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Les paysages viticoles des terrasses 

:
des espaces de convergence

Luca Bonardi

Ce texte porte sur la relation terrasses-viticulture avec une attention centrée


sur les éléments communs de cette « association », au-delà des spécificités histori-
ques, sociales et économiques qui ont caractérisé la naissance et le développement
des terrasses viticoles dans les différentes régions européennes. Un peu partout,
cette association a été à plus d’un titre fructueuse, soit que l’on regarde les vins,
soit, comme c’est le cas sur les paysages qu’elle génère.
On cherchera les éléments fondamentaux de ce « mariage », son origine, son
évolution et les conditions qui déterminent la configuration actuelle des paysages
viticoles en terrasse.
Pour la situation contemporaine, il serait mieux de parler, pour un grand nom-
bre de régions, de «  mariage en crise  » ou de «  divorce  » définitif  ; mais dans
d’autres cas, pour rester dans la métaphore conjugale, on distingue aussi les traces
d’un deuxième et plus récent « mariage d’intérêt »... entre terrasse et viticulture.

1. Aux sources des terrasses : nature et histoire

Si l’on regarde la nature, on constate l’existence d’un grand nombre d’espèces


vivantes – animaux et végétaux – qui, confrontées aux mêmes constantes du mi-
lieu naturel, ont évoluée d’une façon morphologiquement similaire. Les terrasses

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en culture, présentes dans tous les continents et partout avec des formes sembla-
bles, sont le résultat d’une évolution (cette fois technique) assez similaire. Avec des
intensités différentes, on note une similitude dans la mise en culture des versants
de la plus grande partie des reliefs compris à peu près entre 53° N (correspondant
à quelques rares terrasses qu’on devine en Angleterre) et 32° S (des systèmes pré-
sents un peu au Nord de Valparaiso et Mendoza, respectivement en Chili et en
Argentine).
Pour le bloc euro-asiatique et l’Afrique on pourrait évoquer une diffusion de
la technique des terrasses en raison des migrations et des contacts culturels entre
les différents groupes humains pour expliquer sa présence dans tous les conti-
nents. Mais on doit aussi se référer à des processus de développement spontanés
des terrasses (deux au minimum, mais très probablement plus). Ainsi, on ne pour-
rait pas expliquer autrement la présence de terrasses précolombiennes en Améri-
que du Sud, a moins de « supposer l’impossible » comme l’ont fait à ce propos les
américains Spencer et Hale au début des années soixante1.
La notion d’évolution parallèle est la traduction du fait que dans la nature tout
n’est pas possible et que les solutions avantageuses pour les espèces ne sont pas
en nombre illimité ; mutatis mutandi, les cultures en terrasses traduisent le même
concept déterministe présent dans l’histoire de certaines sociétés agricoles. Elles
sont la réponse humaine la plus efficace, la plus avantageuse et la plus répandue
aux problèmes écologiques d’érosion des sols déterminée par l’association « eau -
pente des versants ». Ces deux composants sont les variables environnementales
qui ont déterminé la naissance des cultures en terrasses sur les bords du lac Titi-
caca et dans le désert du Negev, à trois mille mètres d’altitude sur les montagnes
du Yemen et en première ligne de la mer à Banyuls.
En d’autres termes, les cultures en terrasses représentent le résultat de l’impo-
sante et « permanente » lutte humaine contre la force de gravité, qui voit son action
soutenue et amplifiée par les précipitations.
Sous une forme conceptuelle un peu différente, dans plusieurs des espaces en
terrasses on retrouve l’eau au centre de priorités agro-climatiques saisonnières :
très souvent insuffisante par rapport aux besoins agricoles, l’eau doit être capturée,
conservée et distribuée par des systèmes qui, traditionnellement, impliquent, sans
autres alternatives, la présence des terrasses.
Pour Lucien Febvre2 , de ce point de vue, la géographie des terrasses est tout
d’abord une «  science des nécessités  », pédologiques, agronomiques, économi-
ques et plus directement alimentaires qui ont traversée l’histoire humaine dans
des innombrables régions de collines et de montagnes de la Planète. Dans la na-

