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HABITER LA TERRE

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JEAN DETHIER
avec l’amicale complicité de Patrice Doat,
Hubert Guillaud et Hugo Houben
cofondateurs du CRAterre

L’ART DE BÂTIR EN TERRE CRUE


T RA D IT IONS , M OD E RNIT É E T AV E NIR

Flammarion

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SOMMAIRE

INTRODUCTIONS
PLAIDOYERS POUR LA TERRE
Pourquoi construire en terre crue ? Pourquoi les architectures de terre, aussi
méconnues que remarquables, ont-elles été victimes d’une longue amnésie
culturelle ? et de préjugés défavorables ? Pourquoi la construction en terre pré-
sente-t-elle tant d’atouts pour affronter les défis de notre temps ? Quels sont ses
avantages, notamment écologiques, mais aussi ses limites ? Comment le bon
usage de ce matériau peut-il contribuer à un changement de paradigme socié-
tal ? Pourquoi est-il porteur d’avenir ?

CHAPITRE 1
LOGIQUES CONSTRUCTIVES
Quelles sont, à travers le monde, les diverses techniques traditionnelles,
modernes et nouvelles de construction en terre crue ? Quelles sont les spéci-
ficités du pisé, de la bauge, du torchis, de l’adobe et des techniques hybrides ?
Quelles expressions architecturales permettent-ils ? Pourquoi et comment les
maçonneries en terre résistent-elles si bien, au temps notamment ? Comment
améliorer les performances de ce matériau sans réduire ses atouts écolo-
giques ? Comment « faire mieux avec moins » ?

CHAPITRE 2
TÉMOIGNAGES ARCHÉOLOGIQUES
Quelles sont les civilisations antiques qui ont inventé les premières architec-
tures de terre ? Quels usages ont-elles fait de ce matériau local ? Comment
sont nés en Mésopotamie les premières villes, les premiers palais et temples,
ainsi que les « gratte-ciel » (les ziggourats) tentant de relier les hommes et les
dieux ? Pourquoi l’Égypte antique a-t-elle construit toutes ses habitations en
terre, agglomérations et forteresses, alors que la pierre était valorisée dans son
architecture monumentale ?

CHAPITRE 3
TÉMOIGNAGES HISTORIQUES
Quels sont les plus remarquables sites architecturaux et urbains bâtis en terre
à travers le monde entre le VII e et le XVIII e siècle ? Pourquoi l’Unesco en a-t-il
classé 175 au patrimoine mondial ? Quels sont les apports les plus marquants
des civilisations qui se sont épanouies en Iran, en Chine, au Maroc, en Inde, au
Japon, en Afrique, aux Amériques et en Europe ? Sur ce dernier continent, quel
chef-d’œuvre bâti en terre au XIII e siècle nous est parvenu presque intact ?

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CHAPITRE 4
PATRIMOINES VERNACULAIRES
Pourquoi l’habitat vernaculaire (spécifique aux cultures populaires régionales),
longtemps méprisé, est-il aujourd’hui devenu une source d’inspiration ? Pour-
quoi estime-t-on désormais que ces architectures rurales et urbaines sont per-
tinentes et porteuses de sagesse constructive ? Quelles leçons techniques et
d’écoresponsabilité tirer de leur intelligence créative ? Alors qu’on considérait
ce savoir-faire comme archaïque et fi gé, comment fait-il l’objet de réactualisa-
tions remarquables ?

CHAPITRE 5
MODERNITÉS ALTERNATIVES
Comment s’est manifesté le renouveau des architectures de terre entre 1789
et les années 1960 ? Sous quelles formes et de quelles manières ces innova-
tions ont-elles accompagné l’émergence de la modernité ? Dans quels pays ?
Qui sont les pionniers de cette importante mutation ? Quelles étaient leurs ambi-
tions sociales, culturelles et techniques ? Quels sont leurs apports et quelles
influences ont-ils eues ? Quel contexte sociétal a stimulé ces évolutions ?

CHAPITRE 6
CRÉATIVITÉS CONTEMPORAINES
Pourquoi les cinq dernières décennies ont-elles connu un vaste renouveau
des architectures de terre ? Comment se manifeste cette mutation ? Pourquoi
génère-t-elle aussi bien des logements pour les plus démunis que pour les plus
nantis ? Comment a émergé une large gamme de bâtiments dédiés à l’éducation,
la santé, le tourisme, la culture ou le commerce ? Quels sont les pionniers de ces
changements ? Comment ces architectures concilient-elles innovation, attracti-
vité, confort, qualité et écoresponsabilité ?

CHAPITRE 7
PERSPECTIVES D’AVENIR
Au terme de ce parcours transhistorique à travers le patrimoine ancien et
récent de 80 pays, quel bilan tirer de cette remarquable épopée culturelle ?
Quel est l’avenir des architectures de terre ? Quels sont leurs points faibles et
leurs points forts ? Pourquoi préconiser une révolution culturelle dans la for-
mation des bâtisseurs, amenés à faire face à une demande croissante ? Com-
ment l’économie circulaire permet-elle désormais de construire en terre dans
les grandes villes ?

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INTRODUCTIONS

PLAIDOYERS POUR LA TERRE

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Échantillons de terre rassemblés à l’Auroville Earth Institute,
en Inde (voir p. 384-385 et 481).

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PLAIDOYER POUR LA TERRE CRUE
un matériau écologique
pour une nouvelle conception
de notre environnement bâti
JEAN DETHIER

objectif premier de ce livre est de lutter contre une De même, la majorité des professionnels du bâtiment et de

L’ maladie sociétale, une déficience culturelle tenace :


l’amnésie. Celle qui réduit à l’oubli un patrimoine
transhistorique universel remarquable : l’immense famille
l’architecture, notamment ceux des avant-gardes des années
1920, a témoigné d’une vision arrogante en ignorant les chefs-
d’œuvre bâtis avec ce matériau. Pourtant, cette prodigieuse
des habitats, architectures et agglomérations bâtis en terre. épopée architecturale témoigne du génie bâtisseur d’une
Mais il faut préciser d’emblée que nous nous intéressons ici humanité longtemps confrontée à la nécessité de ne bâtir
uniquement à la terre crue et non pas à la terre cuite (baked ses agglomérations et habitats qu’avec les seules ressources
earth), qui est le résultat d’une transformation à haute tempé- naturelles disponibles localement, au premier plan desquelles
rature – artisanale ou industrielle, énergivore et polluante – fi gurait très souvent la terre crue. Cette contrainte ancestrale
visant à fabriquer des produits en céramique ou des « briques apparaît désormais incontournable pour assurer notre ave-
cuites » (burnt bricks). La différence entre le cru et le cuit, nir : il est vital de modifier nos logiques économiques afi n de
mise en évidence par l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, est construire un modèle privilégiant l’usage local des ressources
essentielle car elle sépare deux logiques radicalement oppo- naturelles, notamment dans le secteur du bâtiment.
sées d’usage d’une même ressource. La terre crue est le plus
humble, le plus écologique et le plus répandu des matériaux
de construction : c’est un trésor à portée de main, disponible DE « L’ENFER » À LA LUMIÈRE
sous nos pieds. Cette ressource précieuse de nos sols est à la La terre crue sort enfi n de son long purgatoire, voire de son
fois la plus familière et nutritive – la terre agricole – et la plus « enfer », comme on appelait jusqu’à la fi n du XX e siècle, dans
méconnue, et pourtant tout aussi indispensable : la « terre à certaines grandes bibliothèques, le lieu où étaient conservés
bâtir ». Elle n’est toutefois jamais prélevée dans la couche supé- les ouvrages décrétés inaccessibles au public. Certes, il existe
rieure fertile du sol, de nature organique et à vocation agri- désormais des centaines de livres, souvent techniques, sur
cole, mais uniquement en dessous de la terre végétale, dans la construction en terre crue et des milliers d’articles savants
le sous-sol. C’est avec ce matériau naturel abondant que dès dus à des chercheurs issus de multiples disciplines1. Mais
l’Antiquité et jusqu’à nos jours de nombreuses civilisations et ils sont rarement conçus pour le public non professionnel
cultures du monde entier ont édifié leurs villages et villes. Des et encore moins pour ébaucher une synthèse culturelle his-
logements aux bâtiments communautaires, il est accessible à torique. C’est le défi que tente de relever cet ouvrage, en se
toutes les catégories sociales, des plus démunis aux plus nan- nichant dans la rubrique des livres d’art et de culture de diffu-
tis ; la construction en terre crue a ainsi longtemps assuré une sion internationale. Il couvre soixante-treize pays sur les cinq
forme méconnue de démocratisation de l’habitat. continents et donne à voir des architectures édifiées depuis
plusieurs millénaires et jusqu’à nos jours, tout en illustrant
de nombreux exemples disparus suite à des faits de guerre ou
UNE SAGA MÉCONNUE autres fléaux. Pour ébaucher ce panorama, l’option adoptée ici
L’immense majorité de ce précieux patrimoine ne fi gurait est celle d’un récit illustré se déployant selon une approche
jusqu’ici dans aucun livre dédié à cette forme de créativité à la fois chronologique et thématique. Ce parcours est élargi
spécifique. Il est pourtant d’une diversité vertigineuse et sou- par des références à des réalisations faisant usage du même
vent d’une qualité et d’une intelligence conceptuelle remar- matériau naturel dans d’autres domaines de la création : le
quables. Même les livres savants, anciens ou récents, sup- génie civil et militaire, le paysagisme, le design, les arts plas-
posés évoquer l’histoire mondiale de l’architecture ignorent tiques : ceux dits « premiers », modernes ou contemporains,
les témoignages les plus pertinents de cette saga culturelle et ainsi que le land art, qui cherche à réconcilier création artis-
technique. Ainsi ce chapitre de l’histoire universelle de l’art tique et nature.
n’avait-il pas encore été illustré par une approche globale de
ces œuvres. L’archéologie a elle aussi longtemps sous-estimé
les sites antiques où se déploient les vestiges de cités entières,
de vastes temples, d’immenses forteresses ou de luxueux
palais bâtis en terre crue.
1 – Voir la bibliographie en annexe de ce livre.

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HABITER LA TERRE

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Double page suivante : École secondaire et pensionnat pour 540 adolescents
de 13 à 18 ans. Elle a été édifiée en bois et en terre à Formoso do Araguaia,
dans l’État du Tocantins, au Brésil, pour la Fondation Bradesco (2016).
Architectes : Gustavo Utrabo et Pedro Duschenes (agence Aleph Zero),
Marcelo Rosenbaum et Adriana Benguela. Ce « Children Village » a reçu
en 2018 un Award for International Excellence attribué par le Royal Institute of
British Architects (RIBA).

OBJECTIFS MILITANTS ET ÉMOTIONNELS élargir l’usage de la terre, dans une logique d’écoconstruction.
Au cours des deux décennies qu’a nécessitées la préparation L’ample corpus des œuvres évoquées, qu’elles soient monu-
de ce livre, au-delà du désir initial de proposer une approche mentales ou modestes, a en effet beaucoup à nous apprendre,
visuelle inédite de la diversité de ces patrimoines en terre, du point de vue technique comme en termes culturels, sociaux
un autre objectif, plus militant, a été adopté. Le récit se déve- et stratégiques. Il faut toutefois avoir la clairvoyance de ne pas
loppe ainsi selon un double registre, factuel et affectif, avec considérer comme inéluctables les pratiques constructives
une trentaine d’essais interdisciplinaires dus à des acteurs actuellement dominantes, souvent abusives et dangereuses,
reconnus et huit cents illustrations – photographies sou- qui ont été imposées par les lobbies des entreprises multinatio-
vent inédites et dessins – choisies pour leur potentiel émo- nales fabriquant les matériaux industrialisés qui composent
tionnel. Cette double perspective a été adoptée dans l’espoir aujourd’hui l’essentiel de notre cadre de vie. Ces pratiques
qu’elle soit porteuse de questionnements. L’évocation de ces induisent la surconsommation des ressources énergétiques
exemples de patrimoine ancestral se veut provocatrice, pour d’origine fossile – pétrole, gaz et charbon –, une pollution mas-
stimuler des interrogations de fond, notamment sur les rai- sive et l’émission de gaz à effet de serre, des fléaux à l’origine
sons qui ont amené notre société à marginaliser, voire parfois de la crise climatique qui menace notre avenir. La terre crue
à tenter d’interdire l’art de bâtir avec un matériau aussi natu- permet d’éviter ces calamités : sa mise en œuvre ne nécessite
rel et écologique que la terre crue. C’est d’autant plus para- pas d’apports énergétiques importants, puisqu’elle n’est pas
doxal qu’on revendique aujourd’hui une relation holistique transformée et qu’elle est utilisée localement ; de plus, son
entre l’homme, son environnement bâti et la nature, ainsi que usage ne produit presque pas de gaz à effet de serre. Il est
l’usage écoresponsable des ressources. L’ostracisme actuel à donc vital de valoriser cette ressource abondante aux vertus
l’égard de la terre crue est d’autant plus inadmissible que le écologiques reconnues4, en priorité pour le logement, mais
droit de bâtir en terre a toujours été implicite, dans toutes les aussi pour d’autres bâtiments de petite ou moyenne ampleur.
cultures du monde. Cette liberté fondamentale doit être main-
tenue, encouragée et facilitée, pas seulement dans les cam-
pagnes ou les pays pauvres, de façon quelque peu paterna- NOUVELLES INTELLIGENCES CRÉATIVES ET ALTERNATIVES
liste ou condescendante, mais aussi dans les villes nouvelles Pour illustrer concrètement ce potentiel porteur d’avenir, ce
– comme le démontre le Domaine de la Terre, inauguré en livre réunit dans le chapitre « Créativités contemporaines »
France en 19852 – et même les métropoles, à l’image de Paris3. une centaine d’exemples d’architecture contemporaine en
Les preuves de la pertinence, de la fi abilité et de la durabilité terre crue édifiées dans le monde entier, tant dans les pays
des architectures contemporaines en terre crue sont désor- riches que pauvres, sous tous les climats. Leur diversité
mais nombreuses et convaincantes. témoigne d’une intense créativité alternative. Ces bâtiments
publics ou privés assurent une large gamme de fonctions uti-
litaires, et même celles correspondant à des goûts de luxe.
UN SOCLE DE RÉFLEXION PROSPECTIVE Cette démonstration concerne aussi bien le domaine de l’édu-
Afi n de remédier à l’amnésie culturelle évoquée, mais aussi cation (de l’école primaire au campus universitaire) que de
d’éclairer le débat sur notre avenir, ce livre aborde à parts la santé (du dispensaire au centre chirurgical et à l’hôpital
égales tradition et modernité, à travers quatre grands volets : régional), de la culture (des œuvres d’art aux musées), du tou-
l’évolution de l’art de bâtir en terre crue de l’Antiquité au siècle risme (des maisons d’hôtes aux hôtels), du sport et des loi-
des Lumières ; les créations atemporelles dues au génie verna- sirs (des piscines aux stades) ou du tertiaire (des immeubles
culaire ; les développements modernes de la construction en de bureaux aux grands centres commerciaux). Ces réali-
terre, de 1789 à 1968 ; et sa réactualisation contemporaine, de sations récentes sont nombreuses, notamment en Europe,
1980 à nos jours. L’ensemble de cette démonstration doit consti- mais demeurent méconnues, même des professionnels. Elles
tuer le socle d’une réflexion prospective visant à actualiser et à illustrent pourtant le dynamisme d’une nouvelle fi lière de

2 – Voir le dossier relatif au Domaine de la Terre p. 392-395. 4 – Voir les textes d’Hubert Guillaud, p. 21, et de Dominique Gauzin-Müller,
3 – Voir le nouveau quartier programmé aux portes de Paris, p. 472-473. p. 24-25.

