont les plus largement
employées en peinture du fait de leur évidente abondance et de leur facilité d’accès
[ill. 1]. Les gisements sont en effet nombreux, y compris en Gaule où les carrières du
Roussillon, près d’Apt, sont par exemple déjà exploitées. Toutefois, les auteurs latins
rappellent qu’il existe bien des qualités différentes et que leur coût varie
considérablement. Ainsi, le sil, identifié par la plupart des traducteurs comme de l’ocre
jaune, est vendu deux deniers la livre s’il vient d’Attique et seulement un peu plus de
deux sesterces s’il s’agit de celui extrait en Gaule (Augusti, 1967 ; Barbet 1990). Ces
mentions traduisent un véritable commerce des pigments et une réputation de certains
gisements pour la qualité de matériau qu’ils fournissent. Certains sont même
recherchés comme palliatif économique des pigments de très haute valeur comme le
cinabre, un minerai rare et qui nécessite une transformation complexe. Pline (Pline
l’Ancien, 2002, XXXV, 14) mentionne ainsi la terre de Lemnos dont la couleur approche
du vermillon. Si elle est moins coûteuse, elle est tout de même vendue cachetée et sert
également à falsifier le cinabre pour en diminuer le coût.

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1. L’ocre jaune, chargée de goethite, subit sous l’action du feu une modification de teinte qui la
transforme en ocre rouge. Vitruve mentionne clairement cette pratique pour la production de terre
rouge. On l’observe aussi de manière accidentelle, comme ici à Arles, lorsque les flammes d’un
incendie ont léché la paroi peinte en jaune.

© J. Boislève, Inrap/MDAA

4 Les terres vertes sont assez révélatrices de ce commerce, parfois lointain et illustré tant
par les sources littéraires que par les témoignages archéologiques. Elles appartiennent
à la famille des argiles avec deux variantes principales, selon qu’il s’agit de glauconies
ou de céladonite. Si les premières sont assez facilement accessibles en Gaule, la seconde
est toujours d’importation avec deux zones géographiques d’extraction identifiées par
analyse, à Chypre dans le massif de Troodos et, en Italie, soit dans le Monte-Baldo près
de Vérone, soit dans le Val di Fassa (Delamare, 1987). La spectrométrie Raman 1 permet
souvent d’établir non seulement la nature de ces pigments mais également leur origine.
La céladonite n’apparaît à ce jour que sur un nombre restreint de sites où elle
accompagne généralement des décors de haute qualité au sein d’habitats luxueux. La
relative rareté du pigment et son origine lointaine en font un matériau coûteux réservé
à certains bâtiments de haut standing. Ainsi, à Narbonne, au Clos de la Lombarde
(Coupry, 1994), l’analyse met en évidence une terre provenant de Monte-Baldo ou de
Chypre tout comme à Léro. Plus récemment, une boulette de pigment trouvée à Nîmes
sur la fouille du parking Jean-Jaurès2 a également été identifiée comme étant de la
céladonite. Sur le même site, trois décors au moins présentaient des fonds de ce riche
vert souvent additionné de bleu égyptien3 (Boislève et al., 2011b). Deux d’entre eux
accompagnent des sols à mosaïques polychromes, dont un pavement de près de 35 m²
représentant l’épisode mythologique de la mort de Penthée dans une pièce d’apparat
d’une des plus luxueuses domus de ce quartier.

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La terre et l’enduit, une variété de pratiques


5 Si la terre est, en matière de peinture, une source de pigment très largement employée,
elle entre aussi en compte comme matériau de construction lié à l’enduit ou constitutif
de celui-ci. L’enduit de finition en terre augmenté d’un décor peint est désormais bien
avéré pour les périodes préromaines (Barbet, 2008 ; Chazelles, 1995), même si les
témoins, du fait de la fragilité de ce matériau, en demeurent épars et peu nombreux. Le
plus ancien, qui reste une découverte unique, est signalé à Beaumont-sur-Vesle (Marne)
dans le cadre d’un diagnostic (Vanmoerkeke, Burnouf, 2006). D’importants fragments
de torchis rubéfiés conservent un décor à champs blancs et rouges daté de l’âge du
Bronze. Les découvertes se font plus nombreuses pour la période couvrant l’âge du Fer,
à Vix, Bourges, Lattes, Les Baux-de-Provence ou encore Nîmes parmi d’autres. Le décor
n’est jamais parfaitement caractérisé faute de surfaces conservées suffisantes. En
revanche, les analyses du support, notamment à Bourges (Cammas, 2007) ou à Vix
(Allag, Coutelas, 2011) montrent l’emploi d’une argile ou d’un limon carbonaté mais
surtout l’absence de chaux intentionnellement ajoutée dans le support. À l’inverse, une
récente analyse de quelques fragments de La Tène ancienne, à Pasly (Aisne), traduit
l’ajout volontaire de chaux à l’argile (Groetembril, 2014). L’enduit de terre est donc une
pratique ancienne qui ne disparaît pas totalement avec l’apport des techniques
romaines, même si elle est fortement supplantée par le mortier de chaux et la peinture
à fresque. On observe ainsi depuis quelques années, et à la faveur d’une attention plus
importante portée aux décors peints lors des fouilles, la présence récurrente de
peintures sur terre [ill. 2]. Fragile, difficile à dégager et à prélever, ce mobilier
archéologique reste délicat à appréhender et ne permet jamais, jusqu’à ce jour, de
reconstitutions conséquentes des décors. Il apparaît toutefois que cette pratique est
privilégiée, à la période romaine, pour les décors des plafonds. En effet, dans les
quelques cas où il est incendié et où la terre est indurée, on perçoit au revers de
l’enduit des empreintes de lattis ou de roseaux qui signent son accrochage en
couvrement de pièce. Son association à des enduits muraux sur mortier, dans des
effondrements en place, permet également de prouver sa situation en plafond comme à
Arles4 [ill. 3] (Boislève, 2014), à Nîmes (Boislève et al., 2011a) ou à Die 5 (Ronco, 2014 ;
Boislève, Ronco, à paraître) par exemple. Dans tous les cas identifiables, il s’agit d’une
terre fine recouvrant un support de roseaux ou de lattis de bois. La terre doit ici être
appréciée pour sa plasticité qui permet d’épouser et de pénétrer le support irrégulier
aménagé afin de garantir une bonne adhérence de l’enduit.

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2. Mises en évidence à la faveur d’une fouille fine, les peintures sur terre correspondent souvent à
des plafonds où le pigment bleu, abondant, est posé sur une fine couche d’argile, ici (Nîmes,
parking Jean-Jaurès) jaune. Un badigeon blanc correspond à un décor postérieur.

© J. Boislève, Inrap

3. À Arles sur le site de la Verrerie, l’effondrement en place confirme la situation de la peinture en


plafond. Le décor sur terre est piégé sous l’enduit mural effondré en grandes plaques. Dégagé sur
des grandes surfaces, il révèle un décor au-delà du simple fond uni avec des compartiments à
bande rouge vermillon.

© J. Boislève, MDAA

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6 En surface, une mince couche d’argile assure généralement un épiderme qui permet un
lissage fin, à l’image de la couche de chaux ou de poudre de marbre qu’on observe sur
les enduits de mortier. Le pigment est appliqué directement sur cette couche de terre,
loin donc de toute prise à fresque, ou sur un fin badigeon de chaux intermédiaire. Cette
pratique, qui correspond à des décors où prédominent les fonds bleu égyptien, cohabite
chronologiquement avec d’autres réalisés sur mortier. De même, on observe son usage
du ier siècle avant notre ère, comme à Arles sur le site de la Verrerie, et au moins
jusqu’au début du iie siècle à Nîmes. Il ne s’agit donc pas d’une évolution technologique
progressive où le mortier supplanterait la terre qui resterait employée un temps aux
débuts de la conquête, mais bien d’une technique mise en œuvre pour ses qualités
propres à certains contextes architecturaux ou à certains types de décors et
notamment à l’application de certains pigments. Sans constituer la totalité du support
de l’enduit, la terre intervient aussi fréquemment en couche de préparation pour la
fixation des mortiers en plafond [ill. 4].

4. L’incendie des pièces de bois des plafonds, poutres et solives a cuit la terre qui en a conservé
l’empreinte. Sur ces fragments de plafond, à Mané-Véchen (Morbihan), un enduit de terre était
appliqué sur un clayonnage de baguettes et de lattes fixées aux solives (à gauche). Sa surface était
ensuite striée au peigne pour permettre l’accrochage des couches de mortier (à droite).

J. Boislève, CEPMR-APPA

7 Plus inattendu est l’emploi de la terre en couche de finition sur un enduit de mortier,
c’est-à-dire celle qui est la plus finement lissée afin de recevoir la peinture. Nous n’en
connaissons à ce jour qu’un exemple en Gaule, découvert à Arles sur le site de la
Verrerie [ill. 5] mais un cas similaire a été observé à Brescia en Italie. Bien que cette
couche de terre fine et homogène ait engendré une très mauvaise conservation du
décor, il apparaît que celui-ci est une nouvelle fois à dominante bleu égyptien, ce qui
interroge sur un éventuel emploi privilégié de la terre en lien avec ce pigment. À ce
stade, il est difficile de percevoir l’intérêt de cette technique qui, en l’absence de chaux

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dans la couche de finition, annule de fait les effets de fixation durable du pigment liés à
la fresque. La terre peut-elle par exemple constituer un palliatif d’une poudre de
marbre qu’il aurait été difficile de se procurer à un moment donné ? Offre-t-elle des
caractéristiques techniques qui permettent de mieux étaler un pigment bleu qui ne se
dissout pas et conserve une granulosité importante ?

5. Sur cet enduit du site de la Verrerie à Arles, le support de mortier est complété par une couche
d’épiderme constituée d’une argile grise sur laquelle est appliqué le pigment. La présence d’un
décor figuré sur un fond bleu cerné de vermillon indique qu’il ne s’agit pas d’une pratique à
l’économie et qu’il faut plutôt chercher dans son emploi une qualité technique.

© J. Boislève, Inrap/MDAA

8 C’est encore le mode de fixation de l’enduit sur une architecture de terre que l’on peut
évoquer par l’analyse des revers du mortier. En effet, la pose de l’enduit nécessite son
application sur une surface relativement rugueuse pour permettre son accrochage. Si
les murs maçonnés en moellons ou en brique présentent les aspérités nécessaires, ceux
en terre et en bois offrent une surface trop lisse qui implique une préparation de la
paroi pour recevoir l’enduit. Plusieurs techniques sont observées même si les incisions
rectilignes disposées en chevrons sont les plus fréquentes [ill. 6]. Les rangs de lignes
brisées, plus ou moins régulières, peuvent être disposés aussi bien verticalement
qu’horizontalement, les deux sens cohabitant même parfois sur une seule paroi.
Certains revers aux traces particulièrement régulières et disposées en bandes de même
largeur ont pu faire penser à l’emploi de rouleaux, sortes de molettes gravées qui
laisseraient sur la terre humide les reliefs permettant l’accrochage de l’enduit.
L’hypothèse a notamment été avancée à Paris où plusieurs décors livrent des
empreintes en forme de petits losanges inscrits de dimensions standardisées qui
évoquent un estampage, mais développé ici sur une couche de mortier et non sur la
terre (Eristov, Robin, 2011). On note aussi des traces en sinusoïdes, obtenues à l’aide

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d’une sorte de peigne dentelé et non pas de la main comme le suggèrent encore
quelques publications. Le piquetage, généralement réservé à la pose d’un nouvel enduit
sur un précédent, peut également être observé sur un mur en terre, comme à Nîmes sur
l’un des décors du parking Jean-Jaurès. Il laisse au revers de l’enduit de petites
proéminences caractéristiques de ce procédé.

6. Au revers de l’enduit, les stries en chevrons marquent le négatif des incisions pratiquées sur un
mur de terre pour garantir l’adhérence du mortier. Le sens des chevrons et la régularité des
incisions sont variables. Ici à Nîmes, parking Jean-Jaurès, les traces sont particulièrement
régulières.

© L. Duflot, Inrap

L’enduit, révélateur de l’architecture en terre


9 Au-delà de l’observation des techniques d’emploi de la terre mises en évidence dans la
réalisation de l’enduit, c’est l’apport en termes de restitution architecturale qui livre le
plus d’informations sur l’usage de ce matériau. Couvrant le plus souvent toute
l’élévation d’une pièce, des murs au plafond, l’enduit constitue un véritable moulage
des volumes de ces espaces, comme l’épiderme d’une architecture. Matière à la
plasticité plus ou moins prononcée, l’enduit, qu’il soit de mortier ou de terre, épouse
son support avec souvent suffisamment de finesse pour en conserver l’empreinte. Dès
lors, l’observation du revers des peintures apporte une série d’indices permettant de
caractériser la nature du mode de construction adopté pour les murs et les plafonds.
10 Dans le cas d’une construction en terre, l’élévation a le plus souvent disparu par le
pourrissement des matériaux périssables qui en constituent la structure de bois, par la
fonte de la terre sous l’action de l’eau ou encore par l’évacuation volontaire des
matériaux liée à la récupération des pierres à la base d’un mur. L’enduit, plus résistant

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et moins intéressant en termes de récupération de matériaux, devient donc un indice


précieux pour identifier une construction à base de terre. Si les traces d’accrochage au
revers révèlent la nature du matériau employé, en l’occurrence les chevrons ou
sinusoïdes pour la terre, le type exact de mise en œuvre reste souvent difficile voire
impossible à préciser. En effet, la surface d’un mur en terre banchée comme celle d’une
paroi en bauge ou en adobe ne présente pas de traces suffisamment explicites pour
différencier ces trois cas. Les incisions destinées à assurer l’adhérence de l’enduit et
pratiquées sur ces murs ou sur un enduit de terre intermédiaire sont les mêmes.
11 Lorsqu’il s’agit de constructions en torchis sur armature de bois et clayonnage,
l’incendie des structures permet dès lors, par cuisson de la terre, de conserver toutes
les couches en lien avec l’enduit et d’y lire l’empreinte des éléments périssables. Ainsi, à
Eckbolsheim6 (Bataille, 2014), l’analyse des peintures (Brunet-Gaston, 2011) met en
évidence toute la structure à colombages avec hourdis de torchis sur clayonnage qui
constituaient les parois de cette pièce semi-enterrée d’une villa. La lecture, en parallèle,
du décor et des revers permet de replacer les éléments et de définir précisément le
mode de construction. Des dés en grès, conservés en place dans la pièce, constituent
l’ancrage de poteaux de bois dont l’enduit conserve le profil circulaire et le diamètre
s’établissant à 20 cm. Entre ceux-ci, la zone inférieure présente une sablière basse
surmontée d’un renfort en croix de Saint-André supportant un bardage à clins. Au-
dessus, des panneaux à clayonnage d’éclisses servent de support au torchis. La surface
de celui-ci est striée au peigne pour accueillir un torchis plus fin en couche
préparatoire de l’enduit.
12 Le même type d’observations est valable à Entrains-sur-Nohain 7 où l’enduit est encore
adhérent au support de terre rubéfiée qui conserve les empreintes de la structure de
bois constitutive des parois [ill. 7]. Celle-ci présente une armature de montants et de
traverses de bois à face plate entre lesquels prennent place des clayonnages à baguettes
de bois ou d’osier de sections circulaires de 1 à 2 cm de diamètre. La disposition des
clayonnages, parallèlement ou perpendiculairement aux pièces de bois à face plate
(leur probable section carrée ne peut être assurément restituée), autorise à restituer
une structure à assemblage de poutres verticales et horizontales. Le clayonnage se situe
en retrait par rapport à la surface des montants de bois. L’ensemble est recouvert de
deux couches de torchis et trois couches de mortier. La première couche de terre,
épaisse d’environ 2 cm, permet de rattraper le décalage entre clayonnage et montants
de bois. Elle est striée au peigne, en mouvements sinusoïdaux, pour faciliter
l’adhérence d’une seconde couche de terre, d’une épaisseur équivalente, qui offre une
même surface de terre sur l’ensemble de la paroi, recouvrant donc aussi les montants
de bois. La surface est striée selon le même procédé mais cette fois pour l’accrochage du
mortier constituant la couche de préparation de l’enduit.

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7. Entrains-sur-Nohain, rue Romaine. Les enduits brûlés conservent un support de terre permettant
de rétablir une paroi à pans de bois et remplissage de clayonnage (A). Quelques fragments
prouvent la disposition à angle droit des poutres du pan de bois (B). Le torchis est passé en deux
couches (C), chacune étant striée au peigne pour l’accrochage de la couche de terre suivante ou de
l’enduit (D).

© J. Boislève, Inrap

13 Le mur en terre et bois peut être directement implanté au sol ou posé sur lui comme
pour des petites cloisons internes telles que nous pouvons en restituer dans une pièce
de la grande domus du quartier Clérisseau à Nîmes 8 (Cayn, 2011 ; Boislève, Cayn, 2012 ;
Boislève, Cayn, 2013). Le sol de béton lissé a été posé sur une large surface ensuite
subdivisée en trois pièces par l’ajout de cloisons de terre non fondées. Mais le plus
souvent, pour pallier les risques de dégradation liée aux remontées d’humidité, la paroi
de terre se développe au-dessus d’un soubassement maçonné ou mur-bahut. La
reconstitution de grandes plaques de peinture permet souvent de lire au revers de
l’enduit les empreintes différentes entre soubassement maçonné et élévation de terre.
Le passage de l’un à l’autre peut être observé et, lorsqu’il n’est pas conservé, la hauteur
du mur-bahut restituée. Elle peut être assez variable selon les régions mais aussi selon
la place de la paroi, étant réduite à un simple solin de pierres d’une ou deux assises
dans le cas d’une petite cloison interne. À Nîmes, la fouille du parking Jean-Jaurès a
permis l’exploration partielle de huit îlots d’habitation où l’architecture en adobe sur
soubassement maçonné de moellons est le mode de construction prédominant. Les
décors retrouvés effondrés en place dans de nombreux cas permettent de mieux
appréhender l’élévation des bâtiments. On observe ainsi des pratiques assez normées.
Le mur-bahut atteint en général une hauteur de 40 à 45 cm, représentant trois à cinq
assises et dépassant donc largement le pied de hauteur minimale prescrite par Caton
(Caton, 1975, XVII, 14, 4) pour le soubassement d’un mur de terre. De même, leur
largeur varie selon qu’il s’agit là encore de murs porteurs, en façade notamment, ou de

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cloisons de division interne et de refends. Il apparaît ainsi que les murs porteurs
présentent une largeur de 40 à 46 cm, soit à peu près une coudée, alors que les cloisons
peuvent n’être larges que de 15 à 16 cm. L’enduit permet parfois d’observer un
rattrapage de niveau entre le soubassement et l’élévation en terre. Ainsi, dans une
pièce de l’îlot G (Boislève et al., 2011a), l’enduit marque un angle saillant assez prononcé
entre zone inférieure et zone médiane du décor. La surface de cette dernière se trouve
alors en retrait de 2 à 3 cm par rapport à celle de la zone inférieure. Le revers de
l’enduit indique que ce décalage s’opère au passage entre élévation maçonnée et
construction en terre. Le soubassement de pierre étant manifestement plus large
(25 cm) que les modules de briques d’adobes (estimés à 20 cm), l’artisan peintre a dû
intégrer ce décrochement au décor par un angle soigné évitant d’avoir à poser en zone
médiane une surface trop épaisse de mortier.
14 Dans plusieurs pièces de ce même site, l’effondrement en place des décors a permis une
reconstitution suffisamment importante pour connaître la hauteur précise sous plafond
et prouver même l’existence d’un étage [ill. 8]. Il devient dès lors possible de raisonner
sur la portée des murs de terre en fonction de leur largeur et de vérifier ainsi les écrits
antiques. En effet, Vitruve note qu’il convient de faire un mur d’au moins un pied et
demi d’épaisseur pour soutenir un étage (Vitruve, 2005, II, 8). À Nîmes, plusieurs pièces
de l’îlot C autorisent la restitution d’un étage, prouvé par l’effondrement en place et
simultané de deux décors. Au rez-de-chaussée, la recomposition des peintures rétablit
une hauteur de l’ordre de 2 m confirmée par la présence de graffitis jusqu’à 9 cm sous
la bande marquant le sommet de la paroi. Cette faible hauteur du rez-de-chaussée, qui
s’explique justement par la présence d’un étage, se retrouve dans des proportions
équivalentes dans un autre bâtiment du même site, appartenant à l’îlot E. Dans une aile
de la domus E8, trois pièces en enfilade livrent encore des décors effondrés en place
ainsi que, dans un cas, le sol de béton de l’étage. Le remontage complet de la hauteur du
décor, dans les deux pièces, indique une amplitude sous plafond de 2,01 et 2,07 m. Dans
le cas de ces constructions en adobe, la présence d’un étage impose donc une pièce de
rez-de-chaussée de hauteur très limitée, ce qui n’en fait pourtant pas des pièces
secondaires si on en juge par la présence du décor simple mais d’assez bonne qualité
qui y est développé.

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8. Nîmes parking Jean-Jaurès, l’effondrement en place des décors et parfois même d’un sol de
béton a permis de prouver l’existence d’un étage. Le revers des peintures, aux traces d’accrochage
en chevrons, prouve une construction en terre aussi bien pour les murs porteurs que pour les
petites cloisons de subdivision des pièces et la recomposition du décor livre la hauteur précise de
la pièce au rez-de-chaussée.

© J. Boislève, Inrap

15 Dans ces deux cas, les murs de façade présentent une épaisseur de 40 à 45 cm soit tout
juste le pied et demi indiqué par Vitruve. Le décor de l’étage présentant le même
rythme de panneaux qu’au rez-de-chaussée, il faut encore envisager des pièces du
même ordre de hauteur, soit environ 2 m, hors pignon. Un mur d’adobe de 1,5 pieds de
largeur peut donc offrir une élévation de plus de 4 m. Ce constat se vérifie encore à
Nîmes, sur le site de la percée Clérisseau où une petite cloison interne était effondrée
d’un seul tenant sur le sol de béton. La recomposition du décor rétablit une paroi de
4,80 m de hauteur. Si la cloison de seulement 16 cm d’épaisseur est entièrement en
adobe, les murs porteurs de la pièce présentent un soubassement de pierres surmonté
d’une architecture de terre comme le révèlent les chevrons au revers de l’enduit. La
largeur du mur est de l’ordre de 50 cm. Le rapport généralement admis d’une élévation
pouvant atteindre huit fois la largeur du mur se vérifie donc.
16 Enfin, il faut noter le rôle de l’enduit sur une paroi. Il constitue aussi un mode de
protection et de finition du mur, particulièrement lorsque celui-ci est en terre. Laissé
blanc, comme on l’observe notamment sur des enduits de façade, il assure une couche
protectrice à la fois du mur en terre et des structures en matériaux périssables qui
peuvent le constituer. Mais il joue avant tout un rôle décoratif et permet, selon la
qualité du décor développé, l’embellissement d’une architecture. Dans les premiers
développements de la peinture romaine, sur les décors de Ier et de II e style, on note
d’ailleurs une volonté d’imiter, en stuc et en peinture, une architecture de grande
qualité avec des blocs de grand appareil ou des imitations de placages de marbre. Cet
enduit masque parfois une architecture jugée plus modeste, y compris en terre, et lui
donne l’aspect d’un tout autre standing.
17

Un rapide tour d’horizon des décors peints connus en Gaule fait néanmoins apparaître
d’emblée l’absence de corrélation entre statut social de l’habitat et construction en
terre. C’est bien le décor, selon la complexité des compositions, le raffinement des
motifs ou même le coût des pigments employés, et les aménagements de confort qui
font la richesse des pièces. Ainsi, au ier siècle avant notre ère, les remarquables décors

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de IIe style, par exemple à Glanum ou à Arles, qui sont l’œuvre de peintres qualifiés
venus vraisemblablement d’Italie et usant largement du cinabre, un pigment parmi les
plus coûteux, revêtent des murs en terre sur soubassement de pierre. Et le constat ne se
dément pas au fil de l’époque romaine comme le prouvent la riche peinture au génie
ailée du Clos de la Lombarde à Narbonne et, à Nîmes, celle à l’Apollon citharède sur
fond céladon, développées au iie siècle de notre ère, toujours sur des parois en adobe.
18 Le dialogue entre terre et enduit est donc étroit, celle-ci servant tantôt de support à
l’autre, de matériau constitutif ou même de peinture à proprement parler.
L’archéologie du décor parvient aujourd’hui plus précisément à identifier l’emploi de la
terre au sein des enduits, sans parvenir encore à bien définir les raisons techniques de
tels choix, ce que l’archéologie expérimentale permettra sans doute de mieux cerner.
Les analyses physico-chimiques documentent de plus en plus précisément la mise en
œuvre de ce matériau et devraient permettre à terme de mettre en évidence des
pratiques locales ou de certains ateliers. Mais, d’ores et déjà, la recomposition des
enduits peints offre la possibilité de rétablir les volumes et l’élévation des bâtiments
tout en précisant leur mode de construction. Ils permettent donc de lire une
architecture en terre, fréquente et par nature mal conservée, parfois dans son
intégralité.

BIBLIOGRAPHIE
Caton, 1975, De l’agriculture, Goujard R. (trad.), Paris, Les Belles Lettres (coll. des universités de
France, 220).

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NOTES
1. Méthode d’analyse non destructive basée sur la mesure de la fréquence d’un rayonnement
lumineux. Elle permet la caractérisation de la composition moléculaire d’un matériau.
2. Fouille menée en 2006-2007 sous la direction de J.-Y. Breuil, Inrap, analyse S. Pagès, C2RMF.
3. Un quatrième décor, où la couleur est plus sombre, mériterait une détermination par analyse.
4. Fouille de la Verrerie menée en 2014 et 2015 sous la direction de M.-P. Rothé, musée
départemental Arles antique, avec la collaboration de l’Inrap.
5. Fouille de la place de la Cathédrale / place du Marché menée en 2012-2013, sous la direction de
C. Ronco, Inrap.
6. Fouille du Parc d’activité menée en 2007 sous la direction de Gérard Bataille, Inrap.
7. Fouille de la rue Romaine, menée en 2013 sous la direction de Stéphane Venault, Inrap.
8. Fouille menée en 2008 sous la direction de P. Cayn, Inrap.

RÉSUMÉS
Intimement liées à l’architecture, les peintures murales d’époque romaine constituent un
mobilier archéologique dont l’analyse permet d’observer les modes de construction et de rétablir
les élévations des bâtiments. Ces indices sont particulièrement utiles lorsqu’il s’agit de
documenter une architecture en terre le plus souvent disparue. À Nîmes, à Arles ou encore à
Clermont-Ferrand, la présence d’étages à même pu être prouvée pour des constructions en
adobe. Incendié, l’enduit conserve aussi au revers les couches de terre et les empreintes qui
révèlent le mode de construction des parois à pans de bois, clayonnages ou lattis. Mais au-delà du
mur, la terre entre aussi en jeu dans la composition de l’enduit en lui-même, notamment pour
certains plafonds où on préfère une argile fine à un mortier qui garantirait pourtant une prise à
fresque. Enfin, la terre est aussi, par la variété des teintes qu’elle peut prendre, un pigment utilisé
pour la peinture à fresque. Textes antiques et analyses physico-chimiques révèlent toute la
diversité des gisements, leur exploitation et le commerce parfois lointain qui en est fait.

Roman wall painting, which is closely linked to architecture, is a type of archaeological evidence
that allows us to study building practices and to reconstruct how buildings appeared in elevation.
This information is particularly useful for documenting architectural features made of earth that
have often disappeared. In Nîmes, Arles and Clermont-Ferrand it has even been possible to prove

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that buildings made of adobe had more than one storey. If burnt, wall plaster has layers of soil
and other traces preserved on its reverse, which give indications as to the original composition
of the walls, such as timber panelling, wattle and daub or lattice work. In addition to walls, earth
also comes into play when making the plaster itself, for example on some ceilings where fine clay
was used in preference to mortar, which would however have guaranteed that a fresco stayed in
position. Finally earth, by virtue of its colours, is a pigment used in wall painting. Ancient written
sources and physical-chemical analyses are instrumental in revealing the diversity of deposits,
their exploitation and sometimes long-distance trade in materials.

Las pinturas murales de la época romana, íntimamente relacionadas con la arquitectura,


constituyen un mobiliario arqueológico cuyo análisis permite observar los modos de
construcción, así como reestablecer las elevaciones de las edificaciones. Estos indicios son
particularmente útiles a la hora de documentar una arquitectura de barro, las más de las veces ya
desaparecida. En Nimes, Arles o Clermont-Ferrand, la presencia de plantas ha podido incluso
comprobarse en construcciones de adobe. El revestimiento quemado permitió igualmente
conservar las capas de barro en el revés, así como huellas que revelan el modo de construcción de
las paredes con trozos de madera, encañados o entablados. Pero más allá del muro, el barro entró
también en juego en la composición del revestimiento mismo, especialmente en ciertos techos,
en los cuales se optó por una arcilla fina en vez de por un mortero, lo cual habría no obstante
asegurado una fijación en fresco. Por último, el barro fue utilizado igualmente como pigmento
para la pintura al fresco, debido a la variedad de tintes que puede apresar. Textiles antiguos y
análisis fisicoquímicos han revelado la diversidad de los yacimientos, su explotación y comercio,
algunas veces lejano.

INDEX
Mots-clés : Gaule romaine, Antiquité, enduits peints, peinture murale, toichographologie,
architecture en terre, décor
Palabras claves : Galia romana, Antigüedad, revestimientos pintados, pintura mural, grafología
mural, arquitectura de barro, decoración
Keywords : Roman Gaul, Antiquity, painted plaster, wall painting, study of painted plaster,
earthen architecture, decoration

AUTEUR
JULIEN BOISLÈVE
Inrap, UMR 8546, « AOROC »

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La construction en terre crue de


l’âge du Fer à nos jours
L’apport de la micromorphologie à la compréhension des techniques
Earthen architecture from the Iron Age to the present day. The contribution of
micromorphology to the understanding of techniques
La construcción de barro, desde la Edad del Hierro hasta nuestros días. El aporte
de la micromorfología a la comprensión de las técnicas

Cécilia Cammas

1 L’étude de la terre crue est riche d’implications et peut documenter différents champs
de la recherche archéologique. La nature même du matériau terre et le début de la
chaîne opératoire (choix des sédiments, prélèvement) témoignent de la connaissance
du milieu et des savoirs, souvent empiriques, des propriétés des différentes terres.
L’étude des constructions en terre crue est, par conséquent, une manière d’approcher
l’interaction entre l’homme et son milieu. L’étude des élévations et des restes de
matériaux de construction en terre crue est quant à elle une source de renseignement
sur la nature et l’évolution du cadre et des modes de vie des populations passées.
2 L’objectif de cet article est de présenter la démarche géoarchéologique spécifique
d’étude des matériaux de construction en terre crue développée sur un large corpus de
sites et de matériaux prélevés dans des contextes géographiques et chronologiques très
variés, afin de proposer des clés de détermination des différentes techniques,
opérationnelles dans les situations où les matériaux et les techniques sont moins bien
connus, ou dans celles où les vestiges sont tellement altérés que leur identification est
difficile sur le terrain.

Un matériau de construction largement diffusé mais


difficile à appréhender
3 La terre est un matériau de construction utilisé depuis les périodes les plus anciennes,
dans une large aire géographique (Chazelles, 1997). Dans l’espace français, dès le

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Néolithique, les techniques de construction en terre crue semblent déjà largement


diffusées aussi bien dans le Nord que dans le Sud (Wattez, 2003, 2009 ; Onfray, 2014, voir
les contributions sur le Néolithique dans ce volume). En ce qui concerne les périodes
protohistoriques et historiques, il existe une diversité d’usage de la terre. Pour les
murs, les principaux modes de mise en œuvre de la terre crue connus d’après les textes
et les données de l’archéologie sont la bauge (ou murs modelés), le pisé (terre
compactée et damée dans un coffrage en bois), la brique crue moulée ou non et le
torchis (terre appliquée sur une armature porteuse en végétaux). La terre est aussi
utilisée pour confectionner les sols, par exemple les sols en « terre battue ».
4 La terre – ou plutôt les terres devrait-on dire au vu de la diversité observée – présente
la particularité d’être un matériau facilement accessible, souple et malléable. Il est
facile de créer une ouverture ou de la boucher pour adapter son environnement
construit à de nouveaux besoins. L’entretien et les réfections régulières nécessaires à la
pérennisation des constructions en terre sont également autant d’occasions
d’améliorer ou de modifier l’apparence ou la structure du bâti. De ce fait, les
constructions en terre crue, et plus particulièrement les maisons d’habitation, peuvent
facilement évoluer au cours du temps, sur des périodes courtes, à l’échelle d’une ou
plusieurs générations.
5 La construction en terre crue d’ensembles bâtis de grande envergure, tels que des
groupes de maisons, des villages, ou des quartiers entiers de villes, implique une
infrastructure pour l’extraction, la transformation et le transport des matériaux, ainsi
que, par exemple, pour le moulage des briques crues. Il est alors possible d’aborder la
question de la standardisation des techniques et de la présence de groupes de la
population, les artisans, qui produisent et mettent en œuvre ces matériaux.
L’identification et la caractérisation des techniques documentent leur apparition et
leur diffusion géographique et culturelle.
6 Cependant, en archéologie, la construction et les matériaux de construction en terre
crue sont identifiés et étudiés dès la phase de terrain de manière quasi systématique
dans le sud de la France, alors que dans la France septentrionale, on constate un déficit
d’intérêt et d’étude. En outre, trop souvent, dans les rapports et les publications
archéologiques, l’utilisation des termes « bauge » ou « pisé », qui recouvrent des
techniques ayant une histoire totalement différente, sont utilisés de manière
indifférenciée. La période d’apparition du pisé faisant actuellement l’objet de
recherches, l’identification correcte des techniques prend toute son importance. Tous
ces travaux reposent sur les données issues de la caractérisation des différentes terres
employées dans la construction ainsi que celle des transformations qu’elles ont subies,
c’est-à-dire les chaînes opératoires.
7 L’étude archéologique et macroscopique minutieuse des restes de matériaux de
construction en terre crue en élévation, ou en position secondaire, est bien sûr
indispensable pour identifier les matériaux et les techniques (Chazelles, 1997 ; Cammas
et Chazelles, 2013). Cependant, sur le terrain, la nature des matériaux et les techniques
utilisées sont souvent difficiles à préciser, et la différenciation entre le pisé et la bauge,
en particulier, pose problème. Parmi les méthodes d’étude de la terre crue, la
géoarchéologie et la micromorphologie ont été utilisées depuis longtemps pour
caractériser les matériaux de construction en terre crue sur les sites archéologiques et
comprendre leur mode de dégradation (Courty et al., 1989 ; Gé et al., 1993 ; Rosen, 1993 ;
Matthews, 1995 ; Goldberg et Macphail, 2006 ; Goodman-Elgar, 2008 ; Friesem et al.,

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2014), mais une approche micromorphologique plus originale a été développée au cours
des années 1990 et 2000 sur des sites protohistoriques et historiques du sud et du nord
de la France (Cammas, 1994, 1999, 2003 ; Roux et Cammas, 2007, 2010 ; Duvernay, 2003).
Celle-ci vise à restituer les chaînes opératoires à l’aide de la micromorphologie afin
d’identifier les techniques passées (Cammas, 2003).