1.  J.E. Spencer, G.A. Hale, The Origin, Nature and Distribution of Agricultural Terracing, “Pacific
Viewpoint”, vol. 2, 1 (march 1961), Department of Geography, Victoria University of Wellington,
Wellington, pp. 1-40. Dans cet article (voir en particulier la carte de la page 33), les auteurs ont supposé
une diffusion précolombienne de la technique des terrasses en Amérique du Sud à partir d’un possible
mouvement migratoire de l’Afrique occidentale ou/et du Pacifique occidental!
2.  Cfr. la première partie de L. Febvre, La terre et l’évolution humaine, Introduction géographique à
l’histoire, La Renaissance du Livre, Paris, 1922.

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ture même l’on retrouve les réponses les plus directes à la demande, élémentaire,
« pourquoi les terrasses ? ».
Bien évidement, en posant des questions un peu plus fines relatives à la dis-
tribution des terrasses et à l’introduction de cette technique dans des temps très
différents et dans les différentes régions, on trouve aussi le rôle de l’histoire hu-
maine (politique, économique, démographique ou sociale, dans les combinaisons
les plus variées selon les cas). Surtout, on retrouve son rôle discriminant dans l’ex-
plication de la présence/absence de terrasses à des échelles géographiques compa-
ratives, régionales et locales.

Pour ce qui concerne l’histoire de cette géographie des terrases, les archéo-
logues ont montré l’apparition très ancienne et précoce des terrasses en culture3,
même si la plupart des systèmes qui occupent aujourd’hui les versants des monta-
gnes européennes ont une origine beaucoup plus récente.
Antciens ou plus récents, ces efforts ont produit un peu partout un patrimoine
culturel, très souvent « vivant », l’un des plus extraordinaires du globe. A ce pro-
pos, on peut souligner les nombreux paysages de terrasses présents dans la liste du
patrimoine mondial de l’Unesco, et dans laquelle on y reconnaît facilement le rôle
capital de la vigne, avec la présence des paysages viticoles de la Vallée du Duero
(Portugal), de Lavaux (Suisse), de les Cinque Terre (Italie), de la Wachau (Autri-
che). En effet, si en Asie et en Afrique le développement des terrasses est surtout
associé à la culture des céréales, en Europe le moteur de leur édification le plus
évident a sans doute été la vigne. Sur notre continent, la culture de la vigne joue à
ce titre un rôle capital comme le sorgho et le mil en Afrique, le tef en Ethiopie, le
riz à Madagascar, en Chine, dans les Philippines…
Au-delà des convergences génétiques générales liées à l’universalité de cer-
tains facteurs écologiques, on s’aperçoit facilement de l’existence de quelques
convergences d’ordre historique présentes dans l’évolution des paysages viticoles
en terrasses. On pense ici aux processus communs qui sont présents dans les mo-
dalités de diffusion des terrasses en europe, c’est-à-dire les causes qui ont déter-
miné leur crise, crise qui se développe à partir de la deuxième moitié du XIXème
siècle (mais avec des exceptions importantes dans quelques régions), et enfin dans
les exigences de reconquête, timides pour le moment, qu’on observe depuis deux
décennies.
Pour comprendre les logiques qui sont à l’origine de la diffusion géographi-
que des terrasses viticoles, il faut initialement regarder les efforts nécessaires pour
les bâtir. Même si avec des disparités liées aux différentes conditions morpholo-
giques et lithologiques, l’édification des terrasses demande partout une énorme
quantité de travail, tout d’abord dans la construction des murs en pierre sèche.
Sur des pentes de 45°, par exemple, un hectare de terrain en terrasse nécessite en
moyenne de 2-3 kilomètres de murs, c’est-à-dire 200-300 journées de travail avec

3.  A ce propos, R. Harfouche, Histoire des paysages méditerranéens et agriculture, Archaeopress -


Publishers of British Archaeological Reports, Oxford, 2007, pp. 196-207.

