LES MINES DE L’ANTI-ATLAS ORIENTAL
1.5- Le gisement de Tiouit à Au-Cu-Ag (Massif néoprotérozoïque du J. Saghro) /
Tiouit Au-Cu-Ag Deposit (J. Saghro Neoproterozoic Inlier)
A. ALANSARI1, E.M. MOUGUINA1 & L. MAACHA2
Points clés : Le gisement d'or de Tiouit est caractérisé par des
veines minéralisées subhorizontales encaissées dans une grano-
diorite potassique du Néoprotérozoïque supérieur, déformée et
affectée par des altérations hydrothermales. Ce gisement possède
les caractéristiques à la fois d'un système porphyrique cuprifère
et d'un système mésothermal.
Highlights : The Tiouit gold deposit is typified by flat-lying min-
eralized veins hosted in a high-K, late Neoproterozoic granodi-
orite, which is deformed and hydrothermally altered. This ore
deposit shows the characteristics of both porphyry copper and
mesothermal deposits.
Localisation : Le gisement à Au-Cu-Ag de Tiouit (GPS :
N31°9'51.56", W5°47'29.02" ; alt. 2092 m) est situé dans
la partie nord-est du Jbel Saghro oriental, dans le domaine
de l'Anti- Atlas oriental (voir figs. 1.01, 1.02 ci-dessus). Il
se trouve à environ 35 km à vol d’oiseau au sud-est de la
ville de Boumalne-Dadès.
Substances exploitées : or, argent, cuivre
Etat et historique : Après la découverte de l’or en 1946-
1947 dans le secteur de Jemâa N’Ougoulzi, l’exploitation
s’est déroulée en trois périodes d’activité, assurées par trois
1
Université Cadi Ayyad, Faculté des Sciences Semlalia. Département de Géologie,
Laboratoire DLGR, Bd My Abdellah, B.P. 2390, Marrakech, Maroc. E-mail : alan-
sari@ucam.ac.ma ; mouguina@ucam.ac.ma
1
Groupe Managem, Twin Center, Casablanca, Maroc.E-mail : l.maacha@mana-
gemgroup.com
FIG. 1.5.1 : A) Localisation du gisement de Tiouit sur un extrait de la carte routière du Maroc au millionième (Michelin). B) Cadre géologique du secteur, extrait de la carte
géologique du Maroc au 1/1 000 000. xII3 : Groupe du Saghro ; xIII : Groupe de Ouarzazate ; s : sédiments ; γ : granites ; ki/km : Cambrien inférieur/moyen ; or-d : Ordovi-
cien à Dévonien ; δt : dolérites triasico-liasiques ; e-c : Crétacé à Eocène ; m-pC : Miocène-Pliocène conglomératique ; p-q : Plio-Quaternaire.
FIG. 1.5.1 : A) Location of the Tiouit mine on the Michelin road map of Morocco, scale 1/1 000 000. B) Geological setting, excerpt from the Geological map of Morocco, scale 1/1 000 000.
53
sociétés minières différentes. Entre 1950 et 1959, les tra-
vaux furent effectués par la Compagnie Minière de Jbel
Mansour (COMANSOUR). L'activité cessa après l'extrac-
tion d'environ 68 5001 tonnes de minerai à 15g/t d'or et 119
g/t d'argent. De 1959 à 1963, l'exploitation est reprise par
une société canadienne. Les travaux sont arrêtés après l'ex-
traction de 38500 t de minerai à 18 g/t d'or et 138 g/t d'ar-
gent avec 0,5 % de cuivre. Enfin, de février 1982 à 1996, la
mine de Tiouit a été réactivée par une société filiale du Bu-
reau de Recherches et de Participations Minières (BRPM),
la Société d'Exploitation du Cuivre de l'Anti-Atlas (SODE-
CAT) ; les teneurs obtenues ont été de 7g/t Au et 57g/t Ag
avec 0.4 % de Cu. La production cumulée depuis 1950
jusqu'à 1995 est d'environ 8.5 t Au, 69t Ag et 455,6 t Cu
(Alansari & Sagon, 1997). Récemment, la société d’exploi-
tation de gisements miniers KEFI Mineral’s vient de signer
un accord avec la société marocaine Roche Invest SARL
pour bénéficier d’une période d’exclusivité sur ses opéra-
tions au niveau des mines de Tiouit.
