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Archéologie souterraine et spéléologie minière.

Article in Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse · January 1987

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ARCHEOLOGIE SOUTERRAINE
ET SPELEOLOGIE MINIERE

Bruno ANGEL et Pierre FLUCK

2xploitation des ressources minières est une


des activités les plus anciennes de l'homme, mais
aussi une des plus laborieuses. Découvrir les filons
métallifères, arracher aux entrailles de la Terre le
minerai, puis le transformer en métal utile, suscite un
grand nombre de problèmes ardus, qui ont été plus
ou moins bien résolus selon les époques. Le milieu
souterrain est un milieu hostile à l'homme. Pour
atteindre et exploiter le minerai, il a fallu surmonter
une multitude d'obstacles: la taille de la roche,
l'adaptation des outils, le renforcement des zones
ébouleuses, l'éclairage, l'aérage, la lutte contre les
eaux d'infiltration, l'abattage du minerai, le transport
sous terre, l'organisation de l'exploitation afin de
répondre aux critères de rentabilité de l'époque ...
Jusqu'au XIVe siècle, les techniques minières n'ont
guère évolué en Europe, sans même atteindre le
degré de technologie qu'avaient acquis par le passé
les Romains. Au cours du XVe siècle, l'Europe
Centrale est le théâtre d'une révolution technologique
et l'activité minière en fut l'un des principaux
bénéficiaires, voire même l'un des moteurs. Grâce à
la maîtrise de l'énergie animale, puis de l'énergie
hydraulique, la structuration des exploitations tant sur
le plan du travail que sur les plans sociaux et
économiques, l'industrie minière "germanique" atteint
alors des sommets dans l'art d'exploiter les richesses
du sous-sol , et étend son influence à une grande
partie de l'Europe. Il faut ensuite attendre le milieu du
XVII e siècle pour observer de nouveaux progrès dans
les techniques minières, notamment grâce à l'emploi
généralisé des explosifs dans l'abattage de la roche.
Enfin avec la Révolution Industrielle du XIXe siècle les
exploitations minières changent profondément
d'aspect : introduction des machines à vapeur, règne
du fer et de l'acier, et aussi, dégradation de la
condition des mineurs.
C'est à travers les archives et l'iconographie ancienne
que les historiens ont abordé l'étude des techniques topographie détaillée, photographie, désobstruction
minières d'autrefois. Très abondantes à partir de la fin et consolidation des éboulements, dénoyage de puits
du xve siècle, ses sources historiques nous apportent inondés, fouille du sol des galeries, étude du mobilier,
une vision incomplète du monde minier. Depuis près confrontation du terrain et des archives, datation par
de 20 ans, les spéléologues-archéologues miniers ont dendrochronologie ... et surtout observation
largement contribué à enrichir notre connaissance du naturaliste. Enfin l'archéologie minière ne peut être
patrimoine minier, en développant une forme comprise sans l'intervention des Sciences de la
d'archéologie souterraine dont les enseignements Terre: elles mettent en évidence les caractéristiques
bouleversent parfois notre conception de ce passé des gîtes métalliques et leur influence sur leurs
minier. On ne soulignera jamais assez le rôle de la modes d 'exploitation.
spéléologie minière qui est à l'origine de l'éveil de
l'archéologie minière souterraine et sans le secours Avec ces 600 kilomètres de réseaux souterrains, le
de laquelle les principaux théâtres d'investigations massif vosgien peut-être considéré comme un site
resteraient hors de portée des scientifiques. Ces pilote pour l'étude des techniques minières: son milieu
investigations souterraines sont nombreuses: souterrain constitue un patrimoine archéologique par le
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'lan et profil général des travaux miniers du filon des "mines de zinc" , secteur du Neuenberg, Sainte-Marie-aux-Mines.

