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Une vaste exploitation minière du second Âge du fer. La mine de cuivre des Barrencs
(Lastours, Fournes-Cabardès, Aude)
– Argitxu Beyrie
– Jean-Marc Fabre
– Éric Kammenthaler
– Julien Mantenant
– Gabriel Munteanu
– Christian Rico
Figure 1 :
Le plateau des Barrencs et la vallée de l’Orbiel, vus depuis le sud.
(cliché J. Mantenant)
◤◤ Résumé :
Depuis 2009, une équipe d’archéologues spécialistes des mines et de la
métallurgie du laboratoire TRACES de l’université de Toulouse 2-Le Mirail (UMR
5608 CNRS) est à l’œuvre sur le site des Barrencs, important gisement minier
sur les premiers contreforts sud de la Montagne Noire minéralisé principalement
en cuivre. Les premières recherches ont révélé une vaste mine souterraine restée
IntroductIon
À
quasiment intacte depuis l’Antiquité. Son étude offre d’excellentes perspectives
pour la connaissance de l’organisation d’une mine antique, des méthodes et
stratégies d’exploitation suivies par les Anciens. Traditionnellement présentée
comme romaine, la mine des Barrencs pourrait avoir connu son activité principale 13 km au nord de Carcassonne, la mine des Bar-
avant l’annexion de la Gaule méditerranéenne par Rome, peut-être dès la Tène rencs s’ouvre à l’extrémité Sud du vaste plateau de
ancienne ou moyenne. Fournes-Cabardès, accroché aux premiers contre-
forts du versant méditerranéen de la Montagne
◤◤ Mots-Clés :
Mine, cuivre, argent, dynamique d’exploitation, La Tène, conquête romaine Noire. Du haut de ses 340 m, le plateau domine
la vallée encaissée de l’Orbiel à sa conluence avec le ruisseau
de la Grave, à quelques dizaines de mètres en aval du village
◤◤ Abstract: de Lastours et de ses célèbres châteaux (ig. 1). Le site est « re-
Since 2009, a team of archaeologists specialized in mines and metallurgy from
découvert » à la in du XIXe s., alors que la région participe au
TRACES, a research center from the university of Toulouse2-Le Mirail (UMR
5608), has been working on an important ancient copper site, named Les Barrencs, vaste essor de l’activité minière qui touche à ce moment toute
located on the southern slopes of La Montagne Noire. The first researches have l’Europe. On y reconnaît très vite une mine ancienne, attribuée
revealed a huge underground mine almost untouched since Antiquity. Its study aux Romains sur la foi de la découverte de débris céramiques
offers many excellent ways to know more about the organization of an ancient
tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des ouvrages miniers. Après
mine, the methods and the strategies used by the Ancients for its exploitation.
Since the mine is usually presented as Roman, the archaeological survey seems plusieurs décennies de travaux de recherche et de tentatives in-
to indicate that, in its main phase, the mine of Les Barrencs may have been active fructueuses de remise en exploitation, entrecoupées de pauses
prior to the Roman conquest of Gaule, possibly since La Tène old or middle period. plus ou moins longues, le site est fermé en 1968, ses accès, an-
ciens ou modernes, mis en sécurité dix ans plus tard et les Bar-
◤◤ keywords:
Mine, copper, silver, strategy of exploitation, La Tène, Roman conquest rencs replongent dans un profond sommeil.
Figure 2 :
Les Barrencs,
une mine du versant sud
de la Montagne Noire
(DAO : J. Mantenant).
