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ARTEHIS Éditions

Archéologie du bâti. Aujourd’hui et demain


Christian Sapin, Sébastien Bully, Mélinda Bizri et Fabrice Henrion (dir.)

DOI : 10.4000/books.artehis.25779
Éditeur : ARTEHIS Éditions
Lieu d’édition : Dijon
Année d’édition : 2022
Date de mise en ligne : 7 juin 2022
Collection : Monographies et Actes de colloques
EAN électronique : 9782958072650

https://books.openedition.org

Édition imprimée
EAN (Édition imprimée) : 9782958072643

Référence électronique
SAPIN, Christian (dir.) ; et al. Archéologie du bâti. Aujourd’hui et demain. Nouvelle édition [en ligne].
Dijon : ARTEHIS Éditions, 2022 (généré le 07 novembre 2023). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/artehis/25779>. ISBN : 9782958072650. DOI : https://doi.org/10.4000/
books.artehis.25779.

Légende de couverture
Église cathédrale d'Aoste. Reconstruction tridimensionnelle (wireframe) de la cathédrale du XIIe siècle
(Roberto Focareta, Visionetica, 2007).

Ce document a été généré automatiquement le 7 novembre 2023.

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sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
1

RÉSUMÉS
Depuis les années 1980, une approche nouvelle s’est imposée autour de la construction en
reprenant le principe archéologique de la stratigraphie des unités et des faits. Plusieurs
rencontres depuis 2001 ont pu témoigner de ces avancées et il devenait nécessaire de confronter
tous les acteurs concernés dans un colloque international. Cette archéologie dépasse les études
architecturales traditionnelles qui reposaient essentiellement sur les formes et les grandes
étapes de changement visibles à l’œil depuis le sol. Le bâti apparaît aujourd’hui non comme
uniquement un ensemble de formes inscrites dans l’histoire mais comme une structure complexe
toujours en renouvellement. La construction n’est plus celle d’un type entrant dans des cases
mais celle d’un lieu aux fonctions et aux usages ayant évolué avec le temps. Sa permanence
comme sa disparition nous interroge.

CHRISTIAN SAPIN (DIR.)


Directeur de recherche émérite, CNRS, UMR 6298 ARTEHIS.

SÉBASTIEN BULLY (DIR.)


Chargé de Recherches, CNRS, UMR 6298 ARTEHIS.

MÉLINDA BIZRI (DIR.)


Ingénieure d'études en archéologie / PhD, Université de Bourgogne, UMR 6298
ARTEHIS.

FABRICE HENRION (DIR.)


Délégué scientifique, CEM, Auxerre (2019) ; conservateur régional adjoint, Rouen,
DRAC-Normandie, associé UMR 6298 ARTEHIS (depuis 2020).
2

NOTE DE L’ÉDITEUR
Actes du colloque ABAD, Auxerre, 10-12 octobre 2019.
3

SOMMAIRE

L’archéologie du bâti Aujourd’hui et demain. Déconstruire sans détruire


Christian Sapin, Sébastien Bully et Fabrice Henrion

L’archéologie du bâti, une science neuve ?

Introduction au Colloque Archéologie du bâti. Aujourd’hui et demain. Historiographie de


l’Archéologie du bâti et l’expérience du canton de Genève
Charles Bonnet

Archéologie et archéométrie des matériaux de construction : exemples italiens


Aurora Cagnana
1. La pierre de taille
2. La brique
3. Enduits et pigments

« Bauforschung » Today : Current Tendencies in Building Archaeology in Germany


Ulrike Fauerbach et Andreas Putz
1. Traditional Building Archaeology
2. Building Archaeology and Modern Architecture
3. Documentation
4. Challenges of Recent Built Heritage
5. Current Projects
6. Conclusion

Plaidoyer pour le partenariat entre historiens de l’art et archéologues du bâti. Autour de la


sculpture et de la modénature
Christian Gensbeitel
1. Histoire de l’art et archéologie du bâti : sororité, cousinage ou voisinage encombrant ?
2. Un héritage commun : observer, enregistrer, comparer
3. L’étude de la sculpture : un matériau entre technique et image
4. Concilier l’étude de la sculpture et des modénatures avec l’étude du bâti

L’archéologie classique et l’archéologie du bâti


Jean-Yves Marc
1. Architectes et archéologues en France et dans quelques pays européens
2. Domaines de l’archéologie de la construction
3. Sources
4. Lieux et institutions
5. Conclusions

Early Medieval Hispanic constructions as material culture : archaeology of architecture and


technology
María de los Ángeles Utrero Agudo
1. Archaeological methodology and building technology: benefits and limits
2. Planning and projecting
3. Acquisition and transport of material
4. Working on site and building
5. Final remarks

Archéologie du bâti, méthode ou discipline ? Histoire et épistémologie d’un domaine


scientifique controversé
Alice Vanetti
Introduction
4

Techniques de taille de la pierre et esthétique du mur dans l’architecture cistercienne


(deuxième moitié du XIIe siècle - début du XIIIe siècle)
Éliane Vergnolle

Point de vue

La nouvelle archéologie du bâti ou la contemplation des monuments avec assistance


numérique (impressions belges)
Philippe Mignot

Poster

Ornements sculptés et chronologie des édifices. Présentation de l’outil SpatiaLite sur QGis
Estelle Chargé

De l’observation à la restitution

Les nouvelles technologies pour l’archéologie du bâti. Applications, apports et limites


Camilla Cannoni
1. Les nouvelles technologies pour l’acquisition des données architecturales
2. Une maquette 3D pour l’analyse archéologique ?
3. Restitution des résultats par modélisation 3D

L’analyse stratigraphique-structurale et les reconstructions tridimensionnelles dans les


études des architectures en Vallée d’Aoste (Italie)
Mauro Cortelazzo
Appareils didactiques et analyse archéologique

Mainz, St. Johannis : Einhundertundzehn Jahre Bauforschung in einer Kirche


Guido Faccani
1. Einleitung
2. Zusammenfassung der Baugeschichte
3. Die archäologischen Untersuchungen in und an St. Johannis : Forschungsgeschichte und
Dokumentationsweisen
4. Schluss

Recherches en chronologie : Archéologie du bâti et méthodes de datation, usages et


potentialités en 2020
Pierre Guibert et Petra Urbanová
Introduction
1. Des méthodes de datation pour l’archéologie du bâti
2. Point focal sur une innovation majeure récente : la datation des mortiers de chaux par OSL
3. Pour une stratégie analytique
4. Conclusion

Le chevet de l’abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard : l’apport du relevé à l’étude d’un chantier


monumental dans le Sud de la France à la fin du XIIe siècle
Andreas Hartmann-Virnich, Heike Hansen et Götz Echtenacher
5

Possibilités offertes par l’outil géophysique


Alain Tabbagh, Christian Camerlynck et Michel Dabas
1. Problématique
2. Principales méthodes
3. Exemples sur des ensembles bâtis en milieu ouvert
4. Substructions en milieu urbain
5. Analyse des éléments du bâti en place
6. Conclusion

Posters

Observer et documenter les parements et revêtements muraux : photographie et


enregistrement du visible et de l’invisible
Jean-Baptiste Javel et Emmie Beauvoit
1. Introduction : photographie et image, l’image de la photographie en archéologie
2. La photographie : une instrumentation portable polyvalente
3. Photographier dans le visible
4. Photographier dans l’invisible (dans l’IR et UV)
5. Pour une identification in situ des pigments
6. Conclusion et perspectives

Adaptabilité des outils et acquisition de données numériques sur le bâti : réflexion sur les
évolutions en cours
Mélinda Bizri
1. La tour dite Joyeuse à Dunières (Haute-Loire)
2. La tour Jeanne d’Arc à Gien (Loiret)
3. Conclusion : Des données numériques limitées à un support pour l’étude du bâti ?
4. Discussion : Vers une prise de conscience du véritable potentiel des modèles 3D pour l’analyse
archéologique du bâti ?

L’archéologie de la maison médiévale et post-médiévale en Région de Bruxelles-Capitale


(Belgique). Programmes de recherche, cadres méthodologiques, opérations préventives
Paulo Charruadas, Philippe Sosnowska, Sylvianne Modrie, Benjamin Van Nieuwenhove, Sarah Crémer, Pascale Fraiture,
Patrick Hoffsummer, Christophe Maggi et Armelle Weitz
1. Introduction
2. Contexte réglementaire et activités archéologiques en RBC
3. Un groupe de maisons à deux pas de la Grand-Place
4. Conclusion

Saint-Eutrope de Saintes (France) : un chantier de la fin du XIe siècle en cours d'étude


Justine Grémont et Jean-Baptiste Javel
1. Introduction. Contexte de l’étude
2. Méthode mise en œuvre
3. Les différentes phases du chantier
4. Un chantier de construction homogène mais non uniforme
5. Perspectives

Les sites troglodytiques médiévaux du bassin de Brive-la-Gaillarde (Corrèze) : dynamiques


de peuplement d’un territoire
Marion Liboutet
Brève description des sites et du contexte de l’étude
2. Méthodologie et enregistrement
3. Le creusement des cavités : conception et réalisation d’un site troglodytique
4. Les modes de construction
4. Le traitement des surfaces
5. Les dynamiques d’occupation du territoire
Conclusion : les axes de recherche
6

Des progressions de travaux déroutantes : réflexions à partir de l’étude de chantiers de


construction angevins (XIVe-XVIe siècles)
Emmanuel Litoux
1. Mettre les constructions hors d’eau
2. Progression par tranches
3. Repentirs et changements de parti
4. Maintenir provisoirement des états antérieurs
Conclusion

Entre les pierres : renseigner les traces du chantier de construction


Cédric Moulis
Introduction
1. Le chantier gravé dans la pierre
2. L’empreinte du chantier

Enseigner l’archéologie du bâti

L’enseignement de l’Archéologie de l'Architecture en Italie


Giovanna Bianchi

Enseigner l’archéologie du bâti au master inter-universitaire de spécialisation en


conservation et restauration du patrimoine culturel immobilier, site de la Paix-Dieu
(Belgique)
Caroline Bolle et Jean-Louis Vanden Eynde
Introduction
1. L’enseignement de l’archéologie du bâti au sein du MSC
2. L’étude d’un cas en groupe pluridisciplinaire comme synthèse de l’apprentissage
3. Suites
4. Conclusions

L’enseignement de l’archéologie du bâti en France. Bilan et enjeux pour la pérennisation


d’une discipline
Morana Čaušević-Bully
1. Les Masters complets
2. Les Parcours ou Spécialités spécifiques
3. Les enseignements intégrés dans la carte de formation
4. D’autres formes d’enseignement en archéologie du bâti
5. Quelques réflexions en conclusion

Des matériaux en questions

Intervenir sur du bâti urbain domestique : les maisons d'Orléans (France, Centre-Val de
Loire)
Clément Alix
Introduction
1. État des connaissances sur les maisons d’Orléans avant 2000
2. Les premières études d’archéologie du bâti, menées dans un cadre universitaire
3. Le suivi archéologique de la campagne des ravalements de façades
4. L ’archéologie du bâti dans le cadre de l’archéologie préventive
5. L’archéologie du bâti dans le cadre de l’archéologie programmée
6. L’archéologie du bâti et les commandes d’études par la Conservation Régionale des Monuments
Historiques
Bilan
7

En contexte ou hors contexte : lecture des matériaux et lecture du bâti


Sylvain Aumard, Stéphane Büttner et Daniel Prigent
Introduction
1. Un environnement naturel déterminant l’architecture
2. Des besoins en quantité et en qualité pour de grands chantiers
3. Transport et ressources en matériaux
4. Ressources et savoir-faire
5. Le poids des traditions
6. Une ressource à part entière : le remploi
7. Une clé de lecture incontournable : les référentiels
Conclusion

Intervenir sur du bâti urbain : les églises de Poitiers (France, Vienne)


Brigitte Boissavit-Camus

Vers une archéologie décloisonnée ? La paroi murale et son revêtement


Mathias Dupuis
1. Revêtements, décors et enduits peints
2. Du mur au fragment
3. Archéologie et polychromie

La charpente de comble, un élément incontournable pour l’histoire des édifices anciens


Jean-Yves Hunot
1. Un peu d’histoire
2. Une méthode d’étude à mettre en place
3. Exemples d’études
4. Conclusion

Posters

L’apport de l’étude de l’ornement sculpté des supports de l’architecture gothique dans la


compréhension et la datation du chantier de construction en vallée mosane
Aline Wilmet
1. Le renouvellement d’une approche
2. Un outil de datation et de compréhension d’une chaine opératoire
3. Une application : l’ancienne collégiale Saint-Paul à Liège
4. L’édification de la tour et clôture de la nef : 1390-1417
5. Conclusions

L’archéologie du bâti entre règlement et connaissance

Recht und Praxis. Aperçu des statuts légaux et des pratiques de l’archéologie du bâti en
Suisse et dans les pays limitrophes de langue allemande
Jacques Bujard
1. Législation suisse
2. Les législations cantonales
3. L’historiche Bauforschung dans la Principauté de Liechtenstein
4. L’historiche Bauforschung en Allemagne
5. L’historiche Bauforschung en Autriche
6. Conclusion
8

Intervenir en urgence sur du bâti en centre ancien : l’exemple de Cahors (Lot, France)
Anaïs Charrier
1. Introduction
2. Connaissance et gestion du patrimoine de la ville de Cahors
3. Les études
4. Conclusion

Connaître un monument pour le conserver. Finalité et mise en œuvre des travaux de


recherches et d'études archéologiques dans le cadre spécifique des interventions sur les
monuments historiques
François Fichet de Clairfontaine et Jean-Christophe Simon
1. Quelles sont les raisons des difficultés ?
2. Voilà pour les constats ! Mais quelles propositions ?
3. Conclusion

Ambivalence juridique : les regards de la France sur la relation archéologie et monuments


historiques (1886-2004)
Jean-Olivier Guilhot
1. La place de l’archéologie dans la genèse des lois patrimoniales françaises
2. Un patrimoine codifié comme un tout cohérent hors de France et un patrimoine réduit aux seuls
monuments historiques en France
3. La France, occupée, légifère enfin sur l’archéologie
4. La difficile reconnaissance de l’archéologie médiévale
5. Quand l’archéologie s’affranchit du sédiment

Archéologie préventive sur du bâti protégé


Victorine Mataouchek
1. Qu’est-ce qu’un diagnostic sur du bâti ?
2. Qu’est-ce qu’une opération de fouilles sur du bâti ?
3. Le dialogue avec la maîtrise d’œuvre
4. Pour une archéologie globale

L’archéologie au service du projet de restauration, un outil de connaissance comme un


autre ?
Cécile Ullmann
1. 1er cas d’école : l’archéologie du bâti n’est pas, selon la DRAC, indispensable à la définition du
projet de restauration : le transept de la cathédrale de Sens
2. 2e cas d’école : l’archéologie du bâti est, selon la DRAC, indispensable à la définition du projet de
restauration : la rotonde de Saint-Bénigne à la cathédrale de Dijon
3. 3e cas d’école : l’archéologie du bâti ne répond pas : la démolition programmée du lavoir à
charbon des Chavannes à Montceau-les-Mines

Table ronde

L’archéologie du bâti à l’épreuve de la complexité et de l’entropie urbaine


Fabien Blanc-Garidel
1. Champs d’étude
2. Îlot Sainte-Marthe : un pôle entropique (instable)
3. Îlot Rêve-Vieille : un pôle écofique (structurant)
4. Positions

Du passé à l’avenir ou de l’archéologue à l’architecte : transmettre le patrimoine


Elen Cadiou
9

Architecte du patrimoine et archéologue du bâti : un partenariat incontournable


Pierre Gillon
1. « Livre noir » : le point de vue négatif
2. « Livre blanc » : une évolution encourageante
3. Rapprocher archéologues et architectes dès la formation
4. Partenariat et dialogue architecte / archéologue : vers une déontologie ?
5. Vers une redéfinition des études préalables ?
6. Limites et vulgarisation

L’archéologie du bâti : un enjeu interinstitutionnel


François Guyonnet
Introduction
1. L’archéologie du bâti et son apport : un avis personnel
2. Les difficultés de mise en œuvre et quelques pistes d’avenir
3. Une expérimentation provençale
Conclusion

Conclusion du Colloque Archéologie du bâti - Aujourd’hui et demain


François Blary
10

L’archéologie du bâti Aujourd’hui et


demain. Déconstruire sans détruire
Christian Sapin, Sébastien Bully et Fabrice Henrion

1 Après une décennie pionnière et une lente maturation mettant des mots sur une
pratique, depuis les années 1990-2000, l’archéologie du bâti s’est installée dans le
quotidien de plusieurs équipes archéologiques. Alors que l’Angleterre faisait le point
sur ses approches du bâti en publiant dès 1994 Building Archaeology, Applications in
Practice1, plusieurs articles des Nouvelles de l’archéologie dès 1993 et en 1994 2 rendaient
compte des implications urbaines de ce mouvement qui trouvait des échos semblables
en plusieurs pays, à travers des revues propres, telles Archeologia dell’architettura depuis
1996 pour l’Italie, ou Arqueologia de la Arquitectura à partir de 2002 en Espagne.
2 En France, un premier grand séminaire organisé par l’École nationale du Patrimoine3 et
coordonné par P. Garmy4 avait été consacré à l’archéologie du bâti durant une semaine
en septembre 1994 à Pont-à-Mousson (Lorraine). On peut regretter que ce séminaire
n’ait pas été publié ; il couvrait alors de nombreux pans de cette archéologie, apparue
nouvelle pour certains, et abordait déjà les questions de méthodologie. Celles-ci ont été
approfondies quelques années plus tard lors de la table ronde de Saint-Romain-en-Gal
de novembre 2001 : Pour une harmonisation des méthodes, organisée par I. Parron et N.
Reveyron5. On retiendra la publication par l’ICOMOS dès l’année suivante de Building
Archaeology6, rendant compte des travaux souvent novateurs du Bauforschnug en
Allemagne. Ces deux riches décennies ont encore vu l’organisation de plusieurs tables
rondes régionales – à Nantes ou à Nancy –, de colloques internationaux, notamment en
Belgique, à Liège en 2000 et en 20107, ou bien encore de nombreux séminaires en Italie
impulsés à l’université de Padoue par G. P. Brogiolo, comme Tecniche costruttivee cicli
edilizi tra VI e IX secolo fra oriente e occidente, en 2013.
3 En France, les travaux de thèses de doctorats et d’habilitation se rapportant à ce sujet
se sont multipliés : on citera principalement celles de Nicolas Reveyron8, Florence
Journot9, Quitterie Cazes10 ou Andreas Hartmann-Virnich 11. Ces travaux ont ouvert à
plusieurs reprises des questionnements autour de la place des divers champs
disciplinaires que l’on cherchait à distinguer ou à conjuguer : histoire de l’art, histoire
de l’architecture, politique de restauration des monuments etc., et dont on peut
11

mesurer chaque jour les enjeux, tant dans les pratiques conjointes – ou pas – sur la
construction, que pour l’enseignement par exemple. C’est avec ce paysage en arrière-
fond de notre histoire récente que le colloque d’Auxerre s’est ouvert, avant de
déconstruire des concepts trop bien établis, d’explorer chaque piste et de réfléchir sur
l’avenir.
4 Après le témoignage précieux d’un pionnier, Charles Bonnet, qui a démontré très tôt les
fruits possibles d’une attention au bâti, la première intervention reviendra sur le passé
de cette approche du bâti qui a longtemps été à la recherche d’un cadre législatif, et ce,
alors que le métier d’archéologue changeait profondément. Afin de donner un autre
éclairage à ce changement, nous pouvons prendre un peu de hauteur et attirer
l’attention sur un aspect de ce moment de l’histoire qui nous ouvrait alors sur
« aujourd’hui et demain ». Il est intéressant de remarquer que le renouvellement du
regard archéologique dans ces années 1980, avec un pic en 1985 un peu partout en
Europe, correspond au même moment où apparaît un « dessillement des yeux » vis-à-
vis de la nature. Cela se traduit cette année-là par l’apparition du terme de biodiversité.
Cette reconnaissance de la diversité de la vie sur la terre devait ouvrir sur la conscience
d’une notion d’écosystèmes et sur les interactions au sein d'organisation. On peut faire
un parallèle dans l’étude des constructions. En effet, une attention nouvelle apparaît
alors dans les problématiques de la recherche, avec la notion de matériaux durables,
d’incidence sur la santé, de pérennité du bâti, d’économie des espaces, d’ajustement de
l’éclairement. On est loin de la nostalgie d’un bâti ancien. On comprend désormais que
c’est cette complexité, au-delà de la forme, qui « fait architecture ». C’est elle qui trouve
toute sa résonance avec notre quotidien. Le monument donne une dimension au temps
long. Les forêts nous apaisent comme les constructions en dépit de leur complexité
cachée. L’archéologie du bâti nous a fait entrer depuis plus de trente ans dans l’ère de
leur complexité, dans cette conscience d’une interdépendance entre tous les éléments
du bâti tout en restant inscrit dans l’histoire : apparition des matériaux, renouveau de
la mise en œuvre et invention des formes nous font sortir du cloisonnement
académique. À trop simplifier notre regard, nous sommes passés parfois à côté des clefs
de la compréhension. Aujourd’hui, les approches de l’archéologie du bâti ne doivent pas
se contenter d’un recollement des apparences, mais entrer dans la matière, dans cette
complexité du réel qu’évoque Edgar Morin12.
5 Ce « recollement des apparences » est justement un des constats qui a motivé
l’organisation du colloque sur l’Archéologie du bâti, aujourd’hui et demain. En effet, après
les quelques démarches pionnières en France, essentiellement dues à des archéologues
médiévistes à partir de la fin des années 1970, telles que venons de le rappeler,
l’archéologie du bâti s’est largement imposée dans le paysage archéologique hexagonal
et européen de ces dernières années. Mais au-delà de sa reconnaissance, en tant que
discipline à part entière pour les uns, ou de méthodes d’investigations pour les autres,
il apparaît pour certains d’entre nous que l’archéologie du bâti, après une période de
maturité, est aujourd’hui au seuil d’une nouvelle étape13.
6 On rappellera que par sa démarche et les méthodes mises en œuvre (enregistrement
des unités stratigraphiques, relevés pierre à pierre, documentation photographique,
restitution infographique, analyses archéométriques des matériaux de construction,
etc.), l’archéologie du bâti s’est progressivement imposée à l’égal ou en complément des
études architecturales, stylistiques et historiques portant sur d’anciens édifices. Les
objectifs d’une analyse méthodologique de la construction sont multiples : ils
12

recouvrent tout autant le champ du phasage en chronologie relative et absolue, que


celui des éléments constitutifs du chantier ou bien encore des usages, sinon des
fonctionnalités des différents espaces. En se définissant essentiellement par son champ
d’application, l’archéologie du bâti est opérante pour des problématiques de recherches
en archéologie antique, médiévale, moderne et contemporaine.
7 La démarche d’investigation nécessite parfois « une fouille verticale des maçonneries »
(piquetage des couches d’enduits, désobstruction d’ouvertures, démolition de murs,
etc.) ; dans d’autres cas, l’investigation est limitée à une analyse des élévations, sans
interventions physiques, restituée par une documentation graphique.
8 L’élaboration de cette documentation bénéficie du développement exponentiel ces dix
dernières années de ce que l’on appelle désormais fréquemment « les nouvelles
technologies », au bénéfice d’une « archéologie numérique » ou d’une « archéologie
digitale »14 ; chacun le sait, il est fait référence principalement aux relevés par ortho-
photographies, photogrammétriques, par scanner 3D, par l’usage de drones, avec tous
les logiciels de traitement de l’image et des données numériques qui s’y rapportent15.
Mis au service de l’archéologie en général et à celle du bâti en particulier, l’usage de ces
outils numériques interpelle souvent un certain nombre d’entre nous, amenés à
expertiser des rapports d’opérations en Ctra16, des soumissions d’articles à des revues
ou bien encore des travaux universitaires. Avec une nouvelle esthétique relevant des
outils de la médiation, la forme en vient parfois à recouvrir le fond, tout en s’en
satisfaisant. À travers ces lignes, il ne s’agit pas ici de rejouer une nouvelle partition de
la querelle des « Anciens et des Modernes », mais bien de se demander si cette
documentation est toujours la restitution d’une analyse rigoureuse et minutieuse de la
construction, ou d’un « recollement des apparences » à partir d’une technologie parfois
utilisée par facilité ou pour un gain de temps apparent17.
9 Aussi, quelles sont et seront les attentes de l’archéologie du bâti, pour la connaissance
scientifique d’une construction et de son évolution, à la fois pour l’historien – au sens
large –, mais aussi pour l’aménageur, l’architecte, le restaurateur, le conservateur,
l’affectataire ? Et le rapport étroit, souvent enrichissant et stimulant, qu’entretient
l’archéologue du bâti avec l’architecte, le conservateur, le restaurateur, est essentiel,
mais parfois difficile. En dépit de certaines rigidités institutionnelles – en raison,
parfois, d’une forme de « rémanence corporatiste » ou d’une « realpolitik budgétaire »
–, les lignes bougent, manifestement. Les efforts portés à la formation permettant à
l’archéologue et à l’architecte de se mettre chacun à la portée de l’autre produisent des
résultats, mais est-ce suffisant ?
10 À travers les différentes sessions embrassant plusieurs thématiques, c’est sur ces
questions que nous avions choisi de consacrer les trois journées du colloque d’Auxerre
et dont rendent compte les contributions rassemblées dans ces actes.
13

NOTES
1. WOOD J. dir., Building Archaeology, Applications in Practice, Oxford, 1994.
2. ARLAUD C., BURNOUF J., “L’archéologie du bâti urbain”, Les nouvelles de l’archéologie,
53-54, 1993, p. 5-69 ; ARLAUD C., “L’archéologie du bâti”, in ESQUIEU Y., PEZEZ J.-M., Cent
maisons médiévales en France, Paris, 1998 p. 27-29.
3. Actuel Institut national du Patrimoine.
4. GARMY P., “État de la recherche française en archéologie du bâti médiéval urbain.
Éléments pour un bilan 1986-1993”, Les nouvelles de l’archéologie, 57, 1994.
5. PARRON-KONTIS I., REVEYRON N. dir., Archéologie du bâti, Paris, 2005.
6. SCHULLER M., Building Archaeology, ICOMOS, International Council on Monuments and
Sites VII, München, 2002, 91 p.
7. LÉOTARD J.- M. dir., Archéologie du bâtiment, approche globale, Actes des journées
d’Archéologie en Province de Liège, 24-25 nov. 2000, Liège, 2001 ; L’archéologie des
bâtiments en question. Un outil pour les connaître, les conserver et les restaurer,
Études et documents 35, Service public de Wallonie, Namur, 2015.
8. REVEYRON N., Art de bâtir et définition d’un style. Éléments d’une proto-renaissance
monumentale dans l’architecture religieuse de la moyenne vallée du Rhône (2e moitié XII e-1ère
moitié XIIIe siècle.) , Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université de
Lyon II, décembre 1998 et Chantiers lyonnais du Moyen Âge (Saint-Jean, Saint-Nizier,
Saint-Paul), Dara 9, Lyon, 2005, 384 p.
9. JOURNOT F., De l’archéologie monumentale à l’archéologie du bâti et du garni. Construction et
savoir-faire. Habitation et savoir-vivre. Pour une approche de l’urbanité médiévale, Mémoire
d’Habilitation à Diriger des Recherches, Paris, Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne,
2008.
10. CAZES Q., Toulouse médiévale en perspective entre archéologie et histoire de l’art, Mémoire
d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université de Paris I, novembre, 2008.
11. HARTMANN-VIRNICH A., Regards archéologiques sur le chantier médiéval dans le Sud-Est de la
France, Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université d’Aix-en-Provence,
décembre 2005.
12. MORIN E., Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil, 2005, 158 p. (coll. Points-
Essais, 534).
13. BLIN S., HENRION F., « De l’observation du bâti à l’archéologie globale de la
construction », Culture et recherche, 139, Archéologie. Entre ruptures et continuités,
2019, p. 19-21.
14. En témoigne la revue http://www.openscience.fr/Archeologies-numeriques ou bien
encore, la création en 2021 d’un poste de Maître de conférences en « Archéologie
numérique » à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
15. GRANIER X., CHAYANI M., ABERGEL V., BENISTANT P., BERGEROT L. et al., Les recommandations du
Consortium 3D SHS, [Rapport Technique] CNRS ; SHS, 2019, 204 p. - hal-01683842v4.
14

16. Commission territoriale de la recherche archéologique.


17. SEGUIN M., « La photogrammétrie : un outil pour les archéologues », Culture et
recherche, 139, Archéologie. Entre ruptures et continuités, 2019, p. 47.

AUTEURS
CHRISTIAN SAPIN

Directeur de recherche émérite, CNRS-UMR 6298 ARTEHIS


sapin.christian@wanadoo.fr

SÉBASTIEN BULLY

Chargé de Recherches, CNRS-UMR 6298 ARTEHIS


Sebastien.Bully@club-internet.fr

FABRICE HENRION

(2019) délégué scientifique CEM Auxerre; (depuis 2020), conservateur régional adjoin Rouen,
DRAC-Normandie, associé UMR 6298 ARTEHIS
Fabrice.Henrion@culture.gouv.fr
15

L’archéologie du bâti, une science


neuve ?
Building archaeology, a new science ?
16

Introduction au Colloque
Archéologie du bâti. Aujourd’hui et
demain. Historiographie de
l’Archéologie du bâti et l’expérience
du canton de Genève
Charles Bonnet

1 Nos travaux concernant l’archéologie du bâti ont été influencés par un vaste projet de
recherche qui a touché l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse durant plusieurs décennies1.
À la suite des destructions de la deuxième guerre mondiale, la mise au point d’une
méthodologie pour la restauration des édifices médiévaux a paru indispensable
d’autant que les premiers constats ont montré que ces édifices n’avaient pas toujours
été entretenus dans de bonnes conditions et que des maladies dégradaient les pierres
de nombreuses façades. Il nous est donc apparu qu’au risque de subir des dégradations
irréversibles, des bâtiments vieux de quelques siècles devaient impérativement être
l’objet, tous les cinquante ans, d’importants travaux de réfection. Mais, pour ce faire en
respectant l’authenticité des maçonneries, il fallait avoir à l’esprit la continuité de
l’occupation et comprendre la succession des états de construction pour saisir la
richesse d’un patrimoine souvent insoupçonné.
2 En ajoutant à cela les résultats d’interventions archéologiques plus conventionnelles, il
est devenu évident qu’ainsi des pans entiers de l’histoire des bâtiments pouvaient être
restitués. Les études de terrain constituaient désormais une source documentaire
complétant l’apport des textes d’archives. Très rapidement ces interventions ont
associé d’autres disciplines plus spécialisées et de véritables équipes de travail ont été
créées pour suivre les grands chantiers de restauration. Ces recherches donnaient à la
démarche une base scientifique permettant, en particulier, de mettre l’accent sur la
sauvegarde des vestiges in situ. Vers 1975, dans le cadre de l’ICOMOS2, ont été établies
des conventions mettant au point des règles et des principes destinés aux responsables
de la conservation des monuments anciens. On pense par exemple à la Charte de
17

Venise3 mais bien d’autres actions peuvent être mentionnées. On doit encore relever
que cette approche ne pouvait être de qualité sans un investissement considérable
durant le chantier et que ce n’était qu’en présence des vestiges qu’une vérification des
connaissances pouvait être menée par les groupes pluridisciplinaires.
3 En France, dans le cadre académique, plusieurs historiens ont su se placer dans cette
continuité et, dès les années 1980, ont organisé un projet de recherche à la Sorbonne4,
étudiant de manière systématique l’histoire monumentale de la Gaule, pour l’Antiquité
tardive et le haut Moyen Âge. Les nombreux spécialistes ainsi réunis ont bientôt
apporté la preuve que les sources écrites pouvaient permettre de préparer
l’intervention sur les bâtiments. En confrontant les notions archéologiques et la
relecture des textes anciens, il devenait possible de discuter largement les choix de
conservation.
4 Peu à peu, cette archéologie, initialement de sauvetage, pouvait apporter à la recherche
scientifique des éléments de qualité et même changer les acquis généraux de l’histoire.
L’archéologie du bâti nouvellement née, en offrant une image graphique de l’analyse
des maçonneries, surtout en élévation, démontrait la complexité des états préservés,
souvent sur une hauteur conséquente. Les relevés détaillés permettaient, par la vision
des états successifs, de remonter dans le temps jusqu’aux fondations. Les couches en
place du sous-sol ouvraient d’autres possibilités d’études pour les phases d’origine.
5 Très résumées, ces remarques ont fixé les bases de la recherche dans des édifices
publics ou privés, en privilégiant les églises et leurs annexes. Les inventaires se sont
multipliés, illustrant les nombreuses façons de construire et les éléments
chronologiques qui étaient mis au jour. Chaque monument pouvait favoriser des
enquêtes approfondies pour constituer un corpus des caractères architecturaux
régionaux. Plusieurs disciplines annexes ont été développées pour approfondir les
analyses, aussi la documentation recueillie a-t-elle rendu ce genre d’étude d’une grande
complexité. En revanche, le gain de temps, grâce au passage des dessins détaillés
effectués devant les murs à des travaux numérisés, n’a pas toujours été un progrès car
les heures passées, devant les massifs du bâti, à discuter des stratigraphies des mortiers
ou des enduits, pouvaient être très fructueuses. Face à la diversité des situations, des
contraintes, financières ou temporelles, et des moyens techniques, l’archéologie du bâti
s’est adaptée, en définissant des démarches spécifiques à chaque cas.
6 Ainsi, lorsque nous avons été confrontés à plusieurs restaurations des édifices de culte
dans le petit canton de Genève (20 km sur 30), tout en créant un nouveau Service5, il
devint évident que l’archéologie pouvait aider l’architecte dans ses choix. L’abandon du
ciment au profit du mortier à la chaux, pour la respiration des maçonneries, a
représenté un premier combat. Il fallut également mettre en valeur les parties
anciennes des monuments tout en conservant une unité architecturale. C’est le
bâtiment qui devait guider les choix et non les idées, souvent discutables, de certains
esthètes responsables. En outre, la dimension historique devait être prise en compte et
l’archéologue devait, dès l’origine, penser à mettre en valeur ses résultats dans des
monographies ou des articles spécialisés destinés à un public averti6. La présence
d’historiens et d’historiens de l’art, aux côtés des différents artisans de la restauration,
en parallèle avec l’étude des mortiers ou des objets inventoriés, est devenue habituelle
lors des réunions sur les chantiers. Des travaux comparatifs ont également été effectués
régulièrement par des universitaires de plusieurs pays.
18

7 À Genève, lors de nos premières évaluations, il est apparu que cinq ensembles religieux
urbains, dont la cathédrale Saint-Pierre, pouvaient faire l’objet d’études systématiques.
Ces bâtiments avaient subi de longues périodes d’abandon et des réfections
s’imposaient. Pour ce qui est des églises rurales ce n’est pas moins de vingt bâtiments
qui, sur ce petit territoire, méritaient une restauration de grande ampleur. Sur le plan
méthodologique, l’avantage d’intervenir dans la campagne genevoise, était de travailler
dans des bâtiments de dimensions réduites. En effet, Il est rare de pouvoir reproduire
une même expérience sur des constructions très simples dont la nef était sous la
responsabilité des fidèles et dont le chœur, aux fonctions bien définies, pouvait encore
être la propriété des ecclésiastiques. Malgré cette relative simplicité, nous avons assez
rapidement pu constater que chaque monument avait ses caractéristiques propres et
qu’il était illusoire de définir des typologies. Certes on peut percevoir des familles
d’églises pour certaines époques mais on est loin de modèles parfaitement reproduits.
Naturellement, l’archéologie du bâti s’est imposée comme une technique forte et les
rencontres sur le terrain avec certains collègues ont pris une grande importance pour
définir les programmes de restauration qui ont suivi.
8 Après plus de cinquante ans, il n’est pas inutile de faire le bilan de cette expérience
scientifique et technique. Les orientations établies au début ont été confirmées par la
validité de la démarche. On peut estimer que le renouveau intervenu après les fouilles
et l’étude complète de près de trente églises constituent un apport exceptionnel pour
notre connaissance de l’organisation née lors de la christianisation, en milieu urbain ou
à la périphérie. Un dialogue s’est noué avec les responsables politiques ou
administratifs, avec les architectes ou les ingénieurs, en lien avec la population ce qui
fait qu’après tant d’années, on continue à discuter de ce patrimoine7. Des associations
se sont formées pour défendre le passé genevois, allant jusqu’à bloquer des
programmes de restauration en organisant des référendums ou en présentant des
contre-projets. La constitution de groupes d’experts fédéraux, cantonaux et
municipaux a apporté une compétence essentielle au maintien du tissu ancien puis, par
étapes, de monuments plus récents, voire contemporains.
9 Dans quelle mesure l’archéologie du bâti joue-t-elle encore un rôle déterminant
aujourd’hui ? La volonté de rendre la documentation accessible paraît toujours
indispensable. Les résultats de recherches historiques menées sur le long terme
permettent de compléter l’apport archéologique. Dans nos régions ont été créés des
services où des professionnels, qui ont la responsabilité des édifices ou des vestiges
médiévaux, se réfèrent aux travaux effectués durant les dernières décennies et
consultent sans cesse les relevés et les rapports des interventions antérieures. Ces
véritables archives mises à disposition sont le point de départ de recherches plus
abouties qui peuvent se combiner avec d’autres opérations en cours. L’expérience
acquise s’est ainsi transmise dans ces services officiels dont l’utilité et la compétence
sont reconnues par l’ensemble des citoyens.
10 L’archéologie du bâti consiste donc bien davantage qu’une méthode technique à
disposition de l’homme de l’art ; c’est une approche complète destinée à la recherche, à
la mise en valeur ou à la conservation du patrimoine construit. À Genève, nous avons
aussi la conviction que les travaux archéologiques ont développé la sensibilité de
plusieurs générations d’habitants qui ont ainsi retrouvé leurs racines. D’autre part, les
chercheurs ont largement participé à l’évolution des connaissances historiques. En
outre, l’aménagement de plusieurs sites, comme celui du sous-sol de la cathédrale, a
19

permis à l’archéologie de toucher un nouveau public qui s’est approprié son passé.
Certes nos interventions sont lourdes et demandent de gros investissements qui, s’ils
sont effectués en accord avec la population, renforcent la pertinence de l’archéologie
actuelle fondée sur l’approche qui fut l’objet de ce colloque. Notre société n’a jamais eu
autant besoin de son passé pour faire face aux périodes de bouleversements que nous
réserve un futur incertain.

NOTES
1. OSWALD F, SCHAEFER L., SENNHAUSER H.-R., Vorromanische Kirchenbauten, Katalog der
Denkmäler bis zum Ausgang des Ottonen, Munich, 1966, Lieferung A-J, 1968 ; Lieferung K-Q,
1971 ; Lieferung R-Z ; Nachtragsband : W. JACOBSEN ; L. SCHAEFER, H.-R. SENNHAUSER,
Münich, 1991.
2. Préoccupation illustrée, par exemple, par un colloque régional : L’architecte et les
artisans de la restauration des monuments. Mission et collaboration, Genève, 1979, Section
Nationale Suisse.
3. ICOMOS (International Council on Monuments and Sites). Charte internationale sur
la conservation et la restauration des monuments et des sites (dite Charte de Venise),
IIe Congrès international des architectes et des techniciens des monuments
historiques, Venise, 1964. Adoptée par ICOMOS en 1965. « Chargées d'un message spirituel
du passé, les œuvres monumentales des peuples demeurent dans la vie présente le témoignage
vivant de leurs traditions séculaires ».
4. Pour une vue d’ensemble, cf. Topographie chrétienne des cités de la Gaule des origines au
milieu du VIIIe siècle, XVI, Quarante ans d’enquête ( 1972-2012), édité par F. PRÉVOT,
M. GAILLARD et N. GAUTHIER, Paris, 2014.
5. Pour un aperçu, cf., « Autour de l’église, fouilles archéologiques à Genève,
1967-1997 », Patrimoine et architecture, cahier no 3, Direction du patrimoine et des sites,
1997 ; voir aussi l’organisation d’un service actuel : « Homo archaeologicus turicensis,
L‘archéologie dans le canton de Zurich », Archéologie suisse, 43.2020.2.
6. BONNET Ch. et al., Les premiers édifices chrétiens de la Madeleine à Genève, Société
d’Histoire et d’Archéologie de Genève, Mémoires et Documents, VIII, 1977 ; Les fouilles de
la Cathédrale Saint-Pierre de Genève, Le centre urbain de la protohistoire jusqu’au début de la
christianisation, Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, Mémoires et Documents,
64, 2009 ; Les édifices chrétiens et le groupe épiscopal, Société d’Histoire et d’Archéologie de
Genève, Mémoires et Documents, 65, 2012 ; TERRIER J. et al., L’ancienne église de Saint-
Mathieu de Vuillonnex à Genève, Cahier d’archéologie romande, 149, 2014 ; B. PRIVATI, La
nécropole de Sézegnin (IVe-VIIIe siècles) , Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève,
Mémoires et Documents, 10, Genève, 1983.
7. « La Cour des comptes vante la défense du patrimoine à Genève », Tribune de Genève,
20-21 mai 2020, p. 5.
20

AUTEUR
CHARLES BONNET

Membre de l’Institut, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres


21

Archéologie et archéométrie des


matériaux de construction :
exemples italiens1
Archaeology and archaeometry of building materials : Italian examples

Aurora Cagnana

1 Tout matériau employé dans le bâti résulte d’un cycle ou d’une chaîne de travaux à
partir de la ressource naturelle. De ces traitements est issu un produit fabriqué.
Reconstituer les différentes phases de ce cycle est une enquête passionnante pour
situer une construction dans un contexte qui n’est pas seulement chronologique, mais
qui est aussi économique et social. Les analyses de laboratoire sont évidemment
essentielles dans cette démarche. Elles contribuent non seulement à l’établissement de
la chronologie (TLD, 14C) mais font connaître aussi la composition et, quelquefois,
l’origine géographique du matériau employé ; elles aident donc à recomposer les phases
initiales de l’ensemble du processus constructif. L’étude des matériaux produits à
certaines périodes historiques est particulièrement intéressante, ainsi pour l’Antiquité
tardive et le haut Moyen Âge où la pénurie de sources écrites prive de renseignements
sur les moyens de production et sur la main-d’œuvre.
2 C’est dans cette perspective que seront d’abord traitées des questions relatives aux
constructions en pierre de taille et notamment à propos des transformations
intervenues entre l’Antiquité tardive et le Moyen Âge. Puis sera abordé le cas de la
production de briques entre le IVe et le XII e siècle avant de finir avec deux exemples
d’études de fresques et d’enduits peints dans deux monuments du haut Moyen Âge du
Nord de l’Italie : le tempietto de Cividale du Frioul (dép. Udine) et l’église de Sainte-
Marie ‘foris portas’ à Castelseprio (dép. Varese). Ces deux exemples font apparaître
comment les problèmes du marché des pigments colorés se lient à ceux de la mobilité
de la main-d’œuvre qualifiée.
22

1. La pierre de taille
3 Avec la cessation de l’activité des grandes carrières, les murs en grand appareil
deviennent de plus en plus rares. En Méditerranée occidentale, le célèbre mausolée de
Théodoric à Ravenne (516) représente la dernière construction en grand appareil.
Formée de grands blocs de calcaire dur (d’Istrie) soigneusement équarris et mis en
œuvre à sec, la construction est couverte d’une extraordinaire coupole monolithique
lourde de 300 tonnes. De manière exceptionnelle en Occident, l’extrados en est laissé
apparent. On ne connaît pas l’identité des maîtres d’œuvre qui sont à l’origine d’un tel
bâtiment, mais, d’après les lettres de Cassiodore, on sait que le roi Théodoric était en
contact avec Aloiosus, architecte vraisemblablement syrien.
4 Le célèbre monument de Ravenne est un cas isolé dans un contexte où, dans les centres
urbains les plus importants, le grand appareil semble avoir presque disparu.
5 À Rome même, l’étude archéologique a montré que les rares murs de cette nature sont
en réalité constitués de réemplois de grandes dimensions. C'est le cas des domus
carolingiennes et de l’enceinte dite léonine. Les blocs en pierre volcanique, lourds de
200 kg à 350 kg proviennent en réalité de la retaille des blocs du forum de Nerva situé à
proximité (Fig. 1), initialement lourds pour leur part de plus de 2,5 tonnes2.

Fig. 1. Rome, forum de Nerva. Grand appareil de blocs remployés remontant au IXe siècle (cl.
Cagnana).

6 Attesté sur tout le territoire italien entre le Ve et le Xe siècle et étudié notamment sous
l’aspect idéologique, le phénomène du réemploi de ces gros blocs représente tout
d’abord un expédient technique pour imiter le grand appareil dans un environnement
où l’exploitation des carrières était devenue presque impossible, ne serait-ce qu’en
raison du manque d’entretien des ponts et des routes paralysant le transport.
23

7 En ce qui concerne l’extraction de la pierre, on constate une diminution remarquable


du nombre des carrières à partir du IIIe siècle et un abandon progressif entre IV e et
Ve siècle.
8 De surcroît, les études archéologiques ont certes montré que pendant le haut Moyen
Âge les activités minières n’avaient pas complètement disparu, mais elles étaient
restreintes, avec des exploitations peu étendues, des productions de qualité variable, au
hasard du site, et sont surtout caractérisées par une géométrie simplifiée et par
l’emploi d’une gamme limitée d'outils, presque uniquement le pic3.
9 Un exemple d’étude de grand intérêt est représenté par la carrière de Valdieri,
exploitée au VIIIe siècle pour le mobilier liturgique de l'église « lombarde » de Borgo
San Dalmazzo di Pedona près de Cuneo (Piémont). Les travaux d’extraction d’un
calcaire très dur tiraient le meilleur parti possible de la stratification naturelle4. Il s’agit
alors d’une exploitation réduite, pour des blocs de dimensions limitées, d’épaisseur
conditionnée par le feuilletage géologique des couches, et avec emploi d’un outillage
composé surtout de pics et de broches.
10 Dans les régions où il était attesté, même le petit appareil devient de plus en plus rare,
et semble disparaître après le milieu du VIIe siècle. Entre Ve et X e siècle, les
maçonneries, pour la plupart, consistent en pierres brutes d’extraction ou en galets
collectés liés au mortier de chaux. Connaissant de nombreuses variantes, ce type peut
être considéré comme héritier de l’opus incertum romain et semble représenter l’unique
tradition artisanale de l'ère classique poursuivie tout au long du haut Moyen Âge. Selon
toute vraisemblance, c’est lui qui est désigné comme opera romanense dans les sources
législatives de la période lombarde.
11 Notamment on connaît 3 sources du VIIe au VIIIe siècle qui évoquent les bâtisseurs, dits
magistri commacini.
12 Il est à exclure que ce terme désigne une provenance de la ville de Côme, ville qui
n’était pas particulièrement importante dans le Royaume lombard.
13 Il semble, en revanche, rappeler le terme machina avec la signification d'échafaudage.
Mais pour comprendre ce que ces constructeurs étaient capables de faire, il faut lire la
liste de prix connue sous le nom de Memoratorio de mercede commacinorum, qui
répertorie les différentes performances de ces magistri.
14 En ce qui concerne la construction des murs, les références sont très peu
caractéristiques. On dit si murum fecerit, sans expliquer le type de maçonnerie. Ensuite,
il est fait référence au prix d'un enduit. Dans le chapitre V, on évoque deux types
d’opera une œuvre gauloise (en bois) et une œuvre romane. Sur la base des
comparaisons avec la documentation archéologique, nous pouvons entendre la
maçonnerie en pierre et en chaux, de tradition romaine5.
15 Soudain, autour du milieu du XIIe siècle, pour de nombreuses constructions, on
constate la renaissance d’usage de la pierre de taille assemblée à joints vifs. De surcroît,
sur la pierre dure, se concrétise l’apparition de traces d’outils dentés. Déjà, dans
certaines villes, Pise et Lucques notamment, des murs en pierres appareillées sont
attestés à partir du XIe siècle, mais il s’agit d’une roche tendre6. Mais, dans la plupart
des villes communales de l’Italie du Nord-Ouest, les XIIe et XIIIe siècles correspondent à
la grande époque de l’appareillage comme l’atteste l’archéologie. À Gênes, aux
constatations matérielles (Fig. 2) s’ajoute le témoignage de nombreuses sources écrites
24

du milieu du XIIe siècle qui donnent plusieurs indications sur cette réapparition de la
pierre équarrie.

Fig. 2. Porto Venere (Ligurie). Tour en grand appareil bâtie en 1161 (cl. Cagnana).

16 En 1162, la technique est désignée comme opus novum dans les Annales de la République
où elle est décrite comme étant d’une telle beauté et force (tante fortitudinis tanteque
pulcritudinis) qu’elle peut terroriser les ennemis et égayer les cœurs des amis7.
17 La renaissance de l’appareillage, et donc de l’exploitation de carrières de pierre dure,
est vraisemblablement à associer au contact de la République maritime de Gênes avec
les régions de la Méditerranée orientale à l’occasion des Croisades. La question de la
mobilité de la main-d’œuvre dans certaines phases historiques particulières réapparaît
donc ici en force.

2. La brique
18 Si l’on passe du cycle de production de la pierre appareillée à celui de la brique, les
problèmes de transition entre Antiquité tardive et Haut Moyen Âge se posent de façon
semblable.
19 Il est bien connu que toute étude portant sur ce matériau ne peut se passer de l'analyse
statistique des dimensions. Or, depuis les premières recherches effectuées pour le
centre historique de Gênes, entre les années 1970 et 1980, on sait que les briques venues
d’un même atelier ne sont pas identiques, mais que leurs mensurations diffèrent de
quelques millimètres, voire un centimètre. Si on met en rapport les mensurations des
briques issues d’une même production, voire d’une même unité stratigraphique, on
obtient un graphique avec la forme caractéristique "en cloche" appelée aussi « Courbe
de Gauss ». Cette courbe fait apparaître une régularité dimensionnelle autour d’une
25

moyenne représentée par le point le plus haut de la courbe appelé moda. Les deux
intervalles de valeurs qui s'écartent de la moyenne représentent des variations dites
aussi déviation standard (écart type)8. Pour des briques issues d’une même production, la
valeur de la moyenne peut être considérée comme la dimension recherchée par les
producteurs, tandis que les variations, représentées par les intervalles d’écart,
représentent des variations non intentionnelles mais accidentelles. Elles sont dues à
diverses raisons. La plus habituelle est une rétraction différentielle selon l'eau
contenue dans l’argile. Mais est importante aussi la différence de chaleur entre les
différentes parties du four, sans compter d’autres différences involontaires.
20 Si, en revanche, la mensuration des briques d’une même unité stratigraphique en vient
à dessiner une courbe bimodale, c’est que l’on est en présence de deux groupes de
briques, révélateurs de deux bâtiments différents ou de deux époques distinctes9.
21 Cette méthode, la « mensiocronologia » (c’est-à-dire la datation fondée sur l’analyse des
mesures), a été développée depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui10. Après l’année
2000, l’étude des dimensions des briques a été étendue aux édifices de l’Antiquité
tardive et du haut Moyen Âge afin de mieux connaître la pratique du réemploi11. Dans
ce domaine, les recherches les plus poussées ont été conduites sur les bâtiments
religieux paléochrétiens de Milan.
22 D’après l’analyse archéologique conduite par Laura Fieni, le baptistère San Giovanni
alle fonti remonte à la fin du IVe siècle, sûrement issu de l’activité de commanditaire
d’Ambroise12.
23 Deux briques ont été datées par thermoluminescence, l’une de 379 ± 155, l’autre de 394
± 162, tandis que l’analyse au 14C d’un morceau de charbon donne, avec 70 % de
probabilité, la date de 260 – 410. Les conclusions archéométriques convergent pour
confirmer que le bâtiment remonte à l’époque du célèbre évêque, connu comme étant à
l’origine de plusieurs autres édifices chrétiens milanais.
24 Mais, dans le grand chantier ambrosien, seule une très petite partie des briques
(environ 10 %) correspond à une production contemporaine, les autres étant en
revanche des réemplois. Positionnées sur les pilastres d'angle externes et façonnées en
forme de dièdre, les briques de production contemporaine ont les mesures des
sesquipedales romains.
25 L’étude dimensionnelle des épaisseurs menée sur les parements par Paola Greppi a
donné plusieurs informations intéressantes13. Une courbe trimodale – c'est-à-dire avec
trois pics – indique une réutilisation provenant de trois points d’origines (Fig. 3). Les
fragments de rebords de tuiles, trop minces, ont été évidemment exclus de ces
réemplois et ont uniquement été retenus des matériaux dont l’épaisseur était comprise
entre 6 et 7 cm. De même pour les mesures de longueur, il n’y a guère de dimensions
inférieures à 9-10 cm, ce qui suggère que la ressource a été relativement triée. Très
significatif est le pic des mesures comprises entre 11 et 12 cm, ce qui correspond à des
fragments de briques (sesquipedales) délibérément dégrossis pour être mises en œuvre en
arêtes de poisson (opus spicatum).
26

Fig. 3. Courbe mensiocronologique et étude dimensionnelle des épaisseurs de l’échantillon SGF1 (San
Giovanni alle Fonti 1) (d’après Greppi, Cantieri, maestranze..., Fig. 9).

26 Un autre cas de figure est représenté par les briques de l’église paléochrétienne de San
Nazzaro Maggiore à Milan pour laquelle une moindre sélection fut pratiquée14. En effet,
dans la partie haute de la courbe relative aux épaisseurs, plusieurs pics traduisent la
diversité de celles-ci. Même des fragments de tuiles ont été réemployés comme le
montre la présence de valeurs inférieures à 5 cm (Fig. 4).
27

Fig. 4. Courbe mensiocronologique et étude dimensionnelle des épaisseurs de l’échantillon SNM1 (San
Nazzaro Maggiore 1) (d’après Greppi, Cantieri, maestranze..., Fig. 26).

27 Pour sa part, l’analyse statistique des longueurs met en évidence l’absence de


sesquipedales entières (ni 30, ni 44 cm) tandis qu’apparaît un pic significatif entre 14 et
16 cm qui prouve que des sesquipedales ont été intentionnellement brisées en trois
parties.
28 Pour ce que concerne l’église romane de San Ambrogio à Milan, ce cas n’illustre pas une
réutilisation, mais, cette fois, une production de l'époque romane15 Sur le graphique
d’un ensemble de briques qui font partie de l'atrium bâti entre le XIe et le XIIe siècle, on
voit que toutes les épaisseurs sont réparties selon une courbe presque unimodale,
autour de la valeur de 6 cm. Les largeurs présentent un pic à 13-14 cm, c’est-à-dire à un
demi-pied (Fig. 5).
28

Fig. 5. Courbe mensiocronologique et étude dimensionnelle des épaisseurs de l’échantillon SA4a


(Sant’Ambrogio) (d’après Greppi, Cantieri, maestranze..., Fig. 32).

29 L’exemple roman de San Ambrogio conduit à ouvrir une parenthèse à propos de l'étude
des bâtiments médiévaux très restaurés au XIXe siècle. Lorsqu’une restauration a été
réalisée à l’identique, l'étude dimensionnelle peut aider à reconnaître les briques
originelles. C'est le cas d'un célèbre monument médiéval génois, le Palazzo San Giorgio,
bâti au milieu du XIIIe siècle afin de donner un siège stable à la commune. L'architecte
et érudit Alfredo D'Andrade l'a sauvé de la démolition et l'a restauré, mais,
conformément à la culture de l'époque qui consistait à imiter au mieux le Moyen Âge, il
fit fabriquer des briques aux dimensions médiévales, afin de les rendre
méconnaissables par rapport à celles du XIIIe siècle. Une étude dimensionnelle des
épaisseurs a établi une courbe dite en "calice inversé". Cela veut dire que les deux
productions présentent la même moyenne, mais avec deux écarts-types différents. Aux
briques médiévales correspond la courbe en cloche la plus large, c’est-à-dire qu’elles
présentent un écart assez fort par rapport à la moyenne. Les fours du XIXe siècle en
revanche avaient un meilleur tirage et une température de cuisson plus contrôlée, ce
qui a permis de produire des briques de dimensions plus homogènes avec des écarts
mineurs entre elles16.
30 Encore à propos de la production médiévale, il faut rappeler que, partie de Gênes,
l’étude des dimensions des briques s’est étendue à de nombreuses autres villes
italiennes, en Toscane, Lombardie, Piémont. Après le haut Moyen Âge, caractérisé par
une réutilisation généralisée de matériaux anciens et par l’existence de petits ateliers
produisant des matériaux neufs, une fabrication régulière a repris à partir du XIIe siècle
(ou parfois du XIIIe siècle).
31 Contrairement aux briques de l'époque romaine classique, celles du XIIe siècle ne
portent pas de marques. Surtout, leurs dimensions ne sont plus fixées sur la forme
29

carrée du sesquipedal, (avec ses variantes) mais répondent à un nouveau module


rectangulaire d’un pied (environ 30 cm) sur un demi-pied (environ 15 cm).
32 Cela pose un problème d’importance qui n’est pas facile à résoudre. Quelle est l'origine
de la nouvelle forme médiévale ? Pourquoi le module de 30 cm sur 15 cm s’affirme-t-il
presque partout, même dans des endroits très éloignés les uns des autres ? L’hypothèse
la plus vraisemblable consisterait à rechercher l’origine de la brique médiévale dans
des chantiers monastiques, bénédictins, mais surtout cisterciens.
33 À ce titre, il convient de prêter attention à l’abbaye cistercienne de Santa Maria de
Tiglieto (Gênes), la plus ancienne fondation cistercienne d’Italie17, et l’une de celles où
se rencontre la production de briques de module médiéval la plus ancienne aussi.

3. Enduits et pigments
34 Après la pierre et les briques, il faut évoquer des recherches récentes concernant une
autre sorte de matériau, soit les pigments utilisés pour les enduits peints. On procédera
à cette approche par les très célèbres édifices du haut Moyen Âge, le ‘Tempietto’ de
Santa Maria in Valle à Cividale du Frioul et l’église de Santa Maria foris portas de
Castelseprio. On se rapportera aussi aux importants résultats des analyses conduites
sur l’église San Salvatore de Brescia qui fournissent des comparaisons. Les monuments
sont dispersés dans une partie de l’Italie du Nord comprise dans le royaume lombard
entre 569 et 774, devenue partie de l’Empire carolingien après la conquête de
Charlemagne. La chronologie de ces trois édifices a longtemps varié entre la fin du
VIIIe siècle et le début du IXe siècle. D’après les nouvelles données obtenues par G.-P.
Brogiolo et son équipe, la datation de l’église de Castelseprio a été fixée dans le courant
du IXe siècle18 tandis que celle de Brescia relèverait de la deuxième moitié du
VIIIe siècle.
35 Pour le Tempietto de Cividale la fourchette se place toujours entre VIIIe et IX e siècle,
donc le problème de la chronologie demeure ouvert. La très riche décoration intérieure
se compose d’une bande supérieure en gypserie représentant un cortège de saintes et
d’une partie inférieure décorée de fresques.
36 On peut considérer par exemple un détail de la corniche en gypse à décor de rinceaux
de vigne et de boutons de fleurs incrustés de verre et, sous le tympan, la fresque avec le
Christ accosté des Archanges Michel et Gabriel. On remarquera que la couleur verte est
plutôt abondante, alors que le bleu est utilisé avec parcimonie. Nombreuses ont été les
études et les problèmes soulevés par cette œuvre, mais, en 2003, il a été possible de
disposer de moyens pour l’aborder de manière nouvelle par l’étude des matériaux
utilisés pour les couleurs19.
37 En profitant de travaux de restauration, ont été examinés 13 échantillons d’enduits, 2
rouges, 4 jaunes, 2 verts et 5 bleus. Des différentes techniques d’analyse non invasives
et non destructives ont été mises en œuvre telles la PIXE et le SEM (Fig. 6). Ont été
notamment examinés les grains de pigments. Le rouge, avec son importante teneur en
fer, est, en toute probabilité, une terre d’ocre, de même que le jaune, tandis que le vert
contient d’importants composants de Mg, Al, Si, K et Fe qui conduisent à exclure les
pigments minéraux pour suggérer, en revanche, une terre, la creta viridis, nommée
aussi prasinus, évoquée dans le De coloribus et artibus romanorum d’Héraclius au Xe siècle
et dans la Diversarum Artium Schedula du moine Théophile au XIIe siècle.
30

Fig. 6. Cividale del Friuli, Tempietto. Reproduction de la fresque de la lunette Est et indications des
échantillons de pigments (d’après Cagnana A., Roascio S., Zucchiatti A., Prati P., op. cit.).

38 Pour le bleu, en revanche, ne fut enregistré aucun élément qui permette d’envisager
une couleur d’origine minérale.
39 Le recours à la spectrométrie Raman a mis en valeur une très importante proportion de
carbone amorphe. Il s’agit donc très probablement de « faux bleu », soit un charbon
végétal, virant plus vers le gris que vers le bleu proprement dit. Enfin, formés d’oxyde
de fer, des grains rouges ont été mélangés au noir pour obtenir une sorte de violet-gris
proche du bleu.
40 Lancée dans le but d’identifier les matières des couleurs, la recherche sur les matériaux
du Tempietto a donné aussi d’autres résultats tout à fait inattendus. Déjà à
l’observation directe, mais plus encore après examen au microscope, ont été
découvertes, soit sur la surface de l’enduit, soit dans le mortier, plusieurs fibres
d’épaisseurs variées. En partie, il s’agit de matériaux végétaux consistant en paille
déchiquetée.
41 Mais ont été trouvées aussi des fibres blanches en quantité importante, d’identification
plus difficile. En superficie, mais également incorporés dans le mortier, ces filaments
blancs ont été piégés dans les cristaux de calcite. Examinés au SEM, ils montrent une
structure hélicoïdale (Fig. 7). La comparaison sur une banque de données semble
indiquer qu’il s’agit de fils de coton. Ajoutés au mélange de chaux vraisemblablement
dans le but de retarder la carbonatation, ils ne peuvent être que très difficilement
considérés comme de provenance locale. L’hypothèse la plus vraisemblable est
d’admettre une provenance de la Méditerranée orientale, éventuellement de la Syrie. Il
est possible qu’avec ce matériau se sont aussi déplacés les artisans qui savaient le
travailler.
31

Fig. 7. Cividale del Friuli, Tempietto. Incorporés dans le mortier, des filaments blancs ont été piégés
dans les cristaux de calcite (d’après Cagnana A., Roascio S., Zucchiatti A., Prati P., op. cit.).

42 On peut comparer les pigments de Cividale avec ceux des fresques de l’église de San
Salvatore di Brescia, bien datés du VIIIe siècle. Ils ont été récemment analysés en XRF
(fluorescence X). Dans ce cas aussi, les jaunes et les rouges sont obtenus à partir
d’oxydes de fer, des ocres, alors que pour le fond des visages on a peut-être employé de
la terre verte. Même ici, le fond sombre, non détectable en XRF, est vraisemblablement
composé à partir de charbon végétal. Très importante est la présence de petits
fragments de bois, en quantité non négligeable, dont l’uniformité de la taille (1-3 mm)
s’explique peut-être par un tamisage. Par contre, on n’a pas reconnu de trace de fibres
blanches comme à Cividale.
43 Si les exemples de Cividale et de Brescia sont en partie comparables, tout à fait
différente est la palette employée pour les fresques de l’extraordinaire petite église de
Santa Maria foris portas à Castelseprio, bien datée du IXe siècle.
44 Comme on le sait, le style pictural est unique. Gestes, visages, mouvements ne peuvent
être comparés qu’aux images du Psautier d’Utrecht, d’époque carolingienne. Rien de tel
n’est connu dans la peinture murale du haut Moyen Âge. Un examen de la stratigraphie
des couches a permis de reconnaître une couche d’enduit blanc, antérieure aux couches
des fresques20.
45 Au cours de l’hiver 2008, grâce à l’Institut de Physique Nucléaire de Gênes, la possibilité
a été donnée d'utiliser un appareil portable pour l'analyse en fluorescence X. Le
système de visée laser, l'alimentation électrique et le détecteur ont été montés sur un
support télescopique afin de permettre un positionnement optimal par rapport aux
surfaces murales. Il s’agit d’une analyse élémentaire en tant que révélatrice des
éléments, mais pas des composés : connecté à l’ordinateur, l’appareil restitue en temps
réel la composition chimique de la portion étudiée.
32

46 Deux surfaces d’enduits et 40 pigments ont été analysés. 15 bleus, 6 violets, 6 marrons, 1
rose, 3 jaunes, 1 rouge, 5 blancs et 1 noir ont également été examinés ainsi que 2 de la
sinopia. Une large gamme de nuances caractérise la fresque. La présence élevée
d'oxydes de fer provenant de terres a été détectée pour la plupart des jaunes et des
rouges. Les bruns et les violets doivent également leur couleur au fer, mais le
pourcentage de cuivre est également important. Dans un des échantillons de la sinopia,
a été relevée aussi la présence d'aluminium, de silicium, de potassium et de fer.
47 La richesse chromatique de la palette s’explique également par l’emploi d'autres
matériaux : certains rouges vifs, en plus de l’oxyde de fer, contiennent également des
niveaux de plomb importants, probablement dus à l'utilisation de minium, comme dans
le cas de deux colorations de visages.
48 Caractérisée par des nuances lumineuses, une teinte de bleu incorpore des quantités
importantes de cuivre, ce que pouvait faire envisager l’utilisation d’un colorant minéral
tel que l’azurite. Mais c’était très difficile se prononcer sans analyses plus poussées de
laboratoire.
49 Il faut donc remarquer les fortes limitations d’une recherche absolument non
destructive, conduite en l'absence d’échantillon pour des analyses plus poussées en
laboratoire.
50 Une autre équipe de recherche, qui a obtenu, au contraire, le permis de prendre des
échantillons d’enduit a conduit des examens de laboratoire plus poussés et a affirmé
qu’il s’agit de bleu égyptien, ou de cuprorivaïte. De surcroît on a vu que ce matériau a
été employé en abondance21.
51 L’équipe de peintres et les possibilités du chantier étaient évidemment très différentes
de celles des autres fresques. Mais, dans ce cas aussi, on peut envisager la venue d’un
atelier de la Méditerranée orientale, peut-être même de Constantinople.
52 Les cas étudiés provoquent la réflexion sur les problèmes du passage entre Antiquité
tardive et Moyen Âge. Pour l’exploitation et le travail de la pierre, pour la production
de briques et même pour la production et l’emploi des couleurs, il est suggestif par
exemple d’identifier les dernières productions de l’époque classique (mais jusqu’à
quelle époque ?) et les premiers témoignages du savoir-faire médiéval, de s’interroger
sur la perte ou l’abandon des techniques classiques d’exploitation et de travail de la
pierre, sur la disparition des grandes manufactures de briques. Il n’existe encore que
des données partielles et beaucoup de lacunes. Mais on s’étonne, dans certains cas, de
l’extraordinaire mobilité des personnes, des matériaux et des connaissances.
53 On souhaite que l'archéologie des années à venir apportera de nouvelles connaissances
sur l’histoire des matériaux, mais notamment pour mieux connaître la transition entre
l'Antiquité tardive et le Moyen Âge.
33

NOTES
1. Je remercie beaucoup monsieur le prof. Michel Fixot, pour avoir relu et corrigé ce
texte.
2. MENEGHINI R., SANTANGELI VALENZANI R., Roma nell’altomedioevo. Topografia e urbanistica
della città dal V al X secolo, Roma, 2004.
3. BESSAC J.-C., « Techniques classiques de construction et de décor architectural en
pierre de taille entre Orient et Occident (VIe-IXesiècle) : abandon ou perte ? »,
Archeologia dell’Architettura, XVIII, 2013, p. 9-23.
4. FRISA MORANDINI A., GOMEZ SERITO M., « Riconoscimento e ipotesi sulla provenienza di
elementi marmorei », in MICHELETTO E. dir., La chiesa di San Dalmazzo a Pedona, Cuneo,
1999, p. 149-153.
5. CAGNANA A., « Maestranze e opere murarie nell’ alto medioevo : tradizioni locali,
magistri itineranti, importazioni di tecniche », Archeologia Medievale, XXXV, 2008, p.
39-53.
6. QUIRÒS CASTILLO J. A., «Técnicas constructivas altomedievales en la ciudad de Pisa en la
Toscana nordoccidental », Arqueologìa de la Arquitectura, 4, 2005, p. 81-94.
7. CAGNANA A., MUSCARDO R., « “Opus Novum". Murature a bugnato del XII secolo a Genova:
caratteri tipologici significato politico, legami con l'architettura crociata », in REDI F.,
FORGIONE G. dir., Atti del VI Congresso Nazionale di archeologia medievale, L'Aquila, 12-15
settembre 2012, p. 87-92.
8. MANNONI T., Caratteri costruttivi dell’edilizia storica, Genova, 1994, p. 45-64.
9. MANNONI T., « I problemi dei laterizi altomedievali », in GELICHI S., NOVARA P. dir., I laterizi
nell’Altomedioevo Italiano, Ravenna, 2000, p. 213-221.
10. PITTALUGA D., La mensiocronologia dei mattoni. Per datare, per conoscere e per comprendere
le strutture storiche, Genova, 2009.
11. MANNONI T., « I problemi dei laterizi », op. cit., p. 213-221.
12. FIENI L., SIBILIA M., MARTINI M., RICCI R., « Il battistero di San Giovanni alle fonti di Milano.
Un caso di indagine archeometrica », Archeologia dell’Architettura, III, 1998, p. 91-108.
13. GREPPI P., Cantieri, maestranze e materiali nell'edilizia sacra a Milano dal IV al XII secolo.
Analisi di un processo di trasformazione, Firenze, 2016.
14. GREPPI P., op. cit., Fig. 26
15. GREPPI P., op. cit., Fig. 32.
16. CABONA D. dir., Palazzo San Giorgio, Genova, 1991.
17. BOZZO DUFOUR C., DAGNINO A. dir., Monasteria Nova. Storia ed architettura dei Cistercensi.
Secoli XII-XIV, Genova 1998, p. 3-79.
18. BROGIOLO G., La stratigrafia muraria, in DE MARCHI dir., Castelseprio e Torba. Sintesi delle
ricerche e aggiornamenti, SAP, Mantova, 2013, p. 221-254. Mais dans le texte on n’exclut
pas une chronologie plus ancienne, d’après un plus petit nombre d’analyses.
34

19. CAGNANA A., ROASCIO S., ZUCCHIATTI A., PRATI P., « Indagini archeometriche sui materiali
da costruzione del “tempietto” di Santa Maria in Valle di Cividale del Friuli. I parte: gli
affreschi altomedievali», Archeologia dell’Architettura, VIII, p. 69-87.
20. CAGNANA A., ROASCIO S., ZUCCHIATTI A., « Stratigrafie degli intonaci e analisi
archeometriche dei pigmenti degli affreschi altomedievali di Santa Maria di
Castelseprio (VA) », in VOLPE G., FAVIA P. dir., V Congresso Nazionale di Archeologia Medievale,
Foggia-Manfredonia, 30 settembre-3 ottobre 2009, p. 111-115. La découverte a été
ensuite acceptée par d’autres chercheures, cf. GHEROLDI V ., « I rivestimenti aniconici e i
dipinti murali dell’abside est della chiesa di S. Maria foris portas », in DE MARCHI dir.,
Castelseprio e Torba. Sintesi delle ricerche e aggiornamenti, SAP, Mantova, 2013, p. 255-292.
21. BROGIOLO G. P., GHEROLDI V., DE RUBEIS F., MITCHELL, « Nuove ricerche su sequenza,
cronologia e contesto degli affreschi di Santa Maria foris portas di Castelseprio», Hortus
artium medievalium, 20 (2014), p. 720-737.

RÉSUMÉS
Tout matériau employé dans le bâti résulte d’un cycle ou d’une chaîne de travaux à partir de la
ressource naturelle. De ces traitements est issu un produit fabriqué. Reconstituer les différentes
phases de ce cycle est une enquête passionnante pour situer une construction dans un contexte
qui n’est pas seulement chronologique, mais qui est aussi économique et social. L’étude des
matériaux produits à certaines périodes historiques est particulièrement intéressante, ainsi pour
l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge où la pénurie de sources écrites prive de renseignements
sur les moyens de production et sur la main-d’œuvre.
C’est dans cette perspective que seront d’abord traitées des questions relatives aux constructions
en pierre de taille et notamment à propos des transformations intervenues entre l’Antiquité
tardive et le Moyen Âge. Puis sera abordé le cas de la production de briques entre le IVe et le
XIIe siècle avant de finir avec deux exemples d’études de fresques et d’enduits peints dans deux
monuments du haut Moyen Âge du nord de l’Italie : le tempietto de Cividale du Frioul (dép.
Udine) et l’église de Sainte-Marie ‘foris porta’ à Castelseprio (dép. Varese).

Any material used in the building results from a cycle or a chain of work from natural resources.
From these treatments comes a manufactured product. Reconstructing the different phases of
this cycle is an exciting investigation to situate a construction in a context which is not only
chronological, but which is also economic and social. The study of the materials produced in
certain historical periods is particularly interesting, thus for Late Antiquity and the High Middle
Ages where the scarcity of written sources deprived of information on the means of production
and the workforce.
It is in this perspective that questions relating to ashlar constructions will be dealt with first, and
in particular with regard to the transformations which took place between Late Antiquity and
the Middle Ages. Then will be tackled the case of brick production between the 4th and the 12th
century before finishing with two examples of studies of frescoes and plasters painted in two
early medieval monuments in northern Italy : the tempietto of Cividale du Frioul (dep. Udine)
and the church of Sainte-Marie 'foris porta' in Castelseprio (dep. Varese).
35

INDEX
Mots-clés : matériau, chaîne de travaux, ressource, pierre de taille, briques, fresques et
d’enduits peints
Keywords : material, chain of works, resource, stonecutting, bricks, frescoes and painted plaster

AUTEUR
AURORA CAGNANA

Funzionario archeologo, Soprintendenza Archeologia, Belle Arti, Paesaggio, Architettura


(SABAP), della Liguria.
aurora.cagnana@beniculturali.it
36

« Bauforschung » Today : Current


Tendencies in Building Archaeology
in Germany
« Bauforschung » aujourd'hui : tendances actuelles de l'archéologie du
bâti en Allemagne

Ulrike Fauerbach and Andreas Putz

1 The authors of this paper were asked for to comment on current issues of building
archaeology, or « historische Bauforschung », in Germany. As the discipline is
supported broadly by many universities, academic societies, and research institutes,
and is well established in governmental institutions and as a professional private
practice, the authors decided to focus on the topical question of what role
« Bauforschung » can play in exploring the built heritage of modern architecture. This
question has dominated a large part of recent research and discussions in Germany.

1. Traditional Building Archaeology


2 Summarising how « Bauforschung » has traditionally been understood in Germany is a
necessary preamble. Its roots are generally seen in the « archäologische
Bauforschung », i.e. research on built structures that are the subject of excavation, and
that may be at least partly destroyed1. These roots correspond loosely to the terms
« archéologie du bâti » and « building archaeology », whereas « Archäologische
Bauforschung » is a subdiscipline of the more generic term « Historische
Bauforschung »2. Stressing scholarly archaeological interest in historic periods
predating the modern age, the academic discipline was characterised by a defensive
attitude to contemporary developments in architecture from its origin3. Its leading
academic society, the Koldewey-Gesellschaft, Vereinigung für baugeschichtliche Forschung
e.V., was established in 1926 as Arbeitsgemeinschaft archäologischer Architekten. Architects
like Robert Koldewey (1855-1925) or Walter Andrae (1875-1956) in the Near East,
Ludwig Borchardt (1863-1938) in Egypt, Friedrich Adler (1827-1908) in Olympia, Carl
37

Humann (1839-1896) in Pergamon, Armin von Gerkan (1884-1969) in Italy contributed


substantially to ancient and classical studies through their understanding of the
material and epistemic core of built structures and – maybe most widely noted –
through their suggestions for scientifically plausible reconstructions. It soon became
apparent how fruitful it can be to apply the method of retracing the process of design,
construction, conversion and destruction by detailed survey and drawings not only to
ruins, but to buildings that still stood upright and were still being used4. The
reconstruction of building phases also plays an important role here, but detailed
surveys became an even more indispensable foundation of building heritage
conservation. In addition to its fundamental role in providing archaeological and
historical insights, the practical application of building archaeology in building
heritage conservation further institutionalised the focus of professional practitioners
on predominantly pre-industrial objects in Germany, largely from the medieval and
early modern period5. Engaging in an investigative way with the materiality of
buildings and remains – the core of building archaeology as a discipline – appeared to
be unproductive or unnecessary in regard to the industrial era due to the abundance of
written sources from the recent past.
3 However, the preservation of modern architecture has become significantly more
relevant in recent years, both in architectural practice and academia. The Bauhaus
centennial doubtless played a key role, but the rising need to make buildings from the
post-war period more energy efficient, together with the current construction boom in
Germany, has put a lot of pressure on buildings from the second half of the 20th
century. It also became apparent that not only is our understanding of modern
architecture and construction still limited, but the basic sources of contemporary
architectural history – written and oral documentations, blueprints, models, and
sketches – are often misleading or insufficient. As demonstrated by prominent
examples6, a thorough and better understanding about how to deal with our recent past
requires the established methods and instruments of building archaeology. Suddenly,
the discipline has become engaged in a historic period which quite a few
representatives had rejected not so long ago.

2. Building Archaeology and Modern Architecture


4 The potential contribution of building archaeology in exploring the built heritage of
modern architecture thus became the subject of discussion relatively late, and
therefore all the more urgent. In 2018, the Koldewey-Gesellschaft dedicated its biennial
conference in Braunschweig to reconsidering the challenges and opportunities of its
own discipline for structures from after 1950 (Wie forschen ? Chancen und Grenzen der
Bauforschung an Gebäuden nach 1950, Braunschweig, May 9-13, 2018). Though individual
contributions had specifically referred to the topic before7, this conference marked the
first time recent building heritage was considered an adequate subject for general
discussion among building archaeologists. Many more conferences, lecture series,
projects and publications could be named.
5 The necessity to protect, to study, and to preserve outstanding and representative
examples from the last century is unanimously accepted among experts, albeit not
among the public. In 2019, the Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG), Germany’s
central self-governing research funding organization, set up a priority program to
38

research the built heritage from about 1880 to 1970 (SPP 2255 Kulturerbe Konstruktion –
Grundlagen einer ingenieurwissenschaftlich fundierten und vernetzten Denkmalpflege für das
bauliche Erbe der Hochmoderne). Since 2018 the DFG has also funded the research network
Bauforschung für jüngere Baubestände (1945+), of which one of the authors is a member.
6 What still needs to be established, however, is what the discipline of building
archaeology specifically can contribute to our understanding of the built heritage of
the recent past, beyond its support for building conservation. When looking at the
immense output from recent research on modern building heritage, « Historische
Bauforschung » appears to be an obvious part of the historiography of architecture.
Closer scrutiny reveals, however, that not all of this research is « Bauforschung » in the
traditional sense. The methods of art and architectural history and cultural studies are
often found in the oral or written publications produced by building archaeologists on
modern buildings in Germany8. But completely new methods are also being added to
the toolbox9. The aim of this paper is not to rate the applied methods, but to define
them more closely10.

3. Documentation
7 Material culture studies, which include building archaeology, are seen as the essential
counterpart to the analysis of written sources. Until the end of the 20th century the
latter were seen as sources superior to the remains themselves, and generally
trustworthy ; material remains were consulted primarily when texts were lacking.
Today we know that different sources often tell a different story, thus material remains
are considered not as auxiliary but as sources in their own right.
8 The discipline of building archaeology has generally laid great stress on precise
documentation. Surveyors have to work more accurately than the original planners
and builders to understand how the latter worked, where they erred, and how the
building was later transformed by man and nature. Since surveying tools have been
improving constantly since the 17th century, surveyors have had an advantage over
those original builders, though sometimes a rather small one, such as in the case of the
classical Greek builders. Generally, though, the surveying tools of building archaeology
correspond to the instruments used for architectural planning in the last two centuries.
This is a reason for the strong engagement of trained architects in the discipline. The
drawing board was the essential device for the conception and realization of modern
architectural design as well as the archaeologic survey and reconstruction alike.
Today’s digital surveying instruments, however, with the growing tendency of
generating point clouds, are quite detached from the current vector-based computer-
aided design tools of architectural practice, and even more so from the drawing board.
The process of measurement on site became extensively automated. The measurement,
documentation, observation, evaluation, and understanding of the object – once a
coherent process of synthetisation – became separate assignments for specialists11.
Though the measured results of a digital survey can be of unprecedented geometrical
accuracy, resulting in unprecedented quantities of data, to become useful in planning
and for historic investigation they must be translated and given structure.
9 More and more, individual investigations and results are collected in digital databases,
thereby making them available online, like the Datenbank Bauforschung/Restaurierung12
provided by the Landesdenkmalpflege Baden-Württemberg. What is still missing is an
39

online platform that uses the potential of digital work for cross-project evaluation,
which would enhance the quality of building research in transdisciplinary research
contexts. The aim of the recently launched baureka project 13, a joint undertaking by
researchers from RWTH Aachen and TU Berlin, is to develop a comprehensive digital
platform for such networking of historical building research.
10 Even though the methodological changes caused by digitalisation apply to historic
building research of all periods, their effects on modern architectural heritage are
substantial. If historic images and plans are already providing an abundance of
information, then the process of a state-of-the-art building survey of an individual
object – the results of which have to be downscaled, reorganised, and reduced in any
case – seems to be unnecessary. Some have rightly suggested that the task at hand
should concern the archive of historic documents – the preservation, digitalization and
making available of historic drawings, building plans or digital design tools and
programs14. However, the discipline of building archaeology has always been built upon
the understanding of the built environment as an archive and source of information of
its own right. The potentials of building archaeology in regard to the architectural
remains of the last century derive not from new digital opportunities but from the
specific conditions and questions about which this heritage is challenging us. The
issues, which will ultimately be illustrated through ongoing studies and research
projects, are as follows : 1) the quality of industrial production, 2) the often hidden
details of construction, 3) the phenomenon of the building as a machine, 4) the
challenge of mass and magnitude, and 5) the abundance of auxiliary sources.

4. Challenges of Recent Built Heritage


4.1. Quality of industrial production

11 One characteristic trait of modern architecture appears to be its rational and industrial
production: repetitive constructive processes with an expanding rate of serial pre-
fabrication, standardisation, and employment of machine-work instead of
craftsmanship. However, building archaeology has been developed to retrace
craftsmanship, which more often than not happened entirely on the construction site.
The mason’s chisel marks on marble masonry relate the entire life story of each block,
and sometimes flakes and even discarded or lost tools have been found on site.
Industrialised building production, in contrast, has to be assessed in recognition of the
machines, protocols, and processes involved and therefore of dispersed processes.
12 What is the precise quality of this process at an individual site at a particular time ? As
the examples of interwar modern architecture reveal, not everything that looks
industrial and rationalist is actually machine-made and reproducible15. Contrary to
common understanding, traditional craftsmanship had its purposes in the production
of the modern heritage, though the ways and means changed. Challenged by a not quite
industrial heritage, one of the tasks of building archaeology is to reach a more
differentiated understanding of the profound transformations of the building sector
during the last century by disclosing the traces of individuality of human involvement.
This can be achieved by the discipline’s traditional tools in collaboration with historical
methods.
40

4.2. The hidden details of construction

13 Approaching the historic building as a primary source allows us to expand our


knowledge of material history and construction history. The basis of this approach is to
retrace construction processes – the way building materials were amassed and used on
site as well as how they were altered and how they aged. The methods of a building
survey were developed to specifically document accessible structures such as timber
roofs, where an on-site analysis with a few simple tools allows us to make an assembly
drawing of each joint. In modern architecture, however, structural elements and
details of construction are often hidden beneath cladding or refined smooth surfaces.
14 Fair-faced reinforced concrete, the hallmark of building production at the middle of
last century, is a case in point. Detecting the position and current state of metal
reinforcement requires instruments and methods – electromagnetic induction, pulse
velocity tests, rebound hammer tests, etc. – seldom used in an archaeological building
survey. The same goes for the material composition and concrete carbonation, which
usually will require chemical analysis. It is clear that building archaeology again
becomes an interdisciplinary project in such cases, a combination of the expert
knowledge and methods of structural engineering, materials science, conservation-
restoration, and so on. But with a focus on construction processes, methods based on
traditional ways of surveying can also add a new perspective.

4.3. The building as a machine

15 However, the ruptures of modernity also challenge our core understanding of


buildings. Just as the modern built environment comprises traffic and service
infrastructures, the modern house comprises modern building services and
installations. In the architectural legacy of the past century, traditional boundaries
between structure, envelope, design and technical installations tend to blur. Building
services, installations and technical facilities form a primary characteristic of modern
architecture. Not only has the house become a « machine for living in », to borrow Le
Corbusier’s term, but the purpose of architecture, aligned with developments in
building physics and climatization, has become the production of a « well-tempered
environment », as Reyner Banham put it16. Some high-tech buildings from the second
part of last century consist of nothing but services. The phenomenon of buildings as
machines also appears in our industrial heritage. Industrial buildings, often located on
the fringes of historic city centres, are prone to be transformed into interchangeable
shells for new uses after they are cleared of the technical facilities for which they were
built. Their documentation and research is of the greatest urgency, as installations
within them are usually the first elements to be exchanged and altered. Already, a great
number of exceptional modern buildings work with air ventilation and heating systems
that are completely different from those initially designed, the historic appliances and
indoor climate condition never to be understood. Especially in light of current demands
for energy efficiency, a better understanding of this part of our building history will be
of future significance. (fig. 1)
41

Fig. 1. Overhead radiation heating under a suspended ceiling in the Bauschule (Faculty of Architecture),
OTH Regensburg, early 1950s. The system was produced by Stramax ; the company was taken over in
1973 and its archive is lost. During a student project, the opening was made in order to study the
system, which was disconnected long ago, and to assess its potential function in a new climate-
control concept for the building (Students Philipp Eichhorn & Sarah Thiel, supervised by Joachim
Wienbreyer. Photo Philipp Eichhorn, OTH 2018).

16 While this paradigm shift has long been established in architectural history and theory,
building archaeology of the recent past has yet to develop the means to verify it on site.
The more traditional approaches of building archaeology focus on structural elements
and designed surfaces, rather than the complexity of pipes, air and water movements,
filters, ventilators, diffusers, switches, lights, and other installations – and the specific
atmospheres they create or accommodate. Building archaeology is well equipped to call
attention to and document these facilities, to understand how they are interwoven with
the building as well as how they were used and altered over time. But interdisciplinary
cooperation with building physicists, service engineers, historians of technology, and
contemporary witnesses will be necessary to accommodate these characteristics in
future surveys.

4.4. The challenge of mass and magnitude

17 Another issue at stake in recent building heritage is the challenge of mass and
magnitude – in other words, the task of selection. Just as in building heritage
conservation, building archaeology is confronted with the vast size, inaccessibility, and
speed of mutability of modern architecture. Accordingly, Uta Hassler postulates, the
future research questions of building archaeology will be concerned with the building
stock as a whole, to assess the dynamics of changes and transformations of the built
environment as a « cultural archive »17. The modelling of spatial and temporal
transformations of the building stock – to make up the balance of the « survivors » and
42

the losses – should, in her view, be brought together with the transmission,
reconstruction, and historical understanding of building knowledge. Databases
obviously come into play here, but we will need to rethink building surveys, even at the
scale of individual buildings, which are – still – not only preserved in a high number but
also often huge in size.

4.5. The abundance of auxiliary sources

18 Last but not least, building archaeology of the recent past is confronted with
inconsistent and contradictory sources and levels of verification. Typically, the
quantity of available archival information – drawings, images, and texts – is much
greater for younger than for older buildings. Prior to the early modern period,
architectural drawings were rarely made at all, but from the Renaissance onwards
plans, sections, etc., became indispensable tools in the building trade18. Industrial
fabrication did not diminish the number of drawings that were considered necessary
on a building site, but rather increased it.
19 It is common practice among building archaeologists to consult written sources as
auxiliary ones, useful only after the archaeologist has become familiar with the main
source, the building itself, by measuring and documenting it. Thus we withstand the
temptation of putting too much trust in the written word, even if the building is telling
another story. In cases where an almost complete archive is at hand, however, another
procedure must be developed. The necessary selection process should take into account
any information the archive can provide. What is already well documented by archived
plans and only needs to be verified or falsified ? Which technical installations have
been altered and can point the researcher to the building’s original inner life ? Where
do interesting constructions hide ?

5. Current Projects
20 The following studies show ways how these five challenges can be approached. Besides
some references to colleagues, we take the opportunity to introduce current projects of
graduates and post-graduates, each representing one or more of the above-mentioned
issues.
21 The retracing of construction processes of modern buildings and their original
disposition is a research trajectory followed by several scholars, who combine
comprehensive on-site documentation and surveys with thorough archival research.
For example, Meltem Çavdar, a junior scholar at the Technische Universität München
(TUM),19 is applying 3D photogrammetry, 3D laser scanning, and structured light
scanning to measure and represent the imprints of timber formwork on board-marked
exposed concrete surfaces, including their slight inaccuracies. Her project reveals the
reasons for the differences in concrete surface quality from the middle of last century,
such as material, construction methods, different skill levels of workers, and
production processes of formworking (figs. 2-3). The analysis and assessment of the
construction methods of timber formwork – often used in complex structures that no
longer exist but which have left traces for us to study – will provide new insights about
the historic development of timber construction and carpentry. In Germany, the first
major reference guide for timber formwork construction for reinforced concrete arose
43

from this trade. In 1926, the master carpenter Fritz Kreß, author of technical textbooks
and founder of a vocational school for carpentry in Tübingen-Lustnau, dedicated a long
chapter to formwork in the first edition of his seminal publication on carpentry, which
was reprinted in several editions well after the middle of last century20. A first manual
for concrete builders (Lehrgang für Betonbauer) was published in 1930 in the form of
worksheets, and in 1938 Carl Kupfer, a civil engineer, published Der Betonbauer21, the
first comprehensive technical textbook on concrete construction. Çavdar’s extensive
study shows that all these textbooks on concrete construction focus primarily on
formwork, relying on older publications about carpentry. In the post-war period,
questions of timber formwork construction continued to appear in vocational
publications for concrete builders until prefabricated panel systems gradually replaced
board formwork in the 1970s.

Fig. 2. The third atelier of sculptor Herrmann Rosa in Munich, which he built in fair-faced concrete
between 1960 and 1968 (Photo Meltem Çavdar, TUM 2020).
44

Fig. 3. A reconstruction of the formwork for one of the outer walls of the atelier (Student work by
Nazanin Ghaem Maghami, supervised by Meltem Çavdar, TUM 2020).

22 Daniel Buggert, currently teaching at the University of Cologne, is concentrating on the


iconic church of St. Engelbert in Cologne-Riehl, built in 1932 according to a design by
the German ecclesiastical architect Dominikus Böhm. The church’s eight parabolic
vaulted caps rise above a circular ground plan and join to form a star dome. The
vaulted double-curved concrete shells form the interior and exterior of the church at
the same time. Buggert’s project provides a structural analysis of these concrete shells,
a historical construction innovation at the time the church was built. He also examines
the church’s below-ground level, which was never executed according to plan, and it
was transformed to a bunker soon after completion. Buggert’s research will make the
spatial links between the individual areas understandable, which will enable an
analysis of the building's functionality as a community center22.
23 Overcoming common prejudices and premature assumptions through the means of a
detailed study of material remains is evident in the recent study by Christian Kayser,
who is based in Munich, of the remains of the former main rally grounds of the
national-socialist regime in Nuremberg, used between 1933 and 1938 and developed
according to a design by Albert Speer and Walter Brugmann. The buildings that remain
are prototypes of Nazi architecture, allegedly designed to last a millennium. However,
as the survey by Kayser and his team exposes in clear detail, the grandstands were just
simple timber constructions clad in natural stone23. What looks like traditional
architecture on a monumental scale was produced through industrial means, with an
eye to cost efficiency and thus prefabrication.
24 Morgane Müller and Sibel Erhan, two master’s students at the OTH Regensburg, are
currently examining the Regensburger Stadtlagerhaus, a specialized warehouse for the
storage of grain. It was built between 1910 and 1911 as a state-of-the-art, multi-storey
45

concrete construction in the then new Luitpoldhafen on the Danube. In 1935 and 1939,
two vertical concrete tower silos were added at the quoins24. The original technical
equipment was so well designed that much of it was used until 2018, when the building
was closed as a warehouse, and is therefore declared part of the historical monument
(fig. 4). Due to the city of Regensburg’s plans to transform the storeys of the central
building into workspace for creative industries, the study focuses on this older part,
which measures roughly 60 by 25 meters. Building archaeology in this case works as an
analytic interface between architectural and technical history : neither the building
nor the equipment can be understood without the other.

Fig. 4. One of six corn lofts in the Regensburger Stadtlagerhaus (1910-1911), with their original
conductor pipes. Their openings penetrate the floors and can still be closed and opened manually
(Photo Ulrike Fauerbach).

25 Like in most cases, the building was never erected precisely as planned, as a thorough
inspection of the site and the archives revealed. What is more, the building has been
altered over time according to use and technical innovation ; for example, a vertical
silo has been transformed into a dust collector unit. Therefore, the original plans can
only be seen as one historical source among others, not an adequate document of the
current situation. Obviously, an all-encompassing building survey at a scale of 1:20
would be inefficient ; choices had to be made about what to document and in what level
of detail. The building will be measured by computer-aided survey along a vertical
segment that is repeated throughout the building, a repetitiveness typical of industrial
architecture. This exemplifying survey can then be copied, vetted and thus completed.
26 If a building can be likened to a human body, then its technical equipment may be
equated to its organs, and special methods of study apply to different functions. The
flow and storage of grain can be documented abstractly, to account for movement
through the different levels and sections of the warehouse until the grain left the
building. For the elements of equipment that penetrate the fabric of the building,
however, a traditional building survey is an efficient method for accessing their
functionality25. In other cases, radiography may be more appropriate. Individual pieces
of equipment, such as weighing machines, conveyors, etc., need the expertise of
technical historians.
27 Uncovering the empirical know-how of the builders of modern architecture is at the
centre of another research project at TUM, which will for the first time provide an
overview of the projects of the renowned façade construction company Josef Gartner.
Founded as a metal workshop in 1868 in the small town of Gundelfingen an der Donau
in Bavaria, in 1939 the company constructed the monumental aluminium doorways for
the atelier of the Nazi sculptor Josef Thorak near Munich according a design by Albert
Speer. In the economic boom of the post-war years, building upon its expertise in
46

aluminium, the family-owned business grew into a leading specialist for curtain wall
façades on an international scale. Façades by Gartner cover a huge number of
engineering and architectural icons of the second part of last century, such as the SAS
Hotel in Copenhagen, the Lloyd’s Building in London, the Hypo Tower in Munich and
the Bank of China Tower in Hong Kong, as well as the current company headquarters of
Apple and Uber. The company’s success was due in large part to their engineering
expertise, constant technological improvements, logistical and assembly know-how,
and well-established personal connections to leading architects.
28 For recent building heritage conservation, a better understanding of these historic
façades and their construction is of utmost importance for ongoing renovation and
repair work. Also, the large number of objects clad by Gartner, about 1,300 between
1955 and 1985 in Germany alone, necessitates a comprehensive review and valuation of
the objects worthy of preservation. Rouven Grom, a researcher at TUM, is currently
working on a geo-referenced online finding aid for the façades. The inventory will for
the first time provide an overview of the historic development and proliferation of
curtain wall façades on a broad empirical basis. So far, the inventory is mostly based on
archival sources, in stark contrast to most inventories of modern buildings. Usually,
these are based on contemporary periodicals and literature, perpetuating past self-
assessments in doing so. Though it would be challenging to survey at least one of the
high-rises in the course of the project, this can hardly be achieved. Instead, the project
concentrates on small, specific construction details on site which allow for a
comparative analysis of different but related specimen, as well as for an evaluation of
significant steps within the production and assembly processes (fig. 5). Just as in
Çavdar’s project, the epistemological object of building archaeology is not the singular
structure, but the variety of similar cases.
47

Fig. 5. The differences between on-site findings and specifications provided in contemporary
periodicals and publications, as exemplified by the prototypical curtain-walled administration buildings
of Deckel Maschinenfabrik in Munich of 1962, by architect Walter Henn and façade by Josef Gartner
(Grom, TUM 2019).

29 Another form of inventory with strong links to building archaeology in Germany can be
seen in several attempts to establish archives of modern building materials, approaches
which often develop at the institutes for building heritage conservation but with ties to
research as well. The Bauforschungsarchiv at the Bauhaus Dessau Foundation, for
example, provides for the ongoing substitution of original contemporary material in
the conservation and repair of the UNESCO world heritage site26.
30 In their master’s thesis at the OTH Regensburg, Ludwig Kögl and Tobias Neufeld
investigated the Uhren- und Reglerhaus of Regensburg’s former municipal gasworks,
built in 191027. The building housed gas meters, pressure regulators and other
mechanisms through which the gas had to pass before it was stored, but none of those
mechanisms have been preserved. This investigation focused on the ferroconcrete
construction of the gasworks, particularly the truss, which is slender for its early age
and shows signs of static fatigue. Electromagnetic induction, a non-destructive test
procedure, revealed that the number and position of the reinforcement bars and
stirrups did not always correspond to the reinforcement drawing, probably owing to
unforeseen circumstances during the building process. It seems that the design of the
ferroconcrete construction in question was inspired by the principles of timber
construction. In some junctions the engineer planned more rebar than the concrete
volume allowed for. The project thus demonstrates how the preservation of the
planning documents does not supersede a detailed survey and that archival studies and
building archaeology complement each other.
48

6. Conclusion
31 Building archaeology has gained new fields of activity. Research on 20th-century
architecture has brought the discipline into closer contact with its interdisciplinary
network and opened up new fields of cooperation. What is more, an unexpected
association has become apparent. Only in our field is the term « Bauforschung » limited
to historic studies in the sense of building archaeology. From the beginning of the 20th
century, the generic term « Bauforschung » denoted something quite different :
research into buildings and construction projects by civil engineers, with a focus on
rationalization, industrialization, efficiency and modernization. With the new interest
in our recent built heritage, we are inspired to integrate the methods and instruments
of engineering science in our historical research, bringing together
« Ingenieurwissenschaftliche Bauforschung » and « Historische Bauforschung ».
32 However, this transformation does not question the temporal perspective of building
archaeology. The more we engage in the material remains of the recent past, the more
we begin to comprehend it as singular and historically significant. Building archaeology
is also undergoing a development comparable to that of our neighbouring discipline,
field archaeology, which is relying less on actual excavation and is discovering, by the
use of archaeometry, new layers of materiality instead. The available tools reach
deeper and farther, revealing a multitude of layers – not only of materiality, but of
planning, production, and learning.

NOTES
1. SCHMIDT H., « Bauaufnahme. Die Entwicklung der Methoden im 19. Jahrhundert », in F.
WENZEL éd., Erhalten historisch bedeutsamer Bauwerke. Baugefüge, Konstruktionen, Werkstoffe
(SFB 315, Universität Karlsruhe TH), Jahrbuch 1986, p. 23-69.
2. The term itself is usually attributed to A. V. GERKAN « Die gegenwärtige Lage der
archäologischen Bauforschung in Deutschland », Zentralblatt der Bauverwaltung, 44 (29
Oktober 1924), p. 375-sqq., republished in A. V. GERKAN, Von antiker Architektur und
Topographie, Stuttgart, 1959, p. 9-13.
3. GRUBEN G., « Klassische Bauforschung », in BORBEIN A. H., ZANKER P. éd., Klassische
Archäologie. Eine Einführung, Berlin, 2000, p. 251-279 - http://www.koldewey-
gesellschaft.de/fileadmin/user_upload/gg.pdf, last retrieved Aug. 2020.
4. B USEN T., KNECHTEL M., KNOBLING C., NAGEL E., SCHULLER M., TODT B., Bauaufnahme,
München, 2016, p. 9-11.
5. CRAMER J., Handbuch der Bauaufnahme. 2nd ed., Stuttgart, 1993. PETZET M., MADER
G. T.,Praktische Denkmalpflege, Stuttgart-Berlin-Köln, 1995.
49

6. e.g. MARKGRAF M. éd., Archäologie der Moderne. Sanierung Bauhaus Dessau, Berlin, 2006.
HUSE N. éd., Mendelsohn. Der Einsteinturm. Die Geschichte einer Instandsetzung, Stuttgart-
Zürich, 2000.
7. SCHWARTING A., Die Siedlung Dessau-Törten. Rationalität als ästhetisches Programm,
Dresden, 2010.
8. SPIEGEL D., Urlaubs(t)räume des Sozialismus. Zur Geschichte der Ferienarchitektur in der DDR,
Berlin, 2020.
9. HERBOTE A., KNUFINKE U., « Das Stufenhochhaus in Wolfsburg (P. Baumgarten, 1967).
Methodische Fragen an ein Objekt vor seinem Verlust », in VON KIENLIN A., QUATEMBER U,
KURAPKAT D., MOHN C. éd., Bericht über die 50. Tagung für Ausgrabungswissenschaft und
Bauforschung vom 9. bis 13. Mai 2018 in Braunschweig, Dresden, 2018. Cf. also the
contribution of O. GISBERTZ and HOYER to this conference.
10. Cf. for additional perspectives on this topic MOHN C., « Bauforschung : Quellen über
den Bau », online : https://denkmalpraxismoderne.de/bauforschung-quellen-ueber-
den-bau/; last retrieved Aug. 2020.
11. BRUSCHKE A. éd., Bauaufnahme in der Denkmalpflege, Stuttgart, 2005.
12. https://www.bauforschung-bw.de/, last retrieved Aug. 2020.
13. https://baureka.online/, last retrieved Aug. 2020.
14. LANGENBERG S., « Zur Erhaltung des nicht Haltbaren », in FRANZ B., SCHEUERMANN I. éd.,
Das Digitale und die Denkmalpflege, Jahrestagung 2016, Arbeitskreise Theorie und Lehre
der Denkmalpflege, Weimar, 2017, p. 48-55.
15. For modern inter-war architectural surfaces, cf. H AMMER I., « Modern Movement
Materiality. Remarks to Meaning and Methods of Preservation », in CROÉ A., RUIJTERS J .
éd., Preservation of Monuments and Culture of Remembrance - Using the Example of Ludwig
Mies van der Rohe, Heerlen, 2016, p. 43-58.
16. BANHAM R., The Architecture of the Well-tempered Environment, London, 1969.
17. H ASSLER U., « Zur polytechnischen Tradition der Bauforschung », in HASSLER U. éd.,
Bauforschung. Zur Rekonstruktion des Wissens, Zürich, 2019, p. 81-122.
18. RENN J., OSTHUES W., SCHLIMME H. éd., Wissensgeschichte der Architektur, 3 vol., Berlin,
2014.
19. She is a graduate from the Ostbayerische Technische Hochschule Regensburg (OTH
Regensburg) and currently a doctoral researcher at the Technische Universität
München (TUM), supported by a select graduate fellowship of the Wüstenrot Stiftung.
20. KRESS F., Das Buch der Zimmerleute. Ein Handbuch für alle in der Ausbildung befindlichen
und vorangeschrittene Zimmerleute und Techniker, Lustnau-Tübingen, 1926.
21. KUPFER C., Der Betonbauer, 4 vol., Berlin, 1938.
22. BUGGERT D., HELMENSTEIN C., « St. Engelbert in Köln-Riehl - Form und Funktion »,
INSITU, 9/2 (2017), p. 283-296.
23. KAYSER C., KIFINGER P., « Hinter der Kulisse - Zur Baugeschichte des « Zeppelinfelds »
auf dem Reichsparteitaggelände in Nürnberg », INSITU, 9/1 (2017), p. 115-134.
24. EMMINGER A., COTTIER Y., CRESPO C., HARUTYUNYAN E. éd., IACOBUS+/2018, Regensburg, 2019.
50

25. Compare, for example, the survey in GISBERTZ O., HOYER S., « Über das alte und das
neue Bauen - Zum Werk für Industrie und Wissenschaft von Walter Henn », INSITU, 2
(2016), p. 269-282.
26. M ARKGRAF M., « Welterbestätte Weimar-Datenbank historischer Bauelemente », in
World Heritage Sites of the 20th Century - Gaps and Risks from a European Point of View
(Beiträge zur Denkmalpflege in Berlin 30 und ICOMOS - Hefte des deutschen
Nationalkomittees XLVI), Berlin, 2008.
27. KÖGL L., NEUFELD T., Das Uhren- und Reglerhaus des ehemaligen städtischen Gaswerks in
Regensburg, Regensburg, 2019 (unpublished master‘s thesis).

ABSTRACTS
After a short overview on the institutional situation and current tendencies in German building
archaeology, this paper will focus on the recent discussion about how Bauforschung can tackle
Germany's modern built heritage. Buildings from the 20th century, which in their majority step
away from craftsmanship towards a more industrialized building process, demand different
research approaches than the building heritage from the 19th century and before. What has
Bauforschung to offer in this field ? Are we knowledge-wise and technically enough equipped for
this task ? Should we, on the contrary, leave the 20th century to other disciplines like
architectural history ? How can we gear up with yet again new tools and methods in order to add
valuable insights in a built heritage that is about to vanish quicker than perhaps any other before
? And, finally, which didactic challenges are we facing when teaching the Bauforschung of 20th-
century-buildings ? These questions will be discussed on the basis of selected projects on local
industrial and public buildings from the 1910s to the 1980s.

Après un bref aperçu de la situation institutionnelle et des tendances actuelles de l'archéologie


du bâtiment, cet article se concentre sur la récente discussion concernant la manière dont la
Bauforschung peut aborder le patrimoine bâti moderne de l'Allemagne. Les bâtiments du
XXe siècle, qui dans leur majorité s'éloignent de l'artisanat pour s'orienter vers un processus de
construction plus industrialisé, exigent des approches de recherche différentes de celles
du patrimoine bâti du XIXe siècle et d'avant. Que peut offrir la Bauforschung dans ce domaine ?
Sommes-nous suffisamment équipés en termes de connaissances et de technique pour cette
tâche ? Devrions-nous, au contraire, laisser le XXe siècle à d'autres disciplines comme l'histoire
de l'architecture ? Comment pouvons-nous nous équiper de nouveaux outils et de nouvelles
méthodes afin d'ajouter des connaissances précieuses à un patrimoine bâti qui est sur le point de
disparaître plus rapidement que tout autre patrimoine auparavant ? Et, enfin, quels sont les défis
didactiques auxquels nous sommes confrontés lorsque nous enseignons la Bauforschung des
bâtiments du XXe siècle ? Ces questions seront examinées sur la base de projets sélectionnés
concernant des bâtiments industriels et publics locaux des années 1910 à 1980.
51

INDEX
Mots-clés: patrimoine bâti moderne, XXe siècle, méthodologie de l'archéologie du bâti,
bâtiments industriels, Allemagne, histoire matérielle du bâti
Keywords: modern architectural heritage, 20th century, methodology of building archaeology,
industrial architecture, Germany, construction history

AUTHORS
ULRIKE FAUERBACH

Professeur d'Histoire de l'Architecture, Technische Universität Braunschweig, Allemagne


u.fauerbach@tu-braunschweig.de

ANDREAS PUTZ

Professeur, Technical University of Munich, School of Enginering and Design, Professorship of


Recent Building Heritage Conservation (Munich, Allemagne)
putz@tum.de
52

Plaidoyer pour le partenariat entre


historiens de l’art et archéologues
du bâti. Autour de la sculpture et de
la modénature
Plea for a partnership between Building Archaeology and Art History.
About sculpture and carved stones.

Christian Gensbeitel

1. Histoire de l’art et archéologie du bâti : sororité,


cousinage ou voisinage encombrant ?
1 Comment pouvons-nous appréhender aujourd’hui les rapports entre historiens de l’art
et archéologues du bâti ? Certes, aucun divorce n’a jamais été officiellement prononcé,
mais la question de la légitimité des uns et des autres est restée longtemps dans l’air,
avec parfois un parfum de méfiance, entre incrédulité, indifférence et hostilité.
Comment consolider des points de convergence forcément évidents entre deux
disciplines issues d’une même souche mais qui, pour des raisons multiples, ont été
entraînées par leurs dynamiques – ou leurs forces d’inertie – internes et par les effets
de certains enjeux institutionnels – au sein des universités notamment – à un
éloignement qui semble être en voie de se réduire. C’est autour de la sculpture
monumentale et de la prise en compte d’un fait matériel inscrit au cœur de la notion si
peu mesurable de « style », qu’il paraît opportun d’aborder ces questions. Les éléments
sculptés du monument relèvent, à tort ou à raison, des attributions traditionnellement
concédées aux historiens de l’art, mais ils peuvent aussi représenter un fardeau face
aux archéologues affranchis des considérations esthétiques jugées parfois
contreproductives. Mais il n’est sans doute pas inutile, auparavant, de jeter un regard
rétrospectif sur nos parcours respectifs et entremêlés.
53

2 S’il est un domaine dans lequel l’archéologie du bâti a, depuis ses débuts, permis des
avancées substantielles, c’est bien celui de la compréhension des édifices religieux du
haut Moyen Âge et de l’époque romane. L’historien de l’art s’intéressant à ces périodes
ne peut que reconnaître sa dette à l’égard de ceux qui portent sur le monument un
regard aussi minutieux avec des outils métrologiques et des méthodes
d’enregistrement qu’il ne maîtrise qu’imparfaitement ou qu’il ignore délibérément,
bien que cela soit de moins en moins vrai. Bien entendu, nous savons aussi que nos
objectifs et nos cadres d’intervention, la temporalité de nos activités, les moyens
inégaux dont sont parfois dotées nos équipes de recherche, nous conduisent
nécessairement à des approches différentes. L’archéologue est souvent amené à
conduire des études localisées sur un édifice ou un site, dans un contexte qui peut être
celui du chantier de restauration ou de l’étude d’archéologie préventive, lorsque
l’architecture est en quelque sorte mise à nu, et ce avec des moyens et des technologies
forcément adaptées à ces circonstances, qui ne cessent de s’affiner et d’être renforcés
par les progrès des méthodes de datation. Il part d’une vision aussi objective que
possible du monument lui-même pour y déceler des séquences chronologiques relatives
sans préjuger de leur chronologie absolue, qui se construit dans un deuxième temps.
L’historien de l’art, formé dans une tradition de l’exercice solitaire, seulement armé de
son regard et de son érudition, plongé dans les textes et dans les livres autant que dans
la contemplation de l’œuvre étudiée, est généralement cantonné à une approche qui
peut paraître superficielle et exclusivement intuitive. Son socle épistémologique s’est
constitué à partir des références issues des sources textuelles, privilégiant la
comparaison immédiate entre des évènements qu’elles nous révèlent et les formes
matérielles qui semblent en découler ou s’y rattacher. Son approche traditionnelle vise
à faire coïncider la morphologie des monuments avec une trame historique qui dessine
un schéma typo-chronologique, celui-ci étant considéré comme opératoire même en
l’absence de sources écrites.
3 Si ces distinctions forcent volontairement le trait, elles étaient encore vérifiables il y a
quelques années au sein des universités et des laboratoires de recherche, sans parler
des opérateurs d’archéologie préventive, même si, bien entendu, nombreuses sont les
personnes ouvertes sur les deux horizons. Ces différences, qui s’estompent aujourd’hui
du point de vue de la connaissance des outils ou des méthodes, étaient surtout
culturelles, épistémologiques et institutionnelles. Le développement de l’archéologie
préventive a suscité la formation prioritaire de techniciens opérationnels, pris ensuite
dans l’urgence de la succession des chantiers et des rapports, les éloignant forcément
du temps de l’érudition universitaire. Mais que l’on soit sur le terrain ou dans les
bibliothèques nos approches ont en commun la nécessité de développer une
interprétation des données, quelles qu’elles soient, et de s’appuyer sur la matérialité
des œuvres, tout en visant in fine à en dégager le sens dans le contexte de la société qui
les a produites.
4 L’écart qui a pu se creuser dans les années 1960-1980 entre historiens de l’art et
archéologues résultait aussi de l’élan militant d’émancipation de l’archéologie, qui a pu
susciter dans certains esprits le besoin de se démarquer franchement d’une approche
« traditionnelle » des monuments, jugée approximative et fondée sur des critères de
classifications stylistiques et chronologiques teintés de subjectivité esthétisante et
donc, par nature « moins scientifiques »1. Une archéologie de papier, en somme,
54

dépourvue de rigueur et manquant de données fiables, ainsi que le laissait entendre


Jean Hubert en 1955 :
Un des buts importants de l’archéologie est de dater. Pour l’archéologue, un
monument n’a sa vraie valeur que si l’on peut lui assigner une juste place dans la
suite des styles et des techniques. Obéissant à d’autres préoccupations, l’esthéticien
(sic !) fixe surtout la date d’une production d’après le rang qu’elle lui semble devoir
occuper dans l’évolution générale des formes. Cette attitude de l’esprit conduit à
négliger les accidents de l’histoire. Elle conduit aussi à croire qu’à une même
époque l’art progresse ou décline en tous lieux selon des courbes invariables2.
5 Au sein de la corporation des historiens de l’art, cela a entraîné un net raidissement des
postures face à cette concurrence des archéologues sur leur propre terrain. Le regard
porté sur cette archéologie très technique, qui semblait vouloir la déposséder d’un de
ses objets d’étude et diluer le monument dans une vision diachronique, était au mieux
indifférent, au pire méprisant. Cette méfiance vis-à-vis des archéologues s’est exprimée
à l’occasion des premières grandes opérations préalables à des travaux de restauration
dans les années 1980. On se souvient notamment de la polémique engagée par l’article
de Bertrand Jestaz dans le Bulletin Monumental, illustrée entre autres par le « cas Saint-
Laurent de Grenoble », qui a suscité une réponse ferme de la part des acteurs
concernés3.
6 Objectivement, même si les phrases de Jean Hubert relèvent d’un paradoxe auquel nous
sommes encore confrontés – elles sont proférées depuis le principal sanctuaire de
l’archéologie médiévale traditionnelle, par le successeur de Marcel Aubert, gardien du
temple s’il en était –, on ne peut nier qu’elles reposent sur un constat non dénué de
pertinence. Son caractère provocateur visait à introduire dans l’étude des monuments
un double mouvement de prise en compte plus attentive des données de l’archéologie
sédimentaire et de leur caractère objectif et d’une analyse plus scrupuleuse et plus
distanciée du monument, débarrassée de tout a priori stylistique. Elles doivent aussi
être situées dans un contexte de mutation, depuis la fin du XIXe siècle, des disciplines
de l’enseignement supérieur, qui a vu l’étude des monuments intégrée au champ plus
vaste de l’histoire de l’art, avec son corollaire à la fois iconographique et esthétique qui
pouvait l’éloigner des problématiques proprement archéologiques en l’assimilant
davantage à une étude des images4. On était, au moment où fut prononcé ce cours
introductif, à un tournant, celui de la véritable naissance d’une archéologie médiévale
en France. L’année 1955 fut d’ailleurs une année cruciale, avec la création à Caen du
CRHAM par Michel de Boüard. Le malentendu entre disciplines, auquel s’ajoutait un vif
débat autour des partis pris de restauration des monuments historiques, a duré le
temps d’une génération, même si certains auteurs ressassaient encore il y a une
vingtaine d’années certaines aigreurs, jusqu’à dissoudre tout argument dans des
anathèmes qui n’ont plus grand-chose à voir avec un débat scientifique5.
7 En somme, qu’il passe par la diatribe ou par des silences éloquents, chacun reprochait à
l’autre d’être ce qu’il est et, bien entendu, dans une telle querelle des anciens et des
modernes, la nouveauté l’emporte souvent, surtout quand elle est capable de fournir les
preuves de son efficacité. Dont acte.
8 Nous pouvons désormais considérer ces postures quelque peu caricaturales de méfiance
réciproque avec un certain recul. Il est clair qu’en dépit des résistances liées à l’inertie
de la tradition, les historiens de l’art médiévistes des générations récentes qui étudient
les monuments religieux, militaires ou civils ont su se rapprocher des archéologues – et
pas seulement des archéologues, mais aussi des historiens, avec lesquels les rapports ne
55

furent pas toujours sereins, ou des archéomètres6 – et réciproquement, sans même


parler des personnalités porteuses d’une double compétence d’archéologue du bâti et
d’historien de l’art7. Ce qui n’est pas le cas de l’auteur de ces lignes, « simple » historien
de l’art assumé mais convaincu de l’intérêt de nos approches respectives, qui préfère
revendiquer et prôner comme modèle l’ouverture, le dialogue interdisciplinaire et la
compréhension réciproque des enjeux et des méthodes plutôt qu’une hypothétique
fusion des compétences ou une concurrence absurde. La situation a donc évolué
favorablement au cours des dernières décennies et les relations entre nos disciplines se
sont apaisées et enrichies, comme en témoignaient les initiatives communes visant à
l’harmonisation des méthodes au début de ce siècle8. Les actes de la table-ronde de 2001
à Saint-Romain-en-Gal constituent un jalon important dans ce processus, tout comme
ceux, parus en 2010, du colloque de Vincennes de 2006, en forme de bilan de 30 ans
d’archéologie médiévale en France9. L’archéologie du bâti, en ce qu’elle prend en
compte l’analyse des élévations, a véritablement constitué une passerelle comme le
soulignait déjà Nicolas Reveyron en 200210. Nous pouvons peut-être envisager ou
retrouver l’idée que nous appartenons bien à un même champ disciplinaire, comme le
révèle la position même de Jean Hubert, portant ce regard distancié sur sa propre
hérédité en tant que représentant de l’institution qui avait littéralement inventé la
science des études monumentales médiévales fondées sur une approche philologique.
9 L’archéologie du bâti et son approche complexe et fine du monument, souvent menée
en équipe11, nous a appris que si nous voulions faire progresser la connaissance sur les
périodes et les objets qui nous préoccupent, cela se ferait d’abord collectivement et en
rassemblant nos différentes approches, que nous soyons historiens, archéologues,
historiens de l’art ou archéomètres. Le développement de ces outils et méthodes de
lecture du bâti ouvre la voie à une nouvelle herméneutique scientifique du
monument12. Connaissance des matériaux et des techniques, élaboration d’une
chronologie fine prenant en compte tous les accidents matériels, recherche historique
et approche critique de la documentation, compréhension de l’acte de création et de
son contexte social, études comparatives des formes doivent pouvoir être menées
conjointement et les résultats débattus collectivement pour saisir au plus près les
enjeux de ces objets complexes et éviter les décalages épistémologiques. Nous pouvons
raisonnablement penser, sans céder à un excès de naïveté, que c’est là un modèle
vertueux qui est en train de se dessiner.
10 Ce détour par l’évocation de confrontations polémiques dans le contexte de
l’émergence de l’archéologie médiévale n’a pas la prétention de constituer un bilan que
d’autres ont pu faire bien mieux13. Sa seule ambition est de servir de préambule à une
brève réflexion sur nos racines communes, celles de l’étude des monuments et de leur
décor, qui portait, il y a encore un siècle, le nom d’« archéologie monumentale », avant
d’aborder un questionnement particulier sur la sculpture et la modénature, qui se situe,
justement, à la croisée de nos différents regards, à l’heure où il redevient possible de
combiner nos approches sans crainte d’empiéter sur nos champs respectifs.

2. Un héritage commun : observer, enregistrer,


comparer
11 Dans les articles qui dressent des bilans de l’archéologie médiévale au fur et à mesure
de son développement, les pères de l’étude monumentale ne sont jamais oubliés, qu’ils
56

soient issus des institutions académiques telles que l’École des Chartes, l’École du
Louvre ou les universités, ou qu’ils appartiennent au monde de l’érudition et des
sociétés savantes. Arcisse de Caumont, Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, Jules
Quicherat, Robert de Lasteyrie, Camille Enlart, entre autres, figurent régulièrement en
tête de tous les rappels historiques relatifs à nos disciplines, même s’il s’agit, en
fonction du point de vue des auteurs, de les critiquer ou de nuancer leur apport14. Cette
filiation commune est déjà, en soi, un lien qui unit les historiens de l’art et les
archéologues du bâti, filiation qui, vue de l’étranger, semble d’ailleurs correspondre à
une sorte de spécificité française15.
12 La dernière partie du présent article concerne justement un aspect qui se situe à la fois
au cœur de nos gènes communs et pourtant quelque peu en lisière des démarches
communes qui se sont développées depuis quelques décennies. Il s’agit des relations
entre les éléments porteurs de décor ou en tout cas d’une formulation complexe qui ne
relève plus de la nécessité structurelle ni de l’appareil courant. Nos pères fondateurs
n’ont eux-mêmes jamais négligé ces éléments que sont, au-delà de la disposition
générale du bâtiment, des structures, des matériaux et des accidents de la construction,
les multiples détails de la modénature, du décor sculpté, du traitement particulier de
certains organes architecturaux tels que portails, fenêtres, corniches, bandeaux ou
arcatures. Arcisse de Caumont publiait dans ses ouvrages des tableaux représentant
minutieusement certains détails architecturaux qu’il considérait comme
caractéristiques des différents styles16, dans une perspective typo-chronologique qui est
justement le talon d’Achille de sa méthode. Cette vision typologiste, empruntée aux
sciences de la nature et aux sciences du langage, fut renforcée, malgré les apparences,
par Jules Quicherat, qui redéfinit la notion d’art roman en déplaçant les critères vers les
questions de structure, mais en restant fidèle à l’idée de dépasser l’apparente disparité
d’un ensemble encore impossible à appréhender dans toute son ampleur et de créer un
ordre susceptible de rendre intelligible cette matière si dense. Le triomphe du
positivisme a consacré cette méthode de classification fondée sur des regroupements
formels balisés par quelques rares repères chronologiques fournis par les sources
textuelles. L’héritage naturaliste entraînait une mise à plat des différents organes des
monuments indépendamment les uns des autres, à la manière d’une dissection et
l’établissement de véritables tableaux comparatifs aux visées soit chronologiques, soit
typologiques, qui s’enfermaient en outre dans des définitions, certes fluctuantes, mais
toujours terriblement sclérosantes, d’hypothétiques « écoles régionales » (Fig. 1 et 2).
L’ornière méthodologique conduisit parfois à de véritables constats d’impuissance, se
traduisant par des répertoires de formes, constitués en catalogues, dont la mise en
perspective finissait en général par servir de faire-valoir aux modèles spéculatifs qui les
précédaient17.
57

Fig. 1. Planche extraite de l’Abécédaire ou rudiments d’archéologie médiévale, d’Arcisse de Caumont


(1850). Motifs d’arcs romans.

Fig. 2. Planche extraite de l’Abécédaire… d’Arcisse de Caumont (1850). Chapiteaux romans.

13 Néanmoins, malgré ces carcans méthodologiques, reconnaissons à nos ancêtres


communs un souci constant de la construction d’outils d’observation aussi efficaces que
possible, même si, dans beaucoup de cas, ils n’étaient entendus que comme des
58

illustrations ou des « représentations » avant de se voir attribuer une utilité dans


l’analyse elle-même. On ne peut reprocher à ces pionniers ou aux générations plus
établies d’avoir négligé la nécessité de comprendre au plus près la morphologie, la
structure et les indices de phases constructives des édifices (Fig. 3). Jean-Auguste
Brutails, l’auteur du premier manuel méthodologique d’archéologie médiévale en
190018, insistait sur le fait que l’archéologue ou historien de l’art médiéviste devait
associer les qualités de l’historien et celles de l’architecte, qui était alors considéré,
dans le sillage des travaux de Viollet-le-Duc, comme le mieux outillé pour comprendre
la réalité matérielle des monuments. Des dessins, tantôt sommaires, tantôt minutieux,
teintés d’esthétisme romantique ou de naïveté graphique, jusqu’à l’emploi
systématique de la photographie, en passant par les relevés et dessins techniques des
architectes restaurateurs et des ingénieurs, la genèse des moyens d’observation et
d’enregistrement est finalement fondée sur ce qui nous rassemble tous : l’apprentissage
du regard et de l’analyse visuelle assortis de codes plus ou moins élaborés de
représentation des dimensions, des échelles, des proportions. Aussi, cet héritage
commun pourrait nous aider à construire des outils qui répondent à l’ensemble de nos
besoins. La question de la sculpture est en effet cruciale, surtout pour les périodes où
elle est encore peu abondante et qu’elle échappe à des classifications normatives, et
d’une manière plus large, à l’époque romane, où les textes sont encore rares pour
éclairer les monuments et les repères chronologiques instables.

Fig. 3. Planche extraite de l’Abécédaire… d’Arcisse de Caumont (1850). Façade de l’église de Vieux-
Pont-en-Auge (Calvados).
59

3. L’étude de la sculpture : un matériau entre technique


et image
14 Donc, que faire aujourd’hui, dans la perspective d’une approche globale et idéalement
pluridisciplinaire des monuments, des éléments sculptés qui accompagnent
l’architecture religieuse, pour nous en tenir à cette catégorie ? Jadis exclusivement
cantonnés à un rôle de marqueurs stylistiques et souvent étudiés indépendamment de
l’architecture, ils ont mené à des contresens et des datations sinon toujours fautives, du
moins très approximatives, fluctuantes et instables. Une fois qu’il est entendu qu’elles
ne sauraient en aucun cas être prises en compte isolément, que faire ? Faut-il
soigneusement les éviter ou pouvons-nous affronter ensemble, dans une approche
scientifique renouvelée, la question des comparaisons formelles sans tomber dans les
ornières méthodologiques évoquées plus haut ? Et surtout, quel est le problème,
finalement, à proposer des hypothèses de datation à partir de ces éléments ? Car c’est
bien là un des principaux points d’achoppement, ne nous voilons pas la face. C’est bien
cela qui est reproché, plus ou moins implicitement, aux historiens de l’art. Ceux-ci
doivent-ils cesser toute tentative d’inscrire les œuvres dans le temps de l’histoire en
attendant que l’archéologie ou l’archéométrie apportent une réponse définitive à
toutes les questions en suspens ? Et les archéologues doivent-ils détourner
pudiquement le regard devant ces éléments pourtant omniprésents ou simplement les
réduire à une sorte d’objectivation factice ? Pourtant, nous savons qu’ils sont porteurs
de sens dans les espaces que nous étudions et qu’ils nous disent des choses sur ceux qui
les ont façonnés, sur ceux qui les ont commandités et sur les fonctions autres
qu’architectoniques ou « ornementales » – un autre concept qui est fort heureusement
réinterrogé aujourd’hui19 – qu’on leur assignait.
15 Revenons d’abord sur la question des propositions hypothétiques, de leur dérive et du
bon usage qu’il conviendrait d’en faire. Que des générations d’historiens de l’art aient
échafaudé des chronologies à partir, notamment, de critères stylistiques plus ou moins
subjectifs, eux-mêmes subordonnés à de grands systèmes téléologiques dont les
fondements s’avèrent aujourd’hui fragiles, voire totalement obsolètes, on ne peut que
l’admettre, tout en étant conscient que chaque génération affine les connaissances
construites par les précédentes. Que certains débats aient été alimentés par des
préjugés dont les savants n’avaient pas même conscience ou qui étaient tellement
partagés qu’ils en devenaient transparents, que des considérations d’ordre politique,
moral ou culturel, voire, plus prosaïquement, des querelles de personnes ou
d’institutions aient pollué l’indispensable rationalisme critique du discours
scientifique, même à son corps défendant, cela est aujourd’hui une certitude. Qu’une
proposition affirmée sans nuances puisse devenir un axiome véhiculé sur plusieurs
générations d’imprécisions en approximations se nourrissant mutuellement, nous le
savons. Ces constats doivent surtout nous conduire à retrouver un peu d’humilité, à
écarter les comportements grégaires et l’esprit de chapelles et surtout à bannir ce fléau
qu’est l’argument d’autorité, pierre angulaire de ces systèmes interprétatifs qui nous
ont été transmis et que nous avons souvent reproduits par manque d’esprit critique.
Gardons-nous aussi de tous ces jugements expéditifs dont notre milieu a le secret et ne
rejetons pas sous prétexte d’une filiation théorique supposée les qualités et les acquis
des travaux de chaque chercheur.
60

16 Les comparaisons formelles et leur rôle dans la construction d’hypothèses


chronologiques ont certes leurs écueils, mais ceux-ci peuvent être identifiés et évités
par le recours à une historiographie critique et réflexive qui s’apparente à ce que Pierre
Bourdieu réclamait pour les sciences sociales et au-delà, pour l’ensemble du champ
scientifique20. Cette approche critique, l’histoire de l’art française n’a pas manqué de
« francs-tireurs » pour l’entreprendre depuis plus d’un demi-siècle et il n’est pas inutile
de rappeler ici combien, pour ne retenir que l’exemple de la sculpture, les choses ont
évolué depuis une soixantaine d’années. Les débuts de cette mutation peuvent être
situés dans la démarche marginale de Pierre Francastel, qui a su, avec un matériel
conceptuel qui est lui-même aujourd’hui dépassé, démontrer l’absurdité du concept
d’« écoles régionales » de l’art roman, véhiculé depuis le milieu du XIXe siècle par les
élites de l’histoire de l’art en France21. Jean Hubert prit lui-même part à cette prise de
conscience du vieillissement des bases conceptuelles de l’archéologie médiévale au sein
même du « premier cercle », comme nous l’avons vu. La question des « origines », celles
en particulier de la sculpture romane du XIIe siècle et de la primauté de certains foyers
artistiques, qui était au cœur des débats de l’Entre-deux-guerres sur fond de
nationalisme, a été progressivement reléguée au second plan, sans s’éteindre
immédiatement22. Dans les années 1960-1970 furent entrepris des inventaires élargis
permettant de constituer de vrais corpus et d’envisager le travail scientifique sur des
bases plus rigoureuses23. Cela allait conduire, en définitive, à remettre en cause les
trames évolutionnistes héritées de l’école chartiste et de la vision formaliste poussée à
son paroxysme par Focillon24. C’est à travers la généralisation des grandes enquêtes
régionales, certes encore largement tributaires de la vision formaliste traditionnelle,
parfois articulées autour de monographies fondamentales comme celle d’Éliane
Vergnolle consacrée à Saint-Benoît-sur-Loire25, que notre connaissance et notre
compréhension de la sculpture romane se sont considérablement améliorées et par là
même, notre capacité à affiner la chronologie des œuvres et des foyers artistiques. Tout
observateur un tant soit peu averti, quelle que soit sa position vis-à-vis d’une certaine
orthodoxie de la discipline en France, ne peut nier que nous sommes bien loin
aujourd’hui, en matière de clarté des cadres de la chronologie stylistique des XIe-XIIe
siècles, de la situation à laquelle étaient confrontés les médiévistes du début du
XXe siècle, quand Robert de Lasteyrie écrivait :
Nous connaissons en gros la marche de l'art à cette époque, nous savons à peu près
classer les édifices ; mais, quand on veut en serrer la chronologie d'un peu près,
quand on veut fournir des preuves positives à l'appui des dates communément
admises, on s'aperçoit que ces preuves font plus ou moins défaut, que les
archéologues les plus autorisés se contentent de répéter sans contrôle les dates
proposées par leurs devanciers d'une façon hypothétique à l'origine, puis avec plus
d'assurance, et finalement avec une certitude imperturbable qui en a imposé à tout
le monde.26
17 Cette situation n’a évolué que progressivement, d’autant plus que les schémas qu’elle
induisait furent entérinés et reproduits à grande échelle par la popularisation
grandissante du goût pour les monuments médiévaux et la diffusion de manuels de
vulgarisation scellant pour longtemps le primat de l’architecture et le caractère
« supplétif » de la sculpture d’une part, les chronologies approximatives qui s’y
rattachaient d’autre part27. En outre, il est vrai que la tradition « formaliste » française
ne fut qu’à peine touchée par les propositions théoriques susceptibles de renouveler ces
concepts, notamment de la part des auteurs étrangers, parmi lesquels on ne fera
qu’évoquer ici les travaux d’Erwin Panofsky ou de Meyer Shapiro, dont l’impact fut
61

tardif et limité28. Au-delà des questions formelles, ces auteurs ont renouvelé les débats
sur l’iconographie, dont Emile Mâle était un des pionniers en France, et dont se sont
emparés, à la suite de Jacques Le Goff, des historiens et des historiens de l’art s’ouvrant
aux sciences sociales et à l’approche anthropologique des images, en particulier au sein
de l’EHESS29. Enfin, les questions méthodologiques liées à la datation de la sculpture
médiévale ont également fait l’objet d’une réflexion critique bienvenue de la part de
Jean Wirth, nous exhortant à ne pas nous abandonner au confort de schémas
chronologiques préétablis et à les interroger à chaque fois que nécessaire30.
18 Les processus de déconstruction, très rapidement évoqués ici, dont ont fait l’objet les
méthodes de l’histoire de l’art, ont d’ailleurs créé de nouvelles lignes de fracture au
sein de la discipline, ouvrant vers une « indiscipline » qui interdit désormais d’y voir un
champ de recherche à bout de souffle, à défaut d’être fondé sur une doctrine unique31.
Quelques travaux de ces vingt dernières années, comme le bel ouvrage que Quitterie et
Daniel Cazes ont consacré à Saint-Sernin de Toulouse, témoignent de cette possibilité
de combiner le regard de l’historien de l’art et l’approche archéologique du monument
et nous montrent la voie à suivre32. On lira avec profit le compte rendu qu’Éliane
Vergnolle a fait de cet ouvrage pour se rappeler que la question de la datation de ces
grands monuments est d’abord une affaire de discussion, d’échanges contradictoires
qui motivent de nouveaux questionnements, et d’une nécessaire capacité d’ajustement
progressif particulièrement riche au sein des sciences humaines, bien loin d’une
certaine culture du « résultat » que l’on essaye d’imposer à la science actuellement. On
peut se réjouir aussi que le Bulletin Monumental et les volumes des Congrès Archéologiques
portés par la Société Française d’Archéologie, considérée à tort ou à raison comme le
bastion d’une « archéologie monumentale » étroitement comparatiste, dogmatique et
sclérosée33, aient su s’ouvrir au cours des dernières décennies à l’archéologie et aux
études du bâti par des contributions qui résultent de travaux pluridisciplinaires ou
d’études archéologiques du bâti, faisant mentir ainsi ses détracteurs34.
19 En somme, ces mutations de la discipline nous conduisent à une plus grande prudence
et si nous prenons toujours soin, à l’avenir, d’évaluer le degré d’objectivité et de
pertinence de nos propositions, surtout sous le regard des disciplines voisines,
pourquoi devrions-nous nous priver de la possibilité d’expérimenter, de proposer, de
faire « essai », pour emprunter une voie que ne néglige pas la philosophie des sciences
aujourd’hui35 ? L’empirisme, la « mise à l’essai », doit pouvoir rester un registre admis
de nos démarches scientifiques et nous devons nous garder de tout scientisme excessif
et de tout dogmatisme, quel qu’en soit le fondement. Au demeurant, l’archéologie du
bâti ne peut, pas plus que l’histoire de l’art dans son acception la plus large, se
présenter comme une science exacte36. La pertinence d’un outil et d’une méthode qui
affine nos capacités d’observation et d’enregistrement, même couplée à l’efficacité
croissante des méthodes de datation, ne bouleverse pas les fondements de notre maison
commune, qui reposent toujours sur des faisceaux d’interprétation et sur la
construction d’un récit historique alimenté également par les sources textuelles, qui, si
elles ne constituent plus la seule référence, ne peuvent en aucun cas être négligées.
20 N’oublions pas non plus qu’à l’heure actuelle, hormis la dendrochronologie, qui permet
d’approcher au plus près la date probable d’une construction, à condition de trouver
des bois encore en place, aucune méthode de datation des matériaux ne permet de
situer de façon absolument exacte la chronologie du monument37. Sauf exceptions, dans
beaucoup de cas, les fourchettes de dates que peuvent fournir les méthodes de
62

l’archéométrie sont plus larges que le taux d’incertitude raisonnable auquel peut être
soumise une date approximative de construction d’un édifice roman ou de réalisation
de son décor sculpté38. Or, la sculpture et la modénature demeurent des éléments
distinctifs qui peuvent, combinés avec d’autres critères – sources écrites, datations
archéométriques, croisement avec d’autres observations sur le bâti, données de
l’archéologie sédimentaire – servir à la construction de l’interprétation finale à
condition d’être traitées avec la même rigueur critique et le même degré de valeur
relative, comme le montrait déjà Christian Sapin en 199939.

4. Concilier l’étude de la sculpture et des


modénatures avec l’étude du bâti
21 Les spécialistes de la période gothique ont établi depuis longtemps des critères typo-
chronologiques solides à partir de multiples éléments de détail de l’architecture, les
modénatures d’une manière générale, les profils de moulures, de bases ou de nervures
en particulier, ou encore le dessin et les tracés des réseaux, sans même parler de la
sculpture et des motifs ornementaux. L’abondance des sources écrites, le phénomène
de standardisation et de diffusion rapide de certains modèles à travers les dessins
d’architecture et les carnets de modèles dans les derniers siècles du Moyen Âge ont
sans doute facilité cette prise en compte quasi naturelle de données abondantes sans
que personne n’en conteste la légitimité. Cette démarche n’est évidemment pas ignorée
des spécialistes des périodes antérieures, comme je l’ai rappelé, mais elle n’a jamais été
pleinement exploitée dans un contexte implicitement considéré comme plus pauvre en
modénature ou en sculpture, surtout avant l’an mil. De fait, il est admis que les
procédés de production étaient alors plus empiriques et moins déterminés par la
standardisation qui commencerait à s’affirmer à partir du XIIe siècle.
22 Certains monuments parmi ceux qu’il m’est donné de fréquenter dans l’espace aquitain,
peuvent illustrer ce dilemme. Que dire de ces deux impostes au décor sommaire – des
successions de moulures horizontales pour l’une, des stries formant des zigzags pour
l’autre – de part et d’autre de l’arc triomphal de la petite église de Saint-Léger-de-
Blanzac, en Charente ? (Fig. 4 et 5) Quelles relations peut-on établir entre ces deux
blocs, seuls à être dotés de modénatures et le reste d’un édifice par ailleurs très sobre ?
Quel rôle leur assigner dans l’économie générale d’une construction au sein de laquelle
ils pourraient aussi bien être des réemplois ? Comment les aborder en regard de
l’unique fenêtre de l’abside, aujourd’hui murée, qui répond à une formule fréquente
aux Xe et XI e siècles avec son linteau monolithe40 ? (Fig. 6) Mais bien au-delà, comment
trouver des perspectives d’utilisation de ce modeste corpus de formes en dehors de son
contexte particulier, surtout lorsqu’on sait que cet édifice ne fera guère l’objet d’une
étude archéologique avant longtemps, puisqu’il vient d’être récemment restauré ?
Faut-il s’abstenir de les prendre en considération ? Les oublier en attendant qu’une
étude fine puisse être menée sur l’édifice ?
63

Fig. 4. Église de Saint-Léger-de-Blanzac (Charente). Imposte de l’arc triomphal (© C. Gensbeitel).

Fig. 5. Église de Saint-Léger-de-Blanzac (Charente). Imposte de l’arc triomphal (© C. Gensbeitel).


64

Fig. 6. Église de Saint-Léger-de-Blanzac (Charente). Chevet et fenêtre occultée (© C. Gensbeitel).

23 Les mêmes questions pourraient se poser dans le cas de l’église de Poullignac, elle aussi
restaurée sans aucune prescription archéologique, où nous nous retrouvons face à deux
impostes comparables mais loin d’être semblables. Ici, les motifs d’entrelacs, souvent
attribués un peu rapidement à une tradition carolingienne, sont accompagnés de
palmettes que l’historien de l’art qualifierait volontiers, par facilité de langage, de
« romanes », mais cela ne suffira évidemment pas à nous fournir la clé de
compréhension de cet édifice complexe dans sa simplicité (Fig. 7 et 8). Que dire,
également, de ces chapiteaux, vestiges d’une arcature intérieure, dans la travée de
chœur d’un autre édifice, l’église de Saint-Trojan, près de Cognac, dont la datation
demeure incertaine41 ? (Fig. 9 et 10) Sont-ils contemporains de la nef et de ses fenêtres ?
(Fig. 11) Faut-il les associer à la corniche qui couronne l’élévation extérieure de la
travée plus étroite à laquelle ils appartiennent ? Puis-je admettre que cette corniche
s’apparente, par le traitement très espacé des billettes, à celle d’un autre édifice, l’église
de Rancogne, qui est par ailleurs dépourvue de sculpture ? Cette dernière intuition, ce
rapprochement dans l’esprit sinon à la lettre, sont-ils scientifiquement légitimes ou
suis-je déjà en train de glisser vers des égarements non scientifiques, entraîné par ma
modeste érudition locale dans ce domaine ? Et même si des réponses sans équivoques
étaient apportées aux questions précédentes par l’analyse des maçonneries et des
mortiers, quel usage ferions-nous ensuite de ces données si nous ne pouvions pas les
mettre en comparaison ?
65

Fig. 7. Église Saint-Martin de Poullignac (Charente). Imposte de l’arc triomphal (© C. Gensbeitel).

Fig. 8. Église Saint-Martin de Poullignac (Charente). Imposte de l’arc triomphal (© C. Gensbeitel).


66

Fig. 9. Église Saint-Trojan (Boutiers-Saint-Trojan, Charente). Chapiteau intérieur (© C. Gensbeitel).

Fig. 10. Église Saint-Trojan (Boutiers-Saint-Trojan, Charente). Chapiteau intérieur (© C. Gensbeitel).


67

Fig. 11. Église Saint-Trojan (Boutiers-Saint-Trojan, Charente). Nef et travée droite, côté nord (© C.
Gensbeitel).

24 Ces questions me semblent illustrer la tension qui peut exister entre, d’un côté, la
nécessité d’une lecture méthodique et objective du monument, reposant sur
l’enregistrement systématique et normalisé des données et l’établissement de mesures
métrologiques diverses pouvant déboucher, notamment, sur une chronologie objective,
et de l’autre, la prise en compte d’objets singuliers, voire erratiques, qui participent du
monument, mais qui sont aussi, en tant que tels, des témoins d’une volonté esthétique,
symbolique et/ou ornementale particulière, leur permettant d’être mis en perspective
avec d’autres œuvres similaires, mais nous entraînant vers le danger d’une
classification formelle forcément instable, en partie intuitive et donc contradictoire
avec l’établissement de faits objectifs. Je les qualifierais volontiers de faits culturels, et
nous savons qu’ils ne peuvent être négligés dans la recherche de la meilleure
compréhension de ces œuvres humaines, malgré les dangers qu’il y a à les utiliser
comme des critères absolus. Nous sommes bien face au nécessaire compromis entre une
démarche qui établit des « faits » considérés comme objectifs et une approche plus
sinueuse, qui doit, sur la base de la maîtrise d’une érudition et d’un tri visuel,
appréhender des formes complexes chargées de significations multiples en tant que
motifs ornementaux, voire d’images. La recherche de ce compromis n’est pas une
nouveauté. Les travaux de Léon Pressouyre, un autre acteur représentant de cette
« indiscipline » évoquée plus haut, en lisière de l’archéologie et de l’histoire de l’art,
peuvent s’apparenter à une telle démarche42. On peut y associer aussi l’œuvre de Carol
Heitz, prolongée par les recherches de François Heber-Suffrin, qui éclairent les
monuments de l’époque carolingienne et préromane chers à Jean Hubert et les œuvres
sculptées qui s’y déploient43. La belle exposition de Poitiers et le colloque qui en a
découlé, dédiés aux stucs du haut Moyen Âge, forment un autre jalon de cette « histoire
de l’art archéologique » vers laquelle nous devons tendre pour le Moyen Âge central44.
Dans cet esprit de conciliation des méthodes et des approches, l’initiative de Jean
Cabanot visant à normaliser à travers un outil informatique et statistique l’approche du
motif d’acanthe pour mieux en appréhender la multiplicité des formules sur le temps
68

long et des espaces historiques très larges s’est certes soldée par un échec relatif, sans
doute due à sa précocité45. De fait, la difficulté est grande de réduire ces œuvres
innombrables, pourtant définies comme des éléments d’accompagnement de
l’architecture, à un ensemble de formules permettant un enregistrement systématique
et non hiérarchisé en vue de recherches croisées.
25 La question est toutefois toujours d’actualité : peut-on concilier les méthodes de
l’analyse stratigraphique avec le comparatisme formel et stylistique – pour s’en tenir à
cette vision réductrice de l’histoire de l’art – dans l’étude des périodes hautes,
préromane et romane, sans même parler d’approches plus diachroniques ? Le risque
existe en tout cas, qu’en l’absence d’autres indices déterminants ces éléments, même
ténus, soient utilisés in fine sans les précautions nécessaires et qu’ils entraînent à l’issue
de démarches par ailleurs très rigoureuses, des biais dans l’étape ultime
d’interprétation et n’entraînent ainsi des raisonnements circulaires, notamment en
matière de datation. Ce point de convergence de l’archéologie du bâti et de l’histoire de
l’art traditionnelle n’a peut-être pas encore été suffisamment discuté sur le plan
méthodologique. La prise en compte de ces éléments doit évoluer vers le recours à des
outils d’enregistrement plus performants que la simple photographie pour la sculpture,
et la constitution de corpus aussi exhaustifs que possible, intégrant des données non
seulement formelles mais aussi métrologiques et contextuelles, malgré la difficulté
d’une production non standardisée. C’est un des objectifs d’un groupe de travail
réunissant actuellement historiens de l’art, conservateurs de musées et archéologues
autour de la sculpture du haut Moyen Âge, dans le prolongement de l’ANR CARE portée
par Christian Sapin et Pascale Chevalier46. Je pense donc qu’à l’image de cette initiative
nous devrions envisager l’élaboration, dans le contexte de l’art roman, beaucoup moins
balisé que celui de l’art gothique mais beaucoup plus riche que celui du haut Moyen
Âge, de méthodes d’enregistrement systématique et de comparaisons largement
partagées et discutées au sein de la communauté scientifique, avec pour objectif final
une vision synthétique suffisamment crédible pour qu’elle puisse servir de référence
dans les phases d’interprétation.
26 Pour consolider, amender ou renouveler des repères chronologiques sûrs dans une
production romane au sein de laquelle subsistent d’importantes zones d’ombre, il n’est
pas inutile d’appliquer à l’étude des monuments et de leur décor sculpté cette
démarche, même s’ils bénéficient déjà d’un ancrage chronologique établi par les
sources textuelles. C’est ce que nous essayons de réaliser actuellement dans le cadre
d’un programme collectif de recherche pluridisciplinaire que nous menons, en lien
avec le SRA et la CRMH, autour de l’église Saint-Eutrope de Saintes (Charente-
Maritime). Ce monument prestigieux, dont les dates des parties romanes conservées
sont relativement bien éclairées par les textes, constitue un cas particulièrement
intéressant pour affiner nos connaissances de l’architecture et de la sculpture au
tournant des XIe et XII e siècles en Saintonge47. Grâce au contexte favorable que nous
fournissent la phase d’étude préalable et prochainement le chantier de restauration, est
développée une étude du bâti, associée à une approche aussi méthodique que possible
de l’ensemble des éléments sculptés et de la modénature. Pour cela, l’objectif est d’aller
plus loin que les études traditionnelles qui se sont concentrées généralement sur les
œuvres les plus remarquables. Cela passe par un inventaire exhaustif non hiérarchisé
qualitativement, chaque bloc étant clairement localisé sur le monument et ses
caractéristiques enregistrées dans une base de données (Fig. 12). La démarche s’appuie
69

sur la mise en œuvre de techniques d’observation fines, depuis le relevé manuel jusqu’à
l’utilisation de l’orthophotographie et de la photographie à infrarouge permettant de
déceler reprises et restaurations48. L’objectif est d’intégrer l’étude de la sculpture à celle
de l’ensemble du bâti, en considérant chaque bloc en tant que composante de la
construction, avec ses problèmes de tracé, d’exécution, d’assemblage et de pose, mais
sans négliger pour autant les aspects stylistiques, ni le rôle des motifs sculptés dans
l’économie générale du décor de l’édifice. De même, la démarche de SIG appliquée au
décor sculpté et mise en œuvre par Estelle Chargé dans le cadre de sa thèse illustre-t-
elle de manière positive nos modestes tentatives de construction d’un nouvel horizon
collaboratif entre archéologie du bâti et approche stylistique et iconographique que
j’appelle de mes vœux49.

Fig. 12. Église Saint-Eutrope de Saintes (Charente-Maritime). Détail de la chapelle sud du chevet (© C.
Gensbeitel).

27 Il ne s’agit là que d’expériences, de tâtonnements, mais que nous essayons de mener au


sein d’équipes pluridisciplinaires, en y associant collègues et étudiants en archéologie,
en histoire, en archéométrie et en histoire de l’art. Volontarisme naïf ou voie d’avenir ?
C’est l’ensemble de la communauté qui pourra en décider.

NOTES
1. Pourtant, lorsque sont évoqués les freins à cette émancipation, c’est surtout de
l’histoire qu’il est question, puisque c’est de l’histoire et non de l’histoire de l’art que
sont issus les représentants de la première génération de l’archéologie médiévale ; voir
par exemple J. BURNOUF, « Discours introductif », in PARRON-KONTIS I., REVEYRON N. éd.,
70

Archéologie du bâti. Pour une harmonisation des méthodes, Actes de la table ronde de Saint-
Romain-en-Gal, 10-11 novembre 2001, Paris, Errance, 2005, p. 9-12, en particulier p. 11.
2. HUBERT J., « Leçon d’ouverture du cours d’archéologie du Moyen Âge à l’École des
Chartes » (8 novembre 1955), Bibliothèque de l’École des Chartes, 113, 1955, p. 171-184, ici
p. 177.
3. JESTAZ B., « Archéologie et architecture », Bulletin Monumental, 143-1, 1985, p. 7-10 ;
COLARDELLE R., COLARDELLE M., TAUPIN J.-L., « Archéologie et architecture. Réponse à M.
Bertrand Jestaz », Bulletin Monumental, 144-4, 1986, p. 329-335
4. HUYS V., VERNANT D., Histoire de l’art. Théories, méthodes, outils, Paris, 2014 ; THERRIEN L.,
L’histoire de l’art en France. Genèse d’une discipline universitaire, Paris, 1998.
5. GUERREAU A., L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge pour le XXIe siècle ?
Paris, 2001, p. 135 et p. 144-145. Ces anathèmes – qui ne viennent d’ailleurs pas d’un
archéologue – touchent évidemment les historiens de l’art (entre autres) à travers un
petit bijou de mauvaise foi réductrice, d’autant plus regrettable qu’il vient ternir un
ensemble de réflexions, parfois menées à la baïonnette, mais qui ne manquent ni de
pertinence ni d’actualité encore vingt ans plus tard.
6. Étant moi-même historien de l’art intégré depuis quinze ans à un laboratoire
d’archéométrie, ces croisements disciplinaires me sont familiers, alors que je n’y avais
absolument pas été préparé.
7. Nicolas Reveyron, Andreas Hartmann-Virnich ou Quitterie Cazes, entre autres, au
sein du monde universitaire.
8. PARRON-KONTIS I., REVEYRON N. éd., Archéologie du bâti… », op. cit.
9. CHAPELOT J. dir., Trente ans d’archéologie médiévale en France. Un bilan pour un avenir,
Actes du IXe Congrès de la société d’archéologie médiévale à Vincennes, 2006, Caen,
Éditions du CRAHM, 2010. Il est intéressant de noter que si l’archéologie, en tant que
discipline, se donne des temps de réflexion collective sur ses théories et méthodes,
l’histoire de l’art médiéval manque cruellement de telles initiatives.
10. REVEYRON N., « L'apport de l'archéologie du bâti dans la monographie
d'architecture », La monographie d’architecture, In Situ, 2/2OO2. URL : https://
journals.openedition.org/insitu/1200.
11. Que l’on prenne ici comme exemple le travail de longue haleine mené autour de
l’abbaye de Saint-Gilles par Andreas Hartmann-Virnich et Heike Hansen ou l’étude
consacrée pendant sept ans à la cathédrale d’Auxerre par une équipe pluridisciplinaire
regroupée autour de Christian Sapin et du CEM.
12. BOTO-VARELA G., HARTMANN-VIRNICH A., NUSSBAUMER N., REVEYRON N., TALLON A.,
« Archéologie du bâti : du mètre au laser », débat dans Perspectives, 2-2012, p. 329-346.
URL : https://journals.openedition.org/perspective/249.
13. HUBERT J., « L’archéologie médiévale », in SARAMAN C. éd., L’histoire et ses méthodes,
Paris, 1961, p. 275-328 ; DE BOÜARD M., « Où en est l’archéologie médiévale ? », Revue
historique, t. CXLI, 1969, p. 5-22 ; DEBORD A., « L’archéologie médiévale », in L’histoire
médiévale en France. Bilan et perspectives, Paris, 1989, p. 219-245 ; BURNOUF J., 2005, op. cit. ;
BURNOUF J. et al., Manuel d’archéologie médiévale et moderne, Paris, 2009, p. 14-32 ; CHAPELOT
J., GENTILI F., « Trente ans d’archéologie médiévale en France », in CHAPELOT J. dir., Trente
ans… op. cit., p. 3-24.
71

14. Ibid.
15. Voir le jugement d’un archéologue suédois : CINTHIO E. , « Medieval archaeology as a
research subject », Meddelanden Fran. Lunds Universitest Historika Museum, 1962-1963, p.
187, signalé par DE BOÜARD M., « Où en est… », op .cit., p. 6.
16. D E CAUMONT A., Abécédaire ou rudiments d’archéologie médiévale (Architecture religieuse),
Caen, 1850.
17. Voir par exemple GENSBEITEL C., « Brutails et Les vieilles églises de Gironde. Étude
critique », in ARAGUAS P. éd., Jean-Auguste Brutails, Actes du colloque de juin 2011, hors-
série de la Revue archéologique de Bordeaux, 2016, p. 39-54.
18. BRUTAILS J.-A., Manuel d’archéologie médiévale, Paris, 1900.
19. Voir notamment la contribution de Jean-Claude Bonne in BONNE J.-C., DENOYELLE M.,
MICHEL C., NOUVEL-KAMMERER O., COQUERY E., « Y a-t-il une lecture symbolique de
l’ornement ? », débat dans Ornement/ornemental, Perspective, 1-2010, p. 27-42. URL :
https://doi.org/10.4000/perspective.1206 .
20. BOURDIEU P., Science de la science et réflexivité, Cours du collège de France, Paris, 2001.
21. FRANCASTEL P., L’humanisme roman. Critique des théories sur l’art roman en France au XIe
siècle, Rodez, 1942.
22. Le Midi pour Emile Mâle et Paul Deschamps, l’Espagne pour Manuel Gomez-Moreno
ou Cluny et les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle pour Arthur Kinsley Porter ;
voir Durliat M., La sculpture de la route de Saint-Jacques, de Conques à Compostelle, Mont-de-
Marsan, 1990, p. 8-14, dont l’analyse n’est elle-même pas exempte de parti pris.
23. On peut citer ici les travaux de Maylis Baylé en Normandie, de Marie-Thérèse
Camus en Poitou, de Jean Cabanot et de Jacques Lacoste dans le Sud-Ouest, d’Éliane
Vergnolle dans la France du Centre.
24. FOCILLON H., Vie des formes, Paris, 1934 ; Voir l’approche critique de PRESSOUYRE L.,
« Histoire de l’art et iconographie », in L’histoire médiévale en France. Bilan et perspectives,
Paris, 1989, p. 247-268.
25. VERGNOLLE E., Saint-Benoît-sur-Loire et la sculpture du XIe siècle, Paris, 1985. Voir aussi le
compte-rendu de Marcel Durliat, qui montre le trouble que cette étude a pu semer chez
les héritiers d’un « évolutionnisme artistique » ; DURLIAT M., Bulletin Monumental, 145-1,
1987, p. 157-158.
26. LASTEYRIE R. DE , « Étude sur la sculpture française du Moyen Âge », Monuments et
mémoires de la fondation Eugène Piot, 8-1-2, 1902, p. 1-144, ici p. 4.
27. On peut citer ici le petit manuel de Jean-Auguste Brutails, réédité jusque dans les
années 1970 ; BRUTAILS J.-A., Pour comprendre les monuments de la France, Paris, 1922.
28. Voir notamment CASTELNUOVO E., RECHT R., MAXWELL R.A., « Meyer Schapiro et la
sculpture romane. Questions autour d’une non-réception en France », débat dans
Perspective, 1-2006, p. 80-96. URL : https://journals.openedition.org/perspective/4148.
29. Voir, par exemple, SCHMITT J.-C., La raison des gestes dans l’Occident médiéval, Paris,
1990 ; BASCHET J, L'iconographie médiévale, Paris, 2008.
30. WIRTH J., La datation de la sculpture médiévale, Genève, 2004.
31. Il est d’ailleurs possible que la fracture soit plus profonde entre iconographes ou
anthropologues de l’image et tenants d’une tradition de l’histoire de l’art supposée
72

« formaliste » qu’entre ces derniers et les archéologues. On peut le regretter tout


autant.
32. CAZES Q., CAZES D., Saint-Sernin de Toulouse. De Saturnin au chef-d’œuvre de l’art roman,
Graulhet, 2008 ; VERGNOLLE E., Bulletin Monumental, 169-2, 2011, p. 173-174.
33. Voir par exemple PRESSOUYRE L., 1991, op. cit., p. 249, évoquant les deux chapelles de
l’orthodoxie, « chartiste » et « focillonnienne ».
34. Quelques exemples parmi d’autres : DUPUIS M., « Les premières peintures murales de
l’église de Saint-André-des-Eaux (Côtes-d’Armor) : analyse archéologique d’un
ensemble ornemental roman », Bulletin Monumental, 171-3, 2013, p. 195-206 ; ÉPAUD F.,
« Rochecorbon (Indre-et-Loire), église Saint-Georges. Une charpente du début du XIe
siècle », Bulletin Monumental, 172-3, 2014, p. 195-202 ; voir aussi certains numéros
spéciaux : Saint-Gilles-de-Gard. Nouvelles recherches sur un monument majeur de l’art roman,
Bulletin Monumental, 173-2, 2013 ; L’abbatiale carolingienne de Saint-Philbert-de-Grandlieu,
Bulletin Monumental, 173-2, 2013 ; La cathédrale de Chartres. Nouvelles découvertes, Bulletin
Monumental, 173-3, 2015.
35. MACHEREY P., À l’essai, Paris, 2019.
36. Je ferai mienne la remarque de Gaston de Pawlowski, qui disait avec humour :
« Démontons patiemment et classons méticuleusement tous les rouages de notre
montre ; cela serait bien surprenant, une fois notre travail achevé, que nous ne
découvrions pas l’heure qu’il est. Qu’importe au véritable savant moderne de ne point
savoir où il va, pourvu qu’il y aille avec méthode. » ; PAWLOWSKI G. DE, « Préface »,
Inventions nouvelles et dernières nouveautés, Paris, 1916, p. VI.
37. On pourra se reporter à l’article de Pierre Guibert et Pétra Urbanova dans ce
volume.
38. Si nous reprenons l’exemple du début du chantier de Saint-Sernin de Toulouse, les
débats portent sur une vingtaine d’années, entre 1060 et 1080, soit un laps de temps
bien réduit, mais déterminant pour un édifice de cette ampleur.
39. SAPIN C. dir., Les prémices de l’art roman en Bourgogne, Auxerre/Précy-sous-Til, 1999, p.
109-126.
40. Très fréquente dans des édifices attribués au XI e siècle, cette formule échappe elle
aussi à toute simplification typo-chronologique : des linteaux monolithes échancrés
sont présents au chevet de Saint-Pierre-les-Églises, à Chauvigny (86), pourtant daté du
Xe siècle par ses peintures murales, et on en trouve encore dans des murs en pierre de
taille du XIIe siècle.
41. Voir CABANOT J., Les débuts de la sculpture romane dans la France du Sud-Ouest, Paris,
1987, p. 201.
42. Voir l’hommage qui lui est rendu dans Utilis est lapis in structura. Mélanges offerts à
Léon Pressouyre, Paris, 2000.
43. Voir par exemple HEBER-SUFFRIN F., « L’acanthe dans le décor architectural
carolingien », in L’acanthe dans la sculpture monumentale de l’Antiquité à la Renaissance,
Actes du colloque d’octobre 1990 à la Sorbonne, Paris, 1993, p. 189-210.
44. SAPIN C. dir., Stucs et décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge (Ve-XIIe siècles). Actes du
colloque international tenu à Poitiers du 16 au 19 septembre 2004, Turnhout, 2006.
73

45. CABANOT J., « Constitution d’une banque de données sur les chapiteaux corinthiens et
dérivés du corinthien : méthodes et perspectives », in L’Acanthe…1993, op. cit., p. 10-25.
46. CHEVALIER P., CROCHAT P., FLAMMIN A., LE POGAM P.-Y., MÉREL-BRANDENBURG A.-B., MILLEREUX A.,
SAPIN C., « Le projet CARE-France : dernières avancées et extension de la base de données
en ligne au domaine de la sculpture des IVe-Xe siècles », Hortus Artium Medievalium, 24,
2018, p. 8-13.
47. PCR « L’église, le prieuré et le bourg de Saint-Eutrope de Saintes » (C. Gensbeitel,
Université Bordeaux Montaigne, UMR 5060 IRAMAT-CRP2A). Voir notamment
Gensbeitel C., « L’église du prieuré Saint-Eutrope de Saintes, entre culte des reliques et
vie monastique. Un monument exceptionnel en réexamen », in Les grandes abbayes et
l’art roman, Cahiers de Saint-Michel-de-Cuxa, XLIX, 2018, p. 69-86.
48. Voir dans ce même volume l’article issu des posters de Jean-Baptiste Javel et Justine
Grémont.
49. Thèse sur la sculpture ornementale des églises romanes du diocèse d’Angoulême,
sous la direction de Quitterie Cazes, Université Toulouse Jean-Jaurès, UMR 5136
FRAMESPA, co-direction C. Gensbeitel, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5060-
IRAMAT CRP2A. Voir l’article issu du poster proposé par Estelle Chargé dans ce volume.

RÉSUMÉS
Les relations, parfois mêlées d’incompréhension, entre l’archéologie et l’histoire de l’art, ont
tendance à s’améliorer depuis une vingtaine d’années. L’archéologie du bâti constitue désormais
un terrain de collaboration fructueux dans une perspective pluridisciplinaire de plus en plus
indispensable. L’historiographie de nos disciplines, et le nécessaire recul critique vis-à-vis,
notamment, de certaines pesanteurs théoriques ou méthodologiques dont a pu être affectée la
tradition des études monumentales en France, ne doit pas nous faire oublier les mutations et le
renouvellement qui se dessinent depuis la fin du XXe siècle. Nous pouvons désormais envisager
de définir les enjeux spécifiques de nos champs disciplinaires autour des objets qui nous
réunissent et le bénéfice que nous pouvons tirer de nos collaborations. Le présent article propose
comme point de convergence un domaine qui a été longtemps l’apanage des seuls historiens de
l’art : celui du décor sculpté, sous toutes ses formes, au sein des monuments religieux préromans
et romans.

Relations between archaeology and art history, sometimes mixed with misunderstanding, have
tended to improve over the past twenty years. Building archaeology is now a fruitful field of
collaboration in an increasingly indispensable multidisciplinary perspective. The historiography
of our disciplines and the necessary critical perspective, in particular with regard to certain
theoretical or methodological barriers which may have affected the tradition of monumental
studies in France, must not make us forget the changes and renewal that have taken place since
the end of the 20th century. We can now consider defining the specific issues of our disciplinary
fields around the objects that bring us together and the benefit we can derive from our
collaborations. This paper proposes as a point of convergence a domain that has long been the
74

prerogative of art historians alone : carved decoration, in all its forms, within Pre-Romanesque
and Romanesque religious monuments.

INDEX
Mots-clés : histoire de l’art, archéologie médiévale, archéologie du bâti, sculpture, architecture
religieuse, art roman, art préroman, historiographie, méthodologie
Keywords : art history, medieval archaeology, building archaeology, sculpture, carving, religious
architecture, romanesque art, pre-romanesque art, historiography, methodology

AUTEUR
CHRISTIAN GENSBEITEL

Maître de conférence en histoire de l'art médiéval, Université Bordeaux Montaigne, UMR 6034
Archéosciences Bordeaux (anciennement UMR 5060 IRAMAT-CRP2A)
christian.gensbeitel@u-bordeaux-montaigne.fr
75

L’archéologie classique et
l’archéologie du bâti
Classical archaeology and building archaeology

Jean-Yves Marc

Je remercie S. Blin pour sa relecture attentive et ses nombreuses suggestions.


1 Voilà bien longtemps que les historiens de l’architecture grecque et romaine
s’intéressent aux aspects techniques et logistiques de la construction, qu’il s’agisse de
l’exploitation des carrières, de la nature des matériaux mis en œuvre, des appareils des
murs, de l’utilisation des remplois ou des réparations, de l’organisation et de la durée
des chantiers, des procédés de bardage, des savoir-faire et de leur transmission, de la
représentation de l’architecture, du rapport entre le projet et le chantier, etc. Le comte
de Caylus ou J.-B. Piranèse traitèrent de ces questions dès le XVIIIe siècle, que ce soit
par le dessin ou l’analyse écrite. Les premières grandes synthèses scientifiques sur
l’histoire de la construction dans l’Antiquité classique publiées à la fin du XIXe siècle
contiennent, à côté des chapitres consacrés à la typologie ou à la décoration
architecturale, de très nombreuses observations sur tous ces aspects techniques, qu’il
s’agisse des manuels d’Auguste Choisy (1841-1909) en France1 ou de ceux de Joseph
Durm (1837-1919) en Allemagne2. C’est dire qu’on ne peut présenter ce qu’on appelle en
France l’« archéologie du bâti » comme une révolution historiographique. Il n’en reste
pas moins vrai que les médiévistes ont su systématiser et synthétiser protocoles
d’analyse et méthodes, faisant des études architecturales une véritable discipline de la
médiévistique, alors que les antiquisants se contentaient d’une tradition empirique qui
avait fait ses preuves, celle de l’œil du connaisseur. La différence vient du fait qu’ici la
collaboration entre architecte et archéologue est toujours restée la norme, alors que là
une nouvelle histoire de la construction s’est construite autour des archéologues sans
(et même parfois contre) les architectes, l’analyse visuelle avec ses transcriptions
graphiques et textuelles étant complétées (ou parfois même remplacées) par des
protocoles d’enregistrement stratigraphique de plus en plus sophistiqués.
2 Il n’est pas question ici de dresser un bilan complet de deux décennies de recherche
dans le domaine de l’histoire de l’architecture antique, fut-il limité aux questions
76

touchant aux aspects techniques3. Je me contenterai de présenter un certain nombre de


variations touchant à la position de la recherche française dans ce domaine, aux
champs de recherche illustrés par la production scientifique, aux renouvellements
récents des sources et, enfin, aux institutions de recherche concernées4.

1. Architectes et archéologues en France et dans


quelques pays européens
3 Dans le domaine des sciences de l’Antiquité, la situation actuelle de l’histoire de
l’architecture et de la construction varie selon les pays concernés, ce qui s’explique par
la place respective qu’occupent architectes et archéologues dans les champs
académiques – les institutions de recherche et d’enseignement – et administratifs – les
institutions de protection et de gestion du patrimoine – : architecture des archéologues
en deçà du Rhin, archéologie des architectes au-delà…
4 Il est vrai qu’en Allemagne, pour des raisons liées à des traditions académiques
remontant au XIXe siècle, le champ de la Bauforschung – en français « l’étude de la
construction » –, qui correspond à peu près exactement sinon dans les termes du moins
dans l’esprit à l’archéologie du bâti, a très vite été constituée par des architectes-
archéologues, formés utraque lingua, en architecture et en archéologie, et occupant des
postes universitaires d’enseignants et de chercheurs. Depuis 1926, ils sont efficacement
organisés par la Koldewey-Gesellschaft, une société savante et professionnelle placée sous
le patronage d’un des fondateurs de l’archéologie allemande, Robert Koldewey,
architecte de son état, tout comme son presque contemporain Wilhelm Dörpfeld, une
autre figure tutélaire de la Bauforschung et de l’ Ausgrabungswissenschaft. Cette
autonomisation très précoce des études architecturales dans le champ des sciences de
l’Antiquité se traduit outre-Rhin, aujourd’hui encore, par l’existence de filières de
formation et de recrutement, d’un corpus méthodologique et de collections de
publications. Il suffit d’évoquer les recherches et l’enseignement de Gottfried Gruben
pour mesurer le dynamisme et le rayonnement de l’histoire de l’architecture antique
en langue allemande5. Après des études d’architecture, d’histoire et d’histoire de l’art, il
occupa de 1966 à 1994 une chaire de Bauforschung und Baugeschichte – recherches dans la
construction et l’histoire de la construction –, sans équivalent en France6. La lecture de
ses opera minora, commodément rassemblés après sa mort (Klassische Bauforschung,
Munich, 2007), donne une idée de la diversité de ses recherches depuis ses réflexions
historiographiques sur la place de l’architecte dans les processus constructifs ou la
réception de l’architecture classique dans les créations modernes et contemporaines
jusqu’à ses reconstitutions de la genèse des temples grecs ou des grands ordres
d’architecture. Mais plus que ces travaux, déjà en soit remarquables, c’est surtout son
œuvre cycladique qui marquera l’histoire de l’architecture grecque. Partant du relevé
et de l’étude de plus de quatre mille remplois d’antiques mis en œuvre dans l’église de
la Katapolyani ou dans la fortification vénitienne, à Paros, il est parvenu à reconstituer
en dessin une vingtaine d’édifices et une quinzaine d’autels, révolutionnant ainsi
méthodes et résultats scientifiques et entraînant un regain de fouilles et d’études,
partout dans les Cyclades, à Naxos en particulier (fig. 1). À Munich comme sur ses
terrains cycladiques, il a formé toute une pléiade d’architectes-archéologues, qui
forment aujourd’hui les cadres de la recherche, tant en Allemagne qu’en Grèce7.
77

Fig. 1. Reconstitution graphique d’un bloc de corniche à partir de six fragments non jointifs, temple
d’Yria à Naxos vers 550 av. J.-C. (GRUBEN G., « Anfänge des Monumentalbaus auf Naxos », Klassische
Bauforschung, Munich, 2007, p. 223, fig. 142).

5 En Italie, où l’histoire de l’architecture n’est pas l’apanage des architectes-


archéologues, comme en témoignent les travaux fondateurs de Giuseppe Lugli sur les
techniques de construction de l’architecture romaine8, la situation est sans doute plus
proche de celle de la France. On y retrouve, par exemple, la séparation académique
entre sciences de l’Antiquité et études médiévales. La très dynamique revue de
l’Université de Sienne, un des pôles majeurs des études dans le domaine de
l’architecture médiévale, Archeologia dell’architettura, a publié vingt-quatre livraisons
depuis 1996 : à l’exception de quelques très rares articles sur les époques tardives (à
partir du VIe siècle), l’architecture classique est restée absente jusqu’en 2015, année de
la parution d’un numéro spécial consacré à la brique romaine9. Il est vrai que depuis
cette date, le sommaire est désormais plus équilibré, ce qui traduit la fin heureuse d’un
face-à-face stérile, surtout dans un domaine où les aspects techniques et tectoniques
sont au moins aussi importants que les contextes de construction.
6 Il est en revanche un aspect qui différencie la France de l’Italie dans le domaine de
l’archéologie de la construction : c’est le rôle joué par les chantiers de restauration. Si
les institutions de recherche et les administrations chargées de la protection et de
l’entretien des monuments historiques ne sont pas mieux coordonnées que de ce côté-
ci des Alpes, les milieux professionnels concernés, qui sont formés dans les mêmes
universités et partagent la même culture professionnelle, travaillent plus volontiers de
concert. Il suffit de parcourir les sommaires d’Archeologia dell’architettura pour s’en
convaincre.
7 En Espagne aussi, l’archéologie du bâti réunit historiens de l’art, architectes-
archéologues, architectes du patrimoine, archéologues, restaurateurs, responsables
administratifs du patrimoine architectural. Tous ces collègues y disposent, comme en
Italie, d’une revue, Arqueologia de la Arquitectura, créée en 2002 et passée à une édition
exclusivement en ligne à partir de 201310. Je ne connais pas en France de lieu où un tel
dialogue soit possible.
78

8 En Grèce, les grands chantiers d’anastylose, celui de l’Acropole d’Athènes bien entendu
– le plus emblématique et le mieux doté en moyens scientifiques et financiers –, mais
aussi ceux d’Éleusis, de Messène, de Bassae, de Némée, de Lindos, etc., ont joué, dès les
années cinquante et l’anastylose complète du portique d’Attale à Athènes11, un rôle
essentiel non seulement dans la recherche en histoire de la construction, mais aussi
dans la mise au point d’un corpus doctrinaire dans le domaine de la restauration,
l’élaboration de protocoles d’intervention et la formation d’un corps d’architectes-
archéologues de très haut niveau12. En témoignent les deux volumes d’hommages, très
récemment publiés en l’honneur de deux figures emblématiques des anastyloses et des
études architecturales en Grèce, qui furent aussi deux grands professeurs du
département d’architecture de l’École polytechnique d’Athènes : Charalambos Bouras
et Manolis Korrès (fig. 2)13. C’est aussi le cas sur les grands chantiers de restauration en
Turquie, au Trajaneum de Pergame, où Klaus Nohlen mène une réflexion originale sur
les rapports entre vestiges archéologiques, restauration et projet d’architecture14.

Fig. 2. Axonométrie anatomique de la reconstitution de l’angle sud-ouest de la cella du Parthénon


(KORRÈS M., in PANAYOTIS P., The Parthenon and its Impact in Modern Times, Athènes, 1994, p. 63, fig. 9).

9 À tous ces points de vue, qu’il s’agisse des positions institutionnelles de l’archéologie de
la construction, de la dynamique des études en histoire de l’architecture ou de la
synergie entre recherche et interventions patrimoniales, la situation française est
caractérisée par un certain effacement. Il suffit de comparer notre bibliographie dans
ces domaines avec celle de nos voisins helvètes. Je n’évoquerai, pour ce faire, que les
sites voisins d’Augst (Augusta Raurica) et d’Avenches (Aventicum). Les collections de
publications comptent respectivement onze volumes consacrés exclusivement ou dans
une large mesure à l’architecture sur cinquante-deux publiés dans la série des
Forschungen in Augst et vingt-deux sur quarante-quatre (depuis l’année 2000) dans les
Cahiers d’archéologie romande. La comparaison est d’autant plus cruelle que les
opérations archéologiques ne manquent pas en France. Les causes de cette situation
79

lamentable sont multiples : déclin de l’archéologie programmée, impossibilité


matérielle pour les opérateurs de l’archéologie préventive de mener à bien des projets
de publication d’une certaine envergure mais aussi trop faible nombre d’architectes-
archéologues : combien sont-ils à l’INRAP pour plusieurs milliers d’archéologues ? Quoi
qu’on ait pu en dire ces dernières années, c’est bien l’hybridation du savoir constructif
de l’architecte et du savoir rétrospectif de l’historien qui nourrit les recherches les plus
fructueuses et les plus durables, que cette hybridation soit le produit d’une double
formation, comme en Allemagne ou en Grèce, ou le résultat d’une collaboration entre
deux corps de métier. En France, ce fut longtemps ce dernier cas de figure qui s’imposa.
Je ne connais guère qu’une seule exception, qui échappa à ce compagnonnage resté
malheureusement longtemps dissymétrique, celle d’Albert Gabriel. Architecte de la
dernière phase de la grande fouille de Délos de 1908 à 1911, il fit, après une thèse sur les
remparts médiévaux de Rhodes, une brillante carrière universitaire d’historien de
l’architecture, d’abord comme maître de conférences dans les Universités de Caen et
Strasbourg, puis comme professeur au Collège de France, membre de l’Académie
d’Architecture et de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres. On lui doit entre
autres un nombre impressionnant d’études et de publications dans le domaine de
l’architecture médiévale (des mondes francs ou seldjoukides) et la fondation de
l’Institut français d’archéologie d’Istanbul15.

2. Domaines de l’archéologie de la construction


10 La forme sans doute la plus traditionnelle mais aussi une des plus fructueuses des
études architecturales, l’étude monographique d’un monument, continue de s’illustrer,
ces dernières années, par d’imposantes publications, qui font toujours la part belle à
l’illustration graphique et photographique. La tendance à l’uniformisation et à la
réduction des formats d’édition fait qu’on a désormais renoncé aux très grands volumes
de planches qui étaient encore la norme dans les années soixante-dix : 33,5 x 49 cm
pour le volume indépendant rassemblant 49 planches libres de la publication du stade
de Delphes, certaines en format A216 ! Plus modestes, plusieurs livraisons des
Forschungen in Ephesos, publiés par l’Académie des sciences d’Autriche, n’en conservent
pas moins des dimensions qui donnent à l’illustration une place confortable : 39 x 30 cm
pour les publications des fouilles de l’Agora tétragone d’Éphèse ou de celles du
Mausolée de Bélévi17. Les grandes collections de sites de l’École française d’Athènes
peuvent néanmoins conserver des gabarits supérieurs aux normes en vigueur dans
l’édition archéologique en France, comme c’est le cas encore récemment de belles
publications architecturales dans l’Exploration archéologique de Délos (27,5 x 35 cm pour
un très beau volume consacré à la grammaire architecturale de Délos ; 25 x 32 cm pour
la publication du théâtre18) ou dans les Fouilles de Delphes (25 x 32 cm pour la publication
du temple d’Apollon19). D’autres collections, comme les Études thasiennes, sont passées
au format désormais canonique du 21 x 29,7 cm et ont renoncé au volume séparé de
planches : ce qui ne nuit en rien à la qualité et à la lisibilité des publications, comme
celle du rempart de Thasos, un monument de 3 600 m. de long, dont tous les segments
conservés ont été intégralement photographiés et dessinés (451 figures dans le texte, 9
planches libres), décrits et restitués (fig. 3)20. Il est vrai que ces publications, qui
illustrent l’extrême importance accordée aux images, peuvent compter sur une
infrastructure éditoriale attachée à l’institution de recherche – en l’occurrence l’EFA –
et sur une longue collaboration entre un architecte et un archéologue. Les sites suisses
80

d’Augst ou d’Avenches se sont également donné les moyens de publier de beaux


volumes d’architecture, grâce aux véritables institutions de recherches qui les gèrent.
La publication des temples du sanctuaire de la Grange des Dîmes n’a rien à envier aux
exemples grecs cités plus haut : un volume de planches contient 18 dépliants, dont
plusieurs au format A221. Mais cette construction méticuleuse d’une scénarisation
conjointe du texte et de l’image n’est pas seulement une question de temps et de
moyens. C’est aussi une question d’exigence comme en témoignent les publications de
certains collègues grecs, allemands ou suisses qui n’ont pas toujours la possibilité de
disposer des moyens logistiques évoqués plus haut et assurent eux-mêmes tout ou
partie de l’illustration de leurs volumes. À Messène, E. P. Sioumpara a su publier très
vite une étude monographique du temple d’Asklépios, en complétant et en
harmonisant elle-même le dossier graphique constitué par la formidable équipe réunie
par P. Themélis, sur ce site grec essentiel de la basse époque hellénistique22. Johannes
Lipps à Rome ou Thomas Hufschmid à Augst sont capables de compléter ou même de
constituer, ex nihilo parfois, une documentation graphique riche et variée (plans,
élévations, axonométries, écorchés, etc.)23. De manière générale, les publications suisses
se signalent par la manière dont sont conduites de concert l’exploration du sol et
l’analyse minutieuse du bâti, aboutissant à des publications qui sont chaque fois des
modèles du genre24. À Rome, les nouveautés radicales qui ont enrichi la restitution du
plan et des élévations du théâtre de Pompée, un monument qui passait pour
parfaitement connu, sont le fait d’une enquête très originale, d’architecture et de
topographie, menée dans les caves des îlots compris entre San Andrea della Valle et le
Campo dei Fiori. Le temple de Vénus Victrix, qui semblait reposer sur un podium
présentant une importante saillie à l’arrière de la cavea, est maintenant réduit à un
sacellum intégré à la porticus in summa cavea, et les murs attribués au podium sont
aujourd’hui interprétés comme les murs d’échiffre d’un escalier axial25.

Fig. 3. Axonométrie de la restitution de l’élévation de la Porte de Zeus du rempart de Thasos (KOZELJ T.,
in GRANDJEAN Y., Le rempart de Thasos, Études thasiennes XXII, Athènes, 2011, p. 482, fig. 393).
81

11 Les architectures techniques font l’objet d’un intérêt tout particulier, et parmi elles, les
architectures de l’eau. De ce point de vue également, l’Allemagne peut se prévaloir
d’une longue tradition, incarnée par la Frontinus Gesellschaft. C’est à la fois une société
savante qui réunit, toutes périodes confondues, des spécialistes des architectures et des
techniques hydrauliques, et une maison d’édition, à qui on doit plusieurs publications
monographiques et une revue, les Frontinus-Mitteilungen26.
12 Plusieurs études françaises montrent l’intérêt qu’on porte à ces sujets de ce côté-ci du
Rhin. Je ne retiendrai ici que deux publications récentes et novatrices. La première, en
partant d’une analyse archéologique d’une très grande minutie du grand réservoir de la
Porta Romana à Ostie, propose une synthèse sur les réseaux hydrauliques du port de
Rome, dans un livre pionnier, qui proposa le premier de donner un nom spécifique à
l’archéologie du bâti pour les mondes anciens : l’archéologie de la construction27. La
seconde, plus modeste, est une très belle étude des difficultés rencontrées par les
constructeurs de l’aqueduc de Cahors, des repentirs et des bricolages qu’il fallut
improviser pour faire aboutir le projet28. On n’oubliera pas les travaux portants sur
l’entretien et la réparation des réseaux d’adduction d’eau29.
13 Les questions touchant à la conception et à la réalisation des édifices sont également au
cœur de ces nouvelles approches de l’histoire de l’architecture antique. Si la question
de l’élaboration concrète du projet d’architecture et de sa représentation n’est pas
nouvelle, plusieurs découvertes de ces toutes dernières années et un nouvel examen de
l’ensemble du dossier sont en passe de renouveler radicalement nos connaissances en
ce domaine : les épures préalables ou contemporaines de la construction furent d’un
usage probablement beaucoup plus général que ce qu’on a cru pendant longtemps (fig.
4). Il faut donc abandonner l’idée, encore répandue il y a peu d’une architecture
relevant exclusivement de la technè : l’architecture grecque et romaine fut sans doute
une architecture dessinée, tout comme les architectures médiévales et modernes30.

Fig. 4. Relevé d’une épure des moulures inférieures et supérieures d’un pilier d’ante, théâtre de Milet
(CAPELLE J., « Ancient Blueprints : New Prospects and Interpretations in Light of Recent Discoveries », in
SAPIRSTEIN PH., SCAHILL D. éd., New Directions and Paradigms for the Study of Greek Architecture.
Interdiscplinary Dialogues in the Field, Leyde, 2020, p. 66, fig. 3a).
82

14 L’étude des matériaux de construction a également connu un renouvellement


important ces dernières années. Dans les études monographiques, il est devenu
habituel de dresser une carte des provenances des matériaux, dans une approche
géographique ou même écologique de la construction31. On s’est ainsi avisé que la
circulation des matériaux de construction, parfois sur des distances considérables
(pour le granit rose d’Assouan ou du désert oriental égyptien utilisé à Rome par
exemple), concerne non seulement les matériaux les plus rares et les plus luxueux,
comme les marbres décoratifs, mais parfois aussi les plus particuliers, comme la
pouzzolane ou les pierres volcaniques du Vésuve exportée en Méditerranée occidentale
(Fréjus) mais aussi en Méditerranée orientale (Césarée Maritime). Les analyses physico-
chimiques, qui se généralisent depuis les années quatre-vingt, permettent de mieux
connaître la composition des matériaux composites, comme le mortier de chaux, ou
d’avoir une idée de plus en plus précise de l’origine des roches marbrières32.
15 C’est toute la chaîne opératoire des matériaux de construction, depuis l’extraction
jusqu’à la mise en œuvre, qui intéressent les historiens et les archéologues. Depuis la
publication pionnière des carrières d’Aliki, à Thasos en Grèce, au tout début des années
80, les carrières font l’objet de nombreux travaux, notamment dans le cadre des
rencontres internationales régulières organisées par Asmosia33. L’étude de la taille de
pierre, depuis Pierre Varène, le premier à proposer une étude systématique de
l’instrumentum et des gestes34, et Jean-Claude Bessac, l’auteur d’ouvrages classiques dans
ce domaine35, est désormais bien connue. La multiplication des publications d’outils de
taille de pierre, qu’il s’agisse d’une collection en soit comme dans l’épave de Porto
Nuovo, dans les Bouches de Bonifacio, ou de corpora aléatoires, comme celui du musée
de Djemila (Algérie) récemment étudié, montre que les chercheurs se soucient d’objets
longtemps laissés de côté36. C’est toute l’histoire de la taille de pierre qui se trouve ainsi
renouvelée. Des outils, dont l’usage était réputé tardif, se voient désormais attestés à
des époques beaucoup plus anciennes : la scie, par exemple, attestée depuis longtemps
à l’époque hellénistique37, semble avoir laissé ses traces caractéristiques dans des
constructions des époques archaïque et classique38. En tout cas, les procédés quasi
industriels de sciage, à l’époque romaine tardive, forte consommatrice de plaques en
roches marbrières, sont de mieux en mieux connus39.
16 La pierre n’est pas le seul matériau à faire l’objet de cette curiosité nouvelle : le métal40,
le bois41, bien sûr, mais aussi le mortier dont les « secrets » de fabrication ont excité
l’intérêt des antiquaires depuis l’Encyclopédie.
17 Dans l’idée de s’intéresser à la chaîne opératoire de la construction tout autant qu’au
produit fini, le chantier de construction s’est également imposé comme un objet
d’étude nouveau42. Une nouvelle revue éditée en France, Aedificare, est précisément
consacrée à ce nouveau champ de recherche qui renouvèle nos connaissances sur
l’archéologie des techniques, ce qui était attendu, mais nous ouvre aussi des
perspectives plus inattendues : par exemple sur la temporalité du chantier, sa durée,
ses phases, en particulier grâce à l’étude physico-chimique des mortiers et des pollens
qui y étaient piégés43. Plusieurs fouilles récentes, menées avec une attention
particulière aux sols de chantier, permettent de suivre presque pas à pas ici la
construction d’un temple à Pompéi, là un chantier de réfection d’une salle d’apparat
dans une belle domus urbaine d’époque protobyzantine : on ne peut être au plus près du
chantier44. Ailleurs c’est l’étude des procédés de bardage des blocs, des pinces à roder
par exemple, qui permet de reconnaître les sens de mise en place des blocs et donc de
83

se faire une idée du nombre d’équipes actives sur le chantier45. Il n’est plus rare
d’identifier sur les chantiers de construction des secteurs correspondant à la
fabrication ou à l’ébauchage des matériaux mis en œuvre46. Ce sont jusqu’aux embarras
provoqués par les grands chantiers de construction sur la vie urbaine qui sont
envisagés jusque dans les moindres détails47.
18 Cette attention nouvelle à la fabrication de l’architecture permet également de repérer
des repentirs ou des changements de programme pendant la durée du chantier. C’est le
cas, par exemple, au temple d’Athéna à Assos, où une étude récente a bien montré
l’existence de deux phases de constructions différentes, séparées probablement par un
accident qui a entraîné la reprise d’une façade et du décor48. On repère également
aujourd’hui plus facilement les malfaçons, qui ne sont pas si rares, y compris dans des
chantiers prestigieux49. Les phases de démantèlement et de récupération font
également l’objet d’observations nouvelles, non seulement pour les périodes tardives
comme pour les mausolées d’Avenches50, mais également pour des périodes plus
anciennes, qui ne connaissent ni disettes en matériaux de construction, ni régression
urbaine51.
19 Enfin, les éléments disparus, comme les pièces de bois52, font l’objet de recherches qui
permettent de mieux comprendre les techniques de chaînage53 ou de mieux apprécier
le passage de la charpente à empilement à la charpente à ferme, en s’appuyant sur le
calcul précis du comportement mécanique des pièces de bois54. Mais c’est également le
second œuvre, trop souvent négligé jusque-là, qui fait désormais l’objet d’une attention
fructueuse, comme dans les portiques doriques de Hiérapolis55, sur les seuils de
boutiques d’Ostie ou sur ceux du proskenion du théâtre de Délos (fig. 5)56.

Fig. 5. Restitution des deux phases du seuil de la porte centrale du proskenion du théâtre de Délos
(FRAISSE Ph., in FRAISSE Ph., MORETTI J.-Ch., Le théâtre, EAD XLII, II, Athènes, 2007, pl. 15, fig. 42 et 43).

20 Les progrès considérables réalisés ces dernières années dans le domaine des techniques
de construction ne sont pas seulement des progrès d’érudition. Ils permettent une
reconsidération radicale de la difficile question de l’innovation technique dans les
sociétés anciennes. Le cadre général fixé par les travaux séminaux de P. Gros ou de M.
Torelli dans les années 70 n’est certes pas remis en cause et on continue de corréler la
nature de la main-d’œuvre et la complexité des techniques mises en œuvre57. Mais la
multiplication des observations de détail permet aujourd’hui de mieux apprécier la
recherche permanente de nouvelles solutions pratiques, permettant de construire plus
vite ou avec des matériaux moins onéreux, par exemple pour les voûtes en mortier58.
Dans les métiers du bâtiment, les savoir-faire étaient sans doute beaucoup plus
sophistiqués qu’on a bien voulu le penser pendant longtemps59.
84

21 Comme on le voit, les enjeux historiographiques ne sont pas minces car c’est désormais
la possibilité d’écrire une véritable histoire économique et sociale de la construction
qui s’ouvre à nous. Une telle histoire ne peut reposer que sur une approche
quantitative. La ruine de la quasi-totalité des architectures que nous étudions fait que
cette approche doit rester d’une très grande prudence, puisqu’elle repose
essentiellement sur des restitutions. Plusieurs tentatives suggestives et fructueuses ont
été néanmoins tentées, aussi bien sur l’architecture en grand appareil des temples
grecs que sur les maçonneries en opus caementicum des gigantesques programmes de
l’Urbs 60.
22 Il reste un domaine qui, après plusieurs décennies de relatif déclin, connaît ces
dernières années un regain d’intérêt : l’étude de la décoration architecturale.
Ringardisée dans les années 60, cette tradition scientifique née de la
Kunstarchäologie connaît aujourd’hui un renouvellement méthodologique, qui n’est pas
sans incidence sur l’archéologie du bâti. L’intérêt porté aux collections lapidaires,
souvent dispersées, longtemps négligées et encore difficilement accessibles, a permis
d’envisager enfin les membra disjecta de l’architecture comme on traite les tessons en
céramologie : exhaustivement et méthodiquement. Plusieurs grands programmes en
cours, comme Arcata dirigé par l’équipe des Fori Imperiali ou ANR OrAG par l’IRAA du
CNRS témoignent d’un renouvellement des méthodes d’approche de ces corpus61. Pour
ces riches collections lapidaires conservées sur les sites les plus prestigieux ou les plus
modestes ou encore dans les réserves de musée, c’est l’approche monographique qui
semble privilégiée62. Elle illustre tout ce qu’on peut attendre de tels traitements,
notamment dans l’identification des ateliers, leurs circulations, les transferts de savoir-
faire ou de traditions décoratives, etc.63. Pour le monde grec, les travaux menés par J.
des Courtils à Thasos, dans la continuité de G. Roux, auteur d’un chef-d’œuvre du genre
sur l’architecture du Péloponnèse à la fin de l’époque classique et au début de l’époque
hellénistique64, montrent assez ce qu’on peut tirer de ce genre d’analyse pour dresser la
géographie artistique d’une région donnée à un moment donné : quand on connaît le
campanilisme artistique des cités grecques, on mesure l’importance de ces analyses sur
le dynamisme des identités civiques65. Mais c’est surtout l’Asie Mineure hellénistique et
impériale qui a suscité les études les plus nombreuses et les plus systématiques66.

3. Sources
23 L’histoire de l’architecture grecque et romaine envisagée du point de vue de la
construction s’appuie essentiellement sur la matérialité des vestiges. L’analyse
typologique et décorative, qui a longtemps dominé ce domaine, est désormais enrichie
par une description aussi précise que possible de toutes les caractéristiques techniques.
Cette enquête est souvent facilitée par la destruction au moins partielle des élévations,
qui donne à voir ce que les spécialistes des périodes plus récentes, qui n’ont accès qu’à
des édifices complets, ne peuvent pas observer directement : l’intérieur des murs.
Désavantagés par la disparition systématique de pans entiers des élévations (les
charpentes par exemple mais aussi le second œuvre), quand il s’agit de restituer les
volumes, les couvertures, les étages ou les ambiances lumineuses, les antiquisants ont
en revanche accès au cœur même des structures portantes, au noyau des murs, ce qui
ouvre des perspectives d’observations équivalentes à ce que recherchait André Vésale,
le fondateur de l’anatomie moderne, quand il pratiquait l’autopsie des cadavres (fig. 6).
85

Dès les premiers développements de la curiosité antiquaire pour l’architecture, d’abord


romaine puis à partir du XVIIIe siècle grecque, la description analytique des élévations
fut confrontée aux testimonia. Les quelques traités antiques d’architecture conservés
fournissent nombre d’informations dont l’historien de l’architecture ne peut se passer
et donnent à voir la culture architecturale qui fut celle des bâtisseurs des édifices que
nous étudions. Vitruve et Julien d’Ascalon ont récemment fait l’objet de nouvelles
éditions et d’études67. Pour Philon de Byzance, on peut encore s’appuyer sur l’édition et
la traduction d’Y. Garlan68. En revanche, pour Procope de Césarée, en attendant la
grande édition critique patronnée par l’Université de Mayence, il faut se contenter du
travail malheureusement inachevé de D. Roques69. Mais plus que ces textes, souvent
plus normatifs qu’analytiques, ce sont les inscriptions gravées sur pierre qui nous
ouvrent les perspectives les plus riches : comptes de constructions ou de réparations,
devis, cahiers des charges, contrats d’adjudication, inventaires, etc. nous font entrer
dans le chantier tel qu’il se présentait dans sa matérialité et sa quotidienneté70. Il ne
s’agit plus seulement de restituer des architectures ou des composantes d’édifices
disparues, mais de pouvoir envisager le domaine de l’architecture ordinaire, celui des
réparations, de l’entretien, des modifications ou des restaurations : les importants
dossiers de Delphes, Épidaure et Délos, sans parler de l’Acropole d’Athènes, permettent
une connaissance parfois précise et complète du prix des matériaux, de leur transport
et de leur mise en œuvre, du niveau des rétributions des artisans ou des amendes
infligées aux fournisseurs indélicats71. Ils nous permettent également de mieux
percevoir les savoirs faire et les cultures professionnelles, tels qu’ils se manifestent
dans la façon dont s’est construit un vocabulaire spécifique. Cette attention à la
lexicologie a été, très récemment, illustrée par les travaux de M.-Chr. Hellmann72. Un
Dictionnaire méthodique d’architecture grecque et romaine en trois volumes
remarquablement illustrés et édités en français (mais avec des traductions de tous les
mots et des indices très utiles en anglais, allemand, italien et grec moderne, ainsi qu’en
latin et en grec ancien) fournit par ailleurs un outil exceptionnel73.
86

Fig. 6. Analyse anatomique graphique du mur arrière de l’odéon d’Hérode Atticus à Athènes (KORRÈS M.,
The Odeion Roof of Herodes Atticus and other Giant Spans, Athènes, 2015, p. 61, fig. B3, 9).

24 Les méthodes physico-chimiques ont fait faire des progrès considérables à l’étude des
constructions antiques dans la détermination des matériaux. Elles sont également très
utiles dans l’identification des couleurs, un champ de recherche désormais établi dans
le domaine de la sculpture, moins dans celui de l’architecture74. La bibliographie
récente sur ce sujet ne manque pourtant pas. Il est vrai qu’il a été le plus souvent
approché par les textes philosophiques, rhétoriques ou techniques, comme ceux qui ont
été analysés par A. Grand-Clément dans son ouvrage sur la couleur dans la Grèce
archaïque75, par M. Bradley sur les couleurs de la Rome impériale76, ou encore dans le
volume d’études réunies par A. Rouveret, qui portait sur Couleurs et matières dans
l’Antiquité77. Mais c’est la prise en considération de la matière picturale qui a fait faire
les progrès les plus significatifs.
25 Les travaux de Ch. Brekoulaki sur les matériaux picturaux et les techniques picturales,
depuis la peinture murale mycénienne jusqu’aux réalisations de l’architecture
funéraire macédonienne, en passant par l’Italie préromaine, nous ont conduits à voir
autrement78. Plusieurs grands projets internationaux, comme Tracking colours -
Transmission and Transformation : ancient polychromy in an architectural context, ont pour
objectifs de mobiliser toutes les ressources des sciences physico-chimiques ou de
l’imagerie moderne pour combler cette lacune (ou ce refoulé ?) qui finit par devenir
gênante depuis qu’au XIXe siècle des architectes comme Hittorff ou Semper avaient
attiré l’attention sur la polychromie de l’architecture grecque79. Il est vrai que la
disparition presque totale des couleurs pose un problème de méthode : si on ignore la
polychromie, on passe à côté d’un élément fondamental des paysages visuels, si on la
considère on passe très vite de la reconstitution à la restitution, comme c’est le cas
pour les mausolées d’Avenches80. Parmi les tentatives les plus récentes, on retiendra les
propositions très réussies de Ph. Bridel dans la publication des temples du sanctuaire
87

de la Grange des dîmes à Avenches, où des analyses physico-chimiques des pigments


réalisées à partir d’un échantillonnage prélevé sur des frises ou des corniches fondent
une mise en couleur très convaincante81.
26 L’intérêt récent pour les collections lapidaires, dont témoignent des très belles
réalisations muséologiques, à Périgueux par Jean Nouvel ou à Sarrebourg par Bernard
Desmoulin (avec une attention toute particulière pour les réserves lapidaires), a non
seulement permis de recomposer nombre d’architectures disparues – des édifices
restitués sans aucun vestige conservé en place, comme, à Cologne, ce monument
funéraire d’un dispensator Augusti à partir de moins de dix blocs 82, à Bertrange (au
Luxembourg), un mausolée funéraire d’époque julio-claudienne à quatre niveaux83, à
Aix-en-Provence, ce portique d’époque flavienne reconstitué à partir de trois blocs
sauvés d’une décharge84 –, mais a aussi fait faire des progrès considérables à l’étude des
styles et des pratiques des ateliers de tailleurs de pierre. Sans ces fragments et ces
remplois, on ne connaîtrait rien des phases les plus anciennes, en particulier
augustéenne ou julio-claudienne : on comprend mieux ainsi tout le parti qu’on tire des
études systématiques sur le lapidaire85. Gottfried Gruben en Grèce86, Patrizio Pensabene
en Italie87 ou Dominique Tardy en France 88 ont initié un mouvement, qui est
actuellement porté par des chercheurs, comme F. Bessière à Amiens89, S. Blin à
Mandeure et en Alsace (fig. 7)90, D. Fellague à Lyon91 ou Y. Maligorne en Bretagne ou en
Lorraine92, sans doute plus sensibles aux méthodes austères de l’archéologie ou moins
rebutés par la manipulation, la description et le relevé de milliers de fragments.

Fig. 7. Reconstruction et restitution d’un chapiteau corinthisant en marbre du grand temple de


Mandeure (BLIN S., in Mandeure : vie d’un sanctuaire, cat. exp. 1er juin-14 oct. 2012, Montbéliard, 2012, p.
60, fig. 10.

4. Lieux et institutions
27 Les grandes écoles à l’étranger (École française d’Athènes, la plus ancienne, École
française de Rome ou Casa Vélasquez) continuent d’offrir les conditions qui rendent
possible les grandes publications monographiques évoquées plus haut. Faut-il
s’inquiéter de la diminution du nombre des architectes employés à plein temps – et
parfois même de leur disparition ? Sans doute, si l’on songe au rôle qu’ont joué les
Henri Ducoux, Erik Hansen et Didier Laroche à Delphes, les Philippe Fraisse à Délos, les
88

Kostas Kolokotsas à Argos, les Martin Schmid à Mallia, les Patrick Weber à Philippes ou
les Tony et Manuela Kozelj à Thasos93. L’époque n’est sans doute plus aux très longues
collaborations entre architectes et archéologues et il n’est plus souhaitable de faire
comme G. Daux, qui se vit confier la publication du Trésor de Siphnos à son arrivée à
l’École française d’Athènes en 1920, s’attacha la collaboration de l’architecte Erik
Hansen en 1954 et publia finalement l’étude monographique en 198794. Mais se
contenter de collaborations éphémères, c’est se priver de la grande familiarité avec des
sites souvent très complexes, à l’histoire longue et conservant des centaines de vestiges
et des milliers de blocs errants.
28 La création au CNRS, à l’initiative de P. Demargne et de R. Martin, deux Athéniens, d’un
Service d’architecture antique en 1957, devenu en 1983 Institut de Recherche en
Architecture antique (IRAA), avait précisément pour objectif d’offrir une institution
stable aux études architecturales sur le territoire métropolitain, un peu sur le modèle
dont celles-ci étaient menées sur les sites grecs, africains ou italiens. Avec ses bureaux
de Paris, Dijon, Lyon, Aix-en-Provence et Pau, les architectes et archéologues qui y
étaient employés pouvaient mener de longues et fructueuses collaborations dont
témoignent de nombreuses publications, d’ailleurs plus souvent sous forme d’articles
que sous forme de monographies monumentales. La présence en son sein d’architectes-
archéologues du niveau d’Albéric Olivier, de Pierre Varène, de Jean-Pierre Adam ou de
Jean-Louis Paillet a permis à des sites comme le Puy de Dôme, Alésia, Glanum, etc. de
bénéficier de la même attention scrupuleuse que Delphes ou Délos. Malheureusement,
le rétrécissement de sa structure et le tropisme méditerranéen de ses chercheurs ont
détourné l’activité de l’IRAA des provinces gauloises, ce qui était sa vocation initiale95. Il
faudrait que les projets en cours au théâtre d’Orange96, au temple de Vernègue97 ou sur
les collections lapidaires du Musée d’Aquitaine (Bordeaux) 98 aboutissent et que de
grands sites romains, comme Reims par exemple où le travail de restauration de la
Porte de Mars a été réalisé sans étude préalable du bâti, attirent de nouveau l’attention
des archéologues et des architectes-archéologues de l’IRAA. On retiendra néanmoins le
remarquable travail au long court mené à Saint-Bertrand-de-Comminges, où les études
architecturales bénéficient d’une collaboration étroite entre l’IRAA et les fouilleurs99.
29 Parmi les lieux les plus importants des renouvellements récents de l’histoire de
l’architecture antique, on trouve les grands chantiers de restauration. L’histoire des
grands chantiers de G. Valadier à Rome, d’A. Caristie en Narbonnaise de Jean Formigé à
Arles et Orange et Jules Formigé à Lyon reste à faire : en particulier pour les progrès
qu’ils ont fait faire aux connaissances techniques de l’architecture, romaine en
l’occurrence. Des travaux comme ceux qu’a menés A. Timbert sur les restaurations de
Viollet-le-Duc à Pierrefonds seraient très utiles. C’est plutôt vers la Grèce qu’il faut
donc se tourner : de fait, le très grand chantier de restauration des monuments de
l’Acropole d’Athènes a non seulement été un moment déterminant dans l’histoire du
site, dans sa présentation au public, dans l’organisation des visites et des parcours, dans
la multiplication d’anastyloses toujours plus complètes, mais aussi une grande aventure
scientifique. Il s’agissait au départ de dé-restaurer les travaux réalisés par l’architecte
N. Balanos entre 1895 et 1933 et, en particulier, de retirer les scellements en fer dont il
avait truffé les constructions classiques. Menés sous la direction d’architectes de très
grande qualité, comme M. Korrès ou T. Tanoulas, ces travaux ont été l’occasion d’un
nombre stupéfiants d’observations nouvelles, de découvertes, de recollages, de
rapprochements et de nouvelles restitutions (fig. 8). La reconstruction des caissons en
89

marbre du plafond de la partie ouest du corps de bâtiment central des Propylées a


permis de recoller ensemble plus de mille fragments ! Toujours sur ce même édifice,
l’analyse des scellements antiques a permis de s’aviser que la qualité du fer des
crampons du mur nord était très inférieure à celle des crampons du mur sud, ceux-là
étant beaucoup moins bien conservés que ceux-ci. Cette observation très technique et
très pointue a été mise en relation de manière très convaincante avec la diminution des
importations en bon métal provenant de Laconie, conséquence de la montée des
tensions entre Athènes et Sparte, à partir de 434 av., dans les années qui précèdent la
Guerre du Péloponnèse. La remise en place des blocs d’architrave, qu’ils soient
complets ou en partie recomposés, a permis aussi de comprendre le rôle joué par des
barres métalliques disposées pour soulager le centre de blocs qui pesaient plusieurs
tonnes et reporter les charges sur leurs extrémités. Si les anastyloses sont en passe
d’être achevées, les travaux de restauration se poursuivent, tout comme les études
scientifiques, comme celui sur les architectures archaïques disparues par E. Sioumpara
et des monuments aussi connus que le Parthénon, font encore l’objet de découvertes
importantes100.

Fig. 8. Restitution des parties hautes et de la toiture du Parthénon transformé en église de la Vierge
(Korrès M., in Panayotis P., The Parthenon and its Impact in Modern Times, Athènes, 1994, p. 146, fig.
12).