1obilier qu 'il renferme et par son architecture qui verticale du personnel et des matériaux, vers les
aractérise les techniques de l'époque. Sans entrer hauteurs et les profondeurs de la mine à partir de la
lans le détail , nous allons évoquer quelques aspects galerie principale. Ainsi par l'intermédiaire de
le ces techniques que l'on peut observer sous terre. nombreux puits disposés en relais, les filons ont pu
être exploités sur plusieurs centaines de mètres.
:e milieu souterrain est actuellement exploré sur près
e 80 km , soit environ 13 % de son développement
stimé. Il revêt des aspects variés selon la nature de
1 roche encaissante et le type de filon exploité. On
eut tout de même y distinguer 3 grands types
'excavations aux caractéristiques et aux fonctions
ien marquées.
y a tout d'abord les galeries qui explorent en se
1mifiant l'espace souterrain dans un plan horizontal.
:ertaines d'entre-elles étaient devenues des voies de
irculation privilégiées- notamment lorsqu'un filon
tait atteint et exploité - et ont été amenées à remplir
e multiples fonctions (aérage, exhaure, transport ... ).
:ertaines galeries ne mesurent que quelques mètres
e longueur, alors que d'autres ont été poussées sur
lusieurs kilomètres (19). Profil général du Dépilage du chêne, filon St Louis au
Neuenberg, Sainte-Marie-aux-Mines. En grisé : roche non
es puits sont des traits d'union entre les différents dépilée. Flèches : sens de creusement des galeries qui ont
iveaux de galeries et permettaient la circulation exploré le filon.
125

Actuellement la visite des puits nécessite l'emploi de


cordes ou d'échelles.
Après ces deux types d'ouvrages qui forment la
trame d'une exploitation minière organisée viennent
les chantiers d'extraction du minerai. Les filons étant
très souvent étroits (de quelques décimètres à
quelques mètres) il résulte de leur exploitation des
cavités semblables à de grandes fissures verticales
ou pentées dénommées couramment dépilages.
Certains d'entre~eux atteignent des dimensions
spectaculaires comme le Grand Dépilage de
St Michel à Ste Marie-aux-Mines qui se développe
sur près de 100 m de hauteur, 80 m de longueur, pour
une largeur n'excédant pas 1 m. De par leur taille et
l'instabilité de la roche au voisinage du filon, ces
ouvrages sont souvent partiellement éboulés,
condamnant vers le bas l'accès à des zones encore
inexplorées, et donnant parfois naissance à de vastes
salles d'effondrement.
A ces 3 principaux types de cavités qui caractérisent
une exploitation méthodique s'ajoutent des ouvrages
moins fréquents comme les "pingen" ou puits au jour
typiques des travaux médiévaux, les "verhau" ou
dépilage au jour présents là où le filon affleurait en
surface, les montages, les foncées ...
Le creusement des ouvrages souterrains a été
presque entièrement réalisé "à la main", c'est-à-dire à
la pointerolle et au marteau. Ainsi les galeries du
XVIe siècle apparaissent généralement étroites et
hautes, montrant une section typique appelée
"ogivale tronquée" (20). Leur vitesse d'avancement
variait selon la dureté de la roche, de quelques Mineur du XVI• siècle travaillant au marteau et à la
centimètres à quelques décimètres par jour. Les pointerolle. Extrait du traité minier "De Re Metal/ica " de
parois des ouvrages portent souvent les traces Georgius Agricola, 1550.
laissées par les outils, dont l'étude permet de
reconstituer les différentes étapes de leur taille. De
même le terminus d'une galerie, le front de taille, appelés communément "chien de mine", qui
fossilise en quelque sorte une des phases de ce circulaient sur des voies de roulage en bois, et ceci
travail de sculpture mené avec beaucoup de soins. sur parfois plusieurs kilomètres de distance. De telles
On observe aussi des parois noircies, conséquence voies ont été retrouvées intactes au cours de fouilles
de la méthode de travail au feu qui permettait de souterraines (21 ).
"ramollir" les roches trop dures.
Dans ces travaux abandonnés depuis plusieurs Les puits étaient équipés de boisages. Au sommet
siècles, on retrouve un grand nombre d'outils: d'un puits était aménagée une salle de manutention
pointerolles (sorte de burin muni d'un manche et dont ou "hornstatt", où s'effectuaient les opérations de
la pointe est aciérée), marteaux, masses, coins, pics, treuillage. Ainsi le corps d'un puits était
houes, lampes à suif, auges en bois ... chacun compartimenté: un passage pour le personnel, muni
d'entre-eux présentant des formes et des dimensions d 'échelles; un passage pour les cuveaux, muni de
très variables. glissières.
L'acheminement des matériaux dans les galeries Les dépilages étaient parcourus par des
principales se faisait dans des chariots étroits échafaudages qui donnaient accès aux multiples
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étaient remontées par les puits dans des outres ou


