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Étude originale

Étude de l’action de la pierre noire


sur l’envenimation expérimentale

Jean-Philippe Chippaux1 Résumé


Ismaila Diédhiou2
Roberto Stock3 La pierre noire est utilisée depuis l’Antiquité pour traiter les morsures de serpent et
1
certaines infections locales. Son efficacité clinique est controversée et, dans la mesure où
Institut de recherche
aucune étude clinique n’a pu être effectuée, nous avons entrepris une série d’expérimen-
pour le développement (IRD),
BP 9214, tations in vivo et in vitro. Quatre méthodes ont été employées après la détermination de
La Paz, la DL50 de lots de venins de Bitis arietans, Echis ocellatus et Naja nigricollis selon la
Bolivie technique de Spearman-Kärber. Dans une première série d’expériences, nous avons
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<chippaux@ird.fr> administré 3 DL50 à des groupes de cinq souris à qui nous avons appliqué la pierre noire à
2
Institut de recherche des intervalles de temps variés après l’inoculation intramusculaire du venin. Dans une
pour le développement (IRD), seconde série d’expériences, nous avons comparé la DL50 mesurée simultanément dans
BP 1386, deux groupes de souris avec et sans application de la pierre noire. Nous avons ensuite
Dakar, réduit la pierre noire en poudre que nous avons mise à incuber avec chacun des venins.
Sénégal D’une part, nous avons mesuré la concentration de protéines dans le surnageant après
<diedhiso@ird.sn>
incubation puis centrifugation pour éliminer la poudre de pierre noire. D’autre part, ce
3
Instituto de biotecnologia, même surnageant a été utilisé pour calculer la DL50 des trois venins. Malgré une
Universidad nacional de Mexico (Unam), indiscutable adsorption des protéines par la pierre noire, les tests ont tous montré son
Av. Universidad 2001, incapacité à réduire la toxicité des venins in vivo chez les souris. L’efficacité thérapeutique
Cuernavaca, Morelos 62210,
Mexique
de la pierre noire est en conséquence considérée comme douteuse.
<rstock@ibt.unam.mx> Mots clés : médecine traditionnelle, venin

Abstract
Study of the action of black stone (also known as snakestone or serpent stone)
on experimental envenomation
Black stone has been used since Antiquity to treat snake bites and local infections. Its
efficacy is debated. Since no clinical trial has been performed, we conducted a series of
in vivo and in vitro experiments in a murine model. After determining the LD50 of batches
of venoms of Bitis arietans, Echis ocellatus and Naja nigricollis according to the Spearman-
Kärber’s method, we used four separate methods. First, we injected a fixed lethal amount of
venom (triple the LD50) IM to the shaved thighs of lots of five mice and applied the black
stone with an adhesive plaster at the point of injection at 0, 15, 30, 60 and 180 minutes. In
another series of experiments, we administered increasing amounts of venom to each
group of 5 mice according to the same protocol used to measure the LD50; and applied
black stone as above, immediately after the administration of each amount of venom. In the
third series of experiments, we reduced black stone to powder and mixed 3 LD50 of each
venom with an increasing amount of powder for 30 minutes. After centrifugation, the
supernatant was injected into mice and mortality measured. Two control groups (venom
alone and black stone alone) were used in all the cases. Venom adsorption on black stone
surface was assessed in vitro by measurement of residual proteins in supernatant after
mixing black stone powder and venom for thirty minutes and centrifugation. The results
showed the absence of effectiveness of the black stone when applied on wounds after
venom injection. However, the direct contact between the black stone powder and the
doi: 10.1684/san.2007.0076

venom did reduce venom toxicity, as if black stone fixed venom proteins and removed the
venom from the inoculum. The mechanical effectiveness of black stone can thus be shown.
However, its efficacy in treating envenomation seemed very doubtful because of it is very
Tirés à part : J.-P. Chippaux nonspecific and because the venom diffuses rapidly from the wound.
Key words: traditional medicine, venom