Figure 3 :
Le district de Salsigne :
localisation des principaux
sites miniers et métallurgiques
antérieures à l’époque Moderne.
de très nombreuses minéralisations iloniennes en- vonien, entre les villages de Lastours, dans la val-
caissées dans les terrains primaires et classées en lée de l’Orbiel, et de Villeneuve-Minervois, dans la
cinq catégories en fonction de leur mode de forma- vallée du Clamoux. Il s’agit en règle générale de miné-
tion et des terrains encaissants : ralisations d’origine hydrothermale déposées dans des
• les minéralisations incluses dans le granite de Brousse ; failles nord/sud présentant des paragenèses de basse
température où prévalent deux types de minerais argen-
• les ilons nord/sud et est/ouest encaissés dans les
tifères : les cuivres gris et la galène (Tollon 1970, 161).
schistes X ;
• les minéralisations situées au contact entre les schistes Les autres groupes sont quant à eux largement do-
X et les calcschistes 3a dévoniens ; minés par des gisements de minerais sulfurés com-
• les minéralisations situées dans les terrains paléo- plexes de fer et d’arsenic (mispickel, pyrite-pyrrho-
zoïques non fossilifères ; tite), dans lesquels le cuivre et le plomb sont des
• les minéralisations incluses dans les terrains paléo- éléments très secondaires. L’altération de la partie
zoïques fossilifères (Tollon 1970, 144-161).. D’une ma- supérieure de ces gisements, nombreux autour des
nière générale, les gîtes du district de Salsigne contien- villages de Salsigne et Villanière, a entraîné la for-
nent les mêmes substances (or, arsenic, argent, cuivre, mation d’imposants dépôts secondaires de type cha-
plomb, fer) et les mêmes minéraux-porteurs (mispic- peaux de fer, constitués de riches minerais de fer à
kel, galène, cuivres gris, chalcopyrite, pyrite, hématite, base d’oxydes et hydroxydes.
goethite, limonite, pour ne citer que les principaux),
mais le taux de représentativité de ces éléments varie 1.2 L’exploitation des métaux dans le district
largement d’une catégorie à l’autre. de Salsigne, de l’Antiquité à nos jours
Ainsi, peu présents dans quatre des cinq catégories, Si l’exploitation antique des gisements de cuivre et de
le cuivre, le plomb et le zinc sont en revanche les plomb argentifères reste largement méconnue, plu-
composants majeurs, à teneurs élevées, des gîtes en- sieurs textes démontrent que certains d’entre eux ont
caissés dans les terrains paléozoïques fossilifères. suscité à partir du Moyen-Âge la convoitise des puis-
Ces dépôts, parmi lesquels igure le gisement exploi- sants, seigneurs locaux, clergé ou marchands, tout
té aux Barrencs, s’égrènent sur une mince bande de particulièrement la mine de plomb argentifère de La
terrains calcaires et dolomitiques, à passées schis- Caunette, à 2 km au sud du site des Barrencs (Gens-
teuses, datés essentiellement du Cambrien et du Dé- sane 1778, 298 ; Bailly-Maître, Gardel 2007, 65-71)
(ig. 3). Jusqu’à la seconde moi- derne » de Salsigne se met véritablement en place
tié du XIXe s. l’argent et le fer à partir des années 1900, pour devenir, au XXe s.,
sont les principaux métaux re- la plus grande zone de production d’or et d’arsenic
cherchés dans la région de Sal- d’Europe. Les gisements de cuivre, plomb, argent et
signe. En effet, les chapeaux de fer perdent alors la place prépondérante qu’ils déte-
fer des gîtes de mispickel ont été naient dans l’activité minière régionale. Ils n’en font
dès l’Antiquité et jusqu’aux an- pas moins l’objet de recherches, nombreuses à la in
nées 1890 au cœur de l’activité du XIXe et au tout début du XXe s., du fait de la pré-
minière qui s’est développée sur sence récurrente de mispickel dans toutes les miné-
le versant Sud de la Montagne ralisations sulfurées du district de Salsigne. C’est
Noire. Ces dépôts ferrifères ont dans ce contexte qu’il faut situer la redécouverte des
alimenté les nombreux ateliers travaux miniers des Barrencs.