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INTRODUCTIONS

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création écoresponsable porteuse d’avenir à laquelle parti- révèle que notre société marche sur la tête. C’est évidemment
cipent autant des bâtisseurs encore peu connus que des archi- l’usage de matériaux de construction naturels et écologiques
tectes célèbres. Une telle profusion dément, mieux que tout comme la terre crue qui devrait être incité. Et non pas les
discours, les préjugés négatifs relatifs aux constructions en pollueurs les plus inciviques. Les matériaux industrialisés,
terre crue. Certains de ces bâtiments comprennent une part notamment le ciment, devraient quant à eux être frappés
modérée de ciment pour stabiliser leur maçonnerie en terre, d’une taxe carbone proportionnelle à leur dangerosité pour
mais bien d’autres se passent déjà de cet ingrédient industriel l’environnement et la population, comme l’exigent certains
énergivore et polluant. Des recherches scientifiques récentes professionnels8. Lester R. Brown affi rme ainsi qu’il est impé-
ont en effet confi rmé que cet additif n’est nullement indispen- ratif de « concevoir une nouvelle économie des matériaux », et
sable pour assurer la stabilité et la durabilité des maçonneries ajoute que « nous sommes en mesure de [la matérialiser] avec
en terre crue5. certaines technologies déjà existantes », par exemple celles de
la construction en terre crue, qui a largement fait ses preuves.
Réclamant l’équité et la transparence du marché, Brown pré-
POUR UNE NOUVELLE ÉCONOMIE DES MATÉRIAUX cise aussi que le communisme « s’est effondré parce qu’il ne
La fi nalité de l’architecture écoresponsable n’est pas de résor- laissait pas les prix dire la vérité économique [et que] le capita-
ber la crise écologique, car cela supposerait un retour à la lisme pourrait s’effondrer parce qu’il ne laisse pas les prix dire
situation antérieure une fois la phase dite critique résorbée. la vérité écologique ».
Il s’agit plutôt de contribuer à un changement global de para-
digme, dont notre société a urgemment besoin pour assurer
son avenir6. Cette mutation, tant philosophique et morale que VERS UN « CAPITALISME VERT » ?
technologique et politique, devra libérer le secteur du bâti- Dans ce débat crucial, les enjeux sont d’une telle importance
ment du règne sans partage de la technoscience, qui condi- qu’il apparaît indispensable d’évoquer les opinions de cher-
tionne lourdement nos destinées. L’usage excessif de maté- cheurs et penseurs qui ont traité ce sujet durant ces dernières
riaux de construction industrialisés, souvent encouragé au années. Et puisque le capitalisme est suspecté de ne pas oser
prétexte d’une prétendue rationalité, est en effet l’une des révéler sa « vérité qui dérange » (Al Gore), référons-nous à
principales causes du dérèglement climatique. Ces matériaux Paul Hawken, Armory et Hunter Lovins, qui ont exposé en
menacent également parfois la santé publique, au point que 1999 leur conception d’un « capitalisme vert » dans le livre
certains fabricants pourraient être accusés de crime contre Natural Capitalism, comment réconcilier économie et environne-
l’humanité. Par exemple ceux qui ont massivement vendu, ment9. Ils y affi rment que le « capitalisme tel qu’il est pratiqué
tout au long du XX e siècle et encore aujourd’hui dans les pays se révèle fi nancièrement profitable mais constitue une aber-
émergents, des éléments en amiante-ciment, matériau res- ration insoutenable en termes de développement humain. Il
ponsable de milliers de morts à travers le monde. Ou encore néglige d’attribuer une quelconque valeur au principal capi-
ceux qui produisent de l’aluminium, dont les boues rouges tal qu’il exploite : les ressources naturelles et les logiques du
suscitent une dramatique pollution des terres, des cours vivant, de même que celles relevant de la culture qui sont la
d’eau et des mers. Pourtant, comme l’a révélé en 2007 l’éco- base de tout capital humain. […] Depuis quelques décennies,
nomiste américain Lester R. Brown (fondateur de l’institut la plupart des choix adoptés pour construire des bâtiments et
Worldwatch en 1974, de l’Earth Policy Institute en 2001), cette sélectionner leurs matériaux ont été faits de façon irrespon-
fi lière industrielle est fortement subventionnée : « En France, sable ». Les trois économistes poursuivent leur raisonnement
l’État lui concède l’énergie électrique à un tarif quatre fois en précisant que « désormais, on peut réactualiser les usages
moins cher qu’aux autres industries et huit fois moins cher anciens de la terre crue en tant que matériau mis en œuvre
qu’aux utilisateurs individuels7. » Ce choix politique aberrant sous forme de pisé ou d’adobe : une ressource naturelle saine

5 – Voir le texte d’Hugo Houben et Henri Van Damme, p. 36-39. 8 – Notamment l’architecte Anna Heringer en Allemagne ou l’ingénieur du
6 – Voir le texte de Romain Anger, p. 22-23. CRAterre Hugo Houben en France.
7 – L.R. Brown, Éco-économie, une autre croissance est possible, écologique et 9 – A. et H. Lovins, P. Hawken, Natural Capitalism: Creating the Next Industrial
durable, Paris, Seuil, 2001. Revolution, New York, Little & Brown, 1999.

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HABITER LA TERRE

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et non toxique, durable et versatile. […] Cette pratique relève besoins du présent sans compromettre la capacité des généra-
d’une nouvelle façon de penser l’architecture. L’efficience tions futures de répondre aux leurs » a été largement pervertie
économique et la pertinence écologique qu’elle assure ne sert par les acteurs du « business as usual » qui se sont engouffrés
pas seulement à éviter des pollutions industrielles. Elle satis- dans la pratique du greenwashing. Les fabricants de pesticides
fait aussi une de nos aspirations profondes en faveur d’une se sont ainsi regroupés sous l’appellation illusoire d’« Union
symbiose entre architecture et culture : une attente trop long- des industries de la protection des plantes » et se présentent,
temps insatisfaite par les pratiques courantes de la construc- « avec la complicité des États, comme […] soucieu[x] de la
tion et de l’ingénierie. Quand ces atouts sont valorisés et mis santé des sols et des humains10 ». En France, le lobby du béton
en synergie, il en émane une magie hautement valorisante et affi rme en 2019 que son produit est « toujours plus intelligent
appréciée. Ce sont ces pratiques qui vont instaurer une révo- [et qu’il] contribuera à construire la ville du futur ». Certes le
lution dans le secteur du bâtiment ; et aussi dans notre façon béton armé, une invention géniale de la fi n du XIX e siècle, dont
d’habiter ces bâtiments. […] Ces architectures écologiques la fabrication a été récemment rendue un peu moins énergi-
ne contribuent plus à empoisonner notre air, ni notre âme vore et polluante, est indispensable pour certains travaux de
saturée d’artificialités. Au contraire, elles instaurent plaisir génie civil ou de grands bâtiments. Mais il faut le redire : on
et sérénité. Et leurs matériaux organiques nous remettent peut parfaitement le remplacer, dans la plupart des habita-
en relation avec le monde naturel. Elles ne sont génératrices tions et de nombreux bâtiments de petite ou moyenne taille,
d’aucun méfait envers leurs usagers, ni envers Terre. [Ces par des matériaux naturels non transformés industriellement
architectures nouvelles] nous offrent plus que ce qu’elles ont tels que la terre crue. La propagande en faveur du ciment et
consommé pour les bâtir. La conciliation de ces atouts avec du béton est contredite par des chercheurs, enseignants et
les exigences de fonctionnalité et de profitabilité exige un haut scientifiques vigilants qui confi rment que « le bilan carbone
niveau d’intégration créative des processus de conception et du béton joue en sa défaveur : très coûteuse en énergie, la
matérialisation du bâtiment : ce n’est pas tellement un pro- fabrication du ciment contribue à près de 10 % des émissions
blème technique mais plutôt un défi culturel et spirituel ». On de CO2 à l’échelle du globe11 ».
appréciera que le Wall Street Journal – la bible des business-
men – ait qualifié cet ouvrage d’« extrêmement important »
(hugely important). Le Financial Times, une autre référence LIBÉRER L’AVENIR / LIBERTÉ DE CONSTRUIRE
du monde des affaires, a quant à lui affi rmé le 19 octobre Nombreux sont les auteurs ayant contribué à élargir ce débat
2012 que « le matériau de construction le plus “primitif” est de portée sociétale. Ainsi André Gorz, pionnier français de la
désormais utilisé pour édifier des demeures parmi les plus réflexion philosophique sur l’écologie politique, affi rme-t-il que
en pointe » (« most advanced homes »). « la critique des techniques, dans lesquelles la domination sur
les hommes et sur la nature s’incarne, est une des dimensions
essentielles d’une éthique de la libération. […] Des choix de
PERVERSION ET DÉTOURNEMENTS société n’ont cessé de nous être imposés par le biais de choix
L’optimisme de ces pionniers américains du capitalisme vert techniques, qui sont rarement les seuls possibles. Ce ne sont pas
quant à la capacité qu’a le système de se réformer aussi radi- nécessairement les plus efficaces. Car le capitalisme ne déve-
calement peut être mis en question. Ainsi la notion supposée loppe que les techniques conformes à sa logique et compatibles
salvatrice de « développement durable » a-t-elle par exemple avec sa domination. […] Sans la lutte pour des technologies diffé-
très vite été dénaturée. Ce concept visant à concilier écono- rentes, la lutte pour une société différente est vaine12 ». C’est bien
mie, société et écologie a été défi ni en 1987 par l’ONU dans le cette voie alternative que permet la construction en terre crue.
célèbre rapport de la Commission mondiale sur l’environne- Dans son livre-manifeste Freedom to Build (« La liberté de
ment et le développement, Notre avenir à tous, publié sous la
direction de Gro Harlem Brundtland, et qui a servi de base 10 – Notre affaire à tous, Comment nous allons sauver le monde, manifeste
pour une justice climatique, Paris, Massot, 2019.
au Sommet de la Terre organisé cinq ans plus tard à Rio et
11 – É. Guyon, J. Bico, É. Reyssat et B. Roman, Du merveilleux caché dans
alimenté les débats d’innombrables conférences interna- le quotidien, la physique de l’élégance, Paris, Flammarion, 2018.
tionales. La promesse d’un « développement répondant aux 12 – A. Gorz, « Écologie, politique et liberté », dans André Gorz, un penseur
pour le XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2009.

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INTRODUCTIONS

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« Maison des hôtes » (Wa Shan) édifiée en pisé en 2013 au cœur du campus
Xiangshan de la China Academy of Art à Hangzhou, en Chine. Architectes :
Wang Shu (lauréat du prix Pritzker) et Lu Wenyu, cofondateurs de l’agence
Amateur Architecture Studio (voir p. 361, 369 et 432-433).

construire »), l’urbaniste et sociologue anglais John Turner, d’autodestruction qui en découle. Il plaide en faveur de la pro-
proche d’Illich et de Schumacher, initiateur de stratégies hibition de toute technologie constituant une menace pour la
progressistes en faveur de l’habitat populaire urbain en société, et affi rme que, si une technologie peut avoir plusieurs
Amérique latine, précise : « Lorsque les citoyens – surtout les conséquences possibles, « il faut décider de son avenir en
plus modestes – ont la possibilité de contribuer directement à fonction de l’hypothèse la plus pessimiste15 ». La terre crue,
la conception, à la construction et à la gestion de leurs loge- contrairement aux matériaux industrialisés, conventionnels,
ments, ce processus stimule le bien-être familial et social, tout très énergivores et émetteurs de gaz à effet de serre, prouve
comme il bénéficie à l’environnement. En revanche, lorsque depuis des siècles sa complète innocuité.
les habitants n’ont – dans ce domaine essentiel pour eux – ni Le sociologue allemand Ulrich Beck complète cette analyse
pouvoir d’intervention ni responsabilités dans les décisions critique en constatant les changements intervenus dans la
clés, cela entraîne une insatisfaction sociale et devient aussi société en raison du développement industriel et technolo-
un fardeau pour l’économie. […] L’important dans le logement gique, et la nécessaire prise en compte des « risques cumu-
n’est pas ce qu’il est, mais ce qu’il apporte à ses usagers ».13 lés pour assurer notre avenir ». Il critique sévèrement « les
John Turner affi rme aussi qu’un matériau de construction acteurs qui sont censés garantir une indispensable sécurité et
n’est pas intéressant pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il rationalité des choix prospectifs – l’État, la science et l’indus-
apporte à ses usagers et à la société. Cette assertion est parti- trie – car ils imposent à la population de monter à bord d’un
culièrement appropriée pour justifier l’usage de la terre crue avion pour une destination où aucune piste d’atterrissage n’a
dans le domaine de l’habitat. été construite à ce jour ». Déplorant « un processus continu
« Libérer l’avenir », telle était en 1969 l’injonction de l’Autri- de rupture des traditions (une “détraditionalisation”), des
chien Ivan Illich, philosophe et penseur de l’écologie politique : savoir-vivre et des savoir-faire des sociétés qui implique une
« Il nous faut un autre choix que ceux prétendus du “dévelop- rapide érosion des solidarités sociales », il préconise l’avène-
pement” ou d’une révolution uniquement politique14. » Erich ment d’une « seconde modernité16 ». Les usages constructifs
Fromm, sociologue américain d’origine allemande, précise de la terre crue, hérités d’un savoir-faire ancestral univer-
que « cette remise en question radicale n’est possible que si sel, permettent précisément de matérialiser cette modernité
on ne tient pas pour évidentes les idées reçues de nos propres alternative.
sociétés, telle par exemple la culture occidentale depuis la Le philosophe français Dominique Bourg défi nit ainsi cette
Renaissance. Il faut [comme dans le conte d’Andersen] s’aper- « nouvelle modernité » : « Consciente de l’irréductibilité de
cevoir enfi n que “l’empereur est nu” et que ses vêtements ses fondements spirituels, ayant renoncé au mythe d’une
splendides sont tissés d’illusions. […] Le doute radical est un croissance infi nie, soucieuse des contradictions entre mar-
instrument de libération de la pensée, encore esclave de ses ché et libertés, ayant relativisé la notion de risque, réinterpré-
idoles. Il permet un indispensable élargissement du champ de tant les droits humains en tournant le dos tant à un anthro-
la conscience, une vision plus imaginative et créatrice de nos pocentrisme qu’à un individualisme forcenés, redécouvrant
possibilités et de nos choix ». La sagesse écologique et mini- la nature spéculative du savoir, et discernant dans les tech-
maliste de la construction en terre crue nous permet d’éviter le niques plus un accompagnement de la nature qu’une domina-
recours idolâtre aux matériaux de construction industrialisés. tion-destruction. […] Si “l’humanité gémit, à demi écrasée sous
le poids des progrès qu’elle a faits” (Bergson), elle pourrait à
l’avenir hurler de douleur face à leurs conséquences si elle ne
À LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE MODERNITÉ parvenait pas à se libérer du tropisme de cette “mécanisation-
Quant au philosophe allemand Hans Jonas, qui a initié en destruction” indéfi nie du donné naturel, si elle ne parvenait
1979 le concept de responsabilité des générations présentes pas à faire désirer à nouveau la simplicité de la vie ».17
à l’égard de celles à venir, il décrit le pouvoir surdimen-
sionné que l’homme a acquis avec la technique et le risque
15 – H. Jonas, Le Principe de responsabilité, Paris, Flammarion, coll. « Champs »,
1979.
13 – J. Turner, Freedom to Build: Dweller Control of the Housing Process, New 16 – U. Beck, La Société du risque, sur la voie d’une autre modernité, Paris,
York, McMillan, 1972. Flammarion, coll. « Champs », 1986.
14 – I. Illich, Libérer l’avenir, Paris, Seuil, 1969. 17 – D. Bourg, Une nouvelle Terre, Paris, Desclée de Brouwer, 2018.