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T
outes les enquêtes épidémiologi- Les controverses sur l’efficacité de la noire a été appliquée à toutes les souris
ques concernant les envenima- pierre noire se poursuivent, sans qu’il n’y immédiatement après l’injection de venin
tions ophidiennes dans les pays ait de véritables arguments pour trancher. pour le premier lot de souris, 15 minutes
tropicaux s’accordent sur le fait que la Ne pouvant procéder à une évaluation après l’injection pour le deuxième et
majorité des victimes s’adresse en priorité clinique, trop risquée et non éthique, 30 minutes pour le dernier. Deux groupes
à la médecine traditionnelle [1, 2]. La nous avons effectué plusieurs expérimen- témoins ont reçu respectivement trois
pharmacopée traditionnelle utilise la tations in vivo et in vitro pour tenter de DL50 de venin, sans pierre noire, et du
pierre noire, parmi d’autres ingrédients. mesurer l’activité de la pierre noire sur le solvant (sérum salé isotonique pour pré-
On la retrouve en Asie, en Afrique où elle venin de serpent. Nous avons choisi des paration injectable), avec la pierre noire.
est presque systématiquement utilisée et, venins dont le mode d’action, par leur La mortalité a été observée en temps réel
plus rarement, dans certaines régions différence, permettait d’extrapoler nos pour comparer les TL50 avec et sans
d’Amérique latine. L’extraction du venin résultats. pierre noire en fonction du délai d’appli-
est une démarche préconisée depuis que cation ;
l’envenimation est associée à la pénétra- – au cours d’une seconde expérimenta-
tion d’une substance exogène. La rationa- tion, nous avons comparé la DL50 du
venin de Bitis arietans dans deux grou-
lité de cette méthode – l’élimination phy- Matériel et méthode pes de cinq souris ; un premier groupe
sique du venin par le point de
recevait le venin sans application de
pénétration – est évidente. La pierre noire
pierre noire, tandis que la pierre noire
représente une méthode d’aspiration pas- Les venins de Bitis arietans, Echis ocella- était appliquée immédiatement après
sive que certains industriels ont transpo- tus (Viperidae) et Naja nigricollis (Elapi-
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l’injection de venin à toutes les souris du