Un corpus riche et une méthodologie adaptée


8 L’étude des matériaux de construction présentée ici s’est fondée d’abord sur l’analyse
d’un corpus provenant dans sa grande majorité du site de Lattes (Hérault, iv e siècle
avant notre ère-iie siècle de notre ère) (Cammas, 1994, 1999), étudié et analysé depuis
les années 1990 dans le cadre des fouilles1. En parallèle, le corpus s’est enrichi
d’échantillons collectés par le réseau constitué à l’UMR Archéologie des sociétés
méditerranéennes (C.-A. de Chazelles et J.-C. Roux) dans différentes situations
géographiques et culturelles, en France et à l’étranger. D’autres échantillons
proviennent de différents sites du nord et du sud de la France, ils ont été prélevés lors
de fouilles préventives menées par l’Inrap sur des sites s’échelonnant de l’âge du Fer à
l’époque moderne [ill. 1]. Des matériaux de construction ont aussi été repérés
ponctuellement et étudiés dans de nombreux autres sites archéologiques. Ce corpus est
complété, à titre de comparaison, par des échantillons provenant de constructions sub-
actuelles ou actuelles, collectés par le réseau professionnel et scientifique de l’Inrap
(pisé de la région lyonnaise, par exemple).

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1. Liste des principaux sites ayant fourni des matériaux de construction en terre crue, et qui
constituent des éléments importants du corpus d’étude ; les sites sont implantés dans des
contextes climatiques (continental, méditerranéen, semi-aride à aride), géographiques et chrono-
culturels différents.

© C. Cammas, Inrap

9 L’apport des sciences de la Terre – et plus particulièrement de la micromorphologie –


pour ce qui concerne l’étude des matériaux de construction en domaine tempéré n’est
plus à démontrer (Cammas, 1999, 2003 ; Duvernay, 2003 ; Cammas et Wattez, 2009 ;
Wattez, 2003, 2009 ; Onfray, 2014 ; Roux et Cammas, 2010). Les objectifs des travaux
micromorphologiques sont d’identifier les techniques de construction afin de
documenter l’apparition, la diffusion et la disparition de certaines techniques, de
caractériser le fonctionnement, l’entretien et le statut des espaces, et, enfin, de servir
de référence pour des contextes moins bien connus ou conservés.
10 La micromorphologie consiste en l’étude des sols au microscope pétrographique et elle
« vise à caractériser les constituants et les organisations du sol à toutes les échelles »
(Fedoroff, 1979 ; Fedoroff et Courty, 1994). Afin de conserver et d’étudier l’organisation
originelle des sédiments, des prélèvements sont réalisés en blocs non perturbés sur le
terrain, ils sont ensuite indurés à l’aide de résine synthétique, puis une tranche de
sédiment est découpée et amincie à l’épaisseur standard de 25 microns sur une lame de
verre. Cette épaisseur permet d’identifier les constituants et les organisations du sol à
l’aide des manuels de description micromorphologique et pétrographique, ainsi qu’avec
le recours aux collections de référence que chaque chercheur se doit de constituer.
11 La micromorphologie s’inscrit dans le prolongement d’une étude de terrain pour ce qui
concerne les couches contenant des restes de terre crue, ou d’une étude macroscopique
quand il s’agit d’élévations in situ ou de fragments de matériaux de construction.
L’échantillonnage des élévations nécessite une réflexion particulière (Roux et Cammas,

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2010). Par exemple, une colonne stratigraphique continue effectuée au cœur du mur
permettra d’étudier la variabilité verticale des terres et, éventuellement, des
techniques utilisées (Roux et Cammas, 2010). Pour la bauge et le pisé, des prélèvements
localisés aux interfaces horizontales ou verticales décelables entre les couches lors de
l’étude macroscopique minutieuse offrent la possibilité d’identifier et de caractériser
les levées de bauge (Roux et Cammas, 2007) ainsi que les lits et les banchées de pisé. Un
prélèvement horizontal effectué perpendiculairement à l’axe du mur pourra permettre
de distinguer des traces de coffrage (Roux et Cammas, 2007) ou de traitements de
surface tels que le lissage ou l’application d’enduits (Duvernay, 2003 ; Cammas, 2008).
En ce qui concerne ces enduits, la microstratigraphie qui peut être restituée à l’aide de
la micromorphologie rend compte d'une succession de préparations lors d’une seule
phase de construction ou de réfection et d’entretien (Cammas, 1994, 1999, 2008, 2010).
12 Pour le traitement des fragments de matériaux de construction rapportés au
laboratoire, une méthode d’étude standardisée a été élaborée (Cammas, 2008). Elle
comprend dans un premier temps l’ouverture d’une fiche de description et la
photographie de l’échantillon sous toutes ses faces. Ensuite, l’échantillon est scié en
deux. Il fait l’objet d’étude sur coupe à la scie et sur cassure fraîche, à l’œil et à la loupe
afin d’apprécier la couleur, la texture et l’organisation des sédiments, ainsi qu’une
éventuelle stratification. À cette échelle, les inclusions végétales et minérales
grossières sont identifiables. Une moitié est conservée comme référence
macroscopique ou pour des analyses complémentaires qui pourraient apparaître
nécessaires au cours de l’étude. Le second fragment est utilisé pour confectionner une
lame mince. L’interprétation finale intègre les résultats des observations
macroscopiques et de l’analyse micromorphologique.
13 L’originalité des recherches présentées ici est de dépasser la simple caractérisation des
matériaux de construction identifiés sur le terrain, afin de rechercher des clés de
détermination microscopiques permettant de discriminer les différentes techniques,
complétant ainsi la vision de terrain. Ces travaux se fondent sur le fait que les
processus anthropiques, tels que le malaxage, par exemple, et la proportion d’eau
contenue dans les sédiments s’expriment par des caractères morphologiques (ou traits)
spécifiques qui peuvent être distingués en lame mince. Il a été possible de lister des
traits significatifs, qui nous renseignent sur différents gestes humains correspondant
aux étapes de la chaîne opératoire [ill. 2]. Il s’agit de la texture et de la granulométrie,
des ajouts végétaux, animaux ou minéraux, du degré d’humidité au moment du
malaxage, du degré de malaxage, du moulage, l’humidité des sédiments au moment de
la mise en œuvre et la présence éventuelle d’un coffrage [ill. 3]. Cette approche permet
d’affiner la connaissance des différents gestes liés à la préparation et à la construction
en terre crue, et, à l’échelle microscopique, les chaînes opératoires ainsi repérées
correspondent à des techniques différentes (Cammas, 2003). La documentation issue
des différents sites constitue des collections de référence de lames minces larges
permettant de mettre en évidence des variations chronoculturelles [cf. encadré p. 68].

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2. Représentation schématique de la démarche d’étude des matériaux de construction en terre


crue, les constituants et les organisations sont analysés sur le terrain et en lame mince. Les traits
anthropiques renvoient au malaxage et aux ajouts, les traits pédologiques renseignent
principalement sur le degré d’humidité au moment de la préparation. Ces traits et leur hiérarchie
décrivent les chaînes opératoires.

© C. Cammas, Inrap

3. Clés de détermination microscopiques des principaux modes de mise en œuvre de la terre crue
élaborées sur le corpus [ill. 1].

© C. Cammas, Inrap

Les techniques mises en évidence


14 Les ragréages, sols d’une épaisseur infra-centimétrique, ont été caractérisés d’abord sur
le site de Lattes (Hérault). Ils sont confectionnés à partir de limons argileux finement
malaxés, ainsi qu’en atteste la faible proportion d’agrégats résiduels. Dans de rares cas,
des ajouts végétaux peuvent être observés. Ces sédiments sont épandus à l’état saturé
en eau et ils nappent les couches sous-jacentes. Parfois, lors de l’épandage sur des sols
rugueux, des bulles d’air aplaties sont emprisonnées à la base de cet apport (Cammas,
2003). Ces aménagements sont typiques des sols de l’intérieur des maisons. À Lattes, ils
apparaissent au iiie siècle avant notre ère, et ils témoignent d’un entretien particulier

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de l’espace composé d’un remblai puis d’une alternance de ragréages et de surfaces


piétinées avec des couvertures au sol. Ce type de préparation de sol a été rencontré de
manière plus ponctuelle en contexte rural dans le nord de la France, comme dans des
sols de petits celliers ou de caves de la fin de l’âge du Fer (sites de Compans, fouilles
dirigées par Jean-Marc Séguier). Sur ces sites, localisés dans un contexte de luvisols sur
loess, les sédiments utilisés sont décarbonatés et plus argileux. Dans ces
aménagements, les ajouts végétaux restent rares.
15 La brique crue est largement utilisée à l’âge du Fer dans le sud de la France. À Lattes,
ces éléments modulaires sont composés de limons d’inondation calcitiques, peu
argileux et finement malaxés, comme ceux utilisés pour les ragréages. Il n’y a pas de
dégraissant végétal, ni d’ajout de sables. Dans certaines briques, la présence de fissures
verticales parallèles témoigne d’un moulage. L’homogénéité des caractères de la masse
fine observée sur un grand nombre d’échantillons et celle des formes et des tailles des
briques crues témoignent d’un savoir-faire élaboré, maîtrisé et standardisé dès le
ve siècle avant notre ère.
16 Dans le nord de la France, la brique crue semble moins utilisée, et les élévations en
brique crue d’époque romaine sont rares. À Mours (Val-d’Oise) [cf. p. 78], un four
construit à l’aide de cette technique a été fouillé. L’analyse micromorphologique a
montré une certaine variation dans la composition des briques [ill. 4 à 6]. Elles sont
confectionnées à partir d’un mélange de sédiments qui proviennent principalement
d’un luvisol, parfois mixés en proportion variable avec des sédiments provenant de
dépôts carbonatés. La plupart des briques analysées présentent des traces de
dégraissant végétal. Le degré de mélange varie de finement à très finement malaxé, et
les fissures observées dans ces briques suggèrent qu’elles ont été moulées. Les analyses
mettent en évidence des standards moins rigides que pour le site de Lattes. Sur le site
de Mours, dans certaines briques, la présence de plages carbonatées microcristallines
pose, encore une fois, la question de l’utilisation de la chaux comme stabilisant.

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4. Site de Mours (Val-d’Oise), élévation en brique crue du four de tuilier d’époque romaine.

La lame mince (à gauche) recoupe deux briques jaunes et un joint. Sous le microscope (à droite), la
texture, limono-argileuse, et les caractères de la masse fine indiquent que les sédiments proviennent
d’un luvisol, le sol que l’on trouve dans l’environnement proche. Pour cette brique, l’absence d’agrégats
résiduels non homogénéisés témoigne d’un malaxage fin. À la base de la brique, les vides aplatis (Va)
témoignent de la réorganisation des sédiments au moment du tassement de la terre dans des
moules. Le joint est sableux.
© C. Cammas, Inrap

5. Site de Mours (Val-d’Oise), élévation en brique crue du four de tuilier d’époque romaine.

La lame mince (à gauche) recoupe deux briques et un joint, reposant sur du calcaire. Sous le
microscope (à droite), la masse fine présente quelques plages calcaires grises (Calc). Le mélange
luvisol et calcaire explique la coloration plus grise de la brique inférieure. Le malaxage est plus
grossier. Le joint est sableux. Un fin lit plus massif, avec des graviers carbonatés, localisé au-dessus
de l’encaissant, correspond probablement à un lit de pose.
© C. Cammas, Inrap

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6. Site de Mours (Val-d’Oise), briques grises composant l’élévation en brique crue du four de tuilier
d’époque romaine.

Ces briques sont de composition différente des briques jaunes des illustrations 4 et 5. La masse fine
est composée d’un mélange argiles / carbonates (photo de gauche), la morphologie des
imprégnations ferrugineuses, formées avant l’extraction des sédiments, indique qu’il s’agit très
probablement de colluvions évoluées en zone humide qui ont été utilisées. Elles sont peu malaxées
(plage argileuse appauvrie en fer résiduelle, photo de droite).
© C. Cammas, Inrap

17 Un mode de préparation de la terre original est celui du pavage en terre crue d’une
grande salle du château de Vincennes2. En lame mince, les pavés sont composés d’une
superposition de lits millimétriques à centimétriques (Cammas, 1996a). Les lits
correspondent à différents horizons pédologiques et dépôts géologiques régionaux, tels
qu’ils avaient été observés dans les coupes du site du Stade de France 3 (Cammas, 1996b).
Les pavés ont été confectionnés en empilant et compactant la terre, probablement dans
de grands moules, l’absence d’effets de parois suggère la confection de grandes plaques
découpées en éléments modulaires.
18 Un autre cas particulier est celui des parements en terre crue du grand fossé du site du
Fort-Saint-Sébastien à Saint-Germain-en-Laye [cf. encadr é p. 106] [ill. 7]. L’analyse
micromorphologique montre que ces briques crues sont limono-argileuses, et que les
sédiments ont conservé leur organisation typique de sol alluvial peu évolué : il s’agit de
briques découpées dans des sols alluviaux à faible profondeur (Cammas, 2015).

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7. Site du Fort-Saint-Sébastien à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), parement en brique crue du


fossé.

La lame mince (à gauche) recoupe deux briques et un joint. Sous le microscope, les sédiments
présentent les caractères d’un sol alluvial peu évolué proche de la surface : la masse fine est
calcitique et limono-argileuse, la microstructure est d’origine biologique (traces de fouissage, photo du
bas). La préservation des organisations biologiques indique que les modules ont été découpés dans le
sol à une faible profondeur. Ces briques sont donc mises en œuvre encore humides ainsi qu’en atteste
la présence de vides aplatis à la base de la brique (photo en haut à gauche). Les joints sont composés
de sables quartzeux et carbonatés (photo en haut à droite).
© C. Cammas, Inrap

19 Sur le terrain, il est parfois difficile d’identifier les modes de construction d’élévations
en terre massive. Les comparaisons entre les analyses de matériaux actuels ou sub-
actuels et les données archéologiques, confrontées aux données théoriques sur la
construction en terre crue, ont permis de disposer de clés de détermination de la bauge
et du pisé.
20 Le terme de bauge regroupe une grande diversité de techniques qui varient selon les
périodes. Par exemple, à l’âge du Fer à Lattes, la bauge coffrée, le bourrage entre des
parements en briques crues posées de chant, la bauge litée, les pains de terre sont
utilisés simultanément (Roux et Cammas, 2010). L’observation en lame mince a permis
de montrer qu’à Lattes, toutes ces techniques utilisent des matériaux similaires. Il s’agit
de limons calcitiques beiges et de limons argileux plus jaunes, généralement
grossièrement mélangés. Ils enrobent souvent des éléments grossiers tels que des
mottes non homogénéisées ou des fragments de brique crue. Dans certains cas, le degré
d’humidité observé en lame mince suggère très fortement l’utilisation de coffrage,
hypothèse qui a pu être démontrée dans un cas grâce à un échantillonnage adapté
(Roux et Cammas, 2007). Pour la bauge, la cohérence des sédiments est assurée par un
mélange à l’état humide lors de la préparation des sédiments, et les éventuels coffrages
servent alors à contenir les terres trop humides le temps du séchage.
21 Le pisé correspond à une technique bien définie et standardisée : les sédiments sont
damés dans un coffrage au moment de la mise en place de la terre sur le mur. L’analyse
de cas archéologiques et ethnographiques montre que les sédiments peuvent provenir

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d’horizons de surface ou de sub-surface, souvent enrichis en graviers et grossièrement


mélangés. Ils sont mis en place dans un état légèrement humide, état d’humidité qui
autorise la compaction in situ dans les banchées [ill. 8].

8. Site de Mouriès (Bouches-du-Rhône, iie siècle avant notre ère), élévation en terre massive.

Sur la lame mince (à gauche) et sous le microscope, des agrégats hétérogènes (Ag, photo en haut à
gauche) et de nombreuses inclusions calcaires grossières et hétérométriques sont visibles (Calc,
photo au microscope en bas à gauche). La microstructure fissurale résulte de la déformation des
agrégats dans un état légèrement humide (fissures désignées par des flèches, photos en haut à
gauche et en haut à droite). Des zones agrégées, qui résultent de l’activité biologique en place,
peuvent être observées (Biol, photo en bas à gauche). Ces caractères sont typiques du pisé.
© C. Cammas, Inrap

22 Pour le Moyen Âge et le début de l’époque moderne, des élévations composées de levées
séparées par des lits de bruyères – rempart de Sainte-Christie-d’Armagnac dans le Gers
(Klein, 2003), maison de Lézigan-Corbières dans l’Aude 4 – ont été observées. À Toulouse,
cette technique est désignée comme « paret coffrée » sans que l’on puisse déterminer
s’il s’agit de bauge ou de pisé (Loppe, 2012). À Sainte-Christie-d’Armagnac, l’analyse a
montré que les sédiments utilisés sont décarbonatés et argileux. Ils sont mis en place et
compactés dans un état peu humide qui semble se rapprocher de celui du pisé [ill. 9]. Il
faut maintenant rechercher en lame mince la présence éventuelle de boules de terre
dans ces couches de terre, argument qui permettrait d’étayer l’hypothèse de bauge
(Loppe, 2012). Cet exemple illustre l’intérêt des investigations à l’échelle microscopique
pour caractériser les chaînes opératoires. De plus, seule l’identification correcte des
techniques, dans laquelle la micromorphologie joue un rôle important, permettra de
connaître la date d’apparition du pisé ou de techniques plus locales telles que la « paret
coffrée » au Moyen Âge et sa diffusion.

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9. Rempart de Sainte-Christie-d’Armagnac, élévation en terre massive (bas Moyen Âge ?).

La lame mince (à gauche) recoupe deux lits de terre et un lit de bruyère (agrandissement photo en
haut à gauche). Les plages et les papules argileuses (Pa, photos en bas à droite et à gauche)
marquent un mélange grossier des sédiments. La microstructure fissurale témoigne d’une forte
compaction (photos en haut et en bas à gauche). À l’échelle microscopique, il est nécessaire de
poursuivre les analyses avec un échantillonnage systématique sur la toute la hauteur d’un lit, et
perpendiculaire à la paroi du mur afin de préciser ce mode de construction.
© C. Cammas, Inrap

23 Le torchis est un mode de construction où la terre n’est pas porteuse. La terre est
appliquée sur une armature végétale, le clayonnage, constituée en tressage plus ou
moins serré et plus ou moins complexe (Duvernay, 2003). Dans les collections de
référence, les torchis issus de sites ruraux de l’âge du Fer dans le nord de la France sont
confectionnés à partir des matériaux locaux tels que les dépôts d’inondations limono-
sableux carbonatés peu évolués en contexte alluvial, ou encore les luvisols en contexte
de plateaux, ainsi que le notait Théresia Duvernay (Duvernay, 2003). Dans la plupart des
cas, les éléments étudiés ne présentent pas de dégraissant végétal. Les sédiments
apparaissent finement malaxés et appliqués sur des baguettes circulaires. En revanche,
les torchis d’époque romaine issus de sites parisiens comprennent d’abondantes
inclusions grossières et un dégraissant végétal, probablement de la paille. Ces torchis
portent l’empreinte d’une armature composée de baguettes circulaires, des empreintes
rectangulaires témoignent de l’utilisation de lattes, ou de baguettes refendues pour
constituer l’armature végétale (Cammas, 2000).

Perspectives
24 Les résultats des travaux menés en micromorphologie sur les matériaux de
construction en terre crue présentés ci-dessus s’appuient sur des collections de
référence larges, composées d’un grand nombre d’échantillons. Ces résultats soulignent
que les matériaux utilisés sont essentiellement de provenance locale. Ils montrent que
la micromorphologie permet de restituer les gestes des bâtisseurs et qu’elle est
opérationnelle pour différencier les techniques. Ils documentent l’apparition,

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l’évolution et la diffusion de certaines techniques, comme l’apparition du ragréage à


Lattes au ive siècle avant notre ère. Ces travaux devraient aussi permettre d’évacuer des
idées toutes faites concernant ces mêmes matériaux. Lorsqu’elle est destinée à la
construction en terre crue, la terre préparée ne comprend qu’une faible proportion
d’argiles. Les dégraissants végétaux et minéraux sont peu fréquents, surtout à l’âge du
Fer, mais la texture peu argileuse des sédiments utilisés est plus stable, et les
dégraissants ne semblent pas nécessaires. Les matériaux de construction en terre crue
ne sont pas pauvres : non seulement le malaxage fin des sédiments est coûteux en
temps, mais encore les parois en terre crue peuvent faire l’objet de traitements de
surface soignés comportant des enduits peints dès le premier âge du Fer à Bourges
(Cammas, 2008) ou des enduits de chaux à l’époque romaine (Cammas, 2000).
25 Au cours des dernières années, de nouvelles pistes de recherche concernant la
construction en terre crue sont apparues du fait de découvertes originales comme, par
exemple, les grandes plaques de torchis ou d’enduits talochés brûlés de l’âge du Bronze
du site de Port-Montain (Noyen-sur-Seine, Seine-et-Marne). Ces matériaux rares sont
encore à étudier et analyser. L’accent doit également être mis sur le Moyen Âge. Des
techniques de construction typiques de cette période ont été identifiées, comme les
élévations composées de levées séparées par des lits de bruyères. Ces restes
d’architectures, remontant au Moyen Âge et encore en élévation, ont fait l’objet
d’études archéologiques (Chazelles, 1997 ; Baudreu, 2003 ; Guyonnet, Catafau, 2003 ;
Klein, 2003 ; Loppe, 2012). Ils méritent d’être analysés afin de caractériser ce matériau à
l’échelle microscopique et d’apporter des précisions sur l’état d’humidité et le degré de
tassement au moment de la construction. Le pisé reste peu représenté dans le corpus
d’étude : est-ce du fait du déficit d’identification ou faute de questions posées à ce
sujet ? Cette question constitue également une piste de recherche afin de préciser la
chronologie de son apparition et de sa diffusion.
26 Ces dernières années, des questions récurrentes se sont posées sur les sites des périodes
protohistoriques et historiques. Parmi elles, la question du cru ou du cuit, par exemple,
la nature des matériaux utilisés et le mode de confection des plaques foyères de l’âge du
Fer. Les premiers résultats des analyses sur ces dernières, destinées à passer au feu lors
de leur utilisation, montrent qu’elles sont confectionnées à partir de sédiments plus
argileux, similaires à ceux utilisés pour fabriquer les briques cuites. Des questions se
posent aussi de manière récurrente sur les enduits blanchâtres de l’âge du Fer
(Cammas, 2008) et sur la possibilité de faire remonter l’utilisation de chaux au premier
ou au second âge du Fer.
27 Un autre direction de la recherche concerne le regain d’intérêt actuel en faveur des
techniques de construction en terre crue, telle que la bauge ou le pisé, adaptées à
l’environnement et au climat. L’archéologie, surtout les travaux menés en
micromorphologie, apparaissent alors comme une source d’information pour restituer
les gestes des constructeurs, pour proposer des modes de construction à faible impact
environnemental qui s’appuient sur ces techniques traditionnelles.

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NOTES
1. Menées par l’UMR Archéologie des sociétés méditerranéennes.
2. Fouille dirigée par Peter MacIntyre de 1991 à 1996.
3. Fouille dirigée par Jean-Yves Dufour en 1995 et 1996.
4. Fouille dirigée en 2015 par Émilie Léal, Inrap.

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RÉSUMÉS
Une approche de terrain fine, menée d’abord dans le sud de la France, puis élargie au nord de la
France, a mis en évidence plusieurs types de matériaux de construction en terre crue, et
plusieurs modes de mise en œuvre de la terre depuis l’âge du Fer jusqu’à nos jours. Les analyses
micromorphologiques réalisées sur une grande diversité de ces matériaux ont permis de préciser
la nature et l’origine des sédiments, mais aussi de restituer nombre d’étapes de la chaîne
opératoire. Ces travaux débouchent sur une meilleure connaissance des matériaux. Ils ont aussi
permis d’élaborer des critères de détermination de différentes techniques, et en particulier de
différencier la bauge du pisé. Plus largement, les résultats obtenus nourrissent les discours
archéologiques et historiques sur l’apparition et la diffusion des techniques.

A close examination in the field, pioneered in southern France and then expanded to the north,
has yielded evidence of several kinds of material used for building with earth and several ways of
using it from the Iron Age to the present day. Micromorphological analyses carried out on a great
range of different materials have made it possible not only to identify the type and provenance of
the deposits but also to reconstruct a number of steps in the chaîne opératoire. These studies lead
to a better understanding of the materials themselves and enable us to define criteria for
identifying different techniques, especially for differentiating cob (bauge) from rammed earth
(pisé). More generally, our results inform the archaeological and historical discussions on the
appearance and spread of techniques.

Una investigación de terreno precisa, llevada a cabo primeramente en el sur de Francia y luego
ampliada a todo el país, puso de manifiesto distintos tipos de materiales de construcción en barro
y varios modos de trabajo de la tierra, desde la Edad del Hierro hasta nuestros días. Los análisis
micromorfológicos realizados en una gran variedad de esos materiales permitieron precisar la
naturaleza y el origen de los sedimentos, así como restituir las distintas etapas de la cadena
operatoria. Estas faenas han permitido profundizar el conocimiento de los materiales, así como
elaborar criterios para determinar distintas técnicas y, en particular, diferenciar la tierra
amasada de la tapia. De manera más general, los resultados obtenidos han contribuido a
alimentar los discursos arqueológicos e históricos sobre el surgimiento y la difusión de las
técnicas.

INDEX
Palabras claves : Materiales de construcción en barro, micromorfología, identificación de las
cadenas operatorias, tierra amasada, tapia
Keywords : building materials, earthen construction, micromorphology, identification of chaîne
opératoire stages, cob (bauge), rammed earth (pisé)
Mots-clés : matériaux de construction en terre crue, micromorphologie, identification des
chaînes opératoires, bauge, pisé

AUTEUR
CÉCILIA CAMMAS
Inrap, UMR 5140 « Archéologie des sociétés méditerranéennes »

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Étude des matériaux de


construction en terre crue des sites
antiques de Rirha (Maroc)
Cécilia Cammas et Jean-Claude Roux

1 Les sites successifs de Rirha (Sidi Slimane, Maroc) 1 sont installés dans la riche plaine
agricole du Gharb. La zone archéologique, en domaine alluvial, est actuellement
enserrée dans un méandre récent du Beht. La fouille porte sur un tell dont l’occupation
débute à l’âge du Fer, et qui est vraisemblablement agrandi durant l’époque romaine,
puis réoccupé à l’époque médiévale entre le XIIe et le XIVe siècle. Pour la période
maurétanienne, la terre crue – plus particulièrement la brique – est exclusivement
privilégiée pour la construction. Ce site offrait l’occasion d’étudier ce matériau, et un
programme de recherche interdisciplinaire sur l’emploi de la terre crue en
architecture2 (archéologique et micromorphologique) intégré au programme de fouille
a été défini. Ce projet visait, pour la partie de terrain (J.-C. Roux), à identifier les
élévations en terre crue et la mise en œuvre des briques dans les bâtiments (sous-
bassements, élévations, chaînages). Une typologie macroscopique des briques, fondée
sur le format, les dimensions, la texture, la couleur des briques et les inclusions a été
élaborée, puis chaque type de brique a été échantillonné pour l’analyse
micromorphologique, ainsi que les joints et les enduits. Des prélèvements comprenant
deux briques accolées, ou deux briques superposées, ont été réalisés afin de
caractériser briques et joints. L’analyse des briques, coupées selon différents plans,
avait pour but d’identifier des caractères liés au tassement dans un moule, ou encore
les aménagements du sol au moment du moulage ou du séchage (Roux et Cammas, sous
presse). L’objectif de l’analyse micromorphologique était de compléter la
caractérisation de la terre utilisée, ainsi que les traces de façonnage, difficilement
perceptibles à l’œil nu. La démarche présentée ici peut être transposée pour l’étude de
tout lot d’éléments modulaires en terre crue.
2 Pour l’époque maurétanienne, dix briques ont été analysées. Les résultats montrent que
les sédiments ont une texture assez variée, et qu’ils proviennent de différents dépôts
alluviaux à composante éolienne plus ou moins marquée. Sur le terrain et à l’échelle

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microscopique, des inclusions anthropiques diverses ont été observées : des charbons,
des fragments d’os à différents degrés de combustion, des matériaux de construction
(matériaux malaxés chauffés ou non), des granules de céramique. Leur faible
proportion suggère que leur présence est aléatoire ; néanmoins, ils indiquent que les
premières étapes de la chaîne opératoire (prélèvement, malaxage) se déroulaient à
proximité des zones anthropisées. La dimension et l’abondance des résidus végétaux
attestent, quant à elles, d’un ajout volontaire, et les analyses archéobotaniques menées
par Emmanuelle Bonnaire indiquent que des déchets végétaux divers, issus de
différentes étapes de traitement des végétaux, étaient incorporés aux briques
(Bonnaire, sous presse). L’abondance des agrégats résiduels est inversement
proportionnelle au degré de malaxage, ici la variation de la composition d’une brique à
l’autre montre que les éléments d’une même élévation peuvent présenter des degrés de
malaxage variés. L’aplatissement des faces supérieures ou inférieures de certaines
briques témoigne du tassement de la terre dans les moules, et les empreintes végétales
résultent de l’utilisation de bouchons de paille pour tasser la terre, ou de lits de
végétaux épandus au sol au moment du moulage. En lame mince, l’identification
d’agrégats roulés par le piétinement entre les assises suggère que le bâtisseur devait se
placer sur le mur au moment de la construction. Les résultats de ces travaux montrent
l’absence de standardisation en ce qui concerne la terre utilisée et le degré de
malaxage. La juxtaposition de briques différentes au sein d’une même élévation [ill. 1]
suggère des normes souples mais précises pour la confection des briques, plutôt que des
savoir-faire différents. Les mises en œuvre, sur un, deux ou trois rangs de briques
disposées en parpaing, en boutisse ou en panneresse, se composent d’éléments divers
selon l’épaisseur du mur ; des formats se distinguent particulièrement : 34-35 cm x
55-57 cm et 36-38 cm x 54-58 cm, avec un module plus constant de 34-36 cm x 49-52 cm.
La réutilisation de briques crues d’un état à l’autre a pu être mise en évidence.

1. Lame mince dans trois briques crues maurétaniennes (scan à gauche). Sous le microscope, la
brique 1 présente des fantômes végétaux qui témoignent de la présence d’un dégraissant végétal
(photo en haut à gauche). Dans la brique 2, des agrégats résiduels marquent un malaxage modéré
(photo en haut à droite). La brique 3 présente des graines carbonisées (photo en bas à gauche).

© C. Cammas, Inrap

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3 Dans la domus en cours de fouille, la découverte d’un mur en terre massive du IIe siècle,
dont le mode de construction était énigmatique, a été l’occasion de tester les clés de
détermination élaborées à l’échelle microscopique entre la bauge et le pisé. Les
résultats de l’analyse montrent que les sédiments, à dominante limono-argileuse,
présentent d’abondantes inclusions anthropiques grossières, comme pour les briques
maurétaniennes, mais ici des agrégats de chaux sont également présents. Les sédiments
ne sont pas malaxés, et la microstructure indique que les agrégats ont été entassés dans
un état moyennement humide, ce qui permet le tassement mécanique. Ainsi, les
caractères micromorphologiques suggéraient qu’il s’agissait d’un mur en pisé [ill. 2]. La
reprise des fouilles, l’année suivante, a permis de trouver les trous de clés supportant le
coffrage, ce qui confirmait ainsi l’utilisation de la technique du pisé. à travers ces
exemples, les apports de la micromorphologie à la connaissance de la chaîne opératoire
se dessinent. Plus particulièrement, le lieu de provenance des terres, les ajouts au
moment de la préparation du matériau en terre à bâtir (addition d’eau, de végétaux) et
son degré de plasticité au moment de la confection (briques) et à la pose (pisé, liants,
enduits…) sont des informations originales que la micromorphologie peut apporter.

2. Lame mince au cœur du mur en terre massive (scan à gauche). Sous le microscope, le réseau de
fissures résulte de la déformation et de l’accommodation des agrégats entre eux (photo en haut à
gauche et en bas à droite). L’interface entre les lits est marquée par des fissures subhorizontales,
l’orientation des fissures marque une surface de tassement des sédiments (photo en bas à
gauche).

© C. Cammas, Inrap

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BIBLIOGRAPHIE
BONNAIRE E., sous presse, « Étude archéobotanique », in CALLEGARIN L., KBIRI ALAOUI M. et ICHKHAKH A.
(dir.), Le site de Rirha (Sidi Slimane, Maroc). Les occupations antique et médiévale, Madrid, Mélanges de
la Casa de Velazquez.

ROUX J.-C., CAMMAS C., sous presse, « L’architecture en terre crue maurétanienne », in CALLEGARIN L.,
KBIRI ALAOUI M. ET ICHKHAKH A. (dir.), Le site de Rirha (Sidi Slimane, Maroc). Les occupations antique et
médiévale, Madrid, Mélanges de la Casa de Velazquez.

NOTES
1. Fouilles dirigées par L. Callegarin jusqu’en 2013, puis par C.-A. de Chazelles.
2. Mené par les auteurs de cet article.

AUTEURS
CÉCILIA CAMMAS
Inrap, UMR 5140, « Archéologie des sociétés méditerranéennes »

JEAN-CLAUDE ROUX
ministère de la Culture, UMR 5140, « Archéologie des sociétés méditerranéennes »

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Briques crues et « terre massive »


dans le nord de la France
Deux celliers gallo-romains de la Plaine de France
Mudbricks and “solid earth” constructions in northern France. Two Gallo-
Roman cellars in Île-de-France
Ladrillos de barro y « tierra maciza» en el norte de Francia. Dos bodegas
galorromanas de la Llanura de Francia

Gaëlle Bruley-Chabot

1 Les constructions de terre observées en Île-de-France, de la Protohistoire jusqu’à


l’époque moderne, sont dans la majorité des cas interprétées comme étant constituées
de parois de torchis – terre à dégraissant végétal dominant – apposé sur un clayonnage.
La présence conjointe de trous de poteau et la découverte de nombreux fragments de
torchis brûlés, en position secondaire, sont la base de notre argumentaire pour ce type
de mise en œuvre. Cependant, tous les éléments de terre rubéfiée ne témoignent pas
d’empreintes de clayonnages. Les dégraissants montrent une grande variabilité. Les
fragments retrouvés peuvent donc provenir de la destruction de parois construites,
d’objets manufacturés en terre voire de sédiment rubéfié en place (Duvernay, 2003).
Deux celliers gallo-romains, mis au jour à Épiais-lès-Louvres « la Fosse » et Bonneuil-
en-France « la Fontaine Plamont » (Val-d’Oise), illustrent, une fois n’est pas coutume,
des exemples de mises en œuvre en terre crue retrouvés en position primaire 1. Ces
deux sites sont implantés sur les terrains limoneux de la Plaine de France, au nord de
Paris. Le premier est daté du iie-début ive siècle et le second du ier- fin ive siècle. Le
caractère excavé de ces structures, les préservant de l’érosion, est sans doute à l’origine
de cette bonne conservation. Ces exemples permettent de s’interroger sur une
utilisation de la terre crue sous une autre forme que le torchis.