5. Conclusions
30 Tout comme l’étude de l’architecture médiévale, celle de l’architecture antique a connu
bien des renouvèlement ces dernières décennies et en connaîtra sans doute de bien
plus importants dans les années qui viennent tant les possibilités ouvertes par
l’imagerie 3D et, surtout, la réalité augmentée sont immenses. Cet enrichissement des
manières de représenter l’architecture ne doit pourtant pas laisser penser qu’on peut
désormais se passer des descriptions et des relevés, c’est-à-dire des longues heures
90

passées devant les vestiges : par définition, l’image ne peut se substituer à la réalité, du
moins pas encore101. Mais si l’historiographie des architectures grecques et romaines
n’a pas démérité, elle se trouve aujourd’hui en position de faiblesse. Dans les
universités, les chaires d’archéologie classique sont de moins en moins nombreuses en
France, soit que les postes disparaissent, soit que les antiquisants soient remplacés par
des protohistoriens. Cette situation est d’autant plus dommageable que les spécialistes
d’architecture sont très peu nombreux dans les entreprises d’archéologie préventive :
V. Brunet-Gaston, qui a le mérite de suivre de très nombreux chantiers concernés par
l’archéologie monumentale et d’en rendre compte rapidement, est bien seule à
l’INRAP102. La situation est telle que les services des Monuments historiques ou les
architectes chargés des travaux de restauration ou d’entretien sur les vestiges
monumentaux interviennent de manière parfois dommageable, sans aucune expertise
scientifique ou historique : ici, on fait un forage dans la pile d’un arc monumental pour
vérifier si les assises en opus quadratum présentent des vides, là on prétend restaurer
une arcature dans un théâtre romain sans utiliser de berceau et en mettant en œuvre
des pierres non gélives qui n’ont pas tenu le premier hiver… On voit là les
inconvénients de l’ignorance dans laquelle se tiennent le monde de la recherche en
histoire de l’architecture antique et celui chargé de la protection des monuments
historiques, ignorance qui tient en partie à l’éclatement des formations et des cultures
professionnelles entre l’École de Chaillot, l’Institut National du Patrimoine, les Écoles
d’architecture et les Universités103.
31 La situation n’est pourtant pas complètement désespérée. L’intérêt d’une nouvelle
génération de chercheurs pour l’architecture antique, tant dans l’espace méditerranéen
que dans les provinces gauloises ou les Germanies, ou le succès de la formation assurée
par l’École Nationale Supérieure d’architecture et l’Université de Strasbourg laissent
penser qu’une relève existe, qui permettra de corriger les effets de la désétatisation en
cours de l’étude de l’archéologie monumentale et de la protection des monuments
historiques antiques, tant en France qu’en Italie d’ailleurs104. Pour fonder solidement
ces nouvelles recherches, il conviendrait de faire le travail historiographique en cours
dans le domaine médiéval, dont témoignent les travaux d’A. Timbert par exemple.
Gageons que cet intérêt grandissant pour les rapports entre l’homme et la matière,
débouchera sur cette « anthropologie de la construction » que J.-Cl. Bessac appelle de
ses voeux105. Fait-il voir dans cette poétique des chantiers et des matériaux un retour à
la notion trop vite abandonnée de « culture matérielle » ? Sans doute.

NOTES
1. L’Art de bâtir chez les Romains, Paris, 1873 ; L’Art de bâtir chez les Byzantins, Paris, 1883 ;
L’Art de bâtir chez les Égyptiens, Paris, 1904. Sur Auguste Choisy, cf. Th. Mandoul, Entre
raison et utopie. L’histoire de l’architecture d’Auguste Choisy, Paris, 2008.
2. Die Baukunst der Griechen, 1881 ; Die Baukunst der Etrusker – Die Baukunst der Römer,
1885.
91

3. On dispose, dans le domaine de l’architecture classique, de plusieurs bilans


bibliographiques. Les plus utiles sont publiés périodiquement : le « Bulletin analytique
d’architecture du monde grec », publié sous la direction de M.-Chr. Hellmann tous les
deux ans de 1992 à 2008 dans la Revue archéologique, puis jusqu’en 2016 sous forme
électronique. Pour des bilans plus ponctuels, cf. HESBERG H. V., LIPPS J , « L’architecture
romaine, évolution d’un champ d’études depuis les années 1950 », Perspectives 2, 2010,
p. 215-239 ou MARC J.-Y., « Architecture et urbanisme : un bilan bibliographique des
recherches récentes », in REDDÉ M . éd., Aspects de la romanisation dans l’est des Gaules,
Glux-en-Glenne, 2011, p. 215-242 ; SAPIRSTEIN PH., « Recent Developments in the Study of
Greek Architecture », in SAPIRSTEIN PH., SCAHILL D. éd., New Directions and Paradigms for the
Study of Greek Architecture. Interdiscplinary Dialogues in the Field, Leyde, 2020, p. 1-17.
4. Cf. la courte et commode mise au point de BLIN S., HENRION F., « De l’observation du bâti
à l’archéologie globale de la construction », in KAPLAN B., LEHOËRFF A. éd., Archéologie. Entre
ruptures et continuités, Culture et Recherche, 139, 2019, p. 19-21.
5. KOENIGS W., « Gottfried Gruben », Gnomon, 2004, p. 477-479.
6. BUSEN TH., Baugeschichte, Bauforshung, Denkmalpflege an de Technischen Universität
München, Munich, 2018.
7. Entre autres : H. Bankel, L. Haselberger, H. J. Kienast, W. Koenigs, M. Korrès, D.
Mertens, A. Ohnesorg, E. L. Schwandner, M. Schuller.
8. La tecnica edilizia romana con particolare riguardo a Rome e Lazio, Rome, 1957.
9. BUKOWIECKI E., VOLPE R., WULF-RHEIDT U. éd., Il laterizio nei cantieri imperiali. Roma e il
Mediterraneo, Archeologie dell’architettura , 20, 2015.
10. http://arqarqt.revistas.csic.es/index.php/arqarqt.
11. KOKKOU A., Ioannis Travlos. Sa vie, son œuvre, Athènes, 2020, p. 106-112 (en grec).
12. SCHMIDT H., Wiederaufbau. Denkmalpflege an archäologischen Stätten II, Stuttgart, 1993 ;
SCHALLES H.-J., « Klassische Archäologie und Denkmalpflege », in BORBEIN A. H. éd.,
Klassische Archäologie. Eine Einfuhrung, Berlin, 2000, p. 52-67.
13. ZAMBAS K., LAMBRINOUDAKIS V., SIMANTONI-BOURNIA E., OHNESORG A. éd., ARCITEKTWN.
Honorary volume for Professor Manolis Korres, Athènes, 2016 ; KORRÈS M. et al. éd., HRWS
KTISTHS. Mélanges en l’honneur de Charalambos Bouras, Athènes, 2018 (en grec). Sur Ch.
Bouras, on lira aussi KORRÈS M. et al. éd., GIA TON CARALAMBO MPOURA, Athènes, 2009.
14. NOHLEN KL., « Die Wiederaufrichtung des Traians-Heiligtums in Pergamon »,
Mannheimer Forum 19, 1983, p. 163-230 ; Id., « Anastylosis und Entwurf », Ist. Mitt., 54,
2004, p. 35-54 ; Id., « Ausbildung von Handwerken bei der Teilweisen Wiederaufrichtung
des Traiansheiligtum », Heritage in context : Konservierung und Site Management im
natürlichen urbanen und sozialen Raum, Istanbul, 2014, p. 205-220 ; Id., « Anastilosi e
architettura moderna. Il caso del Santuario di Trajano a Pergamo », Architettura e
archeologia, Rassegna di architettura e urbanistica, 151, 2017, p. 45-51.
15. PINON P., Albert Gabriel (1883-1972), peintre, architecte, archéologue, voyageur, Istanbul,
2006 ; FRAISSE PH., MORETTI J.-CH., PINON P., Albert Gabriel, un architecte français à Délos au
temps de la Grande fouille, 1908-1911, Mykonos, 2008.
16. AUPERT P., CALLOT O. Le stade, FD II, Paris, 1979.
17. SCHERBER P., TRINKL E., Die Tetragonos Agora in Ephesos. Grabungsergebnisse von archaischer
bis in byzantinische Zeit – ein Überblick Befunde und Funde klassischer Zeit, Forschungen in
92

Ephesos XIII/2, Vienne, 2006 ; RUGGENDORFER P., Das Mausoleum von Belevi. Archäologische
Untersuchungen zu Chronologie, Ausstattung und Stiftung, Forschugen in Ephesos VI/2,
Vienne, 2016.
18. LLINAS CHR., FRAISSE PH., Documents d’architecture helléniques et hellénistique, EAD XXXVI,
Paris, 1995 ; FRAISSE PH., MORETTI J.-CH., Le théâtre, EAD XLII, Athènes, 2007.
19. AMANDRY P., HANSEN E., Le temple d’Apollon du IVe siècle, FD II, 14, Athènes, 2010.
20. GRANDJEAN Y., Le rempart de Thasos, Études thasiennes XXII, Athènes, 2011.
21. BRIDEL PH., Le sanctuaire de la Grande des Dîmes à Avenches. Les temples et le péribole-Étude
des architectures, Cahiers d’archéologie romande, 156, Lausanne, 2015.
22. SIOUMPARA E., Der Asklepios-Tempel von Messene auf der Peloponnes, Untersuchungen zur
hellenistischen Templearchitektur, Munich, 2011.
23. LIPPS J., Die Basilica Aemilia am Forum Romanum. Der kaiserzeitliche Bau und seine
Bauornamentik, Wiesbaden, 2011 ; HUSCHMID TH., Kastelen 3. Die Jüngeren Steinbauten in den
Insulae 1 und 2 von Augusta Raurica. Untersuchungen zur baugeschichtlichen Entwicklung
einer rïmischen Domus im 2. Und 3. Jahrhundert n. Chr., Forshungen in Augst 33, Augst, 1996 ;
LIPPS J., Die Basilica Aemilia am Forum Romanum. Der kaiserzeitliche Bau und seine Ornamentik,
2011.
24. ROSSI FR. éd., L’area sacra du forum de Nyon et ses abords, Cahiers d’archéologie romande,
66, Lausanne, 1995 ; SUTER P. J. et al. éd., Meikirch. Villa romana, Grâber und Kirche, Berne,
2004 ; BERTI ROSSI S, MAY CASTELLA C. éd., La fouille de Vidy « Chavannes 11 » 1989-1990.
Archéologie, architecture et urbanisme, Cahiers d’archéologie romande, 102, Lausanne, 2005 ;
BOSSAERT M., FRIEDLI V., Le mausolée gallo-romain de la Communance à Delémont. Études
géologiques, archéologiques et archéozoologiques, la sculpture figurée, Cahiers d’archéologie
jurassienne, 32, Delémont, 2011 ; BRUNETTI C., HENNY CHR., Recherches sur l’area publica de la
colonia Iulia Equestris, Cahiers d’archéologie romande, 136, Lausanne, 2012.
25. MONTERROSO CHECA A., Theatrum Pompei. Forma y arqhitectura de la génesis del modello
Teatral dy Roma, Madrid, 2010.
26. www.frontinus.de.
27. BUKOWIECKI E., DESSALES H., DUBOULOZ J., Ostie, l’eau dans la ville. Châteaux d’eau et réseaux
d’adduction, Rome, 2008.
28. RIGAL D., « Avatars et réaménagements de l’aqueduc antique de Cahors », in ABADIE-
REYNAL C., PROVOST S., VIPARD P. éd., Les réseaux d’eau courante dans l’Antiquité. Réparations,
modifications, réutilisations, abandon, récupération, Rennes, 2011, p. 47-62.
29. BORAU L., « Entretien et restauration des aqueducs : quels indices archéologiques ? »,
in RONIN M., MÔLLER C. éd., Entretien et restauration des infrastructures routières et
hydrauliques de l’époque républicaine à l’Antiquité tardive, Baden-Baden, 2019, p. 181-213.
Cf. aussi BORAU L., BORLENGHI A. éd., Aquae ductus. Actualité de la recherche en France et en
Espagne. Actes du colloque international (Toulouse, 15-16 février 2013), Aquitania Suppl. 33,
Bordeaux, 2015.
30. CAPELLE J., « Les épures du théâtre de Milet : pratiques de chantiers antiques », BCH,
141, 2017, p. 769-820 ; Id., « Ancient Blueprints : New Prospects and Interpretations in
Light of Recent Discoveries », in SAPIRSTEIN PH., SCAHILL D. éd., New Directions and Paradigms
for the Study of Greek Architecture. Interdiscplinary Dialogues in the Field, Leyde, 2020, p.
56-73 ; Id., « Une épure de chapiteau corinthien gigantesque gravée sur le parvis du
93

mausolée d’Auguste », RA, 2020, p. 85-102. Cf. aussi INGLESE C., PIZZO A. éd., I tracciati di
cantiere di epoca romana. Progetti, execuzioni e montaggi, Rome, 2014.
31. Par exemple, PENSABENE P., PANELLA CL. éd., Arco di Constantino. Tra Archeologia e
Archeometria, Rome, 1999. La colonia Ulpia Traiana (Xanten) a fait récemment l’objet d’une
telle enquête à l’échelle de l’ensemble du site : RUPPIENE V., Natursteinverkleidungen in den
Bauten der Colonia Ulpia Traiana, Xantener Berichte 28, Xanten, 2015.
32. Pour le mortier de chaux, cf. COUTELAS A., Le mortier de chaux, Paris, 2009. Pour les
marbres, cf. les publications et colloques édités par l’Association for the Study of Marble &
other Stones in Antiquity (URL : http://asmosia.willamette.edu/); NOGALES BASARRATE T.,
BELTRAN J. éd., Marmora Hispana : explotacion y uso de los materiales pétreos en la
Hispania Romana, Rome, 2009 ; COQUELET C. et al., Roman ornamental stones in north-western
Europe. Natural resources, manufacturing, supply, life & after-life, Namur, 2018.
33. SODINI J.-P., LAMBRAKI A., KOZELJ T., Les carrières de marbre à l’époque paléochrétienne, Aliki I,
Études thasiennes IX, Athènes, 1980.
34. VARÈNE P., Sur la taille de la pierre antique, médiévale et moderne, Dijon, 1974.
35. BESSAC J.-CL., L’outillage traditionnel du tailleur de pierre. De l’Antiquité à nos jours, Paris,
1986.
36. BERNARD H., BESSAC J.-CL., FEUGÈRES M., MARDIKIAN P., « L’épave antique de marbre de Porto
Nuovo (Corse du sud) », JRA, 11,1997, p. 53-81 ; BELHOUT A., « Construire dans l’Antiquité.
Les outils de construction du musée de Djemila (l’antique Cuicul) », Antiquités africaines
55, 2019, p. 151-182.
37. SCHWANDNER E.-L., « Der Schnitt im Stein. Beobachtungen zum Gebrauch der
Steinsäge in der Antike », in HOFFMANN A. et al., Bautechnik der Antike, Kolloquium in Berlin,
1990, Mayence, 1991, p. 216-223 ; LAROZE E., GARRIC A., « La technique du sciage des joints
dans la maçonnerie ptolémaïque en grès », BIFAO, 113, 2013, p. 239-282.
38. À Égine pour le second temple d’Aphaia : H. Bankel, Der spätarchaische Tempel der
Aphaia auf Aegina, Berlin, 1995, p. 109 (mais déjà peut-être dans le temple précédent :
SCHWANDNER E.-L., Der ältere Porostempel der Aphaia auf Aegina, Berlin, 1985, p. 130) ; à
Argos dans le temple d’Héra : PFAFF CHR. A., The Argive Heraion, I. The architecture of the
classical temple of Hera, Athènes, 2003, p. 32 et fig. 189, 193 et 194 ; à Némée dans le
temple de Zeus : Id., ibid., n. 28 p. 91.
39. SEIGNE J., « Note sur le sciage des pierres dures à l’époque romaine », Revue
archéologique du Centre de la France, 39, 2000, p. 223-234 ; Id., « Une scie hydraulique du
VIe siècle à Gerasa (Jerash, Jordanie) », in BRUN J.-P., FICHES J.-L. éd., Énergie hydraulique et
machines élévatrices d’eau durant l’Antiquité, Naples, 2007, p. 243-257 ; GREWE K., « Die
Reliefdarstellung einer antiken Steinsägemaschine aus Hierapolis in Phrygien und ihre
Bedeutung für die Technikgeschichte », in BACHMANN M. éd., Bautechnik im antiken und
vorantiken Kleinasien, BYZAS, 9, 2009, p. 429-454.
40. LOISEAU C., « Les métaux dans les constructions publiques romaines. Applications
architecturales et structures de production », Arqueologia de la construccion, 3, 2012, p.
117-130 ; Id., « Le mobilier métallique employé dans la construction et la décoration »,
Aquitania, 28, 2012, p. 163-170.
41. MATHÉ V., « Le bois de construction en Grèce du IVe au II e siècle av. J.-C. Quelques
considérations d’ordre économique », Aedificare, 1, 2017, p. 45-62 ; LAMOUILLE ST., PÉFEAU
P., ROUGIER-BLANC S. éd., « Bois et Architecture dans la Protohistoire et l’Antiquité (XVIe s.
94

av. – IIe s. apr. J.-C.). Grèce, Italie, Europe occidentale. Approches méthodologiques et
techniques », Pallas, 110, 2019, p. 13-258.
42. AMICI C. M., Architettura romana. Dal cantiere al Architetto : Soluzioni Concrete per Idee
Progettuali, Rome, 2016.
43. BINNINGER S., « La construction du trophée d’Auguste à La Turbie. L’étude de
l’organisation et des rythmes du chantier », Arqueologia de la construccion, 1, 2008, p.
89-106.
44. COUTELAS A., CREISSEN TH., VAN ANDRINGA W., « Un chantier pour les dieux. La
construction du temple de la Fortune Auguste à Pompéi », in AUGUSTA-BOULAROT S., HUBER
S., VAN ANDRINGA W. éd., Quand naissent les dieux. Fondation des sanctuaires antiques :
motivations, agents, lieux, Rome, 2017, p. 151-172 ; SANIDAS G., MULLER A., DADAKI S., « Le
chantier de construction d’un triklinos d’une demeure protobyzantine à Thasos : les
vestiges archéologiques », AEMTh, 28, 2014, p. 675-688 (en grec moderne, avec un court
résumé en français p. 688).
45. BADIE A., ZUGMEYER ST., « Trois chantiers de construction en Narbonnaise gallo-
romaine : le temple de Vernègues, le théâtre d’Orange et l’amphithéâtre d’Arles », in
CARVAIS R. et al. éd., Édifice & artifice. Histoires Constructives. Recueil de textes issus du premier
Congrès francophone d’histoire de la construction, Paris, 19-21 juin 2006, Paris, 2010, p.
879-887 ; BADIE A., ZUGMEYER ST., « Comprendre l’usage de la pince à crochet, un enjeu
pour restituer l’organisation des chantiers antiques », in CAMPOREALE ST., DESSALES H., PIZZO
A. éd., Arqueologia de la construccion, III. Los procesos constructivos en el mundo romano : la
economia de la obras, Madrid, 2012, p. 107-115.
46. TENDRON G. et alii, « Un atelier de marbrier dans la curie du forum d’Aregenua (Vieux,
Calvados) », in BOISLÈVE J., JARDEL K., TENDRON G. éd., Décor des édifices publics civils et
religieux en Gaule durant l’Antiquité (Ier – IVe siècle), Chauvigny, 2012, p. 111-134 ; BLIN S.,
« Un atelier de marbrier dans le macellum de Thasos », in MARC J.-Y., « Thasos. Les
abords-sud », BCH, 135, 2014, p. 525-529.
47. FAVRO D., « Construction Traffic in Imperial Rome : Building the Arch of Septimius
Severus », in LAURENCE R., NEWSOME D. J. éd., Rome, Ostia, Pompeii : Movement and Space,
Oxford, 2011, p. 332-360.
48. WESCOAT B. D., The Temple of Assos, Oxford, 2012.
49. OLESON J. P., « Harena sine calce : Building Disasters, Incompetent Architects, and
Construction Fraud in Ancient Rome », in RINGBOM A., HOHLFELDER éd., Building Roma
Aeterna : Current Research on Roman Mortar and Concrete, Helsinki, 2011, p. 9-27 ; DESSALES
H., « L’architecture prise en défaut. Les malfaçons dans les bâtiments romains », in
BOURDIN ST., DUBOULOZ J., ROSSO E. éd., Peupler et habiter l’Italie et le monde romain. Études
d’histoire et d’archéologie offertes à Xavier Lafon, Aix-en-Provence, 2014, p. 157-162.
50. FLUTSCH L., HAUSER P., Le mausolée nouveau est arrivé : les monuments funéraires
d’Avenches-en-Chaplix, Lausanne, 2012.
51. BARKER S. J., « The demolition, salvage, and recycling industry in Imperial Rome »,
Aedificare, 4, 2018, p. 37-88.
52. LAMOUILLE ST., PÉFEAU P., ROUGIER-BLANC S. éd., « Bois et Architecture dans la
Protohistoire et l’Antiquité (XVIe s. av. – II e s. apr. J.-C.). Grèce, Italie, Europe
occidentale. Approches méthodologiques et techniques », Pallas, 110, 2019, p. 13-258.
95

53. KARLSSON L., « Emplekton Masonry and the Chain Technique », Fortifications Towers
and Masonry Techniques in the Hegemony of Syracuse, 405-211 B.C., Stockholm, 1992, p.
67-85 ; PEDERSON P., « Emplekton – The Art of Weaving Stones », in PARTIDA E. C., SCHMIDT-
DOUNAS B. éd., Listening to the Stones. Essays on Architecture and Function in Ancient Greek
Sanctuaries in Honour of Richard Alan Tomlinson, Oxford, 2019, p. 1-10.
54. LAMOUILLE ST., « Les charpentes dans l’architecture monumentale en Grèce ancienne :
réflexions historiographiques, techniques et méthodologiques », Pallas, 110, 2019, p.
223-243. Cf. aussi KORRES M., The Odeion Roof of Herodes Atticus and other Giant Spans,
Athènes, 2015.
55. ISMAELLI T., Architectura dorica a Hierapiolis di Frigia, Hierapolis di Frigia 3, Istanbul,
2009.
56. SCHOEVAERT J., Les boutiques d’Ostie. L’économie urbaine au quotidien, Ier s. av. J.-C. – Ve
apr. J.-C., Rome, 2018.
57. GROS P., Architecture et société à Rome et en Italie centro-méridionale aux deux derniers
siècles de la République, Bruxelles, 1978 ; TORELLI M., « Innovazioni nelle tecniche edilizie
romane tra il I sec. A. C. e il I sec. D. C. », in Tecnologia, economia et società nel mondo
romano. Atti del convegno di Como, 27-29 sttembre 1979, Côme, 1980, p. 140-161.
58. LANCASTER L. C., Concrete Vaulted Construction in Imperial Rome : Innovations in Context,
Cambridge, 2005 ; Id., Innovative Vaulting in the Architecture of the Roman Empire. 1st to 4th
Centuries CE, Cambridge, 2015 ; VITTI P., Building Roman Greece. Innovation in Vaulted
Construction in the Peloponnese, Rome, 2016.
59. DESSALES H., « Les savoir-faire des maçons romains, entre connaissance technique et
disponibilité des matériaux. La connaissance des roches et son application par les
structores. La cas pompéiein », in MONTEIX N., TRAN N. éd., Les savoirs professionnels des gens
de métier. Études sur le monde du travail dans les sociétés urbaines de l’empire romain, Naples,
2011, p. 41-63.
60. MARTIN R., « Aspects financiers et sociaux des programmes de construction dans les
villes grecques de Grande-Grèce et de Sicile », in Architecture et urbanisme, Rome, 1987,
p. 533-547 ; DELANE J., The Baths of Caracalla. A Study in the Design, Construction, and
Economics of Large-Scale Building Projects in Imperial Rome, 1997 ; CAMPOREALE ST., DESSALES H.,
PIZZO A. éd., Arqueologia de la construccion, III. Los procesos constructivos en el mundo romano :
la economia de la obras, Madrid, 2012 ; RUSSELL B., The Economics of the Roman Stone, Oxford,
2014 ; BROGIOLO G. P., CAMPOREALE S., CHAVARRIA A. éd., Costi, tempi e metri cubi. Quantificare in
architettura, Archaeologia dell’Architettura, 22, 2017.
61. BOLDRIGHINI F. et al., Arcata. Archeologia e Catalogazione 1. Proposte di terminologia per la
catalogazione dei reperti archeologici del Lazio. Elementi architettonichi e di rivestimento,
Rome, 2007 ; TARDY D. et al., Manuel d’étude du décor architectural des Gaules, Bordeaux (à
paraître).
62. MÜLLER KL., LIPPS J., Römische Monumentalarchitektur in Augsburg, Augsburger Beiträge zur
Archäologie 7, Augsburg, 2016.
63. LIPPS J., MASCHEK D. éd., Antike Bauornamentik. Grenzen und Möglichkeiten ihrer
Forschung, Wiesbaden, 2014 ; Id., Transfer und Transformation römischer Architektur in den
Nordwestprovinzen, Tübingen, 2017.
64. ROUX G., L’architecture de l’Argolide aux IVe et IIIe siècles avant J.-C., Paris, 1961.
96

65. DES COURTILS J., « Ionismes en Péloponnèse ? À propos d’un anthémion archaïque de
Thasos », BCH, 106, 1983, p. 409-417 ; Id., « Moulures architecturales en marbre de l’île
de Thasos », BCH, 121, 1997, p. 489-552 ; Id., « Paros et Thasos : les maintiens des liens
culturels dans la construction publique », in BONNIN G., LE QUÉRÉ E. éd., Pouvoir, îles et mer.
Formes et modalités de l’hégémonie dans les Cyclades antiques (VIIe s. a.C. – III e s. p.C.) ,
Bordeaux, 2014, p. 279-286.
66. RUMSCHEID FR., Untersuchungen zur kleinasiatischen Bauornamentik des Hellenismus,
1994 ; VANDEPUT L., The Architectural Decoration in Roman Asia Minor. Sagalassos : a Case
Study, Louvain, 1997 ; KÖSTER R., Die Bauornamentik der frühen und mittleren Kaiserzeit. Milet,
Ergebnisse der Ausgrabungen und Untersuchungen seit dem Jahr 1899, Berlin, 2004 ; CAVALIER
L., Architecture romaine d’Asie Mineure. Les monuments de Xanthos et leur ornementation,
Bordeaux, 2005 ; Id., « Chapiteaux corinthiens de Grèce et d’Asie Mineure », in DES
COURTILS J. éd., L’architecture monumentale grecque au IIIe siècle av. J.-C., Bordeaux, 2015, p.
305-317 ; Id., « Remarques sur l’ornementation en Lycie à l’époque hellénistique », in
MONTEL S. éd., La sculpture gréco-romaine en Asie Mineure. Synthèses et recherches récentes,
Besançon, 2016, p. 239-251.
67. Pour Vitruve, on se reportera à l’édition désormais complète dans la CUF, aux
travaux de L. Callebat, de Ph. Fleury ou de P. Gros, ou encore à la succession des Vitruv-
Koloquium en Allemagne. Pour Julien d’Ascalon, SALIOU C., Le traité d’urbanisme de Julien
d’Ascalon. Droit et architecture en Palestine au VIe siècle, Paris, 1996.
68. Pour Philon de Byzance, GARLAN Y., Recherches de poliorcétique grecque, Athènes, BEFAR,
223, 1974.
69. ROQUES D., Procope de Césarée, Constructions de Justinien Ier. Introduction, traduction,
commentaires, cartes et index, Alessandria, 2011. On peut aussi consulter la traduction
italienne de DELL’OSSO C., BRANDT O., CASTIGLIA G. éd., Procopio di Cesarea – Gli Edifici, Studi di
Antichità Cristiana, 67, Rome, 2018 (mais pas les commentaires qui sont souvent fautifs).
Sur Procope, l’ouvrage de référence reste : CAMERON A., Procopius and the Sixth Century,
Londres, 1996. Pour le projet allemand d’édition critique, URL : https://
www.instag.geschichte.uni-mainz.de/procopius-and-the-language-of-buildings/.
70. HELLMANN M.-CHR., Choix d’inscriptions architecturales grecques, traduites et commentées,
Lyon, 1999.
71. Pour apprécier tout ce que la documentation épigraphique peut apporter à l’étude
d’un édifice ou d’un chantier, on lira FRAISSE PH., MORETTI J.-CH., Le théâtre, EAD XLII,
Athènes, 2007, p. 203-214 ; MARGINESU G., Gli epistati dell’Acropoli. Edilizia sacra nella città di
Pericle, 447/6-433/2a.C., Athènes, 2010 ; MATHÉ V., « Les métaux dans les comptes de
construction de Delphes et d’Épidaure », in BLONDÉ FR., L’artisanat en Grèce ancienne.
Filières de production : bilan, méthodes et perspectives, Lille, 2016, p. 239-252.
72. HELLMANN, M.-CHR., Recherches sur le vocabulaire de l’architecture grecque, d’après les
inscriptions de Délos, BEFAR, 278, Athènes, 1992.
73. GINOUVÈS R., MARTIN R., Dictionnaire méthodique de l’Architecture grecque et romaine, I.
Matériaux, techniques de construction, techniques et forme du décor, Athènes/Rome, 1985 ;
GINOUVÈS R., Dictionnaire méthodique de l’Architecture grecque et romaine, II. Éléments
constructifs : supports, couvertures, aménagements intérieurs, Athènes/Rome, 1992 ; Id.,
Dictionnaire méthodique de l’Architecture grecque et romaine, III. Espaces architecturaux,
bâtiments et ensembles, Athènes/Rome, 1998.
97

74. VON HESBERG H., LIPPS J., « L’architecture romaine, évolution d’un champ d’études
depuis les années 1950 », Perspectives, 2, 2010, p. 215-239. BRACCI S., GIACHI G., LIVERANI P.,
PALLECCHI P., PAOLUCCI F. ed., Polychromy in Ancient Sculpture and Architecture, Proceedings of
the 7th Round Table, Florence, 4-7 November 2015, Livourne, 2018.
75. GRAND-CLÉMENT A., La fabrique des couleurs histoire du paysage sensible des Grecs anciens
(VIIe- début du Ve s. av. n. è.), Paris, 2011.
76. BRADLEY M., Colour and Meaning in Ancient Rome. Cambridge Classical Studies.
Cambridge/New York, 2012.
77. ROUVERET A. et al. éd., Couleurs et matières dans l’antiquité. Textes, techniques et pratiques,
Paris, 2006.
78. BREKOULAKI CH., L’esperienza del colore nella pittura funeraria dell’Italia preromana, V-III
secolo a. C., Naples, 2001 ; Id., La peinture funéraire macédonienne. Emploi et fonctions de la
couleur (IVe-IIe av. J.-C.), Athènes 2006 ; BREKOULAKI CH., DAVIS J. L., STOCKER S. R. éd., Mycenaean
Wall Painting in Context. New Discoveries, old Finds Reconsidered, Athènes, 2015
(MELETHMATA, 72).
79. https://www.carlsbergfondet.dk/en/Forskningsaktiviteter/Research-Projects/
Other-Research-Projects/Cecilie-Broens_Sensing-the-Ancient-World.
80. FLUTSCH L., HAUSER P., Le mausolée nouveau est arrivé : les monuments funéraires
d’Avenches-en-Chaplix, Lausanne, 2013.
81. BRIDEL PH., Le sanctuaire de la Grange des Dîmes à Avenches. Les temples et le péribole -
Étude des architectures, Avenches, 2015.
82. ECK W., VON HESBERG H., « Der Rundbau eines Dispensator Augusti und andere
Grabmäler der frühen Kaiserzeit in Köln. Monumente und Inschriften », Kölner Jahrbuch,
36, 2003, p. 151-205.
83. KREMER G., Das frühkaiserzeitliche Mausoleum von Bartringen (Luxembourg), Luxembourg,
2011.
84. GROS P., VARÈNE P., « Un monument public de la seconde moitié du Ier s. ap. J.-C. à Aix-
en-Provence (B.-du-Rh.) : trois blocs d’architecture conservés au Musée Granet », RAN,
34, 2001, p. 1-15 = un portique flavien à partir de trois blocs sauvés d’une décharge.
85. VON HESBERG H., « Bauteil der frühen Kaiserzeit in Köln. Das Oppidum Ubiorum zur
Zeit des Augustus », in RIEHE A., SCHALLES H.-J., ZELLE M. éd., Festschrift Gundolf Precht,
Xantener Berichte 12, Mayence, 2002, p. 13-36.
86. Cf. supra.
87. PENSABENE P., Elementi architettonici di Alessandria e di altri siti egiziani, Rome, 1993 ; Id.,
Ostiensium marmorum decus et decor. Studi architettonici, decorativi e archeometrici, Rome,
2007.
88. TARDY D., Le décor architectonique de Saintes antique, Aquitania Suppl. 7, Bordeaux, 1994 ;
Id., Le décor architectonique de Vesunna (Périgueux antique), Aquitania Suppl. 12, Bordeaux,
2005.
89. BESSIÈRE F., « Les éléments architecturaux », Revue Archéologique de Picardie, 27, 2010,
p. 309-327.
90. BLIN S., « Un programme public tardo-augustéen à Mandeure », in REDDÉ M. éd.,
Aspects de la romanisation dans l’est de la Gaule, Glux-en-Glenne, 2011, p. 275-286 ; Id.,
« Marble capitals in East Gaul and Germany, between urban models and provincial
98

creation », in PENSABENE P., MILELLA M., DOMINGO J. éd., Decor. Decorazione e architettura nell
mondo romano. Atti del convegno internazionale, Roma, 21-24 maggio 2014, Rome, 2017,
p. 257-268 ; Id., « Lions et sphinges de la nécropole romaine de Strasbourg-
Koenigshoffen », in GAGGADIS-ROBIN V., DE LARQUIER N., La sculpture et ses remplois, IIe
rencontres autour de la sculpture romaine, Bordeaux, 2019, p. 259-270.
91. FELLAGUE D., « Les blocs d’architecture », in AYALA G. éd., Lyon, Saint-Georges.
Archéologie, environnement et histoire d’un espace fluvial en bord de Saône, DAF, 106, Paris,
2013, p. 308-325 ; Id., « Les mausolées de la nécropole de Trion à Lyon », in MORETTI J.-CH.,
TARDY D. éd., L’architecture funéraire monumentale. La Gaule dans l’Empire romain, Actes du
colloque organisé par l’IRAA du CNRS et le musée archéologique Henri-Prades, Lattes, 11-13
octobre 2001, Paris, 2006, p. 355-376 ; FELLAGUE D., FERBER E., « Les remplois antiques de
pièces lapidaires de la ‘fouille Wernert’ à Lyon », in GAGGADIS-ROBIN V., DE LARQUIER N., La
sculpture et ses remplois, IIe rencontres autour de la sculpture romaine, Bordeaux, 2019, p.
69-92.
92. MALIGORNE Y., L’architecture romaine dans l’ouest de la Gaule, Rennes, 2006 ; CASTORIO J.-N.,
MALIGORNE Y., Une tombe monumentale tibérienne à Nasium, Nancy, 2007 ; MALIGORNE Y., « Le
décor architectural en marbre de Narbonne (Gallia Narbonensis). Les périodes
augustéenne et julio-claudienne », in PENSABENE P., MILELLA M., CAPRIOLI F. éd., Decor.
Decorazione e architettura nell mondo romano. Atti del convegno internazionale, Roma, 21-24
maggio 2014, Rome, 2017, p. 207-216 ; Id., « Le décor architectonique dans les cités de
l’Ouest de la Gaule d’Auguste aux Sévères », Aremorica. Études sur l’ouest de la Gaule
romaine, 9, 2018, p. 103-150 ; MALIGORNE Y., BADIE A., « Décor architectonique et modèles
italiques tardo-républicains en Transalpine occidentale : quelques exemples sur les
séries précoces de Narbonne et Toulouse », in GUICHARD V., VAGINAY M. éd., Les modèles
italiens dans l’architecture IIe-Ier av. notre ère en Gaule et dans les régions voisines, Actes du
colloque de Toulouse, 2-4 octobre 2013, Glux-en-Glenne, 2019, p. 315-322.
93. HELLMANN M.-CHR., « Les architectes de l’École française d’Athènes », BCH, 120, 1996, p.
191-222.
94. DAUX G., HANSEN E., Le trésor de Siphnos, FD II, Topographie et architecture, Athènes, 1987.
95. Il serait très utile que de nouvelles initiatives, comme celles qui ont été menées en
collaboration avec le Musée de Lattes à l’occasion de l’exposition « La mort des notables
en Gaule romaine » (MORETTI J.-CH., TARDY D. éd., L’architecture funéraire monumentale. La
Gaule dans l’Empire romain, Actes du colloque organisé par l’IRAA du CNRS et le musée
archéologique Henri-Prades, Lattes, 11-13 octobre 2001, Paris, 2006) ou à la Maison de
l’Orient méditerranéen de Lyon (MORETTI J.-CH., Fronts de scène et lieux de culte dans le
théâtre antique, Lyon, 2009), puissent animer et fédérer des recherches dispersées et
isolées.
96. MORETTI J.-CH., TARDY D., BADIE A., « Le théâtre », in ROUMEGOUS A., Orange et sa région,
Carte archéologique de la Gaule 84/3, Paris, 2009, p. 230-243 ; BADIE A., MORETTI J.-CH., ROSSO E.,
TARDY D., « L’ornementation de la frons scenae du théâtre d’Orange : l’élévation de la
zone centrale », in NOGALES T., RODÀ I. éd., Roma y la provincias : modelo y difusion, XIe
colloque international sur l’art romain provincial, Merida 18-21 mai 2009, Mérida, 2011, p.
193-202.
97. AUGUSTA-BOULAROT S., BADIE A., LAHARIE M.-L., « Le sanctuaire augustéen de Vernègues
(Bouches-du-Rhône) : étude architecturale, antécédents et transformations », in
99

CHRISTOL M., TARDE D. éd., L’expression du pouvoir à l’époque augustéenne : Autour de la Maison
Carrée, Actes du colloque tenu à Nîmes du 20 au 22 octobre 2005, Paris, 2009, p. 131-158.
98. BADIE A., ROBERT R., TARDY D., « Les productions de sculpteurs de l’École d’Aquitaine au
IIe siècle : les transformations du décor architectural à Bordeaux », in KONCANI UHAC I.
éd., La datation des monuments en pierre et les critères de détermination chronologique, Actes
du XIIe colloque international sur l’art romain provincial, Pula, 2014, p. 182-188 ; BADIE A.,
MALMARY J.-J., TARDY D., ROBERT R., « La monumentalité de Bordeaux antique au IIe siècle à
travers les vestiges de sa parure monumentale », in BOUET A. éd., MONUMENTAL ! La
monumentalisation des villes de l'Aquitaine et de l'Hispanie septentrionale durant le Haut-
Empire, Villeneuve-sur-Lot, 2015, p.749-768 ; ROBERT R., BADIE A., MALMARY J.-J., TARDY D.,
« Recherches récentes sur les Piliers de Tutelle », Revue archéologique de Bordeaux.
Archéologie, Art, Histoire, Patrimoine, 107, 2016, p. 3-19 ; BADY A., MALMARY J.-J., ROBERT R.,
TARDY D., « Les piliers de Tutelle à Bordeaux entre sources anciennes et vestiges
archéologiques », in PENSABENE P., MILELLA M., CAPRIOLI F. éd., Decor. Decorazione e
architettura nell mondo romano. Atti del convegno internazionale, Roma, 21-24 maggio 2014,
Rome, 2017, p. 227-236.
99. BADIE A., SABLAYROLLES R., SCHENCK J.-L., Le temple du Forum et le monument à enceinte
circulaire, Saint-Bertrand-de-Comminges I, Bordeaux, 1994 ; FABRE G., PAILLET J.-L., Le
macellum, Saint-Bertrand-de-Comminges IV, Bordeaux, 2009, BADIE A., « La façade
extérieure du portique du temple du forum de Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-
Garonne) », in BOUBE E., BOUET A., COLLEONI F. éd., De Rome à Lugdunum des Convènes.
Itinéraire d’un Pyrénéen par monts et par vaux. Hommages offerts à Robert Sablayrolles,
Bordeaux, 2014, p. 147-156.
100. LAMBRINOU L., « The Parthenon’s North Colonnade : Comments on its
Construction », in SAPIRSTEIN PH., SCAHILL D. éd., New Directions and Paradigms for the Study
of Greek Architecture. Interdiscplinary Dialogues in the Field, Leyde, 2020, p. 21-38 ; MANIDAKI
V., « New Evidence for the Construction Phases of the Parthenon Peristyle : Anomalies
at the Southwest Corner », ibid., p. 39-55.
101. MARC J.-Y., « Mehr Denken statt nur messen ». L’archéologie monumentale, l’analyse
architecturale et la question du relevé », in FRAISSE PH. éd., Architecture et archéologie. Le
rêve et la norme, Arles, 2020, p. 15-24.
102. Par exemple, BRUNET-GASTON V., GASTON CHR., « Un sanctuaire antique à Pont-Sainte-
Maxence », RA, 2016, p. 187-196, encore que l’identification et l’interprétation sont très
discutables : il pourrait s’agir non d’un sanctuaire mais d’un monument funéraire.
103. Il serait temps de s’inspirer du modèle allemand, dans lequel la protection des
monuments historiques est enseignée en même temps que l’histoire de l’architecture.
Pour ne citer qu’un seul exemple, il est vrai prestigieux, Kl. Nohlen, l’architecte qui
restaura le Trajaneum de Pergame, occupa, à la Fachhochschule de Wiesbaden, une chaire
de Baugeschichte, Bauaufnahme und Bauherhaltung/Denkmalpflege.
104. Sur l’histoire de cette formation, d’abord propre aux écoles d’architecture de
Nancy, Paris-Belleville puis Strasbourg, aujourd’hui co-habilitée avec l’Université de
Strasbourg, cf. FRAISSE PH. éd., Architecture et archéologie. Le rêve et la norme, Arles, 2020.
105. BESSAC J.-CL., « Anthropologie de la construction. De la trace d’outil au chantier », in
PARRON-KONTIS I., REVEYRON N. éd., Archéologie du bâti. Pour une harmonisation des méthodes,
Paris, 2005, p. 53-61.
100

RÉSUMÉS
L'étude de l'archéologie grecque et romaine a le plus souvent été le fait d'une collaboration entre
architectes et archéologues, en particulier dans le cadre des grandes fouilles de la fin du
XIXe siècle et du premier tiers du XXe siècle (en Méditerranée orientale mais aussi en Afrique du
Nord), du fait de la rencontre de la tradition ancienne des « envois de Rome » et de la naissance
de l'archéologie universitaire. Les grandes publications monographiques, qu'elles concernent
l'architecture monumentale ou l'architecture domestique, conjoignaient en général une analyse
très précise des vestiges (par des relevés pierres à pierres à des échelles très grandes), des
propositions de restitution, des études sur les techniques de construction ou le décor
architectural et des conclusions typo-chronologiques. La création de l'IRAA du CNRS à la fin des
années cinquante, qui a permis d'institutionnaliser cette collaboration et de l'étendre aux
travaux menés sur le territoire métropolitain (Orange, Arles, Alésia, etc.), n'a pas entraîné de
formalisation ni de théorisation des méthodes employées. Pas plus d'ailleurs que l'émergence de
l'archéologie du bâti chez les médiévistes : la part prise par les architectes dans nos publications
l'explique peut-être en partie. C'est plutôt la révolution numérique qui a forcé les historiens de
l'architecture classique, qu'ils soient architectes ou archéologues, à se poser la question du
relevé, du dessin, de la représentation, etc.

The study of Greek and Roman archaeology has most often been the result of collaboration
between architects and archaeologists, particularly in the context of the great excavations of the
late 19th century and the first third of the 20th century (in the Eastern Mediterranean but also in
North Africa), due to the meeting of the ancient tradition of the "Roman shipments" and the
birth of university archaeology. The major monographic publications, whether they concerned
monumental or domestic architecture, generally combined a very precise analysis of the remains
(by means of stone-by-stone surveys on very large scales), proposals for restitution, studies on
construction techniques or architectural decoration and typo-chronological conclusions. The
creation of the IRAA of the CNRS at the end of the 1950s, which made it possible to
institutionalise this collaboration and to extend it to work carried out in metropolitan France
(Orange, Arles, Alesia, etc.), did not lead to any formalisation or theorising of the methods used.
Neither did the emergence of the archaeology of the built environment among medievalists: the
part taken by architects in our publications perhaps explains this in part. Rather, it is the digital
revolution which has forced historians of classical architecture, whether architects or
archaeologists, to ask themselves the question of surveying, drawing, representation, etc., and to
ask themselves how they can be used in their work.

INDEX
Mots-clés : archéologie grecque et romaine, pratique du dessin, relevé
Keywords : Greek and Roman archaeology, drawing practice, survey
101

AUTEUR
JEAN-YVES MARC

Professeur, Université de Strasbourg-UMR 7044 ; École Nationale supérieure d'architecture de


Strasbourg
jeanyves.marc@unistra.fr
102

Early Medieval Hispanic


constructions as material culture :
archaeology of architecture and
technology
Les constructions hispaniques du Haut Moyen Âge comme culture
matérielle : archéologie de l'architecture et technologie

María de los Ángeles Utrero Agudo

This paper is due to the projects : “Arqueología de las iglesias hispánicas del siglo X : la
circulación de modelos arquitectónicos y decorativos. HAR2017-84927-P”, funded by the Spanish
Ministry of Economy and Competitiveness (MINECO) and AEI/FEDER, UE ; “El monasterio
altomedieval de Santa María de Melque (Toledo). Configuración arquitectónica, materialidad y
territorio” and “Arqueología de la Arquitectura en la iglesia de San Pedro de La Mata (Sonseca,
Toledo)”, both of them funded by la Junta de Castilla-La Mancha (Consejería de Educación,
Cultura y Deportes).
1 Understanding of late antique (6th-7th c.) and early medieval (8 th-10th c.) Hispanic
churches has been updated in the last two decades thanks to the launch of different
archaeological projects both focused on the excavation of sites and on the analysis of
standing structures. This methodological renewal aimed firstly a deeper approach to
studying this architecture and its characterization and chronology, areas traditionally
examined according to stylistic criteria and written sources1. It aimed thereby to bring
archaeological records into line with written information, leaving thus aside the
previous role of the formers as mere complementary and illustrative accounts.
2 Results have made it possible gradually not only to review traditional chronologies and
features, but to understand the proper impact of the movement of artisans and
workshops, to comprehend the role of the commissioners, to approach consequent
technological change and to revalue the traditional established links and influences
between Christian and Islamic constructions in the Iberian Peninsula2, breaking thus
traditional architectural frontiers3.
103

3 In order to explain the above, this paper presents firstly some updated conceptual and
methodological considerations. It shows secondly how archaeological sequences might
be interpreted technologically, allowing thus to make visible the artisans, their tools,
techniques and knowledge, along with the building process. All these connected aspects
are explained from a methodological perspective and are illustrated by showing some
results recently obtained thanks to the archaeological analysis of some early medieval
churches : San Pedro de La Mata and Santa María de Melque, both sited in the province
of Toledo and dated to late 8th century ; and San Cebrián de Mazote and San Miguel de
Escalada, both located in the northern plateau and dated to late 9th century (Fig. 1).
These examples show common and different key features for the understanding of the
construction activity during this period.

Fig. 1a. San Miguel de Escalada (Gradefes, León) (cl. M.ª Á. Utrero).
104

Fig. 1b. San Cebrián de Mazote (San Cebrián de Mazote, Valladolid) (cl. M.ª Á. Utrero).

Fig. 1c. Santa María de Melque (San Martín de Montalbán, Toledo) (cl. M.ª Á. Utrero).
105

Fig. 1d. San Pedro de La Mata (Sonseca, Toledo) (cl. M.ª Á. Utrero).

1. Archaeological methodology and building


technology: benefits and limits
4 The construction of a masonry building is a complex process involving a sequence of
staged and programmed transformational activities (planning and projecting,
acquisition and transport of material, working on site and building), and related
production cycles of the different employed materials (stone, metal, timber…). All these
activities and production cycles require besides different skills and human, material
and funding resources4.
5 However, due to the nature of the material evidences, archaeology is only able to
approach some of these activities, namely the acquisition of materials and its
transformation5. Survey to select and exploit quarries for materials or the selection of
building sites are, for example, invisible parts of the process. It is in the quarry, the
building and the working areas, where we can find material evidence related to the
building process.
6 Early medieval Hispanic quarries (and European in general6) have not been so far
properly analysed. Preliminary fieldwork results are promising regarding the
knowledge of the masons about the selection of materials according with quality and
function and about the available areas of exploitation, as it is shown below. But there is
still a long way to walk7.
7 As regards standing constructions, these are archaeological sites, since they are the
result of successive construction and destruction activities happened all throughout
their history, which can be recorded stratigraphically8. Following this method,
buildings are divided into stratigraphic units, the relative chronological sequence of
which may be established by identifying and characterizing those units, and by
examining their physical relationships and their typologies. Stratigraphy, typology,
archaeometry (when possible) and written sources (when available) all work to turn
this relative chronological sequence into a succession of absolute dates, thus revealing
the successive stages of construction which usually underlie a single building.
106

8 Common physical features and limits define archaeological strata. In standing walls,
strata are featured and dated by building materials (stone, timber, mortar), techniques
(tracing cuts, dimensions) and typology of single elements (doors, capitals, windows…).
According to the stratigraphic principle of typological identity, strata made up of
identical materials and created by similar techniques are thought to be coeval9. Each
stratum is thus defined by a precise type, resulted from the combination of their
features, which make it also possible to date the stratum. Type and stratum thus
coincide, corresponding to a specific chronological period (Fig. 2)10.

Fig. 2. Type, stratum and technology (M.ª Á. Utrero).

9 Early medieval building technology was a practical material and structural knowledge11
(Fig. 3). Regarding the material aspect, technology is the knowledge owned and applied
by the artisans, by using specific instruments, materials and techniques. Structurally, it
is the ability of designing and projecting a building, considering likely technical
problems and ensuring thereby that constructions do not collapse.

Fig. 3. Technology concept (based on UTRERO 2017).

10 Since there was no theoretical training in the early middle ages, this knowledge was
based on a trial-error process and on experience, transmitted by means of the
continuous activity of workshops (chain masters-apprentices) and dependent on an
existing constant demand (commissioners). Their products remained the same as long
as techniques, materials, instruments and artisans remained unchanged. This idea
corresponds then to the stratigraphic principle of typological identity explained above
and highlights the equivalence between stratum, type and technology (Fig. 2).
11 Taking into account these methodological and conceptual notes, it is our aim now to
explain those staged and main transformational activities of the building process
107

(planning and projecting, acquisition and transport of material, working on site and
building) by bringing together some material evidences recorded in the
abovementioned early medieval temples. It is not our intention to show their complete
archaeological sequences12, but to highlight the possibility of reading and interpreting
these in terms of technology.

2. Planning and projecting


12 The desires and resources of the commissioners, the skills of the qualified artisans to
produce every element (such as marble and limestone capitals and stuccos in Mazote
and Escalada, marble friezes in La Mata, stuccoed friezes and arches in Melque) and the
requirements of the monastic sites (dimensions of churches and additional necessary
rooms and infrastructures) were connected key factors conditioning the building
project.
13 As explained below, the variety of quarries exploited, the combination of materials
with different qualities and functions (structure, decoration), and the diversity of
constructions and spaces included within these big monastic centres (church, rooms,
fence…) underscore altogether the necessity of an accurate planning, with a project
manager in charge of ensuring and coordinating material, human and funding
resources during the project.
14 Although theoretical training was not available, recent analysis on the geometric
procedures of early medieval churches reveals a basic theoretical knowledge, reflecting
a likely previous theoretical project adapted to each building case and tested by
practical activity and experience13. This knowledge was then necessary transmitted
within the frame of the active workshop.
15 As regards architectural and constructive references and according to some few
evidences, we must think that building planning could have made used of simple
drawings, employed during the work to help complex details (voussoirs of arches and
vaults ; common springers in Mazote and Escalada, probably designed in situ). These
drawings appear on walls, pavements and fresh plaster (lost engraved arch in the
plaster of Madīnat al-Zahrā’, Córdoba, and measuring marks in the paintings of the
Asturian church of San Adriano de Tuñón14), showing that design and construction
were strength linked, adapting to each other and being modified or rethought when
necessary during the process.

3. Acquisition and transport of material


16 Once project was demarcated, next task was to obtain the necessary construction
materials. Archaeological and geological investigations reveal that there was a proper
knowledge of the surrounding areas of the building site, an intentional searching for
materials, an understanding of their technical features and a specific use of them
according to the latter.
17 While the geological soil in La Mata was good enough to provide regular granite stones
for its construction15, it did not happen the same in Melque, where builders found this
stone in quarries located almost 20 km far away from the site and use it both for
building and decoration16. By contrast, in the churches of Escalada and Mazote17, local
108

rough limestone from the nearby quarries, within a maximal distance of 5 km, was
employed to build the external masonry walls. However, fine ashlar limestone was
exploited in quarries located further away (Boñar, 20 km away from Escalada, and San
Pelayo and Peñaflor de Hornija, 9-24 km away from Mazote), featured by a better
quality to cut in the regular stones and keystones of its internal arcades and the
sculptural elements (Fig. 4). Since quarries were in the nearby of the temples, there is
the chance that the former were part of the monastic goods, but this hypothesis needs
to be tested.

Fig. 4. San Cebrián de Mazote (Valladolid), regular keystones and reused and new elements of the
internal arcades, looking westwards (cl. M.ª Á. Utrero).

18 Known quarries are small in extension and depth, having being used for a short time of
period18. Concerning the granite of La Mata and Melque, wide exploitation fronts were
open in the stone massif and irregular outcrops. Regarding limestone used in Mazote
and Escalada, many hillsides’ banks were quarried superficially at the same time for a
unique building project, making use of wide working areas. These quarries were easily
and economically worked, not only because of its mentioned vicinity, but also because
natural cracks were made use of and there was not almost any waste material.
19 Geological structure of these outcrops enables also explaining the selection and use of
the stone in the buildings. Regular limestones were obtained in the lowest banks of the
outcrops, which are higher in dimension, while rough masonry was exploited in the
upper banks, these smaller and of poorer quality. The heights of the banks (ca. 40 cm)
condition then the dimension of the regular ashlar stones of Mazote. And the
heterogeneous rough outcrops of Escalada explain why stones are irregular in size,
form and setting. Similarly, the thickness of the sedimentary strata or the alteration
and cracking process of the granites determine the form and dimensions of the ashlar
stones in La Mata and Melque (Fig. 5). This correlation can be also observed between
the heights of the marble imposts of La Mata and those of the geological strata at the
quarry (Fig. 6).
109

Fig. 5a. Santa María de Melque (Toledo), granite ashlar stone (cl. M.ª Á. Utrero).

Fig. 5b. Santa María de Melque (Toledo), granite massif exploited for its construction, with wide spaces
between fractures (UTRERO, ÁLVAREZ, 2018, in progress).
110

Fig. 6a. San Pedro de La Mata (Toledo), structure of the nearby marble quarry (cl. M.ª Á. Utrero).

Fig. 6b. San Pedro de La Mata (Toledo), frieze produced with material coming from that marble quarry
(cl. M.ª Á. Utrero).

20 This aspect shows a direct relationship between the building and decorative techniques
and the geology and confirms again the competence of the masons when searching for
appropriate material. Since quarries for rough stone masonry are close to the
construction site, there is the chance that masons were the same people at both sites,
given the materials a form already at the quarry and reducing thus cutting work. This
cannot be affirmed in the case of ashlar stone masonry, coming from long distances,
and necessarily finished on site, as it is shown by the finishing traces on the surfaces of
the elements or the incisions on the keystones.
21 The distance between quarries and building site had a direct effect on the building
process and its cost. Those regular limestones (arcades of Escalada-Boñar, of Mazote-
San Pelayo and Hornija ; south porch and apse of Escalada-Boñar) were more expensive,
since the long distance of the quarries and the cutting work would increase the
expenses on transport and time working. Rough stones employed in the perimeter wall
(and in the monastic rooms) were more accessible and cheaper, being worked at the
same time locally and therefore most used.
22 New quarried elements were employed along with reused one (Fig. 4). Heterogeneous
in form, material and chronology, reused elements must be therefore understood not
as the result of a simple plundering of old buildings, but of a specific commerce of these
elements19. Otherwise, searching for old materials at different sites and its transport
would be expensive and long and would require different skills. Among these, marble
shafts were always reused. Taking into account the relevance of the supports when
111

modulating the buildings20, their dimensions had to be considered by builders before


obtaining the shafts.

4. Working on site and building


23 Archaeological sequences include material evidences to approach those
abovementioned technological components (artisans, instruments, techniques and
knowledge : Fig. 7 and 8).

Fig. 7. Santa María de Melque (Toledo) and San Pedro de La Mata (Toledo), temporal and technological
sequences recorded (M.ª Á. Utrero).

Fig. 8. San Cebrián de Mazote (Valladolid) and San Miguel de Escalada (León; phases I and II),
temporal and technological sequences recorded (M.ª Á. Utrero).

24 At these monastic churches, local unskilled craftsmen could work together with foreign
and qualified artisans, being the latter and its mobility responsible for the differences
between the productions21. This aspect is most recognisable in the decorative features
(sculpture, painting, stucco). The consulting role by architects between related
monasteries and the use of common models (probably transferred in any kind of
support : stone, parchment…22) would also explain the similarities between buildings
that are distant geographically (Escalada-Mazote, 100 km in between).
25 Sequences show how different skills and professions worked together in a coordinated
way. In the granite stone churches of La Mata and Melque, masons were protagonist,
since all elements (walls, arches and vaults) were built in ashlar stone, being the
builders responsible for providing material to make the core of the walls and for the
final setting of the pieces. In the basilicas of Mazote and Escalada, builders and masons
built the external rough stone masonry quoined walls, while masons mainly worked in
the interior, where new and reused materials had to be carefully cut and adapted to
each other to erect the internal arcades. Late reforms of Escalada, namely the southern
porch and the eastern wall, were made on the contrary by masons (Fig. 9).
112

Fig. 9. San Miguel de Escalada (León), east wall, archaeological record. Phase I: rough masonry. Phase
II: regular ashlar stone (UTRERO, MURILLO, 2022, in press).

26 These buildings reflect as well the stone tools used. Regarding the designing devices,
the use of the ruler explains why ashlar stones, and also sculptural elements (capitals)
are trapezoidal, without right angles, and courses therefore not completely horizontal
(Fig. 5). It was in the early 10th century that the set square was introduced, as it is
shown by the mentioned constructions of the southern porch and eastern wall of
Escalada (Fig. 8 and 9). This instruments makes it possible to design right angles, to
build complete horizontal courses and thus to speed up the working process, because
the height of the stones were already known and thereby recut and finished previously.
This change can be traced both in the building and sculptural elements (Fig. 10). As
regards the cutting tools, chisels were used to finish the surfaces of stones, applied to
different angles to obtain different kind of surfaces, and the trepan appears again in
the sculptural works23.
113

Fig. 10a. San Miguel de Escalada (León), phase I capital (hall, limestone capital designed with ruler) (cl.
M.ª Á. Utrero).

Fig. 10b. San Miguel de Escalada (León), phase II capital (south porch, marble capital designed with
set square) (cl. M.ª Á. Utrero).

27 Structural knowledge is overall revealed by the employment of quoins within rough


stone masonry walls, of common springer and horizontal voussoirs at the arches to
114

reduce lateral thrusts and of thick walls bonded at the angles and reinforced by
buttresses, among others. And it is clearly shown through the general design and
dimension of the construction24. The recorded employment of structural
reinforcements, such as the timber beams introduced in the walls of Escalada, reveals a
precise knowledge on their structural benefits as stabilizers of elements with abundant
mortar25.
28 Structural inability is also shown in the cases of La Mata and Escalada. The first one
suffered an early collapse of its stone vaults due to the absence of a correct relationship
between the wall thickness and the span of the spaces, being the latter five times larger
than the former26. Archaeological analysis of Escalada records the movement of the
sanctuary eastwards, probably caused by the presence of a vaulted crossing space, the
weakness of the clay soil and the existence of previous structures on this area. In order
to avoid the complete ruin, a new ashlar stone wall with buttresses was attached to the
east wall, improving thus its thickness and stability (Fig. 9).

5. Final remarks
29 We are aware that we leave many architectural and constructive aspects without
mention (further materials, professions, historical context, chronological features...),
but it is the aim of this necessarily brief paper to highlight how archaeology of
architecture has modified our knowledge of early medieval Hispanic churches and how
archaeological sequences might be interpreted as technological ones. Most of these
buildings had been since long analysed, but it is stratigraphy and typology which make
it possible now to approach their technological aspects hitherto unconsidered. The
archaeological record and the resulting sequence organise all the mentioned data in a
physical and temporal related way, giving the same relevance to every single element
and detail. Archaeological record must be the basis of the interpretation, never the
other way round. If we proceed this way, we will be able to comprehend these
constructions not as only historic-artistic monuments but above all as manufactured
products, resulted from the evolution of different technologies and connected
historical contexts.
30 To conclude. Is it archaeology of architecture a new science? This was the question
framing the corresponding session of ABAD 2019, to which this paper belongs. In my
opinion, archaeology of architecture is a new methodology, not so new though, actually
almost 40 years old. However, if we apply this methodology, our science, the
architectural history, will be hopefully new someday.

NOTES
1. CABALLERO L., « Un canal de transmisión de lo clásico en la Alta Edad Media Española.
Arquitectura y Escultura de influjo omeya en la Península Ibérica entre mediados del
115

siglo VIII e inicios del siglo X », Al-Qantara, XV/2, 1994, p. 321-348 and XVI/1, 1995,
p. 107-124. CABALLERO L., « La arquitectura denominada de época visigoda, ¿es realmente
tardorromana o prerrománica ? », in CABALLERO L., MATEOS P. ed., Visigodos y Omeyas : un
debate entre la Antigüedad tardía y la Alta Edad Media, Madrid, 2000, p. 207-247.
2. CABALLERO L., UTRERO M.ª Á., « El ciclo constructivo de la Alta Edad Media Hispánica »,
Archeologia dell’Architettura, XVIII, 2013, p. 127-146. UTRERO M.ª Á. , « The Artisans behind
Visigothic Buildings : the Materiality of Identity », in Visigothic Symposium 2, 2017-2018,
p. 99-113.
3. Chronological and characterization debate is common to mostly all traditional
European groups occupying late antique and early medieval periods (Byzantine, Anglo-
Saxon, Carolingian, etc.) The distinctive feature of the Iberian Peninsula is the Islamic
arrival in such an early date (711), generating this event a new context to be considered
as an archaeological challenge. Related references in UTRERO M.ª Á., « Arqueología de la
producción arquitectónica en el Medievo Hispánico (siglos VII‐XII). Más preguntas que
respuestas », in QUIRÓS J. A. ed., Treinta años de Arqueología Medieval en España, Oxford,
2018, p. 365-384.
4. MANNONI T., GIANNICHEDDA E., Archeologia della Produzione, Torino, 1996. UTRERO M.ª Á.,
« Modelos arquitectónicos y decorativos a inicios del siglo X. Algunas certezas y varias
hipótesis », Arqueología y Territorio Medieval, 24, 2017, p. 185-206 (p. 186).
5. MANNONI T., GIANNICHEDDA E., op. cit., p. 64. UTRERO M.ª Á., « Arqueología de la
producción arquitectónica…», op. cit., p. 370.
6. WARD-PERKINS J. B., « Quarries and stoneworking in the Early Middle Ages: the heritage
of the Ancient World », in XVIII Settimane di Studio del Centro Italiano di studi sull’alto
medioevo XVIII, Spoleto, 1971, p. 525-544. BESSAC J.-C., « Techniques classiques de
construction et de décor architectural en pierre de taille entre Orient et Occident (VIe-
IXe siècle) : abandon or perte ? », Archeologia dell’Architettura, XVIII, 2013, p. 9-23.
7. Previous works on early medieval Hispanic examples and references in UTRERO M.ª Á.,
« Modelos arquitectónicos y decorativos… », op. cit., p. 197. An updated synthesis in
ÁLVAREZ E., UTRERO M.ª Á., BALTUILLE J. M., Geología y Arqueología. Estratigrafía de la Tierra,
Estratigrafía del Patrimonio, Madrid, 2017.
8. HARRIS E. C., Principles of archaeological stratigraphy, London, 1979. CABALLERO L., « El
análisis estratigráfico de construcciones históricas », in CABALLERO L., ESCRIBANO C. ed.,
Curso de Arqueología de la Arquitectura, Burgos, 1996, p. 55-74.
9. CABALLERO L., « El análisis estratigráfico… », op. cit., p. 60.
10. CABALLERO L., UTRERO M.ª Á., « Cómo funcionaban los talleres constructivos en la alta
Edad Media hispánica », in ARÍZAGA B., MARIÑO D., DÍEZ C., PEÑA E., SOLÓRZANO J. Á., GUIJARRO S.,
AÑIBARRO J. ed., Mundos medievales : espacios, sociedades y poder. Homenaje al profesor José
Ángel García de Cortázar, Santander, 2012, vol. 1, p. 427-440 (p. 428).
11. WHITE K. D., Greek and Roman Technology, London, 1984, p. 73. MANNONI T., « The
transmission of craft techniques according to the principles of material culture :
continuity and rupture », in LAVAN L., ZANINI E., SARANTIS A. ed., Technology in Transition. A.
D. 300-650, Leiden-Boston, 2007, p. 41-60. UTRERO M.ª Á., « Modelos arquitectónicos y
decorativos… », op. cit., p. 193-194.
12. These can be seen in : La Mata in UTRERO M.ª Á., ÁLVAREZ E., BALTUILLE J. M., MARTÍN R.,
MORENO F. J., MURILLO J. I., RIELO M., VILLA A., « San Pedro de la Mata (Sonseca, Toledo).
116

Construir y decorar una iglesia altomedieval en piedra », Archivo Español de Arqueología,


89, 2016, p. 45-69 ; Melque in CABALLERO L., J. MORENO F., « Balatalmelc, Santa María de
Melque. Un monasterio del siglo VIII en territorio toledano », in BALLESTÍN X., PASTOR E.
ed., Lo que vino de Oriente. Horizontes, praxis y dimensión material de los sistemas de
dominación fiscal en Al-Andalus (ss. VII-IX), Oxford, 2013, p. 182-204 ; Escalada and Mazote
in UTRERO M.ª Á., « Modelos arquitectónicos y decorativos… », op. cit.
13. ARIAS PÁRAMO L., « Geometría, metrología y proporción en la arquitectura
altomedieval de la Meseta del Duero », in CABALLERO L., MATEOS P., GARCÍA DE CASTRO C.,
Asturias entre Visigodos y Mozárabes, Madrid, 2012, p. 353-390.
14. CAMPS CAZORLA E., Módulo, proporciones y composición en la arquitectura califal cordobesa,
Madrid, 1953, p. 93-96. CABALLERO L., RODRÍGUEZ E., MURILLO J. I., MARTÍN R., Las iglesias
asturianas de Pravia y Tuñón. Arqueología de la Arquitectura, Madrid, 2010, p. 103-114.
Further examples in UTRERO M.ª Á., « Producción arquitectónica y decorativa cristiana
en la Península Ibérica, siglos VI-X. Cambio tecnológico y canales de transmisión », in
KÄFLEIN I., STAEBEL J., UNTERMANN M. ed., Im Schnittpunkt der Kulturen, Frankfurt am Main,
2016, p. 275-298 (p. 289-291).
15. UTRERO M.ª Á. et al., « San Pedro de la Mata… », op. cit., p. 58-65.
16. Geological analytics of Melque still in progress within the project “Arquitectura
Altomedieval en la Europa Occidental: la industria de su construcción”, funded by CSIC
(Ref. 271710I097).
17. ÁLVAREZ E., BALTUILLE J. M., « Materiales pétreos y canteras para la construcción de
las iglesias de San Miguel de Escalada (León) y San Cebrián de Mazote (Valladolid) »,
Arqueología y Territorio Medieval, 24, 2017, p. 115-150. UTRERO M.ª Á., « Modelos
arquitectónicos y decorativos… », op. cit., p. 189-191.
18. UTRERO M.ª Á. et al., « San Pedro de la Mata… », op. cit., p. 58-65. ÁLVAREZ E., BALTUILLE J.
M., « Materiales pétreos y canteras… », op. cit., p. 131-147.
19. Archaeological excavations of these sites have not either revealed previous temples.
UTRERO M.ª Á., « Modelos arquitectónicos y decorativos… », op. cit., p. 190.

20. As it is shown by ARIAS PÁRAMO L., « Geometría, metrología y proporción… », op. cit.,
p. 367.
21. UTRERO M.ª Á., « Modelos arquitectónicos y decorativos… », op. cit., p. 198-199.
22. On the debate regarding the actual existence of these materials in the early middle
ages, see bibliographic references in UTRERO M.ª Á., « Producción arquitectónica y
decorativa… », op. cit., p. 289-291.
23. VILLA A., « Talleres escultóricos itinerantes en el Altomedievo hispano : el llamado
‘Grupo Mozárabe Leonés’ », Arqueología y Territorio Medieval, 24, 2017, p. 151-184 (p. 179).
24. UTRERO M.ª Á., « Modelos arquitectónicos y decorativos… », op. cit., p. 198.
25. Further timber elements in CABALLERO L. et al., Las iglesias asturianas de Pravia…, op.
cit., p. 113-117.
26. Usual relationship between spaces and walls at this period is 3:1 (span:thickness).
UTRERO M.ª Á. et al., « San Pedro de la Mata… », op. cit., p. 52-53.
117

ABSTRACTS
Late antique and early medieval Hispanic constructions have been lately analysed by means of
archaeological method, making this possible to obtain new data and innovative results regarding
their chronologies and interpretations. It is the particular aim of this paper to show how the
application of the archaeology of architecture has open new ways and venues of researching this
architecture by approaching aspects hitherto unconsidered since they were almost invisible in
the written sources and undervalued in the material ones. Craftsmen and their qualifications,
working tools, materials and techniques, among others, make up technology and can be
identified within archaeological sequences, which must be therefore also understood as
technological sequences.

Les constructions hispaniques de la fin de l'Antiquité et du début du Moyen Âge ont été
récemment analysées au moyen d'une méthode archéologique, ce qui a permis d'obtenir de
nouvelles données et des résultats innovants concernant leurs chronologies et leurs
interprétations. L'objectif particulier de cet article est de montrer comment l'application de
l'archéologie du bâti a ouvert de nouvelles voies et de nouveaux lieux de recherche sur cette
architecture en abordant des aspects jusqu'alors inconsidérés puisqu'ils étaient presque
invisibles dans les documents écrits et sous-estimés dans les documents matériels. Les artisans et
leurs qualifications, les outils de travail, les matériaux et les techniques, entre autres, constituent
la technologie et peuvent être identifiés dans les séquences archéologiques, qui doivent donc être
également comprises comme des séquences technologiques.

INDEX
Mots-clés: églises, Mozarabe, San Pedro de La Mata, Santa María de Melque, San Cebrián de
Mazote, San Miguel de Escalada, projet de construction, artisans, carrières
Keywords: churches, Mozarabic, San Pedro de La Mata, Santa María de Melque, San Cebrián de
Mazote, San Miguel de Escalada, building project, craftsmen, quarries

AUTHOR
MARÍA DE LOS ÁNGELES UTRERO AGUDO

Tenured researcher, Escuela de Estudios Árabes (EEA), Consejo Superior de Investigaciones


Científicas (CSIC), Granada, Spain.
mariaangeles.utrero@eea.csic.es
118

Archéologie du bâti, méthode ou


discipline ? Histoire et
épistémologie d’un domaine
scientifique controversé
Archaeology of buildings, method or discipline? History and
epistemology of a controversial scientific field

Alice Vanetti

Introduction
1 Depuis son émergence entre les années 1990 et 2000, l’archéologie du bâti a eu un
développement constant. Dans les dernières années surtout, elle a rencontré un succès
toujours plus important, avec son intégration dans les processus de recherche
académique et de restauration-conservation. De revues à son nom, comme Archeologia
dell’architettura en 1996 ou Arqueologia de la arcquitectura en 2002, ont été fondées et
actuellement jouissent d’un certain succès (Fig. 1). Les spécialistes qui se définissent
comme archéologues du bâti sont plus nombreux, en même temps que leur présence
dans les équipes des services archéologiques est de plus en plus requise.
119

Fig. 1. Page de garde du premier numéro d’Archeologia dell’Architettura de 1996.

2 La formation de nouveaux spécialistes qui apprennent à en maîtriser les principes est


aujourd’hui perçue comme une nécessité, de sorte que certaines universités, telles que
par exemple l’Université de Sienne en Italie, de York en Angleterre, de Lausanne en
Suisse ou de Bourgogne-Franche-Comté en France, proposent des cours explicitement
dédiés à ce domaine de recherche. Vu son succès et sa présence généralisée dans la
plupart des pays européens, on pourrait croire que l’archéologie du bâti est un domaine
de recherche à part entière, affirmé du point de vue institutionnel et académique, qui
jouit d’un consensus général quant à ses méthodes et à ses perspectives de recherche,
doté de spécialistes et de lieux d’échanges. Pourtant, si on se penche sur la place qu’elle
occupe au niveau des institutions, on remarque que son institutionnalisation ne semble
pas être globalement achevée. La lecture des organigrammes des institutions qui
s’occupent de la conservation, de la restauration et de la mise en valeur du patrimoine
révèle en fait que la présence de l’archéologie du bâti (et par conséquent des
archéologues du bâti) est loin d’être pleinement assurée du point de vue législatif.
Concrètement, elle n’est en outre appliquée que dans des cas exceptionnels, ce qui nous
interroge quant à la réelle présence de l’archéologie du bâti dans les institutions.
3 On remarque également une situation ambiguë au niveau des contenus. Certains
désignent l’archéologie du bâti comme un ensemble de méthodes d’observation, de
techniques d’acquisition des données, vouées à l’établissement de chronologies
absolues et relatives concernant un édifice bien déterminé. D’autres la considèrent
comme un domaine qui interagit avec les outils de l’archéologie préventive pour la
mise en valeur du patrimoine construit. D’autres, enfin, soulignent plutôt sa dimension
de science historique, dont l’objectif final est l’approfondissement du contexte
économique, social et politique ayant présidé à l’acte de construire dans le temps. Il
n’est alors pas clair si l’archéologie du bâti doit être considérée comme une méthode,
120

une discipline, ou comme les deux ensembles. Ceci met ultérieurement en question le
statut de l’archéologie du bâti comme domaine affirmé. D’après l’analyse effectuée dans
le cadre d’une thèse de Doctorat1, il est possible d’affirmer que cette incertitude
institutionnelle et épistémologique du statut de l’archéologie du bâti est en premier
lieu le résultat du contexte historique et épistémologique ayant présidé à sa
formulation.
4 La plupart des spécialistes qui se sont penchés sur l’analyse du développement
historique de l’archéologie du bâti2 attribuent son développement à la rencontre entre
deux pôles principaux. D’une part l’archéologie médiévale, de l’autre les interventions
réalisées par des archéologues en contexte urbain à partir des années 1970. En
particulier, son origine serait liée à la volonté des archéologues, la plupart médiévistes,
et des autres spécialistes du Moyen Âge, d’aller au-delà de la « frontière du bitume »3 et
d’une politique patrimoniale qui considère par tradition différemment et de manière
illogique un bâtiment dans son sous-sol et dans ses élévations4. Or, l’archéologie
médiévale est partout indiquée comme cette discipline qui s’est affirmée en Europe
entre les années 1960 et 1970, qui intègre l’approche stratigraphique à la fouille et qui
se base sur deux perspectives de recherche principales. En première lieu, une approche
de culture matérielle, soit d’attention pour tous les documents matériels (et surtout
d’usage quotidien) comme source principale d’histoire. Cette perspective est
développée en archéologie médiévale en partant essentiellement des expériences
polonaises, mais également grâce aux acquis théoriques de l’École des Annales. Ensuite,
est fondamentale la perspective historico-géographique, qui cherche donc à
reconstruire les dynamiques historiques à travers une approche non seulement
temporelle, mais également spatiale. Cette approche de recherche est véhiculée
essentiellement par les recherches réalisées autour des villages désertés au Royaume-
Uni à partir des années 1940 (Fig. 2 et 3).
121

Fig. 2. Wharram Percy (Yorkshire). Plan du village (BARESFORD M., HURST J. G., Deserted Medieval villages,
London, 1972).

Fig. 3. Wharram Percy (Yorkshire). Schème d’interprétation des données et perspectives de recherche
de la fouille réalisée par Philip Rahtz entre 1980 et 1981 (GERRARD C., Medieval archaeology :
understanding traditions and contemporary approaches, London, 2003).
122

5 Si on regarde de plus près la mise en place de l’archéologie médiévale dans chaque pays
européen, nous remarquons toutefois que la situation n’est pas complétement uniforme
et que subsistent des situations différentes attribuables au développement historique et
épistémologique de l’étude des vestiges médiévaux qui, dans certains cas, remonte au
XIXe siècle. Cette disparité rend incertain le statut de l’archéologie médiévale dans
chaque pays. Elle ne peut donc pas être considérée comme un « acteur » uniforme
partout. Également, la réalisation de fouilles en contexte urbain, d’où cette volonté
d’extension de l’approche archéologique du sous-sol au bâti a origine, résulte dépendre
fortement de la politique patrimoniale adoptée par les gouvernements de chaque État.
Cette politique, comme toutes les politiques, dépend de plusieurs facteurs, dont
l’influence jouée par d’autres disciplines qui s’occupent depuis longtemps de la ville et
de son aménagement, telles que l’histoire de l’art, l’architecture et l’urbanisme. Ces
disciplines présentent à leur tour des différences historiques et épistémologiques dans
chaque pays (Fig. 4).

Fig. 4. Situation de l’archéologie du contexte urbain dans chaque pays, qui dépend de la relation avec la
politique patrimoniale de chaque pays ainsi que du statut d’autres disciplines comme l’histoire de l’art,
l’architecture et l’urbanisme.

6 Le développement de l’archéologie du bâti dépend donc d’une situation beaucoup plus


complexe que celle décrite dans la majorité des articles qui ont traité ce thème.
L’archéologie du bâti naît effectivement de la rencontre entre archéologie médiévale et
opérations archéologiques en contexte urbain. Ces dernières ne sont pas elles-mêmes
des domaines définis de manière globale ni des pratiques uniformément
institutionnalisées, ce qui au final a des conséquences sur la formulation de
l’archéologie du bâti même. Prenons un cadre géographique de référence, c’est-à-dire
celui constitué par la France, l’Italie et la Suisse, et analysons brièvement le
développement de l’archéologie du bâti dans ces trois pays.
7 En France, l’étude archéologique des vestiges médiévaux n’est pas uniforme. D’une
part, l’étude des vestiges médiévaux est pratiquée, comme ailleurs en Europe, à partir
du XIXe siècle par plusieurs acteurs différents. Cette étude est très tôt formalisée par
l’inclusion dans la plus ample archéologie monumentale et grâce à l’activité
d’architectes-archéologues illustres, comme Arcisse de Caumont et Eugène Viollet-le-
Duc, elle intègre progressivement la politique culturelle de l’administration publique,
en offrant un soutien à la formation du Service des Monuments Historiques et en
123

inspirant partiellement la loi de 1913. L’approche des vestiges médiévaux


monumentaux postulée par l’archéologie monumentale devient alors, par sa
reconnaissance institutionnelle, la base de toute intervention sur les restes de cette
époque et le point de départ théorique des institutions qui s’en occupent. Au fur et à
mesure, cette approche se perfectionne, se focalisant sur l’appréhension des caractères
constitutifs des bâtiments, surtout des églises et des châteaux. Ces caractères sont tant
formels (typologie de certaines composantes comme les colonnes, les chapiteaux, les
portails, les arcs) que techniques (les matériaux employés, la taille et la mise en œuvre,
les marques lapidaires), et sont analysés par l’observation directe, le relevé et parfois la
description. L’objectif est de cerner l’histoire constructive du bâtiment, considéré
individuellement, pour l’attribuer chronologiquement à l’un ou à l’autre style (Fig. 5).

Fig. 5. Vue de la façade de l’église du Vieux Pont par Arcisse de Caumont (CAUMONT A. DE, Abécédaire ou
Rudiment d’archéologie (architecture religieuse), Caen, 1859, url : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/
bpt6k97842939/f44.item).

8 D’autre part, des études d’archéologie médiévale fondées sur la culture matérielle et
sur une perspective historico-géographique sont réalisées à partir des années 1960. Ces
études sont dirigées essentiellement sur les villages désertés et comprennent
également l’approche des restes en élévation, bien que dans un rôle secondaire5 (Fig. 6).
Ces études pourraient conduire à une réélaboration globale de l’archéologie médiévale,
avec l’introduction de thèmes plus liés à la culture matérielle et à la perspective
historico-géographique qu’à l’histoire de l’architecture, mais ceci n’advient pas
puisqu’aucun discours de partage des différentes expériences pour définir des lignes de
conduites dans un objectif d’affirmation d’un nouveau savoir est entamé dans des brefs
délais. Les recherches réalisées par Gabrielle Démians d’Archimbaud à Rougiers, par
Jean-Marie Pesez à Dracy ou par Michel de Boüard – auteur d’un manuel et d’un article
éloquent au titre Où en est l’archéologie médiévale – sont à l’avant-garde à l’époque, mais
124

le manque de concertation empêche qu’elles deviennent tout de suite le fondement


d’un nouveau savoir.

Fig. 6. Rougiers (Var). Vue du site au moment du début des fouilles (DÉMIANS D’ARCHIMBAUD G., Rougiers
(Var) : village médiéval déserté, Paris, 1987).

9 Depuis la fin de 1960, la France est l’objet de travaux d’aménagement importants visant
à en moderniser le tissu urbain et les infrastructures. Parmi plusieurs difficultés, les
archéologues essaient d’intervenir pour documenter et préserver des nombreux
vestiges mis en danger. C’est l’essor de l’archéologie en contexte urbain, laquelle se
caractérise dans un premier temps sur la mise en place d’outils et procédures, fondées
en partie sur les acquis des années 1960 et sur l’expérience anglaise, visant à
sauvegarder le sous-sol national. Lorsqu’une réflexion autour du bâti menacé, surtout
d’époque médiévale, se rend nécessaire c’est néanmoins vers l’approche des vestiges
médiévaux plus traditionnelle qu’une partie des archéologues se tourne. Le bâti n’étant
qu’une expérience secondaire dans la fouille des villages désertés, les spécialistes
n’avaient pas encore eu ni les moyens ni le temps d’entamer une réflexion théorique
dans ce contexte6. Ceci fait que les premières formulations d’archéologie du bâti, se
fondent, dans un premier temps, sur une approche plus traditionnelle des vestiges
anciens, qui a ses racines dans l’archéologie monumentale, dans l’histoire de l’art et
dans l’histoire de l’architecture. Dans ce contexte, elle est indiquée comme cette
approche qui vise à la reconstruction de l’évolution chronologique du bâtiment objet en
ce moment d’une étude, sans s’arrêter à la frontière du bitume. Une approche qui ne
dispose pas de problématiques historiques propres, mais qui fournit des outils cognitifs
à des études centrées sur des problématiques hétérogènes. On peut donc la définir
comme une méthode plutôt que comme une discipline à part entière (Fig. 7).
125

Fig. 7. Situation de l’archéologie médiévale et de l’archéologie en contexte urbain en France lors de


l’essor de l’archéologie du bâti.

10 Or, à partir de la fin des années 1990, des archéologues essaient de réinterpréter
l’archéologie du bâti à la lumière de l’archéologie médiévale inachevée, celle débutée
dans les années 1960, c’est-à-dire comme domaine de recherche qui s’occupe de
reconstruire l’acte de construire dans le plus large contexte d’une archéologie
environnementale7. Ceci provoque une scission dans la perception de la vocation de
l’archéologie du bâti au niveau national. Si les techniques qui régissent son application
(surtout l’analyse stratigraphique des élévations) sont globalement partagées, elle est
perçue d’une part comme une méthode au service d’autres disciplines et d’autre part
comme un domaine de recherche autonome, avec ses propres méthodes et
problématiques de recherche, en mesure d’interagir selon les cas avec les autres
disciplines qui s’occupent de bâtiment dans un rôle paritaire. Chaque partisan de l’une
ou de l’autre vision a dans le temps progressé dans ses propres recherches et un accord
entre spécialistes n’a pas encore été trouvé malgré les occasions de partage8. Le statut
de l’archéologie du bâti en France n’est donc aujourd’hui toujours pas clair et elle peut
être définie comme une méthode et comme une discipline.
11 En Italie, l’archéologie médiévale se développe à partir des années 1960 comme un
domaine de recherche basé sur des principes innovateurs par rapport aux études
réalisées précédemment sur les vestiges médiévaux. Ces principes se basent sur ces
approches de la culture matérielle et historico-géographiques précédemment
mentionnées. Ses spécialistes sont dotés dès le début d’une forte volonté
d’autodétermination qui les conduit à vouloir se distinguer des autres approches des
vestiges médiévaux, comme celle réalisée par l’histoire de l’art, par l’histoire de
l’architecture et la conservation-restauration, ainsi que par l’archéologie chrétienne. Sa
mise en place est favorisée par l’absence, dans le moment de son essor, d’une étude
traditionnelle des vestiges médiévaux. Comme ailleurs en Europe, en fait, une étude des
vestiges médiévaux, intégrée dans le plus large domaine de l’archéologie monumentale,
est présente entre le milieu du XIXe et le début du XXe siècle. Avec la première guerre
mondiale et l’essor du fascisme qui a suivi, cette attention a néanmoins complètement
été abandonnée au profit d’une archéologie qui privilégiait l’époque romaine classique,
surtout impériale. En l’absence d’une tradition d’étude, les archéologues médiévistes
des années 1960 sont en mesure d’expérimenter plusieurs nouvelles démarches
d’analyse et de les partager dans le but de constituer une nouvelle discipline. Sont des
occasions de partage, par exemple, les colloques organisés à Scarperia (FI) en 1972 ou à
126

San Marino di Bentivoglio (BO) en 1976, respectivement Per la storia delle culture
materiali : dall’archeologia alla geografia storica9 et Una rifondazione dell’archeologia
medievale : la storia della cultura matiriale10, au cours desquels les spécialistes définissent
les bases du programme scientifique caractérisant cette nouvelle archéologie
médiévale, autonome.
12 Parmi les plusieurs nouvelles possibilités expérimentées au cours de ces années par les
nouveaux archéologues médiévistes, il y a également l’étude du bâti, réalisée dans le
cadre des villages désertés et dans une perspective de recherche de culture matérielle
et d’analyse territoriale. Ces expérimentations sont connues sous le nom d’archeologia
dell’edilizia storica11 (Fig. 8 et 9).

Fig. 8. Zignago, Torre del Marchese. Analyse stratigraphique, des techniques de construction et des
matériaux (FERRANDO CABONA I. , CRUSI E., « Archeologia del territorio : proposta metodologica
sull’esempio dello Zignago (Zignago 2) », Archeologia Medievale, 6, 1979, p. 183-208).
127

Fig. 9. Typologies des principales techniques de construction des parements en Ligurie (MANNONI T.,
« Archeologia della produzione architettonica. Le tecniche costruttive », Arqueología de la Arquitectura,
4, 2005, p. 11-19).

13 D’autre part, les recherches archéologiques qui se mettent en place en contexte urbain
à partir des années 1970 permettent d’expérimenter plusieurs possibilités, dont l’étude
des vestiges en élévation. Ceci est en premier lieu possible grâce au moment
d’incertitude théorique et pratique qui caractérise en ce moment les disciplines
traditionnellement intéressées par l’étude des contextes urbains. C’est en fait depuis les
années 1960 que des architectes, comme Italo Insolera (1929-2012) ou Saverio Muratori
(1910-1973) sollicitent une révision de l’approche architecturale à la ville dans un sens
plus « anthropologique ». Ils croient en fait que la ville, et surtout son centre historique
à l’époque sous la pression d’un aménagement urbain poussé, soient plus qu’un
ensemble de formes. Les centres historiques seraient une expression de l’adaptation de
l’homme à son environnement et de sa capacité de créer des outils pour le maîtriser.
Cette révision tarde néanmoins à se réaliser, ce qui permet aux archéologues d’intégrer
le débat et d’y apporter leur point de vue. À l’époque donc, les opérations d’archéologie
en contexte urbain sont comme ailleurs conditionnées par la politique patrimoniale. Au
contraire de ce qui advient par exemple en France, ces mêmes opérations influencent le
débat de révision en cours au niveau ministériel et disciplinaire, surtout d’architecture,
ce qui crée un dialogue entre archéologues et spécialistes d’autres domaines dès les
débuts des interventions en contexte urbain.
14 Dans ce contexte, les bâtiments historiques occupent une place de premier plan,
puisque le bâti était prépondérant dans les centres historiques intéressés par les
travaux d’aménagement. Les archéologues médiévistes défendent ainsi leur droit
d’intervenir sur les bâtiments historiques également, en supportant leurs
revendications avec les acquis théoriques développés dans les années précédentes, lors
des recherches autour des villages désertés. Favorisée par le climat épistémologique de
128

l’époque, leur approche acquiert de plus en plus de substance, en devenant un acteur


autonome, de l’archéologie médiévale également, de laquelle elle maintient certains
principes théoriques, comme la perspective de culture matérielle et l’approche
historico-géographique, mais qui a une vocation propre. C’est l’essor de l’archeologia
dell’architettura comme domaine indépendant et comme discipline (Fig. 10).

Fig. 10. Situation de l’archéologie médiévale et de l’archéologie en contexte urbain en Italie lors de
l’essor de l’archeologia dell’architettura.

15 En Suisse, enfin, l’archéologie médiévale suit un parcours linéaire depuis le XIXe siècle.
Comme ailleurs, une approche des vestiges médiévaux qui intègre l’archéologie
monumentale prise au sens large et qui a comme centre de la recherche les bâtiments
historiques – principalement des églises et des châteaux - d’époque médiévale, se
développe dans la Confédération. Cette approche intègre la méthode stratigraphique
(surtout à la suite des fouilles préhistoriques) et, à partir des années 1970, par des
problématiques qui concernent le développement de la ville, surtout chrétienne12. La
base de l’approche reste tout de même celle du XIXe siècle et, sur cette approche, se
fonde la politique de protection et de mise en valeur des vestiges médiévaux dans la
plupart des cantons, ainsi que l’approche d’architecture et de restauration/
conservation. Bien qu’avec les particularismes qui conséquent la division en petits états
autonomes et indépendants, cette approche se fonde globalement sur les principes de
l’histoire de la construction architecturale allemande (la Bauforschung), enseignée au
pôle universitaire de Zurich et surtout à l’Eidgenössische Technische Hochschule (ETH).
Cette Bauaufnahme se base sur l’étude minutieuse des élévations et des matériaux qui
les composent, dans le but de cerner l’histoire constructive d’un bâtiment donné
(Fig. 11 et 12). D’autres expériences archéologiques d’époque médiévale sont réalisées
au cours des années, notamment en ce qui concerne l’architecture traditionnelle
(études des chalets et des fermes) ou l’analyse des villages désertés en milieu alpin
(hochalpinen Wüstungsarchäologie). Ces recherches restent toutefois minoritaires,
principalement à cause du sujet abordé qui est originel et difficilement applicable à
d’autres situations. C’est pourquoi lorsque des opérations archéologiques en contexte
urbain se rendent nécessaires, les archéologues se tournent très naturellement vers
l’archéologie médiévale « officielle », celle qui a dans l’archéologie monumentale ses
fondements et qui se caractérise, comme on l’a mentionné, par l’analyse
stratigraphique et une approche du bâti structurée centrée sur la Bauaufnahme
129

allemande. Or, le terme d’« archéologie du bâti » commence à être employé en Suisse à
partir des années 2000 (après qu’il avait été formulé en Italie et en France) et en
premier lieu dans une zone circonscrite, c’est-à-dire la Suisse romande. En suisse
alémanique, en fait, le titre Bauarchäologie est récent. De la lecture de la littérature et de
l’analyse des cas d’étude, il n’est pas possible de repérer le même processus de
formulation de l’archéologie du bâti relevé en France et en Italie. Ceci nous porte à
affirmer que l’archéologie du bâti est le résultat, en Suisse d’une importation nominale
(soit du nom seul) de l’extérieur, et principalement de la France, à la suite des relations
privilégiées qui existent entre les deux pays. Une fois importé, le terme est rapproché,
au vu des similitudes entre l’archéologie du bâti comme méthode esquissée en France, à
cette phase de l’archéologie monumentale qui consiste dans l’appréhension de la
chronologie des restes en élévation, dérivée de la Bauforschung et dite Bauaufnahme, et
depuis toujours appliquée en Suisse. Les exemples de redéfinition d’analyses conduites
dans le passé, lorsque le terme d’archéologie du bâti n’existait pas encore, comme étant
de l’archéologie du bâti sont plusieurs et témoignent ce phénomène13. Ce processus fait
que l’archéologie du bâti soit en Suisse apparentée plutôt à une méthode (tel que l’est la
Bauaufnahme) visant à l’appréhension de l’évolution constructive d’un bâtiment donné,
qui ne dispose pas de problématiques de recherche propres et qui est généralement
appliquée de manière auxiliaire à d’autres disciplines, comme la restauration/
conservation ou l’archéologie chrétienne, au service d’autres problématiques (Fig. 13).

Fig. 11. Schelenburg, près d’Oscnabrück. Vue des différences d’appareil dans la façade du château
selon la Bauaufnahme (WANGERIN G., Bauaufnahme. Grundlagen. Methoden. Darstellung, Braunschweig,
1986).
130

Fig. 12. Genève, Maison Tavel. Vue de la salle basse, coupe transversale vers le sud (DEUBER G., « La
maison Tavel au Moyen Âge. Une résidence aristocratique à Genève, XIIIe-XVIe siècle », Genava, 54,
2006).

Fig. 13. Situation de l’archéologie médiévale et de l’archéologie en contexte urbain en Suisse lors de
l’essor de l’archéologie du bâti.

16 En conclusion, l’archéologie du bâti n’est pas aujourd’hui uniforme comme sa diffusion


laisserait le croire, mais un sujet scientifique complexe qui diffère d’un pays à l’autre
surtout en ce qui concerne sa substance épistémologique. Les différences théoriques et
pratiques sont surtout, néanmoins, le résultat du contexte historique et disciplinaire
qui a présidé à sa formulation dans chacun des pays. Si se questionner sur son statut –
discipline ou méthode – est donc aujourd’hui pertinent et plus que jamais nécessaire au
vu du succès dont elle jouit, l’étude détaillée et comparative de son émergence
démontre comme les différences entre la perception de ce statut sont à attribuer
beaucoup plus au parcours historico-épistémologique qu’elle a suivi dans chaque pays
qu’à une différence d’opinion parmi les spécialistes. Cette prise de conscience devrait
donc permettre de sortir de la logique de confrontation entre partisans de l’une ou de
l’autre vision et de commencer un parcours de redéfinition conduisant à sa définitive
reconnaissance institutionnelle.
131

NOTES
1. « L’archéologie du bâti entre étude des vestiges médiévaux et politique patrimoniale. Une
étude historique et épistémologique », in VANETTI A., Archéologie du bâti. Histoire et
épistémologie des origines à nos jours (France, Italie et Suisse), Supplément à la Revue
archéologique de l’Est, 51, Editions Universitaires de Dijon, 2021, 298 p. Ce thème a été
traité également dans VANETTI A., « Archeologia dell’architettura o archeologie
dell’architettura ? Archéologie du bâti, archeologia dell’architettura e Bauarchäologie a
confronto », Archeologia dell’architettura, 24, 2019, p. 233-246 et dans VANETTI A.,
« L’archéologie du bâti en Suisse. Histoire et perspectives. Les cas du Canton de Vaud »,
Jahrbuch Archäologie Schweiz = Annuaire d'Archéologie Suisse = Annuario d'Archeologia
Svizzera = Annual review of Swiss Archaeology, 103, 2020, p. 31-50.
2. Voir à titre d’exemple BROGIOLO G. P., « Prospettive per l’archeologia
dell’architettura », Archeologia dell’architettura, 1, 1996, p. 11-15 ; ID., « Dall’archeologia
dell’architettura all’archeologia della complessità », Pyrenae, 38.1, 2007, p. 7-28 ;
MATAOUCHEK V., « Archéologie du bâti. Une démarche scientifique à part entière en butte
à des enjeux antagonistes », Archéopages, 24, 2009, p. 66-73 ; SAPIN C., « Les murs ont
aussi la parole. 30 ans d’archéologie du bâti en France », in BOLLE C., COURTA G., LÉOTARD J.-
M. dir., L’archéologie des bâtiments en question. Un outil pour les connaître, les conserver et les
restaurer, Namur, 2014, p. 248-258.
3. A RLAUD C ., BURNOUF J., « L’archéologie du bâti médiéval urbain », Les dossiers de
l’archéologie, 53-55, 1993, p. 5-69.
4. FRANCOVICH R., « Restauro architettonico e archeologia stratigrafica », in MARINO L.,
PIETRAMELLARA C. dir., Contributi sur restauro archeologico, Firenze, 1982, p. 59-68.

5. Voir à ce propos DÉMIANS D’ARCHIMBAUD G., « L’habitation rurale en Provence


occidentale : techniques de construction et d’aménagement d’après des fouilles
récentes », in GUILLEMAIN B. dir., La construction au Moyen Âge. Histoire et archéologie, Paris,
1973, p. 59-110 ; PESEZ J.-M., « L’habitation paysanne en Bourgogne médiévale », ibid., p.
219-237.
6. À ce propos, il est exemplaire le parcours de Michel de Boüard, qui, malgré son
engagement pour le renouvellement de l’archéologie médiévale (voir op. cit. et son
Manuel d’archéologie médiévale), n’aborde pas le thème d’une étude indépendante des
bâtiments. Lorsque le bâti est abordé, il l’est en s’appuyant sur la bibliographie
traditionnelle. Pour un approfondissement, voir VANETTI A., op. cit.
7. Voir par exemple l’article de ARLAUD C., BURNOUF J., MIARE J., « Le patriciat en
représentation : archéologie du bâti des maisons patriciennes à Lyon et Strasbourg à la
fin du Moyen Âge », in PETITFRERE C. dir., Construction, reproduction et représentation des
Patriciats urbains. De l’Antiquité au XXe siècle, 1999, p. 447-468, ou BURNOUF J., « Discours
d’introduction », in PARRON-KONTIS I., REVEYRON N., Archéologie du bâti. Pour une
harmonisation des méthodes, 2005, p. 9-12, où elle affirme que l’objectif de l’archéologie
du bâti est « restituer l’histoire des sociétés à partir des sources matérielles qu’elles ont
laissées » (p. 11).
132

8. Comme le colloque de Saint-Romain-en-Gal (Rhône) de 2001. PARRON-KONTIS I.,


REVEYRON N., op. cit.

9. GELICHI S., « I quarant’anni di Archeologia Medievale et l’archéologia in Italia negli


ultimi quartant’anni », Archeologia Medievale, numéro spécial, 2014, p. 11-20.
10. MAETZKE G., « Una rifondazione dell’archeologia medievale : la storia della cultura
matériale », Archeologia Medievale, 3, 1976, p. 7-24.
11. Voir par exemple FERRANDO-CABONA I., CRUSI E., « Costruzioni rurali in Lunigiana :
elementi tipo ed evoluzioni delle strutture insediative » Archeologia Medievale, 7, 1980, p.
247-270 ; MANNONI T., « Problemi archeologici della casa rurale alpina : l’Ossola
superiore », Archeologia Medievale, 7, 1980, p. 301-319 ; PARENTI R., « Il progetto
Montarrenti (SI). Relazione preliminare, 1982, Le strutture murarie : problemi di
metodo e prospettive di ricerca », Archeologia Medievale, 10, 1983, p. 332-338 ; ID., « Le
tecniche di documentazione per una lettura stratigrafica dell’elevato », in FRANCOVICH R.,
PARENTI R. dir., Archeologia e restauro dei monumenti. I Ciclo di lezioni sulla Ricerca applicata in
Archeologia, Firenze, 1987, p. 249-279.
12. BUJARD J., « L’archéologie des bâtiments en Suisse, origines et applications
actuelles », in BOLLE C., COURTA G., LÉOTARD J.-M. dir., L’archéologie des bâtiments en question.
Un outil pour les connaître, les conserver et les restaurer, Namur, 2014, p. 281-290.
13. Voir à ce propos BONNET C., Les fouilles de la cathédrale Saint-Pierre de Genève. Le centre
urbain de la protohistoire jusqu’au début de la christianisation, Genève, 2009 ; STÖCKLI W., « La
chronologie de la cathédrale de Lausanne et du portail peint : une recherche selon les
méthodes de l’archéologie du bâti », in KURMANN P., RHODE M. dir., Die Kathedrale von
Lausanne und ihr Merienportal im Kontext der europäischen Gotik, Berlin, 2004, p. 45-60.

RÉSUMÉS
Développée entre les années 1990 et 2000, l’archéologie du bâti est un sujet scientifique qui
aujourd’hui ne fait pas l’unanimité. Employée au service du patrimoine comme de la recherche
historique, son statut reste toutefois incertain et ceci malgré le succès dont elle continue à jouir.
Le milieu scientifique est partagé entre ceux qui la considèrent comme une méthode qui permet,
dans des contextes et avec des objectifs différents, de retracer l’histoire d’un bâtiment donné, et
ceux qui la voient plutôt comme une discipline, dotée d’un programme et des problématiques de
recherche qui lui sont propres. Cette différence de vision, parfois déclinée en vraies disputes
entre partisans, n’est pourtant pas à attribuer à l’opinion personnelle de chaque spécialiste, mais
creuse ses racines dans le contexte historique et épistémologique qui a supporté la naissance de
l’archéologie du bâti dans les différents pays. À travers un bref excursus comparatif du
développement de l’archéologie du bâti en France, Italie et Suisse, cet article prend en compte la
différence de perception de ce sujet scientifique dans ces trois pays, en offrant un point de départ
pour toute réflexion autour de son institutionnalisation.

Archaeology of buildings is a specialization of archaeology emerged in Europe at the end of the


20th century as that field of research that deals with the study of buildings, mostly medieval,
133

through instruments of the archaeological analysis. The international literature however shows a
substantial difference in content and methods of archaeology of buildings in European countries.
This contribution focuses on the analysis of the situation of the archaeology of buildings in
France, Italy and Switzerland through an historical and epistemological approach. The main
objective is to bring out the differences and the similarities that characterize the current status
of archaeology of buildings in these countries through the reconstruction of the context from
which the archaeology of buildings has developed. This goals is pursued involving the situation
of medieval archaeology and the cultural policy of each country. From there, we reflect on the
prospects of this approach in the near future.

INDEX
Schlüsselwörter : Bauforschung
Parole chiave : archeologia dell’architettura
Mots-clés : archéologie du bâti, archéologie médiévale, architecture, conservation, restauration,
archéologie monumentale
Keywords : archaeology of architecture, cultural policy, medieval archaeology, history of
architecture, art history

AUTEUR
ALICE VANETTI

Archéologue, Université de Neuchâtel, Institut d’Archéologie, et Direction générale des


immeubles et du patrimoine, Direction du Patrimoine et de l’Archéologie, Section Archéologie
Cantonale, État de Vaud.
alice.vanetti@vd.ch
134

Techniques de taille de la pierre et


esthétique du mur dans
l’architecture cistercienne
(deuxième moitié du XIIe siècle -
début du XIIIe siècle)
Stone carving techniques and wall aesthetics in Cistercian architecture
(second half of the 12th century - early 13th century)

Éliane Vergnolle

1 Je laisserai ici de côté la question – largement académique – des relations entre histoire
de l’art et archéologie du bâti. Mon propos est plus pragmatique : livrer quelques
réflexions à partir d’une étude de cas encore en devenir, fruit d’une enquête quelque
peu vagabonde menée au fil de mes visites de monuments cisterciens, en France et
ailleurs1.
2 Le monument qui fut à l’origine de mon intérêt pour les techniques de taille de la pierre
particulières aux cisterciens est l’abbatiale de Cherlieu (Haute-Saône), première fille de
Clairvaux, dont l’étude a été renouvelée par Jacques Henriet au début des années 20002.
Celui-ci avait notamment montré tout ce que cette église, considérée avant sa
destruction presque complète après la Révolution comme « une des plus belles et la
plus grande de toute la Franche-Comté », devait au modèle de l’abbatiale de Clairvaux
III, mise en chantier peu avant la mort de saint Bernard, en 1153 : le plan à
déambulatoire et chapelles rayonnantes, l’élévation à trois niveaux de la nef (grandes
arcades, ouvertures sous combles et fenêtres hautes), le voûtement d’ogives, etc.
Jacques Henriet avait également souligné l’existence d’autres similitudes
architecturales des abbatiales cisterciennes de Clairvaux et de Cherlieu avec la
cathédrale de Langres, érigée à partir des années 1150 par l’évêque Geoffroy de la
Roche-Vanneau (1138-1162), ancien prieur de Clairvaux, cousin de saint Bernard et l’un
de ses disciples de la première heure, notamment les piles composées d’un noyau carré
135

dont les angles sont soulignés par des colonnettes3. La comparaison entre la seule
partie de l’abbatiale de Cherlieu conservée en élévation – le mur ouest du bras nord du
transept – et le chevet de la cathédrale de Langres permet d’ajouter les techniques de
taille de la pierre caractérisées par un traitement très particulier des parements :
certains blocs sont finement layés tandis que d’autres sont travaillés soit au ciseau, soit
à la broche, soit encore à la bretture, avec pour résultat un contraste fort entre les
surfaces planes et presque polies des premiers et les surfaces accidentées des seconds
(Fig. 1). L’effet est d’autant plus appuyé que ces tailles « décoratives » sont encadrées
par des ciselures périmétriques plus ou moins larges alors que les blocs layés au taillant
droit en sont généralement dépourvus. Plus qu’une précaution technique visant à
protéger les bords de pierres, il s’agit donc d’un effet de style – courant dans
l’architecture romane du milieu du XIIe siècle – qui renvoie explicitement à
l’architecture romaine en grand appareil.

Fig. 1. Cherlieu (Haute-Saône), abbatiale, bras nord du transept, mur ouest, parement extérieur (cl. E.
Vergnolle).

3 Il convient de resituer ce style de traitement dans le contexte des nombreuses


recherches sur la taille de la pierre qui, au cours du second quart du XIIe siècle et un
peu au-delà, se développèrent dans diverses régions, le plus souvent dans le cadre de
cet intérêt pour les techniques de construction et l’outillage antiques. Je n’en prendrai
que deux exemples emblématiques situés dans l’aire géographique qui vit la naissance
de l’architecture cistercienne : celui du retour à la bretture à la cathédrale de
Besançon4, et celui de l’avant-nef de Cluny : poursuivant l’idée d’un contraste entre des
contreforts en grand appareil layé au marteau taillant et des murs en moellons
d‘apparence plus rude adopté dès le début du chantier, les constructeurs de l’avant-nef
le portèrent à son sommet avec un layage si fin qu’il est presque imperceptible à l’œil et
un travail à la broche dense et régulier qui accroche la lumière (Fig. 2 et 3)5.
136

Fig. 2. Cluny (Saône-et-Loire), abbatiale, avant-nef, mur sud, contrefort (cl. E. Vergnolle).

Fig. 3. Cluny (Saône-et-Loire), abbatiale, avant-nef, mur sud, parement extérieur (cl. E. Vergnolle).

4 La mixité des tailles de la pierre de Cherlieu relève d’un autre idéal esthétique, dont il
faut sans doute situer l’origine à Clairvaux. On observe en effet une coïncidence
chronologique entre l’ouverture du chantier de Clairvaux III, vers le milieu du
XIIe siècle, et l’adoption d’un nouveau mode de traitement de la pierre dans un certain
137

nombre d’abbayes cisterciennes qui étaient alors en cours de construction. Le meilleur


exemple est celui de Fontenay, où les layages uniformément fins et réguliers de
l’abbatiale, érigée entre environ 1130 et 1147, cèdent la place dans les bâtiments
monastiques, édifiés peu après, à un répertoire de tailles décoratives diversifiées, plus
ou moins raffinées selon le lieu : bretture, pointe et ciseau fins, utilisés de manière
méticuleuse dans la salle capitulaire mais, dans les bâtiments utilitaires, comme la
forge, ciseau large ou gouge d’effet brutal (Fig. 4 et 5)6. Une semblable mutation
technique et formelle en cours de chantier est saisissable à l’abbatiale de Noirlac (Cher)
où dans le chevet – partie la plus anciennement construite – toutes les pierres sont
layées au taillant droit alors que dans la nef – édifiée au cours de la seconde moitié du
XIIe siècle – on voit apparaître, mêlées aux layages traditionnels, des tailles offrant une
surface tavelée, réalisées le plus souvent au ciseau – mais, à la différence de Cherlieu,
les blocs ainsi traités sont dépourvus de ciselures périmétriques (Fig. 6). Par ailleurs,
une taille au ciseau d’aspect plus rustique a été employée dans les bâtiments utilitaires
où elle est généralement associée à un appareil assez irrégulier de moyenne ou de
petites dimensions (Fig. 7)7 – il faut noter que ce traitement différencié de la pierre en
fonction du statut du bâtiment est presque partout de règle dans l’architecture
cistercienne de la seconde moitié du XIIe siècle et du début du siècle suivant.

Fig. 4. Fontenay (Côte d’or), salle de travail, mur ouest, console (cl. Ph. Plagnieux).
138

Fig. 5. Fontenay (Côte-d’Or), forge, mur ouest, parement extérieur (cl. Ph. Plagnieux).

Fig. 6. Noirlac (Cher), abbatiale, nef, mur nord, parement (cl. E. Vergnolle).
139

Fig. 7. Noirlac (Cher), bâtiment des communs, mur ouest, parement extérieur (cl. E. Vergnolle).

5 Mais revenons aux origines de ce que, par commodité, j’appellerai le « style de


Clairvaux III ». La disparition de l’abbatiale nous prive d’une observation directe des
techniques de taille de la pierre, mais le superbe bâtiment des convers édifié au cours
de la seconde moitié du XIIe siècle – et récemment restauré – donne une idée de leur
diversité : raffinement des rangées d’incisions formant un motif géométrique sur un
pilier de l’étage, traitement « façon bossage » des parements des murs qui contraste
avec le grand appareil des contreforts, layé ou brettelé avec régularité (Fig. 8 et 9)8.
140

Fig. 8. Clairvaux (Aube), bâtiment des convers, étage, pilier (cl. Ph. Plagnieux).

Fig. 9. Clairvaux (Aube), bâtiment des convers, mur ouest, parement extérieur (cl. Ph. Plagnieux).

6 En Franche-Comté, le « style de Clairvaux III » ne devait pas seulement être repris à


Cherlieu mais, de manière quasi normative, dans les abbatiales de l’ordre – du moins
dans celles qui nous sont parvenues – avec seulement quelques nuances9. Ainsi dans la
141

nef de Notre-Dame d’Acey (Jura), érigée au cours du troisième quart du XIIe siècle, la
mixité des techniques de taille de la pierre caractérise aussi bien le grand appareil des
contreforts que les parements de moyen appareil avec une prédominance de layages
fins dans le premier cas et, dans le second, de tailles au ciseau et à la broche – qui,
comme à Noirlac, sont dépourvues de ciselures périmétriques (Fig. 10 et 11)10.

Fig. 10. Acey (Jura), abbatiale, mur du bas-côté sud, extérieur (cl. E. Vergnolle).

Fig. 11. Acey (Jura), abbatiale, mur sud, parement extérieur (cl. E. Vergnolle).

7 L’exemple de l’église paroissiale de Purgerot (Haute-Saône) montre que les techniques


de taille de la pierre mises à l’honneur à Cherlieu se retrouvaient dans certaines de ses
142

dépendances comtoises accompagnées de divers emprunts au vocabulaire architectural


cistercien, comme les consoles sur lesquelles retombent les voûtes, les corniches en
dents d’engrenage et, bien sûr, les chapiteaux à feuilles ou à corbeilles lisses11. Si la
taille au ciseau et le layage des parements de l’église de Purgerot sont quelque peu
sommaires, la présence de ciselures périmétriques et la recherche d’un effet
géométrique sur certaines pierres des contreforts travaillées au ciseau renvoient à des
modèles raffinés (Fig. 12). On peut aussi, non loin de là, citer l’exemple de la grange des
Charmes à Semmadon, l’une des rares granges de Cherlieu conservée en élévation, où
les parements en moyen appareil sont sommairement travaillés au ciseau alors que les
pierres de taille des encadrements des baies sont soigneusement layées ou brettelées
(Fig. 13)12.

Fig. 12. Purgerot (Haute-Saône), église paroissiale, contrefort sud (cl. E. Vergnolle).
143

Fig. 13. Charmes (Haute-Saône), grange de Semmadon, mur sud, parement extérieur (cl. M.- L. Bassi).

8 Au cours de la seconde moitié du XIIe siècle et au début du siècle suivant, le « style de


Clairvaux III » fit en Bourgogne et en Franche-Comté de nombreux émules hors de
l’ordre cistercien, à l’instar de l’église paroissiale de Saint-Loup-de-la-Salle, près de
Chalon-sur-Saône (Fig. 14), et jusqu’au dans le monde clunisien, comme dans la
prieurale de Nantua où l’association entre des layages fins et des surfaces diversement
traitées à la pointe ou au ciseau est récurrente dans tout l’édifice (Fig. 15).
144

Fig. 14. Saint-Loup-la-Salle (Saône-et-Loire), église paroissiale, façade occidentale, parement (cl. E.
Vergnolle).

Fig. 15. Nantua (Ain), prieurale, pile de la nef, détail de l’appareil (cl. Y. Gallet).

9 Mais revenons aux cisterciens. Quelle n’a pas été ma surprise de retrouver toutes les
caractéristiques du « style de Clairvaux III » dans des abbayes situées dans des régions
non seulement très éloignées des foyers d’origine mais s’inscrivant dans des contextes
145

architecturaux très différents. J’ai évoqué plus haut le cas de Noirlac, dans le Berry
mais on peut en citer beaucoup d’autres, parmi lesquels ceux de La Bénisson-Dieu, non
loin de Roanne (Fig. 16), et de l’Escale-Dieu, dans les Pyrénées (Fig. 17) sont
particulièrement explicites. Les exemples des grandes abbayes cisterciennes de
Catalogne telles que Santes Creus et Valbona ne le sont pas moins (Fig. 18 et 19). Dans
presque tous ces ensembles architecturaux, le traitement des maçonneries des églises
contraste avec celui des bâtiments monastiques, où dominent des tailles à la broche ou
au ciseau, comme à la grange batelière de Hautecombe dans les Alpes, ou dans diverses
constructions de Valbonne en Provence, de Poblet en Catalogne, de La Oliva en Navarre
ou de Fontfroide dans le Languedoc (Fig. 20)13.

Fig. 16. La Bénisson-Dieu (Loire), abbatiale, façade occidentale, parement (cl. E. Vergnolle).
146

Fig. 17. L’Escale-Dieu (Hautes-Pyrénées), abbatiale, pile de la nef, détail de l’appareil (cl. E. Vergnolle).

Fig. 18. Santes Creus (Catalogne), pile de la nef, détail de l’appareil (cl. E. Vergnolle).
147

Fig. .19. Valbona (Catalogne), abbatiale, nef, mur gouttereau sud, parement extérieur (cl. E. Vergnolle).

Fig. 20. Fontfroide (Aude), passage des convers, parement intérieur (cl. E. Vergnolle).

10 Ce rapide tour d’horizon ne vise qu’à poser quelques questions d’ordre général
soulevées par l’émergence dans le monde cistercien à partir du milieu du XIIe siècle
d’une nouvelle esthétique du mur, à commencer par les modalités de sa diffusion :
circulation de la main-d’œuvre – on pense évidemment aux moines ou aux convers
148

envoyés sur certains chantiers lointains pour prêter main-forte à la construction de


nouveaux établissements de l’ordre ? Circulation au sein de l’ordre de modèles de
référence similaires à ceux des formes architecturales et du répertoire ornemental –
avec en arrière-plan la question du caractère normatif de l’architecture cistercienne,
question qui dépasse largement le cadre de cette étude14.
11 Il convient aussi de s’interroger sur les raisons qui ont conduit les constructeurs
cisterciens du milieu du XIIe siècle à abandonner les layages réguliers et neutres qui
étaient de règle dans les premières constructions de l’ordre au profit de parements
« décoratifs » d’effet contrasté, combinant en les opposant différents types de taille. La
question se pose de manière d’autant plus impérative que le « style de Clairvaux III »
émerge à un moment où, d’une manière plus générale, la taille de la pierre était
devenue un véritable langage, aussi bien dans le monde roman que dans celui du
premier art gothique15. Dans ce contexte, la recherche d’un effet aléatoire et
pittoresque, surprenante de prime abord dans une architecture qui visait par ailleurs à
exalter l’essentiel, ne saurait être dénuée de sens. Peut-être, paradoxalement, est-ce la
mystique de la lumière, si importante dans la pensée cistercienne, qui pourrait fournir
la meilleure clef de lecture : dans des églises dépourvues de couleur, la lumière qui
glisse sur les parois revêtues d’un léger badigeon blanc laissant transparaître le relief
donne en effet vie aux maçonneries. C’est du moins ce que suggère l’exemple de la salle
capitulaire de la cathédrale de Langres, où la peinture d’origine est conservée (Fig.
21)16.

Fig. 21. Langres (Haute-Marne), cathédrale, salle capitulaire, parement intérieur (cl. P.-L. Laget).

12 Il convient à ce sujet de revenir sur la personnalité de Geoffroy de la Roche-Vanneau.


Le rôle de ce proche de saint Bernard dans la création architecturale cistercienne n’a
pas été reconnu à sa juste valeur par l’historiographie. Pourtant, comme l’a récemment
montré Philippe Plagnieux, c’est sans doute à lui que l’on doit le parti à chapelles
alignées – généralement qualifié de « bernardin »17 – adopté à Fontenay dont il fut le
premier abbé puis, une génération plus tard, celui de Clairvaux III, génial compromis
149

entre l’exigence cistercienne de simplicité formelle et le premier art gothique, à un


moment où, vers la fin de la vie de saint Bernard, les préceptes de l’ordre
commençaient à s’émousser18. L’adoption, simultanément, d’une nouvelle manière de
traiter le mur ne saurait être fortuite.
13 Je terminerai cet exposé par un contrexemple salutaire, celui des combles du chœur de
Pontigny, érigé vers la fin du XIIe siècle, dont les parements présentent une association
systématique de pierres layées et de pierres travaillées au ciseau, à un emplacement où
personne ne pouvait les voir (Fig. 22). Tout semble donc se passer comme si un choix
qui, à l’origine, pouvait avoir été porteur d’un message d’ordre quasiment idéologique,
était devenu au fil du temps un simple procédé technique. Autant dire qu’il reste
encore beaucoup de chemin à parcourir pour saisir les tenants et les aboutissants du
« style de Clairvaux III ».

Fig. 22. Pontigny (Yonne), abbatiale, chevet, mur gouttereau sud, parement extérieur (cl. E. Vergnolle).

NOTES
1. J’avais, lors de la table ronde d’archéologie et d’histoire sur Les granges cisterciennes :
unité et diversité. Autour de l’exemple de la Franche-Comté qui s’est tenue à Vesoul en 2006,
présenté les premiers résultats de cette recherche dans un poster : « Les cisterciens et
l’art de bâtir. Techniques de taille de la pierre (2e moitié XIIe-début XIIIe siècle) ».
150

2. HENRIET J., « L’abbaye cistercienne de Cherlieu », in La création architecturale en Franche-


Comté au XIIe siècle. Du roman au gothique, VERGNOLLE E. dir., Besançon, 2001 (série
Architecture, 1), p. 275-279 ; réédité dans À l’aube de l’architecture gothique, Besançon,
2005 (série Architecture, 3), p. 301-335. Voir également VERGNOLLE E., « L’abbatiale de
Cherlieu (Haute-Saône », in Les Abbayes et les abbatiales dans l’archéologie cistercienne (Les
dossiers d’Archéologie, n° 340), 2010, p. 52-57.
3. Les dernières piles du bas-côté nord de la nef ont été mises au jour en 1993 : JOLY F.,
Premiers sondages archéologiques dans l’église abbatiale de Cherlieu : le problème des supports
de la nef. Compte-rendu des sondages archéologiques effectués du 22 août au 5 septembre 1993,
Besançon, SRA Franche-Comté ; id., L’église abbatiale de Cherlieu (Haute-Saône). Étude
architecturale et historique, mémoire de maîtrise, E. VERGNOLLE dir., Université de
Besançon, 1994.
4. Le chantier de la cathédrale romane de Besançon s’ouvrit vers le milieu des années
1120 au plus tard et était probablement achevé en 1148 lors de la dédicace du nouvel
édifice par le pape Eugène III. VERGNOLLE E., « La cathédrale romane de Besançon. Étude
architecturale », in La création architecturale en Franche-Comté…op. cit., n. 1, p. 106-148 ;
id., « Tailler la pierre à l’antique : le renouveau de la bretture au XIIe siècle », in
L’Antiquité dans l’art roman. Persistance et résurgence de l’Antiquité à l’époque romane, Actes
du XIe colloque international, Issoire, 2001, Revue d’Auvergne, 2005, p. 73-84.
5. Le projet de construction des bas-côtés de l’avant-nef de Cluny III et le début de leur
réalisation (vers 1125-1135 ?) doivent probablement être mis en relation avec les
travaux du grand portail de la nef. Sur la chronologie du chantier, voir STRATFORD N.,
« Cluny III », in STRATFORD N. dir., 910-2010. Cluny, onze siècles de rayonnement, Paris, 2010,
p. 96-115 (sur l’avant-nef, p. 108-109) ; id., « Á propos du grand portail de la nef de
Cluny III », Bulletin monumental, 2012, p. 15-30. Sur les techniques de construction, voir
BAUD A., Cluny. Un grand chantier médiéval au cœur de l’Europe, Paris, 2003.

6. La date de mise en chantier de l’abbatiale de Fontenay n’est pas connue. La plupart


des auteurs récents en créditent le premier abbé, Geoffroy de La Roche-Vanneau qui
résilia sa fonction en 1126-1127 même si c’est sans doute son successeur, Guillaume
(1126 /1127-1154) qui mena la construction à son terme. Celle-ci devait plus ou moins
être achevée en 1147, lorsque le pape Eugène III la consacra. Pour un point de la
question voir PLAGNIEUX P., « La première architecture romane cistercienne : le chevet
"bernardin" en question », in ANGHEBEN M., MARTIN P., SPARHUBERT E. dir., Regards croisés sur
le monument médiéval. Mélanges offerts à Claude Andrault-Schmitt, Turnhout,
2018, p. 271-287 (p. 284-287).
7. CHEVROT J.-F., « Observations archéologiques sur les premières constructions de
l’abbaye de Noirlac », in L’ordre cistercien et le Berry, Actes du colloque de Bourges, 15-16
mai 1998, Cahiers d’archéologie et d’histoire du Berry, 136, déc. 1998, p. 141-147.
8. En attendant une étude d’archéologie du bâti que la récente restauration rend
possible on peut, au sens large, situer la construction du bâtiment des convers dans la
seconde moitié du XIIe siècle. Voir en dernier lieu le numéro spécial de La Vie en
Champagne, publié en 2015 à l’occasion du 9e centenaire de la fondation de Clairvaux.
9. Pour la « vague cistercienne » en Franche-Comté, voir LOCATELLI R., Sur les chemins de la
perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon, vers 1060-1220, Saint-Étienne,
1992, p. 199-249 ; id., « L’implantation religieuse dans le Val de Saône au XIIe siècle », in
La création architecturale…, op. cit. n. 2, p. 230-243. Sur l’omniprésence des modèles
151

cisterciens dans l’architecture comtoise du XIIe siècle, voir V ERGNOLLE E., « Les églises
comtoises du XIIe siècle : une voie originale », ibid., p. 47-85.
10. L’abbaye d’Acey, fille de Cherlieu, fut probablement fondée en 1133/1134. Sur
l’histoire, voir GRESSER P., LOCATELLI R., GRESSET M., VUILLEMIN E., L’abbaye Notre-Dame d’Acey,
Besançon, 1986. Sur l’abbatiale, voir LACROIX P., Églises jurassiennes romanes et gothiques,
Besançon, 1981, p. 293-300. Faute de sources écrites, la date de commencement des
travaux a été diversement appréciée. La récente étude de Clémentine Villien conduit à
la situer dans les années 1140, c’est-à-dire avant l’ouverture du chantier de Clairvaux
III. Après une interruption entre 1159 et 1177 et un changement de parti, ils durent
s’achever vers la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle avec la construction de la nef et
du proche. Voir VILLIEN C., L’église abbatiale cistercienne Notre-Dame d’Acey : étude historique,
architecturale et archéologique, Thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe, PLAGNIEUX
P. dir., 2016, t. I, p. 34-39 (histoire de la construction) et p. 132-133 (techniques de taille
de la pierre).
11. DARD-MOREL G., « L’église Saint-Martin de Purgerot. Un édifice du premier art
gothique cistercien dans le comté de Bourgogne », Bulletin monumenta, 2019, p. 113-121.
Tout permet de situer la construction de l’église de Purgerot dans le troisième quart du
XIIe siècle.
12. BONVALOT N., « Les granges cisterciennes en Franche-Comté », in Fouilles et
découvertes en Franche-Comté, MUNIER C., RICHARD A. dir., Rennes, 2009, p. 120-121.
BONVALOT N., ROUZEAU B., avec la contribution de VILAIN G., « Les granges cisterciennes en
Franche-Comté et en Champagne (XIIe-XVIIIe siècle). Quelles réalités à l’aune d’une
enquête dans les sources écrites et sur le terrain ? », Bulletin de la Société archéologique
champenoise, 2018, p. 55-103 (sur la grange des Charmes à Semmadon, p. 29-30).
13. Toutefois, notamment dans un contexte méditerranéen, l’emploi dominant de la
broche ou du ciseau et la présence de ciselures périmétriques peuvent être comprise
comme des références à la construction romaine dont l’interprétation resterait à faire
au cas par cas.
14. PRESSOUYRE L., Le rêve cistercien, Paris, 1990 (coll. Découvertes Gallimard, 95).
15. Sur le premier art gothique, voir VERGNOLLE E., « La cathédrale de Sens. La "peau " du
monument : un enjeu stylistique ? », in DAUPHIN J.-C., SAULNIER-PERNUIT L. dir., La métropole
sénonaise : la première cathédrale gothique dans son contexte (1164-2014), Actes du colloque de
Sens, 10-12 octobre 2014, Sens, 2017, p. 72-83.
16. VIARD G., DECRON B., WU F.-C., La cathédrale Saint-Mammès de Langres. Histoire –
Architecture – Décor, Langres, 1994.
17. Sur le rôle de Geoffroy de La Roche-Vanneau dans la conception de l’architecture
cistercienne, voir PLAGNIEUX P., « La première architecture romane cistercienne… », op.
cit. n. 6.
18. AUBERGER J.-B., L’unanimité cistercienne primitive : mythe ou réalité ?, 1986 (coll.
Commentarii cisterciense, Studia et documenta, 3).
152

RÉSUMÉS
La mise en chantier de la troisième abbatiale de Clairvaux, vers le milieu du XIIe siècle, semble
avoir inauguré un nouveau mode de traitement du mur que l’on retrouve peu après non
seulement dans ses principales « filles » régionales (Cherlieu, Acey) mais dans des régions
éloignées et relevant d’autres traditions architecturales (Noirlac, La Bénisson-Dieu). Cette mode
est fondée sur une diversification des techniques de taille de la pierre où sont associées des
parties réalisées au marteau taillant droit (laie), à la bretture ou à la broche mais aussi à la gouge
ou au ciseau, diversification dont l’effet pittoresque ne manque pas d’interroger dans une
architecture cistercienne qui privilégie par ailleurs l’aspiration à l’essentiel.

The start of the third abbey church at Claivaux around the middle of the twelfth century appears
to have initiated a new conceptual treatment of the wall surface. This is evident not only in the
principle regional daughter houses (Cherlieu and Acey) but in the wider surrounds and in other
architectural traditions (Noirlac, La Bénisson-Dieu). This new interest in the variation of tooling
marks on the ashlar was made possible by the use of specific tools : the straight-edged hammer,
the bretture or spindle and the chisel or gouge. The multiplicity of textures has great appeal but
can seem jarring in Cistercian buildings which privilege simplicity and purity.

INDEX
Mots-clés : architecture romane, architecture cistercienne, saint Bernard, Geoffroy de La Roche-
Vanneau, Clairvaux, Cherlieu, Langres, Acey, Noirlac, taille de la pierre
Keywords : Romanesque architecture, Cistercian architecture, St Bernard, Geoffroy de la Roche-
Vanneau, Clairvaux, Cherlieu, Langres, Acey, Noirlac, stonecutting

AUTEUR
ÉLIANE VERGNOLLE

Professeur honoraire, Université de Besançon.


vergnolle.eliane@gmail.com
153

L’archéologie du bâti, une science neuve ?

Point de vue
154

La nouvelle archéologie du bâti ou


la contemplation des monuments
avec assistance numérique
(impressions belges)
The new building archaeology or to gaze at monuments with digital
assistance. A Belgian point of view

Philippe Mignot

1 Il y a très longtemps, au siècle dernier, en Belgique, autour des constructions


médiévales évoluaient deux catégories de spécialistes : les uns, la tête baissée vers le
sol, étaient appelés archéologues et les autres, toujours la tête en l’air, portaient le titre
d’historiens de l’art ou de l’architecture.
2 Les disciplines ont cohabité avec des quartiers de noblesse bien distincts. Ceux qui
creusaient avaient non seulement les mains sales, mais aussi des tenues négligées. Les
pratiques du maniement de la pelle, de la pioche et de la brouette les mettaient au
contact des gens de la terre aux manières rustres. Les autres se fatiguaient les yeux à
regarder et à consigner leurs observations dans un calepin. Leur œil n’avait
d’équivalent que l’oreille des musiciens, celle d’une expertise absolue. La justesse de
leur analyse reposait sur un nombre incalculable de monuments soumis à leur regard,
en même temps qu’une érudition encyclopédique sans faille. Avec de telles armes,
l’histoire de la construction d’un monument pouvait s’écrire de manière définitive.
Leurs recherches s’inscrivaient dans l’histoire de l’architecture. Quand ils n’étaient pas
eux-mêmes architectes-restaurateurs, ils apportaient leur caution au projet de
restauration et réussissaient à faire intégrer tel ou tel détail pittoresque qui leur tenait
à cœur, à moins que l’enjeu tînt dans la teinte des joints. Les archéologues du sol, eux,
se préoccupaient d’autres questions et recherchaient des vestiges disparus qu’ils
préféraient d’ailleurs voir sans lien avec le monument debout. ça leur évitait de devoir
s’impliquer dans de fastidieuses réunions d’avant-projet, de se plonger dans de
155

volumineux cahiers des charges et d’assister aux réunions de chantier hebdomadaires


aux enjeux ou techniques ou du geste architectural contemporain.
3 Lorsque les « fouilleurs de poubelles » furent amenés à intervenir sur des chantiers de
restauration de monument, ils commencèrent à poser les questions du « quand ? pour
quoi ? et pour qui ? ». Et ils furent insatisfaits des réponses fournies. Ils poursuivirent
leur enregistrement stratigraphique non plus seulement vers le plus profond, mais
aussi vers le plus haut possible. Voilà qu’ils empiétaient sur un domaine réservé. Leurs
informations ne firent qu’embrouiller les projets de restauration et contrarier les
restitutions en recherche plus d’esthétique que d’authenticité. Et c’est ainsi qu’en
quelques décennies, les fouilleurs sont devenus des archéologues étudiant des
bâtiments toujours debout au même titre que les historiens de l’art. Parmi ces derniers,
certains préféraient l’appellation d’historiens de l’architecture, spécialistes en
Bauforschung. Mais à force de se côtoyer sur le même champ de bataille, beaucoup de
spécialistes des monuments furent séduits par la méthode archéologique de
l’enregistrement stratigraphique appliquée aux élévations. Ils furent assez vite
convaincus que, face à un monument complexe, seule une exploration globale,
holistique en quelque sorte, était gagnante. Par contre, d’autres, plus pervers, tout en
dénigrant la méthode de ces ignorants, maîtrisant mal tant le vocabulaire technique de
l’art de bâtir que la grammaire des styles, comprirent que s’emparer de l’appellation
« archéologie » donnait une nouvelle jeunesse à leur discipline, empesée à bien des
égards. C’est ainsi qu’au fil des années l’archéologie du bâti est devenue pour beaucoup
une discipline en soi. L’évolution de la fonction publique avec ses départements qui
gèrent le patrimoine et surveillent l’exécution des chantiers de restauration, a fini par
accentuer encore plus la tendance. En effet, à l’heure actuelle, les études commanditées
par les acteurs de terrain, quel qu’en soit le résultat, sont réceptionnées par des
fonctionnaires incompétents à juger de leur valeur scientifique, un concept qui, en soi,
ne fait pas partie de leur pratique professionnelle. L’exigence réside dans la procédure,
son coût, son délai d’exécution, pas dans son contenu.
4 L’usurpation de compétence est à son comble dans les formations archéologiques,
quand on découvre qu’architectes et historiens de l’art, sans jamais avoir pratiqué la
moindre archéologie de terrain, en dehors d’une semaine de stage obligatoire dans leur
cursus estudiantin, prétendent donner des cours d’archéologie du bâti. Chapeau bas.
Ainsi, en toute impunité, refleurissent les anciennes pratiques, juste un peu
« relookées », enrobées dans un discours où il a suffi de glisser à toutes les pages
l’adjectif « archéologique » pour reprendre en main le terrain des monuments. Et
comme cela coûte beaucoup moins cher, ce ne sont pas les propriétaires et organismes
subsidiant qui s’en plaindront.
5 L’illusion est parfaite grâce aux programmes informatiques de redressement des
photographies de murs en élévation qui ont rendu accessibles la photogrammétrie. Sur
ces vues, il suffit de les annoter de quelques traits pour faire accroire à une analyse
accomplie, si on y glisse des numéros, c’est encore mieux.
6 L’évolution, à laquelle nous assistons, est celle d’un mésusage de la méthode
stratigraphique non maîtrisée car mal transmise à travers tous ceux qui prétendent
faire de l’archéologie du bâti. Le tour est joué lorsque la description des structures est
donnée en US, quitte à les confondre avec des « Faits », révélant l’incapacité à définir
une unité stratigraphique, et d’afficher au bout un diagramme stratigraphique tout à
fait « sérieux ». Ceci me rappelle l’expression d’un archéologue professionnel aguerri,
156

qui naguère, en parlant des fouilleurs amateurs, les surnommait « ceux qui imitent les
gestes des archéologues ».
7 On rétorquera que ce ne sont là que des mauvais travaux comme il en a toujours existé
mais les ravages sont réels puisque ce genre de pratique se fait au détriment de tout un
pan de la profession.
8 Si, au fil des décennies, l’archéologie a réussi à dépasser l’étude de l’objet pour lui-
même et a pour ambition d’étudier les sociétés du Passé, dans une approche
d’anthropologie culturelle, non pas théorisée mais fondée sur une maîtrise des
cosmologies occidentales, ces derniers temps, c’est la technicité, au risque de
l’inculture, par lucre, qui gagne du terrain.
9 Pour paraphraser la loi de Gresham au sujet de la monnaie, et selon un principe
analogue, la pseudo archéologie du bâti chasse la bonne.

RÉSUMÉS
L’archéologie des monuments conservés en élévation fut dès le milieu du XIXe siècle, en Belgique,
l’affaire des architectes. Dès le moment où ils intervenaient dans le cadre d’une restauration, les
architectes se considéraient archéologues et étaient reconnus comme tels.
À partir des années 1950, les archéologues du sous-sol furent progressivement intégrés aux
chantiers de restauration. Ils finirent par poursuivre leurs investigations au-dessus du sol. Au
point que vers 1990, l’expression « archéologie du bâti » a semblé devenir une spécialisation.
Aujourd’hui, l’utilisation des nouveaux outils de relevé produit des études qui, sous couvert de
cette appellation, passent pour archéologiques alors qu’elles n’en empruntent que le vocabulaire
et les apparences.

From the middle of the 19th century, in Belgium, the archaeology of monuments preserved in
elevation was the business of architects. From the moment they intervened in a restoration,
architects considered themselves archaeologists and were recognised as such.
From the 1950s, archaeologists in excavations were gradually integrated into restoration sites.
They ended up continuing their investigations above the ground. To the extent that around 1990
"buildings archaeology" seemed to have become a specialisation. Today, the use of new survey
tools produces studies that, under the guise of this name, pass for archaeological while they only
borrow its vocabulary and appearances.

INDEX
Mots-clés : relations architectes-archéologues, pratiques
Keywords : relations between architects and archaeologists, practices
157

AUTEUR
PHILIPPE MIGNOT

Archéologue, Agence wallonne du Patrimoine, Namur.


philippe.mignot@awap.be
158

L’archéologie du bâti, une science neuve ?

Poster
159

Ornements sculptés et chronologie


des édifices. Présentation de l’outil
SpatiaLite sur QGis
Sculpted ornaments and chronology of monuments. Introdution to
SpatiaLite, a QGis tool

Estelle Chargé

1 Depuis les années 1980, les études monumentales ont été largement refondées1. Alors
que l’archéologie du bâti a connu un développement considérable2, les études d’histoire
de l’art concernant l’architecture ont nécessairement évolué, dans le sens d’une
précision plus importante, mais aussi dans leurs questionnements. L’histoire de l’art
s’est appropriée une partie des méthodes des sciences archéologiques pour répondre à
de nouvelles interrogations portant sur la formation et la production des éléments de
décor3 et leur insertion dans l’architecture 4, sans perdre de vue l’analyse
iconographique. Les études récentes considèrent ainsi le monument dans sa globalité,
en prenant en compte à la fois le premier et le second œuvre, la matière et la fonction
de chaque élément participant à l’édifice5.
2 Ma recherche porte sur la part ornementale du décor roman, à travers une analyse
micro-topographique du décor des édifices de l'ancien diocèse d'Angoulême6. Huit
églises dispersées dans cet espace et datées entre la fin du XIe et le XII e siècles ont été
sélectionnées pour une étude exhaustive. Il s’agit de la cathédrale Saint-Pierre
d'Angoulême, des abbayes de Saint-Amant-de-Boixe, Saint-Pierre de Cellefrouin, Saint-
Pierre de Châteauneuf-sur-Charente et Saint-Gilles de Puypéroux, ainsi que des églises
Saint-Denis de Lichères, Saint-Arthémy de Blanzac et Sainte-Eulalie de Champniers (Fig.
1). Dans ces édifices, chaque élément décoratif de la période romane est pris en compte,
ce qui représente un grand nombre d’informations. L’intérêt est porté sur le motif,
mais également sur la position de l’objet dans le bâtiment, tant relatif à sa visibilité qu’à
l’espace fonctionnel auquel il participe.
160

Fig. 1. Carte de répartition des sites dans l’ancien diocèse d’Angoulême (DAO, E. Chargé).

3 Nous travaillons dans l’injonction de la pluridisciplinarité pour produire des


recherches nouvelles et cohérentes. Néanmoins, comment pouvons-nous organiser
autant de données qui relèvent de différentes spécialités ? Je présente ici une base de
données spatialisée qui permet de regrouper dans un même système des informations
de nature diverses et de les projeter dans l’espace.
4 C’est au début du doctorat que la question du bon outil – celui qui sera adapté à la
caractérisation et à la spatialisation d’un grand nombre de données – a été posée.
Clément Coutelier, ingénieur en géomatique rattaché au LabEx LaScArBx des
universités de Bordeaux, a proposé SpatiaLite sur QGis.
5 SpatiaLite est un outil associé au logiciel de Système d’Information Géographique libre
de droit QGis. La base de données spatialisée couple les informations textes et les
représentations spatiales. SpatiaLite enregistre des attributs dans différentes tables, qui
peuvent être liées entre elles. Chaque attribut enregistré doit répondre aux champs
prédéfinis dans la table (Fig. 2). La particularité de la base de données spatialisée relève
du fait que chaque attribut correspond à une entité figurée sur un plan ou une
élévation.
161

Fig. 2. Extension SpatiaLite sur QGis.


Extrait de la table attributaire avec les enregistrements de tous les éléments de décor roman dans
l’église abbatiale de Saint-Amant-de-Boixe (16). 314 enregistrements : chaque ligne correspond à un
objet et chaque colonne à un champ de la table.
Projection des entités sur orthophotographie verticale de l’élévation de la face occidentale du bras de
transept nord et sur le plan actuel de l’édifice (Crédits : Topographie et SIG (plan géoréférencé, système
officiel français Lambert 93), classe de BTS 2ème année, promotion 2016/2017, Lycée des Métiers du
Bâtiment de Sillac à Angoulême ; DAO, E. Chargé).

6 Dans le cadre de la thèse, les tables sont des phases de décors – définies
indépendamment des phases de bâti – et les attributs correspondent à des supports
ornés. Pour les éléments de décor, 15 champs ont été créés, dont 13 avec des réponses
« fermées »7. Ils caractérisent la position de la sculpture dans le bâtiment, la nature du
support, sa forme et la nature du motif représenté. Les deux derniers champs des tables
attributaires sont « ouverts » et réservés à la description et à l’interprétation du motif –
si cette dernière a lieu d’être. L’aspect descriptif consiste en un thésaurus qui nomme
successivement les éléments remarquables des motifs. Le choix des terminologies
employées est consigné dans des listes de vocabulaire classées pour préciser
l’organisation des éléments compris dans le motif, leurs natures et leurs attitudes. Une
fois tous les éléments de sculpture enregistrés et disposés dans l’édifice, la base de
données peut être interrogée. Elle fonctionne avec une syntaxe SQL8 dont l’emploi est
facilité par le gestionnaire de base de données de QGis. La formulation de la requête
permet de faire ressortir automatiquement un élément précis, un terme particulier,
dans une sélection d’enregistrements (Fig. 3). Tous les résultats de la requête, c’est-à-
dire les objets correspondants aux critères, sont listés sous la forme d’un tableur.
Depuis cette interface, il est possible de créer une « vue », c’est-à-dire d’exporter la liste
des attributs sous leurs formes d’entités. On obtient donc un nouveau visuel où seuls les
éléments correspondants à la requête sont représentés. Il est entendu que cet outil ne
remplace pas l'analyse iconographique ou le travail in situ, mais permet d’organiser les
162

données collectées pour les traiter et notamment de faire ressortir des réseaux
d’images9 au sein de l’édifice.

Fig. 3. Requête et export des résultats sur l’extension SpatiaLite sur QGis.
Dans la formule ci-dessus, au sein de l’abbatiale de Saint-Amant-de-Boixe, seuls les attributs
enregistrés dans la troisième phase de décor sont concernés. Dans cette table, nous sélectionnons
uniquement les attributs qui répondent par « anthropomorphe » à la question posée par le champ «
Nature du motif ». L’opération est répétée dans toutes les tables.
Le plan figure (en violet) le résultat avec les entités correspondantes aux attributs sélectionnés (Crédits
: Topographie et SIG (plan géoréférencé, système officiel français Lambert 93), classe de BTS 2ème
année, promotion 2016/2017, Lycée des Métiers du Bâtiment de Sillac à Angoulême ; DAO, E. Chargé).

7 Une base de données SpatiaLite a été mise en place pour mener l’étude de l’église
abbatiale de Saint-Amant-de-Boixe (16) (Fig. 4). L’édifice roman est partiellement
conservé10 : une chapelle quadrangulaire surmontant une crypte a remplacé l’abside
échelonnée au sud du transept (XIIIe siècle) et le chevet est prolongé et terminé par un
fond plat (XIVe siècle). L’extrémité du bras de transept sud a été reconstruite au
XIXe siècle à la suite d’un incendie. Des interrogations subsistent quant à la chronologie
des constructions de l’édifice du XIIe siècle. L’informatisation des données rassemblées
lors de l’observation du complexe décoratif a participé à définir trois ensembles
ornementaux distincts (Fig. 5).
163

Fig. 4. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, plan avec restitution du chevet roman
(Crédits : Topographie et SIG, classe de BTS 2ème année, promotion 2016/2017, Lycée des Métiers du
Bâtiment de Sillac à Angoulême ; DAO, E. Chargé). Photo aérienne (Centre d’Architecture Romane de
Saint-Amant-de-Boixe).

Fig. 5. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, disposition des groupes


contemporains d’éléments décoratifs (Crédits : Topographie et SIG (plan géoréférencé, système officiel
français Lambert 93), classe de BTS 2ème année, promotion 2016/2017, Lycée des Métiers du
Bâtiment de Sillac à Angoulême ; DAO, E. Chargé).
164

8 Le groupe de décor le plus ancien (A) est caractérisé par des figures massives et
anguleuses associées à de larges frises ornementales géométriques, qui ne se retrouvent
dans aucune autre partie du bâtiment (fig. 6). Les modillons, situés à l’extérieur de
l’abside échelonnée nord, sont associés à une frise de palmettes alternées qui sont
présentées de manière plus grasse et arrondie que dans les phases suivantes. Les
chapiteaux positionnés à l’intérieur du chevet actuel ont la particularité d’avoir leur
décor étendu depuis la corbeille jusqu’aux angles supérieurs du tailloir du support. Le
chapiteau léonin est remployé entre un culot et une ogive du chevet gothique. Un
chapiteau végétal présentant les mêmes caractéristiques est positionné au sud, dans le
dernier témoin d’une arcature qui animait le chevet roman. Ce petit ensemble décoratif
pourrait donc avoir appartenu à l’église abbatiale antérieure aux reconstructions du
XIIe siècle. Il correspond à un style datant de la seconde moitié du XI e siècle tel qu’on
l’observe de manière quasiment équivalente à l’église Saint-Pierre de Bougneau en
Charente-Maritime, ou à Boutteville11 en Charente avec un répertoire formel différent.

Fig. 6. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, groupe de décor (A) : deux modillons et
les impostes les surmontant situés à l’extérieur, au nord de la grande absidiole du bras de transept
nord ; un chapiteau remployé sur le gouttereau nord du chevet gothique, à la jonction avec le passage
vers le bras de transept.

9 Le second groupe observé prend place dans les parties conservées de la moitié orientale
de l’église abbatiale : chevet échelonné, transept, croisée et sixième travée de la nef
(Fig. 5). La face occidentale du bras de transept nord est régulièrement comparée à la
façade de la cathédrale d’Angoulême12. La composition architectonique de la façade, les
supports et les motifs des sculptures y sont en effet similaires (Fig. 7). Le premier
niveau est composé de faux tympans dans lesquels sont représentées des figures
ecclésiastiques et divines sur deux plaques occupant respectivement un tiers et deux
tiers de l’espace (Fig. 8). Ils sont embrassés par de larges voussures ornées de figures
léonines et aviaires hybridées avec des rinceaux de palmettes. Des frises se développent
sous les tympans. Elles sont continues sur le contrefort. Au second niveau se trouvent
des figures hautes et étroites inscrites dans des plaques, encadrées par des archivoltes
végétales. La sixième travée de la nef porte une frise et une ligne d’imposte à même
hauteur et de mêmes dimensions que celles du transept (Fig. 9)13. Elle développe une
scène de chasse, qui se rapproche aussi de celle de la seconde travée au sud de la façade
de Saint-Pierre d’Angoulême. La frise et son imposte sont arrêtées au contrefort
séparant les cinquième et sixième travées de la nef.
165

Fig. 7. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, face occidentale du bras de transept
nord et gouttereau nord de la travée orientale de la nef.

Fig. 8. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, tympans, voussures et frises au


premier niveau des travées nord et médiane de la face occidentale du bras de transept nord (DAO, E.
Chargé).
166

Fig. 9. Mise en parallèle des motifs des frises : Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-
Amant, gouttereau nord de la travée orientale de la nef ; Angoulême (16), Cathédrale Saint-Pierre,
façade occidentale, premier niveau, première travée méridionale (DAO, E. Chargé).

10 La similarité du complexe décoratif entre la façade du bras de transept nord et le


gouttereau nord de la sixième travée de la nef a posé la question de la liaison du bâti
entre ces deux parties. Les maçonneries sont contemporaines et chaînées jusqu’au
niveau de l’appui de la baie de la nef (Fig. 10). La baie a été reprise, ce qui a modifié les
maçonneries du second niveau à la jonction entre le transept et la nef14.

Fig. 10. Abbatiale Saint-Amant à Saint-Amant-de-Boixe, déroulé entre la façade occidentale du bras de
transept nord et le mur gouttereau nord de la nef. Relation stratigraphique de l’élévation entre les deux
parties (DAO, E. Chargé).

11 Le décor à l’intérieur de la partie orientale de l’édifice emploie les mêmes thèmes,


formes et modes de représentation que celui de l’extérieur du transept nord. Très peu
de figures sont visibles dans cette partie de l’édifice, exception faite d’une petite scène
faisant référence aux combats des croisés15. La majorité des ornements sont végétaux,
avec des couronnes de palmettes épanouies recouvrant les corbeilles et mettant en
167

valeur la structure corinthienne du support. Les seules figues animales représentées


sont des lions et des oiseaux. Ils sont disposés en file – sans discontinuité – sur les
corbeilles de chapiteaux à l’instar des figures sur les voussures de la façade occidentale
du bras nord du transept (Fig. 11). Le dessin des oiseaux est exactement comparable
dans les deux parties de l’édifice, avec les plumes de l’encolure en écaille et celles de la
partie inférieure de la queue disposées en peigne. De plus, le chapiteau figuré à l’ouest
de la pile occidentale de la sixième travée de la nef comporte les mêmes motifs que la
voussure extérieure de la porte du transept (Fig. 12). Les volumes des supports de la
croisée et la partie orientale de la nef sont également similaires à ceux à l’extérieur.16

Fig. 11. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, croisée sous coupole, chapiteau
continu de la pile sud-ouest et chapiteau de la pile nord-est.

Fig. 12. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, comparaison des motifs et de leurs
dessins entre la voussure extérieure de la porte sur la face occidentale du bras de transept nord et la
chapiteau continu à l’ouest de la cinquième pile nord de la nef (DAO, E. Chargé).

12 La sixième travée de la nef relève d’un mode de construction différent de celui des cinq
travées suivantes (Fig. 4 et 13). Les collatéraux sont séparés du vaisseau central par des
murs bahuts à mi-hauteur qui supportent des arcatures en plein cintre. Les bas-côtés
sont couverts de voûtes d’arêtes, tandis que le reste de la nef est voûté en berceau sur
doubleaux plein cintre.
168

Fig. 13. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, vue de la nef centrale depuis la
croisée sous coupole.

13 La troisième phase de décor apparaît dans les cinq travées occidentales de la nef et sur
la façade occidentale. Les thèmes abordés et le volume des supports sont différents de
ceux de la seconde phase. Dans la nef, les corbeilles de chapiteaux sont lisses et les
angles sont rehaussés par des figures humaines ou hybrides (Fig. 14). Ce type de
chapiteaux lisses est régulièrement observé dans les nefs des édifices romans
charentais environnants. Les supports qui encadrent le vaisseau central de l’abbatiale
Saint-Nicolas de Cellefrouin17 et de Saint-Denis de Lichères 18 sont surmontés par des
corbeilles monumentales quasiment nues, avec un seul motif au dé médian et des
volutes aux angles.

Fig. 14. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, exemples de corbeilles de chapiteau
de la nef.

14 Les motifs géométriques sont très présents, notamment sur la façade occidentale, ce
qui contraste avec la profusion végétale du second groupe de décor (Fig. 15). L’élévation
est monumentalisée grâce à des jeux de motifs géométriques, accentuant les
dimensions et donc l’impression produite. D’autres portails charentais emploient la
même stratégie visuelle : à Montmoreau19, Chalais20, ou encore Aubeterre-sur-Dronne21.
Ces édifices sont tous datés de la seconde moitié du XIIe siècle.
169

Fig. 15. Saint-Amant-de-Boixe (16), église abbatiale Saint-Amant, façade occidentale, détail du motif
des claveaux (mesures en centimètres) (DAO, E. Chargé).

15 L’analyse des éléments de décor, couplée aux observations de l’architecture de


l’abbatiale, distingue donc deux phases importantes (B) et (C) et un groupe mineur
antérieur (A) (Fig. 5).
16 Une étude du bâti de l’église abbatiale a été réalisée par Sylvie Ternet avant 200622. Elle
distingue trois étapes dans la construction de l’édifice roman. Pour elle, la partie la plus
ancienne concerne le bras nord du transept (1er quart du XI e siècle), qui aurait été
continué par l’abside romane, le bras sud du transept et la travée orientale de la nef (2nd
quart du XIe siècle). La construction romane la plus récente correspond aux cinq
travées occidentales de la nef et à la façade occidentale (entre le milieu du XIIe siècle et
1170). Les datations proposées par Sylvie Ternet se fondent sur les évènements inscrits
dans le cartulaire de l’abbaye23. Dans ce dernier, de nombreux dons sont mentionnés à
partir de la seconde moitié du XIe siècle, annonçant d’importantes dépenses. La date du
transfert des reliques de saint Amant en 1125 est l’indice d’un édifice au moins
partiellement construit et la date de consécration en 1170 par l’archevêque de
Bordeaux acte très probablement l’achèvement du bâtiment.
17 Or, les éléments rassemblés par l’interprétation du complexe ornemental ne
fonctionnent pas avec ces propositions. L’analyse ornementale permet de proposer une
chronologie amendée des étapes de construction de l’abbatiale Saint-Amant (Fig. 16).
Une église datée du XIe siècle a certainement existé sur le site, dont il ne reste
aujourd’hui que les éléments de décor du groupe (A), remployés dans l’édification
suivante. L’église du second quart du XIIe siècle aurait formé le chevet échelonné24, le
transept, la croisée sous coupole et la travée orientale de la nef. Elle aurait ensuite été
prolongée vers l’ouest par cinq travées et fermée par la façade occidentale dans la
seconde moitié du XIIe siècle.
170

Fig. 16. Le complexe abbatial de Saint-Amant-de-Boixe, restitution des parties romanes disparues et
proposition de phasage des élévations (Crédits : Topographie et SIG, classe de BTS 2ème année,
promotion 2016/2017, Lycée des Métiers du Bâtiment de Sillac à Angoulême ; DAO, E. Chargé).

18 La base de données spatialisée permet de rendre compte des données dans l’espace.
Grâce au système de requêtes, il est possible de visualiser en contexte des groupes de
données ayant les mêmes caractéristiques. Pour l’étude de l’église abbatiale Saint-
Amant, la caractérisation exhaustive des éléments de décor affine l’observation de
groupes contemporains. Ils sont construits sur l’examen des modules des supports, des
thèmes développés et des dispositions des formes. Les informations apportées par les
éléments d’accompagnement de l’architecture complètent celles de l’étude du bâti et
amènent donc à réviser la chronologie générale de l’édifice.
19 Dans le cadre de la thèse, l’exploitation de SpatiaLite concerne principalement
l’enregistrement et la caractérisation des éléments ornementaux des édifices.
Néanmoins, ce même travail peut aussi être réalisé pour documenter tous les aspects
du bâtiment : inscriptions, mobilier, maçonneries, charpentes, etc. Ainsi, toutes les
informations sont regroupées au sein d’une même base, facilitant l’étude préliminaire,
mais également la publication grâce aux extractions instantanées de figures projetant
les résultats des requêtes.
171

NOTES
1. VANNETTI A., L'archéologie du bâti entre étude des vestiges médiévaux et politique
patrimoniale : une étude historique et épistémologique, thèse de doctorat, dir. C. SAPIN et M.
HONNEGER, Université Bourgogne Franche-Comté, 2017.

2. ARLAUD C., BURNOUF J., « L'archéologie du bâti médiéval urbain », Les Nouvelles de
l'Archéologie, 53-54, 1993, p. 5-69 ; REVEYRON N., « L'apport de l'archéologie du bâti dans la
monographie d'architecture », In Situ, 2, 2002.
3. JOCKEY P., « La sculpture antique, entre histoire de l’art et histoire des techniques :
vers un renouveau historiographique et thématique », Perspective, 1, 2007, p. 19-44 ;
SARRADE C., « Comprendre la technique des peintures romanes par le relevé
stratigraphique », In Situ, 22, 2013 ; TOMASI M., UTZ S., L'art multiplié : production de masse,
en série, pour le marché dans les arts entre Moyen Âge et Renaissance, Arte, Viella, 2011.
4. TARDY D., « L’ornementation architecturale dans les provinces occidentales de
l’Empire romain, une approche renouvelée », Perspective, 2, 2010.
5. Pour ne citer que des exemples très récents de monographies sur des édifices romans
: BAUD A., SAPIN C., Cluny - Les origines du monastère et de ses églises, Comité des Travaux
Historiques et Scientifiques, 2019 (Archéologie et Histoire de l’art) ; VERGNOLLE E., Saint-
Benoît-sur-Loire. L’abbatiale romane, Bibliothèque de la Société Française d’Archéologie,
Picard, 2018 ; HUANG L., L’abbatiale Sainte-Foy de Conques (XIe-XIIe siècles) , thèse de
doctorat, dir. JOURNOT F., CAZES Q., Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2018.
6. Thèse en cours, sous la direction de CAZES Q. (FRAMESPA – UMR 5136) et GENSBEITEL C.
(IRAMAT-CRP2A – UMR 5060).
7. Les réponses sont contraintes par une liste de choix réduite et inextensible.
8. Structured Query Language désigne un langage informatique normalisé qui permet
d’exploiter et de modifier la structuration des données.
9. BASCHET J., « Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche
iconographique élargie. », Annales, 1, 1996 ; BASCHET J., BONNE J.-C., DITTMAR P.-O., « “Iter” et
“locus”. Lieu rituel et agencement du décor sculpté dans les églises romanes
d'Auvergne », Images Re-vues, histoire, anthropologie et théorie de l’art, 3, 2012.
10. TERNET S., Les églises romanes d’Angoumois, Le Croît Vif, 2006, t. 2, p. 582-586.
11. GENSBEITEL C., L’architecture religieuse du XIe siècle en pays charentais et ses
transformations à l’aube du XIIe siècle , thèse de doctorat, dir. J. LACOSTE, Université
Bordeaux 3, 2004, t. 2, p. 96-156.
12. CLERFEUILLE N., Étude comparative du décor sculptural de l'église de Saint Amant de Boixe -
croisillon nord et côté nord - et de celui de la cathédrale d'Angoulême, notice de maîtrise,
Université de Poitiers, 1954 ; DUBOURG-NOVES P., « Nouvelles considérations sur Saint-
Amant-de-Boixe (À propos d'un huitième centenaire) », Bulletin de la Société
Archéologique et Historique de la Charente, 1971, p. 475-485.
13. Les frises mesurent 31 cm (+/- 1 cm) de hauteur.
172

14. Un cliché de Théodore ou Albert Ballu pris aux alentours de 1878 fait un focus sur
les sculptures du bras du transept, avant le déblaiement des parties basses. Dans l’angle
supérieur gauche, on aperçoit la baie de la sixième travée de la nef partiellement
murée. Cliché n° 3508, Fonds Ballu, INHA, Paris.
15. Une corbeille de chapiteau située au nord de l’arcade ouvrant sur l’abside
échelonnée septentrionale du chevet.
16. Les frises mesurent également 31 cm (+/- 1 cm) de hauteur et la tranche des
corbeilles de chapiteaux avec leurs astragales est égale à 34 cm (+/- 1 cm), à l’instar des
chapiteaux encadrant la porte du bras nord du transept.
17. La nef de l’église abbatiale est datée du dernier quart du XI e siècle. TERNET S., Les
églises romanes d’Angoumois, Le Croît Vif, 2006, t. 2, p. 437-442.
18. La nef de l’église est ici datée du XIIe siècle. TERNET S., Les églises romanes d’Angoumois,
Le Croît Vif, 2006, t. 2, p. 501-504.
19. G ENSBEITEL C., L’architecture religieuse du XIe siècle en pays charentais et ses
transformations à l’aube du XIIe siècle, thèse de doctorat, dir. J. LACOSTE, Université
Bordeaux 3, 2004, t ; 2, p. 516-529.
20. GILLET C., Églises et chapelles de la Charente, Rioux-Martin, Le vent se lève, 2014, p.
97-99.
21. GILLET C., Ibid., p. 48-49.
22. TERNET S., Les églises romanes d’Angoumois, Le Croît Vif, 2006, t. 2, p. 582-586.
23. D EBORD A., Cartulaire de l’abbaye de Saint-Amant-de-Boixe, Société Archéologique et
Historique de la Charente, Oudin-Beaulu, Poitiers, 1982.
24. Sur la figure 16, le mur septentrional du bras de transept nord ainsi que les
absidioles échelonnées sont hachurées. Des recherches en archives, des photographies
anciennes et des études des restaurations ont fait remarquer un nombre important de
reprises dans cet espace. INHA, BnF, Fonds Ballu, photographies n° 2559 et 3807 ; MAP,
côte conservation 1996/025/0196.

RÉSUMÉS
Le développement de l’archéologie du bâti a encouragé les historiens de l’art à s’investir dans les
études globales des monuments médiévaux. Les recherches récentes prennent en compte autant
les élévations que le décor et sa part ornementale. Celle-ci est souvent dense et diffuse et
nécessite donc une approche méthodologique adaptée.
La base de données SpatiaLite est un système d’information géographique qui permet de
caractériser et situer les informations dans l’espace du monument (et au-delà). À travers
l’exemple de l’église abbatiale Saint-Amant de Saint-Amant-de-Boixe (16), les principes de l’outil
sont exposés.
Plusieurs groupes décoratifs sont identifiés en comparant les thématiques abordées par les
motifs, leurs mises en forme et leurs dispositions sur les supports. En associant de nouvelles
173

observations du bâti à l’étude de la répartition des décors dans le bâtiment, la chronologie de


l’édifice roman peut alors être précisée.

The development of building archaeology has encouraged art historians to invest themselves into
a global study of medieval monuments. The recent researches consider both the elevations and
the decoration including its ornamental part. This is often dense and diffuse and therefore
requires a appropriate methodological approach.
The SpatiaLite database is a geographic information system that enables to characterize and
locate informations into the monument (and beyond). Through the example of the abbey church
Saint-Amant de Saint-Amant-de-Boixe (16), the main functions of the tool are presented.
Several decorative groups are identified comparing the topics raised in the patterns, their
settings and their arrangement on the surfaces. By associating additional observations of the
building to the examination of ornaments distribution in the building, the chronology of the
Romanesque church can be specified.

INDEX
Mots-clés : décor, ornement, art roman, Moyen Âge, chronologie, SIG
Keywords : decoration, ornament, Romanesque art, Middle Age, chronology, GIS

AUTEUR
ESTELLE CHARGÉ

Doctorante, Université Toulouse – Jean Jaurès, FRAMESPA – UMR 5136 & Université Bordeaux
Montaigne, UMR 6034 Archéosciences Bordeaux (anciennement UMR 5060 IRAMAT-CRP2A).
174

De l’observation à la restitution
Observe to restitute
175

Les nouvelles technologies pour


l’archéologie du bâti. Applications,
apports et limites
New technologies for the building archaeology. Applications,
contributions and limits

Camilla Cannoni

1 Depuis plusieurs années nous assistons à une large et rapide diffusion des nouvelles
technologies pour l’étude archéologique des monuments. Il semble utile, dans le cadre
de ce colloque, de procéder à un état des lieux de l’utilisation de ces technologies dans
le but de mettre un peu d’ordre dans ces notions encore trop vagues et confuses.
2 En 2001, dans la conclusion de la table ronde de Saint-Romain-en-Gal1, la constatation,
soulignée par toutes les interventions, de la nécessité d’un recours aux méthodes
scientifiques pour appréhender la complexité des élévations était bien établie. Dans
cette approche scientifique, le dessin et les mesures des vestiges jouent le rôle principal
dans l’étude archéologique, depuis l’enregistrement jusqu’à l’interprétation des
données.
3 Au centre du travail de l’archéologue du bâti, se trouve donc la production de
l’imagerie nécessaire à l’étude et, dès l’introduction de la table ronde de 2001, Joëlle
Burnouf2 affirmait que les nouvelles technologies étaient en train de libérer
l’archéologue du bâti des contraintes matérielles qui rendaient l’enregistrement et le
relevé peu aisés et laborieux.
4 En effet, depuis la fin des années 1980 mais surtout à partir du début des années 2000,
et donc en même temps que les questionnements sur les méthodes d’étude du bâti,
nous assistons à l’apparition et à une diffusion rapide des technologies numériques.
5 Ces technologies ont transformé nos pratiques et ont introduit, dans le monde de la
recherche scientifique sur le bâti, des nouveaux instruments et outils, mais aussi des
attentes et des ambitions3. La première introduction est celle de l’outil par excellence,
le modèle 3D (Fig. 1), copie numérique de l’ensemble ou partie du monument dans son
176

état actuel, transcrit sur nos écrans sous la forme de nuage de points ou maillage et
résultat des deux principaux instruments et techniques d’acquisition numérique, la
lasergrammétrie et la photogrammétrie. L’arrivée des nuages de points issus de ces
techniques a aussi attisé l’ambition du scientifique pour une phase d’acquisition
objective et rapide, en opposition aux relevés traditionnels. Finalement, nous sommes
forcés de constater que ces instruments et, en particulier, les logiciels de modélisation
3D ont conduit à une démultiplication des reconstitutions 3D à travers des maquettes
très séduisantes de réalisme mais parfois pauvres de précisions sur les
questionnements de la recherche4.

Fig. 1. Modèle 3D en nuage de points, prieuré Saint-Martin de Mesvres (Saône-et-Loire) (Numérisation


et traitements, Camilla Cannoni, 2016).

6 Ces outils numériques et leurs usages sont devenus fréquents dans nos pratiques
archéologiques et leur utilisation qui dure depuis trente ans déjà peut, actuellement,
être analysée historiquement5. Au début l’enthousiasme et la fascination pour ces
innovations primaient dans le contexte scientifique. Ces instruments se présentaient
comme la solution à tous les questionnements qui surgissent lors de l’observation du
bâtiment, la numérisation permettant de le sauvegarder dans l’ordinateur et d’y avoir
accès tout en étant loin du monument.
7 Ce regard émerveillé a aujourd’hui été abandonné par les spécialistes qui utilisent ces
technologies et qui sont bien conscients de la réalité du terrain où l’obtention du
modèle 3D n’est pas le but ou l’achèvement du travail mais plutôt son commencement.
8 Il faut néanmoins souligner la persistance de l’enthousiasme pour ces techniques de
relevés dans les médias non spécialisés. Il suffit pour cela de regarder la presse de ces
derniers mois pour comprendre de quelle manière le modèle 3D de la cathédrale Notre-
Dame de Paris, acquis par lasergrammétrie par Andrew Tallon, semble être un héritage
à la valeur inestimable qui aurait sauvé, du moins sur nos écrans, la cathédrale de la
catastrophe. Dans ces discours il n’était pas question des études et des recherches
menées sur l’édifice, ou du travail d’analyse archéologique du chercheur6, ou des
travaux scientifiques précédents, le seul modèle 3D avec son milliard de points et sa
précision millimétrique serait suffisant pour percer à jamais le secret de la construction
et conserver pour l’éternité le monument, du moins sa copie numérique.
177

9 Dans le monde scientifique de l’archéologie qui, pour certains aspects, est


malheureusement encore loin d’être totalement débarrassé du pouvoir envoûtant et
magique qu’exercent les nouvelles technologies, leur utilisation, presque quotidienne,
permet désormais d’y porter un regard critique et de s’y intéresser avec une approche
épistémologique.
10 En réfléchissant sur les méthodes d’utilisation, nous pouvons mettre en évidence les
limites et les difficultés tout en reconnaissant les intérêts et les apports pour la
recherche et voir comment ces technologies ont trouvé une place à l’intérieur de
chacune des étapes du travail archéologique.

1. Les nouvelles technologies pour l’acquisition des


données architecturales
11 La photogrammétrie et de la lasergrammétrie sont devenues des techniques très
fréquemment employées pour l’acquisition de la géométrie d’un bâtiment et la
production de l’imagerie archéologique. Ces technologies 3D, dont le développement
est souvent commandé par l’industrie du bâtiment, se prêtent particulièrement bien à
l’étude des édifices déjà existants et offrent une série d’avantages et possibilités pour la
mesure et le relevé qui en expliquent, en partie, la rapide diffusion dans les pratiques
archéologiques. La lasergrammétrie présuppose l’utilisation d’un scanner laser (Fig. 2),
un instrument qui balaye l’objet à mesurer en calculant le positionnement dans l’espace
de tous les points d’impact du laser de manière automatique, précise et fiable. Cette
technique est utilisée pour l’intérieur et pour l’extérieur des édifices. La
photogrammétrie est une technique qui permet de déterminer les dimensions, les
positions et les formes d’objets à partir d’une série de clichés photographiques.
Généralement utilisée pour les objets et l’extérieur du bâtiment, elle est plus difficile à
mettre en œuvre à l’intérieur en fonction de la configuration des espaces7 et elle est
souvent utilisée pour lever seulement certaines zones particulièrement intéressantes
(Fig. 3). Cette technique est comparable à la lasergrammétrie en termes de qualité et
précision des rendus seulement lorsque la mise en œuvre est systématique et
rigoureuse, la prise de vues et l’attribution des valeurs de distance étant des opérations
manuelles.
178

Fig. 2. Modèle 3D en nuage de points obtenu par lasergrammétrie, évêché d’Autun (Saône-et-Loire)
(Numérisation et traitements, Camilla Cannoni, 2017).

Fig. 3. Modèle 3D en nuage de points obtenu par photogrammétrie. À gauche, château d’Anet (Eure-et-
Loir) (Numérisation et traitements Grégory Chaumet). À droite, évêché d’Autun (Saône-et-Loire)
(Numérisation et traitements, Camilla Cannoni, 2017).

12 De ces deux techniques d’acquisition en résulte un nuage de points tridimensionnel


représentant l’objet avec précision et exhaustivité (Fig. 4). Les données sont ensuite
traitées au moyen de logiciels permettant des mesures, des coupes et segmentations,
des rendus 3D, la génération de documents techniques (DAO), les ortho-projections, la
modélisation (CAO), etc. (Fig. 5).
179

Fig. 4. Modèle 3D en nuage de points, mesures et segmentations, cathédrale Saint-Lazare d’Autun


(Numérisation et traitements, Camilla Cannoni, 2016).

Fig. 5. Modèle 3D en nuage de points à partir duquel sont réalisés les dessins techniques, ortho-
projections et modélisations, évêché d’Autun (Saône-et-Loire) (Numérisation et traitements, Camilla
Cannoni, 2017-2019).

13 Le premier avantage du recours à ces méthodes est la rapidité des relevés. Les temps
d’acquisition sont en effet extrêmement réduits entre trente minutes pour une façade
et souvent seulement quelques jours pour l’ensemble d’un bâtiment intérieur et
extérieur.
14 Ces instruments fournissent aussi des données d’une grande fiabilité, lorsque leur
utilisation suit un protocole méthodologique rigoureux, mais surtout des documents
d’une grande objectivité. En effet, contrairement aux opérations de relevés manuels où
les mesures sont peu nombreuses et les interpolations fréquentes, ces technologies
permettent d’enregistrer un nombre de points extrêmement élevé que nous sommes
incapables d’atteindre manuellement dans les mêmes laps de temps. Les mesures
présentent aussi une précision importante de l’ordre de 1 cm à 100 m pour les lasers et
de manière déportée, sécurisée et sans contact8.
15 Cela signifie que ces instruments ont ouvert des raccourcis pour des mesures de plus en
plus précises et performantes en nous permettant d’atteindre des hauteurs, largeurs et
profondeurs qui restaient jusque-là incertaines sans échafaudages et dans des endroits
difficiles d’accès. Il ne faut pas oublier les géoréferencements précis et possibles même
à l’intérieur, très utiles si l’on travaille sur plusieurs bâtiments et à l’échelle d’un
quartier par exemple (Fig. 6).
180

Fig. 6. Modèle 3D en nuage de points géoréférencé de l’ensemble des bâtiments composant le quartier
épiscopal de la ville d’Autun (Saône-et-Loire) (Numérisation et traitements, Camilla Cannoni,
2015-2019).

16 Le dernier avantage consiste en la perception tridimensionnelle constante du bâtiment.


Ces nuages de points apportent au chercheur un point de vue multiple et interactif,
particulièrement utile lorsqu’il s’agit de s’attaquer au travail difficile qui est celui
de penser en permanence en trois dimensions, de passer constamment « du 2D au 3D en
plan et en élévation »9 comme le soulignait déjà Joëlle Burnouf en 2001. Des nouveaux
points de vue s’ouvrent sur un édifice, du moins sur son double virtuel, et nous ne
sommes plus dominés par ses architectures, parfois labyrinthiques, lorsque nous nous
trouvons à l’intérieur. Nous le regardons désormais plutôt et plus fréquemment d’en
haut, nous pouvons le tourner dans tous les sens, le manipuler et l’explorer dans ses
volumes et agencements (Fig. 7).
181

Fig. 7. Modèle 3D en nuage de points et segmentations montrant le bâtiment médiéval à l’intérieur des
constructions modernes, prieuré Saint-Georges de Couches (Saône-et-Loire) (Numérisation, Camil
Joundy et Camilla Cannoni, 2019).

17 Tous ces apports et ces avantages sont les raisons principales de l’adoption si rapide, de
la part des archéologues du bâti, de ces outils numériques pour le relevé mais, bien
évidemment, ces nouvelles technologies arrivent sur la scène de l’archéologie du bâti
non sans leur lot de problématiques, limites et questionnements.

2. Une maquette 3D pour l’analyse archéologique ?


18 Ces limites sont particulièrement perceptibles dans la phase d’analyse et l’utilisation
inconditionnelle de ces technologies 3D présente un ensemble de risques.
19 Le principal est celui d’un détachement de l’objet réel vers sa copie virtuelle. Il est
fondamental, même si parfois cela peut sembler superflu, de rappeler l’importance de
l’observation directe des monuments, du contact avec les vestiges, avec la matière.
L’analyse archéologique reste finalement le travail d’entrainement de l’œil à voir les
interactions, les rapports de matière et de temporalité et cela n’a aucun sens de déduire
ces informations à partir de pixels sur un ordinateur. Ce qui signifie que le passage de
l’ortho-projection au relevé pierre-à-pierre doit impérativement se faire sur le terrain,
devant le moment (Fig. 8). Le dessin et les mesures sont un travail d’analyse et
d’observation, à l’opposé le nuage de point est un ensemble de données brutes
enregistrées par un instrument. Les questionnements épistémologiques depuis
l’apparition des maquettes 3D soulignent à l’unanimité qu’elles doivent être utilisées
complémentairement à l’observation directe et au dessin manuel ; ces technologies
n’ont pas vocation à se substituer au relevé manuel, elles le facilitent, le complètent et
l’accélèrent mais, en aucun cas, elles ne le remplacent. Des protocoles méthodologiques
rigoureux sont en mesure d’intégrer les relevés numériques au dessin et à l’analyse
traditionnelle sans les opposer.
182

Fig. 8. Modèle 3D en nuage de points, ortho-projection et relevé pierre-à-pierre, évêché d’Autun (Saône-
et-Loire) (Numérisation et traitements, Camilla Cannoni, 2017).

20 D’autres limites proprement informatiques concernent la gestion des données et leur


stockage permanent. Même si les recherches en ingénierie informatique font des
progrès rapides dans ce sens et des initiatives, telles que le Consortium 3D pour les SHS,
voient le jour ces dernières années, en général, la taille du nuage de points, le nombre
exorbitant de photographies et le poids des données numériques restent des problèmes
et des contraintes importantes10. Des contraintes matérielles d’abord puisque les
instruments de relevé, tels que les scanners laser sont encore trop onéreux pour une
large diffusion et les logiciels de traitement demandent à nos ordinateurs des
performances de calcul et de stockage très élevées. Ensuite, des problèmes
méthodologiques parce que, malheureusement, l’absence de protocoles clairement
établis et la rareté des organismes dispensant des formations conduisent actuellement
à des acquisitions faites sans raisonnement préalable sur les stratégies de numérisation
et à l’utilisation des instruments par des agents qui manquent de formation,
compétences et parfois même d’intérêt pour les aspects technologiques et
informatiques liés à ses instruments que l’on croit, à tort, faciles d’appréhension.
21 Finalement, il est fondamental de rappeler que les nuages de points véhiculent des
géométries sous forme de données brutes, des séries de mesures et coordonnées sans
hiérarchie sinon un placement spatial11. Ce ne sont pas des outils intelligents mais ils
doivent être enrichis de niveaux sémantiques, de données documentaires, historiques
et architecturales, nourris par l’intelligence et le regard de l’archéologue qui trie les
informations importantes et les détails pertinents du reste ; en analysant, il hiérarchise
et organise les données.
22 Dans ce sens des outils numériques se développent ces dernières années qui tendent
plus vers l’analyse sans se cantonner à la simple représentation des vestiges numérisés.
Je fais référence aux systèmes d’informations géographiques et archéologiques où le
modèle 3D n’est pas seulement la description de la géométrie du bâtiment mais est
aussi un moyen de stocker et véhiculer les informations et les données utiles à l’analyse
historique et archéologique.
23 Pour éviter les pièges et contrer les limites que je viens d’énumérer, il paraît donc
nécessaire de constituer des protocoles méthodologiques pour l’utilisation de ces
technologies, de sorte que leur emploi reste celui d’un outil sur lequel s’appuyer et non
pas, comme trop souvent est le cas actuellement, d’un but à atteindre.
183

3. Restitution des résultats par modélisation 3D


24 Cette problématique est particulièrement sensible dans la phase de production des
maquettes 3D donnant forme aux résultats et hypothèses d’étude.
25 La facilité avec laquelle se produisent des maquettes avec les logiciels de modélisation
3D peut sembler un avantage mais est, en réalité, une limite qui ne peut être
contournée qu’en renforçant la réflexion sur la différence, clairement établie depuis les
questionnements épistémologiques des années 1980, entre restauration, restitution et
reconstitution12.
26 La valorisation et la médiation sont, certes, des aspects importants de notre travail
mais ils doivent garder leur place et n’arriver qu’une fois l’analyse terminée ; les
hypothèses doivent être traitées comme telles et non pas comme des vérités photo-
réalistes, la reconstitution relevant plus de la création artistique que de l’analyse
scientifique. Les images montrant le raisonnement archéologique qui a conduit de l’état
actuel du monument à son état restitué ne doivent pas être abandonnées au profit de
modèles 3D13.
27 Dans ce sens, il faut également insister sur l’importance des recherches documentaires
et historiques pour appuyer l’analyse archéologique et ensuite les restitutions.
L’avènement des outils numériques a aussi conduit au fractionnement de la chaîne
méthodologique avec plusieurs intervenants de différentes disciplines, comme les
informaticiens et infographistes et, dans ce processus, le raisonnement et l’analyse sont
souvent relégués au deuxième plan 14.
28 Pour pallier ces inconvénients, il est donc important pour les archéologues de maîtriser
ces technologies et de les utiliser directement, en limitant le recours à des agents
extérieurs qui seront moins sensibles aux questionnements épistémologiques qui
animent les pratiques archéologiques.
29 L’apparition et le développement des technologies numériques en 3D ont été tellement
rapides et exponentiels qu’encore aujourd’hui nous sommes dans une phase
d’expérimentation ; des protocoles et des méthodologies claires doivent être mis au
point et appliqués universellement.
30 Ce travail de réflexion sur les méthodes et les usages est d’autant plus important et
urgent que la technologie 3D connaît aujourd’hui un effet de mode. Les projets de
recherche universitaires, les organismes culturels et de conservation du patrimoine, les
musées et bien d’autres organismes et institutions en sont demandeurs. Souvent pour
obtenir des financements, des numérisations et modélisations 3D sont intégrées aux
programmes de recherche même lorsque la finalité scientifique n’y est pas ou n’en
nécessite pas l’emploi. Cette « fièvre numérique » a aussi fait surgir un nombre
incalculable d’entreprises privées ou de laboratoires et plateformes qui cherchent à
promouvoir une numérisation massive des monuments et des objets du patrimoine
sans problématiques de recherche ou finalités d’analyse et d’étude. Il s’agit simplement
d’avoir une copie numérique précieusement stockée dans un disque dur, des données
brutes en attente d’analyse, des nuages de points dépourvus de sens avec lesquels sera
produite, au mieux, une simple vidéo du monument.
31 En tenant compte de cette situation complexe, on comprend bien comment le travail de
réflexion et d’harmonisation, qui était celui à accomplir pour les méthodes de
l’archéologie du bâti et sur lequel la table ronde de 2001 se proposait de réfléchir, se
184

trouve être encore extrêmement d’actualité et encore à réaliser pour l’utilisation des
nouvelles technologies dans cette discipline.

NOTES
1. SAPIN C., « Conclusion de la table ronde », in PARRON-KONTIS I., REVEYRON N. dir.,
Archéologie du bâti : pour une harmonisation des méthodes, Actes de la table ronde 9 et 10
novembre 2001, Musée archéologique de Saint-Romain-en-Gal (Rhône), Paris, 2005, p. 115.
2. BURNOUF J., « Discours d’introduction », in Ibid., p. 11.
3. BADIE A., « Architecture, archéologie et pratiques numériques. De l’acquisition à
la reconstitution : une brève introduction », RAAN, 05/03/2018, URL : https://
raan.hypotheses.org/1692.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. SANDRON D., TALLON A., Notre Dame de Paris : neuf siècles d’histoire, Paris, 2013.
7. MACHER H., Du nuage de points à la maquette numérique du bâtiment : reconstruction 3D
semi-automatique de bâtiments existants, thèse en Science de l’Ingénieur, Topographie,
Géomatique sous la direction de Pierre Grussenmeyer, INSA Strasbourg, 2017, p. 23.
8. BRABANT M. dir., Topographie opérationnelle, mesures, calculs, dessins, implantations, Paris,
2012.
9. BURNOUF J., op. cit., p. 11.
10. BADIE A., op. cit.
11. BADIE A., Ibid.
12. BALUT P.-Y., « Restauration, restitution, reconstitution », Revue d’archéologie moderne
et d’archéologie générale, 1, 1982, p. 101.
13. BADIE A., op. cit.
14. Ibid.

RÉSUMÉS
Depuis plusieurs années nous assistons à une large et rapide diffusion des nouvelles technologies
pour l’étude archéologique des monuments. Ces technologies ont transformé nos pratiques et ont
introduit, dans le monde de la recherche scientifique sur le bâti, des nouveaux instruments et
outils, mais aussi de nouvelles méthodes et leur lot de problématiques, limites et
185

questionnements.
La photogrammétrie et la lasergrammétrie sont fréquemment employées pour l’acquisition de la
géométrie d’un bâtiment et la production de l’imagerie archéologique et se prêtent
particulièrement bien à l’étude des édifices en offrant une série d’avantages et possibilités pour
la mesure et le relevé. Les temps d’acquisition sont en effet extrêmement réduits, les données
fournies sont d’une grande fiabilité et objectivité et les mesures, acquises de manière déportée,
sécurisée et sans contact présentent aussi une précision importante. Les nuages de points ont
ouvert, aux archéologues, des raccourcis vers la perception tridimensionnelle constante du
bâtiment et un point de vue multiple et interactif sur l’agencement des volumes d’un édifice.
À ces avantages s’oppose un certain nombre de problèmes et limites liés à l’utilisation des
technologies numériques qui peuvent être réduits voir annulés à travers une réflexion sur
l’application et les méthodes d’emploi de ces instruments, en effet des protocoles
méthodologiques rigoureux sont en mesure d’intégrer les relevés numériques au dessin et à
l’analyse traditionnelle sans les opposer.
Ce travail de réflexion et d’harmonisation sur les méthodes d’emploi des nouvelles technologies
s’impose actuellement en archéologie du bâti.

For several years now we have been witnessing a wide and rapid diffusion of new technologies
for the archaeological study of monuments. These technologies have transformed our practices
and have introduced new instruments and tools into the world of scientific research on
buildings, but also new methods and their share of problems, limits and questions.
Photogrammetry and lasergrammetry are frequently used for the acquisition of building
geometry and the production of archaeological imagery and are particularly well suited to the
study of buildings, offering a range of advantages and possibilities for measurement and
surveying. Acquisition times are extremely short, the data provided are highly reliable and
objective, and the measurements, acquired remotely, securely and without contact, are also
highly accurate. Point clouds have opened up shortcuts for archaeologists to the constant three-
dimensional perception of the building and a multiple and interactive view of the arrangement of
the volumes of a construction.
These advantages are countered by a number of problems and limitations linked to the use of
digital technologies which can be reduced or even cancelled out by reflecting on the application
and methods of use of these instruments, in fact rigorous methodological protocols are able to
integrate digital surveys with traditional drawing and analysis without opposing them.
This work of reflection and harmonisation on the methods of using new technologies is currently
essential in the field of building archaeology.

INDEX
Mots-clés : nouvelles technologies, modèle 3D, archéologie du bâti, relevés, lasergrammétrie,
photogrammétrie, modélisation, numérisation, restitution 3D
Keywords : new technologies, 3D model, building archaeology, surveys, lasergrammetry,
photogrammetry, modelling, digitisation, 3D restitution
186

AUTEUR
CAMILLA CANNONI

Doctorante en Archéologie médiévale, ingénieure d'études "Plateforme Plémo 3D" Sorbonne


Université, Faculté des Lettres, Centre André Chastel UMR 8150, ED124.
camillacannoni@gmail.com
187

L’analyse stratigraphique-
structurale et les reconstructions
tridimensionnelles dans les études
des architectures en Vallée d’Aoste
(Italie)
Stratigraphical-structural analysis and three-dimensional
reconstruction in the study of architecture in the Aosta Valley (Italy)

Mauro Cortelazzo

1 Un palimpseste d’activités, tel que peut l’être l’ensemble de nombreux édifices - qu’il
s’agisse de châteaux, d’églises ou de simples habitations - est l’expression du labeur de
l’homme, de son exigence de modifier sans cesse les espaces et de sa volonté/nécessité
de les remodeler. Étudier les bâtiments signifie démêler la séquence des événements
qui ont touché le bâti. Ceux-ci racontent comment s’est déroulé le « jeu » de
construction - avec ses soustractions, restitutions et réunions ou, vice-versa,
décompositions des différentes activités - via les mille pirouettes nécessaires pour
interpréter et vérifier une donnée. Le point de départ est constitué par l’axiome
suivant : toute intervention, même limitée, a un but utilitaire, une raison d’être bien
précise et, de ce fait, elle laisse généralement des traces. L'utilisation des technologies
informatiques dans le modelage des volumes architecturaux en perspective
tridimensionnelle rend en effet extrêmement efficace la compréhension des phases
évolutives des structures architecturales des biens traités (Fig. 1), mais permet
également de mettre en évidence des choix particuliers dans les systèmes de
construction (Fig. 2).
188

Fig. 1. Cathédrale d'Aoste. Reconstruction tridimensionnelle (wireframe) de la cathédrale du XIIe siècle


(Roberto Focareta, Visionetica, 2007).

Fig. 2. Châtel-Argent (AO). Tour avec échafaudage hélicoïdal (Leandro Bornaz, ad hoc 3D, 2009).

2 L’approche méthodologique appliquée à un contexte architectural ou archéologique,


dont la valeur stratigraphique montre une réalité évolutive complexe, doit
nécessairement disposer de plusieurs méthodes de recherche liées à une seule logique
189

de procédé. Dans cette approche, il faut savoir choisir les outils appropriés, à adapter
aux différentes exigences qui se présentent tout au long de la progression de la
recherche, de plus en plus analytique. Dans cette optique, le travail effectué sur le
territoire valdôtain a concerné des architectures très différentes, couvrant un arc
temporel qui va de l’époque romaine à la fin du Moyen Âge. Les exemples concernent
des reconstructions basées sur des recherches archéologiques relatives à l’urbanisme
de la ville romaine ; leur but est de faire connaître à un vaste public les nouvelles
découvertes et les interprétations mises à jour (Fig. 3), en lui faisant comprendre
quelles transformations le tissu urbain a subies au cours de deux millénaires. À partir
des résultats stratigraphiques, des reconstructions d’édifices religieux du haut Moyen
Âge ont été proposées, en cherchant à rendre leurs caractéristiques (Fig. 4). Une
attention particulière a été prêtée aux analyses tridimensionnelles des charpentes en
bois, comme dans le cas du château d’Aymavilles : tout le schéma de montage a pu être
reconstitué (Fig. 5), ainsi que la séquence et le système d’assemblage des différents
éléments (Fig. 6). Là, on a pu, surtout, obtenir un support graphique précis, à partir
duquel identifier et caractériser chacun des éléments (Fig. 7). L’évolution du
développement architectural d’autres châteaux, sur la base d’un examen analytique de
leur structure, a également constitué un secteur d’études important, où le 3D s’est
avéré indispensable (Fig. 8). Il en va de même pour quelques édifices à l’intérieur du
périmètre de la ville moderne. En les insérant de façon ponctuelle dans le tissu urbain,
on a restitué leurs dimensions exactes et leurs proportions correctes par rapport aux
édifices existants puisque ces derniers sont connus, ils permettent d’établir de justes
proportions. (Fig. 9).

Fig. 3. Aire du Forum d’Augusta Prætoria. L’espace urbain aujourd’hui et à l’époque romaine impériale
(Roberto Focareta, Visionetica, 2006).
190

Fig. 4. Église paléochrétienne Saint-Laurent (AO). Les aménagements liturgiques : état des fouilles et
reconstruction tridimensionnelle (DBM Architecture, 2009).

Fig. 5. Château d’Aymavilles (AO). Séquence de montage de la charpente en bois du toit (Roberto
Focareta, Visionetica, 2006).
191

Fig. 6. Château d’Aymavilles (AO). Eclat d’une portion de la charpente en bois du toit (Roberto Focareta,
Visionetica, 2006).

Fig. 7. Château d’Aymavilles (AO). Partie de la charpente en bois avec numérotation des éléments et
indication des marques.
192

Fig. 8. Château de Sarriod de La Tour (AO). Analyse de l’évolution et rendu (Rassel Tresca, Luisa Viola,
2010).

Fig. 9. Cathédrale d'Aoste. Reconstruction tridimensionnelle de la cathédrale du XIIe siècle insérée dans
le tissu urbain moderne (Roberto Focareta, Visionetica, 2007).

3 Les technologies informatiques et la capacité professionnelle de savoir transformer la


donnée stratigraphique et structurelle en synthèse volumétrique et visuelle ont produit
193

des images d’exemple qui recèlent, en réalité, un travail méthodologique complexe et


un long processus d’analyse. L'application de la méthode dans l’étude des volumes
architecturaux a ainsi concerné plusieurs catégories d’édifices, jusqu’à toucher certains
aspects liés à l’architecture rurale (Fig. 10). Le produit final, qui se concrétise dans la
proposition efficace de rendus 3D, ne peut cependant pas se passer, parfois, d’un relevé
de détail préalable à l’échelle 1:20 (Fig. 11). La finesse de détail de certains éléments
structuraux détermine non seulement une plus grande fiabilité au niveau scientifique,
mais aussi un meilleur réalisme : en effet, de nombreuses caractéristiques de
construction sont ainsi enregistrées.

Fig. 10. Derby (AO). Édifice rural qui a englobé un grenier de 1468 (datation dendrochronologique)
(Nadia Raveraz, 2010).
194

Fig. 11. Derby (AO). Relevés à l’échelle 1:20 du grenier (Giovanni Abrardi 2009) et reconstruction
tridimensionnelle (Nadia Raveraz, 2010).

4 Ce qu’il nous reste aujourd’hui des édifices sur lesquels nous nous penchons, c’est une
synthèse des exigences en matière d’habitation, un distillat d’événements qui a
remodelé des volumes finis et habitables, malgré les altérations, les réductions et les
suppressions. La lecture des traces laissées par les différentes phases de construction
ne peut faire abstraction de leur exégèse correcte, car l’édifice constitue sa propre
source d’explication. L’interprétation de la moindre portion de mur, du moindre
témoin stratigraphique est souvent en mesure de fournir plusieurs horizons critiques,
une nouvelle herméneutique de l’espace d’habitation. Ce dernier est le fruit d’une
infinité d’opérations et de modifications, dont la complexité et le nombre ne sont pas
toujours si faciles à saisir ; l’étude de l’édifice dans sa complexité est abordée selon les
concepts de l’analyse stratigraphique des surfaces des maçonneries en élévation.
Toutefois, la difficulté de relier l’examen de ces surfaces avec l’étude minutieuse des
volumes apparaît rapidement. Les actes de construction multiples identifiés dans
chaque espace d’habitation échappent à l’établissement d’un diagramme ordonné.
L’intervention dans un mur a, en réalité, un lien plus complexe et articulé non
seulement avec le mur où elle a été réalisée, mais avec la pièce, le volume, l’espace où
elle doit être placée. Une paroi en bois, par exemple, peut conditionner nettement
l’utilisation des espaces et partager une pièce en deux parties d’habitation qui auront
des vies différentes. Par conséquent, après cette subdivision, une même maçonnerie
aura une évolution diachronique, avec des éliminations et des ajouts n’appartenant
qu’à un seul espace habité ; dès lors, c’est ce facteur qui caractérise le développement
structurel. Les deux parties du mur seront exploitées différemment, puisqu’elles
appartiendront à deux réalités d’habitation différentes1. Des couches d’enduit ou de lait
de chaux rendent un espace uniforme et le distinguent d’un autre. Ces surfaces se
transforment parfois en support parcheminé2 où apparaissent des inscriptions et des
195

dates utiles pour établir des chronologies absolues. Du point de vue de l’analyse
stratigraphique, un lait de chaux, un enduit appliqués dans une pièce équivalent, ni
plus ni moins, à des sols de fréquentation3. Chaque trace, chaque gravure témoigne
d’une activité, comme celle d’ôter de la terre d’un sol. Reconduire cette série
d’événements à un schéma graphique qui en visualise la séquence chronologique, en
tenant compte de sa relation dans la complexité de la construction d’un bâtiment,
s’avère une opération tortueuse. Le simple schéma bidimensionnel du diagramme de
Harris4 ne semble point pouvoir satisfaire cette complexité d’interrelations. 5 Pour
simplifier, chaque pièce est constituée d’un volume à six faces (les quatre murs, le sol et
le plafond) ; chacune d’entre elles est en relation avec autant de pièces ou d’espaces et
ainsi de suite, pour aboutir au complexe d’un édifice entier, ce qui donne une quantité
de valeurs presque exponentielle.
5 La base sur laquelle définir les séquences de construction est l’identification d’unités
structurellement homogènes et conceptuellement inséparables de l’action de
construire. D’après nous, ce critère – habituellement suivi dans les analyses
stratigraphiques des maçonneries – présente le risque de devenir, parfois, un pur
exercice de style. Un mur n’est quasiment examiné que pour montrer sa complexité,
sans être ensuite inscrit dans le développement architectural de l’édifice. De la même
façon, il arrive que l’analyse stratigraphique d’un mur soit séparée de celle des sols,
presque comme s’il s’agissait de deux contextes différents.
6 L’un des aspects les plus complexes est dû au fait que l’édifice témoigne d’interventions
de construction fragmentaires, difficiles à gérer dans leur ensemble et, surtout,
difficiles à interpréter globalement, car couvertes d’enduits ou de mises en œuvre
successives. Il peut ainsi s’avérer préférable d’intervenir pièce par pièce, par secteurs,
mais il faut ensuite relier et regrouper ces différentes pièces. Au fur et à mesure que les
autres opérations se poursuivent (relevés assistés par ordinateur, orthophotoplans,
tests sur les enduits, etc.), la recherche se poursuit à deux niveaux
d’approfondissement : l’un, plus vaste, qui intervient sur la globalité du complexe et qui
se réfère aux macro-corps de bâtiment ; l’autre, plus détaillé, qui observe chaque
élément afin de le mettre en relation avec le vécu d’un espace circonscrit, dans une
sorte d’alternance entre la macro et la micro-analyse. Pièce par pièce, voire mur par
mur dans un premier temps, un diagramme est réalisé afin d’établir une séquence
relative entre les différentes unités stratigraphiques des maçonneries (USM). Chaque
diagramme de mur est donc associé à ceux des quatre autres murs, définissant ainsi la
séquence de chaque pièce. La séquence du corps de bâtiment est ensuite donnée par les
différentes pièces, pour aboutir enfin à l’édifice dans son ensemble. Le passage entre
paramètres de valeurs différents pour ce qui est des dimensions et des fonctions
d’habitation – de la pièce au corps de bâtiment et de celui-ci à tout l’édifice – implique
cependant des problèmes de représentation graphique, car chaque maçonnerie
appartient à la fois à plusieurs pièces ou même à plusieurs corps de bâtiment différents.
Le diagramme révèle donc un enchevêtrement de relations : au lieu de simplifier la
compréhension du processus évolutif, il en complique la lecture. Il manque ainsi ce
moment de synthèse en mesure d’ordonner et de simplifier la séquence de cette
parcellisation de la connaissance obtenue par le biais de l’identification de chaque
petite activité. À ce propos, l’exigence a ainsi été de « passer de la représentation
graphique bidimensionnelle proposée par Harris à la visualisation des successions
stratigraphiques saisies dans le contexte fonctionnel d’une architecture »6, suivant une
196

approche qui implique une révision du modèle analytique. Puisque la complexité est
déterminée par la difficulté d’attribuer graphiquement des rapports physiques 3D à
chaque USM, l’on peut essayer de transposer le problème en considérant chaque unité
comme un volume. D’où la nécessité de tenter la réalisation du développement de
chaque pièce pour ce qui est de la construction, de chaque corps de bâtiment et, enfin,
de l’édifice en 3D. Chacune des USM qui composent le diagramme est déterminée,
autant que possible à part, dans toute sa dimension, et son volume est placé exactement
par rapport à l’édifice. Ce faisant, chaque pièce se présente de façon détachée ; mais, en
mettant en séquence les différentes USM, chaque pièce est en même temps replacée
suivant un critère spatial et temporel précis. Ce mécanisme met en évidence la
complexité des relations stratigraphiques et, surtout, la difficulté de lecture de certains
blocs de maçonnerie, que l’on ne peut interpréter qu’en partie, car ils sont englobés
dans d’autres maçonneries ou dissimulés par des ajouts successifs. Une courte
animation sur la genèse de la construction et de l’évolution de l’une des pièces de la
Maison Lostan, au cœur d’Aoste, a été réalisée pour illustrer ce procédé ; l’édifice est
aujourd’hui entièrement restauré et destiné aux bureaux de la Surintendance
régionale. Une séquence de quelques images est présentée ici (Fig. 12). De cette façon, le
procédé du diagramme de Harris a pratiquement été transformé en un diagramme
directement tridimensionnel, avec la possibilité d’intégrer les USM négatives pour
mieux comprendre l’espace habité et le sens de certaines transformations. Comme
vérification, une pièce aux difficultés d’interprétation majeures a été choisie,
caractérisée par le plus grand nombre d’USM et par la complexité la plus marquée en
termes de réalisation des volumes (Fig. 13). En attribuant une couleur différente à
chacune des phases principales, il a été possible d’indiquer les parties les plus
anciennes de l’édifice et de mettre en évidence ses transformations et ses
agrandissements au cours des siècles. Tout l’appareil 3D avait comme base le relevé
Autocad et, pour chaque mur, une fois le volume reconstruit, le relevé détaillé à
l’échelle 1:20 était appliqué, comme une peau, sur chaque USM volumétrique. Malgré
cela, une simplification s’est avérée nécessaire, vu l’innombrable quantité d’USM et le
changement important de la pièce au fil du temps, en estimant ce qui pouvait être
essentiel et ce qui ne l’était pas pour comprendre les transformations. Il a été jugé
préférable de ne pas représenter ces parties qui, tout en étant correctement
documentées et insérées dans le diagramme, étaient liées à des interventions de
réparation, d’entretien ou d’intégration qui n’altéraient pas ou qui ne modifiaient pas
l’utilisation de l’espace habité. Il a été plus complexe de choisir quelles USM négatives
modeler, c’est-à-dire ces parties manquantes qui devaient nécessairement exister jadis
pour compléter l’élément architectural entendu comme bloc structurel autoportant.
Dans ce cas, il a été établi de n’intégrer que les portions qui avaient un sens statique ou
les parties qui permettaient de recomposer les espaces volumétriques dans les grandes
lignes. Le but était alors uniquement de mieux définir les corps de bâtiment à
l’intérieur desquels l’on disposait les groupes d’USM.
197

Fig. 12. Maison Lostan (AO). Séquence de l’évolution de la pièce (Roberto Focareta, Visionetica, 2005).

Fig. 13. Maison Lostan (AO). Relevés des maçonnerie et numérotation USM (relevés Giovanni Abrardi,
2003).

7 L’analyse de la stratification a ainsi permis de transformer toute la Maison Lostan,


appartenant au tissu urbain d’Aoste, en source de connaissance. Bien que l’étude
effectuée jusqu’ici soit partielle, une grille de référence a été créée, en déterminant des
cycles de construction et des spécificités architecturales. La recherche n’a pas joué un
rôle uniquement cognitif, mais elle a atteint le but de l’étude stratigraphique, à savoir
la connaissance et la conservation d’un édifice historique. De plus, l’analyse était
nécessairement subordonnée à la conception d’une direction précise concernant le
projet des travaux de restauration, au moyen d’une surveillance constante afin de
préserver son potentiel en termes d’information. La pratique adoptée ici exige de
calibrer les parcours opérationnels et d’affiner les procédures, tout en gardant une
198

continuité de la méthode par rapport à d’autres expériences où des problèmes


différents requièrent la proposition et l’essai de nouvelles solutions.
8 Toute recherche sur un édifice vise à décrypter les surfaces architecturales pour les
transformer en document historique, en source d’information et de mémoire,
indépendamment d’autres finalités, si ce n’est la compréhension des dynamiques
évolutives ; elle doit également savoir fournir des indications philologiques en
surveillant les opérations liées aux projets de restauration et de conservation.
9 Tout édifice, surtout s’il est en ruine, appartient à l’histoire et ne peut pas être
considéré comme un élément dérangeant pour la mémoire ; il constitue, au contraire,
un événement, une réminiscence commune à chacun d’entre nous. Toute construction
est produite par l’homme et devient un bien culturel, non pas parce qu’elle exprime des
réalités architecturales, mais compte tenu du réseau complexe de rapports qui le lient à
son origine, à ses utilisateurs. Les constructions architecturales sont des sédiments de
savoirs et des réservoirs de mémoire : c’est à nous d’en décoder les potentiels
sémantiques, en restituant la séquence des événements qui les ont impliquées, les
transformant en morceaux d’histoire.

Appareils didactiques et analyse archéologique


10 Dans la réalisation d'appareils didactiques et d'outils de vulgarisation, tels que les
brochures et les supports informatiques, qui caractérisent par exemple la collection
"Cadran solaire" publiée par l'Assessorat de la Culture de la Région Vallée d'Aoste7,
l'étude archéologique se présente comme un palimpseste scientifique, une sorte de
parcours obligé, scandé par des étapes évolutives, que l'étude même doit savoir
déterminer et réorganiser dans leur séquence. La collaboration et la synergie avec des
disciplines différentes, dont les travaux uniques fournissent des données
supplémentaires et permettent des vérifications ponctuelles, sont la condition sine qua
non pour pouvoir obtenir un degré élevé d'authenticité dans la reconstruction des
événements. L'examen et l'observation archéologique représentent le niveau primaire
d'approche à n'importe quel élément construit, fruit de l'activité anthropique. Le
sondage sur un simple édifice ou sur un monument, à travers la décomposition
structurale opérée selon les critères archéologiques, détermine une fragmentation des
événements constructifs, décoratifs ou destructifs. Il appartient à l'archéologue de
recomposer cette myriade d'activités en établissant des séquences chronologiques,
conditionnées par des contacts physiques ou des observations de type hypothétique et
déductif, et de révéler à travers quel processus s'est formée l'histoire de la construction
du complexe. Celui qui opère selon ces critères se trouve devant un dépôt vertical
d'informations historiques stratifiées et doit savoir identifier également les tout petits
détails qui permettent d'élargir le plus possible le spectre analysable. Une fois ces
opérations accomplies, on arrivera à posséder une quantité infinie de données
scientifiques, souvent cryptiques et propres à la recherche pure. À ce point, intervient
une première transformation qui, en fonction des capacités et de l'habilité de
l'analyste, détermine une synthèse historique et évolutive. La synthèse est la
recomposition de ce qui s'est produit selon une reconstruction historique. Les
caractères substantiels de l'histoire d'un monument ou d'un site, se concrétisent ainsi
dans un parcours d'événements et de changements. Pour définir ces traits essentiels on
doit nécessairement être conscients que nombreux sont les événements qui, bien qu'ils
199

aient réellement eu lieu, n'ont laissé aucune trace. Cela ne nous exempte pas toutefois
de devoir produire la trame constructive car, quel que soit le volume de ce qui a
survécu, c'est de toute façon ce que nous possédons. En utilisant un paradigme, qui ne
veut pas certes être proverbial, c'est un peu comme peindre un visage à travers
quelques coups de pinceau essentiels, plus les traits qui le définissent se font rares plus
il est difficile de rendre l'ensemble compréhensif. Alors comment, à ce point, partager
la difficile scientificité d'une étude archéologique ?
11 Le premier pas consiste certes à en réaliser la simplification à travers soit le langage,
soit la typologie des informations. Simplifier ne signifie pas forcément banaliser mais
réussir à assurer des codes intelligibles à la collectivité. Il n'existe pas de limites aux
typologies de l'information si on respecte l'exactitude scientifique. Cette petite clause
fondamentale permet d'éviter qu'une donnée quelconque, pour simplifiée qu'elle soit,
ne puisse jamais échapper à l'honnêteté scientifique même et garantir, en même temps,
l'intégrité intellectuelle de qui a réalisé l'analyse. Des ouvrages de vulgarisation
représentent un espace au sein duquel l'archéologie doit pouvoir se confronter en
organisant ses propres informations selon les exigences et les particularités de ceux qui
les exploitent. L'emploi de métaphores graphiques comme les reconstructions
tridimensionnelles ou les interprétations et suggestions à travers d'autres exemples
mieux conservés, démontre que "l'archéologie virtuelle" représente un des instruments
à haut potentiel informatif, mais aussi formatif (Fig. 14 et 15). Ces nouvelles
technologies éveillent la curiosité, favorisent la circulation des renseignements et
développent l'intérêt envers les disciplines multimédias et les aspects culturels peu
connus de notre territoire. Il apparaît évident que les technologies évoluent de manière
très rapide tout à l'avantage de la communication et de la beauté des images. Faire
approcher le plus grand nombre d'individus possibles aux problématiques
archéologiques et, par voie de conséquence, aux résultats qu'il est possible d'en tirer,
signifie justifier aussi sur le plan social les coûts d'une analyse. La communication, la
diffusion des informations sur un site archéologique ou sur un monument
architectural, contribue de fait à le sauvegarder et à le mettre en valeur. Impliquer la
population dans les valeurs informatives veut dire l'instruire et lui redonner le sens de
propriété des contenus. Pour l'archéologie, et pas seulement, la vulgarisation et la
communication représentent le meilleur terrain possible pour parvenir à maîtriser
d'une manière extraordinaire le sens de partage. L'information archéologique ne peut
pas, et ne doit pas, rester aseptique et élitaire, mais, en se transformant en une
synthèse interprétative, elle doit sortir de son autarcie et perdre son caractère
obscurantiste pour capter l'attention du grand public en devenant un message collectif.
200

Fig. 14. Théâtre romain d'Augusta Prætoria. Reconstruction tridimensionnelle (D3 Team, 2012).

