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Musées archéologiques

et reconstitutions
l’exemple de Lattes
Lionel Pernet, docteur en archéologie, conservateur du patrimoine, directeur du site archéo-
logique Lattara – Musée Henri-Prades de Montpellier Agglomération, rattaché à l’UMR 5140
“Archéologie des sociétés méditerranéennes” – Lattes-Montpellier.

Le gisement antique de Lattes a été découvert en 1963 à la suite d’un


défonçage agricole. Les fouilles menées durant vingt ans par Henri Prades
et le Groupe archéologique Painlevé ont permis de révéler l’importance du
site et de constituer des collections remarquables, données à la commune
de Lattes en 1977. Fig1 : Vue du site archéologique depuis le musée.
Photo : M. Kérignard, Région Languedoc-Roussillon – Inventaire général, 2008.

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e centre archéologique de Lattes, formé d’un site archéologique, d’une unité

L
mixte de recherche du CNRS, d’un centre de documentation et d’un musée,
a été inauguré en 1986. Grâce aux fouilles programmées entreprises dès
1983 par le CNRS et ses partenaires (direction Michel Py, puis Thierry
Janin), ainsi qu’à de nombreuses fouilles préventives, les collections du
musée se sont régulièrement enrichies depuis son ouverture.
Avec le transfert du musée à l’Agglomération de Montpellier en 2006 et l’acquisition
du site par la Région Languedoc-Roussillon en 2008 (fig.1), un nouvel élan de valo-
risation en direction d’un large public est amorcé. Celui-ci passe notamment par la
mise en place de nombreuses reconstitutions, tant à l’intérieur du musée qu’à ses
abords.

Longtemps considérée par les professionnels de l’archéologie (universitaires, cher- Fig2 : Mise en œuvre de la technique du pisé (compactage
de terre dans un coffrage). Photo C.-A. de Chazelles,
cheurs, conservateurs, etc.) comme une pratique amateur dénuée de fondements CNRS UMR 5140.
scientifiques, la reconstitution appliquée à l’archéologie protohistorique et antique
est maintenant régulièrement invitée au musée et sur les sites archéologiques. Cette
situation relativement récente est le résultat d’une double démarche : celle des
archéologues qui y voient un moyen de tester des hypothèses grandeur nature
(démarche proche de l’archéologie expérimentale) et celle des reconstituteurs, qui
ont pris le soin de lire les travaux des archéologues et des historiens et de se rappro-
cher d’eux pour échanger sur leur pratique.

Les projets initiés à Lattes depuis 2007 reposent sur cette évolution des mentalités, à
l’instar de ce qui se fait depuis plus d’une décennie dans certains musées archéolo-
giques français et étrangers. Ils se nourrissent de la richesse du site archéologique, de
celle des collections du musée et de la situation privilégiée du complexe de Lattes,
tout à la fois lieu de recherche et de valorisation. Les acteurs détenteurs de connais-
sance et de savoirs dialoguent ainsi avec le public, par l’intermédiaire des différentes
activités menées au musée. Une convention de partenariat lie l’UMR 5140
“Archéologie des sociétés méditerranéennes” avec le musée, pour permettre, notam-
ment, de faire émerger ce type de projet lors de reconstitutions pérennes ou éphé-
mères (le temps d’une exposition ou d’un week-end d’animations). Ces projets s’ins-
crivent dans le cadre de la loi relative aux musées de 2002 qui requiert des “musées
de France” qu’ils conservent, restaurent et étudient leurs collections, mais aussi qu’ils
les rendent accessibles à un large public en mettant en œuvre des actions de diffu-
sion. Avant de les présenter dans les lignes qui suivent, il nous semble important
d’insister sur le fait que la philosophie du musée par rapport à ces reconstitutions
n’est pas de proposer un spectacle au public, qui viendrait en consommateur, mais
bien de le rendre acteur de ces activités, en ménageant des plages d’échanges avec les
reconstituteurs et les archéologues, afin que l’expérience des uns puisse répondre aux
questions des autres. Il n’est pas rare que les questions du public en viennent à nour-
rir la démarche des groupes de reconstitution. Le musée s’assure que les uns et les
autres puissent être, lors de ces actions, dans une posture d’écoute mutuelle.