sidérurgiques romains identiiés
depuis quatre décennies dans 2. hIstoIre moderne de la mIne des barrencs
la Montagne Noire. Parmi eux
figurent les imposants com- 2.1 La reconnaissance de la mine ancienne
plexes sidérurgiques situés à des Barrencs
une vingtaine de kilomètres au
nord de Salsigne, dans le bas- La mine antique des Barrencs, malgré ses dimensions
sin supérieur de la Dure (Do- exceptionnelles, n’est nullement mentionnée avant la
maine des Forges). Actif entre in du XIXe s. Il faut en effet attendre 1893 pour en
le milieu du Ier s. av. n. è. et le trouver une première description. Elle est l’œuvre de
IIIe s. de n. è., le district sidérur- l’inventeur de l’or de Salsigne, M. Esparseil, qui ob-
gique de la Montagne Noire, par tient cette année-là l’autorisation d’effectuer des re-
la masse de fer produite – près cherches minières sur le plateau des Barrencs, entre
de 100 000 tonnes – se place Lastours et Fournes-Cabardès. À cette occasion, il
Figure 4 : ainsi parmi les principales régions productrices fait déblayer et explore de très anciennes fosses pré-
Photographie aérienne du de fer du monde romain (Domergue 1993, Decom- sentes sur le plateau, les fameux barrencs – le terme
plateau des Barrencs et de la beix et al. 2000 ; Fabre, Coustures 2005, 300-301). occitan barrenc signiiant trou, ravin (ig. 4). Stupé-
vallée de l’Orbiel : Moins bien connue, l’activité minière et métallur- fait à la fois par la maîtrise technique dont ont fait
localisation des minéralisations gique médiévale n’en demeure pas moins présente preuve les anciens mineurs et par l’ampleur des tra-
du Mourral de La Grave (ouest) entre les XIIe et XVe s. (Bailly-Maître, Gardel 2007, vaux souterrains, dans lesquels il s’enfonce profon-
et des Barrencs de Fourn es 64 et 114-120). dément, M. Esparseil les attribue à l’époque romaine
(est), des travaux miniers en raison des nombreux fragments d’amphores dé-
de surface et des galeries de
Les années 1890 annoncent cependant une rupture couverts au sein même de l’exploitation et à proximi-
recherches modernes
(cliché IGN ; DAO J. Mantenant).
d’un point de vue économique, qui bouleverse pour té des fosses, sur le plateau (Esparseil 1893, 205). Les
plus d’un siècle l’activité minière régionale. Tout dimensions exceptionnelles de ces ouvrages excitent
commence à la mine de fer, cuivre et mispickel du l’appétit des exploitants miniers et jusqu’en 1902,
Roc des Cors, à quelques kilomètres au nord-est des date à laquelle le gisement des Barrencs intègre la
Barrencs, où, en 1892, Marius Esparseil détecte la concession de Lastours nouvellement créée, les per-
présence d’or. La même découverte se répète peu mis de recherches se multiplient. Il est vrai que le mi-
après dans les minerais à pyrite et mispickel des nerai résiduel, prélevé dans la partie supérieure des
mines de fer de Salsigne, dont il détient la conces- anciens travaux, aficherait des teneurs en argent in-
sion (Esparseil 1933, 116). Rapidement, le caractère téressantes, allant jusqu’à 2,7 kg/t.
aurifère du mispickel se précise : cet arsénio-sul-
fure de fer de formule FeAsS, nommé aussi arséno- Ces recherches permettent de reconnaître deux i-
pyrite, présente des teneurs en or variant entre 14 et lons de quartz subverticaux et d’orientation nord/
46 g/t (Crouzet, Tollon, 1980, 30). Intimement asso- sud mesurant plus de 600 m de longueur et encaissés
cié au mispickel, l’or demeure cependant invisible dans les calcaires primaires, le ilon du Mourral de
à l’œil nu. Tout ceci expliquerait, d’après F. Tollon, La Grave, à l’ouest, et le ilon des Grands Barrencs,
le faible intérêt porté par les Anciens aux minéra- à l’est (ig. 4), dit aussi Barrencs de Fournes. Sur ce
lisations primaires à mispickel-pyrite-pyrrhotite, dernier, sur lequel ont été ouverts les grands barrencs
qui semblent ne jamais avoir été exploitées avant la explorés par M. Esparseil, sont percées deux galeries
in du XIXe s. (Crouzet, Tollon 1980). En revanche, de recherche entre 1898 et 1904, qui recoupent des
elles se trouvent au centre des nombreuses de- travaux anciens imposants, à plus de 80 m de pro-
mandes de permis de recherches et d’attributions de fondeur sous le plateau (Crouzet, Tollon 1980, 1-2)
concessions minières qui se multiplient dans toute (ig. 5). Après une interruption entre 1904 et 1911, les
la région à partir de 1893. Le district minier « mo- recherches reprennent jusqu’en 1936 sous l’égide de
Figure 5 :
Plan des galeries de recherches
creusées à l’époque
contemporaine sur le gisement
des Barrencs
(4 octobre 1934, AD Aude,
Carcassonne ; DAO J. Mantenant).