Fig. 15. Théâtre romain d'Augusta Prætoria. Reconstruction tridimensionnelle (D3 Team, 2012).

NOTES
1. Ce n’est pas un hasard s’il a été affirmé que, dans les couches de revêtement, « la
surface enregistre le changement », cf. BELLINI A., « La superficie registra il mutamento :
perciò deve essere conservata », in Superfici dell’Architettura: le finiture, Actes du colloque
de Bressanone, 26-29 juin 1990, Padova, p. 1-11.
2. Consulter BORETTAZ O., I graffiti nel castello di Issogne in Valle d’Aosta, Cahiers de culture
alpine, 46, Ivrea 1995.
201

3. Les enduits et les laits de chaux représentent les composantes architecturales qui
font le plus souvent l’objet de rénovations et de modifications partielles. Cf. PARENTI R.,
« Intonaci, coloriture e stucchi. Contributi alla comprensione del processo de
formazione delle strutture murarie », in Superfici dell’Architecture: le Finiture, Actes du
colloque de Bressanone, 26-29 juin 1990, Padova 1990, p. 19-29, mais surtout ARCE I.,
DOGLIOSI F., PARENTI R., « Gli strati di rivestimento: strategie e tecniche di indagine tra
conoscenza dello spessore storico e finalità di conservazione/restauro », in Dal sito
archeologico all’archeologia del costruito – Conoscenza, Progetto e Conservazione, Actes du
colloque de Bressanone, 3-6 juillet 1996, Padova, p. 39-48.
4. HARRIS E. C., Principles of archaeological stratigraphy, London 1979.
5. Ce problème a déjà été observé : « Le maillon faible du système est assurément
constitué par le bagage de centaines de fiches u.s.m . et d’un matrix toujours plus
compliqué et difficile à interpréter, outils qui, au fil du temps, se sont réduits à une
sorte de “certificat de qualité” rituel du travail, mais qui, de fait, ne sont qu’un simple
cumul de données dépourvu d’une fonction pratique dans le cadre du projet ». Cf.
PERTOT G., TAGLIABUE R., TRECCANI G.P., « Sperimentazioni didattiche tra archeologia
stratigrafica e conservazione del costruito », in Dal sito archeologico all’archeologia del
costruito – Conoscenza, Progetto e Conservazione, Actes du colloque de Bressanone, 3-6
juillet 1996, p. 61-74 ; GALLINA D., « Sillogismo deduttivo o abduzione? Alcune proposte
per l’abbandono/superamento del matrix di Harris nell’analisi dell’architettura », in
REDI F., FORGIONE A. dir., VI Congresso Nazionale di Archeologia Medievale, L’Aquila, 12-15
settembre 2012, Firenze, 2012, p. 75-81; GIANNICHEDDA E. , « L’incorreggibile “Harris” ed
altre questioni », Archeologia dell’Architettura, IX, 2004, p. 33-44; PARENTI R., « Alcune
considerazioni in nota a The Stratigraphy of Standing Structures di Edward C. Harris »,
Archeologia dell’Architettura, VIII, 2003, p. 15-16.
6. Cf. PERTOT G., TAGLIABUE R., TRECCANI G.P., « Sperimentazioni didattiche tra archeologia
stratigrafica et conservazione del costruito », in Dal sito archeologico all’archeologia del
costruito – Conoscenza, Progetto e Conservazione, Actes du colloque de Bressanone, 3-6
juillet 1996, p. 61-74.
7. La collection "Cadran solaire" a été réalisée pour faire connaître à un large public
l’histoire de certains monuments historiques importants de la Vallée d’Aoste, suivant
des critères scientifiques corrects. Cette collection est éditée par l’Assessorat de la
Culture de la Région Vallée d’Aoste, avec la collaboration de la Société INVA SpA. Huit
numéros ont paru de 2004 à 2010 : « Il castello di Aymavilles » - 2004, « Il castello di Issogne
» - 2005, « Il Criptoportico forense di Augusta Prætoria » - 2006, « La cattedrale di Aosta dalla
domus ecclesia al cantiere romanico » - 2007, « La cattedrale di Aosta dal cantiere romanico ai
giorni nostri » - 2008, « Il complesso monumentale di Sant'Orso dal IV all'XI secolo » - 2009, « Il
complesso monumentale di Sant'Orso dal XII al XXI secolo » - 2010, « Il Teatro Romano di Aosta
» - 2011.
202

RÉSUMÉS
L’approche méthodologique appliquée à un contexte architectural ou archéologique, dont la
valeur stratigraphique montre une réalité évolutive complexe, doit nécessairement disposer de
plusieurs méthodes de recherche liées à une seule logique de procédé. Dans cette approche, il
faut savoir choisir les outils appropriés, à adapter aux différentes exigences qui se présentent
tout au long de la progression de la recherche, de plus en plus analytique. Dans cette optique, le
travail effectué sur le territoire valdôtain a concerné des architectures très différentes, couvrant
un arc temporel qui va de l’époque romaine à la fin du Moyen Âge. Les exemples concernent des
reconstructions basées sur des recherches archéologiques relatives à l’urbanisme de la ville
romaine ; leur but est de faire connaître à un vaste public les nouvelles découvertes et les
interprétations mises à jour, en lui faisant comprendre quelles transformations le tissu urbain a
subi au cours de deux millénaires.

The methodological approach towards an architectural-archaeological context whose


stratigraphy reveals a complex evolution must necessarily apply numerous investigative
methods related to one single procedural logic. Under this approach, it is essential to know how
to select the most suitable tools according to the different requirements encountered as the
research proceeds and becomes more and more analytical. From this perspective, the work
carried out in the Aosta Valley region concerned a very wide range of buildings, covering a time
span from the Roman era to the late Middle Ages. The examples presented are reconstructions
based on studies carried out on the urban planning of the Roman city from an archaeological
perspective ; this was done in the aim of making the new discoveries accessible to a wider public.
The reconstructions representing late medieval religious buildings were made according to
stratigraphic results and the three-dimensional analysis of roof timber. Particular attention was
paid to the evolution of castles as regards their architectural development and, like several
buildings found within the modern city boundary limits, was based on a detailed examination of
the structural analysis.

INDEX
Mots-clés : analyse stratigraphique, reconstructions tridimensionnelles, Vallée d'Aoste,
métaphores graphiques
Keywords : stratigraphical analysis, dimensional reconstruction, Aosta Valley, graphic metaphor

AUTEUR
MAURO CORTELAZZO

Docteur en archéologie, Archéologue consultant de la Surintendance des Activités et des Biens


culturels de la Vallée d’Aoste, Italie.
203

Mainz, St.
Johannis : Einhundertundzehn Jahre
Bauforschung in einer Kirche
Saint-Jean de Mayence. 110 ans d’archéologie du bâti dans une église

Guido Faccani

1 Only the latest archaeological work, still in progress, provides answers (Figs. 7, 28, 29,
32-34, 36-38). The discovery of the tomb of Archbishop Erkanbald (reg. 1011-1021), who
was buried in his cathedral (Fig. 9), and the analysis of St. John’s walls (Fig. 7), seem to
confirm Rudolf Kautzsch’s findings, albeit by other observations, means and
considerations. However, as in the early 20th century, it was the interaction between
underground and building archaeology that proved fruitful, rather than the suspicious
separation of the two types of archaeological investigation.”
2 Johannis im Zentrum von Mainz hütete trotz mehrfachen Klärungsversuchen durch
Grabungen und Analysen von aufgehendem Mauerwerk lange das Geheimnis ihrer
Baugeschichte (fig. 1-3). Im Lauf der vergangenen Jahre sind vor allem während einer
noch laufenden flächigen Ausgrabung im Innern entscheidende Fakten
zusammengekommen, die es erlauben von St. Johannis als dem Alten Dom, der ersten
Kathedrale von Mainz zu sprechen.1 Unter dieser Voraussetzung werden im Folgenden
Baugeschichte und Schriftquellen betrachtet.
204

Fig. 1. Mainz, Castrum und spätantike Stadtmauer. Grüne Punkte : Frühmittelalterliche Kirchen im
spätantiken Stadtgebiet. Blaue Punkte : Suburbane Bestattungskirche mit frühmittelalterlichen Wurzeln
(© Guido Faccani, Basel / Mainz).

Fig. 2. St. Johannis gegen Nordwesten. Zustand 2019 (©Freundeskreis Alter Dom St. Johannis e.V. /
Gerhard Fleischer).
205

Fig. 3. Die Grabung im Innern der Johanniskirche. Zustand 2019, Blick gegen Westen. Vorne mittig der
geschlossene Sarkophag von Erkanbald. Siehe auch fig. 19 (©Freundeskreis Alter Dom St. Johannis
e.V. / Gerhard Fleischer).

1. Einleitung
3 Das römische Mogontiacum / Mainz, Hauptort der Provinz Germania superior (bis um
300) resp. Germania I war in der Spätantike und im frühen Frühmittelalter Bischofssitz.2
Während über die Bischöfe bis ins 6. Jahrhundert wenig bekannt ist, setzt die historisch
belastbare Überlieferung nach einer Sedisvakanz mit Bischof Sidonius ein, der einige
Jahre vor 566/67 sein Amt antrat.3 In der Mitte des 8. Jahrhunderts, als Bonifatius den
Mainzer Bischofsstuhl innehatte, wird das Patrozinium der Kathedrale fassbar : St.
Martin. Um 780/82 wurde Mainz in den Rang einer Erzdiözese erhoben.4
4 Erzbischof Willigis (reg. 975-1011), ein Kleriker von staatsmännischem Format, liess
Ende 10. Jh. eine neue Kathedrale knapp 50 Meter weiter östlich der damaligen
Bischofskirche errichten. Doch als 1009 der neue Kirchenkomplex bei der Weihe ein
Raub der Flammen wird, blieb der alte Bau episkopale Amtskirche. Erst im Jahr 1036
verlor die vetus ecclesia, die alte Kirche, ihre Funktion und auch ihr Martins-
Patrozinium an die wiederaufgebaute, neue Kathedrale, die ecclesia quae nova dicitur.5
An der alten, ehemaligen Kathedrale richtete Erzbischof Bardo ein Stift ein, dessen
Patron Johannes erst im Jahr 1128 in den Schriftquellen fassbar wird.6 Ab 1552 nutzte
ein zweites Stift die Johannis-Kirche.7 Der nicht spannungsfreien «cohabitation» zweier
Stifte in der gleichen Kirche setzte 1793 die Umnutzung als Materialdepot durch das
französische Militär ein Ende.8 Die 1802 gegründete unierte evangelische Kirche
tauschte im Jahr 1828 mit der Bundesfestung, der damaligen Besitzerin, die
Johanniskirche und weihte sie am 7. November 1830 wieder ein.9
206

2. Zusammenfassung der Baugeschichte


5 Die heute bestehende Kirche ist das Resultat eines Bauprozesses, der in der Römerzeit
beginnt, im ausgehenden Frühmittelalter von tiefgreifenden Veränderungen geprägt
ist, der aber seit der römischen Kaiserzeit nie mehr einen kompletten Neubau
hervorbrachte (fig. 4).10 Der folgende Text ist als Annäherung an die komplexe Genese
der Kirche zu verstehen, da die archäologischen Untersuchungen vor Ort noch nicht
abgeschlossen sind.

Fig. 4. Bauphasenplan der Johanniskirche, Stand März 2020 (©EKHN, Dekanat Mainz, Guido Faccani /
Manfred Buchholz).

2.1. Von den Anfängen bis zum 5. / 6. Jahrhundert

6 Die Analyse von Kernbohrungen zeigte auf, dass Kulturschichten bis ca. 7 Metern unter
das heutige Straßenniveau bei ungefähr 89 Meter ü.NN zu erwarten sind.11 Die Anfänge
der Nutzungsgeschichte des Platzes sind somit noch verborgen, liegt doch das tiefste
erreichte Grabungsniveau „erst“ 5 Meter tiefer als die Straße.
7 Die ältesten bislang freigelegten anthropogenen Spuren gehen in die Römerzeit zurück
: Kaiserzeitliche Gebäudereste nördlich des Ostchores und im Mittelschiff. Die Mauern
dürften zu verschiedenen Bauten gehören, von denen aber anhand der wenigen
Hinweise weder Gestalt noch Funktion zu rekonstruieren sind.
8 Im Lauf des 2. bis 4. Jahrhunderts werden diese Bauten beseitigt und durch einen
Großbau ersetzt (fig. 5). Auf der Westmauer des Großbaus steht bis heute gleich
fluchtend ein Teil der Kirche. Seine Ausdehnung nach Norden und Osten ist nicht
bekannt. Von der Innenausstattung zeugen noch Mörtelböden. Ein im Lauf des 4.
Jahrhunderts auf der Westseite errichteter Annex brannte im 5. Jahrhundert ab, die
Großarchitektur blieb unversehrt.
207

Fig. 5. Grundriss der römischen Grossarchitektur, Zustand 5. Jh. Provisorischer und schematischer
Rekonstruktionsgrundriss (© EKHN, Dekanat Mainz, Guido Faccani / Manfred Buchholz).

2.2. Dreischiffiger Pfeilerbau

9 Zwei oder drei Räume der Großarchitektur wurden frühestens im 5. oder 6.


Jahrhundert zusammengelegt und durch das Aufrichten von quadratischen Pfeilern zu
einem dreischiffigen Ost-West gerichteten Bau umgestaltet.12 Dessen Mittelachse ist mit
der heutigen deckungsgleich. Die Innenmaße sind beachtlich : 20 Meter Breite,
mindestens 27 Meter Länge. Der nachgewiesene Mörtelboden läuft ohne Stufung nach
Osten über die heutige Kirche hinaus und erlaubt zusammen mit der Gebäudelänge die
Rekonstruktion von drei Pfeilerpaaren. Von der späteren Entwicklung rückschließend
und im Wissen, dass Mainz seit spätantiker Zeit Bischofssitz war, darf man jedoch
annehmen, dass dieser Bau die erste Kathedrale von Mogontiacum war.
10 Der Pfeilerbau wurde mehrfach erneuert, so im 7. / 8. Jahrhundert, als man einen
neuen Boden einzog (fig. 6).13 Bei einem in seinem Umfang noch nicht abschließend
geklärten Umbau zog man abermals einen neuen Bodenbelag ein. Mit seiner
Entstehung ist einstweilen auch die Errichtung jener Mauern einzuordnen, deren Reste
in den heutigen Ostchorseitenmauern erhalten sind und eine Befensterung aufweisen,
die der heutigen nahekommt (fig. 7).
208

Fig. 6. Der Pfeilerbau nach dem Einzug des Mörtelbodens im 7./8. Jh. Provisorischer und
schematischer Rekonstruktionsgrundriss (© EKHN, Dekanat Mainz, Guido Faccani / Manfred
Buchholz).

Fig. 7. Ansicht der Innenseite der Ostchornordmauer. Vgl. fig. 21. Gelborange : Bauteile der Zeit um
1000. Braun und rot gefärbt sind ältere Teile, grün, blau und violett jüngere Teile. Die nicht gefärbten
Abschnitte sind noch nicht abschließend analysiert (© EKHN, Dekanat Mainz, Institut für Bauforschung
und Dokumentation, Marburg, Guido Faccani, Basel / Mainz).
209

2.3. Dreischiffige Basilika

11 Die heutige Kirche geht in großen Teilen auf die nun folgende Bauphase zurück, die
sich nach naturwissenschaftlichen Analysen in der zweiten Hälfte des 10. oder im
frühen 11. Jahrhundert abspielte (fig. 8).14 Es lässt sich nach dem Vergleich der
Mauerbilder erahnen, dass zwei oder mehr Phasen zu trennen sind, deren Abfolge aber
offen ist.

Fig. 8. Die Kirche im Zustand um 1000. Grün : Sarkophag von Erzbischof Erkanbald. Provisorischer und
schematischer Rekonstruktionsgrundriss (© EKHN, Dekanat Mainz, Guido Faccani / Manfred
Buchholz).

12 Beim Bau des Ostchores übernahm man nicht nur bestehende Baufluchten, sondern
auch älteres aufgehendes Mauerwerk (fig. 7). Der Ostchor besaß nie eine Apsis, die
originale Befensterung entspricht der heutigen. An den Chor schloss ein dreischiffiges
Langhaus an. Das Mittelschiff hat die beachtliche lichte Breite von 13,2 Metern. Das
Errichten des in drei Teile gegliederten, quergelagerten Westbaus beschloss vermutlich
die Arbeiten. In seinen seitlichen Teilen führten rundbogige Durchgänge in Stollen, die
in eine Krypta gemündet haben und damit einen Chor westlich des Westbaus belegen
dürften, dessen Existenz aber noch nicht nachgewiesen ist. Die Kirche war zum Schluss
dieser Bauphase im Innern mindestens 40 Meter lang und fast 29 Meter breit. Obschon
Kathedrale wurde in diesem Sakralbau nur ein einziger Mainzer Erzbischof bestattet :
Erzbischof Erkanbald, der von 1011 bis 1021 die Mainzer Diözese leitete. Er war in einen
Sarkophag gebettet, der 2019 geöffnet werden konnte (fig. 9, vgl. fig. 3). Erkanbald trug
auf seiner seidenen Kasel ein Pallium.15
210

Fig. 9. Der Sarkophag von Erkanbald kurz nach der Öffnung vom 4. Juni 2019. Norden oben (© EKHN,
Dekanat Mainz, Institut für Bauforschung und Dokumentation IBD, Marburg).

2.4. Die Kathedrale St. Martin wird zur Stiftskirche St. Johannis : 11.
bis frühes 13. Jahrhundert

13 Nach dem Verlust des Kathedralstatus‘ im Jahr 1036 erfolgten verschiedene


Anpassungen des Gebäudes an die neue Funktion. Im ausgehenden 12. Jahrhundert kam
es zu weiteren massiven Veränderungen, von denen vor allem der Einbau einer
monumentalen, mit Stuckfiguren geschmückten Schranke im Westen zu nennen ist
(fig. 10 und 11). Den Abschluss der Arbeiten bildete in der gesamten Kirche das
Einziehen eines Fliesenbodens.16 Das Grab von Erzbischof Erkanbald wurde mit einer
Tumba, einem Hochgrab ausgezeichnet, die im Jahr 1737 fast ganz beseitigt wurde.17
211

Fig. 10. Die Kirche im Zustand des 13. Jahrhunderts. Provisorischer und schematischer
Rekonstruktionsgrundriss (© EKHN, Dekanat Mainz, Guido Faccani / Manfred Buchholz.).

Fig. 11. Rekonstruktion des Innenraums im 13. Jahrhundert. Gegen Westen (© EKHN, Dekanat Mainz,
Architectura Virtualis, Darmstadt).

14 Aufgrund der monumentalen Schranke darf man nun auch annehmen, dass an Stelle
des heutigen Westchores ein Vorgängerbau bestand und die Kirche wie der Neue Dom
zwei liturgische Zentren hatte, also bipolar war. Wie im Neuen Dom, nur rund 50 Jahre
früher, waren die beiden Pole unterschiedlich abgeschrankt : Der Westen durch eine
gemauerte, steinerne Schranke, der Osten durch ein Gitter (fig. 11). Zur gleichen Zeit
verband man die Johanniskirche mit der Martinskathedrale durch einen gedeckten
Korridor, den sogenannten Paradiesgang. Diese im Jahr 1568 erstmals erwähnte
Architektur lief von der Südseite von St. Johannis zum Leichhofportal der Kathedrale
(fig. 12). Der Gang diente nicht nur liturgischen Abläufen, sondern bald auch Händlern
zum Feilbieten ihrer Waren.
212

Fig. 12. Paradiesgang. Rekonstruierte Innenansicht Richtung Dom St. Martin / gegen Osten (© EKHN,
Dekanat Mainz, Architectura Virtualis, Darmstadt).

2.5. Von der Stiftskirche zur evangelischen Gemeindekirche des 19.


Jahrhunderts

15 Die wiederholt als baufällig bezeichnete Kirche sollte in der zweiten Hälfte des 14.
Jahrhunderts einem Neubau weichen, doch das Projekt kam zum Erliegen : Um 1380
wurden nur der heutige Westchor sowie Ansätze der Seitenschiffe und der Arkaden
umgesetzt. Der Westchor wurde nach Osten mit einer monumentalen Schrankenlage
abgeschlossen. Hier stand der Altar, an dem die St. Johannis-Stiftsherren Messe feierten
(fig. 13 und 14). Ein bis heute nachwirkender Eingriff folgte Mitte des 18. Jahrhunderts
durch das Anlegen der Schöfferstrasse östlich der Kirche : Das Altarhaus im Osten
wurde aufgegeben und Kirche gewestet (fig. 15). Den Eingang verlegte man nach Osten,
der nach dem Abbruch des Chörleins höher gelegte und neu abgeschrankte Westchor
nahm den Hauptaltar auf und zwei Nebenaltäre standen bei den Chorschultern.
213

Fig. 13. Die Kirche im Zustand um 1400. Provisorischer und schematischer Rekonstruktionsgrundriss
(© EKHN, Dekanat Mainz, Guido Faccani / Manfred Buchholz).

Fig. 14. Rekonstruktion des Chörleins im Zustand um 1400. Blick gegen Westen (© EKHN, Dekanat
Mainz, Architectura Virtualis, Darmstadt).
214

Fig. 15. Die Kirche im Zustand um 1780. Provisorischer und schematischer Rekonstruktionsgrundriss
(© EKHN, Dekanat Mainz, Guido Faccani / Manfred Buchholz).

16 Im Zuge der Einnahme von Mainz richteten im Jahr 1793 französische Truppen in St.
Johannis ein Materialdepot ein. Das Mobiliar und die Altäre verschwanden, aber die
Schrankenanlage blieb erhalten, was eine Bauaufnahme von 1826 belegt (fig. 16).
Nachdem 1828 die Johanniskirche in die Hände der Evangelischen Gemeinde von Mainz
übergegangen war, begannen umfangreiche Umbaumaßnahmen, aus denen eine
Saalkirche mit Emporen hervorging (fig. 17). An der Westung wurde festgehalten. Nach
weiteren baulichen Anpassungen im Jahr 1884 erfolgte zwischen 1905 und 1907
tiefgreifende Veränderungen.
215

Fig. 16. Älteste Bauaufnahme von St. Johannis aus dem Jahr 1826 (© Stadtarchiv Mainz, BPSP 1389
/ C 2).

Fig. 17. Älteste Darstellung der Johanniskirche von innen. Blick gegen Westen. Lithografie (©
Stadtarchiv Mainz, BPSF / 9700 A.).
216

2.6. Jugendstil, Feuersbrunst und Wiederaufbau : Die Kirche von


1905 bis heute

17 Nachdem 1903 eine neue evangelische Hauptkirche in Mainz eingeweiht war, beschloss
die St. Johannis-Gemeinde im Jahr 1905 ihre Kirche umzubauen. An der früheren
Anordnung hielt man fest, das Interieur aber wurde komplett erneuert (fig. 18).
Richtete bereits im Ersten Weltkrieg eine Fliegerbombe Schaden an, brannte die Kirche
im Zweiten Weltkrieg in der Nacht vom 11. auf den 12. August 1942 ganz aus (fig. 19).18
Sieben Jahre später richtete man im Südseitenschiff eine Notkirche ein.
Kirchenbaumeister Karl Gruber leitete die Wiederaufbauarbeiten.19 Der weiterhin
einschiffige und gewestete Gottesdienstraum konnte nach weiteren 7 Jahren Bauzeit
am 9. Dezember 1956 eingeweiht werden.20 Zwei Generationen vergingen bis zu den
nächsten tiefgreifenden Maßnahmen. Nach der Außenrestaurierung 2008/09 begann
2013 die Auffrischung des Innenraumes, aus der die noch laufende archäologische
Grabung hervorging.

Fig. 18. Das Innere der Kirche nach dem Ersten Weltkrieg, rekonstruiert nach Plänen der Firma
Lindemann aus Frankfurt, welche 1906/07 die Innengestaltung ausführte (© EKHN, Dekanat Mainz,
Architectura Virtualis, Darmstadt).
217

Fig. 19. Die 1942 ausgebrannte Kirche während zu Beginn des Wiederaufbaus, wohl 1949. Gegen
Westen. Siehe auch fig. 3 (© Stadtarchiv Mainz, BPSF 1358 A).

3. Die archäologischen Untersuchungen in und an St.


Johannis : Forschungsgeschichte und
Dokumentationsweisen
18 Seit rund 120 Jahren werden boden- und bauarchäologische Untersuchungen an St.
Johannis durchgeführt. Zwei Kampagnen fanden im 20. Jahrhundert statt – 1905 bis
1907 und um 1950 – die dritte läuft mit Unterbrechungen seit 2008. Die ältesten
Plandokumente stammen bereits aus dem 19 Jahrhundert. 1826 erstellte ein Ingenieur-
Lieutenant Schulz im Auftrag des Militärs im Massstab 1 : 200 einen Längs- und
Querschnitt sowie einen Grundriss in Erdgeschoss- und einen zweiten in
Obergadenhöhe (fig. 16). Die derzeitige Bau- und Bodenforschung bestätigten den Plan
teilweise. Die Intention des Planes war zwar auch eine dokumentarische. Antreibend
war aber nicht historisches Interesse am Bau, sondern die Bestandesaufnahme für das
militärische Gebäudeinventar.

3.1. Untersuchungen vor dem Ersten Weltkrieg : Ein Architekt, ein


Prähistoriker und ein Kunsthistoriker am Werk

19 Die Leitung des zu Beginn des 20. Jahrhunderts durchgeführten Umbaus an St. Johannis
oblag Architekt Friedrich Pützer aus Darmstadt.21 Der Ausschuss für die rheinhessischen
Baudenkmäler hielt ihn 1905 an, auch der Baugeschichte der alten Kirche nachzugehen
und dafür zu sorgen, dass «[…] etwa zu Tage tretende Reste der älteren Kirchenanlage
wie überhaupt alle kunsthistorisch wichtigen Anhaltspunkte besonders aufmerksam
218

beobachtet, vermessen, aufgezeichnet und fotografiert werden, denn es sei zu


vermuten, dass in der Johanniskirche, auch abgesehen von dem Westturm, noch eine
frühe Kirchenanlage erhalten sei […]».22 Dies tönt verhalten im Vergleich zur Ursache
der Aufforderung : Seit vielen Jahrzehnten diskutierten damals Gelehrte über die Frage,
ob nicht St. Johannis die erste Kathedrale von Mainz gewesen sei und der Martinsdom
«nur» eine Gründung von Erzbischof Willigis.23 Anlass zu Boden- und Bauforschung
gaben also historische Quellen und deren offene Auslegung.
20 Das Grossherzogliche Ministerium des Innern bewilligte für die Arbeiten 300 Mark (heute
ca. 1.800 Euro) und bedang sich gleichzeitig aus, dass allfällig zutage tretende wichtige
Funde dem Staat zur Verfügung gestellt würden. Mit der Grabung wurde der Mainzer
Prähistoriker und Direktor des Römisch-Germanischen Zentralmuseums Ludwig
Lindenschmit betraut.24 Der Darmstädter Kunstgeschichtsprofessor Rudolf Kautzsch
begleitete die Arbeiten u.a. als Gutachter für die Denkmalpflege.
21 Die durchgeführten archäologischen Arbeiten umfassten Abklärungen am Aufgehenden
und das Ausheben von Sondierschnitten im Innern des Ostchores, im Mittelschiff,
außen südlich und östlich des Ostchores sowie in der Schöfferstrasse (fig. 20). Im Fall
der letztgenannten Stelle diente die Ausgrabung dazu, bereits bestehenden Hypothesen
nachzugehen und hier die vom Stadtplan des Gottfried Mascop aus dem Jahr 1575
abgeleitete Apsis nachzuweisen – ohne Erfolg.

Fig. 20. Aktueller Grundriss mit schematisch wiedergegebenen Sondierungen von Lindenschmit (grün)
und Esser (orange) (© EKHN, Dekanat Mainz, Guido Faccani / Manfred Buchholz).

22 Freiliegendes Mauerwerk dokumentierte man fotografisch und zeichnete es nach (fig.


21). Von einer ausgegrabenen Nische auf der südlichen Aussenseite des Ostchores
stellte man massstäbliche Planaufnahmen her (fig. 22).25 Hier wird auch deutlich, dass
in St. Johannis bei bodenarchäologischen Freilegungen aufgehendes Mauerwerk zutage
tritt : Seit der Zeit um 1000 stieg das Bodenniveau knapp 3 Meter an. Anders als bei der
eben genannten Planaufnahme erstellte man auch auf Grundlage photographischer
Aufnahmen pseudosteingerechte Nachzeichnung und kombinierte sie mit
Rekonstruktionen, ohne dass jedoch Bestand und Ergänzung immer getrennt worden
wären (fig. 23 und 24).26 Als Beispiel sei hier die Aufnahme der Bogenstellung im
Mittelschiff (fig. 24 rechts) angeführt. Sie ist weniger exakt, als die Darstellungsweise
219

vorgibt. Dies ist nicht bezogen auf die Darstellung des Bruchsteinmauerwerks, die man
getrost als Signatur liest, sondern auf die Eintragung des Kämpfers auf dem
Wandpfeiler des rechten / östlichsten Bogens : Der existierte so wenig wie der
Rücksprung vom Pfeilerhaupt zum Bogenansatz. Dies belegt eine weitere Photographie
aus der Bauzeit. Da stellt sich die Frage, wie die zeichnerischen Aufnahmen entstanden
: Zog sich der Zeichner nach der Vermassung vor Ort zurück ins Büro und arbeitete den
Plan auch unter Heranziehen von Photographien am Zeichentisch aus ? Zudem muss
auch offengelassen werden, ob Vermassung und Ausarbeitung die gleiche Person
erledigte.27

Fig. 21. Ostchor, südliche Aussenseite, gegen Norden. Foto und Nachzeichnung. Vgl. auch fig. 7 (©
Kautzsch 1909, Taf. IX, Abb. 2 und 3).
220

Fig. 22. Ostchor, südliche Aussenseite, Ansicht und Schnitt (links, gegen Norden resp. Westen) und
Detail (rechts, gegen Norden) der Nische. In der Mitte Tür in der Nordmauer des Ostchores (©
Stadtarchiv Mainz, BPSP 1393 / C Bl 11 LR ECI NST).

Fig. 23. Westbaus, Mittelteil, Nordseite, gegen Nordwesten. Foto und Nachzeichnung (© Kautzsch
1909, Taf. VIII, Abb. 1 und 2).
221

Fig. 24. Ansichten und Schnitte aus dem Bereich Westbau-Mittelteil und Mittelschiff (© Stadtarchiv
Mainz, BPSP 1393 / C Bl 10 LR ECI NST).

23 Als Rudolf Kautzsch 1909 die Befunde für den Aufsatz «Die Johanniskirche, der alte Dom
zu Mainz» bearbeitete, wendete er im den Baubefunden vorbehaltenen Teil I auch den
Vergleich von Mauerwerken an, um chronologische Aussagen zu machen.28 Funde aus
Schichten spielten als datierende Elemente noch keine Rolle, Kautzsch konzentrierte
sich fast ausschließlich auf Bauplastik, welche er als isolierte Objekte einer
kunsthistorischen Wertung unterzog. Im zweiten Teil des Aufsatzes beleuchtet er die –
auch aus heutiger Sicht – komplexe Quellensituation und vertuscht dabei nicht, dass
Widersprüche bestehen. Dass die Diskussion der Schriftquellen acht Seiten in Anspruch
nimmt gegenüber fünf Seiten Ausführungen zur Archäologie, ist nicht erstaunlich für
eine Zeit, in der geschrieben Überliefertes oftmals dem materiell Nachgewiesenen
vorangestellt wurde. Kautzsch aber leitete seine Schlussfolgerungen von Kapitel III mit
Betrachtungen zur Architekturgeschichte ein – und entzieht allen, die nach den
1905/06 erfolgten Untersuchungen einen Schlussstrich unter die funktionale und
architekturhistorische Diskussion von St. Johannis machen wollten, den Boden : «Die
Kirche, wie sie ist, kann sich auf den Fundamenten eines noch älteren Baues erhoben
haben […].»29 Kautzsch versuchte den Datierungsansatz vom Bau her zu klären, indem
er Dimensionen verglich und im Rahmen einer linearen Entwicklung datierend wertete.
Er zog sodann die historische Überlieferung heran und gelangte zum Schluss,
Erzbischof Hatto I. (reg. 891-913) wäre der Bauherr gewesen, was er zudem mit der
zeitlichen Einordnung von bei den Grabungen entdeckten Bauplastiken untermauerte.30

3.2. Erstes Intermezzo

24 Nach dem Erscheinen dieser Thesen von Kautzsch entspann sich darüber eine teils
hitzige Debatte. Johannes Sartorius trat z.B. 1939 der Kautzschen Auffassung dezidiert
222

entgegen und vermutete, St. Johannis sei im Frühmittelalter die Pfarr- und später auch
die Taufkirche neben dem Dom gewesen,31 der «[…] als Zentralbau an Stelle des
heutigen Westchores […]32 zu rekonstruieren sei. Trotz der auch positiven Haltung
gegenüber seinen Thesen33 zog sich Kautzsch 1937 aus der Diskussion zurück.34

3.3. Untersuchungen nach dem zweiten Weltkrieg : Drei


Kunsthistoriker am Werk

25 Nach dem Zweiten Weltkrieg führte Architekt Karl Gruber tiefgreifende Umbauten an
der schwer beschädigten Johanniskirche durch (fig. 19). Auf Betreiben von aussen,
namentlich durch den damaligen Leiter des Städtischen Altertumsmuseums (heute
Landesmuseum) und Kunsthistoriker Fritz Arens35, konnte diese Gelegenheit für
bauhistorische und archäologische Untersuchungen genutzt werden, natürlich nicht
ohne die vorherige Einwilligung des damaligen Pfarrers Wilhelm Bornscheuer
eingeholt zu haben.36 Fritz Arens betraute den Kunsthistoriker Karl Heinz Esser mit der
Leitung, der vom Kunstgeschichtestudenten Friedrich Johannes Esterhues
Unterstützung erfuhr. Wie bereits 1905 dürfte auch nun gelehrter Wissensdrang
Ursache für die Untersuchungen gewesen sein. Diese Vermutung stimmt zumindest
damit überein, dass die Bodenforschungen im Bereich nördlich des Ostchores
einsetzten – dem Ort, wo die Bonifatiuskapelle vermutet wurde, aber eigentlich keine
Bodeneingriffe nötig waren. Die Nachforschungen im Bereich des Ostchores gehen auf
die Vermutung zurück, dass hier das ursprüngliche Altarhaus stand.
26 Arens selbst begleitete die Eingriffe im Aufgehenden und entdeckte z.B. 4 Meter
unterhalb der Mauerkrone der Westchores das Stück einer Schrankenplatte wohl aus
der Zeit um 1000 (fig. 25).37 Diese Entdeckung hat er mit einer Aufnahme dokumentiert
– eine zeichnerische Erfassung des Fundortes erfolgte dagegen nicht.

Fig. 25. 1949 entdeckte Schrankenplatte (© DDA MainzJohannis, NLArensF5).


223

27 Dagegen entstand eine ausgiebige Dokumentation durch die Bodenforschung. Von


September 1950 bis Februar 1951 wurden mehrere Sondierungen und
Flächengrabungen durchgeführt.38 Die grösste Fläche befand sich nördlich ausserhalb
des Ostchores. In diesem Sektor wurde schon lange die Bonifatiuskapelle vermutet, die
Kapelle, in welcher der Leichnam des 754 verstorbenen Erzbischofes gewaschen und
das mit Wasser vermischte Blut als Reliquie aufbewahrt wurde.39 Zwar dominieren in
der Dokumentation bei weitem Plana und Stratigraphien, doch auch die Mauer auf der
Westseite der Grabungsfläche zog das Interesse der Ausgräber auf sich (fig. 26-29). In
einer Skizze wurden die einzelnen Mauerabschnitte voneinander gesondert,
Mörtelnegative und Putzflächen benannt und auch auf Verputzkanten hingewiesen. Im
Grabungstagebuch wird die Mauer aber nur beiläufig erwähnt.40 Ähnliches geschah mit
einem Mauerabschnitt im Innern (fig. 30-33). Unter einem unregelmässig geformten
Entlastungsbogen aus Backsteinen der Kampagne 1906/06 wurden verschiedene
Schichten dokumentiert, die Mauerelemente dagegen nur kurz benannt oder gar nicht
beschriftet. Wie bei der Grabung aussen, so lag auch im Ostchor und Mittelschiff ein
Hauptaugenmerk auf den Mörtelböden, die nach damaliger – und auch aus heutiger
Sicht korrekter – Erkenntnis unter den heutigen Mauern durchzogen.41

Fig. 26. Ansicht Aussenseite Ostmauer Norsdseitenschiff. Zustand Ende 1950 (© Archiv GDKE, K. H.
Esser).
224

Fig. 27. Ansichtsskizze Aussenseite Ostmauer Norsdseitenschiff. Skizze Ende 1950 (© Archiv GDKE, K.
H. Esser).

Fig. 28. Ansicht Aussenseite Ostmauer Norsdseitenschiff (© EKHN, Dekanat Mainz, Institut für
Bauforschung und Dokumentation, Marburg).
225

Fig. 29. Ansicht Aussenseite Ostmauer Norsdseitenschiff, Zustand 2018 (© EKHN, Dekanat Mainz,
Institut für Bauforschung und Dokumentation, Marburg).

Fig. 30. Ostchor, Nordende der Ostmauer, gegen Osten. Foto 1950 (© Archiv GDKE, K. H. Esser).
Johanniskirche 27 (D_RP_Mainz_SaJo_Esser_Esser_GDKE_Esser Fotos sw).
226

Fig. 31. Ostchor, Nordende der Ostmauer, gegen Osten. Zeichnung 1950 (© Archiv GDKE, K. H. Esser).
E012 (D_RP_Mainz_SaJo_Esser_Esser_GDKE_grauer_Ordner).

Fig. 32. Ostchor, Nordende der Ostmauer, gegen Osten. Foto 2017 (© EKHN, Dekanat Mainz, Institut für
Bauforschung und Dokumentation, Marburg).
227

Fig. 33 Ostchor, Nordende der Ostmauer, gegen Osten. Plan 2017 (© EKHN, Dekanat Mainz, Institut für
Bauforschung und Dokumentation, Marburg).

28 Fritz Arens verfasste eine Zusammenfassung der Grabungen.42 Damals strich er heraus,
dass die Johanniskirche «[…] als fast einziger Ort in Mainz die Verbindung zwischen
Römerzeit und Mittelalter herstellt und weil sie am frühesten von allen Mainzer
Kirchen urkundlich genannt ist.»43 Die Deutung der damals freigelegten
archäologischen Elemente erwiesen sich bei den jüngsten Ausgrabungen als stimmig
beobachtet. Die Hoffnung, dass «[…] die hochherzigen Geldgeber […] dieses wichtige
Unternehmen noch weiter unterstützen […]»44 trat leider nicht ein. Jedoch behielt
Arens mit seiner Vermutung recht, dass weitere Nachforschungen «[…] die
bedeutsamsten Ergebnisse zur Entstehung des mittelalterlichen Mainz und zur
Geschichte des Heiligtums […]»45 erbringen werden.
29 Dass auch nach der Beendigung der Grabungskampagne von 1950 ein « bauhistorisches
Auge » auf der Baustelle anwesend war, belegt eine anonyme Zeichnung von 1955 (fig.
34-36). Im östlichen Keller unter dem Südquerarm lag offenbar das Mauerwerk frei. Die
Zeichnung einer eher ungeübten Person lässt sich genau lokalisieren und gibt wichtige
Auskünfte, so z.B. über den links dargestellten romanischen Pfeiler aus
Sandsteinblöcken.
228

Fig. 34. Östlicher Keller unter dem Südteil des Westbaus, gegen Norden. Aufnahme aus dem Jahr 2016
mit Ausschnitt der Zeichnung von Fig. 35 (© Guido Faccani, Basel / Mainz).

Fig. 35. Östlicher Keller unter dem Südteil des Westbaus, gegen Norden. Links der romanische
Pfeilersockel. Aufnahme aus dem Jahr 1955 (© Archiv GDKE, Dokumentation Zeichner unbekannt).
229

Fig. 36. Östlicher Keller unter dem Südteil des Westbaus, gegen Norden. Planaufnahme der aktuellen
Grabungskampagne mit Ausschnitt der Zeichnung fig. 35 (© EKHN, Dekanat Mainz, Institut für
Bauforschung und Dokumentation, Marburg).

3.4. Zweites Intermezzo

30 Weitere Darlegungen zu den hochinteressanten Ergebnissen der 50er Jahre


unterblieben und der Wissenszuwachs schlummerte vorerst in Schubladen und
Regalen. Die Schlussfolgerungen und die Rekonstruktion der frühmittelalterlichen
Johanniskirche von Kautzsch dagegen gingen in der Forschung weder vergessen noch
wurden sie uni sono verworfen. Im Katalog-Standardwerk Vorromanische Kirchenbauten
bezeichnete Friedrich Oswald Ende der 1960er St. Johannis als «alten Dom» und
definiert die Kirche der Zeit um 900 als «doppelchörig».46 Werner Jacobsen
widerspricht knapp 30 Jahre später der bipolaren Architekturform nicht, vertritt aber
eine Datierung frühestens ins späte 10. Jh. und meint, St. Johannis diente wohl als
Ersatzkathedrale, als der heutige Martinsdom in Bau war.47 Im Jahr 2013 schloss sich
Dethard von Winterfeld48 wiederum Kautzsch an und in einer gleichzeitigen
Ausstellung in Mainz wurde ein Modell der Kirche präsentiert, das zusammen mit den
begleitenden Texten von Wilfried Keil und Aquilante de Filippo Parallelen zu anderen
frühmittelalterlichen Bauten aufzeigte, die aber nicht mit den jüngsten
Forschungsresultaten zusammengeführt werden können.49
31 Das Hin und Her der Forschung zeigt massive Unsicherheiten auf, welche auf einer
nicht eindeutigen Schriftquellenlage, auf einer lückenhaften archäologischen
Befundsituation und auf einer Vielzahl von Interpretationen sowie Rekonstruktionen
beruhen. Dies wurde bereits 1909 von Kautzsch offengelegt.
230

3.5. Die laufenden Untersuchungen : Archäologen und


Kunsthistoriker am Werk

32 Die aktuellen Untersuchungen begannen 2008/09 mit Restaurierungsarbeiten, welche


mit Unterbrüchen bis heute andauern. Die Ausgangslage zu Beginn dieser dritten
Untersuchungsetappe war im Grunde die gleiche wie vor über 100 Jahren, durch die
seither erschienenen Aufsätze und Artikel über St. Johannis vielleicht sogar noch
verworrener.
33 Zuerst erneuerte die Kirche im Jahr 2009 Äussere von St. Johannis. Der Verputz wurde
mehr oder weniger am gesamten Gebäude entfernt. Es entstand eine
Fotodokumentation.50 Die gleichzeitig erstellte steingerechte zeichnerische
Dokumentation im Massstab 1 : 20 war auf zwei Flächen beschränkt. Die auf den beiden
Plänen eingetragenen relativchronologischen Aussagen blieben uninterpretiert (fig.
37).

Fig. 37. Aussenseite Südmauer Ostchor. Aufnahme 2009. Vgl. fig. 7 (© FH Wiesbaden, Prof. Dr.-Ing.
Corinna Rohn, Dipl.-Ing. Katja Nowak Größchen).

34 2011 setzten Vorbereitungen für die Innenrestaurierung ein. Es gab erste Sondierungen
am Aufgehenden und im Boden, die wiederum fachtechnisch begleitet wurden. Parallel
dazu erstellte man auf Grundlage von Laserscans eine analysierende Dokumentation
des Mauerwerks in den beiden Dachräumen seitlich von Mittelschiff und Vierung (fig.
38).51 Zum ersten Mal fand ein Nummernsystem Verwendung, mit dem Elemente
bezeichnet und voneinander getrennt wurden. Geordnet nach den Nummern legte man
die Beschreibungen ab. Eine Bearbeitung der Resultate steht noch aus.
231

Fig. 38. Ansicht des Obergadenmauerwerks im Dachraum über dem Südquerarm (© Aquilante de
Filippo und Wilfried Keil auf Grundlage von Plänen von Manfred Buchholz und Jutta Hundhausen).

35 Nach einem knapp zweijährigen Unterbruch starteten 2013 die Baumassnahmen im


Innern. Es war die Erneuerung der Verputze und auch der Heizung geplant. Die kurz
nacheinander begonnenen Ausgrabungen und Bauuntersuchungen lagen in
verschiedenen Händen. Die Dokumentationen waren einander nicht angeglichen.52
Diese Situation wurde vom Auftraggeber grundlegend verändert, als Ende 2015 die
Gesamtleitung dem Schreibenden übertragen wurde. Seither sind die
Dokumentationsweisen von Grabung und Bauuntersuchung vereinheitlicht worden. Die
Ergebnisse der älteren Kampagnen werden nach und nach mit dem System verknüpft,
ohne sie inhaltlich zu verändern, jedoch mit allfälligen Kommentaren versehen.
Anknüpfend am Positionsnummernsystem der zwischen 2013 und 2015 durchgeführten
Bauanalyse wurden die Dokumentationsbereiche Funde und Fotografie strukturiert
sowie die Planaufnahmen nach einem einheitlichen System gegliedert und angefertigt.
36 Für die Dokumentation werden allgemein etablierte Instrumente genutzt. Es wird
ebenso wenig auf freihändige und unmassstäbliche Skizzen verzichtet wie auf
Laserscans, Orthophotos oder 3D-Modelle. Grundlage bilden jedoch nach wie vor die
von Hand auf Transparentfolie gezeichneten Pläne, hauptsächlich im Massstab 1 : 20
(fig. 7, 28, 33, 36). Die Digitalisierung der physischen Unterlagen wird ebenso laufend
durchgeführt wie der Ausdruck der digitalen. Der Hauptfortschritt der
Untersuchungen ist aber insgesamt sicher in der Art Analyse des aufgehenden
Mauerwerks und des Festhaltens der daraus sich ergebenden Resultate festzustellen.
37 Als besonders eindrückliches Beispiel sei hier die Nordmauer des Ostchores genannt
(fig. 7). Zusammen mit der Datierung von Bodenschichten, die unter dem Mauerwerk
durchziehen – eine Beobachtung, die bereits in den 50er Jahren gemacht wurde –, den
Resten einer Vorgängerarchitektur – bereits 1905 offen gelegt, aber nicht interpretiert
– und zusammen mit den dendrochronologischen Datierungen von Bauhölzern sowie
C14-Datierungen von Holzkohle aus dem Mörtel können zwei grosse Bauphasen
getrennt werden, die beide in einem – für rückblickende Archäologen – «kurzen»
Zeitraum von 200 Jahren entstanden sein dürften : 1) Eine Mauer mit ähnlicher
Befensterung wie heute wurde zwischen dem 8./9. und 10. Jahrhundert hochgeführt
und ist bis zur heutigen Traufe erhalten. 2) Nach dem Abbruch des genannten Baus im
späten 10. Jahrhundert oder um 1000 das erfolgt das Hochziehen der Mauern mit den
noch heute bestehenden grossen Rundbogenfenstern und den oculi.

4. Schluss
38 Die evangelische Kirche St. Johannis geht auf Gebäude der späten Antike zurück und
war im ersten Jahrtausend Mainzer Kathedrale. Dies herauszufinden, nahm über 100
Jahre Forschung in Anspruch. Bei zwei grossen Baukampagnen des 20. Jahrhunderts
232

wurden sowohl im Boden als auch am aufgehenden Mauerwerk Untersuchungen


durchgeführt. 1905 leitete zwar der Prähistoriker Ludwig Lindenschmit d.J. die
Untersuchungen, jedoch prägte der Begleiter bzw. Auswerter, der Kunsthistoriker
Rudolf Kautzsch die Kampagne mit seinen architekturgeschichtlichen Ausführungen :
Als eines der Hauptergebnisse stand die Erhaltungshöhe der Kirche und ihre Datierung
ins 10. Jahrhundert im Zentrum. Struktur und Methodik machen den Aufsatz von
Kautzsch zu einem Sahnestück früher Kirchenarchäologie. Die Untersuchungen von
1950/51 waren angestossen worden durch einen Kunsthistoriker, Fritz Arens und
geleitet vom grabungserfahrenen Kunsthistoriker Karl Heinz Esser. Die im Anschluss
summarisch in einem knappen Zeitungsartikel publizierten Ergebnisse betrafen zwar
alle Epochen, aber verhinderten eine wissenschaftliche Rezeption. Entsprechend
rätselte die Forschung weiter über das Aussehen, die ursprüngliche Funktion und das
Alter der Kirche. Der Lösung dieser Fragen kamen die jüngsten, noch laufenden
Untersuchungen entscheidende Schritte näher und zwar im Zusammenspiel von
Boden- und Bauforschung. Dieses ist naturgemäss früchtetragend – eine Scheidung der
Zuständigkeiten am ominösen Niveau 0 nicht.

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Zeitschrift, 4, 1909, 56-70.

KAUTZSCH 1937 = KAUTZSCH Rudolf, « Zur Baugeschichte des Mainzer Doms (zu dem Buch von L.
Becker und J. Sartorius, Baugeschichte der Frühzeit des Domes zu Mainz, Mainz 1936) »,
Zeitschrift für Kunstgeschichte, 6, 1937, 200-217.

KEIL 2013 = KEIL Wilfried, « Hattos Kirchenbauten in Mainz und auf der Reichenau », in WILHLEMY
(Hrsg.) 2013, 108-113.

KRAUS 1894 = KRAUS Franz Xaver (Hg.), Die Christlichen Inschriften der Rheinlande, Band I : Band II
: Die christlichen Inschriften von der Mitte des achten bis zur Mitte des dreizehnten
Jahrhunderts, Freiburg / Leipzig, 1894.

OSWALD, SCHAEFER, SENNHAUSER 1966-1971, 196f. = OSWALD Friedrich, SCHAEFER Leo, SENNHAUSER Hans
Rudolf, Vorromanische Kirchenbauten. Katalog der Denkmäler bis zum Ausgang der Ottonen,
234

Veröffentlichungen des Zentralinstituts für Kunstgeschichte in München III/2, München,


1966-1971.

OTTO 1936 = OTTO Heinrich, « Der alte Mainzer Dom », Mainzer Zeitschrift, 31, 1936, S. 43-46.

SARTORIUS 1939 = SARTORIUS Johannes, « Ist die Johanniskirche der alte Martinsdom ? », in Aus Dom
und Diözese Mainz. Festgabe Prof. Georg Lenhart, Domkapitular, zur Vollendung des 70.
Lebensjahres gewidmet, Mainz, 1939, S. 24-40.

STEPHAN (Hg.) 2015 = STEPHAN Regina (Hg.), « In die Umgebung hineingedichtet » – Bauten und
Projekte des Architekten, Städtebauers und Hochschullehrers Friedrich Pützer (1871-1922),
Ausstellungskatalog, Kunsthalle Darmstadt, 6. September bis 11. Oktober 2015, Baunach, 2015.

TCCG 11 = GAUTHIER Nancy et al., Province ecclésiastique de Mayence (Germania Prima), Topographie
chrétienne des cités de la Gaule des origines au milieu du VIIIe siècle, éd. par Nancy GAUTHIER et Jean-
Charles PICARD, enquête collective d’une équipe animée par Noël Duval …, t. XI, Paris, 2000.

WEYERHÄUSER 1958 = WEYERHÄUSER Christian, « Der Wiederaufbau der Johanniskirche », in


Festschrift zur Wiederherstellung der evangelischen St. Johanniskirche zu Mainz,
zusammengestellt von Fritz Rohrbach, Mainz, 1958, 63-74.

WILHLEMY (Hg.) 2013 = WILHLEMY Winfried (Hrsg.), Glanz der späten Karolinger. Hatto I., Erzbischof
von Mainz (891-913). Von der Reichenau in den Mäuseturm, Katalog zur gleichnamigen
Ausstellung, Publikationen des Bischöflichen Dom- und Diözesanmuseums Mainz, Bd. 3,
Regensburg, 2013.

WINTERFELD 2013 = WINTERFELD Dethard von, Der alte Dom zu Mainz. Zur Architektur der
Johanniskirche, Forschungsbeiträge des Bischöflichen Dom- und Diözesanmuseums 1,
Regensburg, 2013.

NOTES
1. Die archäologischen Forschungen werden von der Evangelischen Kirche in Hessen
und Nassau finanzierten. Seit 2016 ist das Institut für Bauforschung und
Dokumentation in Marburg unter der wissenschaftlichen Leitung des Autors tätig.
2. Zur Siedlungsentwicklung von Mainz : DUMONT, SCHERF, SCHÜTZ 1998. – Zur Zeit von den
Römern bis zu den Ottonen siehe auch TCCG 11.
3. Zu Sidonius : DASSMANN 2000, 40–41.
4. JÜRGENSMEIER 1988, 40.
5. Vetus ecclesia : TCCG 11, 33. Ecclesia quae nova dicitur : TCCG 11, 33.
6. TCCG 11, 33.
7. ARENS 1961, 412.
8. ARENS 1961, 412–413.
9. GRÜNDUNG 1802 : BRAUN 1998, 963. – TAUSCH 1828 : BRAUN 1998, 966. – WEIHE 1830 : ARENS
1961, 413.
10. Die im Folgenden geschilderte Bauabfolge entspricht dem Wissenstand von Sommer
2020. Vgl. auch folgende Zusammenfassungen : FACCANI 2019, FACCANI 2020, FACCANI et al.
2020, FACCANI 2021. Ältere Berichte (s. z.B. Marlene KLEINER / Matthias UNTERMANN, Der
235

Alte Dom von Mainz, Bauuntersuchungen in der St. Johanniskirche 2013–2016, in In


Situ, 9, 2017, 153–162) sind überholt.
11. Kernbohrung durchgeführt am 24. September 2014 durch Baugrundinstitut Dr.-Ing.
Westhaus GmbH, Mainz-Kastel. Dokumente im Archiv der Evangelischen Kirche in
Hessen und Nassau, Darmstadt, digitale Dokumentation der archäologischen
Ausgrabungen in der Johanniskirche.
12. Datierung : FACCANI 2019, 37.
13. Datierung : FACCANI 2019, 37.
14. Datierung : FACCANI 2019, 37.
15. Siehe FACCANI 2021, 12–13. – Die Veröffentlichung der Grabungsergebnisse ist auf
2022 geplant.
16. Zum Fliesenboden vgl. FACCANI et al. 2020.
17. Siehe OTTO 1936, 45. – Inschrift siehe Kraus 1894, 105, Nr. 236 : «HIC IACET
SEPVLTVS VENERABILIS PATER AC DOMINVS ERCKENBOLDVS ECCLESIE MOGYNTINE
ARCHIEPISCOPVS GLORIOSVS ANIMA REQUIESCAT IN PACE».
18. 1. Weltkrieg : ARENS / SCRIBA 1977, 14. – 2. Weltkrieg : ARENS 1961, 414.
19. Festschrift St. Johannis 1958.
20. WEYERHÄUSER 1958, 70.
21. Zu Friedrich Pützer siehe Stephan (Hg.) 2015.
22. KAUTZSCH 1909, S. 56. – Siehe auch Jahresbericht 1910, 152.
23. Vgl. z.B. BRACK 1845/51, 469–470.
24. JAHRESBERICHT 1910, 152. – Ludwig Lindenschmit d.J. war 1902 bis 1912 Direktor. – Die
Rolle des Altertumsvereins wäre noch zu präzisieren, siehe FACCANI / ZIORKEWICZ 2019,
166.
25. KAUTZSCH 1909, Taf. VIII, Abb. 1 und 2.
26. Auf wen die Photographien und Zeichnungen zurückgehen, ist nicht bekannt, auch
sind die Originale bislang nicht aufgefunden worden.
27. Über die Organisation der Untersuchungen ist bislang nichts bekannt geworden, die
derzeit vorliegenden Pläne sind nicht signiert.
28. KAUTZSCH 1909, S. 56f.
29. KAUTZSCH 1909, S. 67.
30. KAUTZSCH 1909, S. 69.
31. SARTORIUS 1939, S. 29.
32. SARTORIUS 1939, S. 35 ebenso S. 37.
33. OTTO 1936.
34. KAUTZSCH 1937.
35. Zu Fritz ARENS vgl. z.B. : Helmut MATHY, Fritz ARENS (1912–1986). Ein Leben für
Kunstgeschichte und Denkmalpflege, Mainzer Zeitschrift, 82, 1987, 7–20.
36. ARENS 1951, 2. Spalte.
37. ARENS 1958, 21. – Die Platte ist seit 1957 verschollen : ARENS 1958, 21.
236

38. Die Grabungsdokumente befinden sich im Archiv der Landesarchäologie Mainz. Die
Funde sind verschollen.
39. Siehe z.B. BRACK 1845/51, 470. Er verweist auf eine Quelle des 11. Jh., bei der es sich
um die um 1020 entstandene vita des Bonifatius eines anonymen Mainzer Geistlichen
handelt : ARENS 1961, 415).
40. «10.10.50 : […] Westwand gereinigt […]»
41. ARENS 1951, 3. Spalte.
42. ARENS 1951.
43. ARENS 1951, 1. Spalte.
44. ARENS 1951, 3. Spalte.
45. ARENS 1951, 3. Spalte.
46. OSWALD, SCHAEFER, SENNHAUSER 1966–1971, 196f.
47. JACOBSEN, SCHAEFER, SENNHAUSER 1991, 263f. Dazu auch Sartorius 1939, 36.
48. WINTERFELD 2013, 39.
49. KEIL 2013. – DE FILIPPO, KEIL 2013.
50. Fotodokumentation : Pia Heberer. Pläne : Fachhochschule Wiesbaden, Prof. Dr.-Ing.
Corinna Rohn, Dipl.-Ing. Katja Nowak Größchen.
51. Laserscans Manfred Buchholz, Jutta Hundhausen. Bauanalyse : Aquilante De Flippo
und Wilfried Keil. Es war bis jetzt nicht zu eruieren, in wessen Auftrag die Bauanalyse
und der Laserscan von Jutta Hundhausen durchgeführt wurden. Auskunft Wolfgang
Feilberg. Eine Diskussion mit den Ausführenden steht noch aus.
52. Ausgrabung : Generaldirektion Kulturelles Erbe, Landesarchäologie Mainz, Dr.
Marion Witteyer / Dr. Ronald Knöchlein. Bauuntersuchung Universität Heidelberg,
Institut für Europäische Kunstgeschichte, Prof. Dr. Matthias Untermann.

RÉSUMÉS
Die evangelische Gemeindekirche St. Johannis im Zentrum von Mainz wird seit 2013
archäologisch erforscht. Sowohl Boden- als auch Bauforschung erbrachten Resultate, die es
erlauben von St. Johannis als dem Alten Dom, der ersten Kathedrale von Mainz zu sprechen.
Die Kirche St. Johannis steht auf profanen antiken Gebäuden, die zwischen dem 2. und 4.
Jahrhundert errichtet wurden. Durch Umbau ging daraus im Lauf des 5./6. Jahrhunderts eine
dreischiffige Architektur hervor, wahrscheinlich die erste Kathedrale von Mainz. Diese Kirche
wich in der zweiten Hälfte des 10. oder im frühen 11. Jahrhundert einem Bau, welcher den Kern
der heutigen Kirche bildet. Im Jahr 1036 erfolgte die Weihe des Neuen Doms, in St. Johannis
gründete der damalige Erzbischof ein Männerstift. Die bipolare Kirche wurde im 18. Jahrhundert
gewestet, 1793 profaniert und zum Militärdepot umfunktioniert, um schliesslich 1830 als
evangelische Gemeindekirche geweiht zu werden.
Die seit 2013 laufenden archäologischen Untersuchungen in der Mainzer Johanniskirche sind
nicht die ersten. Anlässlich von zwei grossen Restaurierungskampagnen wurde Boden- und
237

Bauforschung betrieben. 1905 leitete der Prähistoriker Ludwig Lindenschmit d.J. die Arbeiten,
sekundiert vom Kunsthistoriker Rudolf Kautzsch. Die 1909 von letzterem publizierten Resultate
lösten eine kontroverse Forschungsdiskussion um die Frage aus, ob St. Johannis vor 1036 die
Kathedrale von Mainz war. Im Zuge des Wiederaufbaus nach dem zweiten Weltkrieg führten die
beiden Kunsthistoriker Fritz Arens und Karl Heinz Esser (fig. 25-35) Ausgrabungen durch, welche
auch von Bauanalysen begleitet wurden. Die Resultate blieben unpubliziert und die Fragen nach
der Datierung und der Funktion der Kirche weiterhin offen. Erst die jüngsten Arbeiten,
insbesondere die Entdeckung des Grabes von Erzbischof Erkanbald erbrachten diesbezüglich
Klärung.

L’église paroissiale évangélique de Saint-Jean (St. Johannis) au centre de Mayence a gardé pour
longtemps les secrets de sa genèse architecturale et de son statut au haut Moyen Âge, malgré
maints essais d’éclaircissement par l’archéologie sédimentaire et celle du bâti (fig. 1-4). Au cours
des dernières années, une fouille a relevé des faits décisifs permettant d’identifier l’église Saint-
Jean comme ancienne et première cathédrale Saint-Martin de Mayence : St. Johannis est l’Alte
Dom.
Les débuts architectoniques de Saint-Jean remontent à l’Antiquité, c’est-à-dire à des
constructions profanes, situées dans le centre de l’agglomération tardo-antique et datables entre
les IIe et IV e siècles (fig. 1 et 5). Au cours du V e-VIe siècles, une partie de l’architecture était
transformée en bâtiment partagé par des piliers en trois nefs, plusieurs fois remaniés. Il est
vraisemblable qu’il s’agisse de la première cathédrale de Mayence, où les premiers évêques sont
attestés dès le haut Moyen Âge précoce. Le bâtiment, à l’époque dédié à saint Martin, fait place au
cours de la deuxième moitié ou le début du XIe siècle, à une église à trois nefs, comportant une
sorte de transept à l’ouest et deux chœurs, dont celui à l’ouest s’élevait sur une crypte (fig. 8).
Cette église a perdu son statut de cathédrale en 1036 et est devenue collégiale, dédié à saint Jean.
Un couloir, dit Paradiesgang, la liait avec la cathédrale située à l’est (fig. 1, 10, 11 et 12). Après la
reconstruction du chœur ouest à la fin du XIVe siècle (fig. 13 et 14,) l’orientation était changée,
apparemment par des raisons urbanistiques : le maître-autel se trouvait depuis le milieu du
XVIIIe siècle placé dans le chœur ouest contre sa paroi ouest (fig. 15). En 1793, au début de
l’intermède français à Mayence, l’église Saint-Jean a été profanée et est devenue grenier (fig. 16),
ce qu’elle est restée jusqu’en 1830, l’année de sa reconsécration comme église évangélique
protestante (fig. 17). Suivirent deux grandes campagnes de restauration, entre 1905 et 1907 (fig.
18) et entre 1949 et 1956, après les destructions de la deuxième guerre mondiale (fig. 19).
Les recherches archéologiques en cours depuis 2013 dans l’église évangélique Saint-Jean de
Mayence ne sont pas les premières. Lors de deux grandes campagnes de restauration et
reconstruction ont été exécutées des recherches qui touchaient soit le sol, soit l’élévation (fig.
20). En 1905 les investigations étaient dirigées par le préhistorien Ludwig Lindenschmit le jeune,
accompagné par l’expert et historien de l’art Rudolf Kautzsch (fig. 21-24). Ils firent exécuter des
sondages autant dans le sol même qu’en élévation ; ces travaux ont été documentés par des
photos et des plans. Ce fut finalement ce professeur de Darmstadt qui publia les recherches. Les
principales constatations ont été que l’église actuelle remonte au Xe siècle, et qu’elle est
conservée jusque sous le toit, l’identifiant comme la première cathédrale de Mayence. Par sa
structure et sa méthode, l’essai scientifique de Kautzsch est un joyau pour l’histoire de
l’archéologie des sites religieux, bien que les conclusions vivement discutées fussent refusées par
les chercheurs de l’époque. Les recherches de 1950-1951 ont été déclenchées par l’historien de
l’art Fritz Arens, mais dirigées par l’historien de l’art et expérimenté en archéologie Karl Heinz
Esser (fig. 25-35). De nouveau, les travaux concernèrent le sol et les élévations. Le résumé publié a
traité toutes les époques de la genèse architecturale et ne contredisait pas l’avis de Kautzsch.
Mais sa publication dans un journal local a empêché sa réception scientifique. Les spécialistes
continuèrent à chercher les réponses aux questions de fonction et de datation de Saint-Jean.
238

Seuls les derniers travaux archéologiques encore en cours apportent des réponses (fig. 7, 28, 29,
32–34, 36–38). Avec la découverte de la tombe de l’archevêque Erkanbald (reg. 1011–1021, fig 9),
enterré dans sa cathédrale, et avec l’analyse des élévations de Saint-Jean (fig. 7), les résultats de
Rudolf Kautzsch semblent se confirmer, bien qu’issus d’autres observations, moyens et
réflexions. Mais comme au début du XXe siècle, c’est l’interaction entre archéologie sédimentaire
et bâti qui a été fructueuse, et non pas la séparation suspecte des deux branches à la base.

“St. John’s (St. Johannis) Evangelical parish church in the center of Mainz has long kept the
secrets of its architectural genesis and its early medieval status, despite numerous attempts to
clarify this through sedimentary and building archaeology (Figs. 1-4). In recent years, an
excavation has provided decisive evidence for identifying St. John’s as the first and oldest
cathedral in Mainz: St. Johannis is the “Alte Dom”.
The architectural beginnings of St. John’s date back to antiquity, i.e. to secular buildings in the
center of the Late Antique settlement, which can be dated between the 2nd and the 4 th century
(Figs. 1 and 5). During the 5th-6th centuries, part of the architecture was transformed into a three-
aisled building divided by pillars, which was reworked several times. It was very likely the first
cathedral in Mainz, where the first bishops are documented from the early Middle Ages. The
building, dedicated to Saint Martin at the time, was replaced in the second half or the beginning
of the 11th century by a three-aisled church with a kind of transept to the west and two choirs,
the western one being built over a crypt (Fig. 8). This church lost its status as a cathedral in 1036
and became a collegiate church, dedicated to St John. A corridor, the so-called “Paradiesgang”,
linked it to the new cathedral built to the east (Figs. 1, 10, 11 and 12). After the reconstruction of
the west choir at the end of the 14th century (Figs. 13 and 14), the orientation changed,
apparently for town planning reasons: since the mid-18th century, the high altar was located in
the west choir against its western wall (Fig. 15). In 1793, at the beginning of the French interlude
in Mainz, St. John’s church was desecrated and turned into a granary (Fig. 16), which it remained
until 1830, the year of its re-consecration as an Evangelical Protestant church (Fig. 17). Two
major restoration campaigns followed, from 1905 to 1907 (Fig. 18) and between 1949 and 1956,
after World War II destructions (Fig. 19).
The archaeological investigations in St. John’s Evangelical Church in Mainz, which have been
ongoing since 2013, are not the first. During the two major restoration and reconstruction
campaigns, research was carried out on both the floor and the elevation (Fig. 20). In 1905 the
investigations were led by the prehistorian Ludwig Lindenschmit the younger, with the expert
and art historian Rudolf Kautzsch (Figs. 21-24). They carried out both ground and elevation
surveys, which were documented by photographs and plans. It was finally the second, who was a
professor at Darmstadt, who published the research. The main findings were that the present
church dates back to the 10th century and is preserved under its very roof; it can also be
identified as the first Mainz Cathedral. In its structure and method, Kautzsch’s scientific essay is
a jewel in the history of religious sites archaeology, although his much-discussed conclusions
were rejected by the researchers at the time. The 1950-1951 research was initiated by art
historian Fritz Arens, but was led by art historian and trained archaeologist Karl Heinz Esser
(Figs. 25-35). Once again, the work concerned the underground and the masonries. The published
summary dealt with all periods of the architectural genesis and did not contradict Kautzsch’s
opinion. But its publication in a local newspaper prevented its scientific reception. Scholars went
on searching for answers to questions about the function and dating of St. John’s.
239

INDEX
Keywords : Mainz, St. John's, cathedral, archaeology, church, art history, building archaeology,
Ludwig Lindenschmit, Rudolf Kautzsch, Fritz Arens, Karl Heinz Esser
Schlüsselwörter : Mainz, St. Johannis, Kathedrale, Kirchenarchäologie, Kunstgeschichte,
Bauforschung, Ludwig Lindenschmit, Rudolf Kautzsch, Fritz Arens, Karl Heinz Esser
Mots-clés : Mayence, Saint-Jean, cathédrale, archéologie de l'église, histoire de l'art, archéologie
du bâti, Ludwig Lindenschmit, Rudolf Kautzsch, Fritz Arens, Karl Heinz Esser

AUTEUR
GUIDO FACCANI

Archéologue indépendant, bureau d'étude archaeologiae fabrica et sculpturae mediaevalis.


g.faccani@bluewin.ch
240

Recherches en chronologie :
Archéologie du bâti et méthodes de
datation, usages et potentialités en
2020
Researches in the field of chronology : Use and potential of dating
methods applied to the archaeology of constructions in 2020.

Pierre Guibert et Petra Urbanová

Nos remerciements institutionnels reviennent au Conseil Régional de Nouvelle Aquitaine, auquel


se sont associés le Service Régional de l’Archéologie de la Direction Régionale des Affaires
culturelles de Nouvelle Aquitaine, l’Université Bordeaux-Montaigne, le labex Sciences
Archéologiques Bordeaux (administré par l’ANR [Agence Nationale de la Recherche] sous la
référence ANR-10-LABX-52) qui ont permis de financer les programmes MoDAq (Mortar Dating
in Aquitaine, 2015-2019, resp. P. Guibert) et Monasticon Aquitaniae (2016-2020, resp.
C. Gensbeitel). Plus spécifiquement, le labex LaScArBx a financé le projet ARCHIDATE (resp. P.
Urbanová) auquel cette action participe également. Le CNRS a assuré le salaire de l’un d’entre
nous (PG). Nous remercions tout particulièrement nos collègues Mme Anne Michel (enseignante-
chercheure UBM à Ausonius), pour sa participation aux programmes cités, responsable des
opérations archéologiques à Saint-Seurin et M. Michael Toffolo (Chercheur sous contrat à
l’IRAMAT-CRP2A, financement IdEX Bordeaux) pour l’analyse d’un nodule de « chaux ». Nous
remercions également Mmes Chantal Tribolo (CR CNRS) et Isabelle Pianet (IR CNRS) en tant que
Personnes Compétentes en Radioprotection du laboratoire, pour leurs responsabilités ingrates
sans lesquelles le laboratoire ne pourrait exercer son activité. Nous remercions bien évidemment
les organisateurs du colloque ABAD 2019 pour cette invitation à communiquer.

Introduction
1 Notre objectif est de dresser un bilan sur l‘évolution récente des méthodes de datation
et des nouvelles possibilités accessibles dans le cadre de l’analyse du bâti, notamment la
241

datation des mortiers de chaux par luminescence optiquement stimulée, méthode qui
est aujourd’hui opérationnelle. De même les modalités d’exploitation des données
chronologiques selon les nouvelles approches statistiques que nous allons évoquer
permettent-elles de mettre en cohérence les informations chronologiques quelle que
soit leur nature et il nous est apparu important d’en discuter. En retour, les nouveaux
systèmes d’analyse chronologique peuvent modifier la stratégie traditionnelle d’étude
des bâtiments et d’échantillonnage si l’on souhaite optimiser les moyens mis en œuvre
et profiter pleinement de leur potentiel. C’est une démarche plus globale qui peut
changer sensiblement l’organisation du travail archéologique, le choix des structures à
étudier, et ce, bien en amont des opérations de terrain, au moment même où démarre
la conception d’un projet d’étude.
2 Pour les avoir expérimentées, Il s’agit également de témoigner des orientations qui
nous paraissent fructueuses dans l’organisation même du travail de recherche
collaboratif entre les différentes spécialités. Précisons d’emblée que notre point de vue
est celui de chercheurs chronologues et non de prestataires de service. Nous sommes
donc partisans d’une partition « horizontale » du travail plutôt que d’une
hiérarchisation « verticale » des tâches1. Nous participons à divers degrés, selon les
opportunités ou les situations, à l’élaboration des projets scientifiques ainsi qu’à
l‘interprétation archéologique.

1. Des méthodes de datation pour l’archéologie du bâti


3 Le tableau de synthèse (tableau 1) résume la nature des méthodes physiques de
datation applicables selon les matériaux disponibles et les situations rencontrées2.

Tableau 1 : table des méthodes de datation utilisables en archéologie du bâti.


242

1.1. Principe et usages des méthodes de datation


Dendrochronologie

4 Chacun connaît même de manière sommaire, les principes de la méthode avec le


comptage des cernes de croissance. Selon l’historique de L. Tessier3 dans l’ouvrage
collectif d’Astrade et Miramont4, la première référence sur l’appréhension du rôle de
l’arbre dans l’enregistrement des fluctuations climatiques est attribuée à Léonard de
Vinci au XVe siècle5. La croissance de l’arbre est en effet sensible à son environnement,
au climat et aux éventuels stress qu’il subit au cours de son histoire. Dans un
environnement donné, chaque cerne « enregistre » par son mode de développement les
conditions climatiques de l'année de sa croissance qui conditionnent ainsi son
épaisseur. La succession des cernes d’un arbre du cœur vers la périphérie rend donc
compte de la succession des conditions de croissance liées aux facteurs
environnementaux. Les capacités de la dendrochronologie en termes de résolution
temporelle, datation à l’année près, ont été très rapidement perçues et exploitées dans
la communauté de la préhistoire récente6. Elles ont ainsi été clairement démontrées
avec la chronologie d’habitats lacustres néolithiques dont l’étude détaillée a permis,
par exemple, d’accéder aux modalités d’exploitation des terres et de gestion des
ressources par des groupes néolithiques des lacs de Clairvaux et Chalain dans le Jura7.
En archéologie du bâti des périodes historiques, l’étude des charpentes et des bois
d’œuvre offre un large spectre de recherches pour l’histoire des techniques
constructives et de maintenance des édifices8. Les éléments en bois doivent disposer
d’un nombre de cernes suffisants, quelques dizaines. L’âge obtenu, abattage ou période
de croissance de l’arbre, constitue un terminus post-quem vis-à-vis de la construction
de l’édifice ou de la structure architecturale étudiée.

Archéomagnétisme

5 La méthode repose sur la connaissance de l’évolution du champ magnétique terrestre


au cours du temps et sur le fait que les roches chauffées et les terres cuites enregistrent
le champ magnétique terrestre au moment de leur refroidissement, par aimantation
des minéraux magnétiques qu’elles contiennent. Le matériau présente donc une
aimantation thermorémanente parallèle au champ magnétique terrestre (CMT)
ambiant. La datation d’un échantillon est réalisée par comparaison de son aimantation
à des courbes de calibration qui retracent les caractéristiques du CMT au cours du
temps. La construction de la courbe de calibration est une étape essentielle. Elle est
obtenue à partir d’échantillons archéologiques bien datés et en position primaire, c’est-
à-dire non déplacés par rapport à leur position de chauffe (éléments de four, aires de
combustion, etc.). Les courbes de référence sont valables pour une région géographique
donnée. Cela représente par exemple en France, plusieurs centaines de kilomètres
autour de Paris.
6 La direction du champ magnétique est repérée par deux angles : l’inclinaison (angle
entre le plan horizontal et la direction du CMT) et la déclinaison (angle entre le Nord
magnétique et le Nord géographique dans un plan horizontal)9. L’opération de datation
consistera à chercher sur les courbes de calibration les périodes où inclinaison et
déclinaison correspondent aux mesures des orientations de l’aimantation de
l’échantillon. Pour ce qui concerne l’application aux matériaux de construction,
243

signalons que l’équipe de Rennes dans les années 1980 a mis au point une méthode
spécifique des terres cuites architecturales (TCA : briques, tegulae…) grâce au fait que
leur positionnement dans un four gallo-romain ou médiéval résultait d’un empilement
régulier sur une sole horizontale. Bien que les TCA aient été déplacés de leur lieu de
production pour être insérées dans une maçonnerie, l’analyse de l’orientation de
l’aimantation thermorémanente de ces objets rend possible la détermination de leur
position de cuisson (de chant, debout ou à plat) en raison des limites angulaires du cône
de variation de la direction du CMT sous nos latitudes. En étudiant la répartition de
l’orientation du champ sur une centaine d’échantillons d’un même lot on détermine
avec précision l’inclinaison du CMT au moment de leur manufacture10 ce qui conduit à
la datation. Enfin, signalons que la mesure de l’intensité du champ magnétique,
utilisable pour la chronologie, marque un progrès important de la communauté au
cours de la dernière décennie.
7 Pour résumer, la recherche en datation par archéomagnétisme répond à deux
problématiques : premièrement, la mesure fiable de l’orientation du champ ancien et
de son intensité, deuxièmement, la construction de courbes de calibration qui nécessite
que les datations des objets de référence soient particulièrement solides et précises11.
En France et en général en Europe romaine, la période antique est très bien
documentée, de même que le « bas » Moyen Âge et la période moderne. Cependant le
« désert » du haut Moyen Âge a tardé à être « peuplé », et il a fallu attendre la première
décennie 2000 pour que des études plus systématiques de TCA issues de bâtiments
soient entreprises, en France en partie sous l’impulsion du groupe de recherche
européen CNRS « Terres Cuites Architecturales et Nouvelles Méthodes de Datation » 12.

Radiocarbone

8 La datation par radiocarbone est la méthode la plus connue en archéologie et celle qui a
suscité le plus d’efforts au niveau mondial depuis les années 195013 et le prix Nobel de
Chimie de Libby en 1960. Rappelons que des atomes de carbone-14 se forment à partir
des réactions nucléaires entre le rayonnement cosmique et les molécules d’azote dans
la haute atmosphère. Les atomes ainsi formés sont immédiatement engagés dans des
molécules de CO2. Les mouvements atmosphériques assurent le brassage à l’échelle
terrestre des molécules ainsi naturellement marquées. Les organismes vivants étant en
équilibre avec l’atmosphère, le rapport 14C/12C est conservé entre la source,
l’atmosphère, et le récepteur. Cet équilibre cesse lorsque les échanges ne se produisent
plus, notamment à la mort de l’organisme, et la décroissance de la concentration du
radiocarbone démarre. Sous le terme organisme, nous entendons les parties d’un être
vivant qui disposent des capacités de renouvellement de ses molécules. Ainsi dater un
charbon de bois revient à dater, non pas la mort de l’arbre, mais la formation des
cellules végétales correspondantes qui seront ensuite soumises à la mesure
radiocarbone.
9 Les variations temporelles de l’intensité du rayonnement cosmique au cours du temps
obligent les datations radiocarbone à être corrigées. Pour cela, des courbes de
calibration ont été établies par couplage de la dendrochronologie et radiocarbone sur
les cellules végétales issues des cernes de croissance d’arbres bien datés14 jusque vers
12000 ans avant le présent et avec d’autres méthodes pour les périodes plus
anciennes15. Pour les périodes concernées par l’archéologie du bâti, tout au moins si
l’on exclut l‘habitat et les constructions néolithiques de notre champ d’étude dans cet
244

article, les variations de la production du C14 atmosphérique peuvent conduire à des


élargissements des intervalles de confiance autour de plateaux, comme les périodes IXe-
Xe siècles ou XIe XII e siècles ou, au contraire, à des intervalles réduits pour d’autres
périodes, par exemple autour de l’an mil.
10 Avec la spectrométrie de masse par accélérateur, de nouvelles possibilités de datation
sont apparues dans les années 1990 grâce à la réduction considérable du volume
nécessaire des échantillons.
11 Grâce à cela, dater les aciers anciens est aujourd’hui possible16 ce qui ouvre ainsi de
nouvelles possibilités d’étude pour l’histoire des monuments. Les métaux ferreux
contiennent du carbone en faible proportion issu de charbons de bois, avant que la
houille ne fasse son apparition pour la réduction. L’intérêt premier de la datation est de
caractériser les objets métalliques étudiés, dans la mesure où le fer peut être recyclé,
afin d’éviter les anachronismes involontaires dans la reconstitution de l’économie de la
production de fer17.
12 Pour les mortiers de chaux, l’application du radiocarbone est destinée à dater la
fabrication du mortier, événement en lien direct avec la construction. Pour cela,
plusieurs approches sont possibles. La plus pratiquée jusqu’à présent est la datation par
radiocarbone des charbons inclus qui fournit un terminus post quem vis-à-vis de
l’édification, sauf s’il est établi que l’effet vieux bois est négligeable, en particulier par
l’analyse anthracologique. Une approche exploratoire a été proposée dès les années
196018 mais résiste toujours à un développement systématique 19 : la datation de la
carbonatation (la prise de la chaux). Comme nous le verrons dans le paragraphe dédié à
la datation des mortiers, dater la chaux reste très problématique et nul ne peut assurer
aujourd’hui la fiabilité du résultat obtenu, sans connaître l’âge de la structure par
d’autres moyens.

Luminescence

13 Le nom de luminescence est un terme générique qui désigne essentiellement deux


phénomènes physiques d’où découlent deux méthodes de datation, la
thermoluminescence (TL) et la luminescence optiquement stimulée (OSL). La
thermoluminescence (TL) est l'émission de lumière induite par le chauffage d'un
minéral préalablement irradié par des rayonnements ionisants, l’OSL celle induite par
un éclairement par la lumière visible (d’où le nom de stimulation « optique »). Les deux
phénomènes physiques sont très proches et seul diffère le mode de stimulation de la
luminescence, la chaleur ou l’éclairement. Concernant l’irradiation préalable par des
rayonnements ionisants, il s’agit des particules et des photons de la radioactivité
naturelle (ou artificielle pour les irradiations effectuées en laboratoire afin de calibrer
les émissions de luminescence). Particules et photons en interagissant avec la matière
cèdent leur énergie au matériau et provoquent le déplacement durable et progressif
d'électrons puis leur capture cumulative au niveau de défauts à l’échelle atomique dans
des minéraux cristallisés20. Ce phénomène est exploité pour la datation du dernier
chauffage, comme dans le cas de la manufacture des briques, ou de la fin de l’exposition
à la lumière, comme dans le cas des dépôts sédimentaires et du sable des mortiers. Dans
ces derniers cas, seule l’OSL est utilisable.
245

14 Pour dater, il est nécessaire de déterminer deux grandeurs physiques :


• La dose archéologique : c’est la quantité d’énergie accumulée sous l’effet de l’irradiation par
la radioactivité naturelle, dans les cristaux du matériau depuis l’instant zéro à dater
(chauffage ou exposition à la lumière). La dose archéologique est mesurée par luminescence
en laboratoire sur des minéraux spécifiques extraits du matériau à dater. La technique
utilisée pour la mesure donne son nom à la méthode, thermoluminescence (TL) ou bien
luminescence optiquement stimulée (OSL).
• La dose annuelle d’irradiation : c’est la quantité d’énergie absorbée en moyenne
annuellement par le matériau. La dose annuelle caractérise l’intensité de la radioactivité
naturelle et elle varie selon les échantillons et leur localisation. On distingue plusieurs
composantes l’irradiation selon la nature et l’origine des particules et rayonnements. En
particulier, les composantes internes de l’échantillon et des minéraux utilisés pour les
mesures de luminescence sont mesurées en laboratoire, alors que la composante externe,
liée au rayonnement gamma et aux particules cosmiques est généralement déterminée sur le
terrain par des moyens de mesure directe (gammamétrie ou dosimétrie in situ)21.
15 L’âge est obtenu par le rapport (la division) de la dose archéologique par la dose
annuelle.
16 Dater une brique par TL ou par OSL revient donc à déterminer le temps écoulé depuis sa
production. Nous noterons que l'OSL permet, comme la TL de dater le dernier chauffage
d'une brique avec les minéraux prélevés dans sa partie interne, des cristaux de quartz
de préférence. Aujourd’hui, l’OSL tend à supplanter la TL en raison d’une meilleure
précision des mesures et d’une moindre consommation de matière22. On notera qu’il
existe des minéraux qui ne présentent pas d’OSL et pour lesquels la TL reste la seule
méthode de datation de la dernière chauffe. Il s’agit notamment du silex ou de la
calcite, espèces minérales qui jusqu’à présent n’ont pas été exploitées à notre
connaissance en archéologie du bâti, mais qui peuvent être utilisées pour dater un
foyer ou un incendie.
17 L'OSL est utilisée pour dater la fin de la dernière exposition à la lumière depuis la fin
des années 1980. Elle est appliquée essentiellement aux dépôts sédimentaires, dépôts
éoliens et sables dunaires23. Elle peut s’appliquer aux matériaux de construction. Si on
prélevait les grains de quartz en surface d’une brique par exemple, en prenant les
précautions nécessaires pour ne pas réexposer les surfaces du matériau à la lumière au
moment du prélèvement, on parviendrait à dater son insertion dans la maçonnerie et
donc l'édification du mur, et non plus la seule production du matériau24. Cependant, la
complexité du processus d’échantillonnage et l'opacité des terres cuites sont des
obstacles majeurs à la systématisation de cette approche25 et cela demeure pour le
moment du domaine de l’exploration méthodologique, pour les terres cuites tout au
moins26. Pour les pierres de construction contenant des quartz ou des feldspaths, dater
leur insertion dans une structure architecturale par OSL (« OSL surface dating ») semble
beaucoup plus accessible, même si aujourd’hui les applications restent plus
méthodologiques qu’archéologiques. En effet, au niveau international quelques travaux
ont été développés pour la datation du bâti27, et aussi pour la datation de fronts de taille
dans des carrières28. Développer aujourd’hui des recherches appliquées dans ce sens
serait selon nous très pertinent pour l’Histoire de la Construction.
18 Signalons que la datation de dépôts sédimentaires par OSL (technique standard
classique), bien que moins connectée en apparence à l’étude du bâti, ne doit cependant
pas être négligée car elle apporte potentiellement des informations utiles : un terminus
246

post quem avec le substrat sédimentaire sur lequel repose le bâtiment par exemple, ou
un élément chronologique contemporain de la construction par le remplissage des
fosses de fondation29.
19 Nous verrons au paragraphe dédié à la datation des mortiers que l’OSL selon une
technique spécifique dite « monograin » (single grain OSL, SG-OSL) est depuis quelques
années exploitée pour la datation de la fabrication des mortiers de chaux. Il s’agit
véritablement d’une innovation majeure de l’archéométrie pour laquelle nous avons
choisi de consacrer une partie spécifique de cet article car la datation des mortiers par
OSL est potentiellement un important outil pour l’archéologie du bâti. Enfin, pour ce
qui concerne les mortiers de terre, ils peuvent aussi être datés par OSL comme les
mortiers de chaux. Le travail de la terre avant sa pose comme liant de maçonnerie
expose les minéraux à la lumière et ce type de mortier est donc datable par les
nouvelles techniques de SG-OSL. Il en va de même avec la terre crue utilisée comme
matériau de construction. Il s’agit de dater la dernière exposition à la lumière, ce qui
correspond au traitement de la terre en vue de son utilisation dans le bâti.

1.2. La distinction nécessaire entre l’événement à dater et


l’événement réellement daté

20 D’une manière générale, nous devons distinguer les deux événements. Selon les
questions chronologiques posées, les résultats de datation, aussi parfaits soient-ils du
point de vue de la technique, peuvent être assez éloignés de l’acte humain, objet de la
recherche.
21 Si l'objet à dater est un élément en bois, alors la dendrochronologie fournira un
terminus post quem vis-à-vis de l'édification de la structure architecturale
correspondante, car la date obtenue, celle du dernier cerne, précèdera l'abattage de
l'arbre et a fortiori son utilisation dans la construction. Il en va de même avec la
datation par radiocarbone de charbons de mortier, car le résultat obtenu correspondra
à la période de croissance du végétal qui fournira le charbon, introduit ultérieurement
avec la chaux du mortier. Afin de limiter les risques d’effet vieux bois ou de les évaluer,
il est aujourd’hui couramment effectué des analyses anthracologiques des charbons,
afin de déterminer l’espèce végétale. Nous ne pouvons que recommander une telle
caractérisation préalable. La datation de la production de briques par luminescence ou
par archéomagnétisme fournit aussi un terminus post quem vis-à-vis de la
construction. En effet, les terres cuites sont produites avant leur usage dans la
construction, c’est une évidence, mais ici nous devons considérer plutôt la possibilité
de remploi qui est un phénomène assez courant, mais non systématique, dans la
construction médiévale par exemple30. Enfin, seule la datation des mortiers par la
nouvelle méthode OSL dite monograin ou « single grain » (SG-OSL) offre la
correspondance la plus directe avec la construction.
22 Si l’événement à dater est un incendie, ce qui, pour des édifices multiséculaires est un
événement assez probable, ou bien la dernière utilisation d’un foyer, il est important de
savoir que les traces de rubéfaction des matériaux apparaissent pour des températures
supérieures ou égales à 250 °C31. De nombreuses possibilités de datation peuvent s’offrir
grâce à la luminescence ou même à l’archéomagnétisme. C’est à notre connaissance une
possibilité non exploitée en archéologie du bâti, mais qui pourrait trouver un intérêt,
renouvelé notamment par l’incendie de 2019 de Notre Dame de Paris. On peut en effet
247

dater la chauffe de calcaires par TL32, de même pour celle du silex, et pour d’autres
matériaux comme le grès ou les roches contenant des quartz comme le granite, par
OSL.

2. Point focal sur une innovation majeure récente : la


datation des mortiers de chaux par OSL
23 Comme nous l’avons déjà exprimé, il existe potentiellement deux méthodes de datation
applicables pour « dater le mortier » : le radiocarbone et l’OSL

2.1. Le radiocarbone : des tentatives, mais peu de certitude

24 La datation radiocarbone des phases carbonatées du mortier souffre de nombreuses


contraintes méthodologiques. Tout d’abord, il existe un risque que le processus de
carbonatation de la chaux, surtout dans la partie interne des maçonneries, ait été
relativement lent (plusieurs décennies). Nous connaissons même des cas où la
carbonatation n’a pas eu lieu, c’est ainsi qu’un nodule de « chaux » (BDX 17700) prélevé
dans les fondations alto médiévales de la chapelle Saint Jean Baptiste de la Cité à
Périgueux33 s’est avéré n’être constitué que de portlandite (di-hydroxyde de calcium,
Ca(OH)2) d’après les mesures de spectrométrie infrarouge34. La datation peut être aussi
biaisée si des phénomènes de dissolution et de recarbonatation de la matrice du
mortier liés à la circulation d’eau dans les maçonneries sont survenus dans le passé. Ces
deux phénomènes, qui peuvent modifier l’âge apparent du mortier, peuvent être mis en
évidence par une caractérisation du matériau. En revanche, un troisième phénomène
perturbateur est très difficile à contourner. Une calcination incomplète de la pierre
calcaire servant à fabriquer la chaux (présence d’incuits) ou l’évacuation incomplète du
CO2 fossile issue des pierres dans le four à chaux, en diluant le carbone-14, risquent de
produire des âges surestimés. La datation de la carbonatation du mortier par
radiocarbone reste donc une approche complexe35, mais elle conserve un potentiel très
intéressant pour l’archéologie en raison de la bonne précision de la datation standard
(30 ans d’écart-type statistique environ).

2.2. La luminescence optiquement stimulée : une méthode


aujourd’hui opérationnelle

25 Pour la datation par luminescence, l’instant zéro à dater correspond au moment où le


sable, la chaux et l’eau sont mélangés. Nous nous intéressons à la phase siliceuse du
mortier de chaux. C’est la dynamique du brassage des grains de sable qui constitue le
mode de remise à zéro le plus efficace, statistiquement parlant, en les entraînant de
façon probabiliste à la surface du mélange éclairée par la lumière ambiante du chantier.
Ce processus implique une distribution particulière hétérogène de l’exposition des
grains à la lumière qui a été longtemps un frein mais qui est à présent levé36.
26 Les premiers essais de datation des mortiers par OSL remontent au début des années
2000, lorsque des chercheurs ont utilisé la méthode pour la première fois sur ce type de
matériau pour tenter de dater la construction37. Entre autres études, à Berlin, Christian
Goedicke avait utilisé la technique OSL que nous dénommerons classique et qui consiste
248

à mesurer simultanément la luminescence de dizaines voire des centaines de grains de


quartz déposés sur le même dispositif porte-échantillon. Les signaux d’OSL obtenus
sont la résultante de la luminescence de l’ensemble des grains et si certains d’entre eux
ont été insuffisamment éclairés lors de la fabrication du mortier, alors le résultat
fournit un âge trop ancien. La nécessité de trier les grains selon qu’ils ont été bien ou
mal exposés s’est donc très rapidement imposée. Aujourd’hui, à Bordeaux à l’IRAMAT-
CRP2A38, depuis les travaux des auteurs39 l’étude des mortiers est réalisée selon une
technique dite monograin (ou single grain OSL dating, SG-OSL) qui consiste à analyser de
façon individuelle des milliers de grains de quartz extraits de la charge des mortiers
avec des équipements spécifiques. Cette technique, déjà utilisée à des fins
paléoenvironnementales dès la fin des années 199040, n’est pas propre au laboratoire de
datation par OSL de Bordeaux, elle est aussi pratiquée à Milan, à Catane, à Risoe et
potentiellement par d’autres équipes disposant des mêmes équipements.
27 La figure 1 montre des exemples-types de résultats d’étude de quartz de mortiers par la
technique monograin, sous la forme d’une distribution de doses. Ils ont été obtenus sur
des échantillons de mortier de deux édifices gallo-romains, d’une part les fondations du
musée Picasso d’Antibes, et d’autre part les fondations de l’amphithéâtre romain de
Bordeaux, le Palais-Gallien. Dans le premier cas, le matériau a été très bien exposé au
cours de son élaboration et la distribution des doses est relativement peu étendue
autour d’une valeur centrale, alors que dans le second, de nombreux grains ont
présenté une dose très élevée, signe d’un éclairement très insuffisant des grains. Il est
aujourd’hui possible de traiter de tels cas de figure grâce à de nouveaux outils
statistiques41. La figure 2 constitue un bilan méthodologique de datations OSL obtenues
sur des échantillons de mortiers issus de structures architecturales de référence en
fonction de l’âge connu et validé des maçonneries correspondantes. L’accord entre âge
mesuré et âge connu est compatible avec les incertitudes inhérentes à la méthode.
249

Fig. 1. Histogrammes de répartition des doses équivalentes mesures sur des grains de quartz
individuels extraits de mortiers de maçonneries romaines à Antibes (Alpes Maritimes) et à Bordeaux
(Gironde).

Fig. 2. Comparaison entre les âges mesurés par SG-OSL de mortiers et les âges connus des
maçonneries correspondantes pour des structures ou des édifices utilisés comme référence. Les
barres d’erreur représentent les incertitudes de mesure individuelles ou les intervalles des attributions
chronologiques.
250

28 Certains laboratoires proposent de dater les mortiers selon la méthode multi-grain


classique42. Malgré la qualité reconnue du travail de ces équipes, nous insistons sur le
fait qu’aucune méthode classique ne permet de vérifier que l’échantillon a été
suffisamment exposé à la lumière. Les auteurs de ces études, qui concernent des
maçonneries de monuments de l’aire méditerranéenne, considèrent les résultats
comme corrects car ils correspondent aux datations historiques ou aux datations des
briques issues des mêmes maçonneries. Aucune information chronologique nouvelle
n’est apportée puisqu’il est nécessaire de disposer de datations indépendantes pour
décider si les résultats sont acceptables ou non. En fait, seul, l’examen de la distribution
des doses mesurées sur les grains individuels par SG-OSL fournirait une information
fiable sur l’état d’exposition initiale du matériau et donc sur la possibilité ou non de
pratiquer la méthode standard pour dater.
29 La datation des mortiers par luminescence (SG-OSL) est potentiellement d’usage
général pour l’architecture. Néanmoins, même s’il s’agit d’une innovation majeure de
l’archéométrie de ces dix dernières années, elle a ses propres limitations. En dehors des
cas d’insuffisance de quantité de matière, la cause principale d’échec est la sensibilité
insuffisante des grains à l’irradiation. Le signal d’OSL des grains individuels peut être
trop faible pour être mesurable et la datation est impossible ou beaucoup trop
incertaine pour être d’une quelconque utilité dans l’élaboration d’une chronologie. En
pratique, on évite le risque d’entreprendre en vain une campagne extensive de
prélèvements en étudiant préalablement la luminescence des matériaux sur quelques
échantillons représentatifs de la minéralogie des mortiers de la construction à dater.
30 La datation des mortiers par la technique SG-OSL est une méthode basée sur la
luminescence et une des limitations de son usage peut être liée à l’importance des
incertitudes de mesures qui conduisent à des âges individuels connus au mieux avec
une incertitude de 5 % (±5% de l’âge, soit pour un échantillon daté de 1000 ans, un
intervalle d’incertitude qui s’étend à 5 % de part et d’autre de la valeur centrale, ici
entre 950 et 1050 années). La décision d’utiliser la datation par luminescence, comme
toute autre méthode de datation physique, doit donc être réalisée en connaissance de
ses potentialités pour les périodes ou les problématiques chronologiques concernées.
On peut cependant améliorer la situation par la mise en place d’une stratégie
analytique.

3. Pour une stratégie analytique


3.1. La démarche, aspects généraux

31 Définir une stratégie analytique en amont, c’est-à-dire, au moment de l’élaboration


d’un projet archéologique, est une démarche très efficace pour resserrer les intervalles
d’incertitude inhérents aux méthodes de datation. La chronologie doit être en effet
intégrée dans une recherche comme l’un des piliers de l’étude. Les spécialistes des
matériaux doivent donc s’inscrire dans une démarche scientifique et archéologique
globale dès le départ, et non comme des prestataires qui interviennent en urgence à la
fin des opérations comme c’est encore trop souvent le cas. Ceci étant dit, le principe de
base est de « faire feu de tout bois », car l’idée est d’accumuler le plus possible
d’informations chronologiques au cours de l’étude.
251

32 Ainsi, voici quelques règles idéales que nous pouvons conseiller.


• Dater plusieurs échantillons par structure étudiée pour réduire les aléas statistiques liés aux
incertitudes de mesure, ou pour évaluer la normalité statistique des résultats ;
• Dater une séquence chronologique : si les unités à dater peuvent être stratigraphiquement
reliées, il est alors intéressant de faire jouer les relations d’antériorité ou de postériorité qui
vont introduire des contraintes chronologiques dans les datations et réduire ainsi l’étendue
des intervalles chronologiques possibles pour l’événement daté.
• Utiliser plusieurs méthodes de datation : utilisées en complémentarité, des méthodes de
datation différentes permettent de jouer sur les possibles termini post ou ante quem qui
peuvent ainsi être introduits à bon escient dans le modèle chronologique. On joue aussi sur
le fait que les incertitudes de méthodes différentes sont indépendantes et que cela réduira
l’effet de potentiels biais systématiques.
33 Comme nous l’avons montré (tableau 1) de nombreuses possibilités de datation existent
qu’il est évidemment intéressant de mettre à profit lorsque les moyens alloués sont
présents. Cet éventail de possibilités ne doit pas faire oublier cependant que les
approches archéologiques ou historiques sont bien sûr essentielles car elles apportent
des informations qualitatives utilisables dans la construction de la chronologie d’un
édifice.

3.2. Un exemple d’étude : Séquence chronologique de la crypte de


Saint-Seurin de Bordeaux, au niveau du Mausolée de Saint-Fort

34 Nous présentons ici une relecture d’une étude chronologique que nous avons
récemment publiée43 mais qui bénéficie aujourd’hui des développements les plus
récents du traitement statistique des données obtenues par SG-OSL sur les mortiers.
Nous limiterons notre propos à l’espace délimité par les murs de l’actuelle chapelle de
Saint-Fort de la crypte de la basilique Saint-Seurin de Bordeaux, sous la nef. Cette église
est implantée sur le site d’une nécropole qui s’est développée dans le courant du
IVe siècle44. Des campagnes de prélèvement pour datation ont été réalisées en
décembre 2008 dans le cadre du Groupement de Recherche Européen du CNRS Terres
Cuites Architecturales et Nouvelles Méthodes de Datation, à l’automne 2013 au cours du
travail doctoral de Petra Urbanova. Cette dernière campagne a été suivie les années
suivantes (2014, 2015) par des campagnes de fouilles (resp. Anne Michel, UMR
Ausonius), de relevé architectural et de prélèvements dans différents secteurs de la
crypte.
35 Les structures mises au jour dans la chapelle Saint-Fort de la crypte et leur chronologie
relative sont les suivantes :
36 Une structure de carreaux de terre cuite de l’Antiquité Tardive qui appartient à un
premier édifice, probablement lié à la vaste nécropole qui s’étendait dans ce secteur
géographique, a d’abord été construite. Ces carreaux reposent sur un lit de mortier
hydraulique, sur les parois latérales, d’autres carreaux de même nature sont utilisés
pour former une banquette.
37 Des sarcophages ont été posés dans cet espace. Plusieurs épisodes de dépôt ont été
constatés, car il a fallu démonter des maçonneries, détruire par endroits les banquettes
pour disposer de nouveaux sarcophages, notamment à l’est et à l’ouest de la structure
où sont observées des traces de destruction.
252

38 L’ensemble des sarcophages de cet espace a été par la suite recouvert de mortier gris,
riche en cendres et charbons de bois. Les couvercles de certains sarcophages ont été
bûchés, vraisemblablement pour niveler les maçonneries et permettre de développer
un sol horizontal. On distingue en stratigraphie plusieurs niveaux de mortier,
témoignage d’un remplissage en plusieurs étapes durant le chantier.
39 Dans la partie supérieure du mortier gris, un liseré noir, visible encore sur le pourtour
non fouillé de cet espace, semble indiquer un niveau de sol qui a fonctionné
suffisamment longtemps pour s’enrichir de matières organiques (suies ?).
40 Au-dessus du liseré, une couche de mortier blanc, englobant des moellons de calcaire,
correspond à un doublage des murs latéraux du bâtiment antique.
41 Enfin des remaniements ultérieurs de la crypte aux époques romane, gothique, puis
moderne, aboutissent à ce que le visiteur peut observer aujourd’hui, les derniers
aménagements ayant été effectués dans la crypte par la municipalité de Bordeaux en
2015.
42 Ainsi, on distingue plusieurs événements qui s’organisent dans l’ordre suivant :
• Construction de la structure de terre cuite
• Mise en place des sarcophages
• Recouvrement des sarcophages par un mortier gris,
• Remaniement de l’espace et doublage des murs latéraux,
• Constructions romanes, puis gothiques et modernes (notamment installation du cénotaphe
de Saint-Fort).
43 Afin de caractériser cette séquence chronologique, nous nous sommes intéressés aux
éléments datables. La facture des sarcophages qui ont été déposés dans la structure de
terre cuite est datée des IVe-Ve siècles par typo-chronologie. Des prélèvements de terre
cuite ont été réalisés pour des études de luminescence et d’archéomagnétisme lors de la
campagne du GDRE de 2008, ainsi qu’un charbon prélevé dans le mortier gris dans la
partie nord occidentale de l’espace. À l’occasion des campagnes de 2013 et 2014, des
échantillons du mortier hydraulique associé à la construction de la structure de terre
cuite ont été prélevés, ainsi que des échantillons du mortier gris et des charbons
associés, et des éléments du doublage des murs latéraux incluant aussi des charbons.
Par ailleurs, pour permettre la mise au point de la méthode de datation des mortiers,
nous avions prélevé en 2013 des mortiers de scellement des pierres de taille, dans la
partie orientale extérieure du chevet construite dans le milieu du XIIe siècle45, ainsi que
dans la partie nord-orientale extérieure de la chapelle Notre-Dame de la Rose,
construite entre 1427 et 144446.
44 Le tableau 2 reporte les éléments chronologiques utilisés pour construire le modèle
chronologique et calculer les intervalles de confiance de chaque événement à partir du
logiciel CHRONOMODEL 2.047. Les carreaux de terre cuite ont été datés dans le cadre des
activités du GDRE Terres Cuites Architecturale et les données de luminescence ont été
publiées relativement récemment48 et reportées dans l’article d’Urbanova et al. de
201849.
253

Tableau 2. Résultats des datations pour les objets et matériaux de la chapelle Saint-Fort de la crypte
de Saint-Seurin de Bordeaux ainsi que du mur du chevet et de la chapelle Notre-Dame de la Rose.
Laboratoires, références des échantillons, techniques utilisées sont reportées : OSL QI ou TL QI
(« quartz inclusion » datation des inclusions de quartz [80-200 µm approx.] par OSL ou par TL), OSL fg
ou TL fg (« fine grain », datation des grains fins [3 -12 µm] polyminéraux par OSL ou TL), SG-OSL/EED
(datation par single grain OSL de grains de quartz [180-250 µm] et dépouillement selon le modèle
Exponential Exposure Distribution), C14-AMS (datation radiocarbone par accélérateur et spectrométrie
de masse). Les âges et dates TL ou OSL sont donnés avec une incertitude correspondant à un écart-
type. Pour les âges TL ou OSL, l’année entre parenthèses est l’année de la mesure.

45 Les données de SG-OSL sur les mortiers présentées dans le tableau 2 ont été obtenues
par l‘utilisation du modèle statistique spécifique aux mortiers à partir des mêmes
données de base que celles de l’article de 2018, et, en définitive, les résultats
correspondants en termes d’âge diffèrent de quelques dizaines d’années. Pour les
échantillons de mortier de scellement des carreaux de terre cuite de la structure tardo-
antique, ainsi que ceux des mortiers gothiques, les données techniques sont détaillées
par ailleurs50. Les données des deux échantillons de mortier gris (BDX 16492 et 16493)
sont inédites (voir en annexe). Au final, pour ce qui concerne les événements de la fin
de l’Antiquité romaine et du haut Moyen Âge, le calcul des intervalles chronologiques à
95 % de probabilité fournit les résultats suivants (Fig. 3) :
254

Fig. 3. Saint-Seurin, Bordeaux, distribution de probabilité des événements chronologiques des


transformations de la chapelle Saint-Fort dans la crypte, et des références externes à la crypte (mur du
chevet et chapelle Notre-Dame-de-la-Rose) après modélisation chronologique et calcul avec
CHRONOMODEL 2.0.

46 Structure tardo-antique : 330-460 ap. J.-C., la distribution est assez symétrique et son
maximum est centré sur l’année 398 (avec un écart-type d’environ 30 années). On
n’observe pas de modification significative de l’intervalle par rapport à l’article de
2018.
47 Recouvrement des sarcophages par le mortier gris : 630-735 ap. J.-C. La distribution centrée
sur l’année 680 est remarquablement étroite (écart-type de 26 années). Cet événement
bénéficie de datations OSL et radiocarbone assez précises et concordantes et, par
ailleurs, il se trouve contraint par la stratigraphie, notamment la phase suivante qui
correspond au doublage de la maçonnerie antique (mortier blanc). Par rapport aux
résultats du même événement que nous avions publiés en 2018 (580-780 ap. J.-C.), les
données chronologiques sont aujourd’hui nettement plus resserrées.
48 Doublage des murs (mortier blanc) : 700-1080 ap. J.-C. La distribution est assez large et
dissymétrique, n’ayant été daté que par une seule mesure de radiocarbone.
49 Les datations des phases gothiques (mur du chevet XIIe siècle et chapelle Notre-Dame de la
Rose, XVe siècle) restent évidemment conformes aux attendus par les approches
chrono-architecturales et historiques.
50 La mise en place des sarcophages peut être déduite de cette chronologie. Elle se situe entre
la construction de la structure architecturale tardo-antique et le recouvrement des
sarcophages, soit durant les Ve et VIIe siècles.
255

3.3. Un travail collaboratif interdisciplinaire

51 L’étude chronologique de la crypte de Saint-Seurin de Bordeaux est un des exemples de


collaboration fructueuse qui peut être menée entre spécialistes de diverses disciplines
de l’archéologie, à la fois sur le terrain et en laboratoire. L’archéomagnétisme utilisé
seul propose plusieurs intervalles chronologiques et l’association avec la luminescence
sur les terres cuites, permet de privilégier l’un des intervalles et de réduire
l’incertitude chronologique. Sur la question du remploi, dans notre cas précis, c’est la
continuité physique entre les carreaux de terre cuite et le mortier hydraulique qui les
supportent qui tend à montrer que les carreaux n’étaient pas remployés. Les datations
des mortiers de pose, cohérentes avec celles des terres cuites (tableau 2), viennent
renforcer la démonstration. La cohérence des datations radiocarbone et luminescence
sur les échantillons de mortier de recouvrement des sarcophages démontre par ailleurs
que les effets de vieux bois sont imperceptibles car les incertitudes se recouvrent
parfaitement. Radiocarbone et luminescence ne sont donc pas posés en concurrence
mais en support mutuel. Leur combinaison réduit les incertitudes.
52 Les datations physiques auraient peu de valeur sans leur contexte archéologique qui est
leur raison d’être. Ainsi, la mise en évidence d’une séquence d’événements, résulte-t-
elle uniquement de l’observation archéologique minutieuse. La construction d’un
modèle chronologique oblige chaque intervenant à interroger les limites de ses
observations ou des méthodes mises en œuvre. C’est dans cette synthèse collective que
la robustesse des analyses apparaît, tout autant que les zones d’incertitude qui peuvent
être transformées en autant de prétextes à poursuivre les recherches et à orienter les
futurs objectifs de fouille ou de recherche.
53 Élaborer un projet interdisciplinaire ne se fait pas dans l’urgence. La mise en œuvre des
méthodes de datation obéit à une cinétique qui dépend des méthodes et surtout de la
disponibilité des acteurs (chercheurs, ingénieurs, techniciens). Construire un projet de
recherche collaboratif nécessite du temps et la maturité nécessaire des équipes ne se
développe que par la pratique. L’interdisciplinarité se cultive, forcément, et les idées
nouvelles n’apparaissent pas par hasard. Un projet interdisciplinaire suppose des
moyens financiers. Le frein actuel au développement d’une archéologie
interdisciplinaire et technologique est davantage celui des moyens qui tendent à
manquer, les moyens humains en particulier, qui ne se renouvellent pas ou très peu, en
raison des priorités économiques et des doctrines des états, majoritairement portés
jusqu’à récemment sur des optimisations budgétaires et aujourd’hui sur des priorités
sanitaires de base légitimes.

4. Conclusion
54 Nous avons dressé un panorama des méthodes physiques de datation applicables aux
matériaux de construction : dendrochronologie, radiocarbone, archéomagnétisme,
luminescence. Ainsi, les matériaux dont la fabrication ou la mise en œuvre sont
susceptibles d’être datés recouvrent aujourd’hui potentiellement un large spectre : bois
d’œuvre, mortiers et enduits, terres cuites architecturales, éléments métalliques
(acier), pierres de construction, terre crue. Cette diversité potentielle d’objets datables
rend accessible à la datation de nombreuses situations concourant à l’histoire des
monuments : édification, remploi de matériaux, réfections, incendies etc. De nombreux
256

champs d’investigation restent à explorer pour les chercheurs et nous pouvons


notamment citer les efforts en cours sur la datation par radiocarbone des mortiers et
des enduits via les espèces carbonatées néoformées. Nous suggérons aussi de renforcer
ou de systématiser les études sur la datation de surface par OSL des pierres siliceuses,
ce qui permettrait de dater leur insertion dans des maçonneries.
55 Alors que des méthodes de datation sont utilisées aujourd’hui en quasi-routine
(dendrochronologie, radiocarbone sur charbons de mortier ou sur éléments en bois,
archéomagnétisme, luminescence sur les TCA), de nouvelles possibilités se sont
ouvertes récemment à l’archéologie du bâti, en particulier la datation par luminescence
optiquement stimulée (mode single grain) des mortiers de chaux ou des mortiers au sens
des liants minéraux, ce qui accroît considérablement les possibilités de datation pour
une grande majorité de bâtiments. Cet outil est désormais suffisamment robuste pour
être utilisé avec fiabilité.
56 L’accroissement du potentiel chronologique implique, selon nous, de définir une
stratégie lors de l’étude d’un bâtiment afin qu’un maximum de sources d’information
chronologique puisse être mis à profit dans l’élaboration d’un modèle chronologique de
synthèse : utiliser les méthodes en complémentarité, définir des séquences
chronologiques plutôt que des événements isolés à dater, multiplier les échantillons,
intégrer les informations d’ordre chrono-typologique, ou chrono-architecturales, ou
historiques, ainsi que les relations stratigraphiques issues des observations
archéologiques. Autrement dit, nous militons pour une recherche collaborative
interdisciplinaire.

ANNEXES
Le tableau 3 détaille les données d’OSL pour les deux échantillons de mortier gris. Les
doses individuelles des grains sont dispersées sur deux ordres de grandeur environ (de
1 à 100), indiquant une remise à zéro partielle et très hétérogène de l’OSL des grains de
quartz durant la fabrication du mortier. Nous avons indiqué les facteurs principaux
caractérisant la distribution des doses individuelles pour ces échantillons notamment
les facteurs kappa et sigma. Leurs valeurs sont déduites de l’analyse de la distribution
des doses individuelles.
Kappa représente le facteur d’exposition moyen des grains. Plus ce facteur est
important, plus l’échantillon a été éclairé au moment de la fabrication du mortier, et
plus le signal d’OSL initial des grains a été effacé. Concrètement un facteur de 6.1, celui
de BDX 16492, représente une exposition moyenne des grains de 12 secondes environ
en plein soleil, sachant que le temps d’exposition est distribué selon une exponentielle
décroissante dans la population de grains. Un éclairement correspondant aux valeurs
de Kappa du mortier gris, est un éclairement faible à moyen pour ces matériaux. La
différence de Kappa entre les deux mortiers peut résulter d’un temps de brassage
différent ou d’un éclairement différent lors des brassages des matériaux. Nous noterons
qu’une disparition totale des signaux géologiques nécessiterait des éclairements
257

beaucoup plus longs ou plus efficaces, correspondant à des valeurs de Kappa


supérieures à 100 (plusieurs minutes d’exposition en moyenne).
Sigma représente principalement la dispersion relative intrinsèque de la dose annuelle
à l’échelle des grains de quartz utilisés pour la datation, ici 24 %.
Le rapport n/N représente le rapport du nombre de grains pris en compte pour calculer
la dose archéologique moyenne, au nombre total de grains présentant un signal d’OSL
suffisant et dont les caractéristiques sont conformes à des critères de reproductibilité. 3
à 4000 grains ont été analysés pour chaque échantillon. Seule une minorité fournit un
signal mesurable (202 pour l’un des échantillons, 134 pour l’autre). L’ensemble de ces
grains est utilisé pour déterminer les caractéristiques de la distribution des doses
équivalentes individuelles. On montre que l’on obtient un optimum de précision sur la
dose archéologique de l’échantillon en intégrant un nombre plus restreint de valeurs,
nombre qui dépend de l’éclairement (kappa) et du nombre total de grains. La moyenne
des doses est donc calculée à partir des 120 valeurs de dose individuelle les plus faibles
pour BDX 16492 et sur 69 pour l’autre échantillon. Dose archéologique, dose annuelle et
âge OSL par rapport à l’année de la mesure sont présentés. L’erreur associée représente
un écart-type.

Tableau 3. Données d’OSL pour les deux échantillons de mortier gris de recouvrement des
sarcophages, chapelle Saint-Fort de la crypte de la basilique Saint-Seurin de Bordeaux. La signification
des paramètres est indiquée dans le texte de l’annexe. Doses archéologiques, dose annuelle et âge
OSL sont donnés avec leur écart-type. On a précisé l’année de référence pour les âges (année de la
mesure de luminescence).

NOTES
1. BRAEMER F., BRAVARD J.P., BRIL B., GUIBERT P., SANDERS L., VILA E., VIADER R., WILLCOX G., 2012.
« Qui ? Pourquoi ? Comment ? Archéologie et Interdisciplinarité », in DE BEAUNE S.A.,
FRANCFORT H.P. dir., L’archéologie à découvert, CNRS Editions, p. 39-49.

2. Le lecteur intéressé par les méthodes de datation en archéologie, pourra se référer à


un article récent qui a été rédigé à l’occasion des 40 ans du GMPCA (Groupe des
Méthodes Pluridisciplinaires Contribuant à l’Archéologie), association regroupant les
professionnels de l’archéométrie : GUIBERT P. 2018. « Dater : une histoire qui date ? »,
Archéosciences, 42-1, p. 85-101.
258

3. TESSIER L., 2010. « Introduction scientifique, La dendrochronologie : retour vers le


passé », in ASTRADE L., MIRAMONT C. dir., Panorama de la dendrochronologie en France, Edytem,
n° 11, p. 13-18.
4. 2 ASTRADE L., MIRAMONT C., 2010. Panorama de la Dendrochronologie en France. Collection
Edytem, n° 11, 210 p., URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/halsde-00786410.
5. SCHULMAN E., 1937. « Some early papers on tree rings : J.C. Kapteyn », Tree-Ring Bulletin,
3(4), p. 28-29. STALLINGS JR. W.S., SCHULMAN E., DOUGLASS A.E., 1937. « Some early papers on
tree-rings : I. J. Keuchler. II. J.C. Kapteyn », Tree-Ring Bulletin, 3(4), p. 27-28.
6. LAMBERT G., LAVIER C., 1990. « Dendrochronologie et préhistoire », Bulletin de la Société
préhistorique française, 87 (5), p. 143-152.
7. PÈTREQUIN P., 2005. « Habitats lacustres néolithiques et perception du temps », Bulletin
de la Société préhistorique française, 102 (4), p. 789-802.
8. HOFFSUMMER P., 1999. « Les charpentes », in DIERKENS A. dir., L’ancienne église abbatiale de
Saint-Hubert. Monuments et Sites, 7. Études et Documents, Namur, p. 90-95. HOFFSUMMER P.,
2002. Les charpentes du XIe au XIX e siècle : typologie et évolution en Belgique du Nord et en
Belgique, Paris, 376 p. (Cahiers du patrimoine, 62). MAGGI C., PAGÈS G., MERTENS A.,
HOFFSUMMER P., 2012. « Utilisation et technique de production du fer et du bois dans les
charpentes de comble mosanes : premiers jalons d’une évolution du XIIe au XVIII e
siècle », ArcheoSciences-Revue d’Archéométrie, 36, p. 95-115.
9. GALLET Y., GENEVEY A., LE GOFF M., WARMÉ N., GRAN-AYMERICH J., LEFÈVRE A., 2009. « On the use
of archeology in geomagnetism, and vice-versa : Recent developments in
archeomagnetism », Comptes Rendus Physique, 10(7), p. 630-648. HERVÉ G., LANOS P., 2013.
« Datation archéomagnétique : contribution du champ géomagnétique à l’archéologie »,
Spectra Analyse, 292, p. 39-45.
10. LANOS P., 1987. « The effects of demagnetizing fields on thermoremanent
magnetization acquired by parallel-sided baked clay blocks », Geophysical Journal of Royal
Astronomical Society, 91, p. 985-1012. LANOS P., 1990. « La datation archéomagnétique des
matériaux de construction d'argile cuite, apports chronologiques et technologiques »,
Gallia, 47, p. 321-341. LANOS P., 1994. « Pratiques artisanales des briquetiers et
archéomagnétisme des matériaux d'argile cuite. Une histoire de positions de cuisson »,
Histoire & Mesure, IX - 3/4, p. 287-304.
11. Quelques références bibliographiques illustrent le souci permanent des
géomagnéticiens à améliorer et à étendre chronologiquement les courbes de référence
du champ magnétique. LANOS P., 2004. « Bayesian inference of calibration curves,
application to archaeomagnetism : Chapter 3 », in BUCK C.E., MILLARD A.R. ed., Tools for
Constructing Chronologies, Crossing Disciplinary Boundaries, Series Lecture Notes in
Statistics, vol. 177, London, p. 43-82. GÓMEZ-PACCARD M., CHAUVIN A., LANOS P., DUFRESNE P.,
KOVACHEVA M., HILL M.J., BEAMUD E., BLAIN S., BOUVIER A., GUIBERT P., 2012. « Improving our
knowledge of rapid geomagnetic field intensity changes observed in Europe between
200 and 1400 AD », Earth and Planetary Science Letters, 355-356, p. 131-143. GÓMEZ-PACCARD
M., OSETE M.L., CHAUVIN A., PAVÓN-CARRASCO F.J., PÉREZ-ASENSIO M., JIMÉNEZ P., LANOS P., 2016.
« New constraints on the most significant paleointensity change in Western Europe
over the last two millennia. A non- dipolar origin ? », Earth and Planetary Science Letters,
454, p. 55-64. GENEVEY A., GALLET Y., THÉBAULT E., JESSET S., LE GOFF M., 2013. « Geomagnetic
field intensity variations in Western Europe over the past 1100 years », Geochemistry,
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Geophysics, Geosystems, 14, p. 2858-2872. GENEVEY A., GALLET Y., JESSET S., THÉBAULT E., BOUILLON
J., LEFÈVRE A., LE GOFF M., 2016. « New archeointensity data from French Early Medieval
pottery production (6th-10th century AD). Tracing 1500 years of geomagnetic field
intensity variations in Western Europe », Physics of the Earth and Planetary Interiors, 257,
p. 205-219. HERVÉ G., CHAUVIN A., LANOS P., 2013, « Geomagnetic field variations in Western
Europe from 1500 BC to 200 AD. Part I : Directional secular variation curve », Physics of
the Earth and planetary Interiors, 218, p. 1-13. HERVÉ G., CHAUVIN A., LANOS P., 2013.
“Geomagnetic field variations in Western Europe from 1500 BC to 200 AD. Part II : New
intensity secular variation curve », Physics of the Earth and planetary Interiors, 218, p.
51-65.
12. Ce groupement de recherche a fonctionné sous l’égide du CNRS de 2005 à 2012
(pilotage Christian Sapin et Pierre Guibert). Il a regroupé des chronologues, des
historiens d’art et des archéologues du bâti de France, Italie, Belgique et Royaume-Uni.
Un couplage systématique inter méthodes et archéologie du bâti a été réalisé sur une
vingtaine de sites du haut Moyen Âge dont la construction est comprise entre le Ve et le
XIe siècle. Voir par exemple les articles suivants : SAPIN C., BAYLÉ M., BÜTTNER S., GUIBERT P.,
BLAIN S., LANOS P., CHAUVIN A., DUFRESNE P., OBERLIN C., 2008. « Archéologie du bâti et
archéométrie au Mont-Saint-Michel, nouvelles approches de Notre-Dame-sous-Terre »,
Archéologie Médiévale, 38, p. 71-122. BLAIN S., GUIBERT P., BAILIFF I., BOUVIER A., BAYLÉ M., 2010.
« Intercomparison study of luminescence dating protocols and techniques applied to
medieval brick samples from Normandy (France) », Quaternary Geochronology, 5, p.
311-316. BLAIN S., GUIBERT P., PRIGENT D., LANOS P., OBERLIN C., SAPIN C., BOUVIER A., DUFRESNE P.,
2011, « Dating methods combined to building archaeology : the contribution of
thermoluminescence to the case of the bell tower of St Martin’s church, Angers
(France) », Geochronometria, 38-1, p. 55-63. BLAIN S., LANOS P., BAILIFF I., GUIBERT P., SAPIN C.,
2014. « Fresh Approaches to the Brick Production and Use in the Middle Ages », in
Proceedings of the session ‘Utilization of Brick in the medieval period - Production, Construction,
Destruction’, held at the European Association of Archaeologists (EAA), Meeting 29
August - 1 September 2012, Helsinki, BAR International Series, 2611, p. 1-9. GUIBERT P.,
BAILIFF I.K., BAYLÉ M., BLAIN S., BOUVIER A., BÜTTNER S., CHAUVIN A., DUFRESNE P., GUELI A., LANOS L.,
MARTINI M., PRIGENT D., SAPIN C., SIBILIA E., STELLA G., TROJA O.,
2012, The use of dating methods for
the study of building materials and constructions : state of the art and current challenges,
Proceedings of the 4th International Congress on Construction History, Paris 3-7 July
2012, p. 469-480.
13. LIBBY W.F., ANDERSON E.C., ARNOLD J.R., 1949. «Age determination by radiocarbon
content : World-wide assay of natural radiocarbon», Science, 109 (2827), p. 227-228.
14. FRIEDRICH M., REMMELE S., KROMER K., HOFMANN J., SPURK M., KAISER K.F., ORCEL C., KÜPPERS M.,
2004. «The 12,460 year Hohenheim oak and pine tree ring chronology from central
Europe - A unique annual record for radiocarbon calibration and paleoenvironment
reconstructions», Radiocarbon, 46(3), p. 1111-1122.
15. REIMER P.J., BARD E., BAYLISS A., BECK J.W., BLACKWELL P.G., BRONK RAMSEY C., GROOTES P.M,
GUILDERSON T.P., HAFLIDASON H., HAJDAS I., HATTÉ C., HEATON T.J., HOFFMANN D.L., HOGG A.G., HUGHEN
K.A., KAISER K. F., KROMER B., MANNING S.W., NIU M., REIMER R.W., RICHARDS D.A., SCOTT E.M., SOUTHON
2013. « IntCal13 and Marine13 Radiocarbon
J.R., STAFF R.A., TURNEY C.S.M., VAN DER PLICHT J.,
Age Calibration Curves 0-50,000 Years cal BP », Radiocarbon, 55(4), p. 1869-1887.
260

16. LEROY S., L'HÉRITIER M., DELQUÉ-KOLIČ E., DUMOULIN J.P., MOREAU C., DILLMANN P., 2015.
« Consolidation or initial design? Radiocarbon dating of ancient iron alloys sheds light
on the reinforcements of French Gothic Cathedrals », Journal of Archaeological Science, 53,
p. 190-201.
17. DISSER A., DILLMANN P., LERO M., MERLUZZO P, LEROY S., 2016. « The bridge of Dieulouard
(Meurthe-et-Moselle, France) : a fresh perspective on metal supply strategies in
Carolingian economy», ArcheoSciences, 40, p. 149-161. LEROY S., HENDRICKSON M., BAUVAIS S.,
VEGA E., BLANCHET T., DISSER A., DELQUÉ-KOLIC E., 2017. « The ties that bind :
archaeometallurgical typology of architectural crampons as a method for
reconstructing the iron economy of Angkor, Cambodia (tenth to thirteenth c.) »,
Archaeological Anthropological Sciences, URL : https://doi.org/10.1007/s12520-017-0524-3.
HENDRICKSON M., LEROY S., 2020. « Sparks and needles : Seeking catalysts of state
expansions, a case study of technological interaction at Angkor, Cambodia (9th to 13 th
centuries CE) », Journal of Anthropological Archaeology, 57, 101141, URL : https://doi.org/
10.1016/J.JAA.2019.101141.
18. LABEYRIE J., DELIBRIAS G., 1964. « Dating of old mortars by the carbon-14 method »,
Nature, 201, p. 742.
19. HAJDAS I. , LINDROOS A., HEINEMEIER J., RINGBOM A., MARZAIOLI F., TERRASI F., PASSARIELLO I.,
CAPANO M., ARTIOLI G., ADDIS A., SECCO M., MICHALSKA D., CZERNIK J., GOSLAR T., HAYEN R., VAN
STRYDONCK M., FONTAINE L., BOUDIN M., MASPERO F., LAURA L., GALLI A., URBANOVÁ P., GUIBERT P.,
2017. « Preparation and Dating of Mortar Samples—Mortar Dating Inter-Comparison
Study (MODIS) », Radiocarbon, 59, 6, p. 1845-1858. doi :10.1017/RDC.2017.112. HAYEN R.,
VAN STRYDONCK M., FONTAINE L., BOUDIN M., LINDROOS A., HEINEMEIER J., RINGBOM A., MICHALSKA D.,
HAJDAS I., HUEGLIN S., MARZAIOLI F., TERRASI F., PASSARIELLO I., CAPANO M., MASPERO F., PANZERI L.,
GALLI A., ARTIOLI G., ADDIS A., SECCO M., BOARETTO E ., MOREAU C., GUIBERT P., URBANOVÁ P., CZERNIK J.,
2017. « Mortar Dating Methodology : Assessing Recurrent Issues
GOSLAR V, CAROSELLI M.,
and Needs for Further Research », Radiocarbon, 59, Special Issue 6 (8th International
Symposium, Edinburgh, 27 June - 1 July, 2016, Part 2 of 2), p. 1859-1871.
20. AITKEN M.J., 1985. Thermoluminescence dating. Academic Press, London, 359 p.
21. L’utilisation de la dosimétrie in situ, qui est la méthode la plus fiable et la plus
simple à mettre en œuvre pour le bâti, consiste à laisser dans les maçonneries étudiées
et aux endroits précis des prélèvements des capteurs de petites dimensions (des tubes
métalliques de quelques cm de long et de 15 mm de diamètre contenant des cristaux
dosimètres) durant plusieurs mois, voire une année. Ceci suppose bien évidemment une
disponibilité importante des zones d’échantillonnage.
22. BAILIFF I.K., HOLLAND N., 2000. « Dating bricks of the last two millennia from Newcastle
upon Tyne : a preliminary study », Radiation Measurements, 32(5-6), 615-619, DOI
10.1016/S1350-4487(99)00286-3. BAILIFF I.K., 2007. « Methodological Developments in the
Luminescence Dating of Brick from English Late-Medieval and Post-Medieval
Buildings », Archaeometry, 49(4), 827-851, DOI 10.1111/j.1475-4754.2007.00338.x.
23. Deux références historiques pour la mise en place de la datation OSL : HUNTLEY D.J.,
GODFREY-SMITH D.I., THEWALT M.L.W., 1985. « Optical dating of sediments », Nature, 313,
105-107. GODFREY-SMITH D.I., HUNTLEY D.J., CHEN W.H., 1988. « Optical dating studies of quartz
and feldspar sediment extracts », Quaternary Science Reviews, 7, 373-380.
261

24. VIEILLEVIGNE E., GUIBERT P., ZUCCARELLO A.R., BECHTEL F., 2006. « The potential of optically
stimulated luminescence for medieval building, a case study at Termez (Uzbekistan) »,
Radiation Measurements, 41, 991-994.
25. GUIBERT et al., 2012, op. cit.
26. GALLI A., ARTESANI A., MARTINI M., SIBILIA E., PANZERI L., MASPERO F., 2017. « An empirical
model of the sunlight bleaching efficiency of brick surfaces », Radiation Measurements,
107, 67-72, 10.1016/j.radmeas.2017.10.004.
27. LIRITZIS I., 2011. « Surface dating by luminescence : an overview », Geochronometria,
38(3), 292-302, DOI 10.2478/s13386-011-0032-7. GREILICH S., GLASMACHER U.A., WAGNER G.A.,
2005. « Optical dating of granitic stone surfaces », Archaeometry, 47-3, 645-665.
28. GLIGANIC L.A., MEYER M.C., SOHBATI R., JAIN M., BARRETT S., 2019. « OSL surface exposure
dating of a lithic quarry in Tibet; laboratory validation and application », Quaternary
Geochronology, 49, 199-204.
29. JAVEL J.B., URBANOVÁ P., GUIBERT P., GAILLARD H., 2019. « Chronological study of the chapel
Saint-Jean-Baptiste de la Cité », in Périgueux, France : contribution of mortar luminescence
dating to history of local Christianity, Archeologia dell’architettura, XXIV, 97-114.
30. GUIBERT et al., 2012, op. cit. ; BLAIN et al., 2010, BOUVIER A., REYNAUD J.F., GUIBERT P., BLAIN S.,
2013, « Interdisciplinary study of the early building phases of St Irénée’s church (Lyon,
France) : the contribution of luminescence dating », Archeosciences, 37, 155-171. GUIBERT
P., URBANOVÁ P., LANOS P., PRIGENT D., 2019. « La détection du remploi de matériaux dans la
construction ancienne : quel rôle pour les méthodes de datation? », Aedificare, 2018-2, 4,
89-118.
31. La rubéfaction thermique des pierres a été étudiée plutôt dans le domaine de la
Préhistoire, cependant, la transposition aux matériaux du bâti est tout à fait adaptée.
FERRIER C., DEBARD E., KERVAZO B., BRODARD A., GUIBER P., BAFFIER D., FERUGLIO V., GÉLY B., GENESTE
J.M., MAKSUD F.,2014, « Les parois chauffées de la grotte Chauvet-Pont d’Arc (Ardèche,
France) : caractérisation et chronologie », PALEO, 25, 59-78. BRODARD A., LACANETTE-PUYO D.,
GUIBERT P., LÉVÊQUE F., BURENS A., CAROZZA L., 2015. « A new process of reconstructing
archaeological fires from their impact on sediment : a coupled experimental and
numerical approach based on the case study of hearths from the cave of Les Fraux
(Dordogne, France) », Journal of Anthropological and Archaeological Sciences, DOI 10.1007/
s12520-015-0250-7. LACANETTE D., MINDEGUIA J.C., BRODARD A., FERRIER C., GUIBERT P., J.C. LEBLANC,
P. MALAURENT, C. SIRIEIX, 2017. « Simulation of an experimental fire in an underground
quarry for the study of Paleolithic fires », International Journal of Thermal Science, 120,
1-17.
32. GUIBERT P., BRODARD A., QUILÈS A., GENESTE J.M., BAFFIER D., DEBARD E., FERRIER C., 2015. « When
were the walls of the Chauvet Pont-d’Arc Cave heated ? A chronological approach by
thermoluminescence », Quaternary Geochronology, 29, 36-47.
33. JAVEL et al. 2019, op. cit.
34. TOFFOLO M., 2019. Communication personnelle.
35. HAJDAS et al., 2017, op. cit ; HAYEN et al., 2017 ; ADDIS A., SECCO M., PRETO N., MARZAIOLI F.,
PASSARIELLO I., BROGIOLO G.P., CHAVARRIA ARNAU A., ARTIOLI G., TERRASI F., 2016. « New strategies
for radiocarbon dating of mortars : Multi-step purification of the lime binder », in
PAPAYIANNI I., STEFANIDOU M., PACHTA V. ed., Proceedings of the 4th Historic Mortars Conference-
HMC 2016. Aristotle University of Thessaloniki (Greece). p. 665-672. ADDIS A., SECCO M., MARZAIOLI
262

2019. « Selecting the


F., ARTIOLI G., CHAVARRIA ARNAU A., PASSARIELLO I., TERRASI F., BROGIOLO G.P.,
most reliable 14C dating material inside mortars : The origin of the Padua Cathedral ».
Radiocarbon, 61, 375-393, DOI :10.1017/RDC.2018.147. URBANOVÁ P., BOARETTO E., ARTIOLI G.,
2020. The state-of-the-art of dating techniques applied to ancient mortars and binders : a
review, Actes du colloque MoDIM 2018 (Mortar Dating International Meeting), Bordeaux
25-27 octobre 2018, Radiocarbon, 62.
36. La distribution du temps d’exposition à la lumière suit en effet une loi exponentielle
décroissante, ce que l’on peut exprimer de la manière suivante : plus les grains ont été
exposés, plus ils sont rares. GUIBERT P., CHRISTOPHE C., URBANOVÁ P., BLAIN S., GUÉRIN G., 2017.
« Modeling incomplete and heterogeneous bleaching of mobile grains partially exposed
to the light : towards a new tool for single grain OSL dating of poorly bleached
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2020. Modeling Light Exposure Of Quartz Grains During Mortar Making : Consequences For
Optically Stimulated Luminescence Dating, Actes du colloque MoDIM 2018 (Mortar Dating
International Meeting), Bordeaux 25-27 octobre 2018, Radiocarbon, 62, DOI :10.1017/RDC.
2020.34.
37. Parmi les références bibliographiques sur le sujet, voici celles que nous avons
sélectionnées : ZACHARIAS N., MAUZ B., MICHAEL C., 2002. « Luminescence Quartz Dating of
Lime Mortars. A First Research Approach », Radiat Prot Dosimetry, 101, 379-382, URL :
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optically stimulated luminescence : a feasibility study », Geochronometria, 38 (1), 42-49.
38. L’IRAMAT-CRP2A est depuis le 1 er janvier 2022, Archéosciences Bordeaux :
Matériaux, Temps, Images et Sociétés.
39. URBANOVÁ P., HOURCADE D., NEY C., GUIBERT P., 2015. « Sources of uncertainties in OSL
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Gallien” in Bordeaux », Radiation Measurements, 72, 100-110. URBANOVÁ P., GUIBERT P., 2017.
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reference archaeological sites », Geochronometria, 44, 77-97.
40. DULLER G.A.T., BØTTER-JENSEN L., MURRAY A.S., TRUSCUTT A.J., 1999. « Single grain laser
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41. GUIBERT P. et al., 2017, 2020 en ligne, op. cit.
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Francelos y San Martiño de Pazó ». Arqueología de la Arquitectura, 14, e062, URL : DOI:
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263

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doi.org/10.1515/geochr-2015-0089. MOROPOULOU A., ZACHARIAS N., DELEGOU E.T.,
APOSTOLOPOULOU M., PALAMARA E., KOLAITI A., 2018. « OSL mortar dating to elucidate the
construction history of the Tomb Chamber of the Holy Aedicule of the Holy Sepulchre
in Jerusalem », Journal of Archaeological Science : Reports, 19, 80-91, URL : https://doi.org/
10.1016/j.jasrep.2018.02.024.
43. URBANOVÁ P., MICHEL A., CANTIN N., GUIBERT P., LANOS P., DUFRESNE P., GARNIER L., 2018. « A
novel interdisciplinary approach for building archaeology : The integration of mortar
“single grain” luminescence dating into archaeological research, the example of Saint-
Seurin Basilica, Bordeaux », Journal of Archaeological Science : Reports, 20, 307-323.
44. MICHEL A. avec la collaboration de BERRANGER C., CARTRON I., GENSBEITEL C., GUEZ J.C., GUIBERT
P., LEULIER R., LATASTE J.F., REGALDO P., SCHLICHT M., URBANOVÁ P., 2017. Saint-Seurin de Bordeaux :
un site, une basilique, une histoire, Editions In Situ, Ausonius éditions, 172 p.
45. GENSBEITEL C., 2017. « L’architecture de l’église romane », in MICHEL A. dir., Saint-Seurin
de Bordeaux, un site, une basilique, une histoire, 66-71.
46. SCHLICHT M., 2017. « La Chapelle Notre-Dame de la Rose », in MICHEL A. dir.., Saint-
Seurin de Bordeaux, un site, une basilique, une histoire., 99-102.
47. LANOS P., PHILIPPE A., 2017. « Hierarchical Bayesian modeling for combining dates in
archaeological context », Journal de la Société Française de Statistique, 158 (2), 72-88. LANOS
P., PHILIPPE P., 2018. « Event date model : a robust Bayesian tool for chronology
building », Communications for Statistical Applications and Methods (CSAM), 25-2, 131-157,
URL : https://doi.org/10.29220/CSAM.2018.25.2.131. LANOS P., DUFRESNE P., 2019.
ChronoModel version 2.0 : Software for Chronological Modelling of Archaeological Data using
Bayesian Statistics. Téléchargeable gratuitement sur le site https://chronomodel.com.
48. BOUVIER A., SAPIN C., GUIBERT P., BLAIN S., 2015. « Les apports de la chronologie par
luminescence : étude de la crypte de la collégiale Saint-Seurin de Bordeaux », in Actes
du colloque de l'Association Française d'Archéologie Mérovingienne, Bordeaux octobre
2009, Aquitania, suppl. 34, p. 469-478. STELLA G., FONTANA D., GUELI A., TROJA O., 2014.
« Different approaches to date bricks from historical buildings ». Geochronometria, 41-3,
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49. URBANOVÁ P. et al., 2018, op. cit.
50. GUIBERT P. et al., 2020 en ligne, op. cit.

RÉSUMÉS
Aujourd’hui en 2020, plusieurs méthodes physiques de datation sont applicables pour
l’archéologie des monuments : dendrochronologie, radiocarbone, archéomagnétisme,
luminescence. Le spectre des matériaux dont la fabrication ou la mise en œuvre sont susceptibles
d’être datées est large : bois d’œuvre, mortiers et enduits, terres cuites architecturales, éléments
ferreux (par radiocarbone), pierres de construction, terre crue. Ainsi de nombreuses situations
sont accessibles à la datation : édification, remplois de matériaux, réfections, incendies etc. Parmi
264

les innovations les plus significatives de cette dernière décennie, la datation des mortiers par
luminescence optiquement stimulée (mode monograin ou « single grain OSL dating », SG-OSL)
constitue une avancée majeure pour l’archéologie des bâtiments, en raison de sa portée générale
et de son lien direct avec l’édification. Avec l’exemple de l’étude de la crypte de la basilique Saint-
Seurin de Bordeaux, nous décrivons la mise en œuvre d’une recherche interdisciplinaire et nous
discutons de la façon dont ont été mises en commun les données chronologiques issues des
méthodes physiques et des approches archéologiques ou historiques du bâtiment, en vue de
déterminer la chronologie de la séquence d’événements.

Today, in 2020, several dating methods can be applied as tools for the archaeology of
monuments : dendrochronology, radiocarbon, archaeomagnetism and luminescence dating. A
variety of materials the manufacture or the last use of which can be dated : wood pieces, plaster
and mortar, architectural ceramics, iron alloy elements (by radiocarbon), stones, earthen
structures. As a result, many situations can be chronologically characterized, for instance
edification, reuse of materials, repairs, fires… Among the most significant innovations of the last
decade in the archaeometric research field, we highlight mortar dating using optically stimulated
luminescence (according to the single grain technique, SG-OSL). Indeed, mortar dating is of
fundamental importance because it is directly linked with the construction and can be of general
use. An interdisciplinary research is described with the example of the study of the Crypt of the
Saint-Seurin Basilica in Bordeaux. We discuss about the way all chronological data, resulting
from dating methods and historical or archaeological approaches as well, were used to determine
the chronology of the event sequence of the crypt.

INDEX
Mots-clés : datation, matériaux de construction, mortiers, modèle chronologique, Saint-Seurin
Bordeaux
Keywords : dating, building materials, mortar, chronological model, Saint-Seurin Bordeaux

AUTEURS
PIERRE GUIBERT

Chercheur associé, Université Bordeaux Montaigne, UMR 6034 Archéosciences Bordeaux


(anciennement UMR 5060 IRAMAT-CRP2A).
pierre.guibert@u-bordeaux-montaigne.fr

PETRA URBANOVÁ

Chercheuse post-doctorante, Dipartimento dei Beni Culturali : archeologia, storia dell’arte, del
cinema e della musica (dBC) – Università degli Studi di Padova ; Université Bordeaux Montaigne,
UMR 6034 Archéosciences Bordeaux (anciennement UMR 5060 IRAMAT-CRP2A).
urbanpetra@seznam.cz
265

Le chevet de l’abbatiale de Saint-


Gilles-du-Gard : l’apport du relevé à
l’étude d’un chantier monumental
dans le Sud de la France à la fin du
XIIe siècle
The choir of the abbey of Saint-Gilles-du-Gard (France) : the contribution
of the survey to the study of a monumental site in the South of France at
the end of the 12th century

Andreas Hartmann-Virnich, Heike Hansen et Götz Echtenacher

1 Il n’est guère besoin de présenter ici les programmes de recherche archéologique


pluriannuels qui ont permis, depuis leur inauguration en 2009, de refondre entièrement
l’histoire monumentale de l’ancienne abbaye de Saint-Gilles en Camargue (Fig. 1), dont
nous avons plusieurs fois commenté les résultats à l’occasion de colloques, dans des
revues et autres publications collectives, ainsi que dans des bilans intermédiaires et des
rapports annuels d’opération1. La démarche scientifique en équipe, dont le cahier des
charges et le contexte opérationnel ont évolué pas à pas avec la préparation puis
l’avancement des travaux de restauration du monument que les recherches
archéologiques sont destinées à précéder, accompagner et de soutenir, s’appuyait sur
un programme de relevé multiforme réalisé d’une part dans le cadre des études
d’élévation hors-sol et, d’autre part, en accompagnement des chantiers de fouille
programmée et préventive conduites dans plusieurs secteurs de l’ancien monastère, et
en premier lieu à l’intérieur et aux abords immédiats de l’église abbatiale romane. Les
vestiges de l’ancien édifice monastique démantelé ou fortement transformé depuis le
XVIIe siècle n’offrent aujourd’hui qu’une vision très partielle et fragmentaire de
l’architecture de ce qui fut, à la fin du XIIe siècle, l’une des plus vastes et des plus
prestigieuses églises du Sud de la France, centre d’un pèlerinage à l’échelle européenne2
dont la réputation avait atteint dès la XIIe siècle la lointaine Russie3.
266

Fig. 1a et b. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, façade occidentale avec soubassement, relevé


manuel pierre-à-pierre de l’élévation à l’échelle 1/20 (H. Hansen, 1999-2002).

2 Conçu et commencé dans le dernier tiers ou quart du XIIe siècle, le projet de la grande
église fut modifié sans cesse au cours d’une mise en œuvre tourmentée, qui aboutit en
premier lieu à l’ordonnance dissymétrique et hétérogène de la vaste église inférieure
par laquelle le chantier avait débuté. L’édifice, dont l’emprise au sol équivalait, non par
hasard, à celle de Saint-Sernin de Toulouse sans son massif occidental (Fig. 2), était
composé d’une nef à trois vaisseaux, longue de six travées, d’un transept non saillant et
d’un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes qui était séparé du transept par
une travée droite dans le prolongement de celles de la nef. Les premières chapelles du
267

chevet au nord et au sud de l’hémicycle, parallèles à l’axe, formaient une sorte de


second transept de moindre largeur à l’instar des parties orientales de Saint-Benoît-
sur-Loire et de Cluny III, un choix rétrospectif qui inscrivait Saint-Gilles dans une
tradition bénédictine associée à l’époque de la réforme grégorienne, magnifiée par des
dimensions hors norme et un décor architectural élaboré : à l’ouest, la large façade
surpassait toutes les autres du Midi par l’ampleur et la qualité de son décor sculpté,
deux autres portails monumentaux ouvrant sur les deux bras du transept.

Fig. 2. Saint-Gilles (rouge) et Saint-Sernin de Toulouse (noir) : superposition des plans (H. Hansen,
2017, d’après le relevé tachéométrique de H. Hansen et P. Roques, aimablement mis à disposition par
A. Boussoutrot et J.-L. Rebière).

3 Du chevet de l’abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard, endommagé puis démonté en


plusieurs phases du XVIe au XIX e siècle 4, il ne subsiste aujourd’hui que les premières
assises d’une majeure partie de son pourtour (Fig. 3), complètement arasées à hauteur
de l’ancien portail méridional du transept, ainsi qu’un reste d’élévation autour du
célèbre escalier en vis dont la voûte en berceau hélicoïdal, prototype éponyme de la
« vis de Saint-Gilles », valut à cette partie de l’édifice insigne d’être sauvée d’une
destruction complète au début du XIXe siècle. Aux proportions monumentales du
chevet s’ajoutaient la finesse de la modénature, la qualité du moyen appareil
partiellement dichrome faisant appel à plusieurs types de pierre, et le style antiquisant
de la sculpture (Fig. 4), conçus pour distinguer une architecture d’exception. L’état très
fragmentaire de cet ensemble, trop lacunaire pour permettre une restitution des
élévations en tous points, exigeait d’emblée une étude archéologique exhaustive. Celle-
ci devait d’une part, être attentive aux moindres indices susceptibles de renseigner sur
la mise en œuvre de l’ouvrage dont les incohérences perceptibles reflètent, à une
moindre échelle, celles de l’ordonnance des systèmes de voûtement de la crypte, et
d’autre part être en mesure de reconstruire les élévations perdues dans un espace
virtuel tridimensionnel aussi proche que possible de la géométrie réelle des vestiges.
268

Fig. 3. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet (cl. A. Hartmann-Virnich, 2015).

Fig. 4. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, chapelle nord du chevet : chapiteau corinthien (cl. A.
Hartmann-Virnich, 2017).

4 Pour répondre aux différents enjeux de l’étude, plusieurs types de relevé


complémentaires ont été mis en œuvre : le relevé pierre-à-pierre au tachéomètre laser5,
réalisé in situ à l’aide du logiciel TachyCad 6, dénominateur commun de l’ensemble des
269

études monumentales à Saint-Gilles (Fig. 5), enregistre la réalité dimensionnelle et


spatiale des contours structurels ciblés pour l’étude selon un protocole commun,
fournissant ainsi un canevas global qui se décline sous la forme de coupes et de plans
dans lesquels sont incorporés les signes lapidaires et d’autres observations relatives à la
construction (Fig. 6). À la différence d’un décalque d’appareil retracé à partir d’une
orthophotographie ou d’une photographie redressée, ce type de relevé est réalisé sur
site et constitue de ce fait un protocole d’observation de visu, fait par le moyen de la
puissante lunette de visée de l’outil qui permet de scruter à distance la surface murale à
une très haute définition et de distinguer comme de mesurer clairement les contours
des éléments pris en compte. Outre la couverture orthophotographique qui complétait
le relevé au tachéomètre pour documenter l’aspect, la texture, les teintes des variétés
de la pierre et l’état des élévations, un troisième volet du relevé numérique consistait,
pour l’ensemble des vestiges du chevet, en trois campagnes stéréophotogrammétriques
3D. La première7, réalisée en amont de la restauration, avait pour but de conserver sous
forme d’une visite virtuelle la mémoire de la disposition des sarcophages et du lapidaire
antique et médiéval déposé et exposé depuis le début des années 1840 dans l’ancien
chevet converti alors en musée de plein air après le dégagement de ses vestiges. Le
second relevé tridimensionnel8 (Fig. 7) dut servir de point de départ pour l’anastylose
virtuelle, fondée sur l’étude archéologique des élévations et sur une étude comparative
de grande envergure, fruit d’un dialogue permanent entre les deux architectes-
archéologues et l’archéologue historien de l’architecture du noyau dur de l’équipe. Un
autre relevé photogrammétrique par corrélation épipolaire dense (Fig. 8 a et b) fut
réalisé dans le cadre d’une étude spécifique de la géométrie de l’escalier en vis et de ses
parallèles régionaux dans l’architecture romane tardive méridionale9.

Fig. 5 : Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, coupe longitudinale ouest-est du collatéral nord (H.
Hansen, C. Kaffenberger, 2009-2011).

Fig. 6. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, coupe longitudinale (bas-côté sud), relevé pierre-à-
pierre au tachéomètre, cartographie des signes lapidaires par code couleur (H. Hansen, 2009-2011).
270

Fig. 7. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet, photogrammétrie 3D en version


monochrome (G. Echtenacher, 2017).

Fig. 8a. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet, escalier en vis, photogrammétrie
par corrélation épipolaire dense, coupe (M. Seguin, 2015).
271

Fig. 8b. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet, escalier en vis, photogrammétrie
par corrélation épipolaire dense, orthophotographie de la voûte en berceau hélicoïdal avec le
voûtement de l’entrée (M. Seguin, 2015).

5 À côté et au-delà de l’approche numérique de l’objet, plusieurs formes


d’enregistrement manuels accompagnent l’étude systématique des vestiges selon trois
axes complémentaires : le premier, conduit de manière exhaustive en parallèle au
relevé tachéométrique, consiste en un relevé pierre-à-pierre détaillé tracé in situ, sans
échelle (Fig. 9) mais complété par des mesures prises sur le bâti en vue de l’approche
dimensionnelle précise de l’appareil, de la modénature et du décor, et d’une
vérification ultérieure du relevé orthophotographique. En réduisant le temps
nécessaire à l’élaboration graphique ad hoc d’un document à l’échelle, en soi
dispensable car pris en charge par les relevés numériques, tout en prenant, au sens
propre et figuré, la mesure de la réalité dimensionnelle de l’objet à la main, le
dessinateur s’oblige à focaliser toute son attention sur l’analyse de visu des structures
en cartographiant au plus haut degré de précision possible la nature des observations
et des constats dont la description, la caractérisation et l’analyse stratigraphique sont
consignés dans un catalogue connexe. Le protocole graphique est néanmoins tracé de
manière à reproduire les proportions pour permettre le cas échéant une présentation
synoptique avec un relevé à l’échelle. En réponse aux enjeux spécifiques de la
documentation, de l’étude fine et de la communication selon un principe adopté dans
une large mesure pour les murs du côté sud de l’église inférieure (Fig. 10) et des anciens
bâtiments monastiques, un relevé manuel partiel à l’échelle du 10e a été réalisé grâce à
la présence d’échafaudages sur la face intérieure du mur gouttereau nord qui constitue
l’unique fragment complet de l’élévation d’un des deux collatéraux du chevet (Fig. 11 a
et b). Le programme était accompagné d’un décalque manuel de l’ensemble des signes
lapidaires (Fig. 12) dont l’approche et le contact physique avec l’épiderme de la pierre
altérée par l’érosion permirent de corriger en plusieurs points les relevés faits à
272

distance à trois reprises, et de mesurer l’impact de l’éclairement variable sur la


visibilité, la lisibilité et la distinction morphologique des signes partiellement effacés
par la détérioration du parement (Fig. 13).

Fig. 9. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet, élévation du mur latéral du bas-
côté nord : synopsis du relevé tachéométrique pierre-à-pierre et du schéma pierre-à-pierre manuel du
protocole d’analyse stratigraphique.

Fig. 10. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, collatéral sud de la crypte, parement intérieur du mur
gouttereau : détail du relevé manuel pierre-à-pierre à l’échelle 1/10 (H. Hansen, 2010).
273

Fig. 11. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet, élévation du mur latéral du bas-
côté nord, parement intérieur : détail du relevé manuel pierre-à-pierre à l’échelle 1/10 (H. Hansen,
2017).

Fig. 12. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : minutes brutes du décalque des
signes lapidaires (A. Hartmann-Virnich, 2017).
274

Fig. 13. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : signe lapidaire du parement
extérieur occidental de l’escalier en vis (cl. A. Hartmann-Virnich, 2017).

6 « Ce que je n’ai pas dessiné je ne l’ai point vu » : le judicieux constat du jeune Goethe10
confirme une réalité cognitive qui se trouve aujourd’hui menacée par la facilité d’un
accès permanent et illimité à la photographie, la photogrammétrie et
l’orthophotographie voire au scanner 3D qui tendent – corollaire d’un mouvement
général vers la virtualisation et la dématérialisation – à se substituer à l’objet réel et à
son approche par le dessin et par l’écrit : comparée à la production instantanée d’un
fac-simile numérique de l’aspect et de la géométrie des surfaces de l’objet qui ne
constitue pas en soi un protocole d’analyse, le principal enjeu et intérêt du relevé
pierre-à-pierre manuel et de la prise de mesures systématique que ce dernier nécessite,
réside dans l’attention constante et égale que ce mode d’acquisition « active » impose à
l’observation physique et au diagnostic archéologique de l’ensemble des surfaces
murales. La qualité de cette lecture archéologique dépend alors du degré de précision
et de l’exhaustivité systématique de cette approche analytique tout comme de
l’expérience, de la perspicacité et de l’œil de l’intervenant. Ils favorisent de ce fait la
découverte, l’analyse et la compréhension de détails susceptibles d’échapper à
l’interprétation stratigraphique à partir d’une photographie, orthophotographie ou
photogrammétrie ou d’un nuage de points scannergraphique par superposition de
calques, habituellement réalisés à distance et donc sans contact avec l’objet. En
retraçant pas à pas l’ensemble de l’appareil, des traces d’outil, des joints, du cours des
assises, de l’assemblage, des lésions et des altérations de surface et des modifications,
destructions et ajouts, l’archéologue ne peut négliger d’emblée ou délaisser ce qui lui
semblerait dispensable au premier abord, à la différence d’un décalque analytique qui
implique le risque d’une interprétation sélective de l’objet. Loin d’être rendu obsolète
par l’essor des méthodes numériques, le relevé manuel s’avère, de ce point de vue, tout
à fait complémentaire à ces dernières, voire indispensable pour l’analyse du bâti en
milieu confiné et mal éclairé – niveau d’échafaudage, cave, espace exigu et sombre… –
sans support photogrammétrique ou scannergraphique approprié. Il reste néanmoins
275

une méthode chronophage réservée en premier lieu à la recherche fondamentale


programmée11.
7 Nous ne pouvons, dans le cadre restreint de notre article, présenter que quelques
données que les programmes de relevé ont mises en évidence au cours d’une longue
étude qui a livré une image éminemment détaillée et complexe de la mise en œuvre du
chevet de l’abbatiale de Saint-Gilles, qui constituait un chantier à part conduit
conjointement avec ceux de la crypte et du niveau inférieur de la nef 12. Le relevé
tachéométrique général du monument a révélé le contraste entre, d’une part, deux
systèmes d’axe discordants inhérents au plan des structures de la nef, très irrégulier et
marqué par un grand nombre de changements d’axe dans les assises des fondations et
des élévations, et, d’autre part, un troisième système, partiellement autonome, qui était
réservé au seul chevet (Fig. 14). Le relevé manuel des élévations, particulièrement
attentif aux anomalies qui se manifestent au point de rencontre entre la travée droite
et le départ de l’hémicycle, a documenté un tassement inégal des structures de part et
d’autre, des différences d’appareil, et de subtiles variations de modénature, de hauteur
d’assise et de matériau lithique entre le cordon du socle de base du collatéral du chevet
et le départ du déambulatoire demi-circulaire. L’emboîtement du second dans le
premier, réalisé au fur et à mesure de la mise en œuvre avec des pierres de raccord
taillées à la demande, ne se trouve pas à la même hauteur au nord et au sud, où le socle
du collatéral est inférieur de 22 cm à la moulure jointive du rond-point (Fig. 15 a et b) :
ce dénivellement qui suivait la déclivité du terrain résultait non seulement de la
difficulté de l’aplanir, mais elle était certainement renforcée par le tassement inégal
qui avait affecté dès le départ des travaux de construction tout le côté méridional de la
grande église, et qui se manifestait jusque dans l’espace de l’ancien transept,
notamment par une fissuration des remblais accumulés au cours du chantier13.

Fig. 14. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, plan général (H. Hansen, 2009-2017) : désaxement
des murs gouttereaux.
276

Fig. 15 a et b. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : raccord à la rencontre du


collatéral sud et de l’hémicycle, photographie et relevé schématique (A. Hartmann-Virnich, 2017).

8 Le relevé du lit d’attente des fondations de l’hémicycle, qui affleurait sous le gravier
marquant le niveau de circulation établi depuis le milieu du XIXe siècle, livrait les
indices d’une pose des maçonneries d’ouest en est à partir de chacun des collatéraux,
avec une augmentation de l’épaisseur de la fondation périphérique demi-circulaire du
277

déambulatoire entre l’entrée des chapelles nord (239 cm) et sud (208 cm) et l’hémicycle
(252-254 cm), et le raccord de plusieurs ensembles maçonnés individuellement dans la
fourrure (Fig. 16 a et b). À plusieurs endroits le lit d’attente de la fondation conserve
des lignes incisées courbes et droites, tracées au moyen d’un cordeau ou d’une chaîne
d’arpenteur pour marquer la position des élévations en pierre de taille, qui furent
réalisées ensuite selon un plan partiellement discordant (Fig. 17) pour lequel les
irrégularités du lit d’attente du stylobate furent ici et là corrigées par une taille en
réserve pour la mise en place de la première assise hors sol. Ces lignes constituaient les
indices matériels les plus évidents d’un procédé de transposition du tracé géométrique
sur le terrain à bâtir qui fut employé pour l’ensemble de l’ouvrage, et dont les signes
n’avaient pas été identifiés au cours des premiers travaux de relevé tachéométriques et
manuels. Par la suite, un nettoyage et relevé attentif de la fondation du pilier sud-est de
la croisée dégagé en 2017-2018 au cours des sondages archéologiques dans le collatéral
sud du chevet14, permit de comprendre le caractère intentionnel et systémique d’un
procédé constructif qui consistait à tailler des encoches de part et d’autre des angles de
la semelle débordante pour déterminer l’axe des faces du socle du support à mettre en
œuvre (Fig. 18 a et b). Elles servaient de toute évidence au positionnement de cordages
lestés aux deux extrémités pour les tendre, conformément à un usage décrit dans la
célèbre allégorèse d’Hugues de Saint-Victor (avant 1141) : « regarde l’œuvre du maçon.
Après avoir posé les fondations, il tend le fil en ligne droite, descend le fil à plomb, et
pose ensuite des pierres soigneusement taillées dans l’ordre »15. De même, le récit de la
fondation de l’abbatiale de Cluny III (1113/1114) évoque le songe du moine Gunzo dans
lequel ce dernier voit saint Pierre « tenir et tendre les cordes et poser les bornes » pour
l’implantation de la grande abbatiale de Cluny III selon des mesures définies au
préalable16.
278

Fig. 16a et b. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : fondation demi-circulaire du


déambulatoire (A-B) et sa fusion avec les fondations massives (D) et non massives (C) des chapelles
rayonnantes mineures et majeures (plan tachéométrique, H. Hansen, 2009-2017).

Fig. 17. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : lignes gravées dans le lit d’attente
des fondations pour le tracé des élévations hors sol (cl. A. Hartmann-Virnich, 2015).
279

Fig. 18a. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : pilier sud-est de la croisée, face
occidentale avec les fondations.

Fig. 18b. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : pilier sud-est de la croisée,
encoches incisées dans le lit d’attente de la fondation saillante pour le positionnement de cordages
définissant l’alignement des élévations hors sol (cl. A. Hartmann-Virnich, 2018).

9 Le relevé pierre-à-pierre détaillé des deux parements du mur du rond-point, réalisé de


visu et manuellement au cours d’un long intervalle avec un éclairage variable des
280

surfaces murales, a permis de repérer et de comprendre la fonction de plusieurs


marques en L et en T incisées à une même hauteur dans le parement extérieur et
intérieur (Fig. 19), confondues dans un premier temps avec des signes lapidaires qui
sont pourtant absents de cette partie spécifique du chevet de l’église, à la différence
notable des élévations des chapelles qui lui font face. Positionnées à une même hauteur
en dessous du lit d’attente de l’avant-dernière assise sous les dalles du stylobate (Fig. 20
- B), ces encoches qui n’étaient en partie identifiables qu’à la suite de l’analyse de
l’ensemble, car très érodées, marquaient en fait un système d’axes rayonnants qui
convergeaient au centre de l’hémicycle absidal et qui définissaient avec précision la
position de l’axe longitudinal, les interstices entre les chapelles rayonnantes et
l’emplacement et le rythme des supports (Fig. 21). Un rétrécissement d’angle du
schéma rayonnant à la rencontre du déambulatoire avec le collatéral sud confirme la
conception autonome du plan de l’hémicycle dont la régularité géométrique entrait
forcément en conflit avec la convergence accidentelle et aléatoire des deux murs
gouttereaux. Les marques d’axe supposent une mise en place au préalable du mur-
bahut de l’abside dès avant le tracé du plan du déambulatoire et des chapelles, à partir
du même centre. Le rôle privilégié du premier allait de pair avec l’emploi ciblé de
matériaux différents : une alternance systématique de deux variantes, sombre et claire,
du calcaire dur de Barutel ou de Roquemaillère (Fig. 22) pour le stylobate et les bases
des piliers à double et à quadruples colonnes de l’abside, et la molasse de Beaucaire
pour la modénature du déambulatoire et des chapelles, dont l’appareil se distingue
entre autres par la présence de signes lapidaires.

Fig. 19. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : mur-bahut du rond-point,


parement extérieur, schéma pierre-à-pierre stratigraphique en développement (partie sud) avec
emplacement des marques pour le positionnement des chapelles rayonnantes (A. Hartmann-Virnich,
2017).
281

Fig. 20. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : mur-bahut du rond-point,


parement intérieur. Marques pour le positionnement du support du rond-point (B) et encoches de profil
triangulaire incisées sous le lit de pose (A) (A. Hartmann-Virnich, 2017).

Fig. 21. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet. Plan restitué avec le
positionnement des axes rayonnants à partir des repères gravés sur les parements extérieur et
intérieur du mur-bahut (H. Hansen, A. Hartmann-Virnich, 2017).
282

Fig. 22. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : base du pilier sud-ouest du rond-
point : appareil dichrome (cl. A. Hartmann-Virnich, 2017).

10 En élévation, d’autres détails relevés et analysés au cours de la longue campagne


manuelle renseignent sur les stratégies de la fourniture des matériaux et de leur mise
en œuvre : les grandes dalles du stylobate, ajustées à joints secs avec une précision
extrême, furent mises en place à l’aide de coins engagés dans des encoches de profil
triangulaire incisées sous le lit de pose (Fig. 20 - A), ce qui permettait de soulever les
dalles et de faciliter ainsi leur ajustage avant de retirer les cales. Le relevé manuel
systématique de la modénature au conformateur17 (Fig. 23) met en évidence des
variations imperceptibles dues sans doute à la répartition des tâches.
283

Fig. 23. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet : profil des bases des supports,
relevé manuel au conformateur (A. Loulelis, 2016-2017).

11 À partir de la mi-hauteur de l’oculus du collatéral nord, le relevé manuel a mis en


évidence le passage à une alternance de trois gabarits d’assise standardisés (Fig. 24),
conditionnée probablement par la mise en œuvre de la voûte hélicoïdale en pierre de
taille de l’escalier en vis. Si la construction de cette voûte ascendante se distingue par
une régularité si remarquable qu’elle valut à cet ouvrage d’exception sa réputation
d’exemple éponyme18, la stéréotomie des voussoirs, soumise à un examen et relevé
attentifs et à une prise de mesures des assises et des pierres individuelles, s’est avérée
moins parfaite que ne le voudrait la réputation pluriséculaire de l’ouvrage, dans la
mesure où la largeur de l’assise n’est ni uniforme ni toujours constante19, et puisque la
mise en place des voussoirs nécessita des retailles d’ajustement, certes menues et donc
très discrètes. Une dichromie à peine perceptible des assises de cette voûte s’accorde à
celle des arcs, des baies et des voûtains de l’ensemble, et s’inscrivait donc dans un
concept technique et esthétique pour l’ensemble de l’ouvrage. L’accès aux élévations
pendant la présence des échafaudages permit d’étudier en détail l’emploi systématique
d’agrafes de fer scellées au plomb (Fig. 25) – probablement forgées sur place d’après les
traces d’une intense activité métallurgique identifiées lors de la fouille du bras sud du
transept20 – pour liaisonner entre elles les pierres de parement de la tourelle
cylindrique qui accueille la partie saillante de la cage d’escalier. Les techniques de mise
en œuvre de cette partie de l’édifice se rapprochent ainsi de celles du portail nord du
transept et de la façade occidentale, où le fer fut utilisé couramment pour la
consolidation du décor sculpté, auquel les chapiteaux et consoles du chevet encore
conservés in situ sont étroitement apparentés21. Dans le contexte d’une mise en œuvre
soignée et méthodique qui dut faire face aux aléas de l’évolution du projet architectural
au cours du chantier, le relevé manuel et l’étude stratigraphique détaillés des parties
hautes ont permis de préciser que la forme initialement prévue pour le couvrement
consistait en des voûtes d’arêtes. La réalisation de ce voûtement fut abandonnée dans le
284

collatéral et la première chapelle au profit de croisées d’ogives (Fig. 26), dont les
puissantes nervures de section rectangulaire, ornées de rubans plissées, et le doubleau
sculpté d’oves et dards, font écho à ceux des voûtes contemporaines de la crypte. La
retaille en réserve du mur au-dessus du faux triforium aveugle qui en rehausse l’étage
pour ménager un appui pour le voûtain de la croisée d’ogives fut réalisée en
ravalement, sans doute selon un procédé identifié très récemment grâce à l’étude et au
relevé manuel à haute définition d’un monument contemporain, la chapelle Saint-
Gabriel près de Tarascon (Fig. 27) : ici, les contours du mur qui devaient épouser
l’intrados de l’arc brisé du sommet de la façade occidentale furent tracés in situ en
faisant pivoter une perche dont l’extrémité arrondie s’engageait dans des cupules
taillées dans la face supérieure de la corniche formant cordon d’imposte. Indétectables
sur une orthophotographie, ces petits creux en cuvette ne sont qu’un exemple des
traces discrètes de la mise en œuvre qui échappent à l’étude à distance, et dont
l’interprétation ne peut guère se passer du contact physique.

Fig. 24. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet, élévation du mur latéral du bas-
côté nord, parement intérieur : détail du relevé manuel pierre-à-pierre à l’échelle 1/10 (H. Hansen, 2017)
avec repérage des hauteurs d’assise récurrentes (A. Hartmann-Virnich).
285

Fig. 25a et b. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet, enveloppe extérieure de


l’escalier en vis : pierres de parement éclatées par la corrosion, l’expansion et la contraction des
agrafes de fer (cl. A. Hartmann-Virnich, 2018, 2017).
286

Fig. 26. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet, élévation du mur latéral du bas-
côté et de la première chapelle nord, retombée des croisées d’ogives (cl. A. Hartmann-Virnich, 2017).

Fig. 27. Saint-Gabriel, façade occidentale, relevé pierre-à-pierre manuel à l’échelle 1/10 (H. Hansen,
2019).

12 Les incohérences d’un voûtement disproportionné, prises en compte et assumées par


les bâtisseurs, contrastaient avec les voûtes d’arêtes qui furent maintenues pour le
287

déambulatoire, un voûtement dont la forme hypothétique ne pouvait être restituée


qu’avec une relative probabilité, voire certitude, par la reconstruction
tridimensionnelle virtuelle. Celle-ci prenait la forme d’une anastylose numérique à
partir du relevé photogrammétrique des vestiges, et fit l’objet d’un dialogue constant
entre les différents acteurs et partenaires du projet pour confronter les données
archéologiques avec la réalité dimensionnelle de la reconstruction hypothétique (Fig.
28 A-E). Il s’agissait d’imaginer à partir d’une vaste enquête comparative non seulement
la forme des parties disparues sans laisser de trace, mais aussi la place du projet dans
l’histoire de l’architecture des chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes du XIe
au début du XIIIe siècle, à partir de deux de ses références probables, ceux de Saint-
Sernin de Toulouse22 et du Saint-Sépulcre 23. Quant à l’étage, l’analyse des dernières
assises en place conclut à un arrêt de chantier au-dessus du niveau des terrasses du
déambulatoire plutôt qu’à une destruction pendant les guerres de Religion, confirmant
ainsi les sources du début du XVIe siècle qui affirment que l’édifice était resté inachevé
et que la somme colossale de 100000 livres aurait été jugée nécessaire pour en terminer
les parties hautes.
288
289

Fig. 28 A-E. Saint-Gilles-du-Gard, ancienne abbatiale, vestiges du chevet, restitution 3D du premier


niveau jusqu’à la hauteur d’arase hypothétique de l’abandon du chantier au XIIIe siècle (G. Echtenacher,
A. Hartmann-Virnich, H. Hansen, infographie G. Echtenacher, 2017).

13 Le cas des recherches archéologiques sur les vestiges de l’abbaye de Saint-Gilles – tant
de l’église que, à plus forte raison, des bâtiments monastiques conservés dans un état
extrêmement fragmentaire et remanié – démontre le rôle-clef du relevé sous toutes ses
formes numériques et analogues, non seulement pour l’analyse structurelle,
290

dimensionnelle et stratigraphique de la construction, mais aussi pour la


communication et, notamment, la présentation et discussion des résultats des
recherches aux acteurs de la restauration et mise en valeur du monument. La
réalisation conjointe de plusieurs types de relevé au service de l’étude archéologique a
pris acte des performances et possibilités complémentaires des nouvelles technologies
et des méthodes manuelles dites « traditionnelles » dont les avantages se situent dans
des domaines différents : rapidité de la réalisation, homogénéité, neutralité et précision
dimensionnelle de l’avatar virtuel de l’objet de l’étude pour les uns ; stimulation de la
discipline cognitive, éducation du regard analytique, souplesse de la transcription et
cartographie stratigraphique des observations issues de l’analyse de visu de l’objet réel
pour les autres. Et si le perfectionnement des nouveaux outils numériques en
développement ouvre de nouvelles voies, notamment pour la lecture fine, à l’échelle
microscopique, de la surface des pierres avec leurs traces d’outils, signes lapidaires et
lésions, la révolution technologique qui transforme l’archéologie ne saurait remplacer
ou rendre dispensable l’intelligence de l’œil humain, bien au contraire.

NOTES
1. La bibliographie complète étant beaucoup trop importante pour être citée de
manière exhaustive nous renvoyons à quelques travaux significatifs : HARTMANN-VIRNICH
A., HANSEN H., « L’espace claustral roman de l’ancienne abbaye de Saint-Gilles :
recherches archéologiques sur un ensemble monumental déchu », in HARTMANN-VIRNICH
A. dir., De Saint-Gilles à Saint-Jacques. Recherches archéologiques sur l’art roman. De Saint-
Gilles à Saint-Jacques. Actes du colloque de Saint-Gilles-du-Gard, 8-10 novembre 2018,
Éditions Marion Charlet / Saint-Gilles du Gard, "Ligne de mire", Avignon, 2021 ;
HARTMANN-VIRNICH A., HANSEN , H., « L’abbatiale de Saint-Gilles : regards archéologiques sur
le chantier roman », in Ibidem, p.75-93 ; HARTMANN-VIRNICH A., ECHTENACHER G., HANSEN H.,
« À la recherche du chœur perdu : le chevet de l’abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard »,
Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 49 : Les grandes abbayes et l’art roman, 2018, p. 169-193 ;
HARTMANN-VIRNICH A. , HANSEN H. , « Le fer et le plomb à l’abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard
et à Saint-Trophime d’Arles : deux cas de « pierre armée » dans l’architecture romane
méridionale » in JURKOWICZ M. éd., De la passion à la création. Hommage à Alain Erlande-
Brandenburg, Zagreb-Motovun, 2018 (« Hortus Artium Medievalium, Dissertationes et
Monographiae », 9), p. 127-137 ; HARTMANN-VIRNICH A., HANSEN H., « L’ancienne abbaye de
Saint-Gilles-du-Gard. Nouvelles recherches archéologiques sur un monument majeur de
l’art roman », Bulletin monumental, 4, 2013, p. 291-406 ; Id., « La façade de l’abbatiale de
Saint-Gilles-du-Gard : nouvelles recherches sur la construction d’un chef d’œuvre de
l’art roman », Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 45 : Le portail roman – XIe-XIIe siècles.
Nouvelles approches, nouvelles perspectives, 2014, p. 157-173. HANSEN H., Die Westfassade
von Saint-Gilles-du-Gard. Bauforscherische Untersuchungen zu einem Schlüsselwerk der
südfranzösischen Spätromanik, Stuttgart, 2007, Thèse de doctorat. URL : http://elib.uni-
stuttgart.de/opus/volltexte/2008/3363/). Pour deux brèves synthèses à l’attention d’un
291

public d’architectes, voir HARTMANN-VIRNICH A., HANSEN H., « Saint-Gilles-du-Gard,


l’abbatiale de Saint-Gilles, Gard : l’apport de l’archéologie », Monumental, 2021/1,
Chantiers/actualités : Trois icônes de l'art roman : Vézelay, Saint-Gilles-du-Gard et
Angers, p. 30-32. HARTMANN-VIRNICH A., HANSEN H., « Wert, Unwert, Verwertung : zur
Wiederverwendung von Abbruchmaterial der romanischen Abtei Saint-Gilles im
Languedoc », in HILD A. éd., Das Material der Stadt. Materialgewordenes Zeichen,
zeichengewordenes Material, (Der Architekt, 4, Material der Stadt, 2020), p. 42-45.
2. Voir les récits du Livre des Miracles, rédigé à l’abbaye même entre les années 1120 et
1160 : GIRAULT M., GIRAULT P.-G. éd., Liber miraculorum sancti Egidii. Livre des Miracles de
saint Gilles, Orléans, 2007 (Medievalia, 60).
3. Sur notre découverte et étude d’une inscription de pèlerin russe, voir : BRUN A.-S.,
HARTMANN-VIRNICH A., MIKHEEV S., INGRAND-VARENNE E., « Old Russian Graffito Inscription in
the Abbey of Saint-Gilles, South of France/ Древнерусская надпись-граффито в Сен-
Жиле на юге Франции » (Drevnerusskaja nadpis‘-graffito v Sen-Jilie na iougue
Francii), Slověne, 2014/2, p. 110-129.
4. Pour les destructions et le chantier de reconstruction du XVIIe siècle, voir HARTMANN-
VIRNICH A., « Et le dessain dicelle nestre pas en forme deglize. Déchéance, infortune et
réparation de l'abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard aux XVIe et XVIIe siècles », in JURKOVIC
M. éd., Ars auro gemmisque prior. Mélanges en hommage à Jean-Pierre Caillet, Turnhout,
2013, p. 259-266.
5. Leica Geosystems Total Station TS02.
6. Logiciels TachyCad/AutoCAD®.
7. Olivia Moulard, 2016.
8. Götz Echtenacher, 2017-2018.
9. SEGUIN M., « L’escalier en vis de Saint-Gilles », in HARTMANN-VIRNICH A., HANSEN H., EGGERT
V. éd., De Saint-Gilles à Saint-Jacques…, op. cit. ; Id., « L'escalier à vis de Saint-Gilles-du-
Gard ». Mémoire de Master 2 Recherche, Archéologie et Histoire de L’ART, Spécialité
Archéologie médiévale, sous la direction de A. Hartmann-Virnich. Aix-Marseille
Université, 2015, 125 p. ; « Photogrammétrie numérique et architecture : Apport et
application de la corrélation épipolaire dense (CED) à l’archéologie du bâti ». Mémoire
de Master I Recherche, Archéologie et Histoire de l’Art, Spécialité archéologie
médiévale sous la direction de A. Hartmann-Virnich. Aix-Marseille Université, 2013, 138
p.
10. « Was ich nicht gezeichnet habe, habe ich nicht gesehen » (GOETHE J. W., Voyage en Italie, J.
Porchat, J. Lacoste (trad.), 4e éd., Paris, 2012).
11. Pour cette réflexion et la bibliographie correspondante, voir en détail HARTMANN-
VIRNICH A., HANSEN H., ECHTENACHER G., SEGUIN M., « Pourquoi et comment ? Réflexions sur
le sens et les finalités des méthodes de relevé en archéologie du bâti », in COLLIOU C.,
MORELLE N. éd., Méthodes de relevés numériques en archéologie et en architecture : applications,
Caen, 2018, p. 79-91 (Publications du CRAHN-SNEP, Bulletin hors-série).
12. Pour les observations suivantes voir en détail HARTMANN-VIRNICH A., ECHTENACHER G.,
HANSEN H., « À la recherche du chœur perdu… », op. cit.
292

13. Voir COUVAL M., GOURLOT M., « L’approche archéologique de l’ancien chœur de
l’abbatiale de Saint-Gilles, in HARTMANN-VIRNICH A. dir., De Saint-Gilles à Saint-Jacques…, op.
cit., p. 133-147.
14. Fouille réalisée par l’opérateur d’archéologie préventive Mosaïques
Archéologie sous la direction de M. Couval (COUVAL M., HANSEN H., GOURLOT M., Ancien
chœur de l’abbatiale 2, Saint-Gilles (Gard), Mosaïques Archéologie, Rapport final
d’opération, SRA Occitanie, 2020, 350 p. Pour la publication de synthèse des résultats, cf.
la note précédente).
15. Respice opus caementarii. Collocato fundamento, lineam extendit in directum,
perpendiculum demittit, ac deinde lapides diligenter politos in ordinem ponit. Hugues de Saint-
Victor (vers 1096-1141), Didascalion, VI, 4, cité dans BINDING G., LINSHEID-BURDICH S., Planen
und Bauen im frühen und hohen Mittelalter, Darmstadt, 2002, p. 159.
16. Ipsemet visus est funiculos tenere ac tendere et terminos ponere circumscribende quantitati
mensurasque comprehendere. MORTET V., Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture
et à la condition des architectes en France, au Moyen Âge (XIe-XIIIe siècles), Paris, 1911, rééd.
Paris 1995, XCI, p. 272.
17. Relevé réalisé par Audric Loulelis dans le cadre d’un stage.
18. Voir notre bilan historiographique : HARTMANN-VIRNICH A., « La « vis » de Saint-
Gilles », Congrès archéologique de France, 157e session, Gard, 1999, p. 293-299 ; Id., « L'escalier
en vis voûté et la construction romane : exemples rhodaniens », Bulletin monumental,
154-2, 1996, p. 113-128.
19. Prise au départ de la voûte la largeur des neuf assises à l’intrados de l’enveloppe de
la cage au noyau est de 16,3 – 17 – 17 – 20 – 20 – 17,5/20 – 17,5 – 16 – 17 cm. La voûte est
donc composée de trois groupes de trois assises de 16 à 17 et de 20 cm avec une assise
dont la largeur variable compense les écarts.
20. Cf. COUVAL M., GOURLOT M., op. cit.
21. Cf. HARTMANN-VIRNICH A., HANSEN H., « Le fer et le plomb… », op. cit.
22. À ce sujet, voir CAZES Q., « Recherches sur les origines du chevet de Saint-Sernin de
Toulouse », in Saint-Martial de Limoges. Millénaire de l’abbatiale romane (1018-2018), Actes du
colloque international de Limoges, 29-30 novembre 2018, Bulletin monumental, 178-1, 2020,
p. 139-148.
23. FREIGANG C., « Jerusalem und Saint-Gilles-du-Gard : das Heilige Land in der
Provenz », in Architektur und Monumentalskulptur des 12.-14. Jahrhunderts. Produktion und
Rezeption. Festschrift für Peter Kurmann zum 65. Geburtstag, Berne-Berlin, 2006, p. 42-62 ;
HARTMANN-VIRNICH A., ECHTENACHER G., HANSEN H., « À la recherche du chœur perdu…», op.
cit. p. 184-188.
293

RÉSUMÉS
Du chœur de l’abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard, endommagé puis démonté en plusieurs phases
du XVIe au XIX e siècle, il ne subsiste aujourd’hui que les premières assises d’une majeure partie
de son pourtour, et des fragments d’élévation autour du célèbre escalier en vis dont la voûte en
berceau hélicoïdal, prototype éponyme de la « vis de Saint-Gilles », valut à cette partie du fameux
édifice d’être sauvée de la destruction. Un relevé pierre-à-pierre intégral des vestiges dans le
cadre d’un projet collectif de recherche, combinant approche graphique manuelle, tachéométrie
laser, photogrammétrie 3D et orthophotographie, donna lieu à une étude très détaillée de cet
ouvrage insigne qui fut mis en chantier vers la fin du XIIe siècle. En transposant une synthèse
unique d’illustres modèles des XIe et XII e siècles à l’échelle de l’architecture gothique
contemporaine, le concepteur inconnu de l’ouvrage entreprit la mise en œuvre du plus vaste
chevet roman à déambulatoire et chapelles rayonnantes de l’architecture romane, resté
inachevé. L’analyse du monument, complétée au niveau des fondations partiellement dégagées
au cours de deux campagnes de fouilles préventives par de précieuses observations sur les
substructions, a révélé un grand nombre d’indices, souvent trop discrets pour se révéler au
premier abord, dont la synthèse met en relief les contours et le déroulement d’un chantier bien
organisé, et les traces – rarement observables et constatées – du procédé de transposition du plan
théorique sur le terrain à bâtir. L’étude archéologique démontre en effet que le temps investi
dans la traduction graphique des données récoltées et des mesures prises par le geste du relevé in
situ qui les rend perceptibles, et l’étude méthodique intégrale des surfaces murales imposée par
cette démarche, sont le prix à payer pour obtenir et comprendre des informations essentielles en
vue d’une approche du processus constructif et de la relation ou l’écart entre la réalisation et le
projet immatériel.

Of the choir of the abbey church of Saint-Gilles-du-Gard, damaged and then dismantled in several
phases from the 16th to the 19th century, all that remains today are the first foundations of a
major part of its perimeter, and fragments of the elevation around the famous spiral staircase,
whose spiral barrel vault, the eponymous prototype of the "screw of Saint-Gilles", saved this part
of the famous edifice from being destroyed. A comprehensive stone-by-stone survey of the
remains as part of a collective research project, combining a manual graphic approach, laser
tacheometry, 3D photogrammetry and orthophotography, gave rise to a very detailed study of
this outstanding structure which was built towards the end of the 12th century. By transposing a
unique synthesis of illustrious models from the 11th and 12th centuries to the scale of
contemporary Gothic architecture, the unknown designer of the work undertook the
implementation of the largest unfinished Romanesque chevet with ambulatory and radiating
chapels in Romanesque architecture. The analysis of the monument, completed at the level of the
foundations partially excavated during two campaigns of preventive excavations by precious
observations on the substructions, revealed a large number of clues, often too discreet to be
revealed at first sight, whose synthesis highlights the contours and the course of a well organised
construction site, and the traces - rarely observable and observed - of the process of transposing
the theoretical plan onto the building site. The archaeological study demonstrates that the time
invested in the graphic translation of the data collected and the measurements taken by the
gesture of the in situ survey which makes them perceptible, and the integral methodical study of
the wall surfaces imposed by this approach, are the price to pay for obtaining and understanding
294

essential information with a view to an approach to the building process and the relationship or
the gap between the realisation and the immaterial project.

INDEX
Keywords : Building archaeology, Romanesque architecture, building site, foundations,
construction, survey, stone-to-stone survey, manual survey, staining, photogrammetry
Mots-clés : archéologie du bâti, architecture romane, chantier, fondations, construction, relevé,
relevé pierre-à-pierre, relevé manuel, tachéométrie, photogrammétrie

AUTEURS
ANDREAS HARTMANN-VIRNICH

Professeur, Aix-Marseille Université, Laboratoire d'Archéologie Médiévale et Moderne en


Méditerranée LA3M UMR 7298 AMU-CNRS
hartmann-virnich.andreas@neuf.fr

HEIKE HANSEN

Architecte, archéologue du bâti libéral, membre associé LA3M


hansen.heike@gmx.de

GÖTZ ECHTENACHER

Architecte, archéologue du bâti libéral


goetz@echtenacher.de
295

Possibilités offertes par l’outil


géophysique
Geophysical tool capabilities

Alain Tabbagh, Christian Camerlynck et Michel Dabas

1. Problématique
1 La géophysique est l’étude de la Terre à partir de ses propriétés physiques, elle peut
porter aussi bien sur la Terre dans son ensemble que sur des surfaces ou des
profondeurs limitées. Tel est le cas en archéologie où les profondeurs considérées ne
dépassent pas la dizaine de mètres et les surfaces quelques kilomètres carrés au
maximum. Cette approche s’insère particulièrement bien dans le cadre de la
prospection archéologique où elle permet une investigation dans les trois dimensions.
Plusieurs impératifs limitent cependant le choix des propriétés physiques utilisables :
les mesures ne doivent en rien modifier le milieu, elles doivent être reproductibles et
rapides, mais aussi montrer une variabilité suffisante permettant de caractériser les
différents milieux présents.
2 À partir de la fin des années cinquante la mise en pratique de la prospection
géophysique en archéologie s’est considérablement étendue : trois propriétés se sont
révélées particulièrement intéressantes : la résistivité électrique (mesurée aussi bien
par la méthode électrique que par la méthode électrostatique ou les méthodes
électromagnétiques à basse fréquence, EMI), la susceptibilité magnétique (méthodes
magnétiques et EMI) et enfin la permittivité diélectrique (Radar-sol en haute
fréquence). On peut, pour être plus complet, citer aussi l’analyse de la vitesse de
propagation des ébranlements mécaniques (qui connaît de larges applications en
contrôle non destructif), la cartographie de la température de surface (appelée à se
développer du fait de nouveaux capteurs et nouvelles caméras) ou la gravimétrie (bien
adaptée à la détection de vides dont les volumes sont importants).
3 Dans le texte ci-après, on procède d’abord à un rappel des principes des méthodes et
des conditions de leur mise en œuvre. On présente ensuite plusieurs exemples qui
296

répondent à une définition large de l’archéologie du bâti : elle porte sur tous les
bâtiments, ou parties de bâtiments, même totalement enfouis, quelles que soient leurs
fonctions (habitation, défense…) à condition que ces bâtiments soient 'construits' en
pierre, bois ou autre matériau 'de construction' en éliminant les structures en terre à
vocation de simple délimitation de l'espace. Pour faciliter la lecture on distinguera les
prospections réalisées en milieu ‘ouvert’ (parcelles cultivées, prairies) de celles qui
doivent l’être en milieu ‘urbain’. Dans ce cas, en effet, plusieurs contraintes doivent
impérativement être prises en compte : (1) l’exiguïté des surfaces accessibles et, plus
généralement, les contraintes physiques ou réglementaires limitant le déploiement des
systèmes de mesures ainsi que l’extension des cartographies, (2) l’état de surface du sol
(qu’il faut éviter d’altérer), (3) l’existence de nombreuses, et potentiellement intenses,
sources de bruit électromagnétique ou mécanique (mais ces bruits peuvent
éventuellement être utilisés comme sources), (4) la présence en surface ou
immédiatement sous la surface de nombreux objets ou structures perturbant les
mesures (ce que l’on peut appeler un bruit ’géophysique’), (5) on doit enfin être
particulièrement attentif à l’acceptation sociale des travaux.

2. Principales méthodes
2.1. Prospection électrique

4 Dans cette méthode un courant électrique est injecté dans le sol à partir de deux
électrodes (deux piquets métalliques souvent notés A et B) et deux autres électrodes (M
et N) permettent de mesurer la différence de potentiel créée par cette circulation. La
disposition géométrique des électrodes commandant l’épaisseur de terrain prise en
compte dans la mesure, on peut, en déplaçant un même dispositif, cartographier
simultanément les variations latérales de la résistivité et changer les profondeurs
d’investigation en modifiant les distances entre électrodes. Comme le montre la figure
1, il est possible avec des dispositifs à roues dentées d’effectuer des mesures ‘en
continu’ sur plusieurs épaisseurs du terrain simultanément1. Cette méthode est bien
adaptée aux mesures sur champs et prairies.

Fig. 1. Evolution des dispositifs de prospection électrique mobile à roues dentées permettant une
cartographie rapide sur plusieurs profondeurs d’investigation.
297

2.2. Prospection électrostatique

5 Cette méthode, utilisée à partir du début des années 902, est une généralisation de la
précédente où les électrodes métalliques sont remplacées par des pôles électrostatiques
(plaques métalliques enrobées d’un isolant). On injecte ici le courant à partir d’un
condensateur ouvert et on mesure la différence de potentiel à partir d’un autre (ou de
plusieurs autres) condensateur(s) ouvert(s). Elle est bien adaptée aux mesures sur des
surfaces isolantes comme les pavages et le bitume (Fig. 2), voire sur les pelouses, et, à
l’échelle décimétrique, aux mesures sur les murs et éléments du bâti.

Fig. 2. Dispositif de prospection électrostatique utilisé en milieu urbain. Les pôles sont des tissus en fil
de cuivre placés sur les tapis de PVC et disposés selon le schéma. Les mesures portent
simultanément sur trois profondeurs d’investigation. Appareil utilisé pour la prospection de la ‘Grand-
Place’ de Bruxelles.

2.3. Radar-sol

6 Une impulsion électromagnétique brève (une à quelques nanosecondes) est émise par
une antenne, elle se réfléchit sur les interfaces présentes dans le sous-sol, le signal
réfléchi est enregistré par une ou plusieurs antennes réceptrices. Basée sur la
propagation d’une onde électromagnétique haute fréquence cette méthode permet de
restituer une image détaillée du sous-sol mais elle demande une maille de mesure très
fine. Ceci a conduit au développement de systèmes de mesure multi-antennes. La figure
3 présente un radar-sol multi-antennes à 15 couples émission/réception, il permet,
compte tenu de la fréquence, une résolution centimétrique.
298

Fig. 3. Radar-sol (Ground Penetrating Radar) comprenant 15 couples d’antennes émettrice/réceptrice


espacés de 12 cm assurant une fauchée de 1,68 m. La fréquence centrale est de 200 MHz.
Photographie de l’appareil lors de son utilisation sur la ‘Grand-Place’ de Bruxelles.

2.4. Prospection magnétique

7 En prospection magnétique, on cartographie les variations latérales de l’aimantation


totale des matériaux présents dans le sous-sol. Très perturbée par la présence d’objets
en métal ferreux, elle n’est pas adaptée à la prospection en milieu urbanisé, mais
efficace pour la détection en milieu ouvert de structures en pierre de faible
susceptibilité magnétique comme les calcaires ou de forte susceptibilité comme les
briques.

2.5. Prospection électromagnétique à basse fréquence

8 Dans la gamme de fréquence [5 kHz - 20 kHz], les appareils comprenant une bobine
émettrice et une ou plusieurs bobines réceptrices permettent de cartographier à la fois
la résistivité électrique et la susceptibilité magnétique. Un seul opérateur peut
facilement les mettre en œuvre (Fig. 4).
299

Fig. 4. Electronique et bobines du prototype CS60 et mode d’utilisation sur le terrain du CMD ‘mini-
explorer’ à 3 réceptrices.

3. Exemples sur des ensembles bâtis en milieu ouvert


9 Les exemples de prospections ayant permis de relever le plan général d’une cité ou d’un
simple bâtiment sont nombreux, nous en présentons ici deux. Le premier3 est le site
gallo-romain de Vieil-Evreux (Eure) qui a servi de site test pour les essais de l’ARP (les
villes médiévales étant le plus souvent sous les villes actuelles à l’exception de quelques
cas dont celui de la ville de Thérouanne en cours d’étude). La figure 5 montre à côté des
thermes fouillés la présence d’un fanum et l’extension de la ville (voies, quartiers
d’habitation, aqueducs) vers le nord et l’ouest.

Fig. 5. Cartographie de la résistivité électrique sur le site Gallo-Romain de Vieil-Evreux (Eure), ARP : voie
2, épaisseur du terrain prise en compte environ 1 m. Les structures résistantes apparaissent en clair
(plus forte résistivité) et les structures de terre plus conductrices en sombre.

10 Le deuxième exemple est celui de l’abbaye cistercienne du Val Richer (Saint-Ouen-le-


Pin, Calvados)4. Les pierres de cette abbaye du XIIe siècle ont été vendues lors de la
300

Révolution et il ne reste que les lits de fondations. La prospection manuelle a été


réalisée avec trois profondeurs d’investigation : 0,5 m, 1 m et 1,5 m. La faible
profondeur et l’homogénéité de l’argile sous-jacente ont permis d’inverser les données
en calculant la résistance transverse de la couche archéologique (épaisse d’environ
0,7 m). Représentée sur la figure 6, elle montre les contours de l’ancienne église et du
cloître.

Fig. 6. Abbaye cistercienne du Val Richer (Calvados). Cartographie de la résistance transverse calculée
à partir des mesures de résistivité à trois profondeurs d’investigation différentes.

4. Substructions en milieu urbain


11 Après plusieurs tests avec la méthode électromagnétique basse fréquence, les
premières prospections en ville ont été réalisées sur des édifices religieux avec la
méthode électrique. La figure 7 montre la carte de résistivité apparente obtenue en
1974 sur le parking au sud de la nef (Basse-Œuvre) de la cathédrale Saint-Pierre de
Beauvais : elle délimite très clairement un bâtiment attenant. Une prospection
comparable réalisée à La Charité-sur-Loire en 1975 sur le square des bénédictins a été
portée à la connaissance du grand public par un article dans ‘Le Monde’5. Aujourd’hui il
est d’usage d’associer les méthodes de prospection radar-sol et électrostatique comme
le montrent les cartographies réalisées dans le cadre du programme européen Feder
PROGRESS à la fin des années 90, en particulier dans la cathédrale de Gérone6 ou celle
de Sainte-Marie à Bastia (Fig. 8a et b). Les travaux menés sur la ‘Grand-Place’ de
Bruxelles à l’initiative de François Blary montrent ce qu’il est possible de faire pour
l’étude du sous-sol d’une ville et non plus d’un bâtiment particulier (Fig. 9 et 10). Le
sous-sol très conducteur se prête ici mal à une investigation radar et seules sont
détectées des structures (très peu profondes) postérieures au bombardement de 1695
(réseaux en concession, fontaine...). La prospection électrostatique en revanche montre
301

les masses construites, ses résultats ont pu donner lieu à un premier essai
d’interprétation (Fig. 10).

Fig. 7. Cartographie de la résistivité électrique (Quadripôle Wenner a=1,5 m) au sud de la cathédrale


Saint-Pierre de Beauvais.
302

Fig. 8a et b. Cathédrale Sainte-Marie de Bastia (a) Prospection Radar-sol montrant les chainages
placés entre les colonnes et les murs, (b) Prospection électrostatique montrant les variations de la
résistivité électrique sur le premier mètre ainsi qu’un vide lié à un ossuaire découvert après la
prospection dans la nef.

Fig. 9. ‘Grand-Place’ de Bruxelles mesures avec le Radar-sol, cartes de l’intensité réfléchie à deux
profondeurs et interprétations quant à la position des différents réseaux.
303

Fig. 10a et b. Cartographie de la résistivité apparente obtenue avec les 3 voies de l’instrument MP3
(Photographie Fig. 2) et première interprétation proposée par François Blary (mars 2019).

5. Analyse des éléments du bâti en place


12 Des versions adaptées à l’auscultation des murs et des éléments en élévation existent
tant pour les radars où l’on emploie des fréquences plus hautes et des antennes de
petite taille que pour la méthode électrostatique pour laquelle a été développé un
Hexapôle à deux voies de mesures (Fig. 11). Trois exemples d’utilisation de ces outils
sont présentés sur les figures 12, 13 et 14. Dans le premier il s’agit de localiser
d’éventuels passages, dans le second un enfeu. Le troisième exemple porte, lui, sur
l’identification des caractéristiques des pierres et donc sur les décisions et choix des
constructeurs7.
304

Fig. 11. Dispositifs d’investigation décamétrique utilisés pour les murs : Hexapôle électrostatique où la
voie 1 prend en compte une épaisseur de 8 à 10 cm et la voie 2 une épaisseur de 15 à 20 cm et Radar
‘Pulse Ekko’ (Sensors and Software) de fréquence centrale 1 GHz.

Fig. 12. Recherche avec le Radar du rebouchage d’un ancien accès dans la Tour Saint-Andoche à
Autun (Saône-et-Loire).
305

Fig. 13. Baume-les-Messieurs, cartographie de la résistivité de la surface d’un mur du chœur avec
l’Hexapôle pour rechercher un possible enfeu.

Fig. 14. Identification de la résistivité électrique des pierres utilisées dans la construction de la tour
Nord de la façade de l’église Saint-Sulpice à Paris (construite à partir de 1645). Les constructeurs ont
volontairement choisi des calcaires contenant quelques pourcent d’argile et donc électriquement plus
conducteurs, plus solides que les calcaires électriquement résistants plus pauvres en argile utilisés
pour les parties supérieures.

6. Conclusion
13 Le survol réalisé ici n’a pas la prétention d’apporter une information complète sur les
capacités ou les limites de l’outil géophysique. Il vise simplement à illustrer la nature
de l’information que cet outil peut apporter et à souligner la rapidité (facilité) des
mesures comme leur caractère non destructif, si important en archéologie.
306

NOTES
1. PANISSOD C., DABAS M., FLORSCH N., HESSE A., JOLIVET A., TABBAGH A., TABBAGH J. ,
« Archaeological prospecting using electric and electrostatic mobile arrays »,
Archaeological Prospection, 5, 1998, p. 239-251.
2. TABBAGH A., PANISSOD C., BENECH C., DABAS M., JOLIVET A., GUERIN R., « Un outil de
reconnaissance géophysique en milieu urbain : la prospection électrostatique », Revue
française de Géotechnique, 101, 2002, p. 3-10.
3. DABAS M., GUYART L., LEPERT T., « Gisacum revisitée. Croisement géeophysique et
archéologie », Les Dossiers d’Archéologie, 295, 2005, p. 52-61.
4. VINCENT J.-B., DUBOIS A., HULIN G., MANEUVRIER C., TABBAGH A., « L’abbaye cistercienne du
Val-Richer (Calvados) : prospections micro-topographique et géophysique d’un
monastère disparu », Archéologie Médiévale, 48-8, 2018, p. 129-152.
5. REBEYROL Y., « L’église enfouie de la Charité sur Loire », Le Monde, n° 9468, 29-30 juin
1975, p. 1 et 7.
6. DABAS M., CAMERLYNCK C., FREIXAS P., « Simultaneous use of electrostatic quadrupole and
GPR in urban context : investigation of the basement of the Cathedral of Girona
(Catalunya-Spain) », Geophysics, 65-2, 2000, p. 526-532.
7. SOUFFACHE B., KESSOURI P., BLANC P., THIESSON J., TABBAGH A., « First investigations of in situ
electrical properties of limestone blocks of ancient monuments », Archaeometry, 58-5,
2016, p. 705-721.

RÉSUMÉS
L’outil géophysique est utilisé en archéologie pour décrire dans les trois dimensions la
répartition spatiale d’une propriété physique de l’échelle métrique ou décamétrique, lorsque
l’investigation porte sur le sous-sol, à l’échelle décimétrique lorsqu’elle porte sur du bâti en
élévation. Les mesures sont réalisées sous plusieurs conditions : ne modifier en rien le milieu
étudié, être reproductibles et rapides, montrer une variabilité suffisamment importante pour que
l’on puisse différencier les matériaux archéologiques s’ils présentent un volume et un contraste
suffisants. Trois propriétés physiques sont principalement utilisées : la résistivité électrique (par
l’emploi des méthodes électrique, électrostatique ou électromagnétique basse fréquence, EMI), la
susceptibilité magnétique (méthodes magnétiques et EMI) et la permittivité diélectrique (Radar-
sol ou GPR en haute fréquence). En milieu urbanisé, l’existence de nombreuses sources de
perturbation et l’état des surfaces étudiées conduisent à privilégier le Radar-sol et la méthode
électrostatique.
Les constructions offrent en général des contrastes suffisants pour que l’outil géophysique puisse
être utilisé aussi bien pour le relevé du plan de l’ensemble d’une ville que pour l’analyse d’un
307

bâtiment particulier ou d’éléments en élévation. Pour les monuments médiévaux en ville, les
premières prospections ont été réalisées dans les années 70 notamment à Beauvais et à La
Charité-sur-Loire par la méthode électrique. En milieu rural, de nombreux cas ont été traités
comme les abbayes de tradition bénédictine. L’exemple de la ‘Grand-Place’ de Bruxelles montre
tout l’intérêt qu’il y a à coupler les méthodes Radar-sol et électrostatique. À l’échelle
décimétrique il est possible de mettre en évidence la structure interne d’un mur. L’identification
de la nature des pierres utilisées et donc des choix des constructeurs a aussi pu être réalisée sur
des édifices médiévaux et modernes encore en élévation.

In archaeology the geophysical tool is used to describe in 3D the spatial distribution of one or
several physical properties, from meter to decameter scales when the ground is investigated, and
to decimeter scale for standing up elements. Several requirements have to be respected : no
modification of the studied medium, repeatable and quick measurements, variability allowing
material identification if the volume and/or the contrast are sufficient. Three properties are
mainly considered : the electrical resistivity (DC method, electrostatic method and low frequency
electromagnetic, EMI), the magnetic susceptibility (magnetic and EMI methods) and dielectric
permittivity (Ground Penetrating Radar, GPR). In urban contexts the numerous disturbances and
the risk to damage surface material lead to favor GPR and electrostatic method (Capacitive
Coupled Resistivity, CCR).
Buildings and their remains generally exhibit good contrasts and geophysical methods can be
used to both recording city or settlements plans and investigating standing up walls. Middle Age
towns like Beauvais and La Charité-sur-Loire, have been surveyed since the 70’s by using the
electrical method. In the country side abbeys, castles and farms have been studied. The ‘Grand-
Place’ in Brussels is a relevant example of the coupling of both GPR and electrostatic methods. At
the decimeter scale, it is possible to analyze the structure of a wall and to identify the stone
origin which opens the way to the knowledge of the choices achieved by builders.

INDEX
Mots-clés : prospection géophysique, résistivité électrique, permittivité diélectrique, radar-sol,
vestiges enfouis, structure du bâti
Keywords : Archaeological Surveying, Electrical resistivity, Permittivity, Ground Penetrating
Radar, Buried Remains, Building Structure

AUTEURS
ALAIN TABBAGH

Professeur émérite, Sorbonne Université, UMR 7619 METIS.


alain.tabbagh@upmc.fr

CHRISTIAN CAMERLYNCK

Maître de conférence, UMR 7619 Métis, Sorbonne Université-CNRS-EPHE.


christian.camerlynck@sorbonne-universite.fr

MICHEL DABAS

Directeur de Recherche CNRS, UMR 8546, Laboratoire AOROC, ENS, PSL.


michel.dabas@ens.psl.eu
308

De l’observation à la restitution

Posters
309

Observer et documenter les


parements et revêtements muraux :
photographie et enregistrement du
visible et de l’invisible
Observing and documenting wall surfaces: photograph and record the
visible and the invisible

Jean-Baptiste Javel et Emmie Beauvoit

Nous tenons à remercier Hugues Plisson pour avoir consacré du temps, nous avoir montré et
appris les bases de la photographie et de la microphotographie, et pour tous les conseils
pratiques et techniques. C’est réellement grâce à cette rencontre, que ce projet a pu débuter et
qu’un intérêt croissant pour la photographie et ses possibilités s’est développé. Merci au syndicat
d’initiative de Trizay, au personnel de l’abbaye de Trizay, Véronique Bergonzoni pour nous
permettre de travailler dans de si bonnes conditions à chaque fois.

