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Anthropology of food
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Book reviews 2021
Compte-rendu de L’alimentation
au fil des saisons, la saisonnalité
des pratiques alimentaires, sous
la direction d’Adamiec, Julien et
Régnier
Karin Becker
https://doi.org/10.4000/aof.11638
Full text
Camille Adamiec, Marie-Pierre Julien & Faustine Régnier (ed.) 2020. L’alimentation
au fil des saisons. La saisonnalité des pratiques alimentaires. Presses Universitaires
François-Rabelais, Collection Tables des Hommes : Tours. 206 p.
1 Ce volume collectif, qui rassemble treize articles, est issu d’une journée d’étude
organisée au Château de Lunéville en 2017 et réunit des contributions historiques,
ethnologiques et surtout sociologiques. Le livre couvre une certaine gamme de régions
géographiques (France dans quatre cas ; Suisse, Luxembourg, Corse/Sardaigne, Maroc,
Mongolie) et se focalise sur l’époque contemporaine et le passé récent (XXe siècle, à
quelques exceptions près). Leur sujet commun, dont l’approche est novatrice, relève
avant tout de la recherche interdisciplinaire sur l’alimentation (production,
distribution, préparation et consommation). En revanche, l’aspect de la saisonnalité
n’est pas traité systématiquement, ni sur le plan des sciences naturelles (météorologie,
climatologie, biologie), ni sur celui de ses rapports avec l’existence humaine
(physiologie, psychologie) et ses diverses implications, évoquées pourtant
ponctuellement selon le cas.
2 La relation que l’alimentation entretient avec les rythmes saisonniers est presque
exclusivement étudiée par rapport à la disponibilité périodique des denrées et les
possibilités variées de « faire avec, dépasser ou valoriser » (p. 186), grâce à des
innovations techniques et des comportements individuels ou collectifs. Ainsi, le volume
se situe plutôt en marge des Food and Weather Studies, champ de recherche
relativement récent, qui étudie l’interdépendance entre les conditions atmosphériques
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et l’alimentation (denrées, cuisine, repas, etc.) (Cf. Becker et al. 2015 ; Becker &
Rittersma 2019). Le livre ne thématise pas l’influence que le temps qu’il fait peut avoir
sur le corps et l’état mental des mangeurs, qui adaptent leur régime à la température et
à l’humidité ressentie1. À part quelques brèves mentions d’un « plaisir » (p. 57, 60) ou
d’un choix « hédonique » (p. 42, 70), la « météo-sensibilité2 » des consommateurs qui
cherchent souvent à régler leur alimentation en fonction du « temps vécu » est la
grande absente de cette collection d’articles pourtant tout à fait originale. Pourquoi les
mangeurs préfèrent-ils, en France, consommer la tomate en été (p. 37-38) et la pomme
de terre en hiver (p. 41- 42), alors que ces denrées sont disponibles tout au long de
l’année ? Pourquoi est-ce que « les premiers rayons de soleil du printemps provoquent
une demande de fruits et légumes » (p. 156) ? D’où vient cette « envie » des mangeurs
(p. 101) qui contredit souvent les lois du possible ou du raisonnable ? Les statistiques
seules ne sauraient éclaircir ces désirs, et l’argument de la « fraîcheur » et « saveur »
des produits de saison, permettant une « incorporation jubilatoire » (p. 46), néglige
pourtant l’interaction entre l’atmosphère ambiante et le système sensoriel de l’individu.
3 Le rapport que le mangeur entretient avec l’alimentation saisonnière s’avère être un
phénomène assez ambivalent à plusieurs égards. Tout d’abord, la saison signifie, selon
le cas, manque ou abondance, contrainte ou choix, épreuve ou aubaine, en fonction de
la richesse ou la pauvreté des denrées offertes par la nature. Par conséquent, l’homme
cherche toujours soit à exploiter les avantages soit à surmonter les pénuries causées par
les conditions naturelles3 : à toutes les époques et partout dans le monde, la
valorisation des aliments saisonniers et le désir de l’affranchissement des restrictions
imposées par le temps qu’il fait, sont « deux faces d’une même pièce », de sorte que
« nos rapports aux saisons […] sont complexes et contradictoires » (« Introduction », p.