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la manipulation de quelques 6.000 tonnes de matériel. Au bâti des murs, il faut


ajouter le travail initial de préparation du terrain, sans oublier que, déjà à l’origine,
il était quelque fois nécessaire d’acheter et de transporter la terre, là ou le sol natu-
rellement disponible était trop pauvre, voire absente4.
Par rapport à la plaine, la liste des charges supplémentaires s’allonge par les
travaux, annuels ou presque, nécessaires pour entretenir (et très souvent pour re-
construire) les murs et pour remonter la terre là où les pluies et la fonte des neiges
emportent la couche superficielle du sol (la lutte pérenne contre la force de gra-
vité…).
De plus, si l’on s’approche des versants en terrasses on s’aperçoit qu’ils ne
sont pas seulement de banales alternances de murs et cultures. D’autres éléments,
parfois peu visibles, déterminent des corvées et des responsabilités complémen-
taires qui impliquent une collaboration étroite entre les différents propriétaires :
par exemple les structures nécessaires pour assurer le passage sur les terrasses et
les éléments matériels qui doivent assurer la meilleure adéquation possible entre
ressources et demandes en eau. A ce propos, on reconnaît les différentes construc-
tions indispensables à l’irrigation des cultures et les solutions pour l’évacuation
des eaux en excès obtenues par la faible inclination latérale des terrasses, par des
canalisations, et, très souvent, par la superposition des voies d’évacuation des eaux
et des voies de passage (Figure 1).

4.  Des nombreux exemples sont présentés dans le volume fondamental de Philippe Blanchemanche,
Bâtisseurs de paysages : terrassement, épierrement et petite hydraulique agricoles en Europe, XVIIe-
XIXe siècles, Paris, Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme, 1990.

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Figure1 : Ruissellement des eaux et mobilité des hommes sur le même axe vertical dans des
terrasses viticoles de l’Île du Giglio (Archipel toscane, I) (Luca Bonardi, 2007).
Bref, si l’on exclut les simples rideaux et d’autres interventions similaires
(par exemple les résultats de l’épierrement des pentes dans quelques vallées des
Alpes françaises et des Alpes occidentales italiennes), l’édification et la conser-
vation des terrasses proprement dites nécessitent la mise en œuvre de grandes
énergies, sous forme de travail humain. La disponibilité de ces énergies est à la
base des conditions historiques qui expliquent la création des terrasses viticoles.
Pour comprendre leur existence il faut donc se référer à la poussée démographique
qui, dans certaines périodes historiques, a existé dans les régions de montagne ;
une «  crue  » qui s’est traduite par le besoin de terre, mais, également, par une
large disponibilité des bras nécessaires pour les opérations de terrassement des
versants qui ont agrandi la base (physique) productive. En ce qui concerne les
régions méditerranéennes et alpines, il s’agit des phénomènes actifs surtout au
XIXe siècle, quand « le poids du nombre », pour utiliser l’expression classique de
Fernand Braudel, montre toute sa force et détermine l’explosion des terrasses de
culture un peu partout. On doit imputer à cette phase l’extension des terrasses vers
des sols faiblement productifs, vers des terrains situés à des (relativement) grandes

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distances des lieux d’habitation, dans des situations morphologiques quelque fois
invraisemblables, avec la création de petites terrasses « en l’air » que l’on trouve
aujourd’hui abandonnées, dans plusieurs contextes alpins (Figure 2).
Bien évidemment, les terrasses autarciques liées à la petite paysannerie n’ex-
pliquent qu’une partie du monde viticole en terrasse. En effet, pour comprendre
l’ampleur de ces paysages il faut aussi s’intéresser à la rentabilité du secteur viti-
cole et à la disponibilité de grands capitaux, dirigés, dans un contexte de marchés
favorables, vers l’édification de systèmes viticoles en terrasses. Par les capitaux
de l’aristocratie grisonnaise l’on explique par exemple l’énorme élargissement des
surfaces viticoles en Valteline (Lombardie, I) pendant la domination Suisse, à par-
tir de 1512  ; et par des disponibilités financières importantes on explique aussi
l’existence de figures professionnelles de constructeurs de terrasses, comme par
exemple les bancaleros de l’Île de Majorque ou les restancaïres provençaux. Dans
tous les cas, là aussi l’on retrouve, véhiculé par l’argent et sous la forme du travail
salarié, la présence et l’utilisation d’importantes quantités de travail humain.

