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Bulletin Monumental

La façade et les travées occidentales de la cathédrale de


Chartres : nouveaux apports de l’archéologie du bâti
Pierre Martin

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Martin Pierre. La façade et les travées occidentales de la cathédrale de Chartres : nouveaux apports de l’archéologie du bâti.
In: Bulletin Monumental, tome 173, n°3, année 2015. La cathédrale de Chartres, Nouvelles découvertes. pp. 203-
214; doi :

https://doi.org/10.3406/bulmo.2015.12123;

https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_2015_num_173_3_12123;
La cathédrale Notre-Dame de Chartres, située en région
Centre-Val-de-Loire, est l’une des œuvres les plus
authentiques et les plus achevées de l’architecture
religieuse du début du XIIIe siècle. Elle fut le but d’un
pèlerinage dédié à la Vierge, parmi les plus populaires de
tout l’Occident médiéval. Par l’unité de son architecture et
de sa décoration, fruit des recherches du premier âge
gothique, par son influence considérable sur l’art du
Moyen Âge chrétien, la cathédrale de Chartres apparaît
comme un jalon essentiel de l’histoire de l’architecture
médiévale. Le remarquable ensemble de vitraux, la
statuaire monumentale des XIIe et XIIIe siècles et le décor
peint miraculeusement préservé des ravages des hommes
et du temps font de Chartres l’un des exemples les plus
admirables et les mieux conservés de l’art gothique.
LA FAÇADE ET LES TRAVÉES OCCIDENTALES
DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES : NOUVEAUX
APPORTS DE
L’ARCHÉOLOGIE DU BÂTI

É
difice emblématique de a ainsi lancé des analyses sur le raison des contraintes propres à
l’histoire de l’art du décor, la structure et l’histoire de l’exercice de l’archéologie
Moyen Âge occidental, la cathédrale, notamment par le préventive – notamment la
la cathédrale Notre- recours à deux opérations délimitation de la zone d’étude
Dame de d’archéologie préventive sur le (la façade du vaisseau central et
Chartres a depuis bâti. Après la première ses deux premières travées
longtemps suscité des débats campagne qui a concerné le haut occidentales) et son accès grâce
autour du déroulement de son vaisseau du chevet 3 et avant la aux échafaudages –, ils ont
chantier et de sa position dans troisième, consacrée à la nef 4, la néanmoins considérablement
les chronologies artistiques, qu’il seconde campagne d’étude avait enrichi la connaissance de cette
s’agisse d’architecture ou de pour objets la façade (fig. 1) et partie de la cathédrale.
sculpture 1. La restauration de les deux travées occidentales de
Deux tours, comportant trois
l’édifice, entreprise depuis la fin l’édifice afin d’en établir la
des années 2000, a offert aux chronologie relative, salles voûtées superposées et un
spécialistes de nouvelles l’organisation des chantiers et de beffroi, encadrent une façade
occasions d’études grâce à la leur approvisionnement et des
organisée en quatre niveaux.
mise en place progressive techniques de construction tout
d’échafaudages, au nettoyage en les replaçant dans leur Attribués au milieu du XIIe siècle,
des élévations et à la contexte monumental 5. Si les Bu letin Monumental Tome 173-
stabilisation des vitraux 2. L’État résultats demeurent partiels en
3 • 2015
les deux niveaux inférieurs – un largement inspirée par Saint-
triple portail et un triplet de baies Denis 8.
– sont surmontés par une grande
En second lieu, on a beaucoup
rose des premières décennies du
discuté du déroulement des
XIIIe siècle et une galerie des rois,
travaux au XIIIe siècle : après
ajoutée au XIVe siècle 6. À
l’incendie de 1194, le chantier
l’intérieur, les deux tours
s’estil développé d’est en ouest
s’inscrivent dans l’élévation du
ou a-t-on reconstruit la nef avant
vaisseau central (fig. 12) : une
le chevet 9 ? De fait, à quelle
double arcade dessert les salles
phase faut-il rattacher la reprise
basses et le second niveau des
des parties supérieures des
clochers s’ouvre sur la nef par
travées occidentales ? En 1990,
deux baies au-dessus d’une
une expertise
corniche à modillons. Réalisé au
dendrochronologique a révélé
début du XIIIe siècle, le niveau
que les bas-côtés de la nef
supérieur est occupé, dans
étaient en place dès 1200 alors
chacune des deux travées, par
que ceux du chevet ne furent
deux lancettes surmontées par
terminés que vers 1210 10. Si
des fausses-roses peintes. On
tant est qu’on puisse dater les
pourrait penser que les deux
parties basses de la construction,
principales campagnes de
rien ne permet d’être affirmatif
chantier sont bien connues ; la
pour les niveaux supérieurs. Les
chronologie absolue des travaux
dernières recherches
ne suscite d’ailleurs guère de
archéologiques montrent
débat. Toutefois, certaines
d’ailleurs que le chantier doit être
hypothèses contradictoires
lu dans le détail : pour le chevet,
subsistent encore en ce qui 203
l’étude de bâti a conclu que les
concerne la cohérence du projet
voûtes ont été faites près de
du XIIe siècle et la marche des
quarante ans après sa mise en
travaux durant le XIIIe siècle (fig.
service, en 1221 11. La
3).
cérémonie de consécration de
En premier lieu, il est 1260 indiquerait alors très
communément admis que les probablement la fin des travaux
parties occidentales 12
. Toutefois, cet important
correspondent à un décalage d’exécution n’emporte
agrandissement de la cathédrale pas l’unanimité et des
rebâtie au XIe siècle 7 : soit par observations contradictoires ont
l’adjonction d’un porche peu été proposées pour une
profond entre les tours et à l’est chronologie plus resserrée de la
du Portail royal, soit par le construction 13.
prolongement de la nef jusqu’aux
nouveaux clochers et la mise en
place d’une avant-nef tripartite,
peut-être pourvue de deux
portails successifs et d’une sorte
de tribune comme à Vézelay, soit
enfin d’un espace hypostyle
hypothétiquement doté d’une
chapelle haute et ouvrant
directement vers la nef. Plus
récemment, une position
synthétique a été adoptée, en
faisant valoir la possibilité de
plusieurs repentirs ayant conduit
en définitive à une réalisation
CHARTRES :