sée en fabriquant des appareils à dépres- dae) nous ont été fournis par Latoxan second groupe. Les mêmes dilutions de
sion destinés à extraire le venin. (Valence, France). venin étaient inoculées aux deux groupes
Provenant d’Inde, la pierre noire est arri- La quantité de protéines contenue dans de souris correspondant respectivement
vée en Europe vers 1650. Elle est men- les venins a été mesurée à l’aide d’une aux souris sans et avec pierre noire.
tionnée pour la première fois dans un méthode utilisant l’acide bicinchoninique Les observations ont été faites à 24 et
document de vulgarisation sur les mœurs (BCA) et des ions cuivriques en milieu 48 heures.
extrême-orientales datant de 1656 [3]. Ce alcalin. – chaque venin a été incubé à 37 °C en
document associe l’origine du musc chi- Les souris « Swiss » de 3 semaines présence de poudre de pierre noire pen-
nois et la pierre noire qui proviendrait de (20 ± 2 g) provenaient de l’élevage de dant 30 minutes, puis centrifugé. Un
la tête des serpents venimeux. Il semble l’Institut Pasteur de Dakar (Sénégal) ou dosage de protéines avant et après incu-
exister une différence entre la « pierre à de celui de l’Instituto de biotecnologia de bation a permis d’évaluer la quantité de
serpent » et la « pierre noire » [4]. La pre- l’université nationale autonome du Mexi- protéines adsorbée sur la poudre de
mière serait fabriquée à partir de cornes que (Universidad nacional de Mexico, pierre noire. Le témoin était composé
de ruminant sauvage ou de concrétion Unam) de Cuernavaca (Mexique). La plu- d’albumine sérique bovine (BSA).
naturelle extraite d’un animal (calcul vési- part des titrages ont été effectués en dou- – le surnageant des solutions de venins
culaire ou rénal, bézoard), tandis que la ble à Dakar et à Cuernavaca. La dose mises en incubation avec la pierre noire,
seconde provient d’un fragment d’os. La létale 50 % (DL50) intramusculaire (IM) a après centrifugation pour éliminer la pou-
été calculée selon la méthode de dre de pierre noire, a été utilisé pour
pierre à serpent et la pierre noire ont été
Spearman-Kärber [2, 6]. Le temps létal mesurer la DL50.
contrefaites maintes fois. Celles qui sont
50 % (TL50) a également été mesuré en
utilisées en Afrique proviennent généra- observant les souris après l’injection de Les comparaisons statistiques ont utilisé
lement d’une diaphyse d’os long de trois DL50 et en notant pour chacune le le test de Student, le coefficient de corré-
bovin, lentement torréfié en milieu réduc- délai entre l’injection de venin et le décès. lation et le v2 pour p = 0,05.
teur [5]. Cela lui confère des propriétés Les injections de venins ont été faites sous
fortement adsorbantes sur les liquides, un volume constant de 0,2 mL dans la
comme tout charbon animal ou végétal. cuisse arrière droite des souris.
Selon le mode d’emploi, la pierre est De fabrication artisanale, les pierres noi-
placée sur la plaie. Elle y adhère forte- res ont été achetées sur un marché afri- Résultats
ment et en extrait le poison, se détachant cain. Nous les avons utilisées, soit rédui-
spontanément lorsque tout le poison est tes en poudre fine au mortier en
absorbé. Elle est ensuite régénérée quand porcelaine, soit taillées à l’aide d’une scie Les DL50 moyennes de Bitis arietans,
on la met à bouillir dans du lait et peut à métaux afin de mesurer approximative- Echis ocellatus et Naja nigricollis étaient
ainsi servir indéfiniment. C’est la même ment 1 centimètre carré (poids moyen respectivement de 30, 45 et 25 lg par
recette qui existe encore aujourd’hui. La 377,4 ± 43,2 mg) et de s’ajuster parfaite- souris en IM. Le TL50 de trois DL50 était
symbolique de ce remède est forte. Ses ment à la cuisse préalablement rasée des d’environ une heure.
origines mystiques, son procédé de fabri- souris. Elles ont été polies pour faciliter Nous avons systématiquement vérifié la
cation jalousement tenu secret, les « preu- leur adhésion. La pierre noire était fixée à parfaite adhérence de la pierre noire au
ves » de son efficacité, la régénération l’aide d’un ruban adhésif et maintenue point d’injection, preuve, selon la notice
dans le lait, antitoxique traditionnel dont jusqu’à la fin de l’expérience. d’utilisation, du fonctionnement normal
la blancheur virginale s’oppose à la noir- Quatre protocoles ont été mis en œuvre : de la pierre noire.
ceur du mal, contribuent à sa réputation – après administration de trois DL50 à Au cours de la première série d’expérien-
[5]. cinq lots de cinq souris chacun, la pierre ces utilisant les trois venins, nous n’avons

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Albumine sérique bovine Naja nigricollis
Protéines (mg/mL)
0,53
Protéines (mg/mL) Mortalité (%)
0,48 100
0,45
0,43 90
0,4
80
0,38 0,35
70
0,33 0,3
60
0,28 0,25 50
0,2 40
0,23
0,15 30
0,18
0,1 20
0,13 0,05 10
0,08 0 0
0 10 20 30 40 50 60 70 80 0 10 20 30 40 50 60 70 80
Poudre de pierre noire (mg) Poudre de pierre noire (mg)

Bitis arietans Echis ocellatus


Protéines (mg/mL) Mortalité (%) Protéines (mg/mL) Mortalité (%)
0,15 100 100
90 90
0,13 0,3
80 80
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0,11 70 70
0,25
0,09 60 60
50 0,2 50
0,07 40 40
30 0,15
0,05 30
20 20
0,03 0,1
10 10
0,01 0 0,05 0
0 10 20 30 40 50 60 70 80 0 10 20 30 40 50 60 70 80
Poudre de pierre noire (mg) Poudre de pierre noire (mg)

Concentration
Mortalité
en protéines

Figure 1. Corrélation entre la concentration de protéines et la toxicité des surnageants.