18 et p. 22). Comme le dit Denis Saillard à propos des livres de cuisine et des ouvrages
gastronomiques du XVIIIe au XXe siècle : « Alignement sur les saisons et désir
d’émancipation par rapport à leurs contraintes sont allés de pair » (p. 137)4.
4 Or, l’évolution historique, depuis le XIXe siècle, montre une dépendance de plus en
plus amoindrie aux influences atmosphériques, de sorte qu’à l’ère industrielle,
l’alimentation subit une « désaisonnalisation » qui va croissante. Parmi les causes, on
nomme surtout les progrès techniques sur le plan de l’agriculture, des transports, de la
conservation et des mécanismes de distribution. Il faudrait d’ailleurs ajouter la fin du
« petit âge glaciaire » (vers 1860) et le développement de la météorologie moderne
permettant une amélioration des prévisions. Par conséquent, on observe, au plus tard
pour les dernières décennies, des « disjonctions spatio-temporelles » (p. 93)
responsables d’une alimentation mondialisée et uniformisée sans rapport avec une
provenance locale et son climat. De ce constat naît, dans les sociétés post-industrielles
d’abondance, une certaine nostalgie de la nourriture saisonnière d’autrefois,
déterminée par la proximité et l’immédiateté : on observe donc une réaffirmation du
respect des saisons, le postulat d’une « resaisonnalisation » de l’alimentation trop
standardisée ressentie comme une perte de l’identité.
5 Si les mangeurs d’aujourd’hui, du moins ceux du monde occidental, ont tendance à
chercher une nourriture en harmonie avec la nature, produite selon le rythme des
saisons, cette recherche se situe dans le contexte de la revendication d’un
développement durable. Depuis l’émergence du mouvement écologiste et la prise de
conscience de la précarité de notre environnement, « manger de saison » et « manger
local » constituent ainsi un acte de refus, censé contribuer à la lutte contre le
réchauffement de l’atmosphère. Plus que jamais, la saisonnalité constitue de nos jours
non seulement une donnée naturelle, mais une construction sociale et culturelle5 (p. 15,
170, 171), qui détermine la société et structure la pensée (p. 12, 100, 138) : il s’agit, pour
citer l’avant-propos de Martin de la Soudière de « l’un de nos fondamentaux » (p. 12)
dont « nous avons besoin » (p. 13). Ainsi, un comportement alimentaire respectant les
saisons devient désormais l’objet d’un discours moralisant, motivé par la « crainte » (p.
15) et le « souci » (p. 17), faisant appel à la « responsabilité » (p. 43, 77, 188) du
consommateur : sur le plan discursif, les saisons sont donc « à la mode » (p. 15).
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Bibliography
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Notes
1 Voir notamment, à part les introductions aux deux volumes pré-cités, les articles suivants :
Ramponi (2015), Katz (2019).
2 Terme emprunté à Martin de la Soudière (1999 : 340). Voir aussi Alain Corbin (2013).
3 Pour les procédures permettant soit une maîtrise soit une exploitation de la météo, voir par
exemple, dans le collectif L’alimentation et le temps qu’il fait (Becker et al. 2015), les articles de
Fabrice Poncet sur le beurre et de Vincent Moriniaux et Anne-Hélène Delavigne sur les viandes.
4 Pour l’importance du temps qu’il fait dans les recueils de recettes, souvent organisés selon le
découpage annuel en saisons, voir aussi Notaker (2015, 2019) et Merta (2015).
5 Voir Montandon (2018).
6 Le mot saison est dérivé du latin satio « semailles ». En ancien français, il désigne la
« culture », le « labour », « l’époque de l’année où se fait une culture », le « temps favorable ». En
français moderne, le sens s’étend à « l’époque où dominent certains états d’atmosphère (Cf. von
Wartburg 1964 : 240-244).
References
Electronic reference
Karin Becker, « Compte-rendu de L’alimentation au fil des saisons, la saisonnalité des pratiques
alimentaires, sous la direction d’Adamiec, Julien et Régnier », Anthropology of food [Online],
Book reviews, Online since 24 March 2021, connection on 17 October 2022. URL :
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