La cathédrale
Notre-Dame de Chartres, située en région Centre-Val-de-Loire, est
l’une des œuvres les plus authentiques et les plus achevées de
l’architecture religieuse du début du XIIIe siècle. Elle fut le but d’un
pèlerinage dédié à la Vierge, parmi les plus populaires de tout
l’Occident médiéval. Par l’unité de son architecture et de sa
décoration, fruit des recherches du premier âge gothique, par son
influence considérable sur l’art du Moyen Âge chrétien, la cathédrale
de Chartres apparaît comme un jalon essentiel de l’histoire de
l’architecture médiévale. Le remarquable ensemble de vitraux, la
statuaire monumentale des XIIe et XIIIe siècles et le décor peint
miraculeusement préservé des ravages des hommes et du temps
font de Chartres l’un des exemples les plus admirables et les mieux
conservés de l’art gothique.
- Chartres, cathédrale Notre-Dame, nef, façade occidentale après
restauration.
les sources sont plus prolixes à partir de l’an mil. Elles permettent de mieux suivre l’évolution des
constructions, partiellement reconnues lors de fouilles anciennes conduites par René Merlet dans la crypte
et par Eugène Lefèvre-Pontalis entre les tours occidentales 15 (fig. 3). L’évêque Fulbert (1006-1028) dirigea
un grand chantier de reconstruction au lendemain de l’incendie de 1020 et, malgré quelques vicissitudes,
la cathédrale fut consacrée en 1037 16. Elle fut ensuite l’objet de multiples adjonctions et embellissements
durant la seconde moitié du XIe siècle : trois porches furent construits 17, un clocher fut bâti après 1070 18
ainsi qu’une salle capitulaire et une tour 19. Au tournant du XIIe siècle, des vitraux furent commandés 20, on
réalisa un jubé 21, la toiture fut partiellement refaite et des cloches furent offertes 22.
L’incendie survenu en 1134 est généralement considéré comme un marqueur essentiel pour la
reconstruction de la façade de la cathédrale de Chartres 23. Il se serait propagé à partir de l’Hôtel-Dieu, à
l’extrémité ouest de la cathédrale du XIe siècle, mais n’aurait finalement pas entraîné la reconstruction totale
de l’édifice. À partir de cette époque et jusque vers le milieu des années 1160, plusieurs mentions de dons
ad opus et de travaux sur une 24 ou plusieurs tours 25 offrent une perspective séduisante de datation mais
demeurent difficiles à interpréter 26. Avant le milieu des années 1170, un don de 15 £ ad opus criptarum
pourrait correspondre aux transformations des baies et à l’exhaussement du niveau de sol des couloirs de
la crypte ainsi qu’à l’exécution du portail situé sur le flanc sud du chevet 27.