Figure 1. Correlation between protein concentration and supernatant toxicity.

observé aucune différence statistique


entre le lot de souris sans pierre noire
sérique bovine utilisée comme témoin
(figure 1).
Discussion
(témoin) et celui à qui elle avait été Après incubation avec la poudre de
appliquée 0, 15 et 30 minutes après pierre noire, la DL50 des surnageants a Les premières tentatives d’évaluation de
l’injection de venin. De plus, nous permis de calculer les quantités de pierre l’efficacité de la pierre noire remontent au
n’avons pas observé de différence entre noire neutralisant chacun des venins milieu du XVIIe siècle [3]. Kircher et Redi
les TL50 des différents lots de souris. (figure 1) : ont procédé à une série d’expérimenta-
La mesure de la DL50 du venin de B. arie- – 16,2 [10-26,3] mg de pierre noire neutra- tions contradictoires. Le premier a fait
tans, avec et sans pierre noire, a présenté lisent 36,6 lg de venin de B. arietans ; mordre un chien par une vipère avant
une différence significative : la DL50 sans – 21,4 [10,8-42,4] mg de pierre noire neu- d’appliquer la pierre noire. Après 24 heu-
pierre noire était de 29,7 ± 2,2 lg par tralisent 64,4 lg de venin d’E. ocellatus ; res de fortes fièvres, le chien en réchappe
souris. Avec la pierre noire, la DL50 était – 37,3 [22-63,3] mg de pierre noire neutra- prouvant, selon Kircher, l’efficacité du
de 21 ± 2,2 lg par souris, c’est-à-dire lisent 56,6 lg de venin de N. nigricollis. traitement. Par ailleurs, Kircher rapporte
significativement plus toxique (t = 3,1 ; La corrélation entre l’adsorption de BSA qu’un paysan mordu par un serpent avait
p > 0,01). Nous n’avons pas reproduit et de chacun des venins est significative été traité avec succès par l’application de
cette expérimentation avec le venin des (p < 0,05. En revanche, la corrélation la pierre noire. En revanche, Redi mène
autres espèces. entre l’absorption des protéines du venin de très nombreuses expériences sur des
Le dosage des protéines dans le surna- et la réduction de la toxicité n’est pas coqs et des pigeons. Il publiera 20 ans
geant a montré une diminution de la toujours significative. Elle l’est pour plus tard ses résultats – montrant
quantité de protéines proportionnelle à la B. arietans (r = 0,88 ; p = 0,01) et E. ocel- l’absence d’efficacité de la pierre noire –
quantité de poudre de pierre noire en latus (r = 0,85 ; p = 0,02), mais non pour dans l’indifférence générale. En fait, ce
incubation avec le venin ou l’albumine N. nigricollis (r = 0, 68 ; p = 0,10). débat avait rapidement pris un tour pas-