Inévitablement, les deux origines, celle de la petite vigne qui grimpe sur des
pentes impossibles et celle de la vigne riche, qui s’étend sur de grandes surfaces
assez homogènes, coexistent très souvent (sinon toujours) côte à côte, comme par
exemple en Sicile ou dans certaines régions des Alpes italiennes.
Grâce à la concomitance des phénomènes que nous venons de décrire (poussée
démographique, disponibilités d’investissement et augmentation de la demande en
vin), à l’échelle européenne les terrasses viticoles rejoignent leur probable acmé
dimensionnelle vers la moitié du XIXe siècle. Une grandeur très éphémère...

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Figure 2 : Terrasse “autarcique”, abandonnée et reboisée naturellement, à Chiavenna (Sondrio, I). (cliché de
l’auteur, 2006).

Figure 3 : Terrasses viticoles d’origine “suisse” dans la montagne de Tirano (Valteline, Sondrio, I). (cliché de
l’auteur, 2006)

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2. La débâcle après l’apogée.

Immédiatement après son apogée, la viticulture en terrasses tombe rapide-


ment dans une profonde agonie. Il s’agit d’une décadence qui se déroule en cor-
rélation avec les processus de dépeuplement de la montagne, mais qui dans le cas
spécifique de la fortement est vigoureusement aggravée par les attaques de l’oï-
dium et du phyloxera ; et ce dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec des dates
d’apparition un peu variables selon les régions. Les terrasses viticoles dédiées à
l’autoproduction paysanne payent le prix le plus lourd et très souvent définitif à
ces phytopathologies, mais les résultats sont quelque fois mortels pour des régions
entières, quelle que soit la structure foncière dominante.

De plus, ce qui reste de la petite viticulture en terrasse après les crises sera
très vite affecté par d’autres problèmes, déjà bien présents dans son « patrimoine
génétique », qui deviendront intolérables au cours du XXe siècle. On peut se réfèrer
surtout à la fragmentation parcellaire des propriétés, qui est typique de plusieurs
régions de montagne et qui, comme l’on a vu, est l’une des caractéristiques fon-
datrices de certains paysages en terrasses. A ce propos, la situation actuelle de
quelques régions viticoles en terrasses démontre bien ce phénomène et les limites
évidentes représentées par des conditions de fort morcellement des terres5.
En Valteline, les 2500 kilomètres de murs en pierre sèche soutiennent ac-
tuellement 915 hectares de vignobles, ce qui ne représente que 30 % de la surface
cultivée au XIXe siècle. On peut comprendre quelques aspects de cette évolution si
l’on considère que dans cette vallée alpine seulement 1% des entreprises dispose
de surfaces cultivées supérieures à trois hectares et que, par contre, plus de la moi-
tié ne dispose que de surfaces inférieures à 0,2 hectare. Une situation fortement
agravée par la multipropriété de la plupart des petites entreprises.
A coté de la Valteline, la Valchiavenna, avec sa viticulture désormais d’ama-
teurs, montre sur ce point des conditions très semblables.
Toujours dans les Alpes italiennes, en Vallée d’Aoste, on est passé de 3000
hectares cultivés à la fin du XIXe siècle à 500 hectares aujourd’hui, dont seulement
135 en terrasses. Une débâcle qui s’arrête à partir de l’an 2000 grâce à une petite
reprise des surfaces cultivées, mais dans un contexte ou les propriétés conservent
des dimensions fortement réduites, 80% de la surface viticole (équivalent à 98 %
des entreprises) étant repartis dans des propriétés inférieures à 1 hectare.
En dehors des Alpes, on découvre les mêmes problèmes d’atomisation de la
propriété terrienne dans le contexte méditerranéen des Cinque Terre (I) et dans
la quasi-océanique Ribeira Sacra, en Espagne, où le fractionnement atteint des
résultats extrêmes : 2120 hectares de terrasses galiciennes sont distribués sur un
nombre incroyable de producteurs, avec 93,8 % des terrains viticoles divisés en
parcelles de surface inférieure à 0,2 hectare.