204
PIERRE MARTIN

La reconstruction de la cathédrale au
XIIIe siècle

En 1194, un nouvel incendie ravagea la cathédrale. Par chance, les clercs avaient eu le bon sens de
mettre à l’abri le reliquaire de la Vierge dans un espace voûté inférieur à proximité de l’autel majeur (sans
doute le caveau Saint-Lubin). Présent lors du sinistre, le légat du pape, Mélior de Pise, encouragea l’évêque
Renaud de
LA FAÇADE ET LES TRAVÉES OCCIDENTALES DE LA CATHÉDRALE DE NOUVEAUX APPORTS DE
L’ARCHÉOLOGIE DU BÂTI
CHARTRES :

Mousson (1183-1210) et ses


chanoines à affecter pour trois ans
la majeure partie de leurs revenus
à la reconstruction de l’édifice 28.
Dès 1195, un acte pour la
fondation d’une rente ad opus fut
signé sur l’autel de la Vierge 29, à
nouveau mentionné en 1198 ainsi
qu’un autel dédié à saint Laurent 30
: l’édifice n’était donc pas
totalement détruit ou hors service,
comme le montre également la
conservation des parties
occidentales de la cathédrale.
Accidentel, miraculeux ou
prémédité, l’incendie ne prit pas au
dépourvu l’évêque et ses chanoines
: le financement fut rapidement mis
en place, tout comme la rédaction
du Livre des miracles de
NotreDame de Chartres 31 ou
l’arrivée, au moins jusqu’en 1215,
de nombreuses reliques 32. Le
patrimoine et le trésor de la
cathédrale, déjà considérables
dans le courant du XIIe siècle,
atteignirent alors une valeur
inestimable qui assurait au chapitre
des ressources très confortables
mais la pression fiscale put
également être importante : en
1210, le doyen dut se réfugier
dans l’église pour échapper à une
émeute urbaine qui avait
notamment eu pour cible le pillage
de sa maison, établie devant le
Portail royal 33. Vers 1214-1217,
certaines voûtes étaient déjà
construites 34 et, dès 1221, les
droits du chantre sur les stalles du 205
chœur étaient confirmés 35, même
si la consécration solennelle n’eut
lieu qu’en 1260 36.
PIERRE MARTIN

LES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION

L’analyse archéologique du bâti de la façade et des deux travées occidentales de la cathédrale de Chartres
confirme la chronologie relative élaborée par l’historiographie. Cependant, les observations, associées à des
relevés systématiques d’ensemble du plan et des élévations ainsi que de détail, ont permis de confirmer
certaines hypothèses 37. Elles ont conduit à déterminer trois états successifs dans la construction, un
quatrième – relativement mineur – correspondant à l’installation d’une tribune au revers de la façade en
1519 38 : tout d’abord la tour nord, isolée à l’origine, puis
enfin les transformations liées à la

reconstruction de la nef, pour

lesquelles plusieurs phases ont été

mises en évidence. État 1 – La tour

nord

La partie la plus ancienne


s’avère être l’ensemble des
élévations primitives du clocher
nord (fig. 4). En partie inférieure, la
façade occidentale vient s’accoler
au contrefort sud-ouest de la tour,
qui se poursuit de façon homogène
jusqu’au niveau de la rose (fig. 5).
Au niveau du triplet de baies, ce
contrefort a été partiellement
démonté pour la mise en place
d’un grand arc de décharge.
CHARTRES :