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INTRODUCTIONS

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Vue latérale de l’œuvre architecturale de land art réalisée dans l’extrême sud du
Maroc vers l’an 2000 par l’artiste allemand Hannsjörg Voth : L’Escalier céleste.
L’intérieur du bâtiment se déploie sur quatre niveaux en mezzanines et servait
de logement minimaliste à son créateur (voir p. 292-293 et 466-467).

C’est bien cette simplicité que permet l’écoconstruction en menaces que la société actuelle leur oppose avec ses régle-
terre crue. Ses usages architecturaux, empreints de sobriété, mentations, normes et contraintes parfois déraisonnables,
assurent une harmonie minimaliste de plus en plus revendi- voire absurdes. Surtout celles visant à protéger les intérêts
quée, au moins dans les pays riches, notamment en Europe. disproportionnés des sociétés multinationales fabriquant les
Ainsi pour Paul Ariès, avec son plaidoyer en faveur de la sim- matériaux industrialisés de construction responsables de
plicité volontaire contre le mythe de l’abondance18, de même vis- redoutables dommages environnementaux.
à-vis du Manifeste pour une frugalité heureuse et créative initié Les résultats remarquables obtenus par ces pionniers, que
en 2018 par un collectif d’architectes et d’ingénieurs euro- l’on considérait il y a quelques décennies comme des utopistes
péens19. La terre crue est un matériau naturel ayant la vertu marginaux, ont été salués par l’un des plus éminents archi-
d’assurer, outre le confort thermique, un environnement bâti tectes de notre temps, Renzo Piano, lequel qui fait ainsi leur
chaleureux et sensuel, aux textures vivantes, garant de plai- éloge : « Ce sont eux qui montrent le chemin. Ce sont eux qui
sirs visuels, tactiles et psychiques qu’aucun matériau indus- ont de l’avance […] en nous transmettant un message indis-
trialisé n’est en mesure de procurer. Elle permet de façonner pensable pour la pensée architecturale contemporaine : […]
le cocon d’un nouvel art de vivre, celui d’une civilisation avan- construire avec la terre, la matière première la plus dispo-
cée sachant s’assurer l’essentiel sans se compromettre dans nible et répandue, riche et belle22. » Ainsi s’ébauche un avenir
les excès du matérialisme. Un tel art d’habiter, centré sur un prometteur, exempt de références nostalgiques, romantiques
minimalisme épanouissant, a depuis longtemps été adopté ou réactionnaires aux traditions de la construction en terre,
par la civilisation japonaise, guidée par sa philosophie zen car il s’agit bien de promouvoir un « bond en avant » de nature
et le concept esthétique du wabi-sabi, qui privilégie les maté- réaliste, mais selon une pratique du progrès ne constituant
riaux naturels. plus une course effrénée et aveugle vers l’abîme.

UNE DÉSOBÉISSANCE LIBÉRATRICE L’APPEL SOLENNEL DE LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE


Les partisans du renouveau sont de plus en plus nombreux L’économiste britannique Sir Nicholas Stern, ancien vice-
à revendiquer la sobriété en tant que choix inspiré par la président de la Banque mondiale, affi rme que « les deux plus
raison. Cela suppose une « insurrection des consciences », importants problèmes de notre temps – la pauvreté dans les
réclamée notamment par le sociologue suisse Jean Ziegler. pays émergents et le changement climatique – sont inextrica-
Cette démarche salvatrice est aussi préconisée par l’Indienne blement liés. L’incapacité de résoudre l’un ruinera les efforts
Vandana Shiva, philosophe et scientifique, directrice de la pour affronter l’autre23 ». De fait, des projets d’autoconstruc-
Fondation de la recherche pour la science, les technologies tion en terre (encadrée par des conseillers), menés notam-
et les ressources naturelles. Activiste influente dans la lignée ment en Afrique et sur l’île de Mayotte24, ont démontré qu’il
de Gandhi, elle pratique ce qu’elle nomme la « désobéissance s’agit d’une stratégie incontournable permettant d’assurer
créative20 », qui concilie subversion et inventivité. Cette voie aux plus démunis un habitat décent et des équipements tels
audacieuse a été empruntée par des architectes, pédagogues, qu’écoles et centres de santé, indispensables à l’amélioration
ingénieurs et entrepreneurs qui ont contribué au renouveau durable de leur sort.
de la construction en terre crue : leurs témoignages ponc- En 2017, 15 364 savants ont publié le World Scientists’ Warning
tuent ce livre, notamment dans le chapitre « Perspectives to Humanity (« Signal d’alarme lancé par la communauté
d’avenir21 ». Pour aboutir à cette étape porteuse d’avenir, scientifique mondiale à l’humanité »). Ils y affi rment que
ces « contestataires de l’ordre établi » ont en effet dû com- « nous approchons rapidement des limites de résistance de
battre – avec acharnement – les multiples obstacles, freins et notre planète. Les dommages massifs que nous lui faisons

18 – Paris, La Découverte, 2010. 22 – Extrait de la préface de R. Anger et L. Fontaine, Bâtir en terre, du grain
19 – www.frugalite.org/fr/le-manifeste.html. de sable à l’architecture, Paris, Belin, 2009.
20 – V. Shiva, Pour une désobéissance créative, entretiens avec Lionel Astruc, 23 – N. Stern, A Blueprint for a Safer Planet: How to Manage Climate Change and
Arles, Actes Sud, 2014. Create a New Era of Progress and Prosperity, Londres, The Bodley Head, 2009.
21 – Voir les textes de Lara K. Davis, Dominique Gauzin-Müller, Anna Heringer, 24 – Voir le dossier consacré au programme mené à bien sur l’île de Mayotte,
Sébastien Moriset, Martin Rauch et S.K. Sharma, p. 480 à 486. p. 382-383.

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HABITER LA TERRE

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subir pourraient impliquer l’effondrement de ses écosystèmes. précédant la publication de ce rapport… L’objectif colossal
Les pratiques courantes de l’économie dommageables à notre de réduction des émissions de gaz à effet de serre préconisé
environnement ne peuvent pas se poursuivre. Un changement par le GIEC suppose notamment un changement radical des
radical de comportement vis-à-vis de la Terre – et aussi de mode choix de logiques de construction. Dans ce contexte, la terre
de vie – est indispensable si nous voulons éviter de la mutiler crue a un rôle stratégique à jouer.
de façon irréversible ». Ils recommandent « une diminution
drastique des pratiques de la société de consommation et des
usages des énergies fossiles ». C’est notamment ce que permet MOINS MAIS MIEUX
la logique sobre et non énergivore de la construction en terre. L’économiste français Thomas Porcher rappelle que « tout
le monde sait désormais ce qu’il faut faire pour lutter effica-
cement contre le réchauffement climatique. 1o : Développer
RÉDUIRE DE 70 % NOS ÉMISSIONS NOCIVES EN 30 ANS massivement les énergies renouvelables. 2o : Maîtriser notre
En 1988, l’ONU a confié au GIEC (Groupe d’experts intergou- consommation d’énergie. 3o : Développer l’économie locale
vernemental sur l’évolution du climat) la mission « d’évaluer, et circulaire. Tous ces termes fi gurent dans les discours des
sans parti pris et de façon claire et objective, les informations élus mais, concrètement, aucun gouvernement ne veut les
d’ordre scientifique, technique et socio-économique néces- mettre en œuvre. Parce que pour relever le défi climatique,
saires pour mieux comprendre les risques liés au réchauffe- il faut remettre en cause nos modes actuels de production
ment climatique d’origine humaine, cerner les conséquences et de consommation25 ». La pratique à grande échelle de la
possibles de ce changement et proposer des stratégies d’adap- construction en terre crue peut contribuer à ces objectifs. En
tation ». Dans le « résumé rédigé à l’attention des décideurs » effet, l’usage de ce matériau n’a de sens que dans le contexte
de son rapport publié fi n 2018, le GIEC constate que « le CO2 restreint d’une économie locale en circuit court ; elle peut
issu des combustibles fossiles joue un rôle majeur dans le notamment s’inscrire dans le cadre d’une nouvelle économie
changement climatique », mais affi rme qu’« il est encore pos- circulaire en milieu urbain26.
sible de limiter l’augmentation de la température à 2 °C (de Edgar Morin, sociologue et philosophe français, affi rme que
plus en moyenne planétaire qu’avant la révolution indus- « des germes d’une nouvelle civilisation contemporaine sont
trielle) si les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont
réduites de 40 à 70 % entre 2020 et 2050 ». Pourtant, la pro- 25 – T. Porcher, Traité d’économie hérétique, pour en finir avec le discours
duction mondiale de CO2 a augmenté de 2,7 % durant l’année dominant, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2018.
26 – Voir le texte d’Hugo Gasnier, p. 478-479.

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INTRODUCTIONS

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Projet (non réalisé) de tour
d’habitation de 15 étages à Paris,
avec éléments de façade en pisé
préfabriqué (2015). Architectes :
Joly & Loiret.

présents un peu partout, mais demeurent insuffisants et dis- des uns provoque le fanatisme des autres : n’oublions jamais
persés. Notre civilisation qui annonçait le bien-être matériel a que la cause écologique est la pierre angulaire de la dignité
suscité du mal-être spirituel. Il nous faut repenser le “dévelop- humaine et de la justice sociale. […] Osons dire qu’un autre
pement” et son idée même. Il crée plus de problèmes qu’il n’en monde est d’ores et déjà possible ; mais que nous font défaut
résout. Il est à terme insoutenable, y compris comme “déve- un état d’esprit universel, une intelligence, une vision et une
loppement soutenable”. Il faut remplacer le quantitatif “plus, volonté collectives. […] Osons dire que la violence capitaliste
plus” par du qualitatif “moins mais mieux”. […] L’instauration a colonisé tous les cercles du pouvoir ; et qu’il faut reprendre
de nouvelles solidarités est un autre aspect essentiel d’une la main sur une industrie […] qui ignore l’intérêt général : bri-
politique de civilisation. […] Elle réclame un objectif qu’on ne sons cet ordre cannibale. […] Osons l’humilité et la modéra-
trouve dans aucun programme politique. C’est la nécessité de tion, l’insolence et l’utopie. […] La défi nition de la folie, c’est
changer nos vies, mais surtout dans le sens de la qualité et de répéter indéfi niment la même chose et d’attendre des
de la poésie de la vie27 ». C’est un fait évident que les usages résultats différents : osons ne plus être fous. Dans tous les
contemporains de la terre crue sont nombreux, mais disper- domaines le changement est à l’œuvre ; les solutions existent,
sés et insuffisamment connus, ce à quoi ce livre cherche à mais elles sont souvent trop peu connues. Il faut rendre hom-
remédier. mage à tous ces acteurs du changement qui créent le monde
de demain. Leur exemple mérite mieux que les félicitations
accordées aux exceptions brillantes. Face à l’ampleur du défi
OSER PASSER À L’ACTE climatique, il faut donner à ces initiatives isolées les moyens
Il faut désormais oser passer à l’acte. Osons28 est précisément de devenir les pratiques de demain. C’est le moment de chan-
le titre du plaidoyer pour l’action publié en 2015 par Nicolas ger radicalement de paradigme et d’associer à la lutte contre
Hulot, militant écologiste français né en 1955 et devenu le réchauffement climatique ces innovations sociales et éco-
ministre de la Transition écologique et solidaire en 2017. nomiques : [en inventant une nouvelle modernité] instaurant
Quinze mois plus tard, il démissionnait avec fracas de ses une alliance entre le meilleur de la science et des techniques
fonctions pour signifier sa réprobation face aux choix incon- et le bon sens des anciens ».
sistants du gouvernement. Dans Osons, il affi rme que « si la
prise de conscience progresse, sa traduction concrète est déri-
soire face à l’accélération des phénomènes [du dérèglement UN RÉCIT ARCHITECTURAL
climatique] que nous sommes censés juguler. Nous sommes COMME INGRÉDIENT DU CHANGEMENT ?
technologiquement époustoufl ants, mais culturellement affl i- Cyril Dion est le coréalisateur du fi lm Demain, qui présente
geants. […] Osons enfi n regarder la réalité en face : nous une sélection de réalisations récentes parmi les plus réus-
empoisonnons la terre autant que nos veines. […] Osons affi r- sies en matière d’écologie appliquée. Dans son Petit manuel
mer que la crise écologique est l’ultime injustice : elle frappe de résistance contemporaine, il affi rme que « de tout temps, ce
d’emblée les plus démunis. […] Osons dire que le fatalisme sont les histoires et les récits qui ont porté le plus puissam-
ment les mutations philosophiques, éthiques ou politiques.
C’est donc avec ces récits que nous pouvons engager une
27 – E. Morin, Mes philosophes, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2013. véritable “révolution”. Mais pour qu’ils puissent émerger et se
28 – N. Hulot, Osons, Paris, Fondation pour la nature et l’homme, 2015.

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HABITER LA TERRE

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traduire en structures économiques et sociales, il est incon- améliorations que peut assurer le renouveau de la construc-
tournable d’agir sur les architectures qui conditionnent nos tion. Une architecture vraiment écologique peut et doit contri-
comportements quotidiens29 ». Notre livre a pour ambition de buer au changement de paradigme sociétal. Et l’art de bâtir en
mettre en valeur le récit méconnu des architectures de terre terre crue permettra de mieux « habiter la Terre ».
crue afi n de contribuer au débat, mais sans avoir la naïveté
de croire que ce seul matériau puisse constituer une solution
miracle : il doit être considéré comme l’une des composantes
d’une large gamme d’actions stratégiques.
C’est à Winston Churchill que l’on doit la défi nition de l’art
de bâtir la plus éclairante : « La société conditionne l’architec-
ture et dès lors l’architecture conditionne la société. » Parmi
toutes les créations culturelles et artistiques, l’architecture
est celle qui conditionne le plus durablement, consciemment
ou inconsciemment, notre mode de vie, mais aussi une large
part de notre comportement, de nos états d’âme et de notre
santé. L’architecture constitue notre environnement matériel
et psychique tout au long de notre existence : nous vivons,
étudions, travaillons et pratiquons nos loisirs au cœur même
des architectures, pour le meilleur et pour le pire, souvent
sans même nous en rendre compte. C’est donc une raison
majeure de considérer l’architecture comme une composante
à part entière de notre mode de vie. Or elle n’est presque
jamais prise en compte dans le cadre des politiques de transi-
tion écologique, sauf pour réclamer l’augmentation de l’isola-
tion thermique des bâtiments afi n qu’ils soient moins énergi-
vores. Mais ce n’est là qu’une parcelle, certes essentielle, des
Ci-dessus : l’entrepôt des plantes aromatiques de la société Ricola à Laufon
(Bâle, Suisse), édifié en pisé préfabriqué par Martin Rauch (2014). Dimensions :
29 – C. Dion, Petit manuel de résistance contemporaine, récits et stratégies pour 110 × 30 m. Hauteur des murs : 11 m. Architectes : Herzog et de Meuron,
transformer le monde, Arles, Actes Sud, 2018. lauréats du prix Pritzker.