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sionnel et idéologique, la simplicité de la ocellatus sont des Viperidae dont le venin qui conduit à des réductions de concen-
démonstration de Kircher s’opposant à la est essentiellement composé d’enzymes. trations protéiques dans le surnageant. En
complexité des expérimentations de Le venin de B. arietans est nécrosant, outre, appliquée sur la peau après une
Redi. Il faut noter qu’un siècle plus tard, celui d’E. ocellatus est davantage hémor- morsure, la pierre noire est en contact
Fontana avait tenté sans succès l’expé- ragique. En revanche, N. nigricollis est un avec de nombreux fluides biologiques,
rience de retirer le venin de pigeons Elapidae dont le venin est riche en toxines sang, lymphe, sueur qui probablement
mordus par une vipère, soit par succion qui associent une neurotoxicité par bloc sont en compétition avec le venin s’il en
buccale, soit à l’aide d’une sangsue (in : des récepteurs cholinergiques à une reste. Mais l’absence de réduction de la
Traité de la vipère, 1781, cité par Épelboin action nécrosante locale due aux cytotoxi- toxicité in vivo peut aussi être due à la
[5]). nes [2]. Ce choix permettait de distinguer rapide diffusion du venin dans l’orga-
La pierre noire a été largement reprise par une éventuelle protection de la pierre nisme hors de la portée de la pierre noire.
la suite, notamment par les Pères Blancs noire aux niveaux systémique et local. Bénéficiant d’une bienveillante indiffé-
qui les vendirent jusqu’à ces dernières Notre expérimentation semble confirmer rence, la pierre noire a été présentée
années dans toutes les procures de mis- l’absence d’efficacité de la pierre noire. Il comme virtuellement utile, en tout cas
sions en Afrique. La pierre noire est pré- ne faut probablement pas accorder une non nuisible, grâce à l’effet placebo per-
sente dans la plupart des dispensaires où trop grande importance à l’augmentation mettant de rassurer la victime. Toutefois,
elle a supplanté le sérum antivenimeux de toxicité observée chez les souris soumi- il faut souligner deux risques importants :
trop coûteux et difficile à conserver. ses à la pierre noire lors de la mesure l’effet dissuasif qui conduit à écarter, ou
La pierre noire est un recours thérapeuti- comparée de la DL50. Elle pourrait s’expli- au moins retarder, un traitement réelle-
que à la fois simple et logique puisqu’elle quer par la pose de la pierre, de grande ment efficace et les risques de surinfec-
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procède par extraction du venin. Néan- taille relativement à la cuisse d’une souris tion – voire de tétanos [9] – liés à des
moins, elle constitue une réponse à un de 3 semaines malgré nos efforts pour pratiques douteuses et potentiellement
événement non fortuit pour une grande l’ajuster, et du ruban adhésif qui compri- dangereuses comme les incisions précé-
partie des populations rurales des pays mait la racine du membre. Cependant, la dant l’application de la pierre noire.
tropicaux. La morsure de serpent résulte variabilité des mesures de la DL50, due à
en effet de circonstances particulières qui l’absence de parfaite homogénéité des
exigent une prise en charge appropriée. Il souris autant qu’aux aléas climatiques
s’y associe un rituel qui peut combiner (chaleur et humidité notamment qui rédui-
plusieurs recettes traditionnelles, parmi sent la résistance des animaux d’expé-
lesquelles celle de la pierre noire apparaît rience), peut expliquer cette différence. Conclusion
comme la plus accessible [5]. L’intervalle de confiance donné par l’équa-
Les arguments en faveur de l’efficacité de tion de Spearman-Kärber correspond à
la pierre noire sont peu nombreux et tous l’écart lié à l’expérimentation elle-même et Bien qu’introduite récemment par la
de nature clinique. La plupart des succès non aux variations de conditions du test médecine occidentale, la pierre noire fait
rapportés se fondent sur des rumeurs [7], qui dépendent de nombreux facteurs envi- désormais partie de la médecine tradi-
le plus souvent non vérifiées ou incontrô- ronnementaux et circonstanciels [2]. tionnelle africaine et jouit d’une réputa-
lables. Même lorsque le plaidoyer est L’absence de protection in vivo est corro- tion favorable encore très importante
solidement documenté et fait appel à un borée par plusieurs expérimentations uti- auprès des populations. C’est la raison
grand nombre d’observations [8], aucune lisant les différents venins. Il semble que pour laquelle, excluant autant pour des
preuve formelle n’est apportée par les la pierre noire, dont les capacités raisons éthiques que scientifiques un
auteurs. Il s’agit, le plus souvent, de cas d’adsorption sont indéniables, ne puisse essai clinique, une démonstration expéri-
traités avec succès après l’application de extraire le venin après son inoculation mentale s’avérait nécessaire.
la pierre noire mais sans détail clinique, ni dans l’organisme. Il faut souligner le L’expérimentation rapportée ici ne per-
identification formelle du serpent. Par- caractère non spécifique de l’adsorption met pas de confirmer une efficacité quel-
fois, le serpent est bien identifié comme du venin par la pierre noire. La figure 1 conque de la pierre noire. C’est pourquoi,
venimeux, mais on sait que cette démons- montre que l’adsorption d’une protéine en cas d’envenimation sévère, nous
tration est d’un intérêt limité dans la pure, l’albumine sérique bovine, est stric- contestons formellement une capacité
mesure où un serpent venimeux peut ne tement proportionnelle (r = - 1) alors que thérapeutique à empêcher une évolution
pas inoculer de venin. Par ailleurs, les celle des différents venins ne l’est pas, fatale ou des séquelles graves. Il est
séries cliniques, même importantes, même si elle reste relativement proche de d’ailleurs significatif que les Pères Blancs,
concluant à une majorité de guérison ne la linéarité : le coefficient de corrélation qui commercialisaient la pierre noire en
sont pas davantage probantes puisqu’il a est égal à - 0,82 pour B. arietans, - 0,77 Afrique depuis la fin du XIXe siècle, en
été montré dans de nombreuses études pour E. ocellatus et - 0,83 pour N. nigri- aient récemment et discrètement sus-
épidémiologiques que plus de la moitié collis (p = 0,05). Cela suggère que pendu la distribution... ■
des morsures non traitées ne sont suivies l’adsorption des protéines appartenant à
d’aucun trouble clinique et que la létalité un mélange, comme le sont les venins,
est très variable d’un endroit à l’autre et n’est pas homogène et que certaines pré-
peut être – même en l’absence de tout sentent des coefficients d’adsorption dif-
traitement – inférieure à 1 % [1, 2]. férents. Soit le mélange de protéines se Remerciements
Nous avons choisi des venins de modes traduit par une compétition entre elles, Nous remercions Yvon Doljansky et le
d’action différents pour élargir la validité soit les propriétés structurales modifient Laboratoire de toxines animales (Latoxan)
de nos résultats. Bitis arietans et Echis le degré d’affinité pour la pierre noire, ce qui nous ont procuré gracieusement le