par des systèmes de pompes refoulantes en bois
actionnés parfois par de grandes roues hydrauliques
installées en surface ou dans une salle
souterraine (22). Les mineurs du XVIe siècle
n'hésitaient pas à entreprendre le percement de très
longues galeries d'exhaure, dont les entrées se
situaient le plus bas possible dans les vallées afin
d'assécher les travaux en amont sur la plus grande
hauteur possible. Citons comme exemple I'Erbstollen
de I'Aitenberg à Ste Marie-aux-Mines qui en trois
branches principales développait 8 km de galerie de
drainage.
L'exploitation d'un filon était méthodique. La zone
minéralisée était tout d'abord "explorée" par un
réseau de galeries et de puits, puis systématiquement
dépilée du haut vers le bas. Une mine pouvait ainsi se
développer sur plusieurs kilomètres et atteindre une
dénivellée de plusieurs centaines de mètres. Un tel
degré d'organisation nécessitait la mise en chantier
de galeries qui amenaient des bénéfices qu'après
plusieurs années; d'où des investissements
financiers importants déboursés par les
concessionnaires et les seigneuries.

'1 Depuis plus de 20 ans les anciennes mines du Massif


Vosgien sont ressorties de l'oubli grâce à la
1~ spéléologie et à l'archéologie minière. Cette
extraordinaire aventure souterraine couplée à des
recherches scientifiques pluridisciplinaires a permis
et permet encore la découverte et la mise en valeur
d'un patrimoine remarquable, s'est hélas
accompagnée de dégradations souvent irréversibles:
Reconstitution du boisage d'un puits. Mine dégradation et vandalisme (piétinement des voies de
Wurtzelmauerstollen , St Pierremont , Sainte-Marie-aux-
Mines. roulage, effondrement de boisages, destruction
d'empilements et de parois par le prélèvement de
minéraux); pollution, pillage du mobilier archéologique
aggravé par des fouilles clandestines; pillage des
chantiers d'abattage du minerai. Les zones dépilées minéraux et des concrétions qui alimentent les
étaient très souvent remblayées par des empilements Bourses aux Minéraux. Ainsi, des sites uniques au
de stériles soutenus par des boisages. monde ont totalement disparu. Le préjudice envers
Pour l'aération des travaux, les mineurs installaient au les valeurs scientifiques et pédagogiques des
faîte des galeries des faux plafonds en bois, anciennes mines est très lourd.
constituant des conduits d'aération en
communication avec des puits d'aérage. Ils
cherchaient aussi à entrer en jonction avec d'autres
mines, même concurrentes, afin de créer une
circulation d'air, cela bien sûr en conformité avec les NOTES
règlements miniers en vigueur (lucarne de jonction ou
"durch/ag'). (1) FLUCK P., 1974- Le rapport de Guillaume Prechter sur les mines
du Val de Lièpvre, côté d'Alsace, 1•' octobre 1602. Annuaire de la
Les eaux d'infiltrations étaient canalisées vers les Société d 'Histoire du Val de Lièpvre, 9• cahier, 15-61 .
(2) FLUCK P., 1986- Le rapport de 1597: Les mines du Val de
galeries d'accès par des rigoles taillées dans la roche Lièpvre, côté d'Alsace, à la charnière des XVI• et XVII• siècles. Pierres
et des gouttières en bois. Des profondeurs, ces eaux et Terre, n° 30, 34-52.
127

Galerie ogivale tronquée de la mine Eisenthür sur le filon Puits dans la mine Eisenthür sur le filon St Louis au
St Louis au Neuenberg (vers 1555). Neuenberg (vers 1557).