J. Diéderichs. Cette fois-ci, c’est en direction du ilon les Ve et IIe s. av. n. è. (Astre 1947, 5-16 ; 1948, 33-36).
du Mourral de La Grave qu’est percée une troisième M. Labrousse se fera l’écho de cette théorie, considé-
galerie de recherche, le travers-bancs de Lastours, rant les nombreux amas de scories de la Montagne
prolongée en profondeur par une descenderie (ig. 5). Noire comme des ateliers de production d’or (La-
Elle recoupe elle aussi de vastes travaux souterrains brousse 1968, 111)1.
anciens s’enfonçant à plus de 150 m sous le plateau
et partiellement noyés. Aux yeux des hommes de Une dernière phase de prospections minières est me-
l’art, il ne fait guère de doute que ces vieux ouvrages née dans les années 1960 par une nouvelle compa-
impressionnants creusés au feu et à l’outil (voir plus gnie, la Société des Mines et Produits Chimiques de
loin, ig. 11-14), aux parois largement concrétion- Salsigne, disposant de moyens techniques plus im-
nées, sont l’œuvre des Romains. portants. Une première coupe schématique des tra-
vaux est alors réalisée, rendant bien compte de l’am-
2.2 La in de l’espérance : un gisement entiè- pleur des anciens chantiers, d’où 200 000 tonnes de
rement exploité par les Anciens minerai tout-venant auraient été extraites (Tollon
1970) (ig. 6). Suite à l’analyse des minéralisations Figure 6 :
Les travaux de recherche cessent provisoirement en délaissées par les Anciens2, l’objectif des anciens mi-
Coupe schématique des travaux
1936, à la mort du propriétaire de la concession. À neurs est réévalué. Il est alors supposé que ce n’est
miniers du Mourral de La Grave.
cette date, le potentiel économique du gisement est pas l’or que ceux-ci ont exploité, le minerai aurifère, Etat des connaissances en 1968
encore mal connu. Cette situation justiie le redémar- du mispickel complexe à faible teneur en or, ayant (DAO J. Mantenant, d’après
rage des prospections une dizaine d’années plus tard largement été laissé de côté, mais plutôt le cuivre et Cabrol B., 1968, archives
par la Société des Mines et Usines de Salsigne, récent l’argent, sans doute présents à l’origine en quantités DREAL, Alès).
propriétaire de la concession de Lastours.
bien plus importantes sous la forme de chalcopyrite, méthodologie largement éprouvée sur d’autres com-
de cuivres gris et de galène (Tollon 1970, 155-156 ; plexes miniers européens anciens, pouvait être dé-
Guilbaut, Landes 1977a, 76-80). posé. À l’inventaire patrimonial, première étape du
travail, allait succéder son exploitation scientiique
Plusieurs sondages géologiques par forage sont alors et ses multiples déclinaisons, notamment dans les
effectués sur le plateau et une des galeries de re- domaines de la technique et de l’économie antiques.