Cadre géologique : Le gisement de Tiouit est situé dans le
massif précambrien du Saghro (fig. 1.5.1) qui correspond à
un segment de la chaîne panafricaine de l'Anti-Atlas, limité
au nord par l'Accident sud-atlasique et au sud par l'Acci-
dent Majeur de l'Anti-Atlas (AMAA) (Choubert, 1947 ;
1963). Dans l’Anti-Atlas central, l'accident AMAA est ja-
lonné par le complexe ophiolitique de Bou Azzer (voir ce
54 NOUVEAUX GUIDES GÉOLOGIQUES ET MINIERS DU MAROC - VOLUME 9
volume, fiches 2.4, 2.5). Le Jbel Saghro a été régi par des
phénomènes successifs de subduction et de collision lors
de l'orogenèse panafricaine (Saquaque et al., 1992 ; Alan-
sari, 1997 ; voir Nouveaux Guides, volume 1, pp. 34-36,
figs. 8-10). Dans ce massif, le Néoprotérozoïque le plus an-
cien à l’affleurement (Précambrien II inférieur ; xII3 de la
carte géologique du Maroc au millionième ; Groupe du Sa-
ghro, Gasquet et al., 2005) est constitué par des séries sé-
dimentaires et volcano-sédimentaires dominées par des
turbidites déposées dans un milieu de talus et de bas de
marge passive (Marini & Ouguir, 1990). Leur âge va de
640 à 610 Ma (Gasquet et al., 2008). Elles sont affectées
par un métamorphisme tardi-panafricain de type schistes
verts. Le Précambrien II supérieur est représenté par des
granitoïdes calco-alcalins (γxII3). Les séries plissées et épi-
métamorphiques du Groupe du Saghro sont recouvertes en
discordance par les séries volcaniques et volcano-clastiques
du Précambrien III (xIII, Groupe de Ouarzazate), datées de
l’Ediacarien (580-550 Ma ; Gasquet et al., 2008). Les plu-
tons calco-alcalins (γxII3) et leur encaissant épimétamor-
phique (xII3) sont recoupés par de nombreux dykes orientés
NE-SW, N-S, ENE-WSW et WNW-ESE. Un ensemble de
massifs de granites roses potassiques occupe la zone axiale
du Jbel Saghro (granite d'Isk n'Alla).
Les minéralisations aurifères de Tiouit sont encaissées dans
un pluton granodioritique du PII supérieur (γxII3), d'envi-
ron 10 km d'extension E-W et 5 km de largeur (figs. 1.5.1B,
1.5.2). Cette granodiorite calco-alcaline, fortement potas-
sique, de type I, tardi-orogénique proviendrait d’un magma
FIG. 1.5.2 : Interprétation de l’image satellitaire (Google earth) du secteur de la mine de Tiouit.
FIG. 1.5.2 : Interpreted satellite view (Google earth) of the Tiouit mine area.
parental d’origine mixte (Alansari & Sagon, 1997). Elle a
subi plusieurs phénomènes d'altération hydrothermale, ainsi
qu’une déformation cassante. Les dykes de rhyolites et d’an-
désites du Précambrien III recoupent les corps minéralisés,
ce qui confère au gisement aurifère de Tiouit, un âge tradi-
Précambrien II supérieur (xII3 supérieur).
Description du gisement : Les corps minéralisés exploi-
tés à Tiouit sont tous sous forme de veines lenticulaires
intra-granodioritiques γxII3 (fig. 1.5.3). Géométriquement,
ce sont des structures plates ou subhorizontales remplis-
sant des fractures orientées N10° à N-S avec un pendage
faible de 10° à 30°E ou SE. Leur extension longitudinale
suivant la direction N-S peut atteindre jusqu'à 1 km. Laté-
ralement, selon une direction E-W, leur extension varie
entre 40 et 300 m. Leur puissance varie entre 2 et 10 m
dans les parties centrales, diminuant jusqu'à quelques cen-
timètres aux extrémités des lentilles. Les veines aurifères
peuvent être regroupées en deux faisceaux principaux, sé-
parés par une bande d’intercalaire granodioritique ; un fais-
ceau inférieur correspondant aux structures aurifères des
secteurs nord, central et sud, et un faisceau supérieur qui
regroupe les veines aurifères des secteurs nord-est et Jemaa
N’Ougoulzi (Alansari & Sagon, 1997). Toutes les struc-
tures aurifères reconnues et ayant fait l'objet d'une exploi-
tation à Tiouit se localisent dans une aire de 6 km2 au
sud-ouest de la granodiorite hôte (fig. 1.5.3). Le remplis-
sage des veines aurifères est assuré, en proportions varia-
bles, par deux faciès principaux ; un faciès sulfuré
relativement riche en or (jusqu’à 300 g/t Au) et un faciès
 LES MINES DE L’ANTI-ATLAS ORIENTAL 55

FIG. 1.5.3 : Carte géologique simplifiée du gisement aurifère de Tiouit (d’après Alansari & Sagon, 1996). 1. Granodiorite de Tiouit ; 2. dykes
rhyolitiques ; 3. Dykes d'andésites porphyriques ; 4. Dykes andésitiques ; 5. Granite alcalin d'Isk n'Alla ; 6. Veines aurifères ; 7. Failles ; 8. Piste.
