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INTRODUCTIONS
PLAIDOYERS POUR LA TERRE
Pourquoi construire en terre crue ? Pourquoi les architectures de terre, aussi
méconnues que remarquables, ont-elles été victimes d’une longue amnésie
culturelle ? et de préjugés défavorables ? Pourquoi la construction en terre pré-
sente-t-elle tant d’atouts pour affronter les défis de notre temps ? Quels sont ses
avantages, notamment écologiques, mais aussi ses limites ? Comment le bon
usage de ce matériau peut-il contribuer à un changement de paradigme socié-
tal ? Pourquoi est-il porteur d’avenir ?
CHAPITRE 1
LOGIQUES CONSTRUCTIVES
Quelles sont, à travers le monde, les diverses techniques traditionnelles,
modernes et nouvelles de construction en terre crue ? Quelles sont les spéci-
ficités du pisé, de la bauge, du torchis, de l’adobe et des techniques hybrides ?
Quelles expressions architecturales permettent-ils ? Pourquoi et comment les
maçonneries en terre résistent-elles si bien, au temps notamment ? Comment
améliorer les performances de ce matériau sans réduire ses atouts écolo-
giques ? Comment « faire mieux avec moins » ?
CHAPITRE 2
TÉMOIGNAGES ARCHÉOLOGIQUES
Quelles sont les civilisations antiques qui ont inventé les premières architec-
tures de terre ? Quels usages ont-elles fait de ce matériau local ? Comment
sont nés en Mésopotamie les premières villes, les premiers palais et temples,
ainsi que les « gratte-ciel » (les ziggourats) tentant de relier les hommes et les
dieux ? Pourquoi l’Égypte antique a-t-elle construit toutes ses habitations en
terre, agglomérations et forteresses, alors que la pierre était valorisée dans son
architecture monumentale ?
CHAPITRE 3
TÉMOIGNAGES HISTORIQUES
Quels sont les plus remarquables sites architecturaux et urbains bâtis en terre
à travers le monde entre le VII e et le XVIII e siècle ? Pourquoi l’Unesco en a-t-il
classé 175 au patrimoine mondial ? Quels sont les apports les plus marquants
des civilisations qui se sont épanouies en Iran, en Chine, au Maroc, en Inde, au
Japon, en Afrique, aux Amériques et en Europe ? Sur ce dernier continent, quel
chef-d’œuvre bâti en terre au XIII e siècle nous est parvenu presque intact ?
CHAPITRE 5
MODERNITÉS ALTERNATIVES
Comment s’est manifesté le renouveau des architectures de terre entre 1789
et les années 1960 ? Sous quelles formes et de quelles manières ces innova-
tions ont-elles accompagné l’émergence de la modernité ? Dans quels pays ?
Qui sont les pionniers de cette importante mutation ? Quelles étaient leurs ambi-
tions sociales, culturelles et techniques ? Quels sont leurs apports et quelles
influences ont-ils eues ? Quel contexte sociétal a stimulé ces évolutions ?
CHAPITRE 6
CRÉATIVITÉS CONTEMPORAINES
Pourquoi les cinq dernières décennies ont-elles connu un vaste renouveau
des architectures de terre ? Comment se manifeste cette mutation ? Pourquoi
génère-t-elle aussi bien des logements pour les plus démunis que pour les plus
nantis ? Comment a émergé une large gamme de bâtiments dédiés à l’éducation,
la santé, le tourisme, la culture ou le commerce ? Quels sont les pionniers de ces
changements ? Comment ces architectures concilient-elles innovation, attracti-
vité, confort, qualité et écoresponsabilité ?
CHAPITRE 7
PERSPECTIVES D’AVENIR
Au terme de ce parcours transhistorique à travers le patrimoine ancien et
récent de 80 pays, quel bilan tirer de cette remarquable épopée culturelle ?
Quel est l’avenir des architectures de terre ? Quels sont leurs points faibles et
leurs points forts ? Pourquoi préconiser une révolution culturelle dans la for-
mation des bâtisseurs, amenés à faire face à une demande croissante ? Com-
ment l’économie circulaire permet-elle désormais de construire en terre dans
les grandes villes ?
objectif premier de ce livre est de lutter contre une De même, la majorité des professionnels du bâtiment et de
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HABITER LA TERRE
OBJECTIFS MILITANTS ET ÉMOTIONNELS élargir l’usage de la terre, dans une logique d’écoconstruction.