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Une cloison en brique crue à Épiais-lès-Louvres


2 L’occupation d’Épiais-lès-Louvres « la Fosse » s’inscrit dans un enclos de 5 500 m² et se
caractérise par son activité de forge2 (Bruley-Chabot, 2013). Établi à proximité d’une
voie, l’atelier est associé à un grand bâtiment sur poteaux et à plusieurs caves. Ces
installations permettent vraisemblablement d’accueillir les clients de la forge ainsi que
leur monture. Chaque cave témoigne de creusements et d’aménagements particuliers.
C’est au sein de l’une d’elles qu’une cloison de terre crue a été observée.
3 La cave 4013 a été creusée dans un limon jaune orangé. De forme carrée, la structure est
conservée sur 1,40 m de profondeur et présente un fond plat et des bords droits.
L’analyse stratigraphique a mis en évidence deux états d’utilisation [ill. 1]. Durant la
première phase, le fond est aménagé de treize cupules plus ou moins circulaires
pouvant servir à caler des vases ou des paniers. On accède à cette cave au moyen d’un
escalier composé de quatre marches façonnées dans le substrat limoneux. Un mur de
pierre a été construit contre la paroi adjacente. Large de 30 cm, il est constitué de
moellons calcaires et de silex très grossièrement équarris (sauf pour les pierres de
l’angle nord), de moyennes dimensions, liés par un limon brun. Le mur est conservé sur
sept assises, ce qui correspond à une hauteur de 70 cm [ill. 2].

1. Le cellier 4013 d’Épiais-lès-Louvres (Val-d’Oise) s’étend sur 2,70 m de long et 2,40 m de large.

© équipe A104, Inrap

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2. Dans son premier état, caractérisé par un mur en pierre et des cupules, le cellier d’Épiais-lès-
Louvres offrait une surface utilisable de 3,40 m ; on constate que les cupules se concentrent sur
une seule moitié, hors de la zone de circulation de l’accès.

© équipe A104, Inrap

4 La seconde phase succède à l’effondrement du mur en pierre qui a été laissé en place. Le
niveau du sol a été égalisé à l’aide d’une couche de limon jaune orangé équivalent au
limon encaissant. Le sol a ainsi été rehaussé d’une hauteur équivalente à la première
marche. Une nouvelle partition est alors opérée, divisant l’espace en deux loges. La
cloison, qui est perpendiculaire à l’escalier, a été construite à l’aide de briques crues
faites d’un limon argileux gris vert, sans dégraissant apparent [ill. 3 et 4]. Les briques
mises en évidence, épaisses de 10 cm environ, sont disposées en cinq assises. Leurs
largeurs semblent correspondre à celle du muret, soit 38,40 cm. La cloison devait être
plus haute car de nombreux fragments ont été identifiés dans le comblement des loges.
Les éléments les mieux conservés laissent envisager que la forme des briques était
carrée et plutôt régulière. L’utilisation d’un gabarit pour les façonner est probable.

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3. Le deuxième état de la cave d’Épiais-lès-Louvres est caractérisé par une cloison de briques crues
conservée sur toute la longueur du cellier, soit 2,28 m, sur une largeur de 0,38 m et une hauteur de
46 cm, ce qui a permis de calculer le volume de terre nécessaire à sa confection.

© équipe A104, Inrap

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4. La forte homogénéité du mélange rend difficile la lecture des joints entre les briques. À Épiais-
lès-Louvres, la coupe stratigraphique a été déterminante dans la reconnaissance des modules, les
joints entre les assises étant plus épais et plus foncés.

© équipe A104, Inrap

5 D’autres fragments de brique ont été observés dans les niveaux d’effondrement. Ils sont
plus petits et de nature différente. Deux textures se distinguent, l’une correspond à du
limon orangé, sans dégraissant visible, équivalent au limon encaissant, et l’autre est
plus beige brun légèrement hétérogène. Le module de ces derniers groupes de brique
paraît davantage cubique. Ces éléments peuvent constituer les restes d’un
aménagement supérieur de la cloison ou d’une portion en élévation. Les tamisages du
niveau d’abandon ont révélé un grand nombre de graines minéralisées pouvant
provenir de fumiers utilisés comme dégraissant dans la mise en œuvre des briques. La
différence de forme et de nature entre les briques plates d’argile verte et les cubiques
limoneuses s’explique peut-être par l’usage du cellier et par une fonction particulière
conférée à cette cloison. Bien que l’une des loges dessinée par la cloison ait livré un
sédiment plus charbonneux que l’autre, ni l’analyse carpologique, ni le mobilier
céramique n’ont permis d’identifier une utilisation particulière. Aucun indice ne nous
permet d’avancer d’hypothèse quant aux activités menées dans ce cellier.

Des parois en terre massive à Bonneuil


6 L’occupation gallo-romaine de Bonneuil-en-France, à « la Fontaine Plamont », n’est
pour l’heure pas caractérisée car la fouille a concerné moins d’un quart du site 3 (Bruley-
Chabot, 2015). Les structures de cette période se concentrent principalement à la
rupture d’un versant de la vallée du Croult ; leur état de conservation témoigne d’une
faible érosion. Outre la cave, le site compte aussi une structure de séchage de grains
dont le creusement en sape nous est parvenu intégralement.

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7 L’accès à l’intérieur de la cave s’effectue au moyen d’un escalier de cinq marches


creusées dans l’encaissant, parementé de quelques pierres de calcaire sur les côtés et
les bordures. Deux soupiraux complètent l’inventaire des aménagements creusés. Ces
deux entailles rectangulaires, au profil évasé, sont localisées sur le haut de la paroi
orientale. Les aménagements internes se singularisent par l’usage combiné de deux
types de terre à bâtir : de la terre massive et des briques [ill. 5].

5. À Bonneuil-en-France (Val-d’Oise), la cave correspond à un creusement quadrangulaire de 4,90 m


sur 4,10 m qui entaille, sur 1,60 m de profondeur, un encaissant hétérogène constitué de limon puis
d’une alternance de marnes et de calcaire.

© équipe BEF, Inrap

8 La terre massive a été observée en position primaire sur tout le pourtour intérieur de la
cavité. Cette mise en œuvre correspond à une bande de 60 cm de large et reconnue sur
un peu plus d’un mètre de hauteur [ill. 6]. Au-devant de l’escalier, la couche, visible sur
une faible épaisseur, fait office de palier. Hors zones d’effondrement, les limites sont
rectilignes et forment des parois verticales et lisses. La composition du mélange de
terre est homogène sur la hauteur et en plan, quels que soient les côtés [ill. 7]. L’emploi
de végétaux n’a pas été constaté à l’œil, il ne peut cependant pas être exclu. Le long des
parois et aux angles, il n’a été observé aucune limite ni joint, que ce soit lors des
nettoyages en plan ou en coupe. Ces critères, absence de joint et homogénéité du
mélange, privilégient l’hypothèse de l’emploi de terre massive. Nous ne pouvons
déterminer le mode de mise en œuvre, à savoir coffrage ou façonnage [ill. 8]. La
constitution de ce parement de terre a permis vraisemblablement de stabiliser les
bordures de l’excavation, instables compte tenu de l’hétérogénéité de l’encaissant
marno-calcaire. D’autres raisons peuvent être envisagées, comme la recherche des
conditions hydrométriques ou de température particulières etc., mais nous n’avons
aucun indice fonctionnel pour évaluer les objectifs poursuivis par les constructeurs. Le
mobilier trouvé dans la première couche d’abandon (céramique, clous de menuiserie et
de charpente) ne caractérise pas l’utilisation de la structure.

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6. Les parois en terre de la cave de Bonneuil délimitent un espace central de 11 m environ.

© équipe BEF, Inrap

7. La terre massive utilisée dans la paroi à Bonneuil est composée d’un limon beige marron
comprenant des inclusions de nodules calcaires en densité moyenne et quelques petits modules de
limon orangé, inférieurs à 5 cm.

© équipe BEF, Inrap

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8. Un fin liseré blanc a été observé bordant la face interne des parois de la cave de Bonneuil ; il peut
s’agir des restes d’un enduit de chaux.

© équipe BEF, Inrap

9 Les couches de comblement de l’excavation montrent plusieurs phases de destruction


et d’effondrement des constructions en terre. Ces observations permettent de penser
que les parois devaient être plus hautes que l’élévation conservée. Elles couvraient sans
doute une grande partie de la hauteur de la cave.
10 Des fragments d’éléments modulaires, également en terre crue, ont aussi été observés
dans le premier niveau d’abandon [ill. 9]. Ces briques, trouvées en position secondaire
dans le comblement, n’ont pas été utilisées pour des partitions à l’intérieur de la partie
excavée du cellier. En revanche, elles ont pu compléter l’élévation de terre massive ou
être employées dans l’élaboration d’aménagements internes de la partie supérieure
[ill. 10].

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9. Les briques crues quadrangulaires observées dans la couche d’abandon de la cave de Bonneuil
sont constituées d’un limon jaune carbonaté, sans mélange ni dégraissant apparent (une lame
mince a été réalisée pour vérifier les caractéristiques d’un éventuel malaxage).

© équipe BEF, Inrap

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10. À Bonneuil, la présence de briques crues dans la couche d’abandon laisse penser que la cave
pouvait être surmontée d’une supertructure qui lui était propre ou s’inscrire dans un bâtiment plus
vaste.

11 © équipe BEF, Inrap

Une confusion des genres


12 Outre l’érosion, la reconnaissance des constructions en terre pâtit des confusions
possibles avec des indices liés aux phases de fondation ou de récupération et
matérialisés par des tranchées. Dans les deux exemples détaillés plus haut, la première
interprétation qui a été posée, lors de l’apparition des couches de terre, a été celle
d’une tranchée de récupération d’un mur en pierre. Les murs de pierre sont plus
couramment rencontrés et ils font parfois l’objet de récupération de leurs blocs. Les
tranchées creusées pour leur mise en place sont rectilignes comme les couches
observées à Épiais et Bonneuil. Le fond des tranchées de fondation peut être nivelé au
moyen d’un apport de terre. Ici, les hauteurs conservées sont trop importantes pour
qu’il s’agisse d’une couche de réglage. Les tranchées de récupération ne sont quant à
elles pas toujours aussi régulières. Et la collecte de matériau ne se cantonne parfois qu’à
une portion de la construction, la partie sommitale (pour éviter de creuser trop
profondément) ou une partie localisée du mur (en fonction du besoin). L’analyse
stratigraphique est donc déterminante. Elle doit distinguer ce qui est « creusement » de
ce qui est « construit ». Énoncé de la sorte, cela paraît simple. Mais l’analyse peut être
complexe lorsque toutes les couches correspondent à des sédiments très comparables.
La confrontation des observations en coupe et en plan est indispensable et c’est souvent
après démontage que la construction en terre devient évidente.
13 Les confusions d’interprétation se rencontrent aussi lors de l’analyse des restes comme
dans le cas de la présence de graines minéralisées trouvées dans la couche d’abandon
du cellier d’Épiais. Dans une optique liée à la reconnaissance des activités agricoles, on
peut envisager de comprendre cette couche comme le témoignage d’une phase de
relégation du cellier en fosse à fumier, tandis qu’en suivant une interprétation liée à
une construction de terre effondrée, les mêmes graines minéralisées peuvent être
considérées comme provenant du fumier employé comme dégraissant.

L’extraction et le choix du matériau


14 Dans les deux cas étudiés, l’extraction sur place a été privilégiée. Les recouvrements
observés sur ces deux sites sont principalement constitués de limon orangé dont

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l’épaisseur dépasse rarement 2 m. Ce limon surmonte le calcaire et les marnes. Des


matériaux très différents peuvent donc être collectés sur place. À Bonneuil, la position
sur le versant permet même un accès aux différents matériaux sans avoir à creuser
profondément, il suffit de se déplacer sur la pente pour obtenir là du limon, là de la
marne ou du sable. À Épiais, comme il s’agit du plateau, il faut creuser en profondeur
pour se fournir en limon plus ou moins argileux puis en calcaire et marnes.
15 Les briques carrées du cellier d’Épiais, qui sont argileuses et de teinte gris vert, n’ont
rien à voir avec le limon orangé rencontré sous la terre végétale. La couche sous-
jacente est un limon plus gris qui reste néanmoins sableux 4. Ce niveau comprend peut-
être des zones plus argileuses. Par contre, des compositions, équivalentes à celle des
briques, ont été observées dans le comblement de plusieurs grandes fosses comme dans
le puits voisin (n° 4167) ou dans une vaste fosse fouillée à Mauregard, à 280 m de là 5
[ill. 11]. La nature argileuse des briques est-elle naturelle ou a-t-elle été acquise par
décantation ? Le volume nécessaire à la confection de la cloison d’Épiais est estimé à
0,44 m3.

11. La fouille du site des Moulins à Mauregard (Seine-et-Marne) a mis au jour une fosse
d’extraction d’une argile dont les caractéristiques se rapprochent de celle utilisée à Épiais.

© équipe A104, Inrap

16 La couleur marron gris de la terre à bâtir de la cave de Bonneuil peut provenir du


mélange, de l’opération de malaxage, mais aussi de l’extraction d’un matériau déjà
« altéré » comme celui d’une fosse en cours de comblement. Il n’est pas rare que de
grandes fosses d’extraction soient recreusées au fur et à mesure de leur comblement
(par effondrement ou colluvionnement). Une fosse (1055) située à 40 m du cellier a pu
servir de lieu d’extraction voire de zone de malaxage. Il s’agit d’une vaste fosse en
cuvette, de 12 m de diamètre environ et 70 cm de profondeur. Ses contours sont
irréguliers car elle a été creusée en plusieurs étapes. Les couches observées dans son

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comblement sont hétérogènes. Ouverte dès la période gallo-romaine, la fosse cesse


d’être utilisée au vie-viie siècle avec l’installation de fours culinaires en bordure. La
quantité de terre nécessaire aux parois de la cave peut être estimée à 10 m 3 environ6. La
fosse a quant à elle permis d’extraire un minimum de 13 m 3 de matériau7.
17

Comme cela a été signalé précédemment, la conservation en position primaire a été


possible à Épiais et Bonneuil parce que les aménagements en terre ont été construits
dans des structures excavées. Les sites stratifiés sont les plus à même de livrer des
exemples d’élévations construites en terre et conservées : celui de l’Institut Curie (Paris
5e arr., Busson et al., 2013, p. 100-101) recelait par exemple un mur de terre sur un
soubassement constitué d’un blocage de pierre allié à un parement de briques crues
[ill. 12]. En revanche, dans le cas d’occupations sans élévation conservée, un bâtiment à
murs de terre ne laisse généralement de traces au sol que s’il possède des
soubassements (sablières, solins de pierre ou tranchées de fondation). Mais la
réciproque ne fonctionne pas systématiquement, la présence de ceux-ci ne permet pas
d’émettre l’hypothèse d’une construction de terre. L’une des pistes pour conforter cette
supposition réside peut-être dans l’estimation des besoins en terre que requièrent ces
bâtiments. Partant du postulat qu’un mur de terre crue (en brique ou terre massive)
nécessite davantage de sédiment qu’une paroi de torchis sur clayonnage, est-il possible
de lier la présence de construction en terre à la mise au jour de vastes fosses
d’extraction ? Cette quantification du volume de terre extraite est à confronter
évidemment au nombre de bâtiments sur poteaux repérés.

12. Mur d’hypocauste daté du IIe siècle (a) composé en partie de briques crues (b) sur le site de
l’Institut Curie, à Paris.

© D. Busson

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18 Ainsi pourrait s’expliquer la présence des grandes fosses d’extraction observables sur
bon nombre de sites gallo-romains en Île-de-France8. Le réexamen des cas permettrait
peut-être d’identifier des choix architecturaux fonctionnels ou liés à une période
chronologique plus qu’à une autre. Si les solins constitués de moellons se rencontrent
durant toutes les phases de la période romaine, les vastes excavations, quant à elles, se
multiplient à partir du iiie siècle et laissent envisager l’existence de constructions en
terre massive (ou briques) plus répandues qu’on ne l’imagine.

BIBLIOGRAPHIE
Aurenche O. et coll., 2011, « Essai de classification des modalités de mise en œuvre de la terre
crue en parois verticales et de leur nomenclature », in Chazelles C.-A. de, Klein A. et Pousthomis
N. (dir.), Les cultures constructives de la brique crue. Échanges transdisciplinaires sur les constructions en
terre crue, 3, Actes du colloque international de Toulouse, 16-17 mai 2008, Montpellier, éditions de
l’Espérou, p. 13-34.

Bruley-Chabot G., 2013, Épiais-lès-Louvres (Val-d’Oise), « la Fosse » : A 104, contournement est de


l’aéroport de Roissy, rapport d’opération, t. 5, Une occupation gallo-romaine, ii e-début ive siècle, atelier
métallurgique – relais routier ?, Inrap-SRA Île-de-France, 402 p.

Bruley-Chabot G., 2015, Bonneuil-en-France (Val-d’Oise), « Aéroport du Bourget/Fontaine


Plamond » phase 1, rapport d’opération, Inrap-SRA Île-de-France, 2 vol. (PAO en cours).

Busson D. et al., 2013, Paris 5e, Institut Curie : Laboratoire de biologie du développement : 22 rue d’Ulm, du
9 au 11 rue Pierre et Marie Curie, 193 rue Saint-Jacques, rapport d’opération, Inrap-SRA Île-de-France,
2 vol. (165, 367 p.)

Duvernay T., 2003, « La construction en terre crue : potentiel des restes en position secondaire. Le
cas d’un site rural du Bassin Parisien. Varennes-sur-Seine et Ville-Saint-Jacques (Seine-et-
Marne) », in Chazelles C.-A. de, Klein A. (dir.), Terre modelée, découpée ou coffrée. Matériaux et modes
de mise en œuvre. Échanges transdisciplinaires sur les constructions en terre crue, 1, Actes de la table-
ronde de Montpellier 17-18 novembre 2001, Montpellier, éditions de l’Espérou, p. 55-71.

NOTES
1. La terminologie employée ici se réfère à l’article d’Aurenche et coll., 2011.
2. Fouille menée en 2008 sous la direction de Gaëlle Bruley-Chabot.
3. Fouille menée en 2010 sous la direction de Gaëlle Bruley-Chabot.
4. Ce niveau a été observé lors des coupes de grandes excavations.
5. Fosse n° 2369 de la fouille des Moulins à Mauregard, menée en 2008 sous la direction de Gaëlle
Bruley-Chabot.
6. La surface occupée par les parois est de 10 m² pour une hauteur minimum de 1 m.
7. L’estimation utilise la formule du volume d’un cylindre, avec 12 m de diamètre et 70 cm de
hauteur.

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8. Par exemple : Roissy-en-France « la Croix de Montmorency », Saint-Pathus « les Petits Ormes »,


Gonesse « ZAC des Tulipes », Longjumeau « le Champtier des Cerisiers »… (rapports consultables
sur http://dolia.inrap.fr/).

RÉSUMÉS
Méconnues en Île-de-France et sans doute sous-estimées, les constructions de terre crue, hors
torchis, se sont illustrées récemment dans deux caves gallo-romaines. L’une comporte une
cloison interne constituée de briques d’argile verte et la seconde a ses parois aménagées de murs
en terre massive.

Buildings made of earth are, with the exception of wattle and daub, little known in Île-de-France
and most probably underrepresented in the literature. Two Gallo-Roman cellars built of earth
have however been uncovered recently. One contains an inner partition wall made of green clay
and the other has walls made of solid earth.

Fuera de las construcciones de entramado vegetal con mortero de tierra, las edificaciones de
barro de Isla de Francia se conocen poco, razón por la cual han sido ampliamente subestimadas.
No obstante, han resurgido recientemente gracias al descubrimiento de dos bodegas
galorromanas. Una de ellas contiene una mampara interna constituida de ladrillos de arcilla
verde, mientras que las paredes de la otra fueron acondicionadas con tierra maciza.

INDEX
Palabras claves : Barro, ladrillo de barro, bodega, galorromano, Isla de Francia
Mots-clés : terre crue, briques crues, cave, gallo-romain, Île-de-France
Keywords : earthen buildings, mud bricks, cellars, Gallo-Roman period, Île-de-France

AUTEUR
GAËLLE BRULEY-CHABOT
Inrap, UMR 7041, « ArScAn »

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La brique crue, matériau par défaut


ou choix éclairé ?
Le cas des fours de tuilier antiques de Mours (Val-d'Oise)
The Roman tile kilns built of mud bricks from Mours (Val-d’Oise). A default
material or an enlightened choice?
Los hornos tejeros antiguos de ladrillos de barro en Mours (Valle del Oise)
¿Material por descarte o decisión intencional?

Aurélia Alligri et Pascal Raymond

1 Le site archéologique de Mours, « le Derrière des Moulins »1 (Mondoloni, 2015), est


localisé en bordure de la plaine alluviale de l’Oise, à 2,7 km à l’ouest de la voie romaine
Paris-Beauvais sur laquelle vient s’implanter la ville antique de Beaumont-sur-Oise. La
période antique est caractérisée par deux occupations successives : l’implantation d’un
atelier de tuilier dès l’époque augustéenne puis, du ier au iii e siècle, l’installation d’un
établissement matérialisé par des bâtiments en pierre [ill. 1]. La fouille exhaustive des
deux fours de tuilier (1009 et 2572) [ill. 2] a permis de révéler une architecture
complexe composée de briques crues et d’éléments en terre cuite (Alligri et Raymond,
2015). La présence de ce type de vestiges en Île-de-France est assez exceptionnelle. Le
fait qu’ils soient en partie construits avec des briques crues l’est davantage encore. Ce
matériau de construction, largement utilisé sur le pourtour méditerranéen, est assez
insolite sur les sites antiques d’Île-de-France. Les découvertes récentes montrent
toutefois qu’il est maintenant identifié dans divers contextes (voir article de G. Bruley-
Chabot dans ce volume).

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1. Plan du site de Mours. Sur environ 5 ha, nombreux vestiges d’occupations se développant depuis
l’époque laténienne jusqu’à la fin de la période médiévale, parmi lesquels deux fours antiques (1009
et 2572) et des structures associées.

© P. Raymond, Inrap

2. Photo en plan du four 2572.

© P. Raymond, Inrap

2 Les fours découverts à Mours présentent une architecture soignée et parfaitement


maîtrisée qui nous interpelle sur le choix des matériaux et leur mode de mise en œuvre.
Le constructeur a-t-il employé la terre crue par défaut, en fonction de ses moyens, ou
sont-ce les propriétés mêmes du matériau qui ont motivé son utilisation ?

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Architecture des fours


3 Comparables à d’autres structures recensées dans le monde romain (Charlier, 2011), les
fours de Mours sont à tirage vertical, construits tous deux selon des proportions
identiques, avec pour chacun un foyer enterré et une fosse de travail en pente douce
jusqu’à l’entrée de l’alandier [ill. 3]. Leur singularité repose sur une utilisation de la
terre crue comme matériau de construction. Un exemple comparable dans l’emploi
massif de ce matériau est localisé à Neupotz en Rhénanie-Palatine (Allemagne) (Schulz
et Fischer, 2002). Quant à l’organisation spatiale de cette unité de production de terre
cuite architecturale, il faut également se rendre en Allemagne, à Rheinzabern, pour
trouver un exemple proche (Trimpert, 2003). Par ailleurs, l’atelier de potiers de
Bastide-Neuve à Velaux (Bouches-du-Rhône) montre un exemple similaire de par sa
datation et le choix des matériaux puisqu’un des fours y est construit en brique crue
(Mauné et Silvéréano, 2011).

3. Plans cotés des fours 1009 et 2572. Leurs constructions correspondent à des valeurs entières et
des subdivisions logiques lorsqu’elles sont exprimées en coudée, soit 1,5 pieds.

© P. Raymond, Inrap

4 Les chambres de chauffe de forme rectangulaire sont excavées dans un encaissant


marno-calcaire. Elles étaient couvertes des laboratoires aujourd’hui disparus. L’état de
conservation des maçonneries formant les élévations des alandiers et des chambres de
chauffe n’est pas équivalent pour les deux structures. Le four 1009 est presque
entièrement récupéré, tandis que l’architecture du four 2572 est quasi complète. Notre
réflexion concernant les matériaux de construction s’est donc principalement fondée
sur nos observations du four 2572. On notera tout de même que l’emploi des briques

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crues est attesté pour le four 1009 au niveau de ses deux massifs d’entrée et d’une
partie de son alandier encore en place.
5 Le four 2572, de type IIE (Le Ny, 1988), est composé de trois éléments structurants : un
alandier encadré par deux imposants massifs, les murs périphériques de la chambre de
chauffe et des aménagements internes pour supporter la charge à cuire [ill. 2]. L’entrée
de l’alandier (N) est marquée par deux piédroits de tegulæ empil ées à plat. Il se
poursuit par un couloir maçonné avec des fragments de tegulæ et couvert par une
voûte en berceau (J et K). Ce couloir de chauffe est encadré par deux massifs de briques
crues dont le parement est en boutisse et panneresse selon un rythme irrégulier (L et
M) [ill. 4a]. L’alandier et les massifs sont bâtis sur un radier de briques crues posées à
plat directement sur le fond de l’excavation [ill. 4b-projections II et III]. Les murs
périphériques de la chambre de chauffe (A, G, H et I), qui sont liés à l’alandier, sont
construits en briques crues avec, en parement, des fragments de tegulæ [ill. 4a]. Ces
murs sont posés directement sur le fond du creusement sans préparation particulière
[ill. 4b-projections I et II].

4. a. Plan du four 2572 ; b. Projections du four 2572.

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© P. Raymond, Inrap

6 Les aménagements internes de la chambre de chauffe sont quant à eux construits sans
chaînage avec le reste de la substructure et viennent simplement en appui sur les murs
périphériques [ill. 4a]. Comme pour les massifs d’entrée, ces aménagements sont bâtis
sur un radier de brique crue parallèlement au canal de chauffe [ill. 4b-projection II]. Ces
élévations de faible hauteur forment deux banquettes latérales de briques crues
parementées avec des tegulæ. Elles supportent cinq arcs plein cintre (B à F). Cette
succession dense d’arcs a pour fonction de supporter la production de terres cuites et
de faciliter le flux d’air chaud.

Choix des matériaux


7 Cette alternance entre élément cru et cuit soulève un certain nombre d’interrogations.
Les matériaux de construction connus à l’époque romaine ont des caractéristiques
variées qui laissent aux bâtisseurs une grande latitude sur les alternatives dont ils
disposent pour édifier leurs ouvrages. Un four de tuilier est, d’un certain point de vue,
une construction comme les autres, mais sa spécificité fonctionnelle en fait une
structure plus complexe à bâtir. En effet, en plus des contraintes de charges
permanentes, un four doit pouvoir supporter une charge d’exploitation importante.
C’est aussi une structure technique soumise à de très fortes températures. Les niveaux
atteints au cours des cuissons sont tels que les transformations physico-chimiques des
matériaux peuvent se traduire par l’affaiblissement de leur résistance mécanique.
Ainsi, des matériaux mal choisis peuvent conduire à une dégradation rapide et
irrémédiable de la structure. Il est donc indispensable que le choix des matériaux soit
mûrement réfléchi pour répondre aux contraintes auxquelles la structure sera soumise.

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8 Les calcaires et grès, observés sur le site dans des constructions voisines aux deux
fours, ont l’avantage d’être accessibles sans difficulté dans un environnement
immédiat. Cette facilité d’approvisionnement n’a pourtant pas été un critère de choix
pour les bâtisseurs puisque aucune pierre n’est employée dans les deux fours. Les
raisons sont sans doute dues à la trop forte dégradation de la résistance des roches
lorsqu’elles subissent des élévations de température. En effet, les variations de
température correspondent toujours à un changement de volume de la matière. C’est
notamment le cas des roches riches en quartz, comme les grès, où un point critique se
situe à 575 °C. À cette température, le quartz change d’état et se dilate
considérablement. Ainsi, la pierre léchée par les flammes se réchauffe vite en surface
tandis que la diffusion lente de cette chaleur vers l’intérieur de la pierre entraîne des
différences de température dans le bloc. Ces dernières provoquent alors des tensions
supérieures à la résistance du matériau qui conduisent à sa fracturation. Ainsi, selon les
roches, leur résistance à la compression décroît pour ne plus représenter, autour des
600 °C, que 15 % à 50 % de ce qu’elle était à 20 °C (Homand-Étienne, 1986).
L’abaissement du point de rupture dans ces proportions devient une contrainte forte et
rend les pierres inutilisables dans un milieu où les températures atteintes oscillent
autour de 800 °C.
9 La terre cuite, quant à elle, a acquis lors de sa fabrication des capacités de résistance au
feu que les autres matériaux ne possèdent pas. Son atout majeur réside dans sa capacité
de résistance à la compression qui reste quasiment stable jusqu’à 750 °C. Au-delà de
cette température, sa plasticité augmente et sa résistance diminue mais jamais au point
d’atteindre la rupture (Nguyen, 2009). Les températures nécessaires à la cuisson des
briques et des tuiles (autour des 800 °C) n’entraînent donc aucune modification
fondamentale des éléments en terre cuite composant l’architecture des fours. À Mours,
les constructeurs ont choisi de n’utiliser la terre cuite qu’aux endroits stratégiques du
four. Principalement à deux emplacements : là où le flux d’air chaud est en contact avec
la structure et là où les contraintes mécaniques exigent des matériaux capables de les
supporter. C’est notamment le cas pour la construction des arcs supportant la charge à
cuire. Les forces exercées ne sont pas seulement dirigées verticalement. Les poussées y
sont redirigées latéralement et les contraintes sur les matériaux sont plus complexes.
Les tegulæ ou les briques cuites qui composent ces arcs sont ici les matériaux
parfaitement adaptés pour encaisser ces charges [ill. 4b-projection I]. Cette capacité est
liée à la modification de la structure cristalline des éléments en terre cuite. Ceux-ci
augmentent ainsi leur résistance en traction à haute température en raison des
caractéristiques visqueuses de leur composant silice. Dans les fours de tuilier de Mours,
les températures n’ont jamais atteint les niveaux où l’état plastique des briques leur fait
perdre totalement leur résistance. La terre cuite est également utilisée comme
revêtement pour protéger la maçonnerie (G, H, et I). Comme pour l’alandier, des
fragments de tegulæ sont posés à plat et offrent en parement leur rebord latéral [ill. 4b-
projection II et ill. 5b]. Ce montage sans joint constitue une surface lisse et résistante
qui est exposée aux feux. Il ne s’agit pas là d’un contre-mur, mais d’une chemise qui
semble montée simultanément avec le corps principal des murs périphériques. Comme
le décrit Vitruve (livre II-8) (Vitruve, 1847), l’utilisation de tuiles fragmentées en
réemploi dans une construction correspond à une recherche de qualité du matériau. Il
préconise ainsi leur usage en maçonnerie car leur utilisation antérieure a permis
d’éprouver leur solidité.

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5. a. Vue écorchée du massif d’entrée de l’alandier du four 2572 (côté est). b. Coupe des murs
périphériques de la chambre de chauffe, de la banquette interne et de l’élévation de la cloison D du
four 2572 (coupe SE-NO).

© A. Alligri, Inrap

Atouts de la terre crue pour un four de tuilier


10 Selon sa composition, la brique crue bénéficie d’une résistance à la compression
satisfaisante, estimée de 20 à 50 kg/cm². Et bien que sa résistance à la traction, à la
flexion et au cisaillement soit très faible, la terre crue offre des propriétés mécaniques
proches de celles de certains bétons. Comparée à la terre cuite, la terre crue contient
beaucoup d’eau. Lors de la chauffe, l’inertie thermique du matériau favorise une
diffusion lente de la chaleur dans la masse. Par conséquent, tout au long de la montée
en température, la chaleur se propage dans des couches toujours humides produisant
des dégazages qui occasionnent des microfissures. Les fissures créent une surface
pulvérulente qu’il faut protéger. Les briques crues restent donc plus sensibles aux
hautes températures que les terres cuites. Par ailleurs, l’action répétée des cuissons
intenses entraîne une induration des briques exposées aux flammes qui acquièrent sur
les premiers centimètres des caractéristiques équivalentes aux terres cuites.
11 La composition de la terre utilisée pour le façonnage des briques à Mours est de nature
variable. D’après l’étude de C. Cammas (Cammas, 2015), réalisée sur des prélèvements
de briques crues du four 2572, trois types différents sont observés : les briques
« jaunes » produites à partir de limons argileux (BT), les briques « gris-verdâtres »
montrant un apport en limons carbonatés et enfin les briques « grises » qui sont riches
en sables quartzeux et argiles. On peut y voir une volonté du briquetier d’assembler
différentes qualités de terre pour optimiser sa production. Les ressources naturelles à

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proximité expliquent aussi cette diversité. Les versants des buttes stampiennes
peuvent, par l’érosion et le colluvionnement, produire des terres riches en sable
quartzeux. Les limons de plateau, résultant des dépôts lœssiques bien conservés dans le
nord de l’Île-de-France, ont subi une pédogénèse qui modifie leur teneur en argile sur
l’ensemble de leur stratigraphie. Il n’est donc pas impossible que la quantité de
carbonate, de quartz ou d’argile dans la composition des briques soit le fait de sources
d’approvisionnement variées ou de la strate exploitée à un moment donné. La fouille
n’a pas permis d’identifier les gisements des matières premières. Néanmoins, la variété
de certains minéraux peut suggérer l’existence de plusieurs zones d’exploitation
simultanées. L’observation nous indique également que ces terres reçoivent un ajout en
paille hachée et sont finement malaxées. Le mélange chargé en eau est moulé à l’état
pâteux dans un cadre lui donnant des dimensions standardisées de 40 x 29,7 x 6 cm. Ce
module rectangulaire est le même que certaines briques cuites utilisées dans la
chambre de chauffe du four 2572. Cela nous laisse penser que la fabrication des briques
crues ou cuites est simultanée mais que les éléments « crus » sont simplement extraits
de la chaîne de production avant leur cuisson.
12 Dans le four 2572, la terre crue se retrouve dans des parties massives de la construction,
notamment dans l’alandier et dans les banquettes de la chambre de chauffe décrites
plus haut. Elle se trouve également dans les murs internes du four et dans les murs
périphériques [ill. 4a et ill. 5a et b]. Ces élévations sont montées en briques crues posées
en panneresse et liées avec un joint mince de moins d’un centimètre de mortier de
terre [ill. 6]. La terre crue représente les deux tiers de l’épaisseur de la maçonnerie
(l’autre tiers est composé de fragments de tegulæ). C’est donc le montage des briques
crues qui structure toute la construction. D’après les empreintes observées en surface,
les murs du laboratoire devaient être construits de la même façon que le soubassement.
Si la terre est le matériau idéal pour la base du four, il semble donc qu’il en soit de
même pour son élévation. D’autant plus que les murs en élévation ne sont pas destinés
à supporter la charge d’exploitation. Ils n’ont pour contraintes que leur poids propre.
Leur rôle est de protéger la production lors de sa cuisson en l’isolant de
l’environnement extérieur.

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6. Ce mortier de terre, utilisé pour le montage de la maçonnerie, situé au niveau de la sortie de


l’alandier, servait à coller les tegulæ du conduit de chauffe du four 2572.