Quatre grandes civilisations sur un site exceptionnel


Vers 500 av. J.-C., un comptoir portuaire est fondé à Lattara, sur une presqu’île vierge
de toute occupation, dont la forme triangulaire a conditionné l’aspect de la ville. Dès
son origine, elle est dotée d’une enceinte monumentale de 5 à 6 mètres de haut.
Dans la zone du port, les fouilles des niveaux profonds ont mis au jour de grands
bâtiments d’une architecture singulière en Gaule méridionale. L’abondance du
matériel étrusque indique un faciès original. Il s’agit d’amphores à vin, de céramique
de cuisine et de vaisselle de table. Ces vases reflètent l’intensité des échanges com-
merciaux avec l’Étrurie. Les pots et couvercles portent des graffites en caractères
étrusques. Ces objets témoignent de la présence d’individus originaires d’Étrurie
cuisinant, mangeant et buvant selon leurs propres usages. Plus que des marchands
étrusques installés à Lattara, il semble que la ville ait été fondée par les Étrusques.
Lattes leur offre un site privilégié : non seulement un bon abri portuaire au débou-

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ché du Lez dans l’étang, mais aussi, grâce à cet axe fluvial,
un lien avec l’arrière-pays, en particulier avec Sextantio
(Castelnau-le-Lez), oppidum gaulois très important de la
moyenne vallée du Lez.
Vers 475 av. J.-C. un événement brutal intervient : à par-
tir de cette période, Lattara devient un relais du com-
merce marseillais : une ville gauloise dont l’urbanisme
s’inspire du monde grec. Dans un premier temps,
Marseille commercialise ses produits (son huile et son vin
dans ses propres amphores), puis, dans le courant du IIIe
siècle av. J.-C., elle choisit de devenir une plaque tour-
nante du commerce italique, de plus en plus puissant à
mesure que Rome grandit.
La ville reste prospère après la conquête romaine. Elle
perd cependant une partie de son autonomie avec les
réformes d’Auguste en passant sous la dépendance de
Nîmes. Le site est abandonné vers 200 apr. J.-C. Aucune
construction ne viendra s’installer sur les 20 hectares de
réserves archéologiques avant les années 1970.
Fig3 : Après avoir séché, les briques en terre crue (terre,
paille et sable moulé) sont disposées sur les soubassements
en pierre. Photo C.-A. de Chazelles, CNRS UMR 5140. Urbanisme et construction
La question de l’évolution de l’urbanisme et des techniques de construction mises en
œuvre a fait l’objet de recherches approfondies dans le cadre des fouilles program-
mées de Lattes. Jean-Claude Roux (DRAC-SRA Languedoc-Roussillon, UMR 5140)
et Claire-Anne de Chazelles (CNRS, UMR 5140) travaillent depuis de nombreuses
années sur la construction en terre crue dans l’Antiquité. Avec l’équipe du musée et
l’École nationale supérieure d’architecture de Montpellier, ils ont entrepris en 2007
un projet tant scientifique que pédagogique et muséographique. Il consiste à resti-
tuer en plein air un habitat de type méditerranéen du IIe siècle av. J.-C., sur le
modèle d’un secteur fouillé en 1989 sur le site. Planifiée sur plusieurs années, la
construction de ce bâtiment aboutira à la présentation permanente d’une habitation
gauloise à cour intérieure desservant six pièces à usages divers (habitat, réserves,
boutiques). Cet ensemble sera aménagé de banquettes maçonnées, de sols de briques
crues, de foyers, d’amphores...
Menée avec le concours de professionnels des maçonneries de terre, sa réalisation

Fig4 : Esquisse de la maison construite dans l’exposition


“Les objets racontent Lattara”. Dessin Denis Delpalillo.

Fig5 : Vue de l’intérieur de la maison reconstituée


dans le musée. Photo : M. Kérignard, Région Languedoc-
Roussillon – Inventaire général, 2010.

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permet à des archéologues, des architectes, des étudiants
et des scolaires, de tester plusieurs procédés employant la
terre crue, dans le cadre de stages de formation et d’expé-
rimentation (fig.2 et 3). Cette recherche fondamentale
contribue à l’histoire des techniques de construction, en
proposant de nouvelles interprétations pour des vestiges
archéologiques mal identifiés.
Afin de prolonger l’expérience dans le musée et de com-
mencer à tester des hypothèses sur l’aménagement inté-
rieur de ces maisons et sur l’aspect de leur toiture, l’occa-
sion de restituer une maison des années 200 av. J.-C. a été
saisie en 2010 dans le cadre du montage de l’exposition
temporaire “Les objets racontent Lattara”. Conçue comme
un décor (fig.4), cette maison a toutefois fait l’objet d’un
soin particulier dans les matériaux utilisés : pierre pour les
soubassements, terre crue pour les élévations et roseaux
pour la toiture. En collaboration avec le maquettiste Denis
Delpalillo (Martigues), la maison a été réalisée par l’équipe
du musée. Les types de la céramique composant le décor
intérieur (potier Bernard Muzas) (fig.5) correspondent très
exactement aux types importés de Marseille ou fabriqués
localement à cette époque.