1. Introduction : photographie et image, l’image de la


photographie en archéologie
1 L’image et la photographie des monuments est aujourd’hui abondante, en libre accès et
omniprésente sur les réseaux sociaux. Les fonds anciens sont de plus en plus numérisés
et accessibles en ligne4. Les initiatives collaboratives de collecte et de diffusion des
images sont importantes et montrent l’intérêt que portent les personnes sur le
patrimoine, sa sauvegarde et son accessibilité5. En témoigne le nombre croissant de
restitutions 3D de monuments détruits, ou détériorés, réalisées à partir d’images en
ligne6. Pour le chercheur qui s’intéresse aux édifices, l’appareil photo fait la plupart du
temps partie du voyage. La facilité d’acquisition du numérique et son stockage
dématérialisé permettent des couvertures systématiques des monuments, mais posent
310

néanmoins d’autres questions à court terme - stockage - mais surtout sur le long terme
- compatibilité des formats de fichier.
La photographie, qui, chaque jour prend un rôle plus sérieux dans les études
scientifiques, semble être venue à point pour aider à ce grand travail de
restauration des anciens édifices, dont l’Europe entière se préoccupe aujourd’hui.
[…] Elle présente cet avantage de dresser des procès-verbaux irrécusables et des
documents que l’on peut sans cesse consulter […] car bien souvent on découvre sur
une épreuve ce que l’on n’avait pas aperçu sur le monument lui-même (E. Viollet-le-
Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVI e siècle, volume 8,
1866, p. 33).
2 Cette citation d’Eugène Viollet-le-Duc illustre parfaitement ce à quoi sont rattachées
l’image et la photographie monumentale. Nous n’avons jamais eu autant d’images
d’édifice et celles-ci sont souvent conçues uniquement comme une sauvegarde :
témoignage de l’état de l’édifice, de l’information, ou encore d’une observation. Mais,
cette citation montre également l’intérêt que peut avoir l’outil photographique et la
prise d’image en termes de découverte archéologique et d’observation scientifique.
Pourtant, aujourd’hui, la photographie reste souvent sous exploitée dans les possibilités
d’acquisition d’imagerie qu’elle permet et est reléguée à une conservation de
l’observation. En effet, si elle est bien souvent perçue comme une image et une
sauvegarde, elle l’est rarement comme un outil, mis à part en ce qui concerne la
photogrammétrie.

2. La photographie : une instrumentation portable


polyvalente
3 Il est un constat simple aujourd’hui : l’appareil photo numérique est aujourd’hui quasi-
exclusivement associé en archéologie à la photogrammétrie. En effet, la grande
majorité des recherches méthodologiques concernant l’imagerie et la photographie,
réalisées en archéologie, porte sur la photogrammétrie : de l’acquisition au traitement
des données et à la création de modèles 3D7. Le nombre de publication, de journées
d’études8, d’exemples d’application et de structures privées ou publics consacrés à ce
domaine parle de lui-même. La photogrammétrie devient une technique de relevé de
plus en plus employée en routine par de nombreuses personnes, et la communauté
possède maintenant un certain recul sur son utilisation, les possibilités qu’elle offre et
les limites de la méthode9.
4 Cet article n’a pas pour but de traiter de la photogrammétrie, pour cela on peut se
référer aux autres articles de ce colloque. Toutefois, nous ferons un rapide état des
lieux, non exhaustif, des recherches et développements d’applications, de protocoles,
d’appareillages et de solution logiciel en photographie et imagerie portable menées en
archéologie et plus globalement dans le domaine du patrimoine. L’objectif est de
montrer comment avec peu de matériel, nous pouvons améliorer notre perception d’un
édifice. Nous aborderons ici différentes possibilités d’observation et d’enregistrement
apportées par la photographie sur un édifice à travers certains exemples d'applications
facile à mettre en œuvre et parfois méconnus. Sans être exhaustif, cet article propose
une réflexion sur une pratique relativement nouvelle dans une approche globale
d’archéologie du bâti.
311

5 En effet, l’appareil photographique numérique est le premier outil et la première


technique d’observation basée sur des principes physiques que nous utilisons : la
captation des rayonnements visibles et invisibles émis par des sources naturelles ou
artificielles. De fait, c’est un outil puissant et sous-estimé : dans chaque boitier réflex se
cache une instrumentation portable polyvalente. Cette dernière demeure polyvalente à
la fois par son échelle d’acquisition (photographies d’ensemble à la macro et
microphotographie aux détails micrométriques) qu’à travers l’étendue des
rayonnements qu’elle peut enregistrer. Outre le domaine du visible, un appareil
photographique numérique permet l’obtention d’images sous infrarouge, sous
ultraviolet ou encore de réaliser de l’imagerie multispectrale. Ces techniques ont
largement fait leurs preuves dans le domaine de l’art et de la conservation -
restauration10, mais elles sont pourtant peu utilisées dans le cadre des études du bâti et
par ses acteurs, excepté pour le cas particulier des peintures murales11. Les travaux
menés sous la direction d’Hélène Dessales à Pompéi font figure d’exception puisqu’une
grande partie des techniques présentées dans cet article sont employées pour l’étude
des inscriptions et graffitis12. Il est d’autant plus étonnant que ces techniques ne soient
pas plus utilisées alors que nous sommes souvent confrontés à de nombreuses
contraintes d’observation : mauvaise luminosité, dégradation, humidité, moisissure,
mauvais état de conservation des parements, badigeons et enduits, etc. De plus, cela ne
nécessite que peu d’équipements, des outils et du matériel portable facile à acquérir
avec un coût relativement abordable et simple à utiliser, voire se limitant à un seul et
unique appareil photo.

Fig. 1. Les différentes techniques employées en fonction des rayonnements optiques observés.

3. Photographier dans le visible


3.1. Lumière rasante et imagerie de transformation par réflectivité
(Reflectance Transformation Imaging, RTI)

6 De manière empirique, l’observation des murs, parements ou surfaces des maçonneries


et de leurs stigmates (traces d’outils, graffitis, marques lapidaires, tracés, inscriptions)
débute par des jeux d’éclairage (angle et intensité) afin de tenter de révéler ces indices
parfois difficiles à discerner (fig. 2). La photographie en lumière rasante est aujourd’hui
312

ce qui est le plus simple pour identifier, documenter et illustrer ces indices, parfois
ténus, et ce dans la totalité du patrimoine, qu’il soit bâti ou matériel. Mais depuis
quelques années, de cette pratique empirique a été développé un procédé technique
reproductible et facile à mettre en place nommé Reflectance Transformation Imaging
(RTI). Deux logiciels libres sont nécessaires : RTIbuilder et RTIviewer. Le premier sert à
construire l’image et à acquérir les données et le second à les visualiser.
7 Le procédé a été notamment mis en place et employé par Jeanne Capelle dans l’étude de
tracés et d’inscriptions observés sur des maçonneries antiques13, ou encore dans le
cadre d’études de graffitis à Pompéi14. Cette technique d’observation et
d’enregistrement a l’avantage de pouvoir documenter une zone donnée, afin de pouvoir
y constater ou non la présence d’éléments et de tracés qui n’ont pas pu être identifiés
sur le terrain. Cela se révèle particulièrement utile dans le cadre de l’enregistrement de
zones comprenant de nombreux graffitis et inscriptions, voire des tracés de grande
taille dont il est difficile d’avoir une vue d’ensemble sur le terrain, et ce d’autant plus
lorsque l’on procède dans des conditions d’observations compliquées. À titre
d’exemple, nous avons employé cette technique pour enregistrer certains tracés
préparatoires de mise en œuvre observés sur les faces supérieures des tailloirs de
l’église Saint-Eutrope de Saintes. Au-delà d’une application adaptée au bâti, à
l’observation et à l’enregistrement de stigmates ténus, parfois dégradés, en partie
visibles sur les parements, la RTI est employée dans de nombreux domaines. Elle est
notamment mise en œuvre pour l’observation du mobilier archéologique et d’œuvres
d’art avec des dispositifs développés pour l’étude des monnaies et des céramiques par
exemple15.

Fig. 2. Photographie d’une peinture murale dans l’ancien dortoir du prieuré de Trizay : à gauche, une
vue avec un éclairage frontal halogène et à droite, la même scène en lumière rasante.

3.2. Macro et Microphotographie

8 Dans certains cas, il n’est pas possible de réaliser des prélèvements de matériaux de
construction, d’enduits et de peintures murales : soit par manque de moyens, soit par la
nécessité de ne pas endommager l’objet d’étude. Il est cependant possible de réaliser, in
situ, des acquisitions d’images à l’échelle 1:1 et à l’échelle microscopique, à partir d’un
appareil photo numérique.
9 C’est un moyen efficace d’enregistrer l’information et d’avoir une image des matériaux
et des liants architecturaux, allant d’une vue générale à quelques centaines de microns
(fig. 3 et 4). Nous pouvons employer ces images acquises à différentes échelles
d’observation pour l’étude de traces d’outils, de graffitis, de peintures murales ou
313

d’autres éléments et les coupler grâce à des traitements logiciels 3D, réflectance,
montage etc.
10 Pour l’obtention des clichés microphotographiques, un appareil Canon EOS 750D est
employé avec un objectif reflex Tamron SP 70-300 mm f/4-5,6 Di VC USD (mais un
simple tube peut suffire). Le tout est surmonté, à l’aide d’une bague adaptatrice M42/
RMS, d’objectifs de microscope semi-apochromatique. Ces outils ont déjà été mis en
place dans le cadre d’études tracéologiques réalisées par Hugues Plisson16, ou dans des
grottes ornées, là où les prélèvements sont limités voire impossibles. Cet équipement
est facile à mettre en place et permet de remplacer un microscope de paillasse avec
l’avantage d’être mobile. La principale contrainte réside donc dans la nécessité d’avoir
un pied photo stable, un rail mobile de bonne qualité et si possible un déclencheur
extérieur physique ou via wifi afin de limiter les vibrations pouvant dégrader
l’acquisition d’image.
11 La photographie nécessite un apprentissage et des expérimentations afin d’apprendre à
l’utiliser, comme toute autre technique d’analyse. Aujourd’hui, de nouveaux
équipements, clé en main et faciles d’utilisation, sont vendus aux laboratoires pour des
sommes importantes et la plupart du temps pour des résultats de moins bonne qualité
qu’avec un simple appareil photo numérique.

Fig. 3. Macrophotographie (échelle 1:1, pour une image de 22,3 x 14,9 mm) réalisée avec un objectif
Tamron 60 mm F2.0 Di II Macro 1:1.

Fig. 4. Microphotographie réalisée avec un objectif de 300 mm, auquel on ajoute, grâce à des bagues
adaptatrices, un objectif de microscope. Dans ce cas-là, un objectif Nikon x5 apochromatique a été
utilisé. L’image obtenue fait 5 mm de large. On aperçoit sur l’image les détails d’un tracé préparatoire à
la sanguine d’une frise peinte.
314

3.3. Fluorescence UV

12 Le principe repose sur l’exposition à une lumière UV d’une surface qui va réémettre ou
non de la lumière : c’est la fluorescence. Cette méthode d’observation est largement
employée dans le cadre de la conservation - restauration des œuvres artistiques afin d’y
déceler les repeints17 ou la présence de certains pigments 18 etc. Concrètement, pour
réaliser ces observations, il est nécessaire de posséder, en plus d’un appareil photo, une
source de rayonnement UV (un spot ou une lampe) et d’avoir des lunettes de protection
anti-UV. Pour prendre des clichés, il est également conseillé de les réaliser dans un
espace suffisamment sombre ou lorsqu’il fait nuit par exemple. Dans le cas des
applications de la méthode aux peintures murales, il est à noter que nous pouvons ainsi
distinguer certains pigments et liants employés émettant une fluorescence différente.
C’est également un moyen efficace d’observer rapidement les restaurations et les
reprises des enduits comme l’illustre la figure 5. Il est possible d’aller au-delà et
d’observer l’ensemble des parements sous UV, on y remarque alors également les
différentes pierres utilisées et les éventuelles restaurations comme celles des
chapiteaux de l’église basse de Saint-Eutrope (Saintes, 17) (fig. 6). Les joints et types de
liants utilisés sont aussi discernables ; en cela cette méthodologie constitue donc un
moyen supplémentaire pour réaliser des études préliminaires de mortiers et d’enduits
avant d’envisager d’éventuels prélèvements. De ce premier travail comparatif et
d’observation, il sera nécessaire d’approfondir les éléments dont la fluorescence est
singulière. Cette technique peut également être intéressante pour l’examen, le
diagnostic du bâti et de l’état de conservation des matériaux. Cela peut s’intégrer
parfaitement dans une étude globale, en tant qu’outil d’observation aidant à la fois les
archéologues, les architectes et les conservateurs - restaurateurs du patrimoine.

Fig. 5. Peintures murales, dortoir du prieuré Saint-Jean-l’Évangéliste de Trizay. Photographie avec un


éclairage frontal halogène, Jupiter sur un char tiré par un aigle (a). Détails du bras observé sous lampe
UV. La fluorescence permet de mettre en évidence les reprises et restaurations, ici en violet (b). Une
lampe UV est utilisée avec un appareil photo Canon 750D sur pied pour prendre les photos.
315

Fig. 6. Photographies avec un éclairage frontal halogène (a et c), et sous UV (b et d). On aperçoit les
différents états de la pierre. Les restaurations les plus récentes sont en violet foncé, comme l’angle du
tailloir (b) et les deux volutes des chapiteaux. La fluorescence rouge observée sur le chapiteau (d)
correspond aux mousses vertes visibles sur la surface des pierres.

4. Photographier dans l’invisible (dans l’IR et UV)


13 Les appareils photo numériques actuels ont des capteurs capables d’enregistrer et de
capter les rayonnements UV et infrarouge entre 300 et 1000 nm. Cependant, pour que
ceux-ci soient utilisables et permettent de bons résultats dans le visible, des filtres sont
employés dans le but de réduire les rayonnements UV et IR. Afin de pouvoir utiliser
l’ensemble du spectre il faut donc transformer l’appareil en le défiltrant. Plusieurs
sociétés et ateliers en France et à l’international proposent ce service. Dans le cadre de
cet article, nous avons utilisé un Nikon 3100d défiltré complètement. Muni d’un objectif
Nikon 18-55 MM AF-S Nikkor 1:3.5-5.6G DX VR, nous avons utilisé des filtres laissant
passer seulement les rayonnements IR Neewer à 750, 850 et 950 nm, ainsi qu’un filtre
UV.

4.1. Photographie UV

14 C’est la technique qui demande le plus d’équipement. Travailler avec les ultra-violets
nécessite des projecteurs et des lampes UV. De plus, il est important de prendre
quelques précautions, le rayonnement UV implique le port de lunettes de protection
adaptées. Au-delà de la caméra défiltrée, il faut au moins deux filtres : un filtre
bloquant le visible et laissant passer les UV et IR, puis un filtre bloquant les infrarouges.
15 Les travaux d’Antonio Consentino montrent l’intérêt de l’observation UV, notamment
pour les repeints19. Cette application pourrait très bien être employée pour l’examen
316

des peintures murales, encore plus dans le cadre d’ensembles fortement transformés, et
restaurés. Étant donné que l’UV permet une observation accentuée des états de surface,
une des applications possibles serait justement de prendre des clichés des parements et
zones avec des traces et tracés sur le parement, en pierre ou enduit, afin de mettre en
exergue la topographie de surface. Dans le domaine de l’art, c’est justement souvent
employé pour comprendre et appréhender les vernis et leur état20, et ainsi voir le
réseau de craquelure par exemple.

4.2. Photographie Infrarouge (IR)

16 Avec un appareil photo modifié, il est possible de réaliser des acquisitions théoriques
dans l’infrarouge entre 700 et 1200 nm. D’un point de vue de l’équipement, il est
conseillé d’avoir une source de rayonnement IR (un simple projecteur halogène de
chantier suffi) ainsi qu’un trépied, les temps d’exposition rendent rarement possible la
prise de vue à main levée. S’il n’est pas possible d’avoir accès à une source artificielle de
lumière, alors la lumière naturelle pourra suffire (même s’il faudra rallonger le temps
d’exposition pour prendre la photographie). La photographie sous IR est peu
contraignante et apporte des informations instantanément en examinant les zones
désirées avec un appareil photo disposant d’un mode « live view ».
17 Cela est en particulier intéressant dans le cadre d’étude de peintures murales, et
d’inscriptions particulièrement altérées ou légèrement recouvertes les rendant
difficilement perceptibles à l’œil nu (fig. 7). Cela permet ainsi de faire fi des conditions
particulières de conservation, de dégradation et d’altération des parements. C’est
parfaitement adapté pour visualiser des ensembles de peintures murales très altérées.
En effet, les tracés et les contours des figures apparaissent alors plus nettement.
L’acquisition en infrarouge permet également de mettre en exergue les tracés réalisés
au carbone et graphite, cela s’avère un outil intéressant pour l’étude et
l’enregistrement des épures d’architecture.

Fig. 7. Image d’une inscription peinte, observée dans le visible à gauche (a) et dans l’IR à droite (b).
L’image est ici transformée en noir et blanc, en supprimant la couleur rouge de l’image. L’observation
sous IR permet ici d’accentuer les contrastes et de rendre visibles des inscriptions peu lisibles.

18 Encore une fois, d’un point de vue général, la technique est largement employée dans le
cadre de la conservation – restauration, notamment dans l’étude des peintures et
tableaux pour l’identification des tracés préparatoires et la détermination de certains
pigments21. Somme toute, l’observation infrarouge peut être élargie à l’ensemble du
matériel archéologique et muséal auquel nous pouvons être confronté (fig. 8).
317

Fig. 8. Céramique observée dans le visible (a), et sous IR (b). On aperçoit que selon les agents
chromogènes employés dans les glaçures, certaines couleurs sont transparentes ou non dans l’IR,
c’est un bon moyen de déterminer rapidement la nature des pigments employés. Par exemple, sur ce
vase on distingue deux bleus différents : un pour le papillon qui apparaît en foncé sur l’image IR et un
pour les fleurs, qui apparaît transparent sous IR.

19 Enfin, pour aller plus loin, il est possible de réaliser de la réflectographie infrarouge (de
1000 à 2500 nm22), mais cela nécessite un équipement spécifique, une caméra, qui
constitue un coût plus important, à l’inverse d’un appareil photo numérique modifié
qui constitue un équipement peu cher et plus facile à acquérir.

5. Pour une identification in situ des pigments


20 Pour l’étude des peintures murales et l’identification des pigments employés, l’une des
techniques analytiques développée depuis quelques années est l’imagerie
hyperspectrale. Ce type de méthode permet une première approche des matériaux de
manière totalement non invasive, sans prélèvement ni contact avec l’œuvre. Le système
d’imagerie hyperspectrale est composé d’une source lumineuse et d’une caméra
comprenant un spectrographe permettant la décomposition de la lumière en ses
différentes composantes. L’un des appareils portables utilisé lors de cette étude est une
caméra hyperspectrale dans le Visible et Proche Infrarouge (HSI VNIR : Visible near
infrared) (fig. 1). La caméra IQ, commercialisée et développée par la société SPECIM
(Finlande) a été acquise en 2019 par l’IRAMAT-CRP2A (Université Bordeaux Montaigne,
UMR 5060 CNRS)23. Cet équipement a l’avantage d’être très léger (1,3 kg), de la taille
d’un appareil photo reflex, ce qui le rend facilement utilisable sur le terrain (fig. 9). Un
autre avantage de cette technique est qu’elle combine à la fois l’imagerie et la
spectroscopie. Ce système analytique comprend une source lumineuse, une caméra
hyperspectrale et un spectrographe (dont le rôle est de séparer la lumière en ses
différentes composantes – elles-mêmes associées à différentes longueurs d’onde).
L’imagerie hyperspectrale consiste à acquérir des informations spatiales et spectrales
sur un objet : à chaque pixel de l’image, un spectre de réflectance de la lumière est
mesuré de manière continue avec une résolution de 7 nm (dans la gamme spectrale
large de 400 à 1000 nm). La caméra capture une image 2D, dont la résolution est de
512 × 512 pixels (taille de pixel : 17,58 × 17,58 μm). En ce qui concerne la source
lumineuse utilisée, il s’agit d’un éclairage halogène qui couvre la totalité de la plage
spectrale concernée. La distance de travail minimale est de 15 cm. Le cube de données
318

acquis durant les analyses est traité grâce au logiciel ENVI 5.2 (Harris Geospatial). Il est
possible de sélectionner les images à des longueurs d’ondes spécifiques et de les
combiner afin de former une image composite RVB en les plaçant dans trois canaux de
couleur rouge (R=670 nm), vert (V=550 nm) et bleu (B=448 nm). De la même façon, on
peut également créer des images composites infrarouge en fausses couleurs (IRFC) en
décalant les trois longueurs d’onde utilisées pour générer l’image (R→900 nm ;
V→650 nm ; B→550 nm)24. Parallèlement, aux images générées, l'identification de la
signature spectrale (ou spectre de réflectance) de chaque zone colorée permet, par
comparaison à une base de données d’échantillons connus, d’identifier les pigments qui
ont été employés25.
21 Les données obtenues peuvent permettre de mettre en évidence les zones restaurées
des zones picturales originales sans même avoir recours à des prélèvements ou des
méthodes analytiques plus lourdes. Pour exemple, l’étude d’un des panneaux du dortoir
de Trizay présente des restaurations qui sont mieux visibles sur l’image en IRFC du
panneau. En effet, on observe sur l’image IRFC deux teintes différentes pour la zone
verte de l’image RVB (fig. 10). D’après les observations macroscopiques, la zone rose
correspond à la restauration hachurée de la zone verte alors que la zone bleue coïncide
avec le pigment original.

Fig. 9. Dispositif de l’analyse in situ de peintures murales situées (a) sur un mur et (b) sur une voûte.
319

Fig. 10. Détail d’une des peintures murales du prieuré Saint-Jean-l’Évangéliste à Trizay (Charente-
Maritime). Image RVB (a) et image infrarouge (en fausses couleurs (b) (IRFC). Les restaurations de la
peinture originelle du vert se voient nettement après le traitement de l’image en IRFC.

22 Outre l’interprétation de l’imagerie qui peut apporter de nombreuses informations,


l’interprétation des spectres de réflectance dans la gamme spectrale du visible permet
l’identification d’un certain nombre de pigments. La figure 11a présente un exemple
tiré de l’étude des peintures murales du prieuré Saint-Jean-l’Évangéliste à Trizay
(Charente-Maritime). Les spectres de réflectance présentés figure 11b permettent, par
comparaison avec une base de données, l’identification des pigments employés pour le
vert (vert au cuivre), pour le jaune et le rouge (des ocres)26.

Fig. 11a et b. Détail d’un panneau mural au prieuré Saint-Jean-l’Évangéliste à Trizay (a) et spectres de
réflectance acquis sur différentes zones colorées du panneau mural (b).

23 Il existe un moyen moins cher, ne nécessitant pas de nouvel équipement pour réaliser
ce type analyse : l’imagerie multispectrale27. L’équipement multispectral permet
l’acquisition non pas du spectre en continu comme l’hyperspectral, mais de bandes
discrètes du spectre (par l’ajout de filtres sur l’appareil photo). Outre l’avantage d’être
plus abordable, un autre avantage non négligeable de cette technique est la meilleure
résolution des images obtenues.
320

6. Conclusion et perspectives
24 L’objectif de cet article est de présenter des solutions simples et polyvalentes
d’acquisition d’images pouvant s’appliquer à l’étude monumentale et à ses conditions
parfois difficiles. Sans que les techniques d’observation traitées soient une solution à
toutes nos réponses, cela permet néanmoins d’explorer le monument dans l’entièreté
de ce qu’il a à nous dévoiler, que cela soit visible ou invisible à notre œil. Le fait de
n’employer qu’un appareil photographique numérique, pour réaliser des observations à
diverses échelles et à travers différentes longueurs d’ondes, peut permettre
l’autonomie des chercheurs, qu’ils soient étudiants, universitaires, en collectivité
territoriale, dans le privé ou amateurs. Les exemples présentés précédemment ne sont
pas exhaustifs et ne sont que des possibilités parmi d’autres, l’objectif étant de
présenter le matériel utilisé, les conditions et modalités d’application afin de susciter
un intérêt au sein de la communauté. Cela peut également être une première approche
pour des équipes et institutions de s’équiper, avant d’aller vers des équipements et
techniques d’analyse plus importants tel que les caméras thermiques28 et
hyperspectrales, la réflectographie IR, etc.

NOTES
1. Réseau national CAI-RN (Compétences Archéométriques Interdisciplinaires - Réseau
National) dont les objectifs sont, entre autres, de structurer la communauté française
en pérennisant les compétences clef en archéométrie, en soutenant divers formations
et tutorats, en initiant des projets et actions interdisciplinaires et en mutualisant les
moyens techniques et scientifiques.
2. BENECH C., CANTIN N., LANGUILLE M.-A., MAZUY A. ET ROBINET L. dir., Instrumentation portable.
Quels enjeux pour l'archéométrie ?, Editions des archives contemporaines, Paris, France,
2019 (« Sciences archéologiques »).
3. PLISSON H., « 3D en kit : des solutions pour la tracéologie et au-delà », in GILIGNY F.,
COSTA L., DJINDJIAN F., CIEZAR P. ET DESACHY B. dir., Actes des 3e Journées d’Informatique et
Archéologie de Paris, Archeologia e calcolatori, 2014, p. 104-119.
4. Sans être exhaustif, nous pouvons citer : la base romane du CESCM, Bildindex,
Gallica, INHA, etc. Encore récemment, le Centre des Monuments Nationaux (CMN) a mis
en ligne 16 000 photographies. Le CRP2A dispose d’importantes archives
photographiques, dans le cadre du centre Léo Drouyn, numérisées et accessibles à
l’adresse suivante : http://1886.u-bordeaux-montaigne.fr/collections/show/13.
5. Une initiative parmi d‘autres : le mois du patrimoine (novembre) sur Wikimédia
Commons qui par l’intermédiaire d’un concours international incite les utilisateurs à
charger de nouvelles photographies de sites classés au titre des Monuments Historiques
en France.
321

6. Des sites tels que Palmyre ou bien le Krak des Chevaliers en Syrie font l’objet de ce
type de travaux afin de pouvoir reconstituer les sites avant destruction. Iconem et
Archeovision sont des structures proposant ces études et réalisations spécifiques, mais
il en existe aujourd’hui un grand nombre.
7. BOUVART P., CHAUVEAU C., DELLONG E. et PIAT J.-L., « L’archéologue, l’imagerie 3D et le SIG
: pour un renouvellement méthodologique », in COLLIOU C. et MORELLE N. dir., Méthodes de
relevés numériques en archéologie et en architecture : applications, Bulletin Hors-série du
CRAHN – SNEPH, 1 (2018). MAUMONT M., « L’espace 3D : de la photogrammétrie à la
lasergrammétrie », In Situ. Revue des patrimoines, 13, 2010, URL : https://doi.org/
10.4000/insitu.6413. BOTO-VARELA G., HARTMANN-VIRNICH A., NUSSBAUM N., REVEYRON N. et
TALLON A., « Archéologie du bâti : du mètre au laser », Perspective, 2, 2012, p. 329-346.

8. À titre d’exemple, nous pouvons citer le colloque organisé par Archéovision « Virtual
retrospect », ou encore le séminaire scientifique et technique « Archéologie : Imagerie
numérique et 3D » organisé par l’Inrap et l’Inria/IRISA les 26-27 juin 2018 à Rennes.
9. VERGNIEUX R. et GILIGNY F., « Pour un usage raisonné de la 3D en archéologie », Les
nouvelles de l’archéologie, 146, 2016, URL : https://doi.org/10.4000/nda.3818. F. DJINDJIAN,
« Archéologie, de l’analogique au numérique : évolution technique ou révolution
méthodologique ? », Les nouvelles de l’archéologie, 146, 2016, p. 6-11, URL : https://
journals.openedition.org/nda/3820.
10. Le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) travaille
sur ces outils, et le site du laboratoire offre une présentation succincte des différentes
méthodes employées : https://c2rmf.fr/analyser/un-laboratoire-de-haute-technologie/
imagerie. BECK L., « Lumière et art, ou comment (perce)voir l’invisible », Reflets de la
physique, 47-48, 2016, p. 100-105.
11. DANIEL F. et MOUNIER A., « Mobile hyperspectral imaging for the non-invasive study of
a mural painting in the Belves Castle (France, 15th c.) », STAR: Science & Technology of
Archaeological Research, 1, 2015, p. 81-88.
12. DESSALES H., PONCE J., BOUST C., CHAPELIN G., CARRIVE M., CAVERO J., COUTELAS A., DEIANA R.,
DI LUDOVICO M., DE MARTINO G., DUBOULOZ J., LETELLIER-TAILLEFER E., MAIGRET A., MANFREDI G.,
MARCHAND-BEAULIEU F., MILANESE A., MODENA C., MONIER F., D’HARCOURT-PÉRON A., PIMPAUD A.-
B., PROTA A., RIZZO E., ROSSI A., SANTORIELLO A., TRICOCHE A. et VALLUZZI M. R., « Pompéi. Villa
de Diomède », in Chronique des activités archéologiques de l’École française de Rome, Les cités
vésuviennes, 2016.
13. CAPELLE J., « Reflectance Transformation Imaging (RTI) et épigraphie », in Recherche
en architecture, archéologie et numérique, 2017, https://raan.hypotheses.org/1326.
14. DESSALES H. et al., op. cit.
15. Il est intéressant de signaler le développement d’une solution open source mise au
point, notamment par Mickaël Bouhier et Jean-Charles Méaudre, de l’IRAMAT-LMC,
pour permettre l’acquisition rapide de petits objets. Le projet se nomme Zenith -
OpenRTI et même si cela sort légèrement du cadre strict d’une application au bâti, ce
système libre de reproduction (facile à mettre en place) pourra intéresser une partie
des lecteurs, très souvent confrontés au traitement et à l’inventaire de mobiliers
archéologiques.
16. PLISSON H., op. cit. PLISSON H., « Digital photography in use-wear studies, from 2D to
3D », in VERGNIEUX R. et DELEVOIE C. dir., Ausonius éd., Virtual Retrospect 2013, Pessac, 2015,
322

p. 36-47. PLISSON H. et ZOTKINA L.V., « From 2D to 3D at macro- and microscopic scale in


rock art studies », Digital Applications in Archaeology and Cultural Heritage, 2, 2015, p.
102-119. PLISSON H., « Digital photography and traceology, from 2D to 3D », in
LOZOVSKAYA O.V., LOZOVSKI V.M. et GIRYA E. Y. dir., Traces in the history. Dedicated to 75
anniversary of Viacheslav E. Shchelinsky. / Saint Petersbourg : IIMKRAN, 2015, p. 272.
17. BECK L., « Lumière et art, ou comment (perce)voir l’invisible », Reflets de la physique,
47-48, 2016, p. 100-105.
18. BOUST C., « DATABASE: Pigments under UV and IR radiations », in Images scientifiques
pour le patrimoine, 2017, URL : https://copa.hypotheses.org/552.
19. COSENTINO A., « Practical notes on ultraviolet technical photography for art
examination », Conservar Património, 21, 2015, p. 53-62.
20. BOUST C., avec la collaboration de MÉLARD N., LAMBERT E., CLIVET L. et MAIGRET A.,
« Imagerie scientifique pour la conservation et la restauration du patrimoine », in
MAILHO L., CORTOPASSI R. et GÉRARD A. dir., Journées d’étude, 13-14 octobre 2016, musée des
Beaux-Arts de Nancy, 2018, p. 6-16.
21. COSENTINO A., « Infrared Technical Photography for Art Examination », e-Preservation
Science, 13, 2016, p. 1-6.
22. DAFFARA C., FONTANA R., « Multispectral Infrared Reflectography to Differentiate
Features in Paintings », Microscopy and Microanalysis, 17, 2011, p. 691-695.
23. Devenu en 2022 l’UMR 6034 Archéosciences Bordeaux.
24. HAYEM-GHEZ A., RAVAUD E., BOUST C., BASTIAN G., MENU M., BRODIE-LINDER N.,
« Characterizing pigments with hyperspectral imaging variable false-color
composites », Applied Physics A, 121, 2015, p. 939-947.
25. DE VIGUERIE L., MICHELIN A., RADEPONT M., POTTIER F., ALFELD M., WALTER P., GLANVILLE H.,
« Imagerie hyperspectrale pour l’analyse d’œuvres peintes », in BENECH C., CANTIN N.,
LANGUILLE M.-A., MAZUY A. et ROBINET L. dir., Instrumentation portable. Quels enjeux pour
l'archéométrie ?, Editions des archives contemporaines, Paris, 2019 (« Sciences
archéologiques »).
26. HAYEM-GHEZ A., « Caractérisation des pigments sur les peintures de chevalet par des
méthodes optiques non-invasives », Thèse de Doctorat, Chimie des Matériaux,
Université de Cergy-Pontoise, 2015 ; ELIAS M., CHARTIER C., PRÉVOT G., GARAY H. et VIGNAUD
C., « The colour of ochres explained by their composition », Materials Science and
Engineering B, 127, 2006, p. 70–80.
27. COSENTINO A. , « Multispectral imaging system using 12 interference filters for
mapping pigments », Conservar Património, 21, 2015, p. 25-38.
28. On peut citer les travaux de Bastien Lefebvre, Traces, UMR 5608 CNRS - Université
de Toulouse - Jean Jaurès.
323

RÉSUMÉS
La photographie et l’appareil photo comme outils d’observation dans le visible et dans l’invisible
sont souvent peu employés en archéologie. Là où l’archéologie se focalise sur les applications
liées à la photogrammétrie, la communauté des archéomètres travaille sur des techniques in situ
sans pour autant exploiter pleinement la photographie et ses possibilités, comme le témoigne la
dernière publication du réseau CAI-RN1, intitulée : Instrumentation portable : Quels enjeux pour
l'archéométrie ? traitant des méthodes analytiques mises en œuvre in situ2.
Cet article a pour vocation d’exposer les différentes possibilités offertes par un simple appareil
photo numérique pour l’étude et l’observation du patrimoine bâti. En effet, une fois son capteur
défiltré, l’appareil photo est capable de capter une large gamme du spectre électromagnétique
(longueurs d’onde comprises entre 300 à 1000 - 1200 nm), soit les rayonnements optiques dans
l’ultraviolet (< 380 nm), le visible (380 - 700 nm) et l’infrarouge (> 720 nm). De plus, c’est un outil
qui permet de réaliser des images à différentes échelles : macroscopique (avec des objectifs 1:1),
mais aussi microscopique (en y adaptant des objectifs de microscope). Il est à noter que ce type
d’étude et d’appareillage est aujourd’hui répandu dans d’autres domaines spécifiques de
l’archéologie comme la préhistoire et la tracéologie3, mais reste marginal pour les études du bâti.
Cet article tend ainsi à dresser un panorama à partir d’exemples d’applications, mais n’est pas
exhaustif quant aux possibilités et aux techniques pouvant être utile à l’archéologie. Il vise à
répondre spécifiquement à des questionnements propres au bâti. L’objectif principal ici, est donc
de pouvoir apporter quelques informations pour pouvoir s’équiper facilement, avec un coût
relativement bas et du matériel polyvalent.

Photography and the camera as tools for observation in the visible and the invisible are often
poorly exploited in archaeology. Where archaeology focuses on photogrammetry, the
archaeometry community works on in situ techniques without using photography and its
possibilities, as shown by the latest publication of the CAI-RN network, entitled Instrumentation
portable : Quels enjeux pour l'archéométrie ? dealing with analytical methods used in situ.
The purpose of this article is to explain the different possibilities offered by a simple camera for
the study and observation of built heritage. In fact, once its sensor has been filtered out, the
camera is able to capture a wide range of the electromagnetic spectrum (wavelengths between
300 to 1000 – 1200 nm), i.e. optical radiation in the ultraviolet (< 380 nm), the visible (380 –
700 nm) and the infrared (> 720 nm). In addition, it is a device that allows images to be taken at
different scales: macroscopic (with 1:1 objectives) and also microscopic (by adapting microscope
objectives). It should be noted that this kind of study and equipment is today widespread in other
specific fields of archaeology such as prehistory and traceology, but remains limited for studies
of ancient buildings.
This article aims to provide an overview based on examples of applications, but is not exhaustive
as to the possibilities and techniques that can be useful for archaeology. It seeks to provide
specific answers to questions specific to the building heritage. Therefore, the main objective
here, is to provide some information in order to equip oneself easily, at a relatively low cost and
with polyvalent equipment.
324

INDEX
Mots-clés : archéologie du bâti, photographie, fluorescence UV, photographie infrarouge,
caméra hyperspectrale, analyse non destructive
Keywords : Building archaeology, Photography, UV Fluorescence, Infrared photography,
Hyperspectral camera, Non-destructive analysis

AUTEURS
JEAN-BAPTISTE JAVEL

Doctorant, Université Bordeaux Montaigne, UMR 6034 Archéosciences Bordeaux (anciennement


UMR 5060 IRAMAT-CRP2A).

EMMIE BEAUVOIT

Doctorante, Université Bordeaux Montaigne, UMR 6034 Archéosciences Bordeaux (anciennement


UMR 5060 IRAMAT-CRP2A).
325

Adaptabilité des outils et acquisition


de données numériques sur le bâti :
réflexion sur les évolutions en cours
Digital data on building and tools adaptabilities: reflection on current
developments

Mélinda Bizri

1 Depuis le colloque de Saint-Romain-en-Gal tenu en 20011, la pratique de l’archéologie


sur le terrain s’est enrichie de nouveaux outils permettant l’acquisition de données
précises, notamment métriques.
2 Cette révolution technologique est apparue une dizaine d’années avant son application
dans le domaine de l’archéologie, soit en même temps que des réformes nationales
multipliant les conditions d’exercice de l’archéologie préventive en France (réforme
2001 et 20032).
3 À partir de deux études de tours médiévales que nous avons menées dans deux
contextes d’exercice différents, nous discuterons de l’utilisation de différentes
méthodes permettant d’approcher les parements de ces monuments. Ainsi, il sera
question de l’adaptation des outils aux contextes comme condition nécessaire à la
réalisation d’études sur le bâti. Nous terminerons en relayant des questionnements sur
les caractères propres au relevé archéologique et les possibilités nouvelles
d’exploitation de données numérique pour documenter le bâti.
4 La photogrammétrie existe depuis les débuts de la photographie. Cette technique
permet, à partir de photographies, de mesurer géométriquement les dimensions et la
position des objets visibles dans une vue stéréoscopique. Dès son apparition, elle est
mise en œuvre dans de nombreux domaines, comme base du levé3 cartographique en
sciences géographiques ou encore dans des domaines plus techniques tels que la
construction mécanique. Elle est appliquée dans le domaine de l’étude architecturale
depuis le XIXe siècle. En effet, après de brèves opérations sur le terrain, sans contact
direct avec le monument, un relevé fiable et précis, fidèle à la fois aux formes et aux
décors peut être produit. D’autres appareils munis de procédé optique de type laser
326

offrent la possibilité d’acquérir une donnée numérique. La lasergrammétrie fournit, par


défaut, les données sous forme de nuage de points4. Ci-dessous, deux cas d’études
présentent des études de bâti faisant appel à l’une ou l’autre de ces techniques à un
moment de leur réalisation.

1. La tour dite Joyeuse à Dunières (Haute-Loire)


5 Dans le cas de la tour de Dunières, aucun relevé précis de cet édifice ne préexistait à
l’étude. Un plan et une coupe approximative (croquis métré) avaient été dressés à la fin
du XXe siècle par les services de l’Inventaire. La chronologie de la tour et sa fonction
avaient été révisées à l’occasion de l’inscription du monument sur la liste
supplémentaire des monuments historique en 2002. Sans refaire la mesure ou l’analyse
du bâti, la tour avait alors été rapprochée, par la forme circulaire qu’elle revêt, de la
typologie des tours dite « philipiennes » du XIIIe siècle5.
6 L’enquête archéologique menée sous forme de prospection thématique entre 2011
et 2020 a mis en évidence que la tour faisait partie d’un ensemble castral en réalité plus
complexe et que sa chronologie d’édification était moins homogène qu’il n’y paraissait6.
Le site archéologique dans lequel s’inscrit cet édifice est un site de co-seigneurie
médiéval où coexistaient deux castra portant au moins chacun une tour, la tour de
Joyeuse étant la seule encore en élévation.
7 Pour approcher la construction de cette tour, un levé de l’ensemble de l’édifice a été
réalisé en couplant l’acquisition lasergrammétrique à une couverture
photogrammétrique. Si le levé des parements a été mené de cette manière, c’est en
raison de l’absence d’échafaudages permettant l’accès à l’observation des parements en
hauteur (la tour possède une élévation maçonnée maximale de 25,71 m) et
l’inaccessibilité de niveaux intérieurs (planchers absents).
8 La réalisation d’un déroulé des parements extérieurs du fût de la tour (orthoimage7, Fig.
1) a été rendue possible par l’assemblage de ces photographies sur le nuage de points
issu du levé lasergrammétrique avec une résolution spatiale moyenne de 5 mm.
327

Fig. 1. Dunières. La Tour. Déroulé du fût (photogrammétrie) sur lequel est reporté l’observation
archéologique (M. Bizri, O. Veissière).

9 En parallèle de la possibilité d'examiner les parements par ce levé numérique,


l’observation des parements intérieurs et extérieurs pouvait être effectuée sur place en
utilisant des jumelles pour les parties hautes extérieures, les parties intérieures restant
moins visibles en raison du peu de luminosité possible.
10 Il convient de préciser que ces lectures du monument ont été limitées à une
observation réduite à l’épiderme de la tour, sans piquetage des joints, la tour ne faisant
pas l’objet de travaux de restauration permettant de retirer ceux existants. Cependant,
le rejointoiement datant de la restauration de la fin du XIXe siècle était conservé de
manière inégale à l’intérieur et à l’extérieur de l’édifice. Ainsi, un enregistrement des
épisodes de remaniements de la tour a pu être réalisé, mettant en évidence quatre
grandes étapes comprises entre la fin du XIIIe siècle et la charnière du XIXe-XXe siècle.
11 L’intérêt de pratiquer un levé numérique dans ce cas de figure précis répond en
premier lieu à une forte contrainte d’accès aux parements. Ainsi, il rend possible la
réalisation de documents où l’on peut effectuer des mesures : un plan de chaque niveau
a pu être produit par découpage virtuel du modèle 3D, et l’appareil de mise en œuvre
(module, assises, etc.) a pu être mieux mis en évidence avec des mesures rendues
possibles sur les levés numériques. Si la documentation numérique ainsi acquise est
une condition de réalisation de l’étude sur le bâti, elle ne s’y substitue pas puisque
l’analyse se fait à partir de cette documentation. Ainsi, l’analyse des changements
d’appareil, des césures et des joints de maçonnerie ainsi que de leurs enchaînements en
chronologie relative ont été notés dans un enregistrement stratigraphique codifié dont
les contours physiques sont reportés sur le levé. C’est cette démarche qui définit, pour
partie, l’expertise archéologique. Elle a permis ici une mise en hypothèse des étapes de
la construction de la tour, tout en s’appuyant sur le levé numérique qui a facilité l’accès
à ces observations (Fig. 2). Les hypothèses mises en avant sont ensuite confrontées à
d’autres indices pour proposer des chronologies. Une datation 14C a été menée à cet
328

effet sur des bois piégés dans les trous d’empoutrements des solivages au dernier
niveau de la tour.

Fig. 2. Dunières. La Tour. Modèle 3D de la tour sur lequel est reporté l’observation archéologique
(M. Bizri, O. Veissière).

2. La tour Jeanne d’Arc à Gien (Loiret)


12 Un autre cadre d’étude, celui de la restauration du Château-Musée de Gien classé
Monument Historique, montre une autre possibilité de mener une étude sur le bâti,
réalisée ici dans le contexte de l’archéologie préventive et dans le cadre d’une
prescription de diagnostic. Un levé des façades de l’édifice a été effectué par un cabinet
de géomètre pour le projet de restauration. Le levé ne concernait que les contours de
l’édifice et la délimitation des encadrements : il ne détaillait pas, par exemple, la mise
en œuvre de la construction fait d’un appareil de briques et de pierre. La tour Jeanne
d’Arc a été identifiée dès le début de l’étude comme une élévation antérieure au reste
du château de briques.
13 L’échafaudage et le piquetage des joints réalisés pour la pose d’un nouvel enduit de
protection ont offert la possibilité d’en observer les parements. En effet, la tour était
recouverte de manière inégale d’un enduit masquant le parement (Fig. 3). La pose des
échafaudages a néanmoins rendu difficilement réalisable le levé par lasergrammétrie.
Le levé photogrammétrique de chacun des huit niveaux d’échafaudages sur trois faces
aurait pu être tenté mais l’assemblage, sans être impossible, aurait été cependant long
et fastidieux en raison des nombreuses zones masquées par l’échafaudage lui-même
(Fig. 4). De plus, nous ne disposions pas de ces moyens à l’échelle d’une opération de
diagnostic. Un relevé manuel a donc été mené sur chacune des faces de la tour, à l’aide
d’un carroyage (fil à plomb et niveaux horizontaux, Fig. 5) ; les observations n’ont pas
pu être totalement exhaustives. Un nouvel enduit et le remplacement des pierres
abîmées ayant été programmé, des investigations ponctuelles de fouilles des joints de
maçonnerie ont pu être menées, afin de répondre aux questions d’enchaînements des
étapes de construction de l’édifice. Si l’accessibilité des parements extérieurs était
possible, ce ne fut pas le cas des parements intérieurs de la tour, comblés pour la base
et occupés par les réserves du musée pour deux des trois étages supérieurs. Les
observations intérieures ont été réduites à de simples lectures du parement sans
intervention autre. Cinq grandes phases de constructions de l’édifice comprises entre la
fin du XIIe siècle et le XVIIIe siècle ont néanmoins pu être mises en évidence à l’issue
d’un travail d’enregistrement stratigraphique et de chronologie relative identique8.
329

Fig. 3. Gien. Tour en cours d’échafaudage (M. Bizri, Département du Loiret).

Fig. 4. Gien. Un étage de l’élévation de la tour, enduit piqueté, depuis l’échafaudage (M. Bizri,
Département du Loiret).
330

Fig. 5. Gien. Relevé des élévations (M. Bizri, Département du Loiret).

3. Conclusion : Des données numériques limitées à un


support pour l’étude du bâti ?
14 Les deux cas d’étude présentés ici relèvent de contextes d’application qui sont souvent
opposés : l’archéologie programmée (ici à Dunières) - considérée comme ayant du
temps pour l’acquisition et l’analyse des données – et l’archéologie préventive (ici à
Gien) – considérée comme contrainte et pressée par les calendriers de réalisation de
travaux. D’autres contributions de ce colloque et de nombreux autres exemples
d’études du bâti ont montré que la diversité des méthodes employées dépend non du
type d’opération mais d’un faisceau de contraintes différent selon les sites. Un équilibre
entre moyens et contexte est alors toujours trouvé, mettant en exergue l’extrême
adaptation des archéologues pour mener leur étude.
15 Dans les cas présentés ici, les informations archéologiques – les observations
stratigraphiques sur le bâti – sont reportées sur le relevé quel que soit son type.
L’analyse est complétée, dans un des cas, par des sondages qui nécessitent la présence
physique de l’archéologue pour les réaliser. Aucun archéologue du bâti ne remet en
question cette démarche d’observation suivie d’un enregistrement, puis d’une
interprétation. L’enregistrement des observations stratigraphiques (description des
relations des unités enregistrées) est d’ailleurs une étape de la réalisation de toute
étude archéologique, bâti compris. Il fait foi de la réalisation de l’étude archéologique
et est obligatoire dans la remise des rapports archéologiques9.
16 La plupart des archéologues du bâti utilisent donc la photogrammétrie ou la
lasergrammétrie pour produire des orthoimages comme support à l’étude du bâti,
parfois depuis plus d’une décennie, et les considèrent comme levé plutôt objectif
« relativement dénué d’interprétation »10 ou document d’état de monument (archive
numérique servant parfois à la valorisation)11 sans qu’il soit confondu avec l’analyse
archéologique, qui elle, reporte sur ce support, les informations archéologiques sur
l’histoire de l’édifice ; une mise au point qui fait consensus chez les archéologues, sur la
331

différence entre le levé numérique et l’analyse archéologique12. Les démarches sont


imbriquées et désormais indissociables dans les usages de la pratique13.
17 Les archéologues ont fait évoluer certains de leurs outils avec l’ère numérique : notons
par exemple le dessin assisté par ordinateur et les photographies numériques, deux
adaptations qui n’ont d’ailleurs pas suscité autant de questions dans leur emploi que
celui des modélisations numériques.
18 On observe aujourd’hui pour le levé numérique, utilisé en contexte bâti, une
transposition du même genre. Ce n’est cependant pas la question du gain de temps sur
le terrain qui doit être discuté, d’ailleurs largement contrebalancé par les temps de
traitement au bureau14, ni la crainte de voir remplacer l’expertise archéologique par le
levé numérique15 ; mais bien l’adaptation de nos pratiques à l’ère numérique. Sa large
démocratisation devrait plutôt nous faire nous interroger sur le champ des interactions
possibles. Car le modèle 3D permet beaucoup plus qu’une objectivation des données.

4. Discussion : Vers une prise de conscience du


véritable potentiel des modèles 3D pour l’analyse
archéologique du bâti ?
19 Si les outils numériques facilitant l’acquisition des données en archéologie se sont
nettement multipliés, ils restent encore aujourd’hui nettement sous-exploités dans les
analyses que les archéologues pourraient faire. Qu’il s’agisse des contextes d’études de
la tour de Dunières ou de celle de Gien, si le levé demeure au service de l’analyse
archéologique, les données réellement acquises restent sous-exploitées.
20 Depuis le début des années 2000 les moyens techniques numériques permettant
d’accompagner l’archéologue dans la documentation de ses études ont
considérablement augmenté. Les SIG (système d’information géographique) et SIA
(système d’information archéologique) sont de plus en plus utilisés pour traiter les
données quantitatives en archéologie16. Dans ce cadre, l’usage du levé numérique ou des
modèles 3D dans le champ de l’archéologie, et ici, celle du bâti, doit être réévalué 17.
21 Pour les objets archéologiques, des avancées notoires sont en cours dans l’acquisition
des données, par exemple avec l’automatisation du dessin des formes céramiques18 et,
dans l’analyse de ces données, par exemple avec la mise en place d’une reconnaissance
automatique des formes (obtenus soit à partir de ces fichiers numériques ou à partir de
fichiers papiers telles que des planches typologiques de céramiques une fois
scannées)19.
22 Dans le domaine du bâti, les communautés archéologiques exploitent assez peu la
donnée numérique ou le modèle 3D obtenu.
23 Le dessin automatique construit à partir de ces modèles est une piste à explorer pour
créer des dessins de type « relevé pierre-à-pierre », très exploitables pour l’archéologue
du bâti. Des procédés qui tendent vers cette démarche sont examinés, ils ne concernent
pas encore le bâti mais pourraient leur être étendus20. Dans la continuité de ce qui est
fait pour les objets, le traitement des données 3D pourrait aisément servir à extraire
une classification et/ou une spatialisation automatique des modules des pierres
employés par niveau de chantier, ces réflexions pouvant s’étendre à d’autres types de
matériaux mis en œuvre (brique, bois, etc.). Guidés par les questionnements de
332

l’archéologue sur la construction, les questions sur l’emploi/la gestion des ressources
(carrières, forêts, etc.) par exemple, ou la production d’un édifice, seraient ainsi
projetés dans une réflexion systémique sur les sociétés du passé à un temps donné. Les
possibilités technologiques (traitement quantitatif des données, etc.) ne se substituent
pas mais se rajoutent à l’expertise de l’archéologue en capacité d’interpréter et donner
du sens à ces masses de données, à la condition cependant qu’il puisse être formé à leur
manipulation afin d’en mesurer l’apport. Le processus de réalisation du levé numérique
pour l’étude de bâti a été adapté aux contraintes des sites étudiés, cependant, parfois,
les détails techniques ne sont pas toujours connus de l’ensemble de la communauté des
archéologues du bâti, ce qui entraîne beaucoup de réticences ou d’erreurs. Pourtant,
cette connaissance est une condition de réussite nécessaire à l’acquisition de données
fiables et évolutives comme la littérature sur le sujet le rappelle depuis une dizaine
d’années21. Les possibilités d’exploitation quantitative de ces données sont encore
moins connues par la communauté des archéologues du bâti22, alors qu’elles se sont
développées dans les spécialisations archéologiques (géo-archéologie, archéozoologie,
etc.). Dès lors que le volume de documentation archéologique disponible s’est
considérablement accru en l’espace de vingt ans, comment ces corpus de données
pourraient être exploités et utilisés autrement qu’avec ces outils numériques ?
24 En effet, ces tendances (Digital Archaeology, gestion de Big Data par le Machine learning
par exemple) sont encore très absentes des formations portant sur l’archéologie du
bâti, majoritairement dispensées dans les filières sciences humaines. D’autres
spécialités s’intéressant à l’architecture (écoles d’ingénieurs, arts et métiers, écoles
d’architecture) se sont déjà saisies de ces outils pour traiter leur questionnement en
lien avec les sites patrimoniaux23 ; néanmoins, la présence de l’archéologue du bâti dans
ces groupes24 est encore assez timide.

NOTES
1. REVEYRON N., PARRON-KONTIS I. éd., Archéologie du bâti. Pour une harmonisation des
méthodes. Actes de la table ronde des 9 et 10 novembre 2001 au musée archéologique de
Saint-Romain-en- Gal, Paris : Errance, 2005.
2. http://www.assemblee-nationale.fr/12/cra/2002-2003-extra/010.asp.
3. Le terme « relevé » n’existe pas en topographie, photogrammétrie et
lasergrammétrie. C’est un terme de dessin architectural. Le « lever » est l’action sur le
terrain (mise en station, prise de vue photographique, etc…) et le « levé » est le produit
du post-traitement (orthoimage, plan masse, etc.). J’en profite ici pour remercier
Maxime Seguin d’avoir relu ma contribution et clarifier notamment les questions de
vocabulaire.
4. Sur le procédé : http://www.aftopo.org/FR/Lexiquelaser-30.html.
5. Cf. Développement dans BIZRI M., VEISSIÈRE O., « Modèle numérique 3D de la tour dite
« de Joyeuse » à Dunières (Haute-Loire) : retour d’expérience pour l’archéologie du bâti
333

d’une tour de la seconde moitié du XIIIe siècle », Bulletin du centre d’études médiévales
d’Auxerre / BUCEMA [en ligne], 19, 1, 2015, URL : http://cem.revues.org/13881.
6. Rapport de sondage : BIZRI M. et al., La Tour de Joyeuse à Dunières (43 087 001 AH),
campagne 2012, Rapport de prospection thématique avec sondages, SRA-DRAC Auvergne,
GRAV, 2013 et rapport de prospection BIZRI M. et al., Dunières (Haute-Loire), Site castral La
Tour. Bilan des opérations 2012-2017, SRA-DRAC Auvergne, GRAV, 2017, URL : https://
hal.archives-ouvertes.fr/hal-01744392 [lien valide au 17 septembre 2019].
7. L’orthophotographie est la technique qui permet d’obtenir une orthoimage. L’image
déroulée est donc une orthoimage obtenue par technique d’orthophotographie.
L’orthophotographie est une des techniques particulières de la photogrammétrie
(Maxime Seguin).
8. BIZRI M. et al., Gien (Loiret), Château-Musée International de la Chasse (45 155 010 AH),
Rapport final de diagnostic archéologique, Orléans : Conseil Départemental du Loiret,
2015, 2 vol.
9. L’enregistrement archéologique doit être remis comme preuve scientifique de
l’étude réalisée. Cf. Norme des rapports en archéologie mise à jour 2017. Article 7 : La
troisième section [du rapport] regroupe les inventaires de la totalité des données
constituées à l'occasion de l'opération : 1° Inventaire des unités stratigraphiques et des
structures archéologiques, en précisant leurs relations ; https://
www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?
cidTexte=JORFTEXT000000628726&categorieLien=id.
10. D’AGOSTINO L., FLAMMIN A., « Archéologie du bâti et photogrammétrie rapprochée au
château de Belvoir (Kokhav Ha Yarden, Israël) », in Méthodes de relevés numériques en
archéologie et en architecture : applications, Hors-Série, 1, Centre de Recherches
Archéologiques et d’Histoire de Normandie, CRAHN-SNEPH, 2018, p. 53‑66.
11. Ibid., BIZRI M., VEISSIÈRE O., op. cit.
12. « Les orthophotographies et les nuages de points ne sont que des supports de
travail qu'il est très souvent impératif de compléter par des levers manuels. Ces deux
techniques sont donc complémentaires et il n'y a pas lieu d'opposer le lever manuel et
lever numérique. », M. SEGUIN, Le lever par photogrammétrie numérique , 7ème Table
Ronde des Jeunes Chercheurs en Archéologie, May 2014, Aix-en-Provence, France. URL :
https://hal-inrap.archives-ouvertes.fr/hal-01495595/document. Ou encore « La mise au
point et le développement de ces différentes méthodes répondent à des contraintes
techniques rencontrées sans que n'en soit, pour l'instant, affecté le rôle premier qu'est
l'analyse du bâti par l’œil et des examens de l'archéologue. », GUYOT S., « Développement
et évolution des méthodes d’acquisition numérique appliquées aux bâtis dans le centre
est de la France », Méthodes de relevés numériques en archéologie et en architecture :
applications, Hors-Série, 1, Centre de Recherches Archéologiques et d’Histoire de
Normandie, CRAHN-SNEPH, 2018, p. 13‑16.
13. « le relevé archéologique (…) résulte de la démarche subjective et sélective du
chercheur, et dépend entièrement de la qualité de son regard. L’un [scannergraphie et
photogrammétrie] comme l’autre sont indispensables, et indissociables. », HARTMANN-
VIRNICH A., HANSEN H., ECHTENACHER G., SEGUIN M., « Pourquoi et comment ? Réflexions sur le
sens et les finalités des méthodes de relevé en archéologie du bâti, Contraintes du
relevé archéologique », Méthodes de relevés numériques en archéologie et en architecture :
334

applications, Hors-Série, 1, Centre de Recherches Archéologiques et d’Histoire de


Normandie, CRAHN-SNEPH, 2018, p. 79‑92.
14. GUYOT S., op. cit., D’AGOSTINO L. , FLAMMIN A. , op. cit., etc.
15. « Certes, l’abandon de la prise de mesures directe sur l’objet de l’étude, telle qu’elle
est, ou était pratiquée par l‘archéologue, dans le cadre de l’approche traditionnelle du
relevé manuel in situ, au profit d’une dissociation de la mise en œuvre d’un relevé
numérique et de l’utilisation de ce dernier comme support pour une cartographie
analytique, est saluée par tous les destinataires d’une documentation numérique qui
considèrent au premier chef le rapport entre gain de temps, exactitude métrique et
polyvalence d’une image pour différents usages : « pour l’archéologue du bâti ceci
signifie une réduction considérable de son propre investissement dans la prise de
mesures sur place et donc, au premier chef théoriquement, davantage de temps pour
l’observation, l’analyse et l’interprétation de l’objet », HARTMANN et al., op. cit.
16. Cf. Les colloques du CAA « Computers Applications & Quantitative Methods in
Archaeology » fournissent de nombreux exemples : https://caa-international.org/ et
https://journal.caa-international.org/about/.
17. Cf. https://2015.caaconference.org/, voir particulièrement la vidéo “ The Use of 3D
Models for Intra-Site Investigation in Archaeology ”, Nicolò dell’Unto (Lund
University), aux propos desquels nous souscrivons totalement, notamment “the
cultural discussion is too slow” and “people tried to squeeze the 3D model inside the
traditional documentation and it’s really not working” (vers 18’).
18. WILCZEK J., MONNA F., JÉBRANE A., LABRUÈRE-CHAZAL C., NAVARRO N., COUETTE S., CHATEAU-SMITH
C., “Computer-assisted Orientation and Drawing of Archaeological Pottery”, Journal on
Computing and Cultural Heritage, Volume 11, Issue 4, December 2018, article n° 22, URL :
https://doi.org/10.1145/3230672.
19. WILCZEK J., MONNA F., NAVARRO N., CHATEAU-SMITH C., “A computer tool for pottery
fragment shape classification”, Journal of Archaeological Science, 37, 2021, URL : https://
doi.org/10.1016/j.jasrep.2021.102891. Voir sinon GILBOA A., KARASIK A., SHARON I., SMILANSKY
U., “Towards computerized typology and classification of ceramics ”, Journal of
Archaeological Science, 31, 2004, 31, p. 681-694. Ou GUALANDI M.L., SCOPIGNO R., WOLF L.,
RICHARDS J., BUXEDA J., GARRIGOS I., HEINZELMANN M., HERVAS M.A., VILA L., ZALLOCCO M., « ArchAIDE
Archaeological Automatic Interpretation and Documentation of Ceramics », in CATALANO
C.E., DE LUCA L. éd., EUROGRAPHICS Workshop on Graphics and Cultural Heritage, 2016, p. 4.
J’en profite pour remercier ici Josef Wilczek pour m’avoir transmis de nombreuses
références et sensibilisé à ces méthodes.
20. Il s’agit de procédés permettant d’obtenir le dessin automatique (à partir de modèle
3D) de gravures sur pierre réalisées en relief ou creux - techniques qui pourrait être
développées pour obtenir un dessin automatisé des pierres d’un mur par exemple. Cf.
développement dans MONNA F., ESIN Y., MAGAIL J., GRANJON L., NAVARRO N., WILCZEK J., SALIGNY L.,
COUETTE S., CHATEAU C., “Documenting carved stones by 3D modelling and computational
geography techniques – Case study of Mongolian deer stones”, Journal of Cultural
Heritage, 34, 2018, p. 116-128.
21. « La première problématique rencontrée a été de rationaliser les procédures de
numérisation. En effet, la réalisation des différentes étapes de la numérisation 3D
dépend de l’opérateur et de son expérience : le temps de numérisation, le temps de
post-traitements et la qualité du modèle 3D final sont différents en fonction de ces
335

connaissances », LORIOT B., Automatisation de l’Acquisition et des Post-traitements en


Numérisation 3D, thèse soutenue en 2009, Université de Bourgogne, p. 2, URL : https://
tel.archives-ouvertes.fr/tel-00371269 [lien valide au 17 mars 2020] ; « Le sous-
investissement des archéologues dans la 3D tient peut-être au fait que les relevés sont
réalisés par des cabinets spécialisés. (…) Les clients de ces services de 3D,
essentiellement des collectivités, sont-ils suffisamment informés pour connaître les
limites des méthodes et du produit fourni ? L’appropriation de ces techniques par les
archéologues permettra d’assurer la validité des restitutions et de constituer une
archive numérique évolutive », BRYANT S., « Relevé et restitution en 3D. Quel intérêt
pour l’archéologie ? », Archéopages. Archéologie et société, 35, 2012, p. 84‑87.
22. Domaine totalement absent par exemple des axes de recherches du prochain
Congrès Francophone d’Histoire de la Construction.
23. Il s’agit par exemple des questions d’anastylose ou de restitution mais aussi les
questions de dégradations des bâtiments. Citons l’exemple italien de Pompéi où les
architectes ont su s’emparer des modèles 3D des unités d’habitation (que les
archéologues avaient réalisés pour questionner la fonctionnalité des espaces et leur
restitution) pour suivre la dégradation des revêtements de peintures murales et la
faiblesse des murs. Cf. https://2015.caaconference.org/ la fin de la video “The Use of 3D
Models for Intra-Site Investigation in Archaeology” par Nicolò dell’Unto (Lund
University).
24. Cf. Les projets de numérisation sur le patrimoine « associant architectes,
ingénieurs, historiens, informaticiens et scientifiques de la conservation » : http://
www.map.cnrs.fr/. Le groupe le MAP-Gamsau (Groupe de recherche pour l’Application
des Méthodes Scientifiques à l’Architecture et à l’Urbanisme) intègre quelques
archéologues du bâti dans ses projets (chercheurs et/ou doctorants).

RÉSUMÉS
Deux cas d’études proches - deux tours médiévales (Dunières en Haute-Loire et Gien dans le
Loiret) - sont prétexte à décrire brièvement les procédés techniques désormais de mise pour
étudier le bâti, peu importe les contextes d’intervention. Après avoir montré que l’usage du
numérique dans les études archéologiques sur le bâti est souvent sous-exploité, une courte
discussion sur les nouvelles possibilités d’exploitation des données numériques sera engagée.

Two closed medieval towers case-studies (Dunières in Haute-Loire and Gien in the Loiret, both
located in France) are used as a pretext to briefly describe the technical methodology now used
to study the building processes. After having pointed that the use of digital technology in
archaeological studies of buildings is often under-exploited, a short discussion on the new
possibilities of using digital data will be initiated.
336

INDEX
Mots-clés : relevé, tours, méthode, acquisition, modèle 3D
Keywords : survey, towers, method, data capture, 3D model

AUTEUR
MÉLINDA BIZRI

Ingénieure d’études en archéologie / PhD, Université de Bourgogne, UMR 6298 ARTEHIS.


melinda.bizri@u-bourgogne.fr
337

L’archéologie de la maison
médiévale et post-médiévale en
Région de Bruxelles-Capitale
(Belgique). Programmes de
recherche, cadres méthodologiques,
opérations préventives
Archaeology of the medieval and post-medieval house in the Brussels-
Capital Region (Belgium). Research programs, methodological
frameworks, rescue archaeology

Paulo Charruadas, Philippe Sosnowska, Sylvianne Modrie, Benjamin Van


Nieuwenhove, Sarah Crémer, Pascale Fraiture, Patrick Hoffsummer,
Christophe Maggi et Armelle Weitz

1. Introduction
1 L’archéologie et la gestion du patrimoine immobilier sont en Belgique une compétence
devenue régionale depuis les troisième et quatrième Réformes de l’État (1988-1989 et
1993). La Région de Bruxelles-Capitale (RBC), installée à cette occasion (les deux autres
régions du pays étant les régions flamande et wallonne), s’est dotée progressivement
d’une série d’outils opérationnels de nature administrative et scientifique visant à la
gestion de son abondant patrimoine immobilier d’Ancien Régime et à sa spécificité
géographique. La RBC constitue en effet aujourd’hui un territoire quasi exclusivement
urbanisé, dense et multipolaire, fruit d’une extension de l’urbanisation aux XIXe-
XXe siècles de la ville d’Ancien Régime vers une vingtaine de villages périurbains. Le
potentiel patrimonial de la Région est donc fortement structuré par cette géographie
historique, avec un centre-ville riche sur le plan archéologique (la ville ancienne), et
338

des communes environnantes marquées par une préservation variable de leur ancien
patrimoine bâti rural1.
2 Au moment de cette « régionalisation », l’état des connaissances sur le patrimoine bâti
ancien était essentiellement basé sur des recherches d’historiens et, surtout,
d’historiens de l’architecture intéressés par l’étude des façades2. Cet état de fait est le
fruit d’une longue tradition scientifique en Belgique3 reposant sur deux conceptions
méthodologiques qui sont précisément remises en question aujourd’hui par
l’archéologie du bâtiment : d’une part, une lecture du patrimoine architectural depuis
la rue et par le biais d’un questionnaire essentiellement stylistico-formel ; d’autre part,
une opinion tenace estimant que le bombardement de la ville par les troupes de Louis
XIV en 1695 – un événement majeur dans l’histoire de la ville – avait fortement (pour ne
pas dire totalement) effacé les témoins du bâti médiéval. Les destructions et l’incendie
alors occasionné ne ravagèrent en réalité que les quartiers centraux, autour de la
Grand-Place (un cinquième de la ville, selon les estimations), tandis que le
redressement urbain s’effectua rapidement et efficacement par l’intégration parfois
substantielle de structures médiévales et des XVIe-XVIIe siècles « stabilisées », ce que
l’archéologie tend actuellement à confirmer4.
3 Les études archéologiques sur le bâti menées à partir de la fin des années 1990 par la
Cellule Archéologie de la Région – aujourd’hui Département Patrimoine archéologique
(DPA) de l’administration régionale en charge de l’urbanisme et du patrimoine
(dénommée urban.brussels), contribuent fondamentalement à réévaluer nos
connaissances. Elles ont été menées en collaboration avec [1] le Musée Art & Histoire
(MAH), à Bruxelles ; [2] le Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine (CReA-
Patrimoine) de l’Université libre de Bruxelles (ULB) ; [3] le Centre européen
d’Archéométrie (CEA) de l’Université de Liège (ULiège) et [4] l’Institut royal du
Patrimoine artistique (IRPA), à Bruxelles. À côté de ces partenaires réguliers, d’autres
sociétés privées ou publiques agréés comme auteur de recherches archéologiques en
région bruxelloise ont participé à ces recherches sur le bâti à partir de 20095.
4 C’est l’ensemble de ces projets de recherche et des interventions menés sur site depuis
une vingtaine d’années que cette contribution entend présenter dans un premier
temps, avant d’illustrer la richesse des résultats par la présentation d’un ensemble
particulier de maisons, choisi non pas au hasard, mais parce qu’il constitue un puissant
condensé de l’ensemble des problématiques et méthodes mises en œuvre (dans un réel
esprit d’échange collaboratif et donc transdisciplinaire) tout en offrant un éclairage
intéressant sur différents aspects de l’habitat implanté le long des voiries principales et
secondaires.

2. Contexte réglementaire et activités archéologiques


en RBC
5 L’archéologie à Bruxelles s’est mise en place progressivement après l’institution de la
RBC. Dès 1993, des fouilles sont menées sur différents sites du centre-ville dans le cadre
de conventions nouées avec le MAH et avec l’ULB. Ces interventions touchent au bâti
mis au jour en sous-sol. L’extension des études archéologiques aux structures en
élévation n’a lieu qu’à partir de 2004, avec l’engagement d’un archéologue spécialisé
sur convention avec le MAH.
339

6 Parallèlement, la RBC a également développé un très important partenariat avec le


Laboratoire de Dendrochronologie de l’ULiège. Par le biais de bons de commande, les
premiers bâtiments bruxellois font l’objet de datations dendrochronologiques à partir
de la fin des années 1990 pour se poursuivre et s’intensifier dans le courant des années
2000.
7 Entre-temps, plusieurs réformes administratives sont venues modifier les modalités
d’exercice de la compétence archéologique à Bruxelles. D’une part, la RBC a promulgué
en 2004 un Code bruxellois de l’Aménagement du Territoire (CoBAT) consacrant
légalement l’intégration de l’archéologie dans les mécanismes d’obtention des permis
d’urbanisme. En théorie, tout octroi peut être conditionné par l’administration
régionale à la réalisation de fouilles et/ou au suivi d’un chantier, tandis que toute
découverte fortuite accidentelle ou résultant d’un diagnostic peut donner lieu à une
recherche archéologique, voire à une « fouille d’utilité publique ». D’autre part, depuis
2009, la RBC est passée, pour l’organisation des chantiers archéologiques, à un système
de marchés publics avec appels d’offres auprès d’acteurs agréés – centres de recherche
universitaires, musées ou firmes privées. L’externalisation des fouilles archéologiques,
en sous-sol comme en bâti, n’empêche toutefois pas les agents du DPA d’intervenir
régulièrement sur des fouilles ponctuelles, dont l’urgence ne permet pas une
anticipation suffisante pour activer le mécanisme des marchés publics.
8 Ce modus operandi a été complété par une série de conventions de recherche et
d’expertise menées en collaboration avec le DPA et ciblant certaines problématiques
archéologiques jugées particulièrement pertinentes pour l’étude de l’immobilier
ancien. Depuis 2013, le DPA a mis en place une convention avec les laboratoires de
dendrochronologie de l’ULiège et de l’IRPA, en vue de poursuivre les campagnes de
datation par dendrochronologie, d’étendre la couverture documentaire à
l’identification anatomique des essences utilisées (chêne, mais également d’autres
essences mises en évidence – orme, frêne, peuplier, fruitiers…), à la tracéologie des bois
et à l’étude des éléments métalliques en charpente et, finalement, de réaliser un
inventaire typochronologique des charpentes anciennes. Ce vaste projet associe l’ULB
avec un historien et un archéologue du bâti6.
9 Respectivement, depuis 2015 et 2017, la DPA a mis en place deux nouvelles conventions
de recherche avec le CReA-Patrimoine de l’ULB, l’une visant à l’étude des matériaux de
construction – terres cuites, lapidaires et planchers7 –, l’autre portant son attention sur
l’étude des caves, celliers et salles basses à Bruxelles8.

2.1. Les charpentes bruxelloises : de l’arbre au chantier

10 La « radioscopie » détaillée et l’inventaire des charpentes anciennes de la RBC (2013-)


reposent sur plus de 130 spécimens – dont une centaine datée par dendrochronologie –,
et comportent pour l’heure une trentaine de planches typochronologiques utilisables
par l’archéologue, l’architecte, les gestionnaires de dossiers, voire l’amateur éclairé
(Fig. 1 et 2). L’analyse sur le terrain se focalise évidemment sur les matériaux (bois et
fer en charpenterie, mais également brique et pierre qui les supportent) et leurs mises
en œuvre. Les informations ainsi récoltées et mises en perspective permettent
d’éclairer de nombreuses problématiques comme la provenance des bois, la gestion des
ressources et l’organisation des chantiers de construction.
340

Fig. 1. Les sites étudiés par dendrochronologie en région bruxelloise (© urban.brussels).

Fig. 2. Exemple de planche typochronologique des charpentes anciennes en région bruxelloise (DAO, D.
Willaumez, 2019 ; © urban.brussels).

11 La plus vieille charpente repérée à Bruxelles est celle de l’église Saint-Lambert à


Woluwe-Saint-Lambert qui, datée par radiocarbone 14C de l’extrême fin du XIIe siècle,
appartient aux charpentes à chevrons formant fermes, type bien représenté en région
mosane, dans le Hainaut, le Brabant, la Flandre, le nord de la France, le Limbourg ou
l’ouest de l’Allemagne9. Dès le XIVe siècle, les portiques en trapèze superposés se
développent, d’abord dans des charpentes à chevrons formant fermes et ce parfois
jusqu’au XVIe siècle ; puis au XVe siècle dans des charpentes à fermes et pannes. Certains
types nous rapprochant du Pays mosan et du Brabant perdurent du XVe au XVIIIe siècle,
341

mais l’étude approfondie des traces d’outils, des assemblages et de leurs marques tend à
créer des sous-groupes propres au paysage bruxellois.
12 L’étude des charpentes anciennes englobe le XIXe siècle, période où la charpenterie
s’adapte aux nouvelles sources d’approvisionnement en bois d’œuvre venant parfois de
très loin via le port d’Anvers10.
13 Dès la fin du Moyen Âge, la mise en œuvre de structures à portiques superposés permet
l’utilisation de bois courts, dont les pièces apparaissent souvent marquées par une
croissance rapide provenant d’arbres à la silhouette trapue et présentant de nombreux
nœuds et tiges courbes. Si ces indicateurs ont été longtemps interprétés comme les
signes d’un environnement ouvert et dégradé, on tend aujourd’hui à nuancer cette
lecture. Les ressources forestières et boisées de la région de Bruxelles – la grande forêt
domaniale de Soignes (près de 10 000 ha à l’époque moderne), nombre de boqueteaux
privés, particuliers et ecclésiastiques, ainsi que les haies arborées ont certes été
fortement sollicitées par les besoins d’une population locale en hausse graduelle et par
les industries du feu. Mais ces caractères semblent aussi fortement découler – à l’image
d’autres régions du Nord-Ouest européen11 – d’un ensemble d’arrangements
sociotechniques ayant permis la cohabitation plus ou moins durable d’appropriations
contradictoires et l’exploitation ingénieuse de toutes les strates végétales à la
disposition des exploitants et des usagers. En forêt de Soignes, par exemple, la
commercialisation sylvicole dominante était le charbon de bois, les bûches et le bois de
fagot (nécessité impérieuse pour chauffer les foyers et le four des artisans). Nonobstant,
les peuplements – bien que parfois contrastés d’un canton à un autre – étaient
théoriquement conduits en futaie à la révolution des 80 à 100 ans (dans les faits, en
futaie sur taillis) pour des raisons difficilement réductibles : coutumières – Soignes était
une forêt soumise à des droits d’usage, notamment pour le ramassage du bois et des
herbes par les populations du pays et pour le pacage du bétail des éleveurs
environnants, y compris pour les ovidés pourtant notoirement connus comme
destructeurs – mais aussi symboliques – nécessité d’un cadre « magnificent » pour les
chasses royales et pour perpétuer l’image d’une forêt-ornement du pouvoir princier
installé dans la capitale bruxelloise12. Les bois privés étaient quant à eux plus
généralement conduits en taillis ou en taillis sous futaie à courte révolution (moins de
20 ans pour les taillis ; quelques révolutions pour les arbres de belle venue) et
fournissaient, avec les plantations d’alignements, des grumes caractéristiques à ce type
de sylviculture, c’est-à-dire des arbres trapus, noueux et aux branches courbes. La
longue chaîne opératoire reliant les différents espaces arborés aux nombreux chantiers
de construction apparait ainsi plus finement caractérisée.
14 L’ensemble de ces données sera publié prochainement dans un ouvrage édité sous la
direction de Patrick Hoffsummer et sous les auspices d’urban.brussels. Nous y
renvoyons le lecteur pour plus ample information.

2.2. Les briques, nouveau marqueur typochronologique pour l’étude


du bâti bruxellois

15 La brique constitue pour la ville de Bruxelles, et de manière plus générale pour


l’ensemble du duché de Brabant, l’un des matériaux principaux mis en œuvre dans la
production architecturale tardo-médiévale et durant l’époque moderne. En région
342

bruxelloise, son histoire est riche et diversifiée, et remonte vraisemblablement au


tournant des XIIIe-XIVe siècles, voire peut-être un peu avant13.
16 Les études préventives menées depuis 2004 et la mise en place depuis 2015 (Philippe
Sosnowska) d’une convention spécifique aux matériaux bruxellois et à la brique en
particulier ont permis la réalisation (forcément provisoire) d’un inventaire, la
construction d’une typochronologie et la constitution d’un catalogue de ces différentes
mises en œuvre en maçonneries, mais également dans différents types d’équipement.
L’étude archéométrique de ces terres cuites architecturales a complété le protocole.
Elle est menée en collaboration avec le Service géologique de Belgique en vue de mieux
comprendre l’origine géologique des argiles utilisées et la question des cuissons14.
L’approche des briqueteries et de leur localisation est également abordée. La réflexion
porte également sur les ordonnances associées à leur fabrication.
17 Au travers de critères morphologiques (format, couleur, matrice), cette approche a
permis de distinguer les matériaux produits localement de ceux importés (Fig. 3 et 4)15.
Huit à neuf types de briques ont déjà pu être mis en évidence. Trois ou quatre
proviennent, avec une relative certitude, de briqueteries bruxelloises, alors que cinq
autres résultent d’un commerce avec d’autres sites de production brabançons, voire
dans les Pays-Bas actuels. Concernant ces briques d’importation, elles apparaissent –
pour l’instant – caractéristiques de la période de reconstruction du centre-ville qui
suivit le bombardement de 1695, moment qui nécessita un apport très important en
matériaux de construction. Concernant les briques produites localement, si les
recherches menées jusqu’en 2013 avaient établi l’existence de deux types de briques
différentes, l’une caractéristique des XIVe-XVIe siècles, l’autre de la période couvrant les
XVIIe-XVIIIe siècles16, les études archéologiques récentes ont mis en évidence l’usage de
deux autres types de briques, se différenciant par leur format. Elles pourraient être
spécifiquement datées du XIVe siècle. Si cette hypothèse se confirme, elle permettrait
d’affirmer qu’au XIVe siècle, mais probablement plus à partir du XVe siècle, les
briqueteries bruxelloises produisaient des briques de format distinct, ce que tendent à
confirmer les premières ordonnances bruxelloises sur la production de ce matériau et
les études gantoises17.
343

Fig. 3. Bruxelles, Rue de l’Hôpital 29, maçonnerie médiévale en brique à matrice hétérogène produite
localement. Les terres cuites architecturales ont ici été taillées afin d’obtenir un profil trilobé (P.
Sosnowska, © urban.brussels – ULB).

Fig. 4. Bruxelles, rue du Marché-aux-Fromages 35, maçonnerie appartenant au pignon chantourné daté
de la reconstruction qui suivit le bombardement de 1695. Il s’agit de briques de petit format importées
depuis la région de Boom (sud d’Anvers) (P. Sosnowska, © urban.brussels – ULB).
344

18 Les qualités intrinsèques de la brique en font un matériau polyvalent. On soulignera la


grande variété des mises en œuvre, notamment dans les appareillages. Pour Bruxelles,
ce sont principalement cinq types d’appareils qui ont été utilisés par les maçons.
L’appareillage croisé reste le plus commun ; il est observé depuis le XIVe jusqu’au
XVIIIe siècle et est d’ailleurs toujours en usage actuellement. L’appareil flamand apparaît
entre le XIVe et le XVIe siècle, mais disparaît aux siècles suivants. L’appareillage sur
boutisse est mis en œuvre pour l’exécution des voûtes, mais également celle des puits,
alors que l’appareil sur panneresse est destiné aux cloisons ou à certains éléments de
maçonneries spécifiques. Ils sont tous les deux couramment utilisés durant tout
l’Ancien Régime. Récemment, les études archéologiques ont mis en évidence que pour
les phases médiévales, et peut-être encore au XVIe siècle, certaines maçonneries étaient
dressées en appareillage chaîné ou « norvégien », sans doute en association avec un
appareillage flamand.

2.3. Caves et salles basses : une approche « en profondeur » pour


comprendre l’urbanisation ancienne et les logiques fonctionnelles
du bâti

19 Il est bien connu des archéologues du bâti que les caves, salles basses et parties
souterraines des maisons anciennes constituent souvent un précieux conservatoire
d’informations pour mieux saisir de manière diachronique les logiques architecturales,
viaires et parcellaires. Peu développée à Bruxelles, comme d’une manière générale en
Belgique – à quelques exceptions près dans le nord du pays (Gand, en particulier)18, le
projet tente de combler cette lacune de manière globale en croisant les approches
archivistiques et archéologiques.
20 Pour le premier, ce sont les sources documentaires entretenues par les administrations
régionales et communales de Bruxelles (archives vivantes), mais aussi et surtout les
archives historiques, conservées dans les différents dépôts régionaux, qui sont
mobilisées. Un dépouillement ciblé par rue, voire par site permet d’enrichir la
connaissance des édifices étudiés en mettant en évidence, dans le temps, le statut des
habitants, leurs métiers, les constructions ou transformations opérées, la fonction des
espaces et les informations topographiques19. Cette méthode tend de plus en plus à
s’appliquer au-delà du présent projet en intégrant l’ensemble des interventions
d’archéologie du bâti menées à Bruxelles.
21 Pour le second, le résultat des opérations menées depuis 2017 montre de manière
évidente la richesse du patrimoine médiéval préservé. Ces études rejoignent et
amplifient les constats émis à plusieurs reprises lors d’interventions archéologiques qui
avaient mis en évidence la préservation en élévation d’importants vestiges
médiévaux20. Les exemples révèlent également et surtout la complexité d’évolution des
espaces construits et de circulation.
22 Par exemple, les caves de la rue de la Tête d’Or 1, sise en face de l’Hôtel de Ville de
Bruxelles, ne présentent pas moins de trois grandes campagnes de construction
s’étalant entre le XIIIe et les XVe-XVIe siècles. Plusieurs autres exemples témoignent
d’aménagements plus tardifs des caves au sein de maisons préexistantes. Ce sont les cas
des édifices de la rue des Dominicains 20 et 22 à Bruxelles, dont les premiers vestiges
remonteraient aux XIVe-XVIe siècle, les caves n’ayant été creusées qu’au XVIIe siècle (Fig.
345

5 et 6). Ce constat s’appuie sur l’analyse des mises en œuvre, notamment des reprises
en sous-œuvre des fondations des murs latéraux. La présence de résidus terreux sur des
parements (anciennes maçonneries de fondation) peut également indiquer la
postériorité d’aménagement de ces espaces sans pour autant pouvoir les intégrer avec
certitude au schéma précédemment évoqué, les maçonneries en question appartenant à
des habitations entre lesquelles s’insère la cave étudiée (Bruxelles, rue de la Tête d’Or 5
(Fig. 7) ; rue au Beurre 35). Dans ce cas, la construction ex nihilo d’une habitation
nouvelle au sein d’un bâti plus ancien n’est pas à exclure.

Fig. 5. Bruxelles, rue des Dominicains 18-28, plan « phasé » des caves (DAO, B. Van Nieuwenhove,
2018 ; © urban.brussels – ULB).

Fig. 6. Bruxelles, rue des Dominicains 22, vue axonométrique « phasée » des caves (DAO, B. Van
Nieuwenhove, 2018 ; © urban.brussels – ULB).
346

Fig. 7. Bruxelles, rue de la Tête d’Or 5, front nord de la cave construite en moellons datant du XIIIe ou du
XIVe siècle, repris afin d’installer un nouveau couvrement associant voûte d’arêtes et arcs doubleaux
(DAO, B. Van Nieuwenhove, 2018 ; © urban.brussels – ULB).

23 La position des caves pouvait également différer des habitations qui les surplombaient.
Sont ainsi relevées des caves construites postérieurement et dont la largeur plus
réduite que l’espace disponible correspond à une volonté de ne pas perturber les
fondations en place et de dissocier constructivement la cave des murs porteurs de la
structure hors-sol (cave arrière de la maison rue des Dominicains 20). Lorsque la
propriété et l’utilisation de la cave étaient dissociées du reste de la maison – par
exemple une habitation domestique au-dessus d’une cave louée ou vendue à un
commerçant –, des aménagements pouvaient toucher l’une sans que l’autre ne soit
concerné (cave à deux vaisseaux de la rue de la Tête d’Or 5-7). Dans certains cas,
l’existence d’une ruelle latérale desservant l’intérieur d’îlot a pu constituer une entrave
ponctuelle pour l’aménagement des caves21.
24 La brique semble rapidement s’imposer comme le matériau courant pour la
construction des voûtes. Les maçonneries mixtes (murs en pierre, voûtes en brique)
apparaissent ainsi de rigueur dès la fin du Moyen Âge. Néanmoins, le programme devra
s’atteler à mieux saisir, au cas par cas, l’importance initiale des couvrements en
plancher, aujourd’hui fréquemment remplacés. En l’état de l’inventaire et des
observations archéologiques menés à ce jour, la voûte la plus couramment utilisée à
Bruxelles est le berceau continu surbaissé, renforcé parfois par des arcs doubleaux. Ces
derniers sont aussi associés à des voûtes d’arêtes. Lorsque l’espace à couvrir était plus
ample, le choix s’est porté sur un système de voûtes parallèles délimitant deux
vaisseaux et reposant sur une file de colonnes circulaires ou des piliers carrés.
25 L’identification précise des fonctions est un volet important du projet. Bruxelles fut dès
le XIIIe siècle un centre important de production brassicole – dont on sait par certains
témoignages qu’elle pouvait se dérouler en cave – et un marché d’échange très
dynamique des filières vinicoles, en particulier pour les produits rhénans, mosellans et
français. Pour autant, d’autres fonctions existèrent et il convient de les documenter au
mieux. Une fouille menée dans la cave de maison rue au Beurre 24 a révélé pour la fin
du XVe siècle l’existence d’un atelier de pelletier associé à un puits en cave22. La
connaissance des fonctions artisanales des caves reste à étoffer. Les usages de caves
comme cuisine sont aussi attestés, mais pour une période généralement plus tardive,
surtout à partir des XVIIe-XVIIIe siècles, comme en témoigne une partie des caves
remarquablement bien conservées de la maison dite « Patricienne », rue du Chêne 10.
Reste enfin la fonction la plus complexe à identifier, l’usage domestique et sans grande
histoire des caves comme cellier et lieu de conservation des aliments et boissons des
habitants d’une maison. Ce pan de la recherche ne peut se faire autrement qu’en
accordant une place de choix à l’analyse fine des structures archéologiques en place
(présence de puits, positions des niches à bougie, emplacement de crochets dans la
voûte, infrastructures fonctionnelles diverses, position des accès et escaliers…), couplé
347

à une exploitation méthodique des sources écrites, qui fournissent nombre de


renseignements sur la fonction des édifices, les noms de maison (enseignes), les noms
et professions des usagers, etc.

3. Un groupe de maisons à deux pas de la Grand-Place


26 L’étude archéologique de plusieurs habitations permet d’illustrer les pratiques
d’intervention et la cohérence des problématiques mises en œuvre dans l’étude du bâti
civil ancien à Bruxelles. Les biens en question se composent d’une grande maison
double à front de la rue du Marché-aux-Herbes 8-10, issue du rassemblement derrière
une façade unique (après le bombardement de la ville en 1695) de deux unités
parcellaires et architecturales préexistantes, délimitées dans l’îlot par deux ruelles
intérieures relativement anciennes, les actuelles impasses des Cadeaux et Saint-
Nicolas ; l’autre bien est une maison de petite dimension en intérieur d’îlot sise en fond
d’impasse Saint-Nicolas 2, à l’arrière de la grande maison à rue (Fig. 8).

Fig. 8. Plan parcellaire de la ville de Bruxelles, par J.P. Bastendorff (1821), montrant l’îlot sous étude
redessiné et annoté, avec indication des noms de rue actuels et des noms anciens d’enseigne. Mis à
part les bâtiments en grisé non pertinents pour le propos, les bâtiments en couleur renvoient aux
unités de propriété relevées dans les sources écrites et cartographiques et la distribution parfois
complexe de leurs annexes en intérieur d’îlot (par exemple, la maison La Rose, numéro 156, en brun).
Les « c » correspondent aux cours intérieures (© Bruxelles, Archives de la Ville, Collection des Cartes et
Plans, n° 48) (DAO, Paulo Charruadas, 2019 ; © urban.brussels – ULB).

27 Les deux interventions ont été réalisées dans la cadre réglementaire d’une restauration
de biens classés23. Les permis octroyés par l’administration urban.brussels aux
propriétaires ont été accompagnés d’une clause archéologique imposant une étude
préalable24. Réalisées indépendamment l’une de l’autre, les deux opérations peuvent
être considérées comme relevant de l’archéologie préventive. Dans les deux cas,
348

plusieurs découvertes jugées intéressantes (structures et mises en œuvre particulières)


ont été intégrées dans les différents projets de restauration.
28 L’archéologie a été complétée par une enquête dans les archives afin de collecter les
textes de la pratique (lettres échevinales, actes notariés, inventaires de nature fiscale)
et d’éclairer la situation microtopographique et les profils socio-économiques des biens
sous étude. La documentation écrite ainsi réunie s’étend de la fin du XIVe à la première
moitié du XIXe siècle. Elle fournit les noms des maisons (enseignes) et des ruelles en
intérieur d’îlot permettant de situer avec certitude les biens décrits et de saisir avec
une certaine précision l’évolution diachronique des parcelles, des bâtiments et des
fonctions (cf. infra).
29 Le quartier où se trouve l’ensemble étudié présente une forte centralité (Fig. 9). La
grande maison à front de voirie tout comme l’impasse où se trouve la petite maison de
fond de parcelle se situent en effet sur la rue du Marché-aux-Herbes, l’une des voies
pavées les plus anciennes à Bruxelles (appelée dans les sources médiévales Steenwech,
‘chaussée’ en moyen néerlandais). Cette voie reliait, selon un axe nord-ouest/sud-est, la
ville haute (le Coudenberg, colline du château seigneurial) à la ville marchande du fond
de vallée, centrée sur une zone portuaire à cheval sur les deux rives de la Senne
(quartier Saint-Géry, riche gauche, quartier Saint-Nicolas, rive droite), pour rejoindre
ensuite la porte de Flandre (quartier Sainte-Catherine). Les environs de l’église Saint-
Nicolas, édifice près duquel se trouvent les maisons étudiées, ont gagné en importance
dès les XIIe-XIIIe siècles en devenant la zone commerçante par excellence comprenant le
marché principal de la ville, la Grand-Place ou Groote Merckt. Selon toute vraisemblance,
ces maisons s’intègrent dans un bloc bâti structuré progressivement à partir de cette
époque.

Fig. 9. Plan de Bruxelles au XVIe siècle montrant les différents quartiers de la ville dans la première et la
seconde enceinte. Le carré noir localise les biens sous étude dans le quartier Saint-Nicolas, zone
marchande du bas de la ville (Fonds de carte : BILLEN C., DUVOSQUEL J.-M., Bruxelles, Anvers, Fonds
Mercator, 2000, p. 147) (DAO, N. Bloch et Paulo Charruadas ; © urban.brussels – ULB).
349

30 L’ensemble édifié le long de la rue du Marché-aux-Herbes comprend deux maisons de


superficie distincte au sol (Fig. 10). La première, appelée Le Voile (Het Fallienhooft) fait ca
65 m², alors que la deuxième, plus réduite et appelée L’Ange (Den Engel), fait ca 44,5 m².
Une façade de style baroque classicisant unifie visuellement l’ensemble depuis la voirie
principale. Elle fut entièrement reconstruite en 1946 par l’architecte Van Beginne25. Si
cette nouvelle façade conserve la composition générale de l’ancienne qui se développait
sur six niveaux et huit travées, soit sur une hauteur sous corniche de 13,95 m pour une
largeur de 13,55 m, il faut souligner l’apparition d’un millésime <1700> et la mise à nu
des matériaux de construction, sans parachèvement apparent. L’unification visuelle
offre à l’ensemble un aspect relativement cossu, qui s’inscrit dans la logique
architecturale de mise en valeur de ces propriétés le long de cet important axe de
circulation du cœur marchand de la ville, mais qui tranche résolument avec les édifices
construits en intérieur d’îlot, le long des deux voiries secondaires, qui intègrent notre
réflexion. En effet, la petite maison sise le long de l’impasse Saint-Nicolas 2 présente
une différence d’échelle importante avec une élévation relativement basse, soit une
hauteur maximale sous corniche de 7,22 m, ne comprenant que quatre niveaux et une
emprise au sol actuel très modeste ne dépassant pas les 12,61 m2.

Fig. 10. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8 et 10, vue des deux bâtiments depuis la voirie, réunis
sous une façade commune (S. Modrie, 2014 ; © urban.brussels).

3.1. Résultats synthétiques de l’étude archéologique des maisons


rue du Marché-aux-Herbes 8-10

31 Les vestiges sont de nature diverse et témoignent amplement des conditions et du


modus operandi qui a régi l’intense phase de reconstruction du centre-ville entre 1695 et
1700. Cet ensemble constitue un exemple de premier plan pour aborder la construction
d’une maison particulière à l’époque moderne en permettant l’élaboration d’un riche
350

catalogue des différentes mises en œuvre de cette période. Plafonds, cloisons, escaliers,
planchers, cheminées, châssis et charpentes sont conservés dans une proportion
significative autorisant une reconstitution relativement assurée des espaces intérieurs
originaux et de nombreuses structures partiellement démontées. En outre, le chantier a
pu être défini comme l’œuvre d’un seul entrepreneur au vu des nombreux
aménagements coordonnés retrouvés sur site et en raison du fait que les deux bâtisses,
Le Voile et L’Ange, bien qu’indépendantes sur le plan fonctionnel, cadastral et nominal26,
étaient détenues dans la seconde moitié du XVIIe siècle par deux représentants (deux
frères ?) d’une même famille, les Borremans27 (voir également point 3.1.7).
32 À l’exception des deux rez-de-chaussée et de la cave du n° 8, tous les étages ont pu être
investigués et un sondage archéologique en sous-sol a pu être réalisé dans la cour du
n° 10.

3.1.1. Description du plan général, éléments d’élévation et structurations internes

33 Les deux habitations se caractérisent par un plan général en L relativement cohérent,


qui offre la possibilité, en intégrant aux étages la largeur des deux impasses, de se
développer sur tous l’espace disponible à front de rue (Fig. 11 et 12). Cette disposition
permet également un développement en profondeur le long des deux voiries
secondaires.

Fig. 11. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8 et 10, coupe transversale illustrant la différence de
niveaux entre les pièces avant et arrière. Plan d’adjudication, architecte M. Verliefden, A.2R.C,
13-09-2013.
351

Fig. 12. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10, coupe transversale illustrant la différence de niveaux
entre les pièces avant et arrière. Plan d’adjudication, architecte M. Verliefden, A.2R.C, 13-09-2013.

34 L’une des particularités de ces deux habitations est de présenter dans leur élévation
interne des niveaux de circulation distincts entre les pièces à rue et celles implantées
en arrière d’îlot, situation relevée depuis la cave jusqu’au troisième étage28. Seuls les
combles se développent sur un seul niveau29. Ce développement par demi-étage,
résultant d’une différence de niveau opérée entre la partie avant des bâtisses et la
partie arrière, répond, probablement, à la mise en place du programme architectural
du niveau de cave. Ce dernier se caractérise par une pièce arrière éclairée par plusieurs
soupiraux aménagés le long des deux impasses, alors que la pièce avant n’en dispose
d’aucun. Cet apport de lumière depuis ces voiries secondaires, a contraint les bâtisseurs
à disposer leur clé de voûte relativement haut en comparaison avec la pièce située le
long de l’actuelle rue du Marché-aux-Herbes. La présence de cheminées depuis ces
niveaux bas laisse envisager l’installation des cuisines dans cet espace arrière, bien
qu’une activité artisanale ne soit pas à exclure. Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre de ces
fonctions, il a été jugé nécessaire de fournir suffisamment de lumière et de permettre
également l’aération de ces pièces.
35 Chaque habitation était munie d’un escalier implanté au centre du plan, contre le mur
de refend séparant les deux maisons. Il s’agit d’un escalier montant depuis le rez-de-
chaussée, et permettant de distribuer directement l’ensemble des espaces. Pour le no 8,
il s’agit d’un confortable escalier tournant à droite rampe sur rampe dont les balustres
trapus évoquent ceux en pierres ornant la façade (Fig. 13). Pour le no 10, il s’agit d’un
élégant escalier en vis suspendue à limon cintré (Fig. 14).
352

Fig. 13. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8, escalier (S. Modrie, 2015 ; © urban.brussels).

Fig. 14. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10, escalier (S. Modrie, 2015 ; © urban.brussels).

36 La volonté de bénéficier d’une luminosité confortable est caractéristique de l’édifice


puisque les troisième et quatrième niveaux – les étages principaux – se voient chacun
éclairés par neuf fenêtres – cinq pour la pièce à rue et quatre pour la pièce arrière –
353

permettant un large apport de lumière dans chaque pièce. Ces dernières bénéficient
toutes d’une cheminée.
37 Enfin, concernant spécifiquement les toitures, on soulignera la particularité de leur
déploiement. Au no 8, deux toitures ont été disposées, l’une derrière l’autre,
parallèlement à la voirie principale. Elle couvre ainsi la partie avant de la maison. Une
troisième toiture se développe perpendiculairement aux premières et en couvre la
partie arrière. Dans le cas du premier groupe de toiture, il faut souligner que la
première située le long de la voirie ne bénéficie pas d’un accès depuis l’intérieur. Elle
est donc indépendante. Il faut en effet passer par le toit depuis une fenêtre datée de la
fin du XVIIe siècle (Fig. 15) pour s’introduire dans un espace qui, dès l’origine, n’a pas été
conçu pour être utilisé. Cette caractéristique très particulière a eu une incidence sur la
mise en œuvre des planchers.

Fig. 15. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8, fenêtre donnant accès aux chéneaux et conduit de
cheminée, datés de la fin du XVIIe siècle (S. Modrie, 2015 ; © urban.brussels – ULB).

3.1.2. Quelques éléments de mises en œuvre des maçonneries

38 La fouille dans la cour a livré d’intéressantes informations concernant l’histoire du


bâtiment.
39 L’étude du gros œuvre maçonnée démontre que l’édifice appartient bien à une seule
phase d’exécution bien qu’elle s’appuie partiellement sur des vestiges médiévaux de
fondation, découverts dans les caves et la cour. Un moignon d’une façade médiévale,
construite en pierre et en brique a servi à asseoir la nouvelle façade se développant le
long de la cour qui agrémentait l’édifice de la fin du XVIIe siècle (Fig. 16). Il reste difficile
de déterminer l’aspect extérieur de la maison médiévale. La mise au jour de cette
maçonnerie laisse suggérer que le bâtiment était peut-être, au minimum, du type dit
354

des maisons trois-quarts caractérisées par trois façades construites en dur et une
façade à pan de bois30.

Fig. 16. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10, vestiges médiévaux en limite de cour (S. Modrie,
2018 ; © urban.brussels).

40 La mise en œuvre des maçonneries est constituée pour l’essentiel de briques, la pierre
étant réservée principalement à l’exécution des baies et plus spécifiquement au
façonnage des appuis et des linteaux. Ce matériau est ainsi quasi absent de la
construction de l’édifice, exception faite peut-être de la façade, mais qui a été
reconstruite en 1946.
41 Concernant spécifiquement la brique, l’approvisionnement apparaît relativement
hétérogène tant pour les différents formats rencontrés que par la variété de qualité des
produits utilisés (Fig. 17). Cette dernière caractéristique résulte de la réutilisation
massive de matériaux provenant des décombres des bâtisses touchées par les bombes,
conjointement à un apport de matériaux neufs, produits localement ou importés. Cette
pratique a été largement identifiée dans la zone bombardée31. Ainsi, les premiers
mètres de maçonnerie comprenant le rez-de-chaussée et une partie du premier étage
ont été élevés à l’aide de briques de remploi produites localement soit durant la période
médiévale, soit durant le XVIIe siècle (26/28 x 12/13 x 5/5,5 cm).
355

Fig. 17. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8, 1er étage, façade donnant sur l’Impasse des Cadeaux :
briques de remploi à la base de la maçonnerie et briques d’importation à partir des baies (S. Modrie,
2015 ; © urban.brussels).

42 Le remploi massif de matériaux de construction ainsi que le maintien des structures


anciennes jugées suffisamment stables a largement été mis en évidence pour cette
période de construction intense tant lors des différents chantiers de fouilles32 qu’au
travers de l’analyse des réglementations mises en place par le magistrat33. Le nombre
élevé de caves et les vestiges médiévaux préservés hors-sol témoignent également de la
stabilité du parcellaire médiéval, sans profond remembrement.
43 À partir du premier étage, les façades sont exclusivement construites en briques de
petit format (16,5/17,5 x 7,5/8,5 x 3,5/4 cm), importées, mais dont l’origine précise n’a
pu être déterminée. Il ne s’agit cependant pas de la région de Boom34. Quant au mur de
refend séparant les deux maisons, il alterne des assises de briques neuves importées et
des briques bruxelloises en remploi (Fig. 18). L’ensemble des conduits de cheminée sont
exécutés avec des briques de petit format (16,5/17,5 x 7,5/8,5 x 3,5/4 cm).
356

Fig. 18. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8 et 10, mur mitoyen, alternance de lits de briques
importées (pâles) et de briques bruxelloises en remploi (S. Modrie, 2015 ; © urban.brussels).

44 Cette diversité montre la capacité d’adaptation des maçons qui ont œuvré à la
reconstruction de la ville, mais elle témoigne également des difficultés de produire
localement suffisamment de briques pour alimenter l’ensemble des chantiers,
nécessitant l’apport de ressources matérielles extérieures. Enfin, elle met en exergue
les principes constructifs qui régissent le secteur de la construction, qui ne rechigne
pas à réutiliser et recycler les matériaux jugés propres à être remis en œuvre35.

3.1.3. Mise en œuvre des planchers

45 Les planchers présentent une mise en œuvre relativement commune à Bruxelles,


associant poutres maîtresses dans lesquelles viennent s’assembler des solives36. Sont
relevées cependant de nombreuses particularités de conception qui en font une mise en
œuvre peu courante au sein du corpus actuel (Fig. 19). Cette originalité découle de trois
facteurs principaux : [1] le plan en L des deux maisons remembrées, associant un
développement en large le long de la rue et en profondeur pour les espaces en intérieur
d’îlot ; [2] une contrainte structurelle d’ancrer les poutres maîtresses aux murs
gouttereaux et au mur de refend central, les autres maçonneries intérieures n’étant
que de simples cloisons ; [3] le déploiement des toitures présenté plus haut (voir fig.
11).
357

Fig. 19. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8, 2e étage, pièce avant, poutraison supportant les
planchers (S. Modrie, 2015 ; © urban.brussels).

46 Concernant les poutres, le choix de bois aux sections différentes apparaît logiquement
entre celles couvrant les pièces à rue et celles couvrant les pièces arrière, plus étroites.
Les premières disposent ainsi de dimensions plus importantes comprises entre 23 et
30 cm pour une épaisseur allant de 29 à 34 cm. Les deuxièmes sont plus réduites avec 20
à 23 cm de largeur pour 26 à 28 cm d’épaisseur. Seule la poutre couvrant la pièce à rue
au troisième étage présente une section plus forte que le reste des pièces avec une
dimension de 31 x 34 cm et répond à une contrainte structurelle, celle de porter le
versant nord de la première toiture. Il s’agit de bois de brin. Le façonnage associe outil
de type hache et sciage manuel.
47 Pour les solives, des différences sont relevées entre les étages, mais également au sein
de certains niveaux. Ainsi au troisième étage du no 8, le plafond est constitué de cinq
travées. La première travée dispose d’une trame plus serrée comprenant 20 solives
alors que les quatre autres n’en disposent que de 1837. Les assemblages des solives aux
poutres sont de deux types : l’un voit l’insertion de la solive par embrèvement dans la
poutre, l’autre voit le maintien de ces pièces par le façonnage de demi-queues d’aronde.
À nouveau, si ces derniers assemblages sont présents à chaque niveau et pour toutes les
travées, on relève que les assemblages à demi-queue d’aronde ont été plus largement
mis en œuvre au troisième étage, dans la travée longeant la rue. Ainsi, ce sont huit
solives sur les 20 qui ont été façonnées avec ces assemblages à demi-queue d’aronde,
alors que pour les autres travées, ils ne sont qu’au nombre de quatre. Cette
différence résulte de la pose sur les solives de la première travée d’épaisses planches de
ca 5,5 cm d’épaisseur et de 29,5 à 33 cm de largeur et d’une seule portée de 6,65 m alors
que les lames de revêtements de sol sont généralement plus fines, avec environ 2,6 à
3 cm d’épaisseur (voir infra ). Cette disposition correspond à l’emplacement de la
première toiture.
48 Les solives ont une section comprise entre 9 et 11,5 cm tant pour leur largeur que leur
hauteur, avec une moyenne de 9,34 x 9,45 cm obtenue sur un échantillonnage de 240
358

pièces de bois. Ce résultat s’inscrit parfaitement dans la tendance observée du XVe siècle
au XVIIIe siècle à Bruxelles38, ce qui démontre amplement la standardisation de ces
produits depuis au moins le Moyen Âge tardif. Sur les 720 faces observées, 77 %
montrent un débitage à la scie avec pour plusieurs d’entre elles les traces d’un sciage en
long, 12 % portent les traces caractéristiques d’un façonnage avec un outil de type
hache dont une partie (16 %) présente encore de la flache. Le reste, soit 11 %, n’a pu
être déterminé faute d’accès à l’ensemble des faces.
49 Enfin, les bois mis en œuvre pour les poutres de plancher et les solives se composent
d’une combinaison de chêne et d’orme. De manière générale, si le chêne reste dominant
dans l’exécution du gros œuvre, l’identification de nombreuses autres essences
témoigne de la variété des bois utilisés par le secteur bruxellois de la construction. La
reconstruction qui suivit le bombardement semble avoir été le point d’orgue de cette
diversité. La nécessité de reconstruire rapidement et d’alimenter de très nombreux
chantiers explique en première analyse ce phénomène. Néanmoins, les découvertes
archéologiques récentes sur des bâtiments ruraux associées à des recherches en
archives témoignent d’une pratique courante d’usage d’essence secondaire destiné à la
confection des pans de bois39. Notons encore ce que chantier a été l’occasion de débuter
un projet de recherches spécifiques sur l’usage des gros fers dans la construction
bruxelloise40.

3.1.4. Les données obtenues sur l’étude des charpentes

50 La charpente supportant la couverture de la toiture du no 8 est de type à fermes et


pannes : un premier portique constitué d’un entrait, de jambes de force et d’aisseliers
supporte une fermette dont le poteau central soutenant la faîtière est étayé par deux
guettes (Fig. 20). Le contreventement est assuré par deux rangs de panne et la faitière
et relié à la structure par des liens. Les marques d’assemblage des deux fermes ont été
tracées à la rainette. Plus modeste, la charpente du no 10 reprend le type à fermes et
pannes dans un comble à surcroît où la ferme est composée d’un entrait, de deux
arbalétriers et un faux-entrait supportant un potelet central (Fig. 21a et b, Fig. 22). Ici
aussi, le contreventement est assuré par deux rangs de pannes, raidies par des liens. Les
marques retrouvées sur les deux fermes ont été tracées à la pointe (Fig. 23).
359

Fig. 20. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10, charpente (S. Modrie, 2015 ; © urban.brussels).
360

Fig. 21a et b. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10, charpente, relevé (DAO D. Willaumez ;
© urban.brussels).

Fig. 22. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8, charpente (S. Modrie, 2015 ; © urban.brussels).
361

Fig. 23. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10, charpente, marque d’assemblage tracée à la pointe
(A. Weitz, IRPA, 2013 ; © urban.brussels).

51 L’étude des charpentes41 a livré un résultat probant : le bâtiment n° 8 a vu la mise en


œuvre d’arbres abattus à différentes périodes, en automne-hiver 1694-1695, au
printemps-été 1695 et en automne-hiver 1695-1696. Le bâtiment n° 10 a quant à lui livré
un résultat situant l’abattage des arbres datés entre la fin de saison de végétation 1695
et l’automne-hiver 1695-1696. Ces résultats confirment donc les observations
archéologiques et les données archivistiques qui concluaient à la contemporanéité des
deux bâtiments et remettent en cause la datation du millésime présent en façade
(1700). L’utilisation d’arbres abattus au cours de plusieurs saisons de coupes, dont
certaines sont même antérieures au bombardement d’août 1695, indique qu’une gestion
des bois de construction avec un minimum de stockage avait bien cours pour subvenir
aux besoins de la ville. Malgré une typologie différente, l’étude des mises en œuvre des
bois42 a permis d’établir des similitudes entre les deux charpentes : l’usage de deux
essences de bois, l’habituel chêne et l’orme, au sein d’une même ferme ; l’utilisation de
bois de même nature, noueux et de petite section ; les marques d’assemblage, gravées à
la pointe à tracer sur les faces ventrales ; l’évolution du chantier, du nord vers le sud,
en particulier.

3.1.5. Structuration interne à pan de bois

52 La structuration intérieure est composée majoritairement de cloisons à pan de bois,


constituées d’une ossature alliant poteaux et entretoises, façonnées majoritairement à
partir de grumes de chêne auquel ont été associées quelques pièces de résineux.
53 Cette ossature est hourdée de briques posées sur panneresse (Fig. 24). En fonction des
cloisons, le mélange de brique peut-être relativement hétérogène, certaines d’entre
elles pouvant associer jusqu’à quatre types de briques différentes : briques locales
entières ou fragmentaires, briques importées de petit format de 17,3 x ? x 3,7 cm ou
encore de 21,8/23,4 x ? x 3,9/4,6 cm. Au contraire, certains hourdis sont construits
362

essentiellement avec des briques issues de briqueteries locales (format de 26,6/27,7 x ?


x 4,5/5,7 cm). Cette disparité ne correspond pas à des campagnes de construction
différentes, mais résulte plutôt d’un approvisionnement en matériau divers.

Fig. 24. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10, 3e étage, pan de bois hourdi de briques séparant les
pièces (S. Modrie, 2015 ; © urban.brussels).

54 Le tout était parachevé d’un enduit s’ancrant sur des baguettes en bourdaine. Les
poteaux sont majoritairement en chêne, mais on trouve quelques exemples en orme,
pin sylvestre et résineux43. Un deuxième type de cloison a été mis en place
spécifiquement pour la cage d’escalier (Fig. 25). Il s’agit à nouveau d’un pan de bois
comprenant des poteaux sur lesquels s’assemblent des entretoises. La fermeture est
réalisée avec des planches assemblées verticalement par rainure et languette.
363

Fig. 25. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8, cloison de l’escalie (S. Modrie, 2015 ;
© urban.brussels).

3.1.6. Quelques éléments sur le second œuvre

55 Concernant le second œuvre, l’étude a mis en avant la préservation des revêtements de


sol de la fin du XVIIe siècle. Il s’agit de lames assemblées à mi-bois ou à feuillure, selon
un profil en S. Les lames sont d’assez large section puisqu’elles oscillent entre 20 et
29,5 cm pour une épaisseur d’environ 3 cm (Fig. 26). Ces caractéristiques sont typiques
pour les planchers mis en œuvre depuis le XVIIe jusqu’au troisième quart du siècle
suivant44.
364

Fig. 26. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10 2e étage, détail sur le plafond et les lames de
planchers (S. Modrie, 2015 ; © urban.brussels).

56 La finition des plafonds d’origine était encore relativement bien conservée et


correspond au plafond à solives apparentes, courantes pour les édifices des XVIIe et
XVIIIe siècles45. La mise en œuvre voit la fixation aux poutres maîtresses, aux solives et
aux planches formant le revêtement de sol, de petites baguettes débitées dans des
rameaux fendus de bourdaine (Frangula alnus Mill.)46 fixées à l’aide de clous en fer forgé
et sur lesquelles sont appliquées des couches d’enduit et une couche de badigeon à la
chaux dans les tons blancs (Fig. 27).
365

Fig. 27. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 8, premier étage, plafond à solives apparentes (S. Modrie,
2015 ; © urban.brussels).

57 Enfin, outre les escaliers en chêne et en hêtre, une dizaine de châssis datés de la fin du
XVIIe siècle
ont été conservés parfois très transformés. Un châssis, qui avait été emmuré
côté extérieur et caché sous les enduits côté intérieur a été découvert, encore muni de
ses vitraux et de ses volets intérieurs (Fig. 28a et b). Cet objet remarquable a été
restauré47 et mis en valeur dans l’espace de vie d’un des appartements (Fig. 29).
Étudiées par le laboratoire de dendrochronologie de l’IRPA48, les planches des volets
conservent un dernier cerne de 1668, situant un terminus post quem pour l’abattage
après 1672. Les pièces de ces deux habitations ouvrant sur les voiries : la large rue du
Marché-aux-Herbes ou les deux petites impasses sont largement éclairées par un
nombre imposant de fenêtres de grandes dimensions. L’évolution de l’habitat en a
condamné plusieurs, mais les traces archéologiques permettent leur restitution.
366

Fig. 28a et b. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10, premier étage, châssis emmuré possédant
encore ses vitraux et ses volets intérieurs (2015, © IRPA).
367

Fig. 29. Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 10, étage premier, châssis à volets après restauration
(S. Modrie, 2020 ; © urban.brussels).

3.1.7. Les Borremans, commanditaires de la reconstruction de la fin du XVIIe siècle

58 La possession de ces deux maisons par les représentants d’une même famille, les
Borremans, a engendré des difficultés dans l’exploitation des fonds d’archives, tout en
posant la question du statut social et de la capacité financière de ces individus. Leur
identification pose en définitive la question du lien entre maison et société.
59 Le fait que ces biens immobiliers soient demeurés dans un même patrimoine a eu pour
effet la non-production d’actes écrits (pas de vente ni de constitution de rente passée
par-devant notaire, donc pas d’enregistrement documentaire)49. Cette absence n’a donc
pas permis de disposer des habituelles descriptions architecturales ni même
d’identifier des fonctions attribuées aux maisons, à tout le moins pour les niveaux bas,
souvent dévolus aux espaces commerciaux dans le centre marchand de la ville50.
60 On est par ailleurs particulièrement frappé par l’absence de toute constitution de rente
de la part des Borremans au moment de la reconstruction. Après le bombardement de
1695 et dans la nécessité de disposer d’argent pour redresser leurs biens ruinés, les
propriétaires ont abondamment fait appel à ce levier de crédit pour se refinancer,
grevant leur bien en ruine d’une rente annuelle fixe (en échange d’un capital prêté) et
anticipant de la sorte les futurs revenus fonciers du bien reconstruit. Dans le cas
présent, aucun acte du genre n’a été conservé et cela pose la question des capacités
financières des Borremans et plus particulièrement la possibilité pour eux de mobiliser
une réserve d’argent ou d’autres immeubles sur lesquels asseoir des constitutions de
rente.
61 Pour interroger le profil socio-économique des Borremans, mais aussi pour glaner des
informations sur les aspects fonctionnels des deux maisons reconstruites, il faut nous
368

tourner vers les inventaires et les recensements fiscaux. Nous disposons précisément
d’un recensement très détaillé effectué en 1702 par les États de Brabant, soit peu de
temps après le bombardement de 1695, lors d’une importante levée d’impôts réalisée
dans le cadre de la taxe dite du 20ème denier51. À ce moment, la maison Le Voile (n° 8) est
occupée, en personne, par la veuve Borremans, dite alors rentière (rentieresse), par son
fils Henri, négociant en étoffes et tissus (stofcremer) et par ses deux filles. S’y ajoutent
(une locataire ? une domestique ?) Élisabeth van Itterbeke et un enfant de moins de 14
ans. La maison L’Ange (n° 10), vraisemblablement encore propriété de la veuve
Borremans, est occupée (en location) par Pierre Lemmens, négociant chaussetier
(causcremer), son épouse, sa fille et un enfant en bas âge52.
62 L’indication « rentière » donnée à la veuve – terme qui n’est pas neutre en termes de
distinction sociale53 –, l’activité de négociant d’étoffes du fils Henri, de même que les
données archéologiques de la reconstruction permettent ensemble de les situer dans
une catégorie sociale plutôt aisée. Les deux maisons qu’ils reconstruisent le sont d’une
manière très soignée, rapide, résultat d’un véritable programme réfléchi. Par ailleurs,
la somme payée par la veuve et sa cellule familiale lors de la levée d’impôt de 1702 le
confirme.
63 En effet, le 20ème denier est un impôt portant sur les revenus annuels immobiliers. Son
nom découle du pro rata à payer eu égard aux revenus – ici en théorie 5 %, bien qu’il ait
vraisemblablement connu des ajustements au gré des circonstances et des nécessités
d’imposition54. Dans le cas présent, on peut observer une contribution relativement
élevée des Borremans. Si la plupart des sommes versées par les habitants du voisinage
ne dépassent que rarement les 10 à 15 florins – l’occupant du n° 10, Pierre Leemens,
paie par exemple 12 florins 10 sous –, avec quelques pics ponctuels autour des 20 à 30
florins, les Borremans sont quant à eux taxés à concurrence de 48 florins55 ! Nous avons
donc incontestablement affaire ici à une famille détenant un patrimoine foncier
significatif et dont la position sociale – la bourgeoisie commerçante aisée – ouvre des
perspectives pour l’interprétation des données archéologiques.
64 Nonobstant, il est important de rappeler que cela ne signifie pas que les Borremans
étaient riches sur le plan mobilier (argent notamment), mais bien d’un point de vue
immobilier. À titre de comparaison, certains nobles résidant dans le quartier de la Cour
(Hofwijck) sur le Coudenberg payaient entre 150 et 300 florins pour leurs biens fonciers
bruxellois56. A contrario, Pierre Benoit Dux, l’un des négociants et financiers les plus
riches de Bruxelles au tournant du XVIIIe siècle, ne paye que 11 florins en 170257.
Originaire d’Anvers, il ne possédait en effet aucun bien foncier à Bruxelles, à
l’exception du logement qu’il occupait en location dans le quartier Sainte-Catherine58.

3.2. Une petite habitation en cœur d’îlot : la maisonnette Impasse


Saint-Nicolas 2
3.2.1. Un noyau tardo-médiéval ?

65 Contrairement aux maisons à front de rue, la petite maison en fond d’impasse ne


présente aucun vestige médiéval (Fig. 30). Une maçonnerie préexistante a bien été
intégrée dans le bâtiment, mais à une époque tardive (XIXe siècle) tandis que sa
construction ne peut se situer au plus tôt qu’à la fin du XVIe siècle.
369

Fig. 30. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, vue de la façade. (B. Van Nieuwenhove, 2019 ;
© urban.brussels – ULB).

66 Plus précisément, ces vestiges médiévaux ont été relevés dans le mur ouest de l’actuelle
cage d’escalier assurant la distribution de la maison (secteur issu d’un agrandissement
de la maisonnette dans la seconde moitié du XIXe siècle). Il s’agit d’un mur d’environ
0,98 m de largeur et préservé sur 4,91 m de hauteur, construit uniquement en grandes
briques de production bruxelloise (Fig. 31). Il apparaît que cette maçonnerie s’étendait
vers l’ouest, soit dans l’emprise d’un bâtiment aujourd’hui disparu. Selon toute
vraisemblance et sur la base de l’organisation spatiale dévoilée par les archives, il doit
s’agir de l’actuelle maison rue des Fripiers 9, dite La Rose aux XVII e – XVIII e siècles (voir
fig. 8 et 32). La partie inférieure de ce mur était munie d’une niche à mitre
contemporaine de l’exécution du mur (Fig. 33). Cet équipement appartenait à un espace
extérieur de cour et en lien avec un puits commun (gemeyn borreput) approvisionnant
les habitants de l’impasse, abondamment attesté par les sources écrites59 et découvert
lors des fouilles de sous-sol (Fig. 34). Ce puits – qui n’a pas pu être lié à un niveau de sol
ou autre aménagement – présente un cuvelage en pierre portant les traces de taille IIa
déterminée par Frans Doperé, ce qui place sa construction entre 1400 et 147560.
370

Fig. 31. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, coupe longitudinale « phasée » vue vers l’ouest (DAO, B.
Van Nieuwenhove, 2019 ; © urban.brussels – ULB).

Fig. 32. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, plan « phasé » du rez-de-chaussée (DAO, B. Van
Nieuwenhove, 2019 ; © urban.brussels – ULB).
371

Fig. 33. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, maçonnerie médiévale et niche dans le mur ouest (P.
Sosnowska, 2019 ; © urban.brussels – ULB).

Fig. 34. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, puits en cours de fouilles (S. Modrie, 2019 ;
© urban.brussels).

67 Si aucune trace matérielle ne permet donc d’établir l’existence de ce petit bâtiment à la


fin du Moyen Âge, on notera que les sources écrites en revanche témoignent dès 1598
que trois « maisonnettes » étaient implantées en fond de parcelle61 dont il faut supposer
que toutes les structures ont disparu. À partir milieu du XVIIe siècle, les sources
mentionnent systématiquement la maisonnette en association de propriété avec une
372

seconde petite maison (libellé dans les actes : « les deux petites maisons »62). Aucun
élément matériel ne permet de définir, ni même de suggérer l’aspect de ces maisons
médiévales.

3.2.2. La reconstruction de la maison à la fin du XVIIe siècle

68 Les premiers vestiges directement en lien avec notre bâtiment remontent à la fin du
XVIIe siècle,comme en témoignent les matériaux mis en œuvre et la datation
dendrochronologique obtenue sur plusieurs bois de charpente63. Cette dernière permet
même de resserrer la date de construction de la maison à l’année 1699 ou 1700, en
posant comme postulat que le bois fut la plupart du temps posé vert, l’année suivant
l’abattage de l’arbre (Fig. 35a et b). Dans le cas présent, ce postulat peut être prouvé,
puisqu’un acte de constitution de rente du 29 avril 1700 portant sur les 3/5ème des
« deux petites maisons » les mentionne reconstruites64.

Fig. 35a. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, charpente, coupe longitudinale vue vers l’est (DAO B. Van
Nieuwenhove, © urban.brussels – ULB).
373

Fig. 35b. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, charpente, coupe transversale vue vers le nord (DAO B.
Van Nieuwenhove, © urban.brussels – ULB).

69 De la reconstruction de cette époque, seuls nous sont parvenus le mur ouest (Fig. 36),
les poutres de planchers couvrant le rez-de-chaussée, les fermes de charpentes dont les
entraits associés à des solives soutenaient encore un plancher comme revêtement de
sol. Les vestiges de deux murs clôturant respectivement la bâtisse au nord et à l’est
permettent de déterminer l’ancienne implantation du bâtiment avant les profondes
transformations du XIXe siècle (le démontage de la façade orientale afin de réaligner
l’impasse et/ou de l’élargir). Le plan de Lefebvre d’Archambault transcrit cette réalité
par la présence d’un petit espace ouvert bordant au nord la parcelle (Fig. 37).
L’appartenance du mur sud à cette phase est sujette à caution et sera traitée dans un
point particulier.
374

Fig. 36. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, 1er étage, mur ouest daté de la fin XVIIe siècle (P.
Sosnowska, 2019 ; © urban.brussels – ULB).

Fig. 37. Plan parcellaire de Lefebvre d’Archambault (1769-1774) (© Archives de la Ville de Bruxelles,
Cartes et Plans, 120).

70 L’ensemble des éléments mis en avant permet de définir une bâtisse à trois niveaux,
dont un niveau de comble à surcroît, d’un minimum de 3,40 m de longueur, de 3,57 m
375

de largeur, et d’une hauteur maximale sous corniche de 7,22 m. La maison relève d’une
typologie encore à préciser, mais très probablement destinée à des groupes sociaux
modestes. Si le niveau de circulation au rez-de-chaussée n’a pu pas être établi, ceux du
premier étage et de l’étage sous comble atteignent les 24,15 m et 27,34 m, ce qui définit
une hauteur sous plafond de ca 3,08 m.
71 Nous ne disposons d’aucune information concernant la composition des deux façades ni
de la structuration interne du bâtiment. La disposition actuelle des solives tend à
démontrer qu’aucune cheminée n’occupait l’espace du rez-de-chaussée. La situation au
premier étage n’a pas pu être déterminée en raison des travaux de démontage avant
notre arrivée. En l’absence de cave enterrée, il est possible que ce niveau de plain-pied
ait été affecté à une salle basse ayant fonction de cellier. On imagine aisément que sans
cheminée, il ne devait pas y faire bon vivre. Un espace de stockage frais pour les vivres
est une hypothèse de fonction séduisante.
72 Les matériaux mis en œuvre pour les maçonneries présentent un caractère
relativement hétérogène associant des briques de périodes, de provenances et d’états
différents. Pour une partie des produits utilisés, il s’agit clairement de remploi. Bien
que commun à la période de l’Ancien Régime, voire jusqu’au milieu du siècle passé,
l’usage massif de matériaux de seconde main caractérise pleinement la période qui
suivit le désastre de 1695, comme nous l’avons décrit plus haut. On soulignera dans le
cas de cette maison et des structures préservées, l’absence de matériaux lithiques.
Quant aux ouvrages en bois, ceux-ci s’inscrivent pleinement dans la tradition
constructive de la période mentionnée tant pour les essences utilisées – du chêne pour
le gros œuvre et du peuplier pour les revêtements de sol préservé – que pour leurs
mises en œuvre, notamment la typologie du plancher comme structure portante, celle
de la ferme de charpente et enfin celles des assemblages des lames du plancher du
niveau de comble. Dans le premier cas, le plancher s’insère dans une catégorie
relativement courante à Bruxelles comprenant une succession de poutres maîtresses
soutenant une série de solives. Ici aussi, ces dernières ont des dimensions courantes,
voire sérialisées pour les époques concernées65.
73 Dans le deuxième cas, il s’agit d’une charpente à fermes et pannes dont la typologie est
fréquente à Bruxelles entre 1660 et 1785. Enfin, au dernier et troisième étage, les lames
en peuplier66 présentent des assemblages à mi-bois en usage durant les XVIIe et
XVIIIe siècles67.

3.2.3. De l’appartenance du mur sud à la construction de la fin du XVIIe siècle

74 La datation du mur sud reste problématique et pose question quant à son rattachement
à la maison voisine du n° 1 (Fig. 38).
376

Fig. 38. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, coupe transversale vue vers le sud (DAO, B. Van
Nieuwenhove, 2019 ; © urban.brussels – ULB).

75 Dans ce cas, il faut rappeler la grande hétérogénéité qui caractérise l’ensemble des
maçonneries composant ce mur sud, ainsi que certaines particularités constructives.
Des briques de formats différents ont été utilisées pour construire chaque niveau : de
grandes briques de type bruxellois au rez-de-chaussée et dans le pignon, et des briques
d’importations de formats différents au premier étage. Dans ce cas, il s’agit pour
plusieurs d’entre elles d’éléments de remploi. Ce dernier aspect pose résolument
question. Si des briques d’importation ont été largement utilisées lors de la
reconstruction qui suivit le bombardement de 1695 – il s’agit même d’une des
caractéristiques constructives les plus importantes de cette période – nous n’avons
jusqu’à présent jamais rencontré de maisons datées de la fin du XVIIe siècle construites à
l’aide de briques d’importation en remploi. Plusieurs hypothèses peuvent être
avancées.
76 [1] Il s’agit de briques d’importation antérieures au bombardement, utilisées dans un
édifice bruxellois et intégrées dans ce bâtiment entre 1699 et 1700. Cette proposition
est intéressante, mais il s’agirait du premier cas d’importation antérieure à cette date
relevé à Bruxelles. [2] Ces briques proviennent d’un stock ou d’un bâtiment construit
dans la région de production des matériaux ; se pose alors la question des deux types de
briques en remploi relevés dans le même mur. [3] Le mur sud appartient, entièrement
ou en partie, à une phase postérieure au bombardement utilisant des matériaux de la
reconstruction. Dans ce cas, les nos 1 et 2 devraient être considérés comme une seule
unité d’habitation. La présence au rez-de-chaussée de deux baies, dont une pourrait
être clairement une porte donnant accès vers la maison adjacente, pourrait appuyer
cette hypothèse.
377

77 Bien que cette proposition apparaisse séduisante, elle se heurte néanmoins à plusieurs
contre-arguments. En premier lieu, les deux maisons sont mentionnées dans les textes
écrits, bien que systématiquement associées l’une à l’autre et formant une seule et
même unité de propriété depuis le milieu du XVIIe siècle, sous deux numéros de police
distincts à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle (pour rappel : l’actuel n° 1 de
l’impasse formait le 1671 et le n° 2, bien sous étude, le 1672), ce qui laisse supposer qu’au
moment de l’instauration de cette numérotation, les deux maisons formaient, au moins
théoriquement, deux unités distinctes d’habitation. En deuxième lieu, la présence d’un
escalier montant de fond au n° 2, mais dont la datation n’est pas assurée, ainsi que la
présence possible d’un escalier similaire au no 1 comme le suggèrent les auteurs de
l’état de référence relatif à l’étude du bien68, infirmeraient le développement proposé.
Ceux-ci soulignent qu’une ancienne cage d’escalier a pu être implantée dans l’emprise
de l’actuelle (qui ne dessert que les deuxième et troisième niveaux) d’après sa position à
l’aplomb de l’escalier menant à la cave et la présence de quatre solives modernes sous
l’escalier actuel, alors que le reste du plancher apparaît ancien. Chaque maison a ainsi
pu être desservie par un escalier. Toutefois, dans les deux cas, aucune date n’est
pleinement établie et la prudence reste donc de mise. Enfin, en dernier lieu, l’absence
de mur de refend au premier étage implique dans ce cas-ci l’inexistence du mur pignon
visible dans les combles et la mise en place d’une ferme de charpente intermédiaire. La
disparition de la charpente au no 1 empêche toute comparaison.
78 Cette disposition va de pair avec l’installation d’un mur au rez-de-chaussée dont la mise
en œuvre apparaît fort particulière, puisqu’elle comporte notamment un grand nombre
d’assises de panneresses posées sur chant venant buter contre une poutre maîtresse de
large section.
79 Si l’ensemble des murs date d’une même phase, alors la superficie au sol apparaît
relativement réduite avec 12,5 m2.

3.2.4. Les vestiges d’une deuxième bâtisse implantée à l’extrémité de l’impasse de


la fin du XVIIe ou du XVIIIe siècle

80 Le mur nord de la bâtisse actuelle correspond initialement à un ancien mur de façade


intégré durant le XIXe siècle dans le bâtiment actuel. Cette élévation apparaît sur le plan
levé par Lefèvre d’Archambault entre 1769 et 1774. Elle intègre un bâtiment de plan
quadrangulaire implanté à l’extrémité de l’impasse, qui appartenait vraisemblablement
à la maison La Rose, ancienne rue des Fripiers 9. Les matériaux utilisés – des briques de
grand format à matrice homogène produite à Bruxelles – permettent, sans trop de
précision, de situer la construction de ce mur à la fin du XVIIe ou pendant le siècle
suivant. Une différence de qualité des matériaux entre les deux bâtiments peut être
mise en évidence puisque dans ce cas-ci, l’essentiel des matériaux est entier.

3.2.5. Les profondes transformations réalisées à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle

81 Le bâtiment connut durant cette période une importante campagne de travaux qui en
modifia profondément l’aspect général. En premier lieu, le bâtiment fut agrandi vers le
nord. Ce développement est matérialisé par la construction d’un nouveau pignon
bordant le puits. Cet aménagement entraîna le prolongement des charpentes jusqu’à la
nouvelle maçonnerie par l’ajout pour les planchers de solives et de lambourdes aux
étages et de pannes associées à des ancres en fer à cheval pour la toiture. En outre, la
378

façade longeant l’impasse fut presque intégralement remontée (Fig. 39). En deuxième
lieu, elle fut munie d’une cave voûtée s’étendant au nord jusqu’au puits, en intégrant
partiellement son fût (Fig. 40).

Fig. 39. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, 1er étage, Mur est avec indication des unités
stratigraphiques (P. Sosnowska, 2019 ; © urban.brussels – ULB).

Fig. 40. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, cave, mur nord avec indication des unités stratigraphiques
(P. Charruadas, 2019 ; © urban.brussels – ULB).

82 Il reste difficile d’affirmer les raisons de ces transformations. Plusieurs éléments, pour
partie complémentaires, peuvent être invoqués. Soit il faut y voir la cause de problèmes
379

structurels tels qu’ils nécessitèrent une reconstruction presque intégrale de ces deux
fronts de la bâtisse. Soit on peut imaginer une volonté de la Ville de modifier
l’alignement afin d’élargir l’impasse pour des raisons de salubrité et de sécurité contre
les incendies69. Dans ce cas, la superficie perdue sur la voirie aurait pu être récupérée
par le propriétaire sur ce petit espace comprenant le puits et ayant échu à
l’administration communale. Un dernier élément doit être pris en compte : l’achat de la
maison et de sa « petite sœur » attenante (le n° 1) par un personnage au statut social
important, le noble Engelbert François Cupis de Camargo, attesté comme propriétaire
et occupant dans les deux dernières décennies du XVIIIe siècle. En 1782, il est dit écuyer
avocat au Conseil souverain de Brabant70. La maison sous étude a probablement
constitué son pied-à-terre lorsqu’il devait être présent en ville71. Dans ce cadre et au vu
du niveau socio-économique de cet individu, les importants travaux menés sur la
maison pourraient trouver une explication crédible.
83 L’accès à la maison se faisait depuis l’impasse Saint-Nicolas par une porte désaxée au
sud face à l’escalier qui fut maintenu et qui permettait de distribuer tous les étages. Un
seul soupirail apportait un éclairage ténu à la cave et en facilitait l’aération. Cette
disposition résulte probablement de l’étroitesse de la parcelle et de la position de la
porte précitée. Le rez-de-chaussée était éclairé par au moins une fenêtre. Au premier
étage, l’apport naturel de lumière se faisait grâce à deux fenêtres, l’une à l’aplomb de
celle du rez-de-chaussée, l’autre depuis le pignon. Cette dernière élévation comprenait
au niveau des combles une dernière petite fenêtre. La maison fut également pourvue en
confort par la construction de la cheminée d’angle, du moins avec certitude, celle
implantée au premier étage, les transformations postérieures ne permettant plus de
déterminer l’existence d’un âtre au rez-de-chaussée. Seule une fouille sédimentaire
permettrait de le confirmer.
84 Ces travaux virent la mise en œuvre essentiellement de briques neuves et, pour
l’exécution de certains éléments comme la porte, de pierre blanche en remploi,
provenant peut-être des démontages effectués. L’agrandissement du plancher vers le
nord vit un usage de bois de hêtre pour la confection des solives72.
85 Un dossier d’archives des années 1864-1865 nous renseigne à ce moment sur le
propriétaire de la maison, un rentier nommé Lambert Doré : il avait demandé à la Ville
de pouvoir lui acheter la petite parcelle située au nord de sa maison. Un rapport du
service des Propriétés communales daté du 21 octobre 1864 résume clairement
l’affaire : La parcelle de terrain que le S[ieu]r Doré demande à acquérir est un terrain vague sur
lequel était autrefois établie une pompe à l’usage des habitants de l’impasse St Nicolas. Cette
pompe a été supprimée et les maisons pourvues d’un abonnement aux eaux de la ville. Le terrain
est figuré au calque ci-joint par des traits rouges (Fig. 41). J’estime la valeur de ce terrain,
indiqué sur le plan calque ci-joint lettre A à 105,00 francs le mètre carré (…)73.
380

Fig. 41. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, extrait de plan cadastral accompagnant la demande
d’achat de la parcelle à la ville de Bruxelles (© Archives de la Ville de Bruxelles, Travaux Publics, 32703).

86 L’acte de vente est finalement passé le 17 janvier 1865. Il est très intéressant d’y relever
deux singularités qui éclairent la situation spatiale et foncière dans l’impasse. Tout
d’abord, on notera que ce puits, qualifié de « commun » tout au long des XVIIe-XVIIIe
siècles, n’échut vraisemblablement pas à la ville par une vente ou une donation, mais
en sa qualité de « terrain vague » ayant perdu sa propriété collective d’usage. À ce titre,
la Ville ne fut pas en mesure de produire le moindre acte de propriété lors de la vente
de 1865, le notaire insistant alors sur l’importance du présent acte authentique.
Ensuite, l’article 2 des conditions de la vente souligne que ce « terrain vague »
s’appuyait sur un mur appartenant à la maison actuelle rue des Fripiers 9 (au moment
de l’acte, numérotée 17) : L’acquéreur devra supporter les servitudes passées, appresentes ou
occultées et faire valoir les servitudes actuées qui peuvent exister sur ladite parcelle de terrain, à
ses frais, risques et périls, sans pouvoir, dans aucun cas, et notamment pour certaine fenêtre
pratiquée dans le mur de la propriété de M. Pastein, rue des Fripiers, n° 17, aboutissant à la dite
parcelle, réclamer l’intervention de la ville de Bruxelles qui ne donne à ce sujet aucune garantie à
l’acquéreur.
87 À la suite de l’achat de la zone du puits désaffecté, ce secteur fut privatisé, tout en
restant à ciel ouvert, simplement fermé par un muret muni d’une porte, tel qu’en
témoigne un relevé de la façade existante en 1871 (Fig. 42), peu avant son intégration
totale à la maison sous étude (cf. infra). De cette phase date la fermeture de la porte
d’entrée principale de la phase précédente aménagée le long de l’impasse, comme
relevée dans le document précédemment cité. Il est probable qu’elle fut remplacée par
une nouvelle porte percée alors dans le mur-pignon nord, accessible depuis l’ancienne
zone du puits, à ciel ouvert.
381

Fig. 42. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, document présentant la situation existante et la situation
projetée accompagnant une demande de permis de 1871 (Archives de la Ville de Bruxelles, Travaux
Publics, 21702).

88 On notera également que l’extrait cadastral contenu dans ce dossier indique que cette
maison a été dissociée de sa maison « jumelle ». Ce rattachement n’est pas attesté avant
les années 1930, comme il en ressort d’une enquête sur les habitations ouvrières
publiées en 1936-194074.
89 La maison fut une dernière fois agrandie vers le nord après 1871 en intégrant cette fois-
ci complètement l’ensemble de l’espace du puits. Cet apport en surface habitable,
quoique restreint, permit de libérer les différentes pièces de l’escalier d’angle par
l’aménagement d’une nouvelle cage d’escalier dans l’espace intégré (Fig. 43). Le rez-de-
chaussée apparaît être un espace unique comme en témoignent les traces de finition
relevées sur le limon et les planches de l’escalier visible depuis la pièce principale. Le
tronçon de façade nouvellement construit apparaît relativement simple. Il est pourvu
d’une fenêtre partiellement aveugle. Cette disposition particulière pourrait être
associée à l’aménagement d’une salle d’eau sur le palier.
382

Fig. 43. Bruxelles, impasse Saint-Nicolas 2, vue de l’intérieur du conduit de cheminée après son
démontage (S. Modrie, 2019 ; © urban.brussels).

90 Cet agrandissement est documenté par un dossier de permis daté entre mars et mai
187175. Le 24 mars de cette année, le propriétaire, un commerçant nommé Meloy,
résidant comme locataire dans une autre maison de l’impasse (vraisemblablement dans
la zone disparue après la construction de la galerie du Centre), demanda l’autorisation
d’exhausser son bien, arguant que son bail arrivant à expiration, il lui fallait gagner de
l’espace dans sa propriété pour son activité marchande (un plan associé à cette
première demande montre un état existant et un état projeté, voir fig. 42). Après refus
de la Ville en raison de l’insuffisante épaisseur de mur au rez-de-chaussée et du
dépassement de la hauteur autorisée par son règlement sur les bâtisses, Meloy obtint
son feu vert en renonçant à l’exhaussement général d’un étage et en se contentant
d’intégrer complètement à la maison la zone du puits…
91 Cette nouvelle extension entraîna la fermeture de la fenêtre appartenant au bâtiment
mitoyen en limite nord et le rehaussement de ce mur. Il n’est cependant pas à exclure
que ce rehaussement soit antérieur à cette phase. L’ensemble du rez-de-chaussée
formait un espace unique à cette époque. Aucune trace de cheminée n’a été mise au
jour76.

4. Conclusion
92 L’archéologie du bâti est actuellement à Bruxelles une discipline en plein essor. Outre
les possibilités d’investigation sur site dont on aimerait évidemment qu’elles soient les
plus nombreuses possible – surtout dans une ville au foncier extrêmement dynamique
et où ipso facto la densité des chantiers de constructions et/ou d’aménagements est
particulièrement forte –, nous avons voulu insister sur la pluridisciplinarité des
383

interventions. Les programmes d’étude en cours et la coordination des équipes lors des
interventions d’archéologie préventive permettent d’inciser avec une rare précision
dans la matière patrimoniale et de produire un ensemble de connaissances de grande
facture.

NOTES
1. CHARRUADAS P., « Bruxelles et ses communes. Une région, une histoire… », in JAUMAIN
S. dir., Histoire et patrimoine des communes de Belgique. La Région de Bruxelles-Capitale,
Bruxelles, 2009, p. 12-50 ; DE BEULE M., Urbanisme aux 19e et 20e siècles. Bruxelles. Histoire de
planifier, Bruxelles, 2017.
2. COLLECTIF, Le Patrimoine monumental de la Belgique, Bruxelles Pentagone, 3 vol., Liège,
Mardaga, 1989-1994 ; HEYMANS V. dir., Les maisons de la Grand-Place de Bruxelles, 4e édition
revue et augmentée, Bruxelles, 2011.
3. VAN IMPE E., « The Rise of Architectural History in Belgium 1830-1914 », Architectural
History, 51, 2008, p. 161-183.
4. Il suffit pour cela de confronter deux études qui ont fait date sur cet événement :
CULOT M., HENNAUT E., DEMANET M., MIEROP C., Le bombardement de Bruxelles par Louis XIV et la
reconstruction qui s’en suivit, 1695-1700, Bruxelles, 1992, et SOSNOWSKA P., GOEMAERE E., « The
reconstruction of Brussels after the bombardment of 1695. Analysis of the mechanisms
of recovery of the city through a historical and archaeological study of the use of
brick », Construction History Journal, 31/2, 2016, p. 59-80.
5. Arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 3 juillet 2008 relatif à
l’agrément des auteurs archéologiques. À cette époque, la région comprenait sept
agréés : le MAH, l’ULB, l’asbl Recherches et Prospections archéologiques, la Katholieke
Universiteit Leuven, la Société royale d’Archéologie de Bruxelles, Monument
Vandekerckhove nv et Adede bvba. L’agrément est valable 5 ans.
6. Convention visant à la réalisation d’un inventaire typologique et dendrochronologique des
charpentes anciennes en Région de Bruxelles-Capitale (2013-). Voir à ce sujet WEITZ A.,
CHARRUADAS P., CREMER S., FRAITURE P., GERRIENNE P., HOFFSUMMER P., MODRIE S., SOSNOWSKA P.,
« Réalisation d’un inventaire typologique et dendrochronologique des charpentes
anciennes en Région de Bruxelles-Capitale », Archaeologia Mediaevalis, 37, 2014,
p. 123-125.
7. Convention visant à développer l’étude des céramiques et des pierres architecturales, et des
planchers en bois pour les sites archéologiques en Région de Bruxelles-Capitales (2015-).
8. Convention visant à l’étude archéologique, architecturale et historique des caves et salles
basses à Bruxelles (XIIIe-XIXe siècles). Brussels Archaeological Survey – BAS. Un enjeu majeur pour
la compréhension du développement urbain et pour la gestion patrimoniale de la ville
d’aujourd’hui (2017-).
384

9. HOFFSUMMER P., WEITZ A., Typologie de la charpente en région Bruxelloise, rapport


d’analyse inédit, mars 2017, p. 5.
10. Ibid., p. 3.
11. BURIDANT J., « Du ‘modèle’ à la pratique : la gestion des peuplements caducifoliés
dans la France moderne, XVIe-XVIIIe siècle », in CORVOL A. dir., Les forêts d'Occident du
Moyen Âge à nos jours. Actes des XXIVe Journées internationales de l'abbaye de Flaran ,
Toulouse, 2004, p. 203-220 ; WARDE P., Ecology, economy and state formation in early modern
Germany, Cambridge, 2006 ; RADKAU J., Nature and Power: A Global History of the
Environment, Cambridge, 2008, p. 141-142.
12. CHARRUADAS P., « Gérer et exploiter une grande forêt domaniale à l'ère
préindustrielle. Soignes, une forêt capitale ? », Bruxelles Patrimoines, 14, 2015, p. 6-15 ;
CHARRUADAS P., DELIGNE C., « Cities hiding the Forests. Wood Supply, Hinterlands, and
Urban Agency in the Southern Low Countries, Thirteenth to Eighteenth Centuries
[chapter 5] », in SOENS T., SCHOTT D., TOYKA-SEID M., DE MUNCK B. dir., Urbanizing Nature.
Actors and Agency (Dis)Connecting Cities and Nature Since 1500, New York-Londres, 2019, p.
112-134 ; HOFFSUMMER P., FRAITURE P., HANECA K., « Bois des villes et bois des champs, de la
Flandre à l’Ardenne », in BÉPOIX S., RICHARD H. dir., La forêt au Moyen Âge, Paris, 2019,
p. 161-170.
13. SOSNOWSKA P., « La brique en Brabant aux XIIIe-XVe siècles. État de la recherche et
comparaison avec le Hainaut de Michel de Waha », in CHANTINNE F., CHARRUADAS P.,
SOSNOWSKA P. dir., Trulla et cartæ. De la culture matérielle aux sources écrites. Liber
discipulorum et amicorum in honorem Michel de Waha, Bruxelles, 2014, p. 387-432.
14. GOEMAERE E., SOSNOWSKA P., GOLITKO M., GOOVAERTS T., LEDUC T., « Archaeometric and
archaeological characterization of the fired clay brick production in the Brussels-
Capital Region between the XIV and the third quarter of the XVIII centuries (Belgium) »,
ArcheoSciences, 43‑1, 2019, p. 107‑132.
15. SOSNOWSKA P., GOEMAERE E., « The reconstruction… », op. cit.
16. SOSNOWSKA P., De briques et de bois. Contribution à l’histoire de l’architecture à Bruxelles.
Étude archéologique, technique et historique des matériaux de construction (XIIIe-XVIIIe s.), vol. 1,
thèse de doctorat inédite ULB, 2013.
17. LALEMAN M.-C., STOOPS G., « Baksteengebruik in Vlaamse steden : Gent in de
middeleeuwen », in COOMANS T., VAN ROYEN H. dir., Medieval Brick Architecture in Flanders
and Northern Europe : the question of the Cistercian origin, Koksijde, 2008, p. 175.
18. BLARY F., CHARRUADAS P., SOSNOWSKA P., « La construction des caves médiévales et
modernes dans les villes de l’espace belge », in BIENVENU G., MONTEIL M., ROUSTEAU-
CHAMBON H. dir., Construire ! Entre Antiquité et époque contemporaine. Actes du 3e Congrès
francophone d’histoire de la Construction, Paris, 2019, p. 675-684 ; BLARY F., CHARRUADAS P.,
MODRIE S., SOSNOWSKA P., « Les caves et salles basses à Bruxelles », in ALIX C., GAUGAIN L.,
SALAMAGNE A. dir., Caves et celliers dans l’Europe médiévale et moderne, Tours, 2019,
p. 87-100.
19. LEEN C., EVERAERT G., LALEMAN M.-C., Erf, huis en mens : huizenonderzoek in Gent, Gand,
2001 ; DRUEZ L., Chaque maison a son histoire. Guide des sources relatives au patrimoine
immobilier privé, Namur, 2016.
385

20. Voir par exemple SOSNOWSKA P., « De l’habitat ordinaire à « l’hôtel de maître » : la
maison Dewez rue de Laeken à Bruxelles (XIVe-XXIe s.) », Medieval and Modern Matters, 2,
2011, p. 167-209 ; SOSNOWSKA P., GOEMAERE E., « The reconstruction… », op. cit.
21. Une charte du 8 octobre 1347 (Archives de la Ville de Bruxelles, Chartes privées de
Bruxelles, pièce n° 331) concernant la maison Le Renard située Grand-Place 7, voisine de
la maison La Tête d’Or, rue de la Tête d’Or 1, illustre une telle situation. Elle témoigne
que les deux maisons évoquées n’étaient pas encore accolées l’une à l’autre et qu’une
ruelle les séparait. À cette date, le locataire du Renard, en accord avec son propriétaire,
s’engagea à étendre Le Renard vers la maison voisine de La Tête d’Or en lui portant aucun
préjudice et tout en conservant le passage au rez-de-chaussée desservant les
habitations en intérieur d’îlot. La cave en particulier a été élargie, mais l’état matériel
actuel laisse apparaître que si les deux maisons hors sol ont bel et bien été accolées, ce
ne fut pas le cas des caves. L’agrandissement de celle du Renard semble bien avoir eu
lieu, mais – sans doute pour des raisons de stabilité – un important terre-plein a été
conservé entre les deux espaces enterrés.
22. Fourny M., « Les fouilles de la cave du n° 24, rue au Beurre », Annales de la Société
royale d’Archéologie de Bruxelles, 59, 1994, p. 57-68.
23. Les bâtiments sont protégés par arrêté de classées depuis le 20 septembre 2001 :
http://doc.patrimoine.brussels/REGISTRE/AG/029_037.pdf.
24. Dans le cas du Marché-aux-Herbes 8-10, une période de deux mois d’étude a été
imposée, alors que pour l’habitation sise impasse Saint-Nicolas 2, aucune durée de
fouille n’a été prescrite, le maître d’ouvrage devant permettre au DPA d’organiser un
enregistrement des éléments qui seraient mis au jour durant le chantier.
25. COLLECTIF, Le Patrimoine…, op. cit., vol. 1B, p. 409.
26. Par exemple à la fin du XVIe siècle : La Faille [c’est-à-dire Le Voile ou Faillie] à Philippe
vander Burcht at en bas boutticqz, cuisine et chambre à feu, en hault deux chambres à
cheminée, sur le derrièr [sic] cuisine en bas et chambre en hault. Loge Pierre le Roy, hellebardier
de Son Altesse. À l’ange à Josse vander Elst, drappier, at en bas boutticqz, cuisine, en hault deux
chambres, une à feu. Donne service au susdit le Roy, hellebardier de Son Altesse (VAN BELLE J.-L.,
Recensement des édifices et maisons de Bruxelles par le Sieur de Chassey en 1597-1598,
Bruxelles, 2017, p. 256, nos 2019-2020).
27. Archives de l’État à Bruxelles-Forest, Greffes scabinaux de Bruxelles 1217, 3e cahier.
Dans le dernier quart du XVIIe siècle, Le Voile est la propriété successive de Guillaume
Borremans, ensuite de sa veuve, enfin de la veuve de son frère, Henri Borremans (sans
doute en l’absence d’héritier direct du couple). Au même moment, L’Ange est la
propriété des enfants et héritiers d’Henri Borremans. Tout indique donc que d’une
détention côte à côte (Guillaume au Voile et Henri à L’Ange), les deux maisons ont échu
aux conjoints et descendants d’Henri.
28. Le n o 10, les plans de transformation du rez-de-chaussée dressés en 1906
témoignent des deux niveaux de circulation distinguant la partie avant de la partie
arrière : Bruxelles, Archives de la Ville de Bruxelles, Travaux publics 4164. Il en va de
même pour le no 8 dont les plans présentant la situation existante en 1973 reprennent
une disposition similaire tant en cave qu’au rez-de-chaussée : Ibid., n° 83382.
29. Cette disposition a encouragé certains auteurs à y déceler la présence de deux
phases de construction distinctes, l’une plus ancienne pour la partie arrière de l’édifice,
l’autre datée de la fin du XVIIe siècle, pour la partie à front de rue : [ VERLIEFDEN M.],
386

Demande de permis d’urbanisme : transformation d’un immeuble d’habitation rue du Marché-


aux-Herbes 8-10 à Bruxelles. Étude historique, bureau A.2R.C, 18 décembre 2009, 24 p.
30. HOUBRECHTS D., « Les maisons en pans-de-bois de la Grand-Place », in HEYMANS V.
(dir.), Les maisons de la Grand-Place de Bruxelles, Bruxelles, 2011, p. 25-35.
31. SOSNOWSKA P., GOEMAERE E., « The reconstruction… », op. cit.
32. MODRIE S., SOSNOWSKA P., « L’expertise archéologique au service du chantier »,
Bruxelles Patrimoine 25, 2018, p. 52-61 ; SOSNOWSKA P., GOEMAERE E., « The
reconstruction… », op. cit.
33. CULOT M., HENNAUT E., DEMANET M., MIEROP C., Le bombardement…, op. cit.
34. SOSNOWSKA P., GOEMAERE E., « The reconstruction… », op. cit.
35. SOSNOWSKA P., « Remploi et transformation des matériaux dans le secteur de la
construction brabançonne. Données et problèmes méthodologiques issus de l’exemple
bruxellois (XIIIe-XIXe siècle) », Aedificare. Revue internationale d’histoire de la construction,
2018-4, p. 177-217.
36. L’entraxe est compris entre 2,36 et 2,79 m et s’intègre dans les fourchettes relevées
à Bruxelles : SOSNOWSKA P., De briques et de bois…, op. cit., p. 127-128.
37. L’entraxe de la première travée est ainsi de 23,93 cm alors que pour la deuxième,
elle atteint 30,03 cm.
38. SOSNOWSKA P., De briques et de bois…, op. cit., p. 52-54.
39. SOSNOWSKA P., De briques et de bois…, op. cit.
40. MAGGI C., Rapport d’étude archéologique des armatures métalliques des charpentes, IRPA,
2015, 8 p.
41. WEITZ A., CREMER S., Rue du Marché-aux-Herbes 8-10 à Bruxelles. Rapport d’analyse
dendrochronologique. Complément d’étude, IRPA-ULiège, Bruxelles-liège, juin 2016, p. 34.
42. CREMER S., Charpentes rue du Marché-aux-Herbes 8-10 à Bruxelles. Rapport d’étude de la
mise en œuvre des bois, IRPA-ULiège, Bruxelles-Liège, décembre 2016, p. 26-27.
43. WEITZ A., GERRIENNE P., Rue du Marché‐aux‐Herbes 8‐10, Bruxelles. Identification d’essence –
Charpente et parois intérieures de deux bâtiments, rapport d’étude inédit ID029-IRPA/
urban.brussels, décembre 2015, 58 p.
44. SOSNOWSKA P., FRAITURE P., CRÉMER S., « Contribution to the history of Brussels
floorings (16th-19th centuries): Initial results of an archaeological and
dendrochronological investigation », in CHARRUADAS P., FRAITURE P., GAUTIER P., PIAVAUX M.,
SOSNOWSKA P. dir., Between carpentry and joinery: Wood finishing work in European medieval
and modern architecture, Turnhout, Brepols, 2016, p. 78-111 (« Scientia Artis », 12).
45. SOSNOWSKA P., De briques et de bois…, op. cit.
46. WEITZ A., GERRIENNE P., Rue du Marché‐aux‐Herbes 8‐10…, op. cit., p. 54.
47. La restauration des châssis avec reconstitution des volets intérieurs et quincaillerie
sur plusieurs exemplaires a été réalisée par l’atelier de Fabien Jadoul (Achêne).
48. MAGGI C., FRAITURE P., Étude dendrochronologique de deux châssis de fenêtre provenant des
bâtiments sis rue du Marché-aux-Herbes 8-10, Bruxelles, rapport inédit IRPA, Bruxelles,
février 2017, p. 31.
49. Seuls les actes portant sur les maisons voisines et indiquant presque toujours les
tenants et les aboutissants (ainsi que leurs propriétaires) ont permis d’identifier les
387

Borremans : Archives de l’État à Bruxelles-Forest, Greffes scabinaux de Bruxelles 1217,


3e cahier, passim.
50. BRUNEEL C., « La localisation du commerce et de l'artisanat à Bruxelles au milieu du
XVIIIe siècle », in GUIGNET P. dir., Le peuple des villes dans l'Europe du Nord-Ouest (fin du
Moyen Âge-1945), vol. 1, Villeneuve d'Ascq, 2003, p. 167-191.
51. SWINNEN H. et al., De volkstelling van 1702 in Brussel en omgeving, 3 vol., Herent, 2018.
Par rapport aux autres dénombrements réalisés entre 1699 et la fin du XVIIIe siècle,
l’inventaire de 1702 se caractérise par la très grande précision des annotations et le fait
d’avoir systématiquement enregistré tous les habitants des immeubles (propriétaires
comme locataires) ainsi que, souvent, leur profession, voire leur état social, en en
faisant de la sorte un véritable recensement socio-démographique avant la lettre.
52. SWINNEN H. et al., De volkstelling…, op. cit., vol. 1, p. 449.
53. Par exemple, lors du dénombrement de la population de Bruxelles en 1783, les
enquêteurs se sont fondés sur une catégorisation sui generis comportant 7 groupes
socioprofessionnels, allant du plus respectable au plus modeste : 1. Personnes de
condition (nobles), rentiers (!), négociants en gros, employés ; 2. Ecclésiastiques. ; 3.
Marchands en détails et artisans ; 4. Ouvriers ; 5. Domestiques ; 6. Mendiants ; 7. Gens
de passage : BRUNEEL C., DELPORTE L., « Approche socioprofessionnelle de la population
bruxelloise en 1783 », Revue du Nord, 320, 1997, p. 463-494.
54. BIGWOOD G., Les impôts généraux dans les Pays-Bas autrichiens, Paris-Bruxelles, 1900 ;
CRAEYBECKX J., « Aperçu sur l'histoire des impôts en Flandre et au Brabant au cours du
XVIe siècle », Revue du Nord, 114, 1947, p. 87-108.
55. SWINNEN H. et al., De volkstelling…, op. cit., vol. 1, p. 449.
56. Ibid., vol. 1, p. 51-83.
57. Ibid., vol. 1, p. 517.
58. DE PEUTER R., « Petro Benedicto Dux, een handelaar in de depressietijd (1678-1723).
Een bijdrage tot de sociale-economische geschiedenis van Brussel », Revue belge de
Philologie et d'Histoire, 51-2, 1973, p. 333-365 ; 51-4, 1973, p. 789-821.
59. Pour la première mention de ce puits, qui constitue ici et par la suite un important
point de repère pour la localisation des biens de l’impasse Saint-Nicolas, dont la petite
maison associée à sa voisine, voir : Archives de l’État à Bruxelles-Forest, Greffes
scabinaux de Bruxelles 1217, 1e cahier, acte n° 29 (13 mai 1656) : twee cleijn huyskens
staende in het straetken achter het huys geheeten den Ingel op d’oude Kieckermerckt tusschen
de voorseide goeden geheeten den Ingel in d’een syde ende de gemeyne borreput al daer is
d’ander : « deux petites maisons situées dans la ruelle derrière la maison L’Ange, sur le
Vieux-Marché-au-Poulet, entre ledit bien L’Ange d’un côté et le puits commun qui s’y
trouve de l’autre » (retranscription et traduction : P. Charruadas).
60. DOPERÉ F., Dater les édifices du Moyen Âge par la pierre taillée, Bruxelles, 2018, p. 206.
61. Après les mentions du Voile et de L’Ange, Une ruelles [sic] contenant trois maisonnettes :
VAN BELLE J.-L., Recensement…, op. cit., p. 257, no 2021.

62. Voir la note 57.


63. WEITZ A., MAGGI C., Impasse Saint-Nicolas 2, Bruxelles. Rapport d’analyse
dendrochronologique, IRPA-ULiège, Bruxelles, 25 avril 2019, 48 p.
388

64. Archives de l’État à Bruxelles-Forest, Greffes scabinaux de Bruxelles 1217, 3e cahier,


acte n° 114 : sedert de bombarderinge daerop nieuwt gebouwt ; « reconstruites à neuf depuis
le bombardement » (retranscription et traduction : P. Charruadas).
65. SOSNOWSKA P., De briques et de bois…, op. cit., p. 52-54.
66. WEITZ A., Impasse Saint-Nicolas 2, Bruxelles. Rapport d’identification d’essence, ID058, IRPA,
Bruxelles, 4 février 2019, 7 p.
67. SOSNOWSKA P., FRAITURE P., CRÉMER S., « Contribution… », op. cit.
68. Association momentanée APEB-MRAH – Nicolas GYÖMÖREY, État de référence – Impasse
des Cadeaux 3/St-Nicolas 1, 1000 Bruxelles, Bruxelles, juillet 2015.
69. Des réalignements d’impasses ou de venelles en intérieur d’îlot sont discutés au
conseil communal et parfois même réalisés, essentiellement pour des raisons de lutte
contre les incendies et d’accessibilité des pompes à eau (Communication personnelle de
Thomas Schlesser, 24 septembre 2019).
70. Engelbert François Cupis de Camargo était le fils de Pierre Antoine Joseph de Hulder
dit de Bonchant, avocat – qui avait été autorisé par diplôme de Sa Majesté du 18 mai
1755 à prendre le nom de Cupis de Camargo et qui fut admis à Bruxelles au lignage
Serroelofs en 1751 – et de Caroline Josepha de Brie. Engelbert François suivit les traces
de son père. Il faut aussi avocat et admis le 13 juin 1768 au lignage Serroelofs, attesté
comme membre du tribunal de la Gilde drapière (les Huit) en 1773, 1777, 1779, 1782… :
Liste et armorial des personnes admises aux Lignages de Bruxelles, consulté en ligne le
28/09/2019 : https://fr.wikipedia.org/wiki/
Liste_et_armorial_des_personnes_admises_aux_Lignages_de_Bruxelles.
71. On notera au passage que sa situation est à contrecourant du processus sociospatial
à l’œuvre à l’époque, qui voyait plutôt le développement en impasse et dans les ruelles
secondaires d’habitations modestes, voire misérables pour les populations les moins
favorisées : BRUNEEL C., « ‘Beaux quartiers’ et mixité sociale à Bruxelles au siècle des
Lumières », Revue belge de Philologie et d'Histoire, 94, 2016, p. 425-442.
72. WEITZ A., Impasse Saint-Nicolas 2, Bruxelles, solive de plancher, Rapport d’identification
d’essence, IRPA, 19 avril 2019, 7 p.
73. Archives de la Ville de Bruxelles, Travaux publics 32703 (1864-1865).
74. Association momentanée APEB-MRAH – GYÖMÖREY N., État de référence…, op. cit., p. 5,
7-9.
75. Archives de la Ville de Bruxelles, Fonds des Travaux publics 21702 (1871).
76. Dans le dernier quart du XIXe et dans le courant du XXe siècle, le bâtiment fait encore
l’objet de plusieurs aménagements, mais de moindre ampleur, que nous passerons donc
sous silence.
389

RÉSUMÉS
L’archéologie du bâti est aujourd’hui une discipline de premier plan dans le paysage patrimonial
bruxellois. La pression immobilière et la mise en place d’une réglementation urbanistique
régionale inscrivant les interventions archéologiques dans les processus de rénovation et de
restauration du patrimoine immobilier ont permis un essor très important de la discipline.
L’administration en charge de l’archéologie multiplie les interventions tout en mettant en place
une série de projets de recherches en collaboration avec des institutions scientifiques. Cette
contribution entend présenter succinctement l’ensemble des projets de recherche et illustrer la
richesse des résultats par la présentation d’un ensemble particulier de maisons récemment
étudiées.

Building archaeology is nowadays a key discipline in the Brussels heritage sector.-eal estate
pressure and the implementation of a regional town planning regulations including
archaeological interventions in the renovation and restoration processes have allowed a very
significant development of the archaeological activity. Competent authorities are stepping up
their efforts in order to organize archaeological interventions while setting up a series of
research projects in collaboration with scientific institutions. This contribution is intended to
summarize all projects carried out and illustrate the richness of the results by presenting a
particular cluster of houses recently studied.

INDEX
Keywords : wood, bricks, cellars, roof frameworks, urban history, construction history,
structural work, masonry, building materials, urban regulations and town-planning, finishing
work, typology, typochronology, dwellers
Mots-clés : bois, briques, caves, charpentes, histoire urbaine, histoire de la construction, gros
œuvre, maçonnerie, matériaux de construction, réglementation, second œuvre, typochronologie,
habitants

AUTEURS
PAULO CHARRUADAS

Historien et archéologue, docteur et chercheur au Centre de Recherches en Archéologie et


Patrimoine de l’Université libre de Bruxelles, SOCIAMM (Sociétés anciennes, médiévales et
modernes)
paulo.charruadas@ulb.be

PHILIPPE SOSNOWSKA

Archéologue, chercheur au Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine l’Université libre


de Bruxelles et chargé de cours à la Faculté d’Architecture de l’Université de Liège
philippe.sosnowska@ulb.be
390

SYLVIANNE MODRIE

Archéologue, attachée à la Direction du Patrimoine culturel du Service public régional de


Bruxelles Urbanisme et Patrimoine
smodrie@urban.brussels

BENJAMIN VAN NIEUWENHOVE

Archéologue – topographe, chercheur au Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine de


l’Université libre de Bruxelles
benjamin.van.nieuwenhove@ulb.be
391

Saint-Eutrope de Saintes (France) :


un chantier de la fin du XIe siècle en
cours d'étude
Saint-Eutrope in Saintes (France) : a late 11th century building site under
study

Justine Grémont et Jean-Baptiste Javel

Nous tenons à remercier la ville de Saintes qui nous permet d’étudier ce magnifique site, ainsi
que Muriel Perrin pour l’aide logistique et technique apportée. Un grand merci aux équipes
techniques de la ville pour le matériel prêté et les échafaudages installés. Nous remercions aussi
Christian Gensbeitel et Daniel Prigent pour leur encadrement, nos discussions et leurs conseils
pour l’étude ainsi que pour leur travail de relecture. Nous exprimons également toute notre
gratitude à la Région Nouvelle Aquitaine, au SRA Nouvelle-Aquitaine et à la ville de Saintes pour
les financements permettant la réalisation de ce travail. Enfin, cette étude ne pourrait avancer
sans l’aide et la bonne volonté des bénévoles, étudiants et amis, Jean-Luc, Wilfried, Emmie, Louis,
Richard : à eux, un grand merci !

1. Introduction. Contexte de l’étude


1 L'église Saint-Eutrope de Saintes est un monument propice à l'étude des liens entre
l’établissement et la vie claustrale, ainsi que l’accueil des pèlerins autour de la dépouille
du saint qui a donné son nom au sanctuaire. Réputé pour être l'un des premiers
exemples de construction totalement réalisé en pierre de taille dans la Saintonge, cet
édifice apparaît aujourd'hui doublement tronqué, avec une nef détruite en 1803, ainsi
que des bâtiments monastiques, anciennement accolés à l’église, qui ont totalement
disparu (Fig. 1). Cependant, les vestiges encore présents laissent entrapercevoir une
église aux dimensions importantes, dotée d'un transept ainsi que d’un chevet roman
qui se déploient sur deux niveaux et qui s’étendent sur plus de trente mètres de long
(Fig. 2 à 4). Ce sanctuaire, dédié à saint Eutrope, a été converti en monastère après son
rattachement à l'abbaye de Cluny en 1081. Les chercheurs semblent s'accorder sur le
392

fait que le chantier de l'église romane soit lié à ce changement1. Une chronique du XIIe
siècle, dite de "Saint-Cybard"2, rapporte la consécration à la fois de l'église basse et de
l'église haute en 1096, lors du passage en Aquitaine du pape Urbain II. Durant la venue
de ce dernier, la crypte et probablement une bonne partie du chevet de l'église haute
semblent achevées. Néanmoins, il est difficile de savoir où en était réellement le
chantier. Quant au maître d'œuvre, un nommé Benoît, "âgé et expérimenté", est
mentionné dans la chronique, bien que l'on ignore son rôle dans l'édification de
l'église. Le chantier pose de nombreuses questions non seulement sur son déroulement
et sa fin de réalisation, mais aussi sur la manière dont les bâtisseurs se sont organisés
pour mener à bien cette construction.

Fig. 1. Plan de l’église Saint-Eutrope de Saintes et de son faubourg. a) Relevés par Claude Masse de
1691, détail du relevé. Service historique de la Défense, Vincennes, Album Atlas de Claude Masse, f. 17.
b) Cadastre actuel de la ville de Saintes.

Fig. 2. Coupe et Plan de l’église haute et de l’église basse. Relevés effectués par Archéovision (DAO,
Archéovision, J.-B. Javel).
393

Fig. 3. Vue intérieure de l’église basse, crypte (Cl. J.-B. Javel).

Fig. 4. Vue intérieure du chœur de l’église haute (Cl. J.-B. Javel).

2 Ce travail en cours s’intègre dans le cadre d’un Programme Collectif de Recherche


portant sur le prieuré Saint-Eutrope de Saintes et coordonné depuis 2016 par Christian
Gensbeitel. Il s'appuie sur un contexte actif, interdisciplinaire, et un réseau de
chercheurs aux approches diverses. L'objectif final est la restauration de cet édifice,
classé au titre des Monuments Historiques en 1840 et faisant également partie, depuis
1998, du Bien 868 de l’UNESCO « Chemin de Saint-Jacques de Compostelle ».
3 Actuellement, seules des parties des intérieurs de l’église haute et de la crypte ont pu
être finement étudiées. Par conséquent, cette contribution fait état d’un travail en
394

cours, calé sur les restaurations, repoussées depuis déjà deux ans, de l’extérieur du
chevet roman. Le calendrier actuel prévoit un début des travaux en janvier 20213 ; c’est
à ce moment que nous pourrons achever cette étude du bâti. Cet article a ainsi pour but
de présenter les premiers résultats d’une étude conjointe du gros œuvre et du second
œuvre du chantier de construction de l’église du Moyen Âge central, et se veut une
synthèse des questionnements, de la méthode employée et de ses limites. Les reprises,
les réaménagements et les restaurations postérieures ne seront pas traités ici.

2. Méthode mise en œuvre


4 L’étude du bâti, centrée sur la construction du Moyen Âge central, du gros œuvre à la
réalisation et à la mise en place des décors, se décompose en plusieurs étapes.
5 Les plans et les orthophotographies, réalisés par Archéovision et par Vincent Miailhe4,
ont servi de supports à nos observations et à un enregistrement archéologique des
élévations, afin de noter les reprises, les ruptures et d’éclaircir la chronologie relative
de chaque maçonnerie (Fig. 2). De nouveaux relevés ont été effectués et viennent
compléter le corpus documentaire.
6 Différents outils et techniques ont été employés. La photographie a été largement
utilisée, car elle permet d’aborder les vestiges à travers différentes approches et divers
types d’observation : à la fois dans le domaine du visible, sous rayonnement ultraviolet,
et celui de l’invisible (en infrarouge par exemple5). La lumière ultraviolette a
notamment permis de déceler des reprises dans les maçonneries et sur les sculptures
qui, dans certains cas, s’avèrent être difficilement repérables sous lumière naturelle.
7 Par ailleurs, les traces d'outils laissées par les artisans ont été étudiées et comparées
entre elles dans ce même but. Les outils, tout comme les manières de travailler, varient
de manière significative en fonction des périodes. En matière de sculpture, l'artisan du
Moyen Âge et celui des époques modernes n'ont pas forcément suivi la même méthode :
à Saint-Eutrope, alors que le premier a privilégié le travail avant la pose6, le second
semble être intervenu, comme le laissent supposer certaines traces, une fois l'objet en
place. Certaines observations de reprises ont parfois pu être confirmées par les sources
documentaires (dossiers de travaux, de restaurations des Monuments Historiques…). En
l'absence de documents écrits, la confrontation de photographies anciennes avec les
vestiges actuels a également été d'une aide précieuse pour repérer les éléments
restaurés.
8 Au-delà de cette critique d'authenticité et de l'enregistrement des différents
remaniements, nous nous sommes focalisés sur une étude fine des parements et des
décors sculptés, de leurs supports ainsi que de la modénature (profils des tailloirs, des
bases) afin d'effectuer des comparaisons entre tous ces éléments.
9 Grâce à l’utilisation d’un échafaudage mobile, nous avons réalisé une importante série
de mesures d’appareil de l’église haute et de l’église basse en suivant la méthode
développée par Daniel Prigent7, c’est-à-dire que nous avons mesuré, autant que
possible, la hauteur, la longueur des blocs et l’épaisseur des joints entre chaque pierre
de taille. Environ 4000 blocs ont été mesurés, un millier de marques lapidaires repérées,
signalées et, si possible, décalquées, constituant une importante base de données qui
sera complétée dans les mois à venir.
395

10 Au même titre que les blocs, les décors sculptés ont également été relevés et enregistrés
dans une base de données de manière ordonnée, espace par espace, niveau par niveau.
Cette base comprend non seulement les reliefs conservés in situ mais également les
éléments déposés dans des musées. Au total, 452 objets ont été recensés. Cet inventaire
exhaustif a permis d'enregistrer les caractéristiques de chacune des sculptures
(dimensions, localisation, iconographie, style, remarques...). Ces enregistrements ont
servi à la comparaison des éléments entre eux et ont permis d'émettre des hypothèses
venant interpréter les différences relevées. Une cartographie stylistique a également
été élaborée afin de mieux visualiser la répartition spatiale des différentes sculptures
(Fig. 5) tandis que d'autres, pour les types de composition par exemple, sont en cours
de réalisation.

Fig. 5. Cartographie stylistique des sculptures romanes de l'église (DAO, Archéovision, J. Grémont).

11 Ainsi, en plus d'une approche archéologique, une étude des formes et du style a été
réalisée. La comparaison iconographique et formelle des sculptures entre elles a permis
d'appréhender l'évolution des motifs et celle du style au sein de l'édifice. Des parallèles
avec d'autres sculptures romanes de l'Ouest et du Sud-Ouest, et principalement celles
dont la réalisation est contemporaine de Saint-Eutrope, nous ont par ailleurs aidé à
inscrire le décor de la prieurale saintaise dans le paysage artistique de la région. Quant
aux œuvres antérieures et postérieures, elles nous ont permis, pour les unes, de
comprendre les influences qu'a reçues la sculpture saintaise et, pour les autres,
d'évaluer le rayonnement de cette dernière sur les chantiers ultérieurs.
12 L'historien de l'art, par le biais de l'étude des formes, et l'archéologue, de par son
examen du bâti, peuvent proposer des datations relatives des différentes parties de
l'édifice. Ces deux approches doivent dialoguer entre elles et se nourrir l'une l'autre
pour une compréhension complète et optimale du chantier. Ainsi, l'étude des
parements et celle de la sculpture, complémentaires et interdépendantes, nous
396

fournissent, ensemble, des indices et nous permettent d'étayer certaines hypothèses


sur les différentes phases et le déroulement de la construction.

3. Les différentes phases du chantier


Église basse et chevet de l'église haute

13 À la lecture des élévations, nous remarquons une grande homogénéité entre l’église
haute et l’église basse. Celle-ci s’observe aussi bien dans les appareils que dans la
sculpture. Globalement, trois modules de hauteurs de pierres (autour de 235, 290 et 355
mm) ont été employés pour les piles de la crypte et trois autres (215, 275 et 335 mm)
pour le chevet de l’église haute, ainsi que les piles de la croisée et les parements du
transept des deux niveaux. Concernant la sculpture, nous notons que les reliefs du
transept de la crypte sont aussi semblables à ceux du chevet de l'église haute (Fig. 7c et
d). Une chronologie relative se dessine ainsi, avec d’une part la construction du chœur
de l’église basse, puis, d’autre part la mise en place de la croisée, du départ de la nef
dans la crypte, ainsi que la construction du chevet de l’église haute. Les modules de
hauteurs, les traces d’outils, les signes et les marques lapidaires sont identiques au sein
de chacun de ces ensembles (Fig. 6). De plus, l'étude de la sculpture tend également à
montrer que nous avons affaire à un premier ensemble cohérent entre l'église basse et
le chevet de l’église haute8. En effet, certains motifs et compositions de la crypte, du
chœur de l'église haute et de l'enveloppe extérieure du chevet sont similaires (Fig. 7).
Ces sculptures semblent avoir été réalisées par le même "atelier9".

Fig. 6a, b et c. a) Schéma des mesures effectuées sur les parements de Saint-Eutrope, seules les
hauteurs ont été exploitées dans le cadre de cet article. b) Histogramme des mesures d’appareil
effectuées sur les piliers de l’église basse, en rouge sur le schéma du plan. c) Mesures effectuées sur
différentes élévations des églises haute et basse, de la croisée des églises basse et haute et des
élévations nord et sud du chœur de l’église haute, en orange sur les schémas. Merci à Nicolas
Frérebeau pour l’aide à la réalisation du graphique (Cl. J.-B. Javel).
397

Fig. 7. Des similitudes peuvent être observées entre des chapiteaux de la crypte, du chœur de l'église
haute et de l'enveloppe extérieure du chevet, appuyant l'hypothèse d'un chantier homogène pour ces
trois parties : a) Chapiteau, colonne, pilier d'arcades, crypte (n° 8) ; b) Chapiteau, colonne ouest, pilier
d'arcades, vaisseau central, chœur, église haute (n° 361) : de petites folioles au modelé similaire se
déploient à l'intérieur de grandes feuilles d'angle dont les bordures en méplat présentent des incisions
dans la pierre. c) Imposte nord, pilastre d'angle, pilier nord-ouest, transept, crypte (n° 94) ; d) Chapiteau,
colonne est, pilier d'arcades, vaisseau central, chœur, église haute (n° 369) : les tiges-bordures des
grandes feuilles d'angle s'enroulent à la base de la corbeille et se terminent en de petites feuilles. Des
folioles se déploient de part et d'autre d'une nervure axiale ; e) Chapiteau, côté sud, doubleau, vaisseau
central, choeur, église haute (n° 366) ; f) Chapiteau, colonne, collatéral sud, choeur, église haute (n°
328) ; g) Chapiteau, colonne, pilier d'arcades, crypte (n° 21) : deux feuilles dites pennées se font face de
part et d'autre de la nervure centrale de la grande feuille d'angle. Un tel schéma s'observe sur deux
chapiteaux de l'église haute (n° 366 et n° 328) et également sur la couronne supérieure d'une corbeille
de la crypte (n° 21) ; h) Chapiteau, côté sud, doubleau, vaisseau central, choeur, église haute (n° 364) ; i)
Chapiteau, colonne contrefort, façade du collatéral nord, église haute, chevet (n° 235) ; j) Chapiteau,
colonne, pilier d'arcades, crypte (n° 41) : à l'intérieur des grandes feuilles d'angle de ces deux
chapiteaux de l'église haute, des tiges présentant un côté festonné se font face ; ces tiges allant par
paire et laissant de petits espace vides entre les festons se rapprochent de celles du chapiteau n° 41
présent dans la crypte (Cl. J. Grémont).

14 Malgré cette homogénéité apparente, une rupture doit cependant être relevée sur
l'enveloppe extérieure du chevet (Fig. 8a). La travée orientale des façades des
collatéraux nord et sud se distingue des autres. Elle est en effet moins large que les
quatre autres travées des murs gouttereaux. Cette rupture a pu être observée sur les
parements intérieurs, avec des assises décalées tandis qu'à l'extérieur, côté nord, un
changement de motifs sculptés (sur les cordons et voussures) survient (Fig. 8b, c, d, e).
Ces modifications dans le décor touchent aussi bien le premier niveau (correspondant à
la crypte) que celui de l'église haute ; cela nous amène à penser que la construction de
l'enveloppe du chevet a été réalisée par travée, et non par niveau. De plus, la facture
des chapiteaux des colonnes-contreforts diffère entre les côtés est et ouest du mur
gouttereau nord. Ces différences sont-elles dues à des restaurations postérieures ? En
l'absence de sources écrites10, seul un examen minutieux des élévations extérieures11
pourra nous donner une réponse. Le relevé de dimensions, de profils, de traces d'outils
398

et d'états de conservation différents des reliefs, qui a déjà permis de réaliser, sur cette
façade, une critique d'authenticité des chapiteaux du niveau de la crypte, reste en effet
à effectuer pour les parties hautes. Une campagne de prélèvement de matériaux de
construction pourra également être menée. Il serait intéressant de pouvoir affiner la
question de la provenance des pierres calcaires employées et de vérifier si la nature des
blocs de parement est identique à celle des sculptures12. Cela nous donnera des
éléments de réponse sur la création in situ, ou non, de certains décors. Les prélèvements
de mortiers de chaux permettront, quant à eux, de répondre à la question des reprises
préalablement observées.

Fig. 8. La rupture observée sur la façade nord du chevet (d'un point de vue architectural mais aussi du
point de vue des décors sculptés) : a) Vue de l’élévation nord du chevet, avec la rupture observée
entourée en rouge. b) Détail de la travée 1 du mur gouttereau nord (église haute). c) Détail de la travée
2 du mur gouttereau nord (église haute). d) Cordon sculpté de la travée 1 du mur gouttereau nord
(église haute). e) Cordon sculpté de la travée 2 du mur gouttereau nord (église haute) (Cl. J. Grémont).

15 Malgré une étude à ce jour incomplète, nous pouvons déjà proposer l'hypothèse d'une
construction d’envergure du chevet dans ses travées occidentales avec une rupture
probable à partir des absidioles – rupture qui concernait peut-être toute la partie
orientale du chevet13. La largeur plus réduite de la travée orientale des murs
gouttereaux du chevet peut peut-être s'expliquer par le raccord de deux parties
construites simultanément, ou encore par la nécessité d'implanter l'absidiole à cet
endroit.
16 Dans le chœur de l'église haute, quelques chapiteaux diffèrent également quant à leurs
motifs et à leur style. En effet, quatre corbeilles présentent des figures animales
affrontées (lions, sirènes et griffons) sur fond lisse (Fig. 9a et c). Regroupées dans le
chœur, près du sanctuaire, elles peuvent être comparées à celles de l'église Saint-Pierre
de Parthenay-le-Vieux (Fig. 9a et b), d'ailleurs construite à la même période. Les
ressemblances entre ces sculptures sont en effet frappantes. Comme Jacques Lacoste
399

l'affirmait, un même atelier a pu les réaliser14. Les lions et les griffons de Parthenay et
de Saint-Eutrope ressemblent également aux animaux présents sur un chapiteau du
chevet de Saint-Jean-de-Montierneuf15 (Fig. 9d). D'autres similitudes iconographiques
et stylistiques ont aussi pu être observées entre le décor saintais et des reliefs de Saint-
Jean-de-Montierneuf. Par exemple, des corbeilles présentant des schémas de feuilles
emboîtées dans le déambulatoire de l'abbatiale poitevine rappellent certains
chapiteaux de la crypte saintaise, tandis que les corbeilles à feuilles lisses, de moins
bonne facture que celles des niveaux inférieurs, se retrouvent sur des colonnettes de
baies des deux édifices. Des modillons sont également semblables d'un monument à
l'autre. Outre la sculpture, la construction tout entière de cet édifice poitevin peut être
comparée à celle de Saint-Eutrope. En effet, l’influence du Poitou quant à l'édification
d'un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes est souvent mise en avant. La
question d’un maître d’œuvre ayant travaillé plus au nord est également posée16. À
l'instar de Saint-Eutrope, l'abbaye Saint-Jean-de-Montierneuf avait été placée sous
obédience clunisienne. Elle était de surcroît sous la domination de Guy-Geoffroy-
Guillaume, duc d'Aquitaine, qui a joué un rôle dans la fondation (contemporaine) de ces
deux monastères17. Dans l'abbatiale de Saint-Maixent, un chapiteau représentant des
lions est également proche de celui de Saint-Eutrope.

Fig. 9. Des chapiteaux aux figures animales et fantastiques : une influence poitevine ? a) Chapiteau,
colonne est, pilier d'arcades, vaisseau central, chœur, église haute (n° 353) (Cl. J. Grémont) ; b)
Chapiteau, entrée du chœur, église Saint-Pierre de Parthenay-le-Vieux (Cl. C. Gensbeitel) ; c) Chapiteau,
colonne est, pilier d'arcades, vaisseau central, chœur, église haute (n° 356) (Cl. J. Grémont) ; d)
Chapiteau, enveloppe extérieure du chevet, abbatiale Saint-Jean-de-Montierneuf de Poitiers (Cl. J.
Grémont) ; e) Chapiteau, église Notre-Dame de Surgères (Cl. C. Gensbeitel) ; f) Chapiteau déposé,
Poitiers, Musée Sainte-Croix (provenance Saint-Nicolas de La Chaize-le-Vicomte) (Cl. C. Gensbeitel).

17 Deux autres chapiteaux du chœur de l'église haute de Saint-Eutrope sont ornés de


végétaux sur un fond également lisse (Fig. 10a) et contrastent par rapport aux autres
dont le champ est intégralement recouvert de feuilles. Des parallèles peuvent être
400

dressés entre ces deux chapiteaux à végétaux "gras" et certains de l'abbaye Saint-
Sauveur de Charroux (Fig. 10).

Fig. 10. Les chapiteaux présentant des végétaux "gras" sur fond lisse : a) Chapiteau, colonne ouest,
pilier d'arcades, vaisseau central, chœur, église haute (n° 374) (Cl. J. Grémont) ; b) et c) Chapiteaux,
tour, abbaye Saint-Sauveur de Charroux (Cl. C. Gensbeitel).

18 Par conséquent, ces six chapiteaux paraissent a priori difficilement attribuables à


l'atelier qui a œuvré aux autres sculptures du chevet. Cependant, ces similitudes avec
les réalisations du Poitou ne signifient pas nécessairement qu'une main poitevine soit
venue sur le chantier saintais. De simples contacts et échanges culturels peuvent être à
l'origine de ce fait18. Des lions similaires se retrouvent en effet sur les corbeilles de
plusieurs édifices, qu'ils soient en Poitou, comme à Saint-Pierre de Melle, ou en
Saintonge, comme à la prieurale de Trizay ou à Notre-Dame de Surgères (Fig. 9e). Sur
ces représentations, la croupe des lions est retournée, alors qu'à Saintes, et pour un des
deux lions de Parthenay, elle est à l'endroit. Cette "fantaisie" a même voyagé jusqu'en
Vendée, tel qu'en témoigne le chapiteau qui provient de l'église Saint-Nicolas de La
Chaize-le-Vicomte (Fig. 9f). Ces fauves, en grand nombre et qui se ressemblent tous,
trahissent une probable circulation de modèles.
19 Malgré une majorité de compositions végétales sculptées aux chevets de Saint-Eutrope,
la figure, qui était timidement apparue dans la crypte sous forme de masques humains
cernés de végétaux, se développe dans le chœur de l'église haute avec la représentation
d'animaux réels et fantastiques. Néanmoins, la figure ne s'étend à tous les chapiteaux
qu'à la croisée du transept de l'église haute.

La place de la croisée et des bras du transept ?

20 Comme évoqué précédemment, la croisée et le transept de l’église basse sont inclus, du


point de vue des techniques de construction, des modules et de la sculpture, dans la
production du chœur de l’église haute (Fig. 11 et Fig. 7c et d). En revanche, la mise en
œuvre de la croisée et du transept de l’église haute suscite de nombreuses
401

interrogations. Seuls la croisée, le bras sud et son absidiole ont été étudiés ici, le bras
nord ayant été remanié à la fin du Moyen Âge.

Fig. 11. Vue de la croisée et du départ de la nef dans l’église basse (Cl. J.-B. Javel).

21 Les frises sculptées couronnant les piles de la croisée montrent des figures peuplant des
rinceaux végétaux entremêlés ; la sculpture de cet espace est clairement distincte du
reste de la production artistique de l'église (Fig.12). Une autre équipe semble donc être
intervenue19. Ces nouvelles sculptures présentent des similitudes iconographiques et
stylistiques avec la sculpture angoumoisine20, notamment celles de la cathédrale
d'Angoulême ou encore de l'abbatiale de Saint-Amant-de-Boixe (Fig.13e et f). Cette
rupture, visible dans l'iconographie et le style du décor, s'observe aussi sur les
parements des murs à l'intérieur de l'édifice, notamment côté sud : quelques décalages
dans les assises de pierres ont pu être relevés sur le mur de la travée du chœur qui
jouxte le transept (Fig. 14). Le chapiteau de cette travée (n° 332) présente d'ailleurs des
oiseaux sur des lions, à l'instar d'autres corbeilles du transept. Néanmoins, si arrêt des
travaux il y a eu, celui-ci a dû être bref, voire n’être qu’une étape du chantier. En effet,
la position des lions affrontés du n° 332 n'est pas très éloignée de celle des quadrupèdes
du chœur (n° 353), tandis que les feuilles lisses, simplement incisées, qui ornent le n°
244 (côté nord), s'apparentent aux motifs végétaux du XIe siècle 21 (Fig. 15). De plus, les
alignements, les assises et les éléments architectoniques sont largement réajustés dans
les élévations, tandis que les mesures d’appareil effectuées ne montrent pas de réelles
différences de modules avec la crypte et le chœur de l'église haute. Ainsi, ces décalages
peuvent s'avérer n’être que les aléas d’un chantier de construction d’envergure qui
avance à différents endroits et dont les points de jonction peuvent s’avérer difficiles à
gérer pour les bâtisseurs. Les prochains relevés archéologiques et mesures d'appareil,
qui devront être réalisés, notamment sur les parties hautes de la croisée et du
transept22, viendront peut-être conforter cette hypothèse.
402

Fig. 12. La sculpture de la croisée et du transept se distingue de celle du chevet. Certains chapiteaux
déposés, attribués à la nef, présentent une iconographie et un style similaires : a) Chapiteau, côté sud,
pilier nord-est, croisée du transept, église haute (n° 386) ; b) Frise sculptée, côté sud, pilier nord-est,
croisée du transept, église haute ; c) Chapiteau lions et oiseaux, nef de Saint-Eutrope ?, Saintes, Musée
archéologique (n° inv. 1949.2403) (Cl. J. Grémont).

Fig. 13. La sculpture de la croisée du transept : des comparaisons avec l'Angoumois et l'enluminure
limousine : a) Chapiteau, côté nord, pilier nord-est, croisée du transept, église haute (n° 388) (Cl. C.
Gensbeitel) ; b) Initiale, fol. 195 v., Bible, ms. 1, Paris, Bibliothèque Mazarine, premier quart du XIIe
siècle, Limoges ; c) Chapiteau, pilier sud-ouest, croisée du transept, église haute (n° 391) (Cl. C.
Gensbeitel) ; d) Initiale P, fol. 212, Bible de Saint-Yrieix, Saint-Yrieux-la-Perche, Bibliothèque municipale,
fin XIe-début XIIe siècle, Limoges ; e) Chapiteau, côté ouest, entrée du bras sud du transept, église
haute (n° 392) (Cl. C. Gensbeitel) ; f) Voussure, tympan, façade, cathédrale Saint-Pierre d'Angoulême
(Cl. E. Chargé) ; g) Initiale ornée, Bible de Saint-Yrieix, Saint-Yrieux-la-Perche, Bibliothèque municipale,
fin XIe-début XIIe siècle, Limoges.
403

Fig. 14. Relevés à partir d’une orthophotographie du mur sud du chœur de l’église haute. Dessin et
interprétation des ruptures dans la maçonnerie. Orthophotographie réalisée par Archéovision (DAO, J.-
B. Javel).

Fig. 15. Les chapiteaux présents à la jonction du chœur et du transept de l'église haute s'apparentent à
une production de la fin du XIe siècle : a) Chapiteau, colonne, mur gouttereau, collatéral nord, chœur,
église haute (n° 244). b) Chapiteau, colonne est, pilier d'arcades, vaisseau central, chœur, église haute
(n° 353) ; c) Chapiteau, colonne, mur gouttereau, collatéral sud, chœur, église haute (n° 332) (Cl. J.
Grémont).

22 Un nouvel atelier aurait donc pu intervenir en même temps que l'équipe précédente,
soit autour de 1096 (année de la consécration de l’église), ou alors peu de temps après si
l’on considère que la prieurale n’était pas totalement terminée à cette date. Bien que
cette proposition de datation soit plus précoce que celles avancées dans la littérature,
elle apparaît cohérente avec la production d'enluminures limousines datées entre la fin
du XIe et le début du XIIe siècles. Les scènes peintes dans la Bible de Saint-Yrieix sont un
bon exemple : les figures et le monde végétal qui entoure ces dernières rappellent les
compositions des chapiteaux de Saint-Eutrope23. En effet, les lions crachant des
végétaux sur le n° 392 sont comparables à ceux présents dans une initiale ornée du
manuscrit limousin (Fig. 13e et g). Des personnages dansant dans des rinceaux avec des
tiges dans leurs bouches (sur le n° 391) se rencontrent aussi dans la bible limousine
(initiale P du feuillet 212)24 (Fig. 13c et d). Des miniatures du manuscrit 1 de la
Bibliothèque Mazarine (Paris) présentent également des similitudes avec les
productions sculptées de la prieurale saintaise. Les lions affrontés du chapiteau n° 332
ont la même attitude que ceux présents sur l'Initiale P du Livre des Juges, au feuillet 74,
de cette Bible. Sur le n° 388, des couples d'oiseaux adossés, tournant le cou vers leur
404

partenaire, becquètent des palmettes renversées ; un tel motif se retrouve sur une
autre initiale du manuscrit 1 de la Bibliothèque Mazarine (Fig. 13a et b).
23 Nous pouvons alors envisager que les chapiteaux sculptés du transept de Saint-Eutrope
soient antérieurs d’au moins une décennie aux reliefs des grands édifices angoumoisins
cités ci-dessus25. Par ailleurs, l'examen des chapiteaux de la croisée a permis de mettre
en évidence le hiératisme des personnages, la raideur de leurs gestes ainsi qu'une taille
particulière pour les figures qui apparaissent plutôt plates. Ce dernier point pourrait
montrer une influence directe de l'enluminure sur la sculpture. Certains thèmes
iconographiques sont également archaïques comme l'orant sur le chapiteau
représentant Daniel dans la fosse aux lions26. Ces reliefs pourraient donc être plus anciens
que ce qui a pu être proposé jusqu'à aujourd'hui.
24 Quant à la façade de l'absidiole sud du transept, sa restauration pose problème pour
l'interprétation des observations27. En effet, les parements ont été fortement remaniés
et bien que nous n'ayons aucune source écrite sur une éventuelle restauration - voire
un remplacement - des chapiteaux, il n'est pas impossible que ceux-ci aient également
subi des réfections au cours du XIXe siècle 28. Jacques Lacoste affirmait que cette
absidiole n'était sans doute pas prévue dans le projet initial étant donné le changement
qui s'opère dans la sculpture. De plus, elle vient masquer une partie des colonnes et des
chapiteaux de la travée occidentale du mur sud du chevet29. Toutefois, bien que les
parements du bras sud du transept de la crypte aient été remaniés, nous notons, à
l'intérieur, près de l'absidiole, que les modules des blocs ainsi que les marques
lapidaires sont pareils à ceux observés dans le chœur de l'église haute. L'absidiole du
bras sud du transept pourrait donc avoir été prévue, du moins pour le niveau de l'église
basse, dès le début, en même temps que le chevet. Au nord, les remaniements gothiques
rendent les observations plus difficiles. La seule certitude que nous puissions avoir est
que, étant donné que l'absidiole vient cacher une partie de la travée occidentale du mur
gouttereau sud du chevet, sa construction est postérieure. Si nous examinons à présent
l'iconographie et le style des sculptures de l'absidiole, nous pouvons affirmer que ces
œuvres s'apparentent, de manière générale, à celles de la croisée. Néanmoins, les
chapiteaux du niveau de la crypte présentent des décors proches de ceux du chevet
(Fig. 16) et les bandeaux ont des motifs similaires à ceux rencontrés sur l'enveloppe
extérieure du chœur de l'église haute, semblant montrer que la construction de ces
deux parties ne serait séparée que par un temps assez bref voire qu'elles auraient été
réalisées dans un même laps de temps. Ceci constitue un argument supplémentaire
venant conforter l'hypothèse d’un édifice qui a pu être conçu dans son intégralité dès
l’origine et dont la réalisation a pu aboutir de manière assez rapide.
405

Fig. 16. Des chapiteaux de la façade de l'absidiole sud du transept sont comparables à des corbeilles
de la crypte : a) Chapiteau, colonne, pilier d'arcades, crypte (n° 65) ; b) Chapiteau, colonnette, niveau
crypte, façade absidiole du bras sud du transept (n° 398). c) Chapiteau, colonnette, niveau crypte,
façade absidiole du bras sud du transept (n° 395) ; d) Chapiteau, colonne, entrée de l'absidiole nord,
crypte (n° 83) (Cl. J. Grémont).

La nef : un espace aujourd’hui tronqué et aux données fragmentaires

25 Appréhender la place de la nef dans la construction de l’ensemble est aujourd’hui une


question délicate. Détruite en 1803, il n'en subsiste que le départ, visible à l’ouest de
l’église basse (Fig. 11), ainsi qu’un pan d'élévation du mur gouttereau sud (Fig. 17b). Il
est possible de comparer ce dernier vestige avec l'enveloppe extérieure du chevet :
l'organisation générale des façades, ainsi que les compositions, l'iconographie et le
style des éléments sculptés se retrouvent à la fois sur le chevet et sur le mur gouttereau
sud de la nef (Fig. 17). Par conséquent, nous pouvons en déduire que l'enveloppe de
l'édifice se caractérise par une certaine unité, présente du chevet jusqu'à la nef.
406

Fig. 17. L'élévation du mur gouttereau sud de la nef peut être comparée à l'enveloppe extérieure du
chevet : a) Détail de la façade nord du chevet (travée 2, mur gouttereau, église haute) ; b) Pan du mur
gouttereau sud de la nef (détail). c) Chapiteau, colonne, mur gouttereau sud, nef (n° 431) ; d)
Chapiteau, colonne, façade du collatéral sud, église haute, chevet (n° 323) (Cl. J. Grémont).

26 Il reste également quelques éléments lapidaires qui ont été déposés, notamment au
Musée archéologique de Saintes ainsi qu'au Musée du Louvre. Bien que leur provenance
soit en général - et parfois abusivement - attribuée à la nef de Saint-Eutrope, ces objets,
dispersés et conservés hors contexte, sont difficilement interprétables. Néanmoins,
l'iconographie et le style de certains chapiteaux30 se rapprochent de ceux du transept
(Fig. 12).
27 Bien que les vestiges de la nef soient pauvres, quelques observations ont tout de même
permis de soutenir l’hypothèse d’une construction concomitante, ou du moins très
rapprochée dans le temps, avec les parties orientales de l’édifice.

4. Un chantier de construction homogène mais non


uniforme
Identification stylistique des ensembles sculptés

28 Grâce aux comparaisons de sculptures des différents espaces de l'édifice, nous pouvons
séparer la production en deux, voire trois ensembles.
29 Le premier se compose des chapiteaux des piliers de la crypte et des reliefs de
l'enveloppe extérieure du chevet31. Même s'il est difficile d'interpréter la rupture
décorative entre d'un côté l'absidiole et la travée orientale du mur gouttereau nord et,
de l'autre, les quatre travées occidentales de cette dernière paroi32, le même atelier y a
œuvré. La majorité des corbeilles des piliers du chœur fait également partie de cet
ensemble. En effet, comme nous l'avons remarqué33, certains motifs et compositions
sont semblables à ceux de l'église basse et à ceux de l'enveloppe du chevet (Fig. 7). Par
ailleurs, au vu des comparaisons entre les vestiges de la nef (mur gouttereau sud) et
407

l'enveloppe extérieure du chevet34, nous pouvons émettre l'hypothèse selon laquelle les
sculptures de la nef pourraient avoir été réalisées par le même atelier (Fig. 17). Les
références artistiques sont principalement antiques : elles viennent des chapiteaux et
des fragments d'entablements romains35 dont certains étaient encore visibles dans la
région à l'époque romane, et notamment à Saintes (Fig. 18).

Fig. 18. Les influences antiques du premier atelier : a) Chapiteau, colonne, pilier d'arcades, crypte (n°
43) (Cl. J. Grémont) ; b) Chapiteau, colonne, pilier d'arcades, crypte (n° 25) (Cl. J. Grémont) ; c)
Chapiteau, colonne, pilier d'arcades, crypte (n° 11) (Cl. J. Grémont) ; d) Chapiteau antique, Saintes,
Musée archéologique (Cl. C. Gensbeitel). e) Corniche corinthienne à moulures ornées, Saintes, Musée
archéologique (n° inv. 49.12) (Cl. C. Gensbeitel) ; f) Cordon sculpté, travée 2, façade du collatéral nord,
chevet, église haute (Cl. J. Grémont).

30 Concernant les six chapiteaux à fond lisse du chœur de l'église haute, étant donné leurs
références poitevines et les différences qu'ils présentent avec les autres corbeilles de
l'espace, ils peuvent être classés dans un autre groupe.
31 Quant aux productions sculptées du transept, celles-ci sont bien distinctes de celles du
chevet, tant d'un point de vue iconographique que formel, comme l’ont déjà proposé
d’autres auteurs36. Ces reliefs trouvent écho dans l’enluminure du Sud-Ouest et le
milieu angoumoisin. Certains chapiteaux déposés, qui proviennent peut-être des piliers
des grandes arcades de la nef, sont à inscrire dans le même groupe37. Quant aux reliefs
de la façade occidentale, entièrement disparue, nous pouvons penser qu'ils
présentaient des similitudes iconographiques et stylistiques avec la sculpture du
transept38.
32 Comment pouvons-nous interpréter ces différences ? Correspondent-elles à un
changement d'équipe ou à de nouveaux sculpteurs venus intégrer la première ? Ces
nouveaux sculpteurs sont-ils nécessairement arrivés après le chantier des chevets ou
ont-ils pu intervenir en même temps ? Par ailleurs, la construction de la croisée et la
réalisation de son décor sont-elles concomitantes ? Le croisement des données
408

stylistiques avec celles de l'étude archéologique de la croisée39 nous apportera plus


d'informations.

Bilan de l'étude du bâti

33 Les premières observations et hypothèses permettent tout de même d’appuyer l’idée


d’un chantier qui débute par la construction du chœur et des piliers centraux de l’église
basse, avec une équipe spécialisée et qualifiée mais qui semble réduite. Puis, le chantier
s’étend au transept et au départ de la nef, ainsi qu’aux élévations et à l’église haute,
avec probablement un plus grand nombre d’artisans. En effet, la multiplication des
signes et marques lapidaires pour ces parties de l’église - qui rejoint la diversité
stylistique et iconographique de la sculpture - nous permet d'avancer une telle
hypothèse. Par ailleurs, une certaine continuité s'observe aussi bien dans les décors
sculptés que dans les modules utilisés. À ce titre, les modules du chœur de l’église basse
et ceux pour le reste de l’édifice actuellement étudié ne présentent pas un écart très
important (entre 1 et 2 centimètres)40 et les différences sont surtout proportionnelles :
est-ce lié à un changement d’approvisionnement, à un outil de mesure légèrement
différent ? La question reste aujourd’hui ouverte. Enfin, très peu de signes lapidaires
sont présents dans le chœur de l’église basse. En revanche, on en retrouve certains sur
des parements de l’église haute : principalement pour des zones techniques, tels que les
piédroits des fenêtres du chœur par exemple. Là où l'on observe une diversité
iconographique et stylistique dans les décors sculptés, une grande homogénéité dans le
bâti et le gros œuvre se dégage. Cela tend à écarter l’idée, jusqu’alors évoquée, d’une
« succession décennale » de l’édification et de la production artistique de l’église Saint-
Eutrope de Saintes (église basse et chevet de l'église haute 1081-1096 / croisée du
transept 1100-1120). À l'inverse, après étude, nous sommes en mesure de proposer
l’hypothèse d’une construction globale débutant à partir de 1081 et probablement
terminée dans les dernières années du XIe siècle. Nous entrons ici dans le schéma, déjà
décrit par Jean Wirth41, où la temporalité, construite uniquement à partir de la
sculpture, est souvent plus étirée dans le temps qu’une chronologie prenant en compte
le bâti dans son ensemble. La suite des investigations permettra peut-être d’affiner ou
de nuancer ces premières observations.

5. Perspectives
34 Des questions sont posées, certaines hypothèses sont proposées mais restent ouvertes.
Cette étude, dont les travaux de recherche se poursuivent, apportera peut-être plus
d'éléments de réponse dans les mois à venir grâce aux travaux de restauration. De
nouvelles prises de mesures de blocs seront effectuées et des observations, notamment
sous rayonnement ultraviolet, restent à réaliser pour obtenir une vision complète du
monument.
35 Par ailleurs, l'examen des parements et des éléments architectoniques de l’église Saint-
Eutrope s'est révélé extrêmement parlant et devra être poursuivi. En effet, hormis le
nombre important de marques lapidaires et de graffitis, de nombreux tracés, que l’on
peut attribuer à la construction et à la mise en œuvre, ont pu être observés (Fig. 19)42.
Ces traces et tracés préparatoires sont des vestiges fugaces du chantier et des gestes des
artisans. Ces pratiques témoignent également d’une maîtrise et d’une certaine rigueur
409

de la part des bâtisseurs dans la construction de Saint-Eutrope, témoignage allant


encore une fois dans le sens d’un chantier de qualité et bien mené. Si ces questions
d’épures, de signes et de tracés préparatoires sont largement étudiées pour la fin du
Moyen Âge, les exemples sont rares pour l’architecture romane. À ce titre, la
restauration de l’église Saint-Eutrope constitue une véritable opportunité, celle de
pouvoir observer ces vestiges, certes très fragiles, de la mise en œuvre, mais qui nous
permettront d’appréhender plus distinctement les individus qui se cachent derrière la
construction de ce monument.

Fig. 19. Différents tracés préparatoires observés sur les parements de l’église. a) Tracés de gabarit ou
de pose de claveaux. b) Tracés liés à la découpe du bloc pour sa mise en œuvre contre l’arc. c)
Marques doubles observées sur les deux faces des blocs des piédroits des fenêtres du chœur de
l’église haute. d) Tracés de mise en place d’un trou de boulin. e) Tracé vertical au centre d’un bloc de
demi-colonne. f) Tracé horizontal au centre d’un tore des voûtes de l’église basse (Cl. J.-B. Javel).