© P. Raymond, Inrap

13 La terre n’est pas un très bon isolant à une température normale de 20 °C. Toutefois, à
température élevée, la terre est plus isolante que tous les matériaux naturels
disponibles à l’époque romaine. Qu’elle soit crue ou cuite, la terre possède une
conductivité thermique assez proche, de l’ordre de 0,75 à 1,15 W/mK 2, ce qui est deux
fois inférieur aux roches disponibles. De par sa faible conductivité et sa densité, la terre
possède une excellente inertie thermique. Ainsi, lors d’une modification de
température, la terre atteint le point d’équilibre avec son environnement de façon
lente. Elle est donc un atout majeur pour le tuilier qui redoute fortement les
changements brusques de températures. Un four doit donc être étanche à l’air et
former une masse stable durant la cuisson puis le refroidissement. Le montage de la
superstructure en terre crue répond parfaitement à cette exigence de stabilité. Les
briques crues montées avec un mortier de terre créent une masse homogène dans tout
le volume de la construction. Ces matériaux ont alors une résistance mécanique, une
porosité ou des capacités thermiques uniformes. D’autres matériaux pourraient, par
leur assemblage, favoriser des dilatations hétérogènes et des ponts thermiques qui
modifieraient la structure de manière disparate provoquant sa ruine.
14

L’exemple du four de tuilier 2572 de Mours montre une construction rigoureuse. La


disposition des terres crues ou cuites dans cette architecture répond à un programme
organisationnel qui tient compte des spécificités techniques de leur fonction. On
retrouve ce schéma de principe jusque dans les aménagements comme les banquettes
et murs internes, mais également dans les reprises de maçonnerie qui marquent les
réparations de la sortie de l’alandier [ill. 4b-projection IV]. L’assemblage de ces deux

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matériaux, un qui structure et l’autre qui protège, forme un ensemble porteur qui
constitue le principe de la construction du four. Il n’y a pas d’alternance désordonnée
des matériaux qui pourrait laisser penser que la terre crue a été choisie par défaut pour
combler un manque ponctuel.
15 La maîtrise architecturale de cet ensemble, sa datation précoce 3 et les normes de
construction suggèrent un savoir-faire importé ou mis en œuvre selon des directives
strictes. Une utilisation ponctuelle ou de courte durée d’un four ne nécessite
probablement pas un tel soin dans sa construction. La sélection de ces matériaux en
fonction de leur qualité révèle vraisemblablement une volonté de pérenniser cette
construction. Cet exemple de structure illustre les connaissances acquises par les
constructeurs sur les matériaux à leur disposition. Le matériau terre répond ici à une
nécessité et son emploi est bien un choix éclairé.

BIBLIOGRAPHIE
Vitruve, 1847, L’architecture de Vitruve, Maufras C. L. (éd.), Paris, C.-L-.F. Panckoucke, 2 vol., 584 p.
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Mondoloni A., Mours, « le Derrière des Moulins », rapport de fouille, Inrap-SRA Île-de-France, vol. 1,
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Alligri A. et Raymond P., 2015, « Étude des fours de tuilier 2572 (FR 20) et 1009 (FR 2) », in
Mondoloni A., Mours, « le Derrière des Moulins », rapport d’opération, Inrap-SRA Île-de-France,
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Cammas C., 2015, « Expertise micromorphologique sur les briques en terre crue du four de tuilier
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Inrap-SRA Île-de-France, vol. 1, p. 169-172.

Charlier F., 2011, Technologie des tuiliers gallo-romains (Gaules et Germanies), Analyse comparative et
régressive des structures de production des matériaux de construction en terre cuite de l’époque
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856 p.

Homand-Étienne F., 1986, Comportement mécanique des roches en fonction de la température, Nancy,
Éd. de la Fondation scientifique de la géologie et de ses applications (coll. Sciences de la terre.
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Le Goff M., Gallet Y., Genevey A., Warmé N., 2002, « On archeomagnetic secular variation curves
and archeomagnetic dating », Physics of the earth and planetary interiors, 134, p. 203-211.

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statistique, chronologie, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme (coll. Documents
d’archéologie française, 12), 142 p.

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Mauné S., Silvéréano S., avec la coll. de Newman C., 2011, « Les productions augusto-tibériennes
de l’atelier de potiers de Bastide-Neuve à Vélaux (Bouches-du-Rhône) », in Actes du Congrès
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Mondoloni A., 2015, Mours, « le Derrière des Moulins », Une structure de crémation au néolithique récent
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2015, 2 vol., 1148 p.

Nguyen T. D., 2009, Étude du comportement au feu des maçonneries de briques en terre-cuite, Approche
expérimentale et modélisation du risque d’écaillage, Thèse de Doctorat, Génie civil, Université Paris-
Est, Laboratoire de Modélisation et Simulation Multi-Échelle, 154 p. Disponible sur : https://
tel.archives-ouvertes.fr/tel-00539872/document (03/09/2015)

Schulz R. , Fischer B., 2002, Die Ziegeleimanufaktur von Neupotz, Kreis Germersheim, Archäologie in
Rheinland-Pfalz, p. 96-98.

Trimpert H. A, 2003, Die römischen Ziegeleien in Rheinzabern « Fildelisstraße ». Mit studien zum
römischen Ziegeleiwesen in den germanischen Provinzen und Raetien, Speyer, Landesamt für
Denkmalflege Archäologische Denkmalpflege Amt Speyer, 300 p.

NOTES
1. Fouille préventive dirigée par A. Mondoloni, Inrap, de septembre 2011 à avril 2012.
2. Cette valeur est exprimée en watt par mètre-kelvin. C’est la quantité de chaleur qui se propage
au travers de 1 m² de matériau, épais de 1 m, en 1 seconde.
3. L’étude archéomagnétique place l’abandon du four 2572 dans l’intervalle [0/+40] AD (Le Goff et
al., 2002). Le sol induré de la chambre de chauffe du four 1009, également prélevé, donne un
intervalle d’âge assez similaire [-20/+10] AD (Alligri, 2015).

RÉSUMÉS
La fouille du site de Mours (Val-d’Oise) a mis au jour deux fours de tuilier antiques. Leurs
architectures constituées en partie en brique crue soulèvent plusieurs questions quant aux choix
des matériaux et à leur mise en œuvre. Une analyse des atouts et contraintes de chaque élément
de la construction permet de mettre en avant les qualités techniques du matériau terre qu’il soit
cru ou cuit.

The excavations of Mours (Val-d’Oise) have revealed two Roman tile kilns. They were partly
made of mud bricks and this raises questions about the choice and use of this material. The
examination of the advantages and limitations of the components used in the construction of
these kilns provides insights into the technical attributes of fired and unfired clay.

La excavación del sitio de Mours (departamento de Valle del Oise) dejó al descubierto dos hornos
tejeros antiguos. Sus arquitecturas, constituidas en parte por ladrillos de barro, llevan a
cuestionarse acerca de la elección de los materiales y sobre su uso. Un análisis de las ventajas y

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desventajas de cada elemento de la construcción ha permitido destacar las cualidades técnicas


del material tierra, ya sea cruda o cocida.

INDEX
Mots-clés : Antiquité, four de tuilier, brique crue, terre cuite architecturale, Île-de-France.
Palabras claves : Antigüedad, horno tejero, ladrillo de barro, tierra cocida arquitectónica, Isla
de Francia
Keywords : Roman period, tile kilns, mud bricks, fired building bricks, Île-de-France

AUTEURS
AURÉLIA ALLIGRI
Inrap

PASCAL RAYMOND
Inrap

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Les enduits de terre crue de deux


fosses antiques
Recherches pluridisciplinaires et hypothèses de fonctionnement
Two Roman clay-lined pits. Multi-disciplinary analyses and hypotheses
concerning their use
Las argamasas de barro de dos fosas antiguas. Investigaciones
pluridisciplinarias e hipótesis de funcionamiento

Tanguy Wibaut, Jean-Emmanuel Aubert, Jérôme Ros , Jérôme Kotarba et


Pascal Verdin

1 La ville de Prades (Pyrénées-Orientales) se situe dans la moyenne de vallée de la Têt,


dans les premiers contreforts des Pyrénées orientales. Une opération de fouille 1,
implantée en périphérie immédiate de l’ancienne ville médiévale, a révélé des vestiges
datés entre le ier siècle et le ve de notre ère, liés à un habitat antique dont la localisation
précise et l’ampleur restent incertaines. La documentation actuelle ne permet donc pas
de préciser la nature et le statut exact de ce site. Deux fosses (SB1 au nord et SB65 au
sud, distantes l’une de l’autre d’environ 9 m) comblées au cours de la seconde moitié du
ier siècle, entre 50 et 80 de notre ère, ont particulièrement attiré l’attention du fait de
leur revêtement [ill. 1].

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1. Plan de masse de la fouille. La différence de coloris sur les fosses correspond aux différentes
couches de comblement visibles au décapage.

© Chr. Coeuret, Inrap

Des fosses pourvues d’un revêtement en terre crue


2 Les deux fosses apparaissent à 40 cm de profondeur sous le niveau actuel. Leurs limites
se distinguent bien du sol naturel environnant et particulièrement le liseré de terre
plus claire qui tapisse les parois du creusement [ill. 2]. En plan, chacune d’elles dessine
une forme rectangulaire à angle arrondi. Elles présentent des dimensions comparables
et un volume maximal de 10 m3. Elles sont creusées dans des niveaux naturels
graveleux. Les parois sont très légèrement convexes et le fond est aplani bien qu’en
pente vers une extrémité [ill. 3]. Ces fosses se singularisent par la présence d’un épais
revêtement constitué de terre crue, de 6 cm au fond et jusqu’à 22 cm en haut des parois,
qui s’épaissit au niveau du fond de la fosse nord. Sa pose réalisée de façon soignée a
permis de ragréer le modelé du terrain naturel, irrégulier par endroits. Notons qu’une
partie du fond de la fosse sud n’a pas été recouverte par cet enduit, profitant de la
présence à cet emplacement d’une strate de limon jaune naturel. La surface de l’enduit
est lisse et dessine une légère courbure à la jonction entre le fond et la paroi.
Globalement, cet enduit est d’aspect homogène. Le sédiment qui le compose est
compact et de couleur jaune pâle, il est toutefois plus beige dans la partie basse de la
fosse nord. La matrice limoneuse inclut quelques charbons de bois, de rares galets et
des cailloux épars. Telles qu’elles nous sont parvenues, ces fosses sont dépourvues de
système d’accès. La dynamique de comblement est identique pour les deux fosses. Le
remblaiement se compose de plusieurs strates limoneuses, plus ou moins foncées et/ou
sableuses, et il comporte par endroits des passées de terre charbonneuse,

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133

correspondant à des vidanges de foyer, de rares scories de fer ainsi que des blocs dont
certains forment des concentrations. Ces couches remontent le long des parois
latérales, d’où un profil en U évasé, dû à des tassements distincts. Par contre,
longitudinalement, les niveaux inférieurs épousent le fond de la fosse qui présente un
léger pendage.

2. La fosse nord, testée dans son quart sud-est lors du diagnostic. On distingue le parement de
terre crue des parois et l’enduit plus clair du fond.

© A. Polloni, Inrap

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3. Coupes latérales et longitudinales des deux fosses. Elles présentent des dimensions similaires,
environ 2,20 m de large pour 3,20 m de long ; seule la profondeur diffère, jusqu’à 1,40 m pour la
fosse nord et seulement 1,10 m pour l’autre dont le fond correspond sur une large moitié nord à la
couche naturelle limoneuse.

© Chr. Coeuret, Inrap

Un revêtement limoneux d’extraction locale


3 Des analyses physico-chimiques et minéralogiques effectuées sur trois échantillons –
provenant des parois des deux fosses, du fond de la fosse nord et de la couche naturelle
limoneuse atteinte lors du creusement de la fosse sud [ill. 4c] (Thouron, 2015) 2 – ont
contribué à l’interprétation du rôle joué par l’enduit. Ces analyses permettent en effet
d’identifier la nature des terres utilisées et la composition du mélange nécessaire à la
confection de l’enduit.
4 La caractérisation physique a pour but de mettre en évidence d’éventuelles différences
granulométriques3 entre le limon naturel et les revêtements situés sur le fond et les
murs, en distinguant différentes classes granulométriques (argiles, limons, sables,
graviers et cailloux). Les résultats semblent indiquer que les enduits ont une origine
commune [ill. 4a], sans doute un matériau proche du limon naturel, présent sur le site à
80 cm de profondeur. Nous observons néanmoins que la teneur en argile varie quelque
peu d’un échantillon à l’autre : le fond de la fosse nord présente un taux de 25 % de
particules très fines alors que celui des parois est légèrement inférieur, de l’ordre de
15 %. Si ce taux est trop faible pour que l’enduit soit étanche à l’eau, ce dernier peut
toutefois réguler l’hygrométrie à l’intérieur de la fosse et de la sorte préserver son
éventuel contenu des risques liés à l’humidité (pourrissement…).

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4. a. Courbes granulo-sédimentométriques des quatre échantillons. En noir, le limon naturel du fond


de la fosse sud, en vert l’enduit de ses parois. Le bleu et le rouge correspondent respectivement au
fond et à l’enduit des parois de la fosse nord.

© M. Thouron

5 L’analyse chimique4 permet quant à elle de préciser la composition de cet enduit. Elle
révèle que les quatre échantillons sont constitués des éléments majeurs suivants :
aluminium, silicium, fer, magnésium, manganèse, calcium, sodium, potassium, titane et
phosphore. Chaque élément est représenté dans des proportions similaires d’un
échantillon à l’autre [ill. 4b]. On s’aperçoit toutefois qu’il y a 4 % de moins de dioxyde de
silicium dans le limon naturel que dans les autres échantillons. Les enduits ont donc
probablement été mélangés avec du sable de rivière. Le revêtement des parois étant
plus épais que le fond, l’adjonction de sable a permis de limiter, voire d’éviter la
fissuration de l’enduit au moment du séchage.

4. b. Tableau donnant les teneurs en pourcentage des éléments majeurs présents dans les quatre
échantillons (SB1 est la fosse nord ; SB65, la fosse sud). L’enduit du fond de la fosse nord
comporte moins d’oxyde de fer (Fe2O3) et de manganèse (MnO) que les autres enduits, ce qui
explique sans doute sa coloration plus claire.

© M. Thouron

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4. c. Vue en coupe de la fosse sud où l'on observe les parois de terre crue posées sur le limon
naturel faisant office de fond.

© M. Thouron

6 La caractérisation minéralogique a permis de confirmer la provenance locale des


matériaux. Premièrement, une analyse menée par diffraction de rayons X (DRX) a été
réalisée pour identifier la nature des minéraux cristallisés majeurs présents dans
chaque échantillon. Ceux-ci contiennent de la montmorillonite (composante des
smectites), de l’illite (le minéral le plus commun dans les argiles), de la muscovite
(c’est-à-dire du mica blanc), de l’orthose, de l’albite et des cristaux de quartz. La
signature minéralogique est caractéristique du massif du Canigou. La présence de mica
dans le limon est de nature à renforcer la texture de l’enduit à l’état sec.
Deuxièmement, une analyse thermique gravimétrique (ATG) a été réalisée 5. Ce test a
permis de compléter les analyses faites par DRX en mettant notamment en évidence
l’absence de goethite6 et la présence d’hydrargillite dans l’enduit du fond de la fosse
nord. Inversement, dans les autres échantillons, on constate la présence de goethite et
l’absence d’hydrargillite. L’absence de goethite expliquerait le moindre taux en oxyde
de fer et démontre également que le matériau servant de base à l’enduit qui tapisse le
fond de la fosse nord, même s’il est apparenté au limon naturel par sa composition
chimique et sa granulométrie, a pu être prélevé à un autre endroit.
7 Des analyses micromorphologiques, actuellement en cours d’étude 7, devraient quant à
elles permettre de caractériser la mise en œuvre utilisée pour l’application des enduits.

L’apport des macrorestes


8 Si ces analyses ont permis de mieux cerner l’origine des matériaux qui enduisent les
fosses, elles n’ont toutefois qu’un intérêt limité pour appréhender la fonction initiale de
celles-ci. Nous avons donc complété ces premières investigations par la recherche de
phytolithes8. Un prélèvement extrait dans l’enduit du fond de la fosse nord a livré la
présence de phytolithes de graminées (89,1 %) et de phytolithes de taxons ligneux

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(arbres soit 10,9 %). Parmi les phytolithes de graminées, on soulignera la présence de
glumes de graminées sauvages (11,9 %) et de glumes issus plus probablement d’orge
(type Hordeum, 4,5 %) et de blé (type Triticum, 0,5 %).
9 Un second échantillon de sédiment, prélevé dans la même couche et destiné à l’étude
des carporestes9, n’a pas permis de mettre en évidence un assemblage en position
primaire. En effet, les semences identifiées correspondent à des éléments d’origine
détritique, rejets de consommation ou de préparation alimentaire, carbonisés puis
rejetés dans la fosse. L’absence de restes carpologiques en position primaire de
stockage ne signifie cependant pas que la fosse n’a pas servi de structure de réserve, les
semences ne se conservant en place qu’en cas de combustion accidentelle du stock ou
lors du nettoyage des parois au feu pour assainissement.

La fonction des fosses


10 Des scories de fer, liées à la réduction du minerai, et des rejets de foyers sont attestés
dans le comblement mais, bien entendu, ces vestiges ne peuvent pas illustrer la
première utilisation de ces fosses. La question de la fonction de l’enduit peut être
posée : il peut avoir servi soit à assainir la fosse, pour que le contenu reste au sec, soit à
éviter des écroulements du substrat par ailleurs très friable. On pense donc à une
fonction proche de celle d’un silo10, même si les analyses et la morphologie atypique de
ces deux fosses ne permettent pas de définir précisément leur fonction initiale. La
perméabilité du revêtement en terre des parois et d’une partie du fond implique soit
une couverture pour rester à l’air libre, soit un contact avec la matière à conserver et
un recouvrement léger. L’hypothèse de simples caves n’a pas été retenue du fait de
plusieurs éléments : l’absence d’aménagement pour descendre, l’absence de signes
manifestes de piétinement sur le fond associé à une dégradation progressive des parois
et enfin l’absence d’aménagement périphérique qui aurait montré l’intégration des
fosses à un bâti assurant leur couverture11. Comme le suggère timidement l’analyse des
phytolithes, ces creusements pourraient avoir servi à la « réserve » de végétaux,
comme par exemple du fourrage (Gazenkeek et al., 2015). Il est intéressant de rappeler
dans ce cadre que les agronomes hispano-arabes préconisent, pour assainir les silos,
l’utilisation « d’enduit composé d’argile, d’eau, d’olive et de cendres (d’autres
composantes peuvent être ajoutées : coloquinte, myrte séchée, cyprès…) » (Puig, 2003,
p. 112).
11

La forme quadrangulaire de ces fosses, inhabituelle dans la région 12, pourrait être liée à
la difficulté de pratiquer un creusement en forme d’ampoule dans un terrain naturel
instable. Ces fosses participeraient ainsi des activités agricoles de l’habitat tout proche,
et elles pourraient en particulier jouer un rôle dans le domaine de la conservation des
denrées, par exemple pour le bétail.

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BIBLIOGRAPHIE
Gazenbeek M., Wiethold J., Verdin P., 2015, « Eine Domus in einer römischen Provinzstadt : La
Fontainotte in Grand (Vosges) - archäologische und archäobotanische Ergebnisse der Ausgrabung
2011 », in Koch M. (éd.), Archäologie in der Grossregion. Beiträge des internationalen Symposiums zur
Archäologie in der Großregion in der Europäischen Akademie Otzenhausen, Archäologietage
Otzenhausen, 1, p. 233-256.

Puig C., 2003, « Stockage et conservation des denrées agricoles en Roussillon du xi e au


xive siècle », in Elne ville et territoire, Deuxièmes rencontres d’histoire et d’archéologie d’Elne
(octobre 1999), Elne, Société des Amis d’Illibéris, p. 105-117.

Thouron M., 2015, Analyse minéralogique de parois en terre crue de vestiges archéologiques à Prades (66),
rapport de stage Master 1 « eaux, sols, environnement » effectué sous la direction de J.-E. Aubert
au laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions (UPS-INSA Génie Civil), Université de
Toulouse, 25 p.

NOTES
1. Réalisée d’avril à juin 2014, sur une superficie de 800 m², sous la responsabilité de J. Kotarba
(rapport en cours).
2. L’analyse des échantillons est le fruit d’une collaboration scientifique entre l’Inrap et J.-E.
Aubert du Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions (LMDC) de l’Université de
Toulouse. Ces investigations ont été gracieusement prises en charge par le laboratoire dans le
cadre du stage de Mélissa Thouron.
3. Les tests sont réalisés par tamisage à sec pour les particules supérieures à 80 µm et par
sédimentation pour les particules inférieures à 80 µm. La sédimentométrie détermine la
distribution pondérale de la taille des particules fines d’un sol sauf pour les particules inférieures
à 1 µm qui ne peuvent être différenciées par cette méthode.
4. Il s’agit d’une analyse avec une ICP-OES (Induced Coupled Plasma Optical Emission
Spectroscopy) qui a été menée par le Service d’Analyse des Roches et des Minéraux (SARM) du
Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG) de Nancy. Nous remercions
vivement ces organismes pour leur collaboration qui a permis, dans ce cadre spécifique, d’avoir
recours à des analyses inhabituelles.
5. Durant l’analyse, la masse de l’échantillon est mesurée en continu au fur et à mesure que la
température de l’échantillon augmente (de 20 °C à 1000 °C). Les variations de masse à certaines
températures sont caractéristiques de la transformation de certains minéraux constitutifs du
matériau. Par exemple, à 120 °C, la perte de masse correspond à l’évaporation de l’eau
hygroscopique . À 500 °C, c’est la déshydratation des argiles.
6. La goethite est un oxyhydroxyde de fer.
7. Analyses réalisées par Cécilia Cammas, Inrap.
8. Analyses réalisées par Pascal Verdin, Inrap.
9. Étude réalisée par Jérôme Ros, CNRS.
10. Dans les Pyrénées-Orientales et notamment dans la plaine côtière, le recours à l’ensilage
perdure durant toute l’époque romaine. Au milieu du Ier siècle de notre ère, l’utilisation de
structures d’un volume proche de 15 m3 est associée, de manière intuitive, à des conservations
particulières comme celle du fourrage.

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11. Les morceaux de tegulae du comblement, certes postérieur à l’usage premier, sont très peu
nombreux et ne représentent au total pas plus d’une demi-tuile.
12. Elles sont mieux documentées ailleurs en France et souvent considérées comme des pièces
souterraines.

RÉSUMÉS
Une fouille réalisée à Prades (Pyrénées-Orientales) a mis au jour deux fosses antiques ( Ier siècle de
notre ère) de forme quadrangulaire. Elles sont enduites d’un épais revêtement de terre crue. Des
analyses physiques, chimiques et minéralogiques ont permis de déterminer la nature et les
proportions des éléments présents dans le limon naturel ainsi que dans les enduits de
revêtement des fosses. Ces analyses sont complétées par une recherche de phytolithes qui nous
renseigne sur la présence de graminées et de taxons ligneux. La fonction initiale de ces
creusements pourrait être la conservation de végétaux, peut-être du fourrage.

Excavations undertaken at Prades (Pyrénées-Orientales) have revealed two quadrangular pits


dated to the first century AD. They were lined with a thick layer of clay. Physical, chemical and
mineralogical analyses have enabled us to identify the types and proportions of the elements
present in the natural clay-silt and in the lining of the pits. In addition, an examination of the
phytoliths indicates that grasses (gramineae) and ligneous taxa (tree species) were present. The
pita may have originally been used to store vegetable matter, perhaps fodder.

Una excavación llevada a cabo en Prades (departamento de Pirineos Orientales) dejó al


descubierto dos fosas antiguas de forma cuadrangular del siglo I de nuestra era, mamposteadas
con un espeso revestimiento de barro. Análisis físicos, químicos y mineralógicos han permitido
determinar la naturaleza y las proporciones de los elementos presentes en el lodo natural, así
como de las argamasas de revestimiento de las fosas. La búsqueda de fitolitos, que determina la
presencia de gramíneas y de taxones leñosos, ha permitido completar los análisis. La función
inicial de estas cavaduras puede haber sido la conservación de vegetales, presumiblemente de
forraje.

INDEX
Mots-clés : Antiquité, fosse, enduit, terre crue, analyses physico-chimiques
Keywords : Roman period, pits, lining, clay, physical and chemical analyses
Palabras claves : Antigüedad, fosa, argamasa, barro, análisis fisicoquímicos

AUTEURS
TANGUY WIBAUT
Inrap

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JEAN-EMMANUEL AUBERT
université de Toulouse, Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions (LMDC)

JÉRÔME ROS
CNRS, UMR 7209, « Archéozoologie, Archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements »

JÉRÔME KOTARBA
Inrap

PASCAL VERDIN
Inrap, UMR 7264, « CEPAM »

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Habitats antiques en terre à Lons-le-


Saunier
Variété et évolution des techniques
Roman earthen buildings at Lons-le-Saunier. Diversity and development of
techniques
Hábitats antiguos de barro en Lons-le-Saunier. Variedad y evolución de las
técnicas

Valérie Viscusi

1 Implantée au débouché d’une reculée entaillant le plateau jurassien, l’agglomération


antique de Lons-le-Saunier (Jura) était probablement le chef-lieu d’un pagus séquane. Si
diverses découvertes anciennes, essentiellement au cours du xix e siècle, ont permis de
révéler la présence de vestiges antiques, leur importance a été mise en évidence par
plusieurs opérations de fouille ou de surveillance de travaux menées à partir des
années 1960 (Rothé, 2001) et par les nombreuses observations réalisées par l’équipe du
service d’archéologie de la ville. Parmi celles-ci, l’importante fouille de la place de la
Comédie dirigée par J.-L. Mordefroid en 1989-1990 a notamment permis la découverte
d’un collecteur qui contenait un très riche mobilier (céramique, verre, métal, lampes à
huile, intailles...) tout à fait exceptionnel (Mordefroid et al., 1990). La mise en évidence
d’un niveau d’occupation laténien a permis de confirmer l’origine gauloise de cette
agglomération, déjà entrevue à l’occasion des travaux du Syndicat d’Initiative en 1969
surveillés par J.-L. Odouze (Rothé, 2001).
2 Complétant ces données, deux diagnostics réalisés en 2010 et 2013 ont mis en évidence
la puissance stratigraphique conservée, qui atteint 5 m (Viscusi et al., 2014). Dans les
deux opérations, les sondages ont révélé des constructions antiques en terre, que la
mise en place de blindages a permis de fouiller, sur des surfaces toutefois limitées (9 et
12 m²). Ces niveaux d’occupation ont été rencontrés à des profondeurs comprises entre
2,8 et 4,8 m.
3 Un projet collectif de recherche portant sur les origines de l’agglomération antique
jusqu’au haut Moyen Âge a vu le jour en 20151. En reprenant l’intégralité des données et

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du mobilier issus des découvertes anciennes ou récentes réalisées à Lons-le-Saunier, il


doit permettre d’avoir une vision renouvelée de la ville antique.

Une vision fragmentaire mais des vestiges


spectaculaires
4 Lors du sondage mené rue de la Chevalerie en 20102, des constructions en terre,
détruites par incendie, ont été mises au jour dans quatre des cinq niveaux d’occupation
qui se sont succédé du ier au iiie siècle (Viscusi, 2015).
5 Si une première implantation durant La Tène finale (LTD2) est attestée par la présence
d’un sol construit sur les alluvions fluvio-glaciaires, aucune trace d’élévation n’a été
observée. En revanche, le sol qui lui succède, mis en place sur un remblai de graviers,
était limité par des murs en terre dont seule témoigne la couche de démolition qui le
surmonte, provoquée par incendie au cours de la seconde moitié du i er siècle (état 2).
6 Les états suivant ont livré des vestiges beaucoup plus explicites. Au cours de la
première moitié du iie siècle (état 3), est édifiée une habitation dont trois pièces ont été
partiellement reconnues, séparées par deux murs implantés perpendiculairement
[ill. 1]. À l’ouest, la pièce comporte un sol en terre battue surmonté par des lambourdes
et un plancher [ill. 2 et 7]. La couche de démolition montre que cet espace était couvert
en tuiles et ne comportait pas d’étage ni de plafond. À l’est, la pièce est agrémentée par
un sol damé constitué de graviers noyés dans une matrice limoneuse ocre. Dans un
second temps, un nouveau sol de composition similaire est aménagé sur un radier de
galets. Aucune tuile n’a été recueillie dans cet espace probablement pourvu d’une
couverture végétale. De la troisième pièce, ne sont connus que deux sols successifs en
terre battue. Les murs sont édifiés en terre et montrent que la phase de réfection
observée sur les sols s’est étendue à la totalité de l’édifice. Le premier mur, arasé, est
monté sur le sol en graviers et limon ocre [ill. 2]. Le second semble bâti sur une sablière
qui reposait sur le radier de galets et contre laquelle est venu buter le deuxième sol de
graviers. Cette paroi à pan de bois s’est effondrée à plat dans la pièce orientale durant
un épisode d’incendie [ill. 3].

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1. Le plan des vestiges de l’état 3 fouillé rue de la Chevalerie permet de restituer un bâti composé
de trois pièces.

© V. Viscusi, Inrap

2. La paroi nord-sud arasée, fouillée rue de la Chevalerie, s’est affaissée sur le plancher de la pièce
ouest durant l’occupation de l’état 3. Au premier plan, on observe le poteau équarri carbonisé.

© V. Viscusi, Inrap

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3. La paroi à pan de bois et clayonnage effondrée appartenant à l’état 3 de la rue de la Chevalerie


était dotée d’une porte dont les longues baguettes verticales, majoritairement en noisetier et hêtre,
sont solidarisées par des rangées de baguettes entrecroisées. Un élément ferreux trouvé à mi-
hauteur de la porte, le long du montant de la paroi, évoque le système de fermeture.

© V. Viscusi, Inrap

7 Les gravats consécutifs à l’incendie ont été régalés sur place, produisant un
rehaussement des niveaux d’une trentaine de centimètres, pour permettre la
construction d’un nouvel édifice au cours de la seconde moitié du ii e siècle (état 4). Le
nouveau mur ne se superpose pas à ceux des états précédents et son orientation
diverge légèrement. La nouvelle construction comporte une fondation en pierre, édifiée
dans une tranchée qui incise les remblais de démolition sous-jacents. Le sol
contemporain est un plancher, très mal conservé, dont les lambourdes reposent
directement sur le toit des remblais. Le sol était couvert par une couche de petits cubes
de terre cuite qui constituent les éclats thermiques produits par les tuiles durant
l’incendie.
8 Si le dernier état de construction antique (état 5), occup é au cours du ii e siècle, a
également livré un plancher carbonisé, les gravats produits par l’incendie évoquent
une élévation en pierre et mortier de chaux avec couverture en tuiles.
9 À 150 m de ces découvertes, des sondages réalisés promenade de la Chevalerie, en 2013 3
(Viscusi Simonin, 2013), ont permis la fouille partielle d’un habitat implanté au début
du ier siècle de notre ère et détruit par un incendie vers le milieu de ce siècle. La
construction est implantée sur plusieurs couches de remblais graveleux préalablement
apportés afin de mettre hors d’eau une plateforme située dans le lit majeur de la
rivière. La surface observée est divisée en deux pièces par une cloison partiellement
conservée en élévation, sur une quinzaine de centimètres, et partiellement effondrée à
plat [cf. ill. 8 infra]. Dans la pièce nord, un sol formé d’une calade de galets surmontée

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par un lit de mortier de chaux prend la suite d’une simple terre battue. La pièce sud ne
comporte que des sols successifs en terre battue. L’absence de fragments de tuile et la
présence, entre le sol et la paroi effondrée, d’une couche cendreuse et charbonneuse
dépourvue de gros charbons évoquent la combustion d’une couverture végétale légère.

L’aspect des vestiges conservés


10 Quelques observations s’imposent comme un préalable obligé à l’évocation des
techniques de construction. Les maçonneries de terre ont été découvertes sous
plusieurs formes : en élévation, effondrées à plat sur le sol, en morceaux de taille
décimétrique ou désagrégées dans les remblais de démolition. Si leur destruction est,
dans chaque cas, intervenue lors d’un épisode d’incendie, l’impact du feu a été très
variable. Ainsi, la température et la présence ou non d’oxygène ont considérablement
influencé la texture et la couleur du matériau. Dans un cas, l’action du feu a révélé de
façon spectaculaire la composition de la paroi qui n’était pas perceptible de visu à une
cinquantaine de centimètres de distance (voir infra).
11 Sur la plus grande partie de la surface, la paroi à pan de bois effondrée à plat sur le sol
de l’état 3 de la rue de la Chevalerie montre une structure en bois équarri et baguettes
carbonisées englobées dans une terre de consistance meuble et de couleur jaune. À
proximité immédiate, d’autres fragments de parois, découverts superposés sur le même
sol, sont totalement cuits [ill. 3, en haut à droite] et les emplacements des baguettes,
entièrement consumées, sont visibles [ill. 4].

4. Rue de la Chevalerie, un fragment de paroi cuit attribué à l’état 3 a révélé les traces du
clayonnage.

© V. Viscusi, Inrap

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12 Appartenant au même état 3 de la rue de la Chevalerie, une des parois est conservée en
élévation sur une hauteur de 40 cm, légèrement affaissée contre la lambourde du
plancher voisin [cf. ill. 2 supra]. Sur la faible longueur observée, elle présente une
grande variété de coloration. En partie nord, les charbons noirs de la structure interne
se distinguent nettement au sein d’une matrice de texture granuleuse qui semble, selon
les endroits, soit uniforme, soit formée de deux couches de couleur gris foncé et gris
clair [ill. 5]. Au sud, la partie charbonneuse apparaît enrobée par une succession de
fines couches de textures et de couleurs variées (blanc, rouge, rose, jaune, noir). Alors
que dans le premier cas (au nord), nous sommes tentés d’imaginer l’application d’un
torchis en couche unique ou en deux applications englobant le clayonnage et protégé in
fine par un enduit, le second cas (au sud) met en évidence la complexité du processus. Il
est probable que la technique de construction de la paroi ne varie pas sur la longueur
observée mais que seule la variation des conditions de température et d’oxygénation
durant l’incendie a permis d’en révéler les étapes.

5. La partie située au nord du poteau équarri de la paroi nord-sud de l’état 3 de la rue de la


Chevalerie a subi une combustion réductrice.