Plusieurs perturbations ont pu être détectées, notamment à l’est pour la construction du pilier de la nef au XIIIe
siècle : démontage d’une colonne, bûchage de la corniche qui la surmontait et d’un encorbellement sous un pilastre,
chapiteau pris dans le placage (fig. 6). Les éléments les plus significatifs sont les deux Fig. 3 - Chartres, cathédrale Notre-
Dame, plan archéologique, d’après Pansard 2013, p.38. arrachements de profil brisé détectés au-

Fig. 4 - Chartres, cathédrale Notre-Dame, nef, travées occidentales, élévations intérieures. Relevés : P. Martin, J. Noblet, Fr. Tournadre,
G. Turgis. DAO : P. Martin © Archeodunum.

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PIERRE MARTIN
dessus des arcades du premier dessus des toitures de l’ancien raison de remaniements postérieurs
niveau (fig. 4) ; d’évidence, il édifice, si toutefois celui-ci était aussi ? Ces supports ont-ils bien été
s’agissait d’un dispositif d’origine large. De plus, les réserves ménagées réalisés ? Dans l’affirmative, ils ne
puisque l’appareillage du mur avait dans le parement sud impliquent la pouvaient donc fonctionner qu’avec
été découpé pour accueillir deux arcs présence d’une structure bordant la un passage voûté latéral au clocher,
ou deux voûtains. La partie construction en partie basse. Les peut-être dans le but de desservir la
supérieure de l’élévation montre fouilles de Lefèvre-Pontalis façade de la cathédrale du XIe siècle
ensuite une grande homogénéité au n’offrent guère de données (fig. 7). Un dispositif comparable a
niveau des arcatures aveugles. supplémentaires tant les relations également été observé en fouille à la
entre les maçonneries semblent Trinité de Vendôme 40, point de
Ces premiers éléments plaident
hasardeuses ; la reprise du dossier comparaison d’ailleurs essentiel pour
en faveur d’un clocher implanté en
par Étienne Fels renvoie plutôt le l’architecture de la tour nord de
avant de la cathédrale antérieure.
mur transversal à redans, découvert Chartres.
Dans le comble du bas-côté nord, la
face à l’arcade orientale, à un état du
présence d’une baie ouvrant la face Comme on l’a déjà évoqué,
XIe siècle 39 (fig. 3). On ne dispose
orientale de la tour semble indiquer l’incendie de 1194, les dons ad opus et
donc d’aucune information sur la
que la construction était dégagée sur les mentions relatives à des travaux
présence des supports que l’on aurait
sa face nord à partir de ce niveau. sur une ou plusieurs
pu rechercher plus au sud du clocher
Elle pouvait néanmoins ouvrir au-
: leurs traces ont-elles disparu en

207

© Archeodunum
LA FAÇADE ET LES TRAVÉES OCCIDENTALES DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES : NOUVEAUX APPORTS DE
L’ARCHÉOLOGIE DU BÂTI

Fig. 5 - Chartres, cathédrale Notre-Dame, façade occidentale et revers. Relevés : P. Martin, J. Noblet, Fr. Tournadre, G. Turgis. DAO
: P. Martin, Fr. Tournadre.
tours permettent de déterminer, Les techniques de construction dans la travée orientale, au niveau
pour le chantier, une période fournissent peu d’informations des grandes baies de la tour 42.
s’étendant entre 1135 et 1165 complémentaires L’analyse dendrochronologique
environ. Cette fourchette (fig. 4) : le recours indifférent à réalisée après la découverte d’un
chronologique paraît en des profils en plein-cintre ou fragment de bois pris dans le
adéquation avec les datations brisé, l’emploi généralisé du blocage de la maçonnerie n’a permis,
généralement proposées pour le moyen appareil ou encore les faute d’aubier conservé et du faible
clocher nord de Chartres, qui signes lapidaires observés nombre de cernes, que de proposer
s’inscrit dans la vague de exclusivement sur les claveaux du deux fourchettes probables pour
construction des flèches troisième niveau. Deux trous de l’abattage :
monumentales des années boulins ont toutefois pu être
temps, d’une seconde tour et le
1140-1150 41. détectés
développement, dans un second
temps probablement assez
rapproché, d’un programme de
façade cohérent avec le nouveau
clocher (fig. 7). Probablement ces
travaux visaient-ils à desservir
directement les couloirs
longitudinaux des cryptes qui
furent prolongés jusqu’aux tours
mais également à la mise en
place – réalisée ou non – d’une
avant-nef.