5.  Les donnés sur la subdivision des terres dans les différentes régions de la viticulture en terrasse ont
étés tirés des travaux de documentation du Cervim : http://www.cervim.org/zone-viticoltura-montagna.
aspx.

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De plus, l’importance de ces exemples ne doit pas nous inciter à attribuer tous
les problèmes de la viticulture en terrasse au phénomène de la segmentation de
la propriété. Il n’est que le signe de la faible rentabilité qui frappe la plupart de la
viticulture (et en général de l’agriculture) en terrasse, aujourd’hui opérante dans
un contexte économique fortement pénalisant et complètement différent de celui
de ses origines.
En effet, des obstacles très importants sont bien présents aussi dans des situa-
tions moins fragmentées (par exemple à Banyuls) tandis qu’on voit des situations
un peu moins difficiles dans des contextes fractionnés mais avec une rentabilité
suffisante pour couvrir les handicaps des terrasses, comme par exemple dans le
Canton du Valais et dans le Canton Vaud (Suisse). Même si avec une utilisation un
peu généreuse du ciment, les systèmes en terrasses de ces régions se gardent très
bien, avec des cultures qui couvrent des terrains très élevés, comme à Visperter-
minen (Valais ; Figure 4), et quelquefois les endroits plus inaccessibles, entre la
route, l’autoroute et le chemin de fer, comme c’est le cas sur la côte Nord du Lac
Léman.
Sans oublier d’autres conditions régionales spécifiques (par exemple, pour le
Valais, l’élargissement tardif de la viticulture locale par rapport aux autres régions
viticoles des Alpes), on peut souligner l’appartenance de ces régions à un marché
national favorable et, plus généralement, leur appartenance à «  l’arc gagnant  »
de la viticulture en terrasse : Trois Lac, Vaud, Valais, et depuis quelques années,
Tessin, en Suisse ; Alto-Adige en Italie ; Wachau en Autriche ; et (même si ce n’est
que partiellement en terrasses) Alsace en France, Rhin et Moselle en Allemagne.
C’est-à-dire le monde allemand et ses alentours les plus proches...
Parmi les grands paysages viticoles en terrasses, seuls les 27.000 hectares de
la Vallée du Duero, au Portugal, présentent aujourd’hui, même si pour des raisons
différentes, une situation positive comparable à celle des systèmes de l’Europe
continentale.
Le panorama de la viticulture en terrasse « vivante », se complète avec les
capacités de résistance un peu inattendues de quelques régions du “far west” euro-
péen : Îles des Açores et Madeira (P) et Îles Canaries (E) ; et à l’extrême Sud : Île
de Majorque (E), région de l’Etna et Île de Pantelleria (I), cette dernière avec 500
hectares de vignobles en terrasses.
Dans d’autres régions (Espagne méditerranéenne, PACA en France, Piémont
et Calabre en Italie, îles grecques etc.) les terrasses encore en production sont
pour la plupart fragmentées dans des unités de petites dimensions, séparées par de
grands espaces de friche. Très souvent, des processus d’abandon très marqués ont
remplacé les anciens grands paysages viticoles de ces régions par des immenses
ruines de pierre.
Dépeuplement de la montagne, morcellement, difficultés du travail, en par-
ticulier où des inclinations très fortes et des terrasses très étroites s’opposent à la
mécanisation, population âgée, manque d’aide technique, et surtout une rentabilité
insuffisante sont à l’origine de la fossilisation de ces paysages et des difficultés
présentes dans toute la viticulture en terrasse (Tableau 1).

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Figure 4 : Les terrasses viticoles de Visperterminen (Valais, CH), parfaitement entretenues
malgré l’altitude (jusqu’à 1100 mètres snm) auxquels elles se développent. (cliché : Gianni
Hochkofler, 2009).

Tableau 1 : Les principaux problèmes de l’agriculture en terrasse (tableau de l’auteur à partir
de l’Enquête A.P.A.R.E., 19836).