FIG. 1.5.3 : Simplified geological map of the Tiouit gold deposit (after Alansari & Sagon, 1996). 1. Tiouit granodiorite ; 2. Rhyolite dykes,
3. Porphyritic andesite dykes ; 4. Andesite dykes, 5. Isk n'Alla alkaline granite ; 6. Gold veins 7. Faults ; 8. Track.

siliceux à grains d’or libres, qui titre environ 10 g/t Au. A
une échelle cartographique, prédominent deux types d’al-
tération hydrothermale : l’hématitisation et la chloritisa-
tion qui se répartissent en trois principales zones selon le
type qui l’emporte. A l’échelle des corps minéralisés,
quarte types d’altérations hydrothermales ont été définis
(Al Alansari & Sagon, 1997) ; une altération potassique
(biotite + feldspath potassique), une altération phylliteuse
(séricite + quartz), une altération propylitique (chlorite +
calcite + épidote + quartz) et une altération à hématite.
Minéralogie : Tous les auteurs (Alansari, 1997 ; Alansari &
Sagon, 1997 ; Chaker, 1997 ; Jettane, 2001 ; Benchekroun
& Jettane, 2004 ; Benchekroun, 2007) s’accordent sur une
composition minérale riche et complexe des minéralisations
du gisement aurifère de Tiouit. Toutefois, il convient de sou-
ligner certaines divergences relatives aux stades paragéné-
tiques établis par ces auteurs et, plus particulièrement le
calage du dépôt de l’or par rapport à ces stades. Dans ce qui
suit seront présentés les résultats de la caractérisation chi-
mico-minéralogique réalisée par Alansari (1997) et Alansari
& Sagon (1997). En complément, le lecteur pourra consul-
ter les autres références citées ci-dessus. Ainsi, trois princi-
paux stades paragénétiques hypogènes et un quatrième stade
lié aux phénomènes supergènes d’oxydation-cémentation,
ont été retenus :
 Stade I : ferro-arsénifère largement dominé par la pyrite
accompagnée d’arsénopyrite-I, de magnétite, et très ac-
cessoirement de pyrrhotite et d’énargite. La pyrite et
l’arsénopyrite-I de se stade sont affectés ultérieurement
par une phase de fracturation et de bréchification hy-
draulique. Le dépôt de l’or, dans ces micro-fractures,
montre clairement sa postériorité par rapport à ce pre-
mier stade (fig. 1.5.4A) ;
 Stade II : polymétallique (Cu-Zn-Pb-Bi-Sb-As-Te-Fe-Au-
Ag) à sulfures-électrum ; il correspond au dépôt de spha-
lérite, chalcopyrite, tennantite, tétraèdrite, arsénopyrite II,
galène, électrum, aïkinite, bismuthinite (fig. 1.5.4B) ;
 Stade III : à hématite-électrum plus argentifère ;
 Stade IV : caractérise le phénomène supergène d’oxy-
56 NOUVEAUX GUIDES GÉOLOGIQUES ET MINIERS DU MAROC - VOLUME 9

FIG. 1.5.4 : A) Fissures à électrum (jaune), chalcopyrite (jaune verdâtre), cuivre gris (gris) et quartz (noir) dans pyrite (jaune beige) du stade
I. B) Electrum (jaune) associé à la chalcopyrite (jaune foncé) dans quartz (gris foncé) et hématite (bleu ciel). Echelle en µm.
FIG. 1.5.4 : A) Cracks with electrum (yellow), chalcopyrite (yellow-green), tennantite (grey) and quartz (black) in pyrite (yellow beige)
stage I. B) Electrum (yellow) associated with chalcopyrite (deep yellow) in quartz (dark grey) and hematite (light blue). Scale in µm.

dation-cémentation avec développement de bornite, di-
génite, chalcocite, covellite, malachite, azurite, sulfates
de cuivre.
Par ailleurs, la teneur minimale de 22,78 % Ag de l’élec-
trum est affichée par les grains associés à la sphalérite, tan-
dis que la valeur maximale de 41,29 % Ag est observée
dans les grains d’électrum associés à l’hématite. En d’au-
tres termes, la finesse de l’électrum de Tiouit varie entre
583 (grains inclus dans hématite) et 784 (grains inclus dans
sphalérite) avec une moyenne globale de 711 pour l’en-
semble du gisement.