NOTES
1. G ENSBEITEL C., « L’église du prieuré Saint-Eutrope de Saintes, entre culte des reliques
et vie monastique. Un monument exceptionnel en réexamen », Les cahiers de Saint-
Michel de Cuxa, XLIX, 2018, p 71.
2. Recueils de Dom Claude Estiennot, Paris, BnF, ms. 12754, p. 254-260. Ce texte est
actuellement réétudié par Cécile Treffort, CESCM Poitiers.
410

3. L’étude préalable a été confiée à Christophe Amiot (ACMH) et Elsa Ricaud (agence
Sunmetron).
4. Un diagnostic archéologique dirigé par Adrien Montigny, en 2018, a livré de
nombreuses informations inédites sur le site. A. MONTIGNY, « Saintes (Charente-
Maritime). Église Saint-Eutrope », Archéologie médiévale, 49, 2019, p 293-294.
5. Ces approches sont détaillées et expliquées dans l’article publié dans ce même
volume, co-écrit avec Emmie Beauvoit, intitulé « Observer et documenter les parements
et revêtements muraux : photographie et enregistrement du visible et de l’invisible »,
URL : https://books.openedition.org/artehis/27455.
6. Même si des sculptures ont pu être retouchées ou ajustées après la pose.
7. P RIGENT D., « Méthodes d’investigations archéologiques utilisées à l’abbaye de
Fontevraud », in Fontevraud – Histoire, archéologie, Comité d’histoire fontevriste, 4, 1995,
p. 17-37.
8. J. Lacoste avait déjà formulé cette hypothèse : L ACOSTE J. dir., L’imaginaire et la foi : la
sculpture romane en Saintonge, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 1998, p. 33-35.
9. Que nous définissons par une équipe de sculpteurs probablement dirigée par un
maître.
10. En effet, aucun remaniement antérieur au début du XXe siècle n'est mentionné dans
les archives concernant la sculpture de cette partie de l'édifice.
11. Dépendant de la campagne de restauration de la façade nord du chevet,
programmée pour début 2021. Un échafaudage sera installé, ce qui nous donnera accès
aux parties hautes.
12. Ce travail a commencé au début de l’année 2020 avec Jacques Gaillard, qui a
développé une approche physicochimique pour l’étude de provenance des calcaires
charentais, voir GAILLARD J., CONFORTO E., MERCIER J.-C., MOREAU C., NADEAU A., TENDRON G., « La
pierre de l’agglomération antique de Barzan : identification, approvisionnement et
usages », Aquitania, 30, 2014, p. 221–262. ; GAILLARD J., MERCIER J.-C., « La caractérisation des
calcaires de Saintonge et leur application au bâti antique régional », Bulletin de
l’Association des Archéologues de Poitou-Charentes, 37, 2008, p. 47-54.
13. L'abside romane n'existe plus : elle a été remaniée à la période gothique. Les
observations s'arrêtent donc, pour la partie orientale, aux absidioles.
14. LACOSTE J. dir., L’imaginaire et la foi… op. cit., p. 45.
15. CAMUS M.-T., Sculpture romane du Poitou, Les grands chantiers du XIe siècle, Paris, Picard,
1992, p. 264.
16. GENSBEITEL C., « L’église du prieuré Saint-Eutrope de Saintes… op. cit., p. 76.
17. Chartularium Cluniacense (dit « Cartulaire B » de l’abbaye de Cluny), 1051-1120, Paris,
BnF, ms. nal. 1498, fol. 160-161.
18. T CHERIKOVER A., « Anjou or Aquitaine? : The Case of Saint-Eutrope at Saintes », 51.
Bd., H. 3, 1988, p. 358.
19. LACOSTE J. dir., L’imaginaire et la foi… op. cit., p. 50, 55.
20. M. Eygun pense que le style angoumois précède celui de Saint-Eutrope et que les
artistes saintais s'en seraient inspirés : EYGUN F., Saintonge romane, La Pierre-qui-Vire,
Zodiaque, coll. « La Nuit des temps », 1970, p. 87.
21. EYGUN F., Saintonge romane... op. cit., p. 43.
411

22. Qui n’ont, pour l’instant, pas pu être véritablement investiguées.


23. La comparaison avait été suggérée par J. Lacoste : LACOSTE J. dir., L’imaginaire et la
foi… op. cit., p. 53.
24. Comparaison tirée de LACOSTE J. dir., L’imaginaire et la foi… op. cit., p. 53.
25. Ibid., p. 9. La datation de la façade de la cathédrale Saint-Pierre d'Angoulême,
autour de 1120-1130, avait été proposée par Jean-Luc Piat après l'étude archéologique
qu'il y avait menée en 2011. Pour ce qui est de la croisée de Saint-Eutrope, Jacques
Lacoste avait avancé une datation vers 1110 pour les sculptures de cet espace (LACOSTE J.
dir., L’imaginaire et la foi… op cit., p. 55) mais il n'est pas impossible que ces œuvres soient
même antérieures à cette date. L'écart entre les productions angoumoisine et saintaise
serait-il finalement plus important que ce qui a été présenté jusqu'à maintenant ?
26. Jacques Lacoste faisait remarquer que l'orant "devient rare en sculpture après la fin
du XIe siècle" : LACOSTE J. dir., L’imaginaire et la foi… op. cit., p. 52.
27. Les remaniements de l'absidiole du bras sud du transept remontent aux années
1870. Dossier 0081.017.069, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine de
Charenton-le-Pont.
28. Notamment si l'on en croit l'état de conservation des éléments architecturaux
correspondant au niveau de la crypte (chapiteaux et arcades).
29. LACOSTE J. dir., L’imaginaire et la foi..., op. cit., p. 50.
30. N° inv. 1949.2400 et n° inv. 1949.2403 (Saintes, Musée archéologique) et n° inv. R.F.
456 (Paris, musée du Louvre).
31. L'hypothèse avait déjà été avancée par des chercheurs précédents : L ACOSTE J. dir..,
L’imaginaire et la foi... op. cit., p 33-49.
32. Ibid., p. 7.
33. Ibid., p. 6.
34. Ibid., p. 12.
35. Pour plus d'informations, lire L ACOSTE J. dir.., L’imaginaire et la foi... op. cit., p. 35 et
suivantes.
36. François Eygun et Jacques Lacoste.
37. Ibid., p. 12.
38. M OREAU N. (1781-1869), Mémoire sur l'église Saint-Eutrope de Saintes, Saintes,
Bibliothèque municipale, ms. 25398, p. 12 (description de la façade occidentale).
39. Étude qui sera prochainement menée.
40. LACOSTE J. dir., L’imaginaire et la foi… op. cit., p. 6.
41. WIRTH J., La datation de la sculpture médiévale, Droz, 2004.
42. JAVEL J.-B. « Réflexions sur les tracés préparatoires dans l’architecture en pierre de
taille et dans la sculpture décorative de l’Aquitaine romane (XIe -XII e siècles) »,
Aedificare, Revue internationale d’histoire de la construction, 2020-1, n°7, Varia, p. 151-201,
DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-11428-4.p.0151.
412

RÉSUMÉS
Site d’importance par son histoire, l’église Saint-Eutrope fait actuellement l'objet d'études
pluridisciplinaires menées par de nombreux chercheurs, à la fois sur l'édifice et sur son quartier.
Ces travaux sont réalisés dans le cadre d'un programme collectif de recherche, coordonné par
Christian Gensbeitel depuis 2016. Cette dynamique s’inscrit dans une volonté politique de
restauration de ce site clé du Sud-Ouest.
Bien que la nef soit aujourd’hui quasi intégralement détruite, les parties orientales romanes -
réparties sur deux niveaux (église basse et église haute) - sont, quant à elles, conservées et
intégrées dans la reconstruction gothique de la fin du Moyen Âge. Cet édifice monumental a été
conçu de manière à gérer l’afflux de pèlerins, en ménageant un accès aux reliques du saint, sans
perturber la vie de la communauté monastique.
L’objectif de cette étude est d’aborder la construction de l’église romane de Saint-Eutrope en
combinant les approches classiques de l’archéologie et de l’histoire de l’art, afin d’appréhender
son ou ses chantiers de construction, les matériaux et moyens mis en œuvre, du gros œuvre au
second œuvre. Cette communication fait état de travaux de recherche en cours fondés sur une
étude fine des maçonneries et des décors. À terme, ces travaux permettront également de faire
émerger des chantiers qui auraient pu influencer celui de Saint-Eutrope et d'observer le
rayonnement que ce dernier a eu sur d'autres édifices de la région. L’église Saint-Eutrope,
chantier du dernier quart du XIe siècle, a durablement marqué le Sud-Ouest, au-delà des
frontières de la Saintonge, à la fois par sa qualité ainsi que par l'ampleur des travaux réalisés.

Great historical site, the church Saint-Eutrope is now the catalyst for multidisciplinary studies
led by many researchers on both the building and its neighbourhood. This work has been part of
a collective research programme, coordinated by Christian Gensbeitel, since 2016. This dynamic
is taking place thanks to a political will to restore this south-western key site.
Although the nave has almost been completely destroyed, the Romanesque choir and crossing -
divided on two levels (lower church and upper church) - have been preserved and integrated into
the Gothic reconstruction of the late Middle Ages. This monumental building was designed to
cope with the big amount of pilgrims, providing access to the saint's relics and enabling, at the
same time, the monastic community to accomplish its religious activities.
The objective of this study is to approach the construction of the Romanesque church of Saint-
Eutrope by combining the classical approaches of archaeology and art history, in order to
understand its construction(s), the materials and means use, from the structural work to the
finishing work. This paper reports the ongoing researches based on a detailed study of the
masonry and the decorations. Ultimately, this study will make it possible to identify construction
works that could have influenced Saint-Eutrope and to observe the influence that the latter had
on other buildings in the region. The Saint-Eutrope church, a construction site from the last
quarter of the 11th century, has left a lasting mark on the South-West, beyond the borders of
Saintonge, both by its quality and by the scale of the work carried out.
413

INDEX
Mots-clés : Moyen Âge, architecture romane, sculpture romane, archéologie du bâti, Saint-
Eutrope, Saintes (France)
Keywords : Middle Age, Romanesque architecture, Romanesque sculpture, Building archaeology,
Saint-Eutrope, Saintes (France)

AUTEURS
JUSTINE GRÉMONT

Doctorante, Université Bordeaux Montaigne, UMR 6034 Archéosciences Bordeaux (anciennement


UMR 5060 IRAMAT-CRP2A).

JEAN-BAPTISTE JAVEL

Doctorant, Université Bordeaux Montaigne, UMR 6034 Archéosciences Bordeaux (anciennement


UMR 5060 IRAMAT-CRP2A).
414

Les sites troglodytiques médiévaux


du bassin de Brive-la-Gaillarde
(Corrèze) : dynamiques de
peuplement d’un territoire
Marion Liboutet

Brève description des sites et du contexte de l’étude


1 Le Bassin de Brive est une région du sud de la Corrèze, située autour de la ville de Brive-
la-Gaillarde. Territoire limitrophe du département, il jouxte le département de la
Dordogne à l’ouest et celui du Lot au sud. Une cinquantaine de sites troglodytiques sont
implantés autour de Brive-la-Gaillarde mais principalement au sud, sur un territoire
d’environ 300 km2 (Fig. 1). Ils se composent de cavités creusées dans des grés triasiques
sauf les occupations du Puy du Chalard (vallée de la Loyre) et du Soulier (vallée de la
Couze) qui sont respectivement implantés dans le calcaire du lias et dans le calcaire
jurassique. L’étude qui a été instaurée vise plusieurs objectifs : la datation des
occupations, la détermination de leur fonction, et une recherche sur l’économie de ces
occupations. Le mobilier découvert sur les sites qui ont pu faire l’objet de fouilles
anciennement permet de les dater entre la fin du XIIIe et le XV e siècle 1. La fourchette
chronologique est principalement donnée par la céramique. Les indices archivistiques,
notamment les cadastres, indiquent que ces sites ne sont plus occupés à la période
moderne2.
415

Fig. 1. Carte du bassin de Brive figurant les occupations troglodytiques par types (D. Glauser, d’après
M. Liboutet).

2 En 1999 et 2000, le site de Lamouroux a fait l’objet d’une campagne de sondages et de


relevés3. De par son ampleur et les aménagements qu’il comporte, ainsi que selon les
sources documentaires compulsées, Lamouroux semble être un site défensif à caractère
élitaire, dépendant des seigneurs de Noailles, comportant une zone villageoise4. En
2015, un groupe de cavités renfermant des enduits peints partiellement conservés a été
étudié et fouillé5. Une prospection thématique, initiée en 2018 sur le bassin de Brive, a
eu pour objectif de localiser, individualiser et caractériser les nombreux sites décrits
dans les monographies du XIXe siècle 6. Les sites recensés, dans l’état actuel des
recherches, sont au nombre de 31. Le plus grand des sites, Lamouroux (commune de
Noailles), totalise 77 cavités. Il se déploie sur une falaise de 300 m pour 25 m de haut7.
La plus vaste des cavités fait 7 mètres de haut. Les plus petits n’ont qu’une seule cavité
mais plusieurs sites en comptabilisent plusieurs comme Laumont (7), Long peuch (14),
Mourajoux (9), Audan (8) (Fig. 2). Même s’ils présentent plusieurs niveaux, les
communications verticales entre cellules sont rares. Cette organisation spécifique se
trouve notamment à Lamouroux (dans le secteur 1 entre les cellules 5 et 6 et dans le
secteur 3 entre les cellules 58 et 59, 60 et 61 et 62a et 62b), à Audan (entre les cellules 3
et 4) à Bellet et à Long Peuch (entre les cellules 10 et 11). Dans la majorité des cas, la
communication entre les niveaux devait se faire par l’extérieur grâce à des structures,
escaliers passerelles ou bâtiments accolés, dont il ne subsiste que les négatifs d’ancrage.
416

Fig. 2. Élévations schématiques des sites troglodytiques prospectés en 2018 et 2019 (M. Liboutet).

3 À la suite des réflexions posées lors de l’étude de 2000, l’opération archéologique de


2015 a nécessité l’élaboration d’une méthodologie spécifique afin de procéder à
l’enregistrement le plus rationnel possible des structures rupestres.

2. Méthodologie et enregistrement
4 Les sites troglodytiques sont plus apparentés aux sites construits en élévation qu’aux
ensembles de vestiges enfouis, ne serait-ce que par la présence lacunaire de structures
bâties, accolées aux volumes creusés ainsi que par les traces des parties disparues
visibles dans les parois. La fouille des comblements sédimentaires à l’intérieur ainsi
qu’à l’extérieur des cavités est bien évidemment un élément primordial de l’étude.
L’archéologie du bâti est une spécialité reposant sur une méthodologie bien définie. Elle
a fait ses preuves en termes d’analyse de site construit, non seulement sur ses aspects
structurels et ses matériaux, mais également en termes d’apport sur le contexte
sociopolitique et idéologique qui l’a produit. Dans le cadre de la réflexion concernant
l’élaboration de la méthodologie, les processus et analyses développés en archéologie
sur le bâti ont été convoqués8. Pour rendre compte de la structuration des espaces
semi-construits que sont les occupations troglodytiques, la réalisation de fiches
associées à une terminologie spécifique s’est imposée.
5 Les fiches de Cellules créées en 1999-2000 ont été complétées par des fiches UP (Unité
de Paroi), UC (Unités de construction) et ST (Structures) pour l’opération de 2015.
L’opération de 2018 a nécessité la conception de fiches de Sites9.
• Les fiches de sites sont destinées à compiler des données générales sur chaque occupation
renseignant à la fois le nombre de cavités, l’orientation des sites mais aussi le contexte
environnemental. Elles sont destinées à la prospection thématique et seront à terme
reversées dans la Carte archéologique nationale (coordonnées, cadastres, hydrographie…).
417

• Les fiches Cellules, ont été conçues en 1999 pour déconstruire le vaste site de 300 m de
Lamouroux où 77 cavités se répartissent sur sept niveaux. La cellule est le plus grand
dénominateur du site troglodytique. Ces fiches prennent en compte la totalité de la cavité,
non seulement les caractéristiques des parois mais aussi son volume, avec ses trois
dimensions. C’est pourquoi un espace croquis a été laissé libre pour placer les
aménagements disparus tels que les planchers ou les cloisons. Elles sont numérotées de 1 à
n.
• Les fiches UP, pour Unité de parois permettent de dresser le croquis de l’UP avec la
localisation de toutes les UC et de toutes les ST. Elles ont une rubrique « Chronologie » et
une autre qui met l’accent sur les séparations spatiales notamment les planchers et les
cloisons (regroupement de plusieurs UC sur des diagrammes de Harris). Elles ont été
numérotées de 1 à 6 en partant de la paroi gauche. Soit UP1 = paroi gauche, UP2 = paroi du
fond, UP3 = paroi droite, UP4 = sol, UP5 = plafond, UP6 = paroi fermant la cellule en façade. À
l’échelle du site de Lamouroux par exemple, on ne peut dépasser l’UC776 car il y a 77 cellules
et qu’elle ne peut pas avoir plus de 6 parois.
• Les fiches UC correspondent à l’enregistrement des Unité de Creusement. Elles concernent
tous les creusements des parois (creusements ronds, rectangulaires, carrés, irréguliers,
ovoïdes avec toutes les combinaisons possibles). L’UC permet d’intégrer tous ces
creusements anthropiques sous l’angle de leurs dimensions, de leur plan à l’ouverture et de
leurs coupes, dont la fonction n’est pas évidente a priori. Les UC sont numérotés de 1 à n.
• Les Structures ont leurs propres fiches et numérotations. Elles recensent et décrivent les
aménagements dont au moins une fonction est attribuable d’emblée et qui peut être
nommée (niche, étagère, anneau, placard) tout en restant assez ouvert pour permettre une
extension de l’interprétation. Les enduits peints sont aussi intégrés dans ces fiches
structures ainsi que les ouvertures aménagées (sauf les ouvertures en façade UP6). Leur
numérotation court de 1 à n.
6 L’enregistrement permet de comptabiliser et d’associer les creusements. Il complète le
relevé des parois (UP) sur lesquels toutes les Unités de creusement (UC) apparaissent
(Fig. 3). Il est alors plus aisé d’établir des diagrammes de Harris permettant de grouper
des UC correspondant aux mêmes structures disparues (cloison, poutraison, traverse…).
Par cette étape, les aménagements structurels prennent corps. L’objectif est d’obtenir
des datations par la fouille, notamment grâce aux négatifs des structures présentant
des comblements. À Lamouroux, les comblements des structures en creux, de la cellule
20 notamment, ont pu être rattachés à deux phases chronologiques : l’une du XIIIe-XIVe
siècle qui fait suite à un niveau d’occupation antérieur, non daté. Les correspondances
entre ces structures et celles du plafond ainsi que celles des parois latérales, a permis
de proposer un phasage des structures internes et des cloisons10.
418

Fig. 3. Relevé de l’UP3 de la cellule 22 de Lamouroux figurant les UC et les ST (M. Liboutet).

3. Le creusement des cavités : conception et


réalisation d’un site troglodytique
Le processus de taille

7 Le creusement des cavités s’est fait, pour la plupart d’entre elles, par enlèvement de
matière rocheuse en progressant de manière horizontale depuis le front de falaise. Le
processus de creusement n’a pas encore été mis en évidence avec précision pour le
corpus de sites étudiés. De telles réflexions ont toutefois été menées sur des sites
religieux charentais tels que Aubeterre-sur-Dronne et Gurat11. L’observation des parois
et des structures a permis de restituer les étapes de creusements des vastes espaces
souterrains ainsi que les techniques employées. Bien que les sites troglodytiques
corréziens aient une structure différente - ce ne sont pas de grands réseaux souterrains
comme les églises de Charente mais des ensembles constitués de plusieurs cavités
juxtaposées ou superposées sur une falaise - le développement d’une telle réflexion
serait à même de révéler le processus de creusement et peut-être de mettre en évidence
des programmes d’aménagements pouvant renvoyer à des phases de « construction ».
8 Des hypothèses, quant à la forme et à la gestion des blocs extraits, peuvent être faites
d’après la morphologie des cavités. Pour celles dont l’ouverture est complète en façade,
l’enlèvement de roche, à la fois sous forme de blocs ou de gravats, est possible. Dans le
cas d’une cavité dont la paroi rocheuse en façade est conservée (UP6), les possibilités
concernant le creusement sont plus restreints. L’UP6 de la cellule 2 de Puyjarrige
comporte deux ouvertures ainsi qu’un mur bahut (rocher conservé en élévation) qui
ont été réservés (Fig. 4). Le mur bahut soutenait peut-être une construction en
moellons car aucune trace de négatif n’est visible sur l’arase. Les ouvertures
correspondent à des portes et fenêtres aménagées. Avant la taille proprement dite dans
419

le rocher, leurs contours ont dû être tracés puis détourés sur la paroi brute. Ces
éléments ont donc été planifiés en premier lieu, les différents aménagements (UC)
servant à insérer les pièces de bois - les jambages, les linteaux - pour les pièces
d’huisserie, étant réalisés tout à la fin du processus de taille. L’évacuation des déchets
de taille depuis l’intérieur de la cavité a dû se faire par les ouvertures aménagées dans
l’UP6. Leur dimension conditionne donc la forme que vont prendre les blocs de roche
retirés. Plus l’ouverture conservée est grande, plus les blocs à évacuer peuvent être
importants. Plus les ouvertures sont petites et nombreuses et plus il semble
vraisemblable que la roche soit extraite sous forme de petits blocs ou de gravats,
excluant l’extraction par blocs de grande taille. Dans le cas de la cellule 6, l’hypothèse
d’une évacuation de gravats semble donc plus plausible. À Mourajoux, Lamouroux,
Siorat et Laumont plusieurs cavités comportent des UP6 conservées (Fig. 5)12.

Fig. 4. Vue de l’UP6 (façade extérieure) de la cellule 2 du site de Puyjarrige (Brive-la-Gaillarde). Les
ouvertures ménagées dans la roche sont bien visibles : une porte (à gauche), un mur bahut (au centre)
et une fenêtre (à droite) (M. Liboutet).

Fig. 5. Site de Siorat (Brive-la-Gaillarde). Vue rapprochée sur l’UP6 d’une cellule dans laquelle une
ouverture a été aménagée (M. Liboutet).
420

9 Les recherches sur l’économie des églises rupestres de Cappadoce en Turquie qui se
sont appuyés notamment sur des enquêtes orales auprès des carriers toujours en
activité apportent un certain nombre de pistes transposables aux sites troglodytiques
médiévaux occidentaux, notamment sur le cycle que peut suivre la pierre extraite.
Lorsque la roche est de trop mauvaise qualité pour permettre son débitage en bloc, elle
est extraite de manière destructive et réduite en morceaux, en déblais. Ces derniers
servent alors d’échafaudage et permettent donc de travailler du bas vers le haut13. À la
carrière des Perrières à Brive, le grès est exploité pour la roche mais aussi pour le sable,
du XVIIIe au XX e siècle. La pierre de Lamouroux n’était peut-être pas extraite comme
pierre de construction mais sous forme de gravats14. La gestion des déblais et des
déchets de taille constitue un véritable enjeu d’un chantier de creusement de cellules et
s’inscrit pleinement dans la démarche intellectuelle et la réalisation de cavités
aménagées15. Les cellules avec UP6 conservées nécessitaient peut-être un processus de
taille différent et peut-être un savoir-faire plus fin.
10 L’intervention de professionnels semble requise pour certains éléments à l’intérieur
des cavités. Ainsi les éléments architecturaux monolithes semblent-ils réalisés par des
ouvriers spécialisés à partir d’un bloc réservé lors de la taille/creuse de la cellule. La
question de la planification du pilier de la salle 51 de Lamouroux ainsi que de celui du
site des Roches (Cosnac) se pose. Leur réalisation a nécessité de ménager une réserve de
roche : est-ce là la volonté de réaliser un décor qui préside à leur existence ou bien une
nécessité opérée par des questions statiques ? Au Roc Negre, commune de Noailles et
site en amont de Lamouroux sur les rives du ruisseau de Combe-Longue, un pilier est
également réservé entre les cellules 2 et 3. À Veyssel (Gernes), une ouverture en arc en
plein cintre en façade de la cellule (en partie détruite) illustre bien que certains
éléments doivent être planifiés par les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre, selon
des normes architecturales et stylistiques (Fig. 6). L’étude de traces d’enlèvement et du
travail de la roche est à ses prémisses et les hypothèses devront être précisées par les
travaux ultérieurs.
421

Fig. 6. Site de Veyssel (Turenne). Cellule 3. Vue vers l’UP6. Baie partielle, coiffée d’un arc plein cintre (M.
Liboutet).

4. Les modes de construction


Les maçonneries

11 L’occupation de la falaise n’est pas associée à des constructions qui pourraient se


trouver au-dessus, sur le plateau et qui domineraient le site. Les prospections sur les
plateaux de Lamouroux et de Mourajoux, ainsi que les photos anciennes et récentes de
Siorat et Bellet ne laissent rien apparaître sous la végétation dispersée qui colonise le
promontoire rocheux apparent (Fig. 7)16. De manière générale, les vestiges de
maçonnerie sont quasiment inexistants. Il faut citer les occurrences du bouchage à
Lamouroux et quelques assises révélées par l’effondrement du 31 décembre 2015 dans
le secteur 4. À Rochelongue, site disparu car exploité en carrière de sable, des murs de
pierre sèche en grès, ont été construits dans l’abri17. À Bellet toutefois, une construction
a été édifiée dans le grand abri à l’extrémité du site. Elle n’est pas datée mais les pannes
de la charpente, en partie effondrée, permettraient peut-être d’effectuer une datation
par dendrochronologie. Mis à part ces exemples, les structures troglodytiques semblent
majoritaires par rapport à leur pendant construit. Les pans de bois ou les cloisons de
façade en pierre semblent constituer l’essentiel du bâti mais des empochements pour
des poutres sont visibles à l’extérieur des cavités, sur la falaise. Les cavités qui ne
comportent pas de façade rocheuse étaient fermées par une paroi. Deux modes de
construction ont été mis en évidence : soit la paroi se trouve à l’aplomb de l’ouverture
de la cellule, soit à distance de l’ouverture, hors de la cavité.
12 Dans le premier cas, des structures creusées correspondant à des encastrements pour
du pan de bois au sol et au plafond, parfois seulement au sol ou seulement au plafond,
422

sont visibles (Fig. 8). Dans le second cas, où l’extension est construite avec des
matériaux en avant de la cavité, la fouille est alors opérante pour la mettre en évidence.
À Lamouroux, les sondages réalisés en avant de l’ouverture de la cellule 20 ont montré
la présence de structures et de couches d’occupation. Le mur de façade n’a toutefois pas
été atteint lors de cette opération18.

Fig. 7. Site de Siorat (Brive-la-Gaillarde) vu depuis le sud-est. Plaque-photo de E. Rupin, XIXe siècle
(Collection Ville de Brive, musée Labenche) ; numérisation Les Films du Genièvre (Traitement, D.
Glauser).
423

Fig. 8. Site de Lamouroux (Noailles). Proposition de restitution de la paroi extérieure de la cellule 20 (D.
Glauser).

Le pan de bois

13 Au vu des structures conservées dans les parois (rainures et empochement), le pan de


bois était majoritaire pour les façades ainsi que pour les parois de refend, en tout cas à
Lamouroux. La faible largeur des rainures et des sablières basses plaide en faveur d’une
cloison réalisée entièrement en pan de bois et non soutenue par un mur bahut. À
l’inverse, lorsqu’aucun creusement n’est présent sur le sol en regard d’une rainure ou
d’un dispositif creusé sur l’UP5, l’hypothèse de l’existence d’un mur bahut peut
également être avancée. Dans les cellules 20 et 22 à Lamouroux, ainsi que dans la cellule
6 de Mourajoux, on trouve à la fois des négatifs pour l’insertion de piliers
quadrangulaires, ainsi que des négatifs de section ronde, toujours alignés, qui
renvoient à des cloisons plus légères de type clayonnage. Les négatifs de fermeture de
façade en pan de bois ont été également observés à la grotte de Champ ainsi qu’à
Mourajoux. Certaines cellules telles que les n° 62 à 66 de Lamouroux et les n° 7 à 9 de
Mourajoux présentent une paroi rocheuse (UP6) conservée au niveau du nu de la
falaise. Les ouvertures qui y ont été aménagées – des fenêtres et des portes notamment
- indiquent la localisation de la façade de la « bâtisse » (Fig. 9). Par ailleurs, pour une
certaine cavité, dont l’ouverture est totale côté falaise, aucun empochement ou
structure accolée n’est visible autour de l’ouverture. La fermeture, s’il y en avait une,
devait être d’un autre type, ou bien un élément construit devait se trouver en avant de
la cavité, masquant cette dernière. Hormis le traitement des façades, les cloisons
internes étaient également réalisées selon la technique du pan de bois. En effet, les
mêmes négatifs d’insertion se retrouvent disposés sur des alignements parallèles à la
paroi ou perpendiculaire à celles-ci (paroi de refend). L’opération de 2015 a permis de
proposer non seulement une restitution des cloisons avec ce mode de construction mais
aussi d’avoir des données sur leur chronologie, grâce à la fouille des niveaux stratifiés.
424

La matière du hourdage est en outre difficile à établir en l’absence d’éléments trouvés


en fouille19. Les matériaux de revêtement de la roche, encore partiellement en place,
ont toutefois pu être mis en évidence.

Fig. 9. Site de Mourajoux (Noailles). Façade vue depuis le pied de falaise. La roche a été taillée de
manière régulière et des fenêtres et une porte ont été aménagée (M. Liboutet).

4. Le traitement des surfaces


Les sols

14 Les cavités sur lesquelles des sondages ont été pratiqués ou un nettoyage fin a été mis
en œuvre ont montré des restes de matériaux couvrant la roche (UP4). Un aplat de
mortier de 4 à 5 cm d’épaisseur est conservé sur une surface de 30 x 20 cm sur le sol de
la cellule 15 de Lamouroux : des marques d’outils visibles sur sa surface attestent un
traitement de ce matériau, vraisemblablement recouvert. Des vestiges de chaux (chaux
mêlée à une fine charge sableuse) ont également été repérés sur les sols des cellules 20
et 2120 (Fig. 10). La cellule 6 de Mourajoux conserve des reliquats de mortier, du même
type que ceux des cellules 21 et 22 de Lamouroux sur le sol. Le mortier appartenait à un
niveau de circulation alors que la chaux, appliquée sur les sols, servait probablement à
assainir les cellules21. Le sondage, pratiqué dans la cellule 7 du même site, a permis de
mettre en évidence une couche très compacte, lisse et argileuse de couleur orange vif à
roux qui recouvrait une fine couche grisâtre posée sur le sol rocheux. Le niveau orangé,
très compacté, dans lequel du mobilier céramique et métallique essentiellement était
piégé, a été interprété comme un sol de terre battue22. Présentant un niveau plan, il
venait s’appuyer contre l’emmarchement du seuil de la porte de la cellule 7. Un niveau
très similaire a été mis en évidence à Lamouroux dans les cellules 20 et 2123. Les sols
rocheux présentent donc des traitements très divers, comme les parois latérales.
425

Fig. 10. Site de Lamouroux (Noailles). Vue du sol de la cellule 22. Au premier plan, rainure pour
insertion d’une sablière. Vestiges de mortier (entouré en tiretés rouges) (M. Liboutet).

Les parois latérales et le plafond

15 Des enduits peints sont encore conservés sur les parois des cellules 15 et 22 de
Lamouroux. L’analyse stylistique du ruban plissé conservé principalement sur l’UP2 de
la C22 (de couleur rouge, rose clair, rose foncé, jaune, jaune foncé et blanc) qui
entourait un décor disparu, ne permet pas de proposer de datation (Fig.11). Il en est de
même pour les vestiges de décor de faux appareil aux joints doubles montants, peints
en rouge sur fond blanc de la cellule 1524. Ces registres iconographiques sont assez
diffusés pour la période comprise entre les XIIe et XIV e siècles. Aucun charbon de bois
n’ayant été détecté dans le matériau sur le site ni en laboratoire, ils n’ont pas pu être
datés avec précision. L’attribution chronologique est toutefois cohérente avec les
données fournies par la céramique et les sources documentaires. Les analyses
effectuées sur les différents matériaux (enduit peint et aplat de chaux à Lamouroux)
ont montré une origine locale pour les sables des mortiers de pose de l’enduit ainsi que
de l’enduit des cellules 22 et 15. Le grès extrait sous forme de sable, selon les
hypothèses évoquées précédemment, pourrait avoir alimenté les besoins dans ce
matériau pour la réalisation des mortiers. Leur facture n’apporte pas davantage
d’information sur le statut du site : les couches de pose ainsi que le mode de réalisation
ne relèvent pas d’un traitement particulier. Les deux cellules (22 et 15) font partie d’un
ensemble à caractère résidentiel, relevant de la sphère publique ou privée25. Par
ailleurs, l’analyse des prélèvements des aplats sur le sol de la C21 a montré que la chaux
a été produite à partir de coquillage et non de pierre à chaux comme pour les enduits
muraux.
426

Fig. 11. Relevé de l’enduit peint situé sur l’UP2 de la cellule 22 de Lamouroux. Le rose a été accentué. Il
était plus clair à l’origine. Cette couche picturale est très claire actuellement (Bénédicte Bertholon).

16 La fouille de ces ensembles, associée à l’analyse des matériaux mis au jour, apporte des
données novatrices sur ces occupations rupestres qui recevaient, force est de le
constater, un traitement similaire à celui des sites construits. L’originalité du type
d’implantation, conférée par le creusement sur des affleurements rocheux, semble être
atténuée par le traitement des surfaces habitables, qui masquent la roche. L’analyse
fine de chaque cavité reste à effectuer afin de discriminer les espaces creusés laissés
bruts des espaces creusés complétés par d’autres matériaux. La concentration
importante de sites rupestres sur ce territoire conduit à s’interroger sur le contexte
sociopolitique qui a vu leur émergence.

5. Les dynamiques d’occupation du territoire


Des phénomènes d’occupation originale ?

17 Les sites troglodytiques, situés dans la Vicomté de Turenne, sont, dans l’état actuel des
recherches, de natures diverses (cf. fig. 1). Une typologie a été établie sur la base des
premières observations. Les principaux types sont le hameau de falaise, le site de
hauteur, le site mixte, et l’unité domestique. Au niveau morphologique, le hameau de
falaise décrit une occupation qui se développe depuis le pied de falaise ainsi que sur son
flanc tandis que le site de hauteur ne montre pas d’accès depuis le bas et se trouve à
une altitude relativement élevée. Les sites mixtes intègrent les caractéristiques des
deux précédents au niveau morphologique et fonctionnel mais présentent également
des éléments liés à la fortification (bretèche, entrée contrôlée). Si le site de Lamouroux
est une forme de village castral et d’espace villageois original26, sa morphologie et son
organisation peuvent être comparées, avec les sites mixtes, moins vastes, qui sont en
cours d’étude (Puyjarrige, Laumont et Bellet notamment). Le type d’occupation de
Lamouroux apparaît de ce fait moins marginal et exceptionnel qu’il se semble en
premier lieu, sans toutefois avoir d’équivalent ni dans le nombre de cavités aménagées
ni dans la diversité des structures creusées. Les sites de Dordogne (surtout la Roque
Saint-Christophe) et du Lot, bien qu’étendus, ne traduisent pas le même phénomène27.
18 L’origine du site de Lamouroux pourrait s’inscrire dans le processus de création de
pôles élitaires dès la fin du XIIe siècle par des chevaliers qui n’ont pas, dans un premier
temps, de possession28. Le chevalier seigneur de la Roche de Noailles témoigne peut-
être de sa volonté d'inscrire son empreinte sur un territoire qui lui est permis
d’investir. Lamouroux serait emblématique de ce phénomène - l’hypothèse du site
élitaire semblant établie - mais aussi Puyjarrige ou Laumont, cités précédemment. Est-
ce que dans ce contexte, s’ancrer dans la roche conférerait plus de légitimité en
427

anthropisant la nature ? En effet, le fait de s’implanter dans le rocher, dans le paysage


naturel, le transforme irrémédiablement et durablement29. Ou bien est-ce
l’opportunisme qui orienterait le processus ? Est-ce que ce sont des terres non
cultivées, de moindre intérêt économique qui sont investies sous forme d’occupation
rupestre ?
19 D’autres sites suggèrent un glissement d’occupation ou un lien de subordination entre
un château bâti, encore en élévation aujourd’hui, et un site troglodytique30. Le château
de Cosnac, dont la première mention date du XIIIe siècle, est une place forte de la
seigneurie de Malemort qui se situe à la frontière entre le Comté du Quercy et la
Vicomté de Limoges. Dans son environnement proche, le site troglodytique des Roches
à Cosnac, qui réunit des caractéristiques d’un site fortifié et élitaire, pourrait lui être
subordonné. La question est pertinente également pour le château de Moriolles qui se
situe à proximité du site rupestre d’Audan. Sur ces derniers, la prospection thématique
n’a pas pu apporter plus de données. Le château attribué aux XVIe-XVIIe siècles pourrait
être plus ancien. Un « linteau » à accolade localisé sur la porte (ouverture) du passage
où se trouve l’escalier, taillé dans la masse rocheuse, suggère la même datation que
pour le château (Fig. 12). Toutefois, une origine plus ancienne n’est pas exclue.

Fig. 12. Site de Audan (Lissac-sur-Couze). Passage entre les cellules 3 et 4. L’ouverture présente un
« linteau » à accolade (M. Liboutet).

Des mutations sur la durée à l’échelle du territoire

20 Les sites troglodytiques les plus vastes sont relativement éloignés des hameaux à
l’heure actuelle. Lamouroux ou Mourajoux sont proches des hameaux du même nom
même s’ils en sont clairement détachés au niveau topographique. Long Peuch, Roc
Negre, Puyjarrige, Siorat et Laumont se trouvent dans des zones boisées ou dans des
champs loin de toute habitation. Seul le site troglodytique de Bellet est localisé au
428

même endroit que le village actuel. La consultation des cadastres anciens invite,
toutefois, à relativiser l’impression d’éloignement de ces sites. Le cas de Roc Negre,
difficile d’accès et situé en plein bois marécageux aujourd’hui, est éloquent : les voies
de communication qui le desservaient sont encore mentionnées dans le premier quart
du XIXe siècle, illustrant la permanence d’une fréquentation jusqu’à une date
inconnue31. L’étude des sites troglodytiques permet de mettre en lumière une mutation
des lieux de peuplement qui est peut-être survenue à la fin du Moyen Âge ou au plus
tard au début de l’époque moderne. De grands ensembles et d’autres plus modestes ont
été peuplés puis abandonnés à une époque inconnue pour des raisons également
ignorées. Des changements tant économiques que politiques ont vraisemblablement
produit les conditions de ces abandons. On ne peut négliger non plus le critère
symbolique qui peut, à une certaine période, exclure d’habiter dans la roche. Les études
engagées permettront d’approfondir ces phénomènes et de comprendre les mutations
qui ont présidé à l’abandon des sites troglodytiques et à la fixation des occupations à la
fin du Moyen Âge.

Le territoire de Noailles : les sites de Lamouroux, Mourajoux et Roc


Negre (vallon de Combe-Longue)

21 Trois grands sites troglodytiques se trouvent sur la commune de Noailles, dans le vallon
de Combe-Longue. Le plus vaste d’entre eux est Lamouroux nommé « les Rochers ou la
Roche de Noailles » encore au XVIIIe siècle. Si la relation qu’il a pu entretenir avec le
château situé dans le bourg de Noailles mérite encore d’être précisée, ses liens avec
deux autres sites rupestres sont également au cœur des problématiques. Il s’agit du site
de Roc Negre au lieu-dit Mas del Bos (hameau de falaise) qui se situe en amont dans le
vallon, composé d’une dizaine de cavités et du site de Mourajoux (site de hauteur)
composé de 10 cavités également. Ce dernier, situé sur un autre affleurement de grès,
fait face à Lamouroux. Ces deux sites sont donc en covisibilité, ce qui est le seul cas
recensé jusque-là au sein des sites localisés.
22 Le site de Mourajoux présente une occupation contemporaine de Lamouroux entre la
fin du XIIIe et le XV e siècle 32. La similitude des aménagements qui sont creusés au Roc
Negre autorise à rattacher ce site à la même période d’occupation en l’absence
d’investigations. Les trois occupations en falaise doivent être questionnées en relation
avec le « bourg » actuel de Noailles, dont l’existence est attestée au Moyen Âge, au
moins par le noyau de peuplement composé de l’église et du château. Ce dernier
montre des vestiges discrets du XIIIe siècle sur une des tours33. À l’échelle de la
commune de Noailles et de son ancienne paroisse, la dynamique de peuplement doit
être questionnée au sein du réseau tissé par ces différents pôles. La présence de trois
sites troglodytiques sur ce petit territoire illustre un type d'occupation, sinon
prépondérant, du moins fréquent. De même pour les autres sites troglodytiques, leur
relation avec l'habitat groupé construit est un axe de la recherche initiée.

Conclusion : les axes de recherche


23 Les espaces creusés dans le rocher, seuls vestiges encore conservés à l’exception de
quelques rares maçonneries, étaient complétés par des structures réalisées en
différents matériaux. Pan de bois, huisserie, enduits peints et mortiers recouvraient le
429

rocher et le masquaient. Les volumes conservés, dont les parois comportent des
aménagements divers tels que des portes, des fenêtres, des niches, des banquettes
doivent être abordés comme des bâtiments construits. La singularité de l’étude est donc
nuancée par l’étude des matériaux qui met en évidence une mise en œuvre et un choix
similaires à ceux des sites entièrement construits. Il faut donc considérer ces sites, dans
l’état actuel des recherches, comme faisant intégralement partie des processus de
création d’habitat à partir du XIIIe siècle et non comme des phénomènes marginaux.
Leurs origines et les raisons de leur abandon, probablement de diverses natures, sont
au centre des recherches menées actuellement. En caractérisant plus finement les
microterritoires sur lesquels ils se trouvent, les dynamiques participant de leur
implantation (peuplement de territoires dû à un contexte socio-économique et
politique particulier) devraient être mieux comprises.

NOTES
1. LOMBARD R., « Puy Jarrige, un habitat médiéval sous abri », Bulletin de la société
scientifique, Historique et Archéologique de la Corrèze, 103, 1981, p. 46-53. ROUMIER G.,
« Inventaire des grottes aménagées du département de la Corrèze : étude liminaire »,
Revue archéologique du Centre de La France, 17, fasc. n° 67-68, 1978, p.188-192.
2. La recherche en archives doit être poursuivie.
3. Dans le cadre d’un mémoire de maîtrise : LIBOUTET M., Le site troglodytique de
Lamouroux, Mémoire de maîtrise, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, Paris, 2000, 3
vol. Le relevé topographique du site, effectué par l’A.F.A.N en 1999 et 2000, a été financé
par le SRA Limousin.
4. LIBOUTET M., « Le site troglodytique de Lamouroux, (commune de Noailles) : éléments
historiques », Bulletin de la Société Scientifique, Historique et archéologique de la Corrèze, 125,
2003, p. 39-58. CONTE P., LIBOUTET M., « Le troglodytisme médiéval en Limousin (Corrèze).
Le site de Lamouroux dans son contexte : une recherche en cours », in De la Spelunca à la
Roca, L’Habitat troglodydique au Moyen Âge, Actes du premier colloque de Saint-Martin-le-Vieil,
Carcassonne, 2006, p. 52-69.
5. LIBOUTET M., Le site troglodytique de Lamouroux (Noailles, Corrèze). Rapport d’opération
archéologique programmée, DRAC/SRA Limousin, Limoges, 2016. PALAZZO-BERTHOLON B., Les
enduits peints du site troglodytique de Lamouroux (Noailles, Corrèze), rapport d’étude inédit,
DRAC/SRA Limousin, 2015, 55 p.
6. LIBOUTET M., Prospection thématique des sites troglodytiques du Bassin de Brive, rapport de
prospection thématique, DRAC Nouvelle-Aquitaine - site de Limoges, Limoges, 2019, 2 vol.
7. LIBOUTET M., avec la collaboration de BERTHOLON B., « Construction, mise en œuvre et
matériaux : nouvelles données sur le site troglodytique médiéval de Lamouroux
(Noailles, Corrèze) », Aquitania, 35, 2020, p.147-175.
430

8. LIBOUTET M., « Élaboration d’une méthodologie pour l’étude d’un site troglodytique : le
castrum de Lamanon (Bouches-du-Rhône) », in BOURIN M., GUILLOT F. dir., Habitat
troglodytique et sites rupestres au Moyen Âge, Actes des 2e, 3e, 4e colloques de Saint-Martin-le-
Vieil (Aude), 2006, 2007, 2008, Presses universitaires de Rennes, 2014, p.71-85.
9. Les fiches US destinées à l’enregistrement lors de la fouille ne présentent pas de
différences avec celles destinées à la fouille de sites non troglodytiques.
10. LIBOUTET M., avec la collaboration de BERTHOLON B., op. cit.
11. PIAT J-L., PERESSINOTTO D., « Aubeterre-sur-Dronne – Église souterraine Saint-
Jean », ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Poitou-Charentes, mis en
ligne le 01 mars 2008, consulté le 30 août 2020. URL : http://journals.openedition.org/
adlfi/1447. NAVETAT M., avec la collaboration de PEDINI, PERESSINOTTO D., Gurat, Charentes,
église souterraine monolithe dite chapelle Saint-George, Rapport final d’opération
archéologique, DRAC Nouvelle-Aquitaine/site de Poitiers, Poitiers, 2017, 1 vol.
12. Ainsi que sur d’autres sites. L’inventaire des façades rocheuses est en cours.
13. LAMESA A., « Détermination des intervenants lors de chantiers d'églises rupestres en
Cappadoce médiévale (VIIe-XIIIe siècles) : méthodes d'analyses » in GÉLY J-P., LORENZ J. dir.,
Carriers et bâtisseurs de la période préindustrielle, Europe et régions limitrophes, 2011, p.
177-188.
14. Même dans le cas de cellules ouvertes et qui n’ont pas d’UP6 conservée.
15. LAMESA A., « Processus technique et realia : une histoire du creusement proposée par
Néophyte le Reclus », in BOIVIN J. et al. dir., Actes du 9e colloque étudiant du département
d’histoire de l’Université de Laval, Laval, 2009, p.149-161.
16. LIBOUTET M., Prospection thématique…, op. cit.
17. ROUMIER G., « Inventaire des grottes aménagées du département de la Corrèze : étude
liminaire », Revue archéologique du Centre de La France, 17, fasc. n° 67-68, 1978, p. 188-192.
18. Il doit se trouver hors de l'emprise du sondage. Le sondage aurait dû être étendu, ce
qui sortait des prescriptions archéologiques. De plus, la présence de gros blocs
d'effondrement à cet endroit, scellant les couches archéologiques, est un obstacle qui
nécessite des moyens et du temps en suffisance.
19. Des fragments de torchis ont été mis au jour dans un sondage lors de l’opération de
2021 à Mourajoux (étude en cours).
20. Repéré au fond du sondage 2 dans l’US9026 (étude au Microscope électronique à
balayage par Bénédicte Bertholon).
21. PALAZZO-BERTHOLON B., op. cit.
22. US 12.
23. US9010 et 9025 pour la cellule 20. US9026 pour la cellule 21.
24. Pour une présentation détaillée des enduits peints : LIBOUTET M. avec la collaboration
de BERTHOLON B., op. cit.
25. L’enduit peint est également présent (reliquats) sur les autres parois ainsi que sur le
plafond de la C22. Le plafond était peint en rose avec des motifs jaunes (losanges). Des
aplats de mortier sont encore conservés sur les parois de la C15, toutefois sans couche
picturale, les pigments n’ayant pas été conservés.
431

26. CONTE P., « Des documents archéologiques pour l’histoire du village médiéval en
Limousin », in TRICARD J. dir., Le village des Limousins : études sur l’habitat et la société rurale
du Moyen Âge à nos jours, Limoges, 2003, p. 25-44.
27. PEYRONY D., « Fouilles de la Roque Saint-Christophe », Bulletin de la Société historique et
archéologique du Périgord, 66, 1939, p. 248-269 et p. 360-387.
28. RÉMY C., « L’ancrage territorial de l’aristocratie limousine (XIe-XVIe siècles) : quelques
réflexions », Siècles [En ligne], 38 | 2013, mis en ligne le 08 octobre 2014, consulté le 15
décembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/siecles/2322.
29. LIBOUTET M., « Les sites troglodytiques médiévaux : une transformation radicale du
paysage. Une occupation originale du Bassin de Brive au Moyen Âge », Mitteilungen der
Deutschen Gesellschaft für Archäologie des Mittelalters und der Neuzeit, 33, 2020.
30. Hypothèses déjà développées dans CONTE P., LIBOUTET M., op. cit.
31. Cadastre 1824. A1 de Noailles, Archives départementales de la Corrèze.
32. L’opération programmée en octobre 2020 à Mourajoux et non réalisée pour cause de
pandémie a été effectuée en juillet-août 2021. Le sondage pratiqué dans la cavité 7 a mis
en évidence plusieurs niveaux d’occupation renfermant du mobilier céramique et
métallique. LIBOUTET M., avec la collaboration de VEISSIÈRE O., Mourajoux, Noailles, Corrèze.
Site troglodytique médiéval. Rapport d’opération de sondage programmée, UMR 6298, ArchéA,
2021, 88 p.
33. RÉMY C., Seigneuries et châteaux-forts en Limousin. 1. Le temps du castrum (Xe-XIVe siècle),
Limoges, Culture et patrimoine en Limousin, 2006.

RÉSUMÉS
Les sites troglodytiques médiévaux sont des occupations dont l’interdépendance avec leur
environnement est indéniable. Inscrits dans le rocher, ils sont implantés dans la nature qu’ils
transforment irrémédiablement. Les recherches menées depuis quelques années sur les
occupations rupestres médiévales du bassin de Brive-la-Gaillarde, initiées d’abord sur le site de
Lamouroux, se sont orientées vers l’étude du territoire qui comprend une cinquantaine d’autres
occupations troglodytiques. Les cavités creusées, seuls vestiges aujourd’hui de ces occupations,
étaient masquées par des éléments construits. L’édification et la mise en œuvre de ces structures
a nécessité le prélèvement et la transformation d’un grand nombre de matières premières.
L’étude des matériaux sur les sites troglodytiques est donc un élément important de la recherche.

Une fois ces critères posés, l’archéologie appliquée au bâti doit être efficiente pour l’habitat
troglodytique. Interroger les sites à la lumière des problématiques de l’archéologie sur le bâti est
donc tout à fait pertinent. Les modes opératoires du creusement, depuis sa conception jusqu’aux
finitions en passant par sa réalisation, l’organisation des espaces intérieurs ainsi que les types de
matériaux utilisés sont autant de thématiques qui convergent pour éclairer les questions sur les
commanditaires et les périodes d’occupation de ces sites médiévaux. Les résultats obtenus
permettent de poser les jalons d’un projet global qui touche les dynamiques de peuplement du
Bassin de Brive au Moyen Âge.
432

INDEX
Keywords : troglodytism, painted plaster, stonecutting, wooden panel
Mots-clés : troglodytisme, enduit peint, taille de pierre, pan de bois

AUTEUR
MARION LIBOUTET

Archéologue, chercheuse indépendante. (Depuis 2021) membre associé UMR 6298


ARTEHIS.
marionliboutet@yahoo.com
433

Des progressions de travaux


déroutantes : réflexions à partir de
l’étude de chantiers de construction
angevins (XIVe-XVIe siècles)
Complex progress of works : reflections based on the study of
construction sites in Anjou (14th-16th centuries)

Emmanuel Litoux

1 Dans le cadre d’interventions d’archéologie du bâti conduites sur des sites angevins,
certains édifices d’apparence homogène ont révélé sur des séquences chronologiques
très resserrées, des phasages de construction parfois déroutants en première analyse.
Une attention particulière à ces questions, une approche archéométrique et l’éclairage
des sources d’archives donnent des clefs d’interprétation pour comprendre certaines
progressions de chantier d’apparence décousue, voire illogiques pour nos conceptions
contemporaines. Les raisons de ces choix organisationnels sont de différentes natures.
Cette contribution ne traitera pas des aléas liés à des problèmes de financement,
d’approvisionnement en matériaux de construction ou à des erreurs de mise en œuvre.
Ne seront abordés que les cas relevant des objectifs assignés par la maîtrise d’ouvrage
ou inhérents à l’organisation de chantier voulue par la maîtrise d’œuvre. De ce point de
vue, l’urgence à mettre un édifice hors d’eau — avec les conséquences qui en découlent
dans l’organisation générale du chantier— semble avoir été une préoccupation
majeure. Pour certains projets de grande ampleur, lorsque fut fait le choix de
progresser par tranches, les découpages varient considérablement en fonction des
attentes du commanditaire, aux yeux duquel certaines composantes du projet
primaient toujours sur d’autres. Dans d’autres cas, le phasage complexe résulte de la
conservation provisoire de constructions plus anciennes, souvent pour maintenir des
capacités résidentielles ou défensives alors même que les travaux battaient leur plein.
434

1. Mettre les constructions hors d’eau


2 Sur de nombreux chantiers transparaît la volonté de mettre rapidement les bâtiments
hors d’eau, au besoin en posant, comme sur l’aile nord-est du château de Saumur, une
couverture provisoire en chaume, qui reste en place trois hivers entre 1372 et 13751. La
priorité est alors mise sur les murs périphériques pour que les charpentiers puissent
venir lever la charpente de couverture. Jusqu’au XVIIIe siècle, la majorité des
constructions angevines reçoit des charpentes à chevrons formant ferme dont la mise
en place peut se faire indépendamment des pignons et des refends dans la mesure où
ces derniers ne supportent pas de pannes2.
3 Le marché de construction du manoir des Landes à Juvardeil3, contracté avec un maçon
le 8 juin 1458, prévoit la construction d’un logis constitué d’une salle basse et d’un
cellier, respectivement surmontés d’une salle haute et d’une chambre, ainsi que d’une
cuisine en appentis. L’artisan s’engage à édifier le volume central jusqu’à la base de la
charpente pour la saint Michel suivante (29 septembre), et à achever le chantier pour
Pâques (25 mars) :
« Et a prins ledit Haren rendre la grant meson preste et arasé soux sablères dedans
le jour de la Saint-Michel en Mont de Gargane prochain et la pentiz et tout le
sourplus dedans Pasque prochaine venant (…) ».
4 L’objectif affiché semble bien avoir été de monter les gouttereaux sur toute leur
hauteur afin que le charpentier puisse rapidement lever la charpente, et de différer
l’édification des autres pans de maçonnerie.
5 Les triangles des pignons figurent parmi les pans de mur dont la construction peut être
reportée après le levage de la charpente. Leur fonction peut en effet se réduire à un
simple pan de maçonnerie destiné à fermer les deux extrémités du comble, et à
prolonger le ou les éventuels conduits de cheminée jusqu’au faîtage du toit. Sur le logis
« Plantagenêt » de l’abbaye de Saint-Maur de Glanfeuil à Gennes-Val-de-Loire, le levage
de la charpente, datée de 1397-1399d, a précédé la construction des deux pignons
couverts dont le mortier vient mouler certaines pièces de bois4 (Fig. 1 et 2). À
l’intérieur, l’enduit de chaux recouvrant les murs suit les pièces en sous-face desquelles
était fixé un lambris dessinant un berceau polygonal. Lors de l'édification des pignons
et de la pose des enduits, des ardoises ont été clouées sur la face supérieure des
entraits, sans doute pour protéger les bois et éviter les salissures.
435

Fig. 1. Abbaye Saint-Maur de Glanfeuil (Gennes-Val-de-Loire, Maine-et-Loire). Vue du logis


« Plantagenêt » depuis le nord-est (Cl. B. Rousseau, Conservation départementale du Patrimoine de
Maine-et-Loire).

Fig. 2. Abbaye Saint-Maur de Glanfeuil (Gennes-Val-de-Loire, Maine-et-Loire). Coupe longitudinale du


comble du logis « Plantagenêt ». La pose de la charpente a précédé la construction des triangles des
pignons (Dessin J.-Y. Hunot, Conservation départementale du Patrimoine de Maine-et-Loire).

6 La construction des superstructures telles que les lucarnes ou les souches de cheminées
pouvait encore plus facilement n’intervenir que dans un second temps. Au château
d’Angers, les documents retranscrits dans les journaux de la Chambre des comptes,
relatifs à la construction en 1450-1451 du petit logis porche commandant l’entrée de la
haute cour et de l’aile des offices attenante, indiquent que les maçons doivent revenir
après la pose de la charpente5 pour édifier les pignons, les lucarnes et les souches de
cheminées :
436

« S'ensuit ce qui est neccessaire pour parachever le portau du chasteau d'Angiers


d'entre les deux tours dudit chastel.
Premièrement. Maçonnerie.
Fault achever le pignon dessus l'entrée du portal entre les deux torelles. Item, fault
achever l'autre pignon devers l'autre court (…).
Item, fault achever une masse de cheminées dont il y en a deux qui servent audict
portal, dont il y a encore une à commencer et deux devers les offices dont les
tueaulx sont encores à lever jusques aux manteaux.
Item, fault faire deux lucannes garnies de chascune une croyesée et de rondeleys,
bestes, crestes et feilles, et ung espy par dessus ; et y a l'une des lucannes
commencée et couverte sur la croeste, et l'autre non ; et hausser les troys tourelles
de VII à VIII piez »6.
7 Au château de Martigné-Briand à Terranjou, dans les toutes premières années du XVIe
siècle, les lucarnes ont de la même façon été édifiées par-dessus les sablières et les pieds
de ferme qu’elles enveloppent7. Au presbytère de Bauné à Loire-Authion, la partie
supérieure du conduit de cheminée et la souche viennent mouler les bords de la trémie
prévue par le charpentier8.
8 Le choix d’achever les maçonneries après la pose de la charpente peut également
concerner les murs de refend, au moins dans leur partie supérieure. Au logis royal du
château d’Angers (1435-1440d)9, au château de Baugé (1456d)10, les triangles des refends
viennent envelopper les sablières et mouler les sous-faces des couples de chevrons,
témoignant là encore de la priorité donnée à la couverture de l’édifice en construction
(Fig. 3). Dans le grand corps de logis du château de la Bourgonnière à Orée-d’Anjou,
probablement édifié dans la seconde moitié du XIVe siècle, les deux murs de refend
encadrant la grande salle ne sont pas liés aux gouttereaux, au moins au premier étage11.
Il est complètement exclu de les rattacher à une campagne de travaux plus tardifs, ne
serait-ce qu’au regard de la cohérence du programme fonctionnel et distributif (Fig. 4).
Par ailleurs, le fait que les jambages de deux portes intérieures soient strictement
contemporains des murs gouttereaux prouve que les partitions appartiennent bien au
projet originel12. Il n’est pas complètement exclu qu’une partition en pan de bois ait
initialement été prévue en lieu et place du refend occidental mais sur son vis-à-vis, le
traitement de la cheminée du haut-bout de la salle est en tout point similaire à celui des
autres cheminées du gouttereau nord, attestant l’homogénéité de l’ensemble. Le corps
de logis a malheureusement perdu sa charpente médiévale qui aurait permis de vérifier
les relations stratigraphiques avec les refends mais au vu de ce qui précède, l’hypothèse
privilégiée est bien celle de partitions internes insérées dans un édifice immédiatement
après sa mise hors d’eau.
437

Fig. 3. Château de Baugé (Baugé-en-Anjou, Maine-et-Loire). Vue de la partie supérieure du mur de


refend oriental dont la construction est venue mouler les sablières et les pieds de ferme de la
charpente datée de 1455-1457d (Cl. J.-Y. Hunot, Conservation départementale du Patrimoine de
Maine-et-Loire).

Fig. 4. Château de la Bourgonnière à Orée-d’Anjou (Maine-et-Loire). Plan du premier étage du corps de


logis restituant les dispositions originelles. La construction des deux murs de refends a été légèrement
différée par rapport à celle des murs périphériques (Dessin E. Litoux, Conservation départementale du
Patrimoine de Maine-et-Loire, d’après P. Filâtre et L. Kientz).

9 C’est parfois même la construction de l’intégralité des murs de refend qui paraît avoir
été différée. Ce choix est d’autant plus surprenant que les constructeurs ne semblent
438

pas avoir recherché systématiquement à créer des ancrages pour liaisonner les
maçonneries.
10 À Saumur, ce phénomène se retrouve sur le chantier de l’aile nord-est du château.
D’après les indications livrées par les comptes de construction, les marchés portant sur
l’édification des deux refends datent de la fin de l’année 1372, alors même que les
maçons viennent d’achever les murs gouttereaux13 ; sur place, l’examen des
maçonneries confirme cette réalisation en deux temps et révèle là encore que les
constructeurs n’avaient pas laissé de pierres en attente. Les refends viennent
seulement se plaquer contre le parement des murs gouttereaux, sans aucun dispositif
d’accroche.

Fig. 5. Château de Saumur (Maine-et-Loire). Restitution de la progression des travaux de construction


de l’aile nord-est à partir de l’étude croisée des comptabilités et du monument (Dessin A. Remy,
Conservation départementale du Patrimoine de Maine-et-Loire).

11 Ces remarques font plus largement écho aux collages de maçonneries, souvent
interprétés comme la preuve de campagnes de construction distinctes ou, à tout le
moins, de repentirs expliquant l’absence de pierres d’attente. En réalité, la prudence
doit rester de mise car, à l’image de ce qui a été mentionné au logis de la Bourgonnière
ou au château de Saumur, d’autres collages ont été identifiés sur des chantiers
homogènes comme le corps de logis du château de Montsoreau ou la tour résidentielle
érigée vers 1440 sur la motte du château du Plessis-Macé à Longuenée-en-Anjou. Des
recherches restent encore à mener pour comprendre les raisons qui ont incité dans
certains cas les maîtres maçons à reporter l’édification de certains pans de mur et à se
passer de pierres d’attente.
439

2. Progression par tranches


12 Dans l’ensemble, dès lors que les capacités de financement sont maintenues sur la
durée des chantiers, les travaux suivent une progression par bloc fonctionnel cohérent,
le plus souvent aile par aile, à l’image des quatre campagnes identifiées au château de
Saumur. Si un même corps de bâtiment doit être édifié en plusieurs étapes, la césure se
fait généralement immédiatement après un mur de refend, lequel fait provisoirement
office de pignon. Pourtant, ce choix, qui semble effectivement le plus rationnel, n’est
pas systématiquement retenu. La meilleure illustration en est certainement le château
de la Ferté-Milon (Aisne), pour lequel l’accent a été mis sur la construction de
l’extraordinaire façade longue d’une centaine de mètres que la mort de son
commanditaire Louis d’Orléans en 1407 laissa presque seule en élévation, comme un
décor de théâtre. Pour revenir à des exemples angevins et plus modestes, lors de la
construction du logis porche au manoir de Launay (Villebernier), les constructeurs ont
préféré interrompre la première tranche de travaux juste après le porche d’entrée, au
droit d’une simple ferme-cloison, et non après le mur de refend en pierre qui
appartient à la seconde tranche datée de 1408-1410d14 (Fig. 6).

Fig. 6. Manoir de Launay à Villebernier (Maine-et-loire). Plan du premier étage du logis-porche primitif,
restitué dans son état du début du XVe siècle avec l’emplacement de la césure entre les deux tranches
de travaux (Dessin E. Litoux, Conservation départementale du Patrimoine de Maine-et-Loire).

13 Au château de Montsoreau édifié dans la décennie 1450 pour Jean II de Chambes,


l'examen détaillé de toutes les élévations, complété par l'étude systématique des
appareils standardisés de pierres de taille de tuffeau, les analyses granulométriques de
mortier et les données fournies par la dendrochronologie, nous renseigne de façon
assez précise sur l'avancement du chantier de ce corps de logis encadré par deux tours
contre lesquelles s’adossaient des extensions15.
14 Les travaux ont débuté par l’édification du tiers oriental du corps de logis, mais le
positionnement de la césure verticale — pour l’instant inexpliqué — est pour le moins
surprenant puisqu’il se trouve juste avant un mur de refend. Le contact, bien identifié
sur la façade sud, se poursuit jusqu’au niveau de la couronne de mâchicoulis (Fig. 7). Les
efforts des constructeurs se sont ensuite portés sur le reste du corps de logis et sur la
tour occidentale. Au terme de cette phase de chantier, les principales composantes
architecturales du château se dressaient sur le site, baigné par la Loire. L’édifice, sobre
dans ses élévations mais de grandes dimensions, matérialisait dans la pierre la
puissance financière du seigneur de Montsoreau. Jean de Chambes disposait d'un logis
hébergeant les fonctions essentielles, c'est-à-dire principalement deux salles
superposées et deux couples de chambres de parement et de retrait pour lui et son
440

épouse (Fig. 8). Toutes les extensions, prévues dès l'origine comme l'attestent les
attentes et les portes ainsi même que certains placards donnant temporairement sur le
vide, n'ont été bâties que dans un deuxième temps, alors que le noyau central était en
cours d'achèvement. Il s'agit des ailes en retour, notamment destinées à abriter des
espaces utilitaires supplémentaires (rez-de-cour), des extensions aux appartements
seigneuriaux (garde-robes, comptoirs et retraits de l'aile sud-est), des logements
annexes (aile ouest) et des latrines (nord).

Fig. 7. Château de Montsoreau (Maine-et-Loire). Élévation de la façade sud du corps de logis relevée
par R. Salleron en 1886 (coll. particulière) avec report de la césure verticale. Relevé des différentes
variantes dans le décor des linteaux et dans le profil des consoles des mâchicoulis (Cl. B. Rousseau,
dessin E. Litoux, Conservation départementale du Patrimoine de Maine-et-Loire).
441

Fig. 8. Château de Montsoreau (Maine-et-Loire). Plan restitué des dispositions originelles du premier
étage du corps de logis avec identification des principales césures de chantier. La vue axonométrique
de l’extrémité occidentale montre que le mortier employé pour édifier la partie supérieure de la tour
ouest (n° 2, 3, 4 et 5) se retrouve également dans les parties inférieures des deux ailes ouest, indiquant
une progression en différé (Dessin E. Litoux, Conservation départementale du Patrimoine de Maine-et-
Loire).

15 À une échelle plus modeste, la même progression en différé a pu être observée sur le
manoir de Vilbouvey (Baugé-en-Anjou), édifié au milieu du XIVe siècle 16. Les
constructeurs ont privilégié l’édification d’un noyau de plan carré superposant une
cuisine et la chambre seigneuriale, le tout couvert d’une toiture en pavillon
(1342-1344d), pour ensuite venir achever, en les plaquant contre le volume central, le
pignon d’un appentis dans lequel se trouvait l’escalier d’accès à l’étage (Fig. 9). Là
encore, la primauté semble avoir été donnée aux composantes à plus forte charge
symbolique, au détriment d’une progression d’ensemble susceptible d’assurer une
bonne cohésion entre les pans de maçonnerie.
442

Fig. 9. Manoir de Vilbouvey à Baugé-en-Anjou (Maine-et-Loire). Vue de l’élévation nord du logis


montrant le placage de l’appentis contre le pavillon central (Cl. E. Litoux, Conservation départementale
du Patrimoine de Maine-et-Loire).

3. Repentirs et changements de parti


16 Si les repentirs sont indissociables de grands chantiers et s’observent très
fréquemment, certains étonnent par l’importance des travaux qu’ils occasionnent, tout
particulièrement lorsque les modifications se produisent en l’espace de quelques mois
ou quelques années.
17 Toujours au château de Montsoreau, mis en chantier peu après 1450, l’aile sud-est du
château conserve dans ses élévations les traces de trois projets successifs liés à des
évolutions sensibles dans la commande architecturale en l’espace de quelques années
seulement17. D’après l’emplacement des pierres d’attente visibles dans les caves de l’aile
orientale, il semble que le constructeur ait tout d’abord envisagé un simple mur de
courtine greffé sur le mur sud de la tour nord-est. Ce projet est rapidement abandonné
puisque ces attentes disparaissent avant que ne soit atteint le niveau de la cour. De
nouvelles pierres disposées en attente, cette fois-ci sur l’angle sud-est de la tour, ainsi
que la présence de portes ouvertes au rez-de-chaussée et à chaque étage, révèlent la
volonté d’ajouter de nouvelles pièces vers le sud. La largeur de cette future extension
est toutefois limitée à 7 m hors-œuvre afin de ne pas obturer les croisées ouvertes dans
le mur sud de la tour. Ce n’est que dans un troisième temps, après achèvement de la
partie centrale du corps de logis et au moment de construire l’aile orientale, que la
largeur définitive de cette dernière a été fixée à 11 m hors-œuvre, vraisemblablement
pour accroître la surface habitable et intégrer des fonctions qui n’avaient pas été
prévues initialement. Une telle largeur a impliqué d’une part de mordre sur les croisées
de la tour nord-est, et d’autre part de rajouter une partie en saillie sur l’escarpe, vers
443

l’est. La charpente de cette aile orientale a été réalisée avec des bois abattus en 1461 ou
1462d.
18 Au château de Saumur, une aile fut adossée entre 1368 et 1376 contre la tour maîtresse
romane abritant la grande salle. Le projet, qui abritait une suite princière avec chambre
de parement, chambre de retrait, garde-robe et chapelle, n’appelait pas de
développements (Fig. 10). Pourtant, dans des délais très courts, avant 1380, la tour
maîtresse fut dérasée, entraînant l’évacuation d’au moins 2 500 m3 de déblais. L’aile
nord-est se retrouva éventrée sur 17 m de long et sur toute sa hauteur, soit au
minimum 12 m, pour pouvoir insérer un corps de galerie sur arcades. Dans le même
temps, le « grand eschellier » édifié en 1372-1373 pour desservir la chambre de retrait
ducale, fut entièrement détruit pour permettre la construction d’une aile en retour
destinée à accueillir la nouvelle salle du château.

Fig. 10. Château de Saumur (Maine-et-Loire). Restitution du plan du premier étage à la fin des première
et deuxième campagnes, achevées respectivement en 1376 et vers 1380. L’aile nord-est édifiée ne
prévoyait pas d’extensions. La mise en chantier de l’aile nord-ouest et du corps de galerie en retour
entraîne de lourdes transformations sur la partie antérieure tout juste achevé (Dessin E. Litoux,
Conservation départementale du Patrimoine de Maine-et-Loire).

4. Maintenir provisoirement des états antérieurs


19 À l’image de nombreux chantiers de reconstruction d’églises organisés de façon à
permettre l’avancement des travaux tout en préservant le plus longtemps possible le
sanctuaire de l’état antérieur, comme par exemple à la collégiale Saint-Martin
d’Angers18, certains projets architecturaux nécessitaient de progresser par tranches de
travaux, en conservant provisoirement des bâtiments liés aux états antérieurs pour que
le site conserve des capacités fonctionnelles. Il peut en résulter des phasages
déroutants comme au château de Baugé dont la partie orientale fut édifiée sur les
arases d’un état antérieur, dans le prolongement des deux anciennes salles superposées
provisoirement conservées en élévation (1455-1457d) 19 (Fig. 11 et 12). Ces dernières ne
furent reconstruites qu’en 1463d mais il semble bien qu’à cette date, leur accès
principal se faisait à partir à partir de bâtiments anciens situés plus à l’ouest. La
construction de la grande vis d’apparat (5,4 m de diamètre dans-œuvre) intervint
444

quatre ans plus tard (1467d), donnant au château la configuration que nous lui
connaissons aujourd’hui.

Fig. 11. Château de Baugé (Baugé-en-Anjou, Maine-et-Loire). Vue d’ensemble de la façade sud (Cl. B.
Rousseau, Conservation départementale du Patrimoine de Maine-et-Loire).

Fig. 12. Château de Baugé (Baugé-en-Anjou, Maine-et-Loire). Élévation simplifiée de la façade sud du
corps de logis indiquant les principales campagnes de construction des années 1455-1467, appuyées
sur les parties subsistantes de l’état antérieur (Dessin A. Remy, Conservation départementale du
Patrimoine de Maine-et-Loire).

20 Dans un registre différent mais selon la même logique, lorsque le contexte l’imposait, le
chantier pouvait être organisé de façon à ne pas trop affaiblir les dispositions
445

défensives. Les travaux menés au château de Saumur dans la seconde moitié du XIVe
siècle en fournissent à plusieurs reprises l’illustration20. Le premier chantier porta sur
la reconstruction de l’aile nord-est. La présence de compagnies anglaises dans les
environs obligea à établir en mai 1369 un périmètre défensif que les comptabilités
décrivent comme une « barbequenne et un hourdeis » ; l’ouvrage palissadé comprenait
deux portes. La démolition ne porta dans un premier temps que sur la courtine, placée
sous la protection de deux tours du XIIIe siècle conservées en élévation. La menace était
réelle car dans les semaines qui suivirent, la crainte que les Anglais ne mettent le siège
à la ville de Saumur poussa le maître d’œuvre à refermer provisoirement les brèches
avec des pierres et de vieux tonneaux remplis de moellons et de sable. La destruction de
la tour orientale n’intervint qu’à l’été 1370, lorsque la courtine fut rétablie sur une
hauteur jugée suffisante. À l’autre extrémité du chantier, il fallut franger le revers de la
tour ouest pour dégager l’espace suffisant pour l’édification du premier étage du
logis21 ; le reste de la tour ne fut dérasé qu’au printemps 1373.
21 Sur le front sud, l’étude de la tour-porte a révélé une succession d’états dont il a fallu
retrouver la logique. L’entrée du château édifié au tout début du XIIIe siècle consistait
probablement en une simple porte percée dans la courtine sud-ouest. Une tour-porte à
contreforts fut ajoutée sur l’escarpe vers 1350 (1344-1357d) avec un passage d’entrée
surmontant un niveau inférieur desservant une poterne latérale. Quelques décennies
plus tard, un projet plus ambitieux avec une porte encadrée par deux tours de
flanquement fut engagé. Les travaux débutèrent par l’édification de la tour sud, au
niveau inférieur de la tour porte antérieure, qu’il n’était prévu de démolir que dans un
second temps, de façon à ne pas trop affaiblir le dispositif défensif sur la partie la plus
exposée du château (Fig. 13 et 14). Le projet avorta rapidement, peut-être à la suite du
décès du duc d’Anjou Louis Ier survenu en 1384 22, et personne ne se donna la peine de
démonter ce qui venait d’être édifié sur quelques mètres de hauteur. Finalement, vers
1400, dans le cadre de la construction de l’aile sud-ouest, il fut décidé d’intégrer la tour-
porte du milieu du XIVe siècle au nouveau projet figuré avec précision sur la miniature
des Très Riches Heures du duc de Berry. La courtine du XIIIe siècle fut dérasée, laissant un
temps la partie supérieure de l’ouvrage ouverte à la gorge. Les constructeurs la
réadossèrent à une nouvelle courtine et en reprirent toute la partie sommitale avec le
chemin de ronde et les échauguettes. Au final, ces différents travaux menés sur le front
d’entrée montrent à quel point les impératifs de défense exercèrent une contrainte sur
l’organisation des chantiers et influèrent sur la progression des travaux.
446

Fig. 13. Château de Saumur (Maine-et-Loire). Plan du niveau -1 de la tour-porte avec les vestiges du
projet avorté d’un passage d’entrée flanqué de deux tours (Dessin E. Litoux, Conservation
départementale du Patrimoine de Maine-et-Loire).

Fig. 14. Château de Saumur (Maine-et-Loire). Vue de la tour-porte depuis le sud-ouest (Cl. E. Litoux,
Conservation départementale du Patrimoine de Maine-et-Loire).
447

Conclusion
22 Si certains chantiers ont pu connaître une progression très linéaire, de nombreuses
études révèlent des organisations plus complexes, résultant de la combinaison de
plusieurs contraintes techniques, économiques, défensives… En Anjou, certains
phasages s’expliquent par la volonté de mettre le chantier hors d’eau en permettant
rapidement au charpentier d’intervenir, quitte à différer l’achèvement des pignons, des
refends ou des superstructures telles que les lucarnes. Les repentirs parfois imposés par
les grands commanditaires ou les progressions de chantiers motivées pour faire sortir
de terre en priorité telle ou telle composante, parfois en maintenant provisoirement en
élévation des états antérieurs, laissent des traces dont l’interprétation n’est pas
toujours évidente, particulièrement sur des sites repris au fil du temps ou ruinés. Ces
différentes observations soulignent la difficulté devant laquelle se trouve très souvent
le chercheur pour évaluer le laps de temps séparant deux étapes de chantier. Des
phasages dont la cohérence peut parfois nous échapper peuvent facilement être
interprétés comme l’indice de campagnes éloignées dans le temps, là où, parfois, il ne
faut voir que des changements organisationnels à l’échelle de quelques semaines ou
quelques mois. De même, plusieurs des exemples cités doivent nous inciter à modérer
des conclusions parfois hâtivement formulées, selon lesquelles l’absence de liaison
entre des maçonneries plaquées l’une contre l’autre induit automatiquement un
changement de projet et, partant, un certain décalage chronologique. Que celui ou celle
qui n’a jamais surinterprété un collage de maçonnerie jette la première pierre !

NOTES
1. LITOUX E., HUNOT J.-Y., PRIGENT D., « L’édification d’un château-palais dans le dernier
tiers du XIVe siècle », in LITOUX E., CRON E. dir., Le château et la citadelle de Saumur,
architectures du pouvoir, Paris, 2010, p. 49-90, plus particulièrement p. 56-58.
2. HUNOT J.-Y., « L’Anjou au bas Moyen Âge et à l’Époque moderne : un carrefour des
techniques de charpente », in BIENVENUE G., MONTEIL M., ROUSTEAU-CHAMBON H., Construire !
Entre Antiquité et Époque contemporaine, Paris, 2019, p. 137-147.
3. Archives départementales du Maine-et-Loire, E 323, fol. 46 r°.
4. HUNOT J.-Y., LITOUX E., Nouvelles recherches sur les demeures seigneuriales en Anjou, XIIe-
XVe siècles, Patrimoine d’Anjou : études et travaux 4, Conseil général, Angers, 2010, p.
98.
5. Le marché passé avec les charpentiers date du 17 octobre 1450 et prévoit que leur
intervention soit achevée pour la Chandeleur (Archives nationales, 13345, fol. 23).
6. Archives nationales, P 13345, fol. 77.
7. GREVET J.-F., Maine-et-Loire, Martigné-Briand, château : étude préalable à la restauration
générale, Choisy-le- Roi, 2002, non paginé.
448

8. HUNOT J.-Y., Le presbytère de Bauné (Loire-Authion). Note sur l’évolution architecturale du


monument, note dactylographiée, Angers, 2016, 9 p.
9. LITOUX E., Château d’Angers. Étude archéologique du logis royal et de ses abords. Rapport de
sondage et d’étude de bâti. Rapport final d’opération, DRAC/SRA Pays de la Loire, Angers,
2013, p. 64-68.
10. HUNOT J.-Y., « Les charpentes de comble du château de Baugé » in REMY A., Château de
Baugé (Maine-et-Loire), étude de bâti. Rapport final d’opération, DRAC/SRA Pays de la Loire,
Angers, 2015, p. 197.
11. La présence d’enduits n’a pas permis de déterminer si ce placage existe au rez-de-
chaussée ou ne débute qu’à partir du plancher du premier étage.
12. HUNOT J.-Y., LITOUX E., Nouvelles recherches…, op. cit., p. 58.
13. LITOUX E., HUNOT J.-Y., PRIGENT D., « L’édification d’un château-palais… », op. cit., p.
54-57.
14. HUNOT J.-Y., LITOUX E., Nouvelles recherches…, op. cit., p. 89.
15. HUNOT J.-Y., LITOUX E., PRIGENT D., « Un chantier de construction du XVe siècle : le
château de Montsoreau (Maine-et-Loire). La progression des travaux à partir de l’étude
des maçonneries », in BLARY F., GÉLY J.-P., LORENZ J. dir., Pierres du patrimoine européen.
Économie de la pierre de l’Antiquité à la fin des Temps modernes, Paris, 2008, p. 195-206.
16. HUNOT J.-Y., LITOUX E., Nouvelles recherches…, op. cit., p. 42.
17. LITOUX E., PRIGENT D., HUNOT J.-Y., « Le château de Montsoreau », Congrès archéologique
de France, Touraine, 1998-2003, p. 255-280.
18. HUNOT J.-Y., « La charpente du IXe siècle de l’église Saint-Martin d’Angers », XXXIXe
Journées internationales d’archéologie mérovingienne, Auxerre, 4-6 octobre 2018,
Revue archéologique de l’Est, à paraître.
19. REMY A., Château de Baugé (Maine-et-Loire), étude de bâti. Rapport final d’opération,
DRAC/SRA Pays de la Loire, Angers, 2015, p. 218-221.
20. LITOUX E., HUNOT J.-Y., PRIGENT D., « L’édification d’un château-palais… », op. cit., p.
54-57.
21. British Library, add. ms. 21201, fol. 139 v° : « Pour les journées de Johan Dolinet et
Thomas Lambert, charpentiers, qui furent audit chastel III jours en la IIe sepmaine de
juillet [1370] pour abbatre et descembler le cousté du du (sic) viel hourdeis de la tour
devers la salle par devers l'ouvraige pour allier celle tour avecque ledit ouvraige. Pour
jour chascun III s. VI d. Pour ce XXI s. ».
22. LITOUX E., « Le portal du chastel de Saumur au XIV e siècle », Mémoire des princes
angevins, 9, 2012, p. 29-44.
449

RÉSUMÉS
Les recherches conduites sur l’organisation des chantiers de construction d’édifices angevins de
la fin du Moyen Âge ont parfois révélé des progressions de travaux d’autant plus surprenantes
qu’elles se déroulaient sur des durées très courtes. Des approches croisant l’archéologie du bâti,
l’archéométrie et l’étude de sources d’archives ont permis de mieux comprendre les motivations
de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre. Certains découpages sont clairement liés à des
contingences techniques, notamment pour mettre au plus vite un édifice hors d’eau. Dans
d’autres cas, ce sont les demandes du commanditaire qui peuvent expliquer des phasages
déroutants. Enfin, on observe souvent des choix d’ordre organisationnels permettant de
maintenir provisoirement les capacités résidentielles ou défensives d’un site.

Research conducted on the organization of construction sites of Angevin buildings in the late
Middle Ages has sometimes revealed progress of work that surprisingly took place over very
short periods of time. Approaches combining the archaeology of buildings, archaeometry and the
study of archival sources have enabled a better understanding of the motivations of the
contracting authority and the project manager. Some cut-outs are clearly linked to technical
contingencies, in particular to put a roof over the building as quickly as possible. In other cases,
it is the client's requests that can explain confusing phasing. Finally, organizational choices are
often made to temporarily maintain a site's residential or defensive capacities.

INDEX
Mots-clés : archéologie du bâti, chantier, étapes de construction, analyse stratigraphique,
maçonnerie, charpente
Keywords : building archaeology, construction site, construction phases, stratigraphic analysis,
masonry, carpentry

AUTEUR
EMMANUEL LITOUX

Conservateur, Conservation départementale du patrimoine de Maine-et-Loire, Pôle archéologie /


UMR 6566 CReAAH.
e.litoux@maine-et-loire.fr
450

Entre les pierres : renseigner les


traces du chantier de construction
Between the stones : fill in the traces of the construction site

Cédric Moulis

Introduction
1 Chaque édifice, chaque monument est le fruit d’un processus décisionnel qui nourrit
depuis longtemps les problématiques historiques et/ou artistiques. Outre les aspects
politique, économique et/ou culturel, il revêt également des aspects techniques et
technologiques dont le chantier de construction est le vecteur vers l’accomplissement
de l’objectif final. Ce chantier peut aujourd’hui encore se lire à travers de nombreux
indices visibles sur les matériaux sous forme de traces concrètes mais également par
l’interprétation des vides et des négatifs générés. En les regroupant au sein d’une
problématique précise, il devient possible de caractériser certains aspects du chantier
de construction.
2 Nous parlerons donc bien ici des traces involontaires laissées par les divers corps de
métiers sur les matériaux, sur le chantier lui-même, et qui, en les regroupant et en les
recoupant, permettent de mieux cerner les techniques de construction et la mise en
œuvre des matériaux.

1. Le chantier gravé dans la pierre


3 La pierre est un matériau pérenne qui, selon son degré de dureté et de dégradation,
peut conserver de nombreuses informations prévalant à l’organisation du chantier et
laissées de manière inconsciente par les ouvriers. Le symbole le plus prégnant reste
bien souvent le trou de boulin, quelquefois délibérément visible ou du moins décelable,
afin d’être facilement réutilisé dans le cadre de l’entretien ou de la restauration de
l’édifice. En revanche, nous laisserons de côté les signes lapidaires et les marques de
montage, qui sont des témoignages ostensibles du chantier, non des traces
451

inconscientes. Il reste toutefois bien d’autres éléments à évoquer, ce que nous ferons ici
en suivant le plus possible le processus de transformation de la pierre, de son
extraction en carrière jusqu’à sa pose sur l’ouvrage en construction.

1.1. Comprendre la carrière

4 L’analyse modulaire permet d’identifier indirectement la nature et la puissance des


bancs de carrière débités. En effet, les hauteurs des pierres utilisées reprennent à
quelques millimètres près la hauteur des bancs, déterminée par le découpage naturel
de la roche. Le constat est valable pour les moellons comme pour les blocs de taille. Les
moellons sont obtenus à partir de bancs de carrière réduits en hauteur, affleurants, et
dont beaucoup se délitent naturellement sous l’action du gel et se débitent facilement.
Les dolomies du Keuper et les calcaires du Bajocien sont exploités selon ces processus
(Fig. 1). Les pierres de taille sont extraites dans des bancs plus puissants, généralement
plus profonds et moins gélifs (Fig. 2).

Fig. 1. Carrière de dolomie moellon à proximité de la commanderie templière de Xugney, Vosges


(cliché C. Moulis).
452

Fig. 2. Carrière de grès des Vosges à proximité de l’abbaye cistercienne de Droiteval, Vosges (cliché M.
Nique).

5 Dans la plupart des cas, la carrière d’alimentation d’un chantier médiéval n’est jamais
retrouvée, car son empreinte dans le paysage reste peu marquante. Les carrières sont
en général ouvertes à l’occasion d’une construction bien spécifique. Leur emprise
dépend donc de l’importance de ce chantier. La plupart du temps, l’érosion et le
recouvrement naturel les ont fait ensuite disparaître. Dans d’autres cas renseignés par
les textes, les carrières, notamment celles ouvertes en fosses, en forêt, étaient
rebouchées à l’issue du chantier. Seules des prospections minutieuses peuvent
permettre de les identifier. Ainsi, la carrière de grès du bois du Streitwald, qui a
alimenté le chantier de construction du château d’Ischeid1 est un exemple parlant. Elle
a été identifiée à 500 m du site castral au cœur d’un parcellaire antique fossile par le
fait que quelques moellons dépassaient de l’humus forestier. La fouille a permis la
découverte de deux carrières en fosse, avec un front de taille peu élevé et deux tas. Le
premier tas correspond à des blocs débités et prêts à être transportés. Le second
regroupe les rejets de carrière (Fig. 3). La fin du chantier a, semble-t-il, marqué
l’abandon de la carrière alors même que ces blocs capables étaient déjà extraits. Cet
exemple marque bien le caractère très circonstancié de l’exploitation.
453

Fig. 3. Carrière en fosse dans le Grès vosgien à Abreschviller (cliché D. Heckenbenner).

6 De même, les traces d’extraction facilitent l’identification de la carrière et renseignent


les modes opératoires. Il peut arriver que certaines pierres, malgré le travail de taille,
conservent les traces liées à l’extraction du banc de roche. Ainsi, une pierre de taille de
moyen appareil insérée dans le parement extérieur du mur gouttereau nord de
l’abbatiale de Haute-Seille2 (fig. 4) présente deux encoches espacées d’environ 20 cm, ce
qui correspond à ce qui a été observé sur différentes carrières dans le massif vosgien
tout proche ; il s’agit d’emboitures, vestiges de l’extraction réalisée à partir de coins qui
étaient insérés dedans. Les prospections menées sur la commune de Cirey-sur-Vezouze,
sur les secteurs où les faciès géologiques correspondent, n’ont pas permis de localiser
des carrières où ce mode d’extraction est visible. Toutefois, une des carrières candidate
a pu être ainsi écartée car présentant les traces d’un mode d’extraction différent. Il est
néanmoins possible qu’une reprise d’une activité d’extraction à une époque ultérieure,
lors des grands travaux sur l’abbaye aux XVIIe et XVIII e siècles. par exemple, ait pu
effacer les traces originelles. Une fouille complète de la zone pourrait aboutir à la
découverte de quelques traces d’extraction par emboitures.
454

Fig. 4. Emboitures créées lors de l’extraction de la pierre et restées partiellement visibles après le
travail de taille. Abbaye de Haute-Seille, Meurthe-et-Moselle. (cliché L. Viana-Corréa).

1.2. Les tracés préparatoires, les épures

7 La taille des pierres, en particulier les plus complexes, nécessite des tracés
préparatoires, bien souvent effacés par la taille de finition. Certains restent quelquefois
visibles, en parement comme en face cachée. Il s’agit de simples traits directeurs,
censés diriger la taille. Sur de nombreuses églises, la plupart de ces traits se retrouvent
sur les voussoirs de fenêtres en plein cintre, notamment au XIIe siècle. Un des arcs de la
tour-porche du prieuré de Varangéville3 comporte différents tracés préparatoires
semblant guider la phase d’élaboration des voussoirs (Fig. 5). Des tracés sont également
souvent visibles sur les cheminées de style gothique flamboyant et les marches
d’escalier, particulièrement sur les calcaires tendres de Meuse, de Champagne ou de
Bourgogne4. On retrouve cette même logique, plus complexe, sur l’oculus de la façade
occidentale de l’église de Vomécourt-sur-Madon5 (Fig. 6).
455

Fig. 5. Tracés préparatoires observés sur un arc doubleau de la tour du prieuré de Varangéville,
Meurthe-et-Moselle (cliché C. Moulis).

Fig. 6. Tracés (en rouge) visibles autour de l’oculus de la façade occidentale de l’église Saint-Martin de
Vomécourt-sur-Madon, Vosges (DAO C. Moulis).

8 Ces tracés matérialisent selon les cas la forme finale du bloc ou bien l’axe d’une
géométrie, l’emplacement des moulures, arêtes et biseaux à creuser. La plupart du
456

temps, ils finissent par disparaître au cours de l’élaboration. Quelquefois, ce sont


simplement les traits intermédiaires de la construction d’une figure géométrique
complexe, et dont l’utilité disparaît sitôt le tracé final obtenu.
9 Quelquefois, nous retrouvons des tracés plus complexes, des épures, utilisés comme
modèle pour la conception d’un élément architecturé particulier.
10 Le tracé d’un pilier composite adossé à un mur est ainsi conservé sur une pierre d’un
contrefort de l’église d’Écrouves6. Certains piliers des bas-côtés de l’église, celui
notamment entre la deuxième et la troisième travée au nord, présentent un profil
semblable, à ceci près que l’intervalle entre les colonnettes est anguleux et non arrondi,
et que le tore principal, celui des arcs doubleaux, s’appuie sur une structure
rectangulaire assimilable à un pilastre, alors qu’il est outrepassé sur le tracé (Fig. 7).
457

Fig. 7a et b. Pilier du bas-côté nord et photo de l’épure sur le contrefort extérieur de l’église d’Écrouves,
Meurthe-et-Moselle, XIIe siècle (clichés M. Subts).

11 Sur un des piliers de la fin du XVe siècle de l’église de Crantenoy7, nous pouvons
observer le tracé d’un triangle rectangle à partir d’un cercle (Fig. 8). Il y a fort à parier
que ce tracé a été réalisé à partir d’un compas et d’une équerre durant la phase de
construction de la nef. La signification du tracé reste sujette à de nombreuses
conjectures : est-ce un modèle pour expliquer la manière d’obtenir un angle droit ? Est-
ce un gabarit ? Ou encore un tracé réalisé dans un moment de pause, d’ennui ?
458

Fig. 8. Ébauche d’un triangle-rectangle, église de Crantenoy, Meurthe-et-Moselle, XIIe siècle (cliché C.
Moulis).

12 Dans de rares cas, la pierre peut servir de support au tracé de modèles à l’échelle d’une
salle entière. Le premier étage du donjon-porche de Gombervaux8 a été utilisé comme
salle des traits (Fig. 9). Des tracés de plus de deux mètres y sont gravés sur le parement
intérieur nord-ouest. Ils correspondent à de grands traits dont l’usage n’a pas pu être
identifié. En revanche, l’arc en tiers-point incisé sur le parement sud-ouest présente
des dimensions qui sont une fraction exacte des arcs visibles sur la tour, à savoir ceux
de la porte côté extérieur, la pointe des écus au-dessus de cette porte et celui du
remplage au-dessus de l’écu central.
459

Fig. 9a et b. Salle des traits du château de Gombervaux, Meuse, vers 1350. Traits géométriques et arc
en tiers-point (cliché C. Moulis).

1.3. La taille

13 La plupart des pierres conservent également les dernières traces des outils qui les ont
façonnées. Leur nature participe à la compréhension du chantier et à son organisation.
Dans le cas de petits modules de calcaire dur, les traces peuvent être celles liées à
l’équarrissement, témoignant d’un processus de taille peu avancé (Fig. 10). La pierre
prend alors un aspect presque brut, sans véritable surface travaillée. Lorsque la pierre
est dégrossie, elle possède un parement quadrangulaire. Les impacts de pic ou de
broche sont généralement les témoins de cette phase de taille (Fig. 11). Enfin, lorsque la
pierre montre un layage ou une taille brettelée, il faut considérer une taille de finition.
Cette étape est démontrée dans la plupart des élévations en bel appareil et se lit
particulièrement bien dans les grès et les calcaires tendres.
460

Fig. 10. Parement de moellons grossièrement équarris, clocher de l’église d’Essey-lès-Nancy, Meurthe-
et-Moselle, première moitié XIIe siècle (cliché E. Martin).

Fig. 11. Parement dégrossi sur l’église de Battigny, Meurthe-et-Moselle, XIIe siècle (cliché C. Moulis).

14 L’exemple du château de Romont9 est un cas particulièrement évocateur des différentes


étapes. Certaines pierres d’angle du principal vestige de maçonnerie du site présentent
des boudins en quart-de-rond, au tracé en arc de cercle ou rectiligne, séparés par une
incise réalisée sans doute à la broche. L’ensemble paraît ainsi former un bossage à
l’esthétique volontaire (Fig. 12, lettre A). Nous privilégions toutefois l’hypothèse, plus
461

technique, d’une phase de dégrossissage non entièrement aboutie. La ciselure


périmétrique a également été effectuée lors de cette étape, en préalable aux boudins en
quart-de-rond. Par ailleurs, certaines de ces pierres sont plus avancées dans le
délardage (Fig. 12, lettre B). La pierre suivante comporte des traces de pic ou de broche
montrant une toute autre orientation (Fig. 12, lettre C). Sur la quatrième, le layage de
finition a même été commencé, bien que non abouti (Fig. 12, lettre D). Enfin sur les
autres pierres, la taille de finition est achevée. Dans les parties hautes de la chaîne
d’angle, avant une reprise évidente, le travail de taille semble avoir été stoppé un peu
plus précocement à chaque nouvelle pierre posée. Le chantier de maçonnerie devait
avancer à un rythme que ne pouvait pas suivre l’atelier de taille, les dernières pierres
de la chaîne d’angle ont alors été montées non achevées, mais prêtes à la pose. C’est
peut-être là que la dimension esthétique est entrée en considération.

Fig. 12. Chaîne d’angle montrant différents stades du processus de taille, château de Romont, Vosges,
XIIe siècle (cliché C. Moulis).

15 Au-delà de l’outil, la trace laissée dans la pierre peut offrir nombre d’autres
renseignements. La taille de finition au marteau taillant droit permet de remarquer la
disposition des coups entre eux, et ainsi de visualiser la ou les positions tenues par le
tailleur lors du travail (Fig. 13). Une taille oblique ne sollicite pas les mêmes
mouvements du corps que la taille en gerbe : la première oblige à un déplacement
latéral alors que la seconde demande une rotation partielle des épaules. Une taille
désordonnée laisse supposer que soit l’esthétique n’est pas recherchée, soit la pierre
était ensuite couverte d’un léger enduit.
462

Fig. 13. Six types de taille de finition observées sur les églises de Champougny, Varangéville, Romont,
Puxe-Laloeuf (clichés C. Moulis et E. Martin).

16 De même, la largeur des impacts permet de savoir si l’outil est placé plutôt
perpendiculairement à la surface de travail, ou bien s’il vient plutôt glisser sur elle (Fig.
14). Ces différences peuvent témoigner de la position de la pierre au moment de la taille
(posée à plat ou en biais ; à bonne hauteur du tailleur ou trop basse ou haute10) mais
peuvent également s’expliquer par la dureté du matériau travaillé. Ainsi il convient de
frapper plus perpendiculairement une pierre dure, sinon l’outil risque de glisser sans
enlever de matière. À l’inverse, sur une pierre tendre, ce geste peut créer des layures
trop profondes.
463

Fig. 14a et b. Layages obtenus à partir d’un marteau taillant : frappant perpendiculairement la pierre
(église de Mussey, Meuse, XIIe siècle) ; frappant de façon inclinée la pierre (château de Romont,
Vosges, XIIe siècle) (clichés C. Moulis).

17 Enfin, la latéralité des tailleurs peut dans certains cas être mise en évidence. C’est
généralement le cas avec les traces de bretture, lorsque celles-ci sont suffisamment
étirées sur la pierre (Fig. 15). Nous avons également pu démontrer que l’étude
tracéologique sur certains signes lapidaires (en l’occurrence des spirales) pouvait
déterminer la latéralité de l’ouvrier, ainsi que l’usage d’un même signe par plusieurs
tailleurs11.
464

Fig. 15. Traces laissées par une bretture manipulée par un gaucher (à gauche) et par un droitier (à
droite). Les losanges formés présentent une orientation spécifique à la latéralité du tailleur (cliché V.
Muller).

1.4. L’agencement des blocs

18 L’agencement des blocs au sein du mur témoigne de l’organisation du chantier de


maçonnerie, des logiques d’assemblages retenues et de la maîtrise technique des
ouvriers. Des séquences de modules approchants (SMA) se repèrent quelquefois au sein
des parements en pierre de taille. On observe sur un pan de mur deux ou trois assises
dont les hauteurs sont identiques. Sur un autre pan de mur, on peut quelquefois
retrouver cette même séquence. Ce constat permet d’envisager que ces pierres ont été
débitées sur un même banc de carrière, et donc probablement lors d’une même phase
de travail. Leur transport sur le chantier, leur taille et leur pose ont alors pu s’opérer
dans des rythmes semblables. Ainsi, nous pouvons apprécier le différentiel
d’avancement entre deux pans de maçonneries à un instant T. (Fig. 16).
465

Fig. 16. Sur le gouttereau nord de la chapelle de Xugney, Vosges, vers 1160, on remarque que les SMA
(séquences de modules approchants) sont décalées d’une travée à l’autre, montrant sans doute que le
chantier n’a pas avancé uniformément dans la nef, mais plutôt depuis le chevet vers la façade
occidentale (conception C. Moulis).

19 Le sens de pose des pierres d’une assise peut également être lu à travers l’agencement
de boutisses décalantes. Elles se distinguent des autres pierres par leurs dimensions et
leur positionnement. Lorsque la pose d’une pierre fait correspondre deux joints
verticaux de suite, le maçon place alors une pierre, plus petite, afin de créer un
décalage pour la pierre de pose. Par le jeu d’assemblage, il est alors possible de
déconstruire l’assise et de savoir laquelle de la pierre à gauche ou à droite de la boutisse
a été décalée. Un exemple pris sur l’élévation du gouttereau sud de la chapelle
templière de Xugney montre que l’assise a été posée de la gauche vers la droite (Fig.
17). Dans le cas de maçonneries de moellons, cette lecture est rendue plus ardue. Elle
est en revanche facilitée lorsque les pierres sont disposées en épi, puisque le sens
d’inclinaison des pierres indique naturellement le sens de progression de l’assise.
Lorsque le sens d’inclinaison des pierres change de côté d’une assise à l’autre, il est
certain qu’il a fallu attendre de terminer l’assise inférieure avant de débuter la
suivante, ce qui n’est plus nécessairement vrai dans le cas où deux (ou plusieurs) assises
successives sont orientées pareillement.
466

Fig. 17. Boutisse placée afin de décaler la pierre située à sa droite, afin d’éviter la superposition de deux
joints verticaux (conception C. Moulis).

2. L’empreinte du chantier
20 Des structures mobiles ou amovibles, généralement en bois, sont vouées à
l’acheminement des matériaux (charriot, engin de levage), l’accessibilité des ouvriers
(échafaudage, clayonnage) et au maintien des maçonneries en construction (cintre,
coffrage). Démontées, remployées, brûlées ou déplacées de chantier en chantier, elles
ne sont quasiment jamais retrouvées. Les treuils à roue conservés dans les combles de
la collégiale Saint-Thiébaut de Thann12, l’église Saint-Martin de Colmar, l’église Saint-
Thomas et la cathédrale de Strasbourg13 restent des exemples exceptionnels d’engins de
levage encore visibles en Grand Est. Seuls quelques vides et négatifs au sein des
maçonneries permettent d’identifier ces éléments disparus.

2.1. Les trous de boulin

21 L’échafaudage se matérialise souvent par la présence de trous de boulin sur les


élévations. Leur analyse fine apporte des éléments de compréhension relatifs à la
technicité déployée sur le chantier et au phasage de celui-ci. Il est souvent bien délicat
de déterminer ce phasage, car il ne faut pas confondre un changement de méthode
d’agencement des pièces de bois (qui se traduit par un changement de rythme des trous
de boulins) et la pose d’une nouvelle structure, indépendante de la précédente. Le rôle
de l’échafaudage évolue au cours du chantier, aussi bien dans sa structuration que dans
son usage. Organe stabilisateur dévolu à la circulation des ouvriers et des matériaux, il
permet dans un premier temps leur acheminement en hauteur. Cette fonction peut
s’effectuer de différentes manières, par le biais d’une rampe ou d’une échelle
empruntée par les maçons ou bien encore par une sapine, conduit vertical aménagé à
travers les différents niveaux de l’échafaudage afin de monter les matériaux au moyen
467

d’un système de levage. Dans de rares cas, la sapine se devine par le resserrement de
l’espacement des trous de boulins.
22 Sur la chapelle de la commanderie templière de Xugney14, le parement extérieur du
mur gouttereau sud semble avoir été monté, du moins dans ses premiers mètres, avec
un échafaudage indépendant pour chaque travée (Fig. 18). Entre ces dernières, il en
résulte une organisation très différente des trous de boulins mais aussi du parement. En
effet, les niveaux de platelage ne sont pas les mêmes, ce qui se ressent d’ailleurs sur les
hauteurs d’assise. Même si leurs traces sont ensuite plus ténues du fait de la mauvaise
conservation du parement initial, il semble que ces éléments s’uniformisent quelque
peu, sauf peut-être pour la troisième travée. On passe donc d’un système d’échafaudage
à circulation essentiellement verticale dans les premiers mètres, à un système de
circulation plutôt horizontale, au moins sur un niveau de platelage. Évidemment, cela
s’en ressent dans la mise en œuvre du parement puisque les hauteurs d’assises des deux
premières travées sont maintenant bien réglées entre elles. Du côté du parement
intérieur, nombre de trous ont disparu suite à des rejointoiements ultérieurs, mais ceux
encore visibles laissent présager d’un montage similaire. Toutefois, ceux de la troisième
travée sont quasiment tous conservés. Ils montrent un système échafaudé de quatre
platelages successifs superposés tous les 120 cm environ et maintenus par trois
perches.

Fig. 18. Échafaudage du mur gouttereau sud de la chapelle de Xugney, Vosges, seconde moitié XIIe
siècle (conception et DAO C. Moulis).

23 Les trous de boulins présentent des caractéristiques qui ont conduit à établir des
typologies bien cernées15. Les étudier permet d’intégrer les techniques de mise en
œuvre, de les comparer d’un chantier à l’autre. De même, ces trous sont quelquefois
propices à la conservation de fragments de boulin. Ainsi, un trou de boulin du donjon
de Vaudémont16 recelait du bois que l’analyse dendrochronologique a pu identifier
comme étant du hêtre daté des alentours de l’An Mil17. L’usage de ce bois est un
renseignement intéressant. Il est plutôt réputé pour être utilisé en intérieur, car sa
nature cassante et peu résistante lui fait craindre les aléas climatiques. S’il est employé
ici, ce n’est pas par méconnaissance de ses propriétés. En effet, les boulins sont
circulaires et leur gaine n’est pas régulière (Fig. 19). Les quelques empreintes
468

remarquées dans les mortiers prouvent également que l’écorce n’est pas enlevée et
qu’il s’agit donc d’arbres jeunes justes ébranchés et dont le diamètre n’excède pas
12 cm. Enfin, cette essence possède un bon taux de rétractabilité, ce qui pouvait peut-
être permettre de retirer les boulins moins difficilement après usage.

Fig. 19. Trou de boulin maçonné dans lequel l’empreinte circulaire du boulin est piégée dans le mortier.
On devine l’aspect irrégulier de la gaine, trahissant le jeune tronc ébranché utilisé, donjon de
Vaudémont, Meurthe-et-Moselle, vers l’An Mil (cliché C. Moulis).

2.2. Les couchis

24 Il existe de nombreuses traces possibles permettant d’identifier les techniques de


coffrage, de cintrage d’une voûte. La plus visible d’entre elles est tout simplement la
courbe de l’arc ou de la voûte. Dans certains cas, le décalage des pierres d’un même arc
permet d’imaginer un décoffrage trop rapide ou trop précoce, lorsque qu’il ne s’agit pas
d’un déplacement dû à des mouvements de la maçonnerie au cours des siècles.
25 Les cintres des arcs et des voûtes restent surtout visibles par les traces de couchis
imprimées sur une voûte en blocage. Là encore, empreintes et fragments imprimés et
insérés dans les mortiers rendent compte des techniques, des essences et
potentiellement des circuits commerciaux. Les empreintes de couchis dans la tour-
porche du prieuré de Varangéville18 démontrent que la voûte rampante de son escalier
monumental a été réalisée en cinq sections successives (Fig. 20). Chacune de ces
sections possède selon les cas entre 4 et 7 cintres qui étaient reliés entre eux par des
couchis dont certains fragments sont encore piégés dans le mortier. Les plus grands
mesurent 94 x 15 cm (Fig. 21). Leur analyse montre l’emploi du sapin, un bois qui n’est
disponible que dans la montagne vosgienne, à plusieurs dizaines de kilomètres en
amont, et qui a donc dû être acheminé par flottage sur la Meurthe.
469

Fig. 20. La voûte en plein cintre rampante de l’escalier du prieuré de Varangéville, Meurthe-et-Moselle,
première moitié XIIe siècle, a été construite en cinq phases (DAO C. Moulis).

Fig. 21a et b. Fragment de couchis prélevé, et empreintes des couchis dans la section 2 de la voûte de
l’escalier de Varangéville (clichés C. Moulis).

26 À Dieulouard, les couloirs menant à la crypte romane de l’église, en partie taillés dans la
roche, sont couverts par une voûte en bâtière (Fig. 22). Le procédé présente les
avantages d’une mise en œuvre très simple et n’entrave pas la circulation dans le
couloir. Tout d’abord, les murs du couloir sont montés jusqu’au départ des voûtes.
Ensuite, des arcs en plein cintre sont maçonnés à intervalle plus ou moins régulier, tous
470

les 1,50 à 2 mètres. Une encoche est pratiquée de part et d’autre de la clef d’arc. Cette
encoche reçoit une panne de 5 cm de section et suffisamment longue pour atteindre
l’arc suivant. Cette panne agit comme une faîtière. Les couchis en bois de 60 cm de
longueur pour 10 à 15 cm de largeur cm sont alors disposés perpendiculairement,
depuis l’arase des murs contre lesquels sont installées deux autres pièces de bois et
s’appuyant sur cette faîtière. La position en biais de ces deux pièces explique que le
mortier ait pu couler entre elles et la paroi du mur, ce qui explique les bourrelets de
mortiers observés le long de l’interface mur/voûte. Ce principe de cintrage minimaliste
continue d’être employé jusque dans l’architecture gothique pour la mise en œuvre des
voûtains19, et se retrouve aussi fréquemment pour la mise en œuvre des arcs de
fenêtres en plein cintre. Il n’est ainsi pas rare de pratiquer deux petites encoches sur
les deux sommiers de l’arc à monter. Elles sont destinées à accueillir une pièce de bois
qui maintient le cintre, comme sur la fenêtre du collatéral de l’abbatiale de Morimond20
ou l’église de Rupt-aux-Nonnains21 (Fig. 23), sur les arcs de la tour d’escalier du prieuré
de Varangéville ou enfin, dans un style encore plus rudimentaire, sur le noyau de
l’escalier en vis de ce même site.

Fig. 22. Voûte en bâtière du couloir de la crypte de l’église de Dieulouard, Meurthe-et-Moselle, XIIe siècle
(cliché C. Moulis).
471

Fig. 23. Encoches taillées dans les sommiers destinées à fixer le cintre en bois de l’arc en plein cintre
d’une fenêtre du bas-côté nord de l’abbaye de Morimond, Haute-Marne, seconde moitié XIIe siècle
(cliché C. Moulis).

2.3. La composition des matériaux

27 Les analyses physico-chimiques réalisées sur les matériaux de construction autorisent


une compréhension affinée voire renouvelée de la question des approvisionnements et
des circuits économiques qui leur sont liés. Sans s’appesantir sur ce domaine
néanmoins très important, il convient d’en rappeler les principaux apports. Les
analyses dendrochronologiques fournissent une datation (quelquefois à l’année près, et
dans ces cas-là, la saison) de l’abattage du bois, ainsi que la caractérisation des essences.
L’analyse 14C sur les matières carbonées offre une datation selon une fourchette de
plusieurs dizaines d’années à plus d’un siècle. La diffraction par rayons X (DRX) permet
de caractériser la composition chimique des matériaux, par exemple des pierres, ce qui
peut favoriser la recherche de sa carrière d’origine.
28 Enfin, les lames minces réalisées sur les mortiers peuvent déterminer leur composition
et leur proportion. De manière générale, les dosages ne sont pas les mêmes, qu’il
s’agisse d’un liant de joint, de blocage, de fondation ou de solin faîtier.
29 Les inclusions renseignent sur la gestion du chantier. Ainsi, les mortiers de la
commanderie templière de Xugney contenaient des éclats de grès, ce qui semble
démontrer que les déchets les plus fins de l’atelier de taille de pierre étaient réinvestis
dans l’aire de gâchage des mortiers pour leur donner plus de cohésion.
30 L’analyse de la granulométrie des sables, couplée aux études physico-chimiques (lames
minces, MEB, DRX) nous renseigne sur leur composition, au-delà de ce qui peut être
discriminé à l’œil nu ou à la binoculaire. Les informations telles que les inclusions de
472

débris végétaux, les résidus de quartz, la sphéricité des grains de sable, la porosité des
mélanges permettent de cerner la provenance des matériaux. Là encore, nous pouvons
en déduire quelques bribes des circuits économiques mis en place autour des chantiers.
Ainsi, si la plupart des sables proviennent de lieux situés à proximité du chantier, celui
qui a servi à la construction du donjon de Vaudémont ne semble pas provenir des
ruisseaux proches, ni du Madon voisin, car les éléments chimiques identifiés n’existent
que dans les alluvions déposées par la Moselle, distante de 15 à 20 km environ, et
rapportées du massif vosgien. Ce mortier comporte également des galets susceptibles
de provenir du lit de cette même rivière22.
31 Nous avons présenté ainsi quelques éléments, quelques pistes de réflexions,
agrémentées de quelques résultats, qui contribuent à mieux cerner le chantier de
construction et son environnement. Nous avons délaissé plusieurs aspects pourtant
essentiels, parmi lesquels les signes lapidaires, les marques de montage, la tracéologie
du bois, ou encore les systèmes de scellement. Loin de les ignorer ou de les sous-
estimer, ils méritent une attention toute aussi aigüe. Toutes ces considérations doivent
être exploitées, que ce soit lors d’une analyse d’un bâtiment complet, d’un pan de mur,
ou simplement de quelques assises exhumées du sous-sol.
32 De prime abord très épars, ce jeu de puzzle forcément incomplet parvient in fine à offrir
un panorama du chantier qui renouvelle bien souvent la compréhension d’un édifice et
de l’économie qui l’environne.
33 À travers le prisme du monument et de ses matériaux, nous entrevoyons aussi les
aspects sociologiques du chantier, notamment ceux liés à l’organisation du travail et à
sa pénibilité. En définitive, l’archéologue du bâti ranime la mécanique endormie d’un
chantier terminé depuis des siècles en redonnant corps à des techniques, des gestes,
des savoir-faire oubliés, disparus ou ignorés.

NOTES
1. Commune d’Abreschviller, Moselle, XI e-XIIIe siècle. H ECKENBENNER D., MOULIS C.,
MULLER V., RUDRAUF J.-M., « Les carrières du Streitwald et le château d’Ischeid (Vieux
Château), Abreschviller (XIe-XIIIe siècles) », in BOULANGER K., MOULIS C. dir., La pierre dans
l’Antiquité et au Moyen Âge en Lorraine. De l’extraction à la mise en œuvre, Nancy, Presses
universitaires de Nancy, 2018, p. 505-520.
2. Commune de Cirey-sur-Vezouze, Meurthe-et-Moselle. Abbaye cistercienne fondée
vers 1140. MOULIS C., Bâtir en Lorraine méridionale (XIe-XIIe siècles). Chantier et mise en œuvre
des matériaux, thèse de doctorat, 2018, tome 2, p. 212.
3. Meurthe-et-Moselle, 1037-1206 14C.
4. M ARTIN E., M OULIS C., « L’empreinte d’un chantier de construction au XVe siècle :
l’exemple des traces d’élaboration et de mise en œuvre de la tour forte de Thenissey
(Côte-d’Or) », in B OULANGER K., MOULIS C. dir., Pierre à pierre. Économie de la pierre de
473

l’Antiquité à l’Époque moderne en Lorraine et régions limitrophes, Actes du colloque de


Nancy, 5-6 novembre 2015, Nancy, Edulor, 2019, p. 175-180.
5. Vosges, 1126d.
6. Meurthe-et-Moselle, XIIe siècle.
7. Meurthe-et-Moselle, nef reconstruite à la fin du XVe - début XVIe siècle.
8. Commune de Vaucouleurs, Meuse, vers 1350.
9. Vosges, 1041-1217 14C.
10. Ce cas de figure semble moins pertinent, une mauvaise position ne pouvant être
tenue bien longtemps.
11. M OULIS C., « Les signes lapidaires de la chapelle des Templiers à Xugney (Vosges) »,
in ROMERO MEDINA R. dir., Signum Lapidarium. Estudios sobre gliptografia en Europa, America
y Oriente Proximo, Actes du XVIIIe colloque international de Glyptographie, 23-27 juillet
2012, Valencia (Espagne), Madrid, 2015, p. 343-364.
12. ORTLIEB J.-B., SCHWIEN J.-J., TEGEL W., WISSEMBERG L., « Les treuils à roue de la collégiale
Saint-Thiébaut à Thann. Données de chronologie et de fonctionnement », Les Amis de
Thann, 31, 2016, p. 41-56.
13. É PAUD F., De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie, Caen, éd.
CRAHM, 2007, p. 111-117.
14. Commune de Rugney, Vosges, après 1157d.
15. B AUD A., BERNARDI Ph., HARTMANN-VIRNICH A., HUSSON É., LE B ARRIER Ch., PARRON I.,
REVEYRON N., TARDIEU J., L’échafaudage dans le chantier médiéval, Lyon, DARA, n°13, 1996.
16. Meurthe-et-Moselle, 893-1013 14C.
17. M OULIS C., BOULANGER K., « Le donjon de Vaudémont (Xe-XIe siècles) », in B OULANGER
K., MOULIS C. dir., La pierre dans l’Antiquité et au Moyen Âge en Lorraine. De l’extraction à la
mise en œuvre, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2018, p. 439-457.
18. Meurthe-et-Moselle, 1037-1206 14C.
19. BERNARDI Ph., HARTMANN-VIRNICH A., « Bois de cintrage et «cintres de pierre» dans la
construction des voûtes gothiques. Remarques sur quelques exemples de châteaux
provençaux », in POISSON J.-M., SCHWIEN J.-J. dir., Le bois dans le château de pierre au Moyen
Âge, Actes du colloque de Lons-le-Saunier, 23-25 octobre 1997, Presses universitaires de
Franche-Comté, 2003, p. 189-203.
20. Commune de Parnoy-en-Bassiginy, Haute-Marne, seconde moitié XIIe siècle. MOULIS
C., ROUZEAU B., « Archéologie du bâti », in R OUZEAU B. dir., Morimond, archéologie d’une
abbaye cistercienne (XIIe-XVIIIe siècles), Nancy, Edulor, 2019, p. 79 et 88.
21. Meuse, XIIe siècle.
22. K OCH J., MECHLING J.-M., MOULIS C., « Le mortier dans les édifices monumentaux des
Vosges lorraines et alsaciennes. Traces d’une économie et d’une technologie de la
construction (XIe-XIIIe siècles) », in JANOT F., GIULIATO G., MORIN D. dir., Indices et traces : la
mémoire des gestes, Actes du colloque international, 16-18 juin 2011, Nancy, Presses
universitaires de Nancy, 2013, p. 198.
474

RÉSUMÉS
Chaque édifice, chaque monument est le fruit d’un processus décisionnel qui nourrit depuis
longtemps les problématiques historiques et artistiques. Outre les aspects politique, économique
et culturel, il revêt également des aspects techniques et technologiques dont le chantier de
construction est le vecteur. Ce chantier peut aujourd’hui encore se lire à travers de nombreux
indices. Il en est ainsi des traces involontaires laissées par les divers corps de métiers sur les
matériaux. La pierre est certainement le principal vecteur de ces traces, que ce soit sur le
processus d’extraction, les épures, les traces de taille ou l’agencement des blocs entre eux.
L’interprétation des vides et des négatifs renseigne également beaucoup. Les trous de boulins et
les traces de couchis sont autant de preuves de l’usage indispensable du bois. Enfin les analyses
physico-chimiques permettent d’entrer dans la matière pour en déterminer la composition. Ces
pistes de réflexions, agrémentées de quelques résultats, contribuent à mieux cerner le chantier
de construction et son environnement.

Each building, each monument is the result of a decision-making process that has long nourished
historical and artistic issues. In addition to the political, economic and cultural aspects, it also
has technical and technological aspects, which the construction site is the vehicle for. This
construction site can still be read today through many clues. This is the case for the
unintentional traces left by the various trades on the materials. Stone is certainly the main
vector of these traces, whether it be on the extraction process, the blueprints, the cutting tool
marks or the arrangement of the blocks between them. The interpretation of vacant places and
imprints also provides much information. Putlog holes and laggings marks are evidence of the
indispensable use of wood. Finally, physico-chemical analyses can be used to determine the
composition of the material. These lines of thought, along with some concrete results, help to
better understand the construction site and its environment.

INDEX
Mots-clés : chantier, pierre, bois, matériau, taille de pierre, échafaudage, trou de boulin,
parement, épure, tracéologie
Keywords : building site, stone, wood, material, stonecutting, scaffolding, putlog hole, facing,
blueprint, traceology

AUTEUR
CÉDRIC MOULIS

Ingénieur d’études en archéologie du bâti, Université de Lorraine, laboratoire HisCAnt-MA.


cedric.moulis@univ-lorraine.fr
475

Enseigner l’archéologie du bâti


Teaching building archaeology
476

L’enseignement de l’Archéologie de
l'Architecture en Italie
Teaching the Archaeology of Architecture in Italy

Giovanna Bianchi

1 Pour aborder le sujet que les organisateurs de ce colloque m’ont demandé de traiter,
c’est-à-dire de brosser un tableau de la situation concernant l’enseignement de
l’Archéologie de l'Architecture en Italie, il faut dire d’abord quelque chose pour situer
deux aspects : le processus de formation et l’actuel état de santé de la discipline avec
son encadrement ministériel parmi les cours universitaires. Il s’agit de deux points clé
pour mieux comprendre les données que je vais exposer, de sorte que je ne dois pas me
limiter à dresser une liste des enseignements et des sièges universitaires1.
2 D’autres interventions de ce colloque ont déjà évoqué cet aspect (voir notamment la
contribution d’Alice Vannetti), c’est-à-dire que l’actuelle codification originelle des
principaux outils d'analyse et des objectifs cognitifs de l'Architecture remonte à la
seconde moitié des années 1970. En fait, plus de cinquante ans se sont écoulés depuis
les premières applications, animées d’un esprit pionnier, de la méthode
stratigraphique, à partir des investigations dans le château de Gênes publiées dans le
premier numéro de la revue « Archeologia Medievale » parue en 19742. La référence à
cette revue n’est en aucun cas fortuite. La discipline qu’on appelle aujourd’hui
Archéologie de l'Architecture avait à l'époque plus d'une définition (archéologie de la
construction, archéologie de l'histoire du bâtiment etc.) et sa naissance était très liée
par des intérêts communs avec l'archéologie médiévale moderne. En effet, beaucoup
des chercheurs qui ont joué un rôle important dans cette nouvelle et intense époque
d'innovation travaillaient alors dans les mêmes domaines de recherche et avec les
mêmes méthodologies. Ces médiévistes avaient connu au moins un contact avec
certains chercheurs anglais, sinon une plus étroite collaboration aux projets de
recherche d’intérêt commun. Cela a permis d'expérimenter la nouvelle méthode
stratigraphique, avec la codification correspondant aux relations entre les différentes
unités et leur organisation au sein d’une séquence qui pouvait être visualisée
graphiquement dans une matrice de Harris. Cette méthode a été appliquée à la fois
477

pour les dépôts horizontaux et verticaux, surtout dans les contextes ruraux, en se
référant dans la majorité des cas aux sites fortifiés qui ont été le premier et le plus
important objet d'étude de cette nouvelle école d'archéologues médiévistes. Le cas de
Montarrenti est à cet égard emblématique3.
3 En même temps, l'attention prêtée à la culture matérielle, entendue en ce temps-là
comme l'étude des aspects matériels des activités de production, de distribution et de
consommation, des modalités de leur réalisation en relation avec le processus
historique4, a amené à concentrer l'attention sur tout type de construction et pas
seulement sur l'architecture monumentale liée aux grands commanditaires publics ou
privées. La conséquence directe a été le développement des méthodes archéologiques
visant à étudier une vaste gamme de construction, éveillant l'attention sur les
différentes techniques de maçonnerie.
4 C'est donc sans aucun doute à l'Archéologie médiévale renouvelée que l’Archéologie de
l'Architecture est redevable de sa formation dans la péninsule et c'est dans cette saison
complexe d'investigation, également caractérisée par une intense multidisciplinarité,
que se sont formés les premiers pôles de recherche en Ligurie, en Toscane, en
Lombardie, en Vénétie, dans le Latium avec d'importantes figures de spécialistes de
référence telles que : Tiziano Mannoni, Riccardo Francovich, Roberto Parenti, Gian
Pietro Brogiolo.
5 Il faut se rappeler de cette géographie car nous y ferons référence en ce qui concerne
l'emplacement actuel des différentes chaires actuelles d’Archéologie de l'Architecture.
6 Le lien avec l'Archéologie médiévale a ensuite été fortifié grâce à la création, en 1996,
de la revue « Archeologia dell'Architettura », qui est née en tant que supplément à la
revue « Archeologia Medievale » ; c’est dans cette première publication que, comme je
l’ai mentionné ci-dessus, ont paru des exemples d'application de la nouvelle méthode.
7 La composition du premier bureau de direction avec la présence de deux archéologues
(Tiziano Mannoni et Gian Pietro Brogiolo) et d'un architecte (Roberto Parenti), reflète
l'importante relation créée depuis le début des années 80 du siècle dernier parmi les
spécialistes de ces deux disciplines. Si la séquence stratigraphique et l'étude des
techniques de maçonnerie pouvaient contribuer à identifier toute évolution historique
de l'architecture, on avait bien trouvé un important élément commun de connaissance
qui était essentiel pour orienter tout travail de restauration adéquate.
8 Née de l’effort d’établir une comparaison entre différents domaines d'investigation,
cette relation n'a pas toujours été totalement pacifique5, mais la critique constructive
surgie de la nécessité d'adapter la méthode développée par les archéologues au
contexte du site de restauration avec sa complexité propre, a représenté un
enrichissement fondamental pour le débat et la croissance de la discipline, en amenant
à la formation de noyaux de recherche appartenant aux facultés d'architecture
d'importantes universités comme Venise ou Milan. Les moments fondamentaux de
rencontre et de discussion ont été les diverses conférences multidisciplinaires
organisées entre Sienne et l'Italie du Nord, qui avaient également pour objet l'étude de
plus larges contextes urbains, mettant l’accent sur l’énoncé du problème, ou plutôt sur
la relation entre archéologie et urbanisme6.
9 Pour comprendre la "géographie" des sites d'enseignement, il faut également garder à
l'esprit ce lien étroit développé dans les dernières décennies du XXe siècle entre les
478

architectes restaurateurs et les archéologues de l'architecture. C’est l'un des points clés
de mon intervention.
10 Un autre aspect, d’importance cruciale lorsqu’il s’agit d’évaluer les différents
enseignements, est ce que Gian Pietro Brogiolo a défini comme la Babel des méthodes7,
à savoir le résultat de cette formation pluridisciplinaire qui a conduit, au fil du temps, à
l'existence de procédures de documentation et d'analyse diversifiées selon les "écoles",
bien que partant du dénominateur commun de la séquence stratigraphique.
11 Cet aspect dépasse la portée de la présente intervention, mais on en voit bien les
conséquences dans les différentes approches adoptées par les nombreux manuels
publiés au cours des quinze dernières années8.
12 Les différents chemins cognitifs et les méthodologies correspondantes sont en tout cas
un élément à prendre en compte dans les diverses dénominations des enseignements
qui peuvent se référer à la macro-catégorie de l'Archéologie de l'Architecture.
13 De ce dernier constat découle un point supplémentaire de ma contribution, autrement
dit quels sont actuellement les objectifs de la discipline ?
14 Dès les premiers programmes d’études importants déjà mentionnés ci-dessus, un aspect
important de la situation a été abordé dans la conférence « Temi e prospettive di
ricerca » (Sujets et perspectives de recherche), organisée à Gavi par la même revue
Archeologia dell'Architettura en 2010, presque quinze ans après la publication de son
premier numéro.
15 Gian Petro Brogiolo9 l’a bien résumé en introduction, mettant en évidence que les
différentes interventions des archéologues, des architectes, des ingénieurs, des
historiens de l'architecture, mais aussi des cadres de la direction de la Surintendance,
grâce aussi aux expériences de recherche les plus récentes, ont abouti à une conception
certainement plus dynamique de la vie d'une architecture donnée, constituée de
différents moments. Il y a ainsi une première étape concernant l'étude du chantier et
sur ce plan les études d'architectures de la période romaine, bien que publiques et
monumentales, ont commencé à avoir droit au chapitre. Vient ensuite la deuxième
étape concernant les transformations de la bâtisse d'origine, avec les adaptations
fonctionnelles et les travaux d’entretien correspondants ; la troisième étape concerne
la phase d'abandon ; la quatrième étape voit la transformation du bâtiment en ruine ; la
cinquième étape se déroule à compter du moment où les vestiges sont recouverts.
Enfin, la sixième étape se focalise sur la prévention et la restauration de l'architecture
suivie de la septième étape liée à sa mise en valeur et à son utilisation publique.
16 Les différentes étapes que nous venons de décrire supposent des parcours cognitifs
séparés mais plus souvent partagés en vue d'une approche aussi multidisciplinaire que
possible ; le but est une connaissance des différentes séquences de construction,
destruction et remblaiement mais aussi la maîtrise des différentes techniques de
maçonnerie et de construction. Ces dernières peuvent être rapportées aux différentes
connaissances historiquement posées et à leur diffusion au fil du temps, pour arriver
finalement à l'élaboration d'un projet de restauration "stratigraphique" qui rende
compte du palimpseste historique de l'architecture, en visant à une meilleure
appréciation par le public.
17 Beaucoup des thèmes synthétiquement mentionnés ci-dessus au cours des derniers dix
ans ont été abordés et approfondis au cours des dix dernières années dans le cadre de
recherches individuelles concernant aussi des contextes urbains entiers. Plusieurs de
479

ces études ont été rassemblées dans importants numéros monographiques de la même
revue, tels que ceux consacrés aux « Techniques et cycles de construction entre le VIe et
le IXe siècle entre Occident et Orient » (2013) ; « La brique dans les chantiers impériaux.
Rome et la Méditerranée » (2015) ; « Moyen Âge fantastique. L'invention d'un style en
architecture » (2016) ; « Coûts, délais et mètres cubes. La quantification en
architecture » (2017) ; « Archéologie de l'Architecture et tremblements de terre »
(2018).
18 Différents contextes de macroanalyse consécutifs aux tragiques événements sismiques
qui ont affecté notre péninsule, ont amené les organes ministériels à porter davantage
d’attention à la méthode stratigraphique, et à reconnaître l'importance de la séquence
stratigraphique et de l'archéologie de la production dans l'analyse des bâtiments
historiques10.
19 Tout cela suppose un bon "état de santé" de la discipline, mais quel est le rapport avec
l'enseignement universitaire ? En Italie, la majorité du système universitaire est
publique avec 67 universités.
20 La plus grande autonomie accordée aux universités par une série de lois adoptées à la
fin des années 1990, avec l'introduction des cursus dits de trois ans (licence ou diplôme
de premier cycle) et de deux ans (maîtrise ou diplôme de deuxième cycle ou master), a
été drastiquement réduite à cause d'une transformation radicale du système
universitaire qui a commencé avec la réforme Moratti en 2008, mais surtout avec la loi
240 du 30 décembre 2010, la réforme Gelmini.
21 Ce n’est pas ici le lieu de passer en revue tous les éléments les plus saillants d'un texte
législatif complexe adopté également à la suite des coupes sombres dans le budget de la
recherche opérées par le gouvernement Berlusconi IV, mais il faut mettre en évidence
les points qui ont pu avoir une conséquence sur les enseignements de l'Archéologie de
l'Architecture.
22 La définition d'une série de grilles ministérielles d'évaluation liée aux critères et
conditions nécessaires pour activer un cursus ou pour en faire continuer l’existence
(par exemple, un nombre défini de professeurs par cursus) a conduit à la clôture de
nombreux centres universitaires détachés du siège central et souvent caractérisés par
des cursus à parcours plus spécialisés et expérimentaux.
23 Les cours de licence et de master ont été inscrits dans une grille plus stricte de secteurs
disciplinaires spécifiques qui doivent être équilibrés comme s’il s’agissait d’une recette
alchimique afin de soumettre à l’approbation du Ministère tout règlement de cours.
Dans une telle grille, il devient plus difficile, par rapport au passé, d'insérer les
enseignements de professeurs engagés sur contrat à durée déterminée, que ce soit
parce qu’on a établi un plafond à ces CDD, ou du fait d’un manque croissant de moyens.
24 En effet, même après la chute du gouvernement Berlusconi IV en 2011, au cours des
années suivantes des ressources financières très modestes ont été accordées aux
universités publiques. Pour en témoigner, il suffira de dire que le Ministre de
l'Université et de la Recherche, Lorenzo Fioramonti, membre du gouvernement Conte,
a démissionné en décembre 2019 en polémiquant contre une nouvelle réduction de la
loi budgétaire destinée aux dépenses et aux coûts de la recherche par rapport à ce qui
était nécessaire.
25 À l’époque actuelle qu’on appellerait post-Covid, le gouvernement italien a élaboré des
plans extraordinaires d’engagement définitif pour ces chercheurs déjà établi par la loi
480

Gelmini, mais rarement inclus jusqu'à présent dans la planification des postes
permanents, si ce n'est qu’au sein des plus grandes universités italiennes et donc les
plus solides économiquement. Au moment où j'écris cet article, des modifications de la
loi Gelmini se dessinent, qui devraient prévoir une autonomie différenciée pour les
universités, tout en engendrant de dures polémiques du côté de ceux qui voient ces
mesures comme une étape supplémentaire pour insister sur les différences entre
grandes et petites universités et creuser un sillon entre les deux catégories, ce qui était
déjà le résultat de la précédente loi Gelmini.
26 La portée de ces derniers passages favorables sera peut-être visible dans les années à
venir, mais le tableau concernant l'enseignement de l'Archéologie de l'Architecture est
déjà inévitablement affecté par ce qui s'est passé précédemment. De quelle façon ?
27 Sur 67 universités publiques, seules 12 ont dans leur cursus des chaires faisant
explicitement référence à cet enseignement, ça signifie près de 2 %. Dans certaines
universités, il y a plus d'un enseignement lié à différents cours (licence I cycle, master II
cycle, etc.) et c'est pour cette raison que le numéro total des chaires dédiées à
l'Archéologie de l'Architecture s'élève à 17.
28 En raison du parcours de formation de la discipline, tel que nous l’avons tracé
auparavant, une partie de ces enseignements (7) est interne aux facultés d'architecture,
pour la plupart incluse dans les écoles de spécialisation, c'est-à-dire au dernier niveau
de la formation : dans la plupart des cas, leur nom fait davantage référence à l'histoire
de la construction, mais sans négliger dans les programmes le lien fort avec la
stratigraphie du bâtiment en élévation. C'est le cas, par exemple, de l'Histoire des
techniques de construction à l'École de spécialisation pour l'étude et la restauration des
monuments de l'Université de Rome La Sapienza ou bien le cours sur Les
caractéristiques des bâtiments historiques de l'Université IUAV de Venise. Ce n'est pas
par hasard que le nom Archéologie de l'Architecture apparaît, par exemple, à l'École de
spécialisation en patrimoine architectural et paysage de l'Université de Gênes, où le
cours pionnier déjà ancien, « Relief et analyse technique des monuments anciens »,
délivré par Tiziano Mannoni, l'un des fondateurs de la discipline, est actif depuis
l’année universitaire 1984-85. Comme d’autres l’ont déjà remarqué dans un passé
récent, tous ces enseignements se réfèrent au domaine de la restauration plutôt qu'à
l'histoire de l'architecture11.
29 Le reste de ces enseignements est surtout lié à l'Archéologie médiévale (7 cas),
seulement dans 2 cas à la Méthodologie et dans 1 cas à l'Archéologie classique. Cela
n'est pas surprenant étant donné le lien étroit qui unit la discipline à ce secteur
disciplinaire depuis ses débuts. Pour ce dernier groupe également, la répartition des
enseignements se fait un peu à tous les niveaux de la formation avec toutefois une
préférence pour les Masters et les Écoles de spécialisation (Université de Padoue, Pise et
Basilicate). Pour ce qui concerne la dénomination, ces enseignements portent dans la
majorité des cas le nom l'Archéologie de l'Architecture, même si pour les autres cas, le
lien avec l'Archéologie est toujours bien évident (voir l'exemple de l'enseignement
d'Archéologie et d'histoire de l'architecture médiévale à l'Université de Foggia).
30 La relation avec l'enseignement de l'Archéologie médiévale devient plus forte et
étroite, lorsque l'accent est mis sur les laboratoires, où les étudiants peuvent
approfondir leurs connaissances sur certaines questions liées à la période médiévale et
les méthodologies d'étude correspondantes.
481

31 Dans 9 universités, un ou plusieurs laboratoires d’Archéologie de l'Architecture se sont


adjoints au cours d’Archéologie médiévale, l'accent étant mis sur l'étude des séquences
stratigraphiques, des techniques de construction et de la documentation. Deux
laboratoires sont également associés aux enseignements susmentionnés des écoles de
spécialisation des facultés d'architecture de Rome La Sapienza et de Gênes. Le seul
laboratoire d'archéo-sismologie est quant à lui lié à l’enseignement de d’Archéologie de
l'Architecture du programme d’études en Sciences Historiques et Patrimoine Culturel
de l'Université de Sienne et cela reflète la longue expérience de Sienne dans ce domaine
d'étude pionnier12. Souvent, ces laboratoires sont gérés non pas par les professeurs
titulaires mais par leurs collaborateurs.
32 Si l'on observe en figure 1 la localisation des universités mentionnées pour la présence
d'enseignements comme de laboratoires, il est évident que la majorité d’entre elles sont
situées dans le centre nord de la péninsule. Pour six cas, il s'agit de grandes universités
comme Milan, Padoue, Venise, Rome, Gênes, Bologne ; dans d'autres cas, il s'agit
d'universités de grandeur moyenne comme Pise, Florence, auxquelles il faut ajouter
celles mi-moyennes et petites comme Foggia, Sassari, Basilicata, Chieti, Vercelli ou
Sienne même.

Fig. 1. Localisation des universités où existent des enseignements et des laboratoires d'Archéologie de
l'Architecture.

33 Bien que les dimensions des universités soient un facteur important car, selon les
mécanismes et les critères d’affectation des ressources mises en place par la loi Gelmini,
ce sont les grandes institutions qui jouissent souvent d'un financement ministériel plus
important, la présence des enseignements liés à l’Archéologie de l'Architecture ou aux
différents laboratoires paraît garder son indépendance, avec des effectifs souvent plus
importants dans les petites et moyennes universités que dans les grandes.
482

34 À ce propos Sienne représente un cas emblématique avec un enseignement


d'Archéologie de l'Architecture, un autre d'Archéologie de la construction médiévale et
un dernier d'Archéologie de la Méditerranée ancienne plus un laboratoire d'archéo-
séismologie. Cet aspect témoigne d’une tendance importante : à l’évidence, les centres
de recherche où les chercheurs, archéologues comme architectes, ont participé à
l'important moment fondateur de la discipline, sont encore aujourd'hui les lieux où
l'enseignement est le mieux établi, avec des chaires et des professeurs titulaires.
35 C'est le cas à Gênes où, dans le sillage des travaux de Tiziano Mannoni, le département
d'Architecture et de Design peut aujourd'hui encore fonctionner et compter sur un
enseignement complet ; de façon similaire, le Département d'Antiquité, Philosophie et
Histoire a mis à profit plusieurs laboratoires pour se transformer à partir de l'année
académique 2020-21 en deux cursus d'Archéologie de l'Architecture. À Padoue, où Gian
Pietro Brogiolo a enseigné jusqu'à l'année dernière, les deux enseignements du Master
et des cours de Spécialisation sont soutenus par des laboratoires et par des projets de
recherche spécifiques et importants. À l'IUAV de Venise et au Politecnico de Milan, où
ces architectes restaurateurs ont été chargés d’enseignement dès la formation de la
discipline, tout en s'intéressant au rapport avec l'archéologie, les cours qui concernent
l’archéologie du bâti sont maintenant assurés par les élèves de Giovanni Treccani ou de
Francesco Doglioni.
36 J’ai déjà parlé de ce qui regarde Sienne, en soulignant le rôle joué par Riccardo
Francovich et Roberto Parenti. Il faut aussi dire que l'influence de Riccardo Francovich
a franchi les frontières de la ville toscane, puisque ses étudiants ou collaborateurs ont
apporté de nouvelles énergies fondées sur l'expérience d'une telle approche, bien
qu'avec des ateliers liés à l'enseignement d’Archéologie Médiévale, par exemple à
l'Université de Tor Vergata de Rome ou à la branche de Ravenne de l'Université de
Bologne.
37 Encore à Rome, l'activité d'Andrea Carandini et surtout de Daniele Manacorda dans le
domaine des disciplines méthodologiques, s'est traduite dans la présence de plusieurs
enseignements à l'Université de Roma Tre. Les cours dispensés par ses étudiants à
l'École d'architecture, également à Rome, reflètent aujourd'hui l'intérêt de Giovanni
Carbonara.
38 Si dans le sud et les îles la discipline peut compter sur une expérience limitée,
l'important renouveau de l'Archéologie de la fin de l'Antiquité et du Moyen Âge dans
les Pouilles au cours des vingt dernières années a eu comme conséquence l'intérêt pour
de nouvelles disciplines, avec la création d’enseignements spécifiques en Archéologie
de l'Architecture dans les universités de Foggia et du Salento.
39 On note par ailleurs que dans d’autres universités, souvent les grilles ministérielles
souvent trop rigides et parfois un déséquilibre entre le nombre des professeurs et le
nombre d'heures dévolues aux matières fondamentales dans l'organisation des
programmes d'études, ne permettent pas de faire fonctionner des cours d'Archéologie
de l'Architecture, alors même qu’au sein de ces mêmes universités, tant les enseignants
que leurs collaborateurs effectuent des recherches dans ce domaine.
40 Le manque récurrent de fonds et la limite fixée pour chaque programme d'études à
l'enseignement contractuel interdisent même un enseignement temporaire confié aux
jeunes chercheurs actifs dans cette discipline.
483

41 La solution souvent utilisée est donc l'activation des laboratoires, qui sont la plupart du
temps, comme on l’a déjà écrit auparavant, liés aux cours d'Archéologie médiévale et
ne sont pas toujours dotés de crédits de formation13.
42 Le risque est donc celui d'une formation souvent généraliste, incapable de fournir des
compétences spécifiques pour créer des profils aussi spécialisés que possible.
43 Cela peut donc créer un circuit dangereux, défavorable non seulement au
développement de la discipline en question, mais aussi à son application dans plusieurs
domaines, notamment la collaboration avec d'autres organismes gouvernementaux,
tels que les Surintendances qui agissent dans le domaine de la protection et de la
valorisation du patrimoine architectural.
44 L’Archéologie de l'Architecture, du moins telle qu'elle est pratiquée en Italie, est
aujourd'hui une discipline complexe caractérisée par de nombreuses voies de
recherche et de possibles champs d'application.
45 Une stratégie renouvelée d’insertion de cet enseignement dans les différents cursus,
tout en ouvrant le monde académique aux jeunes chercheurs pour un véritable et
efficace renouvellement du personnel, est la meilleure chose à souhaiter.
46 Au moins sur ce dernier point, les nouvelles mesures ministérielles post-Covid laissent
une marge d'espoir pour une nouvelle saison de recherche et d'enseignement qui, nous
l'espérons, trouvera des possibilités de mise en œuvre future.

NOTES
1. Pour une grande partie des informations contenues dans cet article, je suis redevable
aux nombreux collègues que je remercie pour leur gentillesse et la disponibilité
montrée, lorsqu’ils m'ont fourni les données demandées. Bien consciente que certaines
réalités académiques auront certainement échappé à ce recensement, j'assume l'entière
responsabilité de ces éventuels échecs, mais j'espère que les informations acquises
permettront quand même de dresser un tableau significatif. Il est nécessaire de
souligner que le texte a été livré à l'éditeur en août 2020 et ne tient pas nécessairement
compte d'éventuels nouveaux enseignements en Archéologie de l'Architecture.
2. MANNONI T., POLEGGI E., Fonti scritte e strutture medievali del “Castello” di Genova,
« Archeologia Medievale », I, p. 171-194.
3. FRANCOVICH R., CUCINI C., PARENTI R., « Dalla ‘villa’ al castello : dinamiche insediative e
tecniche costruttive in Toscana tra tardoantico e bassomedioevo », in FRANCOVICH R.,
MILANESE M. dir., Lo scavo archeologico di Montarrenti e i problemi dell’incastellamento
medievale. Esperienze a confronto, Firenze, 1990, p. 47-78.
4. GIANNICHEDDA E., « Cultura materiale », in FRANCOVICH R., MANACORDA D. dir., Dizionario di
archeologia, Bari-Roma, 2000, p. 99-104.
484

5. Voir par exemple la critique de Bonelli sur la même méthode, BONELLI R.,
« Archeologia stratigrafica e storia dell’architettura », Architettura, storia, documenti, 2,
p. 5-10.
6. Parmi les plus importantes, on peut citer FRANCOVICH R., PARENTI R. dir., Archeologia e
restauro dei monumenti, Firenze, 1988. Pour d'autres références bibliographiques,
veuillez-vous référer à ce qui est mentionné dans le chapitre « Archeologia
dell’Architettura e Restauro » dans le volume BROGIOLO G. P. , CAGNANA A., Archeologia
dell’architetture. Metodi e interpretazioni, Firenze, 2012. Un cas important de chantier
urbain, couvrant un îlot entier, a été au centre du débat sur la relation entre
l'archéologie de l'architecture et la restauration : celui de la Crypta Balbi à Rome,
MANACORDA D., Archeologia urbana a Roma : il progetto della Crypta Balbi, Firenze, 1982.

7. BROGIOLO G. P., « Introduzione », Archeologia dell’Architettura, XV, 2010, p. 11-16.


8. En complément du manuel déjà mentionné, écrit par G. P. Brogiolo et A. Cagnana et
publié en 2012, il faut aussi rappeler : BOATO A., L’archeologia in architettura. Misurazioni,
stratigrafie, datazioni, restauro, Venezia, 2008 ; BELTRAMO S., Stratigrafia dell’architettura e
ricerca storica, Roma, 2009 ; PITTALUGA D., Questioni di archeologia dell’Architettura e
Restauro, Genova, 2009.
9. BROGIOLO G. P., « Introduzione », Archeologia dell’Architettura, XV, 2010, p. 11-16.
10. Voir à cet égard le document ministériel à valeur normative Linee guida per la
valutazione e riduzione del rischio sismico del patrimonio culturale. Allineamento alle nuove
norme tecniche per la costruzione, Roma, 2010 et G. P. Brogiolo, « Procedure di
documentazione e processi interpretativi dell’edilizia storica alla luce delle Linee Guida
per la valutazione e riduzione del rischio sismico del patrimonio culturale », Archeologia
dell’architettura, XIII, 2008, p. 9-13.
11. BOATO A., L’insegnamento dell’archeologia del costruito nelle Facoltà di Architettura, in
CUCUZZA N., MEDRI M. dir., Archeologie. Studi in onore di Tiziano Mannoni, Bari, 2006, p.
433-435.
12. Enfin, voir ARRIGHETTI A., L’archeosismologia in architettura. Per un manuale, Firenze,
2015.
13. Après tout, l'Archéologie médiévale elle-même est une discipline qui n'est pas
présente dans de nombreux cursus, même dans certaines universités importantes.

RÉSUMÉS
La première partie de l'article retrace le processus de formation de la discipline et les lignes de
recherche actuelles afin de mieux comprendre le cadre général de l'enseignement de
l'archéologie de l'architecture dans les universités italiennes.
Suit un aperçu, mis à jour en août 2020, des universités où existent des chaires d'archéologie de
l'architecture et/ou des laboratoires associés à l'enseignement de la discipline (le cursus
comprenant maîtrise ou diplôme de deuxième cycle ou master).
Cet aperçu s'inscrit dans le contexte des dernières réformes ministérielles et permet de
485

comprendre les raisons qui ont déterminé les choix des différents cursus italiens ainsi que
l'absence de cet enseignement dans un certain nombre de régions.

The first part of the paper considers the discipline’s formation process and its current lines of
research in order to better comprehend the general taught framework of Archaeology of
Architecture in Italian universities.
This is followed by a review of the universities where both chairs in Archaeology of Architecture
and/or associated laboratories provide this teaching in their degree courses (Bachelor's Degree ;
Master's Degree).
The review is set in light of the latest ministerial reforms to understand the reasons that have
determined the choices made in the various Italian curricula as well as the absence of this
discipline in several regions.

INDEX
Mots-clés : archéologie, architecture, enseignement universitaire, Italie
Keywords : archaeology of architecture, university teaching, Italy

AUTEUR
GIOVANNA BIANCHI

Associate Professor of Medieval Archaeology, Università degli Studi di Siena, (Dipartimento di


Scienze Storiche e dei Beni Culturali).
giovanna.bianchi@unisi.it
486

Enseigner l’archéologie du bâti au


master inter-universitaire de
spécialisation en conservation et
restauration du patrimoine culturel
immobilier, site de la Paix-Dieu
(Belgique)
Teaching building archaeology at the inter-university master’s degree
specializing in the conservation and restoration of immovable cultural
heritage, “La Paix-Dieu” site (Belgium)

Caroline Bolle et Jean-Louis Vanden Eynde

Introduction
1 L’enseignement de l’archéologie des bâtiments s’est fait attendre dans les programmes
universitaires belges et plus particulièrement dans les universités francophones.
Jusqu’au crépuscule du XXe siècle, l’archéologie du bâti n’apparaissait pas
véritablement dans les programmes de cours et était peu pratiquée. La première fois
qu’elle fut clairement mise à l’honneur en Belgique lors d’un colloque international,
c’était en 1996, à l’université de Leuven (KU Leuven), grâce à l’impulsion du professeur
Raymond Lemaire1. Cet historien de l’art, théoricien et praticien de la restauration de
monuments et de sites, était convaincu depuis longtemps de l’importance de
développer et d’enseigner cette méthode, qu’il promut au sein de son Centre
international de restauration du Patrimoine au Collège d’Europe à Bruges et ensuite à la
KU Leuven (en Région flamande).
2 Pour pallier le manque constaté en Wallonie, des cours d’archéologie du bâti ont été
proposés au Centre de formation des métiers du patrimoine « La Paix-Dieu » (Région
487

wallonne, province de Liège, commune d’Amay) dès sa création en 19992 (Fig. 1).
Chaque participant, quel que soit le stage choisi, doit suivre un module théorique
faisant la part belle à cette discipline. À l’instar des stages techniques (charpenterie, art
du tracé, taille de la pierre, vitraux, dorures, etc.), des séminaires d’archéologie du bâti
de deux à trois jours y sont également proposés. Des étudiants, archéologues,
architectes, gestionnaires de chantier, demandeurs d’emploi mais aussi des
propriétaires peuvent ainsi se familiariser avec cette discipline (Fig. 2).

Fig. 1. Vue aérienne, depuis le nord-ouest, des bâtiments principaux du Centre de la Paix-Dieu (Amay-
Belgique), en 2018 (Cl. G. Focant, SPW-AWaP).

Fig. 2. Quelques vues d’initiation à l’archéologie du bâti au Centre de la Paix-Dieu (Cl. C. Bolle, SPW-
AWaP).
488

3 En 2003, le projet de « Centre wallon d’Archéologie du Bâti » a également vu le jour afin


de proposer des séminaires complémentaires dans l’ancienne infirmerie médiévale de
l’abbaye de Saint-Jacques à Liège. Cet édifice particulièrement bien préservé était caché
derrières des façades récentes et apparemment assez banales. Disséqué par les
archéologues peu avant sa démolition (heureusement annulée), il a révélé une richesse
patrimoniale exceptionnelle3 (Fig. 3). Il est une source d’exploration particulièrement
propice pour analyser en profondeur la matière, qu’elle soit en pierre, en bois, enduite,
en stucs… Les marques de tailleurs, de charpentiers, les dessins préparatoires des
peintures murales peuvent en effet être observés très facilement. Plusieurs universités
et hautes écoles belges mais aussi les gestionnaires du Patrimoine ont saisi
l’opportunité d’y organiser des visites et des exercices pratiques en collaboration avec
le Service public de Wallonie (propriétaire et gestionnaire du site) et le Centre de la
Paix-Dieu4 (Fig. 4).

Fig. 3. Vue de la façade arrière, reconstitution en 3D et quelques vestiges de l’ancienne infirmerie des
moines de l’abbaye Saint-Jacques à Liège (Place Emile-Dupont, 9-10) (Photographie en haut à gauche,
Cl. Philippe Géron (In Situ) ; les 6 autres cl. C. Bolle ; modélisation, O. Gilgean, SPW-AWaP).
489

Fig. 4. Diverses vues d’exercices pratiques dans l’ancienne infirmerie des moines de Saint-Jacques à
Liège (Cl. C. Bolle, SPW-AWaP).

1. L’enseignement de l’archéologie du bâti au sein du


MSC
4 En 2008, lorsque fut créé le Master inter-universitaire de spécialisation en conservation
et restauration du patrimoine culturel immobilier5, c’est tout naturellement qu’une
unité d’enseignement dévolue à l’archéologie du bâti a été inscrite dans le programme
et des cours pratiques organisés sur les deux sites. Ce master complémentaire est assez
spécifique puisqu’il est porté par les cinq universités francophones de Belgique et par la
Haute Ecole Charlemagne. Ces institutions envoient leurs professeurs selon leurs
spécialités. Sa particularité est aussi d’associer des artisans restaurateurs et des experts
comme formateurs. Ces praticiens de haut niveau, également chargés d’encadrer des
stages à la Paix-Dieu, interviennent comme conférenciers. Ce master complémentaire
s’adresse aux diplômés architectes, archéologues (toutes orientations), historiens de
l’art, ingénieurs civils architectes ou ingénieurs civils des constructions mais est
susceptible d’accueillir d’autres profils.
5 Jusqu’à présent, chaque promotion était composée de six à douze étudiants, dont une
bonne moitié formée en architecture. Sur dossier, le jury restreint a également accepté
l’inscription d’un paysagiste, d’une anthropologue et d’un architecte d’intérieur.
6 Cent-vingt crédits (valant chacun huit heures de cours) sont répartis sur deux années
(quatre quadrimestres). Cela permet de libérer un mi-temps pour les étudiants
souhaitant mener de front une activité professionnelle. Les cours d’archéologie du bâti
représentent environ soixante heures de cours et sont donnés au premier
quadrimestre.
490

1.1 Méthode d’enseignement

7 Le but de la formation est de sensibiliser l’étudiant à l’importance de l’observation, des


enregistrements minutieux, de l’analyse approfondie et structurée du monument.
8 Nous soulignons l’intérêt d’une approche globale et interdisciplinaire mais aussi la
rigueur et la précision nécessaires des enregistrements et des analyses.
9 Les aspects méthodologiques et processuels sont mis en évidence à travers la théorie et
la pratique. Notre formation accorde une place importante aux exercices sur terrain, à
l’expérimentation et aux visites.
10 Quatre professeurs sont chargés d’initier les étudiants spécifiquement à cette
discipline : François Blary et Philippe Sosnowska (ULB), Mathieu Piavaux (UNamur) et
Caroline Bolle (UCLouvain) mais de nombreux enseignants nourrissent l’approche selon
des thématiques spécifiques. Pour n’en citer que quelques-uns, Laurent Verslype
(UCLouvain) développe l’approche de l’archéologie du sous-sol. Patrick Hoffsummer
(ULiège) aborde l’étude des structures en bois et la dendrochronologie. L’identification
des pierres et des spécificités de leur mise en œuvre est confiée à Francis Tourneur
(UCLouvain) tandis que Frans Doperé (KU Leuven) et Aline Wilmet (UNamur) se
concentrent sur l’analyse des techniques de tailles. Philippe Sosnowska analyse
également les matériaux du gros œuvre, plus particulièrement la brique…
11 Des artisans (charpentiers, tailleurs de pierre…) et des experts complètent cette
formation.
12 Enfin, cet enseignement trouve son prolongement dans une étude de cas portant sur un
bâtiment en péril, guidée par Jean-Louis Vanden Eynde (UCLouvain) et accompagnée
par de nombreux enseignants. Nous y reviendrons dans la seconde partie de l’article.

1.2. Le contenu des cours

13 L’introduction évoque l’histoire de la discipline, ses spécificités par rapport aux


méthodes classiques d’analyse de l’architecture ancienne, notamment stylistiques et
typologiques. Le cadre administratif, juridique et professionnel dans lequel évoluent les
archéologues du bâtiment est également abordé.
14 Les méthodes d’observation et d’enregistrement in situ sont ensuite détaillées. Il s’agit
de présenter les choix à poser en termes de sondages préliminaires, de décapages, de
déposes et de prélèvements, d’enregistrements stratigraphiques, graphiques,
topographiques et photographiques. Le travail d’interprétation conduit sur ces bases
est également détaillé.
15 Les processus de traitement des données et du matériel récolté sont ensuite abordés
dans une seconde partie consacrée à la post-fouille. Les restitutions en deux et trois
dimensions, ainsi que leur synthèse contextuelle terminent ce chapitre. La troisième
partie spécifie les études et interventions techniques et archéométriques utiles en
matière de connaissance des matériaux, des techniques anciennes et de datation. Enfin,
est rappelée l’importance de l’étude des sources écrites et iconographiques.
16 Cette méthode est notamment présentée au travers d’études de cas, ce qui rend les
cours plus vivants. Nous l’abordons comme une enquête : l’étudiant perçoit ainsi que,
491

bien que la méthode soit constante, elle s’adapte et se décline suivant les
problématiques rencontrées.
17 Les exercices pratiques ont lieu non seulement sur les sites de la Paix-Dieu et de
l’ancienne infirmerie de Saint-Jacques, mais aussi sur des chantiers archéologiques ou
de restauration.
18 La confrontation à la matière est essentielle. Les étudiants ont des profils très
différents. L’auditoire est, en général, composé d’une bonne moitié d’architectes qui, le
plus souvent, ont reçu une formation assez sommaire en histoire de l’art et en
terminologie. Ils se sentent souvent assez démunis. Lorsque débutent les exercices, ils
restent fréquemment en retrait. Notre rôle est donc aussi de les rassurer et de stimuler
leur capacité à observer, à analyser…et à chercher l’homme derrière les éléments
construits (celui qui crée, met en œuvre, habite le lieu). Puisqu’au-delà de l’analyse
architecturale, c’est bien une approche archéologique qui est visée par notre formation.
Pour les archéologues ou historiens de l’art qui n’ont pas été confrontés à l’étude des
bâtiments, la démarche est davantage de se familiariser avec une approche en trois
dimensions, à rechercher et étudier les conceptions architecturales et à appréhender
les techniques de mise en œuvre anciennes.
19 Pour parfaire la formation, il est très important que l’étudiant soit confronté à la
matière mais pas seulement en l’observant ; il est essentiel qu’il puisse la manipuler,
sentir son poids, ses forces, ses fragilités et éprouver les difficultés de la mise en œuvre.
Les étudiants sont donc invités à participer aux ateliers de ferronneries, vitrail, stuc et
staff, de taille des pierres et charpentes (en utilisant des outils et des engins de levage
traditionnels) (Fig. 5). À titre d’exemple, c’est en taillant une pierre qu’un étudiant peut
apprécier le choix des outils, l’inclinaison de la ciselure périmétrique (liée à la position
du poignet) et qu’il peut évaluer l’effort à fournir, par exemple pour livrer une ciselure
parfaitement perpendiculaire aux arêtes (Fig. 6). Grâce à l’assistance d’artisans
chevronnés, l’étudiant peut aller beaucoup plus loin dans la compréhension et la
connaissance de la mise en œuvre de ces matériaux. Ces expériences mettent en
évidence l’importance de l’interdisciplinarité (terreau de la discipline) et du respect, de
l’humilité indispensables pour tous ceux qui abordent les bâtiments anciens.
492

Fig. 5. Diverses vues d’expérimentation au Centre de la Paix-Dieu : atelier charpente (Cl. C. Bolle,
UCLouvain).

Fig. 6. Diverses vues d’expérimentation au Centre de la Paix-Dieu : atelier pierre (Cl. C. Bolle,
UCLouvain).

20 Les visites de chantiers archéologiques et de restauration occupent une place


importante dans la formation et sont proposées en complément des cours. Celles-ci
offrent l’opportunité aux étudiants d’observer les entrailles des bâtiments. L’analyse
des structures en pleine opération ou autopsie est particulièrement instructive. Non
493

seulement, ceci permet d’une part d’aller beaucoup plus loin dans la connaissance et
d’autre part de prendre conscience que l’archéologie du bâti n’est pas seulement une
étude préalable, mais doit aussi accompagner toutes les interventions importantes sur
les bâtiments (Fig. 7).

Fig. 7. Visites des chantiers de restauration du portail de l’église Saint-Jacques à Liège (Cl. C. Bolle,
UCLouvain).

1.3. L’évaluation

21 L’évaluation est programmée à la fin du premier quadrimestre. Elle se fait oralement et


collégialement. Nous soumettons aux étudiants une étude de cas (non vue au cours) : il
s’agit d’un bâtiment destiné à être restauré, lourdement transformé ou démoli. Les
étudiants doivent ainsi démontrer qu’ils maîtrisent la méthode, qu’ils sont capables de
hiérarchiser les interventions et de proposer une approche pertinente, adaptée aux
contraintes, aux moyens et au devenir du bâtiment.

2. L’étude d’un cas en groupe pluridisciplinaire comme


synthèse de l’apprentissage
22 Une autre unité d’enseignement (UE3) que celle qui est dévolue à l’archéologie du bâti
et du sous-sol (UE2) comprend les cours « Matériaux et techniques traditionnels des
gros-œuvre et second-œuvre » et « Pathologies et diagnostics ». Au sein de ces cours
théoriques, plusieurs spécialistes (universitaires, artisans-restaurateurs, chercheurs en
laboratoire) sont invités à partager leurs connaissances à propos des différents
matériaux : pierres et marbres, bétons et rocailles, terre cuite, bois, verre, métaux,
enduits et gypseries, peintures, badigeons et dorures, papiers peints, toiles, cuirs…
Chaque matériau fait l’objet d’un cours de huit à seize heures. Il ne s’agit pas tant de
dispenser des cours de technologie des matériaux traditionnels que d’attirer l’attention
sur ce que le matériau et sa mise en œuvre peuvent nous apprendre sur l’histoire du
494

bâtiment : usage des matériaux dans le temps, évolution de l’outillage, formes


particulières, anomalies. Nous abordons également les pathologies spécifiques des
matériaux et les procédés de restauration.

2.1. Le sujet

23 Parallèlement aux cours théoriques, les étudiants sont invités à analyser collégialement
un bâtiment d’intérêt patrimonial dans un état critique. Le choix du sujet est crucial : il
doit être séduisant, être représentatif de toutes les techniques de construction et de
tous les corps de métier, être suffisamment hétérogène pour intéresser l’archéologie du
bâti, être suffisamment dégradé pour laisser voir ses entrailles, pas trop ruiné pour ne
pas mettre les étudiants en danger (Fig. 8-10).

Fig. 8. Château de Heers (Limbourg-Belgique), vue générale de la façade Est, en 2018. Le château de
Heers est situé à une trentaine de kilomètres à l’Ouest de Liège. Les historiens établissent un lien entre
une charte de 1186 et l’existence d’un établissement seigneurial à Heers, probablement un donjon.
Ruiné en 1467 par Charles le Téméraire, le château est en cours de reconstruction à partir de 1477 (Cl.
J.-L. Vanden Eynde).
495

Fig. 9. Château de Heers, détail de la façade Nord. L’apparente homogénéité du château de Heers est
due à l’emploi de mêmes matériaux à travers le temps, matériaux d’origine locale : moellons de silex
équarris en soubassement, terre cuite, tuffeau, et très ponctuellement, pierre calcaire bleue. Si on
admet la date de reconstruction de 1477, on note cependant des transformations importantes : la
présence d’un pignon baroque, l’ajout, l’alignement et la transformation des fenêtres, et l’exhaussement
des murs gouttereaux au XVIIIe siècle.

Fig. 10. Château de Heers, grande salle du premier étage de l’aile Nord. Les dégradations participent au
caractère didactique du bâtiment étudié (Cl. J.-L. Vanden Eynde).
496

2.2. La méthode

24 L’exercice commence en octobre, est évalué en mai, et représente cinq journées sur
place.
25 Les groupes de travail pluridisciplinaires sont formés d’autorité. À chaque équipe sont
assignées l’étude d’un niveau et une mission d’investigation dans les sources.
26 Lors de l’exposé introductif, trois sources d’information sont distinguées : la source
monumentale, la source d’archives et la source contextuelle.
27 La première, la source monumentale, est le monument lui-même : ce sont toutes les
informations contenues dans le bâtiment et auxquelles les étudiants peuvent accéder
par la puissance de leur observation. Le support de cette observation est le relevé qui
sera développé ci-après (Fig. 11).

Fig. 11. Château de Heers, relevé de la façade Est par scanner-laser, avec surcharge des pathologies
(Document réalisé par Amandine Bouchat, Miquel Camacho, Valérie de Crombrugghe, Paul Dupont,
Marion Fabre, Noémie Léonard, François Marichal, Luis Paneca, Florence Papazoglakis, Sophie
Rassat).

28 La deuxième, la source d’archives, vise la collecte des archives textuelles et


iconographiques. Nous remettons d’emblée aux étudiants une bibliographie des sources
publiées : l’inventaire du patrimoine monumental, l’inventaire des parcs et jardins
historiques, les articles de la société d’histoire locale et, le cas échéant, les thèses et
mémoires d’étudiants déjà réalisés sur le sujet. Les fonds obligatoirement visités sont
les archives familiales s’il en existe, éventuellement les archives notariales si une
mutation de propriété a eu lieu récemment (les travaux ont généralement lieu lors des
mutations de propriété), les archives communales, les archives du cadastre, les cartes
et plans de l’Institut géographique national, les archives des services régionaux du
patrimoine et de la Commission royale des Monuments et Sites. De fil en aiguille, la
497

recherche s’élargit, mais il s’agit plus d’asseoir une méthode que d’être exhaustif, vu le
peu de temps disponible (Fig. 12).

Fig. 12. Château de Heers, vue cavalière de 1640 publiée sans référence dans L. Fr. Génicot dir., Le
grand livre des châteaux de Belgique, 1. Châteaux forts et châteaux-fermes, Bruxelles, Vokaer, 1975,
p. 142.

29 La troisième source, contextuelle, ne concerne pas directement le bâtiment étudié,


mais les événements culturels et politiques locaux, les bâtiments contemporains du
monument en question, d’autres œuvres du même auteur de projet s’il est connu,
d’autres propriétés du même commanditaire (Fig. 13).
30 Cette division des sources est pratique pour mettre de l’ordre dans les renseignements
obtenus, mais n’est absolument pas étanche. C’est précisément la lecture transversale
qui sera intéressante. Chacune des cinq séances sur place débute par la mise en
commun des recherches sur un tableau déclinant les trois sources suivant l’échelle du
temps. La notation des observations des sols, murs, plafonds en regard des sources
d’archive permet de constater visuellement la concentration ou l’éparpillement des
unités stratigraphiques.
498

Fig. 13. Châtelet d’entrée du château de Grand-Bigard (Brabant flamand- Belgique), base du
quatorzième siècle, reconstruction au XVIe siècle et intégration d’un portail au XVIIe siècle (Cl. J.-L.
Vanden Eynde).

31 Nous constatons une apparente facilité de la part des étudiants pour décrire le détail,
une certaine difficulté pour situer ces détails dans le temps et une très grande difficulté
pour opérer la synthèse des observations.

2.3. Les attendus

32 Au terme de l’exercice, et donc de leur première année au Master, les étudiants seront
capables de :
33 Réaliser un relevé en plan, coupe et élévation, détails, non comme un géomètre, mais
comme un restaurateur de monument. La méthode peut apparaître désuète mais
pédagogiquement, elle est irremplaçable. Il s’agit dans un premier temps d’un relevé
aux outils simples, peu coûteux, mais qui impose une observation soutenue. Réaliser un
croquis préparatoire bien proportionné, passer avec le décamètre le long de chacune
des parois, mémoriser l’épaisseur des murs et en déduire quels sont les murs porteurs
ou non, mesurer les déformations, sentir l’humidité, dessiner les profils des
menuiseries, des plafonds, rendent le moment du relevé celui du contact le plus intime
avec le monument. La mise à l’échelle du dessin est aussi féconde : le constat des
déformations, de la non-superposition des murs, de toutes sortes d’anomalies fait
partie de l’analyse. Le dessin en plan devra renseigner la nature des sols et la projection
des plafonds. Les coupes feront apparaître la structure et les descentes des charges,
dénonceront les épaisseurs anormales de planchers. Ces dessins deviennent le support
de notation des unités stratigraphiques. On peut reprocher à cette méthode qu’elle est
lente et que ce qui n’a pas été relevé ou dessiné n’existe pas (Fig. 14-15).
499

Fig. 14. Château de Heers, coupe Nord-Sud dans l’aile Est, relevé aux outils simples (Document réalisé
par Amandine Bouchat, Miquel Camacho, Valérie de Crombrugghe, Paul Dupont, Marion Fabre, Noémie
Léonard, François Marichal, Luis Paneca, Florence Papazoglakis, Sophie Rassat).

Fig. 15. Château de Heers, coupe Nord-Sud, relevé aux outils simples, détail de la surélévation de la
tour Nord-Est. Relevé des marques de charpentiers, indication des trous d’engagement ou des rainures
des palançons (Document réalisé par Amandine Bouchat, Miquel Camacho, Valérie de Crombrugghe,
Paul Dupont, Marion Fabre, Noémie Léonard, François Marichal, Luis Paneca, Florence Papazoglakis,
Sophie Rassat).

34 Viennent ensuite les méthodes plus sophistiquées : photogrammétrie, scan 3D, prises
de mesures et de photographies par drone, etc. qui donnent en très peu de temps une
représentation très fiable, complète, mais où le travail de dessin est déconnecté de celui
de l’observation. Les deux sont complémentaires et il est vain de les opposer.
35 Décrire avec le vocabulaire adéquat l’état existant, ses caractéristiques fonctionnelles,
matérielles et stylistiques : dans le cadre d’une étude pluridisciplinaire, et donc d’un
dialogue, il est indispensable de posséder un vocabulaire commun. Nous utilisons les
500

ouvrages réalisés par l’Inventaire général du patrimoine culturel français : Vocabulaire


typologique et technique6. Dans les cas les plus pointus, les titulaires des cours sont
interrogés afin de compléter l’ouvrage de référence.
36 Nous demandons aux étudiants de procéder pièce par pièce, dans l’ordre : sol, murs,
baies sur leurs deux faces, plafond, et méthodiquement : matières, mises en œuvre,
stratigraphie, état de dégradation.
37 L’activité convoque les enseignements énoncés plus haut :
• étude de la pierre : différentes sortes, identification de leur provenance (confrontation de la
carte géologique et de la carte de Ferraris7), localisation logique ou non des usages,
observation des marques et des traces d’outils ;
• étude des briques et des liants : dimensions des briques, appareils caractéristiques,
mortiers ;
• étude de la charpenterie, des structures en bois des planchers et des charpentes : le débit, le
marquage, les assemblages, la typologie des fermes de charpente ;
• étude des huisseries, portes et châssis, quincailleries, lambris ;
• étude des enduits et leur mouluration, les peintures, les papiers peints, l’apport des analyses
stratigraphiques…
38 Il en résulte une masse d’informations dont la communication est malaisée.
Naturellement, le support graphique s’élabore au fur et à mesure des séances sur site,
et il ne devient efficace qu’à mi-parcours. C’est donc la mise en parallèle des trois
sources énoncées ci-avant qui est le premier vecteur de communication entre les
étudiants.
• Définir les investigations préalables qui seraient nécessaires, du sondage à l’analyse en
laboratoire. En fonction des matériaux, chaque cours décrit les techniques d’investigations
plus poussées pour améliorer la connaissance de l’état du matériau ou de son éventuel
apport à la chronologie.
• Établir la chronologie relative des observations afin de proposer un scénario plausible de
l’évolution du bâtiment (Fig.16-18).
• Identifier les dégradations, structurelles, accidentelles et inhérentes aux matériaux.
• Énoncer les recommandations en vue de la conservation du bien, à l’intention du Maître
d’ouvrage : veiller à ne pas faire disparaître des informations intéressantes (enlèvement des
papiers peints et des enduits par exemple), à étançonner les endroits critiques et baliser en
fonction des dangers, à garantir l’évacuation des eaux de pluie sans dommage…
• Mettre en évidence les potentiels à l’intention d’éventuels auteurs de projet : attirer
l’attention sur ce qui est exceptionnel, intéressant, banal, médiocre, défigurant.
501

Fig. 16. Château de Heers, façade Sud, photographie d’une fenêtre du deuxième étage (Cl. J.-L. Vanden
Eynde).

Fig. 17. Château de Heers, façade Sud, dessin à la main sur photographie redressée de la même
fenêtre, qui met en évidence l’abaissement de l’appui par rapport à une fenêtre identifiable grâce aux
gonds de contrevents, l’abaissement du linteau, la position initiale des linteaux soulagés par des arcs
de décharge (Document réalisé par Amandine Bouchat, Miquel Camacho, Valérie de Crombrugghe,
Paul Dupont, Marion Fabre, Noémie Léonard, François Marichal, Luis Paneca, Florence Papazoglakis,
Sophie Rassat).
502

Fig. 18. Château de Heers, façade Sud, tentative de restitution de la même fenêtre. La proposition de
dessin des traverses et linteaux est alimentée par la découverte de deux linteaux démontés dans les
caves. Une vérification des mesures fait apparaître que les jours inférieurs avaient une proportion de
B/H de 1/3, les jours supérieurs de 1/1,5 (Document réalisé par Amandine Bouchat, Miquel Camacho,
Valérie de Crombrugghe, Paul Dupont, Marion Fabre, Noémie Léonard, François Marichal, Luis Paneca,
Florence Papazoglakis, Sophie Rassat).

2.4. L’évaluation

39 Même si cette étude est collective, les étudiants sont avertis, dès l’entame de l’exercice,
qu’ils seront évalués individuellement sur leur connaissance globale du dossier : ils
doivent également tout savoir des recherches et analyses menées par leurs collègues.
40 L’évaluation est réalisée collégialement par les titulaires des cours « matériaux ».
L’archéologie du bâti et l’appropriation des méthodes sophistiquées de relevé sont
évaluées distinctement, mais les enseignants qui se sont prêtés à l’étude de cas sont
également invités.
41 Le travail collectif doit être remis une semaine avant l’évaluation. Les corrections et les
questions que l’ouvrage suscite sont communiquées aux étudiants quelques jours avant
l’examen. À l’issue des entretiens individuels, la promotion est à nouveau réunie pour
faire part de la progression des connaissances révélées par les évaluations. Les
étudiants sont enfin invités à intégrer les corrections et les nouvelles conclusions dans
l’ouvrage.

2.5. Communication

42 Ce document final est conservé au Centre de Documentation de la Paix-Dieu. Il est


remis au propriétaire du sujet d’étude, ou à l’association qui en assure la conservation,
mais aussi aux autorités régionales en charge du patrimoine. Dans le cas de Heers
503

(Région flamande, province du Limbourg, commune de Heers), nous avons été invités à
présenter les résultats de l’étude à l’association et à l’administration régionale.
43 Dans le cadre d’une autre étude de cas, l’administration régionale du patrimoine a
proposé la publication de l’étude. Cela n’a malheureusement pas abouti du fait du
départ des étudiants vers d’autres horizons.
44 En réponse à un appel à expertise sur un sujet étudié une année antérieure, une
étudiante est devenue expert-conseil, avec l’accord de ses anciens condisciples.

3. Suites
45 Le même sujet est repris la deuxième année dans le cadre du cours Histoire des
équipements techniques et intégration contemporaine du confort. Le chauffage,
l’éclairage artificiel, les équipements sanitaires, la prévention incendie, l’accessibilité à
tous, constituent une véritable menace pour le patrimoine s’ils ne sont pas
subordonnés aux qualités du bâtiment.

4. Conclusions
46 L’enseignement de l’archéologie du bâti, à l’instar de sa pratique, nécessite une
approche interdisciplinaire, associant les théoriciens, chercheurs, praticiens, experts,
artisans… ; ces regards croisés particulièrement riches constituent le terreau de la
formation proposée au sein de ce Master inter-universitaire de spécialisation.
47 L’hétérogénéité de formation des étudiants, qui pourrait paraître un handicap au
départ de l’exercice, se révèle être un formidable moteur de dialogue. Tous les
étudiants ont progressé dans la maîtrise du vocabulaire, dans l’investigation par le
dessin, dans la compréhension des structures. La confrontation des hypothèses de
chronologie du bâtiment, basées sur des observations justes, a suscité un débat
remarquable.
48 Enfin, cette étude de cas fédère le corps professoral qui, rappelons-le, est issu
d’universités et de facultés différentes. L’intérêt que les enseignants portent
mutuellement sur l’expertise de leurs collègues contribue à créer un esprit de corps.

NOTES
1. Les actes de ce colloque ont été publiés en 2003 : DE JONGE K., VAN BALEN K., The Role of
Preparatory Architectural Investigation in the Restauration of Historical Buildings, Leuven,
2003 (Leuven University Press). Pour l’émergence de la pratique et de la reconnaissance
de l’archéologie du bâti en Belgique et à l’étranger, voir aussi la publication des actes
d’un colloque international tenu à l’université de Liège les 9 et 10 novembre 2010 : BOLLE
C., COURA G., LÉOTARD J.-M. dir., L’archéologie des bâtiments en question, un outil pour les
504

connaître, les conserver et les restaurer, Namur, 2014 (Études et Documents, Archéologie,
35).
2. Ce centre vise à conserver, promouvoir et transmettre les savoirs et savoir-faire dans
le domaine du patrimoine architectural. Un large éventail de stages est proposé à un
public varié (des élèves du fondamental aux professionnels les plus spécialisés) :
https://agencewallonnedupatrimoine.be/nos-centres-de-formation/
3. BOLLE C., COURA C., LÉOTARD J.-M., « L’infirmerie des moines, dernier vestige des bâtiments
conventuels », in ALLART D., PIAVAUX M., VAN DEN BOSSCHE B., WILKIN A. dir., L’église Saint-
Jacques à Liège. Templum pulcherrimum. Une histoire, un patrimoine, Namur, 2016, p. 67-78.
4. Au moment de la création du Master spécialisé, le Centre de la Paix-Dieu était géré
par l’Institut du Patrimoine wallon (IPW) mais depuis 2018, il dépend de l’Agence
wallonne du Patrimoine (AWaP) du Service public de Wallonie (SPW).
5. Voir le site web : http://masterpatrimoine.be/.
6. Notamment PEROUSE DE MONTCLOS J.-M., Architecture, description et vocabulaire
méthodiques, Paris, éditions du Patrimoine, 2011.
7. Les cartes « de cabinet » dressées par le comte Joseph-Jean de Ferraris entre 1770 et
1778 couvrent la superficie des Pays-Bas autrichiens et des principautés de Stavelot et
de Liège, ce qui représente la majeure partie de la Belgique et du Grand-duché de
Luxembourg. Par conventions graphiques, ces cartes rendent compte de l’occupation
du sol mais elles indiquent précisément la présence de carrières, de fours, de moulins,
de proto-industries, etc.

RÉSUMÉS
La reconnaissance et l’enseignement de l’archéologie du bâti se sont fait attendre dans les
programmes universitaires belges et plus particulièrement dans les universités francophones.
Pour pallier ce manque en Wallonie, le centre de formation des métiers du patrimoine « La Paix-
Dieu » (Liège, Amay) a proposé des stages consacrés à cette discipline dès sa création en 1999. Ces
stages s’adressent aux étudiants mais aussi aux archéologues, architectes, gestionnaires de
chantier, etc.
En 2003, le projet de « Centre Wallon d’Archéologie du Bâti » a également vu le jour afin de
proposer des séminaires complémentaires dans l’infirmerie médiévale de l’abbaye Saint-Jacques
à Liège. En effet, ce bâtiment, disséqué par les archéologues peu avant sa démolition
(heureusement avortée grâce à son expropriation et à son classement), constitue un terrain
d’exploration particulièrement propice pour enseigner cette discipline. Plusieurs universités et
hautes écoles belges y organisent des visites et des exercices pratiques en collaboration avec le
Service public de Wallonie et le centre « La Paix-Dieu ».
En 2008, lorsque fut créé le Master inter-universitaire de spécialisation en conservation et
restauration du patrimoine culturel immobilier, c’est tout naturellement qu’une unité
d’enseignement dévolue à l’archéologie du bâti fut inscrite dans le programme et des cours
pratiques organisés sur les deux sites. Ce master complémentaire de deux ans est assez spécifique
puisqu’il est porté par les cinq universités francophones de Belgique et par la Haute Ecole
505

Charlemagne. Il s’adresse aux diplômés archéologues, architectes, historiens de l’art, ingénieurs


mais est susceptible d’accueillir d’autres profils (sur dossier dûment motivé). Sa particularité est
aussi d’associer des artisans-restaurateurs et des experts comme conférenciers – plusieurs étant
également chargés d’encadrer des stages à la Paix-Dieu (charpenterie, art du tracé, taille de la
pierre, vitraux, dorure, etc.).
En complément des cours d’archéologie du bâti, les étudiants inscrits à ce master sont invités à
analyser, en équipe pluridisciplinaire et avec l’aide de plusieurs professeurs, un bâtiment
d’intérêt patrimonial dans un état critique. Ils sont ainsi amenés à explorer la source
monumentale, mais aussi la source d’archive et la source contextuelle. L’étude de cas commence
par le relevé, réalisé de manière méthodique, d’abord à l’aide des outils traditionnels, puis
d’appareils sophistiqués (photogrammétrie, scan 3D, prises de mesures et photographies par
drone, etc.). On ne saurait assez insister sur la complémentarité de ces deux méthodes : la
première, lente, provoquant un contact irremplaçable avec le monument, l’autre permettant une
collecte rapide d’une infinité d’informations. L’élaboration du dessin sert de révélateur, de
support aux observations.
L’activité convoque les autres enseignements : étude de la pierre, des marques et des traces
d’outils ; étude des briques et des liants ; étude de la charpenterie, des marques et enfin, apport
de la dendrochronologie ; analyses stratigraphiques des décors… L’objectif est triple : d’une part
livrer un récit crédible de la chronologie des constructions basé sur la cohérence et l’incohérence
des éléments trouvés, d’autre part, identifier les pathologies souvent expliquées par l’histoire du
monument, et enfin, soumettre des recommandations. Ces dernières visent à préciser les études
préalables à mener, les mesures conservatoires à prendre, mais aussi à esquisser les scenarii de
gestion et de mise en valeur de l’édifice. Il s’agit d’une étude collective où chaque étudiant doit, in
fine, maîtriser la synthèse de toutes les observations recueillies. Au terme de l’exercice, nous
constatons l’acquisition du vocabulaire propre au patrimoine, la capacité d’analyse du bâti mais
aussi la grande difficulté à situer les observations dans le temps et à livrer une synthèse.
L’enseignement de l’archéologie du bâti, à l’instar de sa pratique, nécessite une approche
interdisciplinaire associant les chercheurs, les experts, les artisans… ; ces regards croisés
particulièrement riches constituent le terreau de la formation proposée au sein de ce Master
inter-universitaire de spécialisation.

It took time for building archaeology to be recognized and integrated into Belgian academic
programs, especially in French-speaking universities. To compensate for this lack, training
courses in building archaeology were given at the Centre des Métiers du Patrimoine “La Paix-
Dieu” (Liège, Amay) since it was created in 1999. These courses were intended not only for
students but also for archaeologists, architects, site managers, etc.
In 2003, the "Walloon Centre for Building Archaeology" project was also set up to offer
complementary seminars in the former medieval infirmary of the Abbey of St. James’ Abbey in
Liège. This building was analysed by archaeologists shortly before its planned demolition (which
was fortunately cancelled thanks to its expropriation and its becoming part of the cultural
heritage) and proved to be a particularly favourable field of exploration for the teaching of this
discipline. Several Belgian universities and colleges took the opportunity to organise visits and
practical exercises on the site in partnership with the Public Service of Wallonia (owner and
manager of the site) and the centre “La Paix-Dieu”.
In 2008, the inter-university master's degree specializing in the conservation and restoration of
immovable cultural heritage was created. Understandably a teaching unit dedicated to the
building archaeology was included in the program and practical courses were organised on the
two sites. This complementary two-year master's degree is quite special since it is supported by
the five French-speaking universities in Belgium and by the Haute Ecole Charlemagne. It is meant
for graduated archaeologists, architects, art historians, engineers but is also open to other
506

profiles (upon motivated application). Another particularity of this master is to associate


craftsmen restorers and experts as lecturers, many of them being also trainers in “La Paix-Dieu”
(carpentry, scribing, stone cutting, stained glass, gilding, etc.).
In addition to attending courses in building archaeology, the master’s students are invited to
analyze a building with an important heritage and in a critical state, within a multidisciplinary
team and with the help of several professors. They will be led to explore not only the
monumental source, but also the archival and contextual sources. The case study starts with the
building layout, carried out methodically, using first traditional tools, then sophisticated
equipment (photogrammetry, 3D scan, measurements and aerial photographs taken by a drone,
etc.). These two methods are highly complementary : the first one, slow, brings an irreplaceable
contact with the monument, the other one allows to gather quickly an endless range of
information. The drawing is used as a support for observations.
The activity brings along other teachings : the study of stone, traces and tool marks ; the study of
bricks and binding agents ; the study of carpentry, marks and finally the contribution of
dendrochronology ; stratigraphic analyses of decorations… This has three objectives. The first
one is to provide a credible record of buildings chronology based on the coherence and the
inconsistency of the elements found. The second one is to identify pathologies often explained by
the history of the building. And the third one is to submit recommendations. These
recommendations are aimed to specify the preliminary studies to carry out, the preservation
measures to take, as well as to design the scenarios for the building management and
development. This is a collective study, at the end of which each student must master the
synthesis of all the observations collected as well as the knowledge of the vocabulary specific to
heritage, the ability to analyse the building but also the difficult skill to situate the observations
in time and to deliver a synthesis.
The teaching of building archaeology, like its practice, requires an interdisciplinary approach
involving researchers, experts, craftsmen, etc. ; these various perspectives are particularly rich
and form the basis of the training offered within this inter-university master's degree.

INDEX
Mots-clés : enseigner, archéologie du bâti, formation universitaire ou formation inter-
universitaire, métiers du patrimoine
Keywords : teaching, archaeology of buildings, university training or inter-university training,
heritage professions

AUTEURS
CAROLINE BOLLE

Architecte, Agence Wallonne du Patrimoine, UCLouvain ; Belgique


caroline.bolle@uclouvain.be

JEAN-LOUIS VANDEN EYNDE

Professeur, Université catholique de Louvain, Belgique, Faculté d'architecture, d'ingénierie


architecturale, d'urbanisme, Master inter-universitaire de spécialisation en conservation-
restauration du patrimoine culturel immobilier (Paix-Dieu, Amay, Belgique).
jean-louis.vandeneynde@uclouvain.be
507

L’enseignement de l’archéologie du
bâti en France. Bilan et enjeux pour
la pérennisation d’une discipline
Teaching the archaeology of buildings in France. Assessment and
challenges for the sustainability of a discipline

Morana Čaušević-Bully

1 En dépit d’une pratique de terrain qui s’est progressivement développée depuis la fin
des années 1970 en France1, c’est à partir de la seconde moitié des années 1990
seulement que l’enseignement de l’archéologie du bâti a timidement été mis en place
dans les formations universitaires. Cette formation a été initiée par quelques praticiens,
pionniers de la discipline, parmi lesquels on compte l’équipe du Centre d’études
médiévales d’Auxerre au sein de l’UMR ARTEHIS du CNRS. Ainsi, au CEM, des stages
d’initiation aux techniques du dessin en archéologie du bâti et à la lecture
archéologique des élévations ont été organisés dès 1998. Il faut pourtant attendre 2003
pour qu’un poste de maître de conférences en archéologie du bâti – occupé par
Florence Journot – soit créé en 2003 à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne. Le
recrutement de Jean-Jacques Schwien à l’Université de Strasbourg en 2002 permet la
création d’un DESS établissant un pont entre l’enseignement de l’architecture et celui
de l’archéologie du bâti. Quelques années plus tard, des enseignements sont dispensés à
Lyon II ou encore à Aix-en-Provence, à partir tout à la fois de l’histoire de l’architecture
religieuse ou de l’archéologie castrale et urbaine. En dépit de ces quelques cas, et
comme le résume Dorothée Derieux, « La formation est une question peu abordée dans
ces protocoles. Elle est pourtant une base pour de bonnes études du bâti et pour le
développement de la discipline. La formation dans ce domaine en France est encore
très peu développée… » 2.
2 Plus qu’à une enquête épistémologique, et à la demande des organisateurs de ce
colloque, c’est à la situation actuelle de l’enseignement de l’archéologie du bâti en
France que je consacrerai ces quelques pages. Pour plus de cohérence, je centrerai mon
bilan sur le milieu universitaire, et plus particulièrement au niveau du Master, ou, à
508

titre exceptionnel, aux écoles doctorales lorsque celles-ci présentent une forte activité
dans ce domaine.
3 La France a introduit tout récemment une réforme des Masters dans laquelle,
malheureusement, l’archéologie et l’histoire de l’art sont très souvent séparées en deux
grandes catégories : l’archéologie entre dans le domaine du Master ASA (Archéologie et
Sciences pour l’Archéologie), tandis que l’histoire de l’art prend désormais le plus
souvent place au sein du Master HCP (Histoire, Civilisation, Patrimoine). L’archéologie
du bâti, étroitement liée par son origine et par son objet d’étude à ces deux grandes
disciplines, se trouve ainsi forcément amputée.
4 Plusieurs universités ont mis en œuvre des solutions différentes pour pallier les
manques qui résultent de ce découpage assez brutal : on crée désormais des passerelles
entre les différents Masters en proposant des cours mutualisés pour compléter la carte
de formation. Mais parfois, on constate tout simplement une nette séparation entre
archéologie et histoire de l’art, et plus encore avec l’histoire, anéantissant plusieurs
années d’efforts pour stimuler des approches véritablement interdisciplinaires.
Plusieurs universités proposent désormais une formation – ou une initiation – aux
méthodes de l’archéologie du bâti sous différentes formes. Nous évoquerons ici ces
différentes formations, sous la forme d’un inventaire un peu fastidieux, mais qui donne
un instantané de la diversité et de la répartition géographique de cette formation en
France pour l’année universitaire 2019-2020, tout en rendant compte aussi de certaines
inégalités pédagogiques.
5 En effet, l’organisation de l’enseignement, au seul niveau du Master, est finalement
assez variée, avec des degrés d’exhaustivité très inégaux ; ainsi cet enseignement est
parfois intégré aux cours méthodologiques et archéométriques des Masters généraux
en archéologie, parfois proposé comme un parcours professionnel, ou encore,
exceptionnellement, dans le cadre d’une formation spécifique. Plus étonnamment, il
apparaît que cet enseignement est rarement complet, certains privilégiant soit une
approche théorique, soit au contraire une approche pratique. Les approches pratiques
portent plus particulièrement sur l’apprentissage des nouvelles méthodes
d’acquisitions des données du bâti par l’application des nouvelles technologies, mais
elles délaissent parfois les apprentissages théoriques et analytiques pourtant essentiels.
6 Après une présentation globale de ces différentes cartes de formation, je m’intéresserai
aussi à ce qui semble être un clivage entre l’archéologie du bâti des monuments
antiques versus l’archéologie du bâti médiévale (et moderne).
509

Fig. 1. Carte de répartition des masters Bâti en France.

1. Les Masters complets


7 Les universités qui proposent une formation complète en archéologie du bâti sont
encore rares en France, pour ne pas dire quasi inexistantes.
8 À ce jour, le seul que l’on puisse pleinement qualifier dans cette catégorie est le Master
ArAr - Architecture et Archéologie proposé par l’Université de Strasbourg, placé sous la
responsabilité de Jean-Yves Marc. Bien que ce master figure comme l’un des cinq
parcours du Master ASA3, il est cohabilité avec l’École Nationale Supérieure
d’Architecture de Strasbourg et se présente ainsi sous une forme quasiment
indépendante du master ASA. Cette formation est ouverte aux architectes et aux
archéologues.
9 Ce Master à finalité professionnelle « forme aux méthodes d’analyse et de relevé du
bâti, de compréhension et de restitution scientifique des vestiges architecturaux, qu’ils
soient conservés en élévation, sous forme de négatif ou de membra disjecta, et il traite de
la conservation, de la restauration et de la mise en valeur de ce patrimoine ». Pendant
la première année, les étudiants se perfectionnent dans le cadre de séminaires à
l’histoire, à la typologie, aux techniques et à la décoration architecturale des
architectures antiques et médiévales. Pendant la seconde année, l’enseignement est
organisé autour de domaines plus spécialisés, comme les techniques de relevés et de
représentation des vestiges architecturaux, l’infographie appliquée à l’archéologie, les
méthodes de l’archéologie (fouilles, stratigraphie, enregistrement) ; l’archéologie de la
construction ; les techniques de construction ; l’historiographie et méthodologie de la
restitution ; les théories et pratiques de la restauration ; la valorisation du patrimoine
archéologique et aménagement de sites4.
510

10 On notera aussi que sous la responsabilité de N. Reveyron existait jusqu’en 2016 un


Master professionnel Archéologie de l’objet, du bâti et du site à l’Université Lumière Lyon
2 5.

2. Les Parcours ou Spécialités spécifiques


11 Les universités, qui proposent des parcours ou des spécialités spécifiques en
archéologie du bâti, sont au nombre de trois.
12 À l’université Lumière Lyon 2, l’un des trois parcours de la deuxième année du Master
en Histoire de l’art, Urbanisme, architecture et techniques de construction en « Cités
historiques »6, sous la responsabilité de Nathalie Mathian, se veut « l’héritier d’une riche
expérience de plus d’une dizaine d’années dans le domaine de l’analyse du « Patrimoine
Bâti médiéval, moderne et contemporain » (Master Patrimoine) » 7 qui existait jusqu’en
2016 (cf. supra). Ouvert aussi bien à la recherche qu’à la professionnalisation, il est
spécifiquement conçu pour répondre au besoin grandissant de travaux renouvelés sur
les secteurs sauvegardés, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et
paysager (ZPPAUP) et les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine
(AVAP).
13 Parmi les trois parcours8 du Master ASA, cohabilité entre les universités de Bourgogne
et de Franche-Comté, le parcours ARBA est dédié entièrement à l’enseignement des
méthodes de l’archéologie du bâti ; il est placé sous la responsabilité de l’auteur de ces
lignes.
14 La première année du Master offre un socle commun aux trois parcours ;
l’enseignement en archéologie du bâti est principalement dispensé en deuxième année.
L'objectif de ce parcours est de former des chercheurs et des spécialistes en archéologie
du bâti en offrant une formation complète. Deux options sont possibles : un master
recherche ou un master professionnalisant. La formation est à l'intention des étudiants
souhaitant poursuivre des recherches nécessitant une maîtrise des méthodes et des
protocoles ou à des étudiants souhaitant acquérir des compétences complémentaires
pour une application dans les divers métiers de l'archéologie et du patrimoine
(archéologie préventive, gestion du patrimoine bâti, monuments historiques,
conservation, valorisation, médiation, etc.). La formation est également ouverte aux
agents déjà intégrés dans le milieu professionnel et qui souhaitent approfondir ou
mettre à niveau leurs propres compétences9.
15 L’université Toulouse 2 Jean Jaurès propose au sein du MASTER ASA10, créé en 2016, le
parcours ATRIDA (Acquisition, Traitement, Restitution par l'Image des Données en
Archéologie), placé sous la responsabilité d'Emmanuelle Boube.
Ce parcours professionnel n’est pas spécifiquement dédié à l’archéologie du bâti, mais
le cœur de la formation s’articule autour de l’apprentissage des outils techniques de
relevé et de topographie (depuis les relevés manuels jusqu’au scanner 3D), l’utilisation
de matériels spécifiques (caméra thermique, bras de mesure, etc.), le traitement et la
restitution de l’information (photogrammétrie, SIG, modélisation 3D, etc.). Le master
fait largement appel aux acteurs de l’archéologie préventive (publique et privée) qui
interviennent dans les enseignements. Les stages de terrain (dont l’archéologie du bâti
fait partie) occupent deux mois de la formation et font l’objet d’un mémoire11.
511

3. Les enseignements intégrés dans la carte de


formation
16 L’enseignement en archéologie du bâti, organisé par unités d’enseignement spécifiques
et ponctuelles, intègre différents types de Master, en ASA, HCP et en Masters spécialisés
interdisciplinaires. Cette occurrence est la plus répandue et permet aux universités une
plus grande liberté dans l’organisation de leurs cartes de formation. En revanche, la
part de l’archéologie du bâti est ici très inégale, allant de quelques heures de cours à
des plages entières d’UE – qui correspondent alors quasiment aux parcours spécifiques.
17 À l’université de Strasbourg, dans le cadre du Master MEMI (Master d’études médiévales
interdisciplinaires), l’enseignement en archéologie du bâti dispensé par Jean-Jacques
Schwien prend place au sein d’un enseignement consacré à l’archéologie médiévale
dans sa globalité. Ce dernier recouvre, selon la plaquette du Master12, « deux champs
chronologiques particuliers, un premier Moyen Âge, entre l'Antiquité tardive et les XIe-
XIIe s., d'une part, un second Moyen Âge entre l'an Mil et les débuts de l'époque
moderne, d'autre part. »13.
18 Dans le cadre du Master ASA de l’université Aix-Marseille, l’un des cinq parcours14,
Archéologie médiévale et postmédiévale : Méditerranée, mondes byzantin et musulman propose
un enseignement en archéologie du bâti, qui prend place ici dans le cadre des unités
d’enseignement spécifiques, tel que l’UE Archéologie et arts de la Méditerranée médiévale et
postmédiévale 1 et 2, sous la responsabilité d’Andreas Hartmann-Virnich.
19 À l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, on ne trouve pas de parcours spécifique en
première année du Master ASA (maquette débutée cette année), mais un vaste choix de
cours organisés par spécialités. La plaquette de la formation précise que « C’est pendant
le Master 1 que commence également l’initiation à différentes méthodologies et
spécialités transversales », énumérant les méthodologies : informatique et nouvelles
technologies, archéologie des techniques, anthropologie funéraire, technologie
lithique, céramologie, architecture et archéologie du bâti, avec des enseignements
spécifiques en archéologie environnementale (archéobotanique, archéozoologie,
géoarchéologie et archéologie du paysage). On trouve d’avantage d’enseignement en
bâti dans des UE spécifiques, comme Archéologie médiévale et moderne : méthodologie
disciplinaire ou au second semestre Archéologie de la construction : de la théorie au terrain.
20 Toujours à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, l’archéologie du bâti est présente
dans la maquette d’un Master 2 en Histoire à travers des cours théoriques sur L’histoire
de la construction ou encore en Histoire et pratique des transformations du cadre bâti –
dispensé à l’École d’Architecture Paris La Villette. L’archéologie du bâti est également
enseignée dans le cadre du Master TPTI (Techniques, patrimoine, territoires de l'industrie :
histoire, valorisation, didactique) spécialisé dans l’étude du patrimoine industriel15.
21 Pour conclure sur l’enseignement du bâti à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne,
c’est finalement dans le seul cadre de l’École doctorale (ED 112) Archéologie médiévale et
moderne - Axe Archéologie des techniques médiévales et modernes : de la ressource à l’objet que
l’archéologie du bâti prend pleinement sa place. Ici, la plaquette rappelle bien que
« Cette thématique originale et spécifique à l'ED 112 a été développée depuis 25 ans à
Paris 1 avec des spécialités liées aux “objets archéologiques” étudiés : Archéologie du
bâti, aux côtés de l’Archéologie des techniques de navigation, de l’Archéologie des
512

ressources minières, de l’Archéologie des techniques métallurgiques et de l’Archéologie


des techniques de l'eau »16.
22 Dans le cadre du Master Perspectives interdisciplinaires en Sciences de l’Antiquité (PISA),
l’École Nationale Supérieure (ENS) de Paris proposait jusqu’en 2019 un enseignement
théorique à travers deux UE, organisées sous la forme de séminaires intitulés l’Histoire
de la construction. Ces séminaires portaient « sur l’histoire de la construction, envisagée
tant du point de vue technique que social, juridique ou économique. Ils entendaient
faire une large place à une approche comparative appuyée sur la richesse de l’actualité
des travaux dans ce domaine à l’échelle internationale, pour les périodes antique,
médiévale et moderne, mais aussi en aval, plus ponctuellement, pour la période
contemporaine »17. Dans la même veine, une UE intitulée Archéologie de la construction
romaine était organisée sous la forme d’un séminaire de terrain sur le site archéologique
de Saint-Martin du Val à Chartres, sous la responsabilité d’Hélène Dessales. Ce stage de
terrain « associait les séances de formation théorique et les exercices pratiques
d’analyses et de relevés »18. À la rentrée 2019, les deux parcours de l’ancien master PISA
sont devenus deux parcours du Master Humanités porté par l’ENS, dont le parcours
Mondes anciens : archéologie, histoire comporte un enseignement en archéologie de la
construction à travers des séminaires et des stages de terrain19, enseignement assuré
par Hélène Dessales. Notons aussi que l’ensemble de l’enseignement dispensé à l’ENS
est désormais intégré au Master PSL - Université de recherche Paris-Sciences-et-
Lettres20.
23 À l’université de Tours, la Mention Histoire, civilisations, patrimoine du Master en
Sciences Humaines et Sociales, propose un parcours sur les Métiers de l'archéologie et
archéomatique. Bien que ce parcours ne soit pas spécifiquement dédié à l’archéologie du
bâti, l’enseignement lui est en partie consacré, notamment à travers les UE de
spécialités, comme, par exemple Relevés architecturaux ou encore Archéologie de la
construction (Antiquité-Moyen Âge). Les UE sont dispensées en première et en deuxième
année.
24 L’université Lyon Lumière 2 propose également un enseignement professionnalisant en
archéologie du bâti dans le cadre du Master ASA – spécialité Archéologie de l’Espace Bâti
(AEB) –, co-accréditée avec Lyon 3 et en partenariat avec Lyon 121. Cet enseignement est
plus particulièrement axé sur un ensemble d’approches archéologiques, architecturales
et géologiques, en privilégiant les connaissances pratiques, telles que la création d’un
SIG (en M1), la photogrammétrie, la topographie et les relevés architecturaux (en M2)22.
25 Quant à l’université Paris-Nanterre, le Master en Sciences humaines et sociales,
mention Histoire de l’art, parcours Histoire de l’art, et la mention ASA, parcours
Archéologie, proposent la préparation aux concours de la conservation du patrimoine.
Le Master est centré sur les métiers liés à la conservation, aux musées et à la gestion du
patrimoine. La carte de ces deux formations est très riche ; l’enseignement
méthodologique occupe une place importante au sein de l’organisation de la maquette,
à travers des séminaires, comme, par exemple, Architectures et aménagements spatiaux
religieux et civils médiévaux, organisés sur deux semestres, ou encore La fabrique des
espaces médiévaux en Europe occidentale (1 et 2), dispensés par Brigitte Boissavit-Camus.
26 À l’université Bordeaux Montaigne, l’Archéologie du bâti est enseignée en première
année dans une seule UE du Master Histoire de l’art et archéologie (parcours Archéologie).
En deuxième année, l’archéologie du bâti apparaît comme un enseignement
transversal, dispensé par Anne Michel, au sein du Master Histoire de l'art et sciences
513

archéologiques - Master Archéologie23. Ce dernier expose dans un premier temps la


démarche scientifique de la restitution architecturale des édifices antiques à partir
d’études de cas présentant des problématiques différentes, tandis que la seconde partie
du cours s’attache à l’archéologie du bâti à proprement parler. Des séances d’exercice
de lecture du bâti sur le terrain complètent la formation.
27 Enfin, à l’université de Rennes, le Master ASA, cohabilité avec l’université de Nantes,
propose un tronc commun en première année où l’archéologie du bâti est traitée par le
biais des études sur les matériaux de construction. En deuxième année, le Master est
divisé en trois parcours et spécialisations, dont le parcours numéro 3, intitulé Métiers de
l’archéologie, est dispensé à Nantes. Quelques séminaires sont organisés sur l’Archéologie
de la construction, tandis que dans l’option Archéologie préventive du même parcours, les
étudiants peuvent suivre une formation à l’archéologie du bâti à travers un stage
collectif24. L’enseignement en archéologie du bâti est finalement assez complet, même
si la formation n’est pas clairement identifiée.
28 On relève une organisation semblable de l’enseignement à l’université Paul Valéry 3 de
Montpellier avec le Master 1 ASA, Parcours Ingénierie en archéologie préventive.
29 Nous ne pouvons pas ne pas mentionner ici aussi l’École de Chaillot qui assure, par le
biais de son Diplôme de spécialisation et d'approfondissement (DSA) et la mention
Architecture et patrimoine, la formation des architectes du patrimoine. Elle a pour
objectif d’apporter aux architectes une « culture de diagnostic » qui leur permet
« d’intervenir sur les domaines les plus variés couvrant ainsi l'ensemble du patrimoine
architectural, urbain et paysager »25. Bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une formation
classique, telle qu’on l’entend pour l’archéologie du bâti, l’existence d’une telle
approche, tout comme celle promue dans le Master ArAr de Strasbourg, est un gage
certain du rapprochement des deux disciplines, souvent trop éloignées, mais qui
partagent finalement le même objet d’étude et dont le travail collaboratif est une
nécessité.

4. D’autres formes d’enseignement en archéologie du


bâti
30 L’enseignement en archéologie du bâti est parfois dispensé ponctuellement par des
acteurs du milieu professionnel, par certaines écoles, ou bien même parfois en ligne,
souvent en complément des formations existantes. Nous avons
décidé d’évoquer seulement quelques-unes de ces options, en prenant en compte
uniquement les intervenants liés au milieu universitaire, tout en étant conscient que la
carte réelle d’une telle offre est largement sous-représentée dans ce bilan.
31 Ainsi, à l’université de Picardie Jules Verne (Amiens), l’enseignement est ici organisé de
manière ponctuelle par la plateforme UnivArchéo. Cette plateforme, qui se présente
comme un service d’archéologie préventive de l’Université de Picardie, fondé en 2012,
fonctionne comme un prestataire de services ; elle contribue à la recherche
archéologique au sein de l’Université en participant à des projets en lien avec des
unités de recherche et en coordonnant diverses opérations26.
32 D’autres types de formations ponctuelles et payantes existent ; c’est le cas par exemple
du Centre de Formation à la Réhabilitation du Patrimoine Architectural de l’école
d’Avignon, ou encore de Formation Entreprises du CNRS. Cette dernière forme aux
514

techniques de la « Photogrammétrie : du territoire au bâti » au sein du laboratoire


Archéorient - Environnements et sociétés de l'Orient ancien de la MOM, à Berrias-et-
Casteljau, ou encore aux « Méthodes et stratégies du relevé numérique 2D / 3D
appliquées aux monuments et sites patrimoniaux » à l’UMR MAP (Modèles et simulations
pour l'architecture et le patrimoine) de Marseille. Ces formations extra-universitaires
complètent la géographie de formation en archéologie du bâti, mais n’ont pas un
caractère systématique.
33 Enfin, on mentionnera quelques supports publiés en ligne qui complètent de manière
intéressante l’enseignement déjà existant : l’ENS de Paris publie une page intitulée
Archéologies en chantier alimenté par les étudiants de l’École Normale Supérieure, qui se
présente comme un outil pédagogique en ligne pour les étudiants ; c’est aussi un mode
d’information dynamique vers un public curieux d’archéologie. L’archéologie du bâti y
figure comme une méthode, présentée par un court texte27. L’ENS diffuse également des
cours en ligne.
34 Les enseignants et les équipes du TICE (Technologies de l’information et de la communication
pour l'enseignement) de l’Université Toulouse-Jean Jaurès (UMR 5608 Traces) ont
travaillé de concert pour créer un web documentaire : Comment lire un mur. Ce
webinaire créé par Bastien Lefebvre, en collaboration avec Nelly Poustoumis, propose, à
partir d’une série de vidéos, un parcours présentant les différentes étapes à suivre pour
réaliser une étude archéologique du bâti, depuis l’étude documentaire jusqu’à la
restitution des états anciens28. Le cadre retenu est celui de l’ancienne église Saint-
Martin à Moissac, qui présente une longue histoire architecturale, avec des états
échelonnés de l’Antiquité au XXe s.