cherche est prolongée sur le ilon oriental : à nouveau, Les jalons posés par nos prédécesseurs allaient orien-
de vieux chantiers sont recoupés. Il est alors déiniti- ter la démarche, en particulier sur le problème de la
vement admis que l’exploitation ancienne a très lar- chronologie, avec la nécessité de distinguer les dif-
gement vidé les parties riches des ilons, les faibles férentes phases de l’exploitation en étudiant les tech-
teneurs en cuivre, or et argent relevées dans les zones niques d’abattage, la progression ou dynamique de
profondes, sous les chantiers anciens, incitant les ex- l’exploitation, le gabarit des galeries ou l’architec-
ploitants à abandonner déinitivement les recherches ture des différents ouvrages, et en multipliant les
(Crouzet, Tollon 1980). Après plus de 70 ans de pros- sondages pour tenter d’afiner les datations. Avec les
pections minières, qui ont nécessité le creusement de mêmes méthodes, on allait pouvoir tenter de carac-
plus de 600 m de galeries, les ilons du Mourral de la tériser l’art de la mine aux époques pré-romaine et
Grave et des Barrencs de Fournes n’ont pas livré une romaine, car en ce domaine, les références sont en-
tonne de minerai. Toutes les recherches n’ont rencon- core relativement peu abondantes et, en tout cas, dis-
tré que d’anciens travaux. Véritable chimère pour les parates. Enin, on devrait replacer cette activité éco-
Modernes, l’exploitation minière appartenait à l’his- nomique, après en avoir évalué l’ampleur, dans son
toire ancienne. contexte historique régional.
Figure 9 : neur en métaux du minerai exploité. À terme, cette nord et au sud le secteur étudié des travaux Nord. Les
Coupe d’ensemble des étude devrait apporter des informations complé- schistes sont davantage présents dans les travaux Sud.
travaux miniers ouverts mentaires sur la paragenèse et la mise en place des
sur la minéralisations du minéraux contenus dans le gisement. L’étude minéralogique repose pour le moment sur
Mourral de la Grave. État des des observations macroscopiques effectuées sur le
connaissances en 2011 Nos observations ont concerné principalement le sec- terrain ; des analyses plus poussées, en laboratoire,
(DAO : J. Mantenant, teur situé entre le niveau + 318 et le niveau +245 (chan- sont en cours. Les premières observations in situ
G. Munteanu). tier au feu) des travaux situés en amont (au nord) du ainsi que les études géologiques réalisées antérieu-
travers-banc moderne (ig. 7 et 8). D’autres observations rement nous placent dans le cadre d’un gisement
ont été faites dans des endroits remarquables des travaux de sulfures primaires, de type BPCG (blende – py-
situés en aval (au sud) du travers-banc. rite – chalcopyrite – galène). Les solutions épither-
males ont déposé les sulfures polymétalliques sur
La structure ilonienne du gisement de Mourral de leur trajet en remontant les fractures et les failles
La Grave est relativement complexe. À la verticale de l’encaissant carbonaté. L’intervention postérieure
de l’allongement général N-S des travaux miniers an- des phénomènes d’altération a fait apparaître des
ciens, dans le secteur des travaux Nord, nous avons minéraux d’origine supergène (oxy-hydroxydes de
pu identiier trois ilons majeurs (notés F1, F2 et F3) fer : limonite, goethite et hématite, ainsi que des
(ig. 7 et 8) : deux ilons quasi verticaux (pendage carbonates et des oxydes de cuivre : malachite, azu-
entre 70° et 85°) F1 et F3 décalés en plan horizontal rite, cuprite) qu’on retrouve majoritairement dans le
et reliés entre eux par un ilon (F2) incliné (pendage niveau supérieur des travaux Nord, entre les cotes
entre 55° et 65°). Un autre ilon assez important diri- +325 et +295. Dans le niveau moyen de ces mêmes
gé par une faille orientée NO-SE et inclinée à 50° en travaux Nord, on observe une participation relati-
direction sud, recoupe les trois failles/ilons majeurs vement abondante de la chalcopyrite et de la py-
(F1, F2, F3). Ce système de failles/ilons orientés du rite dans le remplissage ilonien. Enin, dans les
nord au sud et recoupés du NO au SE, se retrouve niveaux inférieurs, dans la zone d’enrichissement
dans la structure ilonienne des Grands Barrencs supergène5, nous avons remarqué, à côté de la chal-
(ig. 4). Parallèlement au système de failles majeures, copyrite, des produits d’oxydation et des carbonates
il existe toute une série de failles/fractures d’ordre (limonite, cuprite et malachite), la présence impor-
secondaire avec du remplissage ilonien, qui a été re- tante des cuivres gris et de la galène.
cherché et/ou exploité par les mineurs anciens.