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INTRODUCTIONS

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LES VERTUS ÉCORESPONSABLES
DE LA CONSTRUCTION EN TERRE CRUE
HUBERT GUILLAUD

onsidérer les vertus écoresponsables de la construc- nombreux emplois et font vivre les petites et moyennes entre-

C tion en terre invite à prendre en compte l’impact du


domaine de la construction sur nos environnements
naturels, sociaux, économiques et culturels. Cette question
prises ou micro-industries locales.

La construction en terre a bien d’autres vertus : elle renverse


ne peut s’abstraire de la critique du modèle de développe- les standards de production mondialisés en valorisant une
ment actuel et de son impact désastreux sur notre planète, large diversité d’identités culturelles. Elle contribue au déve-
le genre humain et l’ensemble des espèces vivantes. Mais loppement des territoires en bénéficiant aux acteurs locaux.
« libérer l’avenir » de ce modèle hégémonique générateur Elle réinterprète les valeurs matérielles et immatérielles,
d’épuisement naturel et de rareté culturelle nous confronte savantes ou populaires, des sociétés dont les richesses archi-
à une incontournable injonction : penser, agir et construire tecturales sont souvent classées par l’Unesco au patrimoine
autrement. mondial de l’humanité. Elle régénère la production architec-
turale en revalorisant les métiers d’art et d’artisanat, dont
Il est désormais indispensable d’adopter des stratégies d’ac- la créativité stimule l’épanouissement humain, réhumanise
tion inspirées de celle proposée en 1999 par le philosophe et l’acte de bâtir et redonne dignité et fierté aux ouvriers. La
sociologue Edgar Morin en faveur d’une pensée complexe, construction en terre offre aussi la possibilité de préserver
transdisciplinaire et globale. Il est urgent de rétablir les l’échelle humaine dans la production architecturale. Elle
conditions d’une création diversifiée, de faire émerger des assure aux bâtisseurs la continuité d’une logique de raison et
solutions justes et viables du point de vue social et écono- de sagesse, de bon sens et d’écoresponsabilité, des valeurs de
mique, compatibles avec la diversité culturelle mondiale et sobriété opposables aux architectures contemporaines mar-
sans danger pour l’environnement. En accord avec cet objec- quées par l’arrogance d’une sanctification de la technique et
tif, la construction en terre crue possède un fort potentiel par un culte de l’innovation formelle à tout prix.
subversif car elle mobilise des valeurs et vertus écorespon-
sables. Contrairement aux matériaux de construction indus- Le renouveau de la construction en terre contribue ainsi à
triels dominants, qui nécessitent une technique de mise revaloriser « une économie première faite de relations et
en œuvre sophistiquée et coûteuse, la terre crue est une d’échanges non marchands par lesquels sont produits le
matière naturelle abondante et accessible localement. C’est sens, la capacité d’aimer, de coopérer, de sentir, de se lier aux
un matériau adapté à de nombreux modes de construction : autres, de vivre en paix avec son corps et avec la nature ».
pisé ou bauge, torchis ou terre allégée, adobe ou blocs de C’est au rétablissement d’une éthique écoresponsable de la
terre comprimée (BTC). La construction en terre privilégie construction que nous convie la réactualisation des architec-
le rapport à la nature car c’est un matériau brut très peu tures en terre crue. Elle participe à l’ouverture de « la voie
transformé. Elle contribue notamment à la préservation des pour l’avenir de l’humanité ».
ressources et matières rares non renouvelables, et réduit
l’emploi des énergies fossiles (elle dépense très peu d’énergie
grise) ainsi que la pollution industrielle. L’usage de la terre
crue contribue ainsi à établir une plus juste relation avec POUR EN SAVOIR PLUS
notre environnement. Houben, Guillaud et CRAterre 1989, Morin 1999.

La construction en terre subvertit le modèle économique


dominant en redonnant à la société civile et surtout aux
populations les plus démunies la capacité de prendre en
charge elles-mêmes leur habitat. Elle permet notamment la
promotion de valeurs sociétales essentielles : autosuffisance,
démarche coopérative et participative, entraide, troc de la
force de travail, autonomie de la production des matériaux
et autoconstruction. Les chantiers génèrent également de Ci-contre : village du Mali au nord de Mopti (voir les textes p. 200 à 213).

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LES CONTRIBUTIONS
DES ARCHITECTURES DE TERRE
À UN CHANGEMENT DE PARADIGME SOCIÉTAL
ROMAIN ANGER

l est trop tard pour le développement durable, Nous nous limitons aujourd’hui à la démarche angoissée du

«I et l’humanité doit désormais se focaliser sur le


concept de résilience. » C’est ainsi que s’exprime
Dennis Meadows en 2012. En 1972, le rapport Meadows inti-
constat. Nous nous contentons de la pratique d’une écologie de
réparation qui tente de rafistoler notre planète endommagée,
mais avec le même mode de pensée que celui qui a généré les
tulé Les Limites à la croissance, fruit des recherches du MIT problèmes. Dans le domaine de l’architecture, cette vision du
commanditées par le Club de Rome, utilise la dynamique des monde se traduit par une course technologique promouvant
systèmes et les moyens informatiques de l’époque pour modé- coûte que coûte l’efficacité énergétique du bâtiment, même
liser un « système monde » et les interactions entre popula- si cela doit se faire au péril de l’harmonie entre l’homme et
tions, alimentation, industrie, ressources non renouvelables son environnement. Nous devons nous convertir à un nou-
et pollution. Les simulations prédisent pour 2030 environ, en veau paradigme : celui de l’écologie de fondation. Toutes les
l’absence de changement de politique globale, un effondre- créations humaines, dont l’architecture, sont le reflet d’une
ment de l’économie, suivi du déclin de la population mondiale vision spécifique du monde. Le principal défaut des construc-
lié à une crise alimentaire et sanitaire. « Il y a quarante ans, tions d’aujourd’hui – issues d’une idéologie héritée il y a un
il était encore théoriquement possible de ralentir les choses et siècle du Mouvement moderne – est d’être décontextualisées,
de parvenir à un équilibre. Aujourd’hui ce n’est plus possible. conçues littéralement « hors sol » et ainsi arrachées de leur
Ce qui nous attend est une période de déclin incontrôlé, qui environnement. Elles sont à l’image des êtres humains qui les
va nous mener à un nouvel équilibre, dont nous ne sommes ont bâties : déracinées et désincarnées. Et tant que nous ne
pas capables de percevoir les détails. » À l’époque, le rapport tenterons pas de reconstituer le lien qui a été rompu en nous,
Meadows est traduit dans 27 langues, publié à 12 millions nous resterons dans une écologie de réparation. Par défi nition,
d’exemplaires et lu par les dirigeants du monde entier. Par les racines, qui nous sont indispensables, plongent dans la
la suite, il influencera les premiers Sommets de la Terre, tout terre : elles s’immergent dans la matière première. L’homme
comme le rapport Brundtland de 1987, Notre avenir à tous, moderne déconsidère la terre, l’eau et l’air, éléments fonda-
dans lequel est défi ni pour la première fois le développe- mentaux de son existence, et entretient un rapport maladif
ment durable. En 2019, les « générations futures » sont déjà à la matière. Il n’a pas conscience qu’il est un être poreux et
nées. Le dernier rapport en date du GIEC est plus alarmant que ces éléments, qu’il voit comme des entités extérieures à
que jamais, et 2018 a été marqué par une nouvelle augmen- lui-même et qualifie d’« environnement », le conditionnent à
tation de 2,7 % des émissions mondiales de CO2. Pour Edgar chaque instant. Acidifier les océans, réchauffer l’atmosphère
Morin, « nous n’avons pas encore compris que nous allons et considérer la terre comme un déchet revient, in fi ne, à pol-
vers la catastrophe et nous avançons à toute allure comme luer son propre corps. Augustin Berque défi nit ainsi cette
des somnambules ». À l’heure de l’anthropocène, l’humanité représentation du monde : « Nous, esprits modernes, distin-
apparaît comme une force géologique majeure qui bouleverse guons la matière, la chair et l’esprit. Ce qui revient à séparer
la lithosphère, déséquilibre les grands cycles géochimiques la planète, qui est purement physico-chimique, la biosphère,
et biologiques de la planète, et détruit les écosystèmes. Les qui ajoute la dimension de la vie, et l’écoumène, qui ajoute la
dirigeants des puissances économiques dominantes sont dimension des systèmes techniques et symboliques propres à
incapables d’impulser un changement de cap, de donner un l’humanité. On retrouve très souvent cette trilogie : la matière,
nouveau sens à notre avenir et de penser un projet de société la chair, l’esprit. » À la manière de Jacques Derrida, nous pour-
qui sorte du dogme de la croissance. rions essayer de déconstruire les couples binaires qui fondent
cette cosmologie contemporaine issue d’un dualisme carté-
Une telle transition nécessite un changement de paradigme, sien qui cloisonne et sépare : humain et non-humain, nature
c’est-à-dire une autre représentation de notre monde, une et culture, esprit et matière, sciences humaines et sciences
autre manière de voir le futur imminent et un autre modèle exactes, pensée rationnelle et sensibilité, main et cerveau,
cohérent pour notre civilisation. Selon Carl Gustav Jung, etc. Certains philosophes ont tenté de dépasser ce paradigme
« avoir une conception du monde [Weltanschauung], c’est se moderne, tel Maurice Merleau-Ponty, qui affi rme « mon corps
former une image du monde et de soi-même, savoir ce qu’est est fait de la même chair que le monde ». Les cosmologies des
le monde, savoir ce que l’on est ». sociétés traditionnelles proposent une autre représentation

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HABITER LA TERRE

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du corps et de la matière. David Le Breton donne cet permettant de construire des immeubles de cinq étages (voire
exemple : « Chez les Canaques, le corps emprunte ses carac- plus). Les fibres végétales telles que la paille ou le chanvre
tères au règne végétal. Parcelle non détachée de l’univers, qui permettent l’isolation thermique des bâtiments. La terre crue
le baigne, il entrelace son existence aux arbres, aux fruits, qui enveloppe l’ossature forme l’épiderme de l’architecture.
aux plantes […]. Kara désigne à la fois la peau de l’homme Grâce au bois et à ces isolants végétaux, les murs composant
et l’écorce de l’arbre. L’unité de la chair et des muscles (pié) nos bâtiments deviennent des « puits de carbone ». Ils doivent
renvoie à la pulpe ou au noyau des fruits. La partie dure du aussi être constitués de rebuts et de déchets, dans une logique
corps, l’ossature, est nommée du même terme que le cœur vertueuse d’économie circulaire, afi n de valoriser les millions
du bois. » Cette représentation du monde génère d’autres de tonnes de déblais de terre qui sont chaque jour excavés du
manières de concevoir, de produire et de vivre l’habitat. Ces sous-sol urbain et stockés à grands frais en dehors des villes.
visions se matérialisent de manière remarquable et inventive Il faut construire en terre avec l’immense ressource, jusqu’ici
au sein des architectures vernaculaires bâties en terre crue. négligée, qui git sous nos pieds. Il faut construire avec ce qu’il
De tous les écomatériaux, elle est, de loin, celui qui possède y a sous nos villes, nous mettre en cohérence avec notre envi-
la charge symbolique et affective la plus puissante. La charge ronnement et nous insérer dans l’ordre des choses.
émotionnelle de certaines de ces constructions issues de la
créativité populaire provient précisément du fait qu’elles ne
sont ni coupées ni séparées de leur milieu. Elles sont toujours
contextuelles. Enracinées dans leur territoire, elles font corps
avec le sol dont elles sont issues. Ces constructions nous font
ressentir au plus profond de notre être que la matière est la
chair de l’architecture. La matière est aussi la chair du monde
et la chair de l’être. Notre chair. Elle nous relie à nous-mêmes
et au monde.

Tout ce que nous produisons en tant qu’êtres humains, y com-


pris l’habitat, devrait générer du vivant plutôt que le détruire.
Comment « habiter la terre » tout en contribuant à la biodi-
versité ? Les réponses technologiques uniquement fondées
sur l’efficacité énergétique du bâtiment sont insuffisantes. La
cité de demain devra être résiliente et autonome, et donc ne
plus dépendre des énergies fossiles : zéro carbone. Elle devra
être vivante et résulter d’une économie circulaire au sein
de laquelle elle consommera ses propres rebuts et déchets,
comme le fait tout écosystème vivant. Notre future cité devra
aussi être sensuelle et charnelle, en favorisant la présence
en milieu urbain de matières naturelles telles que la pierre,
le bois et la terre crue. Un enfant doit pouvoir comprendre
l’environnement bâti qui l’entoure. Enfi n, tous les lieux de la
vie quotidienne devront préserver la biodiversité, empiéter
le moins possible sur la vie sauvage et rétablir une relation
harmonieuse avec le règne végétal autant qu’animal. Le rêve
de construire en milieu urbain avec de la terre crue associée
au bois et à des isolants « biosourcés » (notamment à Paris,
où ce processus novateur est engagé depuis 2017) doit deve-
nir la norme. Le bois fournit l’ossature, la structure portante

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INTRODUCTIONS

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AVANTAGES ET LIMITES
DE LA CONSTRUCTION EN TERRE
DOMINIQUE GAUZIN-MÜLLER

architecture en terre crue, dont les usages contempo- nécessite peu d’énergie et le transport est souvent nul : la terre