Dépilage dans la mine Die Aych sur le filon de St Louis Front de taille d'une galerie dans les Mines de Plomb à
(vers 1559). I'Aitenberg, Ste Marie-aux-Mines (seconde moitié du XVI• siècle).
128

3) BENOIT P., 1982- La place du manuscrit de Heinrich Gross dans (13) LESER G. et al.- Une fonderie d 'antimoine au Silberwald,
'iconographie minière germanique. Pierres et Terre, nos 25/26, 67-83. Annuaire de la Société d'Histoire du Val et de la ville de Munster,
\nnexe: reproduction des 25 planches de H. GROSS, commentées 1979, pp. 35-48.
>ar H. BARI. (14) FLUCK P. - Le Haut Altenberg, Archéologie Médiévale, T. XVII ,
4) ANGEL B. et FLUCK P., 1984- Le filon Saint-Louis au Neuenberg: Caen, 1987, pp. 280-282.
:aractères et évolution dynamique d'une exploitation minière de la (15) METZGER D. - Sept années de recherche et d'observations sur
;econde moitié du XVI• siècle. Pierres et Terre, hors-série 02 , 138 pp. le site minier du Camp Brêcheté à Urbeis, Annuaire de la Société
1ééd. Documents d 'Archéologie Française, 1987. d 'Histoire du Val de Villé, 1986, pp. 138-166.
5) FLUCK P. et TAESCH A. , 1985- Le plus vieux plan d'ensemble (16) ANGEL B. - Le filon Saint Louis au Neuenberg, D.A.F. no 14, à
Jes mines de Sainte-Marie, côté d'Alsace. Société d 'Histoire du Val paraître.
ie Lièpvre. 1 0• cahier, 31-44. (17) MARTIN D. - Les anciennes mines du Bluttenberg, Bulletin
6) FLUCK P., 1975- La spéléologie minière, une activité méconnue. Municipal de Lapoutroie, juillet 1981 , 49 p.
)pelunca 1975, 2, 5-1 O. (18) FUCHS P.- Etude du mobilier ostéologique de la mine de
7) FLUCK P., 1985- Spéléologie minière: historique, bilan et Wattwiller, inédit, 1986.
>rolongements. Spéléo Lorraine, n° 15 spécial , 8-29. (19) ANGEL B. & FLUCK P. , 1983- Le filon St Louis au Neuenberg,
8) MAUR ER R. et FRECHARD A. , 1983- Anciennes exploitations Ste Marie. Rapport de fouille, 138 p. D.A.F. no 14 sous presse.
ni nières à Maisonsgoutte. Annuaire de la Société d 'Histoire du Val de (20) FLUCK P. & BARI H., 1980- Réflexions sur l'architecture des
li/lé, 91-105. travaux miniers effectués avant l'usage de la poudre. Coll. Mines,
9) FLUCK P., 1985- Un patrimoine menacé: le monde minier Carrières et Métallurgie dans la France Médiévale, Paris, juin 1980,
J'autrefois. Saisons d 'Alsace, nos 88/89, 96-99. Ed . C.N.R.S. 1983, p. 319-328.
10) Publié dans L'art et les mines dans les Vosges. Numéro spécial (21) FLUCK P. &ANG EL B, 1982- Les Mines de Plomb à I'Aitenberg,
Je Pierres et Terre, 25-26, Strasbourg , 1982. Ste Marie. Rapport de fouille, 149 p. Pierres et Terre no 28.
11) BOHLY B. , FLUCK P.- Traitement et fonte des minerais, (22) BOHLY B., FLUCK P., LIEBELIN F. , 1987 - Les problèmes de
=encyclopédie de l'Alsace, T. Xli, pp. 7393-7395, Publitotal, l'exhaure dans les mines vosg iennes. Actes Coll. Archéo. Sout. ,
)trasbourg, 1986. Nancy, 1985, sous presse.
12) BOHLY B. - Fouille de sauvetage d'une laverie à Sainte
Jlarie-aux-Mines, Cinquième R.A.S.A.M.E. , Résumé des
;ommunications, Belfort , 1986.

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