Modèle génétique : La granodiorite de Tiouit, hôte de la
minéralisation aurifère, fait partie intégrante d’un com-
plexe volcano-plutonique du domaine d’arc néoprotéro-
zoïque du Jbel Saghro. Certaines caractéristiques
minéralogiques et géochimiques de cette granodiorite sont
assez typiques des granites de type-I de Chappell et White
(1984), ou encore des séries granitiques à magnétite de
Ishiara (1977 ; 1981). Son caractère calco-alcalin, forte-
ment potassique et métalumineux à faiblement peralumi-
neux sont assez typiques des granites d’origine mixte. Ces
caractéristiques coïncident bien avec celles des granites
hybrides tardi-orogéniques de type « HLO » définis par
Barbarin (1990). Ainsi, des saumures hydrothermales mi-
néralisatrices peuvent être, logiquement, liées à l’évolu-
tion du magma source de la granodiorite de Tiouit.
Les résultats obtenus à l’issue de l’étude des produits d’al-
tération hydrothermale sont assez caractéristiques des gi-
sements de type Porphyres Cuprifères. Leur répartition
est cependant moins régulière et relativement plus com-
plexe que celle correspondante à la zonalité classique, dé-
crite par de nombreux auteurs (Lowell & Guilbert, 1970
; Sillitoe, 1991). L’utilisation de divers minéraux géo-
thermomètres, notamment la biotite secondaire, les phen-
gites et les chlorites d’une part, et les températures
déduites des micro-textures étoilées de sphalérite dans la
chalcopyrite, d’autre part, ont permis de caler l’intervalle
de température de formation des stades paragénétiques de
la minéralisation de Tiouit entre 450°C et 134°C (Alansari
& Sagon, 1997).
La nature des fluides minéralisateurs et les conditions de
température et de pression de mise en place des minérali-
sations ont été aussi approchées par l’étude des inclusions
fluides (Chaker, 1997 ; Jettane, 2001 ; Benchekroun & Jet-
tane, 2004).
Les paragenèses de la minéralisation et des altérations hy-
drothermales associées, ainsi que la réinterprétation des
données d’inclusions fluides ont permis de proposer un
modèle d’évolution en trois épisodes distincts (Alansari &
Sagon, 1997) :
 Episode I : marqué par la précipitation de pyrrhotite
(transformée ultérieurement en pyrite), et en proportion
moindre, d’arsénopyrite-I et de magnétite à partir de
fluides aquo-carboniques enrichis en K, démixés à par-
tir d’un bain silicaté. Feldspath potassique, biotite et
phengite ont résulté d’une métasomatose potassique
entre ces fluides et la granodiorite hôte ;
 Episode II : correspond à la précipitation d’électrum et
des sulfures du stade polymétallique, par remplacement
partiel ou total des minéraux du stade ferro-arsénifère. Il
serait dû à la percolation de saumures de haute tempé-
rature, d’origine magmatique, enrichies en chlorures (de
Mg, Fe, et Ca), et qui seraient également tenues pour
responsables de l’altération propylitique, très largement
dominée par la chloritisation ;
 Episode III : plus tardif et plus superficiel, il serait res-
ponsable de l’hématitisation et du dépôt de l’or sous
forme d’électrum argentifère.
La présence de sulfures et les données des inclusions
fluides liées à l’épisode II, montrant des températures éle-
vées et des salinités fortes à modérées, sont des arguments
 LES MINES DE L’ANTI-ATLAS ORIENTAL
favorables pour un transport de l’or sous forme de com-
plexes chlorurés (AuCl2-). L’interaction des fluides de
l’épisode II avec les minéraux du stade I est un facteur ef-
ficace pour le dépôt des minéraux du stade-II. Le dépôt de
l’or-chalcopyrite dans des microfissures des grains d’ar-
sénopyrite et de pyrite du stade I rend compte d’un dépôt
par des mécanismes de précipitation électrochimique, do-
cumentés par Möller et Kersten (1994). Le dépôt de l’or à
l’intérieur et dans les espaces inter-granulaires des sulfures
du stade-II (chalcopyrite, sphalérite, cuivre gris et galène)
peut s’expliquer selon une précipitation par des méca-
nismes d’adsorption physique - réduction chimique, do-
cumentés par Starling et al. (1989) et Knipe et al. (1991).
En somme, le gisement d'or de Tiouit affiche plusieurs ca-
ractéristiques connues dans les gîtes porphyriques cupri-
fères (Alansari, 1997 ; Chaker, 1997) et dans les systèmes
mésothermaux (Alansari, 1997).
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