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venin nécessaire à cette expérimentation. 2. Chippaux JP. Venins de serpent et enveni- 6. Organisation mondiale de la santé (OMS).
mations. Paris : IRD éditions, 2002. Caractérisation des venins et standardization
Par ailleurs, nous exprimons notre grati- des serums antivenimeux : progress réalisés.
tude à Blanca Ramos, Jackson Malukisa, 3. Baldwin M. The snakestone experiments. Offset Publ. 58. Genève : OMS, 1981.
Ermus Musama et Georges Diatta pour An early modern medical debate. Isis 1995 ; 7. Favarel-Garrigues JC. Réflexions sur le trai-
leur aide lors des titrages. 86 : 394-418. tement des envenimations par la « pierre
noire » dite « pierre à serpents ». Conc Méd
4. Rasquinha D. Snake stone for snake enve- 1981 ; 103 : 1643-9.
nomation. Am J Emerg Med 1996 ; 14 : 112-3.
8. Scarpa A. The serpent stone or the black
Références stone. Soc Sci Med 1987 ; 25 : 229-30.
5. Épelboin A. La malédiction de la pierre
noire. In : Retel Laurentin A, ed. Étiologie et 9. Habib AG. Tetanus complicating snakebite
1. Chippaux JP. Snake bites : appraisal of the perception de la maladie dans les sociétés in northern Nigeria : clinical presentation and
global situation. Bull World Health Organ modernes et traditionnelles. Paris : L’Harmat- public health implications. Acta Trop 2003 ;
1998 ; 76 : 515-24. tan, 1995. 85 : 87-91.
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