© V. Viscusi, Inrap

Des techniques de construction diversifiées


13 Les vestiges illustrent la diversité des procédés de construction employés, parfois au
sein d’un même édifice. L’emploi simultané de murs de terre et de maçonneries en
pierre paraît également avoir existé, comme en témoignent certains indices : durant
l’état 3, rue de la Chevalerie, la pièce occidentale, à couverture de tuiles, a produit un
remblai de démolition composé d’une grande quantité de chaux alors que la pièce
orientale, à couverture végétale, en est dépourvue. Il est donc possible qu’une partie

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des maçonneries (situées en dehors de l’espace exploré par le sondage) ait été
construite en pierre et coexiste avec la paroi qui sépare les deux pièces, édifiée en terre.
14 Rue de la Chevalerie, le mur qui sépare les deux pièces de l’état 3 comporte un poteau
de sapin équarri de 15 cm de section posé sur le sol [ill. 5]. La paroi en torchis est
constituée de fines couches de terre de composition variée, appliquées successivement
autour d’une ossature composée de baguettes verticales ou de planches [ill. 6]. Elle est
protégée par un enduit couvert d’un lait de chaux. Ces deux dispositifs ont été observés
à Villards-d’Héria dans le Jura (Odouze, 1985), où les baguettes verticales sont associées
à une sablière, et à Strasbourg dans le Haut-Rhin (Baudoux, 2006) ou Augst en Suisse
(Paunier, 1985) où certaines parois montrent une structure interne en planches.

6. Les conditions d’incendie ont permis de révéler la technique de construction de la paroi nord-sud
de l’état 3, rue de la Chevalerie.

© V. Viscusi, Inrap

15 La paroi effondrée à plat sur le sol de la pièce voisine du mur précédent renferme une
structure à pan de bois et clayonnage. Un montant et deux traverses carbonisés sont
parfaitement conservés [cf. ill. 3 supra] tandis que quelques charbons pourraient
évoquer une sablière. La structure interne est formée par des baguettes maintenues
dans la traverse par une baguette d’assemblage refendue disposée dans une feuillure
[ill. 7]. Les essences d’arbre utilisées sont très variées (sapin et hêtre pour les montants
et traverses, noisetier, hêtre et érable principalement pour les baguettes) 4. La terre qui
englobe la structure montre une texture fine et homogène et la surface ne comporte
pas d’enduit.

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7. La paroi à pan de bois de l’état 3, rue de la Chevalerie, était dotée d’un clayonnage constitué de
baguettes courtes majoritairement en noisetier, maintenues dans une feuillure ménagée dans la
traverse équarrie par une baguette refendue en tilleul.

© L. Jaccottey, Inrap

16 La paroi découverte promenade de la Chevalerie, large d’une vingtaine de centimètres,


a été édifiée sur une sablière en chêne. Aucune autre trace de structure interne n’a été
détectée, tant dans la quinzaine de centimètres conservée en élévation que dans les
parties effondrées à plat. Celles-ci sont constituées de couches de textures différentes,
limoneuses, argileuses ou sableuses, et de couleurs différentes, orangées ou grises. Des
incisions disposées en chevrons ont été pratiquées dans la surface terreuse pour une
meilleure adhérence du mortier sableux recouvert d’un fin enduit de chaux blanc
[ill. 8]. Certains autres fragments semblent couverts par un enduit terreux et sableux
dépourvu de finition à la chaux.

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8. La paroi partiellement détruite par un incendie au milieu du Ier siècle de notre ère, promenade de
la Chevalerie, présente encore une partie en élévation avec sablière (en bas) et la structure interne
de la paroi effondrée sur laquelle on distingue les incisions en chevron assurant l’adhérence de
l’enduit (en haut).

© V. Viscusi, Inrap

17 Si les vestiges de l’état 4 de la rue de la Chevalerie ne conservent qu’une fondation en


pierre dépourvue de liant, plusieurs indices évoquent une élévation en terre sur solin
maçonné. La couche de démolition produite par l’incendie des élévations était
composée de fragments de parois carbonisés. La coupe a montré la présence d’une
tranchée d’épierrement qui contenait du mortier de chaux et des pierres de petites
dimensions.
18 L’étude des techniques de construction n’est pas achevée. L’observation détaillée de la
terre des parois5 et celle des dégraissants végétaux6 sont prévues dans le cadre du PCR
portant sur l’agglomération antique de Lons-le-Saunier.

La fonction et le statut des constructions


19 Les pièces de l’état 3 de la rue de la Chevalerie ont livré des vestiges permettant de
caractériser leur occupation. Sur le plancher de la pièce occidentale, à couverture de
tuiles, ont été recueillis plusieurs pots de stockage brisés sur place, qui avaient libéré
leur contenu sous la forme d’une nappe de graines carbonisées. La pièce orientale, à
couverture végétale, n’a livré que quelques fragments de pots. Durant l’état suivant
(état 4), la pièce pourvue d’un plancher abritait également des réserves de graines,
découvertes sous la forme d’amas localisés qui trahissent leur conservation dans des
contenants périssables. Sous la promenade de la Chevalerie, un foyer était encastré
dans le sol en terre battue du premier état.

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150

20 Si ces vestiges trahissent une activité domestique, rien ne permet toutefois d’affirmer
que nous sommes ici en présence de la pièce à vivre d’un habitat modeste ou d’une
pièce spécialisée dans une construction plus vaste à fonctions diversifiées.
21

Le choix de la terre à construire est, à Lons-le-Saunier, indépendant du milieu naturel.


En effet, l’environnement géologique proche (rebord du plateau jurassien) constitue
une source d’approvisionnement en pierre abondante et disponible immédiatement.
22 Dans les fenêtres de surface très restreinte ouvertes sur l’occupation antique de
l’agglomération lédonienne à l’occasion de deux opérations de sondages, la
conservation et l’étude des élévations en terre ont été permises par les incendies qui
ont affecté la totalité des niveaux d’occupation. Les constructions mises au jour
peuvent être assimilées à des habitats modestes, peut-être regroupés au sein d’un
quartier. Alors que, pour les même périodes, la fouille de la place de la Comédie avait
livré des bâtiments avec enduits peints et traces de mosaïque, les demeures entrevues
dans les sondages sont dépourvues d’étage et comportent des murs en terre qui ne
semblent pas toujours protégés par un enduit de chaux et des sols en terre battue ou
des planchers.
23 Les modes constructifs employés montrent une évolution entre le i er siècle de notre ère
et le iiie siècle. Les premières constructions font un usage exclusif de la terre, tant pour
les sols que pour les élévations, qui supportent des couvertures légères. Au ii e siècle, les
bâtiments semblent comporter aussi bien des élévations en terre qu’en pierre ou des
élévations mixtes, à fondation et solin de pierre et élévation en terre. La terre est mise
en œuvre sous la forme de torchis, parfois appliqué en fines couches de compositions
différentes. Les planchers coexistent avec des sols de terre et graviers et la toiture
tuilée côtoie la couverture végétale. En revanche, le niveau d’occupation du iii e siècle
n’a livré les traces que d’une construction maçonnée en pierre au sol planchéié.

BIBLIOGRAPHIE
Baudoux J., avec la participation de Cantrelle S., 2006, « Les habitats gallo-romains en terre et en
bois de la rue de la Mésange à Strasbourg », Revue archéologique de l’Est, t. 55, p. 67-102.

Mordefroid J.-L., Cohen A.-S. de, Mercier C., 1990, Lons-le-Saunier, 2000 ans déjà : la Comédie, fouilles
1989, catalogue d’exposition, Musée d’archéologie de Lons-le-Saunier, Lons-le-Saunier, Cercle
Girardot, 33 p.

Odouze J.-L., 1985, « La Séquanie », in Lasfargues J. (dir.), Architectures de terre et de bois, l’habitat
privé des provinces occidentales du monde romain, antécédents et prolongements, Protohistoire, Moyen Âge
et quelques expériences contemporaines, Paris, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme,
« Documents d’Archéologie Française », n° 2, p. 85-92.

Paunier D., 1985, « La Suisse », in Lasfargues J. (dir.), Architectures de terre et de bois, l’habitat privé
des provinces occidentales du monde romain, antécédents et prolongements, Protohistoire, Moyen Âge et

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151

quelques expériences contemporaines, Paris, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, « Documents
d’Archéologie Française », n° 2, p. 113-126.

Rothe M.-P., 2001, « Lons-le-Saunier », in Le Jura. Carte archéologique de la Gaule, 39, Pré-inventaire
archéologique publié sous la dir. de M. Provost, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
p. 453-471.

Viscusi Simonin V. (dir.), 2013, Franche-Comté, Jura, Lons-le-Saunier, Promenade de la Chevalerie, De La


Tène finale à nos jours, 5 m de stratigraphie aux marges de la ville antique et médiévale, rapport
d’opération, SRA Franche-Comté, 274 p., 164 fig.

Viscusi V., Jaccottey L. et Humbert S., 2014, « Habitat antique et sépultures du haut Moyen Âge
mis au jour à Lons-le-Saunier », Bulletin de la Société d’émulation du Jura, travaux 2013, p. 93-116.
cnum.cnam.fr/CGI/redir.cgi?FOLRESQE2 (consulté le 29/03/2015).

Viscusi V. (dir.), 2015, Franche-Comté, Jura, Lons-le-Saunier, rue de la Chevalerie, 5,5 m de stratigraphie
de La Tène finale à nos jours, cinq épisodes d'incendie, un cimetière du haut Moyen Âge, rapport de
diagnostic, Inrap/SRA Franche-Comté, 164 p., 127 fig.

NOTES
1. Coordination V. Viscusi, Inrap et J.-L. Mordefroid, ville de Lons-le-Saunier.
2. Sous la direction de V. Viscusi Simonin, Inrap, rapport en cours.
3. Sous la direction de V. Viscusi Simonin, Inrap.
4. Détermination Olivier Girardclos, laboratoire Chrono-environnement, UMR 6249, et Étienne
Chabrol (dans le cadre d’un Master 1).
5. Delphine Minni, Inrap.
6. Emmanuelle Bonnaire, Inrap.

RÉSUMÉS
Deux opérations de sondages conduites dans l’agglomération antique de Lons-le-Saunier (Jura)
ont mis en évidence des vestiges appartenant à plusieurs habitats modestes construits en terre et
bois au cours du Ier et du IIe siècle de notre ère. Leur destruction à l’occasion d’incendies a
occasionné une conservation des vestiges qui permet l’évocation de leurs techniques de
construction.

Two series of test excavations undertaken in the Roman agglomeration of Lons-le-Saunier (Jura)
have revealed the remains of several modest buildings built of earth and timber in the course of
the first and second centuries AD. Their destruction by fire resulted in their preservation, which
in turn has made it possible to reconstruct the techniques used to build them.

Dos operaciones de sondeo, llevadas a cabo en la aglomeración antigua de Lons-le-Saunier


(departamento de Jura), dejaron al descubierto vestigios pertenecientes a varias viviendas
modestas de barro y madera, las cuales habían sido edificadas en el transcurso de los siglos I y II

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de nuestra era. Su destrucción por incendio se tradujo en la conservación de los vestigios, lo cual
ha permitido definir las técnicas de su construcción.

INDEX
Mots-clés : Antiquité, habitat, agglomération, techniques de construction, incendie, bois
carbonisés, construction en terre
Palabras claves : Antigüedad, vivienda, aglomeración, técnicas de construcción, incendio,
maderas carbonizadas, construcción de barro
Keywords : Roman period, settlement, agglomeration, building techniques, destruction by fire,
carbonised wood, earthen building

AUTEUR
VALÉRIE VISCUSI
Inrap, UMR 6249 « Chrono-environnement »

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Constructions médiévales en torchis


Étude de fragments issus de la démolition d’un bourg de la plaine du
Doubs
Medieval wattle and daub buildings. A study of the remains from the demolition
of a settlement in the plain of the Doubs
Construcciones medievales de entramado vegetal con mortero de tierra. Estudio
de fragmentos obtenidos tras la demolición de un burgo de la planicie del Doubs

Christophe Meloche et Dominique Sordoillet

1 Le village de Petit-Noir (Jura) se situe dans la basse vallée du Doubs, à 185 m d’altitude
et à environ 1 km du cours principal de la rivière, qui forme ici un coude après avoir
butté contre les reliefs bressans. Cette commune localisée dans l’extrémité nord-ouest
du département, limitrophe à la Saône-et-Loire, se trouvait sur la frontière des duché et
comté de Bourgogne.
2 Au xiiie siècle, le bourg était protégé par une enceinte en U s’appuyant à l’est contre le
méandre alors actif du Doubs. Son tracé a laissé une empreinte que tous les documents
cadastraux depuis 1758 ont fidèlement enregistrée. L’espace enclos est structuré par un
réseau viaire orthonormé découpant des îlots réguliers. Les auteurs du xix e siècle
signalaient la présence d’au moins deux portes fortifiées dont nous n’avons pu encore
retrouver la mention dans les documents d’archives consultés. Le bourg enclos était
partagé entre plusieurs seigneurs. La part de l’abbaye de Château-Chalon était dite la
« petite seigneurie », l’autre qui était tenue par les descendants de Robert de
Bourgogne puis par les familles de Rye et de Broissia se nommait la « grande
seigneurie ». Seuls les sujets de cette dernière seigneurie bénéficiaient d’une charte de
franchise qui leur fut accordée en 1272.
3 C’est à l’est de l’emplacement présumé d’une des portes qu’un premier diagnostic, en
20111, a mis en évidence une occupation médiévale le long de l’actuelle rue de la Mairie
(Billoin, 2012). Un diagnostic complémentaire en 2013 a permis de sonder une vaste
zone vide de structures s’étendant sur plus de 100 m au sud de la parcelle sondée en
2012 (Méloche, 2013). La fouille2 menée sur une superficie de 741 m2 a concerné plus de
50 structures dont plus des neuf dixièmes ont été datées par un très abondant mobilier

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céramique du xiiie et xiv e siècle (Mé loche, 2015) [ill. 1]. Il n’y a aucune structure
antérieure au Moyen Âge central et l’époque moderne n’a laissé que des traces
fugitives. Deux grandes fosses ont servi d’approvisionnement en matériaux de
construction pour l’édification de murs en torchis, dont de nombreux vestiges ont été
retrouvés lors de la fouille : 2,377 kg ont été prélevés pour étude et, dans ce lot, à une
exception près, tout provient des structures datées des xiiie-xive siècles.

1. Relevé de l’ensemble des structures et répartition des structures ayant livré des fragments de
torchis et de pisé entre le XIIIe-XIVe siècle et la période moderne.

La fouille a mis en évidence une zone comprenant sans doute, au XIIIe-XIVe siècle, deux jardins distincts
occupant la surface de parcelles étroites. Les habitats associés seraient situés plus au nord, en partie
sous l’actuelle chaussée. La capacité de stockage cumulé des nombreux silos et fosses attribués à
cette occupation atteint 11 m3.
© M. Lagache, C. Méloche, Inrap

Le contexte de la fouille
4 Cette zone de jardin comprenait deux puits. L’examen du plan terrier de 1758 permet
de replacer avec certitude la partie de la parcelle fouillée dans le ressort de la « grande
seigneurie ». Pour la période moderne, seuls quelques lambeaux de sol et de rares
fosses d’équarrissage sont connus. Entre 1758 et 1824, une maison fut bâtie
perpendiculairement à la rue, à l’emplacement des vestiges médiévaux qu’elle ne
perturbe que faiblement. Le long des rues, on trouvait l’habitat et, en profondeur, une
zone de jardins auxquels succédaient des champs cultivés. La disproportion des zones
cultivées par rapport aux superficies bâties ne doit pas faire illusion : il s’agit bien d’un
bourg doté de son enceinte, de son marché, de sa charte de franchise et des institutions

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communales qui en ont découlé, et, en l’absence de château, de bâtiments représentant


le pouvoir seigneurial comme la prison et la salle de justice.
5 Ce village a été bâti au cœur d’un ancien méandre où coule actuellement le ruisseau dit
de l’Échappée. Le sous-sol est naturellement constitué d’alluvions du Quaternaire (Fza),
dont les faciès les plus récents, ceux qui nous concernent ici, sont décrits comme des
sédiments fins, argileux, marneux ou sableux, de couleur brune à beige, selon que
l’argile ou le calcaire prédomine (Fleury et al., 1984). Un sondage du Bureau de
recherches géologiques et minières indique que ces alluvions atteignent au moins 3,7 m
d’épaisseur à cet endroit.
6 Les sondages effectués à l’occasion du diagnostic archéologique confirment la nature
alluviale du terrain et révèlent plusieurs épisodes de remblaiement liés aux travaux
d’aménagement médiévaux ou plus récents (Billoin, 2012, fig. 5). Les argiles de crue,
plus ou moins chargées de limons et de sables, apparaissent à une profondeur variant
entre 0,55 et 0,75 m sous la surface actuelle du sol. Assez régulières d’est en ouest, elles
montrent une légère pente vers le sud, vers la sortie du méandre. Ces alluvions fines
sont recouvertes d’abord par des déblais sablo-graveleux riches en fragments de tuile
et de poterie médiévale, puis beaucoup plus récemment par des remblais sablo-
graveleux. Le profil se termine par l’horizon de terre végétale.
7 En l’absence de dépôt de crue ou de rigole d’érosion clairement lisibles, on peut penser
que le secteur sondé est resté relativement à l’abri des inondations au cours des xiii e-
xive siècles. Trente structures appartiennent à cet état, auxquelles s’ajoute un niveau de
remblai. Elles se répartissent en silos, fosses diverses, puits et rares trous de poteau. Si
aucun plan de bâti n’a pu être mis en évidence, ce sont les restes de mobilier contenus
dans les remplissages des fosses et silos qui indiquent non seulement la proximité d’un
bâtiment, mais encore plus d’un habitat comme le prouve la présence d’un grand
nombre de couvre-feu rappelant l’existence de foyers domestiques.

Les constructions en torchis


8 Rares sont les structures qui n’ont pas livré de fragments de torchis rubéfiés ou
couverts de suie. L’exception la plus notable est la zone des « fossés » nord-est dont les
remplissages n’en ont livré aucun. Il en est de même pour le silo 47 situé dans la partie
nord-ouest de l’emprise [ill. 2]. On trouve ces éléments de parois et de cloisons dans des
structures très riches en rejets cendreux, c’est-à-dire dans le cas où l’un des
comblements est une couche saturée de charbons de bois (cas des structures 3 2, 17 et
22) [ill. 3]. Les éléments de paroi récoltés sont exclusivement des restes de torchis. Par
ailleurs, l’importante teneur de ces matériaux en sable d’origine calcaire montre qu’ils
ont été prélevés dans le substrat local. Ainsi, au centre de l’emprise, la fosse 17, qui
possède un volume estimé à 12 m3, a pu être interprétée comme une fosse d’extraction
d’un limon argileux très riche en sable.

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2. Le comblement du silo 47, qui n’a pas livré de fragments de torchis, a été recoupé par le
creusement de la structure 5 qui, elle, a recueilli des rejets pratiquement constitués uniquement de
fragments de paroi.

© relevé et DAO C. Méloche, photographie P. Haut, Inrap

3. La couche cendreuse de cette fosse d’extraction (st. 17) comprenait de nombreux vestiges de
constructions en torchis.

© C. Méloche, Inrap

9 Les torchis étudiés peuvent être appliqués par mottes [ill. 4]. Recouvrant l’armature des
panneaux constitués par le clayonnage, le torchis peut être simplement plaqué. Sa

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surface extérieure correspondant au nu du mur ou de la paroi est alors à peine égalisée.


Le même effet est obtenu avec un sédiment plus riche en sable pour les torchis pauvres
en inclusions de matières végétales. Parfois les surfaces sont talochées et
soigneusement lissées. On peut distinguer, en coupe, l’existence d’une première couche
constituée par des argiles siliceuses serrées avec de rares inclusions de graviers
calcaires millimétriques. Lorsque deux faces opposées du même fragment sont lissées
(7 cas sur 87 fragments étudiés), l’épaisseur moyenne de ce lot est de 4,1 cm.
L’épaisseur moyenne pour tout le lot collecté est de 3,3 cm.

4. Parmi les matériaux découverts, de petits agglomérats de torchis présentent des traces de
végétaux et des inclusions de rares gravillons.

© P. Haut, Inrap

10 La paroi pouvait recevoir un véritable enduit. C’est le cas pour trois fragments. Cet
enduit peut être un mortier de chaux d’une épaisseur de 2,3 mm qui recouvre une
couche d’argile agglomérée avec des inclusions de fragments de terre cuite
architecturale et de végétaux. Pour l’un des fragments retrouvés dans le puits 2, le
mortier de chaux ayant chauffé a pris une teinte rosée. Dans ce dernier cas, la couche
de mortier avait une épaisseur de 8 mm. On peut supposer que ce revêtement
appartenait à un mur à pan de bois en position de gouttereau ou de pignon appartenant
à une habitation. Si un tel enduit pourrait trahir un certain souci esthétique, ou du
moins le statut social du propriétaire, il permettait surtout d’assurer une longévité au
mur ainsi protégé.
11 Les empreintes des baguettes du clayonnage ont pu être relevées dans 15 cas. Leur
diamètre est compris entre 0,6 et 2 cm. Dans un cas, la disposition des surfaces planes
permet d’identifier un fragment provenant d’une construction en pan de bois mettant
en œuvre des décharges.

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12 Si les rejets dans les fosses et silos attestent bien d’une construction médiévale qui
semble, dans cette partie du bourg, être, en l’absence de tout moellon, exclusivement
en pan de bois hourdé de torchis, il est à noter que les éléments de toiture sont
pratiquement totalement absents. Une seule structure (St 32) a livré pour le xiii e siècle
un fragment de tuile plate droite, dont le crochet est brisé. Les trois autres tuiles plates
retrouvées appartiennent à la période moderne, notamment une tuile glaçurée
provenant d’un remblai. Un fragment de tuile canal, sans doute à crochet, provient du
décapage et ne peut être rattachée à aucune structure. En l’absence également de clou
de tavaillon, dont la forme pour cette période est parfaitement caractéristique, il
convient de restituer une toiture végétale pour ces bâtiments.
13 À la fin du Moyen Âge central, les maisons en pierre sont rares en milieu rural, si l’on
excepte les granges cisterciennes dont l’architecture liée au monde monastique se
rapproche bien plus des modèles urbains. En Franche-Comté, à la charnière entre le
Moyen Âge central et le bas Moyen Âge, les murs à pan de bois hourdés de torchis sont
la norme pour l’habitat populaire tant en milieu urbain que dans les faubourgs : citons
par exemple les maisons du quartier Velotte à Montbéliard (Tchirakadzé, Fuhrer, 1998),
les maisons vigneronnes de la rue Serpente à Vesoul (Munier, 2009), de la rue du
Vignier à Besançon (Goy et al., 1990), la maison du faubourg Glanot à Pesmes (Bonvalot,
1987). Plus récemment, à Burgille dans le Doubs, un diagnostic réalisé au cœur du
village a révélé l’existence d’un petit bâtiment à pan de bois détruit par un incendie au
cours du xve siècle (Nowicki, 2015).
14 Sur le premier plateau du massif jurassien, on manque d’exemple archéologique. Il y
aurait tout de lieu de penser que le matériau immédiatement disponible est fourni par
le substrat calcaire affleurant de toute part. Ainsi, les bâtiments de la grange de Crans 4,
détruits vers 1370, étaient élevés en moellons liés au mortier de chaux (Méloche, 1994).
Cependant, la documentation écrite de la période suivante atteste que, là aussi, la
construction en pan de bois hourdée de torchis restait également fréquente : les
terriers et aveux de dénombrements rédigés au xve et xvi e siècle dans la région
d’Orgelet (Jura), dite la « petite montagne », mentionnent un très grand nombre de
maisons « de bois » et « de paille » (Méloche, 2003).
15 « L’architecture de torchis » semble une évidence pour le bourg de Petit-Noir situé dans
la plaine alluviale du Doubs, qui se trouve éloignée d’une bonne trentaine de kilomètres
des premières carrières des massifs du Jura ou de la Serre. On peut penser que ce mode
de construction perdure jusqu’au début du xixe siècle : en 1816, les inondations
provoquèrent la destruction de 21 maisons sans doute construites ainsi, comme en
témoignent des structures aujourd’hui en élévation dans la même commune [ill. 5].

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5. Si la maison édifiée au XIXe siècle sur l’emprise de la parcelle fouillée possédait des murs en
moellons, il subsiste encore sur la commune des traces de cette architecture de terre sous la forme
de murs d’adobe.

© C. Méloche, Inrap

BIBLIOGRAPHIE
Billoin D., 2012, Petit-Noir (Jura), 5 rue de la Mairie. Une occupation médiévale du xiii e-xvie siècle au
centre de l’ancien bourg castral, rapport d’opération, Inrap-SRA Franche-Comté, 44 p.

Bonvalot N., 1987, « Habitat rural médiéval hors les murs à Pesmes », Bulletin de la Société
d’agriculture, lettres, arts et sciences de la Haute-Saône, p. 49-51.

Fleury R., Clozier L. et al., 1984, Notice explicative de la feuille Pierre-de-Bresse à 1/50000, Orléans,
éditions du Bureau de recherches géologiques et minières, 40 p.

Goy C., Guilhot J.-O., Munier C., Pinette M., 1990, Se nourrir à Besançon au Moyen Âge : à la table d’un
vigneron de Battant, Besançon, Musée des Beaux-arts, 83 p.

Méloche C., 1994, Une grange féodale du XIVe s. à Crans (Jura), Mémoire de maîtrise en Sciences et
Technologie (sous la direction de J.-M. Poisson), Lyon, université de Lyon II, 102 p.

Méloche C., 2003, Les granges laïques des bailliages d’Aval et de Dole au travers de la documentation
moderne xve-xvie s., programme 20, rapport d’activité, SRA Franche-Comté, 275 p.

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160

Méloche C., 2013, Petit-Noir (Jura), 5 rue de la Mairie : évaluation du potentiel archéologique de la
parcelle C717, rapport d’opération, Inrap-SRA Franche-Comté, 48 p.

Méloche C., 2015, Franche-Comté, Jura, Petit-Noir Au Village. Les abords d’un quartier médiéval (xiii e-
xive siècles), rapport d’opération, Inrap-SRA Franche-Comté, 226 p.

Munier C., 2009, Franche-Comté, Haute-Saône (70), Vesoul, 4 rue Serpente, rapport d’opération, Inrap-
SRA Franche-Comté, 260 p.

Nowicki P. (dir.), 2015, Burgille, 21 Grande Rue. Un bâtiment du xv e siècle à proximité du château du
xviiie siècle, rapport d’opération, Inrap-SRA Franche-Comté, 44 p.

Tchirakadzé C., Furher é., 1998, En quête d’une mémoire. 10 ans d’archéologie urbaine à Montbéliard,
catalogue d’exposition, Châtenois-les-Forges, 128 p.

NOTES
1. Opération menée en décembre 2011 sous la direction de David Billoin.
2. Opération menée en avril 2014 sous la direction de Christophe Méloche.
3. Le « fossé » 45 faisant encore exception.
4. Grange seigneuriale bâtie sur le revers oriental du massif de la Côte Poire (Jura).

RÉSUMÉS
La fouille a mis au jour plus de 50 structures dont la majorité ont été datées par un très abondant
mobilier céramique du XIIIe et XIVe siècle. Il n’y a aucune structure antérieure au Moyen Âge
central et l’époque moderne n’a laissé que des traces fugitives.
On a mis en évidence une zone comprenant sans doute deux jardins distincts occupant la surface
de parcelles étroites. Les habitats associés seraient alors situés plus au nord, en partie sous
l’actuelle chaussée. Fosses et silos se multiplient en un siècle et leur capacité de stockage cumulé
atteint 11 m3. Deux grandes fosses ont servi d’approvisionnement en matériaux de construction
pour l’édification de murs en torchis. Cette zone de jardin comprenait deux puits.

Excavations have yielded more than 50 structures, the majority of which are dated by a large
assemblage of pottery to the thirteenth and fourteenth centuries AD. There were no buildings
predating the Middle Ages and only very scant traces of the Early Modern period.
An area which is likely to have originally consisted of two distinct garden plots on very narrow
tenements was investigated. The dwellings associated with these plots were probably located
further north, in part under the present-day street. The number of pits and storage pits
increased over a century and their combined storage capacity reached 11 m 3. Two large pits were
quarry pits dug to provide raw materials for the building of walls made of wattle and daub. Two
wells were also found in the garden areas.

La excavación dejó al descubierto más de 50 estructuras, la mayoría de las cuales fueron fechadas
gracias al abundante mobiliario cerámico de los siglos XIII y XIV. Ninguna estructura era anterior
a la Edad Media central; la época moderna, en tanto, sólo dejó huellas furtivas. Durante la

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excavación se encontró una zona que comprendía probablemente dos jardines distintos, los
cuales ocupaban la superficie de parcelas estrechas. Las viviendas asociadas estaban en ese
tiempo situadas más al norte, en parte bajo la calzada actual. Fosas y silos se multiplicaron
durante un siglo y su capacidad de almacenamiento acumulada alcanzó los 11 m³. Dos grandes
fosas sirvieron de abastecimiento de materiales de construcción para edificar los muros de
entramado vegetal con mortero de tierra. Esta zona de jardines albergaba dos pozos.

INDEX
Palabras claves : Edad Media, burgo «fortificado», arquitectura de tierra, espacio construido,
espacio cultivado
Keywords : Middle Ages, “fortified” settlement, earthen architecture, built space, cultivated
space
Mots-clés : Moyen âge, bourg « fortifié », architecture de terre, espace construit, espace cultivé

AUTEURS
CHRISTOPHE MELOCHE
Inrap

DOMINIQUE SORDOILLET
Inrap, UMR 6249 « Chrono-environnement »

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Fortifier en terre crue au XVIIe siècle


L’escarpe maçonnée du Fort Saint-Sébastien de Saint-Germain-en-Laye
An earthen fortification of the seventeenth century. The Fort Saint-Sébastien’s
escarpment at Saint-Germain-en-Laye
Fortificar con barro en el siglo XVII. La escarpa mamposteada del Fuerte Saint-
Sébastien de Saint-Germain-en-Laye

Séverine Hurard et Gwenaël Mercé

1 La fouille1 du Fort Saint-Sébastien a constitué une fenêtre d’observation inédite sur la


société des gens de guerre du dernier tiers du xviie siècle (Hurard, Rochart, 2013 ;
Hurard, Lorin, Tixador, 2014 ; Hurard, 2014 ; Hurard, Rochart, 2015). Au cœur de la
région parisienne, le fort montre le large investissement concédé à la préparation à la
guerre de siège dans laquelle s’engagent Louis XIV et son état-major à la fin des années
1660 [ill. 1]. Ouvrage de campagne non pérenne et camp retranché en appui sur la
Seine, le « Fort Saint-Sébastien » est opérationnel d’avril à septembre 1669. Il est
ensuite rasé et rebouché pour les besoins de la construction, en 1670, d’une ligne de
circonvallation de 4 km, le « Camp de Saint-Sébastien » [ill. 2].

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1. La plaine alluviale dite d’Achères, formée par la Seine, est située à une trentaine de kilomètres à
l’ouest de Paris. Elle connut entre 1668 et 1683, trois camps militaires qui permirent à Louis XIV
d’assurer la préparation de ses troupes, pendant chaque courte période de paix, entre la guerre de
Dévolution, la guerre de Hollande et la guerre des Réunions.

© E. Cavanna, S. Hurard, Inrap

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2. Le Fort et le Camp de Saint-Sébastien correspondent à deux ouvrages militaires et leurs


campements distinctifs. Ils se succédèrent lors de deux campagnes réunissant les troupes de la
maison militaire du roi au cours des printemps et été 1669 et 1670. Ils ont été fouillés à hauteur de
1/4 et 1/10e de leur surface totale.

© P. Raymond, S. Hurard, Inrap

2 Cette condamnation/remplacement du premier ouvrage fortifié a favorisé l’excellente


conservation d’une remarquable escarpe de fossé, revêtue d’une maçonnerie de terre
crue, dont on ne connaît aujourd’hui aucun autre équivalent en Europe pour la période.
La technique de la maçonnerie en terre appliquée à la fortification moderne semble
aujourd’hui sous-estimée. Si aucun équivalent au Fort Saint-Sébastien n’a pu être mis
en évidence jusqu’ici, il semble qu’il s’agisse surtout d’un effet de sources. La tradition
de la construction en mottes de gazon est en effet connue depuis l’Antiquité – Pline la
mentionne spécifiquement pour le retranchement des camps (Guillaud, 2003) – et
encore utilisée par le génie militaire au début de la première guerre mondiale pour
renforcer les parapets de tranchée. La découverte de l’escarpe maçonnée de terre crue
du Fort Saint-Sébastien fait ainsi ressurgir une technique dont les auteurs modernes de
traités de fortifications se font également l’écho, quoique de manière plus anecdotique
que pour la fortification de pierre ou de brique. Elle témoigne du soin apporté à la
construction d’une fortification de campagne éphémère et donne la mesure des
investissements techniques et logistiques d’un chantier de terrassement de la guerre de
siège qui, aux portes de Paris, en temps de paix, mobilise d’importantes ressources
matérielles et humaines, répétition à échelle réduite des opérations menées dans les
Flandres ou aux Pays-Bas sous le règne de Louis XIV.

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Un camp retranché de terre, de bois... et de terre crue


maçonnée
3 Le Fort Saint-Sébastien est une fortification de campagne de forme simple. Le front sud,
fouillé intégralement, mesure 660 m de long d’un bastion à l’autre. Il est hérissé de
deux bastions, de deux redans flanquant la porte et sa demi-lune. La confrontation des
données archéologiques avec les données textuelles et planimétriques permet de
proposer l’hypothèse d’un fort rectangulaire de 590 m de long du nord au sud, composé
de quatre bastions d’angle, de huit redans, flanqués de quatre portes. Il atteindrait donc
une surface de 39 hectares dont seulement 11 ha ont été fouillés (fossés compris), soit
un quart de la surface totale. Le fossé de cet ouvrage fortifié a pu être fouillé
intégralement sur une longueur linéaire de 1125 m (total estimé à 2740 m, incluant la
longueur des faces et des flancs des redans et bastions). L’état de conservation général
du terrain permet de penser que le fossé de 7 m de large pour 3 m de profondeur est
conservé dans la quasi-totalité de son creusement.
4 L’escarpe du fossé a fait l’objet d’un soin particulier tant lors de la construction qu’au
moment de la fouille. Elle était en effet intégralement revêtue d’une remarquable
maçonnerie de terre crue, se déployant sur toute sa hauteur [ill. 3]. La restitution du
rempart et des élévations de terre placées au-dessus de l’escarpe propose de ne faire
monter cette maçonnerie qu’à hauteur de la « campagne », c’est-à-dire au sommet de la
contrescarpe. La quasi-absence de modules de terre crue rejetés dans le comblement du
fossé au moment du rebouchage nous incite à cette hypothèse par ailleurs étayée par
une des propositions illustrées par Vauban dans son traité de la défense des places. Le
dispositif pouvait être complété de fascines et de cordons de bois [ill. 4]. La gravure de
l’almanach de 1670 représente un rempart surmonté à son sommet d’une fraise de
fortification en bois tout à fait cohérente avec les usages [ill. 5]. A contrario, la
contrescarpe ne semble faire l’objet d’aucun traitement particulier. Aucune trace n’a
mis en évidence l’existence de terre crue maçonnée, ou simplement plaquée, ni celle de
placage de planches ou de fascines, attestée dans des exemples diachroniques.

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3 . Vue de l’escarpe maçonnée devant le bastion sud-ouest. Cette maçonnerie se présente sous la
forme d’un revêtement lisse, gris foncé, où l’on distingue les assises horizontales, malgré un
probable talochage ou lissage. Le massif vertical (110°) atteint 3 m de hauteur. Il est directement
posé sur le substrat sableux et n’est associé à aucun dispositif de fondation.