5. Quelques réflexions en conclusion


35 En dressant ce bilan de l’instantané des cartes de formations en archéologie du bâti en
France, qui se veut le plus exhaustif possible, quelques pistes de réflexion s’imposent.
36 En premier lieu, force est de constater que très peu de Masters entièrement spécialisés
sont mis en place actuellement en France. Les universités fonctionnant désormais sur le
principe d’une « entreprise », un Master hautement spécialisé présente le risque de se
voir refuser par la direction son ouverture à quelques mois – parfois à quelques
semaines – du début des cours si le nombre d’étudiants n’est pas satisfaisant. Cela
explique certainement pourquoi autant d’universités adoptent des modèles de grands
masters à l’intérieur desquels on peut décliner l’enseignement « à la carte » et en
fonction de différentes spécialisations, où prend place notamment l’archéologie du bâti.
37 Le public cible impose également l’organisation de cette formation : outre les voies
classiques d’intégration des étudiants au niveau du Master recherche, ce sont les
milieux professionnels de l’archéologie préventive et de la politique culturelle qui sont
souvent visés. Certaines universités, comme, par exemple, Besançon, Strasbourg, Lyon
ou Toulouse, s’adaptent à cette demande potentielle, en proposant des calendriers et
des contenus adaptés à ces milieux professionnels.
38 En ce qui concerne le choix des approches d’enseignement et des sujets abordés, la
« géographie » de la formation est encore une fois très variée, tant dans le clivage entre
les approches théoriques et pratiques, voire méthodologiques, que dans le choix des
chronologies abordées. Encore une fois, très peu de formations, les plus complètes de
515

fait (cf. supra), adoptent une approche complète, en prenant soin d’harmoniser la part
de l’enseignement théorique et pratique, ou encore de considérer l’archéologie du bâti
comme une méthode appliquée à un objet-monument dans une perspective résolument
diachronique (c’est le cas à Strasbourg, Besançon ou encore à Bordeaux, par exemple).
Certains Masters sont très axés sur les nouvelles technologies, comme, par exemple
celui de l’université de Tours, où l’enseignement se situe entre la théorie et
l’application technologique, ou encore à Rennes et Nantes, où il est très technique,
compte tenu de son rattachement au cadre de l’option en archéologie préventive
(métiers de l’archéologie). On mentionnera aussi l’université de Toulouse et le Master
professionnalisant ATRIDA, qui se situe aussi entre la théorie et l’application
technologique. L’accent est fortement mis sur les nouvelles technologies, sans prendre
toujours soin de proposer une formation véritablement complète.
39 À partir de cette mosaïque de formations, il apparaît clairement que l’archéologie du
bâti est presque toujours synonyme d’archéologie médiévale. L’archéologie de la
construction – terme réservé à la période antique en France –, se démarque une seule
fois en tant qu’enseignement à part entière (à l’ENS de Paris), alors qu’elle apparaît
parfois comme partie intégrante de l’enseignement global en archéologie du bâti – dans
le cadre du Master ArAr de l’ENS d’Architecture et l’Université de Strasbourg, à
l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, au niveau de la première année du Master
ASA, à l’Université de Tours, de Besançon ou encore de Bordeaux Montaigne, bien que
de façon encore timide.
40 Quelques Masters restent très attachés à ce synonyme imposé entre le terme
« archéologie du bâti » et la période médiévale (voire moderne parfois) : comme, par
exemple, le Master MEMI (Master d’études médiévales interdisciplinaires) de l’Université de
Strasbourg, le Master ASA de l’université Aix-Marseille, celui de l’université Paris
Nanterre et partiellement celui de l’université de Bordeaux Montaigne, ainsi que le
Master en Histoire de l’art, parcours Urbanisme, architecture et techniques de construction
en “Cités historiques“ (à partir de 2020 : Patrimoine architectural. Étude et valorisation) de
l’université Lumière Lyon 2.
41 Face à une telle variété d’offre de formation, il semble nécessaire désormais qu’une
harmonisation de l’enseignement, comme on le préconise dans la recherche, soit
proposée sur la base d’échanges et de discussions collégiales. Il nous appartient
désormais d’établir un socle théorique, méthodologique, pratique et chronologique
commun de la formation, à l’image de ce qui a déjà été proposé au niveau de grandes
catégories de Masters.
42 Enfin, il me semble important à l’heure actuelle, en accompagnement de réflexions en
cours sur les enjeux des politiques patrimoniales et de la place de l’archéologie, d’être
en capacité de former de futurs spécialistes en archéologie du bâti capables d’endosser
le rôle d’acteurs incontournables dans la mise en place de protocoles d’études sur le
« bâti », ou la « construction ». Outre une harmonisation dans la transmission d’un
socle commun de savoir théoriques, méthodologiques et techniques, une plus grande
visibilité des formations en archéologie du bâti, en direction des étudiants comme des
institutions, est également une nécessité afin d’en assurer la pérennité et d’en
généraliser les pratiques : pour reprendre la citation de Dorothée Dérieux du début de
cet article, « La formation est une base pour de bonnes études du bâti et pour le
développement de la discipline ». J’ajouterais même pour la pérennisation de ses
bonnes pratiques.
516

NOTES
1. Sur ces questions épistémologiques, on se reportera notamment à la contribution
d’Alice Vanetti dans ce même ouvrage.
2. D ERIEUX D., « L’archéologie du bâti en Europe : comparaison entre la France et la
Suisse », Les Nouvelles de l’archéologie, 95, 2004, p. 47-50 (p. 49).
3. Les quatre autres parcours sont : Archéologie de l'Europe moyenne, Archéologie des
mondes méditerranéens, orientaux et égyptiens (AMMOE), Trinational bilingue des
sciences de l'Antiquité et Interdisciplinaire des mondes de l'Antiquité – MIMA. Source :
Master ASA 2021/2022, https://www.unistra.fr/etudes/decouvrir-nos-formations/par-
facultes-ecoles-instituts/sciences-humaines-et-sociales/faculte-des-sciences-
historiques/faculte-des-sciences-historiques/cursus/ME166?
cHash=08f510b98b0353b53b42c6bc759c9032.
4. Source : voir le lien note 3 puis cliquer sur l’onglet du parcours « Architecture et
Archéologie ».
5. Cette formation a cédé la place à d’autres formes d’enseignement en archéologie du
bâti que nous détaillerons plus loin dans le texte.
6. À partir de la rentrée universitaire 2020-2021, ce parcours se nommera « Patrimoine
architectural. Étude et valorisation ». Deux autres parcours sont : Arts et
mondialisation (XIXe-XXIe) et Arts et cultures visuels. Source : https://www.univ-
lyon2.fr/master-1-histoire-de-l-art-1.
7. Citation prise dans la plaquette du parcours : https://www.univ-lyon2.fr/medias/
fichier/temps-territoires-master-histoire-de-l-art-urbanisme-architecture-et-
techniques-de-construction-en-cites-historiques-web_1580137663554-pdf.
8. Les deux autres parcours sont : Archéologie, Culture, Territoire et Environnement
(ACTE) et Archéo-géo-sciences (AGES). Source : http://formation.univ-fcomte.fr/
master/archeologie-sciences-pour-larcheologie-archeologie-culture-territoire-
environnement.
9. https://www.u-bourgogne.fr/images/stories/odf/master/ff-archeologie-bati-m2.pdf ;
http://formations.univ-fcomte.fr (Master ASA).
10. Le deuxième parcours du Master ASA à l’Université de Toulouse se nomme « Arts,
Sociétés et Environnements de la Préhistoire et de la Protohistoire : Europe, Afrique
(ASE2P) ». Source : https://www.univ-tlse2.fr/accueil/navigation/formation-insertion/
decouvrir-nos-formations/les-masters.
11. Source : Fiche de présentation du parcours ATRIDA ( https://www.univ-tlse2.fr/
master-acquisition-traitement-restitution-par-l-image-des-donnees-en-archeologie-
atrida--386286.kjsp?RH=02Diplomes). Je remercie ici plus particulièrement Quitterie
Cazes de l’université Toulouse 2 pour les informations précieuses qu’elle m’a
transmises.
12. Livret guide du Master d’Études Médiévales Interdisciplinaires (2019-2020) :
https://etudes-medievales.unistra.fr/uploads/media/
Livret_guide_MEMI_2019-2020_avec_descriptifs.pdf.
517

13. Plaquette du parcours Archéologie médiévale et postmédiévale - Méditerranée,


mondes byzantin et musulman consultable en ligne : https://formations.univ-amu.fr/
plaquettes/ALLSH/ME5HSA-Master_Archeologie_sciences_pour_l_archeologie.
14. Les autres parcours sont : Milieux et sociétés de la Préhistoire ; Archéologie de la
Méditerranée antique : protohistoire et monde classique ; Bio-archéologie et approches
naturalistes des séquences anthropisées ; MoMArch - Master of Maritime and Coastel
Archeology.
15. Master cohabilité par les universités de Paris 1 Sorbonne, Padoue et Evora.
16. Source : https://www.pantheonsorbonne.fr/ecoles-doctorales/ed-archeologie/
description-des-travaux-des-equipes-de-recherche/archeologie-medievale-et-
moderne/.
17. Source UMR AOROC : http://www.archeo.ens.fr/Histoire-de-la-
construction-1761.html.
18. Source : UMR AOROC http://www.archeo.ens.fr/Archeologie-de-la-construction-
romaine-Stage-sur-site-2086.html.
19. La plaquette du Master peut être consultée via ce lien : https://www.master-
humanites.ens.psl.eu/IMG/pdf/mondes_anciens_enseignements_2019_2020.pdf.
20. https://www.ephe.fr/formations/
guide_master_histoire_de_lart_et_archeologie.pdf.
21. Deux autres spécialités proposées sont : Archéologie de l’Objet, du Geste et de la
Matière (AOGM) et Archéologie du Territoire et de l'Environnement (ATE).
22. Je tiens à remercier Anne Baud pour les précieuses informations fournies en
complément de la plaquette du Master publiée en ligne : https://www.univ-lyon2.fr/
master-1-archeologie-sciences-pour-l-archeologie-1#presentation.
23. https://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/formations/offre-de-
formation-2016-2020/master-XB/histoire-de-l-art-et-sciences-archeologiques-
HISTART.2/master-archeologie-MBR16_216/master-1-archeologie-MBW1_116.html.
24. Source : Livret pédagogique du Master ASA de l’UFR Histoire, histoire de l’art et
archéologie de l’université de Nantes. https://histoire.univ-nantes.fr/offre-de-
formation/offre-de-formation/master-archeologie-sciences-pour-l-
archeologie-2018399.kjsp.
25. https://www.citedelarchitecture.fr/fr/article/diplome-de-specialisation-et-
dapprofondissement.
26. Cela a été le cas jusqu’à tout récemment, mais nous ignorons si ces pratiques sont
toujours maintenues en 2019-2020.
27. http://www.archeologiesenchantier.ens.fr/spip.php?article19.
28. http://adb-uoh.univ-tlse2.fr/#AccueilÒ.
518

RÉSUMÉS
En dépit des premiers « tâtonnements » dès la fin des années 1970 en France d’une nouvelle
pratique d’analyses et de documentation des élévations, l’enseignement de l’archéologie du bâti
est intervenu tardivement dans les formations universitaires. Quelques « foyers » se démarquent
dans la seconde moitié des années 1990 autour d’acteurs pionniers de la discipline, comme à Paris
1 Sorbonne ou au Centre d’études médiévales d’Auxerre-UMR ARTEHIS. Ainsi, des stages
d’initiation aux techniques du dessin en archéologie du bâti et à la lecture archéologique des
élévations ont été entrepris au CEM dès 1998 et un poste d’enseignant spécialiste d’archéologie
du bâti a été ouvert en 2003 à l’université Paris 1 Sorbonne. Une petite décennie plus tard, on
peut encore évoquer des enseignements dispensés à Lyon 2 ou encore à Strasbourg, à partir tout
à la fois de l’histoire de l’architecture religieuse ou bien encore de l’archéologie castrale et
urbaine.
Parallèlement au développement de l’enseignement de l’archéologie du bâti médiéval, l’ENS
développe depuis quelques années la notion « d’archéologie de la construction » appliquée à
l’architecture antique.
Il est manifeste que plusieurs universités proposent désormais une formation – ou une initiation
– aux méthodes de l’archéologie du bâti sous différentes formes. Elle est parfois intégrée dans les
cours méthodologiques et archéométriques des Masters généraux en archéologie (comme c’est le
cas par exemple à Tours ou à Rennes), soit proposée en tant que parcours professionnel (comme
à Lyon ou plus récemment à Besançon), ou encore exceptionnellement proposée dans le cadre
d’une formation spécifique, comme c’est le cas du Master Architecture et Archéologie de
Strasbourg (héritier d’un DESS).
Si les pratiques de l’archéologie du bâti – sans être encore généralisées dans toutes les régions ni
clairement légiférées –, sont en voie d’être la norme en France, la formation reste cependant
insuffisante et peine à s’adapter aux nouveaux enjeux. Ceux-ci sont liés à la fois à différentes
attentes et exigences des nombreux acteurs institutionnels, comme à celles des « praticiens du
terrain », aux évolutions considérables des nouvelles technologies – avec leurs apports et leurs
limites – et à de nouveaux champs d’investigation. Pourtant, il semble important à l’heure
actuelle, en accompagnement de réflexions en cours sur les enjeux des politiques patrimoniales
et de la place de l’archéologie, d’être en capacité de former de futurs spécialistes en archéologie
du bâti capables d’endosser le rôle d’acteurs incontournables dans la mise en place de protocoles
d’études sur le « bâti ». Une plus grande visibilité des formations en archéologie du bâti, en
direction des étudiants comme des institutions, est également une nécessité afin d’en assurer la
pérennité et d’en généraliser les pratiques.

Despite the initial 'trials and tribulations' of a new practice of analysis and documentation of
elevations in France in the late 1970s, the teaching of building archaeology in university courses
came late. A few 'centers' stood out in the second half of the 1990s around pioneers of the
discipline, such as Paris 1 Sorbonne or the Centre d’études médiévales d'Auxerre-UMR ARTEHIS.
Thus, beginner’s trainings in drawing techniques for building archaeology and in the
archaeological reading of elevations were undertaken by the CEM as early as 1998, and a teaching
position specializing in building archaeology was created in 2003 at Paris 1 Sorbonne university.
A decade later, one can still mention the courses taught at Lyon 2 and Strasbourg, based on the
history of religious architecture or castral and urban archaeology.
Along with the development of the teaching of medieval buildings archaeology of medieval
519

buildings, the ENS has been developing for some years the notion of 'construction archaeology'
applied to ancient architecture.
Obviously several universities now offer training - or an introduction - to the methods of building
archaeology in various forms. It is sometimes integrated into the methodological and
archaeometric courses of the broad-based Masters’ degrees in archaeology (it is the case, for
example, in Tours or Rennes), or offered as a professional path (as in Lyon or, more recently, in
Besançon), or, exceptionally, taught within the framework of a specific cursus, as the Master's
degree in Architecture and Archaeology at Strasbourg university (heir of a DESS).
Although the practice of building archaeology is becoming the norm in France, it has not yet
been generalized in all regions or clearly legislated ; training remains insufficient and is
struggling to adapt to the new challenges. These are linked to the different expectations and
requirements of the many institutional players, as well as those of "field practitioners", to the
considerable developments in new technologies - with their contributions and their limits - and
to new fields of investigation. However, it seems important at this time, in conjunction with
ongoing reflections on the heritage policies issues and the place of archaeology, to be able to
train future specialists in the archaeology of buildings future specialists capable of assuming the
role of key players in the implementation of study protocols on the 'built environment'. A
greater visibility of training courses in the archaeology of buildings, aimed both at students and
institutions, is also necessary its sustainability and to generalize its practices.

INDEX
Keywords : teaching, masters, architecture, building archaeology, platform, web documentation
Mots-clés : enseignement, masters, architecture, archéologie du bâti, plateforme,
documentation web

AUTEUR
MORANA ČAUŠEVIĆ-BULLY

Maître de conférences en histoire de l'art et archéologie de l’Antiquité tardive et du haut Moyen


Âge, Université de Franche-Comté, UMR 6249 Chrono-environnement. Responsable de la
spécialité Archéologie du bâti (ARBA) du Master ASA.
morana.causevic-bully@univ-fcomte.fr
520

Des matériaux en questions


Questioning the materials
521

Intervenir sur du bâti urbain


domestique : les maisons d'Orléans
(France, Centre-Val de Loire)
Building archaeology on domestic urban housing : Orléans (France,
Centre-Val de Loire)

Clément Alix

Introduction
1 L’intérêt de l’archéologie du bâti pour l’étude de l’habitat civil urbain « ordinaire » a
été souligné dès les premiers travaux fondateurs ayant contribué à définir cette
pratique dans les années 19901. Cette méthode consiste ici à saisir les logements dans
leurs remaniements successifs grâce à une analyse stratigraphique de leurs éléments
construits, qu’ils soient conservés en élévation ou préservés sous forme de vestiges
enfouis en sous-sol2.
2 Depuis le début des années 2000, les maisons de la ville d’Orléans (Loiret, Centre-Val de
Loire) ont fait l’objet d’études d’archéologie du bâti, d’abord dans un cadre
universitaire, puis au travers du suivi d’une campagne de ravalement obligatoire des
façades, mais aussi lors de diagnostics et de fouilles. L’expérience poursuivie depuis une
vingtaine d’années permet d’établir certains constats. Malgré des disparités
administratives et réglementaires, les avancées sont significatives et Orléans est
devenue un site majeur concernant la connaissance de l’habitat urbain médiéval et
moderne, des maisons maçonnées et/ou en pan de bois, appréhendées de la cave au
toit.
3 Parmi les bâtiments étudiés ici, ceux encore conservés en élévation s’inscrivent dans
des dispositifs patrimoniaux différents et la majorité ne bénéficient pas de mesures de
protection étendues. Alors que depuis les années 1960 les principales villes du Centre-
Val de Loire ont fait l’objet de campagnes de réhabilitation et de mise en valeur dans le
cadre de la création de secteurs sauvegardés (Bourges en 1965, Chartres en 1964, Blois
522

en 1970, Tours en 1973, Chinon en 1968, Loches en 1968, Amboise en 1989, …), à Orléans,
le bâti ancien reste figé jusqu’au début des années 2000 sans qu’aucune véritable
stratégie patrimoniale ne se soit intéressée au devenir des élévations anciennes.
Néanmoins, le 4 février 2008 est créée une Zone de Protection du Patrimoine
Architectural Urbain et Paysager (ZPPAUP), devenue Site Patrimonial Remarquable
(SPR) en 2016, de 300 hectares, qui englobe notamment le secteur de l’intra-mail
correspondant aux limites de la dernière enceinte urbaine d’Orléans (ville « intra-
muros »). Parmi les 158 édifices de la commune protégés au titre des Monuments
Historiques et situés dans ce secteur de l’intra-mail, on dénombre aujourd’hui 43
habitations appartenant à la période considérée (Moyen Âge – début de l’époque
Moderne) : 16 classées et 27 inscrites3.

1. État des connaissances sur les maisons d’Orléans


avant 2000
4 À l’image de ce qui s’observe pour d’autres villes en France, c’est au cours du XIXe siècle
que plusieurs vestiges d’habitations anciennes remarquables suscitent à Orléans
l’intérêt d’érudits, de savants, d’archéologues amateurs ou d’architectes, et que
certaines de leurs spécificités sont signalées dans des études locales ou à portée
nationale4. Si Eugène Viollet-le-Duc, dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture
française, évoque rapidement les pans de bois orléanais5, Aymar Verdier et François
Cattois consacrent plusieurs monographies de leur recueil Architecture civile et
domestique au Moyen Age et à la Renaissance à des demeures de la ville6, tandis que
d’autres habitations en pierre ou en bois font l’objet de relevés par l’architecte Léon
Vaudoyer dans les années 1840 pour la Commission des Monuments Historiques (Fig.
1)7. À côté des dessins et commentaires descriptifs de ces études existent de
nombreuses gravures et vues d’artistes, qui, sans présenter la précision des
représentations précédemment citées, constituent d’intéressantes sources
iconographiques pour des bâtiments modifiés ou disparus suite aux opérations
urbanistiques du XIXe siècle ou à l’incendie de la ville en 1940. Citons ainsi les œuvres
de Charles Pensée d’Orléans8, de Jean-Henri Chouppe, d’Henri Poullain9 et plus
récemment les dessins de l’architecte Albert Laprade10.
523

Fig. 1. Relevés par l’architecte Léon Vaudoyer (1845) des élévations de maisons orléanaises en pierre
et en pan de bois des années 1500-1520, aujourd’hui détruites (A. DE BAUDOT, A. PERRAULT-DABOT,
Archives de la Commission des Monuments Historiques, Paris, 1856, t. 3, pl. 88) : anciennement 1 rue
de la Vieille-Peignerie (A) ; 14 rue de l’Aiguillerie-Sainte-Catherine (B) ; 15 rue de l’Ecrevisse (C) ; 20 rue
de l’Empereur (D) ; maison recomposée à partir d’éléments divers empruntés à d’autres maisons (E).

5 Dans le dernier tiers du XXe siècle, l’étude de l’habitat urbain orléanais est surtout
alimentée par les nombreuses découvertes faites lors des opérations archéologiques
menées depuis 1977, notamment grâce à la mise au jour de sols d’occupation, de
niveaux de démolition, de structures en creux (puits, latrines, fosses dépotoirs), de
limites parcellaires, de caves ou de murs de maisons11. Pour les maisons orléanaises
préservées en élévation, quelques observations ont également été réalisées par le
service de l’Inventaire général du patrimoine culturel12.

2. Les premières études d’archéologie du bâti, menées


dans un cadre universitaire
6 Le renouveau des études sur l’architecture civile en élévation va d’abord se développer
dans un contexte universitaire. Après un mémoire d’histoire de l’architecture en 1998
uniquement fondé sur un corpus d’édifices essentiellement sélectionnés en fonction de
l’intérêt de leurs décors caractéristiques de la seconde Renaissance13, c’est en 2000
qu’une première étude d’archéologie du bâti est menée sur une habitation en cours de
réhabilitation, classée au titre des Monuments Historiques, dans le cadre d’un mémoire
de l’Université de Tours, soutenue par le SRA grâce à la délivrance d’une autorisation
de sondage (site 45.234.107 ; Fig. 2)14. Elle est suivie par d’autres études universitaires
dans les années 2000 consacrées à l’habitat civil d’Orléans du Moyen Âge et du début de
l’époque moderne, sous la forme d’une synthèse ou de monographies15. Les données
issues des sources documentaires ont été confrontées aux observations sur des
bâtiments faisant l’objet de travaux de ravalement de façade ou des intérieurs,
interventions qui ont parfois été menées suite à une demande du Service
524

Départementale de l’Architecture et du Patrimoine (SDAP) du Loiret (actuel UDAP) ou


du SRA (Fig. 3)16. Ces études s’attachent également à prendre en compte les structures
bâties excavées. Des analyses de caves sont menées avec une autorisation de sondage
du SRA (en 2005, Fig. 2)17 ou avec le soutien du Service Archéologique Municipal
d’Orléans (SAMO, actuel Pôle d’Archéologie), qui favorise l’accès aux caves auprès des
propriétaires d’une rue ayant servi de zone test pour un inventaire accompagné de
relevés systématiques (en 2004)18.

Fig. 2. Études de bâti autorisées dans le cadre de sondages archéologiques programmés à Orléans,
2000-2019.

Fig. 3. Maison 7 rue Saint-Éloi (vers 1265), coupe longitudinale vers le sud et plan de la cave, étude de
bâti menée dans un cadre universitaire. Ce bâtiment s’appuie contre le mur de la maison voisine datant
du XIe siècle (relevé manuel et DAO C. Alix, 2003-2005).

3. Le suivi archéologique de la campagne des


ravalements de façades
7 En mars 2002, la municipalité d’Orléans s’est progressivement engagée dans une
politique de mise en valeur du centre-ville passant notamment par une campagne de
ravalement des façades d’immeubles encore effective aujourd’hui, grâce à un système
de subventions versées aux propriétaires19. En s’appuyant sur l’article 132-1 du Code de
525

la Construction et de l’Habitation, indiquant qu’une façade ravalée il y a moins de dix


ans n’est pas concernée par l’obligation de ravalement, la mairie d’Orléans notifie tous
les ans l’obligation de travaux sur les façades d’une centaine d’immeubles, visibles aux
deux tiers du domaine public, situées dans le périmètre de l’intra-mail. Ces travaux de
ravalement des façades sont soumis à une simple Déclaration Préalable de travaux et ne
sont donc que rarement conduits par un architecte. Entre 2002 et 2019, environ 1100
façades ont été rénovées.
8 Dans le cadre de cette campagne de ravalement, les premières façades dégagées sous
des enduits entre 2004 et 2005 ont parfois été accompagnées de rapides observations
patrimoniales, non consignées dans des rapports, menées par l’architecte des
Bâtiments de France et le médiateur du patrimoine du service archéologique de la ville
d’Orléans20. Le second a établi une première distinction entre ce qui est nommé « bâti
courant » et le « bâti singulier », cette dernière catégorie intégrant les édifices pouvant
faire l’objet d’une étude archéologique du bâti. En effet, devant l’ampleur du nombre de
façades remarquables mises au jour, notamment en pan de bois, il s’est avéré important
de réaliser des études archéologiques permettant à la ville et à l’UDAP d’asseoir les
choix de restauration demandés aux propriétaires sur une démonstration
archéologique, illustrée par des propositions de restitutions retraçant les différents
états de la maison depuis sa construction et prenant en compte ses multiples
évolutions. Cela a conduit la ville à recruter un archéologue du bâti qui a mené, entre
2006 et 2019, 75 études de bâti (EB) dans le cadre du suivi des ravalements de façade
(Fig. 4)21.

Fig. 4. Fréquence des 76 études de bâti (EB), non prescrites, menées dans le cadre du suivi
archéologique des travaux de la campagne des ravalements de façades de la ville d’Orléans,
2006-2019.

9 Parmi la quarantaine d’habitations médiévales ou modernes protégées au titre des


Monuments Historiques évoquées ci-dessus, 25 ont fait l’objet de travaux sur leurs
façades depuis les années 2000 et seulement 6 ont bénéficié d’une étude de bâti dans le
cadre du suivi des ravalements. Si la restitution des bâtiments peut servir d’outil à la
décision pour le service de l’urbanisme et parfois pour les architectes en charge des
restaurations, pour le Pôle d’Archéologie de la ville, ces études permettent avant tout
d’enregistrer et de sauvegarder les informations contenues dans ces façades avant leur
recouvrement, leur modification ou leur disparition lors des travaux, comme dans
526

n’importe quel autre chantier d’archéologie préventive : dispositifs architecturaux


anciens fragiles supprimés lors de changements de matériaux ou non restitués,
décapages des couches parfois ténues d’enduits et de pigments colorés, etc. Elles
constituent en outre une importante opportunité d’alimenter nos connaissances
relatives à des problématiques liées au fait urbain, aux techniques de construction et
aux modes d’habitat médiévaux et modernes.

Méthodes et contraintes

10 L’étude s’effectue durant l’intervention des entreprises de maçonnerie et de


charpenterie, dans un laps de temps contraint par le calendrier du chantier. Le
montage d’un échafaudage pour les travaux et la dépose des enduits de ciment
recouvrant les élévations permettent d’intervenir sur les élévations au moyen
d’observations rapprochées au plus près du mur, de réaliser des sondages et des
prélèvements de matériaux (mortiers de chaux, lapidaire, terres cuites architecturales)
pour étude et/ou datation. L’analyse repose sur un enregistrement stratigraphique des
éléments bâtis constituant les murs, accompagné de relevés manuels « pierre à pierre »
ou « bois à bois » à l’échelle du 1/20 (Fig. 5). Ces derniers sont parfois complétés de
relevés à l’échelle 1/1 pour des éléments de modénature, de menuiserie, de décor
sculpté ou peint.

Fig. 5. Élévation de la façade en pan de bois de la maison 8 rue du Bœuf-Sainte-Croix (EB 58),
construite vers 1485 (datation dendrochronologique), étude archéologique du bâti dans le cadre de la
campagne des ravalements de façades de la ville d’Orléans. Relevé manuel avec phasage, et
propositions de restitution (relevé et DAO C. Alix).

11 Les études de bâti menées dans le cadre des ravalements portent essentiellement sur
les élévations antérieures, donnant sur l’espace public (rues, places), ce qui ne permet
évidemment pas de comprendre toute la complexité des édifices. Si l’analyse des
façades s’avère riche en matière d’informations sur le développement urbain et les
techniques de construction, il est en revanche il est parfois plus délicat d’acquérir des
527

indices permettant de répondre aux questionnements liés aux circulations, aux


fonctions et aux utilisations de ces bâtiments. Pour tenter de corriger cette vision
partielle, les études s’accompagnent d’une visite des intérieurs, dès que cela est
possible. Elles permettent de faire des observations non destructives, dans le meilleur
des cas de la cave au comble, prenant par exemple en compte les plafonds, les façades
postérieures ou les bâtiments annexes donnant sur la cour. Peuvent aussi être
appréhendés les organes de circulation (escaliers, galeries, coursières), les équipements
liés au feu (cheminées), à l’eau et à l’hygiène (puits, latrines), au rangement (niches,
placards) ou au confort (coussièges), voire des structures artisanales ou de productions
domestiques. Ces observations sont évidemment tributaires du bon vouloir des
propriétaires et habitants qui autorisent ou non cette « intrusion » ; l’exercice devient
complexe dans le cas, très fréquent en centre-ville, des copropriétés ayant entraîné un
découpage de l’habitation ancienne en de multiples appartements.
12 Il arrive quelquefois que les propriétaires mènent des travaux dans les intérieurs des
maisons en même temps que ceux de la façade ravalée, notamment sous la forme de
tranchées de réseaux ou de fondations. Il en a été ainsi des 24-26 rue Saint-Etienne
(habitation de la 2e moitié XI e ou du XII e siècle en lien avec l’évêché) et du 8 rue des
Gobelets (maison d’un dignitaire religieux édifiée au XIIe siècle, agrandie aux XIVe, XVIe
et XVIIIe siècles) 22. Pour ce dernier site, ces travaux ont constitué une précieuse
opportunité pour observer des coupes du sol complétant les informations acquises sur
les élévations grâce à l’étude de bâti (Fig. 6).

Fig. 6. Maison 8 rue des Gobelets (EB 59), étude archéologique du bâti dans le cadre de la campagne
des ravalements de façades de la ville d’Orléans complétée par une analyse des espaces intérieurs.
Plan du rez-de-chaussée, élévations de la façade de 1367 (datation dendrochronologique) et du mur
sud s’appuyant contre une maison du XIIe siècle (relevé manuel et DAO C. Alix, Pôle d’Archéologie, ville
d’Orléans).

4. L ’archéologie du bâti dans le cadre de l’archéologie


préventive
13 Entre 2000 et 2019, 5 opérations d’archéologie préventive portant spécifiquement sur
du bâti ont été prescrites et/ou autorisées par le SRA concernant la ville d’Orléans, 2
diagnostics et 3 fouilles (Fig. 7).
528

Fig. 7. Études de bâti prescrites dans le cadre de l’archéologie préventive à Orléans, 2000-2019.

14 Trois de ces opérations se rapportent directement à des problématiques liées à l’habitat


urbain. La fouille de la maison médiévale 9 rue des Trois-Maries (XIIIe siècle) constitue
un cas de sauvetage nécessité par l’urgence absolue, prolongé ensuite par un sondage
archéologique mené dans le sol de la cave. Pour le diagnostic de la cave médiévale de la
Préfecture de région 181 rue de Bourgogne (classée MH, XIIIe siècle), d’abord considérée
comme une cave du prieuré, l’étude a démontré qu’elle dépendait initialement d’une
maison avant d’être intégrée au XVIIe siècle dans l’établissement religieux. En amont de
travaux de renfort, cette étude devait s’accompagner de sondages au sol de la cave dont
la prescription demandait à ce que les emplacements soient déterminés en
« concertation » avec l’Architecte en Chef des Monuments Historiques (ACMH) en
charge du chantier.
15 Deux autres opérations de bâti prescrites ne portaient pas spécifiquement sur de
l’habitat civil, puisqu’il s’agissait de la fouille d’une chapelle Renaissance du cimetière
de la ville (classé MH) et de la fouille d’un tronçon de l’enceinte urbaine antique et
médiévale. Toutefois, des vestiges d’habitations ont été observés dans les deux cas
(édifice funéraire transformé en habitation à la Révolution pour le premier site ; traces
de maisons médiévales et modernes adossées à la courtine pour le second).
16 Ces interventions sont, du point de vue méthodologique, parfaitement similaires à
celles menées dans le suivi de la campagne des ravalements de façade : une fouille des
murs, un enregistrement stratigraphique réalisé dans une même base de données
commune au Pôle d’Archéologie et des relevés manuels à l’échelle du 1/20. Ces derniers
ont été complétés ici par l’usage de la 3D pour l’obtention de relevés d’ensemble de
l’édifice.

L’emploi de la 3D

17 Le scanner 3D (un « FARO focus 3D » appartenant à la MSH Centre-Val de Loire,


université de Tours), a été utilisé pour réaliser un relevé de l’ensemble de la maison 9
529

rue des Trois-Maries en complément des dessins manuels effectués sur les élévations
fouillées (murs pignons, parois en pan de bois du comble ; mur oriental du rez-de-
chaussée ; sondage de la cave). Dans le cadre contraint de cette intervention de
sauvetage urgent, l’usage du scanner 3D pour le relevé général de l’immeuble est censé
procurer un gain temps pouvant être consacré à l’analyse sur le terrain. Concrètement,
le découpage de l’immeuble en plusieurs corps de bâtiments et en de nombreux
appartements a rendu complexe la réalisation de ce relevé (difficultés d’accès auprès
des locataires et propriétaires à une date commune afin de mener le cheminement des
multiples stations). Malgré tout, ce type de relevé est appréciable pour la
compréhension de l’agencement des différents espaces imbriqués constituant cet
édifice (Fig. 8). Pour le diagnostic de la cave de la Préfecture, les relevés des sondages et
de certaines élévations ont été réalisés manuellement, mais un relevé d’ensemble du
second niveau de cave a été exécuté par scanner 3D selon le cahier des charges de la
prescription et en concertation avec l’ACMH, puisque les plans et coupes qui en sont
issus devaient également servir aux travaux à réaliser.

Fig. 8. Maison 9 rue des Trois-Maries / 272 rue de Bourgogne, fouille de sauvetage urgent (45.234.260
AH), sondage archéologique et étude pour la CRMH (2015). Coupe longitudinale vers l’est (relevé par
scanner 3D, F. Épaud, LAT, université de Tours) et restitution de l’habitation de 1257 (C. Alix, Pôle
d’Archéologie, ville d’Orléans).

18 L’emploi de la photogrammétrie s’est également avéré utile pour effectuer les relevés
d’ensemble de grandes élévations non échafaudées sur la zone nord de la fouille de la
vinaigrerie Dessaux (courtine longue de 42 m et haute de 8,50 m) ou pour les façades
extérieures de la chapelle Saint-Hubert dont la majeure partie des murs avait déjà
perdu leur enduit23. Là encore, ces éléments ont été complétés par des relevés manuels
effectués à la nacelle lors de la fouille de la courtine, ou après la pose des échafaudages
pour le second site.
19 Toujours dans le cadre de l’archéologie préventive, il convient d’évoquer ici les
observations sur le bâti réalisées au cours des diagnostics et fouilles habituellement
menés dans le centre-ville, mettant fréquemment au jour des vestiges d’habitats le plus
souvent maçonnés (Fig. 9). Cela est particulièrement fréquent pour les murs de caves et
de fondations de maisons mais, plus globalement, l’archéologie du bâti est aussi requise
dans ce contexte pour traiter des vestiges d’autres catégories d’édifices, tels des églises
(Saint-Paul) ou des fortifications urbaines (Porte Bannier place du Martroi ; La Motte-
Sanguin ; Dupanloup ; porte Renard place De Gaulle). Depuis 2000, un peu moins d’une
vingtaine de sites ont nécessité des observations sur le bâti menées par l’Inrap entre
2000 et 2011, puis par le Pôle d’Archéologie de la Ville d’Orléans (Fig. 10).
530

Fig. 9. Fouille du parking souterrain de la place du Cheval-Rouge (45.234.184 AH) en 2012 (S. Jesset
dir., Pôle d’Archéologie, Ville d’Orléans), cave à cellules latérales de la maison dite de l’Âne-qui-Veille,
construite au XIIIe siècle à l’emplacement d’un cimetière IXe–Xe siècle. Extrait du plan de la fouille (J.
Courtois) et coupe transversale avec élévation du mur oriental (relevé manuel et DAO C. Alix, M. Pâris).

Fig. 10. Principales opérations d’archéologie préventive « sédimentaires » (diagnostics, fouilles,


surveillances de travaux de voirie) incluant des observations sur du bâti civil à Orléans, 2000-2019.
531

5. L’archéologie du bâti dans le cadre de l’archéologie


programmée
20 Des études sur du bâti domestique urbain ont également été menées dans le contexte de
l’archéologie programmée, soumise à autorisation. Il en est ainsi de la Prospection
Thématique Pluriannuelle « Caves Intra-Muros d’Orléans » entre 2015 et 2017, qui
s’adosse à un Appel à Projet d’Intérêt Régional (AIPR) appelé « SICAVOR » (Système
d’Information Contextuel sur les CAVes d’Orléans) soutenu par la région Centre-Val de
Loire, qui rassemble plusieurs partenaires académiques et non académiques (Fig. 11)24.-

Fig. 11. Caves recensées dans le cadre du programme de recherche « Système d’Information sur les
Caves d’Orléans » (SICAVOR), dans l’intra-mail d’Orléans, avec localisation des enceintes urbaines et du
quartier Saint-Aignan au sud-est (en rouge) (Pôle d’Archéologie, ville d’Orléans).

21 L’objectif de SICAVOR est, par le biais d’une analyse historique, archéologique,


architecturale et géologique des sous-sols de la ville d’Orléans, d’inventorier l’habitat et
les trames urbaines anciennes. La démarche a également pour objectif de mettre en
place des protocoles d’étude et une chrono-typologie des cavités, en définissant des
méthodologies d’analyse pluridisciplinaire à l’échelle d’un quartier, qui soient
transposables à d’autres secteurs de la ville ou à d’autres communes. La recherche a été
menée à deux échelles : celle de la ville dite intra-muros25 où environ 800 cavités sont
inventoriées, afin d’appréhender le paysage souterrain orléanais dans sa globalité et
d’avoir un référentiel suffisant pour établir des typologies efficientes ; celle d’un
quartier, Saint-Aignan (au sud-est de l’intra-muros où 98 sont pour l’instant recensées),
où les investigations ont été plus systématiques (recherche documentaire, prospection
de terrain et étude de bâti). Certaines caves étudiées dans ce programme de recherche
correspondent aux substructions des bâtiments dont les façades sont étudiées dans le
cadre du suivi des ravalements de façade.
22 Parmi les caves inventoriées, quelques-unes ont fait l’objet d’études de bâti avec
enregistrement stratigraphique des maçonneries ainsi que de sondages
532

stratigraphiques ponctuels, et 31 ont été relevées au scanner 3D (27 avec le FARO de la


MSH Centre Val-de-Loire et 4 avec le scanner portatif ZEB Revo du BRGM ; Fig. 12)26.

Fig. 12. Cave de la maison 103 rue de Bourgogne (SICAVOR 41), fin XIIIe - XIVe siècle (datation 14C),
étude archéologique du bâti dans le cadre du programme de recherche SICAVOR. a : localisation de la
cave sur la parcelle ; b : vue du second niveau de cave en cours de relevé par scanner 3D (Cl. C Alix) ; c :
plan du second niveau ; d : coupe longitudinale vers l’ouest (relevés par scanner 3D et DAO D.
Morleghem).

23 Rentrent également dans le cadre de l’archéologie programmée les quelques opérations


de sondage menées dans des maisons et en particulier dans leurs caves, comme cela a
déjà été évoqué plus haut au sujet des travaux universitaires (Fig. 2).

6. L’archéologie du bâti et les commandes d’études par


la Conservation Régionale des Monuments Historiques
24 À Orléans, la Conservation Régionale des Monuments Historiques (CRMH) a passé
commande de deux études de bâti auprès du Pôle d’Archéologie de la ville. La première,
décidée après concertation entre le SRA, la CRMH et l’UDAP, a été conduite en parallèle
de la fouille de sauvetage urgent portant sur certains espaces intérieurs de la maison
médiévale 9 rue des Trois-Maries (Fig. 8). Elle visait à prolonger cette dernière à partir
d’observations sur les élévations, de relevés complémentaires, d’une recherche
documentaire et d’une nouvelle campagne de datations dendrochronologiques,
l’ensemble devant former une étude de synthèse sur l’édifice, susceptible d’alimenter
un dossier de demande de protection. Ces données ont fait l’objet d’un rapport commun
avec celui de la fouille.
25 Après entente entre les services de la DRAC, la seconde étude commandée par la CRMH
porte sur les façades inscrites (MH) d’un hôtel particulier Renaissance situé 11 rue
Étienne-Dolet / rue Parisie, préalablement à leurs futurs travaux de restauration. Dans
ce dernier cas, les parements en brique des façades ont été relevés par
orthophotographies, réalisées notamment avec un drone, avant la future pose des
échaudages devant permettre les observations sur le bâti. Le drone a également été
533

employé pour réaliser des clichés des épis de faîtages et bandes faîtières en métal
supposés appartenir à la phase de construction du bâtiment.
26 Il convient de remarquer que si ce dernier édifice inscrit a fait l’objet d’une étude de
bâti, cela n’a pas été le cas d’un grand nombre de demeures ayant reçu des travaux de
nature et d’ampleur similaire (par exemple : hôtel dit de la Vieille-Intendance 26-28 rue
de la Bretonnerie ; hôtel Groslot 1 place de l’Étape ; hôtel d’Hector de Sanxerre 211 rue
de Bourgogne / rue de la Poterne ; hôtel Cabu ; maison dite de Ducerceau rue
Ducerceau ; maison d’Alibert 6 place du Châtelet ; hôtel des Créneaux 1 place de la
République). Un autre cas est singulier : pour la maison à façades en brique ou en pan
de bois du 20 place du Châtelet, propriété de la ville d’Orléans et récemment classée au
titre des Monuments Historiques (arrêté du 19 mars 2009) avec l’appui d’observations
menées par le service archéologique municipal d’Orléans en 2007, les travaux menés
depuis 2018 à l’intérieur et sur les façades n’ont pas été accompagnés de demande de
suivi archéologique. En contrepartie, les intérieurs de ce bâtiment ont pu être
documentés et relevés dans le cadre d’un sujet de mémoire de Master en archéologie
permettant de pallier partiellement la perte d’informations induite par les travaux27.
27 Enfin, signalons que la CRMH a également financé à Orléans plusieurs datations
dendrochronologiques, aussi bien dans le cadre de ses études sur édifices protégés,
qu’en parallèle du suivi des ravalements de façade pour des bâtiments classés, ou dans
un contexte de soutien aux travaux universitaires.

Bilan
28 Les études de bâti menées depuis 2000 sur les maisons d’Orléans ont permis des
avancées significatives dans la connaissance de l’habitat urbain médiéval et moderne.
29 Concernant le corpus, on peut noter qu’aucune habitation antérieure au XVe siècle
n’était identifiée en élévation à Orléans avant 2000. Ces études diverses ont donc
permis de mettre en évidence les vestiges de plusieurs dizaines de maisons des XIe-XIVe
siècles au travers de l’étude de caves et celliers (environ 112)28 mais aussi grâce à celles
des élévations conservées hors sol, puisque plusieurs façades en pierre, plus rarement
en pan de bois, des plafonds ou des charpentes de comble antérieures au XVe siècle ont
été analysés (Fig. 3, Fig. 8)29. La pratique de l’archéologie du bâti s’est avérée cruciale
pour reconnaître et restituer, même de manière partielle, les états initiaux de ces
logements médiévaux ayant tous été extrêmement remaniés dans la seconde moitié du
XVe siècle ou à l’époque moderne.
30 En compléments des données issues des fouilles et diagnostics, ces études nous
informent également sur les dynamiques de développement de l’habitat dans les
différents quartiers de la ville. Certains sites, comme au 7 rue Saint-Éloi, illustrent la
mise en place progressive d’habitations au cours du XIIe siècle dans un parcellaire où le
bâti encore lâche va se densifier au cours du XIIIe siècle (Fig. 3). Par ailleurs, les très
nombreux édifices construits ou transformés dans la période qui suit la fin de la guerre
de Cent Ans illustrent parfaitement le considérable renouvellement urbain de la
deuxième moitié du XVe siècle et du XVIe siècle, aussi bien dans le noyau anciennement
bâti correspondant à l’emprise de la ville enclose du Bas-Empire que dans les faubourgs
inclus dans de nouvelles enceintes à l’extrême fin du Moyen Âge30.
534

31 La systématisation des études a apporté nombre d’informations sur les techniques de


construction, en particulier sur celles relatives au pan de bois (Fig. 13)31. Elles
renseignent les étapes de la chaîne opératoire depuis le transport des chênes sur la
Loire jusqu’à leur traitement esthétique final par la réalisation de décors sculptés et la
pose de pigments colorés (Fig. 5)32. L’usage d’un autre matériau, la brique, connaît un
renouveau à la fin du Moyen Âge, sous forme de hourdis de pan de bois mais aussi
comme élément principal du parement externe des bâtiments. La maison édifiée par le
roi Louis XI au 10 Cloître Saint-Aignan, avec ses murs en briques et pierre, en constitue
l’un des plus anciens témoins connus dans le Val de Loire (charpente de comble :
automne-hiver 1479-1480), légèrement antérieur au château du Plessis-les-Tours
(charpente de comble : automne-hiver 1491-1492) et au château de sa fille, Anne de
Beaujeu, à Gien (charpentes de comble et plafond : entre 1481 et 1493)33.

Fig. 13. Répartition chronologique des principaux matériaux de construction des 76 façades étudiées
dans le cadre du suivi archéologique de la campagne des ravalements de la ville d’Orléans, 2006-2019.

32 La multiplication des dendrochronologies depuis les années 2000 constitue un


référentiel de 105 édifices datés par cette méthode, ce qui forme le plus important
corpus pour une ville française (Fig. 14). Il comprend 100 maisons parmi lesquelles 81 à
façade en pan de bois. L’une d’elles datant du milieu du XIIIe siècle constitue
actuellement l’exemple le plus ancien, daté par dendrochronologie, de façade en pan de
bois de maison urbaine en France (1257, Fig. 8). Les autres méthodes, notamment la
mesure du radiocarbone de charbon de bois dans des mortiers de chaux, ont confirmé
les datations d’habitations « romanes » (XIe - 1 ère moitié XII e siècle : 24-26 rue Saint-
Étienne ; XIIe siècle : 8 rue des Gobelets, Fig. 6) ou la datation d’un type spécifique de
caves-carrières des XIIIe-XIVe siècles (103 rue de Bourgogne, 52 rue Saint-Euverte, 181
rue de Bourogne, 17-21 rue de la Tour-Neuve ; SICAVOR 41, 56, 134, 160, Fig. 12).
535

Fig. 14. Datations dendrochronologiques d’une centaine de maisons à Orléans (2005-2019).

33 Le rang des commanditaires et des habitants de ces maisons peut parfois être approché
par l’observation des équipements et des structures de confort, des décors peints ou
sculptés sur les façades ou les plafonds (Fig. 15)34, mais aussi les éléments dits de
second-œuvre de l’architecture (Fig. 16)35.

Fig. 15. Décor peint (XVIe – XVIIIe siècle) représentant deux bâtiments à pignons sur rue (dont un en
pan de bois), à l’intérieur de la maison 34 rue de la Charpenterie (construction en 1519 ; façade inscrite
MH). Étude d’archéologie du bâti dans un cadre universitaire, relevé manuel (relevé et DAO C. Alix,
2006).
536

Fig. 16. Relevé d’un vantail avec panneau de verre dans un jour de la maison canoniale 7 rue des
Gobelets (relevé et DAO C. Alix).

34 L’exemple du suivi archéologique des ravalements de façade d’Orléans constitue un


type d’intervention particulier dont la procédure, évoquée plus haut, découle de
l’accord conduit dans les années 2000 entre la municipalité, l’ABF et l’archéologue du
SRA en charge de la ville d’Orléans. Ainsi, grâce à l’investissement fourni par la ville, les
travaux de ravalements se sont accompagnés de nombreuses études financées par la
collectivité. Du point de vue de la ville, ce système permet de n’avoir qu’un seul
interlocuteur, ce qui implique selon elle une meilleure maîtrise et une simplification
des démarches administratives. Par contre, ces interventions ne peuvent être
examinées par la Commission Territoriale de la Recherche Archéologique du fait de
l’absence d’autorisations délivrées par le SRA, ce qui ne permet pas d’intégrer
clairement ces nombreuses études dans l’activité d’archéologie préventive du Pôle
d’Archéologie de la ville d’Orléans, ni d’avoir un retour d’expertise sur les données
brutes des rapports36.
35 Si l’on compare à l’échelle de la région, pour la même période (années 2000-2010) et le
même sujet d’étude (habitat urbain), la pratique de l’archéologie du bâti a été requise
pour plusieurs travaux universitaires, consacrés essentiellement à la ville de Tours,
mais aussi celle de Beaulieu-lès-Loches et de Loches37. En outre, 17 opérations
d’archéologie du bâti portant spécifiquement sur des maisons urbaines ont été
prescrites et/ou autorisées par le SRA durant les années 2000-2010 (Fig. 17), parfois
comme sauvetage urgent suite à une découverte fortuite en cours de travaux, mais le
plus souvent sous la forme d’un diagnostic rarement suivi d’une fouille. S’ajoutent
également des études de bâti sur des habitations menées dans le cadre de l’archéologie
programmée, sous la forme d’une autorisation de sondage dans une cave médiévale à
Bonneval en Eure-et-Loir (2003, 2013-2015)38 ou d’une prospection thématique comme
537

celle portant sur l’habitat civil de la vallée du Loir (2018-2020)39. Enfin, 11 études de bâti
de maisons urbaines commandées par la CRMH ont été confiées au Cabinet Arcade ou
au Centre d’Études Médiévales d’Auxerre (Fig. 18).

Fig. 17. Études de bâti prescrites et/ou autorisées dans la région Centre-Val de Loire, dans le cadre de
l’archéologie préventive, portant sur des maisons urbaines (habitat médiéval/moderne), principalement
en élévation, 2000-2019.

Fig. 18. Études de bâti commandées par la CRMH en région Centre-Val de Loire, portant sur des
maisons urbaines (habitat médiéval/moderne) en élévation, 2000-2019.
538

36 En définitive, les résultats importants acquis sur l’habitat orléanais depuis une
vingtaine d’années découlent nécessairement du très grand nombre d’interventions
archéologiques du bâti, qui se sont inscrites dans des cadres d’intervention hétérogènes
(Fig. 19). La multiplicité des cadres administratifs et réglementaires caractérisant
aujourd’hui les études archéologiques sur du bâti domestique urbain s’observe aussi
dans plusieurs autres villes et régions (Fig. 20), ce qui soulève naturellement un certain
nombre de questions et de débats40. À Orléans, l’expérience du suivi archéologique
systématique accompagnant la campagne des ravalements de façades reste un cas
particulier. Reposant sur un accord de principe entre la ville, le SRA et l’UDAP, il
s’inscrit dans un vide réglementaire ; il a toutefois permis de réaliser des études
d’archéologie du bâti en série, qui malgré un processus imparfait, ont contribué à faire
d’Orléans une des communes les plus avancées en termes d’analyse de l’habitat.

Fig. 19. Localisation des études archéologiques du bâti (prescrites/autorisées ou suivi des
ravalements de façade) sur de l’habitat médiéval ou moderne d’Orléans, 2000-2019.
539

Fig. 20. Comparaison des cadres d’interventions des études archéologiques du bâti menées sur de
l’habitat urbain médiéval ou moderne à Orléans et dans la région Centre-Val de Loire.

NOTES
1. ARLAUD C., BURNOUF J. , « Dossier : l’archéologie du bâti médiéval urbain », Les nouvelles
de l’archéologie, 53-54, 1993, p. 3-69 ; voir notamment : ARLAUD C. , « Lyon : archéologie du
bâti civil sur les deux rives de la Saône », p. 7-11 et SAPIN C. , « Etude archéologique /
étude du bâti : Autun, un quartier épiscopal et canonial », p. 13-18. Plusieurs études de
cas sur de l’habitat civil urbain dans les Journées d’études : Archéologie du bâti, Pont-à-
Mousson (20, 21, 22, 23 septembre 1994), non publiées. ARLAUD C., « L’archéologie du bâti »,
in ESQUIEU Y., PESEZ J.-M. dir., Cent maisons médiévales en France (du XIIe au milieu du XVI e
siècle). Un corpus et une esquisse, Paris, 1998 p. 27-29 (Monographie du CRA, 20) ; BURNOUF
J., « Discours d’introduction », in PARRON-KONTIS I., REVEYRON N. éd., Archéologie du bâti.
Pour une harmonisation des méthodes, Paris, 2005, p. 9-12.
2. JOURNOT F., « Un champ d’application prometteur : archéologie du bâti et maison de
ville », in BURNOUF J., ARRIBET-DEROIN D., DESACHY B., JOURNOT F., NISSEN-JAUBERT A. dir.,
Manuel d’archéologie médiévale et moderne, Paris, 2009, p. 170-196 ; HUSER A.,
« L’archéologie du bâti, sa méthode et ses applications en contexte préventif à travers
quelques exemples de terrain », in BOLLE C., COURA G., LÉOTARD J.-M. dir., L’archéologie des
bâtiments en question. Un outil pour les connaître, les conserver et les restaurer, Namur, 2014 ,
p. 49-64. MATAOUCHEK V., « Des murs muets… aux stratifications maçonnées : derrière
l’apparente homogénéité des maçonneries », Archéopages, Hors-série 3, 2012, p. 180-187.
540

3. Toutes correspondent à des maisons ou à des hôtels particuliers de la Renaissance,


voire du XVIIe siècle. Font exception deux parties d’habitations du XIIIe ou du XIV e
siècle (hôtel des Créneaux 1 place de la République ; cave de la Préfecture 181 rue de
Bourgogne). Deux anciennes maisons se trouvent à l’intérieur de bâtiments classés sous
une autre appellation que celle d’« habitation » ; leur identification en tant que maison
s’est effectuée grâce à des études archéologiques du bâti (maison XIIIe siècle de l’hôtel
des Créneaux intégrée dans l’ancien hôtel de ville ; habitation de la fin du XVIe siècle
rue Dupanloup, intégrée dans le palais épiscopal construit au XVIIe siècle).
4. VERGNAUD-ROMAGNÉSI C., Histoire de la ville d’Orléans, de ses édifices, monuments,
établissements publics, etc., Orléans, 1830 ; BUZONNIÈRE L. DE, Histoire architecturale de la ville
d’Orléans, Paris-Orléans, 1849, 2 vol. ; BIÉMONT R., Orléans, Orléans, 1880 ; DUMUŸS L.,
« Recherches sur les catacombes d’Orléans », Procès-verbaux de de la Société d’agriculture,
sciences, belles-lettres et arts d’Orléans, 27, 1888, p. 235-238 ; JARRY E., « Orléans. Hôtels et
maisons », in Congrès Archéologique de France, 93e session, 1930, p. 136-177.
5. VIOLLET-LE-DUC E., « Maison » et « Pan de bois », in Dictionnaire raisonné de l’architecture
française, Paris, 1854-1868, t. 6, p. 264-265 ; t. 7, p. 50.
6. VERDIER A., CATTOIS F., Architecture civile et domestique au Moyen Âge et à la Renaissance,
Paris, 1855-1857, t. 1, p. 165-171 ; t. 2, p. 118-120, 123-124.
7. BAUDOT A. DE, PERRAULT-DABOT A., Archives de la Commission des Monuments Historiques,
Paris, 1856, t. 3.
8. PENSÉE C., Histoire architecturale d’Orléans. Anciens monuments religieux, civils et militaires
les plus remarquables de cette ville, Orléans, 1849 ; GORGET C., NOTTER A. dir., Charles Pensée,
un dessinateur romantique à Orléans, Orléans, 2001.
9. POULLAIN H.-P., Album. Architecture Divers styles, dessinés et autographiés par l’auteur,
Orléans, s.d.
10. LAPRADE A., Les carnets d’architecture d’Albert Laprade, Paris, 2006, p. 235-239.
11. Principales fouilles entre 1977 et 2000 ayant livré des informations sur l’habitat civil
médiéval-moderne : 3 rue Saint-Pierre-Lentin (45.234.001) 1977-1978 (cave, latrines) ;
Saint-Michel (45.234.005) 1979-1980 (maisons XIIIe siècle de l’ancienne rue Guillaume
Prousteau) ; Mail-Pothier (45.234.012) 1980-1981 (3 maisons XIIIe siècle) ; place Louis XI
(45.234.015 ; cave du XIIIe siècle) ; hôtel Pommeret rue d’Escures (45.234.023) 1985 et
1987 (cave XIIIe siècle) ; 191 rue de Bourgogne (45.234.072) 1996 (cave XII e-XIIIe siècle) ;
29 rue Porte-Saint-Jean (45.234.065) 1994 et 1996 (parcellaire fin XVe–début XVIe
siècle) ; îlot de la Charpenterie (45.234.093) 1997-2000 (parcellaire, caves de maisons
médiévales et modernes).
12. Pour Orléans, les dossiers conservés au centre de documentation de l’Inventaire du
patrimoine de la région Centre-Val de Loire datent souvent des années 1960-1980. Des
opérations ponctuelles plus récentes ont porté sur la rue des Carmes (2006 ; Dossier
IA45001381) et sur le quartier Saint-Euverte (1989 réactualisé années 2010 ; Dossiers
IA45002712 et IA45003198 ) : (https://patrimoine.regioncentre.fr/gertrude-diffusion/
dossier/rue-des-carmes/5c8096a3-e8cf-47bc-8512-c3ba93275058 ; https://
patrimoine.regioncentre.fr/gertrude-diffusion/dossier/quartier-saint-euverte/
d8845cca-7fd1-4ed5-9d11-0ea8bc9bccd5 ; https://patrimoine.regioncentre.fr/gertrude-
diffusion/dossier/les-maisons-du-quartier-saint-euverte-d-orleans/bb69fac7-
bc91-477b-9c60-2829e934e2a4).
541

13. ROUGERIE C., La demeure de la seconde Renaissance à Orléans, mémoire de Maîtrise d’histoire
de l’art et d’archéologie ( MIGNOT C. et GUILLAUME J. dir.), CESR/Université de Tours, 1998,
4 vol.
14. ALIX C., La maison 4 rue des Trois-Maillets à Orléans : étude archéologique du bâti, mémoire
de Maîtrise ( JOURNOT F. dir.), Université de Tours, 2001, 2 vol. ; ID., « Orléans, étude de
l’habitat urbain : l’exemple de la maison 4, rue des Trois Maillets, vers 1500 », Bulletin
Monumental, 162-3, 2004, p. 208-211.
15. ALIX C., L’habitat à Orléans à la fin du Moyen Âge, mémoire de DEA ( SALAMAGNE A. dir.),
Université de Tours, Tours, 2002, 3 vol. ; DREYFUS Z., L’hôtel Toutin, 26 rue Notre-Dame-de-
Recouvrance à Orléans, étude archéologique du bâti, mémoire de Master 1 (SALAMAGNE A. dir.),
Université de Tours, 2005, 2 vol. Plus récemment : FOURNIER I., La maison du cloître Saint-
Pierre-Empont (Orléans) : analyse architecturale, mémoire de Master 1 en archéologie (ÉPAUD F.,
ALIX C. dir.), Université de Tours, 2017, 2 vol. ; CHARTIER M., Études des habitations du n° 20
de la place du Châtelet et réflexion sur le parcellaire ancien du quartier des Halles-Châtelet
(Orléans), mémoire de Master 2 en archéologie (ÉPAUD F., ALIX C. dir.), Université de Tours,
2018, 2 vol.
16. Exemples de demandes du SRA (Olivier RUFFIER) et du SDAP (Frédéric AUBANTON) :
maison 7 rue Saint-Éloi en 2002-2005, hôtel de la Monnaie ou de la Fleur-de-Lys 15-17
rue Jeanne d’Arc / 13 rue de la Vieille-Monnaie en 2003. C. ALIX, « Un hôtel méconnu de
la fin du Moyen Âge et de la Renaissance à Orléans : étude archéologique et historique
des 15-17 rue Jeanne d’Arc et 13 rue de la Vieille-Monnaie », Bulletin de la Société
Archéologique et Historique de l’Orléanais, XIX, 2008, n° 155 (1re partie), p. 7-54 ; n° 156 (2 e
partie), p. 5-53 ; n° 158 (3e partie), p. 5-30.
17. ALIX C., SÉNÉGAS M.-L., Maison 2 rue Saint-Gilles (45.234.160 AH), Orléans (Loiret), rapport
d’opération de sondage et étude de bâti, DRAC/SRA Centre, Orléans, 2006.
18. ALIX C., « L’habitat d’Orléans du 12e siècle au début du 15 e siècle (état de la
recherche : étude des élévations et apports de l’observation des caves) », Revue
archéologique du Loiret, 32, 2007-2008, p. 123-147.
19. Le taux de subvention est égal à 30 % du montant hors taxe, maîtrise d’œuvre
comprise. Il y a une possibilité de 30 % supplémentaires dans le cadre de la réalisation
de « Travaux d’Intérêt Architectural » (règlement d’attribution des subventions du 27
janvier 2012). En 2019, 950 subventions ont été versées, à hauteur de 12 millions d’euros
pour un investissement total de près de 41 millions d’euros.
20. À partir de 2010, le médiateur du patrimoine a été détaché du service archéologique
municipal pour être successivement rattaché au service du Label Ville d’Art et
d’Histoire, puis au Département des Droits des Sols et enfin au service Projets Urbains.
Ces différentes affiliations prouvent la difficulté à positionner cette compétence au sein
de la ville.
21. Rapports déposés à la DRAC Centre-Val de Loire, Études de Bâti EB 01 à EB 059.
22. ALIX C., Orléans, 8 rue des Gobelets, rapport d’étude archéologique du bâti (EB 059), SAMO/
DRAC Centre, Orléans, 2015 ; ID., « Orléans (Loiret). " Petit Évêché ", 24-26 rue Saint-
Étienne / 2 rue Robert-de-Courtenay », Archéologie médiévale, 48, 2018, p. 269-270.
23. Dans les deux cas, le relevé par photogrammétrie n’a été employé que pour une
partie seulement de la fouille. Pour la vinaigrerie, la zone 2 a été intégralement
échafaudée, piquetée et relevée manuellement ; pour la chapelle Saint-Hubert, les
542

intérieurs ont été échafaudés dès le début de l’opération, permettant là encore la


réalisation d’un dessin manuel des élévations.
24. Partenaires SICAVOR : UMR 7323 CESR, UMR 7324 Citeres-LAT, Pôle d’Archéologie
de la ville d’Orléans, BRGM, Polytech’ Orléans (PRISME), GéHCO (EA 6293), SRA / DRAC
Centre-Val de Loire. ALIX C. dir., SICAVOR : Système d’Information Contextuel sur les Caves
d’Orléans (2015-2017), rapport de prospection thématique pluriannuelle, SRA/DRAC Centre-
Val de Loire, Orléans, 2017, 3 vol.
25. Le secteur intra-muros correspond à la ville enclose par ses enceintes successives : la
fortification tardo-antique (IVe siècle) et ses agrandissements médiévaux, dont le
dernier, établi à partir de 1486, permet de doubler la surface enclose (69,5 ha), et dont
les limites correspondent aux actuels boulevards (Jean-Jaurès, Rocheplatte, de Verdun,
Alexandre-Martin, Pierre-Segelle, Aristide-Briand, de Saint-Euverte et de la Motte-
Sanguin).
26. Étude comparative des relevés de caves et carrières avec les deux types de scanners
3D : NOURY G., KSIBI I., FROIDEVEAUX M., « Intégration de la géologie et évaluation des
risques d’effondrement. Apport de la cartographie souterraine en 3D », in ALIX C.,
GAUGAIN L., SALAMAGNE A. dir., Caves et celliers dans l’Europe et médiévale et moderne, Tours,
2019, p. 105-116.
27. CHARTIER M., Études des habitations…, op. cit.
28. ALIX C., MORLEGHEM D., « Les caves d’Orléans : apports de la recherche SICAVOR », in
ID., GAUGAIN L., SALAMAGNE A., Caves et celliers…, op. cit., p. 57-85 (voir notamment la carte de
localisation des caves XIe - milieu du XVe siècle : pl. III, fig. 6).
29. Charpente et/ou plafond du XIII e siècle : 7 rue Saint-Éloi, 9 rue des Trois-Maries /
272 rue de Bourgogne, 3 rue du Poirier, 12 rue des Trois-Maries, 203-205 rue de
Bourgogne ; charpente et/ou plafond du XIVe siècle : 8 rue des Gobelets, 25 rue de la
Poterne, 206 rue de Bourgogne. C. ALIX, « Aspects de la construction dans l’habitat
orléanais (13e-16e siècles) », in Medieval Europe Paris 2007, actes du 4e Congrès international
d’Archéologie Médiévale et Moderne, Paris, 2007, http://medieval-europe-paris-2007.univ-
paris1.fr/C.Alix.pdf .
30. ALIX C., « Le développement de l’habitat dans les quartiers de la nouvelle enceinte »,
in ID., DEMONET M.-L., RIVAUD D., VENDRIX P. dir., Orléans. Ville de la Renaissance, Tours, 2019,
p. 259-281. ; ALIX C., NOBLET J., « Les charpentes à entrait retroussé moisé : exemples
orléanais des XVe et XVIe siècles », Revue Archéologique du Centre de la France, 48, 2009, p.
189-220, http://racf.revues.org/index1337.html.
31. ALIX C., « Les maisons en pan de bois d’Orléans du XIVe au début du XVII e siècle :
bilan de treize années de recherche », in ID., ÉPAUD F. dir., La construction en pan de bois au
Moyen Âge et à la Renaissance, Tours, 2013, p. 221-270.
32. ALIX C., « Les traitements colorés des façades en pan-de-bois du XIVe au XVIIIe siècle.
L’exemple des maisons d’Orléans », in ESQUIEU Y. dir., Les couleurs de la ville. Réalités
historiques et pratiques contemporaines, Aix-en-Provence, 2016, p. 111-130.
33. Datation Plessis-les-Tours : https://www.dendrotech.fr/fr/Dendrabase/site.php?
id_si=033-24-37195-0003 ; BIZRI M., MARCHANT S., PERRAULT C., « Gien, un château royal entre
rupture et continuité avec l’œuvre de Louis XI », Bulletin du centre d’études médiévales
d’Auxerre, BUCEMA, 23.1, 2019, http://journals.openedition.org/cem/16408.
543

34. ALIX C., « Un hôtel méconnu…, op. cit. ; ID., « Les décors des façades en pan-de-bois »,
in ID., DEMONET M.-L., RIVAUD D., VENDRIX P. dir., Orléans…, op. cit., p. 283-304.
35. ALIX C., « Les maisons orléanaises du début de la Renaissance (vers 1480-1535) », in
ID., DEMONET M.-L., RIVAUD D., VENDRIX P. dir., Orléans…, op. cit., p. 183-221 ; ALIX C., NOBLET J.,
« Les demeures de la seconde Renaissance des élites orléanaises », ibid., p. 223-251.
36. La proposition de prospection thématique qui avait été faite initialement par le SRA
pour intégrer cette démarche dans la recherche programmée n'a pas été retenue par la
CTRA du 27-29 avril 2020, qui propose de limiter/d'orienter la prospection thématique
à l'aspect documentaire en vue d'alimenter la carte archéologique et d'étayer la
prescription de diagnostic ou de fouille du SRA, seules formes envisagées pour qu'un
archéologue intervienne désormais sur les ravalements.
37. Tous ces mémoires ont été soutenus à l’Université François Rabelais de Tours.
LEFEBVRE B., Le corps du bâtiment nord du 12 rue du général Meusnier à Tours. Étude
d'archéologie du bâti, mémoire de maîtrise ( JOURNOT F. dir.), 2003, 2 vol. ; ID., La formation
d’un tissu urbain dans la Cité de Tours : du site de l’amphithéâtre antique au quartier canonial
(5e-18e s.), thèse de doctorat (LORANS E. et GALINÉ H. dir.), 2008, 4 vol. ; SUBLET M., Les caves du
corps de bâtiment sud du 12 rue du général Meusnier à Tours. Étude en archéologie du bâti,
mémoire de maîtrise ( JOURNOT F. dir.), 2004, 1 vol. ; DALAYEUN M.-D., Urbanisme et
architecture à Beaulieu-les-Loches (Indre-et-Loire) du XIe au XVIII e siècles, mémoire de DEA
(GAUTHIEZ B. dir.), 2004, 2 vol. ; VANTOMME M., DESCHAMPS M., Architecture civile médiévale à
Tours : analyse archéologique d'une propriété de Châteauneuf (12-14 rue Paul Louis Courrier),
mémoire de master 1 ( LORANS E. dir.) 2007, 2 vol. ; MAROT E., Architecture civile et formation
du tissu urbain de Châteauneuf (Tours) du 10e au 14 e siècle, thèse de doctorat (L ORANS E. dir.),
2013, 4 vol. ; PIFFETEAU A., Le promontoire de Loches : topographie et morphologie d’un espace
élitaire aux époques médiévale et moderne, mémoire de Master 2 d’Archéologie (LORANS E. et
PAPIN P. dir.), Université de Tours, Tours, 2017, 3 vol.

38. LELONG A., « Bonneval, rue Alcide Hayer », in Bilan scientifique 2009-2013, SRA/DRAC
Centre, Orléans, 2017, p. 91. ID., « Bonneval, esquisse d’archéologie urbaine », in ROBREAU
B. dir., Histoire du Pays Dunois, Châteaudun, 2009, t. 2, p. 265-283.
39. MAROT E. dir., Étude de l'habitat civil médiéval des 11e-14e siècles de la vallée du Loir autour
de Lavardin (Loir-et-Cher), Campagne 2018, L'étude du "Prieuré Saint-Genest" de Lavardin : une
maison du 12e siècle, et début de prospections inventaires dans les communes voisines, SRA/
DRAC Centre-Val de Loire, Orléans, 2018, 2 vol. Citons également les observations de
maisons menées par V. Mataouchek (Inrap) à Blois ou à Trôo (Loir-et-Cher), dans le
cadre d’un projet collectif de recherche ou d’une prospection inventaire. D’autres
études semblables portent sur des maisons de villages, comme à Esvres (J.-P. CHIMIER
dir., Inrap) ou à Crouzilles (P. SALÉ dir., Inrap) en Indre-et-Loire.
40. En dernier lieu : MATAOUCHEK V., « Archéologie préventive sur le bâti et Monuments
historiques. Une collaboration qui devrait être exemplaire », Les nouvelles de
l’archéologie, 157-185, 2019, p. 132-135.
544

RÉSUMÉS
La ville d’Orléans possède des maisons médiévales et modernes qui ont fait l’objet d’études
d’archéologie du bâti dès le début des années 2000, d’abord ponctuellement dans un cadre
universitaire, puis à une échelle plus importante principalement au travers du suivi d’une
campagne de ravalement obligatoire des façades, initiée et financée par la collectivité locale (ville
d’Orléans), en accord avec le Service Régional de l’Archéologie (SRA) et l’Unité Départementale
de l’Architecture et du Patrimoine du Loiret (UDAP). L’expérience poursuivie depuis une
quinzaine d’années permet d’établir certains constats. Pour le Pôle d’Archéologie de la ville
d’Orléans, le but est d’enregistrer et de conserver les informations destinées à disparaître lors
des travaux, de proposer des restitutions des édifices étudiés tout en renseignant des
problématiques liées au fait urbain, aux techniques de construction, ainsi qu’aux modes
d’habitation médiévales et modernes. La restitution des bâtiments peut également servir d’outil à
la décision pour le service de l’urbanisme et les architectes en charge des travaux de
restauration. Les études de bâti à Orléans se poursuivent dans plusieurs cadres réglementaires :
celui du suivi de la campagne des ravalements, celui de l’archéologie préventive (diagnostics ou
fouilles), celui de la recherche programmée (prospection thématique ou sondages), celui des
études commandées par la Conservation Régionale des Monuments Historiques (CRMH).
Indépendamment de la nature de la protection dont bénéficie le bâti étudié (simple insertion
dans la Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager adoptée en 2007 pour
la grande majorité des maisons ; protection au titre des Monuments Historiques (MH) pour
quelques rares maisons), il convient de souligner la multiplicité des cadres d’intervention. Malgré
certains écueils liés à ces disparités administratives et réglementaires, les avancées sont
significatives et Orléans est devenu un site de référence concernant la connaissance de l’habitat
urbain, des maisons en pierre et/ou en pan de bois, appréhendées de la cave aux toits,
accompagné notamment par un référentiel de 100 maisons datées par dendrochronologie, ce qui
constitue le corpus le plus important de France.

The town of Orléans, located in the center of France (Central Loire Valley region), displays
medieval and modern houses that have been studied using building archaeology methodology
from the early 2000s. First carried out through academic research in the university of Tours,
these studies have been further enlarged mainly through the follow-up of a compulsory front
roughcasting and restoration campaign, initiated and financially supported by the local
community (city of Orléans) in agreement with the Architecture and Heritage Departmental Unit
(Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine) and the Archaeology Regional Office
(Service Régional de l’Archéologie). Some statements can now emerge from the work carried on
over some fifteen years. The aim of the Orléans City Archaeology Unit (Pôle d'Archéologie de la
Ville d'Orléans) is to record and preserve all collected data that could disappear during future
restoration works, and to suggest renditions of the studied houses while informing issues related
to urban process, building techniques as well as medieval and modern housing modes. The
houses restitutions can also serve as a decision-making tool for Urban Planning Department and
the architects dealing with the restoration work. The building archaeology studies in Orléans are
going on within several statutory limits : monitoring the front façade refurbishing campaign,
rescue archaeology, scheduled research, and studies initiated by the Built Heritage Conservation
Regional Office (Conservation régionale des Monuments Historiques). Whatever the kind of
protection of the studied houses may be (most of them are listed in the Urban and Landscape
545

Architectural Property Protection Area dating from 2007, only a few of them are protected as
Historical Built Heritage), the multiplicity of intervention frameworks should be stressed. Despite
some pitfalls related with administrative and regulatory disparities, the progress is significant
and Orléans has become a reference in the knowledge of urban housing, stone and/or timber-
framed houses (and this from top to bottom). Its data repository from 100 houses dated by
dendrochronology provides the most important corpus in France.

INDEX
Mots-clés : archéologie du bâti, maisons urbaines, habitat médiéval, habitat moderne,
architecture civile et domestique, tissu urbain, pan de bois, construction en pierre, construction
en brique, façades, caves, charpentes, plafonds, dendrochronologie, modes d’habitation,
restauration du patrimoine architectural, techniques de construction, parcelles, Moyen Âge,
Renaissance
Keywords : building archaeology, townhouses, medieval and modern housing, secular and
domestic architecture, city's fabric, timber construction, stone building, brick construction,
building facades, cellars, carpentry, ceilings, dendrochronology, housing modes, architectural
heritage restoration, building techniques, plots, Middle Ages, Renaissance

AUTEUR
CLÉMENT ALIX

Archéologue spécialiste du bâti, Pôle d'Archéologie, Ville d'Orléans / CESR UMR CNRS 7323.
clement.alix@orleans-metropole.fr
546

En contexte ou hors contexte :


lecture des matériaux et lecture du
bâti
In context or out of context : reading construction materials and reading
the building

Sylvain Aumard, Stéphane Büttner et Daniel Prigent

Introduction
1 Dès les années 1980, alors que les techniques de l’archéologie du bâti se développaient
progressivement1, les matériaux de construction ont été immédiatement et à juste titre
considérés comme de potentielles aides à l’étude de la stratigraphie2. Pour ce faire, tous
les procédés possibles d’analyse ont été mis en œuvre, qu’il s’agisse simplement de
caractériser la nature de ces matériaux3 (pierre, mortiers, bois, métal, terre cuite, etc.)
ou encore d’analyser les différentes techniques de préparation et de mise en œuvre
associées4. Si, pour le bois, la dendrochronologie est pratiquée depuis plusieurs
décennies5, c’est surtout à partir des années 2000 que les procédés de datations
archéométriques, auxquelles certains matériaux peuvent être soumis, ont connu un
essor considérable, contribuant tout particulièrement à préciser ou à revoir la
chronologie de certains édifices6.
2 Toutes ces données archéologiques aujourd’hui accumulées ont permis d’ouvrir de
nouveaux champs de réflexion. En effet, il est dorénavant possible d’envisager ce que
nous apprend l’étude des matériaux dans leur contexte archéologique, dans celui du
bâti en l’occurrence, sur la gestion de la ressource, le déroulement du chantier et
finalement sur l’économie de la construction. Bien entendu, ces aspects ont été déjà
abordés par l’analyse des données textuelles ; mais celles-ci concernent le plus
fréquemment des périodes relativement tardives, souvent postérieures au XIIe siècle.
Aborder ces problématiques sur le long terme par le biais des données archéologiques
constitue aujourd’hui de véritables thématiques de recherches. Cela reste une
547

démarche complexe, présentant de multiples facettes intimement liées : sélection,


façonnage, transport, mise en œuvre, etc. Si les matériaux d’origine géologique,
particulièrement utilisés dans les travaux de maçonnerie et de couverture,
constitueront ici l’essentiel du propos (pierre, liant de maçonnerie, terre cuite
architecturale), l’approche apparaîtrait finalement comparable pour le métal ou encore
le bois d’œuvre7. Quelle que soit leur nature, tous ces matériaux peuvent en effet passer
par la même grille de lecture, dans la mesure où ils sont tous reliés au chantier et à ses
multiples logiques.
3 Il s’agit d’aborder un aspect ambigu, parfois mal compris, qui est de considérer le
matériau dans son rapport étroit avec l’environnement naturel, plus particulièrement
géologique. En effet, même décontextualisés, les matériaux conservent de manière
irrémédiable une « signature » environnementale ; et c’est celle-ci qui va justement
imposer des contraintes diverses qui engendreront leur choix, ou leur non-choix
d’ailleurs, de la part des bâtisseurs. Il s’agit finalement de discourir du poids de
l’environnement sur la construction depuis la ressource jusqu’à la mise en œuvre. C’est,
par là même, une manière d’aborder le déroulement du chantier qui est bien l’un des
aspects essentiels de l’analyse archéologique du bâti.
4 Dans un premier temps, il s’agira d’envisager l’adéquation entre les modèles
architecturaux mis en œuvre et les matériaux disponibles et exploitables localement.
Dans un second temps, il s’agira d’appréhender les moyens mis en œuvre pour
répondre, voire parer à ces contraintes, qu’il s’agisse de l’importation de matériaux, et
donc de leur transport, ou des savoir-faire développés ; et surtout les raisons qui ont
orienté ces choix8.

1. Un environnement naturel déterminant l’architecture


1.1. La pierre à bâtir

5 Très fréquemment, et dans la mesure du possible, les matériaux disponibles à proximité


du chantier sont préférentiellement utilisés dans la construction, réduisant
considérablement le coût de leur transport. C’est un cas évident pour les pierres à bâtir.
Selon leurs caractéristiques physiques, celles-ci imposent à l’évidence des procédés de
mise en œuvre et peuvent également engendrer une certaine perception esthétique.
Dans ce cas, le bâtiment, apparaît très souvent comme un marqueur de terroir dans la
mesure où il traduit, dans son expression architecturale, le substrat naturel
environnant, non seulement par les matériaux utilisés mais aussi dans les formes
développées. Ce fait, qui semble évident, a été théorisé dès le XIXe siècle tant par
Viollet-le-Duc que par des érudits qui avaient remarqué des spécificités architecturales
sur des édifices anciens de certaines régions indéniablement liées à la géologie locale9.
6 De fait, malgré les influences des modèles architecturaux bien souvent évoqués par les
historiens du bâti, il n’apparaît en théorie pas possible de construire de la même
manière en Auvergne, en Bourgogne, en Aquitaine, en Provence ou encore dans les
Pays de Loire. En réalité, cette distinction doit être établie à une échelle plus réduite,
celle de la microrégion, du terroir donc, peut-être même et sans doute à l’échelle de
l’affleurement géologique. Cependant, et a contrario, dans des contextes pourtant
éloignés, des terroirs apparaissent si similaires que les constructions peuvent présenter
de grandes ressemblances. Il est ainsi possible d’établir de fortes correspondances entre
548

des édifices construits en Puisaye10, dans le nord de la Bourgogne, et dans le Pays de


Bray11, à la frontière de l’Oise et de la Seine-Maritime, dans lesquels on reconnaît des
grès ferrugineux crétacés exploités dans la même auréole géologique qui affleure de
part et d’autre du Bassin parisien (Fig. 1).

Fig. 1. Moutiers-en-Puisaye (Yonne), église Saint-Pierre-et-Saint-Paul : mur gouttereau de la nef (XIIe


siècle) construit en moellons de grès ferrugineux crétacés (cl. S. Büttner, CEM).

7 Ce lien avec le substrat géologique direct est un fait davantage reconnu pour des
édifices « mineurs » qui ont sans doute bénéficié de moyens financiers restreints
(comme des églises paroissiales par exemple), ou pour certains bâtiments qui ont
nécessité une certaine rapidité d’exécution (c’est le cas pour de nombreux sites
castraux édifiés à l’aide des ressources disponibles localement12).
8 Il en est bien évidemment aussi de même pour des édifices majeurs pouvant profiter
localement de ressources en pierre qui se prêtent de manière satisfaisante au projet
architectural. Ces constructions présentent néanmoins des caractéristiques
architecturales traduisant l’environnement géologique proximal. C’est par exemple le
cas de l’abbatiale Saint-Philibert de Tournus, où l’utilisation de plus d’une dizaine de
roches de nature différente et d’origine locale a été optimisée selon les programmes
architecturaux engagés entre le Xe et le XIVe siècle13 (Fig. 2).
549

Fig. 2. Tournus (Saône-et-Loire, XIe siècle), abbatiale Saint-Philibert : façade occidentale construite
avec plusieurs types de roches (cl. S. Büttner, CEM).

9 Cette origine proche est surtout manifeste pour les blocs irréguliers et les moellons,
même si des exemples d’élection de matériaux provenant de carrières situées à une
distance respectable de chantiers ne sont pas exceptionnels : ainsi les moellons de
tuffeau blanc (Turonien moyen) constituent une part essentielle des parements
externes de l’abbatiale du Ronceray d’Angers (XIe siècle), alors que les lieux
d’exploitation les plus proches sont situés à quelque 20 km.

1.2. Les mortiers et liants de maçonnerie

10 Cette contrainte des ressources, avérée pour la pierre, l’est également pour les liants de
maçonnerie. C’est le cas pour le logis cistercien d’Oudun14 (Yonne), datant de la fin du
XIIe siècle, qui se situe en plaine calcaire à quelques dizaines de kilomètres au sud-est
d’Auxerre. À l’écart du système alluvial, les ressources en sables y sont absentes, et les
véritables mortiers constitués de chaux y sont de fait rares et réservés aux principaux
organes architecturaux (baies, contrefort, voûtement). Manifestement, le choix du
commanditaire a été de réduire au maximum le coût en rationnant l’usage des sables
importés de plusieurs dizaines de kilomètres, alors même que le calcaire, susceptible de
produire une chaux à bon marché est abondant à proximité du site (Fig. 3). Ce fait
trouve écho dans les constructions vernaculaires environnantes qui, maçonnées à
l’argile, voient leurs joints « beurrés » au mortier de chaux afin de les protéger d’une
altération excessive. Rétrospectivement, il est permis de penser que la même technique
a été employée sur le chantier cistercien afin de protéger les appareillages de moellons
montés avec un limon, disponible directement sur place, associé à une faible charge en
chaux.
550

Fig. 3. Grange cistercienne d’Oudun à Joux-la-Ville (Yonne), logis et cuisine : concomitance de deux
mortiers différents dans la même maçonnerie, fin du XIIe siècle (cl. S. Aumard, CEM).

11 La contrainte de l’environnement est encore davantage perceptible lorsque la diversité


des agrégats est source de questionnement quant à la localisation des lieux d’extraction
et leur éventuel changement au cours du temps. Ainsi sur le site monastique de
Fontevraud (Maine-et-Loire), où des constructions d’ampleur ont été réalisées durant
huit siècles, l’agrégat médiéval, grossier, provient des alluvions ligériennes ou de la
Vienne, à environ une lieue des chantiers. En revanche, à partir du milieu du XVIe
siècle, il est prélevé dans diverses petites carrières locales ; les mortiers, moins riches
en chaux, contiennent alors un sable plus fin que ceux réalisés auparavant. Il est
possible que cette évolution traduise une granulométrie des alluvions devenue trop
grossière (liée à un changement de compétence des cours d’eau ?), phénomène déjà
amorcé au début du XVIe siècle, comme le montrent les distributions granulométriques
des mortiers mis en œuvre à cette époque, peu avant leur modification (Fig. 4).
551

Fig. 4. Fontevraud, aile orientale du Grand-Moûtier : synthèse des analyses granulométriques des
mortiers (G : graviers ; SG : sables moyens et grossiers 0,2 mm < d < 2,0 mm ; SF : sables fins 0,05 mm
< d < 0,2 mm). Si les agrégats des mortiers des premières constructions de l’abbesse Louise de
Bourbon peuvent contenir un pourcentage particulièrement élevé de graviers (A), ce n’est plus le cas
après c. 1550 (B) ; cette finesse est accompagnée par une réduction sensible des épaisseurs de joints
(D. Prigent).

12 Toujours en ce qui concerne les liants de maçonnerie, en dehors des contraintes liées à
la ressource en sable, l’approvisionnement en pierre à chaux a pu apparaître aussi
problématique. C’est particulièrement le cas dans les zones géographiques dépourvues
d’affleurement calcaire (Auvergne, Bretagne, etc.). Si l’importation de calcaire reste
une solution, l’usage de liants de maçonnerie « alternatifs » est en fait relativement
fréquent dans ces secteurs. En dehors d’une chaux possiblement élaborée à partir de
coquillages, l’utilisation de limon, de terre ou encore d’argile apparaît relativement
courante.
13 Si parfois la ressource en pierre à chaux est présente localement, celle-ci peut s’avérer
inappropriée à la fabrication d’une chaux de qualité. Ainsi, à Auxerre (Yonne), plusieurs
fours à chaux tardo-antiques, mis au jour place des Véens à proximité et
potentiellement en lien avec le chantier du castrum (IIIe-IVe siècles)15, ont montré qu’on
y avait calciné un calcaire prélevé sans doute dans des carrières situées à une centaine
de mètres. Il s’agit d’un calcaire portlandien, riche en impuretés argileuses, que l’on
peut considérer comme impropre à l’élaboration d’une chaux de qualité compte tenu
des technologies de cuisson mises en œuvre. Et pourtant, ce calcaire a bel et bien été
utilisé. Encore une fois, certes dans le cadre d’une production complexe nécessitant
également beaucoup de combustible, le choix de la proximité de la ressource a été
clairement privilégié, probablement en raison des besoins importants du chantier.
552

1.3. Techniques et formes architecturales

14 La contrainte environnementale joue un rôle sur la disponibilité et la qualité des


matériaux utilisés, mais elle peut également avoir un impact sur les techniques mises
de mise en œuvre. Pour la pierre, on évoque fréquemment des hauteurs d’assises qui
seraient imposées par celles des bancs en carrière. Toutefois, si de faibles épaisseurs
peuvent imposer des limites maximales de hauteur, il en va différemment pour les
roches de texture homogène, et pour lesquelles, très tôt, c’est vraisemblablement une
logique de fonctionnement du chantier qui a prévalu. Pour les pierres tendres, on
retrouve effectivement l’adoption de véritables modules de hauteur permettant, entre
autres, une standardisation dans la mise en œuvre des pierres de taille, comme c’est par
exemple le cas du tuffeau blanc turonien du Val de Loire, et ce dès l’époque
carolingienne. On retrouve aussi ces véritables modules de hauteur au XIe siècle avec la
craie de Normandie à Notre-Dame de Jumièges (Seine-Maritime), avec les calcaires
nivernais pour la tour-porche de l’abbatiale de Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret), ou les
calcaires de l’Auxerrois pour la crypte de la cathédrale d’Auxerre (Yonne)16. En
revanche, pour la même époque, les appareils de la première moitié de ce XIe siècle de
la crypte de Saint-Aignan d’Orléans (Loiret) et de celle de la cathédrale de Chartres
(Eure-et-Loir), en calcaire lacustre difficile à travailler, ne montrent pas l’utilisation de
valeurs de hauteurs prédéfinies, et les variations apparaissent alors sensibles au sein
d’une même assise17.
15 Toujours pour la pierre, on peut aussi évoquer l’appareil en opus spicatum qui est
souvent considéré comme un archaïsme. En réalité, on peut là aussi hésiter entre
signature chronologique, signature environnementale, voire simple adaptation
technique (Fig. 5). Dans maintes études, l’aspect décoratif a souvent tendance à faire
oublier des logiques d’approvisionnement et de mises en œuvre qui font apparaître une
très bonne adéquation technique entre la forme en plaquette du matériau et sa
disposition oblique aux propriétés « autobloquantes ». Dans le cas de l’abbaye de
Vézelay (Yonne) où les maçonneries carolingiennes mises au jour présentent ce type
d’appareillage18, les pierres proviennent ainsi du niveau calcaire constituant le sommet
de la colline sur laquelle a été construit l’édifice, et présentant un débit en dalles qui a
justifié sans doute ce procédé pleinement rationnel. C’est aussi un type de mise en
œuvre assez fréquent dans les maçonneries élaborées avec des galets de rivière, comme
on peut l’observer pour certains murs de l’abbaye Saint-Michel de Cuxa (Pyrénées-
Orientales). Là encore, et selon une idée répandue, on pourrait envisager que l’usage de
l’opus spicatum soit typique des X e et XI e siècles. En réalité, les mêmes matériaux et le
même type de mise en œuvre peuvent également être reconnus en tout lieu dans la
construction vernaculaire des époques moderne et contemporaine19.
553

Fig. 5. Différents exemples de maçonneries en opus spicatum : a, Vézelay (Yonne), fouille du cloître,
état carolingien, dalles calcaires (cl. F. Henrion, CEM) ; b, Saint-Michel de Cuxa (Pyrénées Orientales),
abbaye, Maison du Grand Sacristain, XIe siècle, galets de rivière (cl. S. Büttner, CEM) ; c, Branches
(Yonne), mur de clôture, XIXe-XXe siècles ?, plaquettes de grès ferrugineux (cl. S. Aumard, CEM) ; d,
Issor (Pyrénées-Atlantiques), façade d’une grange, XIXe siècle ? , galets de rivière (cl. J.-P. Géraud).

16 Dans le même esprit, dans les régions où la pierre vient à manquer, et même si les
constructeurs ont pu parfois tenter de pallier cette absence par des matériaux locaux
de médiocre qualité, l’usage de la terre cuite architecturale apparaît comme une
alternative. Le cas de l’église de Brinon-sur-Sauldre (Cher) est assez évocateur à ce sujet
(Fig. 6). Située en pleine Sologne, dans une région où la bonne pierre est absente, la nef
romane de cette église est montée en petits moellons réguliers de grès recueillis à faible
distance ; la brique a été finalement préférée pour la construction de son chevet au XIIIe
siècle20.
554

Fig. 6. Brinon-sur-Sauldre (Cher), église Saint-Barthélémy : chevet gothique en brique ; encart, nef en
petit appareil de moellons de grès peu indurés, bien assisés et de gabarit homogène (cl. D. Prigent).

17 L’usage de la brique dans les régions où la pierre de qualité vient à manquer concerne
aussi et bien évidemment de grands édifices ; c’est ainsi le cas de la basilique Saint-
Sernin de Toulouse aux XIe et XII e siècles (Haute-Garonne) ou de la cathédrale Sainte-
Cécile d’Albi aux XIIIe et XIVe siècles (Tarn ; Fig. 7).

Fig. 7. Usages massifs de la brique dans des contextes différents : à g., région où la pierre de qualité
est rare, à Albi (Tarn), cathédrale Sainte-Cécile, XIIIe-XIVe siècles (cl. S. Büttner, CEM) ; à dr., région
abondamment dotée en pierre de qualité, à Luzech (Lot), chapelle des pénitents bleus, XIIIe siècle (cl. D.
Prigent).

18 La terre cuite apparaît donc bel et bien comme un substitut crédible à la pierre à bâtir,
elle peut l’être également pour la sculpture ; par exemple dans le cas des églises de
Molinons et de Ponts-sur-Vanne (Yonne), dans une région où la pierre statuaire est
555

absente, les argiles locales ont été mises à profit pour élaborer des modillons figuratifs
de qualité remarquable (Fig. 8). Il faut néanmoins se garder d’un déterminisme trop
strict. Ainsi, dans un environnement où la pierre est loin de faire défaut, les villes de
Cahors ou Luzech (Lot) ont largement adopté, voire privilégié la brique au Moyen Âge21
(Fig. 7).

Fig. 8. Pont-sur-Vanne (Yonne), église Notre-Dame-de-la-Nativité : modillons en terre cuite de la nef,


XIIe siècle (cl. S. Aumard, CEM).

19 Dans tous ces exemples, et on pourrait les multiplier, on se rend bien compte que la
logique environnementale transcende la logique temporelle, tant à l’échelle historique
du territoire, qu’à l’échelle stratigraphique du site. En dehors de la question
chronologique, on voit donc très souvent s’établir une sorte de dialectique entre les
formes architecturales et la disponibilité des ressources locales pouvant inciter à
considérer que le bâti est bel et bien, et peut-être avant tout, un marqueur de terroir.
Finalement, les exemples évoqués semblent illustrer une irrépressible tendance, proche
d’une « loi naturelle », à laquelle l’homme se conforme préférentiellement : celle du
« moindre effort ». Bien qu’universelle, cette logique n’a rien d’exclusif, car elle est
d’abord celle du moindre coût et est largement sous-tendue par les moyens du chantier.
On utilise donc volontiers et dans la mesure du possible ce que l’on a sous la main : on
peut alors évoquer une sorte « d’opportunisme environnemental ».

2. Des besoins en quantité et en qualité pour de grands


chantiers
20 Certaines constructions, souvent les plus ambitieuses, ont présenté des besoins en
matériaux de qualité et, bien souvent, dans des quantités considérables. Comme nous
l’avons déjà évoqué, de grands chantiers ont pu profiter de manière opportune d’un
contexte environnemental très favorable pouvant répondre à ces exigences ; d’autres
556

s’y sont adaptés. Si l’environnement proximal ne pouvait fournir des matériaux en


quantité suffisante, et/ou si les qualités physiques de ces derniers n’étaient pas
compatibles avec le programme architectural programmé, il a fallu nécessairement
aller les chercher ailleurs et parfois dans des régions éloignées. Il s’agit donc de
discuter ici du rapport entre le chantier et la carrière, du transport de ces objets
pondéreux, et donc des coûts engendrés, parfois importants. L’importation de
matériaux allochtones, aux qualités intrinsèques parfois spécifiques, doit de même être
considérée sur le plan technique : elle va potentiellement influencer dans des
proportions considérables le développement ou l’adaptation des savoir-faire sur le
chantier.
21 Il est évident que ce sont avant tout les chantiers majeurs, disposant de moyens
financiers conséquents, qui ont été plus à même de s’affranchir des éventuelles
contraintes liées aux ressources locales.
22 C’est notamment le cas des grands chantiers de construction d’édifices religieux qui
vont se multiplier peu après l’An Mil en Occident22, et qui répondent à de nouveaux
canons architecturaux. En ce qui concerne la pierre à bâtir, on voit tout
particulièrement se généraliser l’usage du moyen appareil et ces monuments en ont
alors un besoin souvent considérable.
23 Dans certaines régions, les carrières locales ont pu effectivement répondre à ces
exigences. Il en est ainsi par exemple dans la plus grande partie des bâtiments de
l’abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire) au XIIe siècle, pour laquelle le tuffeau blanc du
Turonien moyen et les calcaires coquilliers du Turonien supérieur, accessibles à très
faible distance, ont beaucoup été sollicités23.
24 Pour la tour porche de l’abbaye de Fleury à Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret), édifiée au
début du XIe siècle, plusieurs faciès calcaires du Nivernais, dont les carrières se situent
à près d’une centaine de kilomètres, ont été particulièrement utilisés24 (Fig. 9). C’est
sans doute que les faciès locaux, en particulier les calcaires lacustres très durs, se
prêtaient mal au programme architectural engagé. En revanche, vers la même époque,
ce même calcaire lacustre est pourtant employé dans deux édifices majeurs que sont les
cryptes de la collégiale de Saint-Aignan d’Orléans25 (Loiret) et celles de la cathédrale de
Chartres26 (Eure-et-Loir). À environ 35 km d’Orléans, l’abbaye de Fleury, fondation
mérovingienne sous protection royale, fait donc un choix différent et n’a
manifestement aucun problème à engager les dépenses nécessaires à cette importation
de matériaux.
557

Fig. 9. Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret), tour-porche de l'abbatiale, XIe siècle (1030 ?) : différents faciès
calcaires du Nivernais (cl. S. Büttner, CEM).

25 Il faut aussi évoquer le cas d’Auxerre (Yonne), où l’approvisionnement en pierres des


chantiers de construction de deux édifices importants a pu être tout particulièrement
étudié. En effet, l’abbaye Saint-Germain27 et la cathédrale Saint-Étienne 28 présentent
une importante profondeur chronologique, et permettent ainsi de saisir l’évolution des
apports en matériaux durant un « long Moyen Âge ». Bien évidemment, la plaine
carbonatée du Jurassique qui s’étend au sud d’Auxerre a largement été sollicitée. Ce
secteur géographique fournit des belles pierres blanches qui, suivant les faciès plus ou
moins résistants, se prêtent parfaitement à l’élaboration de pierres d’appareil et au
travail d’une sculpture de qualité. Paradoxalement, d’autres faciès vont nous en
apprendre davantage sur l’évolution de l’économie de la pierre en Bourgogne du nord
durant le Moyen Âge. En effet, employées en quantités bien moindres, de nombreuses
pierres, aux caractéristiques très variées et de provenances plus ou moins lointaines,
sont utilisées spécifiquement lors de certaines phases de construction. C’est, par
exemple, le cas des calcaires à lumachelles de l’Hauterivien utilisés exclusivement au
XIVe siècle tant pour la construction du transept de la cathédrale que pour celui de
l’abbatiale. Outre son emploi extrêmement localisé, il faut noter que ce faciès
géologique de couleur brun jaunâtre, très coquillier, provenant de carrières exploitées
à quelques dizaines de kilomètres au nord d’Auxerre, est très sensible à l’altération29
(Fig. 10).
558

Fig. 10. Auxerre (Yonne), transept sud de la cathédrale Saint-Étienne : calcaire jaune à Lumachelles
(cl. S. Büttner).

26 D’autres faciès sont aussi utilisés, tout particulièrement à ce tournant que représente le
passage de l’architecture romane aux nouveaux canons architecturaux du Gothique.
Ainsi, pour la construction des piliers de la nef de la cathédrale Saint-Étienne dressés
au milieu du XIVe siècle, une quantité non négligeable de pierres provenant des
niveaux lutétiens de la région parisienne a été importée. Cet apport est documenté par
un extrait des comptabilités de la fabrique de la cathédrale de Sens, daté de 1341, qui
évoque un apport conséquent de pierres d’Ivry (banlieue sud-ouest de Paris située sur
les bords de Seine) et notamment des bateaux chargés de cette pierre qui ont remonté
la Seine, puis l’Yonne, afin d’alimenter de manière mutualisée les chantiers de Sens et
d’Auxerre30. Cette utilisation de la pierre de Paris pose encore une fois question puisque
les calcaires du Jurassique du sud de l’Auxerrois auraient satisfait dans cette fonction
architecturale ; ils ont été effectivement utilisés pour le massif occidental dans les
années 1260 puis pour la croisée du transept dans les années 1320. À Auxerre, la
multiplication des faciès dans la construction, pas toujours de qualité et parfois
importés de plus d’une centaine de kilomètres, permet d’avancer l’hypothèse selon
laquelle la production des carrières du sud de l’Auxerrois manquait de rendement
malgré une pierre de qualité remarquable et ne pouvait ainsi satisfaire la demande
importante des nouveaux chantiers, toujours plus nombreux.
27 Il en est de même pour les travaux menés au château d’Amboise (Indre-et-Loire) en
1495-1496, notamment pour la construction de la tour des Minimes, qui ont nécessité
des matériaux importés tant par voie d’eau que terrestre et provenant de onze
carrières différentes, parfois distantes de plusieurs dizaines de kilomètres31. Cette
diversité de provenance se retrouve également pour d’autres châteaux majeurs du Val
de Loire, manifestant là encore l’ambition vraisemblable d’assurer un
approvisionnement continu32. En fait, tous les grands chantiers, quel que soit leur
559

statut ou leur durée, semblent bénéficier d’approvisionnements multiples dès lors que
les besoins sont importants ou que différentes qualités sont recherchées, preuve que
même les plus grands commanditaires ne sont jamais totalement maîtres de leur réseau
de fourniture33. À ce niveau, il est certain que le statut du commanditaire, ainsi que son
emprise et son influence, tant politique qu’économique, sont tout à fait déterminants
pour lui permettre la constitution de réseaux en adéquation avec les besoins. Apparaît
ici indéniablement une part importante du rôle de ces personnages et institutions, à
côté de la décision et de la définition du projet, de son financement et du choix des
principaux acteurs du chantier.
28 On rentre là, à l’évidence, dans des schémas interrégionaux de concurrence et de
compensation qui semblent se mettre en place, au moins pour la Bourgogne du Nord,
aux XIIIe-XIVe siècles. En réponse à ces nouveaux besoins, de nouvelles dynamiques
d’échanges se mettent en place où les enjeux de qualité composent désormais avec
d’autres directement reliés aux conditions du chantier : statuts du projet, moyens
alloués, et insertion dans le réseau économique.

3. Transport et ressources en matériaux


29 Comme on vient de le voir, les exigences du chantier concernant les matériaux sont
multiples (qualité, quantité, disponibilité) et poussent les constructeurs à solliciter des
centres de production spécifiques, et parfois très éloignés des sites. C’est un
phénomène maintenant bien appréhendé pour la pierre à bâtir, mais qui vaut
vraisemblablement aussi pour tous les autres matériaux de construction (briques,
tuiles, fer, bois), dont les études se multiplient depuis peu.
30 Le cas de la diffusion des calcaires lutétiens évoqué pour les grands chantiers icaunais
est particulièrement éclairant. L’exploitation de cette pierre de qualité a été, dans un
premier temps, fortement stimulée par la demande des chantiers parisiens (Fig. 11).
Depuis le XIIe siècle, un important réseau de carrières s’est ainsi tissé en un véritable
bassin de production34. En outre, l’adoption relativement précoce des techniques
d’extraction souterraines a permis de fournir de grosses quantités et de satisfaire les
besoins des grands chantiers d’une grande partie du Bassin parisien35. De plus, la
disposition du réseau hydrographique principalement structuré par l’axe Seine-Yonne
permet de connecter facilement l’offre et la demande la plus lointaine (jusqu’à 160 km)
et d’envisager le transport à des coûts relativement modérés, sans pour autant être
négligeables. Dans le contexte des XIIe-XIIIe siècles, durant lesquels l’économie de la
pierre est fortement stimulée par la construction, de telles infrastructures de
production ne vont pas seulement favoriser la réalisation de grands programmes de
construction, elles vont aussi contribuer à restructurer pour longtemps les schémas
économiques interrégionaux en engendrant l’émergence de nouveaux centres carriers
plus proches des besoins et donc plus concurrentiels. C’est manifestement ce
phénomène qui, à la fois, stimule le développement des sites d’extraction du sud de
l’Auxerrois en les dotant de nouvelles capacités de production (cf. infra) et contribue à
l’exploitation de nouvelles ressources comme les calcaires oolithiques du Bathonien du
sud de l’Yonne (Fig. 12). Il paraît évident à ce stade que les réseaux d’échanges s’en
trouvent considérablement modifiés, voire redessinés à l’image de la géographie de la
demande. D’autres bassins carriers, réputés pour leurs exportations, ont connu un
560

développement similaire et peuvent être analysés avec une grille de lecture presque
identique : l’Anjou avec le tuffeau36, la Normandie avec la pierre de Caen37, etc.

Fig. 11. La diffusion du calcaire lutétien dans les églises du XIIIe siècle du Bassin parisien (A. Blanc et
al. 2006).
561

Fig. 12. La diffusion du calcaire oolithique du Bathonien et l’usage du taillant bretellé dans les
monuments de l’Yonne entre 1150 et 1230 : milieu XIIe siècle, nef de l’abbatiale de Pontigny, chapelle
de La Cordelle à Vézelay ; 1150-1175, nef de Notre-Dame de Vermenton ; 1175-1200, logis d’Oudun
(Joux-la-V.), chevet de l’abbatiale de Pontigny, chevet de la Madeleine de Vézelay ; 1200-1230, chevet
de la cathédrale d’Auxerre (CEM, 2019).

31 Si les circuits d’approvisionnement locaux permettent aux commanditaires de


s’affranchir des grands réseaux d’échanges et de coûts de transports substantiels, leur
configuration est en partie tributaire de l’emprise foncière de ces mêmes
commanditaires sur la ressource, parfois même au détriment de la distance. La
possession de carrières est un atout considérable et peut jouer un rôle déterminant
dans l’impulsion et le déroulement d’un projet architectural. C’est pourquoi les
commanditaires tentent tout naturellement de tirer le meilleur parti de leur
patrimoine pour solutionner l’approvisionnent des chantiers qu’ils entreprennent,
quitte à s’affranchir de contraintes supplémentaires. Par ailleurs, les diverses
transactions écrites portant sur ces exploitations (dons, échanges, ventes, différents,
etc.) et le soin accordé à leur rédaction montrent que ces biens occupent une place
entière dans les patrimoines qui, sans être spécifique, est à la hauteur des enjeux que
représente l’accès aux ressources en matériaux38. Dans le cas de l’abbaye cistercienne
de Pontigny (Yonne), deuxième fille de Cîteaux, le chantier de reconstruction du chevet
au tournant des XIIe-XIIIe siècles sollicite des besoins importants en Pierre de Tonnerre,
matériau facilement disponible dans un rayon de 20 à 30 km. Paradoxalement, les
moines blancs sollicitèrent l’utilisation d’une carrière à Saint-Bris-le-Vineux (19 km)
comme le suggère un don concomitant du chantier en 1186 par le seigneur de Saint-
Vérain, alors que leur patrimoine était sans doute mieux doté dans un rayon de 10 km39.
La distance apparaît encore raisonnable, mais il est évident que celle-ci a engendré un
surcoût non négligeable40 et, ici, le réseau hydrographique n’apparaît pas forcement
concurrentiel vis-à-vis du réseau routier, tant il implique, par ses dispositions, de larges
détours et vraisemblablement plusieurs points de rupture de charge. Dans tous les cas,
562

tout laisse penser que le commanditaire du chantier aurait assumé sans difficulté
majeure de telles conséquences, aussi bien sur le plan financier que logistique. Cet
exemple montre que la proximité des ressources n’engendre pas nécessairement les
coûts les plus faibles et que les moyens alloués au chantier ont une place déterminante
pour compenser de tels problèmes.

4. Ressources et savoir-faire
32 Si par habitude on relie facilement le domaine des savoir-faire à celui des métiers de la
construction, on a tendance à sous-estimer l’importance des matériaux dans cette
dialectique, notamment en ce qui concerne l’évolution et la diffusion des techniques.
En permettant d’illustrer la totalité de la chaîne opératoire, le cas de la pierre est une
fois de plus particulièrement éclairant, mais il peut être complété par celui de la terre
cuite architecturale.
33 Comme on l’a vu, le développement de l’économie de la pierre entre le XIe et le XIII e
siècle, a engendré des nouveautés dans le domaine de la mise en œuvre, telles que la
généralisation du moyen appareil et de la taille modulaire, autant d’aspects touchant le
savoir-faire des tailleurs de pierre. Dans le cas des calcaires lutétiens, on a vu
également que les grands bassins carriers ont fait évoluer leurs techniques d’extraction
afin de répondre à une demande toujours croissante. Le même phénomène semble
pouvoir s’observer localement, lorsque les carrières situées dans un environnement
relativement proche des besoins connaissent une sollicitation sans précédent. Il en est
ainsi des exploitations du sud de l’Auxerrois qui paraissent connaître une évolution du
savoir-faire des carriers qui, à l’image des exploitations de la région parisienne,
adoptent à leur tour les techniques d’extraction souterraines à partir du XIVe, voire du
XVIe siècle.
34 Les techniques de taille ne sont pas en reste et traduisent également une évolution des
savoir-faire que l’on peut désormais relier à ce contexte de forte stimulation de
l’économie de la pierre. Toujours en suivant le cas des carrières icaunaises, de
nouveaux bancs calcaires paraissent exploités dans les niveaux oolithiques du
Bathonien, à partir du milieu du XIIe siècle d’après ce que nous apprend l’analyse
archéologique de plusieurs édifices de référence (Auxerre, Oudun, Pontigny,
Vermenton, Vézelay, etc.). Il s’agit de calcaires fermes d’excellente qualité et
principalement tirés de la région de Massangis où ils sont toujours exploités
actuellement (Fig. 12). La qualité du matériau est nouvelle pour les artisans qui la
travaillent et les tailleurs de pierre semblent alors adapter leurs outils en conséquence,
passant du marteau taillant au marteau brettelé (Fig. 13). Ce sont bien les traces de ce
dernier que l’on retrouve systématiquement sur les pierres oolithiques en œuvre, à
l’exception de rares cas où la concomitance des deux instruments sur le même bloc
suggère remarquablement cette évolution de l’outillage41. En revanche, en Val de Loire,
sans que l’on n’en sache très bien la raison, la bretture ne se développe que vers la fin
du XIVe siècle. Le règne tardif du marteau taillant droit, s’explique sans doute parce que
la pierre tendre exploitée dans cette région se satisfaisait de cet outil.
563

Fig. 13. Grange cistercienne d’Oudun à Joux-la-Ville (Yonne), réfectoire du logis, fin du XIIe siècle : taille
brettelée sur console en calcaire oolithique du Bathonien (cl. S. Aumard, CEM).

35 À côté de ces approches diachroniques, le savoir-faire des constructeurs s’appréhende


aussi dans l’aptitude de ces derniers à utiliser pour un même projet une diversité de
matériaux à bon escient et à en tirer le meilleur parti en fonction de leur qualité.
36 Ainsi le tuffeau blanc, calcaire turonien de faible densité apparente (1,4 kg/dm3) peut
être mis en œuvre pour les murs ou le voûtement, mais non pour les supports. C’est le
cas de l’église abbatiale de Fontevraud (première moitié du XIIe siècle), dans laquelle les
murs enveloppes sont en tuffeau blanc ordinaire, mais les colonnes du sanctuaire et les
grandes piles de la croisée sont en calcaire coquillier, également turonien. Les piles de
la nef supportant les coupoles sont également en tuffeau blanc, mais de meilleure
qualité que celui des parements des murs car à teneur plus importante en carbonate de
calcium (Fig. 14). Les voûtes de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers sont également en
tuffeau blanc, alors que l’essentiel des murs et supports est en calcaire du Jurassique
moyen (Fig. 15).
564

Fig. 14. Fontevraud (Maine-et-Loire), abbatiale (première moitié du XIIe siècle) : les murs enveloppes
sont en tuffeau ordinaire, mais les colonnes du sanctuaire et les piles de la croisée en calcaire
coquillier ; les piles de la nef supportant les coupoles sont en tuffeau, d’excellente qualité (cl. D.
Prigent).

Fig. 15. Poitiers (Vienne), cathédrale gothique Saint-Pierre : les murs sont pour l’essentiel en calcaire
Bajocien-Bathonien ; en revanche les voûtes sont en tuffeau turonien (cl. D. Prigent).

37 En déterminant la répartition des ressources, l’environnement définit aussi celle des


compétences et des savoirs qui lui sont associés et peut sensiblement conditionner la
marche du chantier. L’étude comparative des couvertures monumentales des
cathédrales d’Auxerre et Sens a montré, pour la même période 1300-1350, que le
565

chantier sénonais connaît un approvisionnement homogène en tuiles, à l’inverse du


chantier auxerrois qui compte au moins quatre productions différentes pour une
surface deux fois moindre (Fig. 16)42. Ce dernier a manifestement connu un
approvisionnement déficitaire car, d’après les analyses morphologiques et physico-
chimiques, il a introduit un lot de tuiles importées du Sénonais ou du Bassin parisien
(Set-B) et même, ponctuellement, des tuiles gironnées sans rapport avec la forme de la
toiture, ni avec aucune autre de l’édifice (Fig. 16 et 17). On est tenté de relier de telles
disparités aux niveaux de développement et d’organisation des infrastructures de
production qui paraissent très avancés dans la région de Sens, en raison de l’abondance
et de la qualité des argiles à silex du Tertiaire parfaitement adaptées à la production de
terres cuites architecturales, mais sans doute aussi en raison de la proximité du marché
parisien. Sans être absentes du paysage, les tuileries de l’Auxerrois implantées sur des
argiles crétacées, semblent d’une bien moindre densité, et paraissent offrir une faible
capacité à satisfaire des besoins importants (Fig. 18). Sans négliger d’autres facteurs
d’ordre historique dont on cerne encore mal l’importance (statut métropolitain,
faveurs royales, crises diverses), ces deux chantiers ne possèdent pas à l’évidence les
mêmes prédispositions pour mener à bien leurs ouvrages. Ce problème de la fourniture
avait déjà été souligné par Odette Chapelot, qui pointait la structure artisanale des
ateliers, y compris pour alimenter des besoins plus ordinaires43.

Fig. 16. Auxerre (Yonne), cathédrale Saint-Étienne, couverture de la nef vers 1350-1380 : les quatre
productions identifiées pour le même chantier, Set-A1, Set-A2, Set-B et Set-C. Set-B2 est une variante
gironnée de Set-B (dessin G. Fèvre et S. Aumard, CEM).
566

Fig. 17. Auxerre (Yonne), cathédrale Saint-Étienne, couverture de la nef vers 1350-1380 : tuiles
gironnées apparentées aux types Set-A2 et Set-B (cl. G. Puech).

Fig. 18. Cathédrales d’Auxerre et Sens, les tuileries attestées dans la documentation écrite et leur
contexte environnemental (dessin CEM).

38 Dans de telles situations, on comprend aisément que les conditions d’accès aux argiles
sont déterminantes et qu’elles peuvent très facilement entraver ou favoriser
567

l’organisation de la production. C’est vraisemblablement le même schéma qui explique


à la fois le développement et la sollicitation des tuileries du sud-est dijonnais/Val-de-
Saône, notamment pour les sols carrelés des grands chantiers bourguignons des XIVe et
XVe siècles (résidence ducale de Germolles, Hôtel-Dieu de Beaune, chartreuse de
Champmol à Dijon, etc.). Capables de répondre à de grosses commandes, ces ateliers
seraient même spécialisés dans certaines réalisations : à Argilly et Gerland, tuiles
bicolores, faîtières ornées d’animaux et carreaux de poêle ; à Aubigny-en-Plaine,
maîtrise de la glaçure stannifère sur carreaux de sols, etc.44 L’environnement ne
commande donc pas seulement l’implantation de tels centres de production, mais
conditionne également, en partie du moins, leur possibilité de développer leur niveau
d’organisation. Dans cette logique, les savoir-faire jouent un rôle important et peuvent
même, en cas de succès, bénéficier d’un enrichissement pouvant aller, dans certains
cas, jusqu’à générer des traditions techniques locales ou régionales, inscrites dans
l’espace et dans la durée. Bien évidemment, les fortes stimulations économiques du fait
de la proximité des débouchés et de grandes commandes jouent ici un rôle important,
de même que l’implantation des cours princières. Selon les époques, la présence de ces
dernières sur un territoire peut aussi induire de très fortes variations sur les conditions
de production et parfois expliquer des situations paradoxales où des ateliers a priori
favorisés sont en situation de déclin, pouvant même, semble-t-il, aller jusqu’à pousser
les commanditaires vers des choix alternatifs dans les matériaux de construction45.

5. Le poids des traditions


39 Quel que soit le matériau, les constructeurs adoptent toutefois usuellement des mises
en œuvre en fonction de l’époque et des traditions régionales. Ainsi, dans l’ouest de la
France et jusque vers le milieu du XIe siècle, domine l’usage de moellons, non pas
rudement « cassés au marteau » mais régularisés afin de présenter des gabarits
homogènes au sein d’un appareil et répartis en assises régulières, malgré la variété des
matériaux employés et la qualité parfois médiocre de la roche. Ce type de mise en
œuvre, coûteux en temps, disparaît dans le courant du XIe siècle, pour être remplacé
par des pierres de gabarit irrégulier dont la disposition en véritables assises peut
parfois s’effacer (Fig. 19). Le petit appareil allongé caractérisant le traditionnel
« premier art roman » en Catalogne, Bourgogne du Sud et Italie du Nord, compte aussi
parmi ces traditions régionales régulièrement revisitées au cours de l’historiographie46.
568

Fig. 19. Mouliherne (Maine-et-Loire), église Saint-Germain au XIe siècle : les murs gouttereaux de la nef
sont montés en moellons de grès de gabarit homogène (en haut), alors qu’au milieu du XIIe siècle (en
bas), l’appareil, en grès identique, est bien plus irrégulier (cl. D. Prigent).

40 Notons encore que, pour un terroir donné, le choix des matériaux peut lui-même varier
dans le temps47. Ainsi, à Angers (Maine-et-Loire), l’arkose de Bains et le calcaire
paléozoïque du Massif Armoricain, parfois associés à la brique, constituent l’essentiel
des maçonneries en moellons de l’Antiquité au XIe siècle ; ils disparaissent ensuite,
remplacés par la pierre de taille en tuffeau blanc, ainsi que par les plaquettes de schiste
ardoisier ; les autres roches (calcaire bajocien, grès cénozoïques) restent minoritaires48
(Fig. 19).

6. Une ressource à part entière : le remploi


41 Entre contraintes environnementales (accessibilité, transport) et exigences du
constructeur (qualité, disponibilité, coût), l’approvisionnement du chantier peut
relever d’une certaine complexité qui détermine en contrepoint les avantages et la
place du remploi et du recyclage. Loin de se limiter à des usages ponctuels et
opportuns, on sait aujourd’hui la place importante dans le marché local de la
construction des matériaux de seconde main, bien souvent issus de véritables
entreprises de déconstruction. Présents sur place, engendrant des moindres coûts sur
le transport en particulier, il s’agit de matériaux « rassurants » qui ont déjà subi
« l’épreuve du temps » et sont connus des artisans locaux. Prisés, ils constituent ainsi
une filière à part entière et irriguent tous les domaines du bâtiment. Bien que parfois
facilement identifiables (fragments de sarcophages, sculptures), leur prise en compte
dans la lecture archéologique des constructions reste difficile car ils ont
potentiellement reçu une ou plusieurs transformations affectant leur forme (c’est
particulièrement le cas des blocs de calcaire qui ont pu être calcinés dans les fours à
569

chaux). Pour autant, ces matériaux reflètent la même contrainte environnementale que
les matériaux neufs. Ils se « fondent » ainsi dans la masse et peuvent donc être
largement sous-estimés.
42 À côté du remploi utilitaire, la volonté de construire more romano, bien connue sur des
monuments emblématiques comme la cathédrale d’Autun, peut également être
observée sur des édifices modestes, alors que d’autres, à la même époque adoptent des
techniques plus conformes à celles en vigueur. Un bel exemple est fourni par le petit
prieuré bénédictin de Saint-Macé à Chênehutte-Trèves-Cunault (Maine-et-Loire), édifié
à proximité de sites antiques et où certaines parties présentent un petit appareil
régulier dans lequel sont insérés des rangs de briques, ainsi qu’un appareil décoratif,
alors que la petite priorale et l’enclos interne présentent les caractéristiques usuelles
de la construction ligérienne de l’époque (Fig. 20).

Fig. 20. Prieuré de Saint-Macé (Maine-et-Loire), second quart du XIIe siècle : les murs de l’enceinte sont
en petit appareil très régulier de pierres de taille avec insertion de rangs de brique non traversants,
simplement incrustés dans la maçonnerie. L’église est en revanche montée en moyen appareil (cl. D.
Prigent).

43 Cette question du remploi émerge depuis peu dans les problématiques liées à
l’archéologie du bâti, notamment celles touchant à la conduite et au déroulement du
chantier de construction. Si le développement récent des procédés archéométriques a
fait avancer à grands pas la question du remploi des terres cuites architecturales, du
métal ou encore du bois, il reste beaucoup à faire pour en mesurer l’importance dans
l’économie de la pierre. Comme pour les matériaux de novo, il s’agit aussi de mieux
cerner toute la chaîne opératoire, technique et commerciale, liée à ces matériaux de
seconde main. Cette question, qui intéresse toutes les périodes de l’Antiquité à l’Époque
contemporaine, pourrait bien modifier considérablement notre lecture de la conduite
d’un chantier de construction. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne des édifices
majeurs qui ont été finalement en chantier permanent et qui ont été très souvent
remaniés perpétuellement durant plusieurs siècles49. À une autre échelle, c’est
également le cas des couvertures que l’on peut considérer en « remploi permanent » du
point de vue des techniques d’entretien, quel que soit le statut du bâtiment ou la nature
du matériau50 (Fig. 21). C’est, à ce jour, un champ de réflexion pleinement investi par la
570

communauté des historiens et des archéologues du bâti, ce qui ne manquera pas dans
un futur proche de nous inciter à considérer systématiquement cette question dans
notre approche de la construction51.

Fig. 21. Auxerre (Yonne), cathédrale Saint-Étienne, versant sud de la couverture du chœur : la diversité
des coloris et des formats illustre pleinement la diversité des apports et des remplois (cl. S. Aumard,
CEM).

7. Une clé de lecture incontournable : les référentiels


44 Au terme de cet exposé, il apparaît que la lecture des matériaux peut emprunter
plusieurs voies entre approche environnementale et approche formelle. Dans tous les
cas, elle ne semble pleinement opérante que si elle s’appuie sur des référentiels fondés
sur la caractérisation du matériau. On l’a vu avec la pierre à bâtir et les mortiers qui,
peuvent être rattachés à un contexte environnemental grâce à des référentiels
géologiques établis à différentes échelles (régionale/locale, etc.). Le même principe
vaut pour l’approche morphologique des pierres de taille, des briques ou des tuiles,
pour lesquelles les référentiels restent actuellement à construire dans la majorité des
cas, région par région.
45 Il en est ainsi de l’exemple des tuiles médiévales de l’Auxerrois et de la Bourgogne du
Nord qui a pu aboutir grâce à une mise en corpus raisonné des formes complètes issues
de la dépose des couvertures monumentales en restauration (près de 2000 références),
associée à une étude typologique d’ensemble (une trentaine de productions identifiées)
et à des analyses archéométriques en datation (archéomagnétisme,
thermoluminescence). L’exploitation diachronique des données dimensionnelles
recueillies montre clairement une évolution des tuiles au cours du temps et autorise
désormais des comparaisons avec des pièces isolées (Fig. 22). Loin de s’assimiler à un
outil de datation, ce référentiel permet désormais de contextualiser des objets, de les
571

rattacher à un univers morphologique et d’envisager des hypothèses chronologiques.


Cette démarche s’est par exemple avérée opérante à Vézelay en rendant possible
l’identification d’un type de tuile totalement méconnu qui, plusieurs années après et à
l’aide de la stratigraphie des bâtiments, s’est ensuite révélé être du XIIe siècle, soit une
des plus anciennes productions identifiées à ce jour52.

Fig. 22. Exemple de référentiel : les tuiles médiévales en Bourgogne du Nord d’après leur morphologie.
Encart, tuile sans crochet de l’abbatiale de Vézelay Vez-P06), retrouvée hors contexte stratigraphique
dans les combles, mais apparentée aux productions des XIIe-XIIIe siècles (infographie et cl. S. Aumard,
CEM).

46 Pour ce qui est de la pierre, l’étude métrologique, tout d’abord utilisée pour comparer
des appareils au sein d’un même monument, puis menée systématiquement en Val de
Loire sur plusieurs centaines de parements (Ier-XIXe siècles), permet aujourd’hui de
mieux définir les grandes lignes de l’évolution de la taille et de la mise en œuvre du
matériau, et notamment de mieux caractériser deux grandes familles de moellons, de
mettre en évidence la taille en série dès les débuts du moyen appareil (IXe-Xe siècles)
par l’utilisation de modules précis de hauteur, etc.53 Quel que soit le contexte,
l’élaboration de ces référentiels s’avère une tâche longue et fastidieuse, parfois même
ingrate, mais la démarche se révèle toujours extrêmement payante à moyen et long
terme, à la seule condition que leur construction obéisse à une certaine rigueur54.

Conclusion
47 Si la lecture stratigraphique est incontournable55, à l’évidence elle n’est pas suffisante
dans l’approche des matériaux de construction. Elle doit aussi compter sur d’autres
grilles d’analyse, parmi lesquelles est à privilégier l’approche de la contrainte
environnementale. La prise en compte des matériaux dans leurs multiples réalités
(contexte naturel, contexte de production, etc.) permet de replacer le sujet bâtiment
572

dans son contexte de « chantier permanent ou récurrent », contexte subissant la


constance de la contrainte environnementale, tout en s’inscrivant dans une évolution
des techniques, des formes et des savoir-faire. La lecture du matériau ne peut
pleinement aboutir que si elle s’appuie sur un référentiel fondé sur la caractérisation,
que celle-ci repose sur la composition ou la forme produite. Elle permet ainsi de
rattacher les matériaux à leur univers de production originel et d’appréhender le
fonctionnement du chantier dans son rapport aux ressources. Tout en retraçant le
parcours des matériaux, cet exercice de lecture emprunte différentes méthodologies
selon la nature des objets appréhendés (pierres, tuiles, etc.) et selon la nature des
enjeux scientifiques soulevés (géologie, histoire économique, archéométrie, etc.).
L’archéologie des matériaux ne saurait donc prendre sens autrement que dans une
approche transversale au sein ou dans l’ensemble de disciplines qu’elle mobilise.

NOTES
1. S APIN C., « Les murs aussi ont la parole. 30 ans d’archéologie du bâti en France », in
BOLLE C., COURA G., LÉOTARD J.-M. dir., L’archéologie des bâtiments en question. Un outil pour
les connaître, les conserver et les restaurer, Namur, 2014, p. 248-258 (Études et Documents,
Archéologie, 35) ; ESQUIEU Y., « L’archéologie du bâti en France », in BECCHI A., CARVAIS R.,
SAKAROVITCH J. dir., L’histoire de la construction, t. 2, Relevé d’un chantier européen, Paris,
Classiques Garnier, 2018, p. 613-628.
2. B ÜTTNER S., « L’analyse des liants de maçonnerie et son apport à la compréhension
chronologique et technique de la construction », in BOLLE C., COURA G., LÉOTARD J.-M. dir.,
L’archéologie des bâtiments en question…, op. cit., p. 103‑114 ; VIRÉ M., « Origine des
matériaux et marqueurs chronologiques : le château de Brest », in LORENZ J. dir.,
Carrières et constructions en France et dans les pays limitrophes III, Paris, CTHS, 1996,
p. 265-277 ; GÉLY J.-P., « L'église romane de Coustouges (Pyrénées-Orientales) : un
exemple de la reconnaissance des campagnes de construction par l'analyse des
matériaux employés », ibid., p. 399-407.
3. B ÜTTNER S., P RIGENT D., « Les matériaux de construction dans le bâtiment médiéval »,
in CHAPELOT J., Trente ans d’archéologie médiévale en France. Un bilan pour un avenir, Caen,
CRAHM, 2010, p. 171-194
4. R EVEYRON N., « Exploitation des pierres dans leurs potentialités techniques et
esthétiques : l'exemple de Lyon au Moyen Âge », in BLARY F., GÉLY J.-P., LORENZ J. dir.,
Pierres du patrimoine européen. Économie de la pierre de l'Antiquité à la fin des temps
modernes, Paris, CTHS, 2005, p. 167-184.
5. L AMBERT G., LAVIER C., PERRIER P., VINCENOT S., « Pratique de la dendrochronologie »,
Histoire et Mesure, vol. 3, n° 3, 1988, p. 279-308 ; LAMBERT G.-N., « Datation précise des
charpentes par la dendrochronologie. Nouveau cadre méthodologique », in HOFFSUMMER
P. dir., La charpente du XIe au XIXe siècle. Grand Ouest de la France, Turnhout, Brepols, 2011,
p. 3-18.
573

6. GUIBERT P. et al., « L’apport des méthodes de datation physique à la caractérisation et


à la datation de matériaux de construction et de structures architecturales : un bilan et
des perspectives », in BOLLE C., COURA G., LÉOTARD J.-M. dir., L’archéologie des bâtiments en
question…, op. cit., p. 115-125.
7. T IMBERT A. dir., L’homme et la matière. L’emploi du plomb et du fer dans l’architecture
gothique, Paris, Picard, 2009 ; 231 p. ; L’HÉRITIER M., « Les armatures de fer de la
cathédrale de Bourges : nouvelles données, nouvelles lectures », Bulletin Monumental,
174‑4, 2016, p. 447‑465 ; ÉPAUD F., De la charpente romane à la charpente gothique en
Normandie : évolution des techniques et des structures de charpenterie aux XIIe-XIIIe siècles,
Caen, CRAHM, 2007 ; HUNOT J.-Y., « La chaîne opératoire, approche archéologique. De la
forêt à la charpente : le savoir-faire du charpentier en Anjou », in HOFFSUMMER P. dir., La
charpente du XIe au XIXe siècle. Grand Ouest de la France, Turnhout, Brepols, 2011, p. 40-58 ;
BOUTICOURT E., Charpentes méridionales. Construire autrement : le Midi rhodanien à la fin du
Moyen Âge, Arles, Éditions Honoré Clair, 2016 ; AUMARD S., « Ports and the timber trade in
the Yonne valley in the middle ages and the modern period : A study from building
archéologie », in FOUCHER M., DUMONT A., WERTHER L., WOLLEMBERG D. éd., Inland harbours in
central Europe : nodes ? between northern Europe and the mediterranean sea, colloque
international (Dijon 1er-2 décembre 2016), Mayence, RGZM, 2019, p. 235-244.
8. Cette contribution ne vise en rien le traitement exhaustif de la question, mais tente
d’aborder les principaux problèmes apparus au cours de nos expériences respectives et
à l’occasion de nombreux échanges avec des collègues.
9. V IOLLET-LE-DUC E., Entretiens sur l’architecture, Paris, 1872 ; QUANTIN M., « Influence de
la nature du sol sur les monuments religieux dans le département de l’Yonne », Bulletin
de la Société des Sciences de l’Yonne, 1, 1847, p. 18‑22.
10. SUBTIL L., « Le grès ferrugineux de Puisaye : Provenance et utilisation
architecturale », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre [En ligne], 12, 2008, URL :
http://journals.openedition.org/cem/7862.
11. ARRIBET-DEROIN D., DEROIN J.-P., « L’utilisation du grès ferrugineux dans les églises du
haut Bray », in BLARY F., GÉLY J.-P., LORENZ J. dir., Carrières et Constructions en France et dans
les pays limitrophes, 119e Congrès national des Sociétés savantes, 1994, p. 9‑25.
12. K OCH J., L’art de bâtir dans les châteaux forts en Alsace (Xe-XIIIe siècles), Nancy, Presses
universitaires de Nancy, 2015 (Archéologie, espaces, patrimoines).
13. RAT P., « Les pierres de l’abbatiale de Tournus. La géologie et l’homme », Bulletin du
C.I.E.R, XCV, 1996, p. 169‑204.
14. Commune de Joux-la-Ville. AUMARD S. dir., Joux-la-Ville (Bourgogne, Yonne), Grange
d'Oudun. Le bâtiment médiéval et ses abords, rapport final d'opération programmée
(2016-1017), Auxerre, CEM, 2017 ; AUMARD S., « La grange cistercienne d’Oudun à Joux-
la-Ville (Yonne), nouvelles recherches programmées 2015-2017 », in Actes de la journée
régionale d’archéologie (Dijon, 23-24 novembre 2018), Dijon, DRAC-SRA Bourgogne-Franche-
Comté, 2019, p. 121-126.
15. MERCIER J., AUMARD S., BÜTTNER S., « À l’ombre des remparts : 1 600 ans d’évolution
urbaine à Auxerre. La fouille de la place des Véens », Bulletin du Centre d’études
médiévales d’Auxerre [En ligne], 17.1, 2013, URL : http://journals.openedition.org/cem/
13131.
574

16. PRIGENT D., « Techniques de construction et de mise en œuvre de la pierre du IXe au


XIe siècle, nouvelles approches », in I OGNA-PRAT D., LAUWERS M., MAZEL F., ROSÉ I. dir.,
Cluny. Les moines et la société au premier âge féodal, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2013, p. 439-458 ; ID., « Le moyen appareil : du bloc irrégulier au parallélépipède
rectangle », in BIENVENU G., MONTEIL M., ROUSTEAU-CHAMBON H. dir., Construire ! Entre
Antiquité et époque contemporaine, Actes du 3e congrès francophone d’histoire de la
construction, Nantes, 21-23 juin 2017, Paris, Picard, 2019, p. 113-123. Voir aussi pour la
Provence, HARTMANN-VIRNICH A., « Préfabrication, module et standardisation dans
l’architecture de pierre de taille médiévale : quelques exemples du sud-est de la
France », in LORENZ J., G ÉLY J.-P. dir., Carrières et Constructions en France et dans les pays
limitrophes IV, Paris, CTHS, 2004, p. 187-204 ; pour la Picardie : GILLON P., « Une étape
dans la rationalisation de la construction au Moyen Âge : les marques de calibrage »,
Revue archéologique de Picardie, n° 1-2, 2012, p. 189-194.
17. PRIGENT D., « Techniques de construction et de mise en œuvre de la pierre du IXe au
XIe siècle, nouvelles approches », op. cit.
18. B ÜTTNER S., « Tailleurs de pierre et matériaux de construction », in Vézelay, un
chemin de lumière, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2018, p. 80‑85 (Coll. La grâce d’une
basilique).
19. Ceci n’est pas sans rappeler le phénomène de convergence bien connu des
anthropologues (en tous lieux, mêmes causes / mêmes résultats) : TESTART A., Avant l’histoire :
l’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac, Paris, Gallimard, 2012, p. 104 et 108.
20. RAT P., « La pierre dans un pays où elle fait défaut : l’Est de la Sologne (France) », in
LORENZ J. dir., Carrières et constructions en France et dans les pays limitrophes, II, Paris, CTHS,
1993, p. 149-162.
21. S CELLÈS M., « La brique à Cahors (XIIe-XIVe siècle) », in B OUCHERON P., BROISE H.,
THÉBERT Y. éd., La brique antique et médiévale. Production et commercialisation d’un matériau,
Rome, École française de Rome, 2000, p. 383-395.
22. PESEZ J.-M., « La renaissance de la construction en pierre après l’an Mil », in BENOÎT
P., CHAPELOT O. éd., Pierre et Métal dans le bâtiment au Moyen Âge, Paris, EHESS, 1985, p.
197-207. C’est sans doute un fait en France comme dans tout l’Occident).
23. Voir infra.
24. L ORENZ C., « Les pierres du Nivernais », in LORENZ J. dir., Carrières et constructions en
France et dans les pays limitrophes, II, Paris, CTHS, 1993, p. 149-162 ; les pierres du
Nivernais sont toutefois remplacées ultérieurement (c. 1160-1207) par le calcaire
lacustre, lors de l’édification de la nef : VERGNOLLE É., Saint-Benoît-sur-Loire. L’abbatiale
romane, Paris, Bibliothèque de la Société Française d’Archéologie, 2018.
25. PRIGENT D., « Techniques de construction et de mise en œuvre de la pierre du IXe au
XIe siècle, nouvelles approches », op. cit.
26. H EBER-SUFFRIN F., SAPIN C., « Les cryptes de Chartres et leurs matériaux de
construction. État des recherches », in TIMBERT A., Chartres : Construire et restaurer la
cathédrale XIe - XXIe s., Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014, p.
191-202.
27. B ÜTTNER S., « L’abbaye Saint-Germain : matériaux et techniques du bâti - les
matériaux de construction », in SAPIN C. dir., Archéologie et architecture d’un site
575

monastique. 10 ans d’archéologie à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre, Auxerre-Paris, Centre


d’études médiévales / CTHS, 2000, p. 400‑413.
28. BÜTTNER S., « La pierre : nature et approvisionnement du chantier », in SAPIN C. dir.,
La cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre. La seconde vie d’une cathédrale, Paris-Auxerre, Picard
/ Centre d’études médiévales, 2011, p. 334‑351.
29. Les tailleurs de pierre locaux qualifient cette pierre de « calcaire pourri », ce qui
semble justifié au regard de sa sensibilité à l’érosion.
30. Arch. dép. Yonne, G 1126 ; BÜTTNER S., « Une mention de 1341 », in SAPIN C. éd., Saint-
Étienne d’Auxerre…, op. cit., p. 350-351.
31. G AUGAIN L., B RÉHERET J.-G., MECHLING J.-M., PRIGENT D., « Pierres, mortiers et
parements de la tour des Minimes au regard du compte de construction de 1495-1496,
des investigations archéologiques et des analyses pétrographiques », ArchéoScience, 41,
2017, p. 25-43.
32. M USSAT A., « La rivière et la carrière : l’exemple des Pays de Loire », in GUILLAUME J.
éd., Les chantiers de la Renaissance, Paris, Picard, 1991, p. 11-26.
33. Pour le chantier du palais ducal de Dijon, une douzaine de carrières sont ainsi
sollicitées dans un rayon de 20 km entre 1350 et 1450, pour au moins trois qualités de
pierre différentes : MOUILLEBOUCHE H., L’hôtel des ducs de Bourgogne à Dijon, d’Eudes IV à
Charles le téméraire, Mémoire inédit d’HDR, université de Bourgogne, 2019, p. 663-669 ;
FOUCHER M., La pierre et les hommes en Bourgogne. Archéologie et histoire d’une ressource en
œuvre du Moyen Âge à l’Époque moderne, thèse de doctorat (dir. J.-P. Garcia), Dijon,
Université de Bourgogne, 2014, 2 vol.
34. BLANC A., BÜTTNER S., CHAUVE P., GÉLY J.-P., LAURENT P., LEROUX L., « Carrières de pierre à
bâtir et monuments du nord de la Bourgogne : Sénonais, Auxerrois et Puisaye », Bulletin
d’information des géologues du Bassin de Paris, 43, 2006, p. 3-17 ; GÉLY J.-P.,
« L’approvisionnement en pierre d’appareil des églises de Paris et du bassin
hydrographique de la Seine, du Moyen Âge aux Temps Modernes », in BLARY F., GÉLY J.-
P., LORENZ J. dir., Pierres du patrimoine européen…, op. cit., p. 329-340.
35. VIRÉ M., « Les anciennes carrières de pierre à Paris au Moyen Âge », in B ENOIT P.,
BRAUNSTEIN P. dir., Mines, carrières et métallurgie dans la France médiévale, Paris, CNRS,
1983, p. 395-407.
36. PRIGENT D., « La pierre de construction et sa mise en œuvre : l’exemple de l’Anjou »,
in Utilis est lapis in structura. Mélanges offerts à Léon Pressouyre, Paris, CTHS, 2000, p.
461-474.
37. DUJARDIN L., « Le commerce de la Pierre de Caen », in ARNOUX M., FLAMBARD-HÉRICHER
A.-M. dir., La Normandie dans l’économie européenne (XIIe-XVIIe siècles), Caen, CRAHM, 2010,
p. 139-152.
38. Voir infra le cas de Pontigny. Il s’agit là de constats généraux propres à nos
expériences, mais la place exacte des ressources en matériaux de construction dans la
production écrite, demanderait sans doute à être mieux précisée. On peut aussi se
référer à BERNARDI P., HARTMANN-VIRNICH A., VINGTAIN D. dir., Textes et architecture
monumentale. Approches de l’architecture médiévale, Montagnac, Monique Mergoil, 2005.
39. BÜTTNER S., FOUCHER M., « Corpus Lapidum Burgundiae : un atlas sur l'utilisation de la
pierre en Bourgogne de l'Antiquité à nos jours, à l'usage des chercheurs », in BOULANGER
K., MOULIS C. éd., Pierre à pierre. Économie de la pierre de l'Antiquité à l'époque moderne en
576

Lorraine et régions limitrophes, Nancy, PUN - Ed. Universitaires de Lorraine, 2020, p.


15-24 ; TIMBERT A., TALLON A., « Les arcs-boutants du chevet de l’abbatiale de Pontigny :
nouvelles observations », Bulletin Monumental, 166, 2008, p. 99. Cet état de la recherche
gagnerait vraisemblablement à être nuancé par l’analyse textuelle systématique des
donations contemporaines de ce chantier.
40. Pour les périodes plus tardives, on sait en effet que le coût de transport terrestre
des matériaux pondéreux double schématiquement tous les 10 km. SALZMAN L. F.,
Building in England down to 1154, Oxford University Press, 1952, p. 348-354, et CHAPELOT O.,
« La fourniture de la pierre sur les chantiers bourguignons (XIVe-XVe siècle) », in Actes
du 98e Congrès national des Sociétés Savantes , Saint-Étienne 1973, Paris, CTHS, 1975, p.
209-224, avaient déjà souligné le coût du transport, notamment par voie terrestre.
41. On pense en particulier aux colonnes monolithiques de la nef de Vermenton
(Yonne) dont la mise en œuvre serait à placer dans les années 1150-1170. TIMBERT A.,
HONTCHARENKO C., « L’église Notre-Dame de Vermenton : les campagnes du XIIe siècle »,
in TIMBERT A. dir., L’architecture gothique à Auxerre et dans sa région (XIIe-XIXe siècles) :
naissance, transformations et pérennité, actes de la journée d’études du 17 mai 2008
(abbaye Saint-Germain d’Auxerre), Auxerre, Bulletin de la Société des Fouilles
archéologiques et des Monuments historiques de l’Yonne, 26-27, 2009-2010, p. 21-32.
42. Pour Sens, au minimum une production identifiée pour environ 46 000 tuiles (soit
1000 m2 à couvrir) ; pour Auxerre, au minimum quatre productions pour 24 000 tuiles
(520 m2) ; AUMARD S., B EN A MARA A., BÜTTNER S., CANTIN N., LANOS Ph., DUFRESNE Ph., ZINK
A., PORTO E., « La couverture monumentale en chantier. Les cathédrales d’Auxerre et
Sens d’après les données archéologiques, archéométriques et historiques », in DUPERROY
F., DESMET Y. dir., Les couvertures médiévales : images et techniques, Colloque international
(Tournai, 22-23 avril 2015), Namur, SPW éditions, 2016, p. 181-193.
43. C HAPELOT O., « Tuiliers bourguignons aux XIVe-XVe siècles : aspects socio-
économiques de la production », in CHAPELOT J., GALINIÉ H., PILET-LEMIÈRE J. éd., La
céramique (Ve-XIXe s.) : fabrication, commercialisation, utilisation , actes du 1er congrès
international d’archéologie médiévale (Paris, 4-6 octobre 1985), Caen, Société
d’archéologie médiévale, 1987, p. 198 (p. 195-202).
44. ROSEN J., « Les pavements à glaçure plombifère et faïence stannifère », in DANE G.
KERHERVÉ J., SALAMAGNE A. éd., Châteaux et modes de vie au temps des ducs de Bretagne, Tours,
Presses universitaires François-Rabelais, 2012, p. 321‑346 ; BECK P., « De l’atelier au
château : production et consommation de briques en Bourgogne au XIVe siècle,
l’exemple de la châtellenie d’ Argilly », in BOUCHERON P., BROISE H., THÉBERT Y. éd., La
brique antique et médiévale, production et commercialisation d’un matériau, Actes du colloque
international de l’ENS (Saint-Cloud, novembre 1995), Rome, École française de Rome,
2000, p. 363-364 ; MOUILLEBOUCHE H., L’hôtel des ducs de Bourgogne à Dijon…, op. cit., p. 674.
45. Selon H. Mouillebouche, c’est ce qui pourrait expliquer le choix de la lave ou de
l’ardoise sur de grandes réalisations ducales à Dijon, MOUILLEBOUCHE H., L’hôtel des ducs de
Bourgogne à Dijon…, op. cit., p. 673, 694.
46. PUIG I CADAFALCH J., Le premier art roman, Paris, Henri Laurens, 1928, p. 140-141. Cet
appareil est lui-même diversifié ; cf. ARMI C. E., Design and construction in Romanesque
architecture, Cambridge University Press, 2004 ; voir également les articles réunis dans
le volume Le « premier art roman » cent ans après, VERGNOLLE É., BULLY S. dir., Besançon,
Presses universitaires de Franche-Comté, 2012.
577

47. G ÉLY J. -P., « Du centre carrier au centre urbain, stratégie d’approvisionnement en


pierres d’appareil des chantiers de construction : l’exemple du Bassin parisien », in
LORENZ J., BLARY F., GÉLY J.-P., Construire la ville. Histoire urbaine de la pierre à bâtir, Paris,
CTHS Sciences 14, 2014, p. 61-82.
48. P RIGENT D., R EDOIS F., « Angers, évolution des matériaux de construction de
l’Antiquité au début du XIXe siècle », in L ORENZ J., BLARY F., GELY J.-P. dir., Construire la
ville. Histoire urbaine de la pierre à bâtir, Paris, CTHS, 2014, p. 251-262 (CTHS Sciences, 14).
49. BÜTTNER S., « The Use of the “Already There” : Reuse and Recycling for Monumental
Building in the West in Late Antiquity and the Medieval Period », in CARVAIS R.,
GUILLERME A., NÈGRE V., SAKAROVITCH J. éd., Nuts & Bolts of Construction History - Culture,
Technology and Society, 4th International Congress on Construction History, Paris, Picard, 2012,
p. 461‑468.
50. AUMARD S., « L’entretien des couvertures médiévales : quelles approches
archéologiques ? », in DAVOINE C., D’HARCOURT M., L’HÉRITIER M. éd., “Sarta Tecta”, De
l’entretien à la conservation des édifices. Antiquités, Moyen Âge, début de la période moderne,
Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2019, p. 75-93 (Biama, 25).
51. On note, à ce titre, la création en 2009 du Groupe de Recherche ReMArch (Recyclage
et remploi des matériaux de l’architecture aux périodes anciennes - GDR 2063 du
CNRS), piloté par Ph. Dillmann, Ph. Bernardi, P. Guibert, M. L’Héritier (URL : https://
remarch.hypotheses.org).
52. La même démarche a été appliquée avec succès aux couvertures de la cathédrale
Saint-Pierre de Lisieux : AUMARD S., ÉPAUD F., « La toiture en remploi : charpentes et
couvertures de la cathédrale Saint-Pierre de Lisieux », in AUMARD S., BOCQUET-LIENARD S.,
DUBOIS A., VINCENT J.-B. dir., Toitures et matériaux de couverture au Moyen Âge / Roofing and
roofing materials in the Middle Ages, Dossier thématique d’Archéologie médiévale, 2021,
https://doi.org/10.4000/archeomed.23280.
53. PRIGENT D., « Techniques de construction et de mise en œuvre de la pierre du IXe au
XIe siècle, nouvelles approches », op. cit. ; ID., « La pierre de construction et sa mise en
œuvre : l’exemple de l’Anjou », op. cit. ; Des travaux similaires ont été réalisés
récemment dans le Bassin parisien et en Aquitaine : COULANGEON C., L’architecture
religieuse des Xe et XI e s. dans le sud-est du domaine royal capétien, Thèse de doctorat en
histoire de l’art et archéologie du Moyen Âge (dir. J.-P. Caillet), Université Paris-Ouest
Nanterre, 2014, 3 t. ; M. PROVOST, Les mutations de l’architecture religieuse romane dans les
anciens diocèses de Bordeaux et de Bazas (XIe et début XII e siècles), Thèse de doctorat en
histoire de l’art médiéval (dir. P. Araguas), Université Bordeaux Montaigne, 2014, 3 t. ;
pour la Picardie : GILLON P., 2012, op. cit.
54. À ce titre, on peut faire le parallèle avec certaines méthodes de datation largement
éprouvées dont le fonctionnement repose en grande partie sur des référentiels
spécifiques comme la dendrochronologie ou l’archéomagnétisme.
55. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que des prises d’échantillons hors
contexte stratigraphique assuré ont pu conduire à des caractérisations publiées, mais
mal datées.
578

RÉSUMÉS
Le choix des matériaux occupe une place importante dans l’élaboration du projet architectural,
et détermine des orientations essentielles pour le chantier, dans la réalisation de celui-ci, son
organisation, voire sa progression. Loin de se résumer à un simple descripteur ou accessoire de la
stratigraphie du bâtiment, les matériaux de construction sont avant tout le reflet d’une réalité
complexe du chantier à la fois matérielle et immatérielle : projet, exigences et capacité financière
du commanditaire, réseaux d’échange, environnement sollicité. Leur prise en compte dans
l’analyse du bâti transcende la logique stratigraphique, en épaulant celle-ci là où elle fait défaut
et en replaçant la réflexion dans une vision diachronique de l’économie de la construction à une
échelle régionale où, dans la majorité des cas, d’un siècle à l’autre, la même contrainte
environnementale contribue significativement à façonner l’approvisionnement du chantier et le
visage du futur bâtiment.
La contribution s’attachera à présenter ces différents enjeux en se basant principalement sur le
domaine de la maçonnerie et de la couverture.

The choice of materials plays an important part in the architectural project elaboration and
determines essential orientations of the construction site, its realization, its organization, and
even its progression. Far from being a simple descriptor or accessory to the building
stratigraphy, the construction materials reflect above all the building site complex reality, both
material and immaterial : project, patron’s requirements and financial capacities, exchange
networks, solicited environment. Their consideration in the analysis of the built environment
transcends stratigraphic logic, supporting it where it is lacking and placing the reflection in a
diachronic vision of the economy of construction on a regional scale where, in most cases, from
one century to the next, the same environmental constraint contributes significantly to shaping
the supply of the construction site and the appearance of the future building.
The paper will focus on presenting these different issues, mainly based on the fields of masonry
and roofing.

INDEX
Keywords : construction materials, construction site, supply, transport, production capacity,
building stone, brick, roof tile, mortar, Middle Ages
Mots-clés : matériaux de construction, chantier, approvisionnement, transport, capacité de
production, pierre à bâtir, brique, tuile, mortier, Moyen Âge

AUTEURS
SYLVAIN AUMARD

Archéologue spécialiste du bâti, Centre d'études médiévales d'Auxerre, associé UMR 6298
ARTEHIS.
sylvain.aumard@cem-auxerre.fr
579

STÉPHANE BÜTTNER

Archéologue spécialiste du bâti, Centre d'études médiévales d'Auxerre, associé UMR 6298
ARTEHIS.
stephane.buttner@cem-auxerre.fr

DANIEL PRIGENT

Conservateur en chef honoraire du patrimoine, Service archéologique départemental de Maine-


et-Loire, associé UMR 6298 ARTEHIS.
580

Intervenir sur du bâti urbain : les


églises de Poitiers (France, Vienne)
Investigating urban buildings : the churches in Poitiers (France, Vienne)

Brigitte Boissavit-Camus

1 L’archéologie du bâtiment-église a maintenant une longue histoire en France. En sus de


préoccupations toutes scientifiques, cette histoire s’inscrit dans une relation privilégiée
avec les interventions en contexte patrimonial. Au XIXe siècle, les méthodes
d’investigation se sont donc aussi élaborées en lien avec la production d’inventaires et
la volonté de classifier les édifices pour établir une politique de conservation et de
restauration. En attestent autant les préoccupations d’Arcisse de Caumont et de la
Société française d’archéologie que les enquêtes administratives du XIXe siècle ou les
consignes prises en 1838 par la jeune Commission des Monuments historiques1. Dès
lors, le pli étant pris, cette spécialité continuera par la suite à se construire dans la
confrontation des questionnements des historiens d’art, des praticiens et des
archéologues.
2 Comme l’a exposé Alice Vanetti en introduction de ce colloque, en France, il faut
attendre les années 1970-80, pour que, dans le contexte de l’archéologie dite alors de
sauvetage, la rencontre des études architecturales avec la nouvelle archéologie
médiévale, en particulier urbaine, fasse évoluer les méthodes d’analyse vers
l’archéologie du bâti. Ce colloque témoigne des convergences et des réactualisations qui
se sont peu à peu opérées depuis, tout particulièrement avec l’intrusion des analyses en
laboratoire et celle des nouvelles technologies numériques pour les relevés et leurs
rendus. Pour autant, malgré les difficultés et les conflits entre institutions ou
disciplines, on constate que l’évolution scientifique et technique ne s’est pas faite au
détriment d’approches plus traditionnelles. Pour l’architecture religieuse en
particulier, un lien fort s’est maintenu avec la recherche en histoire de l’art et de la
liturgie, ce qui s’explique par l’augmentation des interventions en contexte de travaux
MH, notamment après 19852 et par l’ancrage de certaines formations universitaires en
archéologie au sein des départements d’histoire de l’art, après les directives de 1995
relatives à la Licence d’archéologie3.
581

3 À Poitiers, les études sur les édifices du haut Moyen Âge sont un bon exemple de cette
histoire qui a associé étroitement recherche archéologique et interventions en contexte
de sauvetage ou de travaux Monuments historiques. Si on laisse de côté les premières
recherches menées sur le baptistère Saint-Jean, lesquelles étaient fondées sur des
préoccupations scientifiques, on constate qu’après l’acquisition de l’édifice par l’État en
1834, les travaux ont par la suite toujours conjugué, à un moment ou l’autre,
programmes scientifiques et patrimoniaux. Entre 1836 et 1901, ce sont Adolphe Berty et
Charles Joly Leterme4 lors de la grande restauration du XIXe siècle, puis, au tournant du
XXe, le père Camille de La Croix et l’architecte diocésain Jean-Camille Formigé. Après-
guerre, entre 1958 et 1964, c’est au tour de François Eygun, premier directeur des
Antiquités de la VIIe circonscription archéologique, de s’associer au dessinateur des
bâtiments de France, Jean Sémionoff-Bru. Plus récemment, en 2000 et 2001, durant
l’opération d’archéologie programmée (1995-2002), la Conservation régionale des
Monuments historiques a lancé une opération de rénovation des parois extérieures
sous la direction de l’ACMH François Jeanneau : la pose d’échafaudages fut alors
l’occasion d’étudier les élévations extérieures (Fig. 1)5.

Fig. 1. Poitiers, Baptistère Saint-Jean, salle baptismale et abside, élévation est (DAO S. Dalle, in
BOISSAVIT-CAMUS B. dir., Le baptistère Saint-Jean…, 2014, Pl. 3-C, p. 475).

4 Quant au second monument renommé de la cité, l’hypogée de Mellebaude, sa


découverte en 1878 s’inscrit dans un contexte d’aménagement urbain, lors des fouilles
de la nécropole gallo-romaine des Dunes effectuées par le commandant Rothman.
Classé MH dès 1886, il fut racheté au ministère de la Guerre par le père de La Croix, qui,
après l’avoir ré-enfoui puis redégagé en 1911 pour mettre ses vestiges en valeur, le
légua à la Société des antiquaires de l’Ouest (SAO), laquelle le céda à la commune. Il
faudra attendre la fin des années 1990 pour que, au vu de la dégradation des vestiges et
sous la pression des chercheurs, les services patrimoniaux de la DRAC et la municipalité
mettent en place une opération d’archéologie du bâti confiée à Bénédicte Palazzo-
Bertholon, en préalable à une restauration et à une nouvelle présentation de l’édifice6.
Ces associations pluri-institutionnelles s’attachent aussi à des églises plus récentes7.
582

5 Depuis le XVIIIe siècle, l’histoire de la recherche sur les bâtiments religieux de Poitiers
suit en fait la trajectoire nationale, avec une première phase de recherches volontaires
à l’initiative de religieux8 et d’érudits locaux, membres de sociétés savantes locales 9.
Assez tôt dans le XIXe siècle, les antiquaires poitevins procèdent à des inventaires du
patrimoine médiéval, plus sous l’influence d’Arcisse de Caumont et de la Société des
antiquaires de Normandie que pour répondre aux enquêtes administratives. En 1834,
année de la fondation de la SAO, c’est à Poitiers que se déroule le deuxième congrès
scientifique de France, grâce à l’entremise d’Armand Désiré de la Fontenelle de
Vaudoré, qui, avec Célestin Hippeau, avait présidé la section d’archéologie et d’histoire
du premier congrès, tenu à Caen un an plus tôt10. Cette même année 1834, Ludovic
Vitet, premier inspecteur des Monuments historiques, visite le Poitou et les églises de
Poitiers, suivi en 1835 par Prosper Mérimée. Les contacts qui se nouent alors et la mise
en place de réseaux savants éclairent les premières protections au titre des Monuments
Historiques et les recherches qui les accompagnent. On connaît bien le récit du
sauvetage du baptistère de Poitiers, un peu moins celui d’autres édifices comme la tour-
porche de Saint-Porchaire, menacée en 1843 de destruction par le plan d’alignement de
1827 mais sauvée par l’intervention de Mérimée alerté par les antiquaires (Fig. 2)11. En
2019, 85 édifices étaient protégés au titre des MH à Poitiers, parmi lesquels 13 sont des
églises médiévales dont 4 figuraient déjà sur la liste de 1840 (Tableau 1).

Fig. 2. Poitiers, tour-porche de l’église Saint-Porchaire (cl. B. Boissavit-Camus).


583

Tableau 1. Lieux de culte chrétien protégés au titre de Monuments historiques (informations notices
1992).

6 Les débuts étaient prometteurs. À partir des années 1950 et 1960, cette recherche est
renforcée par des agents du ministère de la Culture comme François Eygun et par des
universitaires comme René Crozet ou Carol Heitz, rattachés au Centre d’études
supérieures de civilisation médiévale (créé en 1953). À partir de 1970, elle reste portée
par les universitaires12 - un département d’histoire de l’art ayant été créé à Poitiers en
1973 -, par les agents du ministère de la Culture, au sein de la DRAC créée en 1972, et
par les conservateurs du Musée municipal Sainte-Croix. Tous ces différents acteurs se
retrouvent et échangent au sein de la SAO. Dans ces années, ont lieu quelques
opérations archéologiques menées dans un contexte de sauvetage, mais l’étude
archéologique ne porte encore que sur les vestiges enfouis et privilégie les couches
antiques malgré la présence d’éléments encore en élévation, ainsi en 1977, lors des
fouilles de l’ancienne église Saint-Pierre-le-Puellier, seul le plan du dernier état de
l’église a pu être restitué13. Pour que la « frontière du bitume » soit ici aussi franchie, il
faudra attendre la restauration de la façade de Notre-Dame la Grande en 1991, où, non
sans mal, l’opération archéologique put englober en partie l’étude des élévations (Fig.
3)14.
584

Fig. 3a. Poitiers, église Notre-Dame, revers de l’arcade nord de la façade occidentale (cl. P. Ernaux,
1991, in BOISSAVIT-CAMUS B., Poitiers, Notre-Dame la Grande. Rapport de sauvetage (1991-1992), Poitiers,
DRAC-SRA, pl. XLIII).

Fig. 3b. Poitiers, église Notre-Dame, relevé du revers du gouttereau sud de la première travée (S. Dalle
del., 1991).

7 Il n’est pas lieu de s’étendre plus avant sur l’histoire des cadres et des méthodes de
l’archéologie du bâti, car ces aspects sont développés dans d’autres communications.
585

Notre but était de souligner l’ancienneté et la richesse de la recherche poitevine en ce


domaine, et d’attirer l’attention sur la diversité documentaire et scientifique produite
par une longue historiographie, parfois prestigieuse. Nous souhaiterions aborder ici
une autre dimension née de la rencontre de l’archéologie monumentale avec
l’archéologie urbaine, à savoir la relation de l’édifice à son contexte, une dimension à
laquelle l’archéologie du bâti peut contribuer de façon essentielle. Porter l’analyse à
une ou des échelles autres que celles du monument exige toutefois de s’affranchir de
l’objectif monographique, et de formuler des problématiques appropriées. Résoudre des
questions comme celles de savoir ce que peut apporter l’archéologie, et
particulièrement l’archéologie du bâti, à l’étude du réseau des églises dans la durée ou
sur le poids du réseau médiéval dans la fabrique du passé urbain suppose d’étudier
diverses interactions entre l’édifice et son environnement. Trois échelles semblent ici
pertinentes : l’édifice et ses abords immédiats, le quartier où il s’intègre, la totalité de la
ville enfin. Dans tous les cas, l’analyse n’est valable que si elle s’appuie sur une
connaissance la plus précise possible des données et des sites mobilisés.
8 Comme pour une étude monographique, la réflexion préalable demande de commencer
par faire un état des lieux précis des documentations et des interprétations
antérieures15. La chose est loin d’être simple, car, outre saisir la diversité des sources et
des documents et les évolutions qui les ont constitués – pour Poitiers sur une durée
d’environ 300 ans -, viennent s’ajouter des contraintes d’accessibilité et d’exploitation
de ces archives pour des raisons de propriété institutionnelle ou intellectuelle. Pour les
sites eux-mêmes, ce sont des contraintes d’usage ou d’accès aux vestiges, voire de coût
financier pour y déployer une étude solide. Une autre difficulté tient à la perception de
ce patrimoine religieux. S’il est parfois protégé en raison de ses qualités artistiques ou
historiques, il est souvent non protégé voire peu visible, car, quand ces églises n’ont pas
été entièrement détruites, leurs restes sont masqués ou inclus dans des murs
postérieurs. De surcroît, dans une ville comme Poitiers, la présence d’édifices à haute
valeur artistique ou patrimoniale tend à éclipser l’attention portée envers les vestiges
plus modestes. Or ces derniers recèlent une forte valeur informative tant pour l’histoire
de l’architecture ou de l’histoire de l’art que de l’histoire urbaine, en ce que ces
maçonneries sont les seuls realia conservés à même de nous informer sur l’histoire de la
construction ou sur la composition du paysage monumental de certaines périodes, en
particulier jusqu’au Xe, voire XIIe siècle. À travers quelques exemples antérieurs au XIIIe
siècle, nous tenterons de donner un aperçu de la complexité, de l’intérêt et du potentiel
de ces édifices. Au passage, nous tenterons de montrer les apports de l’archéologie du
bâti, mais il nous faut d’emblée préciser qu’ici aussi, surtout dans une perspective
d’étude urbaine, l’archéologie du bâti ne saurait, pas plus que les autres sources, être
érigée en unique source. Sa contribution est en revanche fondamentale par les données
et les documentations qu’elle produit et par les thématiques sur lesquelles elle met
l’accent, telles la chronologie fine et concrète des chantiers, les matériaux ou les
techniques de mise en œuvre.
9 Auparavant, posons en quelques mots le cadre général d’une ville créditée de 27 églises
paroissiales à la fin du Moyen Âge16. Au milieu du IVe siècle, Poitiers est, sous l’autorité
d’Hilaire (av. 355-367/368), premier évêque dûment attesté, le chef-lieu d’un grand
diocèse. Le groupe épiscopal est implanté sans doute peu ou prou sous son épiscopat,
sur l’une des basses terrasses du versant est, le long d’axes menant à deux portes
urbaines et en plein cœur d’un centre urbain désormais proche du Clain. Cette nouvelle
586

centralité devient jusqu’au XIIe siècle le noyau d’un vaste quartier qui se développe
dans et hors l’enceinte tardo-antique, avant de se fragmenter en de plus petits secteurs
spécialisés. Au sud de l’agglomération, une basilique suburbaine, reconstruite ensuite
par Clovis, est édifiée sur la tombe d’Hilaire ou à côté, au plus tard au tout début du VIe
siècle mais plutôt dans le courant du Ve. Elle commémore la mémoire de l’évêque,
patron de la ville, et dessert les défunts inhumés dans ce cimetière chrétien qui s’est
développé à la marge d’une importante nécropole gallo-romaine et demeure l’un des
principaux de la ville de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge17, même si de
nouveaux lieux funéraires sont implantés au pied de l’enceinte. Le besoin d’édifices
pour célébrer les funérailles et les cérémonies mémorielles ou pour pratiquer des
dévotions envers les saints se développe durant tous les Ve-VIIIe siècles (Fig. 4). À ces
oratoires, il faut adjoindre les églises des communautés religieuses, au premier rang
desquelles celle du monastère féminin fondé par la reine Radegonde vers 557 dans les
murs de la ville et deux xenodochia avec leur lieu de culte, édifiés au cours des VIIe-VIIIe
siècles, l’un près de la domus ecclesiae et l’autre du monastère Saint-Hilaire. Certaines
églises, sises notamment près des portes urbaines comme la petite église Saint-Michel,
pourraient avoir joué un rôle d’accueil et d’assistance envers les fidèles du diocèse, les
indigents ou les pèlerins18.

Fig. 4. Poitiers, implantation des églises médiévales (B. Boissavit-Camus del., 2019)

10 Les sources architecturales, iconographiques et textuelles, relatives aux grands


établissements religieux, monastiques et canoniaux, dont la ville médiévale et moderne
est très bien pourvue, offrent, parfois dès les débuts de la période carolingienne19, une
documentation assez fournie pour certains quartiers, comme celui de Saint-Hilaire20.
Nombre d’églises ne sont toutefois mentionnées qu’au XIVe siècle, si bien qu’on ne
dispose pas encore d’une chronologie fine de leur construction ou reconstruction avant
les XIIe-XIIIe siècles, voire 1326 (Fig. 5).
587

Fig. 5. Poitiers, chronologie des fondations des églises médiévales (B. Boissavit-Camus del., 2019).

11 Les bâtisses sont aussi très inégalement parvenues dans leur matérialité, surtout avant
la période gothique. Les raisons sont là multiples. Outre des transformations
architecturales à la suite de désaffectations parfois anciennes, les lacunes tiennent aux
multiples modifications et reconstructions dues à des fins liturgiques ou artistiques,
surtout pour les édifices du haut Moyen Âge devenus par la suite des sièges de paroisse.
Restituer une chronologie fine de la topographie religieuse et de ses évolutions avant le
XIVe siècle est donc un exercice encore délicat, avec des résultats inégaux selon les
siècles.
12 Si l’on s’intéresse à la place des oratoires du haut Moyen Âge dans la formation du
réseau des églises urbaines de Poitiers, la période VIIIe-1er tiers du XI e siècle apparaît
comme une fourchette à privilégier pour comprendre où et quand, mais aussi comment
ils sont implantés dans la ville. Pour contourner la difficulté d’une date de fondation ou
de reconstruction inconnue et mesurer l’impact de ces églises dans les transformations
du tissu urbain et du paysage monumental, l’approche comparative doit en premier
s’attacher à l’aire de l’édifice, afin de comprendre l’articulation de ce dernier avec ses
abords immédiats et au-delà sa place dans l’évolution du quartier.
13 Pour illustrer ce propos, nous évoquerons une série de petites églises situées entre la
cathédrale gothique Saint-Pierre et le baptistère Saint-Jean et dont on peut penser qu’à
l’instar de Saint-Jean, certaines pourraient avoir une origine paléochrétienne ou du
haut Moyen Âge (Fig. 6). Elles se situaient sur le front est d’une rue menant de Saint-
Jean vers la porte orientale. Après la construction du chevet de la cathédrale gothique,
entre 1155 et 1175 ou 118021, cette rue est devenue une impasse22. On les a longtemps
associées au groupe épiscopal, mais cette appartenance, tout comme la période de leur
fondation, est loin d’être assurée. Il pourrait tout aussi bien s’agir pour certaines de
fondations privées ou d’églises de communautés disparues, implantées à proximité du
groupe cathédral. La localisation de la plupart d’entre elles est bien connue par leurs
588

vestiges ou par leur représentation à la période moderne, en particulier sur le plan dit
des Échevins daté de 1682-1686 et qui atteste de leur situation en dehors de
l’episcopium23, à l’exception toutefois de Notre-Dame entr’Églises mentionnée de 1326 à
1647 car son emplacement, comme son origine, nous sont inconnus24. S’il s’agissait de
l’église Sainte-Marie mentionnée en 924 dans la canonica de la cathédrale, elle pourrait
avoir appartenu au groupe épiscopal, mais on ne peut ni l’affirmer ni l’exclure, car la
Sainte-Marie de la canonica de Saint-Pierre est aussi identifiée à Notre-Dame la
Grande25. L’histoire de l’église Saint-Jean est en revanche assez bien connue grâce à
l’étude de ses élévations exceptionnelles qui documentent les Ve-XIe siècles, une
période qui serait autrement muette, car la première mention de l’édifice ne date que
de 1096. Savoir quand le baptistère devient une église fait partie d’un lot de questions
irrésolues. Un autel avec des reliques est installé assurément au VIIe siècle et sans doute
dès les transformations du VIe siècle, mais ce n’est qu’avec la réfection de la cloison
intérieure, au IXe ou X e siècle, que l’alimentation en eau courante de la piscine
baptismale est définitivement abandonnée. On peut penser que ces travaux
carolingiens, destinés à ouvrir un accès direct à l’autel depuis l’entrée, entérinent au
moins sa transformation en église, même si l’édifice garde un statut complexe jusqu’au
XVIIe siècle : placé sous l’autorité d’un abbé (personnat au bénéfice d’un des chanoines
de la cathédrale), il sert d’église aux chanoines et l’évêque y affirme sa prééminence sur
les curés du diocèse, lors d’une cérémonie annuelle de baptême et de distribution des
eaux pascales. Au cours du XIIe ou XIII e siècle, il devient le siège d’une petite paroisse.
La stratigraphie et les rehaussements du seuil montrent que d’importants remblais ont
été déposés contre ses murs aux XIe et XIIe siècles, surtout au nord et à l’ouest26. Plus au
nord, à l’emplacement de ce qui serait le front de rue opposé si la rue antique reconnue
à l’ouest en 1984-86 a perduré ici au-delà du Ve siècle, se trouvait l’église de Saint-
Martin, détruite au XIXe siècle. Le prieuré Saint-Martin est cité au tout début du XIV e
siècle dans le Pouillé du diocèse, mais l’église pourrait avoir une origine plus ancienne
si les reliques de Martin, brandies en 590 par l’évêque Plato pour éteindre un incendie
proche de la domus ecclesia, étaient conservées dans un édifice dédié27. Des actes du Xe
siècle mentionnent aussi des terres de Saint-Martin, mais l’identification de
l’établissement n’est pas non plus certaine28. Plus au nord encore, l’église Saint-Hilaire,
désignée aussi entr’Églises à partir du XIVe siècle, a été entièrement reconstruite au
XIXe siècle sans fouille ni étude des élévations. Et c’est bien dommage, car cet édifice,
attesté pour la première fois en 1096 lorsqu’un chanoine de la cathédrale en finance la
reconstruction et la transformation en église paroissiale, possédait encore, au début du
XIXe siècle, deux niveaux avec un tombeau en marbre dans l’église inférieure . Le
témoignage de l’évêque d’Orléans ne permet pas d’interpréter cette église inférieure
comme une crypte au sens classique d’une crypte liturgique ou architecturale29. Enfin
sous le collatéral nord de la cathédrale gothique, se trouvent deux autres églises
antérieures à la construction de celui-ci. La chapelle Saint-Sixte, toujours conservée en
chapelle souterraine, a été résignée en 1610. La construction parementée en moyen
appareil ne semble ici guère antérieure au milieu du XIIe siècle. Dans les statuts de
l’Église cathédrale de 1290, cette chapelle était desservie par son propre chapitre, et
l’on peut penser qu’elle appartenait à l’origine à une communauté particulière. Le mur
gouttereau sud, aveugle, était en effet mitoyen d’une salle de même construction,
voûtée d’ogives et avec laquelle elle correspondait autrefois. Au nord, les fenêtres
bouchées de Saint-Sixte confirment qu’elle était à l’origine de plain-pied de ce côté-là
aussi30. Les relevés des murs et de l’escalier d’accès aménagé au XIIe siècle enfin,
589

exécutés lors des fouilles de la fin du XIXe siècle 31, indiquent qu’à l’est et à l’ouest, le
niveau de circulation était à l’origine 6 m en dessous du sol de la cathédrale actuelle. Il
en était de même des sols d’une maison, d’une ruelle et d’un autre oratoire qui se
situaient immédiatement à l’ouest. Le père de La Croix considérait celui-ci - à tort entre
autres à cause de ses petites dimensions, mais aussi de la présence au sud d’une maison
- comme une abside de la cathédrale mérovingienne ou romane. L’autel de l’oratoire
situé à la verticale contre le gouttereau nord de la cathédrale de l’oratoire est dédié en
1562 à Notre-Dame l’ancienne, et il est tentant de penser, mais sans preuve autre que la
relation topographique, qu’il pourrait s’agir d’un transfert de titulature après la
destruction de cette petite église. Pourrait-il aussi s’agir de l’église Notre-Dame
mentionnée dans la canonica de la cathédrale évoquée plus haut ? On ne le sait, mais on
ne peut la confondre avec Notre-Dame entr’Églises, puisque celle-ci existait encore
après la reconstruction de Saint-Pierre32. Saint-Sixte a donc été entièrement enfoui,
mais son usage conservé, tandis que l’oratoire inconnu découvert à l’ouest a été détruit.

Fig. 6. Poitiers, Le groupe épiscopal et ses abords, 1018-1154 (G. Dinety del., in BOISSAVIT-CAMUS B., Le
baptistère Saint-Jean…, 2014, fig. 315).

14 Toutes ces petites églises ont ainsi connu après le chantier gothique de Saint-Pierre des
fortunes diverses : détruite (l’oratoire de titulature inconnue), transformées en églises
souterraines (Saint-Sixte et la chapelle inférieure de Saint-Hilaire entr’Églises33) ou
encore dotées d’un nouveau sol rehaussé et pourvu d’un escalier de plusieurs degrés
(Saint-Jean et peut-être Saint-Martin). Grâce à l’analyse archéologique des élévations
de Saint-Jean et de l’escalier d’accès à la chapelle Saint-Sixte, des données que l’on a
confrontées aux autres informations textuelles, iconographiques et archéologiques, il a
donc été possible de démontrer que les bâtisseurs de la cathédrale du XIIe siècle n’ont
pas hésité à modifier profondément la topographie du quartier et à enfouir ou détruire
des églises pour leur grand projet. Cette solution présentait d’autres avantages. Elle
évitait en premier de charrier une quantité importante de débris – ce qui donne à
590

penser que la récupération des matériaux, y compris des blocs taillés, n’était plus une
nécessité absolue. Elle offrait la possibilité de donner un niveau de circulation cohérent
à la nouvelle cathédrale, longue d’environ 100 m. Elle satisfaisait peut-être aussi une
exigence de la communauté de Saint-Sixte de maintenir son église en échange de ses
terrains.
15 On retrouve un procédé d’englobement des structures anciennes un peu plus tôt dans le
XIIe siècle, à Notre-Dame la Grande, où les deux travées occidentales, ajoutées entre
1090 et 1130, entourent l’ancien porche ou tour-porche, élevé contre la façade de
l’église dédicacée en 1086. Ici la préoccupation paraît moins d’allonger l’édifice que
d’éviter de fonder la nouvelle façade, un mur rectiligne, sur des structures arasées
pouvant constituer autant de points durs à même de fragiliser la nouvelle construction
et son beau programme sculpté (Fig. 7). D’autant que la place ne manquait pas autour
de l’entrée du XIe siècle, puisque s’y étendaient des espaces libres, cimetière, ruelle,
parvis ou place. Ce que les constructeurs romans n’avaient pas prévu, c’était la
présence de vestiges antiques enfouis (Fig. 8). L’étude des maçonneries a montré que la
résolution de ce problème entraîna des interruptions de chantier (trois campagnes
discernables) et une modification de l’axe du mur de la façade, finalement oblique par
rapport celui de l’ancienne nef et des deux travées neuves. On modifia aussi la manière
de fonder, car, dans les angles, pour supporter les tourelles qui encadrent l’écran
sculpté, on a préféré de grandes fondations en blocage à des fondations assisées (Fig. 9).
Les aléas du chantier conduisirent aussi les constructeurs à changer les cotes de sol fini
par trois fois pour raccorder le niveau extérieur avec le niveau intérieur de l’église du
XIe siècle. Toutefois, la comparaison des altitudes entre les semelles terminales des
fondations, les socles des supports et les sols, en particulier les traces au revers de la
façade de sols disparus, indique que le dispositif retenu pour la nouvelle entrée
accentuait plus que nécessaire les variations entre les niveaux de sol (Fig. 10). Avec un
degré extérieur composé de deux marches montantes avant le seuil, puis, celui-ci
franchi, avec un escalier de sept marches descendantes qui se terminait dans la
première ou la seconde travée par un sol plus haut de deux marches dans le vaisseau
central, les constructeurs semblent avoir opté pour l’accentuation de la perspective. À
l’extérieur, la façade était donc plus élancée que ce qui est aujourd’hui restitué et son
unique seuil bien visible. À l’intérieur, depuis ce seuil, celui qui pénétrait dans l’église
embrassait aisément le rond-point du chœur et l’autel, tandis qu’à l’inverse, depuis le
chœur ou la nef relativement sombre, cette installation détachait dans l’encadrement
de la porte quiconque entrait dans l’église. Lors des grandes cérémonies, quand l’église
était pleine et que pénétraient le comte et sa suite ou l’évêque si ce dernier ne pénétrait
pas par le porche latéral34, ce dispositif donnait à leur arrivée une certaine solennité.
591

Fig. 7a et b. Poitiers, Notre-Dame la Grande, chronologie des maçonneries retrouvées en 1991 (B.
BOISSAVIT-CAMUS, Poitiers, Notre-Dame la Grande. Rapport de sauvetage (1991-1992), Poitiers, DRAC-
SRA, plan 1).
592

Fig. 8. Poitiers, Notre-Dame la Grande, angle interne SE, avec au premier plan, les blocs de la
construction antique arasée (cl. P. Ernaux, in BOISSAVIT-CAMUS B., Poitiers, Notre-Dame la Grande. Rapport
de sauvetage (1991-1992), Poitiers, DRAC-SRA, pl. II).

Fig. 9. Poitiers, Notre-Dame la Grande, fondation de la façade ouest sous la tourelle NO (cl. P. Ernaux, in
CAMUS M.-T., ANDRAULT-SCHMITT C., Notre-Dame la Grande de Poitiers…, fig. 93).
593

Fig.10. Poitiers, Notre-Dame la Grande, sols de la première travée ouest (relevés S. Dalle).

16 Mais évaluer finement la place des églises dans la formation de l’espace urbain et de
son paysage repose sur la précision chronologique, seule condition pour savoir à
quelles transformations urbaines et, au premier chef celles survenues alentour, il
convient de relier les phases de l’édifice. L’importance de la documentation
archéologique acquise autour du baptistère, et la critique de cette dernière, a ainsi
permis de corréler divers sites archéologiques entre eux pour proposer une restitution
de l’évolution parcellaire de la propriété épiscopale, entre l’implantation de la
cathédrale dans le troisième quart du IVe siècle et la fixation de l’emprise de
l’episcopium au XII e siècle, lorsque l’évêque Gilbert de la Porée (1142-1154), en
reconstruisant le palais épiscopal plus au nord et « en entourant l’enclos canonial de
hauts murs »35 fixa l’emprise de l’évêché et du palais épiscopal jusqu’au XVIII e siècle
(Fig. 6 et 11). Après l’incendie de 1017-18, la réparation du vieux baptistère, sa
reconstruction partielle et son embellissement témoignent de l’attachement de l’Église
poitevine au vieil édifice, même s’il était désormais en dehors de l’emprise de
l’episcopium. Peut-être avait-on déjà conscience de l’ancienneté de ses murs auxquels se
rattachait la mémoire d’Hilaire et des débuts de la communauté chrétienne, en tout cas,
dans le contexte de la réforme grégorienne, portée par Isembert II après 1075 puis par
Pierre II (1086-1115), c’était un lieu symboliquement idéal pour, en cette fin de siècle,
rappeler à tous, puissants, clercs et fidèles, les fondements du salut chrétien dans un
très beau décor peint, évoquant la force des sacrements du baptême et de l’eucharistie,
les exempla de l’Église et de ses saints locaux, enfin la place et les devoirs du pouvoir laïc
dans l’encadrement du peuple chrétien (Fig. 12)36.
594

Fig. 11. Poitiers, Le groupe épiscopal et ses abords, 1154-XVIIe siècle (G. Dinety del., in BOISSAVIT-CAMUS
B., Le baptistère Saint-Jean…, 2014, fig. 322).

Fig. 12. Poitiers, mur oriental (cl. J.-F. Amelot, in BOISSAVIT-CAMUS B., Le baptistère Saint-Jean…, 2014, fig.
304).

17 L’analyse des églises peut aussi intéresser l’étude de la ville tout entière, grâce à des
cartes de répartition, en suivant par exemple l’évolution des implantations religieuses
595

ou la densité des édifices selon les quartiers (Fig. 4). Les graphiques de données
quantifiées autorisent aussi à aborder des évolutions technologiques. Daniel Prigent l’a
bien montré à propos de la taille et des dimensions des blocs dans les églises angevines
et plus récemment pour la cathédrale gothique de Poitiers37. Nous les avons aussi
utilisés en 2004 pour l’évolution du paysage monumental religieux et l’activité de la
construction médiévale à Poitiers, en démontrant qu’il ne fallait pas se contenter de la
première mention de l’édifice ou d’un établissement mais intégrer tous les chantiers
connus par des mentions ou des vestiges (Fig. 13)38. En l’absence de sources textuelles
ou en complément de celles-ci, là où la matière existe, l’intérêt de l’archéologie du bâti
est de mettre en évidence des variations dans l’activité de la construction. La
conservation des élévations du baptistère de Poitiers a certes tôt attiré l’attention des
chercheurs sur les reprises mérovingiennes, mais, avant l’étude de bâti des années
2000-2001, on ne mesurait ni leur ampleur ni la portée des restructurations
carolingiennes, pas plus qu’on évaluait le nombre important des campagnes de travaux
antérieures au XIIe siècle (7 au lieu des 3 identifiées par nos prédécesseurs) ou la
datation de ces dernières. Disposer d’une information quantifiée et bornée pour les
éléments constructifs contribue ainsi à évaluer plus concrètement le poids économique
de la construction des églises, l’investissement des acteurs dans la durée, amenant à
terme à reconsidérer la question des ateliers, la transmission des savoir-faire, voire la
circulation de modèles.

Fig. 13. Édifices et chantiers à Poitiers entre 350 et 1200 d’après la documentation textuelle (enquête
B. Boissavit-Camus, 2004).

18 La perception d’une église dans la ville médiévale ou celle des églises en tant que réseau
artistique et patrimonial ne s’analyse pas seulement par leur position dans la ville, ce
qui amène du fait des hasards informatifs à privilégier une tranche chronologique.
Cerner l’histoire du lieu et la place qu’il occupe sur la durée dans les pratiques spatiales
des habitants est également une dimension importante pour comprendre l’histoire de
596

la ville. Ce thème peut être abordé par l’étude spatio-fonctionnelle du site et par la
valorisation apportée à l’architecture ou au lieu, même si la création d’une perspective
urbaine mettant en valeur l’architecture, comme le parvis architecturé du XVe siècle de
Sainte-Radegonde, est rare avant la période moderne ou qu’on la perçoit mal39.
L’archéologie du bâti peut y contribuer par l’analyse de la forme, des matériaux utilisés
ou du décor. Elle concourt en effet à mieux saisir la visibilité de l’édifice et
l’intentionnalité que cela sous-tend. Si par exemple, on se demande à partir de quand, à
Poitiers, une architecture a été assimilée à la présence d’un lieu de culte chrétien, et ce
qui signale cette appartenance, plusieurs pistes peuvent être explorées : le plan, la
présence d’une abside, un chevet en forme de croix, la hauteur, la qualité des
matériaux, le décor, etc. Grâce l’étude des maçonneries (fondations et élévations), il a
été possible de placer la construction des salles annexes carrées flanquant la salle
baptismale du baptistère au Ve siècle et leur remplacement par des absides semi-
circulaires faisant véritablement corps avec l’édifice au VIe (Fig. 14 et 15)40. Les murs qui
séparaient alors les différentes parties de l’édifice ne permettaient pas de percevoir le
plan masse général cruciforme, depuis l’intérieur. La forme de croix n’était perceptible
que de l’extérieur. À partir du VIIe siècle, elle était en lien avec une iconographie
christique affichant clairement le motif de la croix sur les hauteurs extérieures de la
salle baptismale (Fig. 16). Or plusieurs éléments de ce décor sont des remplois, dont les
plus anciens - notamment les plaques ornées de croix – sont datés en dernier lieu du Ve
ou du VIe siècle41. Si ce décor remployé appartenait sans doute déjà à l’édifice, on ne sait
pas encore où et comment il était disposé. Seule une analyse du bâti aussi fine que celle
mise en œuvre pour les stucs de Vouneuil-sous-Biard permettrait peut-être d’aller plus
loin (traces et dimensions des pièces ; étude comparative des décors monumentaux des
IVe-VIe siècles)42.

Fig. 14. Poitiers, baptistère Saint-Jean, restitution de l’état 5, VIIe siècle (X. Daire del., in BOISSAVIT-CAMUS
B., Le baptistère Saint-Jean…, 2014, fig. 177).
597

Fig. 15. Poitiers, baptistère Saint-Jean, restitution de l’état 5, VIIe siècle (X. Daire del., in BOISSAVIT-CAMUS
B., Le baptistère Saint-Jean…, 2014, fig. 258).

Fig. 16a. Poitiers, baptistère Saint-Jean, partie haute de la face extérieure nord (cl. J.-F. Amelot, in
BOISSAVIT-CAMUS B., Le baptistère Saint-Jean…, 2014, pl. 40-A).
598

Fig. 16b. Poitiers, baptistère Saint-Jean, partie haute de la face extérieure nord (cl. J.-F. Amelot, in
BOISSAVIT-CAMUS B., Le baptistère Saint-Jean…, 2014, pl. 41-A).

19 À l’étude de l’emplacement, de l’accès, de l’emprise et de la forme inscrite dans


l’espace, s’ajoute donc celle d’éléments à caractère signalétique, perceptibles de
l’extérieur. Outre un décor particulier, une inscription, ce peut être aussi la présence
d’une partie architecturale développée, comme les clochers, les tours-porches, des
éléments parfois ajoutés, adossés à des façades antérieures (Fig. 17)43. Cette formule qui
a connu une certaine vogue à Poitiers au XIe siècle44, pourrait puiser en partie dans une
tradition altomédiévale de tours ou de porches monumentaux. Comme les places
architecturées, de tels aménagements sont rarement bien conservés et peu figurent sur
les documents modernes : la fouille archéologique et l’étude des traces sur les murs des
églises sont alors irremplaçables. En ce qui concerne les chevets, à Poitiers, l’étude dans
la longue durée reste à faire, car le chevet de nombre des églises paroissiales a été
repris entre le XIIIe et le XVIe siècle. Parallèlement à l’éclairement de l’autel et à la
valorisation de l’eucharistie, en particulier après le concile de 1215, a pu jouer alors un
désir d’ostentation sociale de la part des paroissiens ou de bénéficiaires, ce qui suppose
une capacité de financement des travaux. Encore faudrait-il estimer leur coût,
construction et décoration comprises. En l’absence de sources comme des comptes de
travaux, plus explicites que les impositions régulières des paroisses à partir du XIVe
siècle qui fournissent cependant des indications sur le niveau économique des
habitants45, là encore les données matérielles et artistiques peuvent contribuer à cette
réflexion. Une autre question est de se demander si les choix architecturaux,
techniques et artistiques, ont été adaptés à une situation topographique et à un
environnement particulier préexistants ou s’ils relèvent d’une opération d’urbanisme
particulière46, et même d’une recherche scénographique ou de perspective paysagère,
ou bien si avant Pétrarque s’extasiant en 1337 sur le mont Ventoux ou avant Jérôme
Münzer, décrivant en 1494 ou 1495 la ville de Poitiers depuis les hauteurs
environnantes, une telle préoccupation est anachronique47. L’archéologie du bâti, avec
ses études sur les matériaux et leur mise en œuvre, peut apporter des éléments de
599

réponse, même s’il est encore difficile de dépasser l’espace du quartier voire l’aire du
monument.
600

Fig. 17a, b et c. Poitiers, Saint-Porchaire, façade antérieure à la tour-porche (cl. B. Boissavit-Camus).

20 Ces dernières études nous renseignent mieux d’abord sur l’économie de la pierre et sur
l’approvisionnement des chantiers. Aucune enquête systématique sur les
approvisionnements en pierre ou sur la construction n’a encore été menée à l’échelle
de la ville, mais les monographies récentes abordent cet aspect. L’une des questions en
jeu est ici de comprendre à partir de quand, à Poitiers, se redéveloppe l’emploi de la
pierre taillée de blocs extraits en carrière.
21 L’analyse des parements du baptistère indique que les matériaux mis en œuvre
proviennent jusqu’au XIe siècle de récupérations (Fig. 18), et que ces éléments ont
souvent été remployés plusieurs fois. L’analyse faite par Annie Blanc (LRMH) des
calcaires des petits appareils allongés du VIIe siècle distingue deux bancs, tandis que
l’étude des traces d’outils (scie) et la répartition des classes de longueurs (deux
principales) indiquent qu’il ne s’agit pas de pierres neuves extraites en carrière48, mais
de blocs débités dans de grands appareils antiques récupérés sur un ou deux
monuments publics qui ont été sciés dans leur longueur (Fig. 19)49. Aller plus loin,
nécessiterait de disposer d’études plus fines des microcomposants et de données
pétrographiques semblables pour les monuments antiques encore conservés. Quoi qu’il
en soit, cette récupération implique que les travaux, datables grâce aux analyses
radiocarbones des années 660-67050, n’ont pu se faire qu’avec l’aval au moins de celui
qui avait autorité sur ces anciens monuments publics. L’évêque avait-il seul le pouvoir
de décision d’un tel prélèvement ? Rien n’est moins sûr car ces monuments devaient
relever des institutions municipales, encore bien attestées un peu plus tard au temps de
l’évêque Ansoald, ou du fisc royal, présent en Poitou durant la période mérovingienne
où des agents sont mentionnés51. À la période carolingienne, les angles NO et SO de la
salle orientale sont montés avec des grands et moyens appareils taillés, mais ce sont
encore des remplois, issus de la récupération de blocs des bandeaux mérovingiens. Ce
601

n’est qu’après l’incendie de 1017-18 qu’apparaît le moyen appareil en pierre de taille


désormais associé à des moellons équarris. Au début du XIe siècle, le chantier de la
cathédrale a dû constituer un moment charnière pour le redéveloppement de la taille
en carrière, même si les fouilles de Nelly Le Masne en 1987 ont bien montré que les
restes de la cathédrale primitive avaient été très largement récupérés52.

Fig. 18. Poitiers, baptistère Saint-Jean, face nord : étude des blocs (mise en œuvre et remplois).

Fig. 19. Poitiers, baptistère Saint-Jean, faces est et nord (cl. J.-F. Amelot).

22 Dans les contextes de forte demande, où s’approvisionnait-on lorsque les bâtiments à


démolir se révélaient des gisements insuffisants pour répondre aux besoins des
602

chantiers ? Au XIe siècle, après la cathédrale, la plupart des abbatiales et collégiales


importantes sont aussi reconstruites ; le XIIe ensuite, avant et pendant le grand
chantier de la cathédrale gothique, puis plus tardivement au XIIIe siècle jusque vers la
guerre de Cent Ans, sont deux périodes où de nombreuses reconstructions ont lieu dans
les églises paroissiales. Au début des années 1990, Annie Blanc a montré que les
matériaux de la nouvelle façade de Notre-Dame la Grande (v. 1090-1130) provenaient de
bancs exploités dans l’Antiquité53. Dans la cathédrale gothique, certains blocs
proviennent encore des mêmes bancs, mais les chercheurs, à défaut d’une analyse très
fine, font, disent-ils, « le pari de la proximité » car la « pierre de Poitiers », le calcaire à
chailles, mis en œuvre notamment dans le pignon est (l’un des premiers pans
construits) et dans la plupart des murs de l’édifice, affleure dans les falaises bordant les
deux cours d’eau de la ville et leurs vallées sèches. La sculpture et certains éléments des
tours de façade ouest sont taillés dans des blocs plus divers, dont les mêmes lourdines
semble-t-il qu’à Notre-Dame la Grande. Le tuffeau employé dans les voûtes pourrait
avoir été extrait dans deux bancs différents ; bien connus sur les bords de Loire, des
gisements se trouvent néanmoins à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville.
Quant aux autres bancs, dont Chauvigny, ils s’attachent surtout aux restaurations54.
23 L’étude des remplois permet aussi de réfléchir à leur importance, en particulier
l’évaluation de leur densité et la caractéristique des blocs remployés (ordinaire vs
monumental ou ornemental). On peut aussi tenter, autant que faire se peut bien sûr,
d’apprécier l’acte même de recycler ou au contraire celui de produire du matériau neuf.
Au baptistère, si les campagnes des Ve et VI e siècles remploient les pierres comme une
matière disponible sur place et pratique pour élever des parements traditionnels, on a,
pour la grande campagne du VIIe siècle, volontairement créé du matériau neuf dans les
blocs antiques, aussi ce nouveau petit appareil allongé a-t-il des longueurs très
différentes du petit appareil quadrangulaire et long antérieur. Le petit appareil cubique
visible dans les pignons et dans la partie haute de la face nord pourrait suggérer que
l’on a voulu ici donner l’illusion d’un petit appareil traditionnel. C’est en partie le cas,
mais la décision relève aussi d’une gestion de stocks en fin de chantier. En effet, les
quelques entailles emplies de faux joints en mortier faites sur les blocs allongés sont
absentes à l’intérieur et quasiment au niveau des baies extérieures. L’effet visuel
recherché ici s’apparente donc plutôt à la volonté de monumentaliser certaines parties
de l’édifice. Cet exemple montre aussi, à propos de la visibilité des bâtiments dans la
ville, combien il est important de comprendre la marche des chantiers et d’identifier
les repentirs éventuels. L’analyse de la répartition des types de calcaires et de remplois
dans les élévations du VIIe siècle n’a pas seulement renseigné le savoir-faire des
constructeurs, la gestion raisonnée des matériaux ou l’effet visuel recherché, elle a en
effet aussi révélé qu’un changement majeur du projet architectural était survenu en
cours de chantier. Faute de textes, les raisons n’en sont pas connues, mais en surélevant
la salle baptismale avec cet appareil apparent à l’extérieur, alors que le parement des
parties basses était laissé à pierre vue donc largement enduit, en soulignant les pignons
de couleur rouge et en les ornant de sculptures à motifs chrétiens, cette salle, comme
sans doute la cathédrale, devait être bien visible depuis les hauteurs extérieures de la
ville pour qui arrivait de Bourges et de Limoges.
24 L’analyse des églises à l’échelle urbaine ne se limite donc pas à répartir un semis de
points bien replacés dans le temps, mais intéresse concrètement la relation entre les
entités spatiales et la manière dont ces repères urbains évoluent dans la ville et
603

comment ils sont pris en considération par les acteurs. Restituer les organisations
spatiales des bâtiments, les circulations attenantes, la distribution parcellaire et la
nature des terrains est bien sûr un préalable pour saisir la relation entre les
transformations des églises et les diverses évolutions du contexte urbain. La fouille et
l’analyse des documentations sont ici essentielles tout comme les études
architecturales, mais l’analyse archéologique des élévations encore existantes est un
atout majeur, car à même de mettre en évidence des traces dont les documents ne
disent rien ou qui sont peu visibles… Sans nous étendre davantage car le sujet est
complexe et difficile en raison des lacunes documentaires, rappelons aussi l’importance
d’intégrer à la réflexion les questions de propriété foncière et des acteurs ayant
compétence ou autorité sur les espaces urbains.
25 Ceci nous amène à évoquer pour finir le potentiel d’étude de ces églises, car la
résolution des quelques questions soulevées ne peut reposer sur les seules élévations
d’édifices bien identifiés, aussi prestigieux soient-ils (Fig. 20). Dans le cas de Poitiers, les
sources diverses permettent de recenser au moins 64 églises médiévales. Parmi elles, 12
seulement possèdent des élévations à peu près entières. Des restes d’édifices disparus
peuvent être conservés enfouis dans le sol, dans des caves ou dans les élévations de
lieux qui ont désormais d’autres fonctions, comme les murs de la parcelle où se
trouvaient autrefois l’église Saint-Michel et l’immeuble mitoyen construit au sud au
tournant des XIXe et XX e siècles. Un autre bel exemple est l’ancienne église Saint-Paul
mentionnée au Xe siècle et dont l’étude des élévations reste à faire, en particulier les
pans du haut Moyen Âge conservés dans le bâtiment et servant de murs mitoyens (Fig.
21)55.

Fig. 20. Poitiers, conservation des édifices religieux.


604

Fig. 21. Poitiers, église Saint-Paul, face nord du mur gouttereau nord (cl. B. Boissavit-Camus, 2000).

26 Pour conclure, dans la mesure où leur architecture constitue un élément du paysage


urbain qui s’insère dans un espace déjà occupé, organisé et hiérarchisé, l’étude des
églises urbaines contribue à cerner les enjeux spatiaux, économiques, religieux et
artistiques qui ont présidé à leur construction. L’investigation des élévations ne peut
être dissociée de celle des vestiges enfouis ni de celle menée en archives ou dans une
optique architecturale. Rien que de très banal finalement et qui s’applique à tout type
d’édifice. La particularité tient peut-être à la durée de vie de ces édifices, à
l’investissement dont ils ont fait l’objet et à l’ampleur des modifications qu’ils ont
subies. La richesse informationnelle et la diversité des compétences qu’induit
l’archéologie du bâti ne se limitent pas, nous avons tenté de le montrer, à mieux
comprendre des édifices particuliers. L’étude comparative des églises et de leurs
relations spatiales avec ce qui les côtoie dépasse en effet la question Où dans la ville ? au
profit du Comment dans la ville ? Pour approfondir, il serait cependant nécessaire de
mettre en place des enquêtes pluridisciplinaires et transpériodiques, et surtout de
construire des référentiels de données sur les techniques constructives et les
matériaux, des référentiels solides et partagés, librement accessibles. On évoquera ici
par exemple le programme des études parisiennes et d’Île-de-France porté par Jean-
Pierre Gély, Annie Blanc et Marc Viré au sein du Lamop et du LRMH, avec des
prélèvements et analyses systématiques lors des restaurations, assorti d’une critique
d’authenticité des murs et d’une exploration des carrières. Une telle approche
collaborative et une mise à disposition des données récoltées pourraient aussi
s’accompagner de la constitution d’une base de données ouverte sur l’évolution des
appareillages et des modes de construction, là encore pour disposer de référentiels
calés et documentés pour la ville et son territoire au moins. Les études du bâti civil se
développant, on peut espérer que les données recueillies intégreront ces derniers pour
écrire une histoire de la construction à Poitiers. Néanmoins, insistons sur le fait que le
bâti civil étant peu conservé avant les XIIe-XIVe siècles 56, les églises demeurent des
conservatoires importants, particulièrement pour les périodes hautes. L’expérience
605

acquise depuis une trentaine d’années invite donc à renforcer la veille patrimoniale des
édifices en partie disparus ou peu visibles, notamment celle des églises moins
prestigieuses et moins documentées que les grands édifices et dont les vestiges sont
donc plus menacés. Dans un contexte actuel très concurrentiel, au-delà de la ville de
Poitiers, il apparaît indispensable de maintenir la vieille tradition de collaborations
interinstitutionnelles, pour servir les besoins de la recherche et ceux de la sauvegarde
patrimoniale ainsi que d’y intégrer les formations universitaires, initiales ou
continues57.

NOTES
1. À titre d’exemple la circulaire du 10 mai 1810, dite de Montalivet, ou celle du 10 août
1837. BERCÉ F., Des monuments historiques au patrimoine du XVIIIe siècle à nos jours ou « les
égarements du cœur et de l’esprit », Paris, Flammarion, 2000, p. 21-24 (Série Art, Histoire,
Société).
2. Circulaire 63150 du 5 août 1985, relative à l’organisation des études et travaux dans
les monuments historiques classés.
3. LEHOËRFF A., « L’enseignement de l’archéologie en licence dans les universités
françaises », Les nouvelles de l'archéologie [En ligne], 115, 2009, URL : http://
journals.openedition.org/nda/697, DOI : https://doi.org/10.4000/nda.697.
4. Au XIX e siècle, et encore jusque dans le dernier quart du XX e siècle, architectes
diocésains, architectes ACMH et ABF ont souvent, à Poitiers et ailleurs, réalisé des
fouilles archéologiques lors des restaurations.
5. Monumental, 2010 ; BOISSAVIT-CAMUS B. dir., Le baptistère Saint-Jean de Poitiers. De l’édifice
à l’histoire urbaine, Turnhout, Brepols, 2014, chap. 1 (Bibliothèque de l’Antiquité tardive,
26).
6. PALAZZO-BERTHOLON B., TREFFORT C., « Pour une relecture de l’hypogée des Dunes à
Poitiers. Approches méthodologique et interdisciplinaire », in BOURGEOIS L. dir., Wisigoths
et Francs autour de la bataille de Vouillé (507). Recherches récentes sur le haut Moyen Âge dans
le Centre-Ouest de la France. Actes des XXVIIIe journées internationales d’archéologie
mérovingienne, Vouillé, Poitiers, 28-30 sept. 2007, Saint-Germain-en-Laye, AFAM, 2010,
p. 151-169 (Mémoires, XXII).
7. CAMUS M.-T., ANDRAULT-SCHMITT C. dir., Notre-Dame la Grande de Poitiers, L’œuvre romane,
Paris/Poitiers, Picard/CESCM-Univ., 2005 ; ANDRAULT-SCHMITT C. dir., La cathédrale Saint-
Pierre de Poitiers. Enquêtes croisées, Poitiers, Gestes éditions, 2013.
8. En particulier au XVIII e siècle des bénédictins de Saint-Maur, avec Dom Martène,
présent à Poitiers vers 1708 et qui rédige avec Dom Durand, Voyage littéraire de deux
Religieux Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, Paris, 1717. Autre figure
importante, Dom Fonteneau. Cet historien officiel du Poitou travailla à une histoire du
Poitou et de l’Aquitaine de 1741 à 1766-69. Outre ses publications, il a laissé de précieux
manuscrits conservés à la Médiathèque de Poitiers. Le XIXe siècle est marqué par la
606

grande figure de Camille de La Croix, ce père jésuite, professeur au collège Saint-Joseph


de Poitiers à partir de 1864, est considéré comme le véritable fondateur de l’archéologie
chrétienne du Poitou.
9. Majoritairement des membres de la Société des antiquaires de l’Ouest fondée en
1834, rassemblés pour la plupart auparavant au sein de la Société académique
d’agriculture, belles lettres, sciences et art, fondée en 1789.
10. GINOT E., « La société des antiquaires de l’Ouest pendant un siècle », Bulletin de la
Société des Antiquaires de l’Ouest, 3e sér., t. 10, 1934, p. 186-187.
11. Le premier plan d’alignement de Poitiers a été achevé en 1817, mais approuvé en
1828 seulement. JAROUSSEAU G. « De la première République à la seconde », in FAVREAU R.
dir., Histoire de Poitiers, Toulouse, Privat, 1985, p. 312 ; PINON P., « Les plans d’alignement
comme source cartographique », Bulletin du Comité français de cartographie, 148, juin
1996, p. 79-87, URL : http://www.lecfc.fr/new/articles/148-article-9.pdf.
12. En particulier Marie-Thérèse Camus et Claude Andrault-Schmitt dont les études
consacrées aux églises poitevines témoignent de l’investissement universitaire
constant (Saint-Hilaire 1978 et 1982 ; Montierneuf 1978 et 1991, Sainte-Radegonde 1999,
Notre-Dame la Grande 2002, la cathédrale Saint-Pierre 2013, pour citer les principales
études. Actuellement un nouveau programme sur Saint-Hilaire est développé sous la
direction de Cécile Voyer et Éric Sparhubert).
13. EYGUN F., « Poitiers, Saint-Pierre le Puellier » Gallia, XV-2, 1957, p. 220-221 ; BOISSAVIT-
CAMUS B., Le quartier épiscopal de Poitiers, Essai de topographie historique d’un secteur urbain
(IVe-XIIe siècle), thèse de doctorat (N. Gauthier dir.), Tours, Université F. Rabelais, 2001,
p. 429-434 ; EAD., « L’église de Notre-Dame l’Ancienne de Poitiers (Vienne) », in BLONDEAU
C., BOISSAVIT-CAMUS B., BOUCHERAT V., VOLTI P. éd., Ars auro gemmisque prior. Mélanges en
hommage à Jean-Pierre Caillet, Zagreb, Motovun, IRCLAMA, 2013, fig. 5.
14. BOISSAVIT-CAMUS B., « La campagne de fouilles, la restauration de la façade de Notre-
Dame la Grande », Monumental, 1, 1992, p. 20-21.
15. Même si désormais SIG, bases de données et relevés numériques sont à réaliser, sur
le fond, la méthode procède des mêmes principes que celle décrite dans un article
collectif paru dans le Bulletin monumental à propos de l’étude préalable des édifices
eux-mêmes (BOISSAVIT-CAMUS B., BARRAUD D., BONNET C., FABIOUX M., GUYON J., HÉBER-SUFFRIN F.,
PRIGENT D., PULGA S., SAPIN C., VERGAIN P., « Archéologie et restauration, instaurer de
véritables études archéologiques préalables », Bulletin monumental, 161-3, 2003, p.
195-222).
16. FAVREAU R., « La vie quotidienne dans les villes du Centre-Ouest à la fin du Moyen
Âge. Au fil des textes », Revue historique du Centre-Ouest, XVI, 2ème sem., 2017, p. 243.
17. Diverses tombes et mausolées ont été découverts depuis le XIX e siècle. BOISSAVIT-
CAMUS B., « Poitiers », in MAURIN L. et al., Province ecclésiastique de Bordeaux (Aquitaine
secunda), Paris, de Boccard, 1998, p. 77, 85-88 (Topographie chrétienne des cités de la
Gaule des origines au milieu du VIIIe siècle, éd. N. GAUTHIER, X) ; EAD., « Poitiers », in
PRÉVOT F., GAILLARD M., GAUTHIER N. éd., Quarante ans d’enquête (1972-2012), 1, Images nouvelles
des villes de la Gaule, Paris, de Boccard, p. 222 (Topographie chrétienne des cités de la
Gaule des origines au milieu du VIIIe siècle, XVI-1). Pour les tombes les plus récentes
fouillées en 2008, au sud de la collégiale actuelle, JEGOUZO A., BARBIER E., KACKI S., POUPONNOT
G., « Des sarcophages en partie dévoilés… Proposition de restitution des espaces et du
607

fonctionnement d’un secteur de la nécropole Saint-Hilaire (Poitiers) », in CARTRON I.,


HENRION F., SCUILLER C. dir., Les sarcophages de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge :
fabrication, utilisation, diffusion. Actes des XXXe journées d’archéologie mérovingienne de
l’AFAM, Bordeaux, 2-4 octobre 2009, Bordeaux, Aquitania, 2015, p. 329-346 (Aquitania
Supplément, 34).
18. BOISSAVIT-CAMUS B., « Enceintes urbaines et églises médiévales », in BALCON-BERRY S.,
BOISSAVIT-CAMUS B., CHEVALIER P. dir., La mémoire des pierres. Mélanges d'archéologie, d'art et
d’histoire en l'honneur de Christian Sapin, Turnhout, Brepols, 2016, p. 97-105 (Bibliothèque
de l’Antiquité tardive, 29).
19. Pour les édifices antérieurs au XIIe siècle, il s’agit des monastères Sainte-Croix, de la
Trinité et de Montierneuf et des chapitres de Saint-Hilaire, Sainte-Radegonde, Saint-
Pierre le Puellier et de Notre-Dame la Grande, auxquels on ajoutera le prieuré Saint-
Nicolas fondation comtale. Le plus jeune établissement étant la fondation comtale de
Saint-Jean de Montierneuf (1076).
20. BOURGEOIS L., « Le castrum de Saint-Hilaire le Grand de Poitiers aux Xe et XIe siècles »,
in FERRAN L., Association d’histoire et d’archéologie au pays d’Aubazine éd., Espace et
territoire au Moyen Âge. Hommage à Bernadette Barrière, Bordeaux, Ausonius, 2012, p.
409-422 (Mémoires, 29/ Suppl., 28).
21. Pour les recherches récentes, ANDRAULT-SCHMITT C. dir., La cathédrale Saint-Pierre…, op.
cit., chap. 6 (ANDRAULT-SCHMITT C.), 14 (BLOMME Y.) ET 19 (MANDON F.).
22. Les fouilles menées par N. Le Masne de Chermont en 1987 ont montré que la
cathédrale primitive se situait au nord-ouest du baptistère Saint-Jean. Reconstruite ou
transformée à diverses reprises, elle fut détruite par un violent incendie en 1017 ou
1018, avant d’être reconstruite à 100 m au nord, sans doute sous la nef de la cathédrale
gothique. L’édifice roman a été consacré en 1024 ou 1025 (en dernier ressort, BOISSAVIT-
CAMUS B. dir., Le baptistère Saint-Jean, op. cit., 2014, p. 147-149).