Après un premier regard sur le contexte géologique
L’encaissant des secteurs étudiés est composé de des travaux miniers, le minerai exploité dans les
roches carbonatées (dolomie-calcaire) avec des in- corps iloniens par les Anciens était essentiellement
tercalations schisteuses (calcschistes), délimitant au à base de chalcopyrite (dans les niveaux supérieurs
Si le travers-banc de Lastours constitue l’unique les entrées anciennes. Une communication au jour Figure 10 :
accès au réseau souterrain actuellement ouvert sur a, par exemple, été découverte depuis l’intérieur Coupe des travaux du secteur Nord
le filon du Mourral de la Grave, la mine ancienne de la mine, au sommet des travaux souterrains : (DAO G. Munteanu).
en exploitation était desservie par de nombreuses il s’agit de Mourral 7 qu’aucun indice ne permet
entrées réparties le long du gisement (fig. 9). Il plus de visualiser en surface.
s’agissait de puits au jour (Mourral 3-4) ou de
chantiers attaqués à l’aff leurement (Mourral 2), D’un point de vue chronologique, deux phases d’ex-
voire même de travers-bancs. D’autres communi- ploitation ont pu être mises en évidence dans le ré-
cations au jour devaient encore exister si l’on en seau du ilon du Mourral de la Grave. La plus ré-
croit l’organisation des travaux souterrains. Leur cente concerne les recherches du XXe s. entre 1911
localisation précise reste encore indéterminée, et 1968. Elle fût limitée au percement du travers-
l’érosion et les travaux de mise en culture des ver- banc de Lastours, de la descenderie et à quelques
sants ayant dispersé les haldes et fait disparaître travaux d’aménagement et de reconnaissance du i-
Mourral de la Grave : fragments de céramique cam- reviendrons, aucune fouille n’a livré de mobilier cé-
panienne A, céramique commune romaine et surtout ramique. En revanche, des charbons de bois ont pu
amphores italiques, pour l’essentiel des amphores vi- être prélevés dans quatre des secteurs fouillés, situés
naires provenant de la zone tyrrhénienne (Campanie aux cotes 234 2, 248 et 301 m. Les mesures, par AMS,
et sud de l’Étrurie). Une première étude du matériel ont été effectuées par le Poznan Radiocarbon Labo-
amphorique collecté en surface lors d’une prospec- ratory (Pologne). Les datations calibrées sont réunies
tion réalisée en 2001 (Rico, Fabre 2001) a permis dans le tableau ci-dessous (ig. 17). Elles indiquent
d’afiner la chronologie et de réduire la fourchette à sans laisser de place au doute une exploitation anté-
la période couvrant la in du IIe s. et le premier tiers rieure à l’arrivée des Romains dans la région. L’une
du siècle suivant. On se situe donc dans le contexte de de ces datations situe clairement l’exécution des tra-
la prise de contrôle effective de la Gaule méditerra- vaux avant 200 ; or le charbon de bois daté provient
néenne par Rome, qui s’accompagnerait, ici comme d’une galerie de recherche située en profondeur dans
dans d’autres régions du bassin méditerranéen (pé- les travaux Nord, à la cote 234 m. Dès lors, dans les
ninsule Ibérique, Orient, Chypre ; Domergue 2008), zones de la mine actuellement étudiées, abstraction
d’une intensiication de l’exploitation de leurs res- faite bien entendu des travaux modernes, les vestiges
sources minières. La mise en chantier du gisement remontent pour l’essentiel à l’Âge du fer. C’est dire
des Barrencs serait donc loin de constituer un cas iso- l’ampleur de l’entreprise, bien avant la conquête.