État 2a
Les travaux débutèrent tout
d’abord par l’édification du
clocher sud (fig. 4). Les
observations réalisées sur la
façade montrent une grande
homogénéité dans le contrefort
nord-ouest de la tour. Toutefois,
à la différence des éléments
conservés sur la tour nord, la
208 structure du contrefort indique
cette fois que la construction du
clocher n’était pas prévue pour
être indépendante : des pierres
d’angles forment des harpes très
régulières au niveau du triplet de
baies, ce qui indique clairement
que le clocher sud a été conçu,
dès l’origine, pour être relié par
un mur de façade à son pendant,
situé au nord (fig. 5). Sur sa face
nord, le clocher montre une
État 2 – Le clocher sud et les niveaux inférieurs de la façade
nouvelle fois une grande
homogénéité de construction du
rez-de-chaussée, ouvert par deux
Le second état de la construction montre une évolution notable du
arcades, jusqu’au niveau des
parti architectural de la cathédrale par la réalisation, dans un premier
PIERRE MARTIN

grandes baies éclairant la salle haute (fig. 2).

Fig. 7 - Chartres, cathédrale Notre-Dame, nef, travées occidentales, hypothèse de restitution


des états 1, 2a et 2b. DAO : P. Martin.
Le chantier du XIIIe siècle a couverte, au moins pour le laissent au moins supposer un
entraîné les mêmes perturbations parement extérieur, par un grand projet de voûtement tripartite
que sur la tour nord (fig. 4). Les arc de décharge partiellement des deux premières travées de
différences les plus notables avec amputé lors de la construction de l’édifice (fig. 4), à l’image des
le clocher nord résident dans la grande rose au XIIIe siècle (fig. structures découvertes dans la
l’absence d’articulation du 5). À ce niveau, les harpes crypte 45 (fig. 3). La restitution de
deuxième niveau, les marques observées pourraient indiquer cet état – qu’il ait été réalisé ou
lapidaires plus nombreuses l’arrachement d’un pignon qui non – demeure assez difficile : en
(notamment sur ce même niveau) s’élevait audessus de l’arc de dépit d’un recalage
et le profil en plein-cintre des décharge. Elles ont été en partie topographique, le mur
réserves ménagées dans la régularisées par quelques blocs, transversal à redans mis au jour
maçonnerie, situées à une ce qui ne permet pas de trancher par Lefèvre-Pontalis et interprété
altitude supérieure. entre un projet non exécuté ou comme la limite occidentale
une reprise après démontage. d’une tour-porche du XIe siècle
par Fels constitue la seule
Quoi qu’il en soit, cet
État 2b indication envisageable pour
ensemble forme une façade
Probablement peu après, on placer des supports
harmonique, conçue comme une
construisit la façade, prévue pour intermédiaires 46
(fig. 7).
grille divisée par deux pilastres
présenter trois portails sur la face Cependant, ces supports se
flanqués de colonnettes et une 209
occidentale et, au revers, des seraient trouvés en porte-à-faux
corniche sur modillons.
réserves dans la maçonnerie, sur les redans et n’auraient pas
Toutefois, à la différence de
juste audessus des arrière- été alignés avec les colonnes
Saint-Denis dont le massif
voussures (fig. 4). Ces éléments adossées contre les tours. La
occidental fut consacré en 1140
semblent attester un projet de question reste également en
44
, la façade de Chartres est
voûtement des deux premières suspens quant à l’aménagement
accostée par deux puissants
travées du rez-de-chaussée car d’une tribune sur cet espace
clochers dépourvus d’accès
ils concordent en tout point avec voûté : aucun indice n’a été
extérieurs (fig. 1) : les trois
ceux observés sur la tour sud (fig. décelé sur le revers de la façade
portails ouvrent donc vers
7). Le niveau du triplet de baies ou les parements des clochers
l’actuel vaisseau central,
a été plaqué contre le clocher (fig. 4), notamment du côté nord,
extrêmement large, mais ne
nord alors qu’il a été inséré dans où les hypothétiques voûtains se
donnent pas accès aux
les harpes d’attente du contrefort trouvent plus bas. Les nouvelles
collatéraux. Les bouchages des
de la tour sud. Très largement observations ont certes permis
réserves ménagées sur le clocher
ouverte, la surface murale était d’asseoir la chronologie relative
sud et sur le revers de façade
de la construction mais leur
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L’ARCHÉOLOGIE DU BÂTI