Fêter l’Antiquité et faire découvrir


les Étrusques
Les sites archéologiques sur lesquels est attestée la présence
de quatre grandes civilisations (gauloise, étrusque, grecque
et romaine), tels que celui de Lattes, sont rares. Fort de cette
constatation, le musée a réfléchi à l’organisation d’une
manifestation sur le site avec des groupes de reconstitution
présentant ces quatre civilisations. Les exemples et le succès
Fig6 : Hoplites étrusques du groupe Pax Augusta avec leur
des reconstitutions présentées depuis plusieurs années sur différents sites de France, panoplie complète. Photo Montpellier Agglomération.
comme à Arles (festival Arelate) ou Saint-Romain-en-Gal (Journées gallo-romaines),
ont largement inspiré la première édition de la fête de l’Antiquité à Lattara en juin Fig7 : François Gilbert présentant les hoplites étrusques.
Au second plan, à gauche en tunique rouge, un guerrier
2010. Pour rendre compte de la spécificité de Lattara, nous avons cherché un groupe d’époque villanovienne (IXe siècle av. J.-C.) ; à sa gauche en
travaillant sur les reconstitutions d’époque étrusque. Le groupe Pax Augusta, dont le bleu et bronze, le guerrier de Lanuvium (artefacts au Museo
président est François Gilbert, longtemps tourné vers la reconstitution de légionnaires Nazionale de Rome, début du Ve siècle av. J.-C.).
Photo Montpellier Agglomération.
et de la vie quotidienne au Haut-Empire, s’est diversifié ces dernières années en tra-
vaillant sur les légions d’époque césarienne et les hoplites étrusques. Le public a ainsi Fig8 : Vue de dos de la statue de guerrier de Lattes. La tête,
les bras et les jambes ont été mutilés, ne reste que le buste,
pu, sur deux jours, découvrir de manière vivante les Étrusques, voir les manœuvres des avec sa cuirasse et ses disques de protection
hoplites et discuter avec les reconstituteurs des panoplies présentées. Les reconstitu- (cardiophylax). Photo : Loïc Damelet CCJ/Musée
Henri-Prades de Montpellier Agglomération.
tions se fondent sur les découvertes archéologiques (comme la panoplie découverte
dans la tombe de Lanuvium dans le Latium), sur l’iconographie (peintures, sculptures,
statuaire en bronze) et sur les rares textes utilisables (fig.6 et 7). En montant en paral-
lèle un camp romain d’époque républicaine et en s’adjoignant le concours du groupe
Athenea Promakhos France et ses hoplites grecs, il ne manquait plus que des Gaulois
pour répondre au cahier des charges de ces journées. C’est le groupe des Gaulois d’Esse
qui a été choisi pour présenter des manœuvres militaires et différents artisanats et acti-
vités quotidiennes (forge, tissage, sculpture et cuisine). Le succès de ces journées nous
incite à organiser une deuxième édition de cette manifestation en 2011.

Des reconstitutions pour mettre en valeur


les collections du musée
À la suite de la collaboration entre le musée et le groupe Pax Augusta en 2010, un
projet de reconstitution en lien étroit avec une découverte de Lattes a vu le jour.
L’objet concerné est un buste de statue de guerrier en ronde bosse, mis au jour en
2002 sur la fouille (fig.8).

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Fig9 et 9bis : Cardiophylax et boucle de ceinturon du