L’ rains sont de plus en plus fréquents et diversifiés, est


porteuse d’une modernité alternative qui répond aux
exigences de la crise écologique. Face à l’impérieuse néces-
est généralement extraite du site du projet ou de ses abords.
La valorisation des déblais de chantier, en particulier lors de
travaux de grande envergure en milieu urbain, offre la possi-
sité de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de bilité de remplacer un coûteux traitement des déchets en loin-
serre pour freiner les dérèglements climatiques, ce matériau taine banlieue par la transformation des terres excavées en
naturel, abondant et économe en énergie est promis à un bel écomatériau. Par ailleurs, remplacer le béton par de la terre
avenir. Connus de manière empirique depuis des millénaires, crue réduit les émissions de CO2 par effet de substitution.
ses multiples avantages pour la construction sont aujourd’hui
vérifiés scientifiquement.
QUALITÉS TECHNIQUES
PORTEUSE ET RÉSISTANTE L’architecture traditionnelle nous
ATOUTS ENVIRONNEMENTAUX montre que la terre crue est un matériau mécaniquement
NATURELLE ET DIVERSIFIÉE La terre provient de la dégradation de résistant : à Shibâm, au Yémen, des maisons en adobe de
la roche mère et dans certains cas de déplacements d’origine sept niveaux défient le temps depuis le XVIe siècle (voir p. 108-
fluviale ou encore éolienne. Son utilisation pour construire 113) ; au cœur de Lyon, des immeubles en pisé de quatre à
ne fait pas concurrence à l’agriculture car la couche de sur- cinq étages sont habités depuis les années 1800. Le matériau
face, riche en matières organiques, lui est réservée et seules est compatible avec tous les climats, même pluvieux, quand
les couches inférieures, essentiellement minérales, sont uti- la conception prévoit une protection constructive avec, entre
lisables pour la construction. Celles-ci offrent une grande autres, « de bonnes bottes et un bon chapeau ». Les exemples
variété de couleurs, de granularités et de propriétés phy- contemporains sont de plus en plus nombreux et démonstra-
siques. Cette diversité et les caractéristiques socio-culturelles tifs, telles les habitations aux murs porteurs en pisé élevées sur
ainsi que l’histoire des peuples de chaque région ont condi- trois niveaux en France (voir p. 392-395) ou en Autriche (voir
tionné l’adoption de différentes techniques. Les principales p. 406-407).
sont l’adobe, la bauge, le torchis et le pisé qui, chacune, pos-
sèdent de nombreuses variantes. RÉPARABLE ET RECYCLABLE Si la terre crue n’a pas été « stabi-
lisée » avec du ciment ou de la chaux, les murs se réparent
ÉCOLOGIQUE L’extraction de la terre pour la construction est aisément et de manière invisible : les raccords ne laissent pas
facile, même avec des outils rudimentaires. Elle se fait sans de traces quand on utilise le mélange initial. Le matériau peut
processus chimiques, sans déchets et avec peu d’énergie. La aussi être recyclé à l’infi ni. Quand le bâtiment arrive en fi n de
terre est directement utilisable dès qu’elle retirée du sol, avec vie, les murs peuvent être démolis et la terre mélangée au sol
éventuellement un ajout d’eau pour lui donner la plasticité vou- du site ou réutilisée pour une nouvelle construction.
lue pour sa mise en œuvre. Dans certains cas elle est améliorée
par addition d’autres matières naturelles (paille, chanvre, géo- FACILE À TRAVAILLER ET CONVIVIALE Même si certains tours de
polymères naturels, etc.) qui compensent certains manques main demandent un savoir-faire professionnel, la terre se
granulaires ou lui confèrent des caractéristiques mécaniques prête bien à la participation collective. Elle n’entraîne pas de
améliorées. maladies professionnelles pour les ouvriers et ne provoque
pas d’allergies. Sa mise en œuvre est sans risques pour les
ÉCONOME EN ÉNERGIE La consommation d’énergie dite « grise1 » yeux et la peau. Elle est donc parfaitement adaptée à des chan-
de la construction en terre dépend des techniques choisies, tiers participatifs et conviviaux, ainsi qu’à l’auto-construction
mais elle est généralement faible, voire très faible. La trans- (au moins partielle). Elle est compatible avec tous les autres
formation de la matière première en matériau de construction matériaux de construction, traditionnels ou contemporains.
Elle est aussi très appréciée en rénovation, car elle s’adapte
facilement aux irrégularités des vieux murs. Ainsi, la terre
1 – Énergie consommée tout au long du cycle de vie d’un matériau : extraction,
fabrication, transport, mise en œuvre, recyclage, etc. crue peut couvrir une partie significative des besoins en

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HABITER LA TERRE

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logements et équipements communautaires, tant dans les absorbent les bruits émis à l’intérieur. Grâce à leur porosité,
pays émergents que dans les pays industrialisés. ils empêchent aussi la réverbération des sons dans les pièces.

CONFORT ET ESTHÉTIQUE LIMITES


CHALEUREUSE ET SENSUELLE La terre offre une esthétique mini- Bien sûr, l’emploi de la terre crue dans la construction a ses
maliste, en adéquation avec la tendance actuelle à une fruga- limites, qui appellent une complémentarité avec d’autres maté-
lité créative. Ce matériau vivant présente une belle texture riaux. Afi n d’éviter les remontées capillaires, les murs en terre
et une grande variété de teintes naturelles, du gris foncé au sont ainsi généralement posés sur un socle en béton ou en
jaune éclatant, en passant par de multiples nuances de rose maçonnerie de pierre ou de brique. Au-delà de certaines hau-
et de rouge. Cette diversité attractive est soulignée par les teurs et portées, le bois, le béton ou l’acier prennent le relais.
strates de certains murs en pisé. La terre est aussi un maté- La plupart des limitations d’usage de la terre crue sont dues
riau sécurisant à forte charge affective. Elle séduit un nombre à des normes et règlements trop stricts ou inappropriés, dont
croissant d’architectes et de clients par la beauté de sa surface les exigences et restrictions ne cessent de croître, par manque
brute et chatoyante ainsi que par sa vaste palette de couleurs. de connaissances sur le matériau. Cet obstacle doit être sur-
monté au plus vite par la concertation et la formation de tous
SAINE ET CONFORTABLE Les murs et les enduits en terre crue les décideurs et acteurs concernés : architectes, ingénieurs,
garantissent un climat intérieur sain. Ils ne diffusent aucun artisans, entreprises, institutions officielles, bureaux d’études,
produit toxique et absorbent les odeurs. La structure granu- services techniques des collectivités, etc. Quant aux blocages
laire de la matière, sa porosité et le changement de phase psychologiques et culturels, ils persistent en particulier dans
(alternance entre état liquide et vapeur) lui confèrent une pro- les pays émergents, où la brique cuite et le parpaing de ciment
pension à laisser passer la vapeur d’eau. Cela contribue à la sont devenus symboles de progrès, alors que ces technologies
régulation naturelle de l’hygrométrie : l’humidité en excès est ont beaucoup plus d’impact sur la production de CO2 et donc le
absorbée puis restituée. Par ailleurs, les murs en terre, lourds réchauffement climatique.
et denses, ont une inertie thermique2 qui ralentit considéra-
blement les échanges entre intérieur et extérieur : la chaleur
accumulée pendant la journée dans l’épaisseur des parois est
diffusée pendant la nuit dans le bâtiment. Les maisons restent
ainsi fraîches en été et tempérées en hiver. Compacts, les murs
en terre font obstacle aux nuisances sonores de l’extérieur et Ci-dessus : immeuble de logement social de cinq niveaux bâti en
1983 en pisé et en blocs de terre stabilisée dans le quartier urbain
du Domaine de la Terre (voir p. 392-395) à Villefontaine (Isère,
2 – Capacité qu’a un matériau de stocker de la chaleur et de la restituer peu à peu. France). Architecte : Jean-Vincent Berlottier.

25
INTRODUCTIONS

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CARTOGRAPHIE
DE LA TERRE

Pisé
Adobe
Torchis

Les architectures de terre crue sont pré-


sentes sur tous les continents et dans la très
grande majorité des pays du monde, quelles
que soient leurs spécificités climatiques.
Soixante-treize de ces nations sont évoquées
dans ce livre. J. D. et R. E.

Carte du monde : En orange : régions où la


construction en terre crue est une pratique
traditionnelle. Les points rouges indiquent les
principaux sites édifiés en terre crue classés
au patrimoine mondial de l’Unesco (source :
CRAterre).

Carte de la France : En orange : régions où


la construction en pisé est dominante. En
rouge : dans le sud-ouest du pays, l’usage de
la brique de terre (adobe) est dominant. En
jaune : régions où l’usage du torchis est privi-
légié (source : CRAterre).

Carte de la Grande-Bretagne : En rouge : régions


où diverses techniques traditionnelles de
construction en terre étaient d’usage courant
(source : Ruth Eaton).

Carte de líEurope du Sud-Ouest (Portugal,


Espagne, Italie et France) : Chaque couleur ren-
voie à l’une des quatre principales techniques
traditionnelles de construction en terre crue.
En jaune : le pisé. En rouge : la brique de terre
crue (adobe). En bleu : la bauge. En vert : le
torchis (source : Terra Incognita).

Carte de la Chine : En orange : régions où,


jusqu’aux années 1960, les diverses tech-
niques traditionnelles de construction en
terre crue étaient les plus fréquentes (source :
Mu Jun).

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INTRODUCTIONS

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CHAPITRE 1

LOGIQUES CONSTRUCTIVES

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Construction de murs en bauge (zabur) près de la ville
de Saada, au Yémen (voir p. 48-49). Et p. 242-245,
les usages similaires de cette technique en Arabie.

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Diagramme du CRAterre présentant les douze
principales familles de techniques de construction
en terre, toutes décrites ci-contre.

30
HABITER LA TERRE

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PANORAMA DES TECHNIQUES
DE CONSTRUCTION EN TERRE CRUE
HUBERT GUILLAUD

e registre des possibilités techniques, constructives 2 : TERRE COUVRANTE. La terre recouvre une structure construite

L et architecturales de la terre crue est très large et


diversifié. L’étude des traditions et savoir-faire ver-
naculaires du monde entier – ainsi qu’un inventaire des
à l’aide d’autres matériaux, du bois le plus souvent. C’est le cas
des constructions dont le toit – plat ou en pente douce – est
recouvert de terre, plantée de gazon ou d’autres végétaux . On
réalisations modernes et contemporaines – a permis d’iden- parle alors de « toiture végétalisée ».
tifier une douzaine de modes d’utilisation de ce matériau :
ils sont associés à une grande variété d’usages et de pro- 3 : TERRE REMPLISSANTE. La terre est utilisée en remplissage de
grammes familiaux ou communautaires, domestiques ou matériaux creux qui constituent l’enveloppe – porteuse ou
institutionnels, ruraux ou urbains. Ainsi s’est élaboré au non – du bâtiment. Plusieurs solutions ont été testées à partir
cours des siècles un authentique art de bâtir en terre crue. du remplissage de blocs de béton creux, de matériaux textiles
Depuis la fi n du siècle des Lumières, il a connu trois grandes empilés, d’éléments isolants, de grillages tendus en parement
périodes de développement. Au début du XIX e siècle, sa pre- extérieur et intérieur ou encore d’ossatures en bois où est
mière phase de modernisation a été initiée par François prévu un vide interstitiel pouvant être comblé par de la terre
Cointeraux en France et d’emblée relayée à l’étranger (voir versée en vrac ou des agglomérats à base de terre.
p. 308-317). Durant la deuxième moitié du XX e siècle, il est
parvenu à maturité culturelle et technique – mais aussi 4 : TERRE DÉCOUPÉE. Des mottes de terre engazonnées ou des
scientifique et pédagogique –, une étape indispensable à la blocs de terre de dimensions variables sont directement décou-
poursuite de sa croissance. Enfi n, en ce début de XXI e siècle pés dans le sol puis utilisés en maçonnerie. L’usage des mottes
commence la phase historique et prometteuse de son de terre est nommé sod en Angleterre, turf en Irlande ou terrone
épanouissement mondial, notamment en tant que solution en Amérique latine. Celui de blocs découpés aux formes régu-
écoresponsable pour faire face au défi climatique et répondre lières est appelé tepetate au Mexique, caliche aux États-Unis,
aux enjeux d’une indispensable transition écologique. mergel en Hollande, marl en Angleterre ou tuf dans la plupart
La numérotation des paragraphes ci-dessous correspond à celle des pays méditerranéens.
du diagramme circulaire (ci-contre) élaboré par le CRAterre et
publié dans le Traité de construction en terre (1989). 5 : TERRE COMPRIMÉE. Divers matériaux de construction sont
réalisés en comprimant de la terre crue dans des moules
(en bois ou en acier), des coffrages (banches) ou à l’aide de
DOUZE MODES D’UTILISATION DE LA TERRE CRUE presses. La première presse, à usage manuel, portative et
Les douze principaux modes d’utilisation de la terre crue nommée Cinva-Ram, a été inventée par Raul Ramirez en
pour construire sont associés à trois grandes familles de Colombie en 1956. Elle a connu un succès mondial car elle
solutions constructives. Soit, la terre sert à la réalisation préa- a permis à de nombreux groupes sociaux d’assumer l’auto-
lable d’une structure porteuse. Soit elle est utilisée sous forme construction de leurs habitats avec des blocs de terre compri-
monolithique et massive. Soit encore, elle prend la forme mée (BTC) – stabilisés au ciment ou pas – ainsi facilement pro-
d’une maçonnerie composée de petits éléments. duits en tous lieux. Parmi les nombreuses variantes qui ont
été mises sur le marché international, deux se sont révélées
1 : TERRE CREUSÉE. Pour donner forme à un espace architectural, particulièrement efficaces : la Terstaram, conçue en Belgique
on creuse dans l’épaisseur de l’écorce terrestre. Il s’agit sur- par Fernand Platbrood, et l’Auram, mise au point par l’Auro-
tout d’habitat troglodytique. Soit il est excavé horizontalement : ville Earth Institute, en Inde (voir p. 384-385). Par ailleurs, des
de nombreux exemples existent en Espagne, en Italie ou en presses plus sophistiquées, mécaniques ou pneumatiques,
Turquie. Soit il est creusé verticalement. Deux sites témoignent ont été commercialisées pour satisfaire les besoins de gros
de cette pratique ancestrale : l’un, dans le village de Matmata, chantiers. L’autre technique de construction essentielle résul-
dans le sud de la Tunisie ; l’autre en Chine, dans la vaste région tant de la compression de terre crue est le pisé. Ce terme
dite de la « Ceinture de Lœss ». français (on dit parfois « pisé de terre ») devient rammed earth