Au cours des deux décennies qu’a nécessitées la préparation L’ample corpus des œuvres évoquées, qu’elles soient monu-
de ce livre, au-delà du désir initial de proposer une approche mentales ou modestes, a en effet beaucoup à nous apprendre,
visuelle inédite de la diversité de ces patrimoines en terre, du point de vue technique comme en termes culturels, sociaux
un autre objectif, plus militant, a été adopté. Le récit se déve- et stratégiques. Il faut toutefois avoir la clairvoyance de ne pas
loppe ainsi selon un double registre, factuel et affectif, avec considérer comme inéluctables les pratiques constructives
une trentaine d’essais interdisciplinaires dus à des acteurs actuellement dominantes, souvent abusives et dangereuses,
reconnus et huit cents illustrations – photographies sou- qui ont été imposées par les lobbies des entreprises multinatio-
vent inédites et dessins – choisies pour leur potentiel émo- nales fabriquant les matériaux industrialisés qui composent
tionnel. Cette double perspective a été adoptée dans l’espoir aujourd’hui l’essentiel de notre cadre de vie. Ces pratiques
qu’elle soit porteuse de questionnements. L’évocation de ces induisent la surconsommation des ressources énergétiques
exemples de patrimoine ancestral se veut provocatrice, pour d’origine fossile – pétrole, gaz et charbon –, une pollution mas-
stimuler des interrogations de fond, notamment sur les rai- sive et l’émission de gaz à effet de serre, des fléaux à l’origine
sons qui ont amené notre société à marginaliser, voire parfois de la crise climatique qui menace notre avenir. La terre crue
à tenter d’interdire l’art de bâtir avec un matériau aussi natu- permet d’éviter ces calamités : sa mise en œuvre ne nécessite
rel et écologique que la terre crue. C’est d’autant plus para- pas d’apports énergétiques importants, puisqu’elle n’est pas
doxal qu’on revendique aujourd’hui une relation holistique transformée et qu’elle est utilisée localement ; de plus, son
entre l’homme, son environnement bâti et la nature, ainsi que usage ne produit presque pas de gaz à effet de serre. Il est
l’usage écoresponsable des ressources. L’ostracisme actuel à donc vital de valoriser cette ressource abondante aux vertus
l’égard de la terre crue est d’autant plus inadmissible que le écologiques reconnues4, en priorité pour le logement, mais
droit de bâtir en terre a toujours été implicite, dans toutes les aussi pour d’autres bâtiments de petite ou moyenne ampleur.
cultures du monde. Cette liberté fondamentale doit être main-
tenue, encouragée et facilitée, pas seulement dans les cam-
pagnes ou les pays pauvres, de façon quelque peu paterna- NOUVELLES INTELLIGENCES CRÉATIVES ET ALTERNATIVES
liste ou condescendante, mais aussi dans les villes nouvelles Pour illustrer concrètement ce potentiel porteur d’avenir, ce
– comme le démontre le Domaine de la Terre, inauguré en livre réunit dans le chapitre « Créativités contemporaines »
France en 19852 – et même les métropoles, à l’image de Paris3. une centaine d’exemples d’architecture contemporaine en
Les preuves de la pertinence, de la fi abilité et de la durabilité terre crue édifiées dans le monde entier, tant dans les pays
des architectures contemporaines en terre crue sont désor- riches que pauvres, sous tous les climats. Leur diversité
mais nombreuses et convaincantes. témoigne d’une intense créativité alternative. Ces bâtiments
publics ou privés assurent une large gamme de fonctions uti-
litaires, et même celles correspondant à des goûts de luxe.