guerrier de Lattes reconstitués. Photo : François Gilbert, Cette sculpture, étudiée par Michel Py, a été découverte en réemploi dans le mur
Pax Augusta.
d’une maison. Le personnage est à demi agenouillé, le bras droit était détaché du
buste, tandis que le mouvement asymétrique des épaules suggère que le bras gauche
était tendu. Il pourrait s’agir d’un archer ou d’un porteur de lance. Le torse est pro-
tégé par deux disques servant de cuirasse (cardiophylax). La crinière d’un casque est
visible dans le dos. Une ceinture à bord ourlé entoure la taille : elle est attachée à
gauche par une agrafe à trois crochets latéraux. Sur le flanc droit, un arrachement
longiligne pourrait indiquer la présence d’un poignard. Le tibia gauche est protégé
par une jambière (cnémide), maintenue par une lanière. Ces éléments permettent de
dater l’œuvre des années 500 av. J.-C. Les comparaisons avec le monde ibérique et
italique, notamment étrusque, montrent que cette statue s’insère dans un contexte
culturel large qui se construit à cette époque sous le triple stimulus des colonisations,
des échanges maritimes et de la circulation des personnes. Cette pièce a pu faire par-
tie d’un sanctuaire des premiers temps de Lattara.
Confiant dans leur expérience de la reconstitution de panoplies d’hoplites des années
500 av. J.-C., le musée de Lattes a proposé à Pax Augusta de restituer l’équipement
complet du guerrier et d’en faire une présentation lors d’un week-end d’animations
au printemps 2011. Cette démarche a ainsi permis de réfléchir aux vêtements et aux
armes portés par le guerrier (fig.9 et 9bis) et donnera au public une meilleure idée
de la posture de celui-ci, difficile à imaginer tant la pièce est mutilée. Cette reconsti-
tution, qui sera filmée et photographiée, servira à la fois la promotion de la
démarche (ce guerrier de Lattes sera montré par le groupe sur d’autres sites), mais
rendra aussi possible la présentation dans le musée d’images plus vivantes qu’une
reconstitution 3D informatisée de ce guerrier.
Une autre pièce exceptionnelle des collections du musée a récemment fait l’objet
d’une reconstitution : il s’agit d’un des deux fragments de nasses de pêche médié-
vales (fig.10) découverts au début des années 1990 sur le site de Port-Ariane lors
d’une grande opération d’archéologie préventive (AFAN). Ces nasses ont depuis été
soumises à des études, publiées par Isabelle Daveau (responsable de l’opération de
fouille). Leur état de conservation, même s’il est exceptionnel et bien qu’elles aient
été traitées à Grenoble au laboratoire ARC-Nucléart, rend leur lecture difficile : les
nasses sont écrasées et toujours partiellement prises dans le sédiment. On ne voit
donc pas au premier abord comment elles étaient utilisées et comment elles pié-
geaient les poissons. Des restitutions graphiques ont été faites, mais il nous semblait
que rien ne remplaçait, pour un objet mal connu du grand public, une reconstitu-
tion grandeur nature. Celle-ci a été confiée à Guy Barbier, vannier, spécialisé dans les
reconstitutions de vanneries archéologiques (fig.11). Malgré l’absence, au moment
de ce travail, d’images aux rayons X, qui auraient permis de voir comment était
conçu et tressé l’entonnoir dans lequel s’enfilent les poissons, l’intuition et la grande

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Fig10 : Nasse de pêche de Port-Ariane, datée du XIIIe siècle.
Photo : Loïc Damelet CCJ/Musée Henri-Prades de
Montpellier Agglomération.

Fig11 : La nasse reconstituée par Guy Barbier dans la vitrine


du musée consacrée à la pêche. Photo : M. Kérignard,
Région Languedoc-Roussillon – Inventaire général, 2010.

expérience de Guy Barbier lui ont permis de proposer une reconstitution très fidèle
à l’original. Cette constatation se fonde sur des images réalisées a posteriori grâce à Fig12 : Image 3D en Volume Rendering d’une nasse passée
un scanner médical par le Dr Samuel Mérigeaud, radiologue au CHU de Montpellier au scanner médical, avec des effets de transparence
permettant de voir sa structure interne. Images réalisées
(fig.12). par le Dr. Samuel Mérigeaud (CHU de Montpellier).

Une démarche profitable à tous


En conclusion de ce tour d’horizon et afin de proposer un bilan provisoire des pro-
jets développés au musée de Lattes, rappelons encore une fois que les reconstitutions,
pour autant qu’elles se fondent sur des résultats scientifiques et qu’elles n’ont pas
pour seul objectif de faire du spectacle, profitent surtout et d’abord au public qui y
assiste. Il appréhende par ce biais, de manière directe et vivante, des vestiges préhis-
torique et protohistoriques souvent mal connus et difficiles à comprendre. Mais le
processus permet aussi aux archéologues de voir le mobilier concerné sous un autre
angle, et bien sûr aux reconstituteurs et aux artisans de parfaire leurs propositions.
Le succès remporté par les actions menées à Lattes nous incite à continuer dans cette
voie. Nous poursuivrons la présentation de reconstitutions dans nos expositions
temporaires, comme nous l’avons fait avec les restes de cale d’un bateau romain
transportant des amphores dans l’exposition “Le vin, nectar des dieux, génie des
hommes”. Des reconstitutions sont ainsi prévues pour “Des rites et des hommes”,
exposition qui se tiendra à Lattes de juillet 2011 à janvier 2012. Le portique du site
de Roquepertuse (Bouches-du-Rhône) sera partiellement reconstitué, sur la base des
interprétations les plus récentes, de même qu’une portion du rempart du Cailar
(Gard) où des fragments d’armement celtique et de crânes ont été mis au jour. Nous
ne sommes donc qu’au début d’une démarche que nous souhaitons approfondir
dans les années à venir.

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