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LOGIQUES CONSTRUCTIVES

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dans les pays anglophones et tapia dans le monde hispanique. 10 : TERRE COULÉE. Elle est coulée à l’état liquide – avec une gra-
Vu l’importance majeure des développements contemporains nularité assez sableuse, voire graveleuse – dans des coffrages
du pisé, cette technique fait l’objet ci-après de précisions (comme un « béton maigre ») ou des moules à multiples com-
nécessaires. partiments. Ce procédé est associé à la réalisation de murs
monolithiques coulés en place en couches successives, de
6 : TERRE FAÇONNÉE. Elle est généralement utilisée à l’état petits éléments de maçonnerie ou encore de sols et pavements.
plastique (en pâte mi-ferme ou molle) pour dresser des parois Le problème le plus important à résoudre est celui du retrait
minces directement façonnées à la main. Il s’agit principale- linéaire et de la fissuration. Des recherches récentes com-
ment de constructions élevées selon la méthode du colombin mencent à pallier ces difficultés.
de potier appliqué en couches superposées, ou encore de maté-
riaux végétaux torsadés ou tressés, trempés dans de l’argile, 11 : TERRE-PAILLE ET TERRE ALLÉGÉE. La terre est utilisée sous forme
puis utilisés pour édifier des parois minces. Ces pratiques de barbotine d’argile liquide mêlée à de la paille (céréales de
ancestrales et rurales existent au Mexique, mais surtout en tout type), des herbes ou même de la bruyère. Le matériau
Afrique subsaharienne, chez les Mousgoum au Cameroun ainsi préparé présente un aspect très fibreux. En Allemagne,
(voir p. 228-229), les Lobi au Burkina Faso ou les Batammariba ce mélange de terre et de paille, disposé dans des coffrages
au Togo (voir p. 226-227). simples (planches maintenues par des serre-joints), est en
général employé pour remplir les vides d’une ossature en bois,
7 : TERRE EMPILÉE. Elle est modelée sous forme de boules empi- à raison d’une épaisseur de 20 à 25 centimètres pour une paroi
lées pour réaliser d’épais murs porteurs constitués de strates non porteuse ou de 30 à 40 centimètres pour une maçonnerie
successives. Ce mode de construction est presque abandonné porteuse. Il est aussi utilisé pour réaliser des éléments de plan-
en Europe. En Angleterre. Dans ce pays, de très nombreux cot- cher sous forme de hourdis, ainsi que comme matériau isolant
tages du Devon et d’autres régions témoignent de ses usages (grâce à la faible densité qu’il est possible d’obtenir, variant de
traditionnels, sous le nom de cob, tandis que le village de Milton 600 à 1 200 kilos par mètre cube). Des applications récentes se
Abbas, édifié en 1773, demeure un exemple éloquent de sa sont développées dans la plupart des pays européens car cette
modernisation précoce (voir p. 260-261). Cette technique était technique nécessite peu d’investissement et reste aisément
aussi pratiquée dans certains villages du Yémen, de Najran en appropriable.
Arabie, d’Afghanistan et du Sénégal.
12 : TERRE DE GARNISSAGE. Sous forme assez plastique et mêlée de
8 : TERRE MOULÉE. Elle est mise en forme à la main ou à l’aide fibres végétales, elle est appliquée sur un support de lattes de
de moules de formes diverses pour constituer des blocs ou bois ou de bambou, voire sur un tressage de branches, pour
des briques généralement séchés au soleil avant d’être mis en garnir une structure porteuse généralement en bois. Ce mode
œuvre. Ce matériau est souvent enrichi de fibres végétales d’utilisation, sans doute l’un des plus anciens, est nommé
– paille et herbes locales – pour éviter le retrait linéaire et amé- torchis. De nombreux exemples existent en France, tant en
liorer sa résistance à la traction. Cette logique de construction milieu rural qu’urbain, notamment en Normandie, en Picardie,
est surtout connue sous le nom d’adobe, terme provenant du en Alsace et en Champagne, de même qu’en Angleterre, en
mot égyptien thobe ou toub, devenu ottob en arabe avant que les Allemagne, en Belgique, en Hollande et en Scandinavie, mais
Hispano-Portugais ne lui donnent son nom défi nitif. En Afrique, aussi en Afrique et en Amérique latine.
on utilise le terme banco. Des briques piriformes façonnées à la
main existent encore dans certains pays comme le Nigeria :
les tubali. Aux États-Unis, il est fréquent que le terme adobe soit ÉVOLUTIONS ET INNOVATIONS RÉCENTES
utilisé pour évoquer indistinctement toute forme de construc- Depuis le début du XXIe siècle, la recherche fondamentale – cen-
tion en terre crue. trée sur la terre crue en tant que matière « en grains » – ainsi
que les recherches et applications expérimentales – sur les
9 : TERRE EXTRUDÉE. Dérivé des modes de production de l’indus- modes d’utilisation de ce matériau et ses techniques de mise
trie de la brique cuite, ce matériau est le résultat de l’extrusion en œuvre – ont entraîné des évolutions considérables par rap-
de terre crue au moyen de fi lières mécanisées pour former des port aux pratiques traditionnelles de construction. Deux objec-
adobes découpés, des boudins ou des pains de terre. Ce pro- tifs essentiels ont guidé ces recherches. D’une part, celui de
cédé a été utilisé aux États-Unis et en Allemagne – dès 1924, rapprocher la terre crue des autres matériaux (béton, acier,
selon la méthode de construction dite « de Dünner Lehm- pierre, bois et nouveaux matériaux composites) de façon à la
brotbau » (voir p. 52) –, et plus récemment, à titre expérimental, faire sortir d’une marginalité pénalisante – elle était jusque-
à l’université de Cassel. En France, durant les années 1980, il là jugée incapable de répondre aux nouveaux enjeux de pro-
a fait l’objet de recherches ayant abouti à la mise au point de duction de masse de l’habitat et de performance structurale de
briques et de panneaux de terre crue stabilisée et extrudée plus en plus ambitieuse. Il s’agit aussi de revaloriser l’image de
(Stargil). Cela n’a toutefois pas donné lieu à des développe- la construction en terre, souvent jugée désuète. D’autre part,
ments significatifs. l’objectif de répondre aux exigences de rentabilité de la produc-
tion ainsi que de réduction des temps de chantier et de la main-
d’œuvre, corollaires d’une économie de croissance et de profit.

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HABITER LA TERRE

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PRINCIPALES TENDANCES PRIVILÉGIÉES
La préfabrication d’éléments de construction en pisé a été POUR EN SAVOIR PLUS
initiée en France dans les années 1980 par le maître maçon Doat et al. 1979, Houben, Guillaud et CRAterre 1989, Anger et
Nicolas Meunier. Elle s’est largement développée depuis Fontaine 2009, Moevus et al. 2016, Volhard 2016.
le début du XXIe siècle, surtout grâce à l’entrepreneur autri-
chien Martin Rauch, et est désormais parfaitement maîtrisée
à l’échelle des unités de production sur les chantiers. Cette
avancée décisive ouvre une voie nouvelle pour la construc-
tion contemporaine en terre, tout en lui conférant un « label »
de modernité véhiculé par les médias. Les réalisations de cet
inventeur (initialement formé au design de produits en terre
cuite) et d’autres jeunes adeptes de ce procédé de construc-
tion lui assurent un avenir prometteur. Le principe de la pré-
fabrication a aussi été expérimenté en France, en 2003, par
l’architecte Jean-Yves Barrier, sur les éléments de façade en
bauge de son immeuble d’habitation de six étages à Rennes,
Salvatierra (voir p. 402-403).
Les recherches dans le domaine de la physique appliquée à
la « matière en grains » ont permis, dès le début des années
2000, d’aboutir à des résultats importants. D’une part, la résis-
tance mécanique a été améliorée par une meilleure maîtrise
de l’empilement des grains de différentes tailles. D’autre part,
le rapport entre les trois composants de la matière – le miné-
ral (les grains), l’eau et l’air – est désormais mieux compris.
Cela permet d’assurer un meilleur contrôle de la qualité des
matériaux de base des principales techniques évoquées – tor-
chis, bauge, adobe, pisé et blocs de terre comprimée (BTC) –,
mais aussi une meilleure compréhension des propriétés de
rhéologie (le « coulage » de la matière), ouvrant ainsi la voie à
la production de « bétons de terre » coulés dans des coffrages.
Cette voie prometteuse reste dépendante de l’ajout de stabi-
lisants (ciment ou chaux) et de dispersants chimiques, mais
grâce aux recherches sur les dispersants naturels il ne sera
peut-être bientôt plus nécessaire pour produire un « béton
vert » ou « béton d’argile environnemental ».
Les recherches sur la terre allégée grâce à l’adjonction de
fibres naturelles – chanvre ou chènevotte – ont débouché sur
la mise au point de « bétons d’argile » à haute performance
hygrométrique, notamment grâce à la maximisation de la
porosité fi ne de la matière. Les granulats minéraux, plus
denses, sont remplacés par des granulats végétaux, plus
poreux. On peut ainsi envisager la production de nouveaux
matériaux composites qui garantiront des capacités très pro-
metteuses d’adsorption des vapeurs d’eau et contribueront
ainsi à la régulation de l’humidité ambiante et au confort des
usagers : briques ou blocs de différentes tailles pour les murs,
panneaux pour cloisons ou bétons de terre-chanvre allégés.
Une autre voie d’avenir déjà engagée est celle de l’impression
en 3D de structures architecturales au moyen de robots qui Minaret dans le village de Zinzana (région de Ségou), au Mali (voir p. 202-209).
déversent, avec précision et rapidité, des couches de mortier
de terre pour façonner des parois. Mais n’y a-t-il pas dans
cette tendance une forme d’arrogance technicienne associée
à un effet de mode prônant la primauté de la technique afi n
d’instaurer des solutions innovantes pour nos sociétés indus-
trielles ? C’est une voie qui s’éloigne du champ des vertus de
l’art de bâtir en terre crue, dont la pertinence est pourtant en
mesure de contribuer à l’avènement d’une indispensable révo-
lution écologique.

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LOGIQUES CONSTRUCTIVES

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HABITER LA TERRE

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GÉOLOGIE,
MATIÈRES
ET MATÉRIAUX
PATRICE DOAT

n étudiant la croûte terrestre, âgée de plus de 4 mil-

E liards d’années, les scientifiques nous permettent de


comprendre l’origine de notre planète, composée prin-
cipalement de terre, d’eau et d’air. Notre Terre, dotée d’une
véritable cuirasse minérale, subit continuellement des intem-
péries (pluie, vent, neige, gel et dégel) qui font éclater les roches
des massifs montagneux. Les fragments de pierre dévalent les
pentes par avalanches successives pour se retrouver dans les
torrents, rivières et fleuves. Au terme d’un très long périple,
cette matière minérale morcelée (la plus répandue après l’air
et l’eau) est largement dispersée et couvre une grande par-
tie de la surface émergée du globe. Cette matière en grains,
que nous nommons la terre, composée de cailloux, graviers,
sables, limons et argiles est disponible presque partout. En
la mélangeant avec de l’eau, on la transforme facilement en
matériau de construction.

C’est avec ces deux composants, la terre et l’eau, que l’homme


a édifié, depuis les premières civilisations jusqu’à nos jours,
sous tous les climats et sur tous les continents, ses habita-
tions, ses agglomérations rurales et urbaines. En Égypte,
l’exemple de la vallée du Nil est particulièrement éloquent :
depuis des millénaires, les limons charriés par le fleuve
et déposés le long de ses rives constituent la matière pre-
mière essentielle de l’immense majorité de ses habitations,
construite en briques d’adobe.
Autant pour les constructeurs que pour les agriculteurs, l’eau
est l’indispensable alliée de la terre. C’est dans la mouvance
du siècle des Lumières, à la fi n du XVIIIe siècle, que François
Cointeraux propose de créer une science nouvelle qu’il
nomme « agritecture ». Elle entend fédérer les savoir-faire de
l’architecture et de l’agriculture. Il anticipe de deux siècles les
recherches actuelles en faveur d’une « architecture verte »
et d’une « agriculture urbaine ». Sa vision pionnière dépasse
ainsi l’opposition entre ville et campagne et propose un amé-
nagement du territoire respectant les qualités et spécificités
biologiques et paysagères des écosystèmes. Dans le sillage de
la pensée de Cointeraux, il est primordial de comprendre que
l’eau est une composante essentielle de toute architecture en
terre crue.

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LOGIQUES CONSTRUCTIVES

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COMMENT RÉSISTENT
LES MAÇONNERIES
EN TERRE CRUE ?
HUGO HOUBEN ET HENRI VAN DAMME

a terre crue est un matériau constitué d’une myriade C’est le frottement entre les grains qui détermine avec préci-

L de grains minéraux de nature et de taille très


diverses. La terre est incontestablement une matière
en grains ! Prenons l’exemple d’un mur en pisé de 1 mètre
sion la pente du tas, appelée « angle de repos ». D’environ 35°
pour beaucoup de sables, il est d’autant plus important que les
grains sont anguleux et rugueux. Cette donnée est indépen-
de longueur, 2,5 mètres de hauteur et 40 centimètres d’épais- dante de la hauteur du tas.
seur : il contient approximativement 600 millions de milliards
de grains. Les plus gros d’entre eux − des cailloux d’environ COHÉSION Le second mécanisme qui contrôle la résistance
5 centimètres de diamètre et de forme plus ou moins sphérique d’un mur en terre crue est la cohésion, à savoir la force
− sont 25 000 fois plus grands que les plus petits. Ces der- moyenne qui attire les grains les uns vers les autres et qui
niers se présentent sous la forme de plaquettes − les argiles − renforce le frottement. Les grains, comme tous les corps phy-
dont la taille est inférieure à 0,002 millimètres. Pour prendre siques terrestres, sont soumis à deux types de forces : la gra-
véritablement conscience de ce que représente cette énorme vitation et les forces qui résultent de l’interaction de charges
quantité de grains, il faudrait les compter. Mais au rythme de électriques. L’attraction gravitationnelle, intrinsèquement
1 grain par seconde, cela prendrait 19 milliards d’années, soit très faible, est négligeable entre deux cailloux, deux grains de
plus que l’âge de l’univers (13,8 milliards d’années) ! sable ou deux feuillets d’argile. En revanche, les forces élec-
triques peuvent être considérables, même entre de très petits
EMPILEMENT DES GRAINS Cette énorme masse granulaire n’est objets. Ce sont elles qui attirent les charges positives vers les
pas loin de constituer la plus grande quantité de grains qu’il charges négatives.
soit possible d’entasser dans le volume d’un mur. Une très
forte compacité est la première condition à remplir pour COHÉSION CAPILLAIRE Le sable est probablement la matière gra-
rendre un mur solide et durable, car tout espace vide est un nulaire qui se prête le mieux à une illustration de la cohésion
point de rupture potentiel. Pour l’obtenir, il faut tout d’abord que les forces électriques sont capables d’induire à travers le
contrôler la granularité du matériau, c’est-à-dire la proportion mouillage. La cohésion d’un sable parfaitement sec est négli-
de grains d’un diamètre donné, le but étant que les vides lais- geable. Essayez donc d’ériger une paroi verticale, même très
sés par ceux de taille supérieure soient occupés. Il faut que petite, avec du sable sec ! C’est presque impossible. Une ava-
chacun trouve sa place et que le mélange soit le plus homo- lanche se déclenchera dès que la hauteur de la paroi dépas-
gène possible. Un bon mélange est donc une autre condition sera quelques grains. Tout change dès qu’il y a un peu d’hu-
à satisfaire. Ce qui serait simple avec des liquides l’est beau- midité. Elle se condense sous forme liquide dans les espaces
coup moins avec des grains car ils ont naturellement ten- étroits qui séparent les grains, sous l’influence des forces
dance à s’agglomérer en fonction de leur taille. Un mur n’est qui attirent les molécules d’eau et la matière du sable. Sous
pas un simple empilement. C’est un assemblage résistant, cette même influence, l’eau liquide tend à s’étaler sur la sur-
capable d’assurer sa verticalité en résistant a minima à son face des grains qu’elle mouille. Elle se met donc en tension,
propre poids. Il faut donc qu’il existe aussi des mécanismes ce qui attire les grains les uns vers les autres. Ces « ponts »
empêchant les grains de rouler les uns sur les autres et le mur liquides, à la forme caractéristique en diabolo, sont appelés
de s’effondrer. Ils sont au nombre de deux. « ponts capillaires », et la cohésion qui en résulte est nommée
« cohésion capillaire ». Elle augmente avec l’humidité relative
FROTTEMENT Le premier mécanisme est le frottement. La sur- de l’air ou par un apport modéré d’eau liquide, pour atteindre
face d’un grain, comme celle de tout matériau, est rugueuse, un équilibre optimal lorsque la quantité d’eau est de l’ordre
même s’il faut parfois descendre à l’échelle atomique pour de 1 %. La construction d’une paroi verticale en sable devient
déceler cette rugosité. Cette dernière, due à des aspérités, est alors une opération certes toujours risquée, mais réalisable
à l’origine du frottement entre deux surfaces ; elle oppose une sur une hauteur appréciable. Avec du sable fi n, les calculs et
résistance au glissement d’autant plus forte que l’on presse les l’expérience montrent que sur une base de 20 centimètres,
surfaces l’une contre l’autre. C’est ce frottement – ou cette fric- on peut ériger une colonne de plus de 2 mètres. Au-delà de
tion – entre les grains qui permet à du sable sec qui s’écoule l’équilibre optimal, lorsque la quantité d’eau est telle que tous
de ne pas s’étaler en galette, mais de former un tas conique. les grains sont mouillés et même noyés, la tension de l’eau

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s’évanouit − tout comme la cohésion − et l’édifice s’écroule. s’assèche et que les ponts capillaires s’évaporent, les pla-
Le mécanisme de cohésion capillaire à l’œuvre avec le sable quettes s’approchent suffisamment les unes des autres et de
s’applique aux autres grains présents dans un mur en pisé la surface des autres grains pour que des forces électriques
(ou une brique d’adobe), qu’ils soient plus gros (gravier et cail- directes, n’agissant plus par l’intermédiaire d’un liquide
loux) ou plus petits : limons, argiles et autres grains très fi ns, mouillant, puissent entrer en jeu.
dits « colloïdaux », comme les oxydes de fer, d’aluminium ou Cette évolution continue des forces attractives dominantes
de manganèse, particulièrement présents dans les sols tropi- en fonction de l’humidité relative permet à la construction en
caux. Plus les grains sont petits, plus il y a de ponts capillaires terre de s’adapter à tous les climats tant que l’arrivée massive
par mètre cube de mur et plus le mur est résistant. Diminuer d’eau à l’état liquide est évitée. Déjà suffisamment résistant
la taille des grains d’un facteur mille augmente la résistance dans des conditions atmosphériques très humides, un mur
du mur d’un facteur dix, ce qui permet de construire dix en pisé le deviendra encore plus dans des conditions très
fois plus haut ou d’augmenter d’autant la charge supportée. sèches. Il n’est pas étonnant que de nombreuses construc-
Autrement dit, avec un sol tropical riche en argiles et oxydes tions anciennes bâties en terre crue aient si bien résisté au
de fer, c’est une colonne de plus de 20 mètres que l’on pourrait cours des siècles.
ériger sans élargir la base (20 centimètres). Et pour la raison
qui suit, on pourrait probablement faire plus fort encore…

COHÉSION PAR FORCES ÉLECTRIQUES Le cas des argiles mérite un


examen particulier. Contrairement aux autres grains, leur
morphologie est le plus souvent feuilletée (ou « plaquettaire »)
et ils sont lisses, ce qui augmente singulièrement la surface
de contact et les possibilités de rapprochement. Ainsi, la sur-
face qui serait développée par les plaquettes d’argile de notre
mur en pisé placées côte à côte dépasserait 2 kilomètres car- Ci-dessus : les murs de maisons rurales traditionnelles de la région
rés – ce qui représente plus de 250 terrains de football. Les de Toulouse (France) associant des briques de terre crue à des éléments
conditions sont donc réunies pour que, lorsque l’atmosphère en pierre et en terre cuite.