1) Charges de travail et coûts supplémentaires liés à une


Problèmes d’ordre exploitation agricole en terrasse
économique 2) Commercialisation et promotion des produits

1) Entretien des murs et des talus, érosion


2) Problèmes de matériel (matériel inadapté et dangeureux)
3) Problèmes d’irrigation
Problèmes agronomiques 4) Dégats des animaux sur les murs
et d’ordre techinque 5) Effets de bordures
6) Problèmes d’accès
7) Manque d’assistance technique

1) Morcellement
Problèmes d’ordre 2) Pression foncière, spéculation
foncier et législatif 3) Absence ou inadaptation des aides publiques

1) Sociaux (succession, isolement, population agée)


Problèmes d’ordre
2) Conditions de travail (danger du matériel, temps de
humain
travail, accès)

6. A.P.A.R.E. (Association pour la partecipation et l’action regionale), Bouet A., Frapa P. (chargés d’étude),
Des Agriculteurs en terrasses. Analyse, Synthèse, A.R.E.E.A.R. Languedoc Roussillon - Ministère de
l’Agriculture, Avignon, 1983

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Sauf dans de quelques petites régions, on est donc confrontés à une dichoto-
mie entre l’Europe continentale (et la Vallée du Duero) et la Méditerranée. Pour
une grande partie des terrasses méditerranéennes, l’état d’abandon peut être consi-
déré définitif, tandis que pour d’autres parties de cette région on peut imaginer une
persistance limitée à quelques petites parcelles, liées à des survivances auto-pro-
ductives ou, surtout en Italie, à des formes de commerce de proximité.

De très petites reprises après la chute

Sans oublier l’étendue et l’importance d’une crise quasi-séculaire, il faut sou-


ligner l’évidence, à partir des années 80, de quelques changements concernant
les terrasses. Une grande quantité d’actions, de projets, de programmes pour la
conservation ou la reconquête des paysages en terrasses ont étés mis en place à
partir de leur valeur culturelle.
On est témoins de l’apparition de versants en terrasses dans les lois nationales
pour la protection du paysage et dans les instruments de planification territoriale
au niveau local  ; on voit les organismes internationales s’intéresser à la conser-
vation des terrasses ; on constate l’apparition d’un grand nombre de programmes
européens centrés sur ce thème ; on voit se multiplier les opérations de récupéra-
tion et de valorisation (sentiers de découverte par exemple) des paysages en terras-
ses (voir les exemples en Figure 5). La plupart de ces actions « politiques » ont eu
de très bons résultats en terme de recherche scientifique et ils ont eu le mérite de
soulever des problèmes au niveau politique et culturel tandis que, par contre, les
résultats pratiques ont été très limités. Si l’on excepte quelques cas, ces opérations
ont étés très rarement le moteur de réhabilitations plus vastes. D’autre part, il est
bien évident qu’il existe des écarts importants entre la reconnaissance de la valeur
culturelle des paysages de terrasses, qui est à la base de ces actions, et une réelle
dimension économique.
Pour repérer d’importantes réussites productives dans les actions de réhabi-
litation, il faut donc regarder directement le monde de la viticulture. A ce propos,
en ce qui concerne l’Hexagone, on peut remarquer le travail pionnier du Syndicat
pour la renaissance du vignoble en terrasse du Pilat qui est à l’origine de la bonne
performance économique du Condrieu blanc, l’action menée à Saint-Désirat (Rhô-
ne-Alpes) avec la récupération de quelques 70 hectares de vignobles qui avaient
presque disparus au début des années 80, les initiatives conduites dans les Com-
munes de Saint-Péray et de Limony, toujours en Rhone-Alpes, la réhabilitation
d’un grand vignoble à Cevins en Savoie. Bien évidemment, des opérations sembla-
bles on étés menées également dans d’autres Pays (Italie, Suisse, Espagne).
Néanmoins, si l’on regarde le problème à l’échelle européenne, on s’aperçoit
facilement que même dans les décennies les plus récentes le bilan entre terras-
ses viticoles perdues et terrasses de reconquête gagnées sur la friche reste encore
négatif. Et même dans les contextes où l’action institutionnelle a été plus forte,
comme aux Cinque Terre, on ne peut endiguer la perte de paysage en terrasses
due à l’abandon.