23. Masquées par le bâti, en particulier de l’enclos de Sainte-Croix, elles ne figurent pas
sur les vues des XVIe et XVII e siècles. La vue la plus ancienne connue est une gravure
sur bois publiée en 1553 par Balthazar Arnoullet, éditeur à Lyon (LEPAPE S., « Balthazar
Arnoullet. Vue de la ville de Poytiers », Gravure en clair-obscur. Cranach, Raphaël, Rubens.
Catalogue de l’exposition, Musée du Louvre, 18 oct. 2018 -14 janvier 2019 , Paris, Musée du
Louvre/LienArts éd., 2018, notice 39, p. 24, fig. p. 25). Une des vues les plus exploitées
est celle de François Nautré. Ce tableau sur toile daté de 1619 est conservé au Musée
Sainte-Croix. Le premier plan urbain, dit des Échevins, a été dessiné en 1682-1686.
24. Le qualificatif entr’Églises est postérieur à la construction de la cathédrale
gothique. Sur Notre-Dame entr’Eglises, cf. BOISSAVIT-CAMUS B., Le quartier épiscopal de
Poitiers, op. cit., 2001, p. 352-353).
25. Le texte concerne un accord entre les moines de Saint-Sauveur de Redon et de
Saint-Maixent pour le retour du corps du saint dans l’abbaye qu’il avait fondée. Cet
accord est passé devant le comte Eble et scellé sur un autel des Saints-Innocents situé
dans l’église Beatae Virginis Mariae in canonica Beati Petri. Pour Robert Favreau il s’agit de
Notre-Dame la Grande, mais la mention in canonica Beati Petri, la présence des
dignitaires du chapitre de la cathédrale comme signataires et la présence des reliques
des Saints-Innocents dont le culte est très lié à la cathédrale, et la mention au XI et XIIe
siècle d’un enclos des chanoines, même s’il n’est pas matérialisé alors par un mur,
laissent selon nous un doute raisonnable quant à la possibilité d’une église du groupe
608

épiscopal consacrée à Marie durant le haut Moyen Âge (BOISSAVIT-CAMUS B., Le quartier
épiscopal de Poitiers, op. cit., 2001, p. 336, et 362-363).
26. Observations stratigraphiques tant de Camille de La Croix que de nous-mêmes
(BOISSAVIT-CAMUS B. dir., Le baptistère Saint-Jean, op. cit, 2014, chap. III, états 7 et 8).
27. Grégoire de Tours, Virt. S. Martini, IV, 32, MGH SRM, p. 208.
28. BOISSAVIT-CAMUS B., Le quartier épiscopal de Poitiers, op. cit., 2001, p. 349-351.
29. Mgr Beauregard y a officié au tout début du XIX e siècle (Notes rédigées vers
1870-1880, BOISSAVIT-CAMUS B., Le quartier épiscopal de Poitiers, op.cit., 2001, p. 341-348).
30. BOISSAVIT-CAMUS B., Le quartier épiscopal de Poitiers, op.cit., 2001, p. 147-151, 219 et in
ANDRAULT-SCHMITT C. dir., La cathédrale Saint-Pierre, op. cit., 2013, p. 62-68.

31. Ces vestiges ont été fouillés par le père de La Croix (1891) et par l’abbé Collon
(1898), BOISSAVIT-CAMUS B., ibid.
32. BOISSAVIT-CAMUS B., ibid.
33. On peut sans doute leur ajouter des bâtiments de l’episcopium situés sur le front de
rue opposé, comme la très belle salle, parementée de moyens appareils signalée au
début des années 80 par Michel Rérolle, alors conservateur du Musée municipal (cf.
ANDRAULT-SCHMITT C. dir., La cathédrale de Saint-Pierre, op. cit., 2013, p. 76-79).

34. CAMUS M.-T., ANDRAULT-SCHMITT C. dir., Notre-Dame la Grande de Poitiers, op. cit., chap. 2
(FILLON B.), 4 (BOISSAVIT-CAMUS B.), 6 (ANDRAULT-SCHMITT C.) et 9 (CAMUS M.-T).
35. Pour les extraits traduits du Planctus, l’oraison funèbre de Gilbert de la Porée
rédigée par le doyen Laurent, et du rouleau des morts d’Oxford qui nous intéressent,
PON G. dir., Gilbert de la Porée. Un théologien évêque de Poitiers (1142-1154), Poitiers, 2010, p.
94-96 (reproduits in ANDRAULT-SCHMITT C., La cathédrale Saint-Pierre, op. cit., 2013, p. 69 et
70).
36. BOISSAVIT-CAMUS B. dir., Le baptistère Saint-Jean, op. cit., chap. III, état 8.
37. PRIGENT D., in ANDRAULT-SCHMITT C., PRIGENT D., COLL. F. MANDON, « De la carrière au
monument », in ANDRAULT-SCHMITT C. dir., La cathédrale Saint-Pierre, op. cit., 2013, p. 90, fig.
7.
38. BOISSAVIT-CAMUS B., « Poitiers paysage religieux et monumental 4e -12e siècle », in
SAPIN C. dir., Stucs et décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge (Ve -XIIe siècle). Actes du
colloque international de Poitiers, 16-19 septembre 2004, Turnhout, Brepols, 2007, p. 69-83.
39. Bernard Gauthiez s’est intéressé à la question pour Lyon et les villes normandes
(GALINIÉ H., GAUTHIEZ B., ZADORA-RIO E. dir., Village et ville au Moyen Âge : les dynamiques
morphologiques, Tours, PUFR, 2003 (Sciences de la ville, 5).
40. Elles étaient auparavant datées entre le Xe et le XIIIe siècle.
41. FLAMMIN A., « Le décor installé dans le baptistère de Poitiers au VII 5e siècle », in
BOISSAVIT-CAMUS B. dir., Le baptistère Saint-Jean, op. cit., chap. V, p. 359-399.

42. Sur le modèle par exemple de l’étude des stucs de Vouneuil-sous-Biard ( SAPIN C.,
TREFFORT C., PALAZZO-BERTHOLON B., Les stucs de l’Antiquité tardive de Vouneuil-sous-Biard,
Paris, CNRS éditions, 2009 (Suppl. à Gallia).
43. Les reliques de Porchaire, abbé de Saint-Hilaire mentionné au VI e siècle, ont été
transférées dans cette nouvelle église probablement édifiée au Xe siècle ( BOISSAVIT-
CAMUS B., op. cit., 1998, p. 90-92 (Topographie chrétienne des cités de la Gaule, X). Des
609

ouvertures bouchées montrent que la façade est antérieure à la tour datée du 3e quart
du XIe siècle (CAMUS M.-T., op. cit., 2002, p. 268).
44. CAMUS M.-T., Tours-porches et fonction d’accueil dans les églises du Poitou au XIe
siècle, dans C. SAPIN, Avant-nefs et espaces d’accueil dans l’église, entre le IVe et le XII e siècle.
Actes du colloque de Dijon, 17-20 juin 1999, Paris, CTHS, 2002, p. 260-280.
45. FAVREAU R., « La paroisse en Poitou aux XIVe et XV e siècles », in L’encadrement
religieux des fidèles au Moyen Âge et jusqu’au concile de Trente. Actes du 109e congrès national
des sociétés savantes. Dijon, 1984, section d’histoire médiévale et de philologie, Paris, CTHS,
1985, t. I, p. 111-131.
46. Sur les opérations d’urbanisme au Moyen Âge, cf. GALINIÉ H., GAUTHIEZ B., ZADOR-RIO E.
dir., Village et ville…, op. cit., 2003.
47. MÜNZER J., De Nuremberg à Grenade et Compostelle. Itinéraire d’un médecin allemand. Aout
1494 - avril 1495. Trad. PÉRICARD-MÉA D. et al., Biarritz/Paris/Montrouge, Atlantica/
Fondation David Parou Saint-Jacques, 2009, p. 252-254. Extrait reproduit dans ANDRAULT-
SCHMITT C. dir., La cathédrale Saint-Pierre…, op. cit. p. 33.

48. L’activité de carrière a été étudiée dans la vallée de l’Anglin par J. Lorentz. Ses
recherches ont été reprises par Daniel Morleghem dans le cadre de sa thèse soutenue à
Tours en 2016 et dans le cadre d’opérations programmées, en cours. Il a peut-être existé
des carrières à Poitiers ou dans les environs immédiats : en 1987, N. Le Masne a
découvert un fragment de sarcophage juste entamé dans l’un des sondages ouverts près
du baptistère et, plus récemment, C. Belliard a mis au jour des blocs bruts près de
l’église Sainte-Radegonde, associé à des sarcophages réutilisés tardivement, entre Xe et
XIIe siècle ( BELLIARD C., « 7 impasse Saitne-Radegonde », in Bilan Scientifique régional
(2014), p. 204-205).
49. BÜTTNER S., BOISSAVIT-CAMUS B., in BOISSAVIT-CAMUS B. dir.) Le baptistère Saint-Jean, op. cit.,
chap. I, p. 98-101, et chap. IV.
50. Le chantier s’est donc déroulé principalement sous l’épiscopat de Didon et non
d’Ansoald comme le pensait de La Croix (BOISSAVIT-CAMUS B. dir., Le baptistère Saint-Jean,
op. cit., p. 224-236).
51. BOISSAVIT-CAMUS B., « Poitiers », in MAURIN L. et al., Province ecclésiastique de Bordeaux,
op. cit., 1998, n. 17, p. 78. Pour l’état le plus actuel du dossier sur les gesta municipalia, cf.
BARBIER J., Archives oubliées du haut Moyen âge. Les gesta municipalia en Gaule franque (VIe –
IXe siècle), Paris, Lib. Honoré Champion, 2014 (pour le dossier de Poitiers, cf. p. 70-99).
52. Cf. supra, n. 22.
53. BLANC A., « Étude des natures de pierres, 1980 » in FAVREAU R., CAMUS M.-TH., JEANNEAU F.,
Notre-Dame-la-Grande, 1995, p. 69 ; Rapport d’étude LRMH, oct. 1990.
54. ANDRAULT-SCHMITT C., PRIGENT D., COLL MANDON F., « De la carrière au monument », in
ANDRAULT-SCHMITT C. dir., La cathédrale de Saint-Pierre, op. cit., chap. 8, p. 88-90.

55. BOISSAVIT-CAMUS B., Le quartier épiscopal de Poitiers, op. cit., 2001, p. 417-424.
56. Plusieurs maisons médiévales ont fait l’objet d’une opération du bâti à Poitiers ces
dernières années, en particulier dans la rue du Bouchet et la rue de la Chaîne.
57. L’auteur tient à remercier Françoise Reynaud pour sa relecture.
610

RÉSUMÉS
Le bâti religieux médiéval de Poitiers a fait l'objet de nombreuses études universitaires et
protections au titre du patrimoine. La première opération d'archéologie du bâti a eu lieu à Notre-
Dame la Grande en 1991, dans le cadre d'un programme de restauration MH, tandis qu'à la fin de
cette décennie, le baptistère Saint-Jean était l'un des sites du PCRI sur les édifices cultuels en
Aquitaine durant le haut Moyen Âge. Parallèlement, l'archéologie urbaine s'y est peu à peu
développée depuis les années 1970, jalonnée par des synthèses sur l'histoire urbaine. Poitiers
permet donc d'appréhender la complexité de l'étude des églises en milieu urbain.
Du point de vue monographique, le sujet rencontre les problèmes inhérents à l'étude de tout
édifice ancien, en matière de problématiques scientifiques, de méthodologie d'intervention, de
documentations ou encore d'accessibilité. Mais si l'on envisage la question à l'échelle urbaine, ces
contraintes sont démultipliées vu la variété des situations documentaires, de conservation,
d'usage et de statut. L'usage des édifices dans la longue durée, tout en en permettant la
conservation, les a souvent profondément transformés. L'analyse est aussi rendue plus complexe
par une longue historiographie, locale et générale de l'architecture et de la ville, car la
thématique englobe deux objets d'étude souvent encore peu ou mal articulés, en raison des
champs disciplinaires de leurs auteurs. L'architecture religieuse médiévale, avec ses évolutions
constructives et ses expressions artistiques, a été longtemps l'apanage des historiens d'art, tandis
que les pratiques cultuelles et funéraires, tout comme l'organisation et le développement
urbains, relevaient des préoccupations des historiens et des archéologues, à l'exception de la
dimension du paysage urbain qui intéresse les historiens d'art mais qui reste souvent floue quant
à sa définition ou son contenu. Dans cette histoire de la ville, ce n'est qu'assez récemment, avec
l'archéologie du bâti, que l'architecture et les lieux religieux s'intègrent à l'histoire de l'espace
urbain, au-delà du seul critère d'emplacement. Outre les aspects socio-économiques, ces lieux et
leurs matérialités sont les éléments constitutifs d'un réseau religieux qui a évolué au fil du temps
et qui interagit avec les usages et les pressions que subit le tissu urbain. Envisager l'étude des
édifices cultuels médiévaux à l'échelle urbaine impose aujourd'hui de redéfinir nos
problématiques scientifiques et nos stratégies, documentaire et d'intervention, autrement que
dans le but d'établir une monographie ou d'améliorer l'état de connaissance de la topographie
historique, en tenant compte à la fois des processus de patrimonialisation mis en place ou défaits
dans la durée et des contraintes actuelles et futures de conservation et d'accessibilité à la matière
historique.
Cet article abordera ces différents aspects à travers le réseau des églises de Poitiers. Les églises
médiévales jouent en effet un rôle prépondérant dans l'évolution de ce réseau qui a émergé dans
la seconde moitié du IVe siècle.

The medieval religious buildings of Poitiers have undergone numerous academic studies as well
as heritage protections since the 19th century. The first building archeology investigation took
place at Notre-Dame la Grande church in 1991, as part of a Built historical Heritage restoration
program. At the end of that decade, Saint John’s baptistery was one of the sites involved in the
program (PCRI) on early medieval religious buildings in Aquitaine. At the same time urban
archeology has gradually developed there since the 1970s, a progress punctuated by urban
history syntheses. Poitiers thus makes it possible to grasp how complex church studies in an
urban environment can be.
From the monographic point of view, we are faced with the problems inherent in the study of
611

any old building, in terms of scientific issues, intervention methodology, documentation or


accessibility. But if we consider the issue on an urban scale, these constraints are multiplied
given the variety of documentary, conservation, use and status situations. While allowing their
conservation, long-term use of buildings has often profoundly altered them. The analysis is also
made more complex by a long local and general historiography of architecture and of the city,
because the theme encompasses two fields of study that are often still little or poorly
interrelated, due to the researchers disciplinary fields. Medieval religious architecture, with its
constructive evolutions and artistic expressions, has long been the prerogative of art historians,
while cult and funerary practices as well as urban organization and development, were the
concerns of historians and archaeologists, except for urban landscape, dealt with by art
historians – but its content and definition often remain unclear. In this history of the city, it is
only quite recently and thanks to building archaeology, that religious architecture and places are
integrated into the history of urban space, beyond the sole location criterion. In addition to the
socio-economic aspects, these places and their materiality are constituent elements of a religious
network that has evolved over time and that interacts with the uses and pressures that the urban
fabric undergoes. In order to study medieval religious buildings on an urban scale today we have
to redefine our scientific issues and our data and survey strategies, not only aiming to publishing
a monography or improving our historical topography knowledge. We also have to take into
account both the patrimonialization processes implemented or defeated overtime, and the
current and future constraints of preservation and accessibility to historical material.
This paper attempts to approach these different aspects through the churches network in
Poitiers. Indeed, medieval churches play a prevalent part in the evolution of this network which
emerged in the second half of the 4th century.

INDEX
Mots-clés : France, Poitiers, archéologie du bâti, églises médiévales anciennes, réseau des églises
urbaines, architecture religieuse et développement urbain
Keywords : France, Poitiers, Building archaeology, Medieval urban churches, Network of
medieval churches, Religious architecture and urban development

AUTEUR
BRIGITTE BOISSAVIT-CAMUS

Professeure d'Archéologie et d'Histoire de l'art du Moyen Âge, Université de Paris Nanterre,


directrice-adjointe UMR 7041 ArScAn.
bboissav@parisnanterre.fr
612

Vers une archéologie décloisonnée ?


La paroi murale et son revêtement
Towards an archaeology without partitions ? The wall and its cladding

Mathias Dupuis

1 Procéder à un bilan sur la question des revêtements muraux au sein même de l’abbaye
Saint-Germain d’Auxerre est très significatif, tant cette ville et cet édifice ont compté
dans la prise de conscience de l’importance de ce type de vestige1. Il faut convenir que
la découverte des peintures de la crypte par René Louis, en 1927 (Fig. 1), a permis de
dévoiler l’un des ensembles les plus remarquables de la peinture murale carolingienne,
dont l’étude iconographique a pu être articulée, une soixantaine d’années plus tard,
avec l’analyse archéologique d’un monument non moins exceptionnel2. C’est donc
logiquement dans ce creuset que se sont forgés les linéaments d’une approche
archéologique du revêtement mural, dont la publication des actes du colloque
Archéologie et enduits peints, qui s’était déroulé dans ces lieux en 1992, constitue une
étape essentielle3. De fait, les bases méthodologiques ont été posées depuis longtemps
et largement développées dans la publication monographique consacrée aux cryptes et
à la cathédrale, parue en 19994. Le cadre théorique, quant à lui, a été rappelé à plusieurs
reprises depuis lors5, tandis que de nouveaux travaux universitaires éclairaient la
potentialité du champ de recherche offert par l’étude archéologique des revêtements
muraux6. Mais au-delà du bilan historiographique, et dans la perspective qui est celle
du colloque qui nous réunit, l’objectif de cet article est de proposer quelques pistes de
réflexion sur les liens entre l’archéologie du bâti et les revêtements muraux, qui
nécessitent – en préalable – de s’émanciper du seul cadre de la peinture murale
médiévale.
613

Fig. 1. Auxerre (Yonne), crypte de l’abbatiale Saint-Germain, Plan de situation des peintures murales et
détails décoratifs relevés par Louis-Joseph Yperman, 1928 (Ministère de la Culture, Médiathèque de
l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP).

1. Revêtements, décors et enduits peints


2 Il est utile de rappeler, en premier lieu, que l’usage esthétique des revêtements muraux
– qui a largement prévalu dans leur prise en considération patrimoniale – ne doit pas
oblitérer leurs autres fonctions, tels que leur rôle acoustique7, la protection du
parement ou la correction thermique qu’ils assurent dans les bâtiments. Ces aspects
peuvent sembler anecdotiques lorsque nous étudions des monuments en pierre ;
pourtant, l’incompréhension du rôle de certains revêtements peut causer des
dommages structurels irréversibles et démontrer, par la négative, leur importance8. Au
demeurant, les modes de construction du gros œuvre impliquent eux-mêmes des
traitements de surface variés. Dans le cas des élévations en terre, ainsi que pour
certaines constructions en pierre soumises à l’érosion, le rôle de régulateur thermique
joué par l’enduit est ainsi doublé par une nécessité de protection de la paroi,
notamment à l’extérieur (Fig. 2). Ces usages renvoient à la tendance actuelle pour les
enduits de chaux et de chanvre ou aux récentes réformes législatives en faveur de
l’isolation des bâtiments9. Il est d’ailleurs assez révélateur de constater que la prise de
conscience écologique des dernières décennies s’est accompagnée d’un nouveau regard
porté sur la surface murale du patrimoine bâti, plaidant pour un interventionnisme
restreint et le respect des altérations naturelles des constructions anciennes (couvert
végétal)10. À la diversité des usages, répond la diversité chronologique : la question des
enduits sur élévations en terre apporte une amplitude temporelle beaucoup plus vaste
au sujet, comme l’atteste la découverte récente à Wennungen, en Saxe-Anhalt, de 1 600
fragments d’enduits de terre décorés et datés du Néolithique final, qui constitue à ce
614

jour le plus grand ensemble préhistorique de peintures murales sur enduit connu au
nord des Alpes11.

Fig. 2. Sainte-Christie d’Armagnac (Gers), enduit lissé sur structure bois et terre (cl. Mathias Dupuis)

3 Dans le domaine de la construction en pierre, encore faut-il, par ailleurs, faire la


distinction entre les types d’appareillages, qui impliquent des traitements de surface
différents les uns des autres. Par exemple, le développement d’une technique de
peinture sur pierre, dans laquelle les couches picturales sont directement appliquées
sur la surface murale, sans l’intermédiaire d’un enduit – comme cela a été mis en
évidence par Marie-Pasquine Subes-Picot pour le cycle de la vie de saint Maurille,
découvert en 1980 dans la cathédrale d’Angers12 (Fig. 3) – aurait été impossible sans le
développement d’une architecture de pierre de taille en calcaire tendre, offrant un
support suffisamment lisse et régulier pour recevoir le badigeon au blanc de plomb qui
supporte les couches picturales.
615

Fig. 3. Angers (Maine-et-Loire), cathédrale Saint-Maurice, épisode de la vie de saint Maurille : la


traversée de la mer, partie inférieure droite relevé par André Régnault, 1983 (Ministère de la Culture,
Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP).

4 Mais les différences de mise en œuvre, parfois majeures d’un point de vue technique,
peuvent aussi aboutir à un résultat infime sur le plan esthétique. Les artistes mobilisés
pour créer la galerie des peintures du Musée des Monuments français, installé en 1937 au
palais de Chaillot, ne s’y sont pas trompés. La fidélité au modèle est ici assurée par la
mise au point d’une technique spécifique, qui permet une grande souplesse
d’exécution : reproduction des volumes architecturaux sur des formes en staff (Fig. 4),
sur lesquelles sont ensuite tendues les toiles marouflées, préalablement couvertes d’un
mortier « dont le grain donne l’illusion de la muraille peinte », pour reprendre les termes
utilisés par Paul Deschamps13.
616

Fig. 4. Paris, musée des Monuments français, copie de la voûte de l’église de Saint-Savin-sur-
Gartempe, photographie de Charles Hurault, s. d. (vers 1934) (Cité de l’Architecture et du patrimoine,
Musée des Monuments français).

5 Quelle que soit la nature des élévations, il ne faut pas non plus négliger la diversité des
dispositifs techniques en vigueur pour apprêter la paroi murale et qui posent,
incidemment, la question de la frontière entre le support et la surface. Le mur, en effet,
reçoit d’autres types de revêtements, qui font plus ou moins corps avec la maçonnerie –
tapisseries, toiles marouflées, papiers peints, placages de marbre, stuc, mosaïque –, tout
en remplissant une fonction analogue à celle des enduits et des badigeons. Ces
matériaux peuvent évidemment se prêter à l’analyse archéologique, ouvrant alors de
nouvelles perspectives de recherche, comme le montre l’étude stratigraphique réalisée
sur les papiers peints de la maison de l’aventurière Alexandra David-Neel, à Digne-les-
Bains (Alpes de Haute-Provence)14 (Fig. 5).
617

Fig. 5. Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), maison d’Alexandra David-Neel, extrait du rapport


d’analyse des papiers peints, 2018 (cl. A.-L. Thuret, B. de Cointet).

6 Enfin, s’il paraît évident de considérer que les revêtements muraux appartiennent
pleinement à l’édifice qui les abrite, ce n’est pas forcément le sens de leur définition
juridique. Bien que le droit français leur accorde le statut d’immeuble par nature, les
enduits peints peuvent en effet devenir, une fois détachés de leur support, des biens
meubles, comme le montre l’exemple des peintures de l’église de Casesnoves, dans les
Pyrénées-Orientales, qui furent déposées et vendues à un antiquaire dans les années
1950. Un arrêt de la cour de cassation les désigna en 1988 comme objets, interdisant de
fait toute démarche juridique permettant leur restitution15.

2. Du mur au fragment
7 L’intérêt mercantile dont témoigne l’exemple de Casesnoves est à l’opposé d’un intérêt
archéologique pour les revêtements muraux, qui présente la particularité de se
manifester également à l’égard de tous types de vestiges, même lorsque ces derniers
n’offrent strictement aucune valeur pour l’histoire de l’art. En effet, les revêtements
jouent un rôle d’indices pour restituer la logique du chantier de construction. Leur
superposition nous renseigne sur la stratigraphie des élévations, leurs stigmates nous
indiquent la présence de maçonneries disparues et leur épiderme conserve parfois
d’utiles indices de datation (graffiti). La récente étude archéologique des premières
travées de la cathédrale de Chartres en offre un exemple magistral, grâce au travail
d’Emmanuelle Boissard et de Pierre Martin, qui démontre tout l’apport d’une analyse
fine de la stratigraphie des enduits pour comprendre la mise en œuvre des
échafaudages ou les interruptions du chantier de construction16.
8 Pour autant, les revêtements muraux peuvent aussi être considérés comme un obstacle
contraignant, qui masque les élévations et qui empêche d’accéder à ces informations.
Le revêtement mural devient alors, pour l’archéologue du bâti, cette couche
618

superficielle et négligeable qu’il convient de retirer, voire de fouiller, pour accéder aux
niveaux convoités (Fig. 6). Cette démarche peut poser, parfois, de réelles questions de
choix patrimonial, comme dans le cas du baptistère de Riez (Alpes-de-Haute-Provence)
où le décroûtage systématique des élévations paraît contradictoire avec le parti pris de
restauration privilégiant l’état du début du XIXe siècle au cours duquel furent appliqués
ces enduits (Fig. 7). Malgré le perfectionnement des nouvelles méthodes d’imagerie par
caméra thermique ou par radar – qui peuvent renseigner sur la présence d’ouverture
ou de relations stratigraphiques invisibles en surface – la mise à nu des maçonneries
demeure souvent la seule solution pour conduire correctement l’étude archéologique
du bâti. De fait, la disparition des revêtements historiques peut aussi apparaître comme
une opportunité, permettant une lecture stratigraphique analogue à celle que l’on
pourrait pratiquer au sol, en démontant certaines structures. Je prendrai pour exemple
celui de l’hôtel de Ferrier, toujours à Riez, dont la démolition a offert l’occasion
inespérée d’étudier les techniques de mise en œuvre et d’accrochage des panneaux de
plâtres armoriés disposés en entrevous sous l’encorbellement du premier niveau (Fig.
8)17.

Fig. 6. Barbézieux-Saint-Hilaire (Charente), château, décroûtage des élévations dans le grand logis,
dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive, fouille Mathias Dupuis, 2011 (cl. M. Dupuis).
619

Fig. 7. Riez (Alpes-de-Haute-Provence), baptistère, élévations après décroûtage des enduits des XIXe-
XXe siècles, 2014 (cl. M. Dupuis).

Fig. 8. Riez (Alpes-de-Haute-Provence), Hôtel Ferrier, relevé des entrevous de l’encorbellement, fouille
Mathilde Tissot, 2012 (cl. M. Tissot, SDA 04).

9 Une fois disparus de la paroi murale, voire une fois disparu l’édifice qui les abritait, les
revêtements ne cessent pas forcément d’exister. La fouille des remblais et autres
niveaux de démolition offre l’occasion d’appréhender ce matériau à l’état fragmentaire,
parfois effondré in situ. L’étude de ces vestiges a constitué, là aussi, un point de départ
essentiel, surtout dans le domaine de l’archéologie antique, avec la naissance du centre
d’étude des peintures murales romaines (CEPMR) de Soissons et l’émergence, plus
récente, d’une « toichographologie », qui s’est largement nourrie des multiples
découvertes réalisées dans le cadre de l’archéologie préventive18.
620

10 Si les découvertes se sont multipliées ces dernières années dans le domaine de


l’archéologie antique19, force est de constater qu’il est impossible de dresser un bilan
analogue pour les enduits peints médiévaux et modernes, dont la composition est
souvent moins résistante à l’épreuve du temps que la fresque romaine. Il faudrait, à ce
propos, réfléchir à une prochaine synthèse, permettant de faire le point sur des
ensembles rares et disparates, demeurés inédits la plupart du temps, sans compter ceux
qui sont stockés dans les dépôts archéologiques. Pour les périodes les plus hautes, la
connaissance des enduits des édifices de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge –
comme ceux exhumés lors de la fouille du site de La Malène, en Lozère (Fig. 9)20 –
demeure un enjeu majeur. La découverte et l’étude de tels vestiges restent relativement
rare en France, tandis que des corpus particulièrement importants existent à
l’étranger, comme l’imposant ensemble de 19 000 fragments, daté entre le VIe et le IX e
siècle, exhumé lors des fouilles de la basilique Notre-Dame de Tongres, en Belgique,
récemment publié par Bénédicte Bertholon21, où bien ceux découverts à Stavelot et en
cours d’étude et de publication par Emmanuelle Boissard. Dans le cas de la cathédrale
de Senez, qui fait l’objet d’opérations archéologiques depuis 201222, la mise au jour d’un
lot de 4 500 fragments d’enduits peints, découverts en 2018, dans la nef de l’édifice pose
un nouveau jalon dans la connaissance du monument23. Les éléments de décor étaient
piégés dans un remblai de démolition, scellé par le sol d’une église construite au plus
tard à la fin du Xe siècle (Fig. 10). Les peintures décoraient l’abside de l’édifice primitif,
construite en tuf, comme le montre la présence de moellons équarris dans le remblai,
ainsi que les traces d’accroche identifiées au revers des plaques d’enduit (Fig. 11). Les
analyses radiocarbone invitent à situer la construction du sanctuaire entre le Ve et le
VIe siècle et l’application du premier revêtement entre le VI e et le VII e siècle.
L’exécution du décor peint, appliqué sur un enduit sous-jacent qui couvre l’enduit
primitif, intervient donc entre cette période et la toute fin du Xe siècle. Dans le cas de
Senez, la qualité de conservation des maçonneries du premier édifice, préservées sur
environ 1 m d’élévation, permet de mettre en relation ce décor peint avec le sanctuaire
au-dessus duquel il se développait. Même s’ils ne présentent pas le même intérêt
décoratif, l’analyse fine de la superposition des sols de mortier, des enduits et des
badigeons qui couvrent le banc presbytéral, le siège épiscopal et l’autel majeur
permettent alors de restituer précisément les étapes de transformation du chœur et
donc de l’évolution des dispositifs liturgiques (Fig. 12).
621

Fig. 9. La Malène (Lozère), castellum de Piboulèdes, enduits peints polychromes du haut Moyen Âge,
fouille Laurent Schneider, 2011 (cl. L. Schneider).

Fig. 10. Senez (Alpes-de-Haute-Provence), cathédrale, fragments d’enduits peints découverts lors de la
campagne de fouille 2018 (cl. M. Dupuis, P. Brousse).
622

Fig. 11. Senez (Alpes-de-Haute-Provence), cathédrale, détail d’un visage découvert lors de la campagne
de fouille 2018 (cl. M. Dupuis).

Fig. 12. Senez (Alpes-de-Haute-Provence), cathédrale, vue d’ensemble des dispositifs liturgiques de
l’église du haut Moyen Âge et détails des enduits de l’autel majeur (cl. E. Dantec).

11 La mise en relation des fragments d’enduits avec les élévations qui les supportaient
nécessite de passer d’une analyse micro-stratigraphique, celle des couches picturales
elles-mêmes et des enduits, à une analyse macro-stratigraphique, qui porte sur le bâti
dans son ensemble, du sol jusqu’au plafond24. De ce point de vue, la méthodologie
propre à l’archéologie du bâti apporte une énorme plus-value, en proposant un système
d’enregistrement cohérent pour l’ensemble de la construction. C’est aussi là que le
dialogue entre les conservateurs-restaurateurs, particulièrement attentifs à la micro-
stratigraphie, et les archéologues doit être encouragé, alors que l’organisation des
chantiers de restauration des Monuments Historiques cloisonne encore trop souvent
les interventions des uns et des autres. Je pense à l’exemple malheureux des splendides
peintures des intrados de l’église Saint-Gal de Langast, dans les Côtes-d’Armor (Fig. 13),
dont les restaurations intensives réalisées dans les années 1990 interdisent aujourd’hui
toute lecture stratigraphique fine25. Les méthodes de relevé sur calque mises en place à
Auxerre, pour l’étude des peintures de la crypte Saint-Germain26, ont montré leur
utilité, en imposant une analyse graphique des couches d’enduit et de peinture,
analogue à celle que le relevé pierre à pierre permet pour les maçonneries (fig. 14). Le
623

relevé sur calque offre une solution relativement simple à mettre en œuvre pour
transcrire des informations sur la stratigraphie ou la colorimétrie, qui a permis
d’apporter de nouveaux éléments à la connaissance des étapes de mise en œuvre de
certains chefs-d’œuvre récemment restaurés, comme les peintures de la voûte de Saint-
Savin-sur-Gartempe étudiées par Carolina Sarrade27. La tendance actuelle à privilégier
une acquisition à l’aide des nouvelles techniques de relevé numérique pose alors les
mêmes questions que pour le pierre à pierre. La qualité graphique des documents
produits à l’aide des logiciels de photogrammétrie garantit certes un archivage – au
moins temporaire – de l’information, mais n’a pas valeur d’analyse, si l’archéologue ne
revient pas face à la paroi murale pour confronter le relevé aux observations réalisées
in situ.

Fig. 13. Langast (Côtes-d’Armor), église Saint-Gal, décor peint à l’intrados des arcs de la nef (cl. M.
Dupuis).
624

Fig. 14. Saint-André-des-Eaux (Côtes-d’Armor), église Saint-André, relevé sur calque des décors à
l’intrados de l’arc triomphal (cl. M. Dupuis).

3. Archéologie et polychromie
12 Au-delà des problèmes strictement liés à la connaissance du chantier de construction
que j’ai précédemment évoqués, l’étude archéologique des revêtements muraux incite à
renouveler les questionnements sur l’histoire des représentations, comme l’illustre la
question de la polychromie architecturale.
13 L’aspect ornemental de la peinture murale médiévale a retenu l’attention de nombreux
chercheurs depuis le XIXe siècle. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter l’article
consacré à la peinture dans le Dictionnaire de Viollet-le-Duc28, ou bien l’ouvrage de Paul
Gélis-Didot et Henri Laffillée sur la peinture décorative publié en 189729 (Fig. 15). Nous
en connaissons aussi les traductions en termes de restauration architecturale, comme à
la cathédrale Notre-Dame de Paris sous l’égide d’Eugène Viollet-le-Duc30 ou à la
basilique de Saint-Denis sous la direction de François Debret31, qui tiennent plus de
l’application rationaliste d’un système décoratif préconçu que d’une approche
archéologique telle que nous l’entendons aujourd’hui. Au cours des années 1980-1990,
les travaux pionniers des chercheurs allemands, tels ceux de Jürgen Michler sur
Chartres32 ou de Hans Pieter Autenrieth sur la question des faux appareils33 ont joué un
rôle essentiel dans la prise en considération de cet aspect de l’architecture gothique.
Plus récemment, les recherches conduites par Anne Vuillemard-Jenn sur l’Alsace34 ou
par Géraldine Victoir sur les monuments de Picardie35 ont particulièrement insisté sur
l’importance de la matérialité de l’œuvre, sur la nécessité de s’appuyer sur l’analyse
micro-stratigraphique ainsi que sur l’apport de ces recherches aux théories de l’image
médiévale36. Dans le domaine de l’architecture romane, plusieurs chercheurs ont
également élargi leur analyse à l’ensemble des systèmes décoratifs, alors que l’attention
s’était trop longtemps focalisée sur les seules peintures figuratives, au détriment d’une
analyse spatiale et architecturale des décors. En témoignent les travaux de Christian
Davy sur la Vallée de la Loire37 ou bien, à l’étranger, ceux de Fabio Scirea sur la
Lombardie38 ou d’Antonio Olmo Gracia sur l’Aragon39.
625

Fig. 15. Relevé des peintures de l’église Saint-Michel d’Aiguilhe au Puy (Haute-Loire) et de la cathédrale
de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), in GÉLIS-DIDOT P., LAFFILLÉE H., La peinture décorative en France,
tome I : du XIe au XVe siècle, Paris, 1887, pl. 23 (Paris, BnF).

14 La question de la couleur nécessite de pousser l’analyse au-delà de la stratigraphie, à


l’intérieur de la matière elle-même et de recourir aux méthodes de laboratoire pour
identifier la nature des pigments et des techniques de mise en œuvre picturale, à
l’image des travaux conduits par le LRMH40. Cette orientation scientifique est d’ailleurs
corrélée à un nouvel intérêt pour la polychromie des édifices, comme le montrent les
nombreuses « mises en lumière » de façades de cathédrales et l’attention accrue portée
à la polychromie des sculptures, qui peut aussi se traduire par des entreprises de
restauration dont la véracité archéologique resterait parfois à démontrer41.
15 En somme, les recherches sur la polychromie montrent toutes la plus-value d’une
démarche qui ne discrimine pas les vestiges d’enduits en fonction de leur qualité
esthétique ou de leur état de conservation et qui vise à les intégrer à un processus de
compréhension global de l’édifice. Je prendrai pour exemple celui de la petite église
paroissiale de Saint-André-des-Eaux, dans les Côtes-d’Armor, en grande partie détruite
dans les années 1880 (Fig. 16). Cet édifice avait retenu l’attention des plus grands
spécialistes de la peinture romane pour la Crucifixion datée de la fin du XIIe siècle qui
apparaissait encore sur le mur ouest de sa nef au début du XXe siècle et qui constitue
l’un des rares témoignages de peinture romane connus dans en Bretagne42. Le décor
sous-jacent, que l’on devine pourtant très bien sur les documents anciens (Fig. 17),
demeurait en revanche complètement méconnu. L’étude archéologique des élévations
de l’église et la réalisation de sondages ont permis de proposer une analyse globale des
décors peints de l’édifice, basée sur l’examen croisé des documents iconographiques
anciens, sur l’étude stratigraphique des élévations et des revêtements muraux, ainsi
que sur la mise au jour d’un ensemble d’environ 500 fragments d’enduits provenant des
remblais de démolition de l’édifice43. L’une des singularités du décor consiste dans sa
626

dimension essentiellement ornementale, focalisée autour de la reproduction, par la


peinture, de la modénature architecturale, des jeux d’appareillages décoratifs
polychromes ou de la sculpture44. L’observation archéologique fine a permis de mettre
en évidence certains procédés décoratifs originaux et économiques : zone d’enduit
sous-jacent laissée en réserve, jeux de lumière sur les tracés préparatoires… (Fig. 18). Ce
type de compositions était sans doute beaucoup plus répandu qu’on ne l’imagine,
comme l’illustrent quelques exemples disparates et souvent mal documentés. Seules
des observations minutieuses conduites lors des chantiers de restauration peuvent
permettre de mieux saisir l’ambiance colorée de ces édifices, y compris pour les parois
extérieures, ainsi sur le mur gouttereau méridional de l’église San Giusto de Suse (Italie,
Piémont) 45 (Fig. 19). Ces décors peints extérieurs, sans doute répandus à l’époque
romane, n’ont pourtant guère retenu l’attention des chercheurs, à la différence des
portails et des façades sculptées, dans lesquelles furent piégées les traces de
polychromie, protégées des intempéries ou des restaurations invasives.

Fig. 16. Saint-André-des-Eaux (Côtes-d’Armor), église Saint-André, vue d’ensemble de l’église depuis le
nord-ouest, par Charles Chauvet, 1916, aquarelle sur papier (Ministère de la Culture, Médiathèque de
l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP).
627

Fig. 17. Saint-André-des-Eaux (Côtes-d’Armor), église Saint-André, photographie des décors peints au
nord de l’arc triomphal, v. 1920 (Ministère de la Culture, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine,
diffusion RMN-GP).

Fig. 18. Saint-André-des-Eaux (Côtes-d’Armor), église Saint-André, détail des décors peints à l’intrados
de l’arc triomphal (cl. M. Dupuis).
628

Fig. 19. Suse (Italie, Piémont), San Giusto, décors peints extérieurs du mur gouttereau sud (cl. M.
Dupuis).

16 Par ailleurs, la polychromie architecturale abordée sous l’angle archéologique invite à


dépasser la seule question de la peinture, pour proposer une approche globale des
systèmes décoratifs, dans lesquels sont analysées les différentes solutions techniques
pouvant être exploitées concurremment pour animer la paroi murale. Certains
témoignages très modestes sont extrêmement révélateurs, comme les traces reconnues
lors du chantier de restauration de Notre-Dame du Port à Clermont-Ferrand de
badigeons destinés à imiter certains jeux d’appareil décoratif bichrome utilisés ailleurs
dans les métopes de la corniche (Fig. 20)46. La peinture murale est alors utilisée comme
un médium parmi d’autres, visant la reproduction plus ou moins réaliste de systèmes
ornementaux ou figuratifs habituellement développés par d’autres moyens techniques :
appareillages, placages de marbre, tentures ou encore vitraux – comme dans le cas de la
cathédrale de Chartres47.
629

Fig. 20. Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Notre-Dame-du-Port, relevé des décors peints de faux-
appareils décoratifs sur les métopes et le parement du chevet (relevé B. Phalip, DAO D. Morel).

17 En définitive, l’étude de la polychromie invite les spécialistes de l’art et de


l’architecture médiévale à se pencher sur des traces fragiles, parfois fugaces, trop
souvent considérées comme marginales par rapport aux grands ensembles décoratifs.
En cela elle démontre, là encore, l’intérêt d’une approche archéologique,
principalement parce que celle-ci ne réalise aucun tri a priori en fonction de la qualité
esthétique des vestiges mais aussi parce qu’elle s’attache à une analyse globale et
cohérente des différentes composantes de la construction. Cette approche
archéologique permet également de décaler le regard sur ces grands ensembles
décoratifs, en montrant l’apport que peut constituer leur étude – comme celle de tous
les autres types de revêtements muraux – à la connaissance globale des logiques de
construction de l’édifice. L’étude des revêtements muraux nous invite finalement à
défendre une vision décloisonnée de notre discipline, que l’on ne peut restreindre à
l’enfoui et dont la démarche – fondée sur la rigueur des méthodes d’observation, sur le
soin apporté au contexte global de réalisation des œuvres ainsi qu’à leurs spécificités
techniques – peut inspirer, sinon imprégner, l’ensemble des chercheurs et des acteurs
en charge de la connaissance et de la préservation du patrimoine monumental.
630

NOTES
1. Cet article doit beaucoup aux organisateurs du colloque, que je remercie de leur
confiance, ainsi qu’aux différents collègues sollicités pour sa préparation. La richesse
des échanges que j’ai pu avoir depuis une quinzaine d’années avec Christian Sapin est
en grande partie à l’origine de cette réflexion, tout comme les discussions engagées lors
des séminaires d’archéologie moderne et contemporaine de l’université Paris IV. Il
m’appartient en outre de saluer les nombreux amis et collègues – que je ne pourrai pas
tous citer ici, mais qui se reconnaîtront sans peine – qui m’accompagnent sur le terrain
depuis de nombreuses années.
2. LOUIS R., L'Abbaye Saint-Germain d'Auxerre et ses cryptes, Auxerre, 1927.
3. SAPIN C. dir., Édifices et peintures aux IVe-XIe siècles (actes du 2ème Colloque CNRS Archéologie
et enduits peints, 7-8 novembre 1992, Auxerre, abbaye Saint-Germain), Auxerre, 1994.
4. SAPIN C. éd., Peindre à Auxerre au Moyen Âge : IXe-XIVe siècles (10 ans de recherches à
l’abbaye Saint-Germain et à la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre), Paris, CTHS, 1999.
5. SAPIN C., « D’une surface à l’autre, archéologie des revêtements » in PARRON-KONTIS I.,
REVEYRON N. éd., Archéologie du bâti, pour une harmonisation des méthodes, Actes de la table
ronde de Saint-Romain-en-Gal, 9-10 novembre 2001, Paris, Éditions Errance, 2005, p. 80-86 ;
SAPIN C., « Les rapports fond/surface, réflexions de synthèse » in RUSSO D. dir., Peintures
murales médiévales, XIe-XVIe siècles, regards comparés, Editions Universitaires de Dijon,
2005, p. 25-32.
6. PALAZZO-BERTHOLON B., Histoire, archéologie et archéométrie des mortiers et des enduits au
Moyen Âge, thèse de doctorat (dir. J.-F. Reynaud), Lyon, Université Lumière-Lyon 2,
1998 ; BÜTTNER S., Géoarchéologie des liants de maçonnerie en Bourgogne du nord (Ve-XIXe
siècles) : évolution historique et technique : contribution aux études archéologiques de l’abbaye
Saint-Germain d’Auxerre et du chevet de la Madeleine de Vézelay, thèse de doctorat (dir. A.
Tabbagh), Paris, Université Pierre et Marie Curie, Paris, 2002 ; ROLLIER-HANSELMANN J., Les
peintures murales dans les anciens territoires de Bourgogne (XIe-XIIe siècles) : de Berzé-la-Ville à
Rome et d’Auxerre à Compostelle, thèse de doctorat (dir. D. Russo), Dijon, Université de
Bourgogne, Dijon, 2009.
7. GRÉGOIRE S., Comportement acoustique des revêtements muraux des églises, Mémoire de
Master 2, Matériaux du Patrimoine Culturel, Univ. Bordeaux I et III et Poitiers, 2008.
8. Sur l’impact de l’utilisation du ciment dans la restauration des monuments
médiévaux en pierre, se rapporter aux travaux de Marie-Françoise André, notamment :
ANDRÉ M.-F. et al., « Impact of cement repointing on rates of sandstone decay in
medieval churches of the French Massif Central », in Stone in historic buildings :
Characterization and performance, 2014, p. 157‑174 ; EAD., « Interventions humaines sur
l’épiderme du bâti médiéval et son environnement : pour le meilleur ou pour le pire ? »
in PHALIP B. dir., D’épiderme et d’entrailles : le mur médiéval en Occident et au Proche-Orient,
Xe-XVIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2017, p. 207-213.
631

9. Voir le décret n° 2016-711 du 30 mai 2016 relatif aux travaux d’isolation en cas de
travaux de ravalement de façade, de réfection de toiture ou d’aménagement de locaux
en vue de les rendre habitables.
10. PHALIP B., « Pourquoi il faut « réensauvager » les monuments historiques », The
Conversation, 12 juin 2018, URL : http://theconversation.com/pourquoi-il-faut-
reensauvager-les-monuments-historiques-97576.
11. KNOLL F., « Peintures préhistoriques murales sur enduits en terre en Allemagne
centrale. Ensembles archéologiques provenant de bâtiments et tombes de l’âge du
Bronze final et du premier âge du Fer » in CHAZELLES C.-A. DE, LEAL E., KLEIN A., Construction
en terre crue. Torchis, techniques de garnissage et de finition. Architecture et mobilier (échanges
transdisciplinaires sur les constructions en terre crue, vol.4, actes de la table ronde
internationale de Lattes, 23-25 novembre 2016), Montpellier, Éditions de l’Espérou, 2018,
p. 309-322.
12. SUBES-PICOT M.-P., « Peinture sur pierre : note sur la technique des peintres du XIIIe
siècle découvertes à la cathédrale d’Angers », Revue de l’Art, 97-1, 1992, p. 85‑93.
13. DESCHAMPS P., « Le département de la peinture murale au musée des monuments
français », Journal des Savants, 2-1, 1945, p. 83‑90.
14. Cette étude a été réalisée par les entreprises Sinopia (recherche stratigraphique),
Anne-Laure Thuret et Bertrand de Cointet (restitution et pose des papiers peints), avec
l’aide de Geneviève Gascuel. Voir également GOMEZ N. dir., « Alexandra, une
(re)naissance, Maison Alexandra David-Neel », in Patrimoine(s) en Provence-Alpes-Côte
d’Azur, La lettre d’information de la Direction régionale des affaires culturelles, 48, mai 2019,
URL : http://www.infos-patrimoinespaca.org/index.php?
menu=9&num_article=921&mp=20&cptcom=0&dos=77.
15. POISSON O. et al., Du fragment à l’ensemble : les peintures murales de Casesnoves,
Montpellier, DRAC Languedoc-Roussillon, 2014, URL : https://www.google.com/url?
sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjMr8mFxozsAhVGxYUKHaU-
BisQFjAAegQIBhAB&url=https%3A%2F%2Fwww.culture.gouv.fr%2FMedia%2FRegions%2FDrac-
Occitanie%2FFiles%2FDoc-Ressources-documentaires%2FDoc-Publications%2FDoc-
collection-DUO%2FPatrimoine-protege%2FDu-fragment-a-l-ensemble-les-peintures-
murales-de-Casesnoves&usg=AOvVaw2EoCxB6vBgqmak3ELuZT1t.
16. BOISSARD E., MARTIN P., « Chartres (Eure-et-Loir), cathédrale Notre-Dame. Restauration
et étude archéologique de la façade et des deux premières travées occidentales de la
nef », Monumental, 2014‑1, 2014, p. 26‑27 ; MARTIN P., « La façade et les travées
occidentales de la cathédrale de Chartres : nouveaux apports de l’archéologie du bâti »,
Bulletin Monumental, 173-3, 2015, p. 203‑214.
17. Cette étude a été réalisée par le service départemental d’archéologie des Alpes de
Haute-Provence, sous la responsabilité scientifique de Mathilde Tissot (voir SHINDO L.,
TISSOT M., « L’hôtel Ferrier, un hôtel particulier des XVe-XVIIIe siècles (Riez, 04) : une
opération de déconstruction. Regards croisés sur les données archéologiques et
dendrochronologiques. », in ARCADE. Approche diachronique et Regards croisés :
Archéologie, Dendrochronologie et Environnement, Aix-en-Provence, 2014, p. 171‑186).
18. Voir en dernier lieu BOISLÈVE J., « Fouiller et lire les décors peints pour révéler
l’architecture. Méthodologie appliquée à l’archéologie préventive », Archéopages, 43,
2016, p. 90‑101.
632

19. Voir les bilans réguliers dressés dans le cadre de la publication annuelle des actes
de l’Association française pour la peinture murale antique (AFPMA) (collection Pictor).
20. Voir SCHNEIDER L., CLÉMENT N., « Le Castellum de La Malène En Gévaudan. Un « rocher
Monument » du Premier Moyen Âge (VIe-VIIe s.) », in La Lozère (48), Carte archéologique de
La Gaule, Paris, Académie des inscriptions et belles-lettres, 2012, p. 317-328.
21. PALAZZO-BERTHOLON B., « Les enduits peints mérovingiens et carolingiens », in
VANDERHOEVEN A., ERVYNCK A., Het archeologisch en bouwhistorisch onderzoek van de O.L.V.-
basiliek van Tongeren (1997-2013). Deel 4, De laat-Romeinse en vroegmiddeleeuwse periode,
Bruxelles, Agentschap Onroerend Erfgoed, 2016, p. 199‑236.
22. Voir en dernier lieu DUPUIS M., DANTEC E., HENRION E., « Senez, cathédrale Notre-Dame
de l’Assomption Premiers résultats de la campagne de fouille archéologique 2018 », in
Patrimoine(s) en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 47, mars 2019, URL : http://www.infos-
patrimoinespaca.org/index.php?menu=9&num_article=782&mp=20&cptcom=0&dos=66.
23. Cet ensemble, en cours d’étude par Pauline Brousse, a fait l’objet d’un Master
Recherche à l’université d’Aix-en-Provence soutenu en juin 2019 : BROUSSE P., Les
fragments d’enduits peints de l’ancienne cathédrale de Senez (Alpes de Haute-Provence), Étude
archéologique et toïchographologique d'un décor mural du haut Moyen-Âge (IXe-XIe siècle) ,
mémoire de master 2 (dir. A. Hartmann-Virnich et M. Dupuis), Aix-en-Provence,
Université d’Aix-Marseille, 2019.
24. Il convient de mentionner, à propos de plafonds, l’apport majeur des travaux
réalisés sur le Languedoc, qui ont montré la richesse exceptionnelle des plafonds peints
médiévaux identifiés sous les habillages modernes, à l’image des nombreux ensembles
mis au jour à Montpellier (voir par exemple VAYSSETTES J.-L., La conquête de Majorque par
Jacques d'Aragon : iconographie d'un plafond peint montpelliérain du XIIIe siècle, Montpellier,
DRAC Languedoc-Roussillon, 2017, URL : https://www.culture.gouv.fr/content/
download/178190/file/Duo%20Majorque%20WEB.pdf?inLanguage=fre-FR.
25. HERVÉ-COMMEREUC C., Peintures murales de l’église de Langast, Côtes d’Armor, Rennes,
Association pour l’Inventaire Bretagne, 1996.
26. SAPIN C. éd., Peindre à Auxerre au Moyen Âge…, op. cit.
27. SARRADE C., « Comprendre la technique des peintures romanes par le relevé
stratigraphique », In Situ. Revue des patrimoines, 22, 2013, URL : https://doi.org/10.4000/
insitu.10641.
28. VIOLLET-LE-DUC E., « Peinture », in Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe
au XVIe siècle, vol. 7 (palais-puits), Paris, A. Morel, 1864, p. 56-109.
29. GÉLIS-DIDOT P., LAFFILLEE H., La peinture décorative en France, t. I : du XIe au XVe siècle, Paris,
Librairie Centrale d’Architecture – Ancienne Maison Morel – Librairies Imprimeries
Réunies, 1887.
30. VIOLLET-LE-DUC E., Peintures murales des chapelles de Notre-Dame de Paris, Paris, A. Morel,
1870.
31. PLAGNIEUX P., LENIAUD J.-M., La basilique Saint-Denis, Paris, Centre des monuments
nationaux, 2012.
32. MICHLER J., « La cathédrale Notre-Dame de Chartres : reconstitution de la
polychromie originale de l’intérieur » Bulletin monumental, 147-2, 1989, p. 117-131.
633

33. AUTENRIETH H.-P., « Architettura dipinta », in Enciclopedia dell’Arte Medievale, 2, Rome,


Istituto della Enciclopedia Italiana fondata da Giovanni Trecani, 1991, p. 380-397 ; ID.,
« Structures ornementales et ornements à motifs structuraux : les appareils peints à
l’époque romane », in OTTAWAY J. éd., Le rôle de l’ornement dans la peinture murale du Moyen
Âge, Actes du colloque de Saint-Lizier, 1-4 juin 1995, Poitiers, Centre d'études supérieures de
civilisation médiévale, 1997, p. 57-72 (Civilisation Médiévale, 4).
34. VUILLEMARD-JENN A., La Polychromie de l’architecture gothique à travers l’exemple de
l’Alsace : structure et couleur : du faux appareil médiéval aux reconstitutions du XXIe siècle,
thèse de doctorat (dir. R. Recht), Université Strasbourg 2, 2003.
35. VICTOIR G., Gothic Wall Painting in Picardy, ca. 1250 - ca. 1350, thèse de doctorat (dir. P.
Crossley et D. Park), University of London, Courtauld Institute of Art, 2010.
36. Il faut par ailleurs souligner le travail de synthèse, de confrontation des données et
de publication à l’échelle nationale permis par la structuration de l’association Groupe
de recherches sur la peinture murale (GRPM). Voir GRPM, « La constitution d’un corpus
des peintures murales de la France : entre utopie et réalité », In Situ. Revue des
patrimoines, 22, 2013, URL : https://doi.org/10.4000/insitu.10859.
37. DAVY C., La peinture murale romane dans les Pays de la Loire : l'indicible et le ruban plissé,
Laval, Société d'archéologie et d'histoire de la Mayenne, 1999.
38. SCIREA F., Pittura ornamentale del Medioevo lombardo : atlante (secoli VIII-XIII), Milan,
Jaca Book, 2012.
39. OLMO GRACIA A., « El color de la arquitectura en la arquitectura románica : el ejemplo
de la iglesia monacal de Sigena (Huesca) », Revista de arte de amigos del románico, 16, 2013,
p. 26‑31 ; GÓMEZ URDÁÑEZ C., OLMO GRACIA A., Corpus de revestimientos cromáticos en la
arquitectura histórica, Saragosse, Prensas de la Universidad de Zaragoza, 2015.
40. DETALLE V., DUCHÊNE S., « Les études scientifiques des peintures murales : du chantier
au laboratoire, approche méthodologique et technique », Monumental, 2011-2, 2011, p.
96-101.
41. Voir par exemple « l’affaire » de la mise en couleur des calvaires bretons, URL :
https://www.letelegramme.fr/finistere/plougastel-daoulas/croix-peintes-l-architecte-
des-batiments-de-france-n-a-pas-ete-consulte-21-09-2018-12085705.php.
42. DESCHAMPS P., THIBOUT M., La peinture murale en France, le Haut Moyen Âge et l’époque
romane, Paris, Plon, 1951, p. 132.
43. DUPUIS M., « Les premières peintures murales de l’église de Saint-André-des-Eaux
(Côtes-d’Armor) : analyse archéologique d’un ensemble ornemental roman », Bulletin
Monumental, 171-3, 2013, p. 195‑206.
44. Comme l’avaient déjà montré les travaux du regretté Marc Déceneux : DÉCENEUX M.,
« Un monument roman méconnu : l’ancienne église de Saint-André-des-Eaux », Ar Men,
121, 1991, p. 24-29.
45. BERTOLOTTO C., « Testimonianze pittoriche ritrovate : il fregio romanico, le storie
benedettine e i profeti del sottarco », in La Basilica di San Giusto: la memoria millenaria
della cattedrale segusina (atti del Convegno, Chiesa Cattedrale di San Giusto in Susa, 21 ottobre
2000), Turin, Centro culturale diocesano, 2002.
46. Lors des restaurations intervenues en 2003, des observations sur les blocs intercalés
entre les métopes (au sommet de mur sud du chœur et sur le mur est du bras nord du
transept) ont montré qu’un décor peint, appliqué directement sur la pierre de taille,
634

dessinait des motifs de dents d’engrenage, un bandeau en opus reticulatum, une rose, des
cercles, des éléments de volutes, un damier (voir CHEVALIER P., « Le chantier médiéval à
travers sept sanctuaires romans d’Auvergne », Bulletin scientifique de la région Auvergne
(2003), 2005, p. 129). Ces décors peints ont malheureusement disparu au cours de cette
restauration.
47. JOURD’HEUIL I., BOISSARD E., « Polychromie architecturale et vitraux « en trompe-l’œil »
de la cathédrale de Chartres » Bulletin Monumental, 173-3, 2015, p. 223‑248.

RÉSUMÉS
Alors que l’étude des revêtements muraux est longtemps restée cantonnée à l’approche
stylistique de la peinture figurative, le développement de l’archéologie du bâti a permis, au cours
de ces dernières décennies, de proposer une analyse beaucoup plus exhaustive de la paroi
murale. La connaissance des mortiers, des enduits peints et des badigeons s’est alors largement
émancipée du champ de l’histoire des représentations, pour s’intégrer à une approche globale du
monument médiéval. Cet article propose de revenir sur cet apport de la démarche archéologique,
à travers les questions posées par la méthodologie ainsi que par l’étude de la polychromie
architecturale.

The study of wall claddings has long remained confined to the stylistic approach of figurative
painting. However, in recent decades, the development of building archaeology made it possible
to put forward a much more exhaustive analysis of the wall surfaces. The knowledge on mortars,
painted plasters and whitewashes broke then largely free from the field of representations
history, integrating a global approach to the medieval monument. This paper do revisit the
archaeological approach contributions, through methodology issues as well as questions raised
by the study of architectural polychromies.

INDEX
Mots-clés : archéologie du bâti, archéologie médiévale, peinture murale, enduits peints,
revêtements muraux, polychromie
Keywords : Building archaeology, Medieval archaeology, Wall painting, Painted plasters, Wall
claddings, Polychromy

AUTEUR
MATHIAS DUPUIS

(2019) Institut national du patrimoine (INP), Paris / LA3M (UMR 7298), Aix-en-Provence, (depuis
2021) Directeur de l'archéologie de l'agglomération Chartres Métropole.
mathias.dupuis@free.fr
635

La charpente de comble, un élément


incontournable pour l’histoire des
édifices anciens
The attic roof frame, an essential element in the history of old buildings

Jean-Yves Hunot

1 La charpente de comble concerne l’essentiel des bâtiments, tant laïcs que religieux de
nos contrées d’Europe nord-occidentale, pourtant cette source d’informations sur
l’histoire d’un bâtiment est encore souvent négligée, particulièrement en France. La
part du bois tant dans le gros-œuvre que dans le second-œuvre est généralement
oubliée, or cette matière et sa mise en œuvre regorgent d’informations chronologiques,
techniques, économiques et sociologiques. L’étude des structures en bois se distingue
de celles en maçonnerie par l’acquisition de données spécifiques en lien avec les
techniques de travail de cette matière. Mais cette étude doit précéder l’analyse
dendrochronologique dont les résultats sont souvent considérés comme l’unique
apport du bois dans le bâtiment. Enfin, il importe d’établir les liens entre les parties
bois et maçonnées.

1. Un peu d’histoire
2 Au cours du XIXe siècle, outre quelques mentions ponctuelles, l’article d’Eugène Viollet-
le-Duc dans son dictionnaire retrace une première histoire de la charpente médiévale
en France1. Dans les décennies qui suivent cette publication, l’étude des charpentes
apparaît, certes souvent brièvement, dans nombre d’articles ou de chapitres de divers
livres d’architecture. Les études centrées uniquement sur le thème de la charpente
restent rares, toutefois l’ouvrage de Friedrich Ostendorf2 tente de dresser un panorama
de l’Angleterre à l’Allemagne en passant par la France. Mais c’est paradoxalement, la
publication de Henri Deneux en 19273 qui scelle l’intérêt pour les charpentes de comble
en France (Fig. 1). Ces travaux déconnectent l’objet charpente du bâtiment et visent à
636

définir les modèles dans le dessein d’une évolution linéaire dans le cadre d’une
archéologie monumentale.

Fig. 1. Extrait de la publication d’H. Deneux, L’évolution des charpentes du XIe au XVIIIe siècle (extrait de la
revue L’architecture), Paris, 1927.

3 Le regard sur la part du bois dans l’histoire de l’architecture est valorisé depuis
longtemps en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Dans ces contrées, cette attention
connaît un regain d’intérêt avec l’emploi de la dendrochronologie dès les années 1960
et surtout dans la décennie suivante4. C’est seulement au début des années 1980 que
l’on s’intéresse à la charpente en Alsace avec les travaux de Maurice Seiller5 et en
Wallonie avec ceux de Patrick Hoffsummer6. Ce dernier met en application l’usage
intensif de la dendrochronologie dans l’espace francophone dans le but de dresser une
typologie mais aussi lors d’études de sites7.
4 En ces années 1980, les premières applications de la dendrochronologie au territoire
français permettent un renouveau du regard porté aux structures construites en bois.
Dans sa recherche de sites pour constituer des référentiels, la dendrochronologie va
révéler aux historiens de l’architecture tout le potentiel offert par cette méthode pour
la datation des sites. Yvonne Trénard, dès la fin de la décennie précédente, met en place
une unité de dendrochronologie au sein du Centre Technique du Bois et de
l’Ameublement afin d’établir les premiers référentiels en Île-de-France8. Des
applications à l’archéologie sont réalisées par Lucie Leboutet au sein du CRAM de Caen9.
Parallèlement, en Bourgogne et Franche-Comté, Georges Lambert développe
l’application de la dendrochronologie au sein du laboratoire de Chrono-Écologie (CNRS-
Besançon) qui aboutit à l’exposition « Les veines du Temps » en 199210. Des campagnes
de datation sont également diligentées par le professeur Gwyn Meirion-Jones sur
l’habitat aristocratique breton11.
5 On ne peut pas encore parler d’une véritable archéologie des structures bois. Toutefois,
ces prémices fondatrices contribuent au développement d’une méthodologie
d’acquisition des données appliquées à la charpente de comble et permettent son
intégration au sein de l’étude d’un édifice complet. Patrick Hoffsummer va étendre ce
637

type d’étude en approfondissant la méthode au Nord de la France dans les années


199012. C’est à cette période que des travaux encore isolés13 débutent. Certains se
poursuivent et se développent, comme en Normandie avec les travaux de F. Épaud14 et
ceux de l’auteur en Anjou15.
6 Depuis les années 2000, on observe la prise en compte de la charpente lors de l’étude
d’un édifice non plus comme un objet mais comme part entière de la construction, avec
tout l’apport que les structures en bois conservent16. Cela transparait par
l’augmentation des publications dans cette deuxième décennie du XXIe siècle, où la
charpente est devenue un composant aussi essentiel que les parties maçonnées17 (Fig.
2).

Fig. 2. La Riche (Indre-et-Loire), prieuré de Saint-Cosme, logis prieural, coupe transversale phasée
(d’après J. Noblet, 2011).

7 Cela a même abouti à des études et d’heureuses découvertes dans des zones considérées
comme dépourvues de culture traditionnelle du bois et de la charpente, tels les travaux
d’Emilien Bouticourt dans la partie méridionale de la vallée du Rhône18.

2. Une méthode d’étude à mettre en place


8 La prise en compte des structures en bois dans les études du bâti est certes récente et
très liée au développement de la dendrochronologie. Bien que cette méthode soit
encore considérée comme la possibilité d’obtenir une date précise, elle reste néanmoins
sans signification si elle n’est pas connectée avec l’histoire de l’édifice. Il ne faut pas
oublier qu’une charpente de comble, un plancher et toute autre structure en bois
peuvent être modifiés, renouvelés ou rajoutés au sein de l’édifice. Pour donner tout son
sens et sa pertinence à la datation des bois, il est nécessaire de vérifier la cohérence et
la similitude des pièces employées au sein d’une structure, leurs connexions avec le
reste du bâtiment ainsi que les éventuelles modifications (Fig. 3). Les liens avec les
maçonneries et leurs finitions (enduits, peintures…) doivent viser à établir une
638

chronologie relative où les bois ont leur part, surtout lorsqu’ils permettent d’obtenir
une datation à l’année près voire à la saison près dans le meilleur des cas.

Fig. 3. Baugé (Maine-et-Loire), aumônerie Saint-Michel, chapelle, coupe longitudinale.

9 L’étude des charpentes reprend plusieurs aspects généraux caractéristiques de


l’archéologie du bâti auxquels se rajoutent des spécificités en lien avec le bois et les
techniques de charpenterie. Une méthodologie dont nous allons présenter les grandes
lignes se doit d’être mise en place pour l’étude de ces objets tridimensionnels.
10 Tout débute par une série de relevés à une échelle suffisamment grande pour
permettre d’enregistrer la plupart des détails pertinents. Cela comprend, pour un
comble, le relevé d’une ferme type ou de plusieurs d’entre elles si des différences
apparaissent, celui des dispositions du plan vertical qui suit l’axe longitudinal – le
contreventement – et un plan. Des relevés complémentaires peuvent s’avérer
nécessaires pour enregistrer des dispositions particulières (détail, assemblage, décor…).
Ils peuvent être pratiqués de façon traditionnelle (Fig. 4). On ne peut négliger les
méthodes d’acquisition offertes par la photogrammétrie et la lasergrammétrie (Fig. 5 et
6). Si ces deux dernières techniques permettent la production relativement rapide
d’ortho-images, il est nécessaire de les reprendre car de nombreux détails et
dispositions sont difficilement perceptibles ou partiellement masqués. De même, la
nature des bois, les traces d’outil, les indices de la mise en œuvre et les modifications
qui ne sont pas systématiquement perceptibles, demandent un enregistrement
spécifique. L’usage de la photogrammétrie et de la lasergrammétrie est bien adapté aux
grands volumes et fournit un cadre géométrique fiable. Ces outils qui produisent des
nuages de points tridimensionnels ouvrent toutefois des perspectives, d’abord
immédiates, comme pouvoir multiplier les ortho-images pour l’enregistrement plus
aisé et précis des dispositions et des variations de chacune des fermes et du
contreventement. Ultérieurement, ils offrent des possibilités de mesurer d’éventuelles
déformations, de vérifier les articulations avec les volumes sous-jacents ou avec le
bâtiment portant ces structures et surtout de modéliser les ensembles (Fig. 7). Outre
639

l’aspect ludique de l’objet 3D, cela débouche sur d’importantes potentialités en termes
de médiation. Au-delà, la modélisation est un outil qui ouvre de larges horizons sur la
forme des bois, leurs dimensions et le volume mis en œuvre et donc sur l’économie du
chantier et, par voie de conséquence, sur les types de boisements ayant servir à
l’approvisionnement dudit chantier. Les développements en cours en particulier autour
du chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris permettent d’envisager la création
d’une base de données autour de la modélisation 3D documentant chaque aspect toutes
les pièces constituant la charpente.

Fig. 4. Luigné (Maine-et-Loire), commanderie de Saulgé, chapelle, ferme principale de la charpente


(vers 1220). Sur ce relevé, la flache avec l’écorce et l’aubier ont été localisés.

Fig. 5. Pouldrezic (Finistère), chapelle Notre-Dame, ortho-image obtenue par photogrammétrie d’une
ferme de la charpente (première moitié du XVe siècle) (C. Olivier, Dendrotech).
640

Fig. 6. Cunault (Maine-et-Loire), prieurale Notre-Dame, nef, ferme 4 (1443d). Extraction du nuage de
points obtenu par lasergrammétrie (société AGP) et relevé interprété.

Fig. 7. Valencay (Indre), château, tour nord-ouest, modélisation de la charpente en dôme (1520d) (A.
Marais, Dendrotech).

11 Mais, les relevés, quelle que soient leur forme, ne sont qu’un préalable pour y reporter,
enregistrer et localiser diverses observations. Parmi celles-ci, on peut citer, sans entrer
dans le détail, les variations dans l’organisation de la structure, la variété
d’assemblages utilisés – et plus particulièrement les entures avec leur sens de montage
–, les outils mis en œuvre, le débitage du bois, les essences employées, l’aspect des
pièces (nœuds, flache, aubier…) et leur marquage19. Ce dernier aspect est essentiel pour
vérifier l’homogénéité d’une charpente. En effet, la taille des pièces de bois précède un
641

assemblage à blanc au sol pour vérification ainsi que le marquage de chacune d’elles
pour qu’elles puissent être identifiées lors du levage définitif sur le bâtiment. Ce
marquage doit donc être cohérent pour chaque ferme au sein d’une charpente qui a fait
l’objet d’une réalisation en une phase. Ainsi, une suite discordante dans le marquage
peut indiquer d’éventuelles reprises, différentes phases de réalisation20 ou la présence
de réemplois (Fig. 8). De même, les mortaises ou les entailles veuves ou orphelines
observées signent généralement la présence de réemploi21 ou de modifications de la
structure.

Fig. 8. Baugé (Maine-et-Loire), château, charpente à chevrons porteurs du comble oriental (1567d)
réutilisant après un incendie, des bois de la charpente de 1455d qui portent en sous-face des traces du
clouage du lattis enduit.

12 La reconnaissance de ces divers éléments est un préalable pour proposer une histoire
du comble et, partant, d’une part non négligeable de celle de l’édifice. De plus, cette
analyse doit impérativement précéder la campagne de prélèvements pour la
dendrochronologie en ciblant les pièces à analyser, afin de connaître la signification de
la ou des dates obtenues22. Pour une bonne validité de la dendrochronologie, il est
nécessaire d’avoir plusieurs échantillons qui constituent une moyenne de site
suffisamment longue23 et ainsi valider sa réplication sur plusieurs référentiels. La date
d’abattage n’est connue que lorsque le cambium est identifié24. En son absence, le
dernier cerne daté fourni un terminus post-quem. Lorsqu’il subsiste des cernes de
l’aubier, une estimation de l’abattage peut être proposée pour le chêne sur la base
d’une moyenne de 19 cernes ± 15 à 96,5 % de probabilité25.
13 La méthode proposée ci-dessus reprend les éléments essentiels permettant de restituer
l’histoire de la charpente dans le cadre de celle d’un édifice. Elle doit être évaluée et
adaptée en fonction du site mais, surtout, elle est destinée à évoluer. Cette évolution
doit refléter l’économie du chantier avec ses problèmes d’approvisionnement et enfin
642

participer d’une histoire des techniques avec ses variations dans le temps et dans
l’espace.

3. Exemples d’études
14 C’est à partir de quelques exemples que nous souhaitons montrer tout l’intérêt et les
bénéfices que les études de charpentes apportent à la connaissance de l’histoire d’un
édifice. La première étude souligne l’utilité de faire précéder l’analyse tandis que
l’exemple suivant démontre tous les apports qu’offre la dendrochronologie. Ensuite,
nous aborderons le phasage de site grâce à l’étude des combles combinée à la
dendrochronologie et enfin nous insisterons sur l’apport de la recherche des liaisons
avec les parties maçonnées.

3.1. L’hôpital Saint-Jean d’Angers

15 L’hôpital Saint-Jean a été fondé par Étienne de Marcay, sénéchal d’Anjou, vers 1175. En
1188, un texte évoque la chapelle, les cloîtres et la salle des malades. Ce dernier
bâtiment est une vaste salle de trois files de voûtes d’ogives de style gothique de
l’Ouest, de quelque 22,80 x 60 m dans-œuvre. La structure actuelle est une charpente à
chevrons-porteurs constituée de seize fermes principales formant huit travées26. Les
fermes principales sont réunies par paire au droit des arcs doubleaux, avec une ferme
secondaire qui s’intercale entre les deux. Au milieu des travées comportant six fermes
secondaires et donc au-dessus de chaque travée de voûtes d’ogives, une ferme
intermédiaire est posée sur des cales pour qu’elle puisse passer au-dessus de la clef de
voûte qui dépasse largement le sommet des arcs doubleaux et formerets (Fig. 9).

Fig. 9. Angers (Maine-et-Loire), hôpital Saint-Jean, salle des malades (1175-1183d). Au premier plan, la
ferme principale et au second plan, en vert, la ferme intermédiaire.

16 Cette organisation particulière, le marquage, le nombre de fermes secondaires et


principales nous conduit à proposer l’hypothèse suivante : la charpente conçue est déjà
largement taillée pour une salle non voûtée avec douze travées de cinq fermes
643

secondaires lorsqu’est prise la décision de mettre en place un voûtement. Une nouvelle


répartition est réalisée pour installer les entraits au droit des arcs doubleaux. La portée
des travées est alors soulagée par insertion, au droit des clefs de voûte, de fermes de
renfort dont la mise en œuvre est similaire au reste de la charpente. La facture
similaire de l’ensemble suggère un faible délai dans l’évolution du projet.
17 Par ailleurs, la différence de largeur entre la salle (22,80 m) et la portée de seulement
22,25 m dans le comble indiquent que la partie haute des murs gouttereaux est réalisée
après le voûtement sur lequel elle repose en partie. C’est probablement pour limiter la
quantité de maçonnerie à rajouter que la charpente a été réorganisée.
18 Mais en l’état, il est impossible de valider tout ou partie de cette hypothèse. Lors de
l’étude de cette charpente, commanditée en 2004 par le Centre de Recherche des
Monuments Historiques dans le cadre du projet sur la typologie des charpentes, la
campagne de datation dendrochronologie avait déjà été réalisée27. Globalement, les
arbres furent abattus après 1175, mais la recherche d’aubier et d’éventuels cambiums
n’ayant pas été privilégiée et la localisation des échantillons manquant de précision on
ne peut guère aller plus loin. Toutefois, l’observation des maçonneries du comble
montre que les murs pignons furent édifiés alors que la charpente était déjà levée. Or la
chapelle dont les bois de la charpente furent abattus lors du repos végétatif de l’hiver
1182-118328 a été édifiée ultérieurement, comme le montre son pignon oriental appuyé
sur celui de la salle. Cela permet de resserrer la période entre 1175 et 1183.
19 Cet exemple souligne l’importance de réaliser l’étude avant de penser à la
dendrochronologie pour cibler les enjeux de la datation et ainsi préciser le nombre et la
localisation des échantillons sans devoir prélever tous les bois.

3.2. La charpente de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges

20 À l’opposé, l’étude menée sur la charpente du grand vaisseau de la cathédrale de


Bourges par Frédéric Épau est assez exemplaire29. Elle montre que la charpente a été
réalisée en trois grands chantiers qui ont débuté en 1256 sur la partie occidentale suivie
par la charpente du chœur en 1257 et, dans la partie centrale, en 1262 pour la création
d’un faux transept qui fut supprimé avec sa flèche en 1747 (Fig. 10). Les deux structures
orientales ne diffèrent que très légèrement de la structure de la nef, la première à être
taillée, probablement pour répondre à une moindre disponibilité de bois long pour le
chœur et la partie centrale. Si la réalisation de la charpente de la nef suivit
immédiatement celle des murs gouttereaux, le chœur, dont l’édification débuta vers
1195, reçut la charpente de l’édifice antérieur en réemploi (il était en effet de même
largeur) avant d’être doté de sa charpente définitive en 1257. Le recensement des
marques révèle que la nef a été fabriquée en cinq tranches distinctes – trois en 1256 et
deux en 1262 – et le chœur en trois temps successifs.
644

Fig. 10. Bourges (Cher), cathédrale Saint-Étienne, phasage de la construction après l’étude des
charpentes (d’après F. Épaud, 2017, p. 14).

21 La précision de la chronologie du chantier du XIIIe siècle est issue de la collecte de 291


échantillons qui privilégiaient la présence de l’aubier et du cambium. Mais, au-delà,
cela a permis de mettre en évidence des abattages répartis sur une période assez longue
entre 1230 et 1262. Les bois coupés anciennement furent essentiellement mis en œuvre
sur la nef avec un important lot d’arbres abattus au cours du repos végétatif de
l’automne-hiver 1255-1256, tandis que pour le chœur 79 % des arbres ont été coupés au
cours de l’hiver 1256-1257. Les conditions du stockage et de la préservation par fumage
des grumes sur une durée pouvant dépasser 25 ans invoquées dans ce travail d’analyse
restent à préciser et à documenter. Un constat proche avait déjà été fait lors de l’étude
du chœur de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers où les bois sont issus d’une dizaine
de campagnes d’abattage réparties sur 20 ans30. Par ailleurs, la forme et la croissance
des bois tend à montrer qu’ils sont issus de coupes à blanc de futaie. Les abattages
successifs destinés à acquérir le volume de bois nécessaire à ces grands chantiers qui
restent exceptionnels donne à réfléchir sur l’économie de la construction.

3.3. Le phasage d’un édifice ou d’un site

22 L’étude des charpentes offre généralement des possibilités de mieux cerner les phases
d’un chantier de longue durée. Cela a été démontré pour la cathédrale Saint-Étienne
d’Auxerre où les vestiges d’une paroi temporaire ont été découverts dans la partie
médiane de la nef. Cet ouvrage délimite la fin de la phase 7 de l’édification de la nef en
1378-1379d en attendant la construction de la partie occidentale au début du XVIe
siècle31. De même, on a pu opérer un rapprochement entre les sources et le chantier du
chœur.
23 La présence de cloisons temporaires se rencontre sur d’autres chantiers de grande
ampleur comme la cathédrale Saint-Maurice d’Angers32. À l’extrémité est de la nef, la
645

ferme présente, sur sa face orientale, les vestiges de l’ancrage d’une paroi indiquant
une interruption avant l’édification de la croisée (Fig. 11). La charpente de la croisée
conserve les clous de fixation de parois sur ses parements extérieurs nord, est et sud. La
dendrochronologie confirme cette observation avec la réalisation de la charpente de la
nef employant des bois coupés lors de l’hiver 1209-1210d, puis en 1218-1222d pour celle
de la croisée et en 1232-1233d pour le bras sud du transept.

Fig. 11. Angers (Maine-et-Loire), cathédrale Saint-Maurice, chronologie de réalisation des charpentes
(plan UDAP 49, d’après Blomme, 1998).

24 La construction de plusieurs bâtiments peut ainsi être séquencée au sein d’un site grâce
à l’étude des charpentes en délimitant précisément les étapes. Le château du Plessis-
Macé, fondé au XIe siècle à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest d’Angers, est une
vaste enceinte polygonale dotée un tour-résidence sur motte33. L’étude des bâtiments
de la basse-cour adossés à la courtine montre un projet en plusieurs étapes (Fig. 12). À
l’ouest, sur un rez-de-chaussée à vocation domestique, un premier logis à salle d’étage
est accessible par un escalier droit extérieur. On distingue un volume montant sous
charpente lambrissée dépourvu d’entrait (Fig. 13). Deux fermes portent des cloisons
montrant une division en trois espaces. Cet ensemble est constitué de bois abattus en
1450-1451d. En vis-à-vis, un logis assez semblable fut édifié en 1467-1468d contre la
courtine est mais la principale différence apparaît avec un étage plafonné. L’année
suivante, 1468-1469d, le premier ensemble est remanié, un plafond est inséré, un
escalier en vis hors-œuvre est ajouté ainsi qu’une chapelle et une extension vers le
nord. Vers 1473-1474d, des communs, intégrant un logis à escalier en vis, ont été édifiés
dans l’angle sud. Toutes ces constructions sont réalisées sous le patronage de Louis de
Beaumont, homme de guerre et conseiller de Charles VII et Louis XI qui tarde à intégrer
des nouveautés comme les escaliers en vis et des volumes plafonnés.
646

Fig. 12. Le Plessis-Macé (Maine-et-Loire), château, plan d’ensemble avec les différentes étapes de
réalisation d’après la dendrochronologie.

Fig. 13. Le Plessis-Macé (Maine-et-Loire), château, aile nord-ouest, relevé de la façade sud.

25 L’église Saint-Michel au May-sur-Evre (Maine-et-Loire) montre la réalisation d’un


comble en plusieurs tranches successives. La charpente à chevrons porteurs présente
une structure identique sur l’ensemble autour de la croisée34. Le marquage révèle les
647

différentes étapes de sa réalisation (Fig. 14). La croisée et le bras sud du transept


constituent la première phase (1492-1493d), vient ensuite le chœur, 1493-1494d) puis le
bras sud du transept (1494-1495d). La nef fut ensuite réalisée en deux tranches vers
1496 et après. L’analyse révèle que les arêtiers des noues de la croisée ont été taillés
avec des mortaises pour recevoir les empanons : celles-ci n’ont pu être faites une fois
cette partie de la structure en place sur les maçonneries. Cela montre que la charpente
avait été conçue comme une seule entité à réaliser en plusieurs tranches. Une situation
comparable a pu être mise en évidence sur l’abbatiale Notre-Dame de l’Épau (Yvré-
l’Évêque, Sarthe) où, après une modification en 1428d de la charpente du chœur
réalisée vers 1370d, la croisée fut réalisée en 1429d, avant le levage des charpentes des
deux bras du transept et de la nef entre 1430d et 1432d35. Dans ces sites, les voûtes sont
postérieures, sans doute de peu, à la mise en place des charpentes.

Fig. 14. Le May-sur-Evre (Maine-et-Loire), église Saint-Michel, plan du comble des différentes tranches
de réalisation de la charpente (les extensions ont été rajoutées vers 1898).

26 L’analyse des charpentes du château de Baugé (Maine-et-Loire) a mis en évidence la


réalisation de cet édifice en trois grandes étapes sur un noyau préexistant (Fig. 15)36. Le
corps oriental correspondant aux appartements du Roi René fut édifié en 1455d puis le
volume correspondant à la salle en 1463d et enfin le grand escalier en vis hors-œuvre
en 1467d. Le comble de la grande salle recèle une histoire plus complexe : ce comble à
chevrons porteurs à poinçon court dispose de deux lucarnes sur chaque versant, de
trois cheminées, d’un accès à la tour d’escalier et d’un autre à une tour placée au milieu
du mur nord (Fig. 16). L’observation des assemblages et du marquage met en évidence
des modifications du comble. Le chevêtre des lucarnes orientales est en partie assemblé
à mi-bois comme celui de la cheminée du versant nord, alors que celui des lucarnes est
assemblé à tenon et à mortaise aux deux extrémités. De plus, une incohérence apparait
dans le marquage au droit des deux lucarnes orientales. Le projet initial de la charpente
ne comprenait que deux des quatre lucarnes, pas de cheminée sur le versant nord ni
648

d’accès à l’escalier en vis construit en 1467d. Rien ne différencie ces lucarnes ou la


cheminée des autres éléments comparables du comble. L’échantillonnage pour la
dendrochronologie a ciblé le noyau initial de la charpente et les fermes au droit de la
lucarne, en particulier, le chevêtre dont la section permet d’exclure le recyclage d’un
bois présent. Or les deux ensembles se révèlent contemporains avec une date
d’abattage durant le repos végétatif 1462-1463d. Nous sommes donc en présence de la
modification du projet initial au cours du chantier. D’un simple comble éclairé par une
lucarne sur chaque versant, on aboutit à un volume contenant trois chambres, chacune
dotées d’une cheminée, et un couloir de distribution le long du versant sud. Les traces
de cloisonnement se discernant clairement au sein des restes du lattis et des enduits de
refend confirment cette distribution.

Fig. 15. Baugé (Maine-et-Loire), château, façade sud simplifiée avec les grandes étapes de
construction (d’après A. Rémy, 2015).
649

Fig. 16. Baugé (Maine-et-Loire), château, grande salle, plan du comble avec le report du marquage de la
charpente à chevrons porteurs mettant en évidence les modifications au niveau des lucarnes
orientales (1463d) et la restitution des distributions.

27 Enfin, la liaison entre charpentes et maçonneries est un aspect sur lequel nous devons
insister. La grande majorité de la partie supérieure du pignon ainsi que les refends ont
été édifiés après le levage des charpentes. Ainsi le refend portant cheminées du logis
royal du château d’Angers a été réalisé après le levage de la charpente (1430-1440d)
comme le montre la maçonnerie venant mouler les bois bien qu’elle soit parfaitement
liée aux murs gouttereaux dans les niveaux sous-jacents37. Des églises offrent des
dispositions similaires. À Saint-Symphorien de Bouchemaine (Maine-et-Loire), le
pignon oriental englobe l’extrémité des sablières ainsi que celle du contreventement de
la charpente réalisée en 1376d38. Sur le chœur de l’église Notre-Dame de Brissarthe
(Maine-et-Loire), le pignon peu épais, vient englober la ferme occidentale de la
charpente de 1690d (Fig. 17).
650

Fig. 17. Brissarthe (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, chœur, ferme orientale englobée dans la
maçonnerie du pignon (1690d).

4. Conclusion
28 Nous avons tenté de montrer le bénéfice que l’étude des charpentes de comble peut
apporter à la compréhension d’un édifice ou d’un site tant religieux que laïc. Cela
nécessite de mettre en place une approche adaptée aux spécificités techniques du bois
tout en utilisant des outils et des processus similaires à l’archéologie du bâti appliquée
aux maçonneries, notamment la « stratigraphie » et la chronologie relative. C’est à
partir de cette base, permettant de vérifier l’homogénéité ou non de la structure, de
repérer les modifications ou la présence de bois en remploi, que peut être utilisée la
dendrochronologie en ciblant la localisation et le nombre de lots d’échantillons
nécessaires à la datation du site. Cette méthodologie peut être étendue à tous les
ouvrages de charpente (charpente de comble, maison en pan de bois, halles, plancher…)
avec, toutefois, quelques adaptations spécifiques.
29 Mais au-delà de ces monographies, les recherches permettent plus largement de
retracer une évolution de la charpente, comme l’ébauchent les premières synthèses
réalisées sous la direction de Patrick Hoffsummer39. Dans le détail, la multiplication des
études de cas et des analyses à plus grande échelle permettent de discerner divers
acquis techniques. La prise en compte du contreventement, le passage de l’assemblage
à mi-bois à celui à tenon et mortaise, le traitement des arêtiers et autres jonctions,
montrent l’évolution de l’art du Trait et sa transmission. C’est ainsi que des types
régionaux – novateurs ou au contraire issus de traditions plus anciennes – à différentes
périodes40. L’élaboration de ces référenciels régionaux servira à affiner les
problématiques lors de futures études.
651

NOTES
1. VIOLLET-le-DUC E., Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle ,
Paris, A. Morel, 1854-1868, article « Charpente », URL : https://fr.wikisource.org/wiki/
Dictionnaire_raisonn%C3%A9_de_l%E2%80%99architecture_fran%C3%A7aise_du_XIe_au_XVIe_si%C3%A8cle/
Charpente.
2. OSTENDORF F., Geschichte des Dachwerkes : erlaütert an einer großen Anzahl mustergültiger
alter Konstruktionen, Leipzig-Berlin, Teubner,1908.
3. DENEUX H., L’évolution des charpentes du XIe au XVIIIe siècle, Paris, Centre de Recherches
sur les monuments historiques, 1961 (notice extraite de la revue L’architecture, Reims,
1927).
4. On peut le constater avec le bilan des datations dressé annuellement dans la revue
anglaise Vernacular architecture. Pour l’historique de l’application de la
dendrochronologie en Europe voir LAMBERT N., LAVIER C., PERRIER P., VINCENOT S.
« Pratique de la dendrochronologie », Histoire et mesure, 3-3, 1988, p. 279-308 ; ou
SCHWEINGRUBER F. H., Tree rings, Basic and applications of dendrochronology, Dordrecht,
Kluwer Academic Publishers 1988.
5. SEILLER M., « L’évolution de la charpente en bois du XIe au XVIIIe siècle », Archéologie
médiévale en Alsace, Bulletin de la société industrielle de Mulhouse, 806, 1987, p. 131-137.
6. HOFFSUMMER P., « L’apport de la dendrochronologie dans l’étude de trois
constructions médiévales et post-médiévales de la région liégeoise (Belgique) »,
Archéologie médiévale, 13, 1983, p. 117-129 ; et ID, es charpentes de toitures en Wallonie,
typologie et dendrochronologie (XIe au XIXe siècle), Namur, Ministère de la Région wallonne –
Division du patrimoine, 1995 (Série Monuments et Sites, 1) (publication de sa thèse
soutenue en 1989).
7. BERTHOLET P., HOFFSUMMER P., L'église-halle des saints Hermes et Alexandre à Theux, Dison,
G. Lelotte, 1986.
8. TRENARD Y., L'art de faire parler le bois. Initiation à la dendrochronology, Paris, Centre
technique du bois, 1978 ; EAD, Making wood speak, Slough, Commonwealth Agricultural
Bureaux, 1982 (reprint des Forestry Abstracts – Oxford, 43-12, 1982, p. 729-759) ; EAD., «
Dix-neuf ans de dendrochronologie parisienne », in Le bois dans l'architecture, actes des
colloques de la Direction du Patrimoine, Rouen, novembre 1993, Paris, CNMHS, 1995, p.
206-209 (Entretiens du patrimoine, 14).
9. L EBOUTET L., « Datation, par la dendrochronologie, d'une maison ancienne de
Rouen », Hors-série des Annales de Normandie, Recueil d’études offert en hommage au doyen M.
de Boüard, Caen, 1982, vol 2, p. 305-311.
10. LAMBERT G.-N., « Dendrochronologie et archéologie : problèmes méthodologiques et
théoriques », Revue d'Archéométrie, 4, 1980, p. 9-19 ; MAURICE B., LAMBERT G.-N. dir., Les
veines du temps, lectures de bois en Bourgogne, catalogue d’exposition du musée Rolin,
Autun, 1992.
652

11. G UIGAL F., JONES M.C.E., M EIRION-JONES G.I., P ILCHER J., « Dendrochronologie de trois
manoirs des Côtes-du-Nord », Les Dossiers du CeRAA, 15, 1987, p. 63-70 ; GUIGAL F.,
« Aspect de la dendrochronologie des habitations seigneuriales de Bretagne », in Wood
and Archaeology – Bois et Archéologie, proceedings of the European Symposium held at
Louvain-la-Neuve, October 1987, Strasbourg, Council of Europe-Rixensart-PACT, 1988,
p. 85-97 (PACT, 22) ; GUIGAL F., P ILCHER J., « Remarques sur la comparaison des séries
d'épaisseurs des cernes des Côtes-du-Nord à celles d'Ille-et-Vilaine », Revue
d'Archéométrie, 12, 1988, p. 29-33.
12. HOFFSUMMER P., PLOUVIER M., « Sous les toits, les charpentes », in PLOUVIER M. dir.,
Laon, une acropole à la française, Amiens, Inventaire général, S.P.A.D.E.M., 1995, p. 95-116.
13. Par exemple FEUILLET M.-P., GUILHOT J.-O., Anse, château des Tours, 5 ans de recherches,
Lyon, DRAC Rhône-Alpes, 1985 ; BRYANT S., « Trois édifices médiévaux au cœur du bourg
de Saint-Marcel (Indre) », Revue Archéologique du Centre de la France, 37, 1998, p. 109-137 ;
ou encore ÉPAUD F., « La charpente de la cathédrale Notre-Dame de Rouen », Archéologie
médiévale, 31, 2001, p. 133-174 (article issu d’un mémoire de Maîtrise soutenu en 1998).
14. ÉPAUD F., De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie, Caen, CRAHM,
2007.
15. HUNOT J.-Y., « Le bois et l’archéologie », Fontevraud : Histoire et Archéologie, 4, 1996, p.
39-43 ; ID., « L’évolution de la charpente de comble en Anjou, XIIe-XVIIIe siècles », Revue
archéologique de l’Ouest, 21, 2004, p. 225-245.
16. À titre d’exemple : PARRON-KONTIS I., La cathédrale Saint-Pierre en Tarentaise et le groupe
épiscopal de Maurienne, Lyon, ALPARA, 2002 (D.A.R.A., 22) ; LEFEBVRE B., « Une maison du
quartier cathédral de Tours (Indre-et-Loire) : évolution architecturale et techniques de
construction », Revue Archéologique du Centre de la France, 43, 2004, p. 223-246.
17. NOBLET J., « La Riche, Le «logis» du prieuré de Saint-Cosme, une construction inédite
du milieu du XIVe siècle », Bulletin Monumental, 169-2, 2011, p. 148-153 ; SAPIN C. dir.,
Saint-Étienne d’Auxerre, la seconde vie d’une cathédrale, Paris-Auxerre, Centre d’études
médiévales Saint-Germain/Picard, 2011 ; ÉPAUD F., VINCENT J.-B., « La cuisine de l'abbaye
cistercienne de Bonport (Pont-de-l'arche, Eure) », Bulletin Monumental, 169-2, 2011, p.
99-113 ; ANDRAULT-SCHMITT C. dir., La cathédrale Saint-Pierre de Poitiers, Enquêtes croisées, La
Crèche, Geste éditions, 2013 ; TOURNADRE F., NOBLET J., « Tours (Indre-et-Loire). Sauvetage
urgent d'une maison canoniale, 12 rue Descartes : les apports de l'archéologie du bâti »,
Bulletin Monumental, 174-3, p. 378-386 ; AUMARD S., PERRAULT C., « Quand le bâtiment
vacille : lecture archéologique de reprises en sous-œuvre à travers l’exemple de la nef
de Perrecy-les-Forges (Saône-et-Loire) », in FLEURY F., BARIDON L., MASTRORILLI A.,
MOUTERDE R., REVEYRON N. dir., Les temps de la construction. Processus, acteurs, matériaux,
Paris, Picard, 2016, p. 961-973.
18. BOUTICOURT E., Charpentes méridionales, construire autrement : le Midi rhodanien à la fin
du Moyen Âge, Arles, Honoré Clair, 2016.
19. HUNOT J.Y., L'évolution de la charpente de comble en Anjou, du XIIe au XVIIIe siècle, Angers,
Conseil général du Maine-et-Loire, 2001 (Patrimoine d'Anjou : étude et travaux, 1).
20. À titre d’exemple on peut citer l’étude de la cathédrale d’Auxerre (S APIN C. dir.,
Saint-Étienne d’Auxerre…, op. cit.) ou celle des cuisines de Bonport (ÉPAUD F., VINCENT J.-B., «
La cuisine de l'abbaye cistercienne de Bonport (Pont-de-l'Arche, Eure) »…, op. cit.).
653

21. L’étude de la charpente de la nef de Saint-Georges de Rochecorbon est assez


significative : ÉPAUD F., « Rochecorbon (Indre-et-Loire), église Saint-Georges. Une
charpente du début du XIe siècle », Bulletin Monumental, 172-3, 2014, p. 195-202.
22. HOFFSUMMER P., EECKHOUT J. dir., « La nécessité de définir précisément une
problématique pour chaque analyse dendrochronologique de charpente », in EID.,
Matériaux de l’architecture et toits de l’Europe, Namur, Institut du patrimoine wallon, 2008,
p. 151-164.
23. On estime que la chronologie de site doit se composer d’un minimum 80 cernes
pour assurer une corrélation sure avec les référentiels.
24. Le cambium est une assise cellulaire génératrice qui produit vers l’intérieur le
xylème ou bois vrai et vers l’extérieur le phloème.
25. Certaines essences présentent un aubier différencié comme le chêne, l’orme ou
encore le mélèze ; dans la majorité des autres essences utilisables dans la construction,
l’aubier est non discernable. LAMBERT G.-N., « Datation précise des charpentes par la
dendrochronologie, nouveau cadre méthodologique », in HOFFSUMMER P. dir., Les
charpentes du XIe au XIXe siècle, Grand Ouest de la France, typologie et évolution, Turnhout,
Brepols, 2011, p. 2-18. Pour le mélèze voir BURRI S., LABBAS V., BERNARDI P., « De la forêt au
bâtiment. Approche pluridisciplinaire des couvertures de bois dans le sud-est de la
France (XIIe-XIXe siècle), Archéologie médiévale, 49, 2019, p. 133-170.
26. HUNOT J.-Y., « L’hôpital Saint-Jean d’Angers : un ensemble de charpente du XIIe
siècle », in HOFFSUMMER P. dir., Les charpentes du XIe au XIXe siècle, Grand Ouest…, op. cit., p.
278-294.
27. Datation réalisée en 2001 par Archéolabs ARC 01/R2443D.
28. Archéolabs ARC 01/R2569D.
29. ÉPAUD F., La charpente de la cathédrale de Bourges, de la forêt au chantier, Tours, Presses
universitaires François-Rabelais, 2017.
30. ANDRAULT-SCHMITT C. dir., La cathédrale Saint-Pierre de Poitiers…, op. cit.
31. SAPIN C. dir., Saint-Étienne d’Auxerre…, op. cit., p. 143 et 349.
32. HUNOT J.-Y., « La charpente : entre traditions et nouveautés », in VACQUET E. dir.,
Saint-Louis et l’Anjou, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 185-204 ; ID.,
« Charpentes et vantaux », in La Grâce d’une cathédrale, Angers, Paris, Éditions Place Des
Victoires, 2020.
33. LITOUX E., VACQUET É., Le Plessis-Macé, une forteresse aux portes d’Angers, Nantes,
Éditions 303, 2019 (Carnets d’Anjou). Les datations dendrochronologiques ont été
réalisées par C. Perrault, CEDRE, entre 2004 et 2007.
34. Dendrochronologie C. Perrault, CEDRE, 2006.
35. HUNOT J.-Y., Yvré-l’Évêque (72386), Abbaye de l’Épau, les charpentes de l’église abbatiale,
rapport d’opération de sondage, DRAC Pays de la Loire, Nantes, Angers, 2020.
36. HUNOT J.-Y., « Les charpentes de comble du château de Baugé », in RÉMY A., Château
de Baugé, Rapport d'étude du bâti, DRAC Pays de la Loire, Nantes, Angers, 2015, p.
137-215.
37. LITOUX E., Château d’Angers, étude archéologique du logis royal et ses abords, rapport de
sondage et d’étude du bâti, DRAC Pays de la Loire, Nantes, Angers, 2013.
654

38. HUNOT J.-Y., « Les charpentes de l’église », in MONTAUDON M., PRIGENT D., Îlot Saint-
Joseph et église Saint-Symphorien, Bouchemaine, Maine-et-Loire. Rapport de fouille
préventive, DRAC Pays de la Loire, Nantes, Angers, 2009, 2 volumes, p. 123-167.
39. HOFFSUMMER P. dir., Les charpentes du XIe au XIXe siècle, typologie et évolution en France du
Nord et en Belgique, Paris, 2002 ; et ID. dir., Les charpentes du XIe au XIXe siècle, Grand Ouest…,
op. cit.
40. Comme par exemple dans l’ouest de la France OLIVIER C., « Les charpentes
armoricaines : présentation d’un type de charpente méconnu », Congrès archéologique de
France : Monuments des Côtes-d’Armor, Le « beau Moyen Âge, Paris, SFA, 2015 p. 37-49 ;
HUNOT J.-Y., « L'Anjou au bas Moyen Âge et à l'Epoque moderne : un carrefour des
techniques de charpente », in BIENVENU G., MONTEIL M., ROUSTEAU-CHAMBON H. dir.,
Construire ! Entre Antiquité et Époque contemporaine, actes du 3e Congrès francophone d’histoire
de la construction, Paris, Picard, 2019, p. 137-147.

RÉSUMÉS
Le bois est omniprésent dans la construction où il entre dans la constitution des planchers, des
parois en pan de bois, des charpentes de comble et aussi dans le second-œuvre. C’est aux
charpentes de comble et à leur étude dans le cadre de l’archéologie du bâti que nous
consacrerons cette présentation. Avec le développement de la dendrochronologie qui est
appliquée au bâti ancien à partir des années 1980 en France, les charpentes ont révélé leur fort
potentiel pour la datation des bâtiments. Toutefois, il apparait nécessaire de procéder
préalablement à leur étude pour y déceler les éventuelles modifications, les bois en remploi ainsi
que les liens avec les maçonneries. Pour cela, une méthode d’étude adaptée doit être mise en
place.
L’acquisition de données nécessite d’être faite avec rigueur dans le cadre d’une archéologie du
bâti qui détermine une chronologie relative et doit précéder l’échantillonnage destinée à la
dendrochronologie. C’est à partir d’exemples que nous illustrerons les divers apports de l’étude
des charpentes à l’histoire d’un bâtiment. C’est ainsi qu’il est possible d’affiner le phasage d’un
chantier, ses modifications voire d’attester d’un état antérieur. Au-delà de l’analyse en lien direct
avec un site, ces études produisent une histoire des techniques où transparaissent les courants de
diffusion et les particularités régionales et permettent aussi d’approcher l’économie du chantier
et la gestion des espaces forestiers.

Wood is omnipresent in construction: it is used for floors, half-timbered walls, attic roof frames
as well as interior fittings. This paper will deal with attic roof structures and their within the
framework of building archaeology. With the development of dendrochronology, which has been
implemented in old buildings since the 1980s in France, roof frames have revealed their strong
potential for dating buildings. However, it seems necessary to carry out a preliminary study in
order to detect any possible modifications, re-used wood and links with masonry. This requires
the implementation of a suitable study method.
Data acquisition must be rigorous as part of building archaeology which can determine a relative
chronology sequence and must precede the sampling intended for dendrochronology. We will
655

use examples to illustrate the various contributions of frames study to the history of a building.
It is thus possible to refine the phasing of a construction site, its modifications or even to attest
to a previous phase. Beyond the analysis directly linked with a site, these studies produce a
history of techniques reflecting diffusion trends and regional peculiarities; they also help
addressing the issues of construction site economics and forest areas management.

INDEX
Mots-clés : charpente, méthodologie, bois, dendrochrologie, bâti, Moyen Âge
Keywords : Roof Frame, Methodology, Wood, Dendrochronology, Building Study, Middle Ages

AUTEUR
JEAN-YVES HUNOT

Archéologue, Conservation départementale du patrimoine de Maine-et-Loire, Pôle archéologie /


UMR 6566 CReAAH.
jy.hunot@maine-et-loire.fr
656

Des matériaux en questions

Posters
657

L’apport de l’étude de l’ornement


sculpté des supports de
l’architecture gothique dans la
compréhension et la datation du
chantier de construction en vallée
mosane
The carved ornament of Gothic pillars and its contribution to the
understanding and dating of the construction site in Meuse valley

Aline Wilmet

1. Le renouvellement d’une approche


1 En Belgique, le décor sculpté a fait les frais d’une histoire de l’architecture longtemps
demeurée cloisonnée dans une conception régionaliste, probablement faute de
recherches récentes permettant de s’en émanciper véritablement1. En effet, dès les
premières études consacrées à l’architecture gothique en Belgique, le chapiteau dit
« mosan », caractérisé par l’emploi du calcaire de Meuse et par une ornementation de
« feuilles de plantain » (Fig. 1), est envisagé en tant que marqueur stylistique
caractéristique de l’architecture de la région2. Hissé au titre de critère de définition de
l’architecture, le chapiteau sculpté mosan demeurait ancré dans un immobilisme
scientifique qui n’a été ébranlé qu’en 2017, dans le cadre d’une thèse de doctorat menée
à l’Université de Namur3. Cette recherche, basée sur le dialogue entre analyses
archéologique et typologique de l’ornement, avait pour objectif d’en renouveler
l’approche au regard des méthodologies actuelles, et particulièrement de l’archéologie
du bâtiment.
658

Fig. 1. Le chapiteau mosan dit « à feuilles de plantain » (d’après S. BRIGODE, 1944).

2 Cette méthodologie a débouché sur la mise au point d’une nouvelle lecture des formes,
émancipée de la traditionnelle approche fondée sur la définition de la flore
architecturale gothique. La description typologique, menée au moyen d’un vocabulaire
précis, permet d’identifier les différentes formes popularisées en vallée mosane, ainsi
que leur répartition géographique et chronologique. Conjointement à cette approche,
l’analyse archéologique de l’ornement sculpté, au travers de l’enregistrement de
données métriques, des traces d’outils, des marques lapidaires et des tracés
préparatoires, favorise une meilleure compréhension des procédés de façonnage
réservé à l’ornement et, dans une perspective plus large, du chantier de construction.

2. Un outil de datation et de compréhension d’une


chaine opératoire
3 L’analyse approfondie des chapiteaux sculptés a mis en évidence plusieurs adaptations
techniques et formelles observées entre le XIIIe et le XVI e siècle : transformation du
profil de la corbeille devenant de plus en plus angulaire au fil du temps (Fig. 2),
évolution dans la sélection de l’outillage privilégié (Fig. 3), stylisation progressive du
feuillage et accentuation du modelé de ce dernier (Fig. 4), fluctuation du niveau
d’implantation de la corolle végétale sur la corbeille (Fig. 5). Ces indices peuvent servir
de critère de datation en l’absence de donnée historique ou de charpentes médiévales4.
659

Fig. 2. Transformation du profil de la corbeille du chapiteau entre le XIIIe siècle et le XVIe siècle. a.
corbeille en calice ; b. corbeille en talon ; c. corbeille à crossettes ; d. corbeille à ressaut chanfreiné (cl.
et DAO A. Wilmet).

Fig. 3. Évolution des techniques de taille réservées au décor sculpté en calcaire de Meuse entre le XIIIe
et le XVIe siècle (A. Wilmet).
660

Fig. 4. Stylisation du modelé du feuillage du chapiteau dit « mosan » entre le XIIIe et le XVIe siècle (cl. et
DAO A. Wilmet).

Fig. 5. Quelques exemples de la fluctuation du niveau d’implantation de la corolle végétale sur la


corbeille. a. Liège, Saint-Paul, XIVe siècle ; b. et c. Maastricht, Saint-Jean, XVe siècle ; d. Gruitrode,
Sainte-Gertrude, XVIe siècle (cl. A. Wilmet).

4 Les évolutions observées sur le décor entre le XIIIe et le XVI e siècle témoignent
également de la simplification des procédés et des formes pour optimiser le mode
opératoire dans une volonté de rentabilité ainsi que pour faciliter la diffusion des
modèles, particulièrement entre le XVe et le XVI e siècle, période de forte activité
constructive dans la région5.
661

3. Une application : l’ancienne collégiale Saint-Paul à


Liège
5 Située en plein cœur de l’Île, à proximité du bras de Meuse appelé Sauvenière,
l’ancienne collégiale Saint-Paul est fondée au Xe siècle par l’évêque Éracle. L’édifice sera
reconstruit dans le style gothique entre le XIIIe et le XVe siècle (Fig. 6). Bien daté par les
sources6, la dendrochronologie (Fig. 7)7 et l’analyse des techniques de taille8, cet édifice
a permis d’identifier les jalons de l’évolution de l’ornement architectural gothique en
confrontant ses caractéristiques à un large inventaire de bâtiments situés en milieu
urbain et rural9. L’étude approfondie du décor, en lien direct avec le contexte bâti, a
précisé le phasage chronologique tout en apportant des renseignements précieux
concernant l’organisation du travail de la pierre et de sa mise en œuvre sur le chantier
liégeois.

Fig. 6. Liège, nef de la collégiale Saint-Paul (cl. A. Wilmet).


662

Fig. 7. Liège, collégiale Saint-Paul. Phasage dendrochronologique (del. P. Hoffsummer).

1251-1252d : une première campagne homogène

6 La première phase concerne le chœur à chevet plat, le transept ainsi que les deux
dernières travées de la nef. Cette partie de l’édifice témoigne de l’emploi de deux
modèles de chapiteaux : le premier, en grès houiller, est doté de crochets et est réservé
aux supports de la croisée du transept. Le second, en calcaire de Meuse ou en calcaire
bajocien, est orné d’une corolle de feuilles lancéolées. Ce dernier modèle, majoritaire
dans cette phase, est relevé dans le vaisseau central et dans les bas-côtés ainsi que dans
les bras du transept. Les chapiteaux en calcaire de Meuse témoignent tous des mêmes
caractéristiques : outre l’usage d’un modèle et de techniques de taille identiques,
l’astragale est toujours sculpté dans le premier tambour sous le chapiteau (Fig. 8). La
taille privilégiée à la finition du décor en calcaire de Meuse est la taille pointée fine
menée à la broche et parfois, au ciseau grain d’orge. Quant à la taille ciselée, elle
persiste sur les chapiteaux à crochets en grès, telle qu’elle était répandue sur ce
matériau à l’époque romane.
663

Fig. 8. Liège, collégiale Saint-Paul, chapiteau des deux dernières travées de la nef, vers 1251-1252d (cl.
A. Wilmet).

1264-1300 d : un projet ambitieux

7 Dans la quatrième et la cinquième travée de la nef, les chapiteaux en calcaire de Meuse


du triforium offrent un profil plus angulaire, dit à crossettes. Leur qualité d’exécution
est variable, laissant supposer l’implication de tailleurs de pierre à la maîtrise
différente. La taille privilégiée à la finition du décor est la taille pointée fine menée au
ciseau grain d’orge. La taille ciselée, relevée sur les bases inachevées, est employée en
traitement préparatoire. Quant aux chapiteaux en calcaire bajocien, ils témoignent
d’une décoration de feuilles incisées et de bouquets végétaux. L’analyse de
l’ornementation des supports du triforium corrobore le phasage proposé par la
dendrochronologie.
8 Pourtant, entre la deuxième et la cinquième travée (toutes les quatre concernées par
deux datations dendrochronologiques distinctes : 1264-1300d et 1328-1330d), les
chapiteaux des grandes arcades démontrent une certaine homogénéité : tous sont
ornés d’une corolle de feuilles lancéolées dont le centre du limbe est accentué d’une
légère dépression (Fig. 9). Si l’analyse métrique témoigne d’une légère fluctuation de la
hauteur des assises mises en œuvre dans ces quatre travées, elles forment un groupe
distinct de la première et des deux dernières travées de la nef. Dans les bas-côtés de la
deuxième à la cinquième travée, les chapiteaux, qu’ils soient ornés de feuilles
lancéolées ou de feuilles incisées, offrent les mêmes caractéristiques : la taille est
réalisée au ciseau grain d’orge ainsi qu’au ciseau et l’assise du chapiteau intègre une
partie du tambour sous l’astragale (Fig. 10).
664

Fig. 9. Liège, collégiale Saint-Paul. Accentuation de la nervure médiane du limbe du décor végétal des
chapiteaux entre la deuxième et la cinquième travée (cl. A. Wilmet).

Fig. 10. Liège, collégiale Saint-Paul. Chapiteaux des bas-côtés de la nef, entre la deuxième et la
cinquième travée (cl. A. Wilmet).

9 Alors que la dendrochronologie restreint la deuxième phase de construction de l’édifice


à la quatrième et à la cinquième travée, l’analyse du décor propose d’élargir la
campagne de construction de 1264-1300d jusqu’aux deuxièmes supports de la nef.
665

1328-1330d : une nouvelle organisation du chantier

10 Outre l’homogénéité des chapiteaux des grandes arcades et des bas-côtés entre la
deuxième et la cinquième travée, plusieurs indices témoignent d’une rupture dans le
chantier entre les parties hautes et les supports des grandes arcades dans la deuxième
et la troisième travée de la nef. D’abord, des marques lapidaires ont été relevées sur les
maçonneries des murets du triforium et sur l’intrados des grandes arcades (Fig. 11).
Ensuite, les chapiteaux du triforium offrent un décor figuratif, exceptionnel avant le
XIVe siècle en vallée mosane, qui se distingue nettement du décor végétal des travées
antérieures. Ces chapiteaux à décor de personnages ou de monstres sont comparables à
ceux relevés dans le chœur, également datés des années 1328-1330d (Fig. 12). Enfin, la
fluctuation de la hauteur des assises mises en œuvre dans les écoinçons des grandes
arcades tranche nettement avec l’homogénéité de celles des tambours des colonnes de
la nef.

Fig. 11. Liège, collégiale Saint-Paul. Marques lapidaires relevées sur les murets du triforium ainsi que
sur les grandes arcades de la deuxième et de la troisième travée de la nef (cl. A. Wilmet).
666

Fig. 12. Liège, collégiale Saint-Paul. Chapiteaux figuratifs du chœur et de la deuxième et troisième
travée du triforium de la nef (cl. A. Wilmet).

11 Ces indices poussent à considérer que la datation 1328-1330d ne concerne que les
parties hautes, à partir du tas de charge reposant sur les tailloirs des supports de la nef
(Fig. 13). Ces dernières, façonnées durant la campagne antérieure (1264-1300d), auront
été stockées en attendant la poursuite du chantier.

Fig. 13. Phasage de la nef (DAO A. Wilmet ; nuage de points du Laboratoire de géomatique ULiège).
667

4. L’édification de la tour et clôture de la nef :


1390-1417
12 Le décor des supports de la première travée tranche avec celui des travées antérieures.
La corbeille affecte un profil plus anguleux et la corolle de feuilles est accentuée de
gonflements globulaires (Fig. 14). La taille pointée est toujours privilégiée. Cependant,
l’organisation des impacts en quadrillage, plus fréquente dans cette première travée,
suggère l’usage du ciseau boucharde, exceptionnel dans la région. Certaines
maçonneries fines, colonnettes et bases voient le ciseau se généraliser à leur finition : le
chantier entre dans sa phase du XVe siècle, sous le décanat de Grégoire Mariscal
(1417-1430). La première travée est édifiée pour clôturer le chantier, reliant ainsi le
chantier de la tour à la nef, comme le confirme l’inversion du sens de numérotation des
fermes de cette portion de la charpente.

Fig. 14. Liège, collégiale Saint-Paul. Chapiteaux de la première travée de la nef (cl. A. Wilmet).

5. Conclusions
13 L’analyse détaillée des formes sculptées répandues dans un inventaire conséquent
d’édifices de la vallée mosane10 a favorisé l’identification des grandes catégories de
modèles, de leur origine, adaptations et évolutions au cours du temps. Devant la grande
variété de modèles, la conception d’un chapiteau « typiquement mosan » à feuilles dites
« de plantain », tel que le présentaient les études antérieures, apparaît désormais
comme un stéréotype réducteur. Si l’analyse morphologique du décor ne permet pas
toujours l’établissement d’une typochronologie précise en raison de la persistance de
certains modèles sur une très longue période ou des variations dans le traitement des
formes inhérentes à l’interprétation du sculpteur, c’est davantage l’approche
668

archéologique de l’ornement, par le biais d’analyses métriques, de l’enregistrement des


traces d’outils, des ciselures périphériques, des marques et traces de mises en œuvre
qui permet d’en préciser l’évolution et la datation tout en apportant des indices
majeurs à la compréhension du chantier médiéval. L’analyse approfondie des
techniques de taille réservées au façonnage des ornements conjointe à celle des traces
relevées sur les maçonneries ordinaires apparaît comme un approfondissement
nécessaire aux référentiels chronologiques existants pour les différentes natures de
pierres. En effet, le degré d’élaboration davantage abouti du décor sculpté apporte de
nouvelles données techniques qui permettent d’affiner le phasage de certains édifices
comme ce fut le cas à la collégiale Saint-Paul à Liège. Toutes ces particularités, bien que
parfois très ténues, peuvent s’avérer déterminantes dans la précision de la chronologie
ou du phasage des chantiers, même lorsque nous ne disposons pas de données
dendrochronologiques pour baliser les interprétations. Il s’agit cependant de rester
prudent dans l’interprétation de ces enregistrements, car il n’est pas rare de voir
cohabiter, dans une même campagne de construction, différentes techniques de taille,
plusieurs types de formes et de modelés, des variations des hauteurs d’assises ou de
ciselure périmétrique. Dès lors, c’est avant tout, le croisement des approches qui
permet de lever le voile sur l’organisation et la datation du chantier de construction.

NOTES
1. SCHAYES A. G. B., Histoire de l'architecture en Belgique, Bruxelles, 4 vol, 1849-1852 ;
ROUSSEAU F., « L’art mosan », Annales de la Société archéologique de Namur, 39, 1930, p.
1-248.
2. ROLLAND P., « L’architecture et la sculpture gothique », in P. FIERENS, L’art en Belgique,
Bruxelles, 1939, p. 45-90 ; BRIGODE S., Les églises gothiques de Belgique, Bruxelles, 1944, p.
19.
3. WILMET A., Le décor sculpté des supports de l’architecture gothique en vallée mosane. Analyse
des formes et des techniques pour une approche renouvelée du chantier médiéval, thèse de
doctorat en histoire de l’art et archéologie (dir. M. Piavaux), Namur, Université de
Namur, 2017, 3 vol.
4. BAUDRY A., WILMET A., « L’étude du décor, du façonnage et de la mise en œuvre de la
pierre et son impact sur la compréhension du chantier gothique. Le cas de la nef et de
la façade occidentale de la collégiale Notre-Dame à Dinant (XVIe-XVe siècle) », in La
pierre comme porteur de messages du chantier de construction et de la vie du bâtiment. Actes du
XXIe colloque International de Glyptographie (G.I.R.G.), Amay 8-14 juillet 2018 , Bruxelles,
Éditions Safran, 2019, p. 39-54.
5. WILMET A., BAUDRY A., « L’optimisation des procédés de façonnage et de mise en œuvre
du calcaire de Meuse aux XVe et XVI e siècles », in BIENVENU G., MONTEIL M., ROUSTEAU-
CHAMBON H. dir., Construire ! Entre Antiquité et Époque contemporaine, actes du 3e Congrès
francophone d’histoire de la construction, Paris, Picard, 2019.
669

6. FORGEUR R., « La construction de la collégiale Saint-Paul à Liège aux temps romans et


gothiques », Bulletin de la Commission royale des Monuments, Sites et Fouilles, 18, 1969, p.
9-203.
7. HOFFSUMMER P., Les charpentes de toitures en Wallonie. Typologie et dendrochronologie (XIe-
XIXe siècle), Namur, Ministère de la Région wallonne – Division du patrimoine,1995
(Étude et documents, monuments et sites, 1).
8. ID., TOURNEUR F., DOPERÉ F., PIAVAUX M., « Églises liégeoises en chantier au XIIIe et au
XIVe siècle », in VAN DEN BOSSCHE B. dir., La cathédrale gothique Saint-Lambert. Une église et
son contexte. Actes du colloque international de Liège, 16-18 avril 2002, Liège, ULg-Service
d'Histoire de l'Art et Archéologie du Moyen Âge, 2005, p. 97-110 (ERAUL, 108) ; WILMET
A., « Pour une lecture affinée du chantier gothique en région mosane : étude
archéologique de l’ornement sculpté », Bulletin de la Commission royale des Monuments,
Sites et Fouilles, 27, 2015, p. 7-58.
9. WILMET A., Le décor sculpté des supports de l’architecture gothique en vallée mosane…, op.cit.
10. Dans le cadre de cette recherche, 103 édifices de statuts différents ont été étudiés
parmi lesquels 21 ont bénéficié d’une analyse approfondie menée in situ.

RÉSUMÉS
En Belgique, si le décor sculpté a longtemps été utilisé pour définir une géographie artistique, il
n’a paradoxalement jamais fait l’objet d’une analyse approfondie. Une thèse de doctorat
défendue en 2017 à l’Université de Namur a permis de renouveler l’étude du décor sculpté en
développant une méthodologie à double approche : l’analyse typologique et morphologique en
dialogue constant avec l’analyse matérielle de l’ornement. Le cas de l’ancienne collégiale Saint-
Paul de Liège illustre parfaitement l’intérêt d’utiliser le décor sculpté architectural en tant
qu’outil de compréhension du bâtiment et de sa datation.

In Belgium, while sculpted decoration has long been used to define of an artistic geography, it
has never been subjected to a thorough analysis. A PhD thesis defended in 2017 at the University
of Namur renewed the study of carved ornament by developing a methodology with a two-fold
approach : a typological and morphological analysis in constant dialogue with the archeological
analysis of the ornament. The case of St. Paul’s church in Liège perfectly illustrates the interest of
using architectural carved ornament as a tool for understanding the building and its dating.

INDEX
Keywords : gothic architecture, Meuse valley, architectural carved ornament, regionalism,
methodology, chronology, dating, carving techniques, tools, typology, site organization,
construction
Mots-clés : architecture gothique, vallée mosane, décor sculpté architectural, régionalisme,
méthodologie, chronologie, datation, techniques de taille, outillage, typologie, organisation du
chantier
670

AUTEUR
ALINE WILMET

Docteure en Histoire, Histoire de l’art et Archéologie, collaboratrice scientifique, Université de


Liège 3
671

L’archéologie du bâti entre règlement


et connaissance
Archaeology between regulation and knowledge
672

Recht und Praxis. Aperçu des statuts


légaux et des pratiques de
l’archéologie du bâti en Suisse et
dans les pays limitrophes de langue
allemande
Recht und Praxis. Overview of legal statuses and practices in building
archaeology in Switzerland and in the neighboring German-speaking
countries

Jacques Bujard

« L’archéologue du Moyen Âge en Suisse est né


des soucis de la conservation du patrimoine […] :
les connaissances d’architecture manquaient aux
préhistoriens, tandis que les offices de protection
du patrimoine ne savaient pas se servir des
méthodes archéologiques. » (Hans Rudolf
SENNHAUSER, 19991).

1 Après quelques prémices au XIXe siècle, l'approche archéologique du bâti se développe


en Suisse autour de 1900, le plus souvent à l’occasion de grands chantiers de
restauration, tels ceux des châteaux de Chillon (Vaud) sous la direction d’Albert Naef ou
de Colombier (Neuchâtel) sous celle de Charles-Henri Matthey. À la même époque sont
adoptées les premières lois cantonales concernant la protection du patrimoine bâti ou
archéologique (Vaud, 1898 ; Fribourg, 1900 ; Berne, 1901 ; Neuchâtel, 1902 ; Valais,
1906). Après la crise économique des années 1930 puis la Seconde Guerre mondiale, qui
ont vu la disparition presque complète de cette démarche archéologique, il faut
attendre les décennies 1960 et surtout 1970 pour voir la réapparition dans certains
cantons, en particulier sous l’impulsion de Hans Rudolf Sennhauser, d’archéologues se
consacrant à l'étude des monuments, bien avant les premières mentions de l’existence
673

de cette pratique dans les lois et règlements régissant la conservation du patrimoine et


l’archéologie. Des pratiques un peu différentes se sont alors mises en place, sous
l’influence culturelle de l’Allemagne pour la Suisse alémanique et en lien plus étroit
avec la France en ce qui concerne la Suisse romande.
2 Les cantons suisses disposent de leurs propres législations et de traditions scientifiques,
de pratiques du chantier et de moyens financiers très différents ; leur usage de
l’archéologie du bâti est de ce fait très variable. Le statut légal de l’historische
Bauforschung apparaît aussi très contrasté dans les pays limitrophes de langue
allemande - le Liechtenstein, l’Allemagne et l’Autriche -. Sans entrer dans le détail des
législations, n’étant pas juriste mais un simple applicateur des lois suisses dans mon
activité professionnelle, je vais proposer un tour d’horizon succinct de la situation
actuelle, un peu plus développé pour la Suisse que pour les autres pays, sans autre
ambition que de rappeler l’existence de quelques documents pouvant intéresser un
praticien non germanophone de l’archéologie du bâti.

1. Législation suisse
3 La politique suisse de conservation du patrimoine et de l’archéologie2 s’appuie sur la Loi
fédérale sur la protection de la nature et du paysage de 1966 3, qui indique à son article
premier : « (…) la présente loi a pour but :
• de ménager et de protéger l’aspect caractéristique du paysage et des localités, les sites
évocateurs du passé, les curiosités naturelles et les monuments du pays, et de promouvoir
leur conservation et leur entretien ;
• de soutenir les cantons dans l’accomplissement de leurs tâches de protection de la nature,
de protection du paysage et de conservation des monuments historiques, et d’assurer la
collaboration avec eux ;
• de soutenir les efforts d’organisations qui œuvrent en faveur de la protection de la nature,
de la protection du paysage ou de la conservation des monuments historiques. »
4 La loi fédérale ne contient aucune précision technique sur l’application de l’archéologie
du bâti, comme d’ailleurs sur la conservation du patrimoine bâti et l’archéologie en
général, mais en Suisse, comme ailleurs en Europe il va sans dire, la Charte de Venise
(1964) et la Charte de Lausanne (1990) constituent les bases déontologiques des activités
de la Confédération et des cantons dans le domaine de la conservation du patrimoine et
de l’archéologie, en particulier au travers des deux articles suivants :
5 Charte de Venise :
Art. 9. La restauration est une opération qui doit garder un caractère exceptionnel.
Elle a pour but de conserver et de révéler les valeurs esthétiques et historiques du
monument et se fonde sur le respect de la substance ancienne et de documents
authentiques. (…) La restauration sera toujours précédée et accompagnée d'une
étude archéologique et historique du monument.
6 Charte de Lausanne. Charte internationale pour la gestion du patrimoine
archéologique :
Art. 1. Le « patrimoine archéologique » est la partie de notre patrimoine matériel
pour laquelle les méthodes de l’archéologie fournissent les connaissances de base. Il
englobe toutes les traces de l’existence humaine et concerne les lieux où se sont
exercées les activités humaines quelles qu’elles soient, les structures et les vestiges
674

abandonnés de toutes sortes, en surface, en sous-sol ou sous les eaux, ainsi que le
matériel qui leur est associé.
7 Si ces dernières définitions peuvent englober l’archéologie du bâti sans que cela soit
véritablement explicité, la Commission fédérale des monuments historiques (CFMH) est
plus précise lors de la publication en 2007 des Principes pour la conservation du patrimoine
culturel bâti en Suisse4. Voici quelques principes qui peuvent concerner plus
spécifiquement l’archéologie du bâti :
3.5 Études préalables
Avant de prendre des mesures pour un objet du patrimoine, il est indispensable
d’en acquérir une connaissance précise.
3.6 Interdisciplinarité
Le traitement des questions de conservation du patrimoine nécessite une approche
interdisciplinaire.
3.9 Documentation
Pour toute intervention, une documentation adaptée aux particularités de l’objet et
à la nature des mesures prises est établie.
4.3 Études
Toute intervention doit être précédée et accompagnée des recherches nécessaires à
la définition de mesures adaptées à la conservation de la substance et de l’aspect de
l’objet.

2. Les législations cantonales


8 L’État fédéral déléguant aux cantons la protection du patrimoine et l’archéologie,
domaines dans lesquels il ne joue qu’un rôle subsidiaire, les 26 cantons et demi-cantons
disposent d’autant de bases légales pour l’accomplissement de leurs tâches ; sans
prétendre faire ici le tour de l’ensemble de ces bases juridiques cantonales, voici
quelques exemples représentatifs des différents courants législatifs :

Canton de Vaud

9 Règlement d'application de la loi du 10 décembre 1969 sur la protection de la nature, des


monuments et des sites.
10 Art. 29 Investigations.
1. Le Département peut en tout temps procéder aux investigations nécessaires pour
déterminer s'il y a lieu de mettre à l'inventaire ou de classer un objet protégé au
sens de l'article 46 de la loi B. Il peut en particulier exécuter des relevés
photographiques, lever des plans, faire des recherches dans les archives, consulter
des pièces relatives à l'objet à protéger ou procéder à des investigations
archéologiques. Il assure la conservation de la documentation produite à l'occasion
des recherches effectuées.
11 Les investigations archéologiques, et sans qu’il soit fait mention de l’étude
archéologique du bâti, sont vues comme étant avant tout au service des procédures de
classement. Notons que cette loi est en cours de révision mais l’usage de l’archéologie
du bâti n’y a guère été précisé à l’heure actuelle.

Canton de Neuchâtel

12 Règlement d’application de la loi sur la sauvegarde du patrimoine, 1995.


675

13 Art. 6 La section Conservation du patrimoine (…), dirigée par le conservateur cantonal


du patrimoine :
f) effectue des recherches scientifiques sur le patrimoine cantonal ;
g) assure les études historiques, les études archéologiques des élévations et les
fouilles à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments, les sondages picturaux ainsi que
les autres études préalablement à l'ouverture du chantier de restauration et au
cours de celui-ci lorsque la valeur du bâtiment ou la nature des travaux le justifie.
14 Remarquons que c’est la première fois que la mention des études archéologiques des
élévations apparaît dans un règlement d’application en Suisse romande ; le fait que
l’auteur de cet article ait été l’un des rédacteurs de ce règlement il y a 25 ans n’y est pas
complètement étranger… Le règlement d‘application qui sera adopté prochainement
pour la loi renouvelée en 2018 remplace cette expression par la mention de l’archéologie
du bâti.

Autres cantons

15 L’absence de mention explicite de l’archéologie du bâti ou de l’historische Bauforschung


dans une législation cantonale n’exclut néanmoins pas que celle-ci soit pratiquée de
manière plus ou moins systématique par les services cantonaux du patrimoine et de
l’archéologie. Les rapports d’activités et les sites internet résumant les tâches des
services de l’archéologie et du patrimoine en font foi, de même que les actes de
colloques spécialisés5. Le Service de la conservation du patrimoine et de l’archéologie
du canton de Soleure indique ainsi :
La base de la préservation des monuments est la connaissance de l'histoire de la
construction. Le chercheur du bâti reconstitue la genèse des bâtiments à partir de
l’appareil maçonné, du type de construction en bois, des couches d’enduits et de
peintures.
Complétée par des sources d'archives et des analyses modernes, une documentation
avec des plans et des photos est créée, qui constitue une base solide pour toute
restauration professionnelle6.
16 Le site internet du service de la conservation de Bâle-Ville indique quant à lui :
Nous explorons et documentons les bâtiments historiquement significatifs
directement sur l’existant. Cela nous permet de clarifier leur origine, les
changements structurels et les caractéristiques constructives. Nos conclusions
fournissent la base pour traiter les bâtiments d'une manière appropriée pour les
monuments historiques. En même temps, nous utilisons le bâtiment comme une
source historique et augmentons ainsi la connaissance de l'histoire architecturale
et urbaine de Bâle.
La recherche sur les bâtiments du service de la conservation des monuments suit le
mandat légal de recherche et de documentation sur les bâtiments historiques du
canton. Nos objets d'investigation sont les bâtiments profanes et sacrés du Moyen
Âge au XXe siècle. Nous rendons visibles les structures cachées d'un bâtiment. Nous
clarifions le développement du bâtiment, l'utilisation historique, le bâtiment
existant et la valeur historico-architecturale. De cette façon, nous créons la base du
processus de planification, parce que la connaissance détaillée d'un bâtiment
permet d'éviter les erreurs constructives et les interventions qui endommagent les
monuments. Les résultats de la recherche sur la construction sont utiles aux
propriétaires, aux planificateurs et aux artisans. Et chacune de nos recherches sur
les bâtiments accroît la connaissance de l'histoire architecturale et urbaine de Bâle7.
17 Il apparait donc que c’est dans le cadre général du mandat public de conservation du
patrimoine que l’archéologie du bâti trouve le plus souvent sa place en Suisse. Elle est
676

avant tout présentée comme un outil de la conservation et de la restauration du bâti


mais son rôle pour la connaissance historique n’est pas complètement passé sous
silence. Le fait qu’elle ne figure que très rarement en Suisse dans le cursus des études
universitaires en archéologie, histoire ou histoire de l’art ne facilite pas son inscription
dans la législation et les pratiques de recherche des services d’archéologie et de la
conservation du patrimoine au-delà de son rôle dans la préparation et
l’accompagnement des chantiers de restauration.

3. L’historiche Bauforschung dans la Principauté de


Liechtenstein
18 Le Liechtenstein est associé à la Suisse dans plusieurs domaines d’activités ; son
conservateur des monuments historiques est ainsi membre de plein droit de la
Conférence des Conservateurs et Conservatrices Suisses de Monuments Historiques
(CCMH). La principauté accorde une importance particulière à l’archéologie du bâti
pour la conservation du patrimoine mais également pour la recherche historique,
comme l’explicite de manière particulièrement détaillée son site internet :

L’historische Bauforschung au service de la conservation des


monuments
Si un bâtiment d'importance historique est sur le point d'être modifié ou démoli, il
doit être examiné et documenté pour la postérité. Cette tâche est accomplie par la
recherche sur les bâtiments historiques - et fait parfois des découvertes étonnantes
au cours du processus. (…) L'environnement bâti est en constante évolution, il est
élargi et adapté aux exigences d'utilisation actuelles. Il n'est pas rare que ces
changements touchent également des monuments culturels d'importance
historique. Il se peut qu'une partie de la structure d'origine des bâtiments
historiques soit perdue ou que des maisons doivent être entièrement démolies.
Dans certains cas, la préservation des monuments historiques nécessite une base de
décision sur la procédure exacte et le traitement approprié d'un bâtiment. C'est
pourquoi elle mène des enquêtes sur l'histoire des bâtiments, notamment dans le
cadre des procédures de permis de construire. (…) La richesse des informations
ainsi obtenues conduit à de nouvelles connaissances précieuses sur la culture de
construction du Liechtenstein. Cela reflète les conditions de vie sociales et
économiques du pays et de la région8.

4. L’historiche Bauforschung en Allemagne


19 Depuis les années 1970, l’historische Bauforschung s'est imposée en Allemagne comme
une composante indispensable de la conservation des monuments. En raison de la
structure fédérale de la République fédérale d'Allemagne et de la souveraineté
culturelle de ses seize Länder, il existe néanmoins autant de lois de protection des
monuments que d'États fédéraux9. Comme le relève Thomas Aumüller10, du service
bavarois de la conservation des monuments, les situations de l’historische Bauforschung
sont fort variables en Allemagne :
« Les tâches de la Bauforschung dans un service des monuments historiques ne sont
pas définies de manière uniforme. Elles sont fortement influencées par la situation
de la conservation des monuments dans le cadre juridique et politique d'un État ou
677

d'un État fédéral, par la structure du service et la classification de la Bauforschung,


par la situation du personnel et des finances dans ce domaine et, enfin et surtout,
par l'expérience et la formation des personnes concernées, tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur du Service de la Bauforschung ».
20 La Vereinigung der Landesdenkmalpfleger in der Bundesrepublik Deutschland (Association des
conservateurs des monuments historiques en République fédérale d’Allemagne) a édité
en 2001 un court document - Bauforschung in der Denkmalpflege - présentant quelques
directives sur l’application de l’archéologie du bâti dans la protection du patrimoine. Il
s’agit avant tout d’un rappel, en six volets, des grands principes professionnels :
Bauaufnahme, wissenschaftliche Auswertung, begleitende Untersuchungen, Archivierung,
Publikation, Vergabe (investigations sur le bâti, évaluation scientifique, investigations
d'accompagnement, archivage, publication, attribution du marché)11. À l’instar des
Principes pour la conservation du patrimoine culturel bâti en Suisse, il n’a pas force de loi
mais sert de vade-mecum pour les services et les chercheurs.

5. L’historiche Bauforschung en Autriche


21 Contrairement à la fragmentation des compétences de la conservation du patrimoine
en Suisse et en Allemagne, celles-ci sont centralisées en Autriche au sein du
Bundesdenkmalamt (Service fédéral des monuments historiques). Neuf bureaux
régionaux de ce service s'occupent des monuments selon une législation et une
pratique communes.
22 Dans le domaine de l’archéologie du bâti, le service a publié en 2018 une deuxième
édition de ses Richtlinien für Bauhistorische Untersuchungen (Directives pour les
recherches sur l’histoire de la construction), qui précisent de manière très détaillée les
modalités d’application et les techniques préconisées pour l’archéologie du bâti
(relevés, documentation, usage des archives, présentation des résultats et des
interprétations, forme des rapports, archivage, etc.)12. Comme leurs homologues suisse
et allemande, ces directives n’ont pas force de loi mais leur application peut être exigée
par les services régionaux pour toute intervention sur un monument historique.

6. Conclusion
23 À l’issue de ce très rapide tour d’horizon des textes régissant l’archéologie du bâti/
Bauforschung, il apparaît que celle-ci constitue une pratique juridiquement peu
consolidée mais néanmoins répandue dans les activités de la conservation du
patrimoine bâti en Suisse, comme au Liechtenstein, en Allemagne et en Autriche. Dans
ce dernier pays, ses processus sur le terrain et lors de l’élaboration des résultats sont
codifiés de manière très détaillée par des directives émanant du service du patrimoine.
24 De manière générale, l'archéologie du bâti est assez largement reconnue comme une
démarche indispensable à l'établissement et au suivi interdisciplinaires d’un projet de
restauration scientifiquement étayé d’un bâtiment. Elle est en revanche moins
solidement implantée comme discipline de recherche historique lorsque les universités
régionales ne disposent pas de chaires propres à ce domaine et donc de filières de
formation susceptibles d’influencer les pratiques des services du patrimoine et de
l’archéologie. Les formations dispensées par les hautes écoles de Zürich pour la Suisse,
de Bamberg, Berlin et Ratisbonne pour l’Allemagne et de Vienne pour l’Autriche restent
678

l’exception, seuls de rares cours étant dispensés dans quelques autres universités.
Certaines de ces formations portent par ailleurs plus sur l’analyse architecturale du bâti
que sur une démarche archéologique au plein sens du terme.

NOTES
1. S ENNHAUSER H.-R., « L’archéologie médiévale en Suisse », in BAERTSCHI P. éd.,
Archéologie médiévale dans l’arc alpin, actes du colloque « Autour de l’église », Genève, 5 et 6
septembre 1997, Genève, Direction du patrimoine et des sites, 1999, p. 6-9 (Patrimoine et
architecture, 6-7).
2. Présentations générales de la conservation du patrimoine en Suisse : WIEDLER A., La
protection du patrimoine bâti. Étude de droit fédéral et cantonal, Berne, Stämpfli Verlag, 2019
(Études de droit suisse, 833) ; Patrimonium : Denkmalpflege und archäologische Bauforschung
in der Schweiz = Conservation et archéologie des monuments en Suisse = Conservazione e
archeologia dei monumenti in Svizzera 1950-2000, Zürich, Bundesamt für Kultur, 2010. Sur
l’archéologie du bâti, voir aussi BOSCHETTI-MARADI A., « Bauforschung und Archäologie in
der Schweiz », Jahrbuch Archäologie Schweiz, 90, 2007, p. 103-115.
3. https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/
19660144/202004010000/451.pdf.
4. Eidgenössische Kommission für Denkmalpflege / Commission Fédérale des
Monuments Historiques / Commissione Federale dei Monumenti Storici / Swiss Federal
Commission for Monument Preservation éd., Leitsätze zur Denkmalpflege in der Schweiz /
Principes pour la conservation du patrimoine culturel bâti en Suisse / Principi per la tutela dei
monumenti storici in Svizzera / Guidelines for the preservation of built heritage in Switzerland,
Zürich, vdf Hochschulverlag, 2007, https://restaurierung.swiss/images/Verband/
Grundlagen/Leitsaetze_zur_Denkmalpflege/3601_Leitsaetze-zur-Denkmalpflege-in-
der-Schweiz_OA.pdf.
5. Voir en particulier les actes des colloques d’Archéologie suisse, URL : https://
archaeologie-schweiz.ch/pub_cat/spm/.
6. « Die Grundlage der Denkmalpflege ist die Kenntnis der Baugeschichte. Der Bauforscher
rekonstruiert die Entstehungsgeschichte der Bauten aus dem Fugenbild des Mauerwerks, aus der
Art der Holzkonstruktionen, aus Verputz- und Farbschichten. Ergänzt durch Archivquellen und
moderne Analysen, entsteht eine Dokumentation mit Plan- und Fotoaufnahmen, die für jede
fachgerechte Restaurierung eine fundierte Grundlage bildet », https://so.ch/verwaltung/
bau-und-justizdepartement/amt-fuer-denkmalpflege-und-archaeologie/
denkmalpflege/erforschen/bauforschung/.
7. « Wir erforschen und dokumentieren historisch bedeutsame Bauten unmittelbar am Bestand.
Dadurch können wir ihre Entstehung, baulichen Veränderungen und konstruktiven Eigenheiten
klären. Unsere Erkenntnisse liefern die Grundlagen für einen denkmalgerechten Umgang mit den
Gebäuden. Gleichzeitig nutzen wir das Bauwerk als historische Quelle und vermehren so das
Wissen. Die Bauforschung der Denkmalpflege folgt dem gesetzlichen Auftrag, die historischen
679

Bauten im Kanton zu erforschen und zu dokumentieren. Unsere Untersuchungsobjekte sind


Profan- und Sakralbauten vom Mittelalter bis zum 20. Jahrhundert. Wir machen die verborgenen
Strukturen eines Gebäudes sichtbar. Wir klären die Bauentwicklung, die historische Nutzung,
den Baubestand und die architekturgeschichtliche Wertigkeit. Damit erstellen wir Grundlagen
für den Planungsprozess. Denn detaillierte Kenntnisse eines Gebäudes verhindern bautechnische
Fehler und denkmalschädigende Eingriffe. Die Ergebnisse der Bauforschung dienen
Hauseigentümern, Planern und Handwerkern. Und jede unserer Bauuntersuchungen vermehrt
das Wissen zur Architektur- und Stadtgeschichte Basels », https://
www.denkmalpflege.bs.ch/forschung-dokumentation/bauforschung.html.
8. « Historische Bauforschung im Dienste der Denkmalpflege, Steht eine Veränderung oder der
Abbruch eines historisch bedeutenden Gebäudes bevor, so muss dieses untersucht und für die
Nachwelt dokumentiert werden. Diese Aufgabe leistet die historische Bauforschung - und macht
dabei mitunter erstaunliche Entdeckungen. (…) Die gebaute Umwelt verändert sich ständig, wird
erweitert und den heutigen Nutzungsansprüchen angepasst. Nicht selten betreffen diese
Veränderungen auch historisch bedeutende Kulturdenkmale. Dabei kann ein Teil der originalen
historischen Bausubstanz verloren gehen oder Häuser müssen vollständig abgebrochen werden.
Im Einzelfall benötigt die Denkmalpflege eine Entscheidungsgrundlage für das genaue Vorgehen
und den angemessenen Umgang mit einem Gebäude. Deshalb führt sie insbesondere im Rahmen
der Baubewilligungsverfahren bauhistorische Untersuchungen durch. Exakte Methoden –
unerwartete Entdeckungen. (…) Die so gewonnene Informationsfülle führt zu wertvollem neuem
Wissen über die liechtensteinische Baukultur. Diese widerspiegelt die gesellschaftlichen und
wirtschaftlichen Lebensumstände des Landes und der Region », https://
www.presseportal.ch/de/pm/100000148/100582611.
9. Sur les bases juridiques de la préservation des monuments en Allemagne : MARTIN D.
J., KRAUTZBERGER M. éd., Handbuch Denkmalschutz und Denkmalpflege. Recht, fachliche
Grundsätze, Verfahren, Finanzierung, 4e éd. Revue et augmentée, Munich, C. H. Beck, 2017.
10. « Die Aufgaben der Bauforschung in einem Denkmalamt sind nicht einheitlich festgelegt. Sie
sind stark geprägt von der Situation der Denkmalpflege im gesetzlichen und politischen Rahmen
eines Staates bzw. Bundeslandes, der Struktur des Amtes und der Einordnung der Bauforschung,
der dortigen Personal- und Finanzsituation und nicht zuletz von der Ehrfahrung und der
Ausbildung der handelnden Personen sowohl innerhalb der « Amtbauforschun » als auch
ausserhalb », Aumüller T., « Bauforschung und Denkmalliste am Bayerischen Landesamt
für Denkmalpflege », in Breitling S., Giese J. dir., Bauforschung in der Denkmalpflege:
Qualitätsstandards und Wissensdistribution, Bamberg, University of Bamberg Press, 2018,
p. 71 (Forschungen des Instituts für Archäologische Wissenschaften,
Denkmalwissenschaften und Kunstgeschichte, 5).
11. http://www.dnk.de/_uploads/media/227_2001_VdL_Bauforschung.pdf.
12. https://bda.gv.at/fileadmin/Medien/bda.gv.at/SERVICE_RECHT_DOWNLOAD/
BDA_Richtlinien_Bauhistorische-Untersuchungen_Fassung-2_WEB041218.pdf.
680

RÉSUMÉS
L’archéologie du bâti/Bauforschung constitue une pratique répandue dans les activités de la
conservation du patrimoine bâti en Suisse, comme au Liechtenstein, en Allemagne et en Autriche,
où elle est largement reconnue comme une démarche indispensable à l'établissement et au suivi
interdisciplinaires d’un projet de restauration scientifiquement étayé d’un bâtiment. Elle reste
néanmoins assez peu abordée par les législations du patrimoine et peine parfois à être
pleinement reconnue comme une discipline de recherche historique. C’est le cas en particulier
lorsque les universités régionales ne disposent pas de chaires propres à ce domaine et donc de
filières de formation susceptibles d’influencer les pratiques des services du patrimoine et de
l’archéologie.

Building archaeology is a widespread practice in the built heritage conservation field in


Switzerland, as in Liechtenstein, Germany and Austria. This discipline is nowadays widely
recognized as an essential approach in any building restoration scientifically substantiated
project, from its planning to its final interdisciplinary monitoring. Despite a large use on sites,
building archaeology is poorly implemented in local heritage conservation legislation and
struggles to be fully recognized as an historical academic field of study. This is particularly the
case when, without specific chairs, regional universities cannot provide proper training courses
in building archaeology. As a result, they have little influence on the practices of local heritage
and archaeological departments.

INDEX
Mots-clés : archéologie du bâti, Bauforschung, législation, directives, Suisse, Liechtenstein,
Allemagne, Autriche
Keywords : building archaeology, legislation, guidelines, Switzerland, Liechtenstein, Germany,
Austria

AUTEUR
JACQUES BUJARD

Conservateur cantonal, chef de l'Office du patrimoine et de l’archéologie, Neuchâtel et Université


de Lausanne (Suisse), Office du patrimoine et de l’archéologie-Neuchâteal (Suisse), chargé de
cours Université de Lausanne (Suisse).
jacques.bujard@ne.ch
681

Intervenir en urgence sur du bâti en


centre ancien : l’exemple de Cahors
(Lot, France)
Taking urgent action on buildings in an old city center : the example of
Cahors (Lot-France)

Anaïs Charrier

1. Introduction
1 Avec plus de 500 maisons médiévales aujourd’hui identifiées, le centre ancien de
Cahors, protégé au titre des Sites Patrimoniaux Remarquables, constitue un véritable
conservatoire de l’architecture civile des XIIe, XIIIe et XIVe siècles.
2 L'Inventaire du patrimoine, lancé en 1987 et conduit par les services de l’État jusqu’en
2004, a mis en lumière la très grande richesse du patrimoine cadurcien et a montré
l’importance de la pérennisation de cette mission sur le territoire. Ainsi, depuis fin
2005, la Direction du patrimoine de la ville de Cahors poursuit ce travail d’étude pour
lequel le recrutement d’un chargé d’Inventaire spécialiste de l’archéologie du bâti s’est
imposé d’emblée comme une évidente nécessité.
3 En parallèle de la consolidation de cet outil de connaissance, l’outil de gestion que
constitue le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (P.S.M.V.) du Site Patrimonial
Remarquable a été mis en révision en 2009 et approuvé en mai 2017.
4 La synergie des outils de connaissance et de gestion permet un suivi de tous les
chantiers de restauration avec des interventions calibrées en fonction de l’impact du
projet et des enjeux identifiés. Les études de bâti ainsi produites constituent une
ressource importante pour les services en charge de la gestion du patrimoine de la
Ville. La connaissance sert l’opérationnel dans un objectif de sauvegarde maximale et
éclairée, avec une attention accrue portée à la pédagogie et à la collaboration entre les
différents acteurs (propriétaires, artisans, habitants, etc.).
682

5 Imparfaite, souvent réalisée dans l’urgence, avec des moyens limités, l’archéologie du
bâti ainsi pratiquée fournit, par accumulation, des résultats de premier plan dont la
majorité serait perdue sans cette présence quotidienne sur les chantiers.
6 À travers des exemples concrets, cette contribution s’attache à présenter le cadre et les
modalités des interventions, nécessairement diverses, ainsi que quelques résultats
significatifs.

2. Connaissance et gestion du patrimoine de la ville de


Cahors
2.1. Un outil de connaissance : la création d’un poste d’archéologue
du bâti chargé d’Inventaire au sein de la Direction du patrimoine de
la Ville

7 À Cahors (20 000 habitants), le périmètre du Site Patrimonial Remarquable (S.P.R.),


nouvelle appellation des Secteurs sauvegardés depuis la loi LCAP de 2016, correspond à
la ville médiévale qui s’est développée dans la partie est du méandre du Lot, à
l’intérieur de l’enceinte urbaine (Fig. 1). D’une surface de 30 hectares, le Site
Patrimonial Remarquable comprend 1600 parcelles et 2200 bâtiments parmi lesquels
environ 500 maisons médiévales aujourd’hui identifiées (Fig. 2 et 3).

Fig. 1. Cahors, vue aérienne en direction du nord. La partie densément bâtie à l’est correspond à la ville
médiévale protégée Site patrimonial remarquable (cl. P. Lasvènes, ville de Cahors).
683

Fig. 2. Édifices et ouvrages antérieurs au XIIIe siècle, d’après MÉLISSINOS A., PANDHI V., SÉRAPHIN G.,
CHARRIER A., Rapport de présentation sur Site Patrimonial Remarquable de Cahors, Cahors, 2017
(Cartographie G. Séraphin).

Fig. 3. Édifices et ouvrages des XIIIe et XIVe siècles, d’après MÉLISSINOS A., PANDHI V., SÉRAPHIN G., CHARRIER
A., Rapport de présentation sur Site Patrimonial Remarquable de Cahors, Cahors, 2017 (Cartographie G.
Séraphin).
684

8 La conservation exceptionnelle de ce patrimoine médiéval avait été révélée par la


mission d’Inventaire général conduite par l’État de 1988 à 2004 et réalisée par Maurice
Scellès1, dont les travaux avaient mis en évidence l’existence de plus de 300 maisons
médiévales encore en élévation. Cette mission avait également permis de démontrer
l’importance du patrimoine encore dissimulé sous des enduits. Elle a ainsi servi de base
de réflexion pour la création et la structuration d’une Direction du patrimoine en
permettant d’insister sur le fait que chaque intervention sur ces édifices qui ne serait
pas accompagnée par une surveillance archéologique engendrerait une perte
considérable pour la connaissance.
9 Il a donc été décidé, dès 2005, que la mission d’inventaire serait poursuivie sur le
territoire grâce à la création d’un poste de chargé d’Inventaire au sein de la Direction
du patrimoine de la ville de Cahors.
10 Pour cela, la collectivité a fait preuve d’un fort engagement en créant un poste pérenne,
en catégorie A, qui est co-financé à hauteur de 30 %, par l’État jusqu’en 2009 et, depuis,
par la Région Occitanie dans le cadre de la mission d’Inventaire général.
11 Le poste est occupé depuis le début par une archéologue du bâti dont les interventions
sont par ailleurs encadrées par une autorisation de prospection-inventaire délivrée
annuellement par le Service Régional de l’Archéologie d’Occitanie. L’archéologue du
bâti chargée d’Inventaire fait partie de l’équipe de la Direction du patrimoine de la
ville de Cahors qui est constituée de six personnes : la directrice du patrimoine, un
animateur et une médiatrice du patrimoine, une personne en charge du multimédia et
un agent d’accueil.
12 L’équipe a la responsabilité de deux grands pôles d’actions : la recherche et
l’opérationnel sur le patrimoine ainsi que les actions de médiation auprès des publics.

2.2. Un outil de gestion : le Site Patrimonial Remarquable avec Plan


de Sauvegarde et de Mise en valeur (P.S.M.V.)

13 En parallèle de la consolidation d’un outil de connaissance, la volonté a été de renforcer


l’outil de gestion que constitue le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (P.S.M.V.) du
Site Patrimonial Remarquable.
14 Le premier P.S.M.V., adopté en 1988, présentait des fragilités et était, au début du XXIe
siècle, devenu obsolète sur bien des aspects. La volonté étant d’en faire un véritable
outil sur lequel s’appuyer pour gérer le patrimoine de la ville au quotidien, il a été
décidé, en 2009, de le mettre en révision et le nouveau règlement a été adopté en mai
2017.
15 La collaboration étroite entre l’équipe missionnée pour réaliser la révision du P.S.M.V.2
et la Direction du patrimoine a permis à l’archéologue chargée d’Inventaire d’être
associée à la totalité de l’enquête à la parcelle, autrement dit à la visite des 2200
bâtiments. Au terme de la révision, chaque bâtiment situé dans le périmètre du
P.S.M.V. a fait l’objet d’une notice dans le système documentaire de l’Inventaire
général.
16 Grâce à la flexibilité de la base de données, ces notices constituent aujourd’hui un outil
souple et facile à enrichir au quotidien tout en assurant un archivage pérenne des
informations et une diffusion quasi immédiate des résultats par leur mise en ligne.
685

17 La synergie des deux outils, de connaissance et de gestion, permet un suivi efficace des
travaux. De manière très concrète, le dispositif du P.S.M.V. rend obligatoire la
déclaration préalable de tous travaux, intérieurs comme extérieurs. Leur réalisation,
ainsi soumise à l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France, fait l’objet de
prescriptions conformes au règlement du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur. La
Direction du patrimoine est l’un des destinataires de cette déclaration préalable dont
l’examen permet de confronter l’impact du projet avec les enjeux patrimoniaux
propres à chaque édifice. Les dossiers les plus délicats sont examinés collégialement à
l’occasion d’une réunion mensuelle, comprenant au besoin des visites de terrain et
réunissant l’élu référent, l’architecte des Bâtiments de France et les différents services
(patrimoine, urbanisme, habitat, etc.). Le début des travaux est généralement connu
par la demande des artisans d’obtenir une « autorisation d’occupation du domaine
public », autorisation qui, en cas d’absence de déclaration préalable des travaux, n’est
pas délivrée. La directrice du patrimoine de la ville collabore au suivi opérationnel du
projet tandis que l’archéologue chargée d’Inventaire assure le suivi archéologique des
travaux pendant la durée des chantiers. Le conseil, délivré au quotidien aux maîtres
d’ouvrage et aux maîtres d’œuvre, est là pour assurer une meilleure conservation du
patrimoine et sa mise en valeur.
18 Enfin, dans de rares cas de non-respect des prescriptions ou d’infraction, la directrice
du patrimoine et l’archéologue de la Ville ont été assermentées au titre de la police du
Maire pour les infractions au code de l’urbanisme afin de pouvoir exercer, si besoin, un
pouvoir coercitif.

3. Les études
19 Les études archéologiques sur le bâti peuvent prendre plusieurs formes : des études que
l’on peut qualifier de longues et des études ponctuelles. Les délais et l’ampleur des
interventions sur les chantiers sont extrêmement variés – allant de quelques heures à
plusieurs années – mais elles permettent une densification permanente de
l’information et c’est, à terme, cette accumulation qui fait sens.
20 Dans l’idéal, on souhaiterait évidemment pouvoir tout étudier. Cependant, le principe
de réalité fait que l’on est obligé de prioriser : des choix sont opérés en fonction des
enjeux, du projet et des problématiques de recherche, notamment sur la ville
médiévale.
21 Dans tous les cas, l’échelle de proximité permet une action systématique qui a fait
entrer dans les esprits le passage obligé de l’archéologue sur les chantiers.

3.1. Les études longues : l’exemple du 63, rue Delpech

22 L’immeuble situé au 63, rue Delpech correspond à un ancien édifice du XIIIe siècle
transformé en hôtel particulier dans les années 1500 puis, plusieurs fois remanié aux
époques ultérieures3.
23 Sa restauration s’inscrit dans le cadre du dispositif « loi Malraux » qui permet à des
investisseurs de bénéficier d’une réduction d’impôts calculée sur le montant des
travaux engagés pour restaurer, en totalité, un édifice situé en Site Patrimonial
Remarquable. Mis en place en 1962 par André Malraux alors ministre de la Culture, ce
686

dispositif de défiscalisation a pour objectif de restaurer et de protéger le patrimoine


immobilier en encourageant les programmes de rénovation de qualité sur les
immeubles concernés.
24 Le 63, rue Delpech a ainsi bénéficié d’une restauration complète qui s’est déroulée de
2012 à 2015 avec un suivi archéologique constant sur la période et des interventions qui
se sont adaptées à l’avancée du chantier et aux dégagements qui étaient opérés. Les
relevés des façades, l’étude de chaque niveau (Fig. 4 et 5) ainsi que l’étude plus détaillée
de certaines parties ont permis de proposer une restitution assez précise de l’édifice du
XIIIe siècle (Fig. 6).

Fig. 4. Cahors-63, rue Delpech : plan du rez-de-chaussée (fond de plan A. Letellier-architecte ; DAO et
phasage A. Charrier).
687

Fig. 5. Cahors-63, rue Delpech : plan du 1er étage (fond de plan A. Letellier-architecte ; DAO et phasage
A. Charrier).

Fig. 6. Cahors-63, rue Delpech. Hypothèse de restitution de l’état de la fin du XIIIe siècle : vue depuis le
sud-est. Axonométrie réalisée par E. Reinhardt à partir de l’étude de bâti. Seules les parties mises en
couleur correspondent à une restitution conforme aux vestiges conservés. Les parties non colorisées
ne sont pas assurées et constituent une proposition plausible de restitution.

25 Dès sa construction, la demeure jouissait d’un emplacement de premier choix, en plein


cœur de la cité, à proximité de la place du marché et de la cathédrale. Organisé en L
autour d’une cour, l’édifice comprenait un logis à un étage sur rez-de-chaussée
688

prolongé à l’est par une tour servant de corps d’entrée et offrant une vue directe sur la
cathédrale. La parcelle le permettant, la demeure put en outre bénéficier d’une triple
orientation. L’absence d’arcades de boutiques laisse penser que la maison ne
comportait pas, au rez-de-chaussée, d’activité marchande à proprement parler, mais
cela n’exclut pas pour autant que l’espace, à accès indépendant depuis la rue, ait été
dévolu à des fonctions professionnelles (ateliers, stockage, etc.). Située au 1er étage du
logis, la grande salle, l’aula, bénéficiait de tous les équipements nécessaires : fenêtres
géminées sur rue et cour, placards et cheminée.
26 Outre le caractère complet de l’étude, ce qui est assez rare en centre-ville, son apport
repose sur trois points principaux.
27 Premièrement, elle permet de progresser sur l’organisation de la demeure au XIIIe
siècle avec, par exemple, l’identification d’un système de latrines sur galerie extérieure
en bois, positionnée en encorbellement au-dessus de la rue. Les placards de deux
latrines sont ménagés en façade sud de la tour et des conduits intramuraux rejettent les
eaux usées dans une fosse maçonnée établie sous la tour. L’accès à la galerie de latrines
se faisait depuis le 1er étage de la tour, par une porte, qui se présente en façade du côté
de son arrière-voussure. Le système de fermeture se trouve donc à l’extérieur, sur la
galerie, indiquant que cet espace a été conçu comme une pièce à part entière. Un
système comparable de galerie de latrines, sur cour cette fois-ci, avait déjà été observé
au 42 rue de la Daurade : édifice qui avait pu être daté, par la sculpture, de la deuxième
moitié du XIIIe siècle.
28 Deuxièmement, cette étude a conduit au dégagement de la plus grande surface de
décors peints découverte à ce jour à Cahors dans l’architecture civile médiévale : soit
environ 60 m2 conservés sur trois des quatre murs de l’aula.
29 Au 1er étage, l’ensemble des murs en briques de la grande salle du logis est recouvert
d’un décor de faux appareil orné de tiges végétales s’enroulant autour d’un fleuron,
tandis que l’embrasure des baies reçoit des décors géométriques (Fig. 7).

Fig. 7. Cahors-63, rue Delpech : 1er étage du logis, relevé des décors peints médiévaux (XIIIe siècle).
689

30 L’angle formé par les deux ailes, constituant le plan en L de la demeure, émerge dans
l’espace intérieur de la pièce et a bénéficié d’un traitement particulier. Adouci par un
chanfrein, l’angle a été décoré d’une frise verticale de S qui semble représenter une
torsade. Le retour de l’angle a, quant à lui, servi de support à la réalisation d’un décor
rare qui superpose plusieurs registres identiques séparés par une sorte de disque et
organisés autour d’une tige verticale à partir de laquelle s’épanouissent des motifs
végétaux et géométriques (Fig. 8 et 9). Aucune comparaison pour la période médiévale
n’a encore pu être proposée pour cet ensemble qui n’est pas sans évoquer le motif des
candélabres antiques.

Fig. 8. Cahors-63, rue Delpech : 1er étage du logis. Décor peint médiéval à registres superposés (XIIIe
siècle).
690

Fig. 9. Cahors-63, rue Delpech : 1er étage du logis. Relevé partiel du décor peint médiéval à registres
superposés (XIIIe siècle).

31 La couche qui accueille ce décor orne par ailleurs le fond d’une niche d’agrément créée
par le bouchage d’une porte en arc brisé en brique qui faisait communiquer la grande
salle et la pièce voisine. Cette stratigraphie peut indiquer un changement de parti ou
bien une conception assez flexible des espaces qui peuvent être modulés. Car, du point
de vue de la chronologie, si la construction du logis à tour ne peut pas être datée
précisément, la comparaison avec d’autres édifices sur la ville nous conduit à proposer
la deuxième moitié du XIIIe siècle pour son édification. Or, ce décor peint est à situer au
plus tard au tout début du XIVe siècle. Il est d’ailleurs recouvert par une couche, plus
sombre, à décor ondé, semblable à un autre exemple cadurcien4 dont la réalisation
pourrait dater du début du XIVe siècle. Ce décor est lui-même recouvert par un faux
appareil attribuable à la phase 1500 puis par un décor datable du XVIIe siècle. Un tel
calage stratigraphique des décors est particulièrement intéressant et saura être d’une
grande utilité lors de prochaines découvertes.
32 Le dernier apport significatif de cette étude a été l’opportunité de dater les plafonds de
l’édifice par dendrochronologie, grâce à la convention avec l’Inventaire général, qui fait
régulièrement bénéficier ses partenaires de marchés publics pour réaliser des
campagnes de datations par dendrochronologie ou des relevés complexes.
33 Si le XIIIe siècle n’a pas été représenté, le plafond du rez-de-chaussée et le plafond à la
française du 1er étage ont pu être datés dans le 1er quart du XVIe siècle (1505-1506 pour
le rez-de-chaussée et 1486-1514 pour le 1er étage). L’hôtel particulier des années 1500,
son architecture et son décor, pourront désormais servir de jalon chronologique pour
l’étude d’autres édifices de la même période.
691

3.2. Les études ponctuelles

34 Les interventions ponctuelles sont les plus nombreuses. Elles peuvent être de très
courte durée et leur rendu est variable.

82, rue Daurade

35 Le premier exemple est celui de l’immeuble situé au 82, rue Daurade, qui a bénéficié
d’une restauration de sa façade et d’une mise en valeur de son rez-de-chaussée en 2014
(Fig. 10 et 11). Ces travaux ont notamment conduit au dégagement des maçonneries de
la façade et à la réouverture d’une grande arcade. Le réaménagement du rez-de-
chaussée a par ailleurs permis l’identification de maçonneries qui pourraient avoir
appartenu au palais épiscopal roman détruit en 1336 par un incendie et dont les
derniers vestiges furent démolis à l’occasion du percement de la rue en 1822, dans le
cadre des travaux urbains du XIXe siècle.

Fig. 10. Cahors-82, rue Daurade : façade est avant travaux en 2011.
692

Fig. 11. Cahors-82, rue Daurade : façade est après travaux en 2015. La grande arcade au rez-de-
chaussée correspond à un ancien passage voûté qui donnait accès au quartier épiscopal et était
surmonté par une chapelle protectrice.

36 L’analyse archéologique a révélé que l’arcade située au rez-de-chaussée de l’immeuble


était en fait un passage voûté, et non une arcade de boutique, surmonté d’une chapelle
visant à le protéger (Fig. 12).
37 Cet édifice, construit en briques épaisses, avec son triplet de fenêtres hautes couvertes
en arc brisé et encadrées par de larges tores, a pu, par comparaison avec d’autres
édifices de la ville, être daté du milieu du XIIIe siècle.
693

Fig. 12. Cahors-82, rue Daurade : façade est, proposition de restitution de l’état de la fin du XIIIe siècle à
partir des vestiges conservés.

38 Or, sa construction a été adossée à une maçonnerie antérieure, massive, appareillée de


grands blocs de calcaire layés, bâtie de façon très régulière et rythmée par de puissants
contreforts à plusieurs ressauts (Fig. 13). C’est là un type de construction que l’on ne
connaît pas pour l’architecture des maisons, de sorte qu’étant donné l’emplacement,
l’hypothèse la plus vraisemblable est que le passage surmonté par la chapelle constitue
une entrée dans le quartier de l’évêque et que la maçonnerie à contreforts correspond à
une partie du palais épiscopal roman que les sources attestent au nord-est de la
cathédrale jusqu’en 1336, mais dont aucun vestige n’avait jusqu’alors été identifié.
694

Fig. 13. Cahors-82, rue Daurade : intérieur, rez-de-chaussée, appareil de calcaire layé à contreforts.
L’hypothèse actuelle est qu’il s’agit de vestiges du palais épiscopal roman.

39 Cette recherche va pouvoir être prochainement poursuivie puisque, dans le cadre des
marchés de relevés passés avec la Région, il va être possible de réaliser plusieurs
relevés en plan et en coupe, dans les caves et les rez-de-chaussée des immeubles qui
bordent la rue Foch. L’objectif est d’essayer de préciser l’ampleur des vestiges
conservés et peut-être de pouvoir commencer à esquisser un plan du palais roman.
40 La recherche sur l’ensemble cathédral a récemment permis d’étudier et d’identifier le
réfectoire des chanoines du XIIe siècle 5. Cette étude a été commanditée par la C.R.M.H.
dans le cadre du rachat de la tour qui surmontait l’ancien réfectoire et qui avait été
dissociée de l’ensemble cathédral pour devenir un immeuble de logements privés.
L’étude a montré que les deux bâtiments aujourd’hui séparés ne constituaient en fait
qu’un seul et même édifice qui abritait le réfectoire au XIIe siècle. La chronologie
relative entre les différents bâtiments canoniaux qui bordent le cloître commence à se
dessiner et devrait pouvoir être précisée par l’étude archéologique des autres
bâtiments canoniaux.

7, rue du Petit-Mot

41 Parmi les interventions ponctuelles, l’édifice situé au 7, rue du Petit-Mot, est


représentatif des difficultés qui peuvent parfois être rencontrées lors des suivis de
chantiers en termes de temps d’intervention et de contraintes. La première visite a été
effectuée sans autre éclairage qu’une lampe frontale, avec des engins de chantier
stationnés à l’intérieur de l’édifice. Le constat était par ailleurs difficile : les
maçonneries étaient extrêmement bouleversées par les différents remaniements et très
complexes à lire.
695

42 Des vestiges de maçonneries médiévales associées à des portes couvertes en arc brisé
étaient visibles en façade (Fig. 14). À l’intérieur, une porte en arc brisé chanfreinée était
conservée. Ses joints médiévaux, encore en place, recouvraient parfaitement une
maçonnerie en moellons de calcaire froid, grossièrement éclatés au marteau et
approximativement assisés, dans laquelle la porte était repercée (Fig. 15 et 16).
L’examen détaillé a permis d’associer à cette maçonnerie une étroite fente jour et une
chaîne d’angle indiquant qu’il s’agissait d’une élévation extérieure appartenant à un
édifice, situé en retrait de la rue, et se développant sur la parcelle voisine. Malgré
l’encombrement, la visite du rez-de-chaussée voisin a permis l’observation de
l’élévation intérieure du mur et son fonctionnement avec un second mur
perpendiculaire.

Fig. 14. Cahors-7, rue du Petit-Mot. Plan du rez-de-chaussée.

Fig. 15. Cahors-7, rue du Petit-Mot. Intérieur, rez-de-chaussée, mur est. Relevé.
696

Fig. 16. Cahors-7, rue du Petit-Mot. Intérieur, rez-de-chaussée, mur est. Vue générale.

43 Les observations effectuées et le relevé des vestiges en plan ont mis en évidence une
construction, en cœur de parcelle, en retrait de la rue et antérieure au XIIIe siècle, qui
pourrait dessiner un schéma comparable à ce qui avait été identifié au 20, rue du Merle
à Cluny6 : une maison du XIe siècle entourée d’espaces non-bâtis que l’on construit par
la suite.
44 Ce scénario reste pour le moment très hypothétique compte tenu du peu d’observations
qui a pu être fait. Il conduira cependant à accroître la vigilance apportée à ce type de
maçonneries et de dispositions qui pourraient permettre de progresser sur la
connaissance de la ville antérieure à l’urbanisation du XIIe siècle.

35, rue Nationale et 118, rue Foch

45 Cette présence quotidienne, même avec des interventions très rapides, permet encore
aujourd’hui d’identifier et d’étudier des vestiges aussi fragiles que les décors, peints ou
gravés, comme le révèlent ces deux derniers exemples.
46 La ville de Cahors a mis en place une Opération Programmée d’Amélioration de
l’Habitat (O.P.A.H.) pour laquelle des visites hebdomadaires, qui associent la Direction
du patrimoine, sont organisées. L’identification, très récente, d’un décor dans les
combles du 35, rue nationale (Fig. 17) se place dans ce cadre. Il s’agit, pour
l’architecture civile médiévale de Cahors, du premier décor figuré (Fig. 18) et du
premier décor héraldique découvert. L’immeuble, dont les parties primitives sont
datables du XIIIe siècle, est à la vente et n’a pas encore bénéficié de travaux.
L’identification de ce décor, en amont de tout projet, va conduire à une meilleure prise
en compte des enjeux dès le début des travaux qui seront accompagnés par une étude
de la maison et des décors.
697

Fig. 17. Cahors-35, rue Nationale, corps-arrière, combles, mur est. Vue générale.

Fig. 18. Cahors-35, rue Nationale, corps-arrière, combles, mur est. Décor peint attribuable au XIIIe
siècle, détail d’un visage peint.

47 De la même manière, en 2015, le suivi du chantier d’aménagement des combles de


l’immeuble situé au 118, rue Foch a conduit à l’identification d’une grande
698

représentation architecturale, tracée au fusain et gravée dans un enduit attribuable au


XVIe siècle.
48 L’immeuble remonte à la deuxième moitié du XIIe siècle. Il s’agit d’un édifice important
dans l’histoire de la construction au Moyen Âge à Cahors car il pourrait se situer à la
transition des époques « romane » et « gothique ». Ses maçonneries, en calcaire et en
brique, révèlent une progression constante dans l’utilisation des deux matériaux tandis
qu’évolue en même temps le type de fenêtres utilisées (Fig. 19). La campagne de
modification intervenue dans les années 1500 conféra à l’édifice les attributs propres
aux hôtels particuliers de cette période avec notamment l’ajout de fenêtres à croisées et
d’une tour d’escalier en vis. Au début du XIXe siècle, une partie de la façade nord ainsi
que l’escalier 1500 furent détruits par les travaux d’alignement de la rue Foch.

Fig. 19. Cahors-118, rue Foch, façade est sur la place du marché.

49 L’étude des combles, restés inhabités jusque-là, a montré que, vers 1500, les
maçonneries en brique de la fin du XIIe siècle ont été recouvertes par une couche
d’enduit à la chaux, ocre blanc. Des graffitis, dessinés au fusain ou simplement gravés à
la pointe, ont été réalisés par-dessus. Au total une quinzaine a pu être identifiée.
L’ensemble comprend plusieurs inscriptions, des initiales, des motifs géométriques,
deux visages et, surtout, une représentation architecturale de grande taille - 80 cm de
largeur par 72 cm de hauteur – (Fig. 20) que l’on peut associer à une inscription
(Fig. 21). Le style du dessin et la graphie de l’inscription permettent de proposer que la
réalisation de ces deux graffitis, au moins, succède de peu aux travaux des années 1500.
699

Fig. 20. Cahors-118, rue Foch, Relevé de la représentation architecturale tracé au fusain puis gravé
dans un enduit recouvrant le mur sud des combles (XVIe siècle ?).

Fig. 21. Cahors-118, rue Foch, Relevé du graffiti découvert sur un enduit recouvrant le mur sud des
combles (XVIe siècle ?).

50 Le dessin d’architecture a été gravé mais plusieurs morceaux indiquent que certains
éléments ont été préalablement tracés au fusain. Le logis représenté au centre est
700

composé de trois parties : la maison d’habitation, flanquée à gauche d’une galerie


ouverte, en bois, portée par un arc (ou une voûte ?) et à droite d’une tour d’escalier en
vis, dont les marches et la charpente rayonnante sont représentées en plan. Deux petits
fanions flottent au-dessus des toitures. Une tour, séparée du logis par un espace libre,
est figurée à gauche. Elle est largement ouverte au rez-de-chaussée par un passage
couvert par un arc en accolade typique de la fin du XVe siècle. Plusieurs croisées et
demi-croisées éclairent les étages du logis et de la tour. L’accolade, les croisées et la
tour d’escalier en vis constituent des indices de datation. Le dessin ne peut pas avoir été
réalisé avant les années 1500, époque à laquelle ces ouvrages apparaissent en
architecture.
51 La qualité de certains éléments constructifs est quasi analytique : croix pour
matérialiser le bois du garde-corps de la galerie, appareil de pierre pour la tour, plan de
l’escalier en vis, détails des charpentes, etc. La règle et le compas ont été utilisés pour
certains tracés. Le dessinateur maîtrise les trois niveaux de représentation : le plan, la
coupe et l’élévation. L’utilisation d’outils de dessin spécifiques et l’aisance dont fait
preuve le dessinateur suggèrent qu’il a été un homme de l’art, peut-être proche du
milieu de la construction : tailleur de pierres ? maçon ? charpentier ?
52 Non loin de ce dessin, sur la même couche d’enduit, figure l’inscription suivante :
« BERENGUAE ». Il peut ici s’agir de la forme latinisée du prénom Béranger ou
Berenguier. La graphie des lettres, dont les extrémités prennent l’aspect d’un os, se
rencontre fréquemment à la fin de l’époque gothique, notamment sur les monnaies
(douzain), et constitue un indice de datation supplémentaire.
53 Dans un souci de conservation et afin de permettre l’aménagement de l’appartement, le
choix a été fait de masquer les graffitis derrière des cloisons.

4. Conclusion
54 Depuis plus de 20 ans qu’elle étudie son patrimoine, la Ville de Cahors a essayé
d’élaborer un système qui vise une prise en compte globale des enjeux : connaissance,
conservation, mise en valeur mais également habitat et usage puisque dans la majorité
des cas, si ce n’est la totalité, les objets d’études sont des édifices habités et utilisés.
55 Cette réalité a conduit la Ville à mettre en place des dispositifs incitatifs d’aides pour
tendre vers des restaurations de qualité. De son côté, la recherche sert de socle et
accompagne les opérations afin de lutter contre des opérations à l’aveugle.
56 Dans ce système qui se veut vertueux, certains points apparaissent comme
fondamentaux.
57 Premièrement, le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur se révèle être un outil
extraordinaire pour conduire des investigations de « la cave au grenier » tout en
constituant un excellent outil de gestion sur lequel s’appuyer. Cependant, il s’agit bien
d’un outil soumis à un règlement. L’élaboration de ce règlement, sa mise en révision
éventuelle lorsque cela est nécessaire, puis son application, requièrent l’adhésion
complète des élus qui doivent le porter auprès de la population et en mesurer les
atouts.
58 En outre, cet outil de gestion ne saurait remplacer la recherche sur le patrimoine qui
constitue le socle de la démarche. L’ancrage de la mission d’archéologie du bâti sur le
701

territoire, au sein d’une Direction du patrimoine locale, apparaît à ce titre d’une


importance capitale.
59 Cette proximité et cette présence au quotidien, en plus de faciliter bien des aspects
matériels de la recherche, permettent des actions de sensibilisation permanentes
auprès de la population, des artisans, mais également auprès des élus : par de
nombreux échanges et beaucoup de pédagogie, par l’organisation de visites de
chantiers, de conférences, d’expositions ou encore par la publication des plaquettes
« Chantiers » produites chaque année et qui sont disponibles en ligne7 ou distribuées
gratuitement en version papier.
60 C’est grâce à cette sensibilisation et à cette proximité, qui permet une très grande
réactivité d’intervention, que les propriétaires ou les artisans en viennent à solliciter
eux-mêmes le passage de l’archéologue pour une étude. Cette situation très favorable
ne devient possible que parce qu’ils ont compris la démarche qui suscite leur intérêt et
accompagne leur projet.
61 Cette mise en œuvre systématique d’une « archéologie du bâti du quotidien » mériterait
aujourd’hui d’être plus largement répandue au sein des territoires à grands enjeux
patrimoniaux.

NOTES
1. Ce travail d’Inventaire sur la ville a pris la forme d’une thèse (1994) et d’un ouvrage
(1999) : SCELLES M., Cahors, ville et architecture civile au Moyen Âge (XIIe-XIVe siècles), 1999
(Cahiers du Patrimoine, 54).
2. La révision du P.S.M.V. a été dirigée par Alexandre Melissinos (†) et Gilles Séraphin.
3. CHARRIER A., 63, rue Delpech, publication de la Direction du patrimoine de la ville de
Cahors, 2018, URL : https://fr.calameo.com/read/000032269120c9c7dcaa2.
4. Un décor similaire a été identifié au 71, rue du Cheval-Blanc. Notice Mérimée n°
IA46000037.
5. CHARRIER A., Un bâtiment de l’ensemble canonial roman : le réfectoire, publication de la
Direction du patrimoine de la ville de cahors, 2018, URL : https://fr.calameo.com/read/
000032269466880e33db4.
6. FLÜGE B., GARRIGOU-GRANDCHAMP P., SALVÈQUE J.-D., « Saône-et-Loire. Une maison
romane de 1091 à Cluny (20 rue du Merle) », Bulletin Monumental, 158-2, 2000, p. 151-155.
7. Les publications de la Direction du patrimoine de la ville de Cahors sont disponibles
en ligne sur le site Cahors Agglo, URL : https://cahorsagglo.fr/publications?
field_date_value%5Bvalue%5D%5Bdate%5D=&combine=&field_type_de_publication_tid=860.Pour
être tenu informé de leur publication il est possible de s’inscrire à la lettre de diffusion
de la Direction du patrimoine de Cahors en envoyant un courriel à
info.patrimoine@mairie-cahors.fr.
702

RÉSUMÉS
Avec plus de 500 maisons médiévales aujourd’hui identifiées, le centre ancien de Cahors, protégé
au titre des Sites Patrimoniaux Remarquables, constitue un véritable conservatoire de
l’architecture civile des XIIe, XIIIe et XIVe siècles.
L'Inventaire du patrimoine, lancé en 1987 et conduit par les services de l’État jusqu’en 2004, a mis
en lumière la très grande richesse du patrimoine cadurcien et a montré l’importance de la
continuité de cette mission. Ainsi, depuis fin 2005, la Direction du patrimoine de la ville de
Cahors poursuit ce travail d’étude pour lequel le recrutement d’un chargé d’Inventaire,
archéologue du bâti, s’est imposé d’emblée comme une évidente nécessité.
En parallèle de la consolidation de cet outil de connaissance, l’outil de gestion que constitue le
Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (P.S.M.V.) du Site Patrimonial Remarquable a été mis en
révision en 2009 et approuvé en mai 2017.
La synergie des outils de connaissance et de gestion permet un suivi de tous les chantiers de
restauration avec des interventions calibrées en fonction de l’impact du projet et des enjeux
identifiés. Les études de bâti ainsi produites constituent une ressource importante pour les
services en charge de la gestion du patrimoine de la ville. La connaissance sert l’opérationnel
dans un objectif de sauvegarde maximale et éclairée, avec une attention accrue portée à la
pédagogie et à la collaboration entre les différents acteurs (propriétaires, artisans, habitants,
etc.).
À travers des exemples concrets, cette contribution s’attachera à présenter le cadre et les
modalités des interventions archéologiques sur le bâti ainsi que quelques résultats significatifs.

With more than 500 medieval houses already identified, Cahors old city center, protected as a
Remarkable Heritage Site, displays a true conservatory of 12th, 13th and 14 th century civil
architecture.
The Heritage Inventory, launched in 1987 and conducted by the government services until 2004,
highlighted the great wealth of Cahors' built heritage, and showed the importance of the mission
continuity. Thus, since the end of 2005, Cahors city Heritage Service went on with this study, and
it was immediately obvious that a building archaeology expert would have to be recruited to take
charge of the Inventory.
Along with the strengthening of this knowledge tool, the management tool offered by the
Remarkable Heritage Site Preservation and Enhancement Plan was revised in 2009 and approved
in May 2017.
The synergy of theses knowledge and management tools enables the monitoring of every
restoration project, with calibrated interventions according to the project impact and the
identified challenges. The building studies thus produced provide an important resource for the
services in charge of the city's heritage management. This knowledge informs what is actually
done, aiming at a maximum well informed preservation, with increased attention paid to
education about heritage and to collaboration between various actors (owners, craftsmen,
inhabitants, etc.).
Using concrete examples, this paper will focus on presenting the framework and methods used in
thorough archaeological studies of buildings, plus some significant results.
Using concrete examples, this contribution will be devoted to presenting the framework and
methods used in the detailed archaeological studies of buildings, plus some important results.
703

INDEX
Keywords : Cahors, civil architecture, medieval houses, cathedral complex, Middle Ages,
canonical quarter, bishop’s palace, building archaeology, listed historical built heritage, urban
archaeology, Remarkable Heritage Site
Mots-clés : Cahors, maisons médiévales, ensemble cathédral, ensemble canonial, palais
épiscopal, Site Patrimonial Remarquable, archéologie du bâti, archéologie urbaine, architecture
civile, Moyen Âge, Inventaire du patrimoine

AUTEUR
ANAÏS CHARRIER

Archéologue spécialiste du bâti - Chargée d'Inventaire à la direction du patrimoine de la ville de


Cahors.
acharrier@mairie-cahors.fr
704

Connaître un monument pour le


conserver. Finalité et mise en œuvre
des travaux de recherches et
d'études archéologiques dans le
cadre spécifique des interventions
sur les monuments historiques
Knowing a monument for preserving it. Purpose and implementation of
archaeological research and studies in the specific context of
interventions on cultural built heritage

François Fichet de Clairfontaine et Jean-Christophe Simon

1 Le présent colloque qui aura examiné la définition même de ce qu'est l'archéologie du


bâti, interrogé son évolution, ses méthodes et ses apports récents, pose entre autres la
question de l'intégration au plan juridique comme fonctionnel de cette recherche
scientifique dans le cadre de tout projet visant la préservation du patrimoine
monumental, ici, celui protégé au titre des MH. Nous pourrions croire que l'archéologie
dans un monument et ses abords immédiats s'inscrit aujourd'hui dans un dialogue
naturel. Chacun s'accorde en effet à reconnaître que l'on restaure bien ce que l'on
connaît bien et que par ailleurs tout projet qu'il soit de recensement, de protection, de
restauration et de valorisation doit reposer sur un socle de connaissances nécessaires
pour être mené à bien.
2 Il s'agit bien de s'assurer que le monument sera conservé dans son intégrité et que les
actions menées concourront à assurer une intervention respectueuse de son histoire et
de son authenticité (Fig. 1). La circulaire n° 2009-024 du 1er décembre 2009 qui organise
le contrôle scientifique et technique de l'État sur les travaux conduit sur des
monuments protégés, ne dit pas autre chose1. Le contrôle est destiné « avant tout à
garantir d'une part que leur conservation est assurée dans les meilleures conditions et
705

d'autre part que les interventions programmées ou ponctuelles, de quelque nature


qu'elles soient, ne portent pas atteinte à l'intérêt qui a justifié leur protection… ».
Rappelons par ailleurs l'une des lignes de force de la programmation nationale de la
recherche archéologique définie en 2016 : « inscrire l’archéologie du bâti dans le
processus même de conservation en tant que démarche productrice d’un savoir
susceptible d’être mobilisé au service du projet de restauration » (p. 22).

Fig. 1. Falaise, façades sud des donjons, vers 1860 (J.-C. Danjoy, MAP-RMN).

3 Sans produire une exégèse des textes, on conclura sur le fait que l’objectif énoncé par
les textes législatifs et réglementaires vise à permettre à l’État de garantir que la
conservation et la pérennité des monuments protégés sont assurées dans les meilleures
conditions par leurs propriétaires et que les interventions qu’ils envisagent ne portent
pas atteinte à l'intérêt qui a justifié la protection du monument. La connaissance est un
élément essentiel de la démarche et l'archéologie doit concourir naturellement à sa
constitution ! Il y a là un consensus évident !
4 Mais, force est de constater des dysfonctionnements : soit du fait de l'absence de toute
étude archéologique alors qu'elle est indispensable, soit parce que l'archéologie est
mobilisée trop tard ou en dehors de la définition d'un programme de travaux.

1. Quelles sont les raisons des difficultés ?


5 Les constats généraux que l'on peut faire révèlent qu’au-delà d’un cadre réglementaire
qui paraîtra clair pour chacun, tant pour les monuments historiques que pour
l’archéologie, la mise en œuvre des dispositions prévues par les lois, décrets et
circulaires se heurte à des difficultés liées à l’organisation du patrimoine en deux
réglementations distinctes (Livre V et Livre VI du code du patrimoine) ; césure qui,
pour le monument historique lui-même, n’apparaît pas pertinente puisqu’elle engendre
incompréhensions et tensions entre les services chargés du patrimoine. Cette
réglementation distincte qui découle à l'évidence d'une longue histoire de
l'administration du patrimoine a émergé au milieu du XIXe siècle. La loi sur les MH
706

(1913) est par ailleurs antérieure à celle de l'archéologie (1941), et pour certains a pu
conférer une sorte de droit d'aînesse, l'archéologie apparaissant alors subsidiaire.
6 Ainsi on notera à ce propos, que les textes se superposent ou cloisonnent l’action des
services : l'article R 621-19 du code du patrimoine confie au service chargé des MH le
pilotage scientifique et technique des monuments, ce que rappelle d'ailleurs la
circulaire de 2009. Dans la sous-section 2 – travaux sur immeubles classés (R 621-11 à
13), les articles qui décrivent la consistance des travaux soumis à autorisations et le
contenu des demandes d'autorisation précisent que « la décision d'autorisation peut
être assortie de prescriptions, de réserves ou de conditions pour l'exercice du CST sur
l'opération par le service chargé des monuments historiques. ». Les textes relatifs à
l’archéologie préventive contribuent eux aussi à ce cloisonnement. Ainsi, l’article
R523-1 n’envisagerait l’intervention de l’archéologue qu’au stade des travaux, du moins
il ne présuppose pas celle-ci avant, lors de leur conception par exemple. Mieux, pour les
fouilles et pour le dossier de demande d'autorisation de travaux, l'article 621-11-Livre
VI MH renvoie à l'instruction par le service régional de l'archéologie dans le cadre de
l’archéologie préventive. On morcelle ainsi l'autorité sur le monument, ce qui induit la
prise de possession par chaque service d'une partie des missions et un
compartimentage générateur de tensions. Par ailleurs, parce que les dossiers de
demande d'autorisation de travaux sur des immeubles classés sont soumis à saisine du
service régional de l'archéologie au titre de l'archéologie préventive (art R.523-4),
l'examen semblerait ne se faire qu'au titre exclusif de l'archéologie préventive (?),
suggérant que « restaurer c'est détruire » tout ou partie de la substance patrimoniale.
On comprendra que cela puisse être insupportable pour les acteurs chargés de
conserver le monument !
7 Enfin le choix par le législateur d’une saisine du SRA au stade de la demande
d’autorisation de travaux, pose un problème de temporalité au regard des apports
potentiels de l’archéologie dans l’élaboration du programme ou la conception même du
projet.2.
8 On semble donc bien, par ces textes, opposer deux services et des acteurs qui sont tous
chargés d'une même mission, celle d'étudier et de conserver le patrimoine.
9 Face à cela, consciente des difficultés, la circulaire n° 2009-024 du 01 décembre 2009
relative à la conduite du CST dans les Monuments Historiques a prôné la collégialité et
une instruction conjointe des projets de travaux par les services de la DRAC, afin
d'intégrer les études archéologiques à chaque phase de conception d'un projet de
travaux et lorsque ces dernières s'avéraient nécessaires. Soulignons le fait que face à un
tel cadre, chaque région a effectivement mis en œuvre le CST tout en interprétant
toutefois la circulaire en fonction de sa propre lecture des textes, ceci faute de
directives claires. Il en a découlé une mise en œuvre très contrastée et plus ou moins
formalisée de pratiques dont la qualité était et est fonction d'une volonté plus ou moins
partagée d'échanges dans un cadre collégial. À moyen terme, cela démontre que l'on ne
peut fonder durablement une archéologie moderne et exigeante et un fonctionnement
collégial des services chargés de la connaissance, de la protection, de la conservation et
de la valorisation du patrimoine, sur le seul bon vouloir des acteurs de ces missions. Le
risque est grand, en cas de tension, que chacun se retranche derrière son corps de
texte.
10 La seconde source de conflit repose sur une confusion, entre discipline archéologique et
procédure archéologique, parfois entretenue ou ainsi critiquée par les détracteurs
707

considérant que les archéologues font du monument un objet d'étude à part entière,
voire qu'ils ne respectent pas celui-ci par leur intervention, alors qu'il ne faut pas
porter « atteinte à l'intérêt qui a justifié leur protection ». Des exemples démontrent
que cela n'est pas toujours faux, des recherches étant parfois demandées alors que la
nature des travaux ne menace en rien les vestiges. La discipline archéologique, tout
comme celle de l'architecture d'ailleurs, est le résultat d'un enchevêtrement
inextricable de données culturelles, politiques, sociales, techniques, scientifiques, etc.
L'acte archéologique, acte de synthèse par excellence, repose ainsi sur la connivence de
ces différentes branches et est un mode de connaissances en construction se réalisant à
travers la diversité des enjeux qu'il embrasse et à l'aide d'outils qu'il maîtrise. La
discipline archéologique est donc par essence systémique dans son propos et sans
limite dans ses approches. En un mot on semble s'intéresser à tout et on va partout !
11 À l’inverse, la procédure qui conduit à la réalisation d'une intervention archéologique
dans et sur un bâtiment est codifiée et, par extension, c'est une démarche à mettre en
œuvre pour réaliser une tâche donnée, en quelque sorte une succession imposée
d'actes. Elle répond en général à des impératifs qui ne sont pas discutables par
l’opérateur qui les applique (et qui sont consignés dans un cahier des charges
scientifiques établi par le service archéologique). On le voit, la confusion entretenue ou
non, parfois par les acteurs mêmes, peut conduire à dépasser la contrainte en temps et
lieu pour faire de l'étude de l'objet une fin en soi, ce qui conduit aux tensions évoquées
plus haut. Rappelons que l'intervention lorsqu'elle s'avère indispensable (ce qui n'est
pas le cas pour de nombreux monuments) doit bien être dimensionnée au regard de la
nature et de l’échelle du projet, et que l'article L 522-1 du livre V sur l'archéologie
insiste sur le fait que « L'État veille à la conciliation des exigences respectives de la
recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement
économique et social ». Certes cela concerne l'archéologie préventive mais le bon sens
doit en découler pour tout projet3.
12 La troisième source de conflit est liée à la définition même de l'archéologie dans le
monument protégé et surtout de celle du bâti dont les spécificités et caractéristiques
peuvent être écartelées entre plusieurs disciplines. Chacun pourra y revendiquer sa
part d'expertise (je sais quand cela est indispensable) et de compétence (je sais
maîtriser problématiques, objectifs et outils !) Pour l'archéologue, c'est étudier une
élévation de sa fondation au faîtage, lorsque celui-ci subsiste ! Pour l'architecte
conduisant son étude architecturale, c'est étudier une élévation de sa fondation au
faîtage, lorsque celui-ci subsiste ! Chacun ferait donc de l'archéologie du bâti ? Conflit
de pouvoir, conflit de procédures ! Auxquels de manière plus prosaïque se grefferont
des enjeux financiers (qui paie ?), voire juridique (l'intervention archéologique sur le
bâti repose sur quel corps de texte ? et qui devra la décider ?) qui conduisent à des
derniers combats, certes bien loin de ceux des années 1980, mais loin d'être achevés.
Car si le code du patrimoine a beaucoup fait avancer les choses, entérinant des
démarches, si des pratiques vont dans le bon sens au profit du monument, des
malentendus et des dysfonctionnements subsistent encore.

2. Voilà pour les constats ! Mais quelles propositions ?


13 Avant tout, rappelons qu'on se situe ici dans le cadre précis d'une étude archéologique
menée sur un monument historique, pour aider à la conception puis la réalisation d'un
708

programme de travaux de restauration et/ou de valorisation (Fig. 2). Comme toute


recherche archéologique, celle-ci doit reposer sur des problématiques clairement
énoncées et un état des connaissances partagé. Elle se définit ici dans un cadre
contraint en temps et en lieu, intervenant essentiellement sur la zone ou le bâti
directement concerné par les travaux projetés, voire le débordant pour une meilleure
appréhension du contexte. Il est évident que l'opportunité de sa mise en œuvre doit
être fonction de l'intérêt patrimonial et archéologique du monument et de la nature
des travaux projetés.

Fig. 2. Falaise, dégagement de la tour E (XIIIe siècle) (cl. F. Delahaye, INRAP).

14 Parlons définition pour souligner qu'un récent rapport consacré à l'archéologie dans
les MH prônait dans sa conclusion l'intérêt d'intégrer au champ législatif et
réglementaire un article consacré à l’archéologie des monuments historiques (et non
pas seulement l'archéologie du bâti) pour clarifier sa définition au sens juridique,
mieux l'intégrer dans les procédures visant à concevoir un projet de travaux respectant
le monument, et préciser ultérieurement le rôle de chacun dans la prise de décision
puis la réalisation des travaux archéologiques4. Cette proposition ne s'est pas encore
concrétisée mais on peut toujours s'interroger sur sa pertinence. Il apparaît toutefois
essentiel que, d'une manière ou d'une autre, une définition juridique claire puisse être
retenue afin que chacun puisse assumer son rôle en fonction de celle-ci : une analyse
des élévations de la fondation à la couverture du monument, reposant sur l'emploi des
méthodes de l'archéologie de terrain.
15 Ce rapport prônait en second lieu l'intérêt de rédiger une note conjointe monuments
historiques-archéologie sur le CST appliqué aux monuments historiques, comprenant
nécessairement une définition de l'archéologie dans le monument protégé. Au sein de
cette note, reprenant entre autres les attendus du chapitre 3.1 de la circulaire de 2009,
il s'agissait bien d'articuler précisément l'intervention archéologique, avec les étapes
du CST et donc les rôles respectifs des différents acteurs. Un groupe de travail a été
709

constitué pour faire des propositions en ce sens, à partir d'expériences menées dans
plusieurs régions (Normandie, Bourgogne-Franche-Comté, Pays de la Loire, Poitou-
Charentes, etc.). Sans préjuger de ses travaux et tout en demeurant au stade de
quelques bonnes pratiques mises en place par les services, et entre ceux-ci et les
maîtres d’œuvre, on peut avancer plusieurs propositions :
16 La circulaire n° 2009-024 constatant des dysfonctionnements, et consciente de la
nécessité de décloisonner l'action des services comme des acteurs intervenant sur le
terrain, a fait appel à l'intelligence collective tout en esquissant une troisième voie (ni
programmée, ni préventive dans ce cadre précis !). Il s'agit de favoriser une instruction
collégiale (le cas échéant sous l'égide d'une coordination ou direction de pôle
patrimoine) dès l'origine d'un projet et au fur et à mesure de son avancement (Fig. 3
et 4). La circulaire propose donc de décloisonner l'instruction des dossiers, et ceci sans
remise en cause des textes réglementaires. Elle suggère par ailleurs la conduite
d'études et de recherches archéologiques dans le cadre du CST. Enfin, elle promeut
l'interdisciplinaire.

Fig. 3. Falaise, relevé des élévations de la Porte des champs (DAO J. Mastrolorenzo).
710

Fig. 4. Falaise, Porte des champs (XIIIe-XVe siècles), après restauration. Travaux D. Lefebvre, ACMH.

17 Pour la circulaire, « le contrôle scientifique et technique doit permettre de multiplier


les échanges interdisciplinaires au sein des services du ministère de la culture et de la
communication ». Pour ce faire, un chapitre a même été consacré à la « nécessité d'une
instruction collégiale des programmes d'études et des projets au sein des services de
l'État (§ 3.1.1.) » mentionnant « le service chargé de l'archéologie (service régional de
l'archéologie, le plus souvent) pour la prise en compte du potentiel archéologique du
monument historique en amont de l’élaboration du programme des études
scientifiques » et donc bien avant le dépôt de la demande d'autorisation de travaux ! On
le voit, cette circulaire qui prône les échanges pluridisciplinaires, prévoit l’intervention
et l'instruction conjointe des services le plus en amont possible d'un projet de travaux,
dès les phases de porter à connaissance, puis d’aide à la programmation et d’instruction
des études et projets sur un monument historique.
18 Pour ce qui concerne les projets de travaux, en accord avec le code du patrimoine, dès
lors qu'un propriétaire ou maître d'ouvrage a manifesté son intention de conduire une
opération sur un monument, dès cette première phase d'information donc, il revient
aux services de l’État d'informer et orienter ce dernier. Pour ce faire, ils doivent
communiquer l'état des connaissances dont ils disposent (dossier de classement, cartes
archéologiques, sources historiques, etc.) et, au cas où le dossier d'évaluation
démontrerait que cet état de connaissance est insuffisant, ils doivent notifier à ce
dernier la nécessité de conduire des études diagnostic nécessaires à la connaissance du
monument dans le périmètre de l’opération envisagée (étude d'enduits, recherche de
désordres particuliers, étude hydro-géologiques, etc.). Il est important que les
demandes ne soient pas discutables par le maître d'ouvrage5.
19 C’est bien à l'étape d'orientation et d'information du maître d'ouvrage (dans le cadre de
la réalisation par ses soins d'une étude d'évaluation et si nécessaire d'une étude de
diagnostic) que peuvent et doivent être intégrés, les sondages de diagnostic, les études
711

archéologiques des élévations, les relevés et prélèvements aux fins de datation ou


d’identification, toutes les démarches scientifiques et techniques utiles à l’élaboration
du programme qui guidera le maître d’œuvre dans les études et la conception de son
projet6. Comme indiqué dans le chapitre 3.1.2.1. - La phase de préparation du diagnostic : la
transmission d'informations au maître d'ouvrage, la circulaire a prévu que ces études dites
complémentaires, entre autres dans la phase diagnostic, puissent être financées pour
partie sinon entièrement par l'État, afin que « les propriétaires ne puissent être tentés
de minimiser la phase d'études pour des motifs financiers ». Comme pour les autres
études préconisées, les études archéologiques pourront et devront dans le meilleur des
cas faire l'objet de la rédaction d'un cahier des charges, dans le cas présent rédigé par
le SRA.
20 Lorsqu'il dispose du projet de programme et du diagnostic de l'opération, le maître
d'ouvrage est conduit à consulter la DRAC afin qu'elle puisse émettre le cas échéant des
observations et recommandations en vue de l'élaboration des études d'avant-projet.
Peuvent ainsi intervenir au stade de l’APS et en tant que de besoin, la fouille et les
études complémentaires, liées au besoin de connaissance des sols (fouilles
archéologiques) et/ou des élévations (étude archéologique, investigations,
prélèvements…) pour orienter les dispositions du projet. Il se peut que l'on doive
attendre le début des travaux mêmes, pour disposer des outils ou des accès nécessaires
aux fouilles et études complémentaires, mais celles-ci doivent avoir été prévues et
précisées dès et dans le dossier de demande d'autorisation de travaux, ainsi que
financées !
21 Dans tous les cas de figure, la prise en compte de ces observations et recommandations
de l'État par le maître d'ouvrage doit préparer et faciliter l'instruction de l'autorisation
de travaux. Si les recommandations de l'État n'ont pas été suivies par le maître
d'ouvrage, la circulaire recommande un refus d'autorisation jugé préférable à l'édiction
de prescriptions qui pourraient alors être susceptibles de « remettre en question
l'économie générale du projet présenté ». L'État ne peut, à ce stade, délivrer une
autorisation de travaux assortie de prescriptions fortes pouvant conduire à modifier
fortement la consistance d'un projet et/ou son économie. Ainsi, on comprend tout
l'intérêt d'assurer en amont la prise en compte de l'archéologie ou, si elle n'a pu être
conduite avant le début des travaux eux-mêmes et n'est pas susceptible de les modifier,
d'intégrer celle-ci dans la demande d'autorisation de travaux.
22 Archéologues, architectes ou maîtres d’œuvre, enfin services de l'État ont donc tout
intérêt à travailler ensemble, échanger et décider collégialement, l'information
mutuelle étant un préalable indispensable. Avant de conclure, on rappellera que
l’implication du service de l'archéologie dans la politique de recensement, de
connaissance, de protection, de conservation, de restauration et de valorisation du
patrimoine devrait être naturelle, comprenant une participation aux travaux de
programmation des études et travaux MH ainsi qu'à l’élaboration d'une politique de
protection thématique (Fig. 5). Enfin, on ne saurait qu'inciter chacun à instruire
collégialement l'établissement de l'état sanitaire des monuments, lequel peut conduire
à identifier un potentiel archéologique, comprendre l'origine des désordres et mieux
alerter sur le monument.
712

Fig. 5. Restitution du château de Falaise (fin XIIe siècle) (Conception Normandie Productions).