© S. Hurard, Inrap

4. Profil restitué de l’ouvrage fortifié. Le rempart devait être une masse de terre de 5 à 6 m de large
à la base, pour une hauteur totale de 3 à 4 m, incluant courtine et parapet. La hauteur du parapet
est estimée à environ 1,95 m, sa base étant équivalente à un quart de la largeur du rempart, soit
1,30 m.

© S. Hurard, P. Raymond, Inrap

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5. Assaut mené au Fort Saint-Sébastien en présence de la famille royale, représentant l’angle sud-
ouest du rempart de l’ouvrage de 1669. Soumis à l’assaut des fantassins et piquiers, le rempart est
enveloppé d’un épais nuage de fumée. Une rangée de pieux, placée au deux tiers de la hauteur du
rempart, est fichée presque horizontalement dans la masse de terre. (Médaillon du calendrier-
estampe de l’almanach de 1670 : « l’Exercice et Attaque faîte du Fort de Saint-Sebastien en
presence de leur Maiestez »).

© Bibliothèque nationale de France

La mise à nue d’une technique de maçonnerie


5 Les écorchés réalisés dans le matériau révèlent une maçonnerie à appareil irrégulier et
assises régulières. Ces dernières mesurent en moyenne une dizaine de centimètres de
hauteur [ill. 6]. De face, l’ensemble se compose de prismes rectangulaires de dimensions
diverses. Les coupes stratigraphiques réalisées dans le massif montrent en revanche
clairement que ces éléments sont de section triangulaire et forment une masse
dentelée. On compte en moyenne cinq modules par assise sur une portion de 1 m de
large et 12 assises pour une section de 1 m de haut, soit 60 mottes pour 1 m². En
volume2, un prisme d’argile représente environ 3 300 cm3. Chaque mètre carré
nécessite donc environ 0,2 m3 de matériau 3 [ill. 7]. Le massif de maçonnerie est
constitué d’une combinaison de terre crue, placée en revêtement, et d’une structure de
sable grossier, assurant la cohésion et la résistance du massif à l’érosion et aux
dégradations naturelles et/ou mécaniques [ill. 8]. L’épaisseur générale du massif est
très en deçà des recommandations faites par Vauban dans le Traité de l’attaque et de la
deffense des places (Vauban, 17..a) où il précise, pensant à des ouvrages fortifiés d’une
autre dimension, que l’épaisseur du mur devra être proportionnelle à la hauteur de la
maçonnerie et pourra atteindre 8 pieds, c’est-à-dire 2,40 m. À Saint-Germain, simple
redoute de campagne, le massif atteint seulement de 0,50 à 1 m.

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6. Vue d’une section de l’escarpe et écorché réalisé dans la maçonnerie. Structurée en assises
régulières, la maçonnerie présente un appareil irrégulier où la largeur des modules oscille entre 25
et 80 cm.

© S. Hurard, Inrap

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7. La terre crue exploitée à l’état humide se prête sans difficultés à un chaînage grossier des blocs
dont témoignent les nombreuses déformations des modules dans les angles des bastions et
redans.

© S. Hurard, Inrap

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8. Le massif de maçonnerie mesure de 50 à 100 cm d’épaisseur pour 3 m de haut. Le matériau


sableux, jaune à ocre roux, prélevé dans le substrat environnant, sert à régler les assises des
modules. De quelques millimètres d’épaisseur en avant de la maçonnerie, les joints peuvent
mesurer une quinzaine de centimètres en arrière, au niveau des queues des triangles.

© S. Hurard, Inrap

6 Plusieurs échantillons de ce matériau ont été soumis à une étude micromorphologique 4


et à une analyse de matériaux5. Les deux études montrent que les matériaux prélevés
sont des limons carbonatés d’origine alluviale, prélevés sous la couche végétale, dans
un horizon dépourvu de racines et de bioturbations. Le matériau est fortement cohésif
et moyennement expansif. Il absorbe l’eau de manière lente, sans aucune dégradation
apparente, et présente une très bonne résistance à l’abrasion. Il n’a fait l’objet d’aucun
ajout végétal ou d’aucun agrégat résiduel malaxé et d’aucun façonnage ou mise en
gabarit au moment de la mise en œuvre. L’extraction de la terre s’est apparemment
faite en « mottes » par un objet coupant. Celles-ci ont été taillées en forme de dents et
ensuite retaillées en surface pour égaliser et donner un aspect plus uniforme. Tout
semble donc indiquer que le matériau utilisé ne présente pas de couvert végétal. La
cohésion du matériau seul semble suffisante à assurer la solidité de la construction, a
fortiori si les ingénieurs prennent en considération la courte durée d’utilisation du
camp. La lecture des traités nous amène à questionner le sens du terme « gazon » et à
nous demander si, par métonymie, le terme ne désigne pas de manière générale la
technique du revêtement à la terre, plutôt que la présence réelle d’herbe ou de
végétation à la surface du revêtement.
7 Les traités de fortification modernes (Marolois, 1615-1616 ; Ville, 1628 ; Fournier, 1648),
préconisent que les mottes de gazons ou argiles grises soient grasses pour résister aux
pluies et à la chaleur. Ces gazons à « revêtir les terrasses » y sont toujours composés
d’éléments triangulaires où l’épaisseur de la face est six fois plus importante que la
queue : « il doit avoir 3 ou 4 pouces d’épaisseur, sept à 8 de largeur, & 12 à 15 de long, & doit

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diminuer d’épaisseur vers la queue » (La Fontaine, 1666). La planche d’illustration de


l’ouvrage de Fournier montre qu’une armature de pieux de bois peut permettre de
stabiliser le parement. Antoine de Ville et Vauban indiquent qu’il convient de ficher les
mottes vertes à l’aide de piquets, si l’on a pu prendre soin de battre la terre contre les
planches pour affermir le rempart. Seul Samuel Marolois précise que la technique peut
se matérialiser par l’usage d’une terre grasse limoneuse sans gazon, à condition d’avoir
correctement battu et tassé le matériau : « si on peut trouver de la bonne terre grasse &
limoneuse, on pourroit (au lieu des gasons) faire une croute de 3 ou 4 pieds, ou plus, le battant
bien fort avec un batoir » (Marolois, 1615-1616).
8 Les études géoarchéologiques ont établi que le matériau a été extrait et mis en œuvre à
l’état humide, lors d’une période intermédiaire, c’est-à-dire au printemps ou à
l’automne (en hiver, il aurait été gorgé d’eau et en été, très sec, il aurait été très difficile
à découper). Certains échantillons témoignent d’une sursaturation en eau et d’une
hygrométrie qui n’est pas homogène sur l’ensemble du gisement où le matériau est
prélevé. La présence de très nombreux petits coquillages lacustres indique un
prélèvement à l’emplacement d’une ancienne étendue d’eau, ancien bras mort ou
paléochenal. Les modules de terre témoignent d’une forte compaction à l’état
moyennement humide qui est accrue en partie basse de la maçonnerie, soumise à un
tassement plus important, lié au poids global du massif. L’aplatissement de la porosité
des modules de la base de la maçonnerie suggère également une mise en œuvre
d’éléments encore humides.

Une adaptation technique issue d’une tradition


hollandaise ?
9 La construction d’un revêtement sur l’escarpe du fossé visait à prévenir son érosion et
son effondrement éventuel. Bien conçu, ce revêtement était également une excellente
technique de défléchissement des boulets. Le matériau cru absorbait les chocs en
réduisant les risques d’éclatement, de dispersion des débris et de propagation des
ondes. Le choix de construire un massif sur l’escarpe permettait également de
renforcer cette pente du fossé qui soutenaient le poids du rempart de terre. Vauban
insiste dans le Traitté de la deffense des places sur ces questions de revêtement en
rappelant que l’extérieur des remparts doit être revêtu par de gros murs de
maçonnerie ou par des gazonnages ou placages fascinés. Il préconise cette solution
dans les lieux où la maçonnerie est chère (par exemple à Colmar et Strasbourg). Il
précise également qu’on ne peut attendre une grande résistance de ces revêtements. Ils
« ne sont pas faits pour souffrir longtemps le canon mais pour soutenir le rempart et empêcher
l’effet d’une escalade ouverte ou dérobée » (Vauban, 17..b).
10 Le choix du matériau traduit sans doute également l’anticipation par les ingénieurs de
la courte durée d’utilisation de l’ouvrage. Si le choix de la terre crue a pu être fait sur
certaines fortifications urbaines, elle a souvent été remplacée dans un second temps
par la pierre ou la brique, effaçant du même coup les traces de cette technique. Un
exemple récent illustre ce propos. Quelques mois après la fouille de Saint-Germain-en-
Laye, un des membres de l’équipe a pu participer au diagnostic réalisé sur l’ancienne
manufacture de tabac de Metz, à l’endroit du bastion Saint-Vincent 6. Sa vigilance a
permis d’observer sur la contrescarpe de ce bastion la même technique de maçonnerie
de terre crue. Réalisée par Vauban dans les années 1680, elle précède la mise en place

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d’une fortification de pierre (Petit, 2013). C’est à ce jour la seule autre occurrence mise
en évidence par l’archéologie.
11 Si cette technique est aujourd’hui méconnue, voire ignorée, elle peut apparaître comme
le fruit d’une tradition néerlandaise. L’ingénieur français Marolois, protestant exilé aux
Pays-Bas, s’inspirant des techniques locales de fortification, est un des rares à y faire
référence. Les choix de fortifier en brique ou en pierre, adoptés par les ingénieurs
italiens ou français, convenaient difficilement aux sols humides et marécageux des
Provinces-Unies. Trop lourds, les revêtements avaient tendance à s’écarter des
fondations et obligeaient à trouver des solutions alternatives (Heuvel, 2007). Les murs
en terre se révélèrent moins chers que la brique ou la pierre, et surtout plus légers. Les
limons propices à la construction étaient plus abondants et plus simples d’acquisition
dans ce paysage de prairies humides. Relativement simples à mettre en œuvre, ils
présentaient d’excellentes qualités d’absorption de l’impact des boulets de canons.
« Les éléments en terre, souvent utilisés pour renforcer ou pour réparer
temporairement les maçonneries endommagées, devinrent de plus en plus permanents.
Graduellement, l’intégralité des fortifications de villes fut érigée en terre et en argile, et
les expériences évoluèrent d’un processus de recherche par tâtonnements à une
méthode plus standardisée, que l’on appela ensuite l’ancienne méthode de fortification
néerlandaise » (Heuvel, 2007, p. 43). Champ de bataille de l’Europe, les Provinces-Unies
furent également, dès le xvie siècle, un point de convergence de l’ingénierie militaire
(Tardy, 2007).

L’épreuve du feu et des intempéries


12 L’escarpe maçonnée de Saint-Germain a pu enregistrer, mieux que n’importe quelle
autre structure, les dégradations liées aux exercices d’assaut visant à battre le rempart
ou certains bastions en brèche, exercices que célèbre la gravure de l’almanach de 1670.
13 De manière générale, l’escarpe maçonnée présente un bon état de conservation,
favorisé par une excellente résistance du matériau aux contingences extérieures et une
période d’exposition sans doute assez courte, puisque le fossé est rebouché à l’issue de
la première campagne d’exercice au cours de l’hiver 1669. Des phénomènes d’érosion
naturelle, perceptibles dans les coupes stratigraphiques, témoignent ainsi d’une
désagrégation limitée des parois sous l’effet des ruissellements. A contrario, le
détachement en pans entiers de l’escarpe et l’affaissement consécutif, ph énomène
observé sur près de 20 % du tracé, pourraient être liés à une action mécanique plus
violente. Deux pans argileux dentelés se superposent alors, entre lesquels sont
intercalés des volumes variables de sables originaires du massif de maçonnerie. Ce
phénomène montre que c’est l’ensemble maçonné (sable et argile) qui se détache et non
le revêtement seul : l’assemblage conserve une cohésion certaine. Il s’agit dans la
plupart des cas d’un effondrement de la partie supérieure de la maçonnerie qui –
détachée en pan – a glissé sur la partie inférieure du revêtement. Nous ne pouvons pas
démontrer que ces glissements sont directement liés aux exercices d’assaut ou de
canonnage, mais sommes fortement tentés d’aller dans cette direction, notamment en
raison de la concentration quasi systématique de ces dommages dans le secteur sud-est
du front, alors que toutes les parties sud et ouest sont quasiment épargnées.
14 Le second phénomène, beaucoup plus anecdotique, concerne le bastion sud-est dont
une large section – plus d’une vingtaine de mètres de long – se distingue par son mode

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de dégradation. Les modules ou mottes n’y montrent plus aucune cohésion et sont
indépendants les uns des autres. La paroi détruite est disloquée plutôt que détachée et
les mottes semblent désolidarisées les unes des autres par une action mécanique.
L’escarpe se présente donc sous une forme complètement éboulée. Il s’agit du seul
endroit de la fortification fouillée qui a montré cet état [ill. 9]. Plusieurs sources
iconographiques pourraient étayer l’hypothèse d’une brèche ou d’une sape. Dans le
chapitre consacré aux mines et sapes de son Traitté de la deffense des places (Vauban,
17..b), Vauban illustre les effets produits par un bombardement ou une mine : on y voit
un type d’effondrement et d’éboulis du revêtement qui ressemble fortement aux
observations faites sur le terrain. Les éboulements obtenus par l’explosion
permettaient de gravir le talus lors de l’assaut de la place forte. Deux aquarelles –
croquis préparatoires de Van der Meulen de 1677 (Paris, Mobilier national et
Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie ; Warmoes, 2007)
– illustrent les effets d’une brèche réalisée sur les fortifications de la citadelle de
Cambrai. Si ces fortifications sont d’un autre gabarit que celles du Fort Saint-Sébastien,
la représentation met néanmoins en exergue le caractère massif des dégâts
généralement obtenus à l’issue d’un bombardement soutenu pendant plusieurs jours ou
semaines.

9. Les mottes disloquées offrent un relief marqué contrastant avec l’aspect lisse de l’escarpe. Les
modules de terre crue sont mêlés à de fines couches de sable indurées qui témoignent d’un
piétinement des niveaux, contemporain de l’utilisation du fossé.

© S. Hurard, Inrap

15 Enfin, bien que plus anecdotique, deux enfoncements du revêtement argileux à deux
endroits différents de l’escarpe pourraient correspondre à des impacts de boulets, mais,
aussi séduisante qu’elle soit, l’hypothèse reste difficile à démontrer.

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Une économie de la terre dans un vaste chantier de


terrassement
16 L’utilisation de terre crue pour les besoins du premier ouvrage fortifié pose de
nombreuses interrogations sur l’acquisition de la matière première, son
acheminement, la main-d’œuvre nécessaire à l’extraction et à sa mise en œuvre. Toutes
ne peuvent pas être réglées à partir des données collectées, mais un certain nombre
d’hypothèses et d’estimations peuvent être proposées.
17 Les propositions de volumes extraits sont fondées sur les calculs de volume et de
surface explicités plus haut où nous estimions qu’il fallait compter environ 60 mottes
d’argile pour 1 m² de maçonnerie, soit environ 0,2 m3 de matériau par m². À partir de
ces données, nous estimons donc que la seule partie fouillée (1 130 m linéaire)
représentait globalement 203 400 mottes d’argile, soit 678 m 3 de matériau. Sur la
surface totale du fossé, soit 2 740 m de longueur linéaire, l’escarpe représenterait une
surface totale de 8 220 m², soit 493 200 mottes, pour un volume total estimé à 1 644 m 3.
Si l’on tient compte du fait que ce matériau est prélevé humide, le poids et la masse
augmentent d’autant plus. Il faut considérer que chaque seau d’argile de 10 litres, gorgé
d’eau, représente un poids de 18 kg, soit un total d’un peu moins de 3 000 tonnes à
extraire et déplacer.
18 L’hypothèse de l’extraction des limons dans les horizons alluviaux de la Seine est étayée
par l’étude archéogéographique7. La partie concave de la plaine alluviale est striée
d’anciens chenaux de la Seine qui ont pu constituer d’intéressants gisements. À une
dizaine de kilomètres à l’est du fort, en bordure de la terrasse alluviale, sur l’actuel
territoire de la commune d’Achères, de nombreux toponymes indiquent en effet la
présence de sites d’extraction de terre : « le Trou du Milieu » et « la Fosse Bidan », « le
trou du Nord » sont situés dans un rayon de 3 à 6 km de l’emprise du fort. Plusieurs
gisements ont pu être exploités. Pour extraire les 1 600 m3 estim és de matériau
nécessaire à la construction, un gisement unique aurait représenté une zone
d’extraction de 160 m de long sur 10 m de large sur 1 m de profondeur. Il peut
également s’agir d’une zone de 80 m de long par 20 m de large sur une profondeur
d’1 m. Les solutions sont infinies, mais ce bref calcul montre que la surface exploitée est
importante, mais pas démesurée.
19 Le transport du matériau a pu être facilité par la Seine et assuré par bateau jusqu’au
port qui, a priori, se trouvait en aval de l’île d’Herblay, ou par charrois, loués
notamment pour les approvisionnements en fourrage et les évacuations des fumures.
La proximité entre les gisements potentiels et le site montre que l’on a privilégié une
chaîne opératoire courte – où le matériau local est acheminé, à moindre coût, très
rapidement après l’extraction – et un temps de stockage réduit dont témoigne
l’exploitation du matériau encore humide. Le choix de la terre crue est certainement
apparu comme une solution économique et logistique intéressante et a pu en partie
guider celui de l’implantation du site dans la terrasse alluviale, la technique étant
adaptée aux spécificités du terrain. Alain Manesson-Mallet offre une illustration
éloquente sur la nature des sites d’extraction dans un des chapitres de son manuel
spécifiquement dédié au chemisage des fortifications (Manesson-Mallet, 1684-1685)
[ill. 10].

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10. Au premier plan, un personnage débite au moyen d’une bêche ou d’un louchet des modules
d’argile triangulaires, dans une prairie humide, exprimée par des touffes d’herbes disparates. Le
chemisage du fossé en cours de réalisation à l’arrière-plan s’accompagne de la mise en œuvre de
fascines dans un système de litages successifs entre terre et bois (Manesson-Mallet, 1684-1685,
pl. 333).

© Bibliothèque nationale de France

20 La question du coût d’un tel chantier et, plus généralement, celle du marché de la terre
sont relativement difficiles à aborder. Aucune mention d’un marché passé avec les
propriétaires des terrains affectés n’a été retrouvée, pas plus que concernant
l’embauche d’artisans ou de journaliers. Il est néanmoins certain que l’exploitation de
la terre a fait l’objet d’un marché comme l’approvisionnement en bois, en fourrage ou
en viande. Il est peu probable que la couronne ait fait l’acquisition des terrains
exploités. Il faut sans doute plutôt envisager – à l’image des propriétés où a été
implanté le fort, louées à la marquise de Garennes – un marché de location et un
dédommagement des propriétaires, à moins que ces terres n’aient été exploitées par
des artisans spécialisés, propriétaires des carrières et dont on aurait loué les services.
21 Le chantier de construction de l’escarpe maçonnée s’insère évidemment dans un
chantier beaucoup plus vaste où sont associés terrassements, travaux de maçonnerie et
de charpenterie. L’ensemble représente un défi logistique où la main-d’œuvre et la
capacité de recrutement sont des éléments essentiels. L’extraction, le transport, la mise
en œuvre de la terre crue et le terrassement des ouvrages nécessitent l’emploi d’une
main-d’œuvre qualifiée, voire spécialisée, dont les sources écrites relatives au fort ne
font pas mention. Plus d’un siècle avant la création du Génie militaire (1791), Vauban
exhortait déjà à la création d’une « troupe à la brouette », de professionnels
spécialement dédiés aux terrassements militaires, conscients des problèmes que posait
l’usage d’une main-d’œuvre non spécialisée. Les soldats constituaient le premier vivier
de terrassiers et d’apprentis maçons et étaient encadrés par des professionnels du

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bâtiment. Il était également d’usage de faire appel à de très forts contingents de


paysans enrôlés nécessitant l’organisation de véritables filières de recrutement et de
circuits d’approvisionnement à l’échelle suprarégionale. Les hanskers flamands,
excellents « remueurs de terre », étaient renommés pour être six fois plus productifs
que les paysans français (Destable, 2007, p. 247). Soldats et paysans « maniant la pioche
et la pelle, gâchant les mortiers, alimentant les échafaudages et les ateliers en
matériaux de toute sorte » s’improvisaient ainsi terrassiers ou maçons (Destable, 2007,
p. 245). À titre d’exemple, le siège de Maastricht de 1673 nécessita la réquisition de
20 000 paysans, on enrôla 16 000 paysans pour le siège d’Ath en 1697 (Childs, 2001).
6 000 paysans furent employés aux travaux de Béthune et d’Arras (Destable, 2007,
p. 245).
22 Afin de motiver les troupes de « remueurs de terre », Vauban insistait pour que les
ouvriers soient payés au volume et non à la journée et que la main-d’œuvre soit
fermement encadrée. Vauban estime dans le Traité de l’attaque et de la deffense des places
qu’un paysan de bonne constitution peut creuser de 1 à 2,5 toises cubes en 7 jours, soit
entre 1 à 2,5 m3 par jour et par homme (Vauban, 17..a). Sur la base de ces mêmes
chiffres, nous estimons que le terrassement des 57 000 m 3 du premier ouvrage a dû
prendre quelques semaines entre le début du mois d’avril et la mi-mai 1669, date
d’inauguration du fort, soit sur la base d’1 m3 par jour et par homme : 57 jours à
1 000 hommes, 19 jours à 3 000 ou 11 jours à 5 000. Sur la base de 2,5 m 3 par jour et par
homme, il aurait fallu 23 jours à 1 000 hommes, moins de 8 jours à 3 000 hommes et
4,5 jours à 5 000. Les terrassements nécessitaient un outillage abondant composé de
pioches, haches, pelles, bêches, louchets, hottes, brouettes et tombereaux. Une mention
relative au Fort Saint-Sébastien révèle que l’arsenal de Paris fournissait les troupes à
raison de 500 outils par commande (Archives diplomatiques, Mémoires et documents,
931, fol. 69v). Pour les travaux de la place forte de Dunkerque au printemps 1671,
Vauban et Louvois prévoyaient de faire acheminer 8 000 pelles ferrées et autres
louchets de Flandre dont plus de la moitié étaient hors d’usage après trois semaines de
travaux (Destable, 2007, p. 248). Certains outils du terrassement, bêches, pelles, pioches
et haches ont été mis au jour lors de la fouille. Aussi modestes soient-ils, ils n’en
constituent pas moins un témoignage unique des travaux de siège des années 1670
(Hurard, 2014).
23

L’escarpe maçonnée mise en évidence à Saint-Germain constitue, à ce jour, un exemple


unique de l’utilisation de terre crue, appliquée à la fortification du xvii e siècle, qui
cache sans doute une réalité largement sous-estimée. Les traités militaires laissent en
effet imaginer une utilisation massive au xviie siècle, dans le cadre militaire, d’un
matériau dont on sous-évalue beaucoup plus généralement l’utilisation dans la
construction civile (bauges, pisé, torchis…) et sur lequel il est urgent de se pencher. La
maçonnerie de terre crue du Fort Saint-Sébastien illustre la complexité des techniques
de poliorcétique moderne où l’issue du siège repose sur la capacité logistique et
opérationnelle à assurer l’acquisition et l’acheminement des ressources nécessaires, et
est largement conditionnée par les stratégies d’implantation. Au Fort Saint-Sébastien,
la répétition de la guerre de siège est un test des capacités logistiques et
opérationnelles de l’armée, au moins autant, si ce n’est plus, que de ses capacités
tactiques.

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177

BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. Fouille menée entre 2011 et 2012 sur une surface de 28 hectares, sous la direction de Séverine
Hurard, Inrap.
2. La hauteur d’assise de 10 cm multipliée par la largeur de 24 cm donne une surface externe de
240 cm2. Celle-ci divisée par 2 puis multipliée par la profondeur moyenne de 28 cm permet
d’aboutir à un volume par prisme de 3 360 cm3.
3. 60 x 3300 cm3 = 198 000 cm3 = 0,198 m3.
4. Réalisée par Cécilia Cammas, Inrap.
5. Réalisée par David Gandreau au Craterre de Grenoble.
6. Fouille menée en 2013 par le Service d'archéologie préventive de Metz Métropole.
7. Réalisée par Émilie Cavanna.

RÉSUMÉS
L’escarpe maçonnée mise en évidence à Saint-Germain-en-Laye constitue, à ce jour, un exemple
unique d’utilisation de la terre crue, appliquée à la fortification du XVIIe siècle, qui cache sans
doute une réalité largement sous-estimée. Le cas de l’escarpe maçonnée de terre crue du Fort-

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Saint-Sébastien témoigne du soin apporté à la construction d’une fortification de campagne


éphémère et donne la mesure des investissements techniques et logistiques d’un chantier de
terrassement de la guerre de siège qui, aux portes de Paris, en temps de paix, mobilise
d’importantes ressources matérielles et humaines, dans le cadre d’une répétition à échelle
réduite des capacités opérationnelles des armées de Louis XIV.

The brick-built escarpment uncovered at Saint-Germain-en-Laye is at present a unique example


of the use of mud bricks in a fortification of the seventeenth century but this may be because the
use of such a technique has been largely overlooked elsewhere. The case of the Fort-Saint-
Sébastien illustrates the care taken in building a fortification intended for short-term campaigns
and gives an idea of the technical and logistical investment required for an earth-moving project
destined for siege warfare just outside Paris, which in peace-time required substantial human
and material resources in a context when the operational capabilities of the army of Louis XIV
were reduced but repeatedly needed.

La escarpa mamposteada descubierta en Saint-Germain-en-Laye constituye, a la fecha, un


ejemplo único de uso del barro aplicado a una fortificación del siglo XVII, lo cual probablemente
esconde una realidad ampliamente subestimada. La escarpa mamposteada de barro,
perteneciente al Fuerte Saint-Sébastien, es un testimonio del cuidado con que se realizó la
construcción de esta fortificación de campaña efímera. El talud permite hacerse una idea de la
inversión técnica y logística que significó esta obra de excavación destinada a la guerra de asedio
y que movilizó, en tiempos de paz y en los alrededores de París, importantes recursos materiales
y humanos con el fin de probar, a escala reducida, las capacidades operativas de los ejércitos de
Luis XIV.

INDEX
Palabras claves : Fortificación, guerra de asedio, período moderno, barro, albañilería,
excavación, mano de obra
Keywords : fortification, siege warfare, Early Modern period, earthen construction, bricks,
earth-moving, workforce
Mots-clés : Fortification, guerre de siège, période moderne, terre crue, maçonnerie,
terrassements, main-d’œuvre.

AUTEURS
SÉVERINE HURARD
Inrap, UMR 7041 « ArScan - Archéologies et Sciences de l’Antiquité »

GWENAËL MERCÉ
Inrap

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La terre crue, matériau universel


Claire-Anne de Chazelles, Hubert Guillaud et Catherine Chauveau

1 Disponible, plastique, recyclable, la terre convient pour bâtir toutes formes et


dimensions de constructions. Mais qu’en est-il de l’évolution de ces techniques
constructives et de l’intérêt que les populations anciennes comme actuelles lui portent
de par le monde ?

© Romain Etienne/ITEM

2 Hubert Guillaud Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la construction en terre,


c’était en lien avec les questions d’énergie, à la suite de la crise des années 1970. Les
seules alternatives qui se développaient alors étaient, aux États-Unis, celles liées à
l’architecture solaire passive (passive solar energy) autour d’un renouveau de la

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construction en briques d’adobe. Avec l’équipe de CRAterre1, en tant qu’architectes,


nous avons testé sur la terre l’ensemble des propriétés à requérir d’un matériau de
construction (physiques, mécaniques, thermiques, de résistance à la compression...) et
nous nous sommes aperçus que la terre possède de forts atouts ; par exemple, celui de
la régulation de l'hygrothermie, primordial pour le confort d’un habitat et la facilité et
le faible coût de la construction en terre, qui a permis tout autant la construction à
l’échelle domestique que celle, quasi industrielle, des premières grandes
agglomérations orientales. Dans notre approche, qu’on pourrait dire d’ingénierie, on a
constaté que ce sont des systèmes constructifs adaptés à l’environnement qui pallient
la fragilité de la terre relative à l’humidité. La solution réside dans la combinaison d’un
bon soubassement avec un bon débord de toiture et avec un renforcement des
ouvertures, plus exposées au système de la goutte d’eau, ainsi que des angles de murs
exposés aux vents et pluie dominants. Plus tardivement, les procédés de compression et
de stabilisation comme le pisé2 et le BTC3 ont rendu les modules de terre crue plus
résistants que certaines briques cuites et pierres tendres. Mais il suffit de respecter les
systèmes constructifs protecteurs pour pouvoir construire en terre partout.
3 Claire-Anne de Chazelles Oui, les archéologues font le même constat. Une fois prises
les précautions architecturales dont vous parlez, on peut construire en terre même
dans des régions très humides (en Normandie, par exemple, on trouve des maisons de
terre qui ont plusieurs siècles) et la terre peut-être un matériau durable (dans le sud de
la France, des maisons médiévales de six cents à sept cents ans, sont toujours debout
sur trois niveaux, et habitées). Donc, bien protégée, la terre est indestructible. Or les
archéologues avaient de faux a priori là-dessus, pour deux raisons principalement :
l’impression que ce qui est archéologique ne dure pas et le constat que les
protohistoriques reconstruisaient leur maison tous les 25-30 ans, comme on l’a observé,
par exemple sur les sites de Martigues et de Lattes, où se sont formés de véritables tells.
Où en est d’ailleurs la recherche sur la consolidation et la présentation des vestiges en
terre quand ils sont conservés sur plusieurs mètres de haut ?
4 HG Suivant les conditions climatiques et les mesures de protection initiales, les
constructions sont très vite dégradées, soit parce que les procédés choisis ont des effets
induits négatifs4 soit parce qu’aucun suivi ni entretien ne sont prévus. Plusieurs
expérimentations ont été faites : les enduits dits « sacrificiels » ; les protections
géotextiles recouvert de mortier terreux qui ont l’avantage d’être réversibles ; le
drainage permanent aux abords des structures. La reconstruction en partie s’impose
souvent à cause d’une fragilité structurelle : un pan de mur exposé à effondrement, par
exemple, est reconsolidé par réintégration de même matériau dans les lacunes.
Aujourd’hui, nous optons pour des interventions a minima précédées d’analyse a
maxima des structures, afin de s’adapter plus précisément aux caractéristiques du site
et de ne pas nuire à son authenticité. Et nous devons réussir cela alors que les
financements de la conservation sont généralement très sous-évalués !
5 C-AC Pour revenir aux bons principes de construction, nous les constatons par nos
expérimentations. Une des maisons expérimentales de Lattes s’est écroulée pendant
l’hiver et on a bien compris que c’était un problème de couverture. Si on lui avait fait
une toiture végétale pentue, on n’aurait pas eu ce problème. Mais j’ai opté pour un toit
plat, en accord avec les propositions de Patrice Arcelin et de Jean Chausserie-Laprée,
qui, d’après les fragments épais de terre avec empreintes de roseaux retrouvés sur le
site de Martigues et des comparaisons ethnologiques avec l’Afrique du Nord avaient

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posé cette hypothèse. Il y a, à Lattes, diverses pièces de terre cuite avec une pâte proche
de celle des amphores marseillaises dont je pense qu’elles sont des gargouilles et des
déversoirs pour l’eau de pluie ; ce qui colle plutôt avec l’option toits plats. Dans un
urbanisme aussi compact que celui de Lattes ou de celui de Martigues, les toits plats
sont une solution plus pratique, pour juxtaposer les maisons, notamment. Les ruelles
étant très étroites, j’ai du mal à imaginer des toits de chaumes à versants et les toits
plats m’ont paru une bonne solution.
6 HG Quel que soit le matériau, le problème des constructeurs et de répartir les forces,
d’éviter que les murs ne s’ouvrent ou ne s’affaissent. L’évolution du schéma des
bâtiments est toujours la même partout : on commence par les maisons rondes, et on
tend vers la maison quadrangulaire, ou pas ! La forme ronde est une forme parfaite car
toutes les forces s’équilibrent et la charge de la toiture est parfaitement répartie. Les
questions de répartition des forces sont plus complexes dans les maisons
quadrangulaires. L’avantage du petit élément qu’est la brique de terre crue est qu’on
peut l’appareiller pour obtenir toute épaisseur de murs et surtout des angles droits
rigoureux. La brique donne beaucoup de flexibilité d’emploi et conduit plutôt à formes
orthogonales que courbes. L’autre question que peuvent se poser les bâtisseurs est
l’intérêt de l’élévation. Dans le monde occidental, que l’on construise en brique crue, en
bauge, en pisé, l’élévation n’excède pas trois étages maximum. Les techniques de terre
permettent cependant de monter plus haut5. Les variabilités des logiques constructives
résultent à la fois de l’usage des matériaux à disposition, évidemment, souvent lié à une
intelligence qui permet d’en tirer le meilleur parti mais aussi d’expérimentations
répétées jusqu’à ce que les procédés techniques aboutissent à des modèles
culturellement marquants. Ces logiques de construction s’imposent de fait par une
intelligence mémorielle de l’art de construire transmis de génération en génération.
Pour les époques modernes, en France, on constate bien ces particularités régionales,
dans les choix des techniques et des associations de matériaux : le pisé
(particulièrement efficace en zones tempérées à froides pour amortir les différences
entre les températures extérieures et intérieures), la brique crue, la bauge en
association avec la pierre, le bois, le mortier de chaux, la brique cuite, des fibres
végétales pour renforcer les endroits plus fragiles, épaissir les murs, améliorer la tenue
de la terre… Partout en France, le torchis a donné, dans sa forme la plus élaborée et
extrêmement flexible, le colombage, à bois courts ou à bois longs suivant les influences
anglo-saxonnes ou celles plutôt méridionales. Quant aux combinaisons fréquentes de
briques crues et cuites, elles sont un bon compromis entre l’avantage des premières,
économiques et pratiques, et celui des secondes, plus solides et durables mais plus
chères. La diversité des solutions est grande mais chaque technique renvoie à des
typologies finalement peu différentes. Et les techniques complexes (comme le pisé) ont
dû être mises au point après plusieurs expérimentations. Il est notable que ce qui
s’apparente à la technique du pisé, quel que soit le nom qu’on lui donne, est très
homogène d’un continent à l’autre actuellement. Ce qui varie, ce sont les procédés
(types de coffrages ou de fouloirs) et les organisations et spécialisations du travail.

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© Romain Etienne/ITEM

Le principe même de la construction en terre, c’est l’adaptation au milieu.