UN SOCLE DE RÉFLEXION PROSPECTIVE Cette démonstration concerne aussi bien le domaine de l’édu-
Afi n de remédier à l’amnésie culturelle évoquée, mais aussi cation (de l’école primaire au campus universitaire) que de
d’éclairer le débat sur notre avenir, ce livre aborde à parts la santé (du dispensaire au centre chirurgical et à l’hôpital
égales tradition et modernité, à travers quatre grands volets : régional), de la culture (des œuvres d’art aux musées), du tou-
l’évolution de l’art de bâtir en terre crue de l’Antiquité au siècle risme (des maisons d’hôtes aux hôtels), du sport et des loi-
des Lumières ; les créations atemporelles dues au génie verna- sirs (des piscines aux stades) ou du tertiaire (des immeubles
culaire ; les développements modernes de la construction en de bureaux aux grands centres commerciaux). Ces réali-
terre, de 1789 à 1968 ; et sa réactualisation contemporaine, de sations récentes sont nombreuses, notamment en Europe,
1980 à nos jours. L’ensemble de cette démonstration doit consti- mais demeurent méconnues, même des professionnels. Elles
tuer le socle d’une réflexion prospective visant à actualiser et à illustrent pourtant le dynamisme d’une nouvelle fi lière de
2 – Voir le dossier relatif au Domaine de la Terre p. 392-395. 4 – Voir les textes d’Hubert Guillaud, p. 21, et de Dominique Gauzin-Müller,
3 – Voir le nouveau quartier programmé aux portes de Paris, p. 472-473. p. 24-25.
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INTRODUCTIONS
5 – Voir le texte d’Hugo Houben et Henri Van Damme, p. 36-39. 8 – Notamment l’architecte Anna Heringer en Allemagne ou l’ingénieur du
6 – Voir le texte de Romain Anger, p. 22-23. CRAterre Hugo Houben en France.
7 – L.R. Brown, Éco-économie, une autre croissance est possible, écologique et 9 – A. et H. Lovins, P. Hawken, Natural Capitalism: Creating the Next Industrial
durable, Paris, Seuil, 2001. Revolution, New York, Little & Brown, 1999.
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HABITER LA TERRE
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INTRODUCTIONS
construire »), l’urbaniste et sociologue anglais John Turner, d’autodestruction qui en découle. Il plaide en faveur de la pro-
proche d’Illich et de Schumacher, initiateur de stratégies hibition de toute technologie constituant une menace pour la
progressistes en faveur de l’habitat populaire urbain en société, et affi rme que, si une technologie peut avoir plusieurs
Amérique latine, précise : « Lorsque les citoyens – surtout les conséquences possibles, « il faut décider de son avenir en
plus modestes – ont la possibilité de contribuer directement à fonction de l’hypothèse la plus pessimiste15 ». La terre crue,
la conception, à la construction et à la gestion de leurs loge- contrairement aux matériaux industrialisés, conventionnels,
ments, ce processus stimule le bien-être familial et social, tout très énergivores et émetteurs de gaz à effet de serre, prouve
comme il bénéficie à l’environnement. En revanche, lorsque depuis des siècles sa complète innocuité.
les habitants n’ont – dans ce domaine essentiel pour eux – ni Le sociologue allemand Ulrich Beck complète cette analyse
pouvoir d’intervention ni responsabilités dans les décisions critique en constatant les changements intervenus dans la
clés, cela entraîne une insatisfaction sociale et devient aussi société en raison du développement industriel et technolo-
un fardeau pour l’économie. […] L’important dans le logement gique, et la nécessaire prise en compte des « risques cumu-
n’est pas ce qu’il est, mais ce qu’il apporte à ses usagers ».13 lés pour assurer notre avenir ». Il critique sévèrement « les
John Turner affi rme aussi qu’un matériau de construction acteurs qui sont censés garantir une indispensable sécurité et
n’est pas intéressant pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il rationalité des choix prospectifs – l’État, la science et l’indus-
apporte à ses usagers et à la société. Cette assertion est parti- trie – car ils imposent à la population de monter à bord d’un
culièrement appropriée pour justifier l’usage de la terre crue avion pour une destination où aucune piste d’atterrissage n’a
dans le domaine de l’habitat. été construite à ce jour ». Déplorant « un processus continu
« Libérer l’avenir », telle était en 1969 l’injonction de l’Autri- de rupture des traditions (une “détraditionalisation”), des
chien Ivan Illich, philosophe et penseur de l’écologie politique : savoir-vivre et des savoir-faire des sociétés qui implique une
« Il nous faut un autre choix que ceux prétendus du “dévelop- rapide érosion des solidarités sociales », il préconise l’avène-
pement” ou d’une révolution uniquement politique14. » Erich ment d’une « seconde modernité16 ». Les usages constructifs
Fromm, sociologue américain d’origine allemande, précise de la terre crue, hérités d’un savoir-faire ancestral univer-
que « cette remise en question radicale n’est possible que si sel, permettent précisément de matérialiser cette modernité
on ne tient pas pour évidentes les idées reçues de nos propres alternative.