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AMÉLIORER LES PERFORMANCES
DE LA CONSTRUCTION EN TERRE
SANS RÉDUIRE SES ATOUTS ÉCOLOGIQUES
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es couches supérieures du sol sont composées de des architectures de terre, les volumes de liant ajoutés – de

L diverses strates (ou horizons) résultant d’un long


processus naturel de fragmentation, de migration,
de précipitation, de cimentation et même de reconstruction.
3 à 10 % de la masse – sont considérables. L’autre évolution,
plus récente, est le transfert vers la construction en terre de
technologies industrielles liées au béton afi n de diminuer le
La strate superficielle, où s’enracinent les plantes, est un sol besoin de main-d’œuvre et d’accélérer la mise en œuvre. Grâce
fertile dont la richesse en matières organiques et minérales au contrôle précis de la répartition des grains par tailles et à
est vitale pour l’agriculture. C’est sous cette première couche l’usage de dispersants des argiles, on formule désormais des
que gît la terre crue utilisée pour la construction, parfois en mélanges de terre à faible teneur en eau (de l’ordre de 15 %
mélange de deux ou trois variétés de terre de façon à optimi- seulement) que l’on peut déverser (« couler ») dans un coffrage
ser la constitution granulaire du matériau. Le caractère natu- comme on le fait avec du béton ordinaire. En permettant une
rel de cette ressource explique principalement son excellent meilleure densification des argiles après séchage, l’usage de
bilan environnemental. Correctement sélectionnée, préparée dispersants améliore autant la résistance à la compression
et mise en œuvre, la terre crue est un matériau de construc- que si l’on ajoutait du ciment. Certaines terres fluidisées par
tion durable, totalement et indéfi niment recyclable. Elle pré- des polymères « superplastifiants » de dernière génération se
sente une très faible empreinte écologique. Nombre de maté- révèlent même « autoplaçantes » ou « autonivelantes ». Plus
riaux de construction industriels ne peuvent pas égaler ce besoin d’assurer la vibration mécanique des terres ainsi enri-
bilan remarquable car ils résultent soit de l’exploitation de chies pour qu’elles s’étalent lors de la fabrication d’une dalle
ressources limitées, soit d’une utilisation massive d’énergie, de sol ou qu’elles se faufi lent entre les armatures d’un coffrage
soit encore d’un traitement ou d’une formulation chimique lors de son remplissage. D’autres mélanges, au contraire, se
complexes. rigidifient suffisamment vite, une fois en place, pour pouvoir
Malgré cela, la construction en terre crue doit faire face à être utilisés selon la récente technique de l’impression 3D. Et la
de nombreux défis. En laboratoire par exemple, elle réussit combinaison des deux techniques – fluidification dans un pre-
difficilement les tests de performance mécanique et de dura- mier temps, puis rigidification accélérée – permet désormais de
bilité (résistance à l’érosion…) qui ont été élaborés pour les couler puis de décoffrer un ouvrage en terre aussi rapidement
matériaux industriels et qui ne sont donc pas adaptés aux que s’il s’agissait de béton.
spécificités de la terre. D’autres défis sont liés aux particu-
larités techniques de la construction en terre, qui implique Du point de vue de l’impact sur l’environnement, ces évolu-
souvent le recours intensif à une main-d’œuvre qualifiée. tions soulèvent diverses questions. Même après stabilisation,
Cela entraîne, surtout dans les pays industrialisés, un coût la terre reste un matériau de construction modeste. Sa résis-
relativement élevé et une durée de construction peu compa- tance à la compression est relativement faible, allant d’une
tible avec les objectifs actuels de productivité. L’image peu fraction de mégapascal à une vingtaine de mégapascals dans
moderne de la construction en terre, surtout aux yeux des le meilleur des cas, la moyenne tournant autour de quelques
populations autochtones des pays émergents, est enfi n une mégapascals (1 mégapascal correspond à 100 grammes par
autre difficulté. millimètres carré). Cela conduit généralement à ériger des
parois massives, ce qui a des avantages – en particulier, pour
Ces constats ont conduit à deux évolutions majeures. La pre- les usagers, en termes de confort hygrothermique –, mais qui
mière est l’ajout, désormais quasi systématique, surtout dans entraîne aussi une augmentation de l’empreinte carbone de la
le pisé et les blocs de terre comprimée (BTC), d’une dose non construction. Même une faible teneur en ciment peut repré-
négligeable de liant de fabrication industrielle (ciment, plâtre, senter des volumes considérables. C’est également valable
cendre volante, laitier de haut-fourneau). Ce liant est destiné pour les dispersants synthétiques, qui ont en général une
soit à corriger la composition d’une terre qui, sans cela, serait empreinte carbone plus importante que le ciment. On peut
impropre à la construction, soit à en augmenter la résistance donc se demander dans quelle mesure ces usages préservent
mécanique, à en limiter la sensibilité à l’eau et à en améliorer la le caractère écologique de la construction en terre crue.
résistance à l’érosion. Cette modification de la terre est appelée Le pisé par exemple possède une empreinte carbone d’une
« stabilisation ». Compte tenu du caractère relativement massif vingtaine de grammes de CO2 par kilo de matière, ce qui est

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remarquablement faible. Mais les choses changent du tout climatiques ou environnementaux moyennant le respect de
au tout si on le stabilise avec du ciment. L’empreinte carbone logiques architecturales appropriées et l’apport d’innovations
moyenne du clinker (la roche artificielle qui sort du four de constructives accessibles. La terre crue s’adapte aussi à des
fabrication et qui, après broyage, fournit la base du ciment conditions sociales et économiques diverses, favorisant l’em-
Portland) est d’environ 830 grammes de CO2 par kilo, soit ploi lorsque la main-d’œuvre disponible est abondante ou, au
près de quarante fois plus que le pisé. L’incorporation, même contraire, permettant de privilégier la réduction des coûts et
modérée, de ciment dans la terre entraîne donc une augmen- le rendement lorsque le prix de la main-d’œuvre risque de ne
tation significative de l’empreinte carbone. pas rendre le projet compétitif. La stabilisation avec des liants
hydrauliques peut malgré tout se révéler la meilleure solu-
Il est également intéressant de mettre en perspective le gain tion lorsque le bilan social ou tout simplement la faisabilité
de performance mécanique et le coût environnemental en l’emportent sur le bilan environnemental. Enfi n, la recherche
fonction du taux de ciment utilisé pour la stabilisation. Le d’adjuvants et de technologies ouvrant la voie aux logiques de
calcul a été fait pour différents modes d’utilisation de la terre construction les plus avancées n’est en rien incompatible avec
crue (adobe, pisé, blocs de terre comprimée), et ces données le développement de l’architecture de terre crue, pour autant
ont été comparées à celles obtenues pour plus de mille sortes que cela ne sacrifie pas la frugalité de ce matériau naturel
de bétons, allant des bétons ordinaires aux BTHP, les bétons à au profit d’une abusive quête de modernité à tout prix. C’est
très haute performance. Les résultats sont pour le moins trou- à cette condition que la construction en terre crue pourra se
blants. Il faut en effet incorporer 5 kilos de ciment par mètre généraliser au XXIe siècle, tout en gardant son âme et en valo-
cube de béton (dans un « bon » béton de type BTHP) pour risant ses atouts écologiques.
obtenir une augmentation de la résistance de 1 mégapascal,
alors qu’il en faut deux fois plus pour obtenir le même résultat
avec les blocs de terre comprimée (BTC), entre six et huit fois
plus avec le pisé, et encore plus avec les briques d’adobe stabi- POUR EN SAVOIR PLUS
lisées. Le calcul de l’empreinte carbone va dans le même sens. Van Damme et Houben 2018.
Alors que 1 mètre cube de BTHP émet moins de 5 kilos de CO2
par mégapascal d’augmentation de la résistance, les émis-
sions de l’adobe ou du pisé stabilisés sont près de dix fois plus
importantes pour obtenir le même résultat mécanique. La sta-
bilisation des blocs de terre comprimée (BTC) est la meilleure
solution – ou plutôt la moins mauvaise –, avec un indice com-
parable à celui des bétons de bas de gamme. La conclusion est
évidente : la stabilisation de la terre crue avec du ciment n’est
recommandable ni en termes mécaniques ni en termes envi-
ronnementaux. Elle ne conduit qu’à de très modestes béné-
fices, tout en utilisant de grands volumes de liant. Une même
analyse sur la terre fluidifiée puis rigidifiée à l’aide de disper-
sants et de coagulants inorganiques ou organiques aboutirait
à une conclusion similaire. L’empreinte carbone des compo-
sés utilisés peut considérablement diminuer le caractère éco-
logique de la construction en terre. Est-ce à dire que la terre
crue n’a pas droit au titre de « matériau moderne », ni voca-
tion à accéder à une forme de rationalisation industrielle ?
En aucune façon ! D’une part, la construction en terre non
stabilisée et non « adjuvantée » reste une pratique durable
quoique perfectible. Elle est capable de s’adapter aux aléas

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HOMMAGE
AUX ANIMAUX
BÂTISSEURS

Très longtemps avant que les hommes ne


construisent leurs premiers logements en
terre crue – les plus anciens sont apparus
en Mésopotamie il y a près de 10 000 ans –,
les animaux utilisaient déjà ce matériau pour
édifier leur habitat au sein de multiples éco-
systèmes. Ils font ainsi preuve d’un authen-
tique génie bâtisseur. Les nids des oiseaux,
d’une grande diversité de formes, sont bien
connus. Au Canada, les castors construisent
des barrages à travers les rivières afi n de
réguler le flux de l’eau en fonction de leurs
pratiques de vie collective. Certaines gre-
nouilles du Brésil érigent autour d’elles une
enceinte protectrice dont la logique construc-
tive s’apparente à celle de la bauge. En Austra-
lie, un crabe est capable d’élever rapidement
au-dessus de lui une voûte résistante en terre
sableuse. Mais ce sont les termites qui ont éla-
boré la logique architecturale la plus sophis-
tiquée. En Afrique, ces hautes levées de terre
– mélangée à des sécrétions organiques –
peuvent atteindre 8 mètres de hauteur (page
de droite). La structure de ces « tours » est
conçue pour assurer une ventilation passive
et le maintien d’une température et d’une
hygrométrie optimales. Ces écoconstructions
remarquables garantissent ainsi un microcli-
mat intérieur propice à la culture d’un cham-
pignon indispensable à la vie des colonies
de termites. La température intérieure y est
maintenue à 27 °C – avec un écart toléré d’un
seul degré –, alors que celle de l’extérieur peut
varier de 0 à 40 °C. Ainsi, le génie des termites
leur permet de relever en permanence un
défi climatique auquel l’homme du XXI e siècle
peine à répondre. J. D. et R. E.

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Ci-dessous : l’artiste Silla Camara assure (vers 1985)

HOMMAGE l’ornementation murale des maisons du village de Djajibinni


en Mauritanie (voir p. 172-175).

AUX ARTISANS Page de droite : le maître maçon El Hadji Falké Barmou,


lauréat en 1986 de l’Aga Khan Architecture Award pour
DE LA TERRE sa mosquée de Yamaa édifiée en 1982 à Tahoua au Niger
(voir p. 490).

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Les hommes déploient parfois leur talent pour développer un imagi-
HOMMAGE naire architectural qui complète avec bonheur le passage à l’acte sur le
chantier. Cette dimension artistique est particulièrement bien illustrée
À L’IMAGINAIRE par les compositions graphiques de l’architecte catalan Josep Esteve.

DES BÂTISSEURS Membre fondateur du CRAterre, il a participé durant les années 1970 au
programme pilote d’habitat social de Rosso, en Mauritanie (voir p. 388).
Pour mettre en valeur les savoir-faire locaux, il a développé des modes
de construction en arc, coupole et voûte dite « nubienne » en brique
crue. En complément de ces actions sur le terrain, le dessin a toujours
été pour lui un moyen d’expression essentiel. Il exécute avec la même
aisance les plans minutieux des bâtiments qu’il va édifier (ci-contre) et
créations graphiques représentant des architectures fantasmagoriques
et néanmoins fondées sur une connaissance profonde des logiques de
la construction en terre. Au cœur de ce langage complexe et inventif,

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il révèle les qualités formelles et spatiales de ces systèmes construc-


tifs, leurs contraintes fonctionnelles et leurs exigences techniques. Ses
dessins aquarellés composent avec virtuosité un univers architectural
féerique. Ils donnent à voir la dimension onirique des architectures de
terre. Ces compositions harmonieuses donnent en partage la respira-
tion ludique et poétique dont le monde de la construction a tant besoin.
H. G.

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Parmi les techniques de construction en terre crue, le pisé est l’une de
CONSTRUIRE EN PISÉ celles qui permettent d’élever des murs porteurs sur plusieurs étages.
De nombreux monuments anciens à travers le monde prouvent la
remarquable résistance de cette maçonnerie monolithique. Sa mise
en œuvre est assurée par un damage manuel ou mécanique dans des
coffrages latéraux (en bois ou en métal), par couches successives de
terre légèrement humide de 12 à 15 centimètres de hauteur. L’épaisseur
de ces murs varie de 40 à 60 centimètres suivant le nombre d’étages.
Cette technique ancestrale est présente partout dans le monde, mais
c’est surtout au Maroc, en Espagne et en France qu’on en apprécie les
applications traditionnelles ou contemporaines les plus élaborées et
nombreuses. Modernisé en France par François Cointeraux dès 1790,
le « nouveau pisé » s’est généralisé dans le monde durant le XIX e siècle.