interprétation demeure limitée supérieures de l’édifice dans ce État 3 – Le chantier du XIIIe


sans un recours à la fouille d’une secteur, probablement au cours siècle
zone désormais très perturbée. du deuxième tiers du XIIe siècle.
On retiendra donc de cet La datation repose
ensemble la volonté d’une nécessairement sur la sculpture Ouvert au lendemain de l’incendie
desserte des couloirs de la crypte monumentale et notamment celle de
par un système de distribution des portails 47, qui présentent 1194, le chantier de la cathédrale de
complexe, sans pouvoir certifier des irrégularités de montage Chartres fut mené rapidement et le
ni sa réalisation ni l’état qu’il resterait à réétudier 48. clergé
d’achèvement des parties

Fig. 8 - Chartres, cathédrale Notre-Dame, façade occidentale et revers, enduits. Relevés et DAO : E. Boissard
© Archeodunum.
put réinvestir le chœur en 1221. réalisés. On plaça ensuite les supports engagés audessus des corniches
On sait par ailleurs que la nef, ainsi que les encorbellements au-dessus des baies des tours pour monter
dans sa partie orientale, était en les niveaux aveugles (fausses lancettes et oculi). Enfin, on éleva la partie
cours de construction dès 1200. supérieure de la façade et sa gigantesque rose (fig. 5), on voûta les
210 Sans revenir sur la chronologie travées et on appliqua les enduits et les peintures (fig. 8).
absolue de l’édifice, l’analyse
À la différence des deux états précédents, le chantier du XIIIe siècle a
archéologique des deux travées
fourni de nombreux éléments sur la mise en œuvre.
occidentales a permis des
observations sur le déroulement En premier lieu, on a pu et répartis de façon échelonnée,
et la mise en œuvre des travaux constater que les supports sans doute dans un souci
dans ce secteur (fig. 4). engagés dans les tours à partir commun de meilleure tenue de la
du niveau des corniches avaient structure. Les fûts étaient
On a tout d’abord accolé les
été posés en boutisse, de façon à destinés à être assemblés par
piles de la troisième travée aux
s’ancrer dans la construction. des gonjons métalliques,
extrémités des tours, ce qui
Accessoirement, ils ont été dotés conservés sur la face inférieure
entraîna probablement le de tambours taillés à même les des blocs (fig. 9). Ils ne furent
démontage des colonnes blocs cependant pas posés
adossées des deux clochers et, en
conséquence, du porche voûté et
de l’éventuelle tribune qui pouvait
le surmonter s’ils avaient bien été
PIERRE MARTIN