sociétés, telle par exemple la culture occidentale depuis la Le philosophe français Dominique Bourg défi nit ainsi cette
Renaissance. Il faut [comme dans le conte d’Andersen] s’aper- « nouvelle modernité » : « Consciente de l’irréductibilité de
cevoir enfi n que “l’empereur est nu” et que ses vêtements ses fondements spirituels, ayant renoncé au mythe d’une
splendides sont tissés d’illusions. […] Le doute radical est un croissance infi nie, soucieuse des contradictions entre mar-
instrument de libération de la pensée, encore esclave de ses ché et libertés, ayant relativisé la notion de risque, réinterpré-
idoles. Il permet un indispensable élargissement du champ de tant les droits humains en tournant le dos tant à un anthro-
la conscience, une vision plus imaginative et créatrice de nos pocentrisme qu’à un individualisme forcenés, redécouvrant
possibilités et de nos choix ». La sagesse écologique et mini- la nature spéculative du savoir, et discernant dans les tech-
maliste de la construction en terre crue nous permet d’éviter le niques plus un accompagnement de la nature qu’une domina-
recours idolâtre aux matériaux de construction industrialisés. tion-destruction. […] Si “l’humanité gémit, à demi écrasée sous
le poids des progrès qu’elle a faits” (Bergson), elle pourrait à
l’avenir hurler de douleur face à leurs conséquences si elle ne
À LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE MODERNITÉ parvenait pas à se libérer du tropisme de cette “mécanisation-
Quant au philosophe allemand Hans Jonas, qui a initié en destruction” indéfi nie du donné naturel, si elle ne parvenait
1979 le concept de responsabilité des générations présentes pas à faire désirer à nouveau la simplicité de la vie ».17
à l’égard de celles à venir, il décrit le pouvoir surdimen-
sionné que l’homme a acquis avec la technique et le risque
15 – H. Jonas, Le Principe de responsabilité, Paris, Flammarion, coll. « Champs »,
1979.
13 – J. Turner, Freedom to Build: Dweller Control of the Housing Process, New 16 – U. Beck, La Société du risque, sur la voie d’une autre modernité, Paris,
York, McMillan, 1972. Flammarion, coll. « Champs », 1986.
14 – I. Illich, Libérer l’avenir, Paris, Seuil, 1969. 17 – D. Bourg, Une nouvelle Terre, Paris, Desclée de Brouwer, 2018.
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INTRODUCTIONS
C’est bien cette simplicité que permet l’écoconstruction en menaces que la société actuelle leur oppose avec ses régle-
terre crue. Ses usages architecturaux, empreints de sobriété, mentations, normes et contraintes parfois déraisonnables,
assurent une harmonie minimaliste de plus en plus revendi- voire absurdes. Surtout celles visant à protéger les intérêts
quée, au moins dans les pays riches, notamment en Europe. disproportionnés des sociétés multinationales fabriquant les
Ainsi pour Paul Ariès, avec son plaidoyer en faveur de la sim- matériaux industrialisés de construction responsables de
plicité volontaire contre le mythe de l’abondance18, de même vis- redoutables dommages environnementaux.