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Cette actualisation se poursuit depuis la fi n du XX e siècle, notamment


avec le CRAterre et Martin Rauch en Europe, Rick Joy aux États-Unis POUR EN SAVOIR PLUS
ou Elie Mouyal au Maroc. Hannsjörg Voth a élargi l’usage du pisé à Houben, Guillaud et CRAterre 1989, CRAterre 2018 .
l’art contemporain en érigeant des œuvres monumentales de land art
au Maroc. De nouveaux modes de mise en œuvre – dont le pisé préfa-
briqué inventé en 1986 en France par le maître maçon Nicolas Meunier
– visent à alléger la tâche des ouvriers et à assurer une construction
plus rapide. Un système de compression automatisé permet désormais
de réaliser des éléments de mur qui, après séchage, sont mis en place
avec des engins de levage. Si le pisé a une composition granulaire opti-
male (gravier, sable et argile), il n’a pas besoin d’être stabilisé à la chaux
ou au ciment pour augmenter sa résistance. J. D.

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CONSTRUIRE
EN BAUGE

La bauge est une technique de construction


traditionnelle à base de terre argileuse mélan-
gée à de l’eau et de la paille, des herbes ou des
branches fi nes. Ce mélange est souvent modelé
en boules encore à l’état plastique. Pour élever
un mur, on les accumule en couches horizon-
tales successives de 40 à 60 centimètres de
hauteur, puis on les ajuste et on les lisse. La
bauge a notamment été mise en œuvre pour
édifier les palais royaux d’Abomey au Bénin et
les habitations de forme organique des cultures
lobi et gourounsi au Burkina Faso, mais aussi
en Afghanistan (technique du « pakhša »), au
Yémen et en Arabie, dans la région de Najran
(voir p. 242-245) et en Afrique subsaharienne
(ci-contre). L’usage de la bauge était aussi fré-
quent en Angleterre, principalement dans le
Devon, où elle est appelée cob. En France, cette
technique ancienne était surtout employée
dans les régions de Rennes (Bretagne), du
Cotentin et du Bessin. Elle fait désormais l’objet
d’innovations, notamment avec la construction
en 2003 de l’immeuble d’habitation Salvatierra
à Rennes, dont la façade sud a été érigée en
empilant à l’aide d’une grue de gros éléments
de bauge préfabriqués qui servent d’accumula-
teur de l’énergie solaire directe. H. G.

POUR EN SAVOIR PLUS


McCann 1983, Petitjean 1995, Scherrer 2003.

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Collection Alain Klein architecte ; p.233 (H) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.233 (B) © Mohand Abouda ; p.234-235 (B) © Gert Chesi ; p.235 (H) © René Gardi ; p.236-237
© javarman / Shutterstock.com ; p.238 (BG) © Christophe Boisvieux / Hemis.fr ; p.238 (HD) © Bastin & Evrard SPRL / Adagp, Paris 2019 ; p.239 (HD) © Trevor H. J. Mar-
chand ; p.238-239 (BD) © Nick Ledger / Alamy / Photo12 ; p.240 (HG) © Harper Collins / TAA / Aurimages ; p.240 (BD) © Pascal et Maria Maréchaux ; p.240-241 © Christian
Darles ; p.242 (HG) © Eric Lafforgue / Alamy / Photo12 ; p.242 (BG) © John Warburton-Lee Photography / Alamy / Hemis.fr ; p.243 (HD), 242-243 (B) © Parice Doat / CRA-
terre ; p.244 (H, B), 245 © Thierry Mauger ; p.246 (H) © Urs Flueeler / Alamy / Photo12 ; p.246-247 (B) Collection: André Stevens ; p.247 (H) © Houda Kassatly ; p.248 (H)
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(B) © Marie Schuiten ; p.251 (H) © Henry Westheim Photography / Alamy / Photo12 ; p.252 (H) © Ana Flasker / Alamy / Photo12 ; p.252-253 (B) © Tuul et Bruno Morandi ;
p.254 © Ana Flasker / Alamy / Photo12 ; p.255 (H, B) © Marie Schuiten ; p.256 (H) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.256 (M) © Christian Lignon ; p.256 (B) © CRAterre /
Romain Anger et Laëtitia Fontaine ; p.257 (H) © CAUE du Gers ; p.257 (B) © CRAterre / Patrice Doat ; p.258 (B) © Gilles Targat / Photo12 ; p.259 (H) © Richard Weil ; p.259
(M) © CRAterre / Philippe Bardel ; p.259 (B) © Mark Jones / Alamy / Photo12 ; p.260 (H) DR ; p.261 (HG) © travelib prime / Alamy / Photo12 ; p.260-261 (B) © Incamerastock
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quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Patrick Gries / Bruno Descoings ; p.266 © Alberto Arzoz.Design Pics / Alamy / Photo12 ; p.267 © Jean-Pierre De
Mann / AGE / Photo12 ; p.268 (H) © Jean Dethier ; p.268 (M) © Chris Mellor / Lonely planet / Getty Images ; p.268 (B) © Andrew Wilson / Alamy / Photo12 ; p.269 © Juergen
Ritterbach / Alamy / Photo12 ; p.270 (BG) © Jean Dethier ; p.270-271 © René Burri / Magnum Photos ; p.272 (H) © Trevor H. J. Marchand ; p.273 (HD) © Christian Heeb /
Alamy / Photo12 ; p.272-273 (B) © Pascal et Maria Maréchaux ; p.274 DR ; p.275 (H) © Pascal et Maria Maréchaux ; p.275 (B) © Aga Khan Trust for Culture / Courtesy of
Salma Samar Damluji ; p.277 (HG) © Design Pics Inc / Alamy / Photo12 ; p.277 (HD) © Bastin & Evrard SPRL / Adagp, Paris 2019 ; p.276-277 (B) © Deidi von Schaewen ;
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fotostock / Photo12 ; p.285 (HG, MG, BG) © Aldo Pavan / AGEfotostock / Photo12 ; p.285 (HD) © Louise Batalla Duran / Alamy / Photo12 ; p.285 (MD) © Eric Lafforgue /
Alamy / Photo12 ; p.285 (BD), 286 (HG, BG), 287 (H) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.287 (B) © Adriandne Van Zandbergen / Alamy / Photo12 ; p.288 (HG) © Leonid Andro-
nov / Alamy / Photo12 ; p.288 (BG) © Michele Burgess / Alamy / Photo12 ; p.288-289 (B) © Tuul et Bruno Morandi ; p.289 (HG) © Fabian von Poser / ImageBROKER / Pho-
to12 ; p.289 (HD) © Robert Harding / Alamy / Photo12 ; p.291 © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.292-293 © Marion Tabeaud ; p.295 (H) © Gimhae Clayarch Museum ; p.295
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Gabriel Ojéda ; p.354-355 © Adagp, Paris, 2019. Photo © Artcurial ; p.356-357 © Germain Rozo et Claire Guyet ; p.359 © Bruno Klomfar ; p.361 © Marc Auzet / Juliette
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Voûte Nubienne (AVN) ; p.390 (H) © Dominique Appia ; p.390 (B) © Ruth Eaton ; p.391 (H) © Jean-Claude Planchet ; p.391 (B) © Jean Dethier ; p.392 (H), 393 (M, B) ©
CRAterre / Thierry Joffroy ; p.392 (MH, MB, B) © Dominique Pidance et Alain Lebahl ; p.393 (HG) © CRAterre / Patrice Doat ; p.394 (HD, HG) © CRAterre / Thierry Joffroy ;
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Hursley ; p.400 (H, B), 401 © Luigi Rosselli Architects ; p.400 (M) © Edward Birch / Luigi Rosselli Architects ; p.402 (H, M), 403 (H) © Dario Angulo ; p.402-403 (B) © Andrei
S. ; p.404 (HG, HD, B), 405 (MG, MD, B) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.405 (H) © Elie Mouyal ; p.406 (H), 407 (H) © Dominique Gauzin-Muller ; p.406 (B) © Bruno Klom-
far ; p.407 (B) © Ralph Feiner ; p.408 (M, B), 409 (H, B) © Rama Estudio / JAG ; p.410 (H) © Thomas Ott / www.o2t.de; p.410 (M, B) © Pierre Mignot ; p.411 (H) © By Reg›
- Régis L›Hostis ; p.411 (M, B) © Alberto Cosi / Chiangmai Life Architects ; p.412 (H) © Ossart+Maurières, architectes. Photo © Nicolas Schimp ; p.412 (M) © Onerva
Utriainen ; p.412 (B) © Thomas Jay - Caracol Architectures ; p.413 (H) © Bluff Design Build ; p.413 (B) © Amateur Architecture Studio ; p.414 (H) © Lothar Steiner / Alamy
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lazi ; p.416-417 (B) © David Mastalka / A1 architects ; p.418 (H) © Francis Kéré ; p.418 (M) © Architectural Review ; p.418 (B) © Francis Kéré ; p.419 (H, B) © Erik-Jan
Ouwerkerk ; p.420 (M), 421 (H), 420-421 (B) © Kurt Hoerbst ; p.422 (H) (c) © Adagp, Paris 2019. Photo © Faly Randrianjatovo ; p.422 (MH, MB, B) © Kikuma Watanabe ;
p.423 (H) © Mu Jun ; p.423 (B) © Chiangmai Life Architects ; p.424-425 © Erik Jan Ouwerkerk ; p.426 (H) © Christophe Malecot / Yann Letenier SCB / André Berthier et
Joseph Frassanito Architectes ; p.426 (B) © Guillaume Lavesvre / André Berthier et Joseph Frassanito Architectes ; p.427 (H, M, B) © Encore Heureux et Co-Architectes ;
p.428 (H) © Keith Morris / Alamy / Photo12 ; p.428 (M) © Pascal et Maria Maréchaux ; p.428 (B) © Cariddi Narulli ; p.429 (HG, HD) © Odile Vandermeeren ; p.429 (M)
© Gustave Deghilage ; p.429 (B) © Kurt Hoerbst ; p.430 DR ; p.431 (HG, HD) © Michel Denancé ; p.431 (B) © Sandra Pereznieto ; p.432-433 (B), 433 (H) © Amateur Archi-
tecture Studio ; p.434-435 (H, B) © Miléna Stefanova ; p.436 (H) © Manuelle Roche / Adagp, paris 2019 ; p.436 (M) © Jean Dethier ; p.436 (B) © Luis Gordoa ; p.437 (H)
© Andrea Maretto for Kéré Architecture ; p.437 (B) © Kéré Architecture ; p.438 (H, B) © RPBW ; p.438-439 (HD, BD) © Archivio Emergency ; p.440 (H) © Craig Lamotte ;
p.440 (B) © Ben Wrigley ; p.441 (H) © Gregory Burgess Architects ; p.441 (M) © Gregory Burgess ; p.441 (B) © Trevor Mein ; p.442 (H) © Frédéric Hédelin ; p.443 (H) © Nic
LeHoux / DIALOG ; p.443 (B) © CRAterre ; p.444 (H) © James Wang ; p.445 (H) © Eskaapi ; p.444-445 (B) © Robust Architecture Workshop ; p.446 (HG, HD, B), 447 (H, B)
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Doradzillo ; p.451 (H) © Aga Khan Trust for Culture / Amir-Massoud Anoushfar (photo) ; p.451 (B) © Laurent Séchaud (architecte et photo). Source: Aga Khan Trust for
Culture ; p.452-453 (B), 453 (H) © Héctor Santos-Díez ; p.454 (H) © John Gollings ; p.454 (M) © Greenway Architects ; p.454 (B) DR ; p.455 (HG) © Denis Coquard ; p.455
(MG, B) © Charlie Shepperd ; p.455 (HD, MD) © Bruno Ruffini ; p.456 (HG) © EDF / Dominique Guillaudin ; p.456 (HD, B) DR ; p.457 (H) © MC2 Patrick W. Mullen III ; p.457
(B) © Felix Beato ; p.458 © Nic LeHoux / DIALOG ; p.459 (H, B) © Bruno Klomfar ; p.460 (H) © Steven Jimel ; p.460 (M) © Abey-Smallcombe ; p.460 (BG) © Alain Klein
architecte ; p.460 (BD) © Mathilde et Nicolas Béguin / Atelier Alba ; p.461 (HG) © Gisèle Taxil ; p.461 (HD) © Daniel Duchert, 2016 ; p.461 (B) © Tim Nolan 2014 ; p.462 (H)
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vière Avon sur mur de 12 x 20 m © Adagp, Paris 2019. Paddy Japaljarri Sims, Paddy Japaljarri Stewart, Neville Japangardi Poulson, Francis Jupurrurla Kelly, Paddy Jupur-
rurla Nelson, Franck Bronson Jakamarra Nelson, Towser Jakamarra Walker, membres de la communauté Yuendumu, Yam Dreaming, 1989 (au sol) © Warlukurlangu artists
of Yuendumu. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI Bibliothèque Kandinsky, Dist. RMN-Grand Palais / Béatrice Hatala / Konstantinos Ignatiadis ; p.463 (H) Andy
Goldsworthy. Clay wall. Musée Départemental de Digne, Digne-les-Bains, Haute Provence, France. June 1999 © Andy Goldsworthy. Photo © Camille Moirenc / Hemis.fr ;
p.463 (B) © Adagp, Paris, 2019. Photo © Eloïse Dethier-Eaton ; p.464 (H) © Terunobu Fujimori. Photo © Alamy / Photo12 ; p.464 (B) © Mona Hatoum. Courtesy Galerie
Chantal Crousel (Photo: Marc Domage) ; p.465 © Holt / Smithson Foundation/ ADAGP, Paris, 2019. Photo © Nathan Allred / Alamy / Photo12 ; p.466 (H), 467 (HG) © Ingrid
Amslinger ; p.466 (B), 467 (B) © ImageBROKER / Photo12 ; p.467 (HD) © Hannsjörg Voth ; p.468 (H), 469 (HG, HD) © H+N+S landscape architects ; p.468-469 (B) © Irvin
van Hemert ; p.470-471 © KCphotography / Alamy / Photo12 ; p.472-473, 479 © Joly&Loiret, L+R, Amateur Architecture Studio ; p.481 © Satprem Maini (Auroville Earth
Institute) ; p.487 © James Wang ; p.488 (H), 489 (H) © Ron Cobb ; p.488 (B), 489 (B) © Luc Schuiten ; p.490-491 © James Wang ; p.493 (G, M, D) © Gino Maccarinelli ; p.510
© Marie Schuiten

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CRÉDITS

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Directrice Èditoriale
Julie Rouart

Responsable de líadministration Èditoriale


Delphine Montagne

…ditrice
Marion Doublet, assistée d’Anémone Soter

Conception graphique
Marc Walter
Pierre-Yann Lallaizon / Studio Recto Verso

Traitement et colorisation des dessins


Arthur Besnard

Iconographie
Marie-Catherine Audet

PrÈparation des textes


Clémentine Bougrat

Relecture des textes L’auteur a reçu le soutien


Colette Malandain du CNL dans le cadre d’une
bourse à l’écriture.
Fabrication
Corinne Trovarelli

Photogravure
Reproscan, Orio al Serio, Italie

© Flammarion, Paris 2019 Cet ouvrage a reçu le soutien de


N o d’édition : L.01EBUN000687 QUARTUS dans le cadre de son
ISBN : 9782081442818 engagement dans l’économie circulaire
et la construction en terre crue.

Dépôt légal : novembre 2019


Cet ouvrage a été achevé d’imprimer en octobre 2019
sur les presses de GPS Group, Bosnie.

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