Claire-Anne de Chazelles

7 C-AC Oui, on s’étonne que des techniques si anciennes soient à ce point figées. Les
techniques constructives en terre sont assez intuitives et se sont généralisées y compris
dans les régions où il y a de la pierre et du bois. Le fait que la bauge existe depuis des
millénaires sur tous les continents est sans doute une des explications de sa grande
diversité, dans les formes des éléments modelés à la main et les façons de les assembler,
mais le procédé en lui-même n’évolue pas. Le bâti en brique crue moulée est bien moins
variable, dès ses débuts et sur le long terme. Les dimensions différent assez peu et on a
même une constante mondiale d’une épaisseur comprise entre 7 et 9 cm. Il s’agit, en
effet, de trouver un équilibre entre des dimensions suffisamment grandes pour monter
rapidement des murs et celles permettant de manipuler les modules sans trop d’effort ;
on trouve cependant parfois des briques de très grandes dimensions, disposées à plat
ou de champ, qui ne pouvaient être manipulées qu’à deux. Bien que la brique crue
représente une réelle rationalisation de la construction, la diffusion de cette technique
est relativement lente6. En prenant l’exemple de Lattes, au début de l’occupation, début
du ve siècle avant notre ère, les constructions sont essentiellement en bauge, alors que
la brique crue est déjà bien utilisée sur le pourtour méditerranéen ; et ce n’est
qu’environ un siècle plus tard que l’emploi de la brique crue y est généralisé. Serait-ce
dû à des résistances culturelles, comme l’échec ou le succès de certains procédés ? Le
pisé, particulièrement efficace, n’a pas été utilisé partout sans que la raison soit liée de
façon évidente à des facteurs climatiques (notamment lorsque le sous-sol est humide en
permanence). Il y a des régions qui, indépendamment de la ressource, optent
résolument pour la terre. C’est le cas du site protohistorique du Marduel, habitat
perché au dessus de la vallée du Gardon. En plein un massif calcaire, les pierres ne

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servent que pour les soubassements et les murs sont en briques crues ; les habitants ont
préféré produire les briques au bord de la rivière et les remonter sur l'oppidum. C'est
un exemple parmi d'autres, de choix des moyens locaux. L’image dominante de la
construction aux ve, ive, iiie siècles avant notre ère, est la maison en briques donc
certains font des maisons en briques alors que la pierre est le matériau local. En
général, quand même, on constate une adaptation au milieu et aux ressources avec un
schéma de construction identique. Par exemple, au Néolithique, dans le sud de la
France, on a un même type de maisons, sans que cette forme soit « dictée » par le
matériau : elles sont en pierre dans les garigues, et en terre dans la plaine de Lattes, où
il n’y a pas un caillou et pas un arbre.
8 HG Le choix du matériau n’apparaît donc pas forcément comme un marqueur de
distinction sociale ?
9 C-AC Lorsque tout le monde construit en terre, ce ne peut être un signe de pauvreté.
D’économie, de commodité, peut-être. À l’époque romaine, dans la mesure où tout est
dissimulé sous des enduits, de très belles maisons ont des murs en terre. Dans le sud de
la France, on a construit en terre durant tout le Moyen Âge mais ensuite, on a
l’impression que cela se raréfie, au moins en contexte urbain. La construction en terre
perdure à la campagne mais avec des variabilités qu’on ne comprend pas encore. Par
exemple, en Provence, la construction en pisé existe jusqu'au xx e siècle, e siècle alors
qu’en Languedoc, on a l’impression que la terre est alors soudain et totalement
abandonnée au profit de la pierre. Les gens utilisent la terre quand c’est le matériau
disponible et souvent, terre et pierres sont sous les enduits ; à part les entourages
d’ouvertures en pierre, bien visibles et qui peuvent être une volonté d’affirmer un
statut plus élevé. C’est la même ostentation durant l’époque moderne en Provence,
lorsque le bâtiment d’habitation d’un mas présente une façade avant de pierres, ou que
tout le rez-de-chaussée a un appareillage de pierres visible. Mais dans ce cas, il peut
s’agir aussi d’une protection contre des aléas naturels : dans la vallée de la Durance, on
sait par des textes que des quartiers entiers se sont écroulés suite à une crue. Dans
d'autres aires géographiques méditerranéennes que je connais, tout le monde construit
en terre. Sur le site où je travaille en ce moment au Maroc7, pour la période
préromaine, il n’y a absolument pas de pierres. Ce n’est donc pas comme cela que se
marque la différenciation sociale. En général, elle se traduit par de plus grandes
dimensions, des finitions plus soignées, une ornementation abondante, des emprunts à
des cultures prestigieuses… C’est la porosité entre cultures qui fait évoluer les
mentalités. Lorsque vous initiez des équipes locales, par exemple en Afrique
subsaharienne où l’on a toujours construit en bauge, à des techniques comme le pisé ou
le BTC, est-ce que ces gens se l’approprient ou bien sont-ils réticents ? Est-ce que cela
modifie leur technique constructive par la suite ?
10 HG La construction moderne industrielle a laminé les cultures constructives dans la
plupart des pays où nous allons et a imposé une vision de l’architecture moderne
fondée sur le béton, sur l’acier, qui conditionne les aspirations de la population. Le
matériau terre leur est présenté comme pauvre et arriéré et les renvoie à une image
négative d’eux-mêmes. Ces pays ont souvent produit des parpaings ou des briques
cuites, à grand renfort de destruction environnementale, et les projets n’aboutissaient
souvent pas, faute de maîtrise et d’adaptation technique. Pour nous, il ne s’agit donc
pas de faire du transfert de technologies mais de répondre à des attentes de la
population : accéder à un habitat de meilleure qualité et vivre de l’économie de la

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construction. Le travail avec les populations locales passe par des démonstrations
techniques, par un travail en réseau8 et par des projets de constructions qui aident à
redonner une vision positive de l’architecture de terre, des projets en BTC d’une
intelligence remarquable et d’une grande modernité formelle, comme le travail de
l’architecte Francis Kere au Burkina Faso. Dans un autre contexte, notre projet en Haïti
après le tremblement de terre, concernait le milieu rural et se fondait sur la tradition
de la culture architecturale haïtienne mais avec des matériaux modernes de qualité. À
Mayotte, où les habitats traditionnels, principalement faits de végétaux, sont mis à bas
aux passages des queues de cyclone, l’enjeu était de développer des habitats en dur,
dans un respect écologique9. Nous avons proposé de mobiliser des ressources locales, de
la terre argileuse latéritique et de la terre d’origine pouzzolanique. En mélangeant les
deux, la pouzzolane jouant le rôle de dégraissant par rapport à l’argile, on a obtenu une
formule de terre de très bonne qualité pour faire du BTC ; il peut d’ailleurs être stabilisé
à 3 ou 4 % d’un peu de ciment, ou de chaux, ce qui le rend résistant à l’humidité. Ces
exemples de projets ont été suffisamment convaincants pour redéployer, ou déployer,
la filière terre dans des contextes où les populations avaient assimilé une vision
péjorative de ce matériau et perdu en partie leur savoir-faire. Et tout cela en préservant
un environnement ! Car l’extraction de la terre peut se faire sans dommage. La
technique de base dite « en mottes de gazon », pratiquée dans l’Europe médiévale et
dans l’Amérique latine actuelle, par exemple, est un décapage superficiel de terre
végétale, par rotation, de façon à ce que l’humus se régénère. Évidemment, si on creuse
sur de grande profondeur, on détruit et on stérilise le sol, ce qu’il faut éviter. Mais il
devrait être possible d’exploiter des types de veines souterraines, en carrière, sans
dégradation du milieu. Existe-t-il des traces archéologiques d’exploitation intensive de
terre ?
11 C-AC Pour l’instant, on n’en connaît pas. En ce qui concerne mes aires de recherche,
pour Lattes, les berges du Lez ont été tellement remaniées qu’on a peu de chance de les
trouver ; dans la région où je travaille au Maroc10, les gens font encore des briques et les
traces des petites carrières sur les bords du oued sont visibles. Ce ne sont que des
emplacements espacés car la terre n’a qu’un usage domestique limité. Mais les travaux
d’ampleur urbains et défensifs d’Orient et d’Occident, de la Protohistoire au Moyen Âge,
ont dû mobiliser énormément de matériau. Cependant, le grand avantage de la terre est
d’être réutilisable. Le matériau disponible peut donc être les bâtiments eux-mêmes. Au
ve siècle avant notre ère, les gens de Lattes sont allés choisir de bonnes terres, près du
Lez. Puis, au fur et à mesure des démolitions, ils ont récupéré les matériaux et les ont
mélangés. Une maison en terre devait être constamment entretenue et les traces de ces
réparations sont fréquentes (sols rechapés, murs réenduits, rebouchés…). Cela pourrait
expliquer que la reconstruction ait été préférée à un entretien sur le long terme, et
même que la terre soit abandonnée pour la pierre. Encore fallait-il avoir les moyens ! La
reconstruction est souvent basée sur des remplois et des récupérations. On s’en rend
compte notamment lors des études de murs en briques crues : certaines ont des faces
cuites et sont sans aucun doute des briques cuites lors d’un incendie et réutilisées dans
une nouvelle construction. La terre de démolition se recycle indéfiniment : il suffit de
remettre de la paille fraîche et de l’eau. D’ailleurs, jusqu’à ces dernières années, les
archéologues pensaient que le torchis prédominait, car il se distingue bien en fouille 11.
Il est plus difficile de repérer le pisé, mais il était sans doute plus répandu qu’on ne
l’imagine. Le choix de la technique a quand même un lien avec la nature de la terre.
Dans nos expérimentations à Lattes, on a pris le parti d’utiliser la même terre locale

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pour tout, mais elle se révèle trop peu argileuse. Elle reste tout à fait efficace pour les
briques crues et pour les enduits mais pas pour faire du pisé. Il semble donc que toutes
les terres ne conviennent pas aussi bien.

© Romain Etienne/ITEM

Le matériau terre souffre d’une vision désuète et péjorative alors qu’il présente de
très nombreux atouts architecturaux et environnementaux.
Hubert Guillaud

12 HG A priori, on peut se servir de tout type de terre parce que si la terre naturelle ou de
récupération n’est pas convenable, on va pouvoir la corriger en y ajoutant d’autres
éléments minéraux ou végétaux. Pour la brique, pour la bauge, il n’y a pas de problème,
en tous cas : toute terre se travaille. Et certains choix semblent déterminés moins par la
nature de la terre que par sa teinte, dans la recherche d’un aspect esthétique.
13 C-AC C’est très manifeste. Le corps d’enduit est fait avec une terre banale, et la finition
avec une argile fine, d’une couleur décorative. À Lattes, on retrouve des fragments
d’enduits avec plusieurs couches de couleurs différentes comme si on avait changé la
peinture des murs régulièrement : au iie siècle, murs et sols sont de divers tons d’ocre
jaune foncé ; à la période antérieure, ils sont dans des tons clairs (vert pâle, beige,
blanc). Pour bien comprendre la spécificité des enduits, on met en place un programme
de recherche sur l’analyse des matières organiques mêlés à la terre. On sait que les
Romains mélangeaient la terre avec de la caséine ou avec le résidu de pressage des
olives, corps gras qui rendent les matériaux plus ductiles et renforcent l’étanchéité. Ils
s’en servaient pour enduire les greniers notamment ; peut-être aussi que cela éloigne
les insectes, les rats, les vers… Les recherches sur l’identification et l’utilisation de la
terre dans l’architecture n’en sont qu’à leurs débuts !

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NOTES
1. Centre international de la construction en terre, association et laboratoire de recherche de
l’école nationale supérieure d’architecture de Grenoble, fondé en 1979.
2. Couche de terre sèche obtenue soit par compactage dans un coffrage soit par damage dans un
fouloir. Apparue au IIIe siècle avant notre ère, dans la région de Carthage, la technique se diffuse à
l’époque romaine en Afrique du Nord et en Espagne. Elle est adoptée par les Arabes lors de leur
colonisation de ces territoires à partir du VIIIe siècle. Elle devient courante au Moyen Âge dans la
moitié sud de la France.
3. Briques en terre comprimée.
4. Sur le site de Chan Chan, au Pérou, les toitures de protection ont entraîné de fortes
augmentations de température et transformé le cycle d’« évaporation » de la terre de façon très
dommageable.
5. Deux exemples en bauge : les cases obus du Cameroun, rondes, montées comme au colombin,
avec des murs minces pour ne pas accumuler la chaleur ; les maisons du Yemen, angulaires,
comportant jusqu’à huit étages mais sous ces climats, les murs sont plus épais et reposent sur des
fondations de pierre.
6. Apparue au Proche-Orient au VIIe millénaire, la construction en briques crues n’est adoptée,
jusqu’aux années 4000 avant notre ère qu’en Méditerranée orientale, en Grèce et en Égypte, et
n’est connue en Méditerranée occidentale qu’à partir des colonisations phénicienne et grecque.
7. Rirha ; voir encadré p. 68.
8. Par exemple, le réseau de la chaire Unesco – Architecture de terre qui existe depuis 1998.
9. Limiter la forte déforestation (due à de multiples causes mais partiellement à la cuisson de
briques) et l’exploitation massive des sables du lagon.
10. Voir encadré p. 68.
11. Notamment par les empreintes de végétaux dans la terre cuite par incendie.

AUTEURS
CLAIRE-ANNE DE CHAZELLES
Claire-Anne de Chazelles est archéologue au CNRS, dans l’équipe « Archéologie des Sociétés
Méditerranéennes ». Ses recherches concernent les techniques de construction des périodes
préhistoriques et historiques, et plus spécialement les procédés utilisant la terre crue, sur le
pourtour occidental de la Méditerranée. Elle a publié, notamment : avec A. Klein (dir.), Échanges
transdisciplinaires sur les constructions en terre crue, Actes de la table-ronde de Montpellier, 17-18 nov.
2001, Montpellier, Éditions de l'Espérou, 460 p, 2003 ; avec A. Burens-Carroza et L. Carroza, « Les
maisons en Languedoc de la fin du Néolithique à la fin de l'âge du Fer », in Architectures
protohistoriques en Europe occidentale du Néolithique final à l'âge du Fer, Actes du 127 e congrès national
des sociétés historiques et scientifiques, Nancy, 15-20 avril 2002, Paris, éditions du CTHS, p. 429-461,
2005 ; avec H. Guillaud et A. Klein (dir.), Les Constructions en terre massive pisé et bauge. Actes des
2es Échanges transdisciplinaires sur les constructions en terre crue, Villefontaine, 28-29 mai 2005,
Montpellier, Éditions de l'Espérou, 328 p., 2007 ; Les Maisons en terre de la Gaule méridionale,

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Montagnac, Éditions Monique Mergoil, 1997, Monographies Instrumentum 2, 230 p. ; avec J.-
C. Roux, « La construction en terre crue en France méditerranéenne », in Archéologie des rivages
méditerranéens : 50 ans de recherche, Actes du colloque d'Arles 28-29-30 octobre 2009, Paris, Errance,
p. 343-347, 2010 ; « Quelques pistes de recherche sur la construction en terre crue et l'emploi des
terres cuites architecturales pendant l'Âge du fer dans le bassin occidental de la Méditerranée »,
in Grecs et indigènes de la Catalogne à la mer Noire, Actes des rencontres du programme européen
Ramses2, 2006-2008, Paris-Aix-en-Provence, Errance-Centre Camille-Jullian, coll. Bibliothèque
d'archéologie méditerranéenne et africaine n° 3, p. 301-318, 2010 ; avec A. Klein et N. Pousthomis
(dir.), Les Cultures constructives de la brique crue, 3es Échanges transdisciplinaires sur les constructions en
terre crue, Actes du colloque international de Toulouse, 16 et 17 mai 2008, Montpellier, Éditions de
l'Espérou, 502 p., 2011.

HUBERT GUILLAUD
Hubert Guillaud, spécialiste des architectures de terre, enseigne à l’École Nationale Supérieure
d’Architecture de Grenoble et co-dirige l'unité de recherche AE&CC (Laboratoires CRAterre et
Cultures constructives). Il a publié notamment : avec H. Houben, Traité de construction en terre,
Editions Parenthèses, 360 p., 2006 ; « Évolution de la culture constructive du pisé », in Actes des 2 es
Échanges transdisciplinaires sur les constructions en terre crue (28-29 mai 2005, Villefontaine), Éditions de
l’Espérou, Montpellier, 2007, p. 277-310 ; « De traces en repères choisis : éloge de la brique crue »,
in Actes des 3es Échanges transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. La brique crue (16-17 mai
2008, Toulouse), Éditions de l’Espérou, Montpellier, 500 p., 2010.

CATHERINE CHAUVEAU
Inrap

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Pratiques

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Le projet ALeRT
Des sites archéologiques en danger sur le littoral de la Manche et de
l’Atlantique
The ALeRT project. Threatened archaeological sites on the Channel and Atlantic
coasts
El proyecto AleRT. Sitios arqueológicos en peligro en el litoral de la Mancha y del
Atlántico

Marie-Yvane Daire, Pau Olmos et Elías López-Romero

1 Les changements climatiques et certains de leurs effets que sont la remontée du niveau
marin et l’érosion des côtes menacent de détruire une partie du patrimoine culturel et
en particulier celui des sites archéologiques du littoral français de la Manche et de
l’Atlantique, dans des délais allant de quelques mois à quelques années. Les
scientifiques et les gestionnaires en charge de ce patrimoine ont trop longtemps ignoré
les avertissements des géologues, en sous-estimant la vulnérabilité de ces côtes et du
patrimoine culturel qu’elles recèlent, et ces destructions sont parfois lentes et discrètes
aux yeux du profane.

Les changements climatiques et l’érosion des sites


archéologiques côtiers
2 Le réchauffement global du climat entraîne un processus de dégradation des côtes, lent
et irréversible, qui se double d’épisodes de crise, avec des tempêtes plus fortes mettant
à nu des gisements qui se trouvent par conséquent à la merci de toutes les intempéries.
Un site archéologique ainsi exposé peut définitivement disparaître en quelques mois
(Collectif, 2006 ; Erlandson, 2008). Dans le domaine littoral, la pression anthropique
peut se révéler un facteur aggravant pour certains secteurs géographiques à vocation
touristique ou industrielle, où les aménagements peuvent avoir des conséquences
négatives sur les écosystèmes comme sur l’ensemble du milieu naturel et des sites
sensibles. En outre, il faut souligner que les mesures de protection prises par certaines

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collectivités, notamment les campagnes d’enrochement, ne répondent pas toujours de


manière satisfaisante à la problématique [ill. 1].

1. Sur la presqu’île de Landrellec à Pleumeur-Bodou (Côtes-d’Armor), le site archéologique a été


découvert à la faveur de l’érosion littorale, particulièrement active en deçà des enrochements
réalisés par la commune pour consolider le trait de côte. Cette découverte a donné lieu à deux
campagnes de fouille programmée.

© L. Langouët

3 Plusieurs initiatives européennes ont tenté de répondre à ces menaces. En Grande-


Bretagne, l’English Heritage a lancé des opérations de prospections côtières
systématiques (Rapid Coastal Zone Assessment Surveys), en réponse à la montée du niveau
marin, à l’accélération de l’érosion côtière et à la dégradation de certains
environnements littoraux (Hunt, 2011 ; Murphy, 2014). La démarche a été reprise
récemment dans le cadre du projet participatif Citizan (http://www.citizan.org.uk/). En
2001, les archéologues écossais avaient créé la Fondation de l’archéologie côtière
écossaise et des problèmes d’érosion (SCAPE = Scottish Coastal Archaeology and the Problem
of Erosion, Université de St Andrew, Directeur Tom Dawson), programme soutenu par
l’Organisation des Nations Unies (programme UNEP), suivi depuis 2010 par le
« Scotland’s Coastal Heritage at Risk Project » (SCHARP) (Dawson, 2013). Plus d’un tiers des
côtes écossaises ont ainsi été systématiquement prospectées, révélant l’existence de
11 500 sites archéologiques localisés dans la bande littorale des 100 mètres, parmi
lesquels de nombreux gisements sont menacés de disparition.
4 D’autres initiatives européennes ont vu le jour dans le domaine méditerranéen avec
une carte des risques, en Grèce portant sur la région du Dodécanèse et en Italie
concernant la Sicile (dans le cadre du projet européen ARCHI-MED), ces projets étant
cependant très orientés sur l’aspect « monumental » du patrimoine. Le projet « Noé
Cartodata : carte de risque du Patrimoine » (2006-2010) visait le développement d’une
réflexion méthodologique dédiée à la protection du patrimoine culturel face aux
risques naturels.

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5 Comme les autres pays européens, la France n’a pas de responsabilité légale, mais peut-
être en a-t-elle une morale face à la disparition imminente de ce patrimoine côtier, et
cette prise de conscience est devenue une urgence. Face à cette situation, une vingtaine
de chercheurs (institutionnels et collaborateurs), investis de longue date dans des
recherches archéologiques en milieu littoral et insulaire dans l’Ouest de la France 1, se
sont fédérés dès le début de l’année 2007 au sein du projet « ALeRT » : Archéologie,
Littoral et Réchauffement Terrestre, qui avait pour objectifs initiaux la réalisation d’un
état sanitaire du patrimoine archéologique littoral dans l’Ouest de la France, et une
réflexion scientifique sur la vulnérabilité des sites archéologiques côtiers (Daire et
López-Romero, 2008 ; López-Romero et Daire, 2008 ; López-Romero et al., 2013a ; http://
alert-archeo.org/).

La démarche, les outils et le réseau ALeRT


6 La complexité des processus et la diversité des situations mises en évidence dans les
phases initiales du projet ALeRT ont très vite montré la nécessité d’une démarche
interdisciplinaire dans l’objectif de développer une analyse globale de la vulnérabilité
des sites archéologiques littoraux ; cela impliquait l’intervention de divers champs
disciplinaires, notamment la géographie, la géomorphologie et la géologie (Daire et al.,
2012). Par la suite, ce groupe de travail s’est enrichi de l’implication, dans le projet
ALeRT, de l’un des acteurs de la gestion des espaces côtiers au plan national (le
Conservatoire du Littoral et des Espaces Lacustres). Ce projet a plus récemment évolué
sous la forme d’une recherche participative, impliquant la structuration d’un réseau
d’acteurs et la mise en place d’outils dédiés.
7 Les sites archéologiques côtiers ne sont pas tous soumis aux mêmes aléas et les facteurs
de dégradation peuvent varier, voire se combiner selon les secteurs géographiques ou
les saisons. Ces variations sont liées à la nature des sites archéologiques (composition et
taphonomie des dépôts et vestiges, plus ou moins résistants), à leur environnement
géomorphologique immédiat (nature et résistance du sédiment encaissant, structure de
la cellule sédimentaire…), etc. Dans certains cas, des facteurs anthropiques
défavorables accentuent ou accélèrent la dégradation des sites : des cheminements, des
aménagements touristiques entraînant une hausse de la fréquentation, par exemple, ou
encore certaines activités économiques. Parfois, des mesures de protection liées à la
gestion de l’environnement (Réserves Naturelles) ont un effet positif sur la
préservation des vestiges archéologiques, telles par exemple les stabilisations de dunes.
Dans d’autres cas, les difficultés d’accès (sur les îlots, par exemple) constituent un frein
à la fréquentation humaine [ill. 2]. Mais l’évolution du paysage côtier est un phénomène
qui va généralement dans le sens d’une perte de données scientifiques, plus ou moins
rapide, et parfois très brusque et irrémédiable, puisque le principe de résilience est
quasi nul en matière d’archéologie. Ainsi, des sites archéologiques majeurs ont d’ores et
déjà subi des dommages irréversibles [ill. 3] tandis que certains ont purement disparu.

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2. L’amas coquiller de Roc’h Louet à Pleubian (Côtes-d’Armor), périodiquement lessivé par les
tempêtes qui ont conduit à sa découverte, livre des squelettes humains datés du Moyen Âge. Mais
le dépôt correspond à une occupation initiale de l’île qui remonte au second âge du Fer. L’îlot,
propriété du Conservatoire du Littoral, est régulièrement visité, malgré son éloignement par rapport
à la côte (4 km).

© M.-Y. Daire

3. Le site mésolithique majeur de Beg er Vil à Quiberon (Morbihan), au péril des mers et de
l’érosion. Le site fait l’objet d’une fouille programmée, sous la direction de Grégor Marchand (CNRS,
UMR 6566 CReAAH), destinée à étudier les derniers vestiges avant une disparition annoncée à
l’échelle de quelques décennies, voire quelques années.

© P.-F. Lebrun

8 Visant une évaluation objective de l’état d’altération, de préservation et d’évolution du


patrimoine archéologique littoral, la réflexion menée dans le cadre du projet nous a
permis de conclure que les variables prises en compte dans l’appréhension de la
vulnérabilité des sites archéologiques côtiers relevaient de quatre registres principaux
: naturels, biologiques, anthropiques et juridiques. En conséquence, une grille

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d’observation et d’évaluation de la vulnérabilité (VEF = Vulnerability Evaluation Form) a


été mise au point dans le cadre du projet (Daire et al., 2012 ; López-Romero et al., 2013a).
Ce document repose sur le principe de base que certaines variables reflètent les
facteurs d’altération de l’intégrité des dépôts (menaces) tandis que d’autres variables
reflètent une forme de résistance des dépôts face à ces dangers (la résistance). Le VEF
est présenté comme un formulaire destiné à établir un indice de vulnérabilité de
chaque entité archéologique, indice qui s’exprime dans la formule « A - B = C », où « A »
est le facteur de risques cumulés, « B » la somme des facteurs de résistance, et « C » la
vulnérabilité résultant de la combinaison des précédents.
9 Cette approche fait conceptuellement partie de la philosophie du risk assessment et des
cartes de risques (López-Romero et al., 2013a, p. 127-128). L’enregistrement
systématique des paramètres de la menace, des caractéristiques du système exposé et
de l’évaluation de la vulnérabilité permet ici d’obtenir – après un processus de recodage
– une série de niveaux d’impact ou de risque. Au final, le VEF est constitué d’une liste
de dix variables (la proximité des infrastructures, la proximité des activités
économiques, la fréquentation, la distance à la falaise, le degré d’érosion biologique, le
degré d’érosion climatique, la résistance du substrat, la résistance des vestiges
archéologiques, la protection physique, la protection juridique) qui sont évaluées pour
chaque site en distance par rapport au site ou en degré d’intensité. Dans une logique
d’évolution du projet, cette grille d’observation (VEF) a été intégrée à une fiche de site
archéologique établie sur un modèle utilisé pour la gestion du patrimoine par le
ministère de la Culture. Ce document permet de caractériser la nature et la chronologie
du site, d’indiquer sa géo-localisation ou encore d’ajouter des photos et des cartes. Ce
document constitue un vecteur de communication entre observateurs de terrain,
opérateurs du projet et gestionnaires du patrimoine, les informations étant intégrées
dans la base de données interactive dédiée au projet ALeRT.
10 Dans un contexte où le travail de terrain est, par définition, décentralisé, cette
démarche participative (voir infra) permet aux différents acteurs de terrain de signaler
les sites archéologiques menacés (en renseignant en ligne la fiche dans la base de
données) et de partager ces informations dans des délais très courts, compatibles avec
la soudaineté et l’urgence générées par les événements climatiques extrêmes
(tempêtes). La base de données est accessible via une double application qui permet de
renseigner les fiches soit à partir d’un poste informatique fixe, soit à partir d’un
Smartphone, directement sur le terrain2 (Barreau et al., 2013). Par sa simplicité de
conception et d’usage, cet outil peut être utilisé à la fois par les chercheurs mais aussi
par les bénévoles ou collaborateurs participant au projet sans prérequis. De ce point de
vue, il constitue un outil de recherche collaborative entre chercheurs, gestionnaires du
patrimoine et une plus large communauté.
11 La création puis le perfectionnement de ces outils ont été accompagnés par des
campagnes de d’information et de formation du réseau humain sur lequel s’appuie le
projet : professionnels, bénévoles, membres d’associations locales… Ainsi, plusieurs
stages d’initiation aux outils ALeRT ont été réalisés sur le terrain, à destination de
groupes locaux. Une action de fond a été entreprise en direction des gardes du littoral,
via le Conservatoire du Littoral, à travers plusieurs stages successifs, ce qui a permis
d’enrichir considérablement le réseau des observateurs (Olmos et al., 2013 et 2014).
L’objectif est ici de parvenir à un maillage régulier du territoire avec des
correspondants dans toutes les zones géographiques (côtes mais aussi îles et archipels),

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de manière à obtenir une couverture totale du territoire. Celle-ci est déjà très
développée à l’échelle de la région Bretagne, pilote dans ce projet, soit plus de 2 700 km
de linéaire côtier. Le développement géographique de cette démarche en direction
d’autres régions de la façade occidentale de la France, notamment vers l’Aquitaine où le
projet LITAQ (dirigé par Florence Verdin, CNRS) recouvre, au moins en partie, une
démarche comparable (http://ausonius-dh.u-bordeaux3.fr/litaq/
doku.php#ressources).
12 Parallèlement à la démarche participative d’ALeRT, les données de la base et
notamment celles de la grille de vulnérabilité font l’objet d’un traitement qualitatif et
quantitatif en vue de l’élaboration de cartes des risques ou cartes de vulnérabilité
dédiées à l’archéologie côtière. Il s’agit là d’une aide à la décision qui permet une
priorisation des actions, sachant que plusieurs niveaux d’actions sont en effet possibles,
en fonction de l’urgence de la menace et de l’intérêt scientifique du site [ill. 4]. D’autres
paramètres interviennent dans la structuration de la stratégie d’intervention,
notamment le statut du site au regard des mesures de protection (site naturel, réserve)
qui peuvent limiter le caractère invasif et destructeur de l’étude archéologique de
terrain. Ainsi peuvent être mis en œuvre, par ordre croissant d’importance au niveau
des moyens investis sur le terrain : le signalement ponctuel qui repose sur la création
d’une fiche dans la base ALeRT et le signalement à la carte archéologique (SRA) ; le suivi
archéologique qui consiste en visites régulières sur le site avec photographies, relevés,
prélèvements ; des sondages ; la fouille programmée (puisque ces actions ne peuvent
entrer dans le cadre de l’archéologie préventive, d’un point de vue administratif).

4. La base de données du projet ALeRT donne lieu à une exploitation sous la forme de cartes de
vulnérabilité des sites archéologiques, ici dans le secteur de l’estuaire de la Vilaine. Les indices
sont calculés à partir d’une grille d’observation normée ; plus l’indice est élevé, plus le site est
considéré comme vulnérable aux aléas.

© E. López-Romero, DAO L. Quesnel

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Le rythme des destructions


13 L’érosion du littoral s’inscrit dans la longue durée mais le phénomène est aggravé,
parfois de manière spectaculaire, lors d’épisodes de tempêtes . À titre d’exemple, sur
l’îlot de Lez ar C’hrizienn (archipel de Molène), d’après les observations réalisées de
2005 à 20083, la partie terrestre de l’îlot est en voie d’érosion marquée et continue, mais
le recul a été particulièrement net à l’occasion de deux tempêtes, l’une en 2007 et
l’autre le 10 mars 2008. Lors de cette dernière, la pointe nord de l’île a reculé de près de
20 m (Fichaut et Suanez, 2007).
14 L’année 2008 avait été marquée tout particulièrement par les effets très violents de la
tempête des 10-11 mars, dont les conséquences ont été aussi spectaculaires que
dévastatrices sur certains points du littoral, tant dans le Finistère que dans les Côtes-
d’Armor. Un communiqué du conseil général du département du Finistère mentionne
une « tempête d’une intensité exceptionnelle : creux de près de 14 mètres par endroits,
rafales à 155 km/h à la pointe du Raz, inondations, vents violents… » et l’état de
catastrophe naturelle a été retenu pour cet épisode dévastateur en bien des points des
côtes de la Manche et de l’Atlantique. Ainsi, le secteur de la pointe de Dossen Rouz à
Trédrez-Locquémeau (Côtes-d’Armor) comprenant un site archéologique de l’âge du
Fer a été submergé durant la marée du soir du 10 mars 2008, à tel point que la pointe
s’est trouvée coupée du continent et isolée par la mer pendant plusieurs heures
(Cariolet, 2011). Le côté ouest du tombolo montre un recul du cordon de galets sur 9 m
tandis que le côté est, où se trouvent les structures archéologiques, a également été
attaqué par de fortes vagues, qui ont eu pour effet de déplacer des pierres (y compris
des blocs assez importants) et de mettre à nu le niveau de sol de l’âge du Fer où se
trouvent les vestiges archéologiques4 (Daire, 2011) [ill. 5]. Le fait que le site
archéologique soit situé à une altitude assez faible le rend en effet vulnérable face à un
tel événement.

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5. Le site saunier gaulois de Dossen Rouz à Trédrez-Locquémeau (Côtes-d’Armor), pendant la


fouille programmée de 2009. Le site avait été partiellement détruit lors des tempêtes de mars 2008.

© M.-Y. Daire

15 Enfin, la succession rapide de violentes tempêtes, pendant l’hiver 2013-2014, a accéléré


le processus d’érosion des sites côtiers, également endommagés par le ruissellement
des eaux de pluie [ill. 6]. Sur le littoral de Santec (Finistère), caractérisé par des falaises
meubles d’origine éolienne (formations lœssiques et dunaires) à faible altitude, cet
épisode climatique a provoqué la disparition de vestiges connus mais aussi la
découverte de nouveaux sites5 (Olmos et Daire, 2015). Sur l’îlot de Roc’h Santec, une
intervention de sauvetage a ainsi été programmée6 pendant l’année 2015 [ill. 7].

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6. Après les tempêtes de l’hiver 2013-2014, le site de Pors Hir à Plougrescant (Côtes-d’Armor) fait
l’objet d’un suivi archéologique régulier. L’atelier de bouilleurs de sel de l’âge du Fer a été
sérieusement endommagé et la falaise (arrière plan) qui recèle des vestiges lithiques du
Paléolithique a connu des effondrements importants, malgré la présence d’un enrochement
moderne (premier plan).

© M.-Y. Daire

7. Le site de Roc’h Santec a fait l’objet d’une opération de sauvetage en mars 2015, qui montre une
occupation de l’île depuis le Paléolithique Moyen jusqu’au second âge du Fer.

© M. Monros

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16 Cependant, outre ces épisodes brutaux et soudains, la dégradation de certaines portions


du littoral breton correspond à un phénomène progressif, lent mais irréversible. À titre
d’exemple, la plage du Curnic à Guisseny (Finistère), qui recèle des vestiges
protohistoriques (âges du Bronze et du Fer) a connu un recul d’environ 30 m entre 1952
et 1972, d’après les études photogrammétriques. Le sédiment perdu par cette plage est
allé alimenter celle du Vougot à l’ouest ; puis, à partir du début des années 1980,
démarre l’érosion du front de dune de la plage du Vougot qui atteindra une vingtaine
de mètres entre 1982 et 2005, au rythme de 1 m/an au début puis 1,5 m/an à partir de
20007 (Suanez et al., 2007).
17 Sur l’île de Triélen, dans l’archipel de Molène (Finistère), le suivi géomorphologique
montre que le seul secteur de l’île affecté par une érosion continue est le trait de côte
de Porz (Fichaut et Suanez, 2007). C’est précisément au cœur de cette cellule en érosion
soutenue que se trouve le site archéologique de l’âge du Fer qui fait l’objet d’un suivi
archéologique8 entre 2004 et 2014 [ill. 8]. Au niveau des structures archéologiques, le
recul de la microfalaise a été estimé à environ 1 m/an entre 2004 et 2013 et la
succession des tempêtes de l’hiver 2013-2014 eut définitivement raison des structures
archéologiques.