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Figure 5 : Des exemples d’actions ou programmes pour la conservation ou la reconquête des
paysages en terrasses aux différents niveaux de l’échelle globale-locale.

Les actions de récupération productive sont toujours soutenues par des moyens
financiers importants, souvent garantis par le caractère associatif des initiatives.
De ce point de vue, on retrouve dans ces opérations des conditions peu différentes
de celles qui sont présentes à l’origine de plusieurs paysages viticoles en terrasse
il y a quelques siècles.

Par contre, si l’on regarde les années les plus proches, on constate l’existence
d’une nouvelle opportunité, peut-être discutable, qui est offerte à la viticulture en
terrasse. Pour utiliser l’expression de Françoise Alcaraz, il faut regarder attentive-
ment la croissante « utilisation publicitaire des paysages de terrasses »7  ; il s’agit
d’une utilisation qui tire profit des « capacités médiatiques » de ces paysages et
de leurs capacités à véhiculer un message positif sur la qualité des produits. En
effet, plusieurs expériences nous montrent des actions publicitaires centrées sur la
qualité des paysages en terrasses pouvant garantir, ou au moins faire espérer, des

7. F. Alcaraz, L’utilisation publicitaire des paysages de terrasses, Etudes rurales, 158, 2001, pp. 195-209.

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prix de vente des vins un peu plus élevés8. Sans doute, les paysages en terrasses
ont des valeurs esthétiques évidentes qui suggèrent l’harmonie du rapport entre
l’homme et l’environnement, une relation importante, au niveau économique, dans
notre temps de développement durable… Par cette relation l’on peut comprendre la
politique de plusieurs maisons qui, de plus en plus, attirent l’attention du consom-
mateur sur les paysages en terrasses qui sont à l’origine de leurs vins. Une voie
utilisé déjà par d’autres paysages viticoles.

On voit des exemples significatifs d’utilisation publicitaire des paysages en


terrasses dans les très médiatisées Cinque Terre, en Valteline, en Piémont et en
Costa Viola (Calabre), en ce qui concerne l’Italie, mais aussi en Suisse (Valais et
Lavaux) et en France (Rhône-Alpes). Des « étiquettes en terrasses », des terrasses
« en plein écran » dans les pages internet, des dépliants centrés sur les terrasses,
des visites des terrasses organisées par les services de promotion territoriale ou
directement par les producteurs et, de plus en plus, des «  terrasses télévisées  »
dans la grandissante programmation « géo-œno-gastronomique » des différentes
chaînes.
De plus, dans quelques exemples de réhabilitation de terrasses, on commence
à reconnaître la volonté de centrer la promotion du vin sur le paysage. A ce pro-
pos, on ne peut expliquer de manière différente les grands travaux qui ont lieu par
exemple sur l’Île de Pantelleria, où de vastes surfaces ont étés récemment terras-
sées par une grande maison sicilienne et grâce à d’autres investisseurs provenant
du Nord de la Presqu’île.
Dans la qualité constructive et dans les géométries très élaborées de ces nou-
velles terrasses destinées surtout à la production du Zibibo, on trouve l’idée d’un
paysage auquel on destine le rôle de mise en valeur du vin qui y sera produit : un
très beau « paysage-image » où rien nous assure, comme dans tous les cas analo-
gues, de la correspondance entre qualité du paysage et qualité du vin...
Le paysage, avec la traduction économique de ses significations socio-cultu-
relles, pourrait donc être le moteur responsable de nouvelles convergences dans
l’évolution de la viticulture en terrasse. Il est probable qu’après les étiquettes si-
gnées par les grands dessinateurs, les caves construites par les architectes à la
mode et les autres paysages viticoles déjà fortement médiatisés, l’on pourra “boi-
re” aussi de très bons murs en pierre sèche...

Luca Bonardi

8. On peut voir, à ce propos, la réussite du slogan utilisé par la coopérative L’oignon doux des Cévennes,
centré sur la « force » du paysage en terrasse (Parc National / Réserve de Biosphère des Cévennes (edits
D. Lécuyer), La remise en valeur des terrasses de culture cèvenoles, Actes des rencontres d’Alès : 23-24
octobre 1997, 1999).

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