à-vis du Manifeste pour une frugalité heureuse et créative initié Les résultats remarquables obtenus par ces pionniers, que
en 2018 par un collectif d’architectes et d’ingénieurs euro- l’on considérait il y a quelques décennies comme des utopistes
péens19. La terre crue est un matériau naturel ayant la vertu marginaux, ont été salués par l’un des plus éminents archi-
d’assurer, outre le confort thermique, un environnement bâti tectes de notre temps, Renzo Piano, lequel qui fait ainsi leur
chaleureux et sensuel, aux textures vivantes, garant de plai- éloge : « Ce sont eux qui montrent le chemin. Ce sont eux qui
sirs visuels, tactiles et psychiques qu’aucun matériau indus- ont de l’avance […] en nous transmettant un message indis-
trialisé n’est en mesure de procurer. Elle permet de façonner pensable pour la pensée architecturale contemporaine : […]
le cocon d’un nouvel art de vivre, celui d’une civilisation avan- construire avec la terre, la matière première la plus dispo-
cée sachant s’assurer l’essentiel sans se compromettre dans nible et répandue, riche et belle22. » Ainsi s’ébauche un avenir
les excès du matérialisme. Un tel art d’habiter, centré sur un prometteur, exempt de références nostalgiques, romantiques
minimalisme épanouissant, a depuis longtemps été adopté ou réactionnaires aux traditions de la construction en terre,
par la civilisation japonaise, guidée par sa philosophie zen car il s’agit bien de promouvoir un « bond en avant » de nature
et le concept esthétique du wabi-sabi, qui privilégie les maté- réaliste, mais selon une pratique du progrès ne constituant
riaux naturels. plus une course effrénée et aveugle vers l’abîme.
18 – Paris, La Découverte, 2010. 22 – Extrait de la préface de R. Anger et L. Fontaine, Bâtir en terre, du grain
19 – www.frugalite.org/fr/le-manifeste.html. de sable à l’architecture, Paris, Belin, 2009.
20 – V. Shiva, Pour une désobéissance créative, entretiens avec Lionel Astruc, 23 – N. Stern, A Blueprint for a Safer Planet: How to Manage Climate Change and
Arles, Actes Sud, 2014. Create a New Era of Progress and Prosperity, Londres, The Bodley Head, 2009.
21 – Voir les textes de Lara K. Davis, Dominique Gauzin-Müller, Anna Heringer, 24 – Voir le dossier consacré au programme mené à bien sur l’île de Mayotte,
Sébastien Moriset, Martin Rauch et S.K. Sharma, p. 480 à 486. p. 382-383.
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INTRODUCTIONS
présents un peu partout, mais demeurent insuffisants et dis- des uns provoque le fanatisme des autres : n’oublions jamais
persés. Notre civilisation qui annonçait le bien-être matériel a que la cause écologique est la pierre angulaire de la dignité
suscité du mal-être spirituel. Il nous faut repenser le “dévelop- humaine et de la justice sociale. […] Osons dire qu’un autre
pement” et son idée même. Il crée plus de problèmes qu’il n’en monde est d’ores et déjà possible ; mais que nous font défaut
résout. Il est à terme insoutenable, y compris comme “déve- un état d’esprit universel, une intelligence, une vision et une
loppement soutenable”. Il faut remplacer le quantitatif “plus, volonté collectives. […] Osons dire que la violence capitaliste
plus” par du qualitatif “moins mais mieux”. […] L’instauration a colonisé tous les cercles du pouvoir ; et qu’il faut reprendre
de nouvelles solidarités est un autre aspect essentiel d’une la main sur une industrie […] qui ignore l’intérêt général : bri-
politique de civilisation. […] Elle réclame un objectif qu’on ne sons cet ordre cannibale. […] Osons l’humilité et la modéra-
trouve dans aucun programme politique. C’est la nécessité de tion, l’insolence et l’utopie. […] La défi nition de la folie, c’est
changer nos vies, mais surtout dans le sens de la qualité et de répéter indéfi niment la même chose et d’attendre des
de la poésie de la vie27 ». C’est un fait évident que les usages résultats différents : osons ne plus être fous. Dans tous les
contemporains de la terre crue sont nombreux, mais disper- domaines le changement est à l’œuvre ; les solutions existent,
sés et insuffisamment connus, ce à quoi ce livre cherche à mais elles sont souvent trop peu connues. Il faut rendre hom-
remédier. mage à tous ces acteurs du changement qui créent le monde
de demain. Leur exemple mérite mieux que les félicitations
accordées aux exceptions brillantes. Face à l’ampleur du défi
OSER PASSER À L’ACTE climatique, il faut donner à ces initiatives isolées les moyens
Il faut désormais oser passer à l’acte. Osons28 est précisément de devenir les pratiques de demain. C’est le moment de chan-
le titre du plaidoyer pour l’action publié en 2015 par Nicolas ger radicalement de paradigme et d’associer à la lutte contre
Hulot, militant écologiste français né en 1955 et devenu le réchauffement climatique ces innovations sociales et éco-
ministre de la Transition écologique et solidaire en 2017. nomiques : [en inventant une nouvelle modernité] instaurant
Quinze mois plus tard, il démissionnait avec fracas de ses une alliance entre le meilleur de la science et des techniques
fonctions pour signifier sa réprobation face aux choix incon- et le bon sens des anciens ».