lé. Au même moment en effet, dans un contexte plus
régional, une importante activité extractive et métal-
lurgique se met en place dans les Pyrénées orientales, Figure 17 :
autour notamment du massif du Canigou pour le fer Tableau de synthèse des
(Mut 2007, 141-155), et c’est aussi l’époque à laquelle datations radiocarbones du
se développe l’exploitation des gisements de cuivre et réseau du Mourral de La Grave.
de plomb argentifères de la haute vallée de l’Orb (sec-
teur de Lascours) (Gourdiole, Landes 1998). Or, une
mesure 14C réalisée en 1996 à la demande de P. Ca-
brol sur un charbon de bois prélevé dans les travaux
du Mourral avait donné la date calibrée 390-200 BC8,
révélant une réalité historique sans doute plus com- 4.3 Une reprise au moment de la conquête…
plexe que le schéma traditionnellement admis. Les mais de quelle importance ?
datations réalisées à l’issue de la campagne 2010 vont
dans le même sens ; elles remettent en cause l’idée Comme on l’a dit, deux phases d’exploitation ont
que la mine fut ouverte à l’époque de la domination été, à ce jour, clairement identiiées, moderne d’un
romaine pour privilégier, désormais, l’idée d’une mine côté, ancienne de l’autre. Cette dernière se distingue
active dès la Tène ancienne ou moyenne. Elles ou- par l’homogénéité des travaux miniers et leur par-
vrent, par conséquent, un certain nombre d’interroga- faite organisation, qui confèrent à la mine du Mour-
tions auxquelles les recherches à venir devront tenter ral de la Grave son caractère de projet unitaire. Il est
de répondre. dès lors bien dificile de distinguer des ouvrages ap-
partenant à des moments distincts de l’exploitation.
4.2 Une chronologie remise en question Or, si trois des mesures 14C réalisées en 2010 situent
celle-ci quelque part à l’époque de la Tène ancienne
Plusieurs sondages et fouilles d’envergure limitée ont ou moyenne, la présence dans la partie supérieure
été effectués lors de la campagne 2010 avec, entre des travaux Nord de fragments de céramiques an-
autres objectifs, celui de prélever, en stratigraphie, tiques – tessons de campanienne A, fragments d’am-
soit du mobilier céramique, soit des charbons de bois phores vinaires gréco-italiques et Dressel 1, céra-
permettant d’établir une datation des travaux étudiés. miques de tradition gauloise, “sombrero de copa“
Il s’agit, d’un côté, de galeries de recherche ou de cir- ibérique – indique que la mine fut tout de même fré-
culation au remplissage faible, constitué essentielle- quentée entre la in du IIe s. et le Ier s. av. n. è. Quel
ment de débris d’abattage recouvrant les niveaux de fut l’objectif des mineurs romains ? Sur ce point, la
circulation au-dessus de la sole, de l’autre d’un pe- fouille de la galerie du niveau 301, réalisée en 2010,
tit chantier au feu ayant produit d’importants déblais apporte quelques éléments de réponse.
mêlés à d’abondants charbons de bois. Les interven-
tions ont eu lieu à différents niveaux des travaux Il s’agit d’un petit ouvrage de recherche, arrêté au
Nord, précisément aux cotes 211, 231, 234, 248 et bout de 3,30 m de creusement. Les mineurs ont sui-
301 m, de manière à pouvoir confronter les éléments vi un ensemble de petites failles de direction N/S,
chronologiques obtenus et éventuellement suivre utilisant le pic et/ou la pointerolle, qui ont laissé des
dans le temps l’avancement des chantiers. Hormis traces caractéristiques sur les parois (ig. 18). La ga-
dans la petite galerie du niveau 301, sur laquelle nous lerie nous est parvenue dans l’état dans lequel elle
Figure 19 :
Culots d’amphores italiques
abandonnés, constituant l’US 1
de la galerie 27/1-27/2
(cliché J.-M. Fabre).