8. Localisé en pleine réserve naturelle d’Iroise, le site gaulois de l’île de Triélen dans l’archipel de
Molène n’a pu être fouillé mais a fait l’objet d’un suivi archéologique et géomorphologique régulier
entre 2004 et 2014. Les structures et niveaux archéologiques qui se dégradaient rapidement ont
aujourd’hui totalement disparu.

© M.-Y. Daire et A. Baudry, DAO L. Quesnel

Les perspectives
18 Nous avons exposé en préambule le contexte européen et international de cette
problématique. Une tendance générale, prometteuse pour l’avenir, est effectivement
celle de la construction d’une réflexion commune à différents pays et régions,
partageant les mêmes problématiques. L’outil « grille d’évaluation du projet ALeRT » a
été testé dans d’autres pays européens, notamment en Espagne dans le cadre d’un
partenariat entre le CSIC (Consejo Superior de Investigaciones Científicas) et le Parc
national des îles de Galice (López-Romero et al., 2013b). Des collaborations et
interactions très fortes sont également en cours avec le projet eSCOPES : Evolving
spaces : coastal landscapes of the Neolithic in the European Land’s Ends (Durham University,
Royaume-Uni) (López-Romero et al., 2014).
19 À ce titre, le projet européen Interreg IVA (2012-2014) « Arch-Manche : Archaeology, art
and coastal heritage – tools to support coastal management and climate change planning across
the Channel Regional Sea…. » (Momber et al., 2014) constitue une première étape dans la
sensibilisation des gestionnaires du littoral à cette problématique de l’impact des

Archéopages, 42 | 04-07/2015
200

changements climatiques, en ouvrant également une réflexion sur l’apport des données
patrimoniales, archéologiques et culturelles en termes d’indicateurs et de jalons dans
l’évaluation de l’impact des changements climatiques sur le littoral et sa modélisation.
Une autre étape marquante fut la présentation de cette thématique lors du colloque
« Our common future under climate change » organisé par l’Unesco en juillet 2015, dans le
cadre de la préparation de la COP 21 (http://cfcc.event.y-congress.com/
ScientificProcess/Schedule/index.html?setLng=en#), ou encore – en ce qui concerne le
volet participatif – l’organisation de la session scientifique Engaging the public with
archaeology threatened by climate change (http://eaaglasgow2015.com/session/engaging-
the-public-with-archaeology-threatened-by-climate-change/) dans le contexte de la
réunion de l’association des archéologues européens (EAA) à Glasgow en septembre
2015. Ce sont là des signes encourageants. La constitution progressive de réseaux
transnationaux devrait permettre d’élargir rapidement la réflexion sur les stratégies
d’intervention et de faciliter la recherche (et l’obtention) de moyens dédiés, tout en
conduisant les gestionnaires du territoire et du patrimoine à une meilleure prise en
compte de cette urgence grandissante.

BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. Ce projet fédère notamment des chercheurs de l’UMR 6566 « CReAAH : Centre de Recherche en
Archéologie, Archéosciences, Histoire » (CNRS, ministère de la Culture, universités de Rennes 1,
Rennes 2, Nantes et du Maine, Inrap), équipe « littoral », des membres de l’Association AMARAI
(Association Manche Atlantique pour la Recherche Archéologique dans les Îles) et génère des
collaborations avec plusieurs autres laboratoires (notamment avec Géosciences Rennes et Costel,
au sein de l’OSUR, Observatoire des Sciences de l’Univers de Rennes) et des associations
régionales et locales.
2. Une inscription préalable sur l’application, comme utilisateur, est requise ; après validation
par les administrateurs, chacun peut renseigner les champs d’informations de la fiche de site.
L’application web est accessible depuis le lien https://alertarcheo.univ-rennes1.fr/
3. Suivi géomorphologique réalisé par le laboratoire Géomer de Brest, IUEM.
4. Fouille programmée annuelle sous la responsabilité de Marie-Yvane Daire, CNRS.
5. Opération de prospection thématique, responsable Pau Olmos, université de Rennes 1.
6. Sous la responsabilité de Pau Olmos, université de Rennes 1.
7. Suivi géomorphologique réalisé par le laboratoire Géomer de Brest, IUEM.
8. Mené par Marie-Yvane Daire, CNRS.

RÉSUMÉS
Cet article propose de présenter les enjeux et les actions du projet ALeRT (Archéologie, Littoral et
Réchauffement Terrestre), porté par le Centre de Recherche en Archéologie, Archéosciences,
Histoire (CReAAH) et l’Observatoire des Sciences de l’Univers de Rennes (OSUR). Les changements
climatiques touchent les zones côtières avec des effets diversifiés ; ainsi l’érosion littorale,
combinée à certaines pressions anthropiques, affecte non seulement les systèmes naturels mais
aussi l’ensemble du patrimoine culturel, historique et archéologique des côtes de la Manche et de
l’Atlantique. Cette perte de patrimoine et de données scientifiques demandait à être prise en
compte d’urgence.
La démarche scientifique engagée dans le cadre du projet ALeRT comprend à la fois : un volet
recherche (réflexion sur la vulnérabilité et le risque en milieu littoral, appliqués au patrimoine
culturel) ; un volet observation (avec mise au point d’outils normalisés, d’une base de données
interactive et d’applications dédiées) ; et enfin une démarche participative (développement de

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203

réseaux). À terme, c’est le développement de l’archéologie préventive littorale qui est visé, à
l’interface des domaines marin et terrestre.

In this article we present the activities undertaken and challenges faced by the ALeRT project
(Archéologie, Littoral et Réchauffement Terrestre, i.e. Archaeology, Coast and Global Warming),
led by the Centre de Recherche en Archéologie, Archéosciences, Histoire (CReAAH) at the
Observatoire des Sciences de l’Univers in Rennes (OSUR). Climate change has an impact on
coastal zones in different respects; coastal erosion, combined with human-induced stress factors
affect not only natural systems but also the whole of the cultural, historic, and archaeological
heritage of the regions bordering the Channel and the Atlantic. This loss of heritage resources
and scientific evidence needed to be addressed as a matter of urgency.
The approach of the ALeRT project consists of: a research element (reflection on vulnerability
and risk assessment in coastal environments, applied to the cultural heritage); observation
(including the development of standardised procedures and the setting up of an interactive
database and dedicated applications); and finally the establishment of a network of participants.
The project aims to promote preventive archaeology in a coastal landscape, targeting the
interface between the marine and terrestrial milieus.

El presente artículo presenta los desafíos y acciones del proyecto ALeRT (Arqueología, Litoral y
Calentamiento Terrestre) del Centro de Investigación en Arqueología, Arqueociencias e Historia
(CReAAH) y del Observatorio de Ciencias del Universo de Rennes (OSUR).
Los cambios climáticos afectan las zonas costeras, produciendo distintos efectos. La erosión
litoral, asociada a ciertas presiones artrópicas, tiene no sólo consecuencias sobre los sistemas
naturales, sino también sobre el conjunto del patrimonio cultural, histórico y arqueológico de las
costas de la Mancha y el Atlántico. Por este motivo, ha sido necesario tomar urgentemente en
cuenta esta pérdida de patrimonio y de datos científicos. Así, el proceso científico inscrito dentro
del proyecto ALeRT se compone, a la vez, de un apartado «investigación» (reflexión sobre la
vulnerabilidad y el riesgo del medio litoral, aplicados al patrimonio cultural); de un apartado
«observación» (con la puesta a punto de herramientas normalizadas, de una base de datos
interactiva y de aplicaciones específicas); y de un enfoque participativo (desarrollo de redes). A
largo plazo, se busca desarrollar la arqueología preventiva litoral, en la zona de contacto de los
medios marino y terrestre.

INDEX
Mots-clés : littoral, érosion, patrimoine côtier, gestion, science participative
Keywords : coasts, erosion, coastal heritage, management, participation
Palabras claves : Litoral, erosión, patrimonio costero, manejo, ciencia participativa

AUTEURS
MARIE-YVANE DAIRE
CNRS, UMR 6566, « CReAAH »

PAU OLMOS
université de Rennes, UMR 6566, « CReAAH »

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ELÍAS LÓPEZ-ROMERO
Durham University

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Actualités

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Sépultures d’individus entravés à


Saintes
Frédéric Méténier et Pauline Duneufjardin

Site
7, rue de l’Alma
Saintes
Charente-Maritime

Date
8 septembre 2014 - 7 novembre 2014
Juillet-octobre 2015

Surface
600 m2

Équipe
Étude céramologique
David Guitton
Inrap
Étude du mobilier métallique
Jenny Kaurin
Inrap

1 D’après les recherches conduites par Marcel Clouet, la zone funéraire antique située en
périphérie ouest de la ville antique de Saintes, également appelée « nécropole du
Clousi », est une vaste nécropole des ier et ii e siècles de notre ère. Cette nécropole est
connue depuis la seconde moitié du xixe siècle. De nombreuses découvertes dans le
quartier de l’Alma sont signalées, dès les années 1860-1870 ; elles concernent la
présence de sépultures (inhumations et incinérations) datées des deux premiers siècles
de notre ère. Parmi les découvertes réalisées alors, il faut noter la présence d’individus
contraints, l’un par « un énorme carcan de fer », d’autres « de grosses chaînes de fer
rivées aux jambes », ainsi que l’épitaphe d'un esclave affranchi.

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2 La fouille conduite pendant l’automne 2014 a permis de caractériser l’organisation


d’une partie de cet espace funéraire et de déterminer la succession des pratiques de la
crémation et de l’inhumation (Tassin et al., 2015 ; Méténier et al., à paraître).
L’occupation funéraire de cet espace commence au cours de la période augusto-
tibérienne avec la mise en place d’un petit « carré » consacré à des sépultures
secondaires à incinérations, le long d’une voie dont le tracé était inconnu avant la
fouille [ill. 1]. Les premières sépultures à inhumations sont installées dans le courant de
la deuxième moitié du ier siècle. Leur emplacement n’ empiète pas sur le « carré »
consacré aux incinérations. Ainsi, de plus en plus de sépultures à inhumations sont
installées dans ce petit espace au sud de la voie, au point d’occuper le fossé bordier de
la voie et de nécessiter le déplacement de cette voie vers le nord, puis finalement
d’entraîner sa disparition. Parmi ces sépultures à inhumations, on dénombre une
sépulture multiple, onze sépultures doubles et cinq sépultures d’individus entravés.

1. Plan général du site : l’espace réservé aux sépultures secondaires à incinérations se situent dans
l’angle sud-ouest de la fouille.

© F. Méténier, Inrap

3 Ces cinq sépultures – dont trois ont été datées par radiocarbone entre la fin du i er siècle
et la seconde moitié du iie siècle – ont été identifiées dans un grand quart nord-ouest de
la fouille ; elles ne sont pas isolées par rapport aux autres tombes. Elles concernent un
sujet immature menotté au poignet gauche, trois individus adultes (un sujet masculin
et un sujet de sexe indéterminé) contraints par une entrave passée à la cheville gauche
[ill. 2] et un individu adulte masculin contraint par un dispositif passé à la cheville
droite et par une entrave de cou [ill. 3]. Au cours de la fouille conduite sur la parcelle
contiguë au sud, deux individus entravés à la cheville avaient déjà été découverts et
étudiés.

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2. Vue de la sépulture 2055, individu masculin entravé à la cheville gauche. L’anneau principal est
doublé d’un second anneau, de plus petit diamètre pour relier l’individu à un point fixe.

© F. Méténier, Inrap

3. Vue de la sépulture 2073, individu masculin entravé à la cheville droite et au cou. Chacune des
entraves comprend un second anneau, de plus petit diamètre pour relier l’individu à un point fixe.

© F. Méténier, Inrap

4 Ces entraves participent d’un type de dispositif de contrainte particulier, car


inamovible et donc permanent. Elles ne se rattachent à aucun des types définis dans les
différentes classifications portant sur les dispositifs de contrainte. Les découvertes
archéologiques d’entraves en situation fonctionnelle de port sont relativement rares
mais pas inédites. Les trouvailles anciennes réalisées dans l’environnement de notre
intervention viennent en témoigner. L’étude approfondie des différents contextes dans
lesquels l’enchaînement d’individus pouvait intervenir permet de discuter le statut des
inhumés.

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5 L’hypothèse de sépultures de gladiateurs, bien que tentante en raison de la proximité


de l’amphithéâtre antique de Saintes, est écartée car si des dispositifs de contrainte
étaient imposés aux combattants, ces entraves devaient être amovibles afin de ne pas
nuire à la qualité du combat. On ne peut pas davantage envisager le cas de suppliciés
condamnés à mort aux jeux. En effet, si les suppliciés étaient immobilisés, ils étaient,
semble-t-il, plutôt ligotés. L’hypothèse de sépultures d’esclaves paraît également devoir
écartée car, même si l’utilisation d’une main-d’œuvre servile est attestée – en
particulier en contexte rural dans les villae –, le port d’entraves nuirait à la force de
travail de l’esclave, ce qui est en contradiction avec la recherche de rentabilité. L’étude
ostéologique des individus enchaînés n’a pas permis de repérer de pathologies
indiscutablement liées au port prolongé des fers.
6 « L’obligation légale de donner une sépulture aux esclaves nous indique que l’abandon
de cadavres a conduit le législateur à réagir. Aussi, en admettant l’hypothèse d’un
esclave enchaîné quotidiennement, cela sous-entend un individu avec lequel le maître
n’a pas établi de lien affectif. Ce lien apparaît pourtant clairement dans les épitaphes
évoquant des esclaves, telle la stèle de Primitivus découverte dans le secteur funéraire
nord de la ville de Saintes. Le financement d’une sépulture pour des esclaves punis à vie
par le port d’entraves inamovibles, avec lequel le maître n’avait aucun lien affectif,
apparaît peu plausible, en dépit de la législation. De nombreuses solutions devaient
exister pour se débarrasser à peu de frais d’un cadavre encombrant. » (Kaurin in Tassin
et al., 2015).
7 La seule situation où le port d’entraves permanentes semble compatible avec une
condition servile en contexte urbain tel que celui de Saintes est donc celle des travaux
publics ou celle des condamnés aux travaux forcés. Le port des chaînes permanentes est
avéré par les sources écrites uniquement pour les travaux aux mines ou aux carrières.
Deux carrières utilisées au cours de deux premiers siècles de notre ère sont connues
dans l’environnement proche de la fouille.
8 La présence de ces sépultures « atypiques » soulève donc des interrogations multiples
et complexes quant à l’origine géographique et sociale de ces individus. Elle interroge
également sur la gestion de l’espace funéraire étudié. Enfin, si l’on retient l’hypothèse
de condamnés aux travaux publics ou aux travaux forcés, la présence d’un enfant attire
également l’attention. Une publication monographique rassemblant les données des
fouilles et des travaux d’analyses complémentaires permettront d’aborder ces sujets
variés.

BIBLIOGRAPHIE
Tassin A. et al., 2015, Poitou-Charentes, 7, rue de l'Alma, rapport d’opération, Inrap-SRA Poitou-
Charentes, 373 p.

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Méténier F. Duneufjardin P. et al., à paraître (2016), Charente-Maritime, Saintes, 7 rue de l'Alma,


Contribution à l’étude des espaces funéraires en périphérie ouest de Saintes antique, rapport d’opération,
Inrap-SRA Poitou-Charentes, travaux post-fouille en cours.

INDEX
Index chronologique : Antiquité

AUTEURS
FRÉDÉRIC MÉTÉNIER
Inrap, responsable d’opération

PAULINE DUNEUFJARDIN
Inrap, responsable de secteur, anthropologue

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Des carrières-refuges pendant la


Bataille de Normandie
Laurent Dujardin et Cyril Marcigny

Site
Carrière Saingt
Fleury-sur-Orne
Calvados

Date
Mai 2014

Équipe
Étude du site et des mobiliers
Sylvain Mazet
Inrap
Pierre Mazure
bénévole
Christophe Prime
Mémorial de Caen
Relevé 3D
Laurent Carozza
Albane Burens
CNRS
Topographie
Laurent Vipard
Inrap

Pierre Grussenmeyer
Samuel Guillemin
INSA
étude historique

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Vincent Carpentier
Inrap

1 Après le Débarquement allié en 1944, entre le 6 juin et le 30 juillet, lors de la Bataille de


Normandie, quasi un millier d’habitants de Caen et de Fleury-sur-Orne ont trouvé
refuge dans une carrière souterraine de pierre à bâtir creusée au milieu du xix e siècle,
près de la route d’Harcourt [ill. 1]. Son accès était connu et aisé car elle avait été utilisée
par une brasserie entre les deux guerres mondiales. À l’issue des combats, la carrière
est close, jusqu’aux années 1980. À l’époque, les premières observations des traces des
réfugiés commencent sous la conduite d’historiens et de spéléologues. Dans les années
1990 et 2000 est réalisée une première couverture photographique (par D. Butaeye et
L. Dujardin), qui a permis de montrer l’importance des traces archéologiques encore
visibles et de commencer un relevé des nombreux objets en surface. Cette étude a été
complétée en 2008 et 2009 par le recueil de témoignages oraux et photographiques
[ill. 2] (Dujardin, 1998 ; Dujardin et Butaeye, 2008).

1. Évolution probable du nombre de réfugiés dans la carrière Saingt (d’après Dujardin et Butaeye,
2009).

© F. Lauga, d’après Dujardin et Butaeye, 2009

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2. Les réfugiés de la carrière Saingt lors de leur libération en juillet 1944. Un drapeau français de
fortune composé de vêtements assemblés trône au-dessus de la tirée, accès initial de la carrière.

© Archives nationales du Canada

2 Lorsque débute le chantier de lotissement dans ce quartier de la périphérie caennaise,


en 2005, le promoteur a été sensibilisé à la richesse patrimoniale de la carrière par les
spéléologues et les ouvriers eurent pour consigne de ne pas perturber les zones
archéologiques. Bien que les travaux aient été conduits sans suivi archéologique, les
dégâts ont ainsi été minimisés par rapport à ceux infligés à d’autres sites souterrains
médiévaux, modernes ou contemporains de la région : l’accès principal de la carrière a
été comblé de matériaux de construction et quelques parties de la carrière-refuge ont
été détruites par le passage d’un engin chenillé. Il semble que le site n’ait pas reçu par
la suite de visites de pillards. En dehors de ces parties bouleversées ou détruites par le
chantier, il n’y a donc pas eu d’atteinte notable aux traces archéologiques. Les
observations menées sur presque trois décennies font penser que ce qui est encore
visible actuellement l’aurait été, à peu de différence près, en 1944.
3 Aujourd’hui, les traces les plus visibles occupent une aire de plusieurs centaines de
mètres carrés ; des parties importantes de la carrière semblent ne pas avoir servi,
probablement en raison de leur trop grande humidité. D’autres zones ne recèlent que
peu de traces mais des investigations fines restent nécessaires. Une cuisine collective
avait été mise en place [ill. 3]. Des aires damées sont réparties autour de chemins, et des
tiges métalliques, qui ont servi de supports à des étagères ou pour retenir des draps
afin de garantir une intimité minimum, sont plantées dans les piliers de la carrière
[ill. 4].

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3. Scène de vie dans la carrière des Coteaux à Fleury-sur-Orne.

© coll. du Mémorial de Caen

4. Quelques vestiges visibles à la surface des sols d’occupation.

© C. Marcigny, Inrap

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4 Véritable conservatoire archéologique, le site de la carrière Saingt offre de nombreux


champs d’investigations, que ce soit sur les modalités d’occupation des lieux au cours
des événements de 1944, les comportements sociaux en milieu confiné ou l’archéologie
industrielle. Dans le but de préserver l’intégrité de ce site, les méthodes d’acquisition
de données utilisées à Fleury-sur-Orne sont non destructives et favorisent le recours à
des techniques d’enregistrement et de prise de mesures sans contact (balayage laser et
photogrammétrie) [ill. 5]. Ces relevés permettent non seulement de produire des
données 2D (coupes ou élévations), mais aussi et surtout des modèles 3D calculés à
partir des nuages de points, des vues en perspective photoréalistes et la possibilité de
naviguer dans les modèles 3D avec des outils dédiés à la visualisation de
l’environnement (Grussenmeyer et al., 2012).

5. Relevé au scan de la volumétrie générale d’un des espaces de Fleury-sur-Orne ; les espaces de
vie et les vestiges gisent aux pieds des piliers de la carrière.

© C. Marcigny, Inrap

5 Ce sont ces méthodes, impliquant différentes techniques basées sur une variété de
scanners à balayage et d’appareils photos terrestres (de type réflex numérique) ainsi
que d’autres systèmes d’imagerie spatiale, que nous avons testés en 2014. Dans les
prochaines années, le modèle 3D géométrique et photoréaliste de l’ensemble des
éléments structurels de la carrière sera ainsi réalisé. Les objets archéologiques seront
également géoréférencés et numérisés pour être associés au modèle numérique de
terrain (MNT) global. Les modèles sont ainsi conçus comme des outils de recherche
communs, utilisables par tous les partenaires de l’équipe scientifique, et pouvant servir
d’outil de documentation et de visualisation.
6 Ce vaste programme de recherche a donc principalement une double ambition. Celle de
proposer une archéologie de l’enfermement confrontée aux sources écrites et orales,

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livrant un référentiel pour examiner a posteriori des sites plus anciens (grottes-refuges
de la protohistoire ancienne, par exemple), offrant ainsi de nouvelles clefs
d’interprétation. Et celle de développer des outils de relevés et d’analyse performants
pour l’examen de sols d’occupation (taphonomie, techniques 3D…).

BIBLIOGRAPHIE
Grussenmeyer P., Burens A., Moisan E., Guillemin S., Carozza L., Bourrillon R., Petrognani S., 2012,
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carrières de pierre à bâtir à Caen (Calvados) et en Normandie aux époques médiévale et moderne, Thèse de
doctorat d’Histoire et d’Archéologie de l’Université de Caen.

INDEX
Index chronologique : époque contemporaine

AUTEURS
LAURENT DUJARDIN
UMR 6273-CRAHAM

CYRIL MARCIGNY
Inrap, UMR 6566-CReAAH
Responsables d’opération

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217

Thèse soutenues

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Typochronologie de la céramique
bas-normande de la fin du XIIe siècle
au milieu du XIVe siècle. Étude des
lots des châteaux de Caen, Falaise et
de l’hôpital de Sées.
Stéphanie Dervin

23 juin 2014
Université de Rouen
Directrice de thèse :
Anne-Marie Flambard Héricher, Professeur émérite, Université de Rouen
Membres du jury :
Présidente :
Claire Hanusse, Maître de conférences habilité, Université de Caen Normandie
Rapporteurs :
Frans Verhaeghe, Professeur émérite, Université Libre de Bruxelles
Philippe Racinet, Professeur, Université de Picardie Jules Verne
Examinateurs :
Anne Schmitt, Chargée de recherche, CNRS
Yves Henigfeld, Maître de conférences, Université de Nantes

Consultable sous format papier et disponible en prêt entre bibliothèques à


l’Université de Rouen. Service commun de la documentation. Section lettres. Cote
: Z25892.

1 Ce doctorat, engagé en 2007, émerge du constat de la remise en question de la synthèse


typochronologique réalisée en 1987 par M. Leenhardt. Plusieurs problématiques ont
guidé notre réflexion. Quelle est la diversité typologique des céramiques retrouvées en

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Basse-Normandie ? Peut-on affiner la chronologie de ces vases, c’est-à-dire définir les


phases d’apparition de chaque type, leurs évolutions et leurs disparitions ? Quelles sont
les productions en présence et comment se caractérisent-elles ?
2 Un simple inventaire des lots disponibles en Basse-Normandie dans la fourchette
chronologique des xiiie-xive siècles recense 41 sites. Ils se répartissent inégalement sur
le territoire bas-normand, puisque plus de la moitié des sites sont localisés dans le
Calvados. La cartographie de ces sites montre des espaces archéologiquement déserts.
Toutefois, le nombre et la diversité des contextes de découverte permettent d’obtenir
une image représentative des céramiques bas normandes pour cette période. Parmi ces
41 sites, les données céramologiques sont très hétérogènes. Une normalisation était
donc indispensable. Les classements typologiques s’appuient sur un vocabulaire défini
lors d’un programme collectif de recherche intitulé « Typochronologie de la céramique
médiévale et moderne en Normandie du xe au xvi e siècle. Production, diffusion ». Les
données macroscopiques des pâtes ont également été normalisées selon la grille
d’analyse mis en place dans ce PCR. Enfin, une enquête chimique vient compléter la
caractérisation des productions. Elle a été réalisée au laboratoire d’archéométrie-
céramologie du Craham (Université de Caen Normandie-CNRS).
3 La première partie de ce travail présente les différentes études céramologiques
réalisées. Six lots ont servi de références à cette recherche : quatre lots inédits
provenant des fouilles du château de Caen en 2005, un lot inédit provenant du bastion
nord-est du château de Falaise et un lot plus ancien retrouvé à l’hôpital rural de Sées.
Dix-neuf lots provenant de sites bas-normands déjà étudiés présentaient des données
quantitatives et/ou qualitatives suffisantes pour être intégrés au corpus. Les
informations relatives aux autres sites bas-normands ont été utilisées afin d’observer la
diffusion des vases.
4 Dans une deuxième partie, est présentée une synthèse macroscopique, typologique et
chronologique. Cette synthèse avait pour objectif de devenir un outil pour les
archéologues et les céramologues afin de caractériser les céramiques bas normandes et
de préciser la chronologie de leurs ensembles. Le catalogue des groupes techniques est
composé de 63 groupes distincts. La validation de ces groupes techniques s’est effectuée
en croisant les données macroscopiques avec les données archéométriques,
typologiques et contextuelles, ce qui a mis en évidence certaines variations.
5 Le catalogue typologique a été réalisé selon les mêmes principes. Les vases observés ont
été classés en fonction des critères retenus. Les variantes distinguées peuvent être
caractéristiques d’une production, d’un atelier ou d’une phase chronologique. Seule la
confrontation des données archéométriques et des données de terrain permet de
valider la distinction des sous-types. Ce catalogue typologique raisonné réunit 97 types
différents déclinés en 227 sous-types.
6 À la suite de la caractérisation des groupes techniques et des formes, l’interprétation
chronologique de ces éléments nécessitait de s’interroger sur les données contextuelles
et sur leurs limites d’interprétation. La rareté des indices chronologiques fiables pour
la majorité des sites a amené à proposer une typochronologie élaborée à partir de lots
clos et/ou homogènes, qui bénéficiaient d’éléments de datation externes à la
céramique. La sériation a donc été réalisée à partir des lots de l’espace caennais pour
lesquels nous disposions d’informations en chronologie absolue (terminus ante et post
quem). Elle a été effectuée à partir de la méthode des barycentres sur les données
typologiques et macroscopiques. Elle a permis de mettre en avant l’évolution de chacun

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des vases et de déterminer ceux dont la forme correspond à une fourchette


chronologique restreinte. De même, l’évolution des groupes techniques met en
évidence des changements dans la préparation des argiles au sein d’une même
production.
7 La troisième partie de ce travail est une synthèse de ces résultats, envisagés sous l’angle
géographique. Afin d’identifier les aires de production bas normandes, une étude
archéométrique a été menée sur l’ensemble de la Basse-Normandie à partir de
553 échantillons dont 74 ont été analysés dans le cadre de ce doctorat. Quinze aires de
production ont été identifiées. Une synthèse des données macroscopiques,
typologiques, chimiques et chronologiques a été réalisée pour chacune de ces aires.
Parmi elles, une production extrarégionale, provenant de la basse vallée de la Seine, a
été distinguée. Trois aires de production n’ont pu être associées à une aire
géographique ou géologique en l’absence d’élément de comparaison. La répartition
géographique des céramiques en fonction de ces aires de production permet de
dessiner les premières cartes de diffusion. Ainsi se distinguent des productions à
diffusion locale (environ 30 km autour du centre de production) et des productions à
diffusion régionale (environ 80 km), qui correspondent à des productions spécialisées.
C’est le cas notamment des grès et des céramiques « très décorées ». La caractérisation
de ces céramiques « très décorées » et leurs évolutions stylistiques et typologiques ont
été esquissées.
8 Ces cartes de diffusion permettent également d’observer l’organisation de la
production céramique en basse Normandie et son évolution entre le xii e siècle et le
xve siècle. Elles autorisent enfin à distinguer différents espaces économiques au sein
desquels l’approvisionnement en céramique est analysé. Les évolutions du marché
céramique peuvent ainsi être considérées sous l’angle des événements politiques et des
transformations économiques de la période considérée.

AUTEUR
STÉPHANIE DERVIN
Inrap, UMR 6273, « Centre Michel de Boüard-Craham »

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Société, économie et territoires à


l’âge du Fer dans le Centre-Est de la
France. Analyse des corpus
céramiques des habitats du
Hallstatt D – La Tène A (VIIe-Ve siècle
av. J.-C.)
David Bardel

16 novembre 2012
Université de Bourgogne
Directeurs de thèse :
Jean-Paul Guillaumet, Directeur de recherche HDR, CNRS
Philippe Barral, Ingénieur de recherche HDR, Université de France-Comté, co-
encadrant
Membres du Jury :
Rapporteurs :
Anne-Marie Adam, Professeur, université de Strasbourg
Cynthia Dunning, Professeur, Comité d’Archéologie Suisse
Examinateurs :
Jean-Paul Demoule, Professeur, université de Paris I
Stefan Wirth, Professeur, université de Bourgogne

Consultable en ligne sur : http://www.theses.fr/2012DIJOL043

1 Cette recherche doctorale est consacrée à l’étude de la vaisselle céramique des


territoires du Centre-Est de la France (Île-de-France, sud de la Champagne et nord de la

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Bourgogne) pour la période couvrant la fin du premier et le début du second âge du Fer,
soit du milieu du VIe jusqu’à la fin du ve siècle avant notre ère.
2 Du fait de l’absence de dépôt céramique dans les tombes, l’étude s’est focalisée sur les
contextes d’habitats, dont la documentation s’est multipliée ces 30 dernières années
grâce à la systématisation de l’archéologie préventive. Les problématiques de mise en
place du référentiel typochronologique régional et d’étude des faciès sont au cœur de
ce travail, comme préalables indispensables à toute étude historique de ces sociétés.
L’objectif poursuivi était de replacer les découvertes archéologiques dans une
compréhension de l’évolution des cultures matérielles, d’en analyser les fondements
sociaux et économiques mais aussi identitaires et territoriaux. Un inventaire préalable
comptabilisant plus de 400 sites permet de dresser un bilan de la documentation
archéologique disponible dans le secteur géographique envisagé. Une sélection de
64 sites d’habitats de différents statuts, dont le complexe aristocratique de Vix, permet
de réunir un corpus de plusieurs dizaines de milliers de restes céramiques et d’environ
7 000 vases. Les productions céramiques indigènes se distinguent en deux grandes
catégories : d’une part, une céramique commune de production traditionnelle, non
tournée, dont les formes destinées au service peuvent présenter un décor à la peinture
et/ou barbotine (aussi appelé décor peint vixéen), emblématique des faciès régionaux ;
d’autre part, une production innovante, façonnée au tour et décorée de cannelure, qui
apparaît au cours du Hallstatt D2/D3. La présentation et l’analyse de chaque corpus
sont compilées au sein du catalogue.
3 La première étape de l’analyse synthétique passe par la mise en place des outils de
l’analyse : une classification typologique de la céramique est tout d’abord proposée
selon des critères techniques et morphologiques, puis les aspects décoratifs sont pris en
compte selon une classification technique et stylistique. Il est ainsi possible de proposer
différents outils typologiques ainsi que des répertoires détaillés des formes et des
décors de la vaisselle. À la suite de cette première étape de caractérisation, l’analyse
chronologique se fonde sur la mise en évidence de faciès typologiques caractéristiques,
en s’appuyant sur un traitement statistique par sériation automatique des ensembles
archéologiques. Une évolution progressive des répertoires par renouvellements
partiels est mise en évidence et son interprétation permet de proposer une
périodisation en cinq étapes. La position chronologique de ces étapes est analysée sur la
base du croisement avec d’autres indices mobiliers (parures métalliques, céramiques
d’importation…). Elle est évaluée par une correspondance avec le système
chronologique conventionnel sur des phases du Hallstatt D1, Hallstatt D1/2,
Hallstatt D2, Hallstatt D3 et La Tène A. Le séquençage régional de la période est ainsi
affiné et les grandes phases de changement des faciès mobiliers sont soulignées. Un
renouvellement important se réalise entre les répertoires des étapes 1 et 2
(Hallstatt D1-Hallstatt D1/2) et ceux des étapes 3 et 4 (Hallstatt D2 et Hallstatt D3). Une
forte continuité est mise en évidence entre les faciès des étapes 4 et 5 (Hallstatt D3 et La
Tène A) ; elle avait jusqu’alors conduit à la confusion de ces phases chronologiques et à
l’absence de reconnaissance précise d’une étape du début de La Tène ancienne.
4 D’un point de vue culturel, les répertoires du Centre-Est montrent une certaine unité
matérielle au sein de laquelle se dégagent des tendances territoriales locales et
régionales. Certaines limites se démarquent au regard des spécificités morphologiques
et/ou des spécificités décoratives et leur évolution est analysée pour chacune des
étapes chronologiques distinguées. Certaines délimitations franches, mais aussi des

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phénomènes de marge et d’influence se perçoivent. L’espace Centre-Est se singularise


notamment des espaces septentrionaux champenois et picards (Aisne-Marne),
caractérisés par un faciès céramique caréné qui connaît une influence grandissante au
début de La Tène ancienne. Il se distingue aussi de faciès plus atlantiques (Normandie,
bassin versant de la Loire) ou de ceux de territoires plus orientaux (jurassiens, lorrains
notamment), où la céramique décorée à la peinture et/ou à la barbotine est absente ou
très rare. Certaines singularités régionales s’affirment davantage à partir de La Tène A,
en particulier l’espace des Sénons, peuple mentionné dès le iv e siècle avant notre ère.
5 L’économie de l’artisanat céramique ainsi que les valeurs sociales et culturelles des
différents « services » céramiques sont analysées au travers des critères techniques de
la production ainsi que des aspects de diffusion et de consommation des céramiques. La
vaisselle non tournée illustre l’économie d’une société rurale traditionnelle. Elle
correspond à des productions locales nombreuses, destinées au besoin de la
communauté environnante et ne connaissant qu’une diffusion très limitée. La vaisselle
façonnée au tour se présente en revanche comme un artisanat de cour et une vaisselle
luxueuse, relevant d’une production très spécialisée, initiée au Hallstatt D2/3 dans le
contexte spécifique de la résidence aristocratique de Vix et n’apparaissant que dans les
contextes privilégiés, pour se « démocratiser » davantage au début de La Tène
ancienne.
6 Sur la base des connaissances réunies sur les habitats ainsi que de la prise en compte
des faciès de consommation de la vaisselle, une hiérarchisation des formes de l’habitat
est enfin proposée. Elle permet d’alimenter les réflexions sur les dynamiques sociales et
économiques qui contribuent à l’organisation territoriale. Cette analyse fondée sur la
vaisselle céramique – mobilier le plus courant en contexte archéologique – tient
également compte d’une documentation complémentaire permettant des approches
multifocales, seule manière d’approcher dans sa richesse et sa complexité la dynamique
historique de ces populations celtiques.

AUTEUR
DAVID BARDEL
Inrap, UMR 6298, « Artehis »

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