sistants du gouvernement. Dans Osons, il affi rme que « si la
prise de conscience progresse, sa traduction concrète est déri-
soire face à l’accélération des phénomènes [du dérèglement UN RÉCIT ARCHITECTURAL
climatique] que nous sommes censés juguler. Nous sommes COMME INGRÉDIENT DU CHANGEMENT ?
technologiquement époustoufl ants, mais culturellement affl i- Cyril Dion est le coréalisateur du fi lm Demain, qui présente
geants. […] Osons enfi n regarder la réalité en face : nous une sélection de réalisations récentes parmi les plus réus-
empoisonnons la terre autant que nos veines. […] Osons affi r- sies en matière d’écologie appliquée. Dans son Petit manuel
mer que la crise écologique est l’ultime injustice : elle frappe de résistance contemporaine, il affi rme que « de tout temps, ce
d’emblée les plus démunis. […] Osons dire que le fatalisme sont les histoires et les récits qui ont porté le plus puissam-
ment les mutations philosophiques, éthiques ou politiques.
C’est donc avec ces récits que nous pouvons engager une
27 – E. Morin, Mes philosophes, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2013. véritable “révolution”. Mais pour qu’ils puissent émerger et se
28 – N. Hulot, Osons, Paris, Fondation pour la nature et l’homme, 2015.
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onsidérer les vertus écoresponsables de la construc- nombreux emplois et font vivre les petites et moyennes entre-
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l est trop tard pour le développement durable, Nous nous limitons aujourd’hui à la démarche angoissée du
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INTRODUCTIONS
architecture en terre crue, dont les usages contempo- nécessite peu d’énergie et le transport est souvent nul : la terre
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Pisé
Adobe
Torchis
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e registre des possibilités techniques, constructives 2 : TERRE COUVRANTE. La terre recouvre une structure construite
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LOGIQUES CONSTRUCTIVES
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a terre crue est un matériau constitué d’une myriade C’est le frottement entre les grains qui détermine avec préci-
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LOGIQUES CONSTRUCTIVES
es couches supérieures du sol sont composées de des architectures de terre, les volumes de liant ajoutés – de
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DES BÂTISSEURS Membre fondateur du CRAterre, il a participé durant les années 1970 au
programme pilote d’habitat social de Rosso, en Mauritanie (voir p. 388).
Pour mettre en valeur les savoir-faire locaux, il a développé des modes
de construction en arc, coupole et voûte dite « nubienne » en brique
crue. En complément de ces actions sur le terrain, le dessin a toujours
été pour lui un moyen d’expression essentiel. Il exécute avec la même
aisance les plans minutieux des bâtiments qu’il va édifier (ci-contre) et
créations graphiques représentant des architectures fantasmagoriques
et néanmoins fondées sur une connaissance profonde des logiques de
la construction en terre. Au cœur de ce langage complexe et inventif,
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CRÉDITS
…ditrice
Marion Doublet, assistée d’Anémone Soter
Conception graphique
Marc Walter
Pierre-Yann Lallaizon / Studio Recto Verso
Iconographie
Marie-Catherine Audet
Photogravure
Reproscan, Orio al Serio, Italie