vaisseau de plus de 16 m, tout en jouant un rôle de tas de charge à


partir d’un vingtaine de mètres de hauteur. Les parements supérieurs
ne sont pas en moyen appareil de Berchères mais en moellons de
calcaire tendre qui, à l’exemple des voûtains, étaient plus légers et
plus faciles à tailler.
En troisième lieu, on a détecté six bouchages au sein des
maçonneries des fausses lancettes. Alignés horizontalement, ils se
situaient immédiatement sous le niveau des chapiteaux. La fouille de
l’un d’entre eux, qui a révélé un fragment de verre peint, permet
d’interpréter ces structures comme des empochements de poutres
pouvant atteindre une section de 0,50 m environ (fig. 10). La position
et la profondeur de ces empochements (environ 1 m) conduisent à
envisager un système de plancher provisoire, probablement destiné à
soutenir les cintres pour le voûtement des deux travées occidentales
et à travailler au montage de la rose.
En dernier lieu, l’application de l’enduit à la fin des travaux a
également permis de comprendre l’organisation des échafaudages
sur le chantier (fig. 8) : ils se développaient sur toute la hauteur du
revers deC façade mais seulement à partir des salles hautes des
Fig. 9 -
l. F. Tournadre © Archeodunum. clochers. Le retour d’enduit visible dans les angles avec la façade
Chartres, cathédrale Notre-Dame, nef, correspondrait alors à la largeur des platelages de la façade, soit
deuxième travée, côté sud, détail du
environ 1,50 m.
faisceau de colonnettes médian.
car l’enduit du XIIIe siècle a Toutes ces constatations corroborent également l’hypothèse d’une
recouvert, immédiatement sous construction d’est en ouest de la nef. Un problème de conception lié
les chapiteaux, la surface au développement accru de
murale en attente 49 (fig. 8).
la rose occidentale s’est posé : en montre une certaine
En deuxième lieu, des cherchant à ouvrir le niveau précipitation, probablement pour
encorbellements ont été créés supérieur de la façade sur toute une mise en service rapide de la
au-dessus des archivoltes des sa largeur (fig. 5), la rose culmine nef : les fausses lancettes ne
baies des deux clochers (fig. 4). à 2,70 m au-dessus des arcs furent pas terminées – seules les
On peut supposer que les formerets de la voûte occidentale couches de fond furent
bâtisseurs ont démonté une (fig. 4), ce qui a nécessité de faire partiellement posées – et les fûts
partie des parements des tours un voûtain rampant. On a des faisceaux de colonnettes ne
de façon à insérer, là encore, cherché à harmoniser furent pas montés, alors qu’on
de nouveaux blocs en boutisse. plastiquement l’élévation des peut supposer qu’on prévoyait, à
Cette mise en œuvre présentait anciennes tours en partie l’origine, de rhabiller ainsi les
sans doute plusieurs avantages supérieure avec le nouveau contreforts médians des deux 211
: outre le rhabillage des parties vaisseau en prenant soin de créer tours sur toute leur hauteur.
supérieures des anciennes des faux vitraux dans les roses 50
élévations, elle permettait de (fig. 2). Toutefois, l’achèvement
réduire la portée du voûtement des travaux
d’environ 2,50 m sur un
* restauration des Monuments À l’échelle de la zone
historiques : pour les plus d’intervention, la mise en
prestigieux d’entre eux, perspective des nouveaux
L’intervention archéologique l’historiographie prégnante résultats avec le montage des
sur la façade et les travées masque en effet le manque portails, leur sculpture et leur
occidentales de la cathédrale de d’information établie les iconographie mais également
Chartres prouve, s’il en est concernant et, en conséquence, celle des chapiteaux des tours 51,
encore besoin, la nécessité la transmission de leur de la façade et de son revers
d’accompagner de façon témoignage. ainsi que les vitraux et les
systématique les travaux de peintures s’avère nécessaire pour
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L’ARCHÉOLOGIE DU BÂTI

mieux appréhender leur datation À l’échelle de l’édifice, la sérier les données scientifiques
et leur signification. Il en va de poursuite des analyses avant relatives à ce grand chantier
même des fonctions, encore mal restauration apparaît tout aussi offrira l’occasion de mieux définir
définies, qui ne peuvent passer importante. Certes, la partie la part des contraintes liées aux
que par une reprise des fouilles occidentale était sans doute la constructions antérieures et les
52
, accompagnées par l’étude de plus complexe d’un point de vue principes constructifs des
bâti des espaces avoisinants – les archéologique. Toutefois, la premières décennies du
couloirs de la crypte notamment. possibilité de continuer la XIIIe siècle.
couverture topographique et de
46.

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