3. Conclusion
23 La discipline archéologique, et en son sein l'archéologie du bâti, suppose une
construction qui n'a rien d'évident, au sein d'un processus long et complexe, portant
sur les objets de recherche et les approches, autant que sur les ensembles sociaux
pertinents. Pour paraphraser Dominique Vinck7, il s’agit, notamment de construire une
communauté de recherche, de lutter pour sa reconnaissance institutionnelle, ce qui
suppose de construire des partenariats autour de certains objets et questions, de forger
des méthodes qui rendent possible la production de résultats originaux. La formation
est aussi un enjeu !
24 À défaut d'une législation spécifique (mais est-elle pertinente au regard du corpus
législatif et réglementaire existant ?), il apparaît que les propositions à discuter
devraient prendre place dans une note conjointe MH-Archéologie s'imposant à tous,
rappelant les bases législatives et réglementaires soutenant les dispositions, précisant
les rôles et missions de chacun. La nature même des autorisations délivrées (sondage et
fouille programmée au titre III du livre V, fouille préventive au titre II [L 522 et
suivant], fouille décidée par l'État [L531-9, etc.]) en découlera alors logiquement. Mais
là aussi, une clarification s’avérera indispensable de la part du législateur, en réponse
aux meilleures pratiques mises en œuvre par les services et acteurs.

NOTES
1. Circulaire 2009-024 du 1 er décembre 2009, relative au contrôle scientifique et
technique (CST) des services de l'État sur la conservation des monuments historiques
classés ou inscrits. Voir aussi Décret n° 2009-750 du 22 juin 2009 relatif au contrôle
713

scientifique et technique (CST) des services de l’État sur la conservation des


monuments historiques classés ou inscrits.
2. Cf. ULLMANN C., GUILHOT J.-O., « Monuments historiques et archéologie, pour sortir de la
confrontation », in Archéologie et monuments historiques, Monumental, 2014-1, semestriel
1, p. 18-2.
3. Diagnostic archéologique et étude diagnostic sur MH : l'emploi de mêmes mots mais
sous des définitions différentes rajoute à la confusion !
4. SIMON J.-C., FICHET DE CLAIRFONTAINE F., Archéologie et Monuments Historiques, analyse et
recommandations, Rapport 2016-06 de l'inspection des patrimoines, MCC, direction
générale des patrimoines, 2016.
5. Toutefois libre ou non de la suivre, car on rappellera que la seule obligation de
transmission ne se situe qu'au stade final, au moment du dépôt de la demande
d'autorisation de travaux !
6. L'étude de diagnostic ne peut toujours répondre à l'ensemble des questions relatives
à la connaissance d'un édifice pour aider la définition d'un programme. De fait elle peut
conduire à nécessiter une étude plus approfondie afin d'aider la réalisation de l'APS
notamment par des fouilles et relevés complémentaires.
7. VINCK D., WEISZ G., « Préface. Les mutations de l'action publique sanitaire. Quelle
histoire et quelle place donner aux régimes de production des connaissances ? », in
TOURNAY V. dir., La gouvernance des innovations médicales, Paris, PUF, 2007, p. 5-15.

RÉSUMÉS
Les réflexions et pratiques actuelles tendent à mieux articuler sondages et fouilles
archéologiques avec les études, projets et travaux conduits sur des monuments. Pour ceux dont
l'intérêt public a été reconnu du point de vue de l'art ou de l'histoire, et signifié par une
protection au titre des Monuments Historiques (MH), la recherche archéologique peut constituer
une démarche essentielle de connaissance et d'aide à la définition puis de mise en œuvre d'un
programme de travaux de restauration comme de valorisation. De fait, on constate que
l’intervention et l’implication de l’archéologie se situent à chaque étape d'un projet et d'un
chantier MH et que son intrication avec l’intervention du service des monuments historiques est
patente. Archéologie du troisième type (?), l'archéologie du bâti au sein des MH dispose
aujourd'hui d'une base juridique que la pratique peut tendre à mieux clarifier. À quels stades et
selon quel processus opératoire la recherche archéologique, dont on précisera la nature des
interventions, doit-elle ainsi intervenir et se développer ? En construisant la recherche
archéologique sur la collégialité, elle doit in fine promouvoir une meilleure synergie avec les
étapes d'élaborations des études et projets de restauration sur Monuments Historiques. C'est ici
un enjeu essentiel devant permettre de constituer les étapes du dialogue inter-services (CRMH-
SRA et UDAP) pour un meilleur appui aux propriétaires ou maîtres d'ouvrage engagés dans un
cadre spécifique d'intervention sur les monuments protégés.
714

Current reflections and practices tend to better articulate archaeological surveys and
excavations with studies, projects and work conducted on monuments. For those, whose public
interest has been recognized from an artistic or historical point of view and signified by cultural
built Heritage (MH) protection, archaeological research can constitute an essential process of
knowledge and assistance in defining and then implementing a program of restoration work as
well as recovery. In fact, we can see that the intervention and involvement of archeology take
place at each project stage and that its entanglement with the intervention of the listed
monuments service is obvious. Third type archaeology (?), today building archaeology applied to
cultural built Heritage has a legal basis that practice can tend to better clarify. At what stages and
according to which operating process should archaeological research thus intervene and develop
(the nature of these interventions needing to be specified) ? By building archaeological research
on collegiality, it must ultimately promote better synergy in the elaboration stages of studies and
restoration projects on cultural built Heritage.
This is an essential issue which should make it possible to establish steps in an inter-service
dialogue (CRMH-SRA and UDAP) for better supporting owners or project managers engaged in
the specific intervention framework on listed monuments.

INDEX
Mots-clés : archéologie du bâti, collégialité, concertation, intrication des démarches sur les
monuments historiques
Keywords : building archaeology, collegiality, concertation, procedures entanglement in cultural
built heritage

AUTEURS
FRANÇOIS FICHET DE CLAIRFONTAINE

Inspections des patrimoines, collèges Archéologie et Monuments Historiques MC/DGPAT- UMR


6273 Craham, CNRS/université de Caen.
francois.fichet-de-clairfontaine@culture.gouv.fr

JEAN-CHRISTOPHE SIMON

Inspections des patrimoines, collèges Archéologie et Monuments Historiques MC/DGPAT.


715

Ambivalence juridique : les regards


de la France sur la relation
archéologie et monuments
historiques (1886-2004)
Legal ambivalence : France’s position on the relationship between
archaeology and listed buildings (1886-2004)

Jean-Olivier Guilhot

« Ambivalence : Présence simultanée dans la


relation à un même objet, de tendances,
d’attitudes et de sentiments opposés, par
excellence l’amour et la haine » (Jean Laplanche
et Jean-Bertrand Pontalis, Vocabulaire de la
psychanalyse, 1967).
1 Alors que dans l’espace méditerranéen au XIXe siècle et au début du XX e siècle le
patrimoine monumental et le patrimoine archéologique, souvent regroupés sous le
terme générique « d’antiquités », sont pris en compte et réunis dans les mêmes lois, la
France va faire preuve d’une étonnante ambivalence juridique. Elle va d’un côté suivre
ce mouvement sur les territoires qu’elle contrôle – les protectorats de Tunisie et du
Maroc, puis les mandats du Liban et de Syrie - et d’un autre coté s’en distinguer sur le
territoire national. Il en résultera en France une fracture entre monuments historiques
et archéologie qui ne seront réunis dans un même code, le Code du patrimoine, qu’en
20041. Cette situation peut expliquer la difficulté qu’il y eut à faire émerger en France
une archéologie médiévale, puis une archéologie du bâti, et les désaccords qui peuvent
encore persister au sein du ministère de la culture pour arrêter une position sur la
prescription, l’exécution, le contrôle et le financement de l’archéologie dans les
monuments historiques.
716

1. La place de l’archéologie dans la genèse des lois


patrimoniales françaises
2 Rappelons que l’Italie adopte l’Édit Pacca sur les antiquités romaines en 18202, la Grèce
légifère sur la conservation et l’usage des antiquités en 18343, l’Égypte sur les antiquités en
18354, l’Empire Ottoman en 18695. La France, elle, légifère sur la question pour la
première fois en 1886… en Tunisie, qu’elle occupe depuis 18816. Le décret du 7 mars 1886
couvre les « immeubles et leur classement », les « objets d'art et d'antiquité », les
« fouilles et découvertes » et même les « musées privés ». On est bien là devant une loi
patrimoine complète.

Fig. 1. Tunisie, Décret du 1er Djoumadi-et-Tani 1303 (7 Mars 1886), JOT du 11 mars 1886, p. 42. Par
l’article 25 de cette loi, la France instaure l’autorisation de fouilles en Tunisie, cinquante-cinq ans avant
qu’elle ne l’impose, dans des termes très similaires, sur le territoire national.

3 Pourtant, quand un an plus tard, le 30 mars 1887, la France adopte pour le territoire
national la Loi pour la conservation des monuments français et objets d’art ayant un intérêt
historique et artistique, elle ne retient de la rédaction tunisienne, souvent au mot près,
que ce qui concerne les immeubles et monuments historiques. L’archéologie est réduite
à deux articles inconsistants7. Il en ressort :
• que si « des monuments, des ruines, des inscriptions ou des objets pouvant intéresser
l’archéologie, l’histoire ou l’art » sont découverts, ils ne sont soumis qu’à déclaration, sans
aucune sanction civile ou pénale ;
• que l’État pourra procéder à l’expropriation du terrain pour cause d’utilité publique.
4 À l’inverse du texte tunisien, l’exportation du mobilier archéologique trouvé sur le
territoire national n’est donc pas réglementée ; rien n’y garantit la conservation du
mobilier archéologique non classé ; il n’existe pas d’autorisation de fouille.
717

Fig. 2. France, Loi pour la conservation des monuments français et objets d’art ayant un intérêt
historique et artistique, 30 mars 1887, JORF du 31 mars 1887.

2. Un patrimoine codifié comme un tout cohérent hors


de France et un patrimoine réduit aux seuls
monuments historiques en France
5 La fracture entre un patrimoine codifié comme un tout cohérent hors de France et un
patrimoine réduit aux seuls monuments historiques en France se confirme au début du
XXe siècle. En effet, la France va légiférer à nouveau deux fois sur ces questions à moins
de deux mois d’intervalle : en France par la Loi du 31 décembre 1913 sur les monuments
historiques et au Maroc placé sous protectorat français depuis 1912 par la loi relative à la
conservation des Monuments Historiques, des Inscriptions et des Objets d'art et d'antiquité de
l'Empire Chérifien du 13 février 1914. Promulgué 28 ans après celui de Tunisie, le texte
marocain lui est très semblable. Le titre III concernant les zones de protection est en
revanche une totale nouveauté qui n’apparaitra dans le droit français qu’avec la loi du
25 février 1943 instituant le régime juridique des « abords ». Si la loi tunisienne prend
pleinement en compte l’archéologie, la loi de 1913 qui visait pourtant à combler les
lacunes de la loi de 1887 reprend in extenso pour l’archéologie la brève formulation
précédente dans le nouvel article 28.
6 L’épisode du Projet de Loi relatif aux fouilles intéressant l'archéologie et la paléontologie,
déposé par le gouvernement français sur le Bureau de la chambre des députés le 25
octobre 1910 a certainement pesé lourd dans le fait de ne pas réglementer en 1913
l’archéologie. Son préambule rappelle que : « La loi du 30 mars 1887 sur la conservation
des monuments historiques ne vise pas les fouilles ». Avec ce texte, le choix n’est donc
pas de compléter la loi de 1887, mais de promulguer une loi spécifique. Mais, la levée de
718

boucliers de la communauté scientifique, et particulièrement des puissantes sociétés


savantes, aura raison de ce projet de loi à la portée pourtant très limitée, jugé « des plus
dangereux pour les intérêts de la Science »8, une « atteinte portée (…) à la Propriété
scientifique et à la Liberté de la Pensée »9.
7 Au lendemain de la première guerre mondiale, la Société des Nations confie à la France
en 1920 un mandat sur la Syrie et le Liban, détachés de la Turquie vaincue, avec
notamment nécessité pour le mandataire d’élaborer « une loi sur les antiquités ». La
France produit donc en 1926 l‘Arrêté n° 207 portant règlement sur les antiquités en Syrie et
au Liban. Il traite successivement des « antiquités immobilières », des « antiquités
mobilières », du « classement des antiquités », des « fouilles » et de « la découverte
fortuite ». On soulignera la modernité de la définition qui est donnée du mot
« antiquité » à l’article 1er de cet arrêté : « tous les produits de l'activité humaine
antérieure à l'année 1700 ». Dans la logique de l’ensemble des textes précédents pris
par la France pour les territoires qu’elle contrôle, la fouille est soumise à autorisation.
Mieux que cela, alors que jusqu’ici la compétence du demandeur n’était jamais évoquée
dans les lois traitant d’archéologie, l’Arrêté n° 207 pour la Syrie et le Liban précise que :
« L'autorisation de procéder à des fouilles ne sera accordée qu'à des corps savants, et
seulement en vue de recherches ayant un caractère scientifique ; la personne chargée
de ces travaux devra présenter des garanties suffisantes d'expérience
archéologique » (art. 15). L’Arrêté n° 207 conditionne donc l’autorisation à trois critères :
le rattachement scientifique du demandeur à une institution ; un objectif scientifique ;
une expérience du demandeur. L’article 16 annonce par ailleurs un arrêté qui
déterminera les conditions qui accompagneront l’autorisation et notamment « la
publication des travaux ». Avec ces précisions, l’archéologie est enfin reconnue comme
une science. Ce qu’ignore encore en 1926 le territoire national.
719

Fig. 3. Syrie et Liban, Arrêté n° 207 du 26 mars 1926 portant règlement sur les antiquités en Syrie et au
Liban, Bulletin mensuel des actes administratifs du Haut-Commissariat, 30 avril 1926, p. 136. L’article 1er
retient comme champ chronologique « tous les produits de l’activité humaine antérieure à l’année
1700 ». Il faudra attendre 1994 et la ratification par la France de la Convention de Malte pour que le
territoire national intègre en droit le Moyen Âge et l’Époque moderne dans l’archéologie. Ce même
article 1er fait également preuve d’une remarquable modernité lorsque dans son 4e alinéa il traite des
« sites naturels appropriés ou utilisés par l’industrie humaine ».
720

Fig. 4. Syrie et Liban, Arrêté n° 207 du 26 mars 1926 portant règlement sur les antiquités en Syrie et au
Liban, Bulletin mensuel des actes administratifs du Haut-Commissariat, 30 avril 1926, p. 138. La
formulation de l’article 15 est remarquable : elle conditionne l’autorisation de fouilles au rattachement
scientifique du demandeur à une institution, à un objectif scientifique, ainsi qu’à l’expérience du
demandeur. L’article 16 prévoit explicitement la publication comme une condition. L’article 18 attribue
les vestiges mobiliers et immobiliers découverts lors des fouilles à l’État.

3. La France, occupée, légifère enfin sur l’archéologie


8 Il faudra encore attendre 1941 pour que le territoire national alors occupé se dote d’une
loi sur l’archéologie, la Loi du 27 septembre 1941 portant réglementation des fouilles
archéologiques. Si celle-ci s’affranchit du vocabulaire désormais daté « d’antiquités »,
elle reste très en retrait de l’Arrêté n° 207 de 1926 pris pour la Syrie et le Liban. Son
périmètre exclut les monuments historiques traités par la loi du 31 décembre 1913.
L’article 25 de la nouvelle loi précise d’ailleurs que le chapitre IV. Fouilles et découvertes
de la loi de 1913 est abrogé, consacrant le principe de deux lois désormais totalement
séparées.
721

Fig. 5. France, Loi du 27 septembre 1941 portant réglementation des fouilles archéologiques, JOEF, 15
octobre 1941, p. 4438.

9 Malgré cela, le décret n° 45-1890 du 18 août 1945 portant organisation de la direction


générale de l'architecture au sein du ministère de l'Éducation nationale place le
« Bureau des fouilles et antiquités » dans la « Direction des Monuments Historiques ».
Cette situation ne dure pourtant pas. La création du ministère des affaires culturelles
en 1959 s’accompagne en 1964 du rattachement de l’archéologie à l'administration
centrale du ministère des affaires culturelles sous la forme d’un « Service de la
recherche archéologique et des antiquités »10, devenu en 1966 « Bureau des fouilles et
antiquités », service distinct de la « Direction de l'architecture » qui gère les
monuments historiques.

4. La difficile reconnaissance de l’archéologie


médiévale
10 Si la Loi du 27 septembre 1941 ne dit rien sur le champ chronologique couvert, la Loi n° 90
du 21 janvier 1942 prise pour son application précise à son article 2 : « Le territoire
métropolitain est réparti en deux séries indépendantes de circonscriptions
archéologiques : l'une pour les antiquités préhistoriques, l'autre pour les antiquités
historiques (celtiques, grecques et gallo-romaines) ». Ce que confirmera en 1945, le
Décret n° 45-2098 du 13 septembre 1945 portant règlement d'administration publique pour
l'application de la loi, juste validée, du 27 septembre 1941. Le Moyen Âge, hormis
l’époque mérovingienne, ne relève alors pas de l’archéologie, perpétuant la situation
établie à la création du musée des Antiquités nationales. Le premier règlement du
musée, en 1866, précisait en effet que « le musée de Saint-Germain a pour but de
centraliser tous les documents relatifs à l’histoire des races qui ont occupé le territoire
722

de la Gaule depuis les temps les plus reculés jusqu’au règne de Charlemagne… ».
Observons que la revue Gallia, crée en 1943 pour « assurer une publication rapide des
fouilles et de leurs résultats »11 couvre depuis cette date « la Protohistoire depuis le
premier âge du Fer, l’Antiquité et l’Antiquité tardive jusqu’à la fin des royaumes
mérovingiens ».
11 Dans les faits, l’archéologie médiévale s’impose peu à peu en France dans les années
197012 comme faisant pleinement partie de la discipline : en 1975, Michel de Bouard
publie son Manuel d'archéologie médiévale qui, bien plus qu’un manuel, est un manifeste
pour une démarche scientifique. Pour autant, lorsqu’est publié chez Hachette en 1980,
L’archéologie en 10 leçons, le paragraphe intitulé « Archéologie médiévale » montre que le
chemin est encore long : « Mais n’oublions pas les médiévistes de plein air : ce sont tous
ces archéologues qui dégagent des ruines abandonnées, souvent oubliées, les restaurent
même et arrivent ainsi à leur redonner une véritable valeur touristique et artistique »13.
12 La réglementation, elle, n’évolue pas jusqu’à 1994, date de l'approbation par la France
de la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique, dite
« Convention de Malte »14. Dans son article 1er, le patrimoine archéologique est ainsi
défini : « sont considérés comme éléments du patrimoine archéologique tous les
vestiges, biens et autres traces de l'existence de l'humanité dans le passé, dont (…) la
sauvegarde et l'étude permettent de retracer le développement de l'histoire de
l'humanité et de sa relation avec l'environnement naturel 15 ». Avec ce texte, le champ
du Moyen Âge et de l’Époque moderne est enfin intégré légalement en France à
l’archéologie. Mais, l’archéologie du bâti qui pourtant devient réalité en France dans les
années 1980, ne l’est pas. En effet, l’article 1er de la Convention de Malte, ajoute : « sont
inclus dans le patrimoine archéologique les structures, constructions, ensembles
architecturaux, sites aménagés, témoins mobiliers, monuments d'autre nature, ainsi
que leur contexte, qu'ils soient situés dans le sol ou sous les eaux ». Voilà, un argument
qui sera souvent opposé aux archéologues : selon la loi, l’archéologie s’occupe de ce qui
est « dans le sol ».

5. Quand l’archéologie s’affranchit du sédiment


13 Il faut encore patienter sept ans pour que la Loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie
préventive dans son article 1 er déclare : « L'archéologie préventive (…) a pour objet
d'assurer, à terre et sous les eaux (…) la détection, la conservation ou la sauvegarde par
l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique… ». En passant de la
formule de la Convention de Malte « dans le sol ou sous les eaux » à « à terre et sous les
eaux », la Loi 2001 se met au diapason de la réalité et donne enfin un statut à
l’archéologie du bâti. Dans la foulée de cette loi, plusieurs opérateurs d’archéologie
préventive seront d’ailleurs explicitement agréés par arrêté ministériel pour la
spécialité « archéologie des élévations16 » ou « archéologie du bâti17 ». De même, l’Arrêté
du 2 novembre 2016 définissant les niveaux de complexité des opérations de diagnostic
d'archéologie préventive prévoit explicitement l’existence d’« étude archéologique de bâti
sur édifice en élévation »18.
14 De ce long parcours, il ressort que la France ne fait pas partie des pionnières en matière
de législation du patrimoine. Les deux premières lois « françaises » ne datent que de
1886 (Tunisie) et 1887 (France MH), soit 67 ans après l’Italie, 53 ans après la Grèce. De
plus, la France, choisit résolument, quand elle légifère, d’embrasser la totalité du
723

patrimoine dans ses territoires annexés et de ne légiférer que sur les monuments
historiques quand elle traite du territoire national. Quand enfin, elle légifère en 1941
sur l’archéologie du territoire national, c’est par une loi très en retrait sur celle qu’elle
a promulgué en 1926 pour ses mandats du Liban et de Syrie.
15 Comment pouvons-nous l’interpréter ? Restreindre par la loi au XIXe siècle la propriété
individuelle sur des immeubles, des objets, des terrains, c’était aller à rebours du droit
français qui affirme en 1789 la prééminence de la propriété individuelle dans la
Déclaration du droit de l’homme et du citoyen (art. 2 et 17), avant qu’elle ne soit consacrée
par le Code Napoléon en 1804. On comprend dès lors qu’il est plus facile d’imposer des
contraintes patrimoniales hors du territoire national, sur des populations qui de plus
ne sont pas consultées. Observons d’ailleurs que l’on légiférera sur l’archéologie en
1941 alors qu’il n’y a plus en France de parlement.
16 La gestation longue et difficile de la loi de 1887 est d’ailleurs révélatrice de la crainte du
gouvernement d’essuyer un rejet de la Haute Assemblée. Un premier projet de loi est
élaboré dès février 1877, il sera suivi de plusieurs autres. Un texte est enfin déposé
janvier 1882 à la chambre des députés qui l’adopte en juin 1885. Présenté à la Haute
Assemblée en 1886, il sera très discuté, en ce qu’il restreint « aux communes et aux
départements l’usage de leurs libertés »19. Il est tout de même adopté le 22 mars 1887,
soit plus de dix ans après sa mise en chantier. Cette précision éclaire deux incertitudes.
Ce n’est pas la loi de 1887 qui emprunte à la loi tunisienne de 1886, mais bien l’inverse.
C’est le texte déposé en 1882 à l’Assemblée qui est opportunément employé pour la
Tunisie. Quant à l’absence de l’archéologie dans la loi de 1887, elle est certainement due
à la crainte du gouvernement d’ouvrir un autre front, non plus tant avec les communes
et départements, mais avec cette fois les sociétés savantes. La loi de 1913 « réaffirme
par défaut le principe de liberté de fouiller qu’avait consacré la loi du 30 mars 1887 »20.
17 On légiférera ainsi en France sur l’archéologie en 1941 alors qu’il n’y a plus de
parlement, que les préoccupations des Français sont ailleurs et que les sociétés savantes
décimées par la Première guerre ont perdu de leur pouvoir. Il en résulte deux lois, l’une
sur les monuments historiques, l’autre sur l’archéologie, réunies depuis 2004 dans un
même code, à défaut d’être vraiment coordonnées.
18 Pour reprendre la définition de Laplanche et Pontalis dans leur Vocabulaire de la
psychanalyse, l’ambivalence, ici, serait la présence simultanée dans la relation de la
France au patrimoine d’attitudes opposées durant la fin du XIXe siècle et la première
moitié du XXe siècle : d’un côté la crainte de la réaction du peuple français et de l’autre
le mépris de la réaction des peuples qu’elle domine.

NOTES
1. « Le patrimoine s'entend, au sens du présent code, de l'ensemble des biens,
immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent
724

un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique ».


Code du patrimoine, article 1.
2. L’Editto del cardinal Pacca (Editto sopra le antichità e gli scavi = Édit sur les antiquités
[romaines] et les fouilles) ou Lex Pacca a été promulgué par le cardinal Bartolomeo
Pacca, camerlingue du Saint-Siège, et approuvé par le pape Pie VII le 7 avril 1820
(https://archive.org/details/edittodellemoerm00papa).
3. Rédigée par un juriste allemand, Ludwig von Maurer, la loi grecque connue sous le
nom de Loi archéologique du 10/22 mai 1834, Sur les collections des sciences et des arts, la
découverte et la conservation des antiquités et leur usage, suit le modèle législatif
germanique.
4. Le 15 août 1835, le vice-roi ottoman d’Égypte signe une ordonnance réglant la
question des antiquités égyptiennes : Méhémet Ali, « Ordonnance du pacha d’Égypte,
concernant la conservation des monuments anciens et la formation d’un musée
d’antiquités », traduction en français d’Albert Félix Ignace Kazimirski, Nouveau Journal
Asiatique, 16, juil.-déc. 1835, p. 478-479.
5. Règlement [ottoman] sur les objets antiques, mars 1869 (https://
transllegisl.hypotheses.org/uebersicht/osmanisches-reich-13-02-1869).
6. L’Instruction aux préfets du 13 mars 1838 concernant les fouilles et antiquités, signée du
ministre de l’intérieur Montalivet, n’ayant pas force de loi, est hélas restée sans effet.
7. Loi pour la conservation des monuments français (1887), Chapitre III, Fouilles, art. 14 et
15.
8. SPF (1910 : 612).
9. SPF (1910 : 634).
10. Décret n° 64-94 du 29 janvier 1964.
11. Gallia, 1-1, 1943. p. 1.
12. DE BOUARD M., Manuel d'archéologie médiévale de la fouille à l'histoire , Paris, S.E.D.E.S.,
1975 (Regards sur l'Histoire).
13. HOFMANN B., L’archéologie en 10 leçons, histoire, recherches, fouilles, Paris, Hachette, 1980,
p.16.
14. Loi n° 94-926 du 26 octobre 1994 autorisant l'approbation de la convention européenne pour
la protection du patrimoine archéologique (révisée).
15. Décret n° 95-1039 du 18 septembre 1995 portant publication de la Convention européenne
pour la protection du patrimoine archéologique (révisée), signée à Malte le 16 janvier 1992.
16. Arrêté du 2 août 2005 portant agrément en qualité d'opérateur d'archéologie préventive de la
société CCS Patrimoine.
17. Arrêté du 1er décembre 2008 portant agrément en qualité d'opérateur d'archéologie
préventive de l'association Atemporelle .
18. Arrêté du 2 novembre 2016 portant fixation de la période de référence, de la valeur par mètre
carré et des critères de majoration en fonction du niveau de complexité des opérations de
diagnostic d'archéologie préventive.
19. AUDUC A., « L’héritage du XIXe siècle dans la conservation des monuments
historiques ? » in BADY J.-P., CORNU M., FROMAGEAU J., LENIAUD J.-M., NÉGRI V., 1913 : genèse d’une
loi sur les monuments historiques, Paris, La documentation française, 2013, p. 38-44.
20. DENOLLE A., « L’archéologie dans la loi du 31 décembre 1913 », ibid., p. 210.
725

RÉSUMÉS
Au XIXe siècle et au XX e siècle, lorsque la France légifère sur l’archéologie et les monuments
historiques, elle adopte un parti différent selon qu’elle traite de ses protectorats (Tunisie, Maroc)
et de ses mandats (Liban, Syrie) ou selon qu’elle traite du territoire national.
La place réservée à l’archéologie dans le dahir marocain relatif à la conservation des Monuments
Historiques, des Inscriptions et des objets d'art et d'antiquité de l'Empire Chérifien promulgué le
13 février 1914, soit moins de deux mois après la Loi française du 31 décembre 1913 sur les
monuments historiques atteste que l’attention portée par la France au patrimoine ne sera
désormais pas la même sur le territoire français et sur les territoires qu’elle contrôle. La fracture
entre un patrimoine codifié comme un tout cohérent hors de France et un patrimoine réduit aux
seuls monuments historiques en France semble alors consacrée. La Loi du 27 du septembre 1941
portant réglementation des fouilles archéologiques ne fera que confirmer qu’il s’agit de domaines
différents régis par des lois spécifiques et bientôt gérés par deux services du ministère de la
culture qui pendant longtemps s’ignoreront. On comprend dès lors la difficulté qu’il y eut à faire
émerger en France une archéologie du bâti et les désaccords qui demeurent encore aujourd’hui
au sein du ministère de la culture pour arrêter une position sur la prescription, l’exécution, le
contrôle et le financement de l’archéologie dans les monuments historiques.

When legislating on archaeology and listed buildings in the 19th and 20th centuries, France
adopted different positions depending on what was concerned : its protectorates (Tunisia,
Morocco), its mandates (Lebanon, Syria) or the national territory.
Less than two months after the French Law of December 31, 1913 on cultural built Heritage, the
place given to archaeology in the Moroccan dahir promulgated on February 13, 1914 and relating
to the conservation of built Heritage, inscriptions, works of art and antiquities of the Cherifian
Empire, attests that the attention paid by France to Heritage would henceforth not be the same
on French national territory and on the territories that France did control. Then, a clear divide
seems to be acted between Heritage codified as a coherent whole outside France and Heritage
reduced to only historical monuments within France. The Law of September 27, 1941 regulating
archaeological excavations merely confirms these different Heritage areas governed by specific
laws and soon managed by two departments of the Ministry of Culture that would ignore each
other for a long time. We can therefore understand the difficulty that there was in bringing out
building archaeology in France and the still persistent disagreements within the Ministry of
Culture regarding the definition of a position on the appraisal, implementation, supervision and
funding of archaeology in listed buildings.

INDEX
Mots-clés : droit comparé, législation archéologique, législation sur les monuments historiques,
protectorats et mandats français, notion de patrimoine, histoire de l’archéologie
Keywords : comparative law, archaeological legislation, listed-buildings legislation, French
protectorates and mandate, heritage concept, history of archaeology
726

AUTEUR
JEAN-OLIVIER GUILHOT

Conservateur général du patrimoine Ministère de la Culture


jean-olivier.guilhot@culture.gouv.fr
727

Archéologie préventive sur du bâti


protégé
Preventive archaeology on listed buildings

Victorine Mataouchek

1 Les travaux de restauration, aussi essentiels qu’ils puissent être, entrainent une
modification substantielle des lieux, de leur aspect. Que les travaux concernent la
couverture, la charpente, les élévations, le sol ou le sous-sol, ils vont perturber la
fragile solution de continuité qui s’est tissée au fil des siècles et qui nous permet de
restituer les différentes étapes de vie d’une construction et de ses habitants.
L’acceptation de cette réalité suscite encore des débats avec les architectes ou les
Conservations régionales des monuments historiques (CRMH). C’est pourtant un constat
établi par de nombreux chercheurs. À titre, malheureux, d’exemple, nous pourrions
citer en détail celui du prieuré d’Yron à Cloyes-sur-le-Loir (Eure-et-Loir). Retenons que
les sols intérieurs y ont été décaissés sur une moyenne d’un mètre sans autorisation, ce
qui a détruit toute la stratification d’un édifice antérieur attribué au XIe siècle ; les
joints entre les pierres de taille formant les encadrements des baies du XIIe siècle ont
été retaillés à la disqueuse. Là, encore, les parements intérieurs ont été intégralement
piochés et recouverts d’un gobetis au mortier gris ne permettant plus de lire les
élévations des XIIe et XIIIe siècles.
2 Certes, cet exemple est radical et il existe heureusement de nombreux cas où la
collaboration entre architecte et archéologue est d’une rare intelligence. Il n’en
demeure pas moins que les travaux de restauration ont un impact. Examinons par
exemple celui d’un rejointoiement où tous les joints d’un parement sont affouillés pour
recevoir une nouvelle couche de mortier. Ce faisant, on ne pourra plus lire la différence
des mortiers entre deux phases de construction ; on aura perdu les phases successives
de rejointoiements antérieurs qui nous aident pourtant à établir la chronologie des
remaniements ou des phases d’entretien. Il en ira de même pour une réfection des
enduits, un remaillage de parement, un remplacement de pierre d’encadrement, etc.
3 Comme le soulignaient, dès 2003, les chercheurs du PCRI conduit par Brigitte Boissavit-
Camus, sous l’égide du ministère de la Culture, « si les édifices sont restaurables, leur
728

matière n’est pas pour autant renouvelable et des interventions inadéquates peuvent
en détruire à jamais la substance »1.
4 Il y a donc nécessité à collecter ces informations avant qu’elles ne disparaissent. Et c’est
pour répondre à cette injonction que s’est développée la méthode de l’archéologie sur
le bâti. Précisons d’ailleurs que nous privilégions cette désignation à celle dite de
l’archéologie du bâti car il nous paraît important de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une
discipline à part entière, distincte de celle que nous pourrions réaliser dans le sous-sol,
mais bien d’une des facettes d’une seule et unique méthode d’analyse stratigraphique,
notre stratification étant ici construite2. Cette dernière est celle du chantier de
construction initial, augmentée de toutes les couches liées aux modifications,
remaniements ou restaurations du bâtiment.
5 Les résultats de l’application de cette méthode sur différents types de construction ont
démontré depuis ces vingt dernières années que l’archéologue participait pleinement à
la connaissance de ces architectures par l’acquisition de données brutes, fondamentales
et uniques.
6 Le cadre d’exercice qui nous intéresse ici est celui de l’archéologie préventive.
7 En effet, le caractère irréversible des pertes d’information entraînées par les travaux
fait rentrer de droit ces projets dans le mécanisme de l’archéologie préventive qui vise
à garantir : « […] la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique
des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par
les travaux publics ou privés […] » 3. Si dans plusieurs régions, on constate
heureusement une réelle prise en compte du bâti civil, le cadre d’exercice courant de
l’archéologie sur le bâti est celui des édifices protégés au titre des Monuments
Historiques, inscrits ou classés. Il s’agit donc le plus souvent d’édifices monumentaux,
religieux ou élitaires, aux problématiques scientifiques affichées d’emblée et ayant à
l’occasion déjà fait l’objet de diverses publications.
8 Les opérations d’archéologie sur le bâti menées dans ce cadre sont soumises à des
procédures de mise en place plus complexes que d’habitude et sous le contrôle de
plusieurs services patrimoniaux. Si certains dossiers ont pu être abordés dès les
réunions de programmation avec les CRMH, c’est généralement au stade de l’instruction
des demandes d’autorisation de travaux (MHC) ou des permis de construire (MHI)4 que
les Services régionaux de l’archéologie (SRA) interviennent, suivant les procédures
réglementaires définies par le code du patrimoine5. Ils fondent la nécessité d’intervenir
sur l’analyse de l’avant-projet détaillé qui a été soumis, au regard de l’atteinte au
monument, de l’état des connaissances et des problématiques scientifiques afférentes.
Deux types de prescriptions peuvent être émises, diagnostic ou fouille. Cela donne lieu
à la rédaction d’un cahier des charges scientifiques cadrant les objectifs et les
méthodologies qui guideront l’intervention.

1. Qu’est-ce qu’un diagnostic sur du bâti ?


9 La question peut en effet se poser puisqu’on attend habituellement de cette étape
d’évaluation l’identification de la présence/absence d’un site. Or, dans le cas d’un
édifice protégé au titre des Monuments Historiques, le site est manifestement là, sous
nos yeux. Cette étape reste cependant nécessaire car elle permet de caractériser le
potentiel stratigraphique et d’identifier les problématiques scientifiques propres au
729

site. Il peut s’agir d’une opération légère organisée autour des questions suivantes :
l’édifice est-il homogène ou le fruit de nombreuses phases de construction, quel est
l’état des vestiges et dans quelle mesure sont-ils accessibles ? Pour répondre à ces
questions, un examen visuel assorti de quelques sondages pratiqués par piquetage des
parements, peuvent être suffisants et permettre de conduire correctement et
rapidement cette phase de diagnostic. Il faut noter que la définition complète des
problématiques devrait nécessiter la réalisation systématique d’un premier
dépouillement des sources documentaires. Comme on l’a vu, de nombreux sites ont déjà
fait l’objet de publications et il est intéressant d’en proposer une relecture critique.
C’est sur la base de ce diagnostic global que pourra être apprécié l’impact des travaux
de restauration.
10 À titre d’exemple, on citera deux dossiers, celui de Méobecq (2011) et celui de Cloyes-
sur-le-Loir (2009). Le diagnostic archéologique réalisé dans la basse-cour de l’abbaye de
Méobecq (Indre), a été prescrit dans le cadre de l’instruction d’un permis de démolir6.
Ce dernier concernait un bâtiment attribué au XIXe siècle adossé à des constructions
modernes dépendant de l’abbaye (Fig. 1). Les quelques sondages par piquetages des
parois ont montré toutefois la présence d’une stratification inattendue, s’illustrant
notamment par une maçonnerie paraissant antérieure au bâtiment (Fig. 2). Ce
diagnostic a donné lieu à une prescription de fouilles, réalisées immédiatement en
amont du chantier de démolition et portant principalement sur la façade.

Fig. 1. Vue d’ensemble de la façade de la maison vouée à être démolie dans la basse-cour de l’abbaye
de Méobecq (cl. Inrap).
730

Fig. 2. Sondage de diagnostic réalisé sur la façade de la maison de Méobecq (cl. Inrap).

11 L’exemple du diagnostic conduit sur le prieuré d’Yron de Cloyes-sur-le-Loir (Eure-et-


Loir), dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation de travaux de
restauration, montre qu’il est possible de s’en tenir à une appréciation visuelle, sans
piquetage7. En effet, les élévations du prieuré se caractérisaient notamment par une
grande diversité de style des baies (XIIe, XIIIe, XVIe siècles) et par des superpositions
d’enduits différents (Fig. 3 et 4). Ces critères témoignaient à eux seuls de la présence
d’une stratification complexe qui a justifié la prescription d’une fouille archéologique
des parois extérieures.
731

Fig. 3. Juxtaposition de baies de styles différents sur la façade du prieuré d’Yron à Cloyes-sur-le-Loir
(cl. Inrap).

Fig. 4. Superposition de différents enduits sur la façade du prieuré d’Yron à Cloyes-sur-le-Loir (cl.
Inrap).

12 Il existe des diagnostics qui ne déboucheront sur aucune prescription de fouilles, car
l’édifice concerné sera jugé homogène ou aux problématiques réduites. On attend alors
du diagnostic une révision de l’état des connaissances voire une remise en contexte des
732

problématiques scientifiques. Dans certains cas, ces opérations peuvent s’apparenter à


un suivi complet des travaux, car elles se déroulent sur un temps long. Mais, il ne s’agit
souvent que de très courtes phases de terrain discontinues, réalisées suivant
l’avancement des travaux et au cours desquelles il faudra que l’archéologue ait défini
les zones sur lesquelles il fait le choix de venir picorer les informations, au fur et à
mesure de leur accessibilité.
13 C’est le cas du diagnostic conduit sur le château de Villentrois (Indre), en
accompagnement du chantier de restauration8. Les observations archéologiques
menées ponctuellement ont montré que le château était bien moins homogène que
prétendu et qu’un grand nombre d’états différents pouvaient encore être perçus (Fig.
5). De même, nous avons mis au jour un très fort potentiel de graffiti médiévaux et
modernes, dont certains éléments rares comme des partitions de musique (Fig. 6 et 7).

Fig. 5. Proposition de pré-phasage des différents états du château de Villentrois (del. V. Mataouchek,
Inrap).
733

Fig. 6. Exemple de graffiti perçus sur les élévations intérieures du château de Villentrois (cl. Inrap).

Fig. 7. Graffiti représentant une partition de musique attribuable au XVe ou début XVe siècle et perçu
sur les élévations intérieures du château de Villentrois (cl. Inrap).
734

2. Qu’est-ce qu’une opération de fouilles sur du bâti ?


14 L’objectif courant de fouilles archéologiques préventives est de recueillir les données
d’un site avant qu’elles ne disparaissent. Dans le cadre d’une fouille sur du bâti, cette
dernière doit donc être menée immédiatement en amont et en accompagnement des
travaux de restauration. Cette situation de coactivité avec les maçons, pour lesquels on
libère progressivement les pans de murs étudiés, est d’ailleurs une des spécificités de ce
type d’intervention. L’autre spécificité, évidente, est que le site ne sera pas entièrement
fouillé : en règle générale seul son épiderme sera concerné, puisqu’il n’est pas question
ici de détruire notre objet d’étude.
15 La réalisation de ces opérations implique un certain nombre de prérequis. En premier
lieu, il est indispensable d’avoir accès à toutes les parties du site concernées par les
travaux. Et quand on dit accès, on pense ici notamment aux échafaudages qui
permettent de scruter les parois sur toute leur hauteur. On y réalise la fouille par
piquetages des parements (enduits puis joints). Même si les appareillages paraissent
bien lisibles, on ne peut faire l’économie d’une fouille car il faut raviver les mortiers
dans les joints pour y lire correctement la stratification, c’est-à-dire les limites
stratigraphiques entre les différentes couches de maçonnerie, qu’il s’agisse de
« journées de travail » ou de reprises postérieures. Les relevés stratigraphiques
renseignent ces limites et quelques éléments architectoniques, comme les
encadrements de baies ou les chaînes d’angles, de manière à donner un cadre explicite
à nos observations. Ces relevés peuvent être complétés si besoin par un pierre à pierre
ponctuel qui illustrera la qualité de l’appareillage.
16 Cette chaîne opératoire est la condition sine qua non pour pouvoir parler d’archéologie
sur du bâti. Si l’on ne veut pas rester dans la simple expertise architecturale, il faut
pouvoir fouiller, enregistrer et relever la stratification mise au jour. On le comprend
bien, pris isolément, le relevé notamment photogrammétrique ne peut donc incarner
une démarche scientifique valide, au titre de l’archéologie.
17 Pour reprendre l’exemple de l’opération de fouilles réalisée sur les élévations
extérieures du prieuré d’Yron de Cloyes-sur-le-Loir, l’analyse stratigraphique a ainsi
révélé la présence de 85 phases de travaux regroupées au sein de six périodes
d’occupation différentes aux ampleurs insoupçonnées9 (Fig. 8).

Fig. 8. Périodisation de la façade avant du prieuré d’Yron à Cloyes-sur-le-Loir (del. V. Mataouchek, C.


Lallet, A. Prévot, Inrap).
735

3. Le dialogue avec la maîtrise d’œuvre


18 On vient de le voir, l’opération de fouilles archéologiques se déroule en même temps
que le chantier de restauration : l’archéologue n’est donc pas seul à bord et doit caler
ses interventions dans un échéancier complexe regroupant plusieurs corps d’état. Bien
que souvent chronophages, les réunions de chantier permettent de resserrer les liens
entre les différents partenaires présents : architecte, maître d’ouvrage, CRMH et SRA. Ces
réunions nous donnent l’occasion de dresser des bilans d’étapes réguliers et
contribuent à maintenir une collaboration étroite avec l’architecte. Il est en effet des
cas où la nature des découvertes pourra conduire à des aménagements du projet ou des
modifications plus substantielles du parti de restauration.
19 À ce titre, l’opération réalisée sur la tour-maîtresse du château Saint-Jean de Nogent-le-
Rotrou (Eure-et-Loir) fournit un bon exemple de collaboration. Sur la face nord
intérieure, un piédroit surmonté d'un arc était visible en limite d'une maçonnerie
postérieure vouée à être démolie (Fig. 9). Les fouilles complémentaires et le suivi
complet de cette démolition par les archéologues, constamment présents sur le terrain,
ont permis de dégager les vestiges d’une baie desservant un palier ouvrant notamment
sur un départ de couloir intra-muros inédit 10. Sans la très bonne collaboration avec
l’architecte et son autorisation de poursuivre les démontages de maçonneries, il aurait
été impossible de comprendre et de restituer cet élément complexe. Alors que cette
partie de l'édifice devait être masquée de nouveau par la construction d'un ascenseur,
l'architecte a choisi de modifier son projet, de restaurer ces aménagements en fonction
de nos hypothèses et les laisser visibles (Fig. 10).

Fig. 9. Vue du départ d’arc masqué par une construction postérieure, sur les élévations intérieures de la
tour-maîtresse du château de Nogent-le-Rotrou (cl. Inrap).
736

Fig. 10. Reconstitution suivant les découvertes archéologiques du palier ouvrant sur le couloir intra-
muros, dans la tour-maîtresse du château de Nogent-le-Rotrou (cl. Inrap).

4. Pour une archéologie globale


20 Être associé aux travaux de restauration sur un monument protégé ne peut se résumer
à n’étudier que les élévations. L’analyse archéologique doit être entendue comme un
tout, une approche globale permettant de comprendre l’édifice, dans toutes ses
dimensions et de le replacer dans son contexte. Sous-sol et sur-sol délivrent à parts
égales des informations uniques sur l’histoire du site, il serait dangereux et
scientifiquement incohérent de les dissocier.
21 L’opération que nous menons actuellement sur le théâtre antique de Drevant (Cher) est
de ce point de vue exemplaire. Les travaux de restauration et stabilisation des ruines de
l’édifice de spectacle s’accompagnent en effet de nombreux travaux connexes qui
rentrent pleinement dans nos missions, au titre de l’archéologie préventive. Cette
archéologie globale comporte ainsi le suivi de la démolition de bâtiments construits sur
l’emprise du site, le suivi des drains, la fouille en amont du reprofilage du terrain pour
mettre en valeur la pente de la cavea, l’expertise du lapidaire avant sélection pour
présentation muséographique, la documentation complète de l’état du théâtre avant
travaux par un levé photogrammétrique total et la fouille des maçonneries pour mettre
en lumière la chronologie complexe de l’édifice (Fig. 11). Cette opération est exemplaire
à double titre, puisqu’il s’agit d’un édifice appartenant à l’État et que la maîtrise
d’ouvrage est ici assurée par la CRMH. Cette dernière est garante de l’insertion du
dispositif d’archéologie préventive dans le déroulement du chantier et devient garante
de la préservation du potentiel mémoriel de l’édifice, tandis que le SRA assure un
737

contrôle scientifique et technique en ordonnant un cadre et une méthode adaptée à la


perception de ce potentiel mémoriel.

Fig. 11. Exemple d’analyse stratigraphique sur les maçonneries du théâtre antique de Drevant (DAO V.
Mataouchek, Inrap).

22 En guise de conclusion, quitte à choquer, on pourrait dire que restaurer et fouiller c’est
détruire. Dans un cas comme dans l’autre, c’est la réalité. Même si nous nous situons
dans une problématique générale de conservation, il y a perte d’une matière, on l’a vu,
non renouvelable. Mais les motivations diffèrent : la restauration préserve l’aspect, la
fouille archéologique préserve la mémoire.
23 Le Code du patrimoine réglemente l’ensemble des actions en faveur de la préservation
des sites protégés et de la captation de leur potentiel archéologique. Une
réglementation claire et pourtant. On constate de nombreuses dérives dans les
prescriptions de diagnostic où il est attendu des archéologues qu’ils comprennent tout
pour faire l’économie d’une fouille. Des problèmes d’interprétation des textes légaux
demeurent aussi, suivant les régions, et interfèrent notamment dans les rapports entre
les services patrimoniaux des DRAC ou avec quelques architectes du patrimoine. Le
paroxysme semble atteint lorsque certaines CRMH commandent seules des études
archéologiques sans en référer au SRA, en dehors du processus d’agrément et sans
contrôle scientifique en aval, ce qui contribue à une dispersion grave des données et du
savoir. Une situation d’autant plus difficile à comprendre qu’il existe la circulaire
2009-24 qui donne un cadre clair aux actions collégiales en matière d’interventions
scientifiques sur le patrimoine11.
24 Ces querelles brident ainsi le développement d’une méthode qui a néanmoins apporté
toutes les preuves de son efficacité. Elles induisent de plus un biais dangereux pour
l’ensemble du dispositif d’archéologie préventive. Les enjeux scientifiques sont
cependant prégnants et devraient permettre de passer outre ces clivages de périmètres
d’action.
738

25 Il est quand même troublant de constater que depuis le colloque de Saint-Romain-en-


Gal en 2001, il aura toujours fallu remettre le scientifique au cœur du débat, militer
pour le bien-fondé de nos études, la pertinence de l’analyse stratigraphique et de leur
cadre d’intervention.

NOTES
1. BOISSAVIT-CAMUS B., BARRAUD D., BONNET C., FABIOUX M., GUYON J., HÉBER-SUFFRIN F., PRIGENT
D., PULGA S., REYNAUD J.-F., SAPIN C., VERGAIN P., « Archéologie et restauration des
monuments. Instaurer de véritables “études archéologiques préalables” », Bulletin
Monumental, 161-3, 2003, p. 195‑222.
2. MATAOUCHEK V., MIGNOT P., « Archéologie du bâti ou archéologie sur du bâti ? »,
Archéopages, 24, 2009, p. 67‑73 ; MATAOUCHEK V., « Archéologie sur le bâti ou lire l’histoire
sur les murs, in DEMOULE J.-P., GARCIA D., SCHNAPP A. dir., Une histoire des civilisations :
comment l’archéologie bouleverse nos connaissances, Paris, La Découverte-Inrap, 2018,
p. 564‑568.
3. Article L521-1 - code du patrimoine livre V, titre II.
4. MHC : édifice bénéficiant d’un classement au titre des Monuments historiques. MHI :
édifice inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques.
5. Articles R523-4 et R523-10 du code du patrimoine (livre V, titre II).
6. MATAOUCHEK V., Indre, Méobecq - la basse-cour occidentale de l’abbaye de Méobecq :
campagne 2012-2014 et état des connaissances : rapport de fouilles, Inrap Centre-Ile-de-
France, Pantin, 2015.
7. EAD., Cloyes-sur-le-Loir (Eure-et-Loir) : rapport intermédiaire de diagnostic, tranche 1 :
diagnostic du bâti, Inrap Centre-Ile-de-France, Pantin, 2009.
8. EAD., Centre - Val de Loire, Indre, Villentrois, 29 rue du Château : rapport de diagnostic
archéologique, Inrap Centre-Ile-de-France, Pantin, 2019.
9. EAD., Eure-et-Loir, Cloyes-sur-le-Loir, Prieuré d'Yron, Les élévations extérieures du prieuré
d'Yron : rapport de fouilles, Inrap Centre-Ile-de-France, Pantin, 2012.
10. EAD., MIGNOT P., « Archéologie du bâti ou archéologie sur du bâti ? », Archéopages, 24,
2009, p 72.
11. MATAOUCHEK V., « Archéologie préventive sur le bâti et Monuments historiques : une
collaboration qui devrait être exemplaire », Les Nouvelles de l’Archéologie, 157-158, 2019,
p. 132-135.
739

RÉSUMÉS
L’objet de cet article est de montrer que les travaux de restauration engagés sur les monuments
historiques, pour en garantir la pérennité, peuvent aussi se traduire par des pertes
d’informations quant à leur histoire. L’application de la méthode archéologique d’analyse
stratigraphique permet de recueillir ces vestiges ténus et de participer à une meilleure
connaissance de ces monuments. Dans ce contexte de travaux, c’est le dispositif d’archéologie
préventive qui devrait se mettre en place. Mais le recours à ce type de prescription se heurte
encore à de nombreux présupposés. Il s’agira donc ici de montrer que l’archéologie préventive
peut être conciliable avec les impératifs des Monuments Historiques qui ont en charge la gestion
de monuments et la préservation de leur potentiel mémoriel.
Au gré de différents exemples, nous aborderons plusieurs modes d’intervention (diagnostic ou
fouille) dictés par l’importance des travaux de restauration ou leur incidence vis-à-vis des
problématiques scientifiques propres à chaque monument. Par ce parcours, nous verrons
comment l’archéologie pratiquée sur les monuments peut répondre à une double injonction :
celle de recueillir les informations avant leur altération et d’apporter un concours au parti de
restauration, dans le respect du code du patrimoine.

This paper aims to show that the restoration work undertaken on heritage monuments to
guarantee their durability, can also result in information loss about their history. Using the
archaeological method of stratigraphic analysis makes it possible to collect these tenuous
remains and to participate in a better knowledge of these monuments. In this restoration work
context, the rescue archaeology system should be put in place. However, this type of prescription
still meets many assumptions. It will therefore be a question here of showing that preventive
archaeology can be reconciled with the imperatives of built Heritage services in charge of the
monuments management and the preservation of their memorial potential.
Using different examples, we will discuss several intervention types (diagnosis or excavation)
dictated by the importance of the restoration work or its impact on the scientific issues specific
to each monument. Following this path, we will see how archaeology implemented in
monuments can meet a two-fold injunction : collecting data before their alteration and providing
assistance to the restoration actors, in compliance with the heritage legislation.

INDEX
Mots-clés : archéologie sur le bâti, archéologie préventive, SRA, CRMH, diagnostic, fouille,
restauration
Keywords : archeology on buildings, preventive archeology, SRA, CRMH, diagnosis, excavation,
restoration

AUTEUR
VICTORINE MATAOUCHEK

Archéologue spécialiste du bâti, Inrap CIF / UMR 7324 CITERES LAT.


victorine.mataouchek@inrap.fr
740

L’archéologie au service du projet


de restauration, un outil de
connaissance comme un autre ?
Archaeology at the service of the restoration project, a knowledge tool
like any other ?

Cécile Ullmann

1 Un monument historique est un immeuble ou un objet mobilier recevant un statut


juridique particulier destiné à le protéger du fait de son intérêt historique, artistique,
architectural, technique ou scientifique. Le statut de monument historique est une
reconnaissance par la Nation de la valeur patrimoniale d'un bien. Cette protection
implique une responsabilité partagée entre les propriétaires et la collectivité nationale
au regard de sa conservation et de sa transmission.
2 Au sein des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), les missions d’une
conservation régionale des monuments historiques (CRMH) consistent à protéger les
immeubles et objets mobiliers répondant aux critères énoncés ci-dessus puis à garantir
leur transmission aux générations à venir par des actions de conservation, de
restauration et de mise en valeur. À ce titre, les CRMH instruisent les autorisations de
travaux sur les monuments historiques afin de vérifier que les interventions envisagées
ne portent pas atteinte à la valeur patrimoniale qui a justifié la protection du bien, et
assurent des missions de contrôle scientifique et technique pendant toute la durée des
interventions, de l’étude de diagnostic au déroulement du chantier.
3 Un dialogue à trois voix se noue alors, entre le maître d’ouvrage, qui définit le
programme d’intervention, l’architecte, maître d’œuvre désigné par le maître
d’ouvrage, et l’État, qui autorise et contrôle. Dans ce dialogue, l’archéologie du bâti
s’impose-t-elle ? Non, parce qu’elle pose des questions d’ordre réglementaire et
budgétaire, qui font appel à l’intelligence des personnes pour lever certaines barrières
administratives ou pallier l’absence de cadre réglementaire. Non, car, au préalable
même de sa mise en œuvre administrative, elle pose la question de son caractère
indispensable, facultatif, nécessaire ou non à la définition du projet.
741

4 Trois cas d’école vont permettre d’illustrer ce propos. Pour le simplifier, il s’agit
d’exemples où le propriétaire est l’État et où la CRMH assure la maîtrise d’ouvrage,
ayant donc la pleine maîtrise de la définition des objectifs de l’intervention. Dans le cas
d’une propriété privée ou d’une collectivité territoriale, le dialogue réunit davantage
d’acteurs mais le processus est similaire.

1. 1er cas d’école : l’archéologie du bâti n’est pas, selon


la DRAC, indispensable à la définition du projet de
restauration : le transept de la cathédrale de Sens
5 Au début des années 2000, après la fin de la restauration de l’ensemble des couvertures
de la cathédrale, l’attention de la DRAC se porte sur les vitraux du transept,
endommagés par la tempête de 1999, qui a conduit à de nombreuses déposes
préventives (Fig. 1). L’inspection faite à la nacelle avec l’assistance du Laboratoire de
recherche des monuments historiques (LRMH) permet de constater, côté sud, une
importante désorganisation des remplages et, côté nord, une altération des verres, qui
présentent des phénomènes de soulèvements, noircissement des pigments, cratères,
opacification, feuilletage (Fig. 2). La datation et l’iconographie de ces vitraux sont bien
connues. Réalisés par des verriers troyens vers 1500-1502, ils présentent sur la rose sud
la vie et le martyr de saint Étienne, le Jugement dernier et, sur la rose nord, un concert
céleste d’anges musiciens.

Fig. 1. Détail de la façade nord du transept de la cathédrale de Sens (cl. C. Ullmann).


742

Fig. 2. Détail des vitraux du bras nord du transept de la cathédrale de Sens (cl. C. Ullmann).

6 Le cahier des charges de l’étude de diagnostic est élaboré par la CRMH avec l’assistance
du LRMH pour les vitraux. Il est demandé à l’architecte en chef des monuments
historiques chargé de l’étude architecturale, Olivier Naviglio, de s’associer les
compétences d’un bureau d’études structure pour étudier les déformations des
maçonneries et comprendre leur origine, d’un restaurateur de vitraux pour l’inventaire
et la critique d’authenticité des vitraux et d’un laboratoire d’analyse des matériaux
pour déterminer l’origine des pathologies des verres et établir le protocole de
restauration. L’architecte propose en plus, pour réaliser sa mission, une couverture 3D
complète, car on ne dispose pas de relevés du transept. À lui de proposer le type de
relevé qui sera le plus utile à la réalisation de sa mission, à la CRMH de s’assurer de la
propriété des données et de leur conservation sur le long terme.
7 Afin de comprendre les pathologies d’un édifice, définir un parti de restauration, une
pluralité de disciplines scientifiques s’offre au maître d’ouvrage. À ce stade, le recours à
l’archéologie du bâti n’a pas été jugé nécessaire car le projet ne prévoit pas de
changement d’état historique des bras du transept. Le projet consiste à conserver le
dernier état connu, a priori homogène, celui laissé par Martin Chambiges vers
1490-1500. Si le recours à l’archéologie du bâti apparaît nécessaire une fois le
programme de travaux défini, il sera toujours possible d’insérer cette phase en amont
du chantier ou en phase chantier pour profiter des échafaudages.
8 Dans le cas où la CRMH n’est pas maître d’ouvrage, la définition du projet passe par les
mêmes étapes. Dès que le service est informé par un propriétaire de son intention de
conduire des travaux sur un monument et alors même que le projet n’est pas défini, elle
apporte son assistance scientifique et technique à la définition des besoins au moyen
d’un cahier des charges scientifique et technique des études. Ce cahier des charges
comporte systématiquement un volet porté à connaissance des sources documentaires
743

et archivistiques, une définition du périmètre de l’intervention, la liste des études à


réaliser a minima et le rappel réglementaire de la compétence de la maîtrise d’œuvre et
des compétences qu’elle devra s’adjoindre pour réaliser son étude.

2. 2e cas d’école : l’archéologie du bâti est, selon la


DRAC, indispensable à la définition du projet de
restauration : la rotonde de Saint-Bénigne à la
cathédrale de Dijon
9 Au début des années 2000, après l’achèvement de la restauration intérieure de la
cathédrale, intervenir sur la rotonde s’impose. Les raisons sont d’ordre sanitaire
(infiltration d’eau, remontées salines sur les chapiteaux et les vestiges d’enduits) mais
aussi de compréhension du monument. Édifice insigne de l’an mil, classé dès 1846, il est
dans un état de présentation désolant, tant à l’intérieur que côté cours de l’École
nationale supérieure d’art. Les vestiges du grand projet de Guillaume de Volpiano sont
devenus illisibles, le visiteur croit voir une crypte du XIXe siècle à l’abandon.
10 Le recours à l’archéologie du bâti est apparu indispensable dès le stade de la définition
du projet car, à la différence du transept de Sens, la CRMH envisage un changement
d’état et ceci pour plusieurs raisons : dérestaurer en partie le XIXe siècle parce qu’il
génère des désordres, notamment au niveau des reprises d’étanchéïté et des cours
anglaises ; minimiser la perception des interventions du XIXe siècle pour aider à lire les
vestiges de l’an mil, inverser le regard ; ménager une accessibilité pour les personnes à
mobilité réduite (PMR).
11 Pour répondre à ces objectifs, un cahier des charges est rédigé conjointement par la
CRMH et le service régional de l’archéologie (SRA) et adressé à l’architecte en chef en
charge du projet de restauration, Eric Pallot. Il lui est demandé de s’adjoindre les
compétences d’archéologues du bâti pour préciser trois points : la critique
d’authenticité des maçonneries et des enduits ; la reconnaissance des dispositions
d’origine du tombeau de saint Bénigne (Fig. 3) ; la reconnaissance du départ de
l’escalier en vis côté sud, dans une hypothèse de réutilisation pour la création d’une
liaison PMR (Fig. 4).
744

Fig. 3. Étude de diagnostic pour la restauration de la rotonde de Saint-Bénigne, état projeté, janvier
2015 (dessin E. Pallot).

Fig. 4. Sondage sur l’emplacement du tombeau de saint Bénigne (cl. F. Henrion, Centre d’études
médiévales d’Auxerre, 2014).

12 Ici, le cadre réglementaire est peu adapté, le programmé comme le préventif ne


répondent pas aux objectifs recherchés ni à la chronologie souhaitée des interventions.
L’intelligence des services est indispensable pour construire un cadre, non prévu par le
code du patrimoine, celui d’une archéologie qui accompagne la définition du projet.
13 D’une manière générale, lorsqu’archéologie et monument historique doivent interagir,
le cadre administratif défini par les services de la DRAC est le suivant : dans le cas d’un
745

dossier où le recours à l’archéologie du bâti apparaît comme indispensable à la


définition même du projet, le SRA concourt à la rédaction du cahier des charges des
études. Le maître d’œuvre s’adjoint la compétence d’un archéologue du bâti, en sous-
traitance ou en co-traitance. Le SRA indique si la méthodologie et les compétences
scientifiques proposées sont en adéquation avec les principes généraux du cahier des
charges accompagnant le projet. L’archéologue dépose une demande d’autorisation de
fouilles (ou de sondages) qui est examinée par la commission territoriale de la
recherche archéologique avant délivrance de l’autorisation par le SRA.
14 Le recours à l’archéologie du bâti peut être maintenu au stade des travaux. Lorsque la
part des travaux susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique d’éventuels
vestiges est jugée minime à l’égard de l’ampleur du projet et du volet
d’accompagnement archéologique, il apparaît pertinent d’intégrer la totalité de
l’intervention archéologique dans la phase d’étude de diagnostic sans en passer par
l’archéologie préventive pour garantir la cohérence scientifique de l’opération.
15 Sur le plan budgétaire, les études d’archéologie qui concourent à la définition du projet
de restauration peuvent être subventionnées sur les crédits consacrés aux monuments
historiques au même titre que toutes les études de diagnostic commandées par le
maître d’ouvrage et coordonnées par l’architecte auteur du projet. La DRAC
proportionne les moyens financiers qu’elle mobilise à la portée des enjeux scientifiques
et des ressources du propriétaire. Ainsi, la DRAC peut subventionner les études de
diagnostic à des taux élevés afin d’apporter un appui d’autant plus fort que les études
qu’elle demande sont complexes et leur montant disproportionné avec les moyens
financiers mobilisables par le maître d’ouvrage. Ce principe a été mis en œuvre pour le
schéma directeur pour la restauration de la basilique de Vézelay.
16 Le cas de la rotonde de Saint-Bénigne montre que l’archéologie du bâti est bien un outil
de connaissance comme un autre au service du projet, à deux réserves près. Elle
présente une complexité réglementaire et administrative particulière, car ni le
programmé, ni le préventif n’offrent un cadre parfaitement adapté ; car elle relève de
deux réglementations non harmonisées gérées par deux services distincts et qui,
historiquement, travaillent peu ensemble. Elle exige un dialogue renforcé entre maître
d’ouvrage, maître d’œuvre, CRMH et SRA pour inventer une méthode hors d’un cadre
réglementaire peu adapté mais sans pour autant l’affaiblir juridiquement.
17 En outre, l’archéologie du bâti est un outil de connaissance qui procède par la
destruction, quand l’objectif poursuivi par un chantier de restauration monument
historique est la conservation. Qui est le plus destructeur de matière, de l’architecte ou
de l’archéologue ? De la CRMH qui autorise ou du SRA qui prescrit ? Chacun soupçonne
l’autre camp de détruire le monument dans un conflit stérile alors que la conservation
du patrimoine est bien une responsabilité partagée. L’archéologie du bâti au service du
projet de transmission du monument dans toute sa matérialité possible, doit évoluer
dans ses méthodes pour être la plus économe possible de matière.
746

3. 3e cas d’école : l’archéologie du bâti ne répond pas :


la démolition programmée du lavoir à charbon des
Chavannes à Montceau-les-Mines
18 En fonctionnement entre 1925 et 1999, le lavoir des Chavannes a été inscrit monument
historique en 2000 en tant que l’un des plus grands lavoirs à charbon d’Europe,
bâtiment de 8000 m² équipé de 8 lignes de traitement du charbon, capable de traiter
1000 tonnes par heure. Il est propriété de l’État (ministère de la transition écologique et
solidaire) et, faute d’usage, se dirige vers la ruine (Fig. 5 et 6).

Fig. 5. Lavoir à charbon des Chavannes, Montceau-les-Mines, vue extérieure (cl. M. Botlan).
747

Fig. 6. Lavoir à charbon des Chavannes, Montceau-les-Mines, vue intérieure (cl. M. Botlan).

19 Voué à la destruction après vingt ans de concours et projets avortés pour sa


reconversion, il offre le cas inédit d’un monument historique dont la disparition est
programmée. Lors de sa protection en 2000, la commission régionale du patrimoine et
des sites, prudente, avait voulu sa protection provisoire, pour une durée de dix ans, le
temps de trouver un projet pour le monument. Mais cette disposition n’existant pas
dans la loi, l’arrêté de protection avait un caractère définitif. La question de sa
désinscription, inédite, a été examinée au plus au niveau, par la Commission nationale
des monuments historiques. Celle-ci a adopté une position pragmatique,
recommandant de ne pas s’opposer à la démolition. Mais elle a assorti cette
recommandation d’une condition : que la démolition soit précédée d’une phase de
« sauvegarde par l’étude scientifique », selon une démarche issue de l’archéologie
préventive.
20 La maîtrise d’ouvrage de cette étude est portée par la CRMH, qui a mobilisé des moyens
considérables pour qu’il s’agisse d’une véritable démarche scientifique transposée à un
monument du patrimoine industriel et non d’un pur alibi avant démolition. Ainsi, elle
s’est adjoint les compétences d’un comité scientifique pluridisciplinaire, formé
d’historiens, de sociologues et de conservateurs de musées. Ce comité assiste la CRMH
depuis la rédaction du cahier des charges de l’étude jusqu’au suivi de sa réalisation.
L’étude comporte trois volets : l’histoire du lavoir ; les process de transformation du
charbon, des infrastructures aux machines ; la mémoire du travail au lavoir.
21 Si l’appel à candidatures a motivé pas moins de neuf équipes pluridisciplinaires, les
archéologues du bâti ne se sont que très faiblement emparés du sujet. Pourtant, il s’agit
bien d’engager un recensement le plus exhaustif possible des traces matérielles d’un
patrimoine voué à la disparition, de conserver les données sur le long terme puis de les
restituer à la communauté scientifique et au grand public, toutes méthodes qui
748

constituent le quotidien des archéologues. Deux années de relevés du bâti, des


machines, des évolutions technologiques au lavoir, d’enquêtes orales auprès des
anciens ouvriers et de recensement des sources d’archives se déroulent actuellement,
financées à 100 % par la DRAC, pour cette étude qui se veut exemplaire.
22 Qu’est-ce que l’archéologue du bâti aurait apporté de plus et de différent à cette étude ?
Faut-il attendre qu’une société ait définitivement disparu pour que l’archéologue s’y
intéresse ? Faut-il que l’historien de l’art ouvre la voie pour que l’archéologue la suive ?
L’archéologie du bâti aurait tout intérêt à s’ouvrir vers de nouveaux champs, des pans
entiers du patrimoine récent qui disparaissent à une vitesse vertigineuse.
23 À travers les trois cas d’école ci-dessus développés se dessinent trois scénarii possibles :
celui où la DRAC ne considère pas l’archéologie du bâti comme indispensable à la
définition du projet, mais ne s’y oppose pas. Celui où elle prend en charge une étude
d’archéologie du bâti car elle est indispensable à la définition du projet. Et un celui
limite, paradoxal, où c’est la CRMH qui pilote une étude qui pourrait relever de
l’archéologie, par carence de spécialistes en archéologie industrielle de l’époque
moderne. Dans tous les cas, c’est la finalité de l’intervention qui définit les moyens,
donc le recours à l’archéologie du bâti, parmi tout un éventail possible de méthodes au
service de la connaissance du monument. À ce titre, l’archéologie du bâti est bien un
outil de connaissance comme un autre.

RÉSUMÉS
Dans le cadre d’une opération de conservation, de restauration ou de mise en valeur d’un
monument historique, l’archéologie permet l’acquisition de connaissances en vue de la définition
du projet. Dans ce contexte, elle s’inscrit au sein d’une démarche pluridisciplinaire où de
nombreuses compétences sont mises à contribution, à la demande de l’État (Directions régionales
des affaires culturelles), chargé du contrôle scientifique et technique des opérations, et
orchestrées par l’architecte, maître d’œuvre des travaux. À partir de trois exemples récents en
Bourgogne-Franche-Comté (cathédrales de Sens et de Dijon, lavoir à charbon de Montceau-les-
Mines), on recherchera quelle particularité revêt cette discipline par rapport à l’ensemble des
sciences sollicitées au service du projet.

As part of a conservation, restoration or enhancement project on a heritage monument,


archaeology enables the acquisition of useful data for defining the project. In this context, it
forms part of a multidisciplinary approach in which numerous skills are brought into play, at the
request of the State request (Regional Directorates of Cultural Affairs), in charge of the project
scientific and technical control, and orchestrated by the architect, who is the work prime
contractor. Using three recent examples from Burgundy-Franche-Comté (Sens and Dijon
cathedrals ; Montceau-les-Mines coal wash house), we will look at the particularities of this
discipline in relation to all the sciences involved in the project.
749

INDEX
Mots-clés : cathédrale, Sens, Dijon, lavoir à charbon, Montceau-les-Mines
Keywords : Sens, cathedral, Dijon, Montceau-les-Mines, coal wash

AUTEUR
CÉCILE ULLMANN

Conservatrice générale du patrimoine, Conservatrice générale du patrimoine, Conservatrice


régionale des monuments historiques / Direction régionale des affaires culturelles de Bourgogne-
Franche-Comté.
750

L’archéologie du bâti entre règlement et connaissance

Table ronde
751

L’archéologie du bâti à l’épreuve de


la complexité et de l’entropie
urbaine
Building archaeology facing urban complexity and entropy

Fabien Blanc-Garidel

1. Champs d’étude
1 Les travaux relatifs à l’analyse du fait urbain sont devenus particulièrement abondants
depuis une trentaine d’années. Ils sont issus le plus souvent d’études monographiques
qui traitent de l’évolution d’un bâtiment, d’un quartier ou encore de la ville à partir de
fouilles sédimentaires, d’analyses architecturales et de sources écrites revisitées. Si ces
travaux présentent de manière exhaustive le patrimoine architectural et l’état de la
société à différents moments de l’histoire d’une ville, les analyses régressives qui
conduisent à la production de plans phasés par périodes ou par siècles sont souvent
tronquées ou simplifiées afin de rendre la lecture intelligible et utile à des fins de
synthèse autant que de comparaisons1.
2 La ville est cependant un creuset complexe d’expériences et de systèmes enchevêtrés
dont les propriétés auto-organisationnelles sont suffisamment évidentes pour que, la
plupart du temps, nous n’en fassions pas ou peu cas. Ainsi les pôles de stabilité (églises,
cathédrales, châteaux par exemple) sont-ils les plus étudiés pour décrire ou mettre en
relation des phases majeures de l’histoire urbaine. S’il n’est pas question ici de remettre
en cause cette approche nécessaire, le pouvoir structurant, mais également ré-
organisateur de pôles plus instables (quartiers populaires ou d’élites, à vocation
marchande ou artisanale) reste mésestimé et sous-employé dans la démarche de
réflexion sur la production et la consommation de la ville du Moyen Âge à l’époque
contemporaine.
3 Les travaux d’archéologie du bâti conduits ces dernières années dans les villes de
Grasse et de Nice se nourrissent essentiellement de l’étude de ces pôles instables et
752

permettent une relecture critique de l’histoire urbaine en y apportant quelques


concepts qui, loin de paralyser notre vision synthétique de l’évolution d’une ville,
posent de nouvelles questions sur la manière dont nous écrivons l’histoire urbaine.
4 Le présent travail, issu d’études archéologiques du bâti en contexte préventif, tente
d'analyser le fait urbain à partir des dynamiques écofiques de la ville (au sens littéral de
production de l'habitat) et d’entropie du bâti et du tissu urbain (au sens étymologique
de « transformation », mais également de dégradation de l’information archéologique
autant que de désordre). Il s’agit là de traduire l'évolution à partir des interactions
entre le réseau viaire, le bâti et les changements de fonction(s) des îlots (habitat,
centres de pouvoir, religieux, commercial, etc.). Deux exemples issus d’études du bâti à
Grasse illustreront ces concepts (Fig. 1). L’un servira à comprendre l’apport de l’étude
des îlots qui changent régulièrement de fonctions autant que de statut, l’autre à
montrer en quoi les îlots plus stables dans le temps contraignent la ville à se
développer autour d’eux.

Fig. 1. Plan parcellaire de la ville de Grasse localisant les deux îlots étudiés (DAO F. Blanc-Garidel).

2. Îlot Sainte-Marthe : un pôle entropique (instable)


5 L’îlot Sainte-Marthe est exceptionnel par la chronologie et les mutations qu’il donne à
étudier2. Successivement partie de l’enceinte urbaine, maisons-tours, boucherie,
logements et commerces, l’îlot présente entre le Moyen Âge et l’époque moderne une
diversité d’usages et des techniques de construction en conséquence qui sont parfois
déconcertantes. À ce titre, les récupérations de parements, les remplois massifs des
phases précédentes, les déplacements de planchers rendent compte de la complexité de
lecture et de compréhension du bâti en lien permanent avec le développement urbain.
L’étude de cet îlot a permis en effet de s’interroger alternativement sur la lecture en
753

négatif qui peut être faite de l’évolution de ses fonctions et de son impact sur notre
manière d’interroger la ville et ses composantes contemporaines.
6 Au tout début du XIIe siècle (Fig. 2), l’îlot n’existe pas. Le seul mur qui structure l’espace
est celui de l’enceinte urbaine. À l’emplacement du futur îlot s’étend une petite colline
de travertin3. La ville de Grasse est alors en plein développement et l’usage du travertin
comme pierre à bâtir sera privilégié durant au moins deux siècles. L’étude des caves et
d’une partie des rez-de-chaussée a permis de montrer que des carrières ouvertes
avaient été exploitées à la fois pour extraire de la pierre à bâtir, du tout-venant pour la
fourrure des maçonneries, du sable pour la fabrication des mortiers et de la pierre à
chaux ; le travertin étant presque entièrement composé de calcite. L’expansion de la
ville à ce moment nécessitait ainsi que la périphérie urbaine soit utilisée comme
carrière à de nombreux endroits dont celui-ci. La conséquence s’est traduite par
l’arasement progressif de la colline au pied de l’enceinte, réduisant ainsi le fossé
contigu à néant. C’est probablement l’épuisement progressif du travertin et la mise en
danger des défenses urbaines qui ont commandé à la création d’un quartier neuf durant
la seconde moitié du XIIe siècle (Fig. 3).

Fig. 2. Plan de l’îlot Sainte-Marthe au XIIe siècle avec une partie de l’enceinte urbaine (DAO F. Blanc-
Garidel).
754

Fig. 3. Plan de l’îlot Sainte-Marthe entre la fin du XIIe siècle et la première moitié du XIIIe siècle montrant
l’installation de maisons-tour (phases 4a à 4c) (DAO F. Blanc-Garidel).

7 Ce quartier neuf a été pensé pour des élites. En effet, de part et d’autre de l’ancienne
enceinte se construisent alors des maisons-tours. Or, ce type de maisons, bien connu
dans l’Italie toute proche, est la marque d’une certaine catégorie sociale,
principalement marchande et bourgeoise dans ce cas. De plus, la proximité d’un vaste
bâtiment contemporain (ou légèrement antérieur) de type palazzo4 achève de
démontrer le caractère élitaire de ce nouveau quartier. Et il y a peu de chance pour que
ce nouveau quartier réponde à un simple besoin démographique : l’espacement entre
les maisons est suffisant pour correspondre à un modèle plus prosaïquement fondé sur
l’enrichissement et le besoin d’espace dans la ville. Il y a donc lieu de penser qu’il y a
transfert de l’habitat des élites en question et non installation de nouvelles populations.
Où ces élites vivaient-elles précédemment ? Quelles ont été les conséquences pour ces
zones urbaines qui sont alors dépouillées d’une partie de leur population ? La réponse
est sans doute multiple et on peut facilement imaginer que les biens ont alors été loués
ou vendus à d’autres habitants sans doute moins fortunés. Lorsque nous voyons ce
nouveau quartier se structurer, nous pouvons nous interroger sur les stigmates dans
l’ancien bâti désormais occupé par une nouvelle classe sociale qui reste certes,
probablement, aisée. Mais pour la recherche sur le terrain, si nous avions pu étudier
une de ces maisons, comment aurions-nous pu relier les observations avec ces faits ?
« L’interaction faible »5 apparente entre les modifications d’un îlot et ses conséquences
sur la ville est ainsi bien plus importante et essentielle qu’il n’y paraît.
8 On peut d’ailleurs étendre le raisonnement aux phases suivantes et constater par
exemple une profonde mutation de l’îlot au XVe siècle (Fig. 4 et 5) avec l’installation de
la halle de la boucherie au rez-de-chaussée d’une partie de l’îlot et la disparition
progressive des façades médiévales par la densification de l’îlot qui devient plus
755

populaire (Fig. 6). Là encore, le transfert de la boucherie à cet endroit pose des
questions sur d’autres îlots dans la ville. On peut ainsi s’interroger sur l’ancien
emplacement de la boucherie et la manière dont le quartier en question a été
réorganisé. La localisation précédente n’est d’ailleurs pas certaine et il faudra attendre
une étude de bâti ou une fouille pour voir dans quelle mesure la boucherie médiévale
est encore lisible en négatif. De la même manière, la transformation de l’îlot en quartier
neuf populaire et marchand a, là encore, créé des mouvements de population au sein de
la ville sans que l’on puisse mesurer directement l’impact sur les autres îlots. Mais à y
regarder de plus près, c’est à partir de cette période que l’usage massif du remploi de
maçonneries anciennes pour les nouvelles constructions débute6. On peut ainsi parfois
observer dans les fourrures quelques éléments en stuc ou en plâtre moulurés qui
permettent de temps à autre de renvoyer à un autre édifice. La ville devient elle-même
une carrière et il n’est pas un chantier de construction en ville qui ne soit alimenté par
un chantier de démolition ailleurs dans l’enceinte.

Fig. 4. Plan de l’îlot Sainte-Marthe au XVe siècle montrant les transformations subies par l’îlot lors de
l’installation de la halle de la Boucherie (DAO F. Blanc-Garidel).
756

Fig. 5. Deux des quatre colonnes qui structuraient les deux travées de la halle et aujourd’hui enserrées
dans le bâti (cl. F. Blanc-Garidel).

Fig. 6. Ancienne façade sur rue intégrée à une cage d’escalier lors d’une phase de densification de l’îlot
(cl. F. Blanc-Garidel).

9 La dernière grande période d’évolution de l’îlot se situe au cours de l’époque moderne


(Fig. 7). Elle montre une nouvelle évolution des fonctions sociales de l’îlot qui se dote de
757

commerces en rez-de-chaussée tout en réaménageant les étages par la création de


logements populaires et de petite bourgeoisie en fonction des travées d’immeubles,
marquant là aussi des différences de stratégie. Mais la principale modification a lieu
dans le courant du XVIIe siècle puisque la halle de la boucherie est définitivement
déplacée à l’extérieur de la ville. La halle est alors scindée en deux par l’ajout de murs
entre les piliers qui structuraient les deux travées du rez-de-chaussée. Des commerces
s’y installent en même temps que la distribution des étages évolue consécutivement à
cette modification. L’impact sur l’îlot est parfaitement mesuré alors que pour le reste
de la ville, on peine à en traduire les conséquences.

Fig. 7. Plan de l’îlot Sainte-Marthe au début de l’époque moderne montrant les différentes phases de
transformation (DAO F. Blanc-Garidel).

10 L’étude de cet ensemble sur la longue durée montre comment un îlot de type instable
permet de réinterroger le reste de la ville et comment l’incertitude prime en même
temps qu’elle permet de faire naître de nouvelles hypothèses de travail. L’étude de cas
d’un pôle plus stable, va permettre de montrer d’autres complexités.

3. Îlot Rêve-Vieille : un pôle écofique (structurant)


11 L’îlot Rêve-Vieille présente la particularité d’avoir un bâti du début du XIIe siècle en
grande partie conservé et autour duquel ont été progressivement accolées des
extensions qui ont fait disparaître d’anciennes façades derrières de nouvelles7. L’îlot a
connu de véritables mutations à partir de la fin du XVe siècle principalement. On a aussi
pu montrer comment deux places ont été colonisées par du bâti et les niveaux de sol
des rues relevés de 1,20 m (impliquant le déplacement de tous les niveaux de plancher).
Une ruelle a également disparu par la conquête du bâti en planimétrie dès la fin du
Moyen Âge. Malgré d’importantes modifications, l’îlot est resté un pôle structurant
autour duquel la ville s’est agrandie.
12 Au début du XIIe siècle, trois bâtiments ont été construits dans cette rue qui devait être
un espace totalement vierge de constructions (Fig. 8). Là encore, il s’agit d’un nouveau
758

quartier qui a été implanté à proximité immédiate de l’ancien axe majeur de la ville, la
rue Droite – aujourd’hui disparue mais parfaitement fossilisée dans le parcellaire – qui
reliait les deux portes les plus distantes de l’agglomération8. Récemment, hypothèse a
été faite que ces bâtiments forment une partie des immeubles qui composaient le
quartier juif9 jusqu’au XV e siècle, ce qui justifierait notamment la persistance d’une
anomalie au niveau d’un des bâtiments qui présente deux travées jumelles mais qui ne
communiquent pas entre elles10. Cette disposition en travées géminées sera reprise
durant tout le Moyen Âge y compris dès le XIIIe siècle où le bâtiment sera réuni avec un
second suite à un effondrement partiel de l’immeuble11. On notera que l’actuelle rue
Répitrel qui longe l’îlot au sud-ouest était un cours d’eau12. L’usage judaïque potentiel
de ces bâtiments jusqu’à la fin du XVe siècle justifierait que l’ensemble n’ait pas été
bouleversé. Comment dès lors cette zone relativement stable a-t-elle contraint le
développement urbain à proximité ? On voit bien en effet que les quatre îlots contigus
sont clairement venus buter contre l’îlot Rêve-Vieille (Fig. 9), ce qui peut même être
interprété comme une relation d’antéro-postériorité. L’îlot présente ainsi une forme
d’inertie urbaine qui va persister malgré les profondes mutations qu’il va subir au
début de l’époque moderne.

Fig. 8. Plan d’évolution de l’îlot Rêve-Vielle (DAO F. Blanc-Garidel).


759

Fig. 9. Restitution de la situation de l’îlot Rêve-Vieille au Moyen Âge au sein de la ville de Grasse (DAO F.
Blanc-Garidel).

13 À cette date en effet, le quartier n’appartient plus aux juifs qui ont été expulsés de la
ville. Ce fait se traduit d’ailleurs dans les cadastres du XVIe siècle qui voient disparaître
progressivement la toponymie hébraïque13 de l’îlot. Là où il y avait deux placettes, de
nouvelles constructions sont élevées. Le cours d’eau est canalisé (Fig. 10) et les niveaux
de rue relevés (Fig. 11 et 1214). La rue Répitrel, dans sa partie nord-ouest va disparaître
totalement sous de nouvelles constructions et sa continuité avec l’actuelle rue de
l’Oratoire n’est plus aujourd’hui perceptible15. Si l’îlot est profondément remanié au fil
des XVIe et XVII e siècles, sa persistance comme point stable pris en compte par les
quartiers alentour reste forte. Pour autant, le changement de propriété et de
destination intervenu au tout début de l’époque moderne a aussi participé à un autre
type de développement urbain. En effet, alors que la rue Répitrel était parallèle à
l’actuelle rue Rêve-Vieille, sa condamnation partielle a entraîné la réunion de la
portion sud-ouest avec l’actuel tracé perpendiculaire qui joint la rue Mougins-
Roquefort. Cette nouvelle artère permet dès lors la quasi-fusion de l’îlot Rêve-Vieille
avec ceux qui le jouxtent au sud.
760

Fig. 10. Partie de baie dans la rue Répitrel montrant la modification du niveau de sol de rue (cl. F. Blanc-
Garidel).

Fig. 11. Canal maçonné sous l’actuelle rue Répitrel qui prend place dans l’ancienne rue éponyme lors
de son relèvement. À droite, le pied de la façade initiale contre laquelle l’arc rampant du canal est venu
s’adosser (cl. F. Blanc-Garidel).
761

Fig. 12. Canal maçonné dans l’arrière-cour intérieure du 4, rue Rêve-Vieille qui prend place dans
l’ancienne rue éponyme lors de son relèvement. À gauche, le pied de la façade initiale contre laquelle
l’arc rampant du canal est venu s’adosser (cl. F. Blanc-Garidel).

14 Ce pôle de stabilité permet d’obtenir assez rapidement, pour l’archéologue du bâti, un


condensé du développement urbain de Grasse du XIIe siècle à nos jours sous différents
aspects. On y retrouve également à partir des XVe-XVIe siècles toute la problématique
des changements de niveaux de plancher avec remploi massif de poutraisons de chêne
antérieures16. Il en va de même de la question de remplois d’édifices entiers dans les
fourrures, parements et cloisons de presque toutes les maçonneries qui sont désormais
créées à l’exception de quelques encadrements de baies d’éclairage ou de
communication, traduisant une nouvelle fois la complexité de l’identification de la
provenance des matériaux de construction en recyclage (Fig. 13 et 14).
762

Fig. 13. Mur de l’îlot Sainte-Marthe presque entièrement composé de remplois de matériaux de
construction de maçonneries antérieures (cl. et DAO F. Blanc-Garidel).

Fig. 14. Trumeau maçonné séparant la cage d’escalier du 8, rue Rêve-Vieille (à droite) de l’ancien
commerce contigu (à gauche) remployant un moellon millésimé à l’envers indiquant la date de 1627
(cl. F. Blanc-Garidel).
763

4. Positions
15 Ces deux exemples, loin d’être exhaustifs et représentatifs de toute la palette de la
complexité urbaine, permettent néanmoins d’envisager de questionner la ville à partir
d’un raisonnement à rebonds, passant alternativement d’une observation sur un îlot
pour en interroger un autre et enrichir progressivement notre compréhension des
processus d’évolution en tentant de distinguer ce qui relève de l’évènementiel (séisme),
de l’économique (exploitation des ressources locales), du social (développement et
déplacements des catégories sociales dans le temps et l’espace), du politique (expulsion
des juifs de Provence) ou encore des techniques (liées également à l’économie et au
social pour le cas des remplois par exemple). La liste s’étend bien entendu au-delà de
ces quelques exemples et accentue toute la complexité traduite et fossilisée
partiellement dans le bâti que nous expertisons.
16 L’étude de ces quartiers que nous venons de présenter montre ainsi qu’il y a une forme
d’intrication entre les îlots que l’on pourrait presque qualifier de quantique17 puisque la
modification de la fonction sociale de l’un modifie dans le même temps l’organisation
fonctionnelle interne de l’autre. La question est d’ailleurs bien plus difficile en réalité
car les impacts doivent être bien moins simples à déceler que ce que l’on pourrait
penser. Ainsi, la restitution de l’histoire d’un bâtiment à un instant précis de l’évolution
urbaine paraît presque contradictoire avec la notion même d’évolution qui suppose le
mouvement et interdit par définition d’en saisir de simples instants sans perdre une
partie, parfois conséquente, de l’information. Pour pousser d’ailleurs la comparaison à
son faîte, on pourrait ici parler de principe d’incertitude d’Heisenberg18 appliqué à la
connaissance de l’histoire d’un bâtiment et plus globalement de la ville.
17 L'objectif de ces remarques est de poser quelques réflexions sur la complexité de
l'évolution urbaine et la manière dont nous la traitons à partir des sources disponibles
et de celles que nous produisons. D'observations liminaires sur une façade jusqu'à
l'étude exhaustive d'un îlot, les échelles d'analyses et la nature parfois contradictoire
des autres sources (dendrochronologie, archives) nous conduisent souvent à transcrire
nos résultats sous la forme de simplex, d'abord nécessaires à la réflexion, qui réduisent
la recherche à une succession de plans phasés et souvent figés. L'absence d'uchronie,
pour des raisons pragmatiques et opérationnelles, conduit parfois à une réflexion plus
spéculative qu'hypothétique ou déductive. Nous cherchons ainsi à montrer que la
cinématique de la ville est étroitement liée et soumise à la nécessité d'adaptation au
bâti et aux réseaux déjà existants en même temps qu’à la nécessité de croissance ou de
décroissance à la fois économique et sociale. Il résulte de ces contraintes réciproques
une complexité proportionnelle à l'épaisseur chronologique, à la topographie
contrainte ou fabriquée, à l'économie sociale et politique ainsi qu'au circonstanciel.
L’objet de ce travail est de poser quelques jalons qui permettent la prise en compte de
cette complexité et d’en analyser les conséquences sur nos propres travaux
d’archéologue du bâti urbain.
764

NOTES
1. Voir en particulier les Atlas historiques des villes de France et les Documents
d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France.
2. B LANC F., L’îlot Sainte-Marthe, Grasse, Alpes-Maritimes. Rapport final d’opération
d’archéologie préventive, Balma, HADÈS DRAC/SRA PACA, Balma, 2015, 2 vol.
3. La ville de Grasse est entièrement fondée sur un puissant massif de travertin mis en
place par l’activité de la source de la Foux. Voir BELOTTI B., BLANC F., « Synthèse des
connaissances archéologiques », in Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), Livre I,
Grasse, 2010, p. 73-133.
4. Il s’agit d’un vaste bâtiment d’un peu plus de vingt mètres de long sur dix de large
dont le pignon donnait sur une grande place (aujourd’hui rue Marcel Journet). Ce
dernier présente au deuxième étage une baie en plein cintre monumentale. La façade
qui donne sur l’actuelle rue de la Lauve/place Vercueil présente de petites baies en
plein cintre alors que l’entrée principale arbore une baie sous arc brisé. La façade
opposée a été entièrement recomposée ce qui ne permet pas de décrire les ouvertures.
Enfin, le pignon nord, aujourd’hui enserré dans un îlot, se terminait par un arc
diaphragme ouvert sur une tour voûtée en berceau brisé dont les deux premiers
niveaux sont encore conservés (voir BLANC-GARIDEL F. dir., Médiathèque Charles Nègre,
Grasse, Alpes-Maritimes, Rapport final d’opération d’archéologie préventive, Balma,
HADÈS, DRAC/SRA PACA, Balma, 2021, 5 vol.).
5. Expression empruntée au modèle standard de la physique des particules comme
étant une des quatre interactions fondamentales qui régissent les phénomènes
observés dans l’univers. FERMI E., « Versuch einer Theorie der ß-Strahlen », Zeitschrift
für Physik, 88, 1934, p. 161-177.
6. B LANC F., SUMÉRA F., « Le patrimoine archéologique médiéval résiduel à Grasse :
renouvellement des connaissances et intégration des connaissances dans les processus
de rénovations urbaines », in DELESTRE X., PERGOLA P. dir., Archéologie et aménagement des
territoires, actes du colloque transfrontalier, Menton, 22 octobre 2010, Monaco, Musée
d’Anthropologie Préhistorique de Monaco, 2011, p. 59-68 (Bulletin du Musée d’Anthropologie
Préhistorique de Monaco, Supplément 2).
7. B LANC F., Îlots Rêve-Vieille et Pontet-Boucherie, Grasse, Alpes-Maritimes. Rapport final
d’opération d’archéologie préventive, Balma, HADÈS, DRAC/SRA PACA, Balma, 2016, 2
vol.
8. C AVANNA E., « Archéogéographie du centre ancien de Grasse (Alpes-Maritimes) », in
BINDER D., DELESTRE X., PERGOLA P. dir., Archéologies Transfrontalières : bilan & perspectives.
Alpes du Sud, Côte d’Azur, Piémont et Ligurie. Bilan et perspectives de recherches, actes du
colloque international, Nice, 13-15 décembre 2007, Monaco, Musée d’Anthropologie
Préhistorique de Monaco, 2008, p. 279-283 (Bulletin du Musée d’Anthropologie Préhistorique de
Monaco, Supplément 1).
9. B LANC F., « Les mutations d’une cité marchande marine-alpine à la fin du Moyen Âge
et au début de l’époque moderne : Grasse (Alpes-Maritimes) », in BUTI F., MALAMUT E.,
765

OUERFELLI M., ODORICO P., Entre deux rives. Villes en Méditerranée au Moyen Âge et à l’époque
moderne, actes du colloque international Aix-Marseille (MMSH-MuCEM), 24-27
septembre 2014, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2018, p. 241-259.
10. Il s’agit là d’une des prescriptions essentielles des écoles rabbiniques pour séparer
les plus jeunes des plus âgés.
11. L’hypothèse d’un tremblement de terre dans le courant du premier quart du XIII e
siècle est probable. En effet, les stigmates relevés sur deux bâtiments de l’îlot ne
laissent que peu de doute. Par ailleurs, d’autres constructions contemporaines à Cannes
et à Vence présentent des cicatrices semblables. Il est peut-être à mettre en lien avec le
séisme de Brescia de la fin de l’année 1222 dont les dégâts causés à Gênes sont bien
attestés (voir ALEXANDRE P., Les séismes en Europe occidentale de 394 à 1259. Nouveau
catalogue critique, Bruxelles, Observatoire Royal de Belgique, 1990, p. 174-180 (Série
géophysique, hors-série)).
12. Rivum Peytrelli dans un acte de 1441.
13. Archives Communales de Grasse, CC.45 (1513), CC.46 (1526), CC.47 (1558), CC.48
(1571), CC.49 (1591). Voir BLANC-GARIDEL F., « À partir du livre du couvent des Augustins
de Grasse. Note sur la problématique de l’évolution des rues entre le Moyen Âge et
l’époque moderne », in GILI E., Comté de Nice, 40 ans de recherches, actes du colloque de
Saint-Martin-Vésubie, Nice, Histoire du Haut-Pays niçois, 2020, p. 95-105 (Patrimoine
du Haut Pays, Hors-Série 3).
14. B LANC F., BELOTTI B., « Archéologie dans la ville : l’exemple du PSMV de Grasse », in
BINDER D., DELESTRE X., PERGOLA P.dir., Archéologies Transfrontalières…, op. cit., p. 243-246.
15. Elle l’est encore via les canaux souterrains qui ont enregistré cette continuité. La
superposition du réseau hydraulique au cadastre actuel pourrait révéler d’autres rues
fossiles qui ont été masquées par l’urbanisme moderne.
16. Sur cette question, voir BLANC F., WICHA S., « Archéologie du bâti et rénovation
urbaine. La place de la dendrochronologie. L’exemple de Grasse (Alpes-Maritimes) », in
BAILLY M., EDOUARD J.-L., HARTMANN-VIRNICH A., SHINDO L., SUMÉRA F., ARCADE, Approche
diachronique et regards croisés : archéologie, dendrochronologie et environnement, Regards
croisés et diachroniques sur les apports de la dendrochronologie et de l'archéologie à la
compréhension de l'occupation humaine et de l'évolution des paysages du Néolithique à la
période moderne, Séminaire inter-laboratoires MMSH, Aix-en-Provence, 10-11 avril 2014,
Aix-en-Provence, DRAC PACA, 2019, p. 139-149.
Sur cette question, voir BLANC F., WICHA S., « Archéologie du bâti et rénovation urbaine.
La place de la dendrochronologie. L’exemple de Grasse (Alpes-Maritimes) », in BAILLY
M., EDOUARD J.-L., HARTMANN-VIRNICH A., SHINDO L., SUMÉRA F., Actes du séminaire
ARCADE, Approche diachronique et regards croisés : archéologie, dendrochronologie et
environnement, Séminaire inter-laboratoires MMSH, Aix-en-Provence, 10-11 avril 2014.
Aix-en-Provence, DRAC PACA, 2019, p. 139-149.
17. En mécanique quantique, l'intrication quantique, ou enchevêtrement quantique, est
un phénomène dans lequel deux particules (ou groupes de particules) forment un
système lié, et présentent des états quantiques dépendant l'un de l'autre quelle que soit
la distance qui les sépare (voir EINSTEIN A., PODOLSKY B., ROSEN N., « Can Quantum-
Mechanical description of physical reality be considered complete ? », Physical Revue,
47, 1935, p. 777-780).
766

18. Même si le concept d’incertitude en physique quantique a évolué depuis la


publication de HEISENBERG W., Les principes physiques de la théorie des quanta, Gauthier-
Villars, Paris, Gauthier-Villars, 1932, le principe d’incertitude ou principe
d’indétermination postule qu’il est presque impossible de connaître simultanément la
position et la vitesse d’une particule, pour simplifier.

RÉSUMÉS
L’adoption des pratiques et des outils de l’archéologie du bâti ainsi que leur adaptation pour
l’étude urbaine dans le cadre de l’archéologie préventive ont permis, en moins de vingt ans, de
renouveler profondément nos connaissances des villes et de leur évolution. Longtemps restée
l’apanage des sociologues, urbanistes et autres historiens de la ville, la lecture de l’évolution
urbaine est désormais entièrement reprise par les archéologues à partir certes d’opérations
sédimentaires, mais également d’études plus ou moins exhaustives du bâti. Au moyen de deux
exemples précis, cet exposé propose de voir comment l’archéologie du bâti en milieu urbain
questionne autrement les transformations de la ville sur le temps long, comment les bâtiments
enregistrent des modifications sociales, économiques ou politiques et enfin les limites de ces
types d’études qui se heurtent à la complexité urbaine parfois difficile à décomposer.

In less than twenty years, adopting building archaeology practices and tools and adapting them
to urban study within the framework of rescue archaeology did deeply renew our knowledge of
cities and their evolution. For a long time sociologists, urban planners and other city historians
prerogative, urban evolution reading is now entirely taken over by archaeologists, admittedly
mainly for sedimentary excavations, but also for more or less exhaustive studies of the built
environment. Using two specific examples, this paper aims to show how building archaeology in
urban environments questions long term city transformations differently, how buildings record
social, economic or political changes and lastly the limits of these kinds of study when they
collide with urban complexity, sometimes difficult to break down.

INDEX
Mots-clés : complexité urbaine, archéologie du bâti, Grasse
Keywords : urban complexity, building archaeology, Grasse

AUTEUR
FABIEN BLANC-GARIDEL

Chef du service d’Archéologie, Métropole Nice Côte d’Azur.


fabien.blanc@nicecotedazur.org
767

Du passé à l’avenir ou de
l’archéologue à l’architecte :
transmettre le patrimoine
From the past to the future or from archaeologist to architect : passing
on heritage

Elen Cadiou

1 Presque 20 ans après la table ronde de Saint-Romain-en-Gal (9-10 nov. 2001),


l’archéologie du bâti pose encore question tant dans ses pratiques, très diverses selon
les structures, qu’en ce qui concerne l’objet précis de son étude ou encore le moment
opportun pour l’intervention archéologique qui s’intègre dans le projet de
réhabilitation. Le dialogue entre les différents acteurs est alors essentiel, chacun a un
rôle à apporter.
2 Il semble acquis aujourd’hui que l’enregistrement stratigraphique, propre à
l’archéologie de manière générale, est la base de l’observation, qui se veut objective,
scientifique et loin des postulats ou a priori. Il est évident également qu’il n’existe pas
de frontière entre les niveaux enfouis et ceux en élévation et que l’enregistrement des
données peut et doit se faire de façon continue sans distinction entre US (unité
stratigraphique) et UC (unité construite) afin d’appréhender de façon globale
l’évolution d’un site.
3 De la même façon, l’étude des élévations ne se limite pas à une simple observation
architecturale mettant en exergue une stylistique qui permettrait d’attribuer l’édifice
en question à une époque de construction. Il s’agit avant tout d’une réelle fouille des
strates (enduit, reprise de maçonnerie, etc.) afin de récolter des données qui seront
scrupuleusement enregistrées avant de disparaître lors de la phase ultime de travaux.
Car s’il est vrai qu’une restauration permet à l’édifice de continuer à exister de façon
pérenne, l’intervention ne permet pas en revanche de conserver les traces
archéologiques qui font l’histoire du monument. L’intervention de l’archéologue en
amont d’un projet s’avère tout à fait justifiée, non seulement pour expliquer l’évolution
du site mais également pour en garder la mémoire.
768

4 Cette méthodologie rigoureuse permet ainsi de mettre en avant un phasage relatif qui
pourra dans un second temps être précisé en datation absolue à l’aide de différentes
approches (mobilier archéologique dans les tranchées de fondation, les sols voire dans
les maçonneries ; radiocarbone sur les charbons piégés dans les mortiers,
thermoluminescence sur les mortiers, dendrochronologie, typochronologie, étude
historique, etc.).
5 L’archéologie contemporaine des sites industriels ou liés aux deux guerres mondiales
pose également la question de l’objet auquel s’attache l’étude. L’étude archéologique
doit-elle intégrer également les éléments de décor, les menuiseries ou autre éléments
architecturaux faisant partie du second-œuvre (Fig. 1) ?

Fig. 1. L’Aître Saint-Maclou à Rouen a fait l’objet d’une première prescription du Service Territorial des
Monuments Historiques en préalable au projet architectural et afin de le définir, avant une nouvelle
prescription du Service Régional d’Archéologie pour la surveillance de travaux. Cette complémentarité
a permis de réaliser une étude poussée jusqu’à l’enregistrement stratigraphique de la centaine de
fragments de papiers peints.

6 Outre ces considérations, se pose également la question du moment opportun pour


accéder au site et à ses données archéologiques. Bien souvent réalisées en préventif
dans le cadre d’un projet de réhabilitation, à quelle étape du projet doit intervenir
l’archéologue pour mener à bien ces études ?
7 Encore aujourd’hui, on se rend compte que de nombreuses interventions se font alors
que les travaux sont en cours ou peu avant la date de démarrage du chantier.
8 En effet, les études de bâti sont encore souvent prescrites en diagnostic sans pour
autant que ne soit envisagée la possibilité d’une fouille. Ainsi, les travaux démarrent
immédiatement après la fin du diagnostic et sans que le rapport ne soit rendu, alors
même que les découvertes apportent bon nombre d’informations qui, dans certains cas,
contredisent le projet, dans d’autre cas, auraient gagné à enrichir ce dernier.
9 Les études réalisées lors de surveillance de travaux sont certes un réel avantage pour
suivre le chantier au plus près. Le calendrier est toutefois à adapter en fonction de
769

l’avancée du chantier et il apparaît primordial que le travail de l’archéologue soit alors


parfaitement intégré par les différentes équipes et la maîtrise d’œuvre (Fig. 2).

Fig. 2. L’étude de bâti du cloître du Mont-Saint-Michel s’est déroulée parallèlement aux travaux de
restauration (2017).

10 S’il n’y a pas d’interventions archéologiques parfaites car elles dépendent bien souvent
du type de projet, il apparaît néanmoins qu’une étude de bâti préalable aux travaux
serait idéale.
11 Elle permettrait d’une part d’avoir la connaissance du bâti et de son évolution bien en
amont du projet. Les données archéologiques s’avéreraient alors précieuses pour
nourrir ce dernier et faire en sorte qu’il soit en parfaite adéquation avec le site dans
lequel il s’inscrit.
12 D’autre part, l’étude archéologique pourrait être menée en parallèle des études
architecturales préalables (diagnostic sanitaire par exemple), ce qui faciliterait la
compréhension de certains phénomènes et désordres structurels.
13 Enfin, l’étude de bâti apporterait également toute la documentation graphique servant
de base à l’élaboration du projet (plans, coupes, détails structurels, 3d, etc.) avec des
relevés précis et géoréférencés.
14 Bien plus, les découvertes archéologiques sont parfois à l’origine d’inscription ou de
classement des édifices, ce qui peut être un réel avantage pour la suite des travaux.
15 Avec des études de bâti préalables et l’intégration des données, les projets
architecturaux seraient probablement orientés différemment comme une nouvelle
strate dans l’histoire du monument en question et ce, sans dénaturer l’existant.
16 S’il est certes plus contraignant de construire avec l’existant, il est également très
enrichissant de conjuguer la réhabilitation d’un bâti ancien et l’insertion d’un projet
contemporain. Or, c’est là l’objet de la Chartes de Venise.
17 Force est donc de constater que les deux acteurs principaux d’un projet de
réhabilitation, l’archéologue et l’architecte, ont tout intérêt à travailler ensemble. De
770

nombreux exemples de collaborations fructueuses existent et montrent tout l’intérêt


de cette pluridisciplinarité.
18 Pourtant, souvent aussi, il existe une dichotomie encore bien prégnante entre les deux
professions (archéologue et architecte), qui émane probablement d’une vision
archaïque du XIXe siècle.
19 Si l’objet de leur attention est le même, leurs approches, leurs méthodologies et parfois
même la considération qu’on leur porte diffèrent. Cette distinction se retrouve
également dans la façon d’exercer : l’archéologue doit justifier de ses compétences de
façon récurrente : l’agrément, l’arrêté de prescription, l’autorisation de fouille, l’arrêté
de désignation, sont autant de pièces administratives indispensables à son exercice. Il
est de plus en permanence sous le contrôle des services de l’État (services régionaux de
l’archéologie) et doit encore obtenir une validation de son travail par l’avis rendu par la
Commission Territoriale de la Recherche Archéologique.
20 A contrario, pour l’architecte, seul son titre suffit bien souvent à le rendre légitime dans
les missions qui lui sont confiées, ce qui n’est pas sans conséquences également. En
effet, l’architecte, une des dernières professions à avoir un Ordre, est reconnu comme
sachant et donc responsable. La tâche est immense et les risques encourus lourds de
conséquences en cas de faute. À l’heure d’une réglementation de plus en plus complexe
et sans cesse en évolution, il est plus simple de se prémunir en minimisant les risques.
Travailler de concert avec un archéologue permettrait probablement d’allier des
compétences différentes, un nouveau regard, une approche raisonnée et d’apporter de
la nuance dans les choix opérés : l’aubier est atteint mais le cœur est bon, il n’est pas
nécessaire de remplacer intégralement un plancher qui plus est, ancien ; la présence de
vrillette est ancienne, il n’est pas nécessaire de traiter ; le parement du mur n’est pas
altéré, il s’agit d’un ancien décor bûché, etc.
21 En résumé, l’approche pluridisciplinaire est reconnue par un grand nombre d’acteurs
du patrimoine comme étant la méthodologie à adopter. Or, si cette première étape est
franchie, il reste cependant encore des obstacles, dont certains peut-être plus
immuables. Une des premières étapes consisterait à décloisonner les Directions
Régionales des Affaires Culturelles et notamment créer davantage de liens entre les
Services Territoriaux de l’Architecture et du Patrimoine et les Services Régionaux de
l’Archéologie. Ce décloisonnement se pratique déjà dans certaines régions où il a fait
ses preuves. Le partenariat architecte/archéologue lors des études préalables apparaît
comme un réel atout dans la compréhension du bâti. Il faudrait, pour ce faire, que
l’architecte accepte de déléguer à l’archéologue l’étude du bâti qui pourrait l’aider à
comprendre les désordres observés, argumenter les choix architecturaux, et préparer
le dossier graphique.
22 C’est donc déjà au niveau du Code du Patrimoine qu’il serait nécessaire de créer des
passerelles entre les livres V (archéologie) et VI (monuments historiques, sites
patrimoniaux remarquables et qualité architecturale).
23 En plus de la collaboration archéologue-architecte, la pluridisciplinarité s’ouvre à
d’autres compétences, en intégrant notamment le travail de l’Inventaire ou d’historiens
par exemple. Les appels d’offres vont d’ailleurs de plus en plus souvent dans ce sens et
les équipes de maîtrise d’œuvre doivent désormais s’accompagner d’historiens ou
d’archéologues du bâti pour mener à bien un projet.
771

24 Mais tout ce travail ne peut se faire sans la formation initiale. Si les archéologues sont
formés en histoire de l’art et de l’architecture, les architectes n’ont aucune notion
d’archéologie du bâti ou de sa méthodologie, ce qui semble un non-sens pour des
acteurs du patrimoine intervenant quotidiennement sur du bâti ancien. Il devient
urgent d’y remédier en proposant une formation, non pas à l’école de Chaillot, mais dès
les premières années de formation pour tous ceux qui, sans être ABF ou ACMH,
interviendraient cependant sur du bâti, celui qui ne fait l’objet d’aucune protection et
ce, sans pour autant être dénué d’intérêt. Car, évidemment, les protections quelles
qu’elles soient, si elles permettent de protéger certains édifices reconnus comme ayant
un intérêt, tendent à exclure tous les autres auxquels s’intéressent d’ailleurs de plus en
plus l’archéologue du bâti ainsi que les services de l’Inventaire.
25 Les apports scientifiques de l’archéologie du bâti ne sont plus à prouver aujourd’hui,
l’intérêt d’une étude dans le cadre d’un projet architectural encore moins.
26 Il reste que la discipline a probablement évolué plus vite ces dernières décennies que la
législation et les acquis. Ainsi, chacun fait au mieux selon les cas, ce qui aboutit une
disparité nationale flagrante au niveau des pratiques au sein de la même profession.
27 Tout semble à redéfinir pour des interventions exemplaires à commencer par les rôles
de l’architecte et de l’archéologue en prenant exemple sur des régions ou des villes où,
de l’échange fructueux entre les différents acteurs (architecte, archéologue, pouvoirs
publics, riverains) qui ont su transgresser les différents obstacles, naît une étude
rigoureuse et un projet de qualité.

RÉSUMÉS
Si l’archéologue s’intéresse au passé, l’architecte projette pour l’avenir. Il n’en reste pas moins
que le premier, en déconstruisant, cherche à comprendre l’acte de construire ou de détruire et
que le second, en construisant, s’inscrit dans une durée en créant le patrimoine de demain.
Entre les deux, il existe ce moment présent où archéologue et architecte interviennent sur un
édifice existant pour l’étudier, l’appréhender, le sauvegarder, le restaurer et le transmettre : un
travail sur le temps et sur l’espace qui concilie deux professions qui pourraient sembler de prime
abord antinomiques.

Whilst the archaeologist interest lays in the past, the architect plans the future. The fact remains
that the former, while deconstructing, seeks to understand the very act of building or destroying
and that the latter, while building, is part of a long duration by creating tomorrow’s heritage.
However, between these two dimensions, there is the collaboration moment when an
archaeologist and an architect work together to study, apprehend, save, restore and transmit an
existing building: a work on time and space that reconciles two professions that might seem
antinomic at first glance.
772

INDEX
Mots-clés : archéologie du bâti, réhabilitation, patrimoine, stratigraphie, pluridisciplinarité,
Chartes de Venise, Code du Patrimoine
Keywords : building archeology, rehabilitation, heritage, stratigraphy, pluridisciplinarity,
Venice Charter, Heritage legislation

AUTEUR
ELEN CADIOU

Archéologue du bâti, responsable d’opération, Inrap Grand Ouest.


elen.cadiou@inrap.fr
773

Architecte du patrimoine et
archéologue du bâti : un partenariat
incontournable
Architect and archaeologist on heritage buildings : an essential
partnership

Pierre Gillon

1 Au risque de répétition, cet exposé reprend bien des points soulignés par divers
intervenants et résume quelques pratiques passées, existantes et en devenir.

1. « Livre noir » : le point de vue négatif


2 Bien entendu, ce colloque a eu pour objectif de présenter quelques-unes des meilleures
opérations, afin d’élever le sujet vers l’excellence, et non de faire l’inventaire de toutes
les occasions manquées. De par ses sujets d’étude, l’archéologue du bâti occupe une
place à part, un peu à mi-chemin entre l’archéologue traditionnel et l’architecte du
patrimoine. Il reste à parler un langage commun, tant dans la pratique que dans les
objectifs.
3 Des décennies d’interventions d’archéologie sédimentaire peu concertées ayant laissé
des rancœurs qui ne s’effacent que lentement, l’archéologue demeure assez facilement
critique vis-à-vis de l’architecte, tandis que l’architecte en a autant contre
l’archéologue. Mais pour devenir partenaires, il faut apprendre à se respecter.
4 L’archéologue — je pense surtout au « sédimentaire » — méconnaît encore souvent à
peu près tout des préoccupations et des contraintes de l’architecte et ne peut de ce fait
constituer une force de proposition crédible, d’autant plus que les délais de rendu des
rapports et l’absence fréquente de dialogue avant ces rapports font de lui un
interlocuteur inopérant dans le planning d’une opération de restauration.
774

5 L’architecte, quant à lui, ne sait pas décrypter aisément un rapport archéologique afin
d’en extraire les éléments utiles à son projet, ou ne leur accorde pas la valeur que
l’archéologue souhaiterait, en comparaison de ses autres contraintes.

2. « Livre blanc » : une évolution encourageante


6 On a vu présenter dans ce colloque des exemples d’opérations à grande échelle
remarquables qui gagneraient à être mieux connues et montrent que les mentalités ont
déjà largement évolué en moins de vingt ans. On a aussi rappelé que l’archéologie du
bâti est une spécialité encore jeune et insuffisamment formalisée. On a montré encore
que, malgré le cloisonnement presque caricatural des réglementations et l’inégalité
inadmissible des attitudes des conservations régionales, tant côté archéologie que côté
Monuments Historiques, les bons praticiens savent s’affranchir des clivages des cadres
professionnels et réglementaires au profit d’un dialogue constructif. On espère voir
disparaître définitivement le spectre de l’architecte ignorant l’archéologue comme
celui de l’archéologue considérant « sa » fouille comme un objectif en soi en ignorant
tout le reste.

3. Rapprocher archéologues et architectes dès la


formation
7 La tutelle administrative, le maître d’ouvrage ou l’architecte ne peuvent pas faire appel
à l’archéologue du bâti s’ils ne savent pas assez précisément ce que celui-ci peut
apporter. De même l’archéologue ne peut pas être une force de propositions s’il n’a pas
une vision suffisante de l’ensemble des contraintes qui s’imposent au maître d’œuvre
lors de l’élaboration d’un projet. Même lorsqu’ils y sont sensibilisés, les architectes
ignorent le plus souvent les apports et les avancées récentes d’une archéologie du bâti
en pleine évolution.
8 Il est nécessaire de rapprocher les pratiques et donc, en amont, les formations et les
compétences. C’est dès leur initiation que les architectes et les archéologues devront
apprendre à se connaître, travailler ensemble et apprendre à dialoguer.
9 À « l’École de Chaillot », qui forme les architectes du patrimoine, les élèves-architectes
suivent un stage sur le terrain, sous la direction d’un architecte en chef des Monuments
Historiques, au cours duquel ils s’initient aux relevés pierre à pierre et à certains
aspects de l’archéologie du bâti. C’est donc une sensibilisation, et non une initiation aux
techniques scientifiques. Ils savent que cela existe, et de quels spécialistes ils peuvent
s’entourer lorsque c’est nécessaire. On peut considérer à bon droit que c’est insuffisant.
10 Du côté des différentes formations en archéologie du bâti, il ne semble pas qu’il y ait
une sensibilisation aux pratiques, au cadre d’intervention et aux contraintes de
l’architecte.
11 La concertation architectes/archéologues tient pour le moment aux personnalités et
aux appétences à dialoguer des intervenants.
12 Il conviendrait certainement de multiplier les stages et rencontres associant élèves
architectes du patrimoine, étudiants en archéologie du bâti et restaurateurs spécialisés.
775

4. Partenariat et dialogue architecte / archéologue :


vers une déontologie ?
13 Bien des intervenants l’ont noté, les résultats des investigations des archéologues du
bâti peuvent orienter les choix de restauration : leur rôle est donc à formaliser dans
l’organisation pluridisciplinaire de la phase projet comme de la phase chantier. Mais si
l’apport de l’archéologie du bâti à la connaissance de l’évolution d’un édifice est une
évidence, la prise en compte de cette évidence dans l’acte de restauration du bâti ne
l’est pas, faute de définition des principes de cette prise en compte. Nous sommes à un
stade où la bonne vieille charte de Venise, déjà si souvent battue en brèche, à tort ou à
raison, sous divers aspects, ne suffit plus, d’autant plus que notre perception des
édifices anciens a certainement évolué.
14 L’archéologue ne peut pas ne pas être associé à l’acte de restauration, même si ce qu’il a
à suggérer peut ne pas être valide au regard d’autres critères de restauration comme la
pérennité, la solidité, l’étanchéité, la cohérence, etc. Ses propositions peuvent
nécessiter un affinement. Quoi qu’il en soit, cette archéologie est une démarche
indispensable, comme l’a souligné Jacques Bujard.
15 Ce partenariat doit-il être spontané ou obligatoire ? Il est en tout cas incontournable.
Réglementation et pratiques, il faut agir sur les deux : rendre cohérents les cadres
réglementaires et améliorer la connaissance des champs du possible de « l’autre ».
16 Peut-être faudrait-il définir des processus d’articulation des observations avec les choix
de restauration et de mise en valeur : comment passer de l’observation scientifique à
son « rendu », ce qui soulève la question de l’image qu’on veut donner d’un édifice et de
sa lisibilité, qui n’est absolument pas la même pour l’observateur chevronné et pour le
public.

5. Vers une redéfinition des études préalables ?


17 L’un des fondements de l’intervention sur le bâti ancien est la recherche documentaire
préalable. Les interventions de l’architecte comme celles de l’archéologue soulèvent la
question de l’organisation et de la définition des études préalables. Qu’elles soient
menées par l’archéologue ou/et par l’architecte, il me semble qu’il n’est plus
envisageable aujourd’hui qu’elles ne soient pas à la fois obligatoires et coordonnées.

État des lieux et perspectives en France

18 Du côté des architectes du Patrimoine et des architectes en chef des Monuments


Historiques, les études préalables, qui étaient, traditionnellement, plus que sommaires,
voire inexistantes1, ont beaucoup évolué en quarante ans. Lorsqu’elles sont financées
correctement, elles sont, le plus généralement, devenues de plus en plus approfondies,
mieux documentées et tendent à prendre en compte tous les aspects de la
documentation, de la collecte de données et des diagnostics nécessaires en préalable à
l’intervention sur un édifice ancien présentant, le plus souvent un intérêt particulier et
fréquemment inscrit ou classé au titre des Monuments Historiques.
19 Cependant, dans les contrats, le programme des missions d’études préalables est trop
souvent, par défaut et particulièrement dans les contrats des collectivités locales, fondé
776

voire copié sur le cadre type de diagnostic établi pour tout bâtiment existant par
l’ordre des architectes et diffusé par la Mission interministérielle pour la qualité des
constructions publiques (MIQCP). Malgré quelques recommandations complémentaires
édictées par la sous-direction des Monuments Historiques, ce cadre est inadapté pour
les édifices patrimoniaux, particulièrement quant aux recherches documentaires,
iconographiques et historiques, pour lesquelles on ressent partout la nécessité d’aller
plus loin, d’autant plus que la masse documentaire accessible ou inventoriée croît en
permanence, mais aussi quant aux sondages et investigations complémentaires
spécialisés dont la définition doit s’adapter à et bénéficier de l’éventail de plus en plus
large offert par la recherche scientifique. Une tentative pour réviser ce cadre type et
élaborer un cadre d’étude préalable détaillé et adapté aux bâtiments anciens à
caractère « patrimonial » et « archéologique » – ces notions étant évolutives – a été
envisagée dans le cadre de l’Association des Architectes du Patrimoine. Ce projet n’a
pas abouti à ce jour car il ne s’agit évidemment pas d’une tâche simple, mais d’un
« chantier » collectif qui devrait associer au minimum architectes, historiens de l’art et
archéologues du bâti.

Les recherches documentaires, iconographiques et historiques

20 À qui confier la recherche documentaire et historique, dont l’usage est partagé par tous
les intervenants tout au long d’une opération ? Il n’est pas évident que l’archéologue
soit plus à son aise dans les recherches documentaires et historiques que l’architecte du
patrimoine ou des Monuments Historiques, lorsque son agence est de taille suffisante et
lui permet de faire appel à, ou de disposer de façon régulière de spécialistes dans ce
domaine. C’est à voir au cas par cas en particulier si l’architecte et l’archéologue sont
associés en amont.

Coordination et concertation

21 L’étude préalable de l’architecte, qui est plus généraliste et comporte bien d’autres
aspects que l’archéologie, devrait, à mon avis, toujours précéder l’étude archéologique,
sauf cas particulier, et prescrire celle-ci en précisant les moyens et conditions de son
exécution. Il ne faut pas perdre de vue que l’architecte est et doit rester le chef
d’orchestre et le coordonnateur de toute intervention de restauration ou
d’aménagement d’un édifice patrimonial. Si l’archéologue du bâti estime que
l’architecte ne prend pas suffisamment en compte ses observations, alors c’est la
formation et la compétence de l’architecte qui devront, peut-être, être revues et
accrues. Mais il ne faut pas oublier que l’architecte porte seul, vis-à-vis du maître
d’ouvrage, la responsabilité de la pérennité de l’édifice. Et il faudra aussi que
l’archéologue accroisse ses compétences au-delà de l’observation archéologique,
s’implique dans l’acte global d’intervention sur l’édifice et soit en mesure de proposer
des solutions de conservation/restauration permettant de pérenniser certains éléments
et valoriser ses observations, de même par exemple que le ou la spécialiste des
sondages picturaux est en mesure de soumettre à l’architecte et aux conservateurs des
Monuments Historiques une ou plusieurs solutions de traitement, stabilisation,
conservation et/ou restauration de peintures murales.
777

22 Par ailleurs, il me semble que l’imposition de l’archéologue du bâti par arrêté du préfet
comme on prescrit les sondages archéologiques en sol est une procédure archaïque et
inadaptée, et un véritable frein à l’introduction et à la participation de l’archéologue
dans le processus d’intervention nécessairement pluridisciplinaire sur un bâtiment
ancien. L’étude d’archéologie du bâti devrait pouvoir être prescrite
« automatiquement » par l’architecte, par la Conservation des Monuments Historiques
ou bien par l’architecte des Bâtiments de France, de même qu’il prescrit des sondages
picturaux dès lors qu’on subodore la possibilité de présence de peintures murales, des
analyses de pierre ou de mortiers, des études et datations de charpentes, l’intervention
du Laboratoire des Monuments Historiques ainsi que d’autres investigations
spécialisées au cas par cas. L’archéologue devrait pouvoir être intégré et associé au
processus et au planning global d’intervention, comme tout autre spécialiste, artisan ou
entreprise, sans que le barrage d’une prescription souvent non concertée impose des
délais et conditions d’interventions peu compatibles avec un dialogue normal.
23 La définition du cadre et du contenu des études préalables doit aussi être suffisamment
précise et adaptée au cas par cas pour empêcher lors d’une mise en concurrence, tant
dans les études dirigées par l’architecte que celles de l’archéologue du bâti, des offres à
la baisse inappropriées empêchant la conduite d’études suffisantes. À l’opposé, cette
définition ne doit pas être pléthorique pour ne pas alourdir inutilement des études
préalables que les maîtres d’ouvrage jugent souvent, à bon droit, trop lourdes.

6. Limites et vulgarisation
24 On doit garder à l’esprit que l’appel à l’archéologue du bâti peut être synonyme
d’interventions lourdes et très destructives qui ne peuvent pas être étendues à tous les
édifices. Le choix de détruire tous les épidermes d’un bâtiment pour les étudier est un
choix qui ne peut être fait qu’une fois dans la vie de l’édifice et n’est pas sans
conséquence fondamentale sur le projet de restauration, contraignant le propriétaire et
le maître d’œuvre à remplacer une opération de restauration en conservation par une
opération de restauration lourde avec reconstruction des épidermes. Qui est le plus
destructeur ? a dit Cécile Ullmann. C’est une question à laquelle on ne pourra pas faire
l’économie d’une réponse plurielle définissant le bien-fondé, les conditions et les
limites de ces interventions, que la tentation de connaissance scientifique toujours plus
approfondie ne peut seule justifier.
25 Par ailleurs, il faut intégrer au processus la restitution de l’apport scientifique – qui ne
parle, en gros, qu’aux spécialistes du domaine –, auprès des « publics » et par rapport à
l’édifice étudié : vraie question. Je suis de ceux qui considèrent qu’une autorisation
d’intervention lourde sur le bâti ancien doit être assortie systématiquement, comme
pour une opération programmée, d’une exigence de vulgarisation des résultats dont les
modalités devraient être précisées.
778

NOTES
1. Dans les années 1970 encore, on justifiait une intervention, parfois importante, sur
un monument historique en quelques lignes sur le bordereau de demande de budget.

RÉSUMÉS
En archéologie du bâti, le partenariat archéologue / architecte est incontournable. Autrefois
inexistant, il a beaucoup évolué et doit progresser encore, en agissant sur les leviers de la
formation, de la réglementation et des pratiques. Les études préalables, dont le développement
qualitatif et quantitatif est indéniable, doivent être structurées et mieux définies. L’archéologue,
lorsque son intervention est reconnue nécessaire, doit devenir un participant à part entière du
processus d’étude et de mise en valeur d’un édifice patrimonial.

In building archaeology, the archaeologist / architect partnership is essential. Once nonexistent,


it has evolved a lot and still needs to progress, by acting on training levers, legislation and
practices. Preliminary studies, which qualitative and quantitative development are undeniable,
must be structured and better defined. When the necessity of his intervention is recognized, the
archaeologist must become a full participant in the process of studying and enhancing a heritage
building.

INDEX
Mots-clés : partenariat, formation, études préalables, recherches documentaires, processus de
mise en valeur, coordination, vulgarisation
Keywords : partnership, training, preliminary studies, documentary research, enhancement
process, coordination, vulgarisation

AUTEUR
PIERRE GILLON

Architecte-historien, chercheur associé à l'EA TRAME (Université de Picardie Jules Verne).


pierregillon@wanadoo.fr
779

L’archéologie du bâti : un enjeu


interinstitutionnel
Building archaeology : an inter-institutional issue

François Guyonnet

Introduction
1 Le titre de cette contribution au colloque « Archéologie du bâti aujourd’hui et demain »
est directement emprunté à une sous-partie de l’article rédigé par Élise Faure-
Boucharlat, Brigitte Boissavit-Camus et Joëlle Burnouf, dont le contenu faisait état des
ambiguïtés du statut juridique de cette spécialité et de la nécessité d’un travail commun
entre différentes institutions1. Ce clin d’œil aux rencontres de Saint-Romain-en-Gal,
tenues il y a près de vingt ans, résonne comme un vœu pieux, en particulier après les
vifs échanges de la table ronde clôturale d’Auxerre où à nouveau, se sont exprimées
avec parfois une certaine véhémence, les divergences entre archéologues, architectes
et conservateurs des Monuments Historiques. Mes diverses expériences
professionnelles - où l’archéologie du bâti joue un rôle important - ont probablement
conduit les organisateurs à me convier à cette table ronde dont l’objectif était
d’échanger sur la nécessaire concertation entre les différents acteurs d’une « chaîne
patrimoniale ».
2 Mon point de vue sur la question se fonde sur une certaine connaissance des relations
interinstitutionnelles forgée dans un parcours cheminant entre l’archéologie
territoriale, l’Inrap, une agence d’architecture, des charges de cours à l’université, les
UMR, les commissions d’État (CNRA, CIRA, CRPS, CRPA) et ma participation à l’ANACT.
Cette expérience plurielle est aujourd’hui mise au profit d’un outil de gestion globale
du patrimoine, en place depuis huit ans à L’Isle-sur-la-Sorgue, une petite ville du
Vaucluse de 20 000 habitants où j’ai la double fonction depuis 2018, de directeur du
Patrimoine (avec une habilitation en archéologie préventive) et de directeur général
adjoint des services en charge du patrimoine, de l’aménagement, l’urbanisme, l’habitat,
l’environnement. Les propos à suivre sont donc ceux d’un professionnel du patrimoine
780

mais également ceux d’un cadre administratif, maître d’ouvrage dans une collectivité
territoriale.

1. L’archéologie du bâti et son apport : un avis


personnel
3 Je suis issu d’une génération, celle du tout début des années 1990, formée
conjointement à l’université et sur les chantiers d’archéologie préventive
(essentiellement de collectivités et en Provence) où l’on ne parlait pas d’archéologie du
bâti. L’archéologie semblait alors « une et indivisible », totalement orientée vers son
nouveau destin, celui de l’urgence et du sauvetage qui deviendront « le préventif ».
Pourtant, chez les médiévistes, nous connaissions l’une des origines de notre métier,
dans l’archéologie monumentale du XIXe siècle et ses pères fondateurs (Arcisse de
Caumont, Eugène Viollet-de-Duc, etc.). Néanmoins notre attention était très
essentiellement retenue par des fouilles de sauvetage, organisées parfois dans des
conditions rocambolesques, souvent conduites en milieu urbain lors d’une des
dernières grandes vagues de « requalification des quartiers dégradés » (RHI et autres
dispositifs) qui faisaient alors disparaître sous les bulldozers, depuis l’après-guerre, des
pans entiers de l’histoire urbaine de notre pays. J’ai effectivement souvenir de fouilles
dans les anciens faubourgs pontificaux d’Avignon où l’on étudiait les sols et fondations
de maisons médiévales fraîchement rasées dont on percevait l’architecture en écorché
dans les murs mitoyens épargnés par les engins de démolition (Fig. 1). Quelle situation
ubuesque pour l’archéologue : restituer l’architecture de maisons médiévales à partir
de simples fondations alors que plus de 80 % des élévations étaient conservées avant les
démolitions !

Fig. 1. Mur mitoyen d’une maison de faubourg du XIVe siècle à Avignon avec son ossature de bois et de
piliers maçonnés (cl. F. Guyonnet, Service d’Archéologie du Département de Vaucluse, 2005).

4 Il était alors difficile de trouver des personnes pour s’intéresser à ce problème. La


Conservation régionale des Monuments Historiques ayant fort à faire avec des
781

protections en urgence et les bâtiments déjà protégés, tout comme l’Inventaire général
qui avait opté, depuis sa création en 1964, pour un recensement exhaustif et localement
ciblé du patrimoine. Les archéologues eux-mêmes, étaient parfois insensibles à la
question, en particulier lorsqu’ils avaient une formation dans les périodes anciennes.
En effet, quelle aubaine qu’une démolition d’un îlot de 8 000 m² en plein cœur d’une
ancienne ville antique… Le montage des opérations archéologiques étant déjà
suffisamment complexe, on comprend aisément pourquoi, les études avant démolition
ont alors été sacrifiées. Quant aux agences des Bâtiments de France, celles-ci étaient
souvent acculées à la défensive face à des élus ou promoteurs souhaitant rénover au
plus vite les centres urbains (souvent à moindre coût et avec des choix esthétiques
contestables). Il s’agissait pour les « ABF », de sauver les meubles en maintenant par
exemple, un écrin de façades anciennes face à un monument historique ou d’éviter la
disparition d’un édifice d’exception. À bien des égards, ce sont les milieux associatifs,
les érudits locaux et les professionnels territoriaux du patrimoine (archéologues,
conservateurs de musées, archivistes, etc.) qui tentaient de préserver ces témoignages
du passé en s’investissant sur le terrain, mais parfois aussi sur la scène médiatique,
voire politique. Ce constat relativement sombre doit être nuancé par quelques belles
réussites d’interventions d’urgence réalisées en concertation avec les différents
services du patrimoine. Notons aussi les recensements, que l’on pourrait qualifier « de
sauvetage », du service régional de l’Inventaire, réalisés préalablement à des
démolitions.
5 C’est donc dans ce contexte qu’est née, dans la décennie 1985-1995, l’archéologie du
bâti « ordinaire » (pour reprendre un terme développé par J. Burnouf), dans la
continuité de l’archéologie de sauvetage et grâce à la pugnacité de professionnels
convaincus. À cette période, les services de l’Inventaire général auraient pu prendre en
charge des études préventives sur le bâti mais il en a été autrement. On peut mesurer
une première « division des forces » lorsque l’archéologie et l’Inventaire prennent des
chemins différents alors que leurs objectifs sont parfois identiques. Notons pour s’en
convaincre et à titre d’exemple, la contemporanéité des études sur la demeure
médiévale dans les secteurs sauvegardés de Montpellier (les chargés d’études de
l’Inventaire, Jean-Louis Vayssette, Bernard Sournia et Thierry Lochard) et de Saint-Jean
à Lyon (les archéologues Catherine Arlaud et Joëlle Burnouf).
6 Progressivement, l’archéologie du bâti, c’est-à-dire l’étude des bâtiments avec des
méthodes d’analyses issues des traditionnelles fouilles stratigraphiques, s’est imposée
comme une évidence scientifique, notamment dans le domaine de la conservation et de
la restauration des Monuments Historiques. Cependant, cette forme d’archéologie s’est
heurtée à certaines réticences des conservateurs et des architectes des Monuments
Historiques qui estimaient que la stratigraphie n’était pas l’apanage des seuls
archéologues. Ce point de vue, profondément ancré dans les esprits explique encore les
divergences actuelles et est tout à fait compréhensible dans la mesure où nous venons
tous plus ou moins du même creuset : l’archéologie monumentale du XIXe siècle.
Effectivement, la stratigraphie « murale » n’est pas née avec l’archéologie du bâti de la
fin du XXe siècle. Il suffit d’observer les relevés ou croquis d’Eugène Viollet-le-Duc sur
les remparts de Carcassonne pour comprendre que l’architecte savait, lui aussi, à sa
façon construire son diagramme stratigraphique.
7 Sans rentrer dans l’immédiat sur les considérations institutionnelles et financières, on
peut s’interroger sur ce qui nous rassemble, plutôt que sur ce qui nous divise, dans la
782

mesure où nous œuvrons globalement pour la même cause, celle de la connaissance et


de la conservation – ne serait-ce que mémorielle – des constructions anciennes.
8 L’archéologie du bâti peut se décliner en de multiples modes opératoires : d’un simple
examen visuel d’une façade à la plus compliquée des analyses d’un matériau de
construction. Voilà l’une des grandes forces de cette spécialité à la croisée des chemins
entre différents métiers du patrimoine. Au risque de paraître provocant, je
m’aventurerais à dire qu’un simple touriste avec un minimum de bagage culturel peut
faire de l’archéologie du bâti à sa façon lorsqu’il regarde les maisons de Figeac, de Cluny
ou de Colmar et qu’il perçoit la morphologie générale de la construction et comprend
l’essentiel des modifications dans une élévation. Ce constat me paraît fondamental car
l’archéologie du bâti, dans sa plus simple expression, ne nécessite que peu de moyens et
surtout peut toucher le plus grand nombre. Ainsi, sans avoir recours à des démolitions
et à d’onéreux terrassements, il est possible de raconter l’histoire d’un bâtiment, d’un
quartier, d’une ville ou d’un territoire. Or, raconter une histoire auprès des élus, des
décideurs et de la population, c’est susciter l’intérêt, évident préalable à toute
recherche scientifique réalisée par des professionnels.
9 Dans une époque où tout va vite, où l’urbanisation galopante transforme notre espace
et relègue les centres historiques au rang de simples quartiers, où la standardisation de
la construction concourt à une affligeante uniformité, on perçoit toujours un vif intérêt
pour le patrimoine architectural, son étude et sa conservation. Le grand public est au
rendez-vous des grandes « messes » télévisuelles consacrées à nos métiers que l’on
retrouve régulièrement à des heures de pleine écoute. À titre d’exemple, une émission
telle que « Des racines et des ailes » recueille en moyenne 25 % de part d’audience au
niveau national, chiffre que l’on peut doubler lorsque l’on se positionne à l’échelon
régional et aisément tripler quand il s’agit d’une population locale directement
concernée par le sujet du reportage.
10 Par ailleurs, le temps des transformations radicales des centres historiques, sans prise
en compte de l’importance intrinsèque du patrimoine architectural, semble révolu. Le
nombre croissant de servitudes publiques et de documents d’urbanisme de type « Sites
patrimoniaux remarquables » semble l’attester. En substance, on ne démolit plus mais
on réhabilite et l’on a besoin de multiples savoir-faire pour mener à bien une telle
entreprise (Fig. 2). Le débat actuel sur la paupérisation des centres-villes et les mesures
gouvernementales en faveur des opérations « cœur de ville » montrent qu’il est urgent
de redonner une place à la proximité (habitats/commerces/services) et à la centralité
des agglomérations. Qu’y a-t-il de mieux qu’un centre historique, véritable « âme » d’un
territoire pour répondre à ces problématiques ? La reconquête des centres historiques,
mais également la mise en valeur d’un château sur un piton rocheux ou d’une abbaye
au fin fond d’une vallée, participent à l’amélioration du cadre de vie, à l’attractivité
d’un territoire et au développement touristique. Il est indéniable que nos sujets d’étude
sont facteurs de richesses et que nos actions ainsi que nos métiers sont admirés par
nombre de nos concitoyens. Alors pourquoi n’arrivons-nous pas à nous mettre d’accord
sur un certain nombre de points ?
783

Fig. 2. Réhabilitation d’un îlot dans les anciens lotissements médiévaux de Carpentras par l’architecte
A. Bruguerolle (cl. F. Guyonnet, Service d’Archéologie du Département de Vaucluse, 2010).

2. Les difficultés de mise en œuvre et quelques pistes


d’avenir
11 Il existe plusieurs difficultés auxquelles est confrontée l’archéologie du bâti en France ;
certaines sont institutionnelles, d’autres réglementaires ou financières et enfin
culturelles. Au préalable, il semble nécessaire de faire un tour d’horizon des acteurs
dans le domaine qui nous concerne (hors musées et archives).
12 La politique patrimoniale de l’État est le résultat d’une longue évolution. Il y a tout
d’abord l’antériorité de la « Commission des Monuments Historiques », pour reprendre
la terminologie de 1837, ancêtre des Conservations régionales des Monuments
Historiques (CRMH). Par ailleurs, les Unités départementales de l’architecture et du
patrimoine (UDAP) sont les descendantes des « Agences des Bâtiments de France »
créées en 1946 pour donner de nouvelles missions aux « Architectes ordinaires des
Monuments Historiques » dont le statut fixé en 1907 déterminait un rôle d’entretien
des monuments historiques.
13 L’archéologie s’est structurée plus tardivement avec les « Directions des antiquités
historiques » créées en 1942 et transformées en 1991 en Services régionaux de
l’archéologie (SRA).
14 L’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, lancé en 1964
et organisé en services régionaux (SRI) a été transféré aux régions en 2005.
15 Ces services dépendants de la direction générale du patrimoine du Ministère de la
Culture sont intégrés aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC) depuis
784

1969 (départ des SRI en 2005 et arrivée des UDAP en 2010). Les conseillers en
architecture en poste dans les DRAC, coordonnent l’action des UDAP et conseillent les
collectivités territoriales dans l’élaboration et le suivi des Sites patrimoniaux
remarquables (SPR). Ajoutons à ce portrait, deux grands établissements publics
dépendant du ministère de la Culture, le Centre des monuments nationaux (Caisse
nationale des monuments historiques et préhistoriques, 1914) et l’Institut national de
recherches archéologiques préventives (2001).
16 Pour les collectivités territoriales, seul l’Inventaire général transféré aux régions en
2005 est une compétence obligatoire. Les nombreux services d’archéologie ou du
patrimoine des villes, départements ou EPCI relèvent des compétences facultatives des
collectivités, même si certaines structures existent depuis bien longtemps (Paris 1897,
Lyon, 1933, etc.). Signalons que depuis 2009, la maîtrise d’ouvrage sur les monuments
historiques classés est du ressort des propriétaires. Ainsi, les collectivités pilotent les
travaux sur leurs propres bâtiments protégés, sous contrôle scientifique et technique
des services de l’État. Un contrôle comparable s’exerce sur les services archéologiques
des collectivités, disposant d’une habilitation pour l’archéologie préventive (2003 et
2016). Certaines collectivités disposent de services du patrimoine dont les vocations
sont multiples (gestion des travaux, d’un secteur sauvegardé, d’un label type « Ville
d’art et d’histoire » ou médiation). Enfin, les Conseils d’architecture, d’urbanisme et
d’environnement (CAUE), créés en 1977, au statut particulier mais liés aux
départements, jouent un rôle non négligeable en matière de conservation du
patrimoine architectural par le biais notamment, de leur réseau d’architectes conseils.
17 D’autres intervenants, dont la liste est loin d’être exhaustive, participent à des projets
sur le patrimoine architectural. Citons, globalement, les différents chercheurs ou
enseignants-chercheurs (archéologues, historiens, architectes, etc.) ainsi que leurs
étudiants, souvent réunis au sein d’unités mixtes de recherche du CNRS. La recherche
s’exerce également aux travers d’entreprises privées de tailles diverses, dont certaines
sont issues de la loi sur l’archéologie préventive (2003) et d’autres, plus petites sont des
bureaux d’études placés dans le giron des architectes spécialisés. Chez les maîtres
d’œuvre, le corps des architectes en chef des Monuments Historiques, créé en 1840, a
vu évoluer ses missions en particulier depuis 2009, puisque désormais ces architectes
sont mis en concurrence sur les bâtiments classés n’appartenant pas à l’État. Celle-ci est
néanmoins limitée entre architectes possédant les qualifications « architecture et
patrimoine » (DSA de l’école de Chaillot par exemple). Ainsi, il existe de nombreuses
agences d’architectes du patrimoine, travaillant sur des bâtiments classés ou inscrits,
mais également sur des projets situés en SPR. Signalons enfin que certaines agences
sont spécialisées dans l’élaboration des SPR (plan de sauvegarde et de mise en valeur ou
plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine).
18 L’un des écueils de l’archéologie du bâti est qu’elle s’inscrit justement à l’interaction
entre ces différents acteurs et leur corolaire de réglementations. Si l’on ajoute à cela
une dose de relations humaines, de rivalités entre institutions et de particularismes
régionaux, on comprend aisément qu’elle ait du mal à trouver sa place alors qu’en
théorie, elle devrait faire l’unanimité, au service de l’intérêt commun.
19 Si le rôle de L’État est une évidence pour superviser et coordonner l’étude et la
conservation du patrimoine dans notre pays, on peut toutefois s’interroger sur le
fonctionnement des DRAC et les relations parfois compliquées ou distendues entre
services (CRMH/SRA/UDAP) pourtant chargés des missions régaliennes de prescription
785

et de suivi2. L’archéologie du bâti est un point d’achoppement entre les services et la


création récente des « pôles patrimoine » au sein des DRAC n’a malheureusement pas
réglé le problème de dialogue. Par exemple, il n’est pas rare de rencontrer un ABF rétif
à l’idée qu’une opération d’archéologie puisse être envisagée sur un bâtiment d’un
secteur sauvegardé pour des raisons souvent liées à des calendriers de travaux ou de
coûts pour la maîtrise d’ouvrage. Il existe encore des conservateurs des Monuments
Historiques estimant que le maître d’œuvre est capable de livrer sa propre analyse du
monument sans l’aide d’un archéologue. Il arrive aussi que certains architectes soient
peu enclins à intégrer des découvertes archéologiques dans leur projet déjà finalisé et
chiffré. Mais inversement, certains archéologues des SRA ne s’intéressent pas à l’étude
des bâtiments anciens et les prescriptions sont alors inexistantes sur les territoires
placés sous leur autorité. Aujourd’hui, en France, pays signataire de la convention de
Malte, l’information archéologique peut encore disparaître sur des monuments
d’exception, restaurés sans étude préalable ni suivi par des archéologues (Fig. 3).

Fig. 3. Achèvement de la restauration extérieure de l’église du couvent des Célestins d’Avignon sans
étude archéologique (cl. F. Guyonnet, Service d’Archéologie du Département de Vaucluse, 2007).

20 Dans l’ensemble, les agents de l’État arrivent à communiquer et à transcender les


« barrières » interservices. De plus en plus, les CRMH demandent des études
archéologiques des élévations, préalables à des projets de restaurations. Cette avancée
notable a toutefois un travers car l’archéologie se retrouve dans une position
d’infériorité par rapport à l’architecture. Dans les appels d’offres de maîtrise d’œuvre
concernant la réhabilitation ou la restauration de monuments historiques classés ou
inscrits (mais également sur certaines constructions en SPR), l’architecte mandataire
doit s’adjoindre les compétences d’archéologues. Par conséquent, l’archéologie se
trouve reléguée au rang supplétif, au même titre qu’un BET structure, un économiste…
Ceci pose, à mon sens, un problème éthique car l’étude archéologique doit être
distincte du travail de maîtrise d’œuvre dont l’objectif est différent. Par ailleurs,
l’intégration de l’archéologie dans les missions de maîtrise d’œuvre déstructure notre
métier. L’analyse des offres s’effectue de façon globale sur une valeur technique et une
valeur prix et par conséquent les missions archéologiques sont évaluées avec
786

l’ensemble des propositions. Ainsi, vous pouvez avoir une « offre » archéologique de
qualité moyenne (ou inférieure) qui peut être sélectionnée grâce aux bonnes références
d’un architecte ou d’autres corps de métiers associés. A contrario, la proposition d’une
équipe d’archéologues compétents va être rejetée car le classement de l’architecte
mandataire n’est pas satisfaisant. L’autre problème soulevé par ce type de
fonctionnement est l’inégalité de traitement des équipes d’archéologues car bien
souvent, les études de bâti sortent du champ d’application de la loi sur l’archéologie
préventive. Ainsi, sur des projets « Monuments Historiques », vous pouvez trouver des
microsociétés privées ou des groupements ponctuels de compétences qui ne disposent
pas de l’habilitation. Certains de ces intervenants ont des références incontestables
mais quelquefois on trouve sur les échafaudages, de jeunes étudiants à l’avenir
incertain, payés avec le statut d’auto-entrepreneur. Quel retour en arrière ! Il est aussi
fort déplaisant pour des opérateurs, disposant d’une habilitation dont l’obtention
nécessite d’importants investissements sur le long terme, de se voir écartés de sites
prestigieux par une concurrence déloyale. Cette amertume qui peut être partagée par
des équipes de l’Inrap, pourrait tout à fait trouver une illustration dans l’exemple d’un
château où les élévations seraient étudiées par des archéologues non habilités –
fouillant par la même occasion quelques pièces prestigieuses – ; en revanche, les
archéologues habilités seraient cantonnés sur des tranchées de réseaux implantées
dans les fossés non protégés au titre des Monuments Historiques…
21 Cette réflexion pointe du doigt un besoin de cohérence dans la politique de l’État et une
nécessaire collaboration efficace entre les CRMH et les SRA. La résolution de ces
problèmes passe obligatoirement par une évolution réglementaire à construire.
L’archéologie professionnelle, de formation relativement récente, doit achever sa
structuration. En cela, il n’existe pas « d’archéologie » dans sa forme préventive et
programmée, et à côté, une « archéologie des Monuments Historiques » avec ses
propres règles. Nous pouvons attendre de l’État, garant des cadres réglementaires,
administratifs et scientifiques qu’il nous apporte les bonnes solutions en transcendant
les clivages corporatistes et les épineuses questions financières au sein de son
administration. Les pistes sont multiples. Pourquoi ne pas confier d’emblée toutes les
études archéologiques du bâti sur les monuments d’État (gérés ou non par le CMN) à un
opérateur public ? Ne pourrait-on pas exiger une habilitation pour toutes les
interventions sur le bâti en contexte « MH » ? La réflexion devrait être lancée
rapidement en intégrant des représentants des collectivités territoriales qui possèdent
la plupart des bâtiments protégés dans notre pays.
22 Le coût des opérations archéologiques sur les Monuments Historiques et sur les
bâtiments anciens est un véritable sujet et un point de divergence entre nos métiers
respectifs. Une fouille archéologique préventive préalable à des aménagements lourds
(infrastructures, espaces publics, etc.) ou à des programmes immobiliers, est intégrée et
édulcorée financièrement dans le budget global de l’opération. La loi de 2001-2003 fait
le nécessaire pour que l’équilibre économique des petites opérations ne soit pas mis en
péril par les découvertes archéologiques (particuliers, logements sociaux, etc.). En
revanche, la question du surcoût engendrée par l’archéologie dans les projets sur les
Monuments Historiques et sur les bâtiments anciens situés en SPR, reste entière, a
fortiori lorsque l’État finance les travaux (en totalité pour ses propres biens,
partiellement pour les monuments protégés via les subventions et les défiscalisations
ad hoc). Prenons l’exemple concret d’une petite chapelle nécessitant une restauration
787

peu lourde (façades, toiture, sol et quelques aménagements divers), de l’ordre de


500 000 € avec des honoraires de maîtrise d’œuvre (équipe complète) à 10 %. Une étude
archéologique des élévations à deux personnes pendant 15 jours sur le terrain, 30 jours
d’élaboration du rapport peut aisément coûter autant que la maîtrise d’œuvre. Si à cela
vous ajoutez une fouille archéologique pour le positionnement d’un système de
chauffage, il est facilement compréhensible que la maîtrise d’ouvrage considère avec un
œil inquiet l’archéologie… À ces considérations financières, peuvent s’ajouter le
problème de respect des plannings et de divers surcoûts sur des chantiers souvent
difficiles à piloter. Pourtant, depuis une trentaine d’années, la multiplication des
normes (accessibilité, sécurités diverses, dépollution, etc.) a entrainé une inflation des
coûts sans pour autant entraver réellement l’action des maîtrises d’ouvrage. Par
ailleurs, sur des projets autres que les Monuments Historiques, les prescriptions de
l’État en matière d’archéologie ne font plus vraiment débat.
23 La question financière explique la réticence des CRMH et des ABF à donner le champ
libre aux archéologues pour des études de bâti. Bien des SRA tentent de trouver des
solutions de compromis pour réduire l’impact de l’archéologie sur le budget global de
l’opération. La plus radicale consistant à laisser faire sachant que l’on peut
légitimement se poser la question de la nécessité d’une étude sur tous les monuments
ou bâtiments anciens. Une autre solution consistant à tenter de faire rentrer
l’archéologie du bâti dans le cadre préventif, vise à prescrire des diagnostics sur des
élévations. C’est une démarche louable et évidente à partir du moment où le bâtiment
en question ne révèle aucun intérêt architectural apparent (ce qui n’est pas vraiment le
cas des Monuments Historiques). Parfois, le diagnostic est demandé pour des bâtiments
conservant leurs élévations médiévales dégagées de tout enduit récent ou possédant les
planchers, voûtes et autres charpentes anciennes. Les archéologues publics des
collectivités ou de l’Inrap vont être dans l’obligation déontologique de produire une
analyse scientifique complète d’un édifice qui ne sera que très modestement financé
par la RAP. Il ne s’agit plus de diagnostic mais d’étude complète ; or on ne finance pas
une fouille archéologique par la subvention liée à l’archéologie préventive3. Clairement,
le principe du diagnostic est dévoyé afin de ne pas prescrire une opération de « fouille »
(ou d’étude de bâti) alors qu’il est tout à fait possible et légal d’imposer une véritable
étude avec un cahier des charges (Fig. 4).
788

Fig. 4. Maison du XIVe siècle, rue Grande-Fusterie à Avignon, avant étude archéologique et restauration.
La prescription d’étude directe s’est imposée par la lisibilité de la façade (cl. F. Guyonnet, Service
d’Archéologie du Département de Vaucluse, 2011).

24 L’apparition des nouvelles technologies contribue à cette recherche de compromis. La


multiplication des relevés orthophotographiques, des scanners et autres drones, offre
de nombreuses possibilités pour gagner du temps et des moyens humains (Fig. 5). Mais
cela a aussi un coût, certes en diminution, mais dont les effets bénéfiques sur les
budgets d’opérations sont quelquefois annihilés par une surenchère quantitative. À cela
ajoutons une évolution du métier d’archéologue vers une surspécialisation qui
contribue aussi à une inflation des coûts. Celle-ci est logique car un archéologue
spécialisé aura besoin de plus de temps, de plus d’analyses complémentaires pour
appréhender son sujet d’étude. Mais ne pourrait-on pas revenir parfois à plus de
simplicité, vers un archéologue généraliste, véritable « couteau-suisse » de l’étude
sachant répondre à la plupart des questionnements scientifiques et techniques sur un
chantier de restauration ? Bien évidemment, des grands chantiers avec des
problématiques scientifiques de premier plan ont besoin d’une diversité de
compétences. Il suffit pour s’en convaincre de lire les contributions des auteurs qui
sont intervenus dans la deuxième et la quatrième section de ce colloque d’Auxerre.
Cependant, le développement de l’archéologie du bâti est aussi lié à une adaptation des
moyens aux enjeux scientifiques.
789

Fig. 5. Exemple d’utilisation d’une orthophotographie de basse définition pour l’étude d’une façade
médiévale. Hôtel de Fonseca à Avignon (F. Guyonnet, N. Duverger, Service d’Archéologie du
Département de Vaucluse, 2010).

25 Les archéologues des collectivités territoriales ont à mon avis un rôle clef à jouer dans
la promotion des études sur le bâti. Les présentations de Clément Alix sur les maisons
en pan de bois d’Orléans et d’Anaïs Charrier sur celle de Cahors sont éloquentes à plus
d’un titre. Il est évident que ces archéologues arrivent à transcender bon gré mal gré,
les difficultés administratives et développent des schémas relativement novateurs
(partenariat entre le service régional de l’inventaire et la direction du patrimoine de
Cahors). Le financement des opérations n’est pas une priorité car les études, pourtant
majoritairement effectuées sur des propriétés privées dans un périmètre de SPR, sont
considérées comme des missions relevant d’une politique publique de valorisation du
patrimoine. Ce qui caractérise aussi ces interventions, c’est leur exhaustivité et la
systématisation des études avant et pendant les travaux. La recherche et
l’enrichissement des corpus de maisons, préalable nécessaire à toute synthèse sur la
maison médiévale, sont les moteurs de ces interventions qui répondent également à un
besoin pour d’autres. Peut-être en premier lieu le propriétaire, qui est heureux
d’apprendre que sa maison date de telle époque et qu’elle a été transformée à telle
autre. Le maître d’œuvre et les artisans, qui sont soucieux de comprendre le bâtiment
pour lequel ils conçoivent un avenir avec de nouvelles fonctionnalités et qui sont
satisfaits de trouver un interlocuteur sachant expliquer tout en livrant une
documentation graphique de premier plan. Enfin, les services de l’État, qui sont
rassurés d’avoir localement un intermédiaire en la personne d’un professionnel aguerri
et parfaitement au fait des questionnements scientifiques et des problématiques de
conservation du patrimoine. Voilà une façon exemplaire de faire de « l’archéologie du
bâti aujourd’hui et demain » ! La proximité physique est un élément essentiel de
réactivité dans ce domaine : il faut savoir ce qui se passe sur le territoire, posséder un
réseau et mobiliser les énergies au moment opportun. En cela, l’archéologue territorial
790

dispose de tous les atouts, en particulier lorsqu’il œuvre dans une ville ou un EPCI de
taille moyenne.
26 Toutefois, le fonctionnement des collectivités est divers et également le fruit d’une
longue histoire. Les services territoriaux du patrimoine ont aussi leurs imperfections
qui bien souvent résultent d’un éparpillement des compétences, d’absence de dialogue
interservices voire de rivalités au sein d’une même institution. À cela, si vous portez ces
difficultés à l’échelon du fameux « millefeuille » territorial administratif français, vous
superposerez ainsi les strates d’obstacles qui par endroits peuvent totalement
dissuader les bonnes volontés… Ajoutons à ces entraves, les positionnements erratiques
et cloisonnés des services dans l’organigramme des collectivités qui ne favorise pas les
échanges. Ainsi, vous trouvez des services d’archéologie ou du patrimoine dépendant
d’une direction de la culture alors que le service chargé des travaux sur les monuments
est rattaché à la direction des bâtiments et celui affecté à la gestion d’un SPR placé sous
la coupe de la direction de l’urbanisme. À titre personnel, je reste convaincu de l’utilité
de rattacher les services du patrimoine à la « sphère » technique des collectivités
(aménagement ou urbanisme), là où les budgets sont plus conséquents, où l’échelon
décisionnaire possède du poids et où l’information importante pour nos métiers circule
(projets, calendriers des travaux, etc.). En outre, rien ne fait obstacle à de bonnes
relations avec les services culturels (médiation, évènementiel, etc.).

3. Une expérimentation provençale


27 Cette orientation « technique » d’un service du patrimoine à vocation archéologique est
celle choisie dans ma collectivité. Les propos qui vont suivre ont vocation à expliquer
de façon globale cette expérience conduite depuis huit ans dans ma commune
d’attache. La petite direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue fait aujourd’hui
figure d’exemple, du moins dans la région, pour ses résultats et sa réussite dans la
« pacification » des relations interinstitutionnelles, interservices et
interprofessionnelles.
28 Tout part d’une volonté politique puisque le maire a souhaité en 2012, renforcer les
compétences de son administration en la dotant d’une direction dévolue à l’étude et la
mise en valeur du patrimoine. Ce choix résultait alors d’un intérêt personnel pour
l’histoire, l’archéologie et le patrimoine architectural, mais également d’une approche
pragmatique de stratégie de développement territorial. En effet, sa ville moyenne du
Vaucluse, baignée par ses bras de rivière et disposant de la renommée d’un marché
international d’antiquaires n’était, jusqu’alors, pas engagée dans une politique
patrimoniale. Il paraissait évident pour l’élu de pallier cette lacune, afin de diversifier
l’offre touristique, d’améliorer la qualité du cadre de vie et d’accroître l’attractivité du
centre ancien.
29 Le point de départ a été le projet de réhabilitation de l’îlot urbain de « la tour
d’Argent » en pôle culturel regroupant un cinéma de centre-ville et divers équipements
annexes (Fig. 6). Sur ce site extrêmement complexe se superposent des vestiges
correspondant à 800 ans de l’histoire de l’architecture locale, en particulier une tour du
XIIe siècle couverte d’une remarquable coupole. L’étude archéologique préalable
confiée initialement au service départemental d’archéologie a fourni l’occasion aux élus
de se familiariser avec nos métiers et d’en comprendre l’intérêt. Dès lors, il a été décidé
de recruter un archéologue pour poursuivre les études de cet îlot et pour construire
791

une politique publique du patrimoine sur la commune. La feuille de route initiale était
relativement simple : carte blanche pour bâtir et innover, certes avec peu de moyens
mais la confiance de l’exécutif. En bref, il fallait faire ses preuves et c’est ainsi que j’ai
décidé de quitter le confort d’un service établi et le prestige d’une collectivité de rang
supérieur pour relever le défi. Quoi de plus exaltant que de bâtir un « outil »
patrimonial lorsque l’on dispose de l’énergie et de l’expérience nécessaire ! Cependant,
au bout de quelques mois, il paraissait évident que la seule activité d’archéologue ne
suffirait pas à asseoir ce poste dont l’utilité, en période de disette budgétaire, était
contestée par certains autres services. C’est alors qu’il a fallu rapidement poser la
truelle et dresser un état des lieux des besoins en termes de patrimoine et faire preuve
d’une grande polyvalence. Tout était à faire : développer nos connaissances alors
erratiques sur l’histoire de la ville, lancer des projets de restauration sur des bâtiments
anciens, trouver des solutions pour améliorer l’esthétique du centre ancien aux
nombreuses façades décrépites, etc. L’action de cette direction du patrimoine
embryonnaire a été favorisée par une confiance sans faille des services de l’État (SRA/
CRMH/UDAP) qui s’est notamment concrétisée dans l’obtention de l’agrément en
archéologie préventive.

Fig. 6. Tour médiévale et bâtiment résidentiel associé en travaux, après étude archéologique (cl. F.
Guyonnet, Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue, 2017).

30 Les orientations choisies ont contribué à tisser des liens indéfectibles entre la direction
du Patrimoine et celles de l’Aménagement et de l’Urbanisme. Rappelons que depuis
2009, la maîtrise d’ouvrage sur les Monuments Historiques était passée de l’État aux
propriétaires. C’est ainsi que la direction du patrimoine s’est emparée en 2014 du projet
de restauration du clocher et du chevet de la collégiale classée (Fig. 7). Elle pilotait les
travaux et assurait le suivi archéologique du chantier alors que la direction de
l’aménagement conservait la gestion des marchés publics. Ce fonctionnement qui
assurait la qualité des relations entre la collectivité et la CRMH a été reconduit en 2017
et 2019 lors de la restauration d’une chapelle médiévale, puis celle de la tour d’Argent
et enfin sur quelques travaux d’entretien. Par ailleurs, le « patrimoine » aidait
« l’aménagement » lorsqu’il était nécessaire d’élaborer des projets de réhabilitation de
792

bâtiments publics anciens non protégés en concertation avec l’architecte des Bâtiments
de France. Aujourd’hui le mode opératoire est clairement établi : le patrimoine gère les
relations avec la DRAC, assure la partie « conception » de la maîtrise d’ouvrage (en lien
avec nos architectes) et suit les chantiers (archéologie et travaux).

Fig. 7. Restauration du chevet de la collégiale en face de l’îlot de la tour d’Argent en cours d’étude
archéologique (cl. F. Guyonnet, Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue, 2015).

31 Avec la direction de l’Urbanisme, la collaboration s’est concrétisée par un suivi continu


des déclarations préalables de travaux et les permis de construire sur le périmètre du
centre historique, de ses abords et sur des secteurs à fort potentiel disséminés dans les
campagnes (Fig. 8). Cette prise en main des dossiers d’urbanisme a nécessité une
répartition des rôles avec l’architecte du CAUE ; celui-ci pouvant désormais se
concentrer sur l’extra-muros et sur les projets d’architecture contemporaine. La
direction du Patrimoine se réservant la mission de conseil architectural sur le centre
ancien. Ce suivi des dossiers avec avis consultatif, associé à des visites d’immeubles ne
procure que des avantages : la direction du Patrimoine est identifiée comme le garant
de l’esthétique urbaine et le pilier de son amélioration, avec le double avantage de
participer à l’inventaire du patrimoine architectural et d’identifier les projets
nécessitant une intervention archéologique (diagnostic ou bâti). Ce mode opératoire
tisse un lien privilégié avec l’UDAP puisque la direction du Patrimoine se trouve à
l’interface entre les aménageurs (souvent de simples propriétaires d’immeubles) et
l’architecte des Bâtiments de France, tout en fluidifiant les relations et en contribuant à
accélérer l’avancement des projets.
793

Fig. 8. Découverte d’un escalier de la fin du XVe siècle dans une cour du centre historique (cl. F.
Guyonnet, Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue, 2013).

32 La question d’un outil approprié de gestion du patrimoine architectural s’est


clairement posée dès 2012 mais est restée suspendue aux évolutions réglementaires qui
ont finalement débouché sur la loi LCAP de 2016. À la fin de l’année 2015, en
collaboration avec le conseiller pour l’architecture de la DRAC et l’UDAP, une aire de
mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP) a été mise à l’étude
(aujourd’hui SPR) et placée sous la maîtrise d’ouvrage de la direction du Patrimoine.
Notre contribution porte aussi sur l’identification des bâtiments les plus remarquables
du territoire et des propositions de protection au titre des Monuments Historiques. Ces
protections concernent des bâtiments municipaux (tour d’Argent en 2012, chapelle de
Velorgues en 2016, immeuble de la Juiverie en 2020), mais aussi des bâtiments privés
(escalier gothique en 2017, Charité en 2020). Outre le principe d’identification des
bâtiments et de persuasion des propriétaires privés (parfois nombreux pour le même
site), nous apportons à la CRMH la documentation adéquate (historique, archéologique,
graphique, etc.) pour l’élaboration des dossiers avant passage en CRPA (Fig. 9).
794

Fig. 9. Façade d’un immeuble, avec son escalier central, conservé dans l’ancien quartier juif et
récemment inscrit ISMH (cl. F. Guyonnet, Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue, 2019).

33 L’archéologie reste le pilier fondateur de cette direction du patrimoine. Sur le site de la


tour d’Argent, nous avons déployé tout le panel des études possibles : du diagnostic à la
fouille archéologique préventive en passant par l’analyse du bâti et la fouille
programmée pour les secteurs non impactés par le projet (le « subaquatique » pourrait
être envisagé dans le canal limitrophe !). Après la modification de la zone de
présomption de prescription archéologique, notre gestion des dossiers d’urbanisme a
permis d’optimiser les prescriptions du SRA. Ainsi, nous intervenons en contexte
préventif, essentiellement en milieu urbain sur des petites surfaces. Pour les études de
bâti dans le centre ancien et pour les interventions ponctuelles en sous-sol dans les
monuments historiques, la norme est plutôt « l’autorisation de sondage » ou « la
prospection thématique ». L’archéologie programmée n’est pas en reste car entre 2012
et 2015 nous avons contribué, par une aide logistique et en personnel, à la fouille d’un
site néolithique conduit par une équipe pluridisciplinaire. Mais notre principale action
dans ce domaine est sans conteste la fouille programmée du site de la chapelle de
Velorgues (en partenariat avec l’Inrap) pendant six ans entre 2014 et 2019 (Fig. 10).
795

Fig. 10. Vue de la chapelle de Velorgues lors de la fouille archéologique programmée et de l’étude du
bâti (cl. Air Pixels, Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue, 2014).

34 Nous développons aussi modestement des études archéologiques à l’extérieur du


territoire communal, essentiellement dans les limites de l’intercommunalité, plutôt
orientées sur du bâti et bien évidemment sur la période médiévale pour laquelle nous
sommes spécialisés. Ces interventions extérieures sont facturées aux autres
collectivités et nous permettent d’ouvrir notre champ de réflexion sur des thématiques
proches des nôtres (églises, enceintes urbaines, tours et châteaux).
35 Ici, l’archéologie n’est pas vécue comme une contrainte mais comme un atout pour nos
projets. Le principe expérimenté sur le site de la tour d’Argent, aujourd’hui
systématisé, et qui consiste à placer en amont de la chaîne opérationnelle l’étude
archéologique, est un vrai avantage. Avant même l’intervention d’un architecte,
l’édifice est étudié dans sa globalité. Outre une possible protection « monument
historique », la documentation rassemblée par l’archéologie sert le projet à venir car
les résultats seront intégrés dans la réflexion. La surprise de la découverte, vénérée par
l’archéologue et honnie par l’aménageur, n’est plus un problème et devient même une
chance pour améliorer la qualité du projet. De surcroît, la documentation
archéologique, notamment les nombreux relevés, contribue à diminuer le coût des
études préalables d’un architecte (mission « étude de diagnostic » loi MOP) qui se
satisfait pleinement de disposer d’études spécialisées lorsqu’il débute sa mission.
Notons que les recherches archéologiques permettent de valoriser les projets auprès du
public et servent aussi la communication municipale.
36 Voici les principales missions opérationnelles d’une direction du patrimoine
territoriale à vocation archéologique. On doit saluer la capacité d’adaptation des
services de l’État à ce fonctionnement quelquefois iconoclaste qui néanmoins apporte
des résultats probants. Signalons aussi l’aide financière soutenue de la DRAC pour nos
actions : financement de l’AVAP, maximum de subventions pour les travaux sur les
Monuments Historiques, aides pour les fouilles programmées et plan de numérisation
du patrimoine PACA.
796

37 Les autres missions de la direction du patrimoine sont très diverses et complètent notre
offre en matière de politique patrimoniale : assistance à maîtrise d’ouvrage privée pour
les bâtiments anciens, travaux d’entretien, recherche de financement, inventaire du
patrimoine, acquisitions d’œuvres, formation des étudiants, restauration d’œuvres,
médiation auprès des publics scolaires et adultes, etc.
38 Initialement composée de trois personnes (dont deux administratifs), la direction s’est
structurée progressivement pour atteindre aujourd’hui un effectif de huit agents à
temps plein (trois agents redéployés d’autres services et cinq recrutements dont trois
archéologues, une historienne et une médiatrice). Même si nous disposons de quelques
renforts ponctuels (contractuels pour deux équivalents temps plein), il est évident que
nous avons atteint nos limites pour un service du patrimoine d’une commune de cette
taille. C’est la raison pour laquelle nous avons créé des partenariats nous permettant
d’assurer sereinement certaines missions.
39 Pour l’archéologie, la collaboration avec l’Inrap est une réalité puisqu’en 2016, nous
avons signé une convention cadre qui permet une grande souplesse d’action. Depuis,
nous avons expérimenté notre partenariat sur un chantier préventif en centre-ville
(réponse conjointe sur un appel d’offres), sur une fouille programmée ainsi que sur
différents diagnostics et études de bâti. La collaboration se concrétise par une
répartition des rôles avec un apport des spécialistes de l’Inrap (anthropologie,
géomorphologie, topographie, etc.) en complémentarité de l’équipe de la direction du
patrimoine. L’intervention des spécialistes de l’Inrap est souvent facturée à la ville mais
parfois gracieuse (aide ponctuelle dans le cadre de la convention ou jours « Programme
d’Action Scientifique » sur de la fouille programmée). Enfin, il apparaît que notre plan
de charge et nos moyens logistiques ne nous permettent pas de réaliser les diagnostics
en milieu rural d’une superficie supérieure à 5 ou 6 hectares qui sont donc confiés à
l’Inrap.
40 Un autre partenaire conventionné est le service de l’Inventaire général du patrimoine
de la région Sud (PACA). Cette union est le fruit d’une réflexion entre nos deux services
car le SRI s’est montré vivement intéressé par un travail de fond sur l’extraordinaire
mobilier baroque de la collégiale de L’Isle-sur-la-Sorgue. N’ayant aucune connaissance
particulière dans ce domaine, nous avons saisi l’opportunité d’avoir à demeure un
chercheur de l’Inventaire pour entreprendre cette étude exhaustive. Notre
collaboration débutée en 2018, se conforme au principe de l’inventaire topographique,
placée sous la responsabilité scientifique du SRI et adoptant sa méthodologie. À
nouveau, les rôles sont répartis : le SRI prend en charge le mobilier religieux (collégiale
et Hôtel-Dieu) et le patrimoine industriel ; la direction du patrimoine s’occupe de
l’architecture dans le périmètre du SPR. Les photographes, dessinateurs et chercheurs
de l’Inventaire général peuvent également intervenir en urgence sur des opérations
d’archéologie du bâti pilotées par la commune ou dans le cadre de procédures de
protection « Monuments Historiques ». Outre l’aspect scientifique de cette
collaboration, le partenariat avec la région permet d’intégrer les intéressants
dispositifs de subventions en faveur du patrimoine (15 % du montant des travaux pour
la collectivité et 20 % pour les particuliers). Le SRI dispose d’un bureau dans nos locaux.
41 Les autres partenaires de la direction du patrimoine sont l’université d’Avignon (depuis
2012) et le Ciham (Histoire, archéologie, littérature des mondes chrétiens et musulmans
médiévaux, UMR 5648, depuis 2017). Le département d’histoire de l’université
d’Avignon envoie ses étudiants sur les fouilles programmées (près d’une centaine en
797

huit ans) et le Ciham finance partiellement l’intendance (Fig. 11). Des cours du master
« patrimoine » se tiennent à L’Isle-sur-la-Sorgue et permettent aux étudiants de se
familiariser avec notre approche pluridisciplinaire dans un cadre de collectivité
territoriale (visite des chantiers de fouille, de restauration, etc.). Nombreux sont les
stagiaires issus de cette formation à être passés par la direction du patrimoine (les
stages de M2 sont rémunérés et les stages de M1, plus courts, sont suivis
systématiquement d’un contrat en vacation). Cette proximité avec l’université et une
UMR offre aussi l’opportunité de développer la recherche locale (trois masters
« recherche » consacrés à L’Isle en huit ans). La collaboration avec le Ciham est très
étroite car depuis trois ans, un céramologue du laboratoire est hébergé gracieusement
dans nos locaux et dispose de notre aide logistique. En contrepartie, il nous apporte
ponctuellement son expertise scientifique dans son domaine de compétence.

Fig. 11. Accueil des étudiants dans la chapelle de Velorgues par Simone Balossino, MCF en histoire
médiévale à l’université d’Avignon (cl. F. Guyonnet, Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue,
2018).

42 Dans une logique « œcuménique », nous organisons chaque année des « workshops » de
jeunes architectes ou étudiants en architecture qui viennent s’initier à la réflexion sur
le bâti ancien et plus généralement à la sauvegarde du patrimoine dans les centres
historiques. En lien avec le CAUE, un atelier européen s’est penché sur l’aménagement
des espaces publics dans le périmètre du SPR (Fig. 12). Un autre, organisé avec un
collectif d’architectes s’est consacré à la renaissance de l’architecture de terre dans des
projets contemporains. Enfin, depuis trois ans, nous travaillons avec le département
d’histoire des monuments de la faculté d’architecture de Budapest pour l’étude et la
réhabilitation de deux de nos sites et monuments. Ces échanges sont l’occasion de
rencontres entre ces étudiants et nos maîtres d’œuvre ainsi qu’avec les architectes
exerçant sur le territoire et divers professionnels du patrimoine (archéologues,
conservateurs, etc.).
798

Fig. 12. Rencontre entre jeunes architectes européens et les professionnels de L’Isle-sur-la-Sorgue lors
d’un workshop (cl. F. Guyonnet, Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue, 2014).

43 Enfin, signalons un partenariat avec une association locale de sauvegarde du


patrimoine. L’association « Memòri », l’une des plus importantes du Vaucluse avec près
de quatre cents membres, a toujours été un soutien fidèle de notre action et un puissant
relais auprès de la population et des élus. Nous avons développé un programme
conjoint de conférences et nous organisons régulièrement des actions diverses auprès
des publics, notamment des visites de sites.
44 Voilà résumées en quelques lignes, les orientations d’une direction du Patrimoine
polyvalente d’une ville de 20 000 habitants où l’archéologie, en particulier du bâti, sert
de vecteur de diffusion et d’harmonisation d’une politique du patrimoine. L’union,
l’entraide et la complémentarité entre les différents acteurs permettent des résultats
évidents qui tendent à crédibiliser nos métiers auprès de l’exécutif dans l’élaboration
d’un projet de territoire. La meilleure illustration de ce constat est à rechercher dans
des opérations exemplaires – mais coûteuses – de sauvetage du patrimoine, effectuées
sur la commune depuis quelques années. Citons l’acquisition de la chapelle médiévale
de Velorgues en 2014, vendue sur le site web « Leboncoin » ou plus récemment, en
2019, l’achat d’une partie d’un immeuble de l’ancienne juiverie, recelant un
remarquable escalier du XVIIIe siècle menacé de démolition par un projet immobilier.
L’exemple sur lequel nous travaillons actuellement est encore plus exemplaire de la
confiance accordée et de l’intérêt de l’anticipation dans nos métiers. Il s’agit de
l’acquisition pilotée par la commune, mais engagée par l’Établissement public foncier
(EPF-PACA), d’une remise située sur l’emplacement de l’ancienne synagogue détruite en
1856 (Fig. 13). Cette remise actuellement en ruine reste accessible financièrement pour
la commune et offre des possibilités d’aménagement exceptionnelles pour
l’amélioration de l’espace public, du cadre urbain et pour l’attractivité touristique. En
effet, sa démolition permettra le dégagement d’une perspective visuelle sur l’un des
799

plus remarquables immeubles de la juiverie qu’elle dissimule actuellement. De surcroît,


l’espace ainsi libéré pourra faire l’objet d’une fouille archéologique exhaustive et d’une
mise en valeur des vestiges et du périmètre de l’ancienne synagogue (Fig. 14). Enfin,
l’opération sera financièrement compensée par la cession à un opérateur public de
logements sociaux de la partie de la remise située au-delà des limites de la synagogue.
Un nouvel immeuble pourra ainsi être édifié dans le respect des typologies voisines et
des cadres réglementaires du SPR. Après la finalisation de la vente et avant la
démolition de la remise, la direction du patrimoine interviendra cette année de deux
façons : un jeune architecte hongrois réalisera dans le cadre de son diplôme, une
esquisse et une étude de faisabilité et l’équipe d’archéologues effectuera des sondages
pour identifier les limites de la synagogue et évaluer le potentiel du site, conjointement
avec une étude historique. C’est un exemple, me semble-t-il, de ce qu’il est possible de
faire lorsque l’on connaît son territoire et son potentiel et que l’on est force de
proposition pour la construction de la ville de demain.

Fig. 13. Emplacement actuel de la synagogue (cl. F. Guyonnet, Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-
Sorgue, 2018).
800

Fig. 14. Esquisse d’aménagement de l’espace public après démolition de la remise et fouille de la
synagogue (F. Guyonnet, Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue, 2018).

Conclusion
45 Il est indéniable que l’archéologie du bâti se situe à un point de convergence entre
différents métiers du patrimoine. Elle a aussi l’énorme avantage d’être facilement
accessible au grand public et aux décideurs. Par conséquent, sa pratique à différentes
échelles, du simple diagnostic d’une façade à une analyse méthodique et poussée d’une
construction, apporte la preuve qu’elle est capable de fédérer des compétences
complémentaires et de réunir des approches diverses autour d’un projet. Celui-ci étant
souvent concrètement inscrit dans la sauvegarde, la mise en valeur et la réhabilitation
d’un ou plusieurs bâtiments – voire d’un quartier – il participe ainsi à l’aménagement
du territoire. Les orientations politiques et le débat actuel sur le maintien de
l’attractivité des centres anciens offrent une opportunité inespérée de développer
l’archéologie du bâti en France. Il convient d’organiser notre profession de telle sorte
que les services patrimoniaux de l’État ne parlent que d’une seule voix en concertation
avec les acteurs opérationnels. Dans une logique de réactivité et d’efficacité, il est
nécessaire de transcender les clivages interinstitutionnels et d’adapter les modes
opératoires aux besoins spécifiques des projets.
46 Les exemples d’Orléans, de Cahors et de L’Isle-sur-la-Sorgue (il en existe d’autres), aussi
différents soient-ils, montrent la pluralité et l’efficacité des expériences locales sachant
s’adapter aux divers contextes. À l’évidence, les services d’archéologie ou du
patrimoine des collectivités ont l’avantage de la proximité et de la réactivité, mais il est
préférable qu’ils soient inclus dans une chaîne de technicité incluant l’urbanisme et
l’aménagement. La réforme territoriale attendue serait une opportunité pour redéfinir
une politique publique du patrimoine avec le regard bienveillant de l’État, dont
801

l’échelon de référence (ni trop grand, ni trop petit) pourrait être majoritairement celui
des intercommunalités.

NOTES
1. FAURE-BOUCHARLAT E., BOISSAVIT-CAMUS B., BURNOUF J., « L’archéologie du bâti : un champ
idéal pour une synergie entre disciplines et institutions (propositions pour des
protocoles d’intervention) », in PARRON-KONTIS I., REVEYRON N. éd., Archéologie du bâti. Pour
une harmonisation des méthodes, Paris, Ed. Errance, 2005, p. 125-128.
2. Le livre blanc de l’archéologie préventive (mars 2013), recommande une
collaboration étroite entre les services patrimoniaux de l’État (annexe 13, p. 112).
3. À titre d’exemple, une tour urbaine sur une parcelle de 200 m², avec quatre niveaux
de 100 m² va générer 1063 € de RAP auprès de l’aménageur et donnera lieu au
versement d’une subvention de 389 € à l’opérateur public chargé du diagnostic.

RÉSUMÉS
L’archéologie du bâti est située à un point de convergence entre différents métiers du patrimoine
et son action est orientée par plusieurs institutions. Cette position intermédiaire sur l’échiquier
de la politique patrimoniale française lui confère avantages et inconvénients. À partir de
connaissances et d’expériences personnelles, l’auteur du présent article analyse les forces et
faiblesses de cette discipline et ses interactions avec d’autres métiers. Il livre également certaines
pistes d’avenir en présentant notamment une expérimentation conduite depuis plusieurs années
sur la ville provençale dans laquelle il exerce.

Building archaeology is located at a convergence point between different heritage professions


and its action is guided by several public institutions.
This intermediate position on the chessboard of French heritage policy offers advantages and
disadvantages. Based on author's personal knowledge and experience, this paper analyzes the
strengths and weaknesses of building archaeology and its interactions with other professions. It
also reveals some tracks for the future, notably by presenting an experiment carried out for
several years in the Provençal town where the author works.
802

INDEX
Mots-clés : archéologie du bâti, réglementation, méthodologie, expérimentation
Keywords : partnership, training, preliminary studies, documentary research, enhancement
process, coordination, vulgarisation

AUTEUR
FRANÇOIS GUYONNET

Directeur du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), Ciham, UMR 5648.


f.guyonnet@islesurlasorgue.fr
803

Conclusion du Colloque Archéologie


du bâti - Aujourd’hui et demain
François Blary

1 Au terme de ces journées riches en réflexions empreintes d’un fort regard introspectif,
fondées sur l’historiographie récente d’une cinquantaine d’années d’expériences
européennes d’archéologie du bâti, un certain consensus apparait dans les propos des
différents participants, acteurs d’horizons étendus : archéologues intervenant en
archéologie programmée ou dans le domaine de l’archéologie préventive, issus
d’institutions publiques, nationales, de collectivités territoriales ou du secteur privé,
historiens d’art, architectes, ingénieurs, chercheurs en laboratoire, géophysiciens,
spécialistes des matériaux, des métiers du patrimoine, enseignants-chercheurs,
administrateurs du patrimoine, tous œuvrant pour l’étude et la sauvegarde du
patrimoine bâti pris ici dans son sens large. Fort de cet état des lieux, il me revient
l’insigne honneur de tenter de faire émerger en guise de conclusions, comme l’ont
souhaité les organisateurs de ces rencontres, les lignes forces de demain et les voies de
développements d’avenir.
2 Nous aurions pu craindre avec le regroupement d’un tel aréopage aux compétences
diverses – et bien que tous œuvrent, mais à des degrés divers, à l’étude et/ou à la
sauvegarde des témoins bâtis du passé – d’éventuelles rancœurs, des positions
dogmatiques, des incompréhensions de chapelles ou de corps, des divergences de
points de vue, voire des orientations trop tranchées dans un sens ou dans l’autre, qui
nous auraient éloignés de l’intérêt commun. Il faut croire que l’archéologie du bâti a su
progresser dans les mentalités des différents acteurs comme dans leurs modalités
d’intervention. Elle a su se développer de plus en plus harmonieusement et s’imposer
aux yeux de tous comme une expression « œcuménique » propice à promouvoir des
actions communes entre les divers acteurs, en dépit de leurs différences doctrinales ou
de leurs diverses formations initiales. Mais que recouvre concrètement l’expression
archéologie du bâti ? Les interventions et les débats ont su faire émerger les éléments
consensuels auxquels tous ont pu adhérer, montrant par là même, le degré de maturité
atteint depuis son apparition.
804

3 Heureusement, nous sommes désormais fort loin du temps où l’architecte et


l’archéologue débattaient sans fin et de manière stérile. André Chastel, grand historien
de l'art français, au début des années 19801, rappelait non sans malice, pour illustrer la
difficile collaboration en matière de patrimoine monumental des deux disciplines, les
mots durs, en 1859, de l’architecte Paul Abadie auteur de la restauration de la
cathédrale Saint-Front de Périgueux ou du traitement controversé d’hôtels à
Angoulême : « L'archéologue ne fait rien, ne produit rien. Il se contente de mettre son
veto sur toute idée génératrice ». Des historiens d’art et des archéologues avaient en
effet émis à l’égard de ses restaurations de vives et sévères critiques auxquelles il
répliqua sèchement. Pour Abadie – et avec lui beaucoup de ses collègues œuvrant à la
sauvegarde des monuments – l'architecte était le seul juge des dispositions à prendre,
puisqu'il s'agissait d'architecture, même s'il tendait à substituer, sous prétexte de
rajeunissement, un édifice neuf à ce qui restait de l'ancien. Ainsi exprimé l'archéologie
n'était donc d’aucun secours utile dans le détail de ces simples procédures de
restaurations créatives.
4 À ces restaurations massives et fort onéreuses, d’autres historiens d’art essayèrent de
trouver une voie alternative en prônant auprès des architectes des interventions plus
régulières de strict entretien, à l’instar d’Anatole Leroy-Beaulieu qui, afin de mieux
respecter l’intégrité du monument, proposa : « Avec un sage entretien, un monument
peut être éternel grâce à la substitution d'une pierre neuve à une pierre usée » 2. Cette
proposition quelque peu simpliste – mais vertueuse et économe – ne donnait cependant
pas plus de place à l’historien ou à l’archéologue dans cette démarche minimaliste de
remplacement des seules pièces défaillantes de l’édifice. Le choix de l’intervention
restait porté par la seule volonté et le jugement de l’architecte. Ces stricts travaux
d’entretien n’étaient pas non plus accompagnés d’études préalables systématiques et la
préservation des éléments déposés (vitraux, pièces métalliques, de bois…) n’était pas
non plus assurée de manière pérenne sous forme de dépôt lapidaire pour la pierre par
exemple. Ce passé, nous voulons le croire, est désormais largement révolu…
5 Comme il a été rappelé et développé dans différentes communications, soit pour tenter
d’en donner une définition, soit encore pour en circonscrire et illustrer les différents
champs d’application, l’émergence de l’archéologie du bâti, s’est trouvée intimement
liée à la pratique nouvelle – à partir des années 1980 – de l’examen archéologique de
tout ou partie d’édifices au moment de travaux de réaménagement, de réhabilitation,
de restauration, voire de valorisation des sites. Les premières expériences de
collaboration ont parfois été difficiles, mais progressivement la diffusion des méthodes
d’analyse des stratigraphies construites a démontré leur intérêt et permis, pas à pas,
leur adoption de manière plus régulière sans cependant que leur mise en œuvre
devienne systématique. La pratique des monuments historiques ne s'est donc pas
définie dans les pays d’Europe en accord avec l'analyse archéologique, loin s’en faut. Il
me paraît cependant important de rappeler les travaux précurseurs qui ont facilité dix
à vingt ans plus tôt l’émergence de cette « archéologie du bâti ». L’examen du
« Patrimoine monumental » a développé depuis les années 1960 une collaboration
certes ponctuelle, mais riche d’enseignements, elle a été une source authentique pour
guider les pas de la restauration à venir des monuments. C’est le cas des travaux de
l’historien d’art et archéologue médiéviste, Léon Pressouyre, concernant le cloître de
Notre-Dame en Vaux à Chalons en Champagne entre 1963 et 19773. Les recherches
entreprises dès 1963, par le Service des Monuments Historiques, confiées à ce
805

chercheur sur l'aire du cloître historié, disparu, de la collégiale Notre-Dame-en-Vaux,


ont été exceptionnellement fructueuses. Des fouilles ont été pratiquées au nord de
l'église, à l'emplacement actuellement occupé par le presbytère, quelques
constructions attenantes et des jardins ; des traces des fondations du cloître, démoli au
XVIIIe siècle, ont pu ainsi être retrouvées. Le démontage des murs bâtis avec les
matériaux de cette démolition, sur les lieux mêmes, a restitué des éléments
architectoniques et la majeure partie du décor sculpté de ce cloître du « premier art
gothique ». La découverte de dizaine de milliers de fragments de sculptures dans les
fouilles des fondations des maisons modernes des chanoines chalonnais et des
infrastructures du cloître médiéval disparu ont permis patiemment de le reconstituer
et de restituer à l’histoire de l’art médiéval, un maillon essentiel de l’architecture des
cloîtres et des sculptures. De ces échanges fructueux entre la recherche au carrefour de
l’histoire de l’art et de l’archéologie médiévale, des nécessaires examens de la nature
géologique des pièces lapidaires des liens découlèrent et firent progresser l’évolution
de la pratique dans le domaine de la restauration des monuments historiques en y
intégrant différents éléments permettant d’augmenter et de faciliter la progression des
connaissances au service du monument et d’instiller le vent de la réforme des pratiques
sur les bâtis à préserver et la connaissance à apporter pour la mener à bien.
6 À partir de ces réflexions patrimoniales, les sciences de l’analyse des matériaux se
mettent en place en 1970. Sous l’égide de Jean Taralon, inspecteur des Monuments
Historiques naît le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques (LRMH)4 au
château de Champs-sur-Marne. Ce service à compétence nationale du ministère de la
Culture, rattaché au service chargé du patrimoine au sein de la Direction générale des
patrimoines a pour vocation de mener les recherches les plus pointues en matière de
restauration du patrimoine. Qu’il s’agisse de la pierre, du bois, du fer, de l’acier, du
béton, du textile, ou du vitrail, le LRMH a réuni les ingénieurs, les chercheurs
susceptibles de conseiller les entreprises en charge des travaux de restauration les plus
délicats. Le laboratoire au fil des années s’est équipé des instruments d’analyse les plus
modernes.
7 Si l’on excepte ces expériences vertueuses en matière monumentale, il faut bien
admettre qu’à partir des années 1980, malgré le développement des études
archéologiques médiévales et modernes, le rôle de l’archéologie reste bien marginal.
Les chercheurs ont cependant très vite pris conscience qu’il n’existe pas de frontière
entre ce qui est contenu dans le sol et ce qui émerge au-dessus du sol et ne peut être
dissocié de l’étude. La notion d’« archéologie du bâti » attire l'attention sur les
problèmes posés par l'étude des monuments encore en élévation, où l’étude
sédimentaire se double d'une analyse architecturale souvent complexe (églises,
châteaux et enceintes, monastères, maisons, etc.) et, dans la plupart des cas, d'études
archives parfois longues. Pour difficile qu'il soit, ce type d'étude est nécessaire aussi
bien pour une archéologie « complète » que pour élaborer une histoire régionale voire
internationale. Le premier prérequis est que le monument ne saurait être isolé de son
environnement, qu'il soit à la ville ou dans la campagne, et doit au contraire être
considéré comme le témoin d'une histoire très large. Le second relève de la
responsabilité du fouilleur, il découle des risques de destruction des murs autant que
des sols et concerne l’attention à porter aux vestiges les plus ténus, y compris de
décors : fresques… ou de structure. Plus qu'ailleurs, l’amateurisme n’est plus de
mise. L’élévation et ce qui est encore contenu dans le sous-sol sont uns et indivisibles et
nécessitent une vision globale. Ces éléments peuvent être résumés par l’expression
806

volontairement provocatrice : l’archéologie ne peut connaître la « frontière du


bitume »5.
8 Alors que recouvrent les termes d’archéologie du bâti aujourd’hui ? C’est un mode de
raisonnement qui s’appuie sur une apparente contradiction qui consiste à déconstruire
sans détruire. L’archéologie du bâti s’attache à analyser le bâtiment dans toutes ses
composantes et ses agencements. Elle procède de la même manière que l’archéologie
sédimentaire en s’appuyant sur la stratigraphie des éléments construits, mais ne peut
pas s’exempter de l’examen des fondations par cette même méthode appliquée aux
témoignages conservés au sol ou dans le sous-sol et intégrant les phases
d’aménagement qui peuvent encore être conservées. Alors certes, elle relève de
méthodes communes à l’archéologie, mais s’enrichit considérablement d’analyses de
matériaux de plus en plus performantes et diversifiées, bénéficiant également de
méthodes de prospections géophysiques de plus en plus performantes et efficaces, de
méthodes de datation absolue et de techniques de traitement de l’image qui autorisent
les déconstructions virtuelles et leur remontage raisonné afin de restituer l’histoire de
la construction en insistant sur les phases successives d’aménagement du bâti
considéré.
9 Il ne s’agit donc pas seulement d’un changement d’appellation pour rajeunir le cadre de
l’examen, mais d’une réelle métamorphose des pratiques et des formes d’intervention,
dont le colloque dresse le champ des possibles et donne de parfaites et magnifiques
illustrations.
10 Dans l'usage, le terme de restauration a trois acceptions : politique, culinaire,
artistique. Tradition, goût, authenticité, aucune de ces nuances n'est exclue dans nos
interventions sur les monuments du passé. L’étude de tous les matériaux entrant dans
la composition de l’édifice est à prendre en compte, qu’il s’agisse de la pierre, des terres
cuites architecturales, des liants de terre jusqu’à la composition des mortiers, des
enduits et autres habillages des maçonneries, des bois entrant dans la composition de
l’œuvre ou de son couvrement, en y intégrant le métal et le verre. C’est sans compter
les progrès et l’augmentation des moyens d’obtenir des éléments de datation (14C,
expertises dendrochronologiques) qui viennent compléter les apports de la
stratigraphie des phases constructives et la confrontation avec les sources écrites ou
iconographiques plus traditionnelles qu’il convient de ne pas négliger dans l’approche.
Cette palette s’élargit encore de nouvelles techniques de pointe par le développement
des méthodes de traitement des images, favorisé par l’augmentation exponentielle de la
puissance de calcul des ordinateurs qui en facilite l’éclosion et la gestion. Les examens
statistiques appliqués à l’archéologie des dimensions des matériaux permettent
également de mieux appréhender la question des mesures mises en œuvre dans les
constructions du passé.
11 Mais la véritable dimension nouvelle de l’archéologie du bâti qui ouvre des voies
d’avenir très importantes réside dans le fait que l’histoire de la construction n’est plus
son seul objet. L’examen du bâti permet de donner un effet miroir et un effet de loupe
et renseigne de manière particulièrement pertinente sur l’environnement de l’homme
qui les a érigés. L’étude du monument offre désormais la possibilité aux chercheurs de
mieux comprendre l’environnement dans lequel il a été construit ou modifié par le
biais des enseignements que l’on peut déduire concernant l’évolution de la ressource
(état de la forêt, accessibilité des matériaux lapidaires et développement des techniques
d’affinage ou d’acheminement)6.
807

12 L’apparition d’une archéologie du bâti semble indiquer que des techniques propres
auraient été mises au point d’une manière distincte voire à part de celle d’une
archéologie sédimentaire. Cette dernière s’appuie sur la prospection au sol de sites, sur
des diagnostics puis sur une fouille stratigraphique du sous-sol, en identifiant les unités
stratigraphiques positives (dépôts), négatives (creusements) ou maçonnées, des
structures arasées ou du moins possédant une élévation conservée partiellement. Ces
dernières années, on a parfois caricaturé la démarche en restreignant son objet au seul
bâtiment en élévation, en faisant davantage appel plus à des connaissances
d’architecture qu’à celles propres à l’archéologie. L’étude d’un mur en élévation
nécessite une analyse détaillée des éléments qui le composent (module et nature des
pierres, nature des liants, examen des matériaux de construction, discontinuités dans
les maçonneries…), aboutissant à une cartographie des unités stratigraphiques relatives
aux différentes campagnes de construction, de réparations ou de restauration, sans
négliger la corrélation avec les structures du sous-sol sur lequel il est érigé. Ce travail
multiscalaire fait appel à des spécialistes qui travaillent de concert et de manière
interactive, et non par juxtaposition des connaissances acquises : leurs échanges
permanents pour la compréhension de l’objet convergent vers une synthèse historique
élaborée par tous.
13 Sur le plan méthodologique, l’importance de la question posée à l’origine de la
recherche conditionne les moyens à mettre en œuvre et le choix des sites traités. Si l’on
peut dire que la problématique de la construction médiévale – et dans une moindre
mesure moderne et contemporaine – a fait l’objet d’une véritable prise de conscience et
connu un engouement particulier dans la recherche archéologique, il n’en va pas de
même pour ce qui concerne les espaces d’approvisionnement des matériaux et de leur
espace de chantier. Pour ces espaces, la recherche actuelle en est davantage au stade de
la prospection qu’à celui d’une véritable investigation archéologique. Les fouilles
archéologiques de ces lieux sont pourtant essentielles à la compréhension des
processus techniques, depuis la carrière jusqu’au monument afin de dessiner l’histoire
de la construction.
14 La « scannérisation » des bâtis ou l’analyse d’un bâtiment consiste d’abord à identifier
les phases de construction en utilisant l’intégralité des données disponibles par la
lecture stratigraphique des maçonneries, par la datation du décor, des éléments de
charpente, des mortiers, des éléments métalliques… Selon le plan et l’élévation, les
aménagements intérieurs, le schéma de circulation entre espaces intérieurs, on
appréhende la fonction de l’édifice corroborée par les traces archéologiques des
activités à l’intérieur du bâtiment mais aussi dans les espaces extérieurs contigus.
L’exploitation des sources écrites apporte des éléments factuels à l’observation des faits
matériels. Pour l’étude de la maçonnerie, l’examen porte sur la géométrie des éléments
constructifs et leur assemblage (mur de moellons, chaînage, éléments architectoniques,
baies…), la nature des matériaux lithiques (calcaire, grès, granite…), des liants (argile,
plâtre, chaux, mortier…), des enduits et des autres composants (bois, terres cuites,
métaux, verre…). On réalise une expertise stratigraphique fondée sur une approche
multicritère, équivalente à celle menée en fouille du sol. L’observation précise du
module et de la nature des pierres dans les maçonneries permet parfois de mettre en
évidence les étapes de construction d’un mur, ponctuées par les trous de boulin, par les
régularisations d’assise à l’aide de calages en petites pierres ou en morceaux de tuiles,
par l’arrivage irrégulier sur le chantier de pierres de différentes qualités issues de
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carrières exploitées concurremment… Cette analyse permet de déterminer finement


une histoire de la construction et de ses différentes fonctionnalités (activités,
circulations et distribution des espaces…).
15 Cette approche archéologique du bâtiment participe à l’histoire des techniques de
construction, à l’organisation spatiale du chantier (le monument dans sa spatialité, sa
topographie, son terroir), à son économie (le programme architectural, le choix des
matériaux du monument) et à sa place dans la société (le mobilier en relation avec
l’occupation du sol autour et dans le monument). La compréhension d’un bâtiment
passe donc nécessairement par celle du plan et des élévations, des espaces intérieurs et
des zones contiguës périphériques.
16 L’archéologie du bâti apporte plus qu’une profondeur historique à l’économie des
matériaux qui entrent dans sa composition. Elle offre aussi une autre perception de
l’élément constructif. Le choix des matériaux et de leurs agencements nourrit une
sémantique trop longtemps négligée qui évoque le processus de création des habitats
de l’homme. Aujourd’hui, des publications destinées au grand public sont de plus en
plus nombreuses pour appréhender cette perception de la pierre et des autres
matériaux dans notre environnement. L’examen des ressources dans leur contexte
évoque quant à lui celui de notre cadre de vie. Cette interaction se situe au cœur de la
recherche sur les matériaux, au moment d’une prise de conscience de la grande
fragilité et vulnérabilité de la société contemporaine. Le rapprochement des disciplines
géologie et archéologie participe donc pleinement aux approches auxquelles
l’architecture et l’histoire de la construction doivent faire appel de manière plus
systématique ou du moins de manière plus naturelle. L’enseignement de ces pratiques
et de ces méthodes doit par conséquent être renforcé et mieux diffusé pour en
permettre à l’avenir une meilleure connaissance. Développer ce domaine de la
recherche permettra d’étendre et multiplier l’étude du patrimoine bâti au service de sa
protection et de sa conservation.
17 Le colloque a permis également d’insister de manière très importante sur la diffusion
des méthodes de l’archéologie du bâti et de son enseignement. La sauvegarde du
patrimoine bâti participe à la « conservation intégrée » prônée par le Conseil de
l’Europe dans le respect du développement durable qui implique une reconversion
économique, sociale et culturelle indispensable à la pérennité de ce patrimoine. Cette
reconversion suppose l’intervention de différents acteurs dont la formation doit être
nécessairement interdisciplinaire et pluridisciplinaire. Dans l’idéal, celle-ci devrait
sensibiliser l’étudiant à l’importance de l’observation, des enregistrements minutieux,
de l’analyse approfondie et structurée du monument de façon à établir le lien
indispensable entre les actions qui seront menées sur l’édifice concerné. Par son
approche globale et interdisciplinaire, mais aussi par la rigueur et la précision des
analyses et des enregistrements qu’elle exige, l’archéologie du bâti, intégrant une
meilleure connaissance des techniques et des matériaux mis en œuvre, ne livre pas
seulement une lecture approfondie du bâtiment, elle contribue aussi à proposer un
diagnostic et à poser les fondements objectifs nécessaires à l’élaboration des projets et
aux prises de décisions concernant l’avenir de celui-ci. Elle devrait être prise en compte
par tous les acteurs amenés à travailler ensemble, architectes, urbanistes, ingénieurs,
historiens d’art et archéologues afin de prendre l’habitude d’œuvrer de concert et de
parfaire ainsi les bonnes pratiques menées sur le terrain patrimonial. L’analyse
archéologique du bâti et de son sous-sol doit être pleinement intégrée dans la
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formation des futurs acteurs chargés d’assurer la pérennité des témoignages du passé
et de contribuer à leur tour à une meilleure connaissance des techniques du passé
constructif. La formation proposée en Wallonie ouverte à la fois aux architectes, aux
ingénieurs, aux archéologues et aux historiens d’art dans le cadre d’un cycle complet de
Master 1 et 2 interuniversitaire consacré à la conservation et la restauration du
patrimoine culturel immobilier montre une voie particulièrement prometteuse et à
suivre dans ce domaine. Apprendre à travailler ensemble au sein d’une même agence
constitue un élément très important de la formation qui ne trouve pour l’heure aucun
autre équivalent. À l’heure où la dimension interdisciplinaire est louée par l’ensemble
des acteurs, il est grand temps de l’enseigner de manière concrète.
18 L'aspect juridique de la notion de patrimoine n'est certes pas négligeable non plus. Le
patrimoine est lié à l'héritage qui est, si l'on peut dire, l'instrument légal,
institutionnel, ou mieux le véhicule social des données en question : biens, terres,
constructions, objets. Mais les objets patrimoniaux sont moins une propriété, comme
on tend trop vite à le croire, qu'une possession, et une possession qui par définition
précède et suit le détenteur actuel. D'où la possibilité de reports de l'individuel au
familial (intervention du droit d'aînesse, actions de sauvetage…), du familial au
national (mesures de protection au titre des monuments « classés », interdiction
d'exporter…), du national à l'international (quand l'UNESCO intervient pour « aider »
Venise ou déplacer tel temple égyptien…). On s’aperçoit vite que la notion est
maintenant élastique et facile à déplacer, sans devenir vague pour autant.
19 Quand on évoque le bâti en archéologie de nos jours, le cadre s’est considérablement
« dilaté » et s’intéresse aux bâtis classés ou non, mais on pense immanquablement aussi
à la loi relative aux Monuments Historiques, fondement de notre législation
patrimoniale, promulguée le 31 décembre 1913. Cette loi, l'une des plus anciennes en ce
domaine dans le monde et souvent prise pour modèle, a cependant été peu transformée
jusqu'à son intégration dans le code du patrimoine, en février 2004, et à l'ordonnance
du 8 septembre 2005 relative aux Monuments Historiques et aux espaces protégés
comme cela a été rappelé au cours de nos échanges. Maintenant un subtil équilibre
entre le respect du droit de propriété et l’intérêt général, elle régit l'ensemble des
dispositions relatives à la protection et à la conservation du patrimoine monumental
français, qu'il s'agisse d'immeubles ou d'objets mobiliers. Il paraît difficile de ne pas
envisager d’intégrer de manière plus systématique l’archéologie du bâti au sein de ses
études préalables.
20 Les voies d’avenir sont la confortation et la meilleure intégration de l’archéologie du
bâti dans les processus d’expertise, de conservation et de restauration, mais surtout
une formation qui intègre davantage les échanges entre acteurs pluridisciplinaires au
chevet d’un même bâti à comprendre ou à soigner pour en préserver l’importance en
tant que témoin historique et archéologique.
21 Dans ces temps incertains où le présent n’ose plus évoquer sereinement son futur, il
convient de ménager une place à l’avenir du passé tant dans son étude que dans le
cadre de la préservation et de la valorisation du patrimoine archéologique dans son
ensemble, qu’il s’agisse de monuments, de structures plus insignifiantes ou de sites
archéologiques environnementaux.
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NOTES
1. CHASTEL A., article « Patrimoine monumental », in Encyclopædia Universalis, Paris, Club
français du Livre-Encyclopædia Britannica Inc., 1982.
2. LEROY-BEAULIEU A., « La Restauration de nos monuments historiques devant l’art et
devant le budget », Revue des Deux-Mondes, 6, nov.-déc. 1874, p. 605-625 ; l’article de
l’historien d’art normand (1842-1912) a été republié sous le titre Cathédrale d’Evreux : La
Restauration de nos monuments historiques devant l’art et devant le budget, Paris, Picard,
1875.
3. PRESSOUYRE L., « Fouilles du cloître de Notre-Dame-en-Vaux de Châlons-sur-Marne »,
Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1964-1965, p. 23-38 ; PRESSOUYRE S.
ET L., Le Cloître de Notre-Dame-en-Vaux à Châlons-sur-Marne : Guide du visiteur, éd. Nancy-
Hélio, 1981 ; PRESSOUYRE L., L’imaginaire médiéval au cloître de Notre-Dame-en-Vaux,
Châlons-sur-Marne, Centre départemental de documentation pédagogique (Marne),
1985.
4. Le laboratoire de Recherche des Monuments Historiques. 1970-2020 : un demi-siècle au service
du patrimoine, Paris, Beaux-Arts éditions, Hors-série, juillet 2020 ; Faut-il restaurer les
ruines ? – Entretiens du patrimoine, Mémorial de Caen, 8-10 nov. 1990, Paris, éditions du
Patrimoine, 1991.
5. ARLAUD C., BURNOUF J., « L’archéologie du bâti médiéval urbain », Les dossiers de
l’archéologie, 53-55, 1993, p. 5-69.
6. BLARY F., GÉLY J.-P., Pierres de construction. De la carrière au bâtiment…, Paris, éd. CTHS,
2020 (Orientations et méthodes, 34) ; HOFFSUMMER P., FRAITURE P., HANECA K., « Des bois pour
construire : bois des villes et bois des champs, de la Flandre à l'Ardenne », in BÉPOIX S.,
RICHARD H. dir., La forêt au Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 2019, p. 161-170 et
HOFFSUMMER P. dir., Les charpentes du XIe au XIXe siècle, Grand Ouest de la France : Typologie et
évolution, analyse de la documentation de la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine,
Turnhout, Brepols, 2012 (Architectura Medii Aevi, 5).

AUTEUR
FRANÇOIS BLARY

Professeur d’histoire de l’art et d’archéologie du Moyen Âge. Directeur du CReA-Patrimoine


Université libre de Bruxelles (ULB).
francois.blary@ulb.ac.be

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