On peut imaginer, en première hypothèse, que les Ro- trent sans équivoque que l’essentiel des travaux a été
mains ont systématiquement recherché d’éventuelles réalisé bien avant l’arrivée des Romains sur place,
zones non touchées par leurs prédécesseurs, ce qu’at- Romains auxquels, traditionnellement, l’exploitation
testerait le percement de la galerie du niveau 301. Il du gisement avait été attribuée. Le changement de
reste que la mine du Mourral de la Grave appartient à perspective est important. La datation de la mine des
un site de grande extension. Pour l’heure, on sait peu Barrencs au second Âge du Fer, quelque part entre la
de choses sur les travaux dans le ilon voisin, celui Tène ancienne et la Tène moyenne, nous invite d’ores
des Grands Barrencs, qui paraissent aussi importants et déjà à réléchir sur l’organisation, sinon sur l’admi-
que ceux du Mourral de la Grave. Autour des fosses nistration d’une entreprise d’une telle ampleur. Au-
d’accès, on l’a dit, le matériel céramique, et ampho- delà de la problématique propre au site, elle ouvre
rique en particulier, d’époque républicaine est omni- des perspectives, que l’on soupçonnait jusqu’alors
présent. C’est aussi dans ces travaux que les lampes sans pour autant disposer de preuves sufisantes, sur
campaniennes publiées par G. Astre ont été décou- la place réelle de l’activité minière dans l’économie
vertes. L’activité minière à partir de la in du IIe s. de la Gaule méditerranéenne protohistorique.
aurait-elle concerné ce ilon du gisement du plateau ?
C’est une des questions à laquelle les recherches qu’il
faudra étendre un jour aux Grands Barrencs devront
tenter de répondre.
Argitxu Beyrie
IKER Archéologie – TRACES-UMR 5608
en conclusIon CNRS-Université de Toulouse II-Le Mirail
argitxu.beyrie@iker-archeologie.com
Trois campagnes aux Barrencs ont donc été sufi-
santes pour conirmer l’importance du site. Il appa- Jean-Marc Fabre
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raît évident que de nombreuses autres seront néces- CNRS-Université de Toulouse II-Le Mirail
saires pour appréhender la mine, ou, plus exactement, jfabre@univ-tlse2.fr
le complexe minier dans toute son extension et, ce
faisant, mesurer sa place dans l’économie antique ré- Éric Kammenthaler
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gionale. Au vu de l’ampleur des travaux anciens, qui CNRS-Université de Toulouse II-Le Mirail
semblent avoir pour ainsi dire quasiment épuisé le eric.kammenthaler@iker-archeologie.com
gisement, on peut d’ores et déjà dire que celle-ci fut
de premier rang. S’il est trop tôt pour proposer une Julien Mantenant
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estimation des volumes exploités et donc du rende- CNRS-Université de Toulouse II-Le Mirail
ment de la mine, on peut s’interroger dès maintenant mantenantjulien@yahoo.fr
sur la destination des métaux qui y étaient produits,
cuivre et argent, et sur leur insertion dans un système Gabriel Munteanu
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d’échanges qui dépassa vraisemblablement l’approvi- CNRS-Université de Toulouse II-Le Mirail
sionnement du marché local et même régional. gabimunt@yahoo.com
◤ Notes de commentaire
1. En particulier le gigantesque ferrier des Martys. On sait depuis, grâce aux tra-
vaux de Claude Domergue, que ces déchets sont des scories issues de l’activité
sidérurgique.
3. Cette hypothèse est conirmée par la présence d’un squelette animal (ovin ou
caprin) dans un secteur inaccessible sans corde, à plus de 50 m au-dessous de
la surface.
6. Au cours des années 1960, lors des dernières tentatives de reprise d’exploita-
tion, une première coupe partielle simpliiée des parties accessibles de la mine
avait été réalisée (Guilbaut, Landes 1977 : 77).
8. Galant 2001 : 3. Le charbon de bois daté a été prélevé dans un autre secteur,
plus septentrional, du Mourral de la Grave